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D'ADULTES
François Richard
2013/2 - Vol. 77
pages 333 à 347
ISSN 0035-2942
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François Richard
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Un patient fait souvent une demande d’analyse lorsqu’il est un jeune
adulte, dans l’idée qu’une cure analytique pourrait l’aider à devenir plus plei-
nement lui-même grâce à une reprise interprétative des avatars de son ado-
lescence toute proche. Si le psychanalyste suppose qu’une telle demande
recouvre des conflits inconscients d’origine plus infantile, il peut aussi, et
ce n’est nullement contradictoire, envisager une spécificité des troubles psy-
chiques à l’adolescence. On peut penser avec R. Cahn que les états limites de
l’âge adulte résultent de l’inachèvement du processus de subjectivation qui
caractérise selon lui le moment adolescent, et ajouter qu’un tel inachèvement
présume une difficulté plus originaire de la différenciation du moi-sujet, du
Ich freudien, lors de l’enfance. À côté des états limites sur fond de pathologie
structurelle de la différenciation subjectalisante, on trouve souvent, dans la
clinique psychanalytique contemporaine, en particulier avec les jeunes adultes,
des fonctionnements limites mélangés à une conflictualité névrotique – typi-
quement le tableau de ce que j’ai proposé récemment de concevoir comme
« l’Œdipe déformé des patients d’aujourd’hui » (Richard, 2012). Cet Œdipe
déformé est biface, d’un côté le conflit intrapsychique génère une dynamique
de symbolisation des représentations pulsionnelles et une ré-organisation des
instances topiques (ça, moi et surmoi), mais d’un autre côté l’envahissement
par la libido narcissique, les tendances à la déliaison des représentations et
entre instances, détériorent les gains psychiques résultant de l’élaboration de
la conflictualité œdipienne, qui devient moins perceptible, de sorte que l’on
croit être confronté à un état limite carentiel – à tort : l’intériorité, sa créativité,
restent mobilisables, en particulier si le psychanalyste sait entendre dans les
pathologies en extériorité, une souffrance de l’intériorité.
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passage d’une potentialité psychotique à sa forme manifeste » (Aulagnier,
1984, p. 9), parce qu’à ce moment-là le « je » peut se trouver écartelé entre
son propre mouvement (« identifiant ») vers de nouvelles identifications et
l’exigence inconsciente d’un système familial pathologique qu’il ne change
pas (ou qu’il demeure « identifié »). Il est alors confronté « à ce qu’il ne savait
pas être devenu, à la réalisation de ce qu’il ne voulait pas devenir, à l’écart qui
sépare le “devenu” de ce qu’il imaginait devenir » (Aulagnier, Ibid., p. 13).
L’adolescent est condamné à un travail autobiographique propre à modifier
la version infantile de son histoire dans une « auto-altération bien difficile
à assumer » nécessaire à la poursuite de son « projet identificatoire ». La
décompensation psychotique à l’adolescence révèle une impossibilité struc-
turelle de changer et dévoile le réel de l’originaire qui s’exprime directement
dans l’intensité des éprouvés pubertaires – à la fois génitaux incestueux et
qui revivifient régressivement la proximité infantile avec le corps de la mère.
P. Aulagnier découvre la « catastrophe identificatoire » de l’adolescent ne
parvenant pas à devenir autonome à partir de sa pratique des cures d’adul-
tes : l’analyse, dit-elle, des souvenirs après-coup de la confusion qui peut
accompagner l’errance ou la fugue la plus banale lors de l’adolescence, est
parfois la seule façon de reconnaître, puis d’analyser, dans une psychanalyse
d’adulte, une potentialité psychotique demeurée pour l’essentiel silencieuse.
L’insistance d’une potentialité psychotique, ou de fonctionnements
psychotiques, se traduit, dans ce type de situation, par des mouvements
régressifs inattendus, que le clinicien peut prendre pour une réaction thé-
rapeutique négative, alors qu’ils représentent une invitation à prendre les
choses autrement – à reconnaître et à analyser un défaut du refoulement
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Finir l’adolescence dans une cure d’adulte jette sur ces zones périlleuses
une couverture protectrice : les interprétations et les constructions peuvent
reconstituer l’épaisseur d’un espace préconscient, à condition que les attaques
psychotiques n’aient pas trop endommagé les capacités de symbolisation du
patient.
