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www.editionsopportun.com
ISBN : 978-2-36075-906-4
L’Ombre des Templiers : voyage au cœur d’une Histoire de France secrète et mystérieuse.
Préface de Didier Convard. (2015)
À l’heure où la Rose fleurit sur la Croix…
« Le cadavre spirituel d’un dieu qui jadis éclaira le monde subsiste,
réparti entre les foules ignorantes, sous forme de croyances
persistantes en dépit de leur opposition aux orthodoxies admises. Loin
de dédaigner ces restes défigurés d’une sapience perdue, l’initié les
rassemble pieusement, afin de reconstituer dans son ensemble le corps
de la doctrine morte. »
Oswald Wirth, Le Tarot et les imagiers du Moyen Âge, 1926.
Copyright
Dédicace
1. La Porte du Mystère
2. L’Énigme du Sphinx
7. La Lampe de Tullie
9. Le Monde invisible
10. « Loin du monde, mon âme s’épanouissait parmi les arbres… »
19. « Regarde bien l’ensemble et cherche ce qui n’est pas normal, pas habituel. »
Le Réveil de la Lumière
33. Galaad
38. Femmes maudites ou antiques déesses ? Étranges représentations féminines dans les églises de
France…
43. Mélusine
52. « Je mettrai entre vos mains des manuscrits qui ouvriront des horizons inconnus… »
53. La Pierre de Feu
56. « Ce corbeau qui tient au portail de gauche et qui regarde dans l’église un point mystérieux…
»
70. Résurrection
74. « Une force spirituelle qui devait servir dans les âges sombres »
Bibliographie
INTRODUCTION
LA VÉNUS SOUTERRAINE
Il est des lieux qui sont comme des portes ouvertes sur le Mystère. Des
lieux qui emportent vers un étrange ailleurs celui qui les traverse. On y
arrive dans un état d’esprit, et on en revient changé, les pensées obsédées par
la résolution impérieuse d’une intrigante Énigme. Dès lors, la
compréhension de celle-ci est comme une Étoile Flamboyante vers laquelle
on ne cessera de marcher tant qu’elle ne sera pas atteinte. Fût-elle
inaccessible. Les lueurs surnaturelles qui s’en dégagent, trop fortes pour être
oubliées, sont de celles qui fascinent toute une vie. Assurément, le petit
village de Rennes-le-Château fait partie de ces endroits situés aux confins de
notre monde. De ces portes insoupçonnées vers l’envers du visible…
Situé dans le sud de la France, à moins d’une heure de route au sud de
Carcassonne, Rennes-le-Château est, depuis les années 1960, le point focal
d’une indéchiffrable Énigme. L’histoire commence au XIXe siècle
lorsqu’arrive un nouveau prêtre dans ce tout petit village paysan. Village
solitaire, perché sur une colline, dominant un vaste horizon clos par la chaîne
des Pyrénées. Ce prêtre s’appelle Bérenger Saunière (1852-1917). Ce qu’il
découvre est pour le moins peu enthousiasmant. Une église à l’état de quasi
ruine, un presbytère inhabitable, au point qu’il doit loger chez l’habitant.
Mais très vite les choses changent. L’abbé entame la restauration de l’église,
l’embellit considérablement, puis, dans les premières années du XXe siècle,
se lance dans la construction d’un étonnant ensemble, qui n’a plus rien à voir
avec son œuvre religieuse. Une tour néo-gothique, une villa style
Renaissance, un belvédère, une tour de verre, des parcs… Un Domaine
comme sorti d’un rêve sur cette colline où ne subsistaient à cette époque que
de pauvres maisons paysannes et un château envahi de lierres, tombant peu à
peu en ruines, poétisé par le Temps qui passe…
La vie étonnante de l’abbé Saunière ne va pas tarder à interroger ses
paroissiens. D’où tire-t-il l’argent avec lequel il a bâti ses extraordinaires
constructions ? Avec lequel il mène un train de vie qui étonne ? Car il reçoit
avec faste. Du grand monde : bourgeois et aristocrates, à qui il offre les
meilleurs mets dans une atmosphère plus artistique que religieuse,
imprégnée d’Art Nouveau comme de passion gothique. Dans le jardin de la
villa, résonnent les cris – comme sortis d’une hallucination orientale – des
deux singes du prêtre. Une telle existence au sein d’une terre si pauvre ne
pouvait que marquer les esprits, susciter l’interrogation. Ainsi se répandit, du
vivant du curé, la rumeur voulant qu’il ait trouvé un trésor…
Cette rumeur s’alimente de légendes locales, mais aussi des étranges
agissements du curé. Plusieurs plaintes adressées à la sous-préfecture de
l’Aude par le maire du village reprochent à l’abbé Saunière de faire des
fouilles dans le vieux cimetière bordant l’église. Ainsi, la vie du curieux
prêtre a ses parts d’obscurité. Le « trésor » n’est pas qu’une vision
fantasmagorique née chez de pauvres paysans. L’abbé Saunière a
ardemment, à coups de pioche, et à volée de pelle, cherché quelque chose.
À la mort du prêtre, en 1917, ses constructions continuèrent à cristalliser
toutes les rumeurs que sa vie hors du commun avait fait naître.
Invariablement, elles frappaient l’esprit de ceux qui, après avoir traversé le
misérable village, les découvraient brusquement. « […] sur l’arête du plateau
se découpe un décor singulier : des maisons en ruine, un château féodal
délabré surplombent et se confondent avec la falaise calcaire, puis des villas,
des tours à véranda, neuves et modernes contrastent étrangement avec ces
ruines : c’est la maison d’un curé qui aurait bâti cette demeure somptueuse
avec l’argent d’un trésor trouvé, disent les paysans ! » consigne en 1936 un
certain Jean Girou, dans son récit de voyage Itinéraire en Terre d’Aude.
Ainsi l’obsession du trésor de l’abbé traversa les décennies. Dans les
années 1950 et 1960, elle rencontra l’âme rêveuse des chercheurs de trésor.
Plusieurs vinrent de loin pour retrouver l’or qui enflammait les esprits.
Quelques recherches sommaires laissaient en effet entrevoir qu’un
extraordinaire trésor s’était perdu quelque part dans la région. On avait
exhumé un vieil ouvrage publié en 1832, le Voyage à Rennes-les-Bains du
poète romantique Auguste de Labouïsse Rochefort (1778-1852). L’auteur y
évoquait une tradition locale situant un trésor mirifique gardé par le Diable
sous le rocher de Blanchefort, un petit éperon se dressant non loin de
Rennes-le-Château.
Gardé par le Diable… L’abbé Saunière n’avait-il pas représenté ce
dernier à l’entrée de son église à travers une singulière statue au visage
grimaçant, étrange gardien du Seuil qui avait surpris plus d’un visiteur ?
Ainsi, progressivement, les éléments s’accumulaient qui faisaient de l’ancien
curé de Rennes-le-Château le détenteur d’un séculaire secret. Il était devenu
une sorte de personnage de roman appelé à prendre de plus en plus
d’épaisseur et de mystère.
À la fin des années 1960, commencèrent à paraître différents livres
consacrés à son énigmatique existence. Ces parutions s’échelonnent
régulièrement entre 1967 (date de publication du premier livre entièrement
consacré au sujet : L’Or de Rennes de Gérard de Sède) et 1982 (année où
parait L’Énigme Sacrée, premier livre en langue étrangère tentant de
résoudre l’affaire Saunière). Au fil des pages, apparut une nouvelle histoire
de l’abbé Saunière. Les auteurs l’auraient arrachée aux ténèbres à force de
recherches et de découvertes dans des archives plus ou moins anciennes.
La trame de base de la rumeur populaire y était conservée : l’abbé
Saunière aurait bien trouvé quelque chose lors de la rénovation de son église.
Mais il ne s’agit plus, à présent, d’un « simple » trésor. Selon les différents
ouvrages publiés, le prêtre aurait en effet mis au jour des parchemins
anciens, des extraits d’évangiles sur lesquels il aurait remarqué d’étonnantes
anomalies. Certain que celles-ci recelaient un sens caché, il en aurait fait part
à son évêque, Monseigneur Billard (1829-1901), qui l’aurait envoyé à Paris
– en l’église Saint-Sulpice. Là, l’abbé Saunière rencontre un groupe de
prêtres versés dans la cryptographie, et proches des milieux ésotériques. Il
pénètre dès lors le seuil d’un univers insoupçonné.
Introduit dans le monde des sociétés occultes, Bérenger Saunière y
rencontre la cantatrice Emma Calvé (1858-1942), véritable avatar de la
Femme Écarlate, réveillant tout ce que le catholicisme a endormi de païen
dans le corps du prêtre. Une passion de feu – de celles qui marquent au fer
rouge et rendent indifférent au regard du monde – aurait alors lié les deux
âmes, sans pour autant détourner le prêtre du Mystère sur lequel un coin du
voile venait de se lever : la belle Emma au sombre regard fait partie de cette
Énigme. Ses yeux profonds comme la nuit, brillants comme des étoiles, sont
une invitation à trouver la Lumière dans les ténèbres. Par eux, elle semble lui
dire : « Car l’âme ressuscite au profond des ténèbres, / Et l’on ne redevient
soi-même que la nuit. »
Fort du décryptage des parchemins réalisé par les hermétistes de Saint-
Sulpice, Bérenger Saunière acquiert au Louvre une copie des Bergers
d’Arcadie de Nicolas Poussin (1594-1665). Une huile sur toile représentant
trois bergers et une mystérieuse femme s’efforçant de comprendre le sens
d’une formule énigmatique gravée sur un antique tombeau. ET IN ARCADIA
EGO. Le tableau serait crypté, et permettrait d’identifier un paysage voisin de
Rennes-le-Château, modeste village perdu sur une colline de la Haute-Vallée de l’Aude. Certains
jours, il apparaît comme une Île mystérieuse émergeant au milieu des nuages… Il est alors comme
suspendu dans le ciel, et interroge sur sa véritable nature. Village bien réel, ou vision de l’imagination
? En le fixant de loin, l’œil décèle une tour néo-gothique et son singulier miroir : une tour de verre.
e
Étrange chimère abandonnée là par un prêtre à l’Aube du XX siècle en guise d’obsessionnelle Énigme
à résoudre.
À l’entrée de l’église de Rennes-le-Château, le Diable accueille le Pèlerin. De quel étrange Domaine
est-il le Gardien ? Signifie-t-il que celui qui franchit le Seuil du sanctuaire s’apprête à pénétrer dans un
autre monde ? La clé de voûte surmontant la porte de l’église ne le souffle-t-elle pas aussi ? Terribilis
est locus iste : ce lieu est terrible. Terrible au sens biblique, c’est-à-dire qui ouvre une porte entre les
mondes.
2.
L’ÉNIGME DU SPHINX
1. Jean-Pierre Deloux à propos de Pierre Plantard dans « Les fils d’Ariane et d’Ulysse ».
BOUDET Henri, La Vraie Langue celtique et le Cromlech de Rennes-les-Bains, coll. Les
Classiques de l’Occultisme, Belfond, Paris, 1978, p. 15
2. DE SÈDE Gérard, Le trésor maudit de Rennes-le-Château, coll. L’Aventure mystérieuse,
J’ai Lu, Paris, 1968, pp.105-106
3. Ibid., p. 56
4. Ibid., p. 93.
3.
« LE PASSAGE POUR UN AUTRE MONDE… »
1. GUERIN Paul Mgr, Les Petits Bollandistes. Vies des saints, tome sixième, Bloud et Barral,
Paris, 1876, p. 577.
2. Ibid., p. 578.
3. Ibid., p. 579.
5.
« Ô SANG MAGIQUE, JAILLI DU CŒUR DU MAÎTRE ! »
« C’est ainsi que j’appris que le corps de l’homme renferme dans ses
profondeurs un remède à tous les maux et que la connaissance de l’or
est aussi celle de la lumière et du sang. »
Oscar Venceslas de LUBICZ MILOSZ,
1
Cantique de la Connaissance
1. Ibid., p. 76.
2. BRIZEUX Auguste, Œuvres d’Auguste Brizeux. Histoires poétiques. Deuxième partie,
Alphonse Lemerre, Paris, 1884, pp. 63-66.
PARTIE II
LA FORÊT DES MYSTÈRES
« Les Druides avaient fait un pacte d’alliance avec les forêts. Cela
correspondait alors à une réalité parce que les forêts étaient vivantes.
Ce qui de nos jours est superstition et légende était une vérité il y a
trois mille ans. Les esprits des arbres, les génies de la nature existaient
quand leurs corps terrestres n’avaient pas été mutilés. Maintenant ils
ne se laissent plus apercevoir par la race destructrice des créatures à
deux pieds qui met tout son plaisir à les faire mourir. Ils savent que la
plus innocente fille d’hommes ne songera, en s’en allant dans les
endroits où ils vivent, qu’à arracher ce qu’ils ont créé avec amour et
qui est leur adoration, les fleurs. Au temps où les forêts étaient
silencieuses et où les végétations s’épanouissaient librement, l’essence
vivante des arbres se matérialisait et pouvait devenir visible pour
certains hommes parvenus à la clairvoyance du monde plus subtil qui
nous entoure. Tous les hommes primitifs parlent de ces créatures
timides, fuyantes, bienveillantes que sont les esprits de la nature et
tous leur prêtent les mêmes qualités et les mêmes défauts, parce qu’ils
ont peut-être eu d’elles la même expérience. »
Maurice Magre, La Clef des Choses Cachés, 1935.
8.
LE MYSTÉRIEUX MANOIR DU TERTRE
Le vieil escalier de bois du Manoir du Tertre. Le cœur mystique de la demeure. C’est là que
Geneviève Zaepfell eut sa première claire vision de l’Invisible. Là que le vieux monde évanoui se
manifesta à ses yeux pour la charger d’une Mission à laquelle elle consacra le reste de son
existence terrestre. Par son aspect, il est de nature à appeler l’Autre-Monde. Ses antiques marches
de bois craquent sous les pas, suggérant d’invisibles présences…
Pilier de bois sculpté supportant le linteau de cheminée, dans la salle principale du Manoir du
Tertre. Les chevaliers de ce manoir, vus par Pierre Plantard lorsqu’il était jeune, ne purent
qu’entretenir les idéaux chevaleresques qui inspirèrent une grande partie de son œuvre… Ils
veillent toujours en silence, attendant le retour du Roi.
9.
LE MONDE INVISIBLE
… Dans l’éclat des yeux du portrait semblaient contenus tous les reflets
du passé.
Geneviève Marie Joséphine Zaepffel, de son nom de jeune fille
Lefeuvre, naît le 5 mars 1892 dans la ferme de ses parents, à Paimpont.
Dans ses mémoires, elle expliquera avoir été, dès sa naissance, placée sous
le signe de l’Autre-Monde. « Je naquis à l’ombre d’un printemps. Le jour
pointait à peine, des personnes du village aperçurent près de ma demeure
deux cierges allumés. En Bretagne, ces cierges sont toujours un signe de
mort, si bien que le bruit se répandit vite alentour que le nouveau-né ne
vivrait pas. Les deux cierges avaient leur symbole. En faisant son
apparition, l’enfant que j’étais mourrait à la vie terrestre, sa vie ne serait que
spirituelle, et l’âme ne prendrait jamais entièrement possession de ce corps
de chair : juste assez seulement pour s’en servir comme d’un véhicule et
parcourir avec lui le monde terrestre. Cet enfant vivrait simultanément sur
deux plans, et converserait avec les invisibles qui sont les morts et avec les
vivants qu’on appelle les hommes… 1 » Quelques années plus tard, dans le
Manoir du Tertre, construit au milieu du XVIIe siècle, acheté par ses parents
en 1903, la toute jeune fille va vivre ses premières expériences
surnaturelles. Ce qu’elle écrivit à leur sujet est comme une invitation à
franchir la porte du Temps. À qui lit ses écrits et se rend ensuite au Manoir
du Tertre, ils permettent d’abolir le cours des ans. Ce qui fut est à nouveau.
Les mots de la médium déchirent le voile jeté sur le passé, ramènent celui-
ci de l’invisible. Ils esquissent devant le grand escalier du Manoir la
silhouette d’une enfant. Geneviève Zaepffel à l’âge de sept ans. Le jour de
sa première vision de l’autre monde.
Alors qu’elle s’apprête à rejoindre sa chambre à l’étage, l’enfant
découvre un vieillard « d’ombre et de neige » assis sur les marches du vieil
escalier de bois. « Grand, immobile, une longue barbe blanche précisant la
noblesse de son visage, l’homme, assis sur une marche au milieu de
l’escalier, semblait guetter mon passage. Mais ce n’était pas un homme.
C’est que les âmes, délivrées des chaînes de la chair, savent prendre parfois,
pour atteindre nos âmes encore prisonnières, l’apparence de la vie », écrira-
t-elle 2.
Enveloppé d’une cape blanche, porteur d’une faucille d’or et du gui, «
symboles des Druides », l’apparition la saisit par son regard. « J’étais
comme hypnotisée par le rayonnement de ses yeux, semblables à l’azur des
cieux éclairés par les rayons du soleil, et donnant l’impression de l’infini
par leur transparence. »
À l’arrivée de l’enfant, le spectre se lève, et dès lors la précède dans sa
marche silencieuse. « Mais à l’angle du couloir, sa forme s’estompa, sembla
prendre la couleur des murs, devint plus imprécise et plus floue, se
transmua en une sorte de phosphorescence pâle, de plus en plus pâle,
jusqu’à n’être plus qu’un des innombrables et fuyants reflets que mes
flambeaux du soir projetaient devant moi. » Demeurée seule dans sa
chambre, l’enfant a toutefois l’impression que la présence invisible ne l’a
pas quittée. Et en effet, la rencontre va se poursuivre dans son sommeil.
L’homme revint, la même nuit, la voir en songe.
C’est au cours de cette rencontre onirique que fut scellé le destin
terrestre de Geneviève Zaepffel, dont toute la vie ne fut, dès lors, que
l’accomplissement de la prophétie donnée en rêve par le vieillard. « Tu
abandonneras ta forêt. Tu iras à Paris, en Amérique, tu parleras aux foules,
tu guideras les âmes. Jusqu’à l’âge de vingt ans, ta santé demeurera
chancelante ; mais les choses spirituelles prendront en toi le pas sur les
choses physiques. Les richesses de la terre couleront entre tes doigts, et tu
ne garderas jamais pour toi que la seule richesse essentielle : le trésor de ta
foi. » Le vieillard saisit alors la main de l’enfant, qui ferme les yeux pour
les rouvrir à ce monde. Mais ce n’est pas un réveil coutumier qui l’attend.
