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L'INCONSCIENT DE L'ENQUÊTE, UNE EXPÉRIENCE DE SAVOIR

Eric Chauvier

GREUPP | Adolescence

2013/1 - T.31 n° 1
pages 145 à 152

ISSN 0751-7696
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http://www.cairn.info/revue-adolescence-2013-1-page-145.htm
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Pour citer cet article :


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Chauvier Eric,« L'inconscient de l'enquête, une expérience de savoir »,
Adolescence, 2013/1 T.31 n° 1, p. 145-152. DOI : 10.3917/ado.083.0145
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l’inconsciEnt dE l’EnquÊtE,
unE ExpÉriEncE dE savoir

Eric chauviEr
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observer les autres n’a rien de naturel. les protocoles que
l’anthropologue met en place sont souvent déjoués par des informations
inattendues, génératrices d’embarras, voire de malaise. si ces parts
incontrôlées de l’enquête lui apparaissent parfois déterminantes sur un
plan personnel, elles demeurent le plus souvent inéligibles au vu des
attentes académiques de l’anthropologie. considérées comme des scories
ethnographiques, ces anomalies ne renverraient pas à une connaissance
scientifique, mais à une réflexivité difficile à exprimer sans donner
l’impression de sacrifier son « terrain ». Je souhaiterais au contraire
questionner ce retour ethnographique sur soi à partir d’une mission de
recherche-action réalisée dans une institution de placement familial pour
adolescents (chauvier, 2008). l’enjeu est de montrer comment cette
expérience d’observation peut à la fois produire un savoir et se parer d’une
valeur d’initiation, dévoilant des enjeux touchant à la place que
l’observateur doit trouver au sein de l’institution, mais aussi à celle que les
jeunes et les éducateurs parviennent ou non à prendre.

l’ÉtonnÉ mandatÉ

En 2002, je suis embauché par une association de formation de


travailleurs sociaux afin d’évaluer les interventions éducatives au sein
d’un institut de placement familial. monsieur l., président de
l’association, est à la fois formateur et psychanalyste (cette dernière
posture va largement influer sur le choix de ma démarche d’observation).
il m’explique que mon observation anthropologique portera sur une

Adolescence, 2013, 31, 1, 145-152.


146 Eric chauviEr

institution accueillant des adolescents placés sur décision judiciaire et


administrative. l’originalité de l’action de cet établissement consiste à
intégrer des mineurs dans une combinaison de dispositifs favorisant leur
autonomie de telle façon que l’adolescent se représente un parcours au
sein de l’institution. monsieur l. attend de moi que j’exploite ma position
« d’étranger » à la sphère observée et que, de cette posture extérieure, et
au moyen de l’observation participante, je relève tout ce qui me surprend,
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me choque ou me trouble. selon lui, de telles observations sont destinées
à perturber la routine des acteurs de la sphère psycho-éducative. il est
prévu que cet acte de « perturbation » prenne effet à l’occasion d’une
restitution de mes diagnostics aux salariés de l’institution.
dès les premières séquences d’observation en internat1, je suis
confronté à des situations qui me paraissent des plus troublantes. Elles
tiennent à la communication qui prévaut entre les adolescents et les
éducateurs. les conflits semblent quasi incessants. les insultes pleuvent
souvent, la violence physique est fréquente et régulière, sous la forme de
coups portés contre des portes, contre les murs, ou encore d’objets jetés
violemment. ce climat me ramène, mais par défaut, à mon propre vécu,
relativement épargné par la souffrance, me faisant mesurer ce qui me
sépare de ces adolescents dont les éléments biographiques se recoupent :
la violence des parents (toxicomanes ou alcoolo-dépendants), les viols
des enfants, les fugues et l’errance, leur propre consommation de
drogues, la prostitution parfois.

parEnthÈsE rÉflExivE

À ce stade de la mission, les directives de monsieur l. semblent


atteindre leurs limites. au cœur de ces tiraillements, il devient difficile de
« sélectionner » des anomalies qui, plus que les autres, feraient du sens.
une alternative à mon problème apparaît en même temps qu’une jeune
pensionnaire, une adolescente qui a connu des sévices sexuels incestueux,
une aliénation mentale par le biais d’une secte (dont son père était le chef)
puis un parcours de fugues, de squats, de toxicomanie. Elle a dix-sept ans.

