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CLINIQUE DU TRAVAIL ET CLINIQUE DE L'ACTIVITÉ

Yves Clot

ERES | « Nouvelle revue de psychosociologie »

2006/1 n° 1 | pages 165 à 177


ISSN 1951-9532
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-
psychosociologie-2006-1-page-165.htm
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Yves Clot, « Clinique du travail et clinique de l'activité », Nouvelle revue de
psychosociologie 2006/1 (n° 1), p. 165-177.
DOI 10.3917/nrp.001.0165
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Clinique du travail et clinique de l’activité

Yves CLOT

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Dans cet article 1, je voudrais tenter de dresser l’inventaire, sous la
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contrainte d’une forme abrégée, des repères qui servent de référence à


une clinique de l’activité à l’intérieur de la clinique du travail.

LES ÉQUIVOQUES DU TRAVAIL

Le premier concerne le travail lui-même comme activité humaine aux


prises avec le réel. Sans doute le mot travail envahit-il aujourd’hui le
champ social. Mais c’est le contraire pour l’activité. Mieux, le déni du réel
de l’activité devient un principe du fonctionnement social. Le réel du
travail compris comme ce qui est difficile à réaliser, à faire ou à dire, mais
aussi comme épreuve où l’on peut donner sa pleine mesure, ou encore
comme plaisir du possible – sur le plan technique comme sur le plan
social – fait l’objet d’un refoulement social. La fonctionnalité des choses
dans le monde du travail s’accorde de plus en plus mal avec l’authenti-
cité des relations – on le sait et on le répète – mais aussi de moins en
moins bien avec la vérité du rapport réel au monde. La course à la perfor-
mance est devenue une école du relativisme dans le champ des valeurs,

Yves Clot, Titulaire de la Chaire de Psychologie du Travail du CNAM.


1. Je remercie Gilles Amado qui a bien voulu, avec patience, m’orienter dans mes
recherches bibliographiques.
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Nouvelle Revue de psychosociologie - 1

et les actes professionnels sont toujours plus saturés d’intentions straté-


giques (Veltz, 2000). La tyrannie rentabiliste pousse au cynisme, au
double langage. La résignation est une tentation qui débouche parfois sur
l’usage de la séduction comme ressort de réussite, mais le plus souvent
sur le ressentiment comme source de haine.
Pourtant, et c’est bien là tout le problème, le travail est l’espace
même où l’exact contraire de cet « empoisonnement » de l’activité est
concrètement envisageable et à portée de main. C’est ce qui rend diffici-
lement supportables beaucoup de situations de travail : plus que dans les
autres scènes de la vie sociale, où les forces de rappels sont moins
grandes, le jeu avec le réel peut difficilement s’y arrêter. C’est ce qui fait
du travail humain un continent de passions originales et démesurées.
Regardée de ce point de vue, la rhétorique managériale s’épuise à les
endiguer (Amado, 2003). Le travail réel est le champ par excellence du
sentiment de vie contrarié, pour parler comme Canguilhem (1984).
Mieux, dans le monde contemporain, et alors même qu’il devient la
source préoccupante de maladies de plus en plus nombreuses, le travail
est toujours plus vital pour la santé. Car beaucoup de salariés exigent de

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lui sans doute plus qu’il ne peut donner, en lui demandant d’« éponger »
le reste de leur vie. Ils y nourrissent l’espoir non pas seulement de
survivre dans un contexte, mais de pouvoir enfin produire du contexte
pour vivre. Il est, en effet, particulièrement difficile de se contenter de
survivre au travail car c’est l’espace où l’on peut encore espérer faire
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quelque chose de sa vie au-delà des conflits unilatéralement affectifs du