Cette nuit a transformé la jeune enfant. « […] la vision du songe s’était
abolie, mais la petite Geneviève du réveil avait laissé très loin, dans une vie
différente, sur un plan étranger, la petite Geneviève qui s’était endormie. »
Sachant qu’elle ne serait pas comprise, l’enfant ne dit pas un mot de sa
troublante expérience. Elle se renferme dans un pesant silence, incapable de
jouer et de rire. Ses proches, qu’elle aime, lui semblent étrangers. Elle a
l’impression, constante, de voir au-delà de ce qui l’entoure. Pâle, diaphane,
elle inquiète les siens.
À l’âge de 16 ans, au cours de son sommeil, elle se sent soulevée dans
les airs, et son corps dédoublé ne cesse de monter vers le ciel jusqu’à se
trouver devant une porte ogivale. Un homme dont elle ne peut voir le visage
l’attend, et la conduit à travers de nombreuses galeries jusqu’au moment où
il lui déclare : « Nous sommes arrivés. Souviens-toi de ce que tu vas voir et
retiens ce que tu vas entendre. »
Se déroule alors sous ses yeux un pèlerinage breton. Un cortège défile,
au centre duquel quatre hommes portent une statue sur une litière. L’homme
qui l’accompagne lui parle, lui dit avoir été roi, et lui annonce qu’il sera à
nouveau couronné et glorifié dans une abbaye qu’il a fondée. « Tu me
reconnaîtras alors, poursuit-il, mais, auparavant, tu auras contribué aux
décorations qui feront revivre mon éphémère royauté. Ce n’est que lorsque
tu auras été témoin de ces choses que tu connaîtras l’emploi des forces qui
t’ont été données. » C’est alors que la jeune fille se retourne et découvre le
visage de son guide, « visage auguste » qui « devait rester gravé en [s]on
âme ».
Après que l’homme l’eut conduite vers d’autres visions, elle se sentit
brusquement aspirée par un abîme, puis se réveilla, gardant l’impression «
d’un beau voyage au pays légendaire d’un conte de fées ». L’expérience, à
vrai dire, ne prit toute sa dimension surnaturelle que quelques années plus
tard.
Alors qu’elle passe ses vacances dans la forêt de son enfance, celle qui
est à présent une jeune femme, voit venir à elle le recteur de la paroisse. Ce
dernier a besoin d’aide pour décorer son église à l’occasion d’une grande
fête qu’il organise en l’honneur de saint Judicaël, ancien roi breton et
fondateur de l’abbaye de Paimpont. À ces mots, comme des réminiscences,
des bribes de l’étrange rêve reviennent à l’esprit de Geneviève. Ces
souvenirs évanescents et mystérieux la poussent à interroger le prêtre, qui, «
dans la grande forêt tout embaumée des parfums tièdes de ce matin d’été »
se met à lui raconter l’histoire de saint Judicaël… Pour la jeune femme, la
Traversée des Apparences est sur le point de s’accomplir intégralement.
1. ZAEPFFEL Geneviève, Mon combat psychique, Éditions Baudinère, Paris, 1939, p. 23.
2. ZAEPFFEL Geneviève, Le Livre de mes prophéties, Éditions Baudinère, Paris, 1937, p. 9.
10.
« LOIN DU MONDE, MON ÂME S’ÉPANOUISSAIT PARMI
LES ARBRES… »
1. ZAEPFFEL Geneviève, Le Livre de mes prophéties, Éditions Baudinère, Paris, 1937, p. 33.
2. ZAEPFFEL Geneviève, Mon Combat psychique, Baudinière, Paris, 1938, p. 30.
11.
UN ÉTONNANT ABBÉ
Dans le chœur de l’église de Tréhorenteuc (Bretagne), le Val sans Retour. Tableau réalisé sur les
instructions de l’abbé Gillard dans les années 1940. Le Val sans Retour se situe dans le voisinage de
Tréhorenteuc. Le tableau commandé par l’abbé Gillard est comme une fenêtre ouverte sur ce qui se
cache derrière les paysages fantastiques et atmosphériques de la forêt de Brocéliande. Une formulation
picturale donnant à voir l’Autre côté du miroir. La petite église de Tréhorenteuc est tout entière conçue
pour guider vers le franchissement de cette Porte qui se cache à l’Intérieur.
1. Ibid., p. 14.
13.
« NE VOUS ARRÊTEZ PAS AUX APPARENCES.
RÉFLÉCHISSEZ. »
L’abbé Gillard n’est pas de ces âmes qui s’arrêtent aux apparences.
C’est un Chercheur. Un homme en quête des réalités invisibles. Un de ceux
qui veulent percer l’écorce du monde visible. La déchirer et voir ce qui se
cache au-delà.
En 1950, il reçoit la visite d’André Breton (1896-1966), qui poursuit
dans la forêt de Paimpont le fantôme de la fée Morgane. Un long dialogue
les réunit. Les deux hommes évoquent les légendes et leur symbolisme. Ils
ne partagent bien sûr pas les mêmes opinions. Mais il y a quelque chose de
commun dans leur démarche. André Breton est guidé par l’analogie
poétique – à travers laquelle il met en lumière « un monde ramifié à perte
de vue et tout entier parcouru de la même sève 1 ». De son côté, Gillard, par
le biais de l’analogie mystique, cherche « à travers la trame du monde
visible, un univers invisible qui tend à se manifester ». S’ils sont
idéologiquement différents, les deux systèmes aboutissent au même regard
perçant le mystère des apparences.
Ce mystère de l’Au-delà possède Gillard. En 1954, il fait réaliser la
grande mosaïque couronnant l’ornementation intérieure de l’église. Un
grand cerf blanc traverse la forêt, majestueux, auréolé, portant une croix à
son cou. C’est un symbole christique, mais aussi un symbole emprunté aux
légendes du Graal et aux mythes celtes. Le cerf est un guide vers l’autre
monde — d’où il vient…
Plus les années passent, plus l’abbé Gillard se laisse absorber par le
symbolisme. Il est convaincu de l’existence d’un sens caché du monde et
des œuvres d’art. Une phrase, plusieurs fois répétée à l’écrivain Jean
Markale (1928-2008), qu’il reçut en son presbytère pendant 12 ans, au
rythme de 3 mois par an, est significative de sa pensée : « Regarde bien
l’ensemble et cherche ce qui n’est pas normal, pas habituel. C’est ce détail
qui t’indiquera la signification réelle de ce qui est représenté 2. »
Entre 1951 et 1955, ses méditations et travaux le font se passionner
pour la « mystique des nombres ». Il lit. Beaucoup. Parcourt les églises de
sa région. Observe les œuvres d’art religieux. Les scrute jusque dans leurs
plus infimes détails. En fait des relevés précis. Ce travail obsessionnel,
méticuleux, a une raison : il a décelé une sorte d’alphabet symbolique
auquel auraient eu recours les artistes locaux.
L’abbé Gillard sait qu’« au-delà du réel apparent », il est un « autre réel
que l’être humain intelligent doit saisir ». Selon lui, la perception de cet
autre réel se fonde, en ce qui concerne l’art et l’architecture, sur un langage
secret qui a été perdu. Un langage qui repose sur cette « mystique des
nombres » dont la compréhension va, littéralement, le consumer. Car
Gillard est convaincu de l’existence d’un langage numérique, qui
remonterait « peut-être à l’origine de l’humanité », et dont « on pourrait
penser que ce fut la première langue qui fut écrite ». La retrouver est
essentiel. Sans la connaissance de cette langue, il est impossible
d’approcher le sens réel des œuvres qu’elle ordonne.
Voilà le dessein de son périple à travers la Bretagne. Chaque sanctuaire,
chaque calvaire, chaque architecture et tableau d’église lui permettent
d’exhumer une part de la langue perdue. Une langue qu’il voit à l’œuvre
partout. À laquelle plus personne ne comprend rien mais que son
acharnement à la saisir lui permet de retrouver.
Son ouvrage La Mystique des nombres dans les Beaux-Arts expose, à
travers de nombreux exemples, le résultat de cette œuvre archéologique.
Car c’est ainsi que l’abbé perçoit son travail. Il n’hésite pas à traiter
d’inepte et d’inutile l’archéologie matérielle. Celle-ci cherche à arracher à
la terre le témoignage des civilisations éteintes. Cette archéologie-là a peu
de valeur à ses yeux. Ce qui incombe pour lui, c’est de retrouver la Parole
perdue. La première langue qui permet de passer outre l’illusion du monde.
La devise du prêtre pourrait être celle qu’il associe au nombre 9, son sens
caché : « Mystère. Ne vous arrêtez pas aux apparences. Réfléchissez 3. »
Une signification qui, dans le système analogique de Gillard, se base sur la
forme du 9 : « Si l’on veut bien réfléchir, le 9 est un escargot dont il faut
briser la coquille pour voir la vérité. » Analogie mystique et poétique sont
des voies parallèles…
Briser la coquille. Passer à travers les voiles occultants. Les recherches
de l’abbé Gillard le conduisent vers un système de plus en plus complexe.
Toujours plus vaste et profond. Le prêtre met au jour un lien entre la
mystique des nombres et le zodiaque, qu’il considère comme la pierre
angulaire de tout cet édifice symbolique. Il s’absorbe donc dans son étude.
Là encore, tire de celle-ci un ouvrage synthétique : Le Secret du zodiaque.
1. BEHAR Henri, Les Pensées d’André Breton, coll. Bibliothèque Mélusine, l’Âge d’Homme,
Lausanne, 1988, p. 56.
2. Collectif, L’abbé Henri Gillard, éditions de l’église de Tréhorenteuc, Tréhorenteuc, 1990, p.
118.
3. Le Recteur de Tréhorenteuc, La Mystique des nombres dans les Beaux-Arts, Les éditions du
Ploërmelais, Plöermel, sans date, p. 25.
14.
LE SECRET DU ZODIAQUE
« La porte est en dedans. » C’est par cette formule, gravée sur l’arcature
de sa porte, que l’église du Graal de Tréhorenteuc accueille le visiteur.
« La porte est en dedans. » Autrement dit, la porte de pierre que l’on
voit, la porte matérielle, n’est pas la véritable porte. C’est une autre porte,
une porte secrète, intérieure, qu’il faut parvenir à retrouver. Un autre seuil
qu’il faut passer.
« La porte est en dedans. » Ce que l’on voit n’est pas la réalité. C’est
l’au-delà des apparences qu’il faut saisir. Une « instruction » résumant toute
la pensée d’Henri Gillard, que l’abbé Rouxelle, à l’occasion de ses
funérailles, le 18 juillet 1979, avait défini par cette formule : « Ce que vous
voyez n’existe pas, par contre ce que vous ne voyez pas existe réellement 1. »
Une fois franchi le seuil du sanctuaire, l’âme est saisie par cet appel de
l’invisible. Le lieu manifeste l’existence d’un secret à comprendre. L’esprit a
l’impression de se retrouver au cœur d’un formidable idéogramme à
déchiffrer. Ce n’est pas une vue de l’imagination ou le produit d’une
atmosphère. C’est une réalité objective.
Les ouvrages de l’abbé Gillard peuvent laisser dubitatif quant à la
pertinence des interprétations du recteur. À bien des égards, certaines
lectures qu’il propose paraissent difficiles à soutenir. Gillard donne souvent
l’impression d’avoir, à son insu, inventé de toutes pièces le langage secret
qu’il est convaincu de redécouvrir. Pour peu que l’on soit un tant soit peu
critique, l’écriture idéographique apparaît comme le pur produit de son
esprit. Mais elle est pour lui une réalité. Une certitude. En croyant l’exhumer
de l’oubli, il l’a codifiée. A créé son alphabet. Or, c’est à l’aide de cet
alphabet de symboles qu’il a pensé la décoration de l’église de Tréhorenteuc.
C’est avec cette langue qu’il a écrit sa structure comme sa décoration, son
plan d’ensemble comme ses plus petits détails.
La véritable clef de l’église de Tréhorenteuc, ce n’est pas la clef de fer
qui en ouvre la porte de bois. C’est l’œuvre écrite de l’abbé Gillard qui en
ouvre la porte invisible. La porte d’en dedans. Celle qu’il faut chercher à
travers la forêt de symboles élaborée par l’homme de foi.
« La porte est en dedans. » Le sens est bien sûr philosophique.
Initiatique. Mais il indique aussi, littéralement, un cheminement à suivre
dans l’église. Invite à y chercher une autre porte. Matérielle. Et de fait,
devant la porte ouest – celle qui est toujours close et par laquelle on ne rentre
pas – l’abbé a fait façonner une porte de pierre à l’intérieur même de
l’édifice. Une porte située face au grand vitrail du Graal. Sur son linteau, est
peinte une inscription qu’un regard trop rapide pourrait prendre pour une
date : 1,618.
Une virgule six cent dix-huit. Et non mille-six-cent-dix-huit. Un virgule
six cent dix-huit, c’est-à-dire le Nombre d’Or. Nombre mythique, expression
d’une proportion gageant de l’harmonie de l’œuvre réalisée, qu’elle fût
picturale ou architecturale. Nombre mystique, que l’on retrouverait encodé
dans les œuvres mêmes de la Nature et qui participerait d’une forme de
langage divin.
En gravant le Nombre d’Or sur le linteau accueillant le visiteur, l’abbé
Gillard indique qu’il est une des clés majeures de lecture et de
compréhension du sanctuaire. C’est autour de lui que l’abbé a non seulement
proportionné le grand vitrail, mais aussi tous les passages et ouvertures de
l’église. En le rendant visible, l’abbé souffle à qui veut l’entendre qu’il
convient de découvrir les secrets de son œuvre. 1,618 manifeste ce qui ne se
voit pas. Indique que c’est cela la structure occulte de l’église, qu’il faut
découvrir pour accéder à la véritable porte intérieure. Non plus, cette fois,
une nouvelle porte de pierre. Mais une porte vers l’invisible.
Chaque détail du bâtiment est une incitation à dévoiler cet ordre
invisible. Debout face au 1,618, le pèlerin qui tourne le regard sur la gauche
découvre une autre énigme. Derrière le baptistère, sur le mur, deux
mosaïques suscitent le mystère. D’un côté, une queue de poisson. De l’autre,
une tête de bélier. Deux fragments du zodiaque – les seuls présents dans le
sanctuaire – dont on ne peut comprendre la signification qu’après s’être
plongé dans les écrits de l’abbé Gillard.
La compréhension des mosaïques du baptistère repose en effet dans la
connaissance du jeu d’équivalence symbolique entre les images, les lettres et
les nombres que l’abbé élabore à travers l’« écriture idéographique ». J’ai
déjà signalé que, dans ce système, la queue de poisson, et par conséquence le
signe zodiacal des Poissons, renvoie à l’Alpha – tandis que le Bélier, par ses
cornes, est l’Oméga. En apposant autour du baptistère les Poissons et le
Bélier, l’abbé Gillard y associe donc – comme il est de mise – l’Alpha et
l’Oméga. Ces deux lettres figurent sur les baptistères chrétiens, en référence
aux paroles prêtées au Christ dans l’Apocalypse de saint Jean (XXII, 12) : «
Je suis l’Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la
fin… »
Le sens est donc conforme au dogme catholique. Mais c’est le langage
qui ne l’est pas. Sans la maîtrise du symbolisme particulier élaboré par
l’abbé Gillard, ces mosaïques resteraient drapées dans un profond mutisme.
Une singulière énigme.
Pourquoi ce jeu ? Tout comme « 1,618 », les mosaïques du baptistère
signalent l’existence d’un message occulté dans la décoration et signifient en
quelle langue il a été tracé. Elles disent que c’est dans le déchiffrement de ce
langage que réside la clef de l’église, la voie magique vers cette porte
intérieure qu’elle ouvre.
Que le lieu garde un profond secret métaphysique, il n’y a, pour s’en
convaincre, qu’à s’approcher de la plus importante des œuvres pensées par
l’abbé Gillard : le vitrail du Graal.
Installé en 1951, il se trouve derrière l’autel. Il met en scène le Christ et
Joseph d’Arimathie. Celui qui, d’après les évangiles, demanda le corps du
Christ mort sur la croix à Ponce Pilate et qui, selon la tradition, ramena le
Graal d’Orient en Occident, jusqu’en Angleterre. Agenouillé aux pieds du
Christ, Joseph d’Arimathie fixe le Graal – coupe d’émeraude apparue au
milieu de langues de feu. Au-dessus, des anges tiennent un phylactère sur
lequel se lit la formule « Le Calice de mon sang »…
Le Graal, sur lequel l’œil perçoit, incisé dans l’émeraude, un motif
paysager, fascine et hypnotise. Mais dès lors que l’œil se détache de la coupe
et parcourt l’ensemble de la composition, il ne cesse d’être capté par la
profusion de détails qui préside à sa composition. Au bas du vitrail, sur la
gauche, deux lapins attirent l’attention. L’un d’eux se dresse debout. Il
amène une de ses pattes avant sur sa gueule. La cache. Dissimule ainsi la
parole qu’il délivre à l’autre. Scène étonnante, fascinante. Représentation
explicite et indéniable de la transmission d’un secret. Toute l’église de
Tréhorenteuc est dite ici. Le sanctuaire garde un enseignement caché qu’il
dissimule dans ses symboles. Il faut le voir au-delà de ses apparences. Pour
cela, s’attarder sur le moindre détail, les couleurs, les figures. Alors,
seulement, est-on en mesure d’entendre ce que dit le lapin qui pourrait être
blanc…
Le vitrail du Graal, l’œuvre majeure de l’église de Tréhorenteuc (Bretagne). L’abbé Gillard y a
dissimulé de nombreux symboles. Certains semblent renvoyer à une histoire occulte de l’Ordre du
Temple. D’autres esquissent quelques jalons sur le chemin perdu conduisant au saint Graal. Scrutant
les détails de cette forêt de symboles, l’œil y distingue ainsi, poussant sur un arbre, une singulière et
unique pomme bleue… Élément clé d’une profonde Énigme structurée comme un labyrinthe de
miroirs traversant toute la France.
