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LA PRISON EN BELGIQUE : DE L'INSTITUTION TOTALE AUX

DROITS DES DÉTENUS ?


Philippe Mary, Frédérique Bartholeyns, Juliette Béghin

Médecine & Hygiène | « Déviance et Société »

2006/3 Vol. 30 | pages 389 à 404


ISSN 0378-7931
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Philippe Mary et al., « La prison en Belgique : de l'institution totale aux droits des
détenus ? », Déviance et Société 2006/3 (Vol. 30), p. 389-404.
DOI 10.3917/ds.303.0389
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Déviance et Société, 2006, Vol. 30, No 3, pp. 389-404

LA PRISON EN BELGIQUE : DE L’INSTITUTION TOTALE


AUX DROITS DES DÉTENUS ?
Philippe Mary, Frédérique Bartholeyns et Juliette Béghin*

Deux types de mutations de la prison contemporaine sont aujourd’hui mis en avant par
les recherches françaises et canadiennes : d’une part, ouverture et complexification des
rapports de pouvoir, qui remettraient en question la notion d’institution totale ; d’autre
part, émergence d’un référentiel mêlant reconnaissance des droits, responsabilisation et
examen des besoins sous l’angle de la gestion des risques, qui complexifierait notamment

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l’analyse foucaldienne de la prison disciplinaire. En Belgique, la première mutation se
heurte à la dégradation des conditions de détention ; par contre, l’apparition de nouveaux
problèmes et l’évolution des processus de désaffiliation semblent changer les rapports que
le détenu entretient avec la prison. Quant à la seconde mutation, ses signes restent très mar-
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ginaux et persiste le contraste entre institution totale et discours sur les droits des détenus.

MOTS-CLÉS : PRISON – DÉSAFFILIATION – DROITS DES DÉTENUS – RESPONSABILISATION

Depuis quelques années, les recherches françaises et canadiennes1 tendent à souligner


deux types de mutations de la prison contemporaine. Premièrement, l’ouverture de la pri-
son et la complexification des rapports de pouvoir en son sein, amènent à remettre en ques-
tion la notion d’institution totale proposée par Goffman. Deuxièmement, l’émergence d’un
référentiel multiforme, mêlant notamment reconnaissance des droits, responsabilisation et
examen des besoins sous l’angle de la gestion des risques, est, pour sa part, de nature à
complexifier l’analyse foucaldienne de la prison disciplinaire ou celle, plus récente, axée
sur la nouvelle pénologie et la justice actuarielle. Ces changements sont évidemment d’im-
portance, qui non seulement touchent l’institution, mais obligent aussi à revoir certaines
grilles d’analyse sociologique ancrées dans le champ, et nous nous proposons d’en exami-
ner la portée en Belgique. Nous verrons que la première mutation, présente depuis plu-
sieurs décennies, perd aujourd’hui en intensité, essentiellement en raison de problèmes de
surpopulation et de dégradation des conditions de détention au point que la notion d’insti-
tution totale paraît toujours bel et bien opérationnelle pour l’analyse. Par contre, deux
autres pistes méritent d’être explorées. D’une part, conjuguées aux conditions de déten-
tion, les modifications intervenues dans la population pénitentiaire ont contribué à l’appa-
rition de nouveaux problèmes qui pèsent sur les relations en détention. D’autre part, l’évo-
lution des processus de désaffiliation semble de nature à modifier les rapports du détenu à
l’institution totale, la prison apparaissant de plus en plus comme un passage « normal »

* Centre de recherches criminologiques – Université Libre de Bruxelles.


1
Nous nous limitons à ces sphères géographiques qui furent celles de référence du colloque mentionné en
introduction de ce numéro.
390 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

dans une trajectoire, de sorte que l’entrée dans l’institution constitue de moins en moins le
changement culturel radical dont parlait Goffman. Quant à la seconde mutation, si des
signes en sont perceptibles dans certaines pratiques et, surtout, dans certains discours ou
dans la nouvelle législation pénitentiaire belge, nous verrons qu’ils restent très marginaux
et que rien ne laisse présager une évolution comparable à celle de la France et encore moins
à celle du Canada.

Institution totale et désaffiliation

Dans une revue de littérature relativement récente, Chantraine (2000) montre en subs-
tance qu’une des caractéristiques actuelles de la sociologie carcérale française est de revi-
siter le champ en voulant se démarquer de l’emprise qu’y exerce l’analyse en termes d’ins-
titution totale de Goffman. Tout d’abord, ces recherches montrent que la prison évolue

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vers une plus grande ouverture, dont témoignent l’humanisation des régimes de détention
ou l’amélioration de l’offre de soins et d’activités culturelles, avec pour conséquence que
l’une des caractéristiques essentielles du concept d’institution totale, l’isolement dans un
espace clos et coupé de l’extérieur semble de moins en moins pertinente (Chantraine,
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2000, 304). Ensuite, ces recherches soulignent que la relation détenu – surveillant ne se
limite plus à un rapport de forces total car, d’une part, elle se complexifierait par les échan-
ges qu’elle suppose pour gérer le quotidien et, d’autre part, grâce à l’accroissement de ses
marges de manœuvre, le détenu conserverait un statut d’acteur et la nature de la contrainte
carcérale sera alors ce que le détenu n’arrive pas à mettre en œuvre (Chantraine, 2000,
307), ce qui conduirait à privilégier les analyses de trajectoires carcérales. Qu’en est-il
dans les prisons belges ?

Ouverture, attribution de régime et conditions de détention


Précisons d’abord que, si ces constats se démarquent effectivement de la définition
générique proposée par Goffman dès l’introduction de son ouvrage2, ils ne s’inscrivent pas
moins dans le prolongement de son analyse plus qu’ils ne rompent avec celle-ci. En effet,
Goffman soulignait déjà que l’assujettissement du détenu est assuré non seulement par la
surveillance et la discipline, mais aussi par les limites mises à la contrainte exercée par
l’institution qui, pour sa propre survie, est obligée de susciter une certaine participation de
sa population : assurer un minimum de bien-être, développer un ensemble de « valeurs
associées » (où se rencontrent les intérêts de l’institution et du détenu), fournir des stimu-
lants sous forme de privilèges, imposer le respect de certains droits par le personnel ou
maintenir certains contacts extérieurs3.
En Belgique, à partir du début des années 1980, divers changements furent apportés au
régime dans le but de réduire les différences par rapport à la vie en liberté et de reconnaître
aux détenus des droits compatibles avec l’exécution de leur peine : accès à l’information,
possibilité d’affiliation à toute organisation, droit au mariage, possibilité de suivre des