face-à-face interpersonnel.
Créer du contexte pour vivre : c’est à cette condition qu’activité et
santé sont synonymes, si l’on veut bien adopter la définition de la santé
proposée par G. Canguilhem : « Je me porte bien dans la mesure où je
me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des
choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur
viendraient pas sans moi » (2002, p. 68). Il y est donc question de déve-
loppement du pouvoir d’agir sur le monde et sur soi-même, collective-
ment et individuellement, pour échapper aux « passions tristes » du
ressentiment (Spinoza, 1965). J’ai d’ailleurs toujours considéré comme
très significatif que Canguilhem, au moment même où il s’arrête sur la
formulation citée, se réfère à A. Artaud : « On ne peut accepter la vie
qu’à la condition d’être grand, de se sentir à l’origine des phénomènes,
tout au moins d’un certain nombre d’entre eux. Sans puissance d’expan-
sion, sans une certaine domination sur les choses, la vie est indéfen-
dable » (1984, p. 130).
Je regarde la clinique de l’activité comme un moyen de rendre à
nouveau la vie défendable en milieu de travail lorsqu’une demande s’y
manifeste (Clot, 2002). De ce point de vue, je ne me sens pas en contra-
diction avec les soucis de la tradition française de psychosociologie.
J’insiste seulement sur un certain « centre de gravité » : le travail, dans
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la société où nous vivons, compris comme exercice collectif de liaison


sociale au réel, est devenu un opérateur décisif de contenance de la vie
individuelle. Il me semble d’ailleurs que c’est aussi le point de vue de
J. Barus-Michel (1994, p. 42). Plus largement, la question n’est pas
seulement d’avoir ou de ne pas avoir de travail, mais plus profondément,
d’en être ou pas. Le désœuvrement est l’une des sources majeures de
psychopathologie sociale, comme Le Guillant l’avait bien vu, dès 1961,
dans son article sur les jeunes (1984). Mais cette psychopathologie
sociale peut aussi devenir psychopathologie du travail : l’amputation du
pouvoir d’agir sur son activité est aussi un désœuvrement.

RECONNAISSANCE ET MÉTIER

C’est pourquoi, dans cette clinique du réel qu’est la clinique de l’ac-


tivité, la question de la reconnaissance prend un statut un peu particulier.
C’est le deuxième repère qu’on peut fournir. Elle est moins la reconnais-
sance par autrui, que la psychodynamique du travail a mis au centre de
ses investigations, que la possibilité pour les travailleurs de se reconnaître

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dans ce qu’ils font, c’est-à-dire dans quelque chose. J’entends par là
l’inscription dans une histoire qui n’est pas seulement celle des sujets
concernés mais celle d’un « métier » qui n’appartient à personne en parti-
culier, mais dont chacun est pourtant comptable. En clinique de l’activité,
il n’y a pas seulement des destinataires dans l’engagement subjectif,
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qu’ils soient d’ailleurs le pair ou le chef. La mobilisation subjective au


travail est adressée à un sur-destinataire, à quelque chose d’autre et pas
seulement à quelqu’un d’autre. Ce sur-destinaire qui, sur un plan directe-
ment clinique, fait souvent fonction de « destinataire de secours », pour
parler comme M. Bakhtine (1984), est ce que j’appelle l’instance trans-
personnelle du métier, en faisant de ce dernier mot un concept. C’est le
répondant collectif de l’activité personnelle, l’histoire qui se poursuit ou
s’arrête à travers moi, celle que je parviens ou pas à faire mienne en y
mettant précisément du mien. J’ai désigné cette mémoire transperson-
nelle pour l’action par le concept de genre professionnel. Pouvoir se
reconnaître dans ce qu’on fait, c’est précisément faire quelque chose de
son activité afin de devenir unique en son genre en le renouvelant.
Le genre professionnel, ce sur-destinataire de l’effort consenti au
travail, n’est toutefois que l’une des dimensions du métier.
Transpersonnel, le métier est aussi irréductiblement personnel, intime et
incorporé. Il est également interpersonnel car il ne saurait exister sans
destinataire. Il est enfin impersonnel, tâche ou fonction prescrite par l’or-
ganisation du travail au vu de quoi ceux qui travaillent sont nécessaire-
ment interchangeables. Dans cette perspective, faire son métier doit
s’entendre au sens fort. Il ne s’agit pas seulement de faire ce qui est à
faire, d’accomplir la tâche mais, au travers de cette réalisation, d’éprou-
ver les limites du métier lui-même. Et ce, en développant le répertoire
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Nouvelle Revue de psychosociologie - 1