L’adolescent ne veut rien savoir de son enfance et construit donc l’infan-
tile – la névrose infantile – comme système atemporel de représentations.
A. Green a pu dire de ce point de vue que l’adolescence était une « deuxième
phase de latence » (Green, 1990) correspondant à l’opération suivante :
« Psychiser – si l’on peut dire – en narcissisme pour préparer les changements
dans les relations d’objet » (Green, 1988, p. 230). Freud suppose une pluralité
de strates mnésiques correspondant à des époques différentes, ainsi que leur
remaniement permanent, leur « traduction » en signes autres (Freud, 1985 c
[1887-1904]). La modification est incessante, la trace mnésique est frayée
une fois pour toutes, ce paradoxe freudien introduit à une pensée de l’histo-
ricité comme complexe. Si, le plus souvent, la scène adolescente fait écran
à l’enfance, parfois ce qui se présente comme un souvenir d’enfance sert à
refuser un désir pubertaire (Freud, 1899 a). Freud repère dans l’imaginaire
adolescent une temporalité en spirale, voire une authentique capacité de mise
en perspective historienne :
« On doit se rappeler que les “souvenirs d’enfance” des hommes ne sont fixés qu’à un âge
plus avancé (le plus souvent à l’époque de la puberté) et qu’ils subissent alors un processus
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l’ouverture à la bisexualité psychique, ou quand il y a eu recours prépondérant à des méca-
nismes de défense non névrotiques, et davantage encore chez ces patients se plaignant
d’inhibitions et de difficultés existentielles sans symptomatologie précise ni conflictualité
intrapsychique verbalisable, à travers et au-delà du travail du négatif, on peut chercher ce
qui de l’adolescent et de son achèvement aurait absolument besoin même tard dans l’âge
adulte d’une dynamique transféro-contre-transférentielle pour trouver enfin à se résoudre »
(Bournova, Kebir, Passone, 2013).
qui suscite un sentiment d’être mal compris, et une résistance à ce qui est
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reçu comme un désir du psychanalyste animé par ses idéaux propres. En fait,
c’est la contradiction entre les niveaux œdipien et archaïque qui est dynami-
sante parce qu’elle exige un travail psychique. À l’adolescence, dit R. Cahn
(1991), l’interprétation doit porter de façon privilégiée sur les angoisses nar-
cissiques de néantisation parce qu’elles condensent l’angoisse de la castra-
tion et l’angoisse dépressive. La contradiction entre l’Œdipe et l’archaïque
correspond à un écart entre le deuxième et le troisième des Trois essais sur
la théorie sexuelle : dans le deuxième, Freud fait de la plasticité du sexuel
infantile l’essence de la psyché humaine, dans le troisième il parle de trans-
formations qui mènent la vie sexuelle infantile à une forme adulte normale
bien différente – tout en notant cette difficulté : le moi pour rencontrer l’objet
génital et l’autre, la personne humaine, renonce à l’objet partiel prégénital
qu’il se représentait comme total (le sein). Mais du même coup l’univers des
objets partiels prégénitaux le hante, entre hystérie et perversion. Si l’idéal
de normalité adulte contredit trop la perversité polymorphe et la bisexualité
psychique de la sexualité infantile, une « cassure » ou, plus exactement, un
breakdown (Laufer, 1983, 1989), à la fois cassure et effondrement vers le bas,
risque de se produire, qui laisse des traces profondes et durables, réparables
et analysables, ou non, plus tard, dans une analyse à l’âge adulte. De ce point
de vue, l’épreuve œdipienne a lieu à l’adolescence plus que dans l’enfance,
l’échec dans cette épreuve entraînant un trouble d’allure psychotique mais
qui n’est pas la psychose :
« Je crois que décrire certains comportements de l’adolescent comme psychotiques est
une erreur très importante… Toute psychopathologie de l’adulte, au-delà de la névrose,
comporte dans son histoire une “cassure” à la puberté. Je suis aussi persuadé que la
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psychopathologie grave de l’adulte – et j’y inclus ce que l’on décrit comme la pseudo-
psychose – est le résultat de l’intégration de cette “cassure”… Nos hôpitaux psychiatriques
sont bondés de patients qui ne devraient pas y être » (Laufer, 1983, p. 65, pp. 67-68).