2
Pour rappel, l’institution totale selon Goffman est un lieu de résidence et de travail où un grand nombre
d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement lon-
gue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées
(Goffman, 1968, 41).
3
Goffman, 1968, spéc. 123-124, 140, 232-235.
MARY ET AL., LA PRISON EN BELGIQUE : DE L’INSTITUTION TOTALE AUX DROITS DES DÉTENUS ? 391

cours, possibilité d’exercer une activité intellectuelle ou artistique, possibilité de faire


appel à un médecin de son choix (Lauwers, 1988). En 1989, l’usage du téléphone sera
généralisé, en 1991, les limites d’achats à la cantine seront supprimées et, enfin, en 2000,
les visites sans surveillance seront introduites. Mais, si l’on peut ainsi observer une cer-
taine ouverture, elle n’en reste pas moins largement surdéterminée par l’état des conditions
de détention qui, depuis la même époque, se dégradent sensiblement. Aujourd’hui, bien-
être minimum, contacts sociaux, droits, « valeurs associées » et privilèges paraissent de
moins en moins évidents à assurer en raison de l’ampleur prise par certains problèmes :
vétusté des établissements, parfois jusqu’à l’insalubrité ; promiscuité due à la surpopula-
tion ; raréfaction du travail et donc des revenus ; nourriture, soins médicaux et exercices
physiques insuffisants ; accès aux services (extérieurs) psychosociaux ou culturels de plus
en plus limité…4
Quant à la relation détenu – surveillant, sa complexification est abordée par la recher-
che belge depuis une trentaine d’années 5. Au milieu des années 1970, Peters a ainsi mis

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en évidence le caractère hétérogène du régime, issu d’un processus sélectif variant selon
le type d’interaction entre surveillants et détenus du fait des différences dans les offres de
l’institution ou dans l’utilisation des opportunités existantes. Par ailleurs, l’adaptation à la
prison, certains aspects de la mise au travail, les sanctions, la participation aux activités
ainsi que les visites apparurent comme des éléments fondamentaux de constellations de
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régime qui, cumulativement, distinguaient un groupe de détenus privilégiés d’un groupe


de défavorisés (Peters, 1977, 50-55). Plus récemment, d’autres recherches sont revenues
sur ces mécanismes d’attribution discriminatoire de régimes et sur les relations entre sur-
veillants et détenus faites de négociations constantes pour l’octroi de faveurs (réglemen-
taires ou non), le recours au système disciplinaire ou l’usage de sanctions informelles
(Adam, Bartholeyns, 1997 ; Béghin, et al., 2000). Toutefois, la marge de manœuvre du
détenu ne s’accroît pas pour autant. Si on ne peut nier une capacité d’adaptation du détenu
à l’institution (Goffman, 1968), voire de résistance (Cohen, Taylor, 1972 ; Mary, 1989),
dans le contexte de pénurie croissante évoqué plus haut, l’objet de l’adaptation se résu-
mera bien souvent à la recherche de solutions à court terme aux problèmes posés par les
conditions de détention et les capacités de résistance, en particulier collective, se rédui-
sent de plus en plus. En témoignent notamment les modifications intervenues dans les
revendications portées par les mouvements de détenus, axés aujourd’hui sur ces questions
matérielles et non plus, comme dans les années 1970 ou 1980, également sur des problè-
mes de démocratisation et de resocialisation (Mary, 1988). Mais en témoigne aussi la
raréfaction de tels mouvements, contrairement à l’importance prise par les trafics de dro-
gue, les rackets ou les violences.
L’ouverture et la complexification des rapports détenus – gardiens ne semblent donc
nullement constituer des mutations substantielles des prisons belges. Par contre, comme
dans nombre de pays européens, la surpopulation pénitentiaire et les modifications inter-
venues dans les populations incarcérées font apparaître de nouveaux phénomènes, comme
l’usage de drogue, ou leur donne une nouvelle dimension, comme la violence.

4
Voir notamment les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture (1998, 2002) lors de ses
deux dernières visites en Belgique.
5
Pour une recension critique de ces recherches en Belgique, voir Béghin, 2002.
392 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

Surpopulation et populations pénitentiaires


Selon les derniers chiffres officiels disponibles6, la population pénitentiaire belge était
de 9 375 détenus en 20057, pour 5 176 en 1980, soit une augmentation de plus de 80% en
25 ans. Sur la même période, la capacité d’hébergement est passée d’environ 5 450 places
à 8 133, soit une augmentation de près de 50%, la densité carcérale étant, en 2005, de 115,3
détenus pour 100 places8.
Les mécanismes de cette surpopulation sont aujourd’hui relativement bien connus, en
particulier grâce aux travaux de Snacken (1999) qui a pointé toute la complexité des inter-
actions entre facteurs externes au système pénal (évolution démographique, situation
économique), facteurs internes (décisions prises aux stades antérieurs, non-exécution de
certaines peines, libérations anticipées) et facteurs intermédiaires (opinion publique,
décisions politiques, médias). En particulier, Snacken a relevé que la surpopulation était
liée à une inflation carcérale9 causée par l’augmentation du nombre de prévenus et l’allon-

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gement de la durée des détentions préventives, l’allongement des peines (augmentation
sensible du nombre de peines supérieures à 5 ans) et la proportion croissante des détenus
étrangers.
Plus récemment, Deltenre (2003, 193-198) a mis en évidence que la croissance de la
proportion de longues peines en prison (supérieures à 3 ans) était moins due à un allonge-
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ment de la durée des peines prononcées qu’aux possibilités de cumul de peines (au
moment du jugement ou lors de leur exécution), aux révocations de sursis ou de libérations
anticipées qu’emporte la condamnation et à la survenance plus tardive d’une libération
conditionnelle.
Parmi les interactions de facteurs mentionnés supra, plusieurs recherches ont démontré
l’importance de celles entre le recours privilégié à la détention préventive en ce qui
concerne les étrangers (avec pour conséquence une plus grande probabilité de condamna-
tion à un emprisonnement ferme) (Snacken et al., 2004, 24), les modalités de répression
des affaires de stupéfiants dans lesquelles les étrangers sont également surreprésentés (De
Pauw, 2003), la proportion d’étrangers incarcérés qui passe de 21% en 1980 (Wilryck,
1981, 286) à 45% en 2003 (Snacken et al., 2004, 16-17) et la proportion d’usagers de dro-
gues incarcérés qui atteindrait quelque 50% (Adam, Bartholeyns, 2003).
Couplée à la dégradation des conditions de détention, cette reconfiguration de la popu-
lation carcérale, progressive quoique relativement rapide puisque s’étendant à peine sur
une vingtaine d’années, va modifier non seulement les rapports en détention, mais aussi la
portée des caractéristiques de l’institution totale goffmanienne.