d’actions possibles, le clavier des gestes envisageables ou déplacés, des


mots qu’on peut dire ou qu’il faut écarter dans le patrimoine des sous-
entendus d’une histoire collective. Cette histoire retient, comme un
rébus, l’intégrale des équivoques du travail collectif, la mémoire des
échecs, des questions sans réponses, des prouesses réalisées mais aussi
celles des « petitesses » où insistent le non-réalisé et le réalisable en
gésine. Cette mémoire peut trouver un avenir dans l’action qui se déve-
loppe au travail. Si elle se révèle intransformable, elle peut, au contraire,
envelopper l’action et l’incarcérer. Une clinique de l’activité se porte à la
rencontre de ces conflits de destins dans l’activité collective et indivi-
duelle, afin de conserver la possibilité de transformer la tâche et l’orga-
nisation pour développer le pouvoir d’agir des professionnels sur
l’architecture d’ensemble de leur métier.
Il importe de dire quelques mots sur les conditions concrètes de cette
possible rencontre. Mais, auparavant, je voudrais remarquer que mon
insistance sur la liaison ou la déliaison de la dimension transpersonnelle
avec ses autres dimensions dans l’activité de travail peut être rapprochée
des préoccupations depuis longtemps formulées par E. Enriquez (1992).

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Dans un texte consacré à lui rendre hommage, N. Zaltzman identifie les
dangers de l’immanence radicale dans la vie humaine. Je crois aussi que
la perspective d’un travail humain ou d’une activité amputée du garant
transpersonnel d’une histoire collective de métier est une perspective
risquée. Certes, dans l’idée que je m’en fais, cette « transcendance »
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n’est nullement suprapersonnelle, surplombante et encore moins sacrée.


Au contraire, rien n’est plus important que d’« attaquer » le métier pour
le défendre. Il ne peut vivre que si le dernier mot n’est jamais dit et le
dernier geste jamais accompli. Du coup, la vitalité transpersonnelle du
métier repose tout entière sur les épaules de chacun, à charge pour tous
de le préserver de l’intransformable.
Les chemins du développement de l’activité de travail passent donc
aussi par « l’endossement de la non-finitude de chaque histoire indivi-
duelle du fait de son appartenance à la vie psychique de l’ensemble »
(Zaltzman, 1999, p. 256). Certes, « endosser cette non-finitude, cette
dette est toujours à faire et à refaire par chacun », mais dans le travail
justement, plus qu’ailleurs, nous sommes bien placés pour apprendre
aussi que « chacun est seul avec ses semblables, seul à participer de la
création d’un garant commun » (p. 256). Quand on oublie, poussé par
des organisations du travail délétères, que faire son travail, c’est aussi
s’acquitter du tissage générique de ce « quelque chose » de commun, la
psychopathologie du travail n’est jamais loin.

UNE CLINIQUE DIALOGIQUE

La question du « comment » se pose alors. Ici, puisqu’il est question


des repères de la clinique de l’activité, je voudrais en fournir un troisième
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qui ne manquera pas de parler aussi au psychosociologue. Il s’agit de la


contribution de F. Tosquelles. L’apport principal de Tosquelles, si on le
compare à celui de Le Guillant en psychopathologie du travail, est que,
pour lui, l’activité y devient centrale. Dans le champ de l’ergothérapie qui
est le sien, l’activité n’est d’ailleurs plus seulement un objet d’étude mais
elle devient un instrument clinique : « Il ne s’agit pas, écrit-il, de faire
travailler les malades pour diminuer tel symptôme ou tel autre. Il s’agit de
faire travailler les malades et le personnel soignant, pour soigner l’insti-
tution : pour que l’institution et les soignants saisissent sur le vif que les
malades sont des êtres humains, toujours responsables de ce qu’ils font,
ce qui ne peut être mis en évidence qu’à condition de faire quelque
chose » (1967, p. 41). Ici, la clinique est action et pas seulement
tableau 2. Je dirais volontiers, pour paraphraser Tosquelles, qu’il s’agit
aussi, en clinique de l’activité, de faire travailler nos interlocuteurs pour
« soigner » le travail, afin que l’organisation saisisse sur le vif qu’ils sont
des êtres humains toujours responsables de ce qu’ils font, ce qui ne peut
être mis en évidence qu’à condition de faire avec eux quelque chose
d’autre que ce qu’ils font d’habitude, qu’à condition de rendre transfor-