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les addictions et les conduites extrêmes) mais en fait non psychotiques, expri-
merait une tentative paradoxale de vaccin contre le danger d’un morcellement,
destructeur du moi, encore plus radical.
On gagne, me semble-t-il, à resituer la problématique du développement
par rapport à l’ensemble moi idéal/idéal du moi/surmoi, lui-même relié à la
perspective de la subjectivation. Lorsque le petit garçon, dit Freud, s’iden-
tifie à son père comme à un idéal, ce mouvement est tout à la fois narcissique
et objectal, plus encore, il est intersubjectif, puisqu’alors « le lien porte sur le
sujet du moi » – Subjekt das Ich (Freud, 1921 c, p. 168) – désignant dans la
figure identificatoire (qui est aussi l’objet d’amour) la rencontre avec l’inté-
riorité psychique d’un autre moi-sujet (Richard, 2011). Selon cette vue, le
« développement » est transposé en césure topique, en modification dans la
topique ça-moi-surmoi en direction d’un surmontement de l’Œdipe dans
la relation à ce surmoi culturel (ou civilisé, ou encore collectif) dont parle
Freud dans Malaise dans la civilisation. On passe ainsi d’une conception
des fonctionnements limites comme limitrophes de la psychose à l’hypo-
thèse d’une fissuration du moi idéal s’accompagnant d’une légère déperson-
nalisation corollaire d’un sentiment d’omnipotence narcissique. La qualité
de la subjectivation se décline selon une « échelle des degrés d’altérité de
l’objet… l’auto-érotisme, le narcissisme, l’homosexualité, l’hétérosexua-
lité » (Brusset, 1998, p. 180). Le « sujet du moi » dont parle Freud n’est
autre, au fond, que le point d’oxymore de la perception de l’altérité interne
de l’objet. Et, inversement, les auteurs qui pensent en termes de dévelop-
pement s’approchent souvent de la problématique de la subjectivation. Ainsi,
M. Laufer : « Le traitement consiste à ce que la cassure qui s’est produite à la
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déjà perçues. Selon R. Cahn, dans Wo Es war, soll Ich werden, le moi apparaît
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comme « l’instrument en même temps que l’obstacle » d’une expansion de
« ce qui de lui-même et de son fait même lui échappe » (Cahn, 2006, p. 8).
Le terme de subjectivation parcourt son livre Adolescence et folie. Les déliai-
sons dangereuses (1991) et, en 1995, le sous-titre d’un autre de ses ouvrages,
L’Adolescent dans la psychanalyse, sera « L’aventure de la subjectivation ».
À sa suite, B. Penot publie La Passion du sujet freudien en 2001, la même
année que celle de la parution de mon livre Le Processus de subjectivation
à l’adolescence. La rencontre psychanalytique avec l’adolescent introduit à
un meilleur entendement de la complexité des systèmes défensifs des adultes
contemporains, dès lors que le point de vue de la subjectivation s’attache
autant, et peut-être même plus, au devenir de l’adolescence, à la processua-
lité difficile de sa terminaison, qu’au moment pubertaire. On comprend bien,
à partir d’une clinique de l’adolescence, que la fréquente prévalence du cli-
vage et de la projection – ainsi que les conduites addictives, la recherche de
l’excitation et son expulsion dans des actes peu investis – chez les patients
d’aujourd’hui, recouvre une angoisse de castration devenue si grande qu’elle
envahit le moi tout entier. Avec l’adolescent, on appréhende en effet plus
directement la dimension d’Œdipe déformé, et parfois même complètement
distordu, recouverte par la projection, les passages à l’acte et l’angoisse de
séparation. La façon dont de nombreux jeunes adultes évacuent l’érotisme psy-
chique (l’élaboration interne des pulsions) dans des actes sexuels peu investis
– ou, en tout cas, peu verbalisables – n’est-elle pas un prolongement de la
dissociation entre le « courant tendre » et le « courant sensuel » dont parle
Freud dans le troisième (consacré aux « transformations de la puberté ») des
Trois essais ? On peut être surpris du mélange d’agirs pulsionnels en processus
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plus symbolisante. On voit bien qu’il ne s’agit pas seulement de décrire cer-
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tains adultes comme des « adolescents attardés », mais d’élargir la dimension
cas-limite des adolescences sans fin en une vue plus globale. La propension
du psychisme à aménager des clivages multiples, minuscules et peu visibles,
dans une lutte défensive foncièrement phobique, est, avec le refoulement, au
cœur du conflit névrotique – la banalisation des conduites en processus pri-
maires, chez de nombreux adolescents mais aussi chez de nombreux adultes,
traduit une tentative de dégagement brutal par déplacement massif vers un
autre mécanisme, lequel ne se substitue pas au précédent mais le recouvre.
