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Christian Demoulin
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On se souvient que les trois ronds de ficelle figurent les trois caté-
gories lacaniennes du réel, de l’imaginaire et du symbolique. Lacan situe
le sens là où le symbolique recouvre l’imaginaire. C’est le sens comme
sens joui. En effet, dira Lacan dans le Séminaire XXI Les non-dupes errent
(13 novembre 1973), il y a une vague jouissance du sens. Je propose de
rapprocher du sens le principe de plaisir, en tant que ce principe régit le
fantasme, qui est bien un mixte de symbolique et d’imaginaire auquel
s’ajoute l’objet a. Cela revient à faire du principe de plaisir une jouis-
sance du sens au niveau du fantasme. Lacan situe ensuite la jouissance
phallique là où le symbolique est surmonté par le réel. Il s’agit de la jouis-
sance phallique conçue ici comme rencontre avec le réel de la castration,
soit la dimension de l’impossible. Ce n’est donc pas la jouissance phal-
lique au niveau du fantasme selon le principe de plaisir. C’est la jouis-
sance phallique au niveau de l’épreuve de réalité, où elle trouve à la fois
sa limite et son accomplissement. C’est là que s’aperçoit que la jouis-
sance est castration. N’est-ce pas cela la portée véritable du principe de
réalité de Freud ? Venons-en à la jouissance de l’Autre que Lacan place
sur le nœud là où l’imaginaire surmonte le réel.
Le terme de jouissance de l’Autre comporte une ambiguïté. Il per-
met plusieurs lectures, selon que l’on que entende le de comme un géni-
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des auteurs comme Sade. Quoi de plus répétitif que cette recherche
sadienne de la jouissance du corps de l’Autre ? En tant qu’elle part de
l’échec d’écrire ce qui serait rapport sexuel, elle est répétition d’un impos-
sible quant à cette jouissance du corps de l’Autre.
Il y a aussi la jouissance de l’Autre génitif subjectif, ce que Lacan
désigne auparavant comme Autre jouissance, jouissance autre que la
jouissance phallique. Cette Autre jouissance, Lacan l’introduit d’abord
dans le Séminaire XX, Encore, comme une jouissance supplémentaire qui
serait propre à la position féminine dans la sexuation et dont le meilleur
témoignage se trouve dans les écrits des mystiques. Dès le séminaire sui-
vant, le Séminaire XXI, Les non-dupes errent, Lacan élargit ce concept à
la part de jouissance qui ne passe pas par le langage. C’est la jouissance
de la vie, celle de l’animal et même celle qu’on peut supposer au végé-
tal. Quel est le lien avec la jouissance de l’Autre génitif objectif ? Si jouir
du corps de l’Autre ne peut que s’imaginer, l’Autre jouissance est bien
réelle mais hors symbolique elle aussi, jouissance impossible à symboli-
ser. Il y a évidemment des distinctions à élaborer entre la jouissance des
mystiques, qui renvoie à un réel au-delà du symbolique, et la jouissance
la plus bête, celle de la vie qui se répète, réel en deça du symbolique,
sans pourquoi. Ce que me suggère ma tentative, c’est d’interpréter toute
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L’amour
Comment, à partir de là, introduire la question de l’amour ? Les
nœuds ont la propriété de se déformer par tiraillements sans perdre leurs
caractères topologiques. En cela, par rapport aux figures géométriques,
les nœuds ont une mobilité qui évoque la vie. L’amour, sur sa face nar-
cissique, pourrait être lorsque deux nœuds ont l’impression d’être les
mêmes et de pouvoir se superposer. Cela peut leur donner l’idée de s’en-
chaîner l’un à l’autre. Mais la superposition ne tient pas lorsque les
Amour et jouissance —— 135
Le pur amour
Jacques Le Brun a publié un ouvrage intitulé Le pur amour de
Platon à Lacan 1. Le cœur du livre est le débat théologique du XVIIe siècle
en France. Fénelon fait valoir une doctrine du pur amour qui sera com-
battue par Bossuet et finalement condamnée par l’Église catholique. La
tentative de Fénelon était de faire accepter au niveau théologique les
thèses mystiques de son amie et inspiratrice, Madame Guyon.
Le pur amour, c’est l’amour comme abandon à l’Autre au-delà de
toute raison, un amour complètement désintéressé, déconnecté de toute
référence à l’utile et donc de toute idée de récompense, dans ce monde
ou dans l’autre. Et la seule preuve de la pureté de l’amour, c’est de s’abo-
lir au profit de l’objet aimé, de mourir pour lui. La totale destruction de
celui qui aime est la preuve ultime de la disparition de tout désir égoïste
au profit du désir pur pour l’objet aimé. Éros, la pulsion de vie selon
Freud, vient ici se confondre avec la pulsion de mort, Thanatos. En termes
lacaniens, le pur amour détaché de toute référence à l’utile devient pure
jouissance.