6
Justice en chiffres 2005, Bruxelles, SPF Justice, 20.
7
La population est arrêtée au 1er mars de chaque année ; il ne s’agit donc pas d’une population journalière
moyenne.
8
Les difficultés de calcul de la capacité pénitentiaire pointées par Beyens et al. (1993, 101-121) et les résul-
tats auxquels arrivent ces chercheurs laissent supposer que cette densité est en fait sous-évaluée.
9
C’est-à-dire le nombre de détenus par 100 000 habitants qui, en Belgique est passé d’environ 50 à près de 90
en 25 ans.
MARY ET AL., LA PRISON EN BELGIQUE : DE L’INSTITUTION TOTALE AUX DROITS DES DÉTENUS ? 393

Drogue et violence
Les recherches empiriques menées sur l’usage de drogues (Adam, Bartholeyns, 1997 ;
De Maere et al., 2000)10 et les violences (Béghin et al., 2000)11 en prison, fournissent des
données permettant d’éclairer, dans une certaine mesure, la teneur des relations interper-
sonnelles à la lumière de la reconfiguration de la population carcérale.
Tout d’abord, les relations entre détenus semblent être de plus en plus influencées par
le fait d’être ou non consommateur de drogues. Les usagers forment des groupes (Vous
devez vous liguer…) afin de faciliter leur approvisionnement et la manière dont se nouent
leurs relations est déterminée par le type de stupéfiants utilisés, mais aussi par la région
d’origine ou l’origine ethnique. Comme le soulignait un détenu, ce dernier facteur ne doit
pas être négligé : Oui, je connaissais ces junkies à l’extérieur. J’en ai pris quelques fois
avec eux, mais ici, à l’intérieur, je traîne plutôt avec des gens comme moi. Ici, je suis avant
tout Marocain. Si la consommation de cannabis semble relativement tolérée au motif
qu’elle rendrait les détenus plus calmes, divers problèmes n’en sont pas moins relevés par

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les personnels : d’autres substances (amphétamines, cocaïne…) génèrent agressivité, over-
doses ou troubles du comportement dus aux crises de manque et, de manière générale,
l’approvisionnement en drogues passe par un réseau de trafics, plus ou moins organisé
selon le type d’établissement et souvent accompagné de rackets, de menaces ou de règle-
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ments de compte créant un climat de suspicion. De plus, cette situation fait courir aux déte-
nus non-usagers le risque d’être initiés à la consommation de stupéfiants (Ils prennent ça
devant toi, pour que tu paies, pour que ça te donne envie. Alors, ça fait une très mauvaise
ambiance en cellule), parfois sous la pression du chantage, de menaces, de violences ver-
bales ou physiques destinées à assurer que consommer ensemble = se taire ensemble. La
majorité des personnes interrogées citent les trafics et la spirale d’endettement dans
laquelle se trouvent certains détenus comme d’importantes sources de violences.
La portée de ces problématiques doit cependant être relativisée. D’une part, nombre
d’acteurs soulignent leur dimension fonctionnelle et légitimante et, ce faisant, remettent en
question le fonctionnement institutionnel, la fonction de la peine et l’absence de politique
pénitentiaire. Pour plusieurs d’entre eux, la drogue, ce n’est pas le problème car elle permet
en fin compte de maintenir l’équilibre du système dans les conditions actuelles de détention
et, à ce titre, peut faire figure de solution. D’autre part, les comportements violents12 sont en
définitive peu nombreux. À cet égard, nos résultats ont permis de souligner que ces com-
portements, liés ou non à la drogue, sont surtout le symptôme de la problématique plus large
des régimes pénitentiaires, qui peut, grosso modo, se résumer ainsi : un régime caractérisé
par l’organisation d’activités, la mise au travail et une plus grande autonomie laissée aux

10
La première recherche, commanditée par l’administration pénitentiaire, visait à contribuer à l’élaboration
d’une politique pénitentiaire en matière de drogues sur base de l’analyse des dispositifs existants, des modes
de détection, des sanctions, des régimes, du traitement des usagers et de la formation des personnels, à travers
un recueil de données empiriques auprès de l’ensemble des établissements pénitentiaires francophones. La
seconde recherche portait sur la réalisation d’un instrument épidémiologique de l’usage de drogues et des
comportements à risques en prison en vue d’élaborer une politique de santé adéquate.
11
Cette recherche, commanditée par l’administration pénitentiaire, visait à examiner la question de la violence
en prison dans le but d’anticiper certains développements observés à l’étranger. D’une durée de 2 ans, elle
s’est basée sur des observations de plusieurs mois dans 8 établissements, sur plus de 300 entretiens (détenus,
surveillants, directeurs et autres intervenants), ainsi que sur l’analyse des rapports disciplinaires et des
cahiers de punition sur une période de 6 mois (1er mars 1999 – 31 août 1999).
12
Sont visées ici les évasions, émeutes, agressions physiques, tentatives de suicide ou automutilations.
394 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

détenus, produit des relations interpersonnelles moins problématiques et moins violentes


car il diminue les privations et les frustrations, alors que les relations apparaissent plus
conflictuelles dans des régimes où les détenus passent la plupart de leur temps en cellule et
où l’application stricte du règlement guide l’attitude des personnels, sans possibilité de
déminer les conflits dans des échanges négociés. Dans ce dernier cas de figure, majoritaire
dans les établissements étudiés, il y a une violence institutionnelle d’autant moins dissocia-
ble de manifestations violentes individuelles que, dans une large mesure, c’est elle qui les
suscite. Si, contrairement à l’usage de drogues, les agents ne le mentionnent pas pour la vio-
lence, les détenu(e)s, pour leur part, en ont souvent fait état et nos observations sont d’ail-
leurs de nature à inverser les termes de la question : dans de telles conditions, comment les
incidents violents ne sont-ils pas plus nombreux ? Si ceci tend à souligner l’importance du
modèle de déprivation selon lequel les problèmes de la prison découlent des privations liées
à l’incarcération, les autorités pénitentiaires, quant à elles, insistent sur la lutte contre l’en-
trée et l’usage de drogues dans les établissements ainsi que sur le renforcement des mesures