Ce propos se situe dans le prolongement de contributions plus anciennes, qui
en sont les précurseurs. J. Bergeret par exemple a théorisé l’état limite de l’adulte
dans la continuité des avatars de l’échec de l’élaboration du complexe d’Œdipe
à l’adolescence ; plus encore il voit dans celle-ci un carrefour subjectal :
« L’adolescence constitue le seul moment historique et psychogénétique de passage possible
entre les lignées névrotique et psychotique, c’est-à-dire le seul moment où une pré-structure
jusque-là de modèle névrotique pourrait encore donner naissance à une structure psycho-
tique définitive, de même qu’une pré-structure jusque-là de modèle psychotique pourrait
encore donner naissance à une structure névrotique définitive » (Bergeret, 1985, p. 77).
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de sorte qu’il faut alors savoir retrouver le temps d’attendre et de fantasmer
pour surmonter cette déception, le temps d’une adolescence peut-être sans
fin, d’autant plus ardue à dépasser qu’en serait méconnu, dit P. Mâle, le carac-
tère de répétition des « organisations anciennes profondes » à l’œuvre dans
sa typique « morosité » (Mâle, 1982, p. 205). La dépressivité (adolescente
et post-adolescente) correspondrait à une réédition d’un « refus d’investir le
monde, les objets » (Mâle, Ibid.) que l’enfant a mis en place en réaction à une
déception relationnelle première. Selon E. Kestemberg et P. Mâle, la psycho-
thérapie de l’adolescent éclaire progressivement cette déception infantile,
et devient ainsi une psychothérapie psychanalytique du jeune adulte. De ce
point de vue, il faudrait commencer par traiter les blessures narcissiques
primitives dans un style dialogique d’échange. Mais la causalité sexuelle
doit être elle aussi travaillée, puisque la douleur d’avoir à se séparer avec
les objets parentaux se renforce de la peur de s’engager avec de nouveaux
objets de désir et d’amour – ce qui peut susciter de façon contra-phobique
une précipitation dans un grand premier amour impossible en un « procédé
de décollage d’urgence » (Guillaumin, 1999, p. 104) – occurrence propre à
nourrir le récit des premiers entretiens préalables à une cure analytique du
jeune adulte, récit dont les accents mélancoliques alertent et orientent vers
une indication d’analyse. Le clinicien se trouve dans la situation évoquée par
Freud :
« On ne peut pas clairement reconnaître ce qui fut perdu, et l’on est, à plus forte raison,
en droit d’admettre que le malade, lui non plus, ne peut pas saisir consciemment ce qu’il a
perdu. D’ailleurs, ce cas pourrait aussi se rencontrer encore lorsque la perte occasionnant
la maladie est connue du malade, celui-ci sachant certes qui il a perdu, mais non ce qu’il a
perdu en cette personne » (Freud, 1917 e [1915], p. 263).