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mable ce qu’ils font d’habitude. Et ce, par une activité dialogique sur le
travail, par une activité sur l’activité, par une activité « au carré ».
Il me faut en dire un mot. Parmi les instruments de travail que nous
avons mis au point, l’un d’entre eux est maintenant désigné par les
termes consacrés d’« autoconfrontation croisée 3 ». Sans pouvoir
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m’étendre sur cette question ici (Clot, 2005), je veux insister sur un
point. En réalité il s’agit, autour d’une trace vidéo de l’activité, de nouer
un dialogue entre des professionnels deux à deux, par binômes, puis en
démultipliant les binômes. Et ce, afin de restaurer dans un collectif
demandeur et entre « connaisseurs » du travail, des controverses profes-
sionnelles. Ces « disputes » de métier ont pour visée de renouveler leur
pouvoir d’agir en donnant plus de voix au répondant collectif de l’activité
personnelle. J’ai déjà eu l’occasion de souligner que le pouvoir d’agir dont
il est question ici a un sens précis. Pour Spinoza, l’effort pour augmenter
la puissance d’agir n’est pas séparable d’un effort pour porter au maxi-
mum le pouvoir d’être affecté (1965, V. 39). En clinique de l’activité,
c’est aussi le cas.
En fait, il s’agit d’organiser ce que j’appelle volontiers, avec
Bernstein, une « répétition sans répétition » (1996). L’objectif est de
reprendre la même activité mise à disposition par l’image afin de la

2. Il faudrait ici engager une discussion sur le thème classique de la recherche-


action (Dubost et Levy, 2002 ; Hans van Beinum, 1998). On ne le fera pas, sinon
en renvoyant à un travail antérieur pour la définition d’une « psychologie fonda-
mentale de terrain » (Clot, 2004).
3. Je laisse ici de côté le dispositif d’« instruction au sosie ». Il reste néanmoins
intéressé par les remarques qui suivent (Clot, 2001 ; Scheller, 2003).
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Nouvelle Revue de psychosociologie - 1

« refaire à blanc » pour la rendre plus disponible à chacun en organisant,


avec tous, la variation du même. Dans la dispute professionnelle réglée
qu’on cherche à développer, l’attention de chacun est attirée sur l’acti-
vité plus que sur celui ou celle qui la réalise. C’est pourquoi l’activité
qu’on a sous les yeux apparaît de plus en plus pour ce qu’elle est : seule-
ment comme l’une des activités possibles dans l’ensemble de celles qui
auraient pu être accomplies ou pourraient l’être. Il s’agit en quelque sorte
de faire passer le travail réalisé d’un travailleur à l’autre à des fins de
décantation. Il s’agit aussi, du coup, de contraindre nos interlocuteurs à
s’exercer à séparer en eux-mêmes et entre eux le travail et le travailleur ;
à séparer le discours convenu du déjà dit et du prêt-à-penser – centripète
et monologique – de ce qui, dans le réel, est difficile à dire et à penser.
Ce travail de séparation est au principe d’une clinique de l’activité qui
cherche à restaurer la capacité commune de création en organisant l’in-
sistance de l’activité ordinaire dans le dialogue après-coup.
À force de passer de main en main et de bouche en bouche, l’acti-
vité répétée prend une dimension générique qui fait « parler le métier »
entre les sujets et en chacun d’eux, contribuant ainsi à cristalliser l’ins-