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d’ordre et de sécurité pour faire face aux manifestations de violences individuelles, favori-
sant dès lors le développement de régimes stricts. Ce faisant, elles vont alors privilégier un
modèle pour le moins différent, celui d’importation qui prend en compte l’influence des
caractéristiques des détenus eux-mêmes et des changements démographiques et sociaux
plus larges sur les événements en prison, et suppose des mesures ségrégatives (identifica-
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tion, classification et neutralisation des individus problématiques pour la sécurité et l’or-


dre). À cet égard, la drogue, la violence ou encore la délinquance « sexuelle » apparaissent
d’autant plus susceptibles de faire l’objet d’une telle approche qu’elles figurent aujourd’hui
au centre de préoccupations politiques et peuvent être davantage objectivées par les modifi-
cations de la population carcérale13.
Enfin, sans la relier aux problématiques de drogue ou de violence, il faut mentionner la
question de la surreprésentation des étrangers en prison. Elle ne fut pas au cœur des recher-
ches citées supra, mais Snacken l’a récemment approfondie en pointant les problèmes que
rencontrent ces étrangers incarcérés, représentant aujourd’hui plus de 100 nationalités dif-
férentes (Snacken et al., 2004, 50-69). Problèmes de langue d’abord, qui multiplient les
malentendus – et les sanctions que ceux-ci peuvent entraîner – et les difficultés, voire les
impossibilités de communication avec les services de la prison, souvent aggravées par
l’analphabétisme, au point qu’une partie, mais une partie importante et sans cesse crois-
sante, de notre population carcérale risque de devenir invisible (Snacken et al., 2004, 53).
À ceci s’ajoutent les questions culturelles et cultuelles qui influencent les modes de com-
portement et complexifient les problèmes de communication. Problèmes d’occupation
aussi, généralisés dans les prisons belges, mais exacerbés dans le cas des étrangers, qu’il
s’agisse du travail, souvent seule source de revenus, des activités, souvent inaccessibles
pour des questions linguistiques à nouveau, ou de l’isolement dû à l’absence d’attaches en
Belgique. Problème de régime, enfin, même si la liste n’est pas close, dès lors que, sans
titre de séjour et souvent ignorants des procédures, les étrangers ne peuvent bénéficier de
congés pénitentiaires, d’une semi-liberté ou d’arrêts de fin de semaine et accèdent rare-
ment à la libération conditionnelle. Autant de problèmes de nature à accroître les tensions
en détention et qui, ici aussi, s’ils renvoient pour une bonne part à la déprivation, n’en sont
pas moins largement interprétés en termes d’importation.

13
Voir en particulier Tubex, 2001.
MARY ET AL., LA PRISON EN BELGIQUE : DE L’INSTITUTION TOTALE AUX DROITS DES DÉTENUS ? 395

Désaffiliation et normalité de la prison


Sur un autre plan, la reconfiguration de la population carcérale peut être examinée au
vu des profils socio-économiques des détenus. Si peu de données complètes existent en
Belgique à ce sujet, nombre de recherches, consacrées à des thématiques particulières14,
viennent cependant soutenir le profil (sommaire) dressé par un ancien ministre de la Jus-
tice dans une note de politique pénitentiaire (1996) : Le détenu est un homme jeune qui,
ayant bénéficié d’une formation limitée et possédant une position socio-économique faible,
a commis un vol. Souvent, il a également commis une infraction liée à la drogue et il n’est
pas rare qu’il s’agisse d’un étranger. Bien qu’encore trop peu nombreuses, les études des
trajectoires sociopénales permettent utilement d’affiner le constat. On a ainsi pu montrer
(Kaminski et al., 1999 ; de Coninck, Brion, 1999 ; Bovy, 2005) que les expériences de vie
des détenus rencontrés sont le plus souvent exprimées en termes de chute : rupture familiale
et décrochage scolaire précoces, précarité matérielle et dénuement affectif, absence de pers-

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pectives d’emploi, passages répétés dans la délinquance ou la drogue, rapports conflictuels
avec la police, arrestations, comparutions devant le juge de la jeunesse, placements en insti-
tution… Pour nombre de détenus, le « judiciaire » est devenu une composante en soi de la
sociabilité. Dès l’adolescence et parfois plus tôt, il fait très vite partie de leur environne-
ment immédiat. La première bifurcation semble se situer entre 13 et 15 ans, âge auquel peut
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démarrer une activité délinquante. Et après une période de délinquance juvénile, ponctuée
par l’une ou l’autre mesure de protection, le passage en prison à 18, 19 ou 20 ans semble
devenir chose commune. Pour ceux-là, familiarisés dès l’adolescence avec les instances
répressives, la justice pénale finit par faire figure de repère – figure négative mais figure
quand même – bien au-delà des instances familiales et scolaires. De même l’institution car-
cérale finit par s’imposer comme lieu de passage obligé, au même titre que l’école pour
d’autres, mieux nantis ou plus chanceux (Kaminski et al., 1999, 4915).
De ces résultats, émerge nettement la figure de la désaffiliation proposée par Castel
(1995) en croisant un axe professionnel – caractérisé par l’absence de travail – et un axe
sociofamilial – caractérisé par l’isolement social ou, à tout le moins, par une vulnérabilité
relationnelle. Cette définition, dont on connaît par ailleurs le succès, permet de revisiter les
caractéristiques principales de l’institution totale goffmanienne. Outre la surveillance qui
fonde le couple détenus – surveillants et rend possible le développement de relations de
pouvoir, Goffman (1968, 47-54) retenait l’incompatibilité de l’institution avec deux struc-
tures sociales de base : le travail salarié auquel une nouvelle signification doit être trouvée
dans la mesure où tous les besoins du détenu sont pris en charge ; la famille, inconciliable
avec la vie communautaire d’une institution dont l’efficacité dépend en grande partie du
degré de rupture par rapport à l’univers familier. Toujours selon Goffman, l’entrée dans
l’institution impliquera donc un changement culturel, le détenu faisant l’objet de techni-
ques de mortification (isolement, formalités d’admission, dépouillement…) (Goffman,
1968, 56-78), qui conduisent à sa dépersonnalisation et à son aliénation. Comme nous

14
Voir les références dans Béghin, 2002, 215-216.
15
Voir aussi de Coninck, Brion, 1999, 930-942. Grâce à l’analyse des trajectoires sociopénales, les mêmes
constats sont d’ailleurs faits par la sociologie carcérale française et, en particulier, par Chantraine lorsqu’il
montre que l’incarcération vient prolonger une trajectoire de galère et fait partie intégrante de leur monde
social de sorte que le passage d’un côté ou de l’autre des murs n’est pas une rupture, mais s’inscrit dans une
même temporalité (Chantraine 2003, 370-375). Pour une étude canadienne s’inscrivant aussi dans l’analyse
des trajectoires, voir Strimelle, Poupart, 2004.
396 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

l’avons déjà évoqué, la sociologie carcérale française a remis en question cette analyse,
considérant que « l’humanisation » des prisons, correspondant à un assouplissement rela-
tif des règlements de la vie quotidienne, a pour effet que les techniques de dépersonnalisa-
tion deviennent moins évidentes, les marges de manœuvre du détenu grandissent, ainsi que
ses possibilités de maintenir une cohérence identitaire entre ce qu’il était avant d’entrer en
prison et ce que l’on veut faire de lui en tant que détenu (Chantraine, 2000, 304).