La transmission du Secret (détail du vitrail du Graal, dans l’église de Tréhorenteuc). Situés au bas du
grand vitrail du Graal, ces deux lapins signalent qu’ici se transmet un indicible secret. L’un murmure à
l’oreille de l’autre en prenant soin de dissimuler sa parole au regard. C’est l’indication claire, laissée
par l’abbé Gillard, qu’il a dissimulé un message dans la décoration et la structure de son église. Il faut,
comme Alice, suivre le lapin, qui ici n’est pas blanc, pour passer de l’Autre Côté du Miroir.
1. Ibid., p. 167.
16.
L’ÉGLISE DU GRAAL
Tout au long du XIXe siècle, plusieurs ouvrages ont défendu l’idée que la
forêt de Brocéliande évoquée par les romans arthuriens n’était autre que la
forêt de Paimpont. Cet édifice littéraire a une pierre angulaire : Brocéliande,
ses chevaliers et quelques légendes. Un ouvrage publié en 1839 par
l’antiquaire et historien Baron du Taya (1783-1850). Un total de 358 pages.
La première somme défendant l’identification des deux forêts.
C’est en parcourant cette vaste compilation de textes et de traditions que
Félix Bellamy est saisi par la mention d’une tradition locale concernant le
village de Concoret. Un village voisin de Barenton. « Selon la tradition de
Concoret, note Baron du Taya, en ces derniers temps, les livres d’Éon
étaient conservés par quelques habitants du pays, et ils existaient encore
dans le XVIIIe siècle ; mais tous ces livres, que les prêtres pouvaient saisir,
étaient immédiatement brûlés. Depuis la mort du dernier sorcier au XIXe
siècle, ils ont été cachés dans un ruisseau qui ne les altère pas 1. »
En 1839, Baron du Taya tourne cette tradition en dérision. Affirme,
avec ironie, que si le ruisseau n’altère pas les écrits d’Éon, c’est que des
talismans de fées ont certainement été utilisés pour les protéger. Une
évidente moquerie pour un homme certain que tous les écrits de l’ «
imposteur » ont été livrés aux flammes avec les disciples d’Éon. L’«
imposteur » : le qualificatif employé pour désigner Éon de l’Estoile fait de
Baron du Taya un héritier de la tradition ecclésiale.
Dans les années 1890, Félix Bellamy est bien loin de ce jugement
négatif. Quelque chose le questionne dans l’histoire d’Éon de l’Estoile. Les
traditions entourant le village de Concoret l’appellent à vouloir soulever le
voile du Mystère qui l’entoure.
De l’Histoire réelle, les traditions locales ont gardé une image plus ou
moins évanescente. Au XIXe siècle, Concoret a encore la réputation d’être
habité par des sorciers. Certains s’interrogent. Bellamy s’interroge. Cette
réputation est-elle un souvenir de l’époque des sectateurs d’Éon ? Ou bien
la marque d’une survivance occulte de la secte ? Car, sur le même territoire,
le village de Rue-Éon, est une claire évocation de l’hérétique. Mieux : l’un
des logis du village – qui n’en compte que trois – porte le nom de « Maison
d’Éon de l’Estoile » ! Mais les histoires à son sujet se perdent dans la
confusion. Éon y est-il né ? Y a-t-il habité ? Un récit affirme que c’est lui-
même qui bâtit la demeure en trois jours, de façon miraculeuse. Troublée
par cette multitude de versions, la vérité est impossible à approcher. Le seul
élément écrit que Félix Bellamy trouve au sujet de la demeure est un acte de
vente d’octobre 1885. L’édifice y est désigné par le nom de Maison de
l’Étoile. Pour Bellamy, le toponyme Rue-Éon attesterait donc bien du séjour
de l’hérétique en ces lieux, et, certainement, du fait qu’il y fit des « initiés »
à sa science. Ces « initiés » de la première heure seraient les « sorciers » des
siècles suivants. Dans le village d’Halligan, toujours sur la même portion de
terre voisine de Barenton, Bellamy retrouve les mêmes histoires de sorciers
qui traversent les époques. Pour lui, c’est l’indice certain que des « héritiers
» d’Éon de l’Estoile ont traversé le Temps.
Bellamy ne peut dès lors qu’être possédé par les traditions affirmant
l’existence d’écrits aux mains des fameux « sorciers ». Une femme lui
confie en effet que les sorciers établis sur le territoire de Concoret tirent
leurs savoirs de livres. Son récit fascine. Il parle de survivance et de
destruction. « On ne sait pas trop d’où ils leur venaient, rapporte-t-elle à
propos des livres des sorciers. Ils venaient sans doute du démon. Ce n’est
pas que ces sorciers fussent méchants et fissent du mal ; mais ils en auraient
pu faire beaucoup avec leur savoir s’ils avaient voulu. C’est pourquoi on
s’efforçait de détruire leurs livres. Il y a à la Chauvelaie un puits où on en a
jeté un grand nombre et qu’on a comblé, et aujourd’hui on ne sait même pas
où il est 2. »
Des livres ont été détruits jusqu’à une époque récente. Des livres qui
renfermaient la doctrine interdite d’Éon de l’Estoile. C’est désormais une
certitude pour Bellamy. Une époque récente. Il se prend donc à espérer. Et
si tous les ouvrages proscrits n’avaient pas subi le même sort ? Si certains
adeptes secrets d’Éon avaient pu sauver leurs propres exemplaires ? Ça n’a
évidemment rien d’impossible, et c’est même tout à fait probable.
Posant des questions aux gens du pays, Bellamy est orienté vers un
homme dont il ne donne pas la véritable identité, un homme qu’on lui
indique comme étant le seul qui pourrait le renseigner. « Il était dans son
cellier au milieu de futailles et d’antiques bahuts, capables de recéler dans
leurs cachettes des trésors de sorcellerie, de grimoires et des liasses de
vieux parchemins. À cet aspect, je crus être proche de la conquête, et ayant
parlementé avec le maître pour capter sa bénévolence, comme dit Rabelais,
j’en vins à mon objet. Mon homme prit alors un air mystérieux, et me
répondit par un signe de tête et un clignement d’yeux qui semblaient dire :
Oui, je vous comprends, je connais cela, il y a quelque chose quelque part,
mais il ne faut parler de rien. C’est tout ce que j’ai pu extraire et emporter 3.
»
« […] il y a quelque chose quelque part, mais il ne faut parler de rien. »
Voilà de quoi souffler sur les braises qui consument l’esprit de Bellamy. Il
poursuit donc sa quête. Plus que jamais. À Rue-Éon, il s’efforce de
retrouver « ces papiers et ces grimoires enfouis dans de vieux coffres, et
initiant aux secrets d’Éon et de ses sectaires… ». Sa tâche est vaine. Il ne
retrouvera aucun des livres maudits. Pourtant, inlassablement, c’est la
même histoire qui ressort de l’ombre. Félix Bellamy recueille plusieurs
nouveaux récits évoquant des écrits dissimulés dans les environs. « On m’a
aussi conté à la Rue-Éon, que l’on aurait enfoui des livres concernant Éon,
dans un puits du village de la Chauvelaie, puits aujourd’hui comblé et
ignoré, et aussi dans un terrain dit le Four-Mignon, à présent en jardin et
situé près de la Rue-Éon. Mais on ne connaît pas davantage l’endroit où ils
furent mis en terre 4. »
Un lieu retient encore son attention. Une ruine connue sous le nom de
Maison du Gros-Chêne, à cause de l’arbre creux qui en est voisin. À
l’époque de Bellamy, subsiste le souvenir de la demeure qui se dressait jadis
là. Un certain Victor Guillotin, mort une vingtaine d’années auparavant,
assurait qu’elle avait été un bien d’Éon de l’Estoile. Elle avait été abattue
dans les mêmes années que celles qui virent disparaître Victor Guillotin.
Son architecture intérieure était donc encore dans toutes les mémoires au
moment où l’auteur de La Forêt de Bréchéliant en foule le sol. On lui
évoque notamment une chambre, pavée en tuiles rouges. Mais ce qui
intéresse Bellamy, c’est autre chose. L’existence de caches ! Durant les
troubles révolutionnaires, ces caches avaient permis à l’abbé Pierre Paul
Guillotin de dissimuler des ornements d’église et des objets de culte. Dans
le silence des ruines, elles obsèdent Bellamy. Si la demeure avait été jadis
entre les mains d’Éon de l’Estoile, n’était-il pas possible que ce dernier ait
dissimulé dans ses caches certains de ses écrits ? N’était-ce pas de leur
découverte que Victor Guillotin tirait sa certitude que la maison avait des
siècles auparavant appartenu à Éon de l’Estoile ?
Félix Bellamy le sait. Quelque chose s’est jadis trouvé ici. Quelque
chose se trouve encore, quelque part, en Brocéliande. Mais ce quelque
chose demeure insaisissable. Inaccessible comme un souvenir qui ne veut
pas remonter à la conscience. La voix du vieil homme le lui répète : « […]
il y a quelque chose quelque part, mais il ne faut parler de rien. »
La figure d’Éon de l’Estoile telle que peinte par l’abbé Gillard est la
silencieuse porteuse d’un secret. Il est incontestable que la Quête de l’abbé
Gillard le poussa à chercher ailleurs que dans le seul catholicisme la vérité
divine. L’amena à se plonger dans les légendes du Graal et les mythes
païens. Le poussa à chercher le Graal en dehors des sentiers sur lesquels
reste d’habitude l’homme d’Église. Le paganisme émanant des lieux le
captiva. Il n’hésita pas, non plus, à soulever le voile des hérésies. À voir ce
que celles-ci recelaient vraiment.
Qu’il ait pu concevoir positivement Éon de l’Estoile ressuscitant la
gnose antique, est confirmé par ses écrits et ce qu’il y dit au sujet du
Catharisme. Une autre hérésie. Une autre résurgence du christianisme
gnostique en plein Moyen Âge. Comme Éon et les siens, les Cathares furent
réprimés dans le sang et le feu par une Église d’autant plus féroce qu’elle se
sentait mise en danger par l’ampleur que prenait ce mouvement dans le sud
de la France.
L’Église haït véritablement les Cathares et cette haine ne s’estompa pas
avec les siècles. Elle traversa ceux-là. Or, dans son ouvrage Le Secret du
zodiaque, l’abbé Gillard n’hésite pas à écrire que les Cathares, ou Albigeois,
furent d’authentiques détenteurs du Graal !
« […]les Albigeois, au Moyen Âge, ont eu de l’Eucharistie une notion
exacte. Battus à Montségur, leur dernière citadelle, ceux d’entre eux qu’on
appelait les Parfaits ont évacué le Saint-Graal. Mais dans leur esprit, ce
Saint-Graal n’était pas un objet matériel. C’était le souci farouche de
poursuivre la perfection […] » 1
Étonnantes lignes sous la plume d’un homme d’Église ! Lignes qui
permettent, une nouvelle fois, de mesurer que l’abbé Gillard fait resurgir à
Tréhorenteuc de plus souterrains et ésotériques courants que celui du
symbolisme religieux ! Le prêtre se rattache clairement à un ésotérisme qui
se marie à des doctrines hérétiques présentées comme porteuses d’une vérité
perdue.
Les Cathares ne sont pas les seuls hérétiques à trouver grâce à ses yeux.
Les Templiers, pourtant également pourfendus par la tradition catholique à
cause de l’hérésie dont ils furent accusés à l’instigation de Philippe le Bel
(1268-1314), sont pour l’abbé Gillard possesseurs d’un véritable langage
symbolique. Les accusateurs des Templiers leur avaient notamment reproché
d’adorer une idole connue sous le nom de Baphomet. Figure présentée
comme diabolique et magique, dont l’aura effrayante ne cessa de s’accroître
au fil du Temps. Or pour Gillard, le Baphomet est symbole hermétique : «
Voulant montrer l’union, dans leur Ordre, de la vie active et de la vie
contemplative, les Templiers avaient créé un être androgyne qu’ils
appelaient baphomet ; et, sur leur étendard ils avaient associé deux bandes
d’étoffes, une noire et une blanche. »
Dans le chemin de perfection qu’il trace, le prêtre n’hésite pas, non plus,
à prendre pour modèle les anciens dieux. À inviter ceux qui poursuivent ce
but à « rechercher, comme Isis, les idées et les paroles du Maître » 2.
La lecture de son ouvrage Le Secret de Carnac et de Locmariaquer est
également des plus révélatrices. Là encore, l’abbé Gillard traverse la limite
entre christianisme et paganisme. On le voit marcher dans les allées de
menhirs. Relever méticuleusement les ornementations des dolmens,
notamment ceux de l’île de Gavrinis et de Locmariaquer. Il s’interroge sur
les bâtisseurs de ces antiques sanctuaires. Il reprend l’idée qu’il pourrait
s’agir de l’œuvre de Missionnaires égyptiens 3. Ceux-là, après avoir traversé
la Méditerranée, auraient contourné l’Espagne, avant de longer la côte
gauloise jusqu’en Bretagne, et d’atteindre ensuite l’Irlande, l’Angleterre,
l’Écosse, le Danemark et jusqu’aux côtes de la Norvège. L’hypothèse peut
aujourd’hui surprendre et pousser à rattacher hâtivement l’abbé Gillard à une
certaine forme d’ésotérisme catholique tel qu’il a pu jaillir à Paray-le-
Monial. Elle trouve pourtant son origine dans la « littérature mégalithique »
sur laquelle le prêtre de Tréhorenteuc a dû user sa vue au cours de ses
recherches.
Plusieurs ouvrages du XIXe siècle se sont plu à relever la ressemblance
entre certains signes gravés sur les mégalithes bretons et les hiéroglyphes.
Dans une allée couverte du Morbihan, on croit alors reconnaître, taillé dans
la roche, le visage d’un homme de type égyptien. On remarque, aussi, la
similitude entre les rectangles sculptés sur certains mégalithes et les
cartouches égyptiens destinés à recevoir le nom des souverains 4. De ce point
de vue, Gillard ne s’éloigne donc pas de ce qu’il pouvait se dire sur l’origine
mystérieuse des dolmens. Il se singularise en revanche quant à son
interprétation zodiacale de leur symbolique.
C’est à l’aune du zodiaque et de sa mystique des nombres – toujours
présents à sa pensée – que l’abbé Gillard déchiffre le sens religieux des
monuments druidiques. Il reconnaît dans les symboles gravés dans la pierre
ceux qu’il a précédemment vus associés aux antiques zodiaques. Le Verseau,
le Capricorne, le Poisson : il décèle leur présence dans les Temps anciens des
mégalithes. Tisse un lien – une indestructible ligne rouge – entre la
civilisation dolménique et sa propre religion. Et c’est là, dans l’affirmation
de cette continuité, que réside sans doute le plus fort message de l’abbé
Gillard. « […] il y a, au moins chez nous, identité de croyances entre celles
d’aujourd’hui et celles de la Préhistoire », écrit-il ! Pour lui, les Chaldéens,
les Égyptiens et les Druides furent jadis dépositaires de la « science de Dieu
». Les Gaulois ne furent jamais les « sauvages » décrits par les auteurs grecs
et latins. Gillard voit au contraire en eux des monothéistes, ne croyant qu’en
un seul dieu – Ésus – pouvant se manifester sous différentes formes et ayant
dès lors plusieurs noms…
L’œuvre que Gillard accomplit à Tréhorenteuc est la résurgence de ces
anciens courants. L’annonce de leur retour. Il est difficile de préciser quels
furent les liens entre l’abbé Gillard et le monde de l’ésotérisme. Pourtant, il
est patent, qu’à bien des égards, le prêtre participe du même mouvement que
certains d’entre eux. La lignée Égypte – druidisme – christianisme est
partagée avec le catholicisme ésotérique du Hiéron du Val d’Or.
Tréhorenteuc ne se trouve qu’à quelques kilomètres du Manoir du Tertre,
où bien des fois Pierre Plantard – un des continuateurs visibles de l’œuvre
manifestée par le Hiéron – rendit visite à Geneviève Zaepffel. C’est dans la
forêt de Brocéliande que Plantard eut ses premières visions relatives à l’Ère
du Verseau. Là qu’il vit le Vase qui devait le posséder toute sa vie durant. Le
Récipient contenant le Germe de la nouvelle religion. Celle qui ouvrira à
l’humanité les portes du monde spirituel. Or l’abbé Gillard était possédé par
la même attente. Lui aussi prophétisa dans ses écrits la venue imminente de
l’ère nouvelle. « Entrant, dans quelques années, dans l’ère du Verseau, on
pourra pendant deux mille ans et plus, y consacrer toute sa vie » 5.
Comment imaginer que Zaepffel, Plantard et Gillard – tous habités par
les mêmes attentes spirituelles, traversés par le même souvenir vivant des
anciennes religions – ne se soient pas rencontrés ? Ils ont évolué dans le
même secteur, au même moment. Quelque chose se passa ici. Plantard n’est-
il pas encore possédé par la chapelle du Graal de Tréhorenteuc lorsqu’il
découvre l’église de Rennes-le-Château ? Il signala à propos de celle-ci
l’existence d’un jeu lumineux sur les vitraux. Chaque 17 janvier, à midi
précise, le soleil, traversant une des verrières, dessinerait des pommes bleues
sur un mur opposé. Une pure vue de l’esprit. Il n’y a pas de pommes bleues à
Rennes-le-Château. Mais il y en a une sur le vitrail du Graal de Tréhorenteuc
! Plantard a aussi dit que par certaines formes, le chemin de croix de l’église
de Rennes-le-Château renverrait à des lieux précis autour du village.