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dans l’exemple que je vais donner, l’attachement de l’analyste à une certaine
représentation des buts d’une cure, qui l’empêche de porter une attention suf-
fisante aux désirs restés en fait juvéniles et adolescents du patient, Aurélien,
un homme dans la trentaine, père de famille et heureux avec sa femme, ainsi
que créatif dans son travail. Mes interprétations cherchaient légitimement à
lui permettre d’affirmer mieux cette situation, qui avait été conquise durant
les premiers temps de l’analyse – jusqu’à ce que le processus tombe en panne
et la situation s’éternise dans une impasse où le découragement commençait à
s’emparer des deux partenaires. Comment ces séances défensives où le patient
se contentait de récits descriptifs factuels, pouvaient-elles succéder à une
période où de nombreux conflits inconscients, en particulier œdipiens, avaient
été utilement analysés ? Je me suis demandé si je n’avais pas accordé trop
d’importance à son appropriation de sa place d’homme adulte au détriment de
son besoin de rester en contact avec sa sexualité infantile psychique et avec des
objets imaginaires pubertaires (rêveries concernant des aventures plus ludiques
que relevant d’un état amoureux, souhaits de partir en voyage avec des amis
et de tout laisser tomber, préoccupations auto-érotiques à propos de son corps
propre). Pour le dire autrement : n’avais-je pas fixé en miroir sur Aurélien
des valeurs d’épanouissement normal, pour refouler ce que je percevais en
lui de trop enfantin et adolescent, parce que cette dimension contredisait mes
idéaux concernant la résolution de l’Œdipe ? J’aurais pu anticiper cette dif-
ficulté tranféro-contre-transférentielle : il était venu consulter pour « trouver
la force » d’assumer une activité professionnelle exigeante et sa toute nou-
velle fonction de père, et pour lutter contre la tentation de retrouver une vie
plus juvénile en se séparant de sa femme qu’il aimait pourtant. Il avait été un
enfant physiquement fragile, des troubles de croissance s’étaient manifestés à
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il aime se reposer dans une « bulle » lors des séances, délivré de tout, presque
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somnolent, mettant en scène une grande fatigue, pour susciter une sollicitude
maternelle de la part de l’analyste. À la fin des séances, ses gestes sont incer-
tains, il semble tassé sur lui-même, en une posture d’auto-enveloppement,
quittant à regret le divan qu’il utilise comme une sorte de berceau imaginaire.
Un jour, il déclare qu’il me croit énervé par sa difficulté à parler et me
demande de m’en expliquer. S’ensuit une séquence interprétative de son désir
de ne plus avoir peur de moi et de son père, ce qui débouche sur une capacité
accrue de faire face aux empiètements permanents, dans sa vie de tous les jours,
d’une mère aimée mais castratrice (elle lui reproche violemment mille man-
quements). Il se montre ferme et calme avec elle au lieu de ravaler sa colère :
cet énervement qu’il avait cru ressentir en moi, c’était le sien, ajoute-t-il ; oui,
c’était vrai, il prenait trop de plaisir à des scènes passionnelles avec sa mère (je
lui avais donné cette interprétation) et tenait délibérément son père à distance.
Je livre ce matériel pour montrer qu’un travail analytique était possible.