Pour la Belgique, une autre hypothèse semble pouvoir être soutenue : compte tenu de
l’extension de la désaffiliation, si la rupture avec les univers familiers se consomme avec
l’incarcération, elle est déjà largement entamée avant celle-ci pour nombre de détenus, de
sorte que la prison devient un passage normal dans leur trajectoire. De ce fait, l’entrée dans
l’institution constituerait de moins en moins un changement culturel radical puisque la
définition de la situation carcérale ne nécessitera plus qu’une socialisation partielle, et non
nouvelle comme le soutenait Goffman, du détenu. Les techniques de mortification pour-

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raient ainsi perdre en intensité car l’isolement par rapport au monde extérieur n’a plus le
même effet (ou le même objectif) de dépossession des rôles que le détenu y jouait (déjà
limités) et de son identité sociale (déjà infériorisée). Il n’y a plus à faire du détenu un indi-
vidu nouveau et différent qui, en définitive, a toujours été ce qu’il devient alors, puisque
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précisément il l’était déjà pour une bonne part. L’étude des trajectoires permet ainsi de
souligner que, si la vacuité du temps carcéral est un thème particulièrement récurrent dans
les récits de détenus, elle apparaît en prolongement de la vacuité existentielle à l’extérieur :
la situation d’enfermement vient seulement creuser un peu plus en profondeur le vide exis-
tentiel que l’activité délinquante antérieure tentait déjà de remplir, tant bien que mal, et
plutôt mal que bien (de Coninck, Brion, 1999, 952).
Plus généralement, si l’on reprend l’analyse de Castel16, l’hypothèse serait donc qu’à
l’époque de Goffman, les populations carcérales (ou asilaires) s’inscrivaient davantage
dans la zone de vulnérabilité, voire d’insertion, en raison d’une situation économique favo-
rable au plein-emploi et de liens socioaffectifs relativement forts qui, ensemble, endiguaient
le passage dans la zone de désaffiliation ; de ce fait, l’incarcération signifiait effectivement
rupture par rapport à ces deux univers. Aujourd’hui, l’ampleur prise par le chômage et l’af-
faiblissement des liens socioaffectifs alimentent la zone de désaffiliation de manière telle
que la rupture se produit avant l’incarcération. En ce sens, il y aurait changement des rap-
ports du détenu à l’institution totale, mais changement qui n’affecterait guère les spécifici-
tés de celle-ci et permettrait de poursuivre une analyse de la prison en termes de pérennité de
sa logique, a fortiori si l’amenuisement des autres possibilités d’assujettissement renforce
la place prise par le contrôle et la surveillance17. Hormis du point de vue des détenus, ce
« changement » paraît d’autant moins substantiel que la recherche historique en montre
l’existence à d’autres périodes18. Cependant, la formalisation de la reconnaissance de droits
aux détenus dans une récente législation belge oblige à approfondir l’analyse.

16
Pour rappel, en croisant les axes mentionnés supra (travail et sociofamilial), Castel (1995) définit un conti-
nuum de 3 zones allant de l’intégration à la désaffiliation en passant par la vulnérabilité.
17
Dans le même sens, Snacken, 2002, 137.
18
Voir la contribution de Fecteau et al. dans ce numéro, notamment lorsqu’ils soulignent que la prison se
situe, tout à la fois, au début de la trajectoire carcérale et à l’extrémité d’une autre trajectoire qui la croise
sans jamais s’y réduire, celle du malheur passager devenu répétitif, celle des petites exclusions devenues
rejet global : ces trajectoires d’existences qui ne sont pas vraiment criminelles, mais qui devront trop sou-
vent se résigner à avoir la prison, voire plus rarement le pénitencier, comme horizon à leur destin.
MARY ET AL., LA PRISON EN BELGIQUE : DE L’INSTITUTION TOTALE AUX DROITS DES DÉTENUS ? 397

Droits des détenus, responsabilisation et gestion des risques

Les réformes intervenues dans le système pénitentiaire canadien semblent aujourd’hui


aller bien au-delà d’un processus d’ouverture de la prison, pour en revoir le mode de gou-
vernement à partir de la reconnaissance de droits aux détenus, de leur responsabilisation et
de l’examen de leurs besoins sous l’angle de la gestion des risques19. Sous la réserve, non
négligeable, de conditions de détention sensiblement différentes et de l’absence de problè-
mes de surpopulation au Canada, une tendance similaire se dessine peu à peu en Belgique
avec l’adoption, pour la première fois dans son histoire, d’une loi pénitentiaire qui devrait
entrer progressivement en vigueur dans les prochaines années20. Cette loi vise à élaborer
un statut juridique du condamné en tant que sujet de droit, en partant du principe que la
limitation des effets préjudiciables de la détention est une condition sine qua non de la réa-
lisation des autres objectifs de l’emprisonnement que sont la réinsertion, la réparation et la
réhabilitation. Cet objectif prioritaire prend acte du caractère éminemment négatif de la

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privation de liberté et de la nécessité de le limiter au maximum par le respect de la dignité
humaine, la participation des détenus à l’organisation de la détention ou la normalisation
qui apparaît de plus en plus comme une exigence normative de reconnaissance des droits
des détenus et de rapprochement de la prison du monde libre par les conditions de vie
comme par les contacts extérieurs21.
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Droits des détenus et « juste dû »