Pourtant, après analyses et comparaisons, le chemin de croix de Rennes-le-
Château est finalement assez ordinaire. Une autre chimère… Cependant, à
Tréhorenteuc, l’abbé Gillard a fait peindre sur presque chaque station des
roches remarquables, ou des coins de rue, des bâtisses identifiables à qui
connaît les lieux ! De quoi s’interroger sur l’église dont parlait véritablement
Plantard. De quoi méditer sur la localisation exacte du sentier perdu par lui
évoqué. Et sur ce vers quoi il conduit…
Quels que soient ses liens avec ces cénacles ésotériques dont Plantard fut
une émanation, tout comme eux l’abbé Gillard avait été le vecteur d’une très
ancienne tradition occultée. Il s’était abreuvé d’anciens mythes, de courants
souterrains, de survivances séculaires liées au passé des lieux où il avait
vécu. Son œuvre à Tréhorenteuc montrait qu’il avait pénétré quelques-uns
des arcanes secrets de Brocéliande. Mais Brocéliande, qui lui avait tant
appris, apparaissait comme un jalon d’un plus vaste Mystère…
L’abbé Gillard signalait les Cathares comme d’authentiques détenteurs
du Graal. Établissait ainsi un lien entre son Grand Œuvre et des terres bien
éloignées de la Bretagne. Un autre territoire où planait pareillement la
puissante image du Graal. Des terres spectralement liées aux anciens
Cathares. Situées entre l’horizon bleu de la Méditerranée et les sommets
enneigés des Pyrénées…
Quelques détails des stations du chemin de croix de Tréhorenteuc (Bretagne). Pierre Plantard a affirmé
que le chemin de croix de l’église de Rennes-le-Château était codé et qu’il comportait des anomalies
renvoyant aux paysages alentour. Pourtant, il n’est rien de particulier à ce chemin de croix. Mais au fil
de ma Quête, j’ai fini par me trouver face à un chemin de croix codé selon la méthode évoquée par
Plantard : celui de Tréhorenteuc. Sans l’avoir jamais mentionné dans ses écrits, Pierre Plantard le
connaissait. S’en est-il inspiré pour bâtir le mythe de Rennes-le-Château ? Ou bien a-t-il tracé à travers
toute la France un véritable labyrinthe de glaces, où chaque site réfléchit comme un miroir un autre
lieu ? La réponse à cette question passe sans doute par le déchiffrage du chemin de croix de
Tréhorenteuc. Ici, de haut en bas et de gauche à droite : a. Détail de la station II. L’arrière-plan montre
des maisons de Tréhorenteuc. L’œil familier des symboles s’attardera plus particulièrement sur
l’équerre et le compas enchâssés dans l’Atelier. b. Détail de la station XII. Comme sur bien d’autres
stations, le paysage de la Crucifixion évoque des rochers situés dans les environs du village. c. Détail
de la station V. Simon aide Jésus à porter sa croix dans la forêt de Brocéliande. L’identification des
bois traversés par le Christ aux environs du village est accentuée par la présence des bœufs et des brins
de bruyères, plante très présente dans les landes bretonnes. d. Détail de la station III. Sainte Onenne et
ses oies regardant le Christ passer renvoie une nouvelle fois aux environs de Tréhorenteuc. La scène se
déroule au printemps. D’autres stations ont des couleurs automnales. Jeu esthétique ou jeu symbolique
?
1. Le Recteur de Tréhorenteuc, Le Secret du zodiaque, Les éditions du Ploërmelais, Plöermel,
s.d., p. 38.
2. Ibid., p. 52.
3. Le Recteur de Tréhorenteuc, Le Secret de Carnac et de Locmariaquer, Les éditions du
Ploërmelais, Plöermel, s.d., p. 4.
4. HUGO A., Histoire générale de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours,
tome I. Histoire de la Gaule de l’an 1600 avant J.-C. à l’an 483 après J.-C., H.-L. Delloye, Paris,
1836, p. 54.
5. Le Recteur de Tréhorenteuc, Le Secret du zodiaque, Les éditions du Ploërmelais, Plöermel,
s.d., p. 41.
PARTIE III
LE GRAAL PYRÉNÉEN
1. PEYRAT Napoléon, Histoire des Albigeois, tome second, Librairie internationale, Paris,
1870, p. 411.
2. Ibid., p. 423.
3. Ibid., p. 427.
4. Ibid., p. 429.
5. Ibid., p. 439.
24.
« DANS QUELQUE CRYPTE INCONNUE DE
MONTSÉGUR… »
1. PEYRAT Napoléon, Histoire des Albigeois, tome premier, Librairie internationale, Paris,
1870, p. 292.
2. PEYRAT Napoléon, Histoire des Albigeois, tome second, Librairie internationale, Paris,
1870, p. 404.
3. Ibid.
4. Ibid., p. 445.
5. Ibid., p. 412.
6. PEYRAT Napoléon, Histoire des Albigeois, tome premier, Librairie internationale, Paris,
1870, p. 254.
25.
L’ÉTRANGE VOYAGE D’HARVEY SPENCER LEWIS
1. GADAL Antonin, Sur le Chemin du Saint-Graal. Les Anciens Mystères Cathares (troisième
édition), Rozekruis-Pers, Haarlem, Pays-Bas, 1977, p. 69.
2. Ibid., p. 93.
3. Ibid., p. 90.
31.
« J’AI PARCOURU LES CRYPTES MARMORÉENNES »
1. Ibid., p. 63.
2. Ibid., p.71.
3. Ibid., p.72.
4. GLORY André, « Gravures rupestres schématiques dans l’Ariège », Gallia, tome 5 fascicule
1, 1947, p. 28.
5. GADAL Antonin, Sur le Chemin du Saint-Graal. Les Anciens Mystères Cathares (troisième
édition), Rozekruis-Pers, Haarlem, Pays-Bas, 1977, p. 86.
6. RAHN Otto, Croisade contre le Graal, Pardès, Puiseaux, 1999, p. 316.
7. RAHN Otto, La Cour de Lucifer, Pardès, Puiseaux, 1994, p. 127.
8. RAHN Otto, Croisade contre le Graal, Pardès, Puiseaux, 1999, p. 200.
9. Ibid., p. 314.
10. Ibid., p. 214.
32.
LES SECRETS DE MONTCALM
Alors que le froid saisissait Rahn dans une éternelle fixité, que les
ténèbres l’enveloppaient et le soustrayaient à la vision du monde, jetant sur
ses yeux de chair un bandeau noir, peut-être se revit-il gravir, non loin
d’Ornolac, les flancs du massif du Montcalm.
Un endroit puissant, que j’ai bien souvent parcouru, notamment pour
atteindre le sommet du Pic d’Estats, à 3143 mètres d’altitude. Des terres
progressivement « étrangères ». À 2 500 mètres d’altitude il ne reste plus
que des roches rougeâtres de fer – un paysage désertique et martien – qui
ramène l’âme qui le parcourt à un autre âge de notre propre Terre. Il n’y a
plus aucune végétation. La roche ne laisse place qu’à de petits lacs de
montagne, à l’eau si cristalline et d’un bleu si particulier – que ces miroirs
scintillants semblent comme sortis d’un songe.
Qu’avaient rencontré là les bergers parcourant ces espaces hors du
monde ? Dans sa soif effrénée de passer de l’autre côté du miroir, de
toucher de son vivant au Grand Mystère dont certains hommes seraient les
gardiens, Rahn était venu les trouver. La compagnie d’Antonin Gadal,
l’ombre de Garrigou qui enveloppait ce dernier, le lui avaient montré : il
existait une mémoire terrienne qui ne connaissait pas le cours des siècles,
qui passait infiniment de bouche à oreille, sans jamais s’altérer. C’était un
monde situé hors de la ville et de la culture de l’instant. Un monde que le
e
XX siècle naissant s’efforçait déjà de broyer dans ses mains d’acier. Rahn y
avait recueilli des témoignages qui sans lui seraient aujourd’hui enfouis
dans le grand abîme de l’Oubli éternel. Des paroles qui suscitèrent peut-être
les dernières sensations qui le parcoururent au moment de renoncer à se
battre pour vivre. Lorsque l’esprit se brouille, abolit le Temps. Et tout le
reste.
Peut-être à cet instant eut-il l’impression troublante de revivre certains
moments d’une autre existence. Celle de cette femme que l’on vit passer
plusieurs hivers dans les montagnes enneigées dominant Lombrives et
qu’un berger lui présenta comme « la dernière descendante des hérétiques ».
Nous sommes dans les premières années du XIXe siècle. Dans la région
du Montcalm, plusieurs bergers ainsi que des habitants des villages nichés
dans les vallées bordant les sommets, surprennent dans les montagnes, ou
aux abords des maisons, une femme mince, encore jeune, aux longs
cheveux blonds. Vivant dans les hauteurs, elle ne semble s’approcher des
villages que lorsque la faim la presse d’y trouver quelque nourriture. Le
reste du temps, elle erre sur les rochers, ou près des lacs de montagne –
comme l’étang de Lers. On la voit plonger dans les torrents, pêcher à mains
nues. Les habitants des vallées la surnomment « la bloundino », la blonde –
puis « la fado ». La fada. Littéralement celle qui voit les fées. C’est-à-dire la
folle. Mais après ce dédain, va naître, progressivement, l’inquiétude. Qui est
vraiment cette femme ?
Un jour, des marchands l’aperçoivent marchant à côté d’un ours. Dès
lors elle inquiète. Chassant avec les ours, elle ne peut être une créature
complètement humaine. La rumeur se répand. Celle qui était jusque-là
regardée avec innocence prend le visage d’une fille du Diable. Lorsque la
source alimentant le village d’Orus se tarit, la population voit son œuvre, le
sortilège d’une sorcière ! L’hiver arrive. Pour tous, elle va mourir dans la
neige. Et pourtant, au printemps suivant, on la revoit courir dans les
hauteurs. Comment a-t-elle pu survivre au froid et aux animaux sauvages ?
La nouvelle se diffuse dans toute la région. L’agitation gagne les esprits.
M. Vergnies, juge de paix à Vicdessos veut en savoir plus. Il se rend sur les
lieux, envoie la Garde Nationale capturer puis interroger la « folle ». Elle,
reste cloîtrée dans son silence. Jusqu’à ce qu’il lui demande comme il se
peut qu’elle n’ait pas été dévorée vive par les ours. « Les ours ! répond-elle,
ils sont mes amis, ils me réchauffaient 1. »
La suite de son histoire, c’est le meurtre de la Nature sauvage par la «
civilisation ». Attachée sur un lit, elle parvient à s’échapper – à rejoindre les
montagnes et les ours. L’année suivante, toujours au printemps, une
nouvelle chasse est organisée. Elle est capturée, s’échappe après quelques
jours. Une véritable expédition est lancée à sa poursuite. Sur les hauteurs de
Vicdessos, deux hommes en embuscade s’emparent d’elle. Jetée en prison,
elle s’y laisse mourir dans la « nostalgie de ses montagnes » et de ses
compagnons les ours.
Qui était cette mystérieuse femme qui vivait nue parmi les ours ? La
quête de son identité obséda plus d’un esprit. On se perdit en conjectures
pour percer ce mystère qu’elle n’avait jamais révélé. On supposa qu’il
s’agissait d’une jeune femme de noble extraction, à cause du fait qu’elle
parlait un français parfait. On pensa que la Terreur révolutionnaire lui avait
fait prendre le chemin de l’exil. Que traversant les montagnes avec son mari
pour gagner la salutaire Espagne, ils avaient tous deux été attaqués par des
brigands. Que son époux ayant été tué dans cette embuscade, elle avait pris
la fuite et sombré dans la folie.
Mais cette hypothèse, toute tissée de rationalité, n’était pas la seule. Il
en circulait une autre, de bouche de bergers à oreille de bergers. Une qui
expliquait l’étrange pouvoir que la femme nue du Montcalm avait sur les
ours. Rahn avait entendu cette version de la bouche même d’un des pâtres
du Montcalm. Il avait pieusement recueilli ses paroles et les avaient
consignées dans sa Croisade contre le Graal. Selon cette tradition, la
femme nue du Montcalm était la « dernière descendante des hérétiques » 2.
Rahn ne fut pas le seul à approcher cette vérité. On la trouve également
dans un singulier roman publié en 1945 : La Femme nue du Montcalm. Son
auteur est Pierre-Barthélemy Gheusi (1865-1943), une autre âme hantée par
la spiritualité rayonnant encore du passé. Homme de lettres, directeur de
théâtres, directeur-administrateur du Figaro, Gheusi fut, dès ses premières
années, familier des ombres cathares. Natif de Toulouse, il évoque les
bûchers de l’Inquisition et le fanatisme dont souffrirent les Parfaits dans son
roman pour enfants Gaucher Myrian. Vie aventureuse d’un escholier féodal,
coécrit avec Anatole Loquin (1834-1903) et publié en 1893. Son intérêt
pour le sujet n’est pas qu’érudit. Gheusi appartint en effet à une église néo-
cathare : l’Église Gnostique. Fondée à la fin du XIXe siècle par Jules Doinel
(1842-1903), elle avait été, de 1896 à 1907, sous la tutelle épiscopale du
poète symboliste Léonce Fabre des Essarts (1848-1917). Est-ce dans ce
cénacle dénoncé par le pape Léon XIII (1810-1903) comme une renaissance
de « la vieille hérésie albigeoise » que Gheusi fut mis en contact avec des
informations concernant la femme nue du Montcalm ? Ou ces informations
lui viennent-elles d’ailleurs ? Il paraît en effet plus vraisemblable que, tout
comme Rahn, Gheusi se soit abreuvé aux traditions pastorales qui avaient
encore cours en Ariège. Les bergers jouent effectivement un rôle crucial
dans son roman. Certains d’entre eux savent qui est vraiment la Femme nue
du Montcalm. Véritables « complices » de l’Errante, c’est eux qui auraient
entretenu l’idée d’une noble exilée devenue folle. « On serait à l’abri du
pire si l’autorité admettait cette fable », déclare un des personnages de
Gheusi. 3 Car la Femme nue a des alliés parmi les bergers et les « sorcières »
et « sorciers ». Même si ceux-ci ne connaissent que des fragments de vérité
à son sujet, ils savent qu’elle est une des dernières représentantes des
hérétiques jadis exilés dans les grottes.
C’est cette histoire occulte, connue de quelques-uns seulement, que
laisse sans cesse entrevoir le roman de Gheusi. Celui-ci évoque l’existence
d’une véritable Agartha cathare dans l’Ariège. Il y a dans La Femme nue du
Montcalm quelques tableaux saisissants à ce sujet. Qui, là encore,
s’inspirent de traditions recueillies sur place. Selon certains bergers, il est
des grottes où l’on entendrait, des fois, comme des voix venues des
profondeurs de la terre. L’un des personnages du récit, un ancien notaire,
Maître Fournier, les appelle « les voix prisonnières de la montagne » 4. Il est
convaincu que des Cathares ayant échappé aux troupes de l’Église avaient
pu trouver refuge dans les entrailles de la Terre et y auraient installé de
véritables cités souterraines. « Il y a dans le monde, précisément vers les
régions farouches où le sang a coulé au cours des guerres religieuses, des
cités souterraines, des temples géants, invisibles, interdits aux profanes,
connus seulement des initiés, dans l’Inde des brahmanes, le Thibet des
lamas, les catacombes légendaires de quelques thébaïdes d’Afrique.
Pourquoi les descendants d’Esclarmonde de Foix et de Guilhabert de
Castres n’auraient-ils pas, jusque parmi nous, volontairement tapi certains
des leurs dans le sous-sol immense de leurs anciens fiefs 5 ? »
Croisade contre le Graal. La femme nue du Montcalm. Rahn et Gheusi.
Deux âmes touchées par le Mystère cathare. Dont les témoignages écrits
laissaient entrevoir que la religion interdite n’était peut-être pas morte au
Moyen Âge. Que, dans les premières années du XIXe siècle, une authentique
« Cathare », une initiée aux grands Mystères condamnés par l’Église, vivait
encore dans les montagnes ariégeoises.
Ces livres parlaient de choses tues. Révélaient une trame invisible aux
historiens. Arrachaient à l’invisible un envers de l’Histoire. Dans cette lente
apparition de l’Autre Histoire, les dernières lignes du roman de Gheusi
soulevaient un voile de plus. Gheusi y suggère l’existence d’une fraternité
invisible, rassemblant non seulement des descendants des Cathares, mais
aussi des Templiers – autres « errants » condamnés par l’Église et le
Pouvoir à vivre cachés. N’était-ce pas là l’un des grands secrets de la région
? Un secret qui expliquait peut-être la résurgence des mystères du Graal
dont elle fut le théâtre ?
Ne fallait-il pas chercher dans cette Fraternité des Invisibles, l’origine
des Maîtres installés à Toulouse sous le signe de la Rose et de la Croix ?
1. BERNADAC Christian, Madame de… qui vivait nue parmi les ours, au sommet des monts
perdus…, France-Empire, Paris, 1984, p. 90.
2. RAHN Otto, Croisade contre le Graal, Pardès, Puiseaux, 1999, p. 314.
3. GHEUSI Pierre-Barthélémy, La Femme nue du Montcalm, Aux Armes de France, Paris,
1945, p. 145.
4. Ibid., p. 6.
5. Ibid., pp. 7-8.
PARTIE IV
L’ÉNIGME DE PYRÈNE
Porte d’accès à l’étrange monument réalisé sur les instructions d’Antonin Gadal (1877-1962) à Ussat-
les-Bains (Ariège). Le nom Galaad fait référence au cycle arthurien. Galaad y est le chevalier élu,
celui qui prend place à côté d’Arthur sur le Siège Périlleux. Le seul qui parvient, au terme de la Quête,
à regarder à l’intérieur du Graal. Galaad, c’est, aussi, l’anagramme d’A. Gadal. En signant son œuvre
Galaad, ce dernier signifiait-il qu’il avait, lui aussi, plongé son regard dans le Graal ?
1. GADAL Antonin, Le Triomphe de la Gnose universelle, In de Pelikaan, Amsterdam, 2006, p.
96.
34.
MYSTÈRES ÉGYPTIENS
1. GADAL Antonin, Sur le Chemin du Saint-Graal. Les Anciens Mystères cathares (troisième
édition), Rozekruis-Pers, Haarlem, Pays-Bas, 1977, p. 139.
2. Ibid., p. 110.
35.
LE TOMBEAU D’HERCULE
La grotte de Lombrives (Ariège). Longtemps occultée, elle fut le tombeau de Cathares emmurés
vivants par les Inquisiteurs. Lorsqu’on commença à l’explorer, on crut aussi y retrouver les tombeaux
de Pyrène et Hercule si bien que la singulière légende pyrénéenne se cristallisa autour de l’antre
obscur. La concrétion que l’on désigne sous le nom de Tombeau de Pyrène n’est que l’image – le reflet
– du Cœur mystique de tout cet étrange Voyage. Un nouveau jeu de miroir…
e
L’église d’Oô (Haute-Garonne), telle qu’elle apparaît sur les gravures du XIX siècle. Un sanctuaire de
montagne, plus près des sommets que du monde des hommes, dont la solitude servit durant des siècles
de refuge à une bien singulière sculpture. Une antique déesse dont le souvenir finit par se réveiller, lui
redonnant peu à peu toute sa Puissance.
1. SILIUS ITALICUS, Punica, III, 415-441. Traduction Collection des auteurs latins publiés
sous la direction de M. NISARD, Paris, Didot, 1855.