1. ce dispositif accueille 12 adolescents.


inconsciEnt dE l’EnquÊtE 147

Elle est jugée très violente par les éducateurs. Elle ne parle pas, elle hurle,
aussi bien pour insulter les autres que pour exprimer des requêtes
anodines. cette adolescente n’est pas instable. le mot est trop faible. tout
son corps semble en permanence parcouru d’une humeur dévastatrice qui,
le plus souvent, la rend incontrôlable du point de vue des éducateurs. seul
l’acte de fumer des cigarettes la calme un peu, si bien qu’elle fume tout le
temps ou, en tout cas, essaie de fumer tout le temps, car elle ne dispose pas
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suffisamment de moyens financiers – d’où les conflits qui émergent très
fréquemment pour des histoires de trafic de cigarettes entre les pensionnaires.
ce n’est cependant pas cette forme de violence qui me trouble, car
dans cet internat d’autres jeunes sont plus violents encore. En fait, d’une
façon d’abord inexplicable, durant les phases très brèves de conversations
que nous avons, c’est sa voix qui me paralyse. Je ne peux d’ailleurs parler
d’entretiens, puisqu’il m’est impossible de cadrer un sujet donné. un
exemple peut illustrer mon propos :

— moi : « qu’est-ce que tu veux faire après ? »


— Elle : « Bah je vais trouver un emploi sur Bayonne, dans un hôtel, faire
réceptionniste, serveuse et la cuisine. »
— moi : « À mi-temps ? »
— Elle : « oui (s’énervant un peu) ! »
— moi : « c’est bien l’hôtellerie – pause – tu voulais faire autre chose sinon ? »
— Elle (s’énervant de plus en plus) : « Je prendrai ce qui vient hein ? (puis
hurlant, regard qui dévisse, comme affolée) putain j’en peux plus d’être ici ! »

mon trouble ne naît pas de l’enchaînement défaillant des tours de


parole ni de l’absence de « synchronie conversationnelle »2 (soit la
capacité à prédire la suite d’une conversation) car cette observation
pourrait être faite pour la quasi-totalité des échanges entre adolescents et
entre adolescents et adultes. il faut plutôt restituer les contours
d’intonation qui permettent de caractériser le phrasé utilisé par cette
adolescente et, plus précisément, l’absence de mélodie, d’accent et
d’inflexion de ce phrasé. cette voix semble désincarnée, ou encore
« désaffectée ». même lorsque cette jeune fille hurle, elle semble hurler à

2. Gumperz, 1989, p. 63.


148 Eric chauviEr

vide. plus troublant encore : je pressens que cette voix me concerne,


quoique d’une façon encore confuse, si bien que le cadre d’observation
m’apparaît à la fois indécodable et menaçant.
cette observation réveille une posture solipsiste qui est en règle
générale fustigée par l’anthropologie académique. ainsi, à ce stade de
l’enquête, je suis tenté d’occulter cet état d’affectation. Je pressens
cependant que ces orientations ne serviraient qu’à mettre à distance cette
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voix désaffectée et à me protéger de ce qu’elle éveille en moi et qui
continue de me troubler au plus haut point. Je sais que je m’excentre des
enjeux de ma mission, mais je suis incapable de poursuivre mon enquête.
mes grilles théoriques sont inopérantes. ces solutions clés en main me
semblent étouffer ce que j’ai à découvrir et que me renvoie la voix
désaffectée de cette adolescente, qui me ramène inéluctablement à ma
propre existence (ce qui n’est pas le but recherché : comment pourrais-je,
dans la phase de restitution aux salariés, parler de moi à des éducateurs qui
côtoient la souffrance au quotidien ?). s’il est quelque chose
d’inconvenant dans cette idée, je ne peux pourtant résister à l’attrait de la
voix. Je décide de m’accorder une parenthèse dans mon enquête et de
rendre compte le plus précisément possible de cette expérience qui se
constitue par ce que je vois, ce que j’entends, mais aussi par le biais de ce que
je ne comprends pas. Je note, étape par étape, les effets de cette voix dans
mon for intérieur ainsi que sur le processus d’observation proprement dit.
la dissonance de cette voix éveille en moi une menace intime et
indicible liée à certaines séquences d’observation qui ont alimenté ma
thèse de doctorat, cinq années plus tôt, en 1997. dans le cadre de ma
recherche de doctorat, j’avais choisi de me livrer à l’observation
anthropologique de ma propre famille afin de saisir l’ordinaire familial.
durant l’été 1997, ce sujet prend une ampleur insoupçonnée, cette période
recoupant la maladie d’une personne de ma famille. Je me trouve en
situation d’observer des pratiques d’ajustement face à cette irruption
violente, les stratégies discursives d’évitement, de déni ou les tentatives
pour faire face à la technicité inédite de la maladie (les posologies, le
jargon technique). sous le coup de cette voix désaffectée, réapparaît
surtout une chronologie que j’avais occultée. Je me souviens que j’ai
choisi d’observer ma famille après que cette personne proche ait annoncé
inconsciEnt dE l’EnquÊtE 149