Évoquée par la doctrine dès les années 1950, la question des droits des détenus a connu un
essor particulier dans les années 1970, en particulier avec la multiplication de mouvements
collectifs en prison, soutenus par diverses composantes de la société civile (Mary, 1988). Si
la reconnaissance formelle de ces droits par la nouvelle loi belge s’inscrit dans la continuité
de ces mouvements, elle est aussi marquée par le modèle pénologique du « juste dû » (Just
desert). Pour rappel (Fogel, 1979), issu d’une critique du traitement et des sentences indéter-
minées en Amérique du Nord, ce modèle repose principalement sur deux postulats : la peine
d’emprisonnement est une sanction légale, prononcée contre une personne jugée responsable
de son comportement et dont le but est la privation de liberté pour un terme déterminé ; la pri-
son doit considérer les prisonniers comme des êtres responsables et non comme des patients,
avec pour conséquence que la resocialisation doit être volontaire et que l’exécution d’une
peine privative de liberté doit être soumise à des critères juridiques précis.
Un tel modèle a inspiré les Règles pénitentiaires européennes de 1987 qui, elles-mêmes,
ont servi de référence à la loi belge. Y sont en effet affirmés des principes tels que le respect
des droits des détenus, et en particulier de la légalité de l’exécution des peines, la privation
de liberté comme punition en soi qui ne doit pas être aggravée par des souffrances inutiles,
l’organisation de régimes respectueux de la dignité humaine et contrant les effets néfastes
de l’enfermement, notamment par les contacts avec l’extérieur, ou encore la responsabilisa-
tion des détenus. À propos de celle-ci, les règles soulignent que, sur base d’un examen de la
situation personnelle du détenu qui révèle ses besoins et capacités, un programme indivi-
dualisé destiné à préparer la libération doit être organisé, qui favorise le développement des

19
Voir notamment les contributions de Chantraine, de Robert et Frigon, et de Vacheret dans ce numéro.
20
Loi de principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires et le statut juridique des déte-
nus, Moniteur belge, 1er février 2005.
21
Sur cette notion de normalisation, voir Snacken, 2002.
398 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

aptitudes sociales, des ressources personnelles, du sens des responsabilités et l’autodépen-


dance en faisant appel à sa volonté et à son énergie pour l’amener à s’intéresser activement
à son propre traitement. Dorénavant, il appartiendra donc au détenu, avec l’aide de la prison,
de se doter de compétences qui l’aideront à se réintégrer dans la société, de vivre dans la
légalité et de subvenir à ses propres besoins après sa sortie de prison.
Tous ces éléments se retrouvent dans la loi belge et, en particulier dans les objectifs
qu’elle fixe à l’administration pénitentiaire. Ainsi, l’objectif de réinsertion renvoie à la
nécessité de donner un sens à la privation de liberté en appliquant le principe de limitation
des effets préjudiciables de la détention et en offrant un ensemble diversifié d’activités et
de services qui répondent aux besoins des détenus. Ce principe doit se concrétiser par l’éla-
boration d’un plan de détention en collaboration avec le détenu, plan qui, le cas échéant,
peut servir de base au plan de reclassement présenté à l’appui d’un dossier de libération
conditionnelle. Quant à l’objectif de réparation, considéré comme une modalité contempo-
raine de la réinsertion, il s’agit, pour la victime, de pouvoir obtenir compensation de son

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préjudice matériel et moral et poser à l’auteur, directement ou indirectement, les questions
qui l’accablent et, pour l’auteur, d’assumer ses responsabilités à l’égard des victimes, de
s’acquitter de sa dette morale ou matérielle et d’accepter sa culpabilité. Concrètement, cet
objectif trouverait à s’appliquer dans le plan de détention individuel, dans les dispositions
relatives au travail pénitentiaire et dans diverses modalités d’exécution de la peine. Enfin,
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l’objectif de réhabilitation chapeaute, sur un plan plus moral, les deux objectifs précédents
en ce qu’il doit permettre au détenu de se réconcilier avec lui-même et de trouver un arran-
gement avec la victime et la société ; rompant avec son passé, il pourra ainsi développer
une image plus positive de lui-même, montrer qu’il est capable de respecter les lois, rem-
bourser sa dette et être rétabli dans son honneur et ses droits de citoyen actif.

Responsabilisation
La loi belge n’étant pas encore entrée en vigueur, il est évidemment difficile d’en exa-
miner empiriquement les applications. Certaines données disponibles permettent cepen-
dant de formuler l’hypothèse que, si le thème de la responsabilisation, adossé à la gestion
des risques, se généralise dans le champ pénal, s’il est repérable dans les normes et prati-
ques de libération conditionnelle ou dans les discours de ce nouveau dispositif que sont les
conseillers en réparation, il n’en reste pas moins très marginal et, une fois de plus, se heurte
violemment aux conditions de détention actuelles.
Une récente recherche sur les frontières de la justice 22 a montré que la question de la
responsabilisation est aujourd’hui généralisée, tant parmi les justiciables que les profes-
sionnels, et que son poids s’accroît à mesure de l’insistance sur la prévention des risques.
Un lien assez fort est apparu entre cette responsabilisation généralisée et le travail en
réseau mis en valeur aujourd’hui pour assurer la cohérence et l’efficacité des dispositifs.
En pratique, le problème est qu’au contraire, le travail en réseau accentue plus qu’il ne
diminue l’indétermination du processus de responsabilisation. Dans le réseau, se côtoient
de multiples acteurs, s’opposent de nombreux intérêts et coexistent maintes interprétations

22
De Coninck et al., 2005. Cette recherche ambitionnait d’analyser les mutations actuelles de la justice à tra-
vers les rapports que celle-ci entretient avec d’autres champs de l’intervention sociale (école, travail social,
santé…) et, plus particulièrement, les rapports qu’entretiennent les professionnels de ces différents champs
(magistrats, assistants de justice, enseignants, psychologues, médecins…) dans le traitement de problèmes
tels que le décrochage scolaire, le surendettement, l’usage de drogues…
MARY ET AL., LA PRISON EN BELGIQUE : DE L’INSTITUTION TOTALE AUX DROITS DES DÉTENUS ? 399

des situations, que compliquent encore le morcellement et l’enchevêtrement des interven-


tions. Dès lors, la généralisation de la responsabilisation s’accompagne de la généralisa-
tion de l’incertitude des acteurs qui tenteront de réduire celle-ci essentiellement par le ren-
voi en cascade de la responsabilité et de la décision et, in fine, le transfert de la
responsabilité sur le justiciable lui-même. En fin de compte, plus l’exigence de maîtrise et
de responsabilisation est forte, plus les comportements des agents sont orientés par la
logique de réduction de leur propre incertitude et de leurs propres risques, et plus l’incer-
titude générale et la frustration croissent (De Coninck et al., 2005, 326). Quant au justi-
ciable, il faudra qu’il fasse preuve d’autonomie tout en se pliant à un parcours (thérapeu-
tique ou autre) imposé, qu’il maîtrise son être profond et apprenne à être autrement, qu’il
soit capable de définir un projet personnel et de respecter un « contrat » (qu’il n’a pas été
en position de négocier librement), qu’il puisse faire état de résultats venant de lui-même
et qu’il puisse être finalement félicité pour avoir démontré sa volonté de se réinsérer ou de
réparer. S’il ne saisit pas cette chance qui lui est offerte, il s’expose à la prison ou à la psy-

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chiatrisation de son « cas », et c’est lui qui l’aura voulu (De Coninck et al., 2005, 329)23.