2. SILIUS ITALICUS, La guerre punique tome I (livres I-IV), Les Belles Lettres, Paris, 1979,
pp. 86-87.
3. RIPOLL François, « Les origines mythiques des Pyrénées dans l’Antiquité gréco-latine », in
o
Pallas [Revue d’Histoire Antique de l’Université de Toulouse] n 79, 2009.
36.
L’ÉNIGMATIQUE PIERRE D’OÔ
e
1. PASTOUREAU Michel, L’Ours. Histoire d’un Roi déchu, coll. La librairie du XXI siècle,
Seuil, Paris, 2007.
2. THAUMASSIERE Gaspard Thaumas de la, Histoire de Berry, F. Toubeau, Bourges, 1689.
3. LE QUELLEC Jean-Loïc, Dragons et merveilles, coll. Voyage en mythologies, Errance,
Arles, 2013, p. 242.
38.
FEMMES MAUDITES OU ANTIQUES DÉESSES ?
ÉTRANGES REPRÉSENTATIONS FÉMININES DANS LES
ÉGLISES DE FRANCE…
Notre-Dame de Payroux, dans la Vienne. Une scène d’étreinte sur un chapiteau. Je l’ai longuement
considérée, dans le silence du sanctuaire. Seul. Il était alors évident que l’image ne représentait pas
une condamnation de la Luxure. Mais était le reflet d’une oubliée conception de l’amour physique.
1. MAGRE Maurice, Confessions sur les femmes, l’opium, l’amour, l’idéal, etc., Bibliothèque-
Charpentier, Fasquelle, Paris, 1930, pp. 154-155.
2. Reproduit in BOTTERO Jean, KRAMER Samuel-Noah, L’érotisme sacré à Sumer et à
Babylone, Berg international, Paris, 2011, p. 169.
3. Ibid., p. 54.
4. RIO Bernard, Le cul bénit. Amour sacré & passion profanes, Coop Breizh, Spézet, 2013, p.
167.
5. MAHÉ Jean-Pierre, POIRIER Paul-Hubert, Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag
Hammadi, coll. Bibliothèque de La Pléiade, NRF-Gallimard, Paris, 2007, p. 852.
39.
LE TEMPLE PERDU DE VÉNUS-PYRÈNE
Le Massif du Canigou dans les Pyrénées-Orientales. Il est difficile d’exprimer par des mots le ressenti
très particulier qui saisit à l’approche du massif, et en parcourant ses flancs. Ici un voile semble se
déchirer entre le Ciel et la Terre. Pour qui est sensible à sa Magie, la montagne engendre une sensation
intérieure et sensorielle d’une extrême puissance ouvrant sur une dimension supplémentaire de
l’existence.
La croix sommitale du Canigou. Celle que l’on atteint avec une émotion toujours poignante. Celle
avec qui se noue un lien sans cesse plus fort au fil des ascensions. Un de ces liens sentimentaux qui
embuent les yeux de larmes. Non pas parce qu’à la vue de la Croix du Canigou cesse l’effort, mais
parce qu’elle matérialise, en quelque sorte, l’âme du lieu. Il faut se tenir près d’elle dans la solitude, au
sommet de ce pic réellement magique où se rencontre l’Âme du Monde, pour vivre ce que les mots ne
pourront jamais vraiment dire. Mais la mythique croix du Canigou est aussi une marque de la «
christianisation » de la montagne. Un signe ostensible de la guerre menée sur ses flancs par les
religieux contre « Ceux » qui, avant leur arrivée, avaient reconnu dans le massif montagneux un
endroit très particulier.
1. BRETON André, Arcane 17, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1965, pp. 64-65.
2. BRETON André, Nadja, Gallimard, Paris, 1964, pp. 154-155.
3. LORRAIN Jean, L’Ombre ardente, Bibliothèque Charpentier, Paris, 1897, p. 72.
4. RIMBAULT Olivier, Démons et Merveilles du Canigou. Historiographie et interprétation du
légendaire catalan, Les Presses Littéraires, Saint-Estève, 2014, p. 74.
5. Ibid., p. 75.
44.
L’OMBRE DES « MENEURS DE LOUPS »
1. Voir à ce sujet ARMAND Fabio, « Les loups-garous et les eaux » in IRIS numéro 34, Centre
de Recherche sur l’Imaginaire, Université de Grenoble, 2013.
2. ABÉLANET Jean, Lieux et légendes du Roussillon et des Pyrénées catalanes, Trabucaïre,
Canet, 2008, p. 110.
3. RIMBAULT Olivier, Démons et Merveilles du Canigou. Historiographie et interprétation du
légendaire catalan, Les Presses Littéraires, Saint-Estève, 2014, pp. 146-147.
45.
AMÉLIE-LES-BAINS ET LE MYSTÈRE DES «
BRILLANTES JEUNES FILLES »
Le vallon d’origine glacière de Peyra Escrita dans les Pyrénées-Orientales. Un lieu hors du monde et
du Temps, dont les dalles de schiste portent le souvenir gravé d’anciens cultes magiques. L’égrégore
de ceux-ci enveloppe encore le lieu d’une atmosphère particulière. Le Temps s’y abolit étrangement,
et lorsque la lune passe au-dessus des crêtes rocheuses, il semble que l’on ressente plus qu’ailleurs son
influence subtile…
Le « sorcier » de Peyra Escrita (Pyrénées-Orientales). Une figure millénaire, taillée dans le
schiste. Un homme portant un masque dont les yeux dardés de rayons solaires hypnotisent
le regard. Une figure puissante, non loin de laquelle figurent des danseuses à peine incisées
dans la roche. Les images pétrifiées d’anciens rites qui confèrent encore à ce lieu retiré une
dimension particulière.
Les figures étranges que j’avais découvertes sur les roches gravées de
Peyre Escrite exerçaient sur moi comme un appel magnétique. Après mon
excursion dans la vallée de la Galba, où je suis depuis bien des fois retourné,
j’entrepris de retrouver d’autres gravures de ces Âges évanouis. Elles étaient
une des clefs du passé de ces lieux dont l’atmosphère me saisissait. Je les
cherchais donc à travers toute cette Terre magique que constitue la
Catalogne.
C’est à cette occasion que je découvris le village d’Err. Ce dernier
invitait à traverser le voile du Temps. Ainsi du vieux cimetière. De massives
pierres tombales du XVIIe siècle y côtoient d’anciennes tombes simplement
constituées d’une ardoise fichée dans la terre. Pas de nom. Pas de date.
L’homme rendu à l’infini. Libéré de toute identité restrictive. On ne pouvait
traverser les vieilles rues d’Err sans ressentir la présence de ce passé. Mais
au-delà des dernières maisons, par-delà les quelques champs qui les
séparaient du domaine sauvage, quelque chose de plus ancien m’appelait.
Dans l’air frais du matin, je m’engageais sur l’ancien chemin menant à
Notre-Dame de Nuria, sanctuaire de montagne situé par-delà les sommets. Je
le suivais un temps, avant de le quitter pour une étroite sente. Elle
redescendait vers le ruisseau d’Err pour aboutir au Pont de les Cabres, le
pont des chèvres. De ce dernier ne demeuraient que quelques vestiges.
Quelques blocs de granit empilés, laissant imaginer une arche emportée par
les flots.
À ses côtés gisait un gros bloc de schiste, reposant pour une part dans
l’eau, et pour l’autre sur la berge. La lumière du matin, encore tamisée par
les arbres alentour, éclairait suffisamment sa surface pour que j’y décèle
immédiatement des lignes finement taillées à sa surface. Des traits, des
hachures, se recouvrant les uns les autres, formant des motifs difficilement
lisibles, sinon pour quelques-uns. Il s’agissait de cercles dardés de rayons,
des motifs solaires, trace des anciens cultes. Après ce premier aperçu, je
contournais la roche, très inclinée, pour en découvrir l’autre pan. C’est là
que je trouvais la gravure la plus saisissante du bloc. Deux figures
anthropomorphes, disposées l’une à côté de l’autre. Un homme et une
femme stylisés. À la silhouette singulière, à la fois humaine et non humaine.
Contrairement aux figures que j’avais observées jusqu’à présent, celles-ci ne
possédaient, chacune, qu’une seule jambe, axe central autour duquel se
structurait tout le corps.
Le ruisseau emplissait l’étroite vallée de son chant éternel. Le soleil
lentement suivait sa course et sortait de l’ombre l’étrange couple. Il baignait
de sa lumière les fleurs alentour, et leur donnait, ce faisant, de nouvelles
couleurs. Une subtile et sublime transformation se réalisait en silence.
L’ancienne magie du lieu semblait à nouveau opérer.
Tout comme pour Peyre Escrite, c’est au bord d’un cours d’eau que les
gravures reposent. Là encore, le rapprochement constant de l’eau et du feu
solaire. De deux Éléments complémentaires. Le couple d’anthropomorphes
était le symbole de cette magie disparue. Une trace de son existence passée.
En le découvrant, Jean Abelenet y avait immédiatement vu une sorte d’ex-
voto commémorant une prière de fécondité. Fortement stylisés, l’homme et
la femme paraissent en effet laisser voir leurs sexes. Un cercle strié de
rayons pour la femme, une forme allongée, striée elle aussi, pour l’homme.
À côté de qui, une ramure végétale était un autre symbole de fécondité. Daté
du Moyen Âge, le couple témoignait ainsi de la subsistance de rites et de
prières aux forces de la Nature à travers les siècles.
Avant de quitter le site, je remarquais un autre bloc. Pris entre les arbres
au milieu de l’eau, il avait l’aspect d’un petit îlot isolé. Je décidai d’aller
l’examiner. Sa surface se révéla elle aussi couverte d’anciennes gravures.
Depuis des siècles, d’autres figures anthropomorphiques m’attendaient là.
L’une d’elles paraissait plus particulièrement conserver l’image d’anciens
rites. Une silhouette humaine levant les bras vers le ciel, dans la position
traditionnelle de la prière.
Il me fallut revenir sur les hauteurs dominant Err une nouvelle fois pour
découvrir d’autres figures gravées. Disposés sur les abords de l’antique
chemin de Notre-Dame de Nuria, les rochers desquels j’étais parti en quête
m’apparaissaient comme autant de jalons sur les anciennes voies parcourant
ces déserts de roches. Après avoir décelé des gravures sur un premier groupe
de rochers, j’entrepris de grimper plus haut, là où me semblait être ce qui
m’appelait ici. Très vite, sur ces pentes où, à part le genêt, rien ne semblait
croître, je découvrais deux figures très stylisées. Étaient-ce des figurations
humaines ? Je m’y attardais quelques minutes, puis mon regard fut attiré par
un bloc d’assez grande taille, situé quelques mètres plus haut. Alors que je
m’en approchais, des motifs commencèrent à se dessiner à sa surface. Des
lignes, des quadrillages. C’était sans nul doute là que se trouvait ce que
j’espérais voir. Effectivement, levant les yeux, au-dessus d’un pan de roche
brisé, j’observais, profondément ému, une écriture qui venait de bien loin
dans le Temps.
C’étaient des lettres aux allures de hiéroglyphes. Des lettres qui
n’avaient rien des caractères latins. Elles étaient inscrites là, dans la roche,
parfaitement visibles. Depuis le IIIe siècle avant notre ère, date à laquelle
elles avaient été tracées, elles n’avaient connu aucune altération. C’était la
même émotion saisissante que celle ressentie pour toutes les autres pierres
gravées vues jusqu’à présent. Mais là s’ajoutait quelque chose d’autre. La
forme étrangère des caractères leur donnait une aura plus mystérieuse
encore. C’était une voix – une voix humaine, à la langue à présent perdue –
qui s’était comme pétrifiée dans le schiste et qui, à 2300 ans d’intervalle,
continuait à me parler dans cette langue que je ne pouvais plus
comprendre… Que personne ne pouvait plus comprendre.
Le soleil, poursuivant sa course, révélait sans cesse davantage les
gravures figurant sur la paroi rocheuse. Lorsqu’au bout de quelques heures il
fut complètement face à elle, il en révéla de si finement incisées que je ne les
avais pas vues jusqu’alors. C’était comme si il fallait ce mariage entre l’astre
et la roche pour que celle-ci se mette à pleinement formuler son chant
séculaire.
Mon œil exercé par les heures découvrait des silhouettes animales aux
longues cornes – vague évocation d’antilopes. Plus haut sur la roche, bien
au-dessus des écritures ibères, un grand anthropomorphe étendait autour de
son corps ses deux bras aux doigts bien marqués. Au bas de la roche, près
des zones striées, deux cercles rayonnants étaient comme deux images du
soleil projetées sur le schiste. Et puis il y avait cette étonnante, cette
singulière figure…
Que représentait-elle ?
C’était une créature au crâne assez ovoïde, aux grands yeux en amande.
Une vision presque extraterrestre. Quelque chose qui n’était en tout cas pas
humain, appartenait à une autre réalité. Son corps était très étrange. Il n’avait
rien du réalisme, même schématique, de tous les autres anthropomorphes.
On y reconnaissait comme deux mains, mais elles avaient plus l’aspect de
nageoires. Et puis, ce corps aux formes courbes, n’avait pas de pieds. Il se
terminait comme une flamme… Était-ce un esprit ? Une entité surnaturelle
jadis vénérée en ces lieux ? Là encore, il n’y avait pas de réponse. Juste une
profonde énigme, qui trouvait peut-être sa résolution quelque part dans ces
montagnes…
Au-dessus du village d’Err, dans les Pyrénées-Orientales. Un bloc de schiste gisant dans un ruisseau a
jadis été couvert d’étranges gravures. Deux personnages côte à côte, une femme et un homme, tracés
là au Moyen Âge, témoignent de la survivance d’anciens cultes à la fécondité. Tout comme la femme,
l’homme ici représenté est très stylisé. Un caractère « étranger » qui rend sa vision d’autant plus
fascinante.
Au-dessus du village d’Err, dans les Pyrénées-Orientales. Des caractères ibériques tracés sur la roche
depuis des millénaires. Une langue perdue, devenue incompréhensible. Les montagnes pyrénéennes
ont gardé sur certaines de leurs roches des inscriptions de ce type, venues du monde d’avant l’Ère
chrétienne. Celle-ci fut la première sur laquelle je posais les yeux, l’âme émue. J’étais comme devant
un énigmatique Sphinx, et peu m’importait de ne pouvoir répondre à sa question. Je voyais malgré
tout l’Ancien Monde de mes yeux de chair…
Au-dessus du village d’Err, dans les Pyrénées-Orientales. Dans la solitude des montagnes, sur la
même roche qui a gardé à travers les siècles les énigmatiques formules tracées en caractères ibériques,
se découvre une singulière entité au crâne ovoïde et aux grands yeux en amande. Un être de l’Autre-
Monde tracé là par une homme ou une femme qui l’a peut-être vu de ses propres yeux…
Au-dessus d’Osséja, dans les Pyrénées-Orientales. Ceux qui connaissent l’emplacement de ces
gravures jamais ne le diront. Il faut passer des heures dans la montagne pour les retrouver à son
tour, le cœur plein d’émotion. Le soleil commençait à décliner au terme d’une journée passée à
scruter d’autres roches gravées et à prospecter les environs. C’est alors que je découvris,
dissimulé par des herbes, ce personnage armé d’une lance. Il avait été dessiné au Moyen Âge
pourtant on eût dit que son tracé ne datait que d’hier. C’est en ce genre d’instant qu’une certaine
forme d’immortalité devient tangible…
Au-dessus d’Osséja, dans les Pyrénées-Orientales. Un autre personnage, voisin du précédent. Lui aussi
dessiné là au Moyen Âge. Ses traits stylisés lui donnent l’aspect d’un étrange fantôme. Lorsqu’il fut
réalisé, il représentait pourtant un individu bien vivant. Mais tout comme la main qui l’avait tracé sur
la roche, le Temps l’avait spectralisé…
Ailleurs au-dessus d’Osséja (Pyrénées-Orientales), une autre roche cherchée des heures durant et
trouvée dans l’émerveillement. J’aperçus d’abord un cavalier chevauchant sa monture. Puis à mesure
que j’observais le rocher, d’autres sortirent de l’invisible… Chacun me saisissait et m’emportait dans
ce Temps où ils avaient vécu…
Au-dessus d’Osséja (Pyrénées-Orientales). Un autre cheval et son cavalier, œuvre du Moyen Âge. Plus
bas sur la roche est figurée une plus difficilement lisible chasse au cerf. Même une fois retrouvées, les
roches gravées ne livrent pas immédiatement leurs secrets. Il faut passer des heures près d’elles, dans
le silence et la solitude, l’œil concentré et sensible, pour déceler un à un chaque motif couvrant leur
surface. Par les figures oubliées et ainsi ressuscitées les unes après les autres, elles offrent un
émerveillement sans cesse renouvelé. C’est une véritable méditation sur la Pierre.
48.
SUR LE CHEMIN DE NURIA
1. BLACKWOOD Algernon, L’homme que les arbres aimaient, éditions de l’Arbre Vengeur,
Talence, 2011, p. 111.
2. VERDAGUER Jacinto, L’Atlantide, poème catalan, Imprimerie centrale du Midi / Hamelin
Frère, Montpellier, 1900, p. 21.
3. Ibid., p. 23.
4. Ibid., p. 22.
5. Ibid., p. 201.
6. Ibid., p. 41.
50.
SUR LA TERRE DES TITANS
Seul dans les hauteurs encore couvertes de neige au mois de mai, peu avant l’arrivée au Pic de la
Tombe du Géant (Pyrénées-Orientales). Tout n’est qu’un désert blanc plongé dans un saisissant silence
et une solitude absolue. Je n’ai croisé en chemin qu’une marmotte au sortir de l’hibernage. Ces
instants-là sont d’une puissante magie, participent d’une alchimie opérative. L’âme trouve dans la
beauté indicible des montagnes son reflet terrestre, et le corps renaît de ses cendres sous la puissante
influence des Éléments.
Au sommet du Pic de la fossa del Gegant, à 2799 mètres d’altitude, sur la ligne frontalière séparant la
France de l’Espagne. Dans la roche, un visage titanesque domine les vallées s’étendant à ses pieds.
L’étrange paréidolie ouvre la Porte de souvenirs antédiluviens, réveille ces Temps où, d’après les
mythes et les textes antiques, des « Géants » évoluaient sur la Terre.
o
1. « Souvenirs sur les fondateurs du Hiéron », Revue au Christ-Roi, n 10 mai-juin 1927.