Mais chaque fois qu’il « progresse » de la sorte, il déconstruit ensuite
subtilement cette « avancée » : il revient en effet sur sa position psychique
antérieure sans que je m’en rende compte dans un premier temps. L’économie
libidinale d’une compassion soumise envers sa « pauvre mère qui vieillit
seule » (ses parents sont séparés) semble plus puissante que tout, et je ne sais
si je dois incriminer l’incapacité d’Aurélien à renoncer à ce lien (plus inces-
tuel qu’incestueux) ou mes propres réactions intérieures de désapprobation
de ce que je ne peux m’empêcher de considérer comme une faiblesse. J’étais
prisonnier d’un système. N’était-il pas venu, tel un adolescent qui cherche
un étayage paternel, pour s’autonomiser en introjectant les qualités de force
qu’il supposait être les miennes, de sorte qu’il était difficile d’entendre que
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dit : « Deux pas en avant, quatre pas en arrière… Qu’est-ce que je régresse ces
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temps-ci… Qui suis-je, pourquoi est-il pour moi si ardu d’exister ?… Je vois
mon fils, lui il sait plonger en lui-même dans la lecture… Vous aussi vous savez
dire “Moi je”. » La prise de conscience après-coup d’un trouble du processus
de subjectivation à l’adolescence, arrêté après avoir pourtant commencé, a
produit un état limite masqué par une normalité adulte de surface. Il précise :
« Les séances, je n’y arrive pas, j’essaye d’associer librement et je ressens
un chaos intérieur, des pensées qui partent dans tous les sens, mon corps qui
s’effondre, puis il y a un grand vide. » La prégnance de l’archaïque infantile
et des angoisses de morcellement avait été inaudible pendant longtemps. Le
processus de subjectivation immobilisé par la prégnance d’une économie libi-
dinale adolescente pouvait-il redémarrer à partir de son éprouvé, traumatique,
mais aussi cathartique, de sa psyché mal organisée et différenciée ? Une série
d’événements favorise une reprise élaborative :
le rassurer pour qu’il ne se sente pas coupable ; lui qui s’empare souvent
du moindre prétexte pour ne pas venir à une séance, me téléphone :
« Puis-je encore venir ? N’est-il pas trop tard ? », puis « Ce n’est pas de
votre faute. » Dans cette séance raccourcie par l’accident, sera discutée
l’interprétation selon laquelle il se sent écrasé par moi. Le lendemain, il
se blesse un doigt dans un petit accident ménager qu’il aurait pu éviter,
prend quelques jours de congés, réfléchit intensément à tout cela, et fait
l’hypothèse qu’il souhaite peut-être « être écrasé ».
Tout se passe ici comme si Aurélien parcourait le cycle d’un rituel initiati-
que, au risque de ne pas sortir de sa phase centrale de déconstruction identitaire
précédant l’accès à un nouveau statut, et trouvait une issue dans l’acceptation
de ce que l’on pourrait appeler une « position psychique passive centrale3 ».
« Non, non… non, non » ponctue le récit de ces épisodes ; « Je ne sais plus
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ce que je suis venu chercher ici, j’aimerais créer, peut-être écrire. » Mon
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agacement intérieur a disparu : j’ai affaire non plus à une passivité résultant
d’une inhibition, mais à une passivité transcendée en une quête subjective
authentique. J’interprète moins souvent, j’accompagne plutôt son élaboration
psychique, parfois dans le style d’une discussion comparant nos vues respec-
tives, en fait complémentaires. Par exemple, son hypothèse – il serait demeuré
trop longtemps un petit garçon à cause de sa relation avec sa mère, de sorte que
son identification paternelle était lacunaire – et la mienne – son drame le plus
originel était le suivant : cette mère qui fut si omniprésente et aimante tout au
long de son enfance et de son adolescence, ne percevait pas bien, en réalité, ce
qu’il ressentait, et cela s’était reproduit dans la relation analytique.
Conclusion
L’analyse de l’adolescence dans une cure d’adulte n’est pas une simple
action à retardement ou différée, elle devient une action différente. Littéralement
Nachträglichkeit (mot allemand que traduit « après-coup ») c’est « porter vers
3. Cette formulation fait écho à la notion greenienne de « position phobique centrale » (La pensée
clinique, 2002) et à son corollaire, la distinction entre une bonne et une mauvaise passivité (« Passivité-
passivation : jouissance et détresse », 1999) – ainsi qu’à la conception proposée par B. Penot dans La pas-
sion du sujet freudien (2001) : la réussite du processus de subjectivation à l’adolescence suppose un dur
apprentissage des éprouvés pulsionnels comme passivants, du point de vue du moi ; le moi intrusé et effracté
tant par l’objet cause de son désir que par ses pulsions propres, s’engage dans un travail d’introjection et de
symbolisation, il devient « sujet » dans un double rapport passif à la pulsion et à la signifiance.
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29 avril 2013 10:22 - Finir l’adolescence - Collectif - Revue française de Psychanalyse - 175 x 240 - page 346 / 320 29 av
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cause personnelle indéfinies.
François Richard
19 rue de Rochechouart
75009 Paris
richard-franc@wanadoo.fr
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