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tance du « destinataire de secours ». Celui-ci est comme pris à témoin
par chacun dans un dialogue avec ce qu’on pourrait désigner, pour faire
image, comme le « chœur du métier ». Chaque interlocuteur est profon-
dément affecté par sa propre activité répétée et même reprise par l’autre.
Non pas en raison de l’accord et de l’adhésion qui s’imposent mais, au
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contraire, par la différence infinie qui se manifeste. Car ce qu’il avait fait
et dit en tant que « je » à la première personne s’exprime à nouveau en
tant qu’« autrui » et, sans s’altérer, devient pourtant absolument autre,
donnant à ce qui s’est déjà fait les contours de l’inachevé. L’activité
s’échange au travers du dialogue et, du coup, paradoxalement, se sous-
trait à l’échange. Dans la répétition dialogique à laquelle on la soumet,
l’activité de travail, redite et refaite en pensée, ne se répète pas. Ou
plutôt, elle marque sa différence essentielle avec tout discours qui
cherche à la cerner, devenant fondamentalement inachevable. J’ai pu
parler de ce genre d’activité d’analyse dans les termes de Tosquelles :
dans ce cadre, l’activité humaine réelle est un « furet » dialogique (2003,
p. 111).
Il n’est pas facile de rendre compte de ce genre de clinique. Mais il
m’arrive souvent, peut-être pour me rassurer, de m’appuyer pour le faire
sur ce texte de M. Foucault, dans la conclusion de sa préface à Naissance
de la clinique : « Ce qui compte le plus dans les choses dites par les
hommes, ce n’est pas tellement ce qu’ils auraient pensé en deçà ou au-
delà d’elles, mais ce qui d’entrée de jeu les systématise, les rendant pour
le reste du temps, indéfiniment accessibles à de nouveaux discours et
ouvertes à la tâche de les transformer » (1988, XV). C’est ainsi, sans
doute, qu’une clinique de l’activité, loin d’être un dispositif où l’on vient
confesser les limites de sa subjectivité, est un cadre où l’on peut entre-
Clinique du travail et clinique de l’activité 171

tenir sa passion de s’emparer de l’objectivité du monde professionnel


(Fernandez, Gatounes, Herbain et Vallejo, 2003). Et ce, pour repousser
moins ses frontières personnelles que celles du métier lui-même, en
entendant par là celles des quatre composantes évoquées plus haut.
En écrivant ces lignes, je crois bien encore retrouver les soucis de
certains psychosociologues. N’est-ce pas de cela qu’il s’agit dans la
critique que G. Amado formule, dans sa discussion sur les groupes opéra-
tionnels, à l’égard du « groupe centré sur le groupe » ou des « groupes
en roue libre » évoqués par E. Jaques ? (Amado, 1999, p. 909). Seule
une discussion approfondie nous le dira.

PSYCHANALYSE ET CLINIQUE DE L’ACTIVITÉ

Quoi qu’il en soit, il me reste un dernier repère à fournir. La clinique


de l’activité, telle que je la conçois et l’exerce, ne s’inscrit pas dans la
tradition psychanalytique. Cela apparaîtra à beaucoup de psychosocio-
logues comme une bizarrerie. C’est pourtant ainsi. Non que je sois igno-
rant de tout ce que la psychanalyse a apporté dans nos domaines et

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même pour l’analyse du travail. Je connais trop la psychodynamique du
travail, par exemple, pour me permettre de sous-estimer l’impact de la
psychanalyse en la matière (Dejours, 2000). Mais, justement, je suis
convaincu que nous avons besoin d’une nouvelle assiette épistémolo-
gique.
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Pour ce qui me concerne, je la trouve dans une lecture renouvelée


des œuvres de Vygotski et de Bakhtine où est posée tout autrement la
question des rapports entre concept et affect (Bakhtine, 1984 ; Vygotski,
2003, 2005). Je n’ignore pas que la psychanalyse est agitée par de
grandes controverses depuis longtemps et je crois même que certaines
orientations, en son sein, sont parfaitement incompatibles.
Personnellement, je lis avec beaucoup d’intérêt le travail de N. Zaltzman
pour la simple raison qu’elle retrouve à l’intérieur même de la psychana-
lyse – au moins selon moi – l’inspiration vygotskienne.
Pour Vygotski et Bakhtine, en effet, le « social est en nous » comme
source d’énergie vitale dès lors qu’il est d’abord conflit. C’est seulement
lorsqu’il cesse de l’être, et que la vie sociale se ferme à la controverse,
que l’infantile peut exercer son monopole sur l’inconscient. Tant que l’in-
détermination des futurs reste à l’horizon, les devenirs en conflit traver-
sent et circulent dans l’activité psychologique et la poussent à se
déterminer. Cette activité n’est, au sens strict, déterminée par l’enfance
que lorsqu’elle se trouve amputée des possibilités présentes de devenir
autre. Alors, elle ne dispose plus de l’enfance, elle est à sa disposition.
C’est d’ailleurs pourquoi la fonction psychologique du travail peut se
perdre quand il n’est plus, comme activité concrète, pour les femmes et
les hommes, une source d’altérité, un centre d’initiative et de créativité.
On sait que c’est trop souvent le cas lorsque l’activité professionnelle
172
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1