2. LEQUET Patrick, « De la quête de la Tradition primordiale à la réouverture du Hiéron de
o
Paray le Monial », in Politica Hermética n 21 : La Tentation du secret, groupes et sociétés
e e
initiatiques entre ésotérisme et politique du XVIII au XX siècle, L’Âge d’Homme, Paris, 2007, p.
107.
3. LEFORT Félix, Failles et Géogénie d’après les observations et découvertes faites dans le
Nivernées. Publié par les soins de l’Institut Scientifique du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial, H. le
Soudier, Paris, 1892.
4. Entre autres : MAICHIN Armand, Histoire de Saintonge, Poitou, Aunix, et Angoumois,
Contenant la description de l’ancienne Gaule…, Henry Boysset, Saint-Jeand’Angely, 1671, p.
56. GUYON Symphorien, Histoire de l’Église et diocèse, ville et université d’Orléans, Claude &
Jacques Borde, Orléans, 1650. BEYERLE Jean-Pierre-Louis, Essai sur la franc-maçonnerie, ou
Du but essentiel & fondamental de la F. : M. :, tome premier, A Latomopolis, chez Xiste Andron,
rue du Temple de la Vérité, à l’Enseigne du Soleil, l’an de la V. :L . : 5784 [1784], p. 95
5. BOUCHÉ J.-B., de Cluny, Les Druides, Martinon, Paris, 1844, p. 31.
52.
« JE METTRAI ENTRE VOS MAINS DES MANUSCRITS
QUI OUVRIRONT DES HORIZONS INCONNUS… »
…Le Hiéron du Val d’Or est enveloppé d’un profond Mystère. Après la
mort de ses fondateurs, le Temple-Musée fut progressivement détourné de
sa fonction première. Les archives disparurent. La catholique ville de
Paray-le-Monial jeta un voile de silence et d’oubli sur cette résurgence
d’une Tradition qu’elle ne pouvait regarder qu’avec inquiétude.
Car il s’agissait de quelque chose qui n’était pas catholique. Qui ne
pouvait que déranger ceux que le dogme tenait entre ses mains de fer. Les
fresques qui demeurent aujourd’hui interrogent sur l’origine de cette «
hérésie ». Leur contenu reflète des traditions ésotériques transmises dans
des sociétés plus ou moins secrètes auxquelles l’Église s’est toujours
opposée.
Celui qui cherche, celui qui ne veut pas et ne peut pas passer sans voir,
ne peut que vouloir expliquer cela. Dans les années 1920, un homme
s’efforça de percer ce mystère. C’est un mystique et un ésotériste. Il
s’appelle Paul Le Cour (1871-1954). À Paris, il fréquente différents groupes
ésotériques. Il cherche, inlassablement, des réponses aux grandes questions
spirituelles. Mais comme souvent sur ce sentier étroit, la route est longue,
épineuse, épuisante parfois. C’est une de ses relations tissées autour de cette
Quête qui lui parle la première fois de Paray-le-Monial. Ami énigmatique,
versé dans l’hermétisme : Pierre Dujols (1862-1926). Propriétaire de la
Librairie du Merveilleux, véritable pierre angulaire de l’ésotérisme parisien
de ces premières décennies du XXe siècle, Dujols est au centre d’une
étonnante toile mystériologique, qui relie entre eux les plus importants
hermétistes et alchimistes de cette période.
Alors que Paul Le Cour s’ouvre à l’énigmatique libraire de ses
préoccupations, Pierre Dujols lui répond : « Vous cherchez l’illumination ?
Allez donc voir à Paray-le-Monial s’il n’y a pas quelque secret à découvrir
» 1. L’injonction est sibylline. Mais Le Cour sait à qui il parle. Il sait quel
Mystère entoure son interlocuteur. Alors, le 23 novembre 1923, il prend le
train pour Paray-le-Monial. Il ne sait pas ce qu’il doit y chercher. Il erre, de
basilique en église, assiste à des cérémonies religieuses, attend
l’illumination promise. Elle ne vient pas. La déception est cruelle. Il veut
quitter la ville, mais il n’y a pas de train pour Paris avant la soirée. Il entre
dans une pension, au hasard. Il souhaite déjeuner. Il ne reste plus de table
libre, on lui propose, s’il est d’accord, de partager celle d’une vieille dame.
Il accepte. Sans qu’il le sache encore, le fil mystérieux de l’existence l’a
conduit précisément où il devait être.
Il s’ouvre assez vite à sa convive de la raison de sa venue, et de sa
déception. C’est alors que la vieille dame lui déclare : « Et si c’est moi qui
suis en mesure de vous apporter ce que vous cherchez ? » Elle garde en
effet bien des secrets du Hiéron. Des secrets dont elle ne lui parlera pas en
public, mais lorsqu’ils se retrouveront seuls. Après avoir quitté le
restaurant. Elle s’appelle Jeanne Lépine-Authelain, et a été la secrétaire du
baron de Sarachaga.
Cette première rencontre durera plusieurs heures. Paul Le Cour en
repart avec quelques ouvrages qui lui permettront de mieux comprendre ce
que fut l’œuvre de Sarachaga, mais aussi une photographie du Graal,
probablement la coupe exposée en la cathédrale de Valence en Espagne. Le
cliché du Graal le marque. « L’idée du Saint-Graal me travaille
inconsciemment, une voix secrète me dit qu’il est encore comme jadis le
centre d’un groupe d’initiés, d’une milice sacrée et non un simple objet de
musée ou de trésor d’église », écrit-il à Jeanne Lépine peu après avoir
regagné Paris. Énigmatique, sa correspondante lui répond que le Graal fut
dès l’origine un signe de ralliement, qu’un nouveau cycle de gloire lui sera
bientôt consacré, et que le baron de Sarachaga en a été le « premier
champion ».
Ainsi le voile a commencé à se lever sur le mystère du Hiéron. Paul Le
Cour va continuer à chercher à le percer à travers la correspondance qu’il
engage avec Jeanne Lépine. Correspondance régulière : deux ou trois lettres
par mois, à travers lesquelles Le Cour interroge sans prendre de détour. Il a
compris que derrière l’aspect visible des choses – derrière cette entité
publique qu’est l’Ordre créé par Sarachaga – il existe un Ordre invisible.
Sarachaga n’a pas agi seul. La création du Hiéron, Le Cour en est certain, a
été commanditée par d’autres. « […] cette œuvre, écrit-il à propos du
Hiéron dans une lettre du 6 février 1925, est certainement une création d’un
homme rattaché à l’Ordre du Temple représenté aujourd’hui par les Jésuites
». Puis il ajoute : « J’en conclus donc que M. de Sarachaga était un initié
Templier Jésuite chargé d’une œuvre de diffusion préparatoire à la grande
évolution qui se prépare pour l’Ère du Verseau. Maintenant où sont ceux
auxquels ils se rattachent ? Suis-je appelé à les connaître, à m’y associer ? »
L’homme qui écrit, est consumé par le désir de voir les Maîtres secrets
dont il a entrevu l’ombre à travers l’incroyable temple syncrétique dédié à
la Tradition de Paray-le-Monial. Sa plume insiste. Avant de clore cette
même lettre, il revient, avec insistance, sur les inspirateurs de Sarachaga.
Écrit, noir sur blanc, qu’il veut les rencontrer. Les hommes dont Jeanne
Lépine lui a donné les noms, ceux qui sont publiquement associés au
Hiéron, ignorent tout du véritable but de ce dernier. Mais Jeanne Lépine
elle-même a-t-elle été suffisamment initiée pour répondre à sa demande ? Et
si elle a été initiée, est-elle en mesure de parler ?
« Reste à savoir si vous pouvez m’éclairer, ou si l’on vous a laissé
ignorer à vous-même les dessous du Hiéron. (Ou encore si vous pouvez
m’éclairer, si vous en avez le droit.) Quant à M. de Rosnay ou au Comte
dont vous me parlez, ce ne sont évidemment que des acteurs secondaires, ils
ne savent rien, inutile donc que je les recherche. Mais où sont les supérieurs
inconnus, les chefs de l’Agartha ? »
Les mois passent. Parallèlement à Jeanne Lépine, Paul Le Cour
s’entretient avec Pierre Dujols. Celui qui lui a indiqué le chemin du Hiéron
doit avoir des informations à son sujet. Mais Dujols reste énigmatique. Il
donne toutefois suffisamment d’éléments pour corroborer l’existence d’un
Ordre derrière le Hiéron. Dans une lettre à Paul Le Cour du 23 février 1925,
il laisse apparaître les membres du Hiéron comme des « Templiers et
Chevalier du Graal ». Il affirme également qu’ils se qualifient d’ « Apôtres
des Derniers Temps ». Pour Dujols, cette appellation se rattache directement
aux prophéties mariales de La Salette. Des prophéties qui distinguent le
clergé des « Apôtres des Derniers Temps », porteurs d’une Connaissance
inconnue de l’Église. Et Dujols de commenter : « Il y a du vrai dans ces
prétentions, mais jusqu’à quel degré ? Certainement le mystérieux monsieur
d’Autun n’est pas étranger à la secte, car il parle la même langue… »
Qui est ce « mystérieux monsieur d’Autun » ? Il se cache sous un
pseudonyme plus énigmatique encore que cette désignation géographique :
« Mathéma ». Le Cour cherchera à l’identifier, à le retrouver, en vain.
Dans sa lettre du 23 février, Dujols lui donnait un autre élément,
confirmant ses propres suppositions : le lien entre Sarachaga et l’Ordre des
Jésuites. Tous deux auraient été en contact avec un même « centre occulte
», très certainement établi quelque part au pays basque. « Chose curieuse et
coïncidence bizarre, Ignace de Loyola était un Basque espagnol. Sarachaga
est de la même région, et Al-Cantara de la Galice. Ils m’apparaissent
comme les délégués et les missionnés d’un centre occulte religieux… »
Les derniers mots de Dujols sont plus énigmatiques encore que les
précédents. Laissent penser qu’il avait au moins entrevu certains des secrets
de la création de l’Ordre et en avait peut-être même une parfaite
connaissance. Après avoir constaté l’échec du Hiéron, il confie en effet à
son sujet : « Mais cet essai sera repris quelque jour sous une autre forme.
Dans tous les cas, vivant ou mort, il gardera vis-à-vis de vous le silence le
plus absolu, car vous n’êtes pas de la “ Maison ”. »
De fait, Paul Le Cour n’entrera pas dans le Grand Secret – bien que s’en
étant suffisamment approché pour que Jeanne Lépine lui laisse entendre à
plusieurs reprises qu’une porte était sur le point de s’ouvrir. « La voie dans
laquelle vous êtes engagé est infiniment meilleure et plus belle, et certes,
vous n’y êtes point seul… Encore quelques pas, et vous vous y trouverez en
famille », écrit-elle le 23 octobre 1923. Le 29 octobre, elle lui affirme
encore : « […] comme vous vous êtes écarté du Mirage Oriental, je veux
dire de la Théosophie, pour vous rapprocher de la Vérité qui resplendit au
Hiéron, j’ai pu vous dire : encore quelques pas, vous ferez partie du groupe
qui marche d’un pas sûr à la clarté éblouissante de l’Évangile et de la
Tradition. »
« […] j’ai pu vous dire ». La formule semblait refléter le fait que Jeanne
Lépine obéissait à des impératifs qui lui étaient dictés. Impératifs
correspondant à un schéma initiatique. Était-elle en contact direct avec les
Supérieurs Inconnus du Hiéron ou des intermédiaires ? Quelques mois plus
tard, le 5 février 1926, elle mourra, asphyxiée accidentellement, emportant
avec elle son secret. Dans une de ses dernières lettres à Paul Le Cour, elle
lui avait promis : « Je mettrai entre vos mains des manuscrits qui ouvriront
des horizons inconnus… et vous fixeront, j’en ai la conviction intime, au
rang de nos meilleurs collaborateurs. »
De quels horizons parlait Jeanne Lépine ? Les documents qu’elle
évoquait ont aujourd’hui tous disparu. Certains avaient été emportés par
Sarachaga à Marseille, où le baron comptait fonder une filiale du Hiéron.
Durant la Seconde Guerre mondiale, une grande partie fut achetée par un
monastère jésuite de Louvain. Les autres – documents et pièces
archéologiques – entreposés dans les sous-sols du Hiéron et accessibles
uniquement à quelques-uns, auraient été acheminés jusqu’à Rome.
Quels étaient ces documents ? De quoi parlaient-ils ? De quels secrets
soulevaient-ils le voile ? La question est condamnée à rester sans réponse.
Pourtant, comme dans toute cette histoire, des fragments épars, des éclats
de vérité permettent d’entrevoir ce qui fut…
o
1. ARES Jacques d’, « L’École ésotérique chrétienne du Hiéron », Atlantis n 252 (mai-juin
1962), p. 290.
53.
LA PIERRE DE FEU
1. MOREUX Abbé Théophile, L’Atlantide a-t-elle existé ?, G. Doin, Paris, 1924, p. 90.
2. MOREUX Abbé Théophile, L’Alchimie Moderne, G. Doin, Paris, 1924, p. 91.
3. LE COUR Paul, Dieu et les dieux, collection Atlantis, éditions Bière, Bordeaux, 1945, p. 211.
4. FULCANELLI, Le Mystère des Cathédrales et l’interprétation ésotérique des symboles
hermétiques du grand œuvre (troisième édition), Société Nouvelles des Éditions Pauvert, Paris,
1985, p. 177.
5. Ibid., p. 206.
6. Ibid., p. 194.
7. Ibid., p. 198.
55.
L’ÉNIGMATIQUE NICOLAS FLAMEL
Paris. Sur les murs de la maison de Nicolas Flamel, plusieurs figures attirent le regard. Elles n’ont pas
un sens hermétique. Pourtant, pour l’âme en Quête, ce vieillard lisant à l’abri d’un claustra évoque la
nécessaire méditation solitaire…
56.
« CE CORBEAU QUI TIENT AU PORTAIL DE GAUCHE
ET QUI REGARDE DANS L’ÉGLISE UN POINT
MYSTÉRIEUX… »
1. HUGO Victor, Notre-Dame de Paris. Tome I, Charles Gosselin, Paris, 1831, p. 304.
57.
NOTRE-DAME DE PARIS, TEMPLE ALCHIMIQUE
Plonger une fois le regard dans les yeux de Notre-Dame, trouver au fond
d’eux la silencieuse Gardienne de Mystérieux Arcanes, modifie la vue. On
ne peut plus dès lors passer à côté de certaines cathédrale sans y voir un livre
couvert d’hiéroglyphes que plus personne ne sait voir. Un bandeau
d’obscurité et d’ignorance s’est déchiré.
Alors que mes pas m’avaient conduit à Lyon, ville hermétique par
excellence, je m’arrêtais longuement devant un de ces bijoux hermétiques
qui émaillent la France d’une aura de Mystère et la révèle à Elle-même. La
Cathédrale Saint-Jean est située dans le vieux Lyon, là où réside l’âme des
anciens Temps de la ville. Où les heures s’effacent pour qui sait ressentir la
permanence du passé. Construite de 1175 à 1480, mélange de roman et de
gothique, la cathédrale possède sa propre magie. Son ornementation peut
exercer sur l’esprit s’attardant à la contempler un puissant pouvoir
fascinatoire.
Sa façade est un amoncellement de visions minéralisées. Pas moins de
328 bas-reliefs, répartis en autant de médaillons et consoles, ornent les
piliers saillants encadrant les trois portails du sanctuaire et les supports
statuaires. Visions bibliques, pour beaucoup. On y retrouve l’Arche de Noé,
comme l’épisode du jardin d’Eden, entre autres. Mais il est, à côté de ces
figurations, d’autres plus étonnantes, qui nous amènent ailleurs. Ouvrent des
Portes dont on ne soupçonne l’existence…
C’est d’abord cela qui fascine. La découverte, dans ce foisonnement, de
méandres secrets où se dissimulent des visions qui surprennent par leur
caractère étrange.
Sous l’une des consoles de la façade, le regard s’arrête sur une singulière
image cachée à l’ombre de la statue qu’elle supporte. Un homme à quatre
pattes, chevauché par une femme, tenant dans l’une de ses mains un fouet et,
dans l’autre, la bride qui enserre la tête de l’homme. La jeune femme
possède un de ces visages pleins de beauté et de grâce engendrés par le
gothique flamboyant. Insuffle à la scène une douceur que rehausse le décor
végétal au sein duquel évoluent les deux personnages.
La scène se réfère au Lai d’Aristote, un fabliau dont la plus ancienne
version remonte à 1220. Il aurait été inspiré par une légende arabe oralement
arrivée en Europe. Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.), précepteur
d’Alexandre le Grand (356 av. J.-C. – 323 av. J.-C.), fustige ce dernier
d’abandonner son œuvre de conquête au profit de l’amour dévorant d’une
jeune et belle Indienne, prénommée Phyllis dans la version allemande du
récit. Écoutant son maître, Alexandre rejette la jeune femme. S’estimant
victime d’une injustice, l’amoureuse éconduite décide alors de se venger.
Avec l’aval d’Alexandre, elle va à la rencontre du vieux philosophe. La
scène se passe dans un jardin. Phyllis a l’intention de charmer Aristote.
Servie par ses grâces, son œuvre de séduction fait immédiatement effet.
Dévoré de désir, le philosophe tombe sous le joug de la belle Indienne. Il
veut la posséder charnellement. La supplie de s’offrir. Phyllis est d’accord,
mais avant de se donner, elle demande à Aristote de jouer le cheval pour
elle. Elle souhaite qu’il la laisse le harnacher afin qu’elle puisse prendre
place sur lui et ainsi se déplacer dans le jardin. Aristote accède à sa
demande. C’est alors qu’arrive Alexandre. Il a tout observé depuis une tour
voisine. Le philosophe est confondu. Il reconnaît que si lui-même, sage
vieillard, s’est ainsi laissé soumettre par « Amors et Nature 1 », il ne pouvait
en être autrement pour le jeune roi.