Dans le contexte religieux, la doctrine du pur amour débouche sur
un paradoxe théologique. C’est la supposition impossible. « Si, par un
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De l’orgasme
Les hasards de l’édition m’ont conduit à lire l’ouvrage de Colette
Soler, Ce que Lacan disait des femmes 3, juste après celui de Jacques Le
Brun. L’effort de Colette Soler est de tirer les leçons du séminaire de
Lacan Encore concernant la théorie de la sexuation. En particulier, il
s’agit de prendre en compte cette question de l’Autre jouissance spéci-
fique de la position féminine dans la sexuation. Dans son texte « À cause
des jouissances », elle fait le pas d’interroger l’orgasme féminin et elle
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3. C. Soler, Ce que Lacan disait des femmes, Paris, Éditions du champ lacanien, 2003.
4. Ibid., p. 222.
138 —— L’en-je lacanien n° 3
XIV siècle qui s’ouvre sur une description terrifiante des ravages de la
e
peste à Florence. Des jeunes nobles – sept filles et trois garçons – se réfu-
gient à la campagne et occupent leur temps à se raconter des histoires
coquines et irrévérencieuses, manière sans doute de tenir à distance la
pulsion de mort qui se déchaîne dans le réel.
Gualtieri (Gautier), marquis de Saluzzo, est conduit à se marier
par son entourage. Mais il ne le fait pas sans appréhension. « Je sais, dit-
il, toute la difficulté qu’il y a à rencontrer une nature avec qui s’accorder,
tandis que le contraire est la règle. » Aussi choisit-il d’épouser Griselda,
la fille d’un paysan très pauvre, et de la mettre à l’épreuve pour tester sa
loyauté. Il pousse les choses très loin. Elle lui donne deux enfants, une fille
puis un garçon, dont il la prive à chaque fois, en faisant mine de les faire
Amour et jouissance —— 139
massacrer. Elle ne proteste pas. Plus tard, il feint d’être lassé d’elle et de
vouloir la répudier. Il fait revenir incognito sa fille devenue nubile pour
prétendument l’épouser. Il ordonne à sa femme de servir au mariage puis
de partir avec seulement une chemise. Griselda accepte tout sans se
plaindre. « Monseigneur, dit-elle, ne considère que ton contentement et la
satisfaction de ton bon plaisir. Tu n’as pas besoin de penser à moi. Rien
ne m’est agréable, en dehors de ce qui me paraît l’être à toi-même. »
Devant une telle patience, Gualtieri finalement s’incline et lui rend sa
place de mère et de marquise.
Ce qui retient Madame Guyon, c’est ce consentement absolu à la
volonté de l’autre. Elle y voit une forme laïque du pur amour. Mais, pour
moi, la question n’est pas tranchée. Les concessions qu’elle fait à son mari
sont certes extraordinaires mais relèvent-elles du pur amour comme jouis-
sance ou bien s’agit-il pour elle de garder son homme à tout prix, ce qui
serait à situer non du côté de l’Autre jouissance mais plutôt du côté de la
jouissance phallique. Autrement dit, s’agit-il pour elle d’une mise à
l’épreuve dans le cadre d’une joute phallique ou d’un abandon à une
jouissance amoureuse extatique ? Ce n’est pas Griselda qui s’abandonne
et cherche à s’abolir. Elle consent aux coups portés par son époux – est-
ce par calcul, est-ce par amour, est-ce par masochisme ? On ne sait rien
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Femmes battues
On peut évoquer, plus proche de nous, la clinique des femmes bat-
tues. Je me réfère à l’étude de Ramon Miralpeix, « Femmes maltraitées,
“masochisme féminin 5” ». Le plus souvent, après un séjour en refuge, les
femmes battues retournent vers leur homme, de sorte que la situation se
répète, au désespoir des intervenants sociaux. Il faut vraiment qu’une
limite soit franchie pour que la situation change – par exemple : « Je te
permets tout excepté que tu m’enlèves mon fils. » S’agit-il d’une manifes-
Masochisme féminin ?
Qu’en est-il finalement du fameux masochisme féminin ? En 1929,
Freud, dans « Le problème économique du masochisme », distinguait trois
formes de masochisme. Le masochisme érogène, mode d’excitation
sexuelle, est le vrai masochisme, celui illustré par Sacher-Masoch et son
livre La vénus à la fourrure. Le masochisme moral comme norme de com-
portement dans l’existence relève de la névrose, en particulier de la
névrose obsessionnelle. Cela renvoie à son analyse du fantasme « Un
enfant est battu » publiée en 1919. Enfin le masochisme féminin est, dit-il,
« l’expression de l’être de la femme ». Mais, curieusement, arrivé à cette
question qui paraît centrale, Freud choisit de traiter du masochisme fémi-
nin… chez l’homme, faute, nous dit-il, d’un matériel clinique suffisant chez
Amour et jouissance —— 141
6. C. Soler, « La femme, masochiste ? », dans Ce que Lacan disait des femmes, op. cit.,
p. 69-83.
142 —— L’en-je lacanien n° 3
Masochisme moral ?
Mais jusqu’où va la mascarade ? La femme battue relève-t-elle de
la mascarade masochiste ? Colette Soler n’hésite pas à dire qu’« il y a
peut-être pire dans le rapport à l’homme que recevoir des coups ». Faut-
il faire intervenir le masochisme moral ? Si l’on interroge le texte de Freud
de 1919 « Un enfant est battu », il apparaît que le masochisme moral qui
caractérise la conduite de ces patientes souffrant de névrose obsession-
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