individuelle et collective devient atone et univoque. Alors, l’activité de


travail désaffectée et souvent désabusée, privée des ressources et des
discordances créatrices du Kulturarbeit, pour parler comme Freud, s’éter-
nise dans une répétition qui culmine dans une amertume impuissante. Un
travail dans lequel le dernier mot est toujours déjà dit et le dernier acte
toujours déjà fait, en « dramatisant » les soucis restés en souffrance dans
l’histoire subjective, développe l’inertie de ces derniers qui deviennent
seulement alors les déterminismes personnels qu’on croit pouvoir isoler.
En tentant, en milieu professionnel, de donner un autre destin à l’ac-
tivité désaffectée, et ce grâce aux ressources insoupçonnées d’eux-
mêmes dont disposent les collectifs de travail, la clinique du réel qui nous
sert de référence regarde les créations et recréations de l’activité prati-
quement comme une négation de la mort, la mort qui saisit toujours le vif
dans le travail humain. Elle regarde ces recréations risquées comme l’in-
vention de nouvelles possibilités de vie, pour parler comme Deleuze
commentant Foucault (1990).
Mais revenons à Vygotski, dont toute l’œuvre tend justement à iden-
tifier sous quelles conditions générales du nouveau peut se produire. Et

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le mieux ici est de faire le détour qu’il nous propose par l’analyse de l’art
(Vygotski, 2005). On ne peut pas aller trop loin dans cette direction ici
car il faudrait du temps pour établir sérieusement les termes de la compa-
raison entre art et travail. Pourtant, le détour est utile puisque c’est la
différence entre la psychanalyse et la tradition vygotskienne qui me
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retient ici et qu’elle est particulièrement nette sur ce terrain. En effet,


pour Vygotski, loin de seulement simuler pour le sujet le champ de
bataille où peuvent se reproduire les vieilles guerres de son passé, le
conflit des sentiments dans l’expérience artistique nous permet d’imagi-
ner un autre destin pour nos affects et nos passions. L’art est une trans-
formation de nos affects, un moyen d’en vivre d’autres et donne donc
forme à l’inachevé. C’est ce qui explique l’attrait puissant qu’il exerce sur
nous, au risque même de nous faire exister par procuration, vivre au-
dessus de nos moyens, psychologiquement à crédit.
La thèse de Vygotski est que les œuvres d’art s’emparent de l’in-
conscient du sujet à l’aide de procédés eux-mêmes inconscients mais
d’une nature sociale. Elles charrient d’autres conflits, indépendants des
avatars de l’histoire personnelle de chacun. L’histoire de l’art est celle
d’un instrument culturel d’action sur soi. En étendant la surface du
contact social avec soi-même, l’art peut donc être regardé, sans para-
doxe, comme le siège d’un développement potentiel de l’inconscient de
chacun. À la rencontre de l’irréalisé en chacun de nous, et en jouant de
l’inaccompli en dehors de nous, l’art agence un devenir de l’inconscient.
Il ne dérive pas d’un inconscient déjà donné. Il le produit en le recréant.
L’art n’est une ressource pour l’inconscient qu’en devenant sa source.
On mesure alors que l’énergie inconsciente chez Vygotski n’a pas d’ori-
gine fixe. Elle est polycentrique. À la différence de Freud, qui fait de l’art
Clinique du travail et clinique de l’activité 173

un écran où se projettent les conflits infantiles et une sublimation pacifi-


catrice de ces conflits, Vygotski ne voit pas l’art comme un produit dérivé
de l’inconscient où ce dernier pourrait se délester mais, au contraire,
comme le producteur d’autres conflits inconscients qui développent ceux
que chacun porte en lui.
L’art ne dégage pas l’énergie psychique inconsciente vers le haut,
dans les valeurs supérieures de la culture, mais l’engage vers le bas dans
le travail réel des affects. Il décrit la fonction psychologique de l’art
comme une technique sociale de controverse entre les affects, un exer-
cice pour nos émotions. Grâce à la « dispute » des sentiments qu’il
orchestre pour se rapprocher du réel des affects et non pour s’en éloi-
gner, il cherche à les refondre. C’est une technique sociale d’aiguisement
des affects. C’est pourquoi Vygotski aurait pu écrire, en paraphrasant
Spinoza, que c’est seulement en mouvement que l’inconscient montre ce
qu’il est.
Bien plus tard, et sans savoir à quel point il retrouvait le tranchant de
la critique vygotskienne, Deleuze insistera aussi sur la puissance subjec-
tive de l’impersonnel : dans la production des devenirs, tels qu’il les voit,