Indicateurs d’une tendance, ces résultats ne concernent cependant que les pratiques en
milieu ouvert. En prison, deux dispositifs semblent concernés : la libération conditionnelle
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et les consultants en justice réparatrice.

Libération conditionnelle et justice réparatrice


La réforme de la libération conditionnelle intervenue en 1998 a introduit un système
mêlant responsabilisation et gestion des risques (Mary, 1998 ; Snacken, 2002) : responsa-
bilisation du détenu qui, en vue de sa libération, doit fournir un plan de reclassement par
lequel, selon les termes de la loi, il doit montrer sa volonté et son effort de réinsertion dans
la société ; gestion des risques par les instances de décision qui examinent ce plan de
reclassement à l’aune d’une liste exhaustive de « contre-indications » prévues par la loi et
qui ne sont en fin de compte rien d’autre que des indicateurs de risque : possibilités de
reclassement, personnalité, comportement durant la détention, attitude à l’égard des victi-
mes et risque de récidive, ce dernier étant le critère central de décision. Les principales
garanties examinées par les instances de décisions dans le plan de reclassement sont d’ail-
leurs un lieu d’accueil sûr (logement), un entourage stable et solide (famille, amis), des
revenus réguliers (travail ou revenus de remplacement garantis), un emploi du temps
structuré (par un travail, une formation ou d’autres types d’activités) et une guidance ou
un traitement complémentaire adapté concrètement à la problématique sous-jacente
(Maes, 2003, 225). Or, à cette demande d’intégration, correspond bien souvent la situation
de désaffiliation mentionnée supra ; le détenu ne dispose dès lors que rarement des capi-
taux nécessaires (économique, social, culturel…) pour, au-delà de la gestion de son quoti-
dien, envisager son reclassement, a fortiori au vu des carences de l’aide psychosociale en
prison, réduite, en ce qui concerne l’administration pénitentiaire, à des missions d’exper-
tise et, en ce qui concerne le secteur associatif, à des initiatives locales désargentées24.

23
Pour une étude canadienne sur la question, mais du point de vue des justiciables, voir Otero et al., 2004.
24
À noter cependant l’existence de différences sensibles entre le nord et le sud du pays, qui renvoient par ail-
leurs à la question de répartition de compétences entre État fédéral et entités fédérées, question complexe et
trop spécifiquement belge pour être abordée ici. En tout état de cause, l’offre de programmes reste pour le
moins lacunaire et est à mille lieux de celle décrite, par exemple, par Robert et Frigon dans ce numéro.
400 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

Ainsi, non seulement ceux qui disposent le moins de ressources pour se prendre en mains
sont ceux qui sont le plus soumis à une telle injonction (Martuccelli, 2001), mais en outre,
comme le montre la recherche sur les frontières de la justice, faute de pouvoir y répondre,
ils en viennent à être considérés comme des personnes « à risque », qui « n’y comprennent
rien » ou sont de mauvaise foi, devenant alors d’incessants objets de soupçons (de Coninck
et al., 2005, 177-185). On ajoutera que, selon certains praticiens, pour éviter pareille situa-
tion, un certain nombre de détenus en viendraient à préférer aller « à fond de peine » plutôt
que de subir un tel contrôle, comportement qui serait alors de nature à renforcer la « nor-
malisation » de la détention dans leur trajectoire. Reste que la libération conditionnelle ne
concerne que quelque 20% des modes de libération et son impact sur l’institution doit donc
être relativisé.
Sur un autre plan, on a vu que la nouvelle loi pénitentiaire belge fixait un objectif de
réparation. On entre ici dans le registre de la justice réparatrice, à maints égards différent
de celui du « juste dû », mais qui n’est pas sans entretenir certains rapports avec celui-ci,

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notamment sous l’égide de la responsabilisation. En 2000, dans le prolongement d’une
recherche-action menée depuis 1998 dans six établissements pénitentiaires25, une circu-
laire ministérielle créait la fonction de consultant en justice réparatrice, destinée à faire
évoluer la culture pénitentiaire d’une justice punitive vers une justice réparatrice26, afin
que le détenu quitte sa position passive pour devenir un sujet responsable de la résolution
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du conflit en prenant des initiatives de réparation envers les victimes et la société. Pour ce
faire, les consultants sont censés mener, d’une part, des actions visant à modifier des
aspects structurels de l’institution comme les conditions de détention et à promouvoir des
valeurs réparatrices (communication, concertation, participation ou responsabilisation) ;
d’autre part, des actions individuelles liées à la communication entre le détenu et la victime
(médiations directes ou indirectes).
Le dispositif a rencontré maints obstacles, plutôt classiques, mais dont les principaux
sont utiles à évoquer pour notre propos ainsi que, ici aussi, pour en relativiser la portée27.
Tout d’abord, le dispositif fut imposé sans concertation par le haut et a inévitablement sus-
cité des résistances parmi les personnels, en particulier de direction (auxquels sont ratta-
chés les consultants) et de surveillance, résistances alimentées par la prédominance de
préoccupations sécuritaires peu compatibles avec les principes de justice réparatrice.
Ensuite, la circulaire ministérielle ne définissant pas le contenu de la fonction, son flou a
favorisé la multiplication de pratiques, parfois éloignées des questions de réparation, au
point de faire dire à certains consultants qu’ils risquaient de faire tout et n’importe quoi
pour combler le vide émotionnel et structurel de l’institution face auquel ils se sentent bien
seuls. Solitude d’autant moins étonnante, enfin, que ce dispositif de justice réparatrice
apparaît en bout de course pénale, non seulement déconnecté de toute politique péniten-
tiaire et pénale, inexistante en la matière, mais dépendant aussi de réformes – ne serait-ce
que dans le domaine des conditions de détention – dont la maîtrise échappe aux consultants
comme aux autres personnels. Au total, comme l’indiquait un directeur lors d’un forum
consacré à la réparation en prison : Malgré une opposition initiale assez virulente des
directeurs, les consultants ont été imposés dans les staffs de direction. Électrons presque