Cette irruption du profane au milieu de représentations sacrées
caractérise l’ensemble de l’ornementation de l’édifice. Bien que véhiculant
une parole religieuse, toute une partie de cette décoration n’est pas
religieuse. Y apparaît peu à peu autre chose. Le Lai d’Aristote se situe au
niveau des considérations terrestres. N’a rien de fantastique dans l’histoire
qu’il raconte. Mais d’autres images dissimulées dans les recoins de cette
forêt de pierre font franchir le miroir des chimères. Marquent le seuil d’un
monde magique…
… Sous une autre console, une jeune femme caresse avec douceur une
licorne agenouillée tout contre elle. À sa droite, un chevalier perce de sa
lance le flanc de l’animal fabuleux. Scène incompréhensible là encore au
regard contemporain. Seulement déchiffrable à celui qui s’est familiarisé aux
mythes et aux symboles de l’autre Temps…
Selon les bestiaires médiévaux, la licorne ne pouvait être capturée par
aucun veneur. Si bien que les chasseurs ne pouvaient triompher d’elle qu’en
usant d’un stratagème. Ils utilisaient une jeune femme vierge, d’esprit, de
cœur et de corps. La pureté de la jeune femme attirant irrésistiblement la
licorne, celle-ci venait s’agenouiller tout contre elle, appuyant sa tête contre
son sein. C’est alors que le chasseur, traitreusement dissimulé à proximité,
jaillissait et transperçait la licorne de son fer.
La cathédrale de Lyon n’est pas la seule à représenter cette scène. On la
retrouve sur les hauteurs de la cathédrale de Strasbourg. Les auteurs
chrétiens du Moyen Âge ont en effet développé autour de cette tradition
merveilleuse tout une symbolique. Une symbolique d’abord christique : la
licorne figure le Christ venu s’incarner en l’humanité (représentée par la
jeune femme vierge) et traîtreusement mis à mort par le peuple Juif (le
chasseur). Une autre interprétation est de nature morale et édifiante. La
scène est perçue comme un symbole du danger qu’il y a à aimer une femme.
Lorsque l’amoureux s’abandonne à la beauté de l’aimée, alors survient
invariablement la trahison de celle-ci 2.
À Lyon, la licorne était encore représentée sur une autre scène. Elle s’y
approchait d’une jeune femme lui tendant un miroir. Image que l’on retrouve
dans l’énigmatique tapisserie de La Dame à la Licorne (XVe/XVIe siècles).
Que signifiait-elle ? Sur la tapisserie, on l’avait interprétée comme une
probable figuration du sens de la vue. Mais peut-être y avait-il autre chose à
comprendre à travers la sculpture. Car, comme Notre-Dame, la cathédrale de
Lyon avait ses secrets hermétiques. Tous concentrés autour de l’un des trois
portails du séculier sanctuaire. La Porte des Alchimistes.
Autant les symboles jusque-là déchiffrés avaient un sens moral et
édifiant – invitant l’esprit religieux à se défier des attraits du monde, et en
particulier du puissant pouvoir des femmes – autant, devant ce Portail,
l’Adepte devinait un alphabet coutumier. La langue secrète qu’il ne
partageait qu’avec les siens.
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. La façade du sanctuaire est pleine de secrets. Sous les
consoles supportant les statues de la façade, se dissimulent des scènes qui restent invisibles à la
plupart des passants. Il faut en effet s’approcher des murs et lever les yeux pour les surprendre, quand
beaucoup ne regardent l’édifice que de loin. Apparaissent alors des images surprenantes. Là, un
chevalier terrasse une licorne qui s’est laissé attirer par l’innocence d’une jeune fille vierge.
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Une autre licorne, reposant tout contre une jeune fille.
Comme dans la tapisserie de la Dame à la Licorne, celle-ci lui présente un miroir. Au premier degré,
c’est une évocation du sens de la vue. Mais l’image renvoie aussi à une signification plus hermétique.
1. (Vers 401) D’ANDELI Henri, Le Lai d’Aristote publié d’après le texte inédit du manuscrit
3516 de la Bibliothèque de l’Arsenal avec introduction par A. Héron, Imprimerie Léon Gy,
Rouen, 1901, p. 17.
2. CHARBONNEAU-LASSAY Louis, Le Bestiaire du Christ, Albin Michel, Paris, 2011, pp.
339-345.
60.
LA PORTE DES ALCHIMISTES
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Masque de feuilles. De la bouche de l’étrange créature,
poussent des ramures végétales. C’est un motif obsessionnel de la cathédrale. Il ne faut pas y voir une
simple fantaisie décorative mais un symbole du principe générateur de Vie.
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Deux sirènes, dont une est couronnée et allaite son enfant.
Le lait de sirène passe pour avoir des vertus particulières. Gargantua en ingéra étant enfant, et on le
trouve évoqué dans plusieurs traités d’Alchimie.
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Le phénix qui renaît de ses cendres. Symbole hermétique
majeur figurant la renaissance qui marque le terme de l’initiation et le début de la vie nouvelle.
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Une des scènes les plus étonnantes figurant sur la façade
du sanctuaire : une femme nue, étreinte et dévorée par un dragon. On ne peut en comprendre le sens
qu’en se plongeant dans les traités d’alchimie, et plus particulièrement l’Atalanta Fugiens (1617) qui
présente une figure symbolique similaire.
L’emblème L de l’Atalanta Fugiens (1617). C’est l’ultime emblème de cet ouvrage alchimique
majeur, que son auteur clôt en confessant avoir peut-être trop largement ouvert le « sein de la nature »
sur les secrets qu’elle dissimule. Selon le commentaire joint à l’image et à l’épigramme poétique
évoquant l’union du dragon et de la femme, « la demeure des dragons se trouve dans les cavernes de la
terre, mais celle des hommes est sur la terre et dans l’air qui est tout proche : ce sont là deux éléments
contraires que les philosophes commandent d’unir pour que l’un agisse sur l’autre… »
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Lièvres reliés par leurs oreilles, et entraînés par un
mouvement concentrique. Un motif qui perd son sens dans la Nuit des Temps. Mais qui fut employé
par les alchimistes, comme en témoignent les Écrits Chimiques de Basile Valentin.
Gravure extraite des Écrits Chimiques de Basile Valentin. « La chasse de Vénus a commencé… »
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Le corbeau dévore le lièvre. Il est l’image de l’Œuvre au
Noir, phase de la transformation par la putréfaction et la dissolution de l’ancien « corps ». Le lièvre est
pour sa part l’image du désir indompté.
Cathédrale Saint-Jean, dans le vieux Lyon. Une créature évoquant un centaure perce de sa lance un
dragon serpentiforme dont les crocs féroces se referment sur l’arme. Le serpent percé de la lance
dessine un S inversé. Il rappelle ainsi étrangement le sceau de l’énigmatique Cagliostro – celui qui
n’est « d’aucune époque ni d’aucun lieu »…
La voûte de la chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie) est constellée de symboles. Ici
celui de la planète Mercure aussi bien que du « métal » alchimique qui lui est associé : le « vif-argent
».
62.
LE PASSÉ TOUJOURS VIVANT
1. MAGRE Maurice, Confessions sur les femmes, l’opium, l’amour, l’idéal, etc., Fasquelle,
Paris, 1930, p. 5.
2. AUTHIER Catherine, Femmes d’exception, femmes d’influence. Une histoire des courtisanes
e
au XIX siècle, Armand Collin, Paris, 2015, p. 157.
3. « Violettes blanches », in VIVIEN Renée, Poèmes 1901-1910, ErosOnyx, 2009, p. 90.
4. « Victoire funèbre » in Ibid., p. 99.
5. « Les Revenants » in Ibid., p. 106.
63.
L’INITIÉ DES AVENIÈRES
Une des premières choses que je notais après quelques minutes passées
dans le silence du sanctuaire doré, c’est que les Lames du Tarot n’avaient
pas été disposées dans l’ordre. Assan Dina les avait réparties selon une autre
logique. Il y avait en outre une organisation bien particulière. Dans la partie
basse de chaque mur se trouvaient représentées entre deux et quatre Lames,
tandis que la partie haute était occupée par un seul tableau inspiré du Tarot.
Ainsi, les Lames disposées dans la partie basse semblaient-elles être placées
sous l’influence de celle disposée dans la partie haute qui leur était associée.
Je commençais donc mon étrange voyage en levant les yeux sur la lame
disposée en hauteur immédiatement à gauche de la porte de la chapelle.
C’était un paysage fascinant, baigné dans une douce clarté lunaire. Un
chemin le traversait. Il passait entre deux forteresses d’un autre âge avant
d’aller s’effacer dans un horizon montagneux. Au premier plan, à travers les
eaux claires d’un petit marais, un singulier crustacé – une écrevisse – attirait
mon regard. De part et d’autre de l’eau, deux chiens silencieux montaient la
garde, l’un clair, l’autre sombre.
Ce n’était pas là un tableau que l’on regarde pour le plaisir esthétique ou
sentimental. C’était l’invitation, la première, à une profonde méditation. Le
début d’un enseignement mystérieux. Il était formulé dans une autre langue
que la langue commune. Une langue inconnue dont il me fallait retrouver les
clefs.
Celles-ci se trouvaient en partie dans les écrits d’Oswald Wirth. C’est par
eux que je commençais à dénouer les mystères de l’étrange message d’Assan
Dina. À travers les mots de Wirth, les tableaux hiéroglyphiques reprenaient
leur sens perdu.
Le paysage énigmatique sur lequel s’ouvrait le livre de tesselles d’Assan
Dina, la Lame XVIII (la Lune), figure la nuit dans laquelle est plongé le non-
initié. La lune ne fait que dessiner de pâles et incertains contours. L’homme
non éclairé par la Connaissance a une vision du monde similaire à celle-ci. Il
n’en capte que quelques fragments et, pour tenter de le comprendre, use de
son imagination. Mais celle-ci le trompe, et le laisse s’enfoncer dans de
fausses représentations. Le monde dans lequel le non-initié vit n’est que le
produit d’« effets illusoires d’un jeu d’optique mentale ». Pourtant c’est dans
ce monde « que la Lune n’éclaire qu’en partie et très imparfaitement » que
doit évoluer celui qui veut atteindre la Lumière.
Le marais et ses reflets symbolisent cette emprise de l’imagination, mais
enseigne aussi l’origine profonde de celle-ci. « Ce qu’imaginent les poètes
leur est suggéré par une mystérieuse réalité » consigne Wirth. Le Pèlerin doit
donc distinguer l’ésotérisme de l’œuvre imaginaire. Dans le domaine des
croyances religieuses, lesquelles procèdent de l’imagination, il doit
perpétuellement se dégager des croyances mortes qui aveuglent celui qui
veut voir. C’est le symbole de l’écrevisse. Dans le marais, celle-ci dévore
tout ce qui est corrompu. L’écrevisse n’est pas choisie au hasard : lorsque sa
carapace devient trop lourde, elle s’en débarrasse et s’en forme une nouvelle.
C’est la voie tracée par Wirth en matière d’imagination religieuse. La
croyance corporisée, dès lors qu’elle n’est plus adaptée au cheminement de
celui qui cherche la Lumière, doit être rejetée par lui. La Quête est une mue
permanente.
Quant aux deux chiens, ils veillent au maintien de l’illusion trompeuse.
Ils aboient contre ceux qui se refusent à croire ce qui est admis comme vrai.
Le pèlerin est un « hérétique ». Il fait le choix de voir la vérité. Il doit
cheminer entre les chiens hurlant d’un pas ferme afin de ne pas être mordu.
Les deux forteresses près desquelles il passe ensuite symbolisent les illusions
imaginaires dans lesquelles il ne doit pas s’enfermer. Ces tentations
repoussées, il peut suivre le chemin qui le conduit jusqu’aux montagnes dont
les sommets représentent l’illumination à atteindre.
Ainsi le premier tableau composé par Dina constituait-il l’entrée dans la
voie de l’initiation. Donnait les fondements de celle-ci. Les clefs nécessaires
pour parvenir à son terme. Suivait la première Lame, le Bateleur, figuré sous
les traits d’un Égyptien, drapé de lin blanc.
Le Bateleur est celui qui réalise les tours de passe-passe. Dans le Tarot, il
représente l’Illusion du Monde visible. Il est une figure du Dieu d’Oswald
Wirth, un « grand suggestionneur », « l’Illusionniste par excellence, le grand
Prestidigitateur qui nous éblouit par ses tours de passe-passe ».
Au-dessus de la figure du Bateleur, un tracé de feu imprime dans le ciel
le symbole de l’Infini, un 8 couché. Il reprend de façon plus explicite la
forme du chapeau qui, dans le Tarot de Wirth, coiffait le Bateleur. Ce
symbole est primordial pour qui veut comprendre le sens initiatique de la
mosaïque. Qui suit cette boucle du regard la parcourra sans fin. Elle est une
figuration de l’enfermement. Des limites de ce qui est accessible par la
pensée. De la « prison » que constitue le monde d’illusion dans lequel est
enfermé le non-initié.
Ouvrant le Tarot, la Lame I est une claire invitation à entrer dans le
processus initiatique qui conduit le myste à sortir de sa geôle d’illusions. Le
Bateleur est dans la posture de l’initié. Ses pieds sont disposés d’une façon
particulière. Ils forment un angle droit. Dessinent ainsi une équerre. C’est,
comme en d’autres Lames, le langage Maçonnique qui est utilisé pour
signaler le statut de l’homme qui nous fait face. Les pieds à l’équerre est une
des positions du rite Maçonnique dont l’équerre est un symbole majeur.
L’équerre. Image de rigueur. De la maîtrise des passions, des peurs, et donc
de l’illusion.
Devant le Bateleur se trouve un autel de pierre, sur lequel ont été
disposés, conformément au Tarot originel, une coupe, une épée, des deniers.
Tout est éminemment symbolique. D’un doigt, le Bateleur désigne le motif
figuré sur un des deniers : le Sceau de Salomon, formé de deux triangles
enchâssés, l’un blanc, l’autre rouge. Puis l’œil se pose sur la garde de l’épée.
Là encore, la volonté symbolique est patente. La garde est formée de deux
croissants de lune se faisant dos, l’un est d’or, l’autre d’argent. Dans son
autre main, le Bateleur tient un bâton, doté en chacune de ses extrémités
d’un joyau d’une couleur différente. L’un est bleu, l’autre est rouge. Le
bâton a une orientation précise : il est pointé en direction du sceau de
Salomon que désigne le Bateleur.
Toute cette construction très précise délivre un message. Elle met en
scène les quatre grands principes de la démarche initiatique. Chaque objet
incarne l’un de ceux-ci. Le denier figure « le point d’appui concret
nécessaire à toute action ». L’épée symbolise le Verbe qui met en fuite les
fantômes de l’erreur. La Coupe est une évocation du Saint-Graal. Elle
contient la Sagesse à laquelle va s’abreuver l’initié. Le bâton est une image
du sceptre royal. Il incarne la volonté. Wirth associe en outre les quatre
symboles aux quatre verbes clefs de l’Initié : OSER (l’épée), VOULOIR
(Baguette), SAVOIR (la Coupe), SE TAIRE (denier). Ainsi, dans ce
formidable temple symbolique que constitue le Château des Avenières,
Assan Dina trace-t-il une correspondance symbolique entre la chapelle et les
Sphinx disposés dans le parc qui reprenaient jadis cette même formule.
D’autres éléments de la mosaïque font référence à l’initiation. Ainsi de la
fleur poussant aux pieds du Bateleur, symbole de l’éclosion de la
Connaissance. Ce n’est pas une connaissance intellectuelle, livresque,
spéculative. L’initiation à laquelle invite la chapelle est surnaturelle. C’est
une voie occulte, de magie pratique, qui est tracée. Non une abstraite
réflexion philosophique, une projection extérieure d’un chemin qui ne serait
qu’intérieur…
Dans le Tarot originel de Wirth, la tenue du Bateleur avait cinq boutons.
Dans la réinterprétation d’Assan Dina, la tunique de lin ne possède pas de
bouton. Ils ont été remplacés par un pendentif en forme de pentacle. À
chaque extrémité de l’étoile d’or se trouve une perle rouge. Dina a ainsi
conservé le nombre cinq.
Le cinq. Figure de la quintessence. Le fameux Cinquième Élément qui,
depuis l’Antiquité, assure la cohésion des quatre Éléments. À travers ce
signe, c’est la voie alchimique qui se dessine. Celle dont toute la chapelle
rayonne.
Les plus visibles de ces symboles alchimiques sont ceux de la voûte, que
j’ai déjà mentionnés. Chacun associé à un angelot, le Soleil (l’or), la Lune
(l’argent), Mars (le fer), Vénus (le cuivre), Saturne (le plomb), Mercure (le
mercure), et Jupiter (l’étain) y murmurent la nature du Secret ici enfermé.
Mais à force d’observer, je remarquais que cette langue alchimique était
partout présente. Sur la lame du Bateleur, c’était la garde de l’épée, figurant
la Lune et le Soleil dos-à-dos.
Je n’étais pas seulement entré dans une chapelle à la décoration
singulière, j’avais ouvert un véritable traité d’alchimie. Un grimoire
permettant, à qui en suivait les directives cryptées, de dépasser sa condition
d’homme. C’était une magie des Éléments. De forces insoupçonnées
révélées au regard et aux sens.
C’est ce que disait l’Initié de tesselles qui me faisait face. Selon Wirth,
son bâton l’identifiait à un magicien pratiquant. Il « tient sa baguette dans la
direction exacte du denier afin que le feu du ciel capté par la boule bleue du
mystérieux condensateur soit projeté par la boule rouge sur l’objet à
aimanter occultement 1 ». Assan Dina a insisté sur cet aspect de magie
pratique, figurant au centre du denier, et donc du sceau de Salomon, un point
rouge matérialisant la condensation lumineuse produite par la boule rouge de
la baguette.
La mise au jour de l’Invisible.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). Le Bateleur. L’entrée dans la voie
initiatique. Le symbole de l’infini tracé par le feu au-dessus de son chef figure l’illusion enfermante
dans laquelle est prisonnier le non-initié. Le Tarot est comme une carte dans le labyrinthe de la Quête,
il permet de retrouver le Chemin perdu. Assan Dina a glissé dans celui des Avenières de nombreux
détails relevant de la pratique alchimique et dessinant un itinéraire magique. Ici, à l’aide de sa baguette
dont les deux extrémités sont munies de cristaux – l’un rouge, l’autre bleu – le Bateleur condense
certaines forces subtiles sur le Sceau de Salomon, dont il connaît le Secret.
1. WIRTH Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen Âge, coll. Bibliothèque des Grandes
Enigmes, Claude Tchou, Paris, 1966, p. 117.
67.
SOLVE ET COAGULA
1. Fragment 223-224. BRISSON L., Orphée, poèmes magiques et cosmogoniques, Les Belles
Lettres, Paris, 1993, pp. 144-145.
69.
LA LAMPE DE TRISMÉGISTE
En suivant l’ordre dans lequel Assan Dina avait disposé les Lames du
Tarot, j’arrivais devant la seizième : la Maison-Dieu. Un éclair jaillissant du
Soleil frappe le sommet d’une tour dont la partie supérieure – « une terrasse
crénelée d’or, d’où se contemple le Ciel » – vole en éclats sous le coup de la
foudre. La Lame est une mise en garde : il est dangereux de vouloir s’élever
trop haut. Pour que cette règle soit respectée, la Raison – symbolisée par le
Soleil – s’oppose à l’extravagante chimère que représente l’ambition
démesurée.
La Lame suivante – l’Ermite, neuvième figure du Tarot – participe du
même message et véhicule les préceptes déjà rencontrés. L’Ermite est à
l’opposé de la volonté de puissance et d’élévation que représente la Tour
foudroyée. Il est celui qui s’est arraché à la vanité du monde, qui s’est
enfoncé dans la solitude éclairante pour y trouver la vérité. C’est cette vérité
spirituelle que représente la lampe brandie par l’Ermite. Elle lui révèle la
véritable nature des choses. « La clarté dont dispose le solitaire, écrit Wirth,
ne se borne pas, du reste, à éclairer les surfaces : elle pénètre, fouille et
démasque l’intérieur des choses. » Contrairement à celui que dévore
l’orgueil, l’Ermite avance avec prudence sur le chemin qu’il suit. Il tient un
bâton pour sonder le sol sur lequel il va marcher. Son pas est sûr. Solide.
Tout l’inverse de la Tour détruite par l’éclair.
L’Ermite est la figure de l’Initié. En parcourant les pages jaunies du
Dogme de la Haute Magie d’Éliphas Lévi, je retrouvais son exégèse
symbolique : « L’initié est celui qui possède la lampe de Trismégiste, le
manteau d’Apollonius et le bâton des patriarches. La lampe de Trismégiste,
c’est la raison éclairée par la science ; le manteau d’Apollonius, c’est la
possession pleine et entière de soi-même, qui isole le sage des courants
instinctifs ; et le bâton des patriarches, c’est le secours des forces occultes et
perpétuelles de la nature » 1.
Le bâton dessiné par Dina reprenait cette dimension occulte évoquée par
Levi. Il est en effet divisé par sept joyaux alternativement verts et rouges.
Chez Wirth, le roseau tenu par l’Ermite est pareillement divisé par sept
nœuds, image des sept nœuds spirituels que l’Ermite a dénoués dans la
solitude.
Mais là encore, solitude ne veut pas dire ascèse. L’Initié n’est pas celui
qu’anime le « mysticisme ambitieux de vaincre toute animalité ». Il est celui
qui a dompté son animalité et vit avec elle. Sur le Tarot de Wirth, un reptile
serpentiforme marche aux pieds de l’ermite. Il est sous son charme. Lui
obéit. Dina a remplacé cette créature par un chien domestiqué, autre image
de l’animalité apprivoisée.
La figure de l’Ermite, avec sa lampe rayonnante de Mystère, me
fascinait. Mais au-dessus de lui était une figure plus envoûtante encore, la
jeune fille nue aux deux urnes d’or et d’argent penchée sur le lac solitaire –
l’Arcane XVII – l’Étoile.
Ce n’était pas la première fois que je la voyais. Elle avait hanté bien des
hommes en proie à l’appel de l’Invisible. Et bien d’entre eux l’avaient
évoquée dans leurs écrits. La jeune fille aux étoiles m’avait toujours semblé
d’un profond Mystère. Dans l’atmosphère surnaturelle de la chapelle, cette
impression était plus prégnante encore. Je la considérais en silence, la blonde
solitaire dont le corps plein de charmes s’éclairait des lueurs stellaires. Je
cherchais dans son regard bleu nuit les réponses aux questions qu’elle me
posait.
Au-dessus d’elle, brillaient sept étoiles (quatre jaunes et trois bleues) que
surmontait une huitième de plus grand éclat. Pour une âme que les étoiles
ont toujours appelée, c’était l’invitation à une profonde contemplation
méditative. La jeune fille nue prit l’apparence de l’initiée abandonnée à
l’influence des astres.
À travers les mots d’Oswald Wirth je comprenais qu’elle était l’image
d’une progression de plus sur le chemin de l’initiation. Parvenu au stade
qu’elle représentait, l’adepte n’avait plus à formuler de choix. Il n’était plus
la figure hésitante de l’Arcane VI, devant choisir entre la Voluptueuse et
l’Initiée. Il était celui qui ne peut plus se soustraire au chemin choisi. Qui a
trop avancé en lui pour pouvoir faire le choix d’une autre voie. « […] les
astres lui tracent un sort auquel il ne songe pas à se soustraire, puisqu’il
s’abandonne docilement aux influences célestes qui doivent le conduire à
l’illumination mystique. » Dans cet abandon, la jeune fille est
l’aboutissement de l’action entreprise par le Pendu : l’anéantissement de
l’initiative individuelle destiné à lui permettre de communier avec ce qui est
extérieur à lui-même. C’est la destruction du dogme intellectuel enfermant. «
Le Ciel instruira la jeune fille nue, parce qu’elle est vierge de tout
enseignement humain. »
Cette instruction du Ciel est représentée par la petite étoile détachée des
autres, et disposée à la verticale de la jeune femme blonde. C’est la
représentation de son étoile individuelle. Wirth explique que chaque individu
possède un tel astre, « qui est le réceptacle à travers lequel les influences
sidérales se filtrent pour se concentrer sur nous ».
En observant la mosaïque, je relevais une différence notoire par rapport
au Tarot de Wirth. De part et d’autre de l’astre dirigeant les influences
cosmiques sur l’initiée, se trouvaient deux ajouts. Au-dessus, un croissant de
Lune. En dessous, une croix de couleur rouge. Dina plaçait donc l’initiée
sous une influence précise. Qui n’était pas seulement stellaire.
Il semblait ici y avoir deux sceaux distincts, qui auraient pu renvoyer à
deux influences distinctes. Chez Wirth, la Lune figure l’intuition du
sentiment et de l’imagination. La croix semblait pour sa part pouvoir
signifier la religion, ou la spiritualité, en tant que principe actif. Mais cette
idée ne me satisfaisait pas. C’est alors, à force de garder les yeux sur le
symbole, que m’apparut l’évidence. Il ne fallait pas séparer les trois
symboles comme ils l’étaient sur l’image : croissant de lune, étoile, croix.
Mais il fallait, littéralement, rassembler ce qui était épars. Accolés l’un à
l’autre, les trois signes ne faisaient plus qu’un. Se confondaient en un
symbole parfaitement connu : celui de Mercure. Un cercle surmonté d’un
croissant de lune, et porté par une croix !
La dimension alchimique des mosaïques de Dina s’imposait à nouveau.
La Lame de l’Étoile était placée sous le signe de Mercure. À travers cette
clé, je comprenais une autre modification majeure de Dina. En effet, la
transformation de l’étoile personnelle de la jeune fille nue en symbole
mercuriel n’était pas la seule transformation opérée par le concepteur de la
chapelle des Avenières. J’en avais noté une autre qu’il me paraissait tout
aussi déterminant de comprendre.
Comme dans la Lame de Wirth, la jeune femme nue tenait deux vases,
l’un d’argent, l’autre d’or, dont elle déversait le contenu. Mais, dans le
détail, la scène figurée n’était pas la même. Sur le dessin de Wirth, l’eau
déversée par le vase d’or est une eau brûlante, comme en témoigne les
volutes de fumée qui l’entourent. Ce n’est pas le cas sur la mosaïque de Dina
où aucun nuage opaque n’entoure le liquide. L’autre différence marquante
concerne le vase d’argent. Chez Wirth, son contenu est versé sur la terre. Or,
chez Dina, le contenu du vase d’argent est, tout comme pour le vase d’or,
versé dans le lac. Les deux vases alimentaient donc ici la même source. Le
message originel était modifié pour signifier autre chose, d’approchant mais
de différent.
Que signifiait cette modification ? Dès lors que Dina s’éloignait de Wirth
et de ses symboles, son message me paraissait plus difficile à appréhender,
appartenir à une langue perdue, connue de son seul auteur… Chez Wirth, la
jeune fille se confondait à la grande Ishtar, la déesse guerrière et
langoureuse. Celle qui, par ses séductions, invite à l’incarnation et exige de
ses fidèles qu’ils aient le courage de vivre. Wirth était en effet un adorateur
de l’antique déesse. Il traduisit du chaldéen le Poème d’Ishtar, auquel il
adjoignit un long commentaire. 2 Possédé par son image, il la retrouve à
travers la jeune fille aux étoiles, à laquelle il donne les deux visages d’Ishtar.
Elle est la guerrière qui secoue les esprits, appelle à la révolte luciférienne, à
se réveiller des dogmes régnants. Elle est, aussi, celle qui, « dans le pourpre
du couchant », apaise ceux qui ont été à sa hauteur.
Chez Wirth, les deux vases d’eau – la brûlante qui vivifie l’eau
stagnante, la fraîche et fertilisante qui se répand sur la terre assoiffée –
évoquaient ces deux visages de la déesse. Mais en modifiant l’image, Dina
se détournait de cette interprétation voyant en la jeune fille de l’Arcane XVII
une incarnation de « la grande divinité féminine ».
La jeune fille des Avenières était l’Inspirée stellaire alimentant par sa
science spirituelle la source où viennent boire les Initiés. Car c’était bien une
source qui était ici représentée. Versant les deux vases dans l’eau du lac, la
jeune fille ne pouvait représenter autre chose.
Le symbole de Mercure qui lui était associé me révélait la nature de cette
source. En le découvrant, je saisissais que Dina avait discrètement
transformé la Lame originelle pour en faire une représentation de la Fontaine
Mercurielle.
Les vieux manuels d’Alchimie donnent plusieurs représentations de cette
Fontaine. En 1578, le Rosarium philosophorum, édité à Pragues, la
représente, dominée par le soleil et la lune, sous l’aspect d’une fontaine d’où
s’échappent trois jets d’eau 3. À chacun d’eux est associée une énigmatique
formule. « Lait virginal », « Âcre vinaigre », « Eau vive ». Sur la margelle,
est gravée une autre inscription : « Le Mercure, qu’il soit minéral, végétal,
ou animal, est un. » On comprend par là que la Fontaine Mercurielle contient
le principe, le fluide, à l’origine de toute forme de Vie. Que la mystérieuse
source est lieu de régénération.
Figure de la Fontaine de Jouvence d’où jaillit l’eau mercurielle, l’Arcane
XVII n’était ainsi pas sans lien avec la lame que j’allais découvrir l’instant
d’après, en poursuivant le circuit tracé par Dina dans la chapelle.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). La Maison-Dieu. Lors de la Quête, le
myste aspire à l’élévation. La Maison-Dieu est une mise en garde. Celui qui veut dépasser sa condition
d’homme ne doit pas être trop ambitieux. Le soleil, image de la Raison, détruit l’œuvre née de
l’ambition prométhéenne de contempler le ciel. Dans la chapelle, la Maison-Dieu est située face au
Fou. Les deux Lames se reflètent l’une l’autre. Sur l’une le soleil, sur l’autre, la lune. Elles enseignent
le même Message. La même voie d’Équilibre. Et mettent l’une comme l’autre en scène la destruction
qui peut naître de l’absence de cet équilibre.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). L’Ermite. La lampe que brandit l’Ermite
est l’image de la clarté qui naît de la solitude. En détachant le myste des fausses croyances de ses
semblables, la solitude apporte la Lumière à celui qui cherche. La solitude n’est pas la voie de l’ascèse
et de la privation du corps. Aux pieds de l’Ermite, le chien figure l’animalité maîtrisée. L’initiation ne
vise pas à tuer le corps, mais à maîtriser les puissantes forces primordiales qui le régissent en les
spiritualisant par la Connaissance. Ainsi s’accomplit la Résurrection.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). L’Étoile. L’Arcane XVII. La fascinante
jeune fille baignée par les lumières stellaires. La Femme transfigurée par les influx de l’Invisible.
Celle dont la nudité promet la Révélation. Celle sous le signe de qui beaucoup se sont placés. Assan
Dina y a apporté d’importantes modifications. Par celles-ci, il signifie que la jeune fille aux étoiles se
tient devant la Fontaine Mercurielle, autrement dit la Fontaine de Jouvence. La Source de
l’Immortalité.
1. ÉLIPHAS LÉVI, Dogme et rituel de la Haute Magie tome premier : dogme, Chacornac
Frères, Paris, 1930, p. 216.
2. WIRTH Oswald, Le Poème d’Isthar, mythe babylonien interprété dans son ésotérisme,
éditions Alliance Magique, Fleurance, 2013.
3. JUNG C.G., Psychologie et Alchimie, Buchet Chastel, Paris, 2014, p. 116.
70.
RÉSURRECTION
Les mosaïques disposées sur le mur suivant s’ouvraient sur une Lame
liée à la notion de Résurrection : le Jugement (XX). Sur la droite de l’image,
l’œil se pose sur trois pierres funéraires horizontales. Non loin de l’une
d’elles, repose un crâne. À côté, jaillissant de l’herbe verte, le buste d’un
homme sort de terre. Il a les yeux levés au ciel, vers l’ange du Jugement
occupant la partie haute de la mosaïque. Trois autres morts sont déjà revenus
à la vie. Ils se tiennent debout, nus, au premier plan. Un homme
qu’entourent deux femmes. Il embrasse l’une d’elles, blonde, tandis que
l’autre, brune, plus distante, lui prend le bras avec délicatesse.
Cette Lame a subi de nombreuses modifications par rapport à la Lame de
Wirth. Le sens de celle-ci était symbolique. Dans son exégèse, le Jugement
se confond au réveil de la Belle au Bois dormant. C’est la part cachée,
ésotérique, du monde, qui se révèle. C’est la résurrection de l’esprit et non
de la chair – l’aboutissement de l’Initiation. La Lame invite au réveil de
l’esprit. Elle est un appel à se réveiller de l’état de mort dans lequel se trouve
l’individu qui n’a pas franchi le seuil de l’initiation. La lecture maçonnique
que Wirth propose des Lames du Tarot y voit l’accession au grade de Maître.
Chez Wirth comme aux Avenières, les nuées entourant l’ange figurent le
fait que ce qui émane de lui est inaccessible à l’intelligence humaine. Ses
ailes, vertes et bleues, figurent pour les premières la vie spirituelle, pour les
secondes la « pure idéalité céleste ». Mais à côté de ces similitudes, il existe
de radicales différences entre le Jugement de Wirth et celui de Dina. Sur la
Lame de Wirth, il n’est que trois ressuscités, dont un nous tourne le dos.
Leur configuration est totalement différente. Wirth présente un fils entre son
père et sa mère. Le Père et la Mère font face au fils. Le Père incarne la
philosophie, la Mère le sentiment religieux d’amour. Chez Dina c’est,
comme je l’ai signalé, un jeune homme entre deux femmes, dont une qu’il
embrasse, et l’autre qui le prend par le bras. Le sens est donc à nouveau
modifié. Dina, comme pour la Lame précédente, transforme la Lame de sorte
à véhiculer à travers elle un message lié à la magie pratique, à l’alchimie
opérative. Il place sur le front de l’Ange le pentacle qu’il avait positionné sur
le front du Diable. Après avoir maîtrisé les énergies terrestres, l’initié doit
donc acquérir la maîtrise des énergies célestes. Car ce sont celles-ci
qu’incarne l’ange de Résurrection : tout autour de lui, et c’est là encore un
ajout de Dina, sont figurées cinq planètes. Sur la gauche, sont représentées
Mercure et Vénus. Sur la droite : Saturne et ses anneaux, ainsi que, semble-t-
il, Uranus et Jupiter. On retrouve le symbole de Saturne au bas de la
mosaïque, tracé en tesselles d’or…
…Suit la cinquième Lame, le Pape. Son sens est là encore très différent
de celui du Tarot de Wirth. Dina a réalisé de nombreuses modifications
poursuivant l’extraordinaire cryptogramme alchimique tissé aux Avenières.
Chez Wirth, aux pieds du Pape, sont figurés deux hommes, dans deux
postures différentes. L’un étend les bras et lève la tête, l’autre incline le front
sur ses mains jointes. Le premier figure l’homme de foi. Il n’accepte pas
aveuglément la doctrine enseignée mais n’ose pour autant rompre avec la
croyance générale. Le second figure la croyance aveugle. C’est d’un côté la
recherche inquiète de la vérité religieuse, de l’autre l’adhésion confiante à la
croyance : la théologie rationnelle et le sentiment des âmes pieuses. La
figuration des Avenières ne reprend pas cette symbolique. À la place des
deux hommes, sont figurées deux Égyptiennes aux allures de servantes.
L’une est blanche, l’autre est noire. Dina se rapproche ici de l’autre Tarot qui
l’a inspiré, dans une moindre mesure que celui de Wirth, le Tarot thébain de
Falconnier. Sur ce dernier, aux pieds de l’Hiérophante, on retrouve deux
hommes, l’un blanc, l’autre noir. Agenouillés, ils « personnifient le bien et le
mal soumis au souverain maître des arcanes ». C’est donc le contrôle des
deux natures de l’être placé sous l’égide de l’initié que Dina représente.
On retrouve la même symbolique sur l’image suivante : le Chariot
(Lame VII). Dina reste ici fidèle à Wirth jusque dans le détail. Un homme
imberbe est figuré debout sur un chariot que tirent deux sphinges, l’une
blanche, l’autre noire. Sur le Chariot, Dina a apposé deux symboles utilisés
par Wirth, à commencer par les ailes d’Horus, qui figurent la sublimation de
la matière. L’autre symbole, d’origine orientale, est « relatif au mystère de
l’union des sexes » et signifie que « le ciel ne peut agir sur la terre qu’en
s’unissant d’amour avec elle ». C’est cette union des contraires, qui ne le
sont qu’en apparence, que figure le Chariot. Chez Dina comme chez Wirth,
les deux sphinges ne sont en réalité qu’une. Leurs deux corps sont en effet
indistincts. Wirth voit en elles comme une sorte « d’amphisbène à deux têtes
». Chacune tire dans