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il n’y a pas d’autres pulsions que les agencements entre affects d’ori-
gines différentes (Deleuze, 2003a ; David-Ménard, 2005). L’art pour lui
aussi deviendra, grâce aux divergences et aux déplacements qu’il
provoque, un moyen privilégié de « faire la différence » dans l’histoire
subjective (Deleuze, 2003a, p. 375).
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Mon idée est que le travail le peut aussi. R. Bresson aimait dire que
l’hostilité envers l’art est une hostilité au neuf, à l’imprévu (1975,
p. 133). Le travail ordinaire est, pour le moins, le terrain par excellence
de cette hostilité sociale à l’imprévu qui peut devenir tyrannique. Et pour-
tant, il est aussi le temps même où l’imprévu se répète. Ce paradoxe est
la source des sentiments mélangés que nous éprouvons à l’égard du
travail et des passions sociales qui le soulèvent. À notre insu et aussi au
travers de conflits déguisés qu’on cherche à écarter, le travail nous
affecte, nous transporte ou nous diminue. Il est producteur d’autres
conflits inconscients qui développent et renouvellent ceux que la famille,
souvent à son insu, a préparés pour l’enfant.
Le travail est donc particulièrement indigeste, selon moi, pour une
conception archéologique de la psychanalyse, celle-là même que Deleuze
a si justement critiquée en proposant d’affranchir l’inconscient de toute
tentation commémorative. On sait qu’il lui opposa une conception carto-
graphique de la vie psychique. Au lieu de « toujours s’enfoncer » dans le
passé, les cartes de l’itinéraire psychologique se superposent de telle
manière que chacune trouve un remaniement dans la suivante, au lieu
d’une origine dans les précédentes : « D’une carte à l’autre, il ne s’agit
pas de la recherche d’une origine, mais d’une évaluation des déplace-
ments » (1993, p. 84). Pour lui, dans la distribution des affects, ce qui
vient avant n’est qu’un « transformateur » dans la constellation affective
174
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1

des devenirs où se produit l’inconscient. Mieux, « l’inconscient n’est pas


un sujet qui produirait des rejetons dans la conscience, c’est un objet de
production, c’est lui qui doit être produit, à condition qu’on n’en soit pas
empêché » (Deleuze, 2003b, p. 74). Dans cette perspective, Deleuze a
souvent insisté sur les puissances de l’impersonnel dans la mobilisation
subjective et je crois qu’il a vu juste, même si le concept de transper-
sonnel me paraît beaucoup plus précis et plus facilement pensable à l’in-
térieur de la tradition bakhtinienne et vygotskienne. En tout cas, c’est
bien à la production de cet objet transpersonnel inachevable que s’attelle
une clinique de l’activité.
Je ne suis pas naïf et je partage avec M. David-Ménard l’idée que
toute psychanalyse n’est pas commémorative (2005, p. 108). Mais juste-
ment : pour le démontrer contre Deleuze, elle a recours au travail de
N. Zaltzman dont on peut penser qu’il porte la psychanalyse au-delà de
la psychanalyse. Plus d’ailleurs que ne le font paradoxalement les
psychosociologues de la meilleure tradition. Zaltzman, par exemple, en
vient à une critique feutrée mais profonde de Freud. En distinguant l’ho-
minisation d’origine pulsionnelle et l’humanisation d’origine collective,