25
Voir Demet et al., 2000 ; Robert, Peters, 2002.
26
Circulaire ministérielle n° 1719 du 4 octobre 2000.
27
Nous nous basons ici sur les résultats d’une analyse en groupe, réalisée par J. Béghin avec les consultants en
justice réparatrice francophones en juillet 2004 sur le thème de la réparation en prison. Le rapport d’analyse
n’a pas été publié.
MARY ET AL., LA PRISON EN BELGIQUE : DE L’INSTITUTION TOTALE AUX DROITS DES DÉTENUS ? 401

libres au plan local mais coordonnés néanmoins au niveau central, accédant pour la plu-
part à leur premier emploi – précaire – dans un milieu dont les réactions défensives sont
bien connues, les consultants devaient développer des projets emportant, au forceps si
nécessaire, l’adhésion des directions locales – car rien ne se fait en prison sans l’accord
du directeur et, en cascade, la participation du personnel de surveillance (Dizier, 2004).
Dans un tel contexte, on comprendra aisément que l’adhésion des détenus au projet
n’en fut que plus malaisée. Mais, à cet égard, deux points intéressants pour notre problé-
matique ont pu être mis en évidence. D’une part, pour plusieurs consultants, outre le fait
que le contexte de détention actuel rend la mise en œuvre de [la justice réparatrice] parti-
culièrement illusoire, les détenus ne sont pas prêts à entrer dans un processus réparateur
tant il leur est difficile de penser à autre chose que leur situation et donc de démarcher
auprès des autres. Comme l’expliquait un directeur : La « culture du respect » que véhicule
la justice réparatrice et que nous souhaitons insuffler parce qu’elle serait de nature à pro-
duire du sens dans une institution qui en manque cruellement, n’est pas celle de la prison.

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Réduits à l’enfermement et à leur qualité commune de détenus, nombre d’entre eux déve-
loppent une nécessaire économie personnelle de survie, réclamant du pain (repas et can-
tine) et des jeux (des activités occupationnelles peu contraignantes mais lucratives) et ne
consentant que très subsidiairement à la formation et à la remise en question. Comment
être réceptif à un message de réparation, comment développer de l’empathie par rapport
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à une victime lorsque l’on se sent soi-même victimisé par un système répressif qui ne res-
pecte pas ses usagers ? (Dizier, 2004). D’autre part, si toute action réparatrice doit idéale-
ment être le fruit d’une adhésion libre et volontaire, le contexte carcéral n’y est guère pro-
pice. Pour certains consultants, l’adhésion n’est souvent que superficielle, certaines
démarches, comme la signature d’un formulaire d’engagement à indemniser les parties
civiles, s’avérant purement formelles dans le but de préparer un dossier de libération
conditionnelle le plus convaincant possible dès lors que l’attitude à l’égard de la victime
constitue l’un des critères de décision28. Resurgit alors ici la question évoquée supra du
soupçon jeté sur le détenu, dont la mauvaise foi se doit d’être toujours testée dans les mani-
festations de ce qui devrait être sa responsabilisation.

Conclusion

Les obstacles rencontrés par les consultants en justice réparatrice ne sont en définitive
que le reflet de la situation générale que nous évoquions au début de cet article et l’annonce
de ceux que rencontrera la mise en œuvre de la nouvelle loi pénitentiaire. Comme nous
l’avons montré ailleurs, en prenant appui sur les questions de discipline et de soins de santé
(Bartholeyns, et al., 2002), son effectivité dépend d’une telle nébuleuse de changements,
complexifiée par la structure institutionnelle spécifique à la Belgique, que sa portée risque
de se limiter durablement à sa dimension symbolique. Aussi, quels changements peut-on
vraiment pointer dans les prisons belges ? Dans un contexte de forte surpopulation et de
conditions de détention dégradées, 1/ un profil des détenus où usagers de drogues et étran-
gers sont surreprésentés, 2/ une « normalisation » du passage en prison dans des trajectoires
sociopénales et 3/ une ébauche de responsabilisation à la croisée entre droits des détenus et
gestion des risques. Si le premier changement est significatif, le deuxième est à relativiser

28
Le constat est également fait par certains praticiens en charge de médiations entre détenus et victimes (Buona-
testa, 2004, 251).
402 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

dans le temps et le troisième reste marginal, aucun n’étant de nature à remettre en cause les
fondements de l’institution. Persiste ainsi le contraste entre une institution totale dont les
conditions de détention accentuent la dimension contraignante et un discours, en l’espèce
sur les droits des détenus, qui, classiquement, s’inscrit dans l’ordre de la légitimation bien
plus que du changement. Mais, en Belgique, à l’une ou l’autre exception près, malgré
l’abondance et la réputation des discours sur le traitement pénitentiaire depuis le début du
XXe siècle, aucune réforme d’envergure n’a jamais été mise en œuvre par l’administration
pénitentiaire et la prison n’en apparaît dès lors que davantage pour ce qu’elle est et reste fon-
damentalement : un lieu de punition, de relégation et d’exclusion. En attendant que la nou-
velle loi produise des effets analysables, la sociologie carcérale belge pourra toujours se
nourrir des processus de mise en œuvre de cette réforme et, bien sûr, de trajectoires socio-
pénales dont toute la richesse n’a pas encore été exploitée.

Philippe Mary

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Frédérique Bartholeyns
Juliette Béghin
Centre de recherches criminologiques
Université Libre de Bruxelles
Avenue F.D. Roosevelt, 50 CP 137
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B-1050 Bruxelles
phmary@ulb.ac.be

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Summary

French and Canadian researches bring to the fore two sorts of fundamental change in
the contemporary prison world. On one hand, there is an opening up and a complexifica-
tion of the way power operates which would question the notion of prison as a total institu-
tion. On the other hand, a model emerges which mixes the recognition of rights, a growing
sense of responsability and appreciation of needs in the light of risk management, which in
particular would lead to a re-examination of the foucaldian analysis of prison as a disci-
plinary institution. In Belgium, the first change comes up against a degradation in the con-
ditions of detention, but the emergence of new problems and the evolution of the process
of disaffiliation seem to alter the relationships which the detainees have with prison. As to
the second change, its manifestation remains extremely marginal and the contrasts persist
between the total institution and discourses on the rights of detainees.

KEY-WORDS : PRISON – DISAFFILIATION – INMATES’ RIGHTS – RESPONSABILITY

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