sa maladie. sur le coup, bien plus tard, dans cette institution, cette
révélation me fait l’effet d’un choc. Je chemine dans mon passé de
doctorant. Je comprends que le choix de ma thèse répond de façon assez
peu consciente à une nécessité de me protéger de ce que je voyais, ou de
ce qu’il m’aurait fallu voir : à savoir la maladie d’un être cher. voilà à quoi
me conduit la voix désaffectée de cette adolescente. ma thèse serait une
stratégie de diversion. simplement, cette sorte d’inconscient de l’enquête
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réapparu par le biais de la voix de cette jeune fille, me signifie
l’instrumentalisation que je fais quelques années plus tôt de ces recherches.
de façon plus large, elle me livre des pistes touchant aux jeux de
rôles que chacun peut ou non endosser au sein de l’institution.

fraGilitÉ dEs JEux dE rÔlEs au sEin dE l’institution

avant d’aborder le caractère heuristique de ce retour sur soi, il


convient d’expliquer comment cet état de sidération révèle le caractère
parodique de la vie institutionnelle. ce point n’est pas nouveau.
E. Goffman a montré comment toute institution de soin était perçue par
ceux qui l’occupent (soignants et soignés) comme une « parodie », voire
comme une « épave de la vie sociale » (Goffman, 1968). la dimension
« totalitaire » de l’institution naît de son mode de fonctionnement
contractualisé pour les « reclus » – ici les adolescents – mais aussi, par
ceux qui leur apportent l’encadrement éducatif et les soins psychiques.
cette théâtralisation de la vie institutionnelle apparaît effectivement aux
adolescents comme une vie sociale reconstituée, comme une vie de
second rang. lorsqu’ils fuguent, c’est moins pour s’opposer à l’ersatz de
vie de l’internat que pour gagner une sorte de « vraie vie », qui prendrait
forme hors des murs de l’institution.
cette parodie ne concerne pas que les membres « permanents » de
l’institution. sous le coup de cette voix désaffectée, je suis moi aussi
amené à déconstruire la posture d’observation que je tiens face à cette
jeune fille. si je reprends les étapes chronologiques de l’enquête, les
adolescents m’apparaissent dans un premier temps comme des objets
d’observation. Je forme un projet théorique au sein duquel ils seraient
semblables à des acteurs perpétuels, conscients de vivre dans un monde
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théâtral où ils seraient équivalents à des « objets observés », menant une


vie factice dont ils ne pourraient s’extirper. aussi séduisante que
m’apparaisse cette théorie, je me rends compte qu’elle constitue une
parodie dès lors que je prête attention à la voix désaffectée. En me
soumettant sa dissonance, elle me fait déconstruire mes préjugés et mes
stéréotypes d’enquêteur. Elle m’oblige à réexaminer mon statut
d’observateur à l’aune de l’observation que je mène, quelques années plus
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tôt, parmi mes proches, et dont je ne perçois pas immédiatement le sens.
lors de la restitution de mon analyse aux salariés de l’institution,
j’aborde la question de mon trouble face à cette adolescente et mes
difficultés pour tenir un rôle stable, légitime, dans le processus
d’observation. cette précision est importante pour moi. Elle vaut pour
gage de sérieux de mon enquête. la forme de l’expertise doit reprendre
les contours d’un monde vécu, avec sa violence et, surtout, ses zones
d’indétermination. il s’agit de favoriser la restitution à taille humaine d’un
monde vécu, avec lequel les salariés pourront être en prise, qui pourra
favoriser des débats autour de la place que chacun peut occuper dans
l’institution. ainsi, la restitution de cette « initiation » tend à montrer
l’illusion, pour les adolescents, de tenir un rôle, une place stable,
attribués par l’institution. la question n’est d’ailleurs même pas de tenir
un rôle plutôt qu’un autre, mais plutôt d’accepter la possibilité même de
tenir un rôle. c’est là l’enseignement de la voix de cette adolescente qui
refuse à cor et à cri d’être observée. En se rompant, le cadre d’observation
rend contingent et révisable l’ensemble des pratiques contractualisées qui
président habituellement à la vie institutionnelle.