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elle écrit : « On a beau jeu d’opposer à la notion de Kulturarbeit son
caractère illusoire si on fait dépendre cette progression de domptages,
voire de renoncements pulsionnels, alors qu’on considère en même
temps le psychique primitif pulsionnel comme impérissable. Freud s’ex-
pose à ce type d’objection lorsqu’il fait du renoncement – impossible ou
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improbable – à la pulsion d’agression la condition majeure du progrès de


la civilisation. Au regard du progrès de la civilisation, l’importance de l’ho-
minisation n’est-elle pas surestimée aux dépens de l’importance de l’hu-
manisation, du développement du moi et de ses constructions
identifiantes collectives ? » (2004, p. 31)
En réalité, je crois que la critique de Deleuze, parfois démesurée,
porte loin. Mais je ne suis pas sûr que les psychosociologues de la tradi-
tion sociale-clinique le pensent aussi. Sa critique retrouve, en tout cas,
celle d’un Vygotski dans les années 1920 et les efforts de ceux des
psychanalystes qui veulent aujourd’hui conserver à leur exercice son
élan. Elle encourage ceux, dont je suis, qui, pour être de vrais compa-
gnons de route de la psychanalyse, lui réclame, avec toute l’humilité qui
s’impose pourtant, plus qu’un toilettage, une métapsychologie à la
hauteur de sa pratique pour développer sa pratique. Pour ce faire, une
clinique du travail peut jouer un rôle, à condition de se garder justement
de toute psychanalyse appliquée et même de la tentation de devenir une
caisse de résonance pour la psychanalyse. Cette dernière pourrait y
perdre son tranchant. Je crois, au contraire qu’elle a tout à gagner, sur
son terrain propre, à se confronter aux exigences cliniques et théoriques
d’une approche de l’activité conservant elle-même son tranchant en
milieu de travail. De ce point de vue, l’apport de K. Lewin mériterait
d’être revisité. On ne sait pas assez que Vygotski a patiemment repris les
Clinique du travail et clinique de l’activité 175

expériences réalisées à la fin des années 1920 par Lewin et Karsten sur
la saturation de l’activité (Lewin, 1965, 1967 ; Michelot, 2002 ;
Kaufmann, 1968 ; Vygotski, 1984). On ne sait pas assez non plus qu’il
en a modifié substantiellement le protocole pour soutenir son dialogue
avec Lewin sur les rapports entre affect et concept dans le développe-
ment de la pensée (Vygotski, 1984 ; Clot, 2004).
Pour conclure, je ne suis pas sûr d’être ici en accord complet avec
beaucoup des psychosociologues qui s’intéressent au travail humain
(Mendel et Prades, 2002). Mais avec les plus proches cités ci-dessus –
auxquels il faudrait ajouter V. De Gaulejac (2005) – et dont l’héritage est
très présent dans les articles de ce numéro, la discussion est à la fois
nécessaire et possible. Sans doute, également, une clinique de l’activité
se rapproche-t-elle du travail de G. Mendel avec lequel j’ai cherché à
engager un dialogue critique il y a déjà longtemps sans être sûr d’y être
parvenu (Clot, 1993), ou encore de celui de D. Lhuillier (2002, 2005)
avec qui nous avons, plus récemment, conçu ce numéro. Mais beaucoup
de chemin reste à faire sur lequel j’espère seulement ne pas avoir installé
d’obstacle supplémentaire. Peut-être à la lecture de ce numéro verra-t-on

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mieux aussi les différences existantes dans le domaine en chantier d’une
clinique du travail. Personnellement, je le souhaite. Car c’est l’écart qui
est source de pensée quand le dialogue est authentique.

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Clinique du travail et clinique de l’activité 177

RÉSUMÉ
Cet article est une tentative pour définir les rapports entre clinique de l’activité,
clinique du travail et psychosociologie clinique. Les concepts de travail, de recon-
naissance et de clinique dialogique sont précisés. Enfin, les rapports entre clinique
de l’activité et psychanalyse sont aussi analysés.

MOTS-CLÉS
Clinique de l’activité, clinique du travail, psychosociologie clinique, psychanalyse.

ABSTRACT
This paper attempts to definite links between clinic of activity, clinic of work and
clinic psychosociology. Concepts of work, acknowledgement and dialogical clinic
are clarified. Finally, the links between clinic of activity and psychoanalysis are
also analyzed.

KEYWORDS
Clinic of activity, clinic of work, clinic psychosociology, psychoanalysis.

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