la dissonancE commE ExpÉriEncE dE savoir

l’observation scientifique des pratiques humaines peut, de façon


inconsciente, être destinée à préserver le sujet d’une réalité qu’il ne peut
affronter. si cette hypothèse, qui hante les enquêtes des anthropologues,
n’est pas nouvelle, elle est régulièrement passée sous silence. l’attention
portée à l’inconscient de l’enquête dévoile toute la difficulté pour relier les
comportements humains empreints de « souffrance » à des catégories
analytiques qui prétendraient les classer de façon définitive, mais qui sont
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surtout utilisées pour contenir ce que « disent » à l’observateur ces


prétendues scories de l’enquête. cette observation « cloisonnée » de la
souffrance humaine est présentée comme un processus scientifique durant
lequel le lien entre l’observateur et l’observé ne serait entaché d’aucune
errance. cette présentation finale des analyses s’oppose pourtant aux
contraintes élémentaires de ce type de terrain. l’anthropologue est avant
tout engagé dans une situation qui est le plus souvent pétrie d’anomalies :
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états d’affectation divers, retour sur soi, introspections, impression plus ou
moins persistante de l’inadéquation de l’appareil théorique. la restitution
en contexte de ces états d’affectation peut mener à une matière quasi
inconsciente (à force de déni et de routine) de l’enquête. cette expertise à
taille humaine, qui n’est rien d’autre que l’ordinaire de l’enquête,
constitue une expérience de savoir à part entière.
il faut aller plus loin. l’échec, qu’il soit ethnographique (pour
l’anthropologue) ou communicationnel (pour les éducateurs) peut être
porteur d’une expérience de savoir à condition de se rendre réceptif à ce
que dit cette communication défaillante avec les observés – ce qu’elle
nous dit immédiatement, mais aussi ce qu’elle révèle en creux, par défaut.
l’enjeu de cette réflexion prend la forme d’une question : pourquoi éluder
la dissonance, souvent présente, qui empreint les pratiques
d’observation ou de soin en institution ? ici, cette part inconsciente de
l’enquête me renvoie à un capital biographique que j’ai occulté sans
même le savoir, et qui concerne le sens à accorder à la situation
d’observation, à sa possibilité physique et à l’obtention de sa scientificité.
c’est admettre que, durant la phase ethnographique ou dans la cadre des
pratiques de soin, la souffrance des autres n’est pas un objet extérieur à
soi. Elle engage un champ d’expérimentation du monde vécu qui
constitue un préalable nécessaire à l’observation de la souffrance. le
retour d’expérience que l’observateur ou l’éducateur effectue sur son
activité peut se révéler fructueux en acceptant de se laisser envahir par
l’étrangeté de la situation, en renonçant à des repères contractuels ou
méthodologiques fixés a priori, autrement dit à des jeux de rôles qui sont
en général peu remis en question. l’attention qu’il peut prêter aux
anomalies de langage résiste à toutes les préconisations des manuels
d’enquête ou de contrats d’institution.
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Enfin, la restitution de ces flottements de rôles et des contrats prend


tout son sens dans une époque largement gouvernée pas un régime
d’expertise globalisant et peu soucieux d’exploiter de telles défaillances.
cette idéologie de la réussite peut cependant se révéler insuffisante en
situation d’observation de la souffrance humaine. En cloisonnant les
mondes de l’observateur et de l’observé, la souffrance est donnée à penser
comme la part sombre d’un monde-objet, radicalement extérieur à soi,
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logé dans une anormalité qui ne concernerait pas les personnes
socialisées, et en premier lieu l’observateur ou le soignant dont on suppose
qu’il occupe une place exemptée de toute « pulsion ». la question est bien
de savoir ce que les experts induisent, pour les professionnels du soin et
dans le sens commun, comme représentations et comme pratiques en
proposant un mode d’évaluation systématiquement distancié. sort-on
indemne de ce type d’observation ? Et surtout, est-il pertinent de montrer
qu’il faut à tout prix en sortir indemne ?

BiBlioGraphiE

chauviEr E. (2008). Si l’enfant ne réagit pas. paris : allia.


Goffman E. (1968). Asiles. paris : les Éditions de minuit.
GumpErz J. (1989). Engager la conversation. paris : les Éditions de minuit.

Eric chauvier
EhEss
190-198, av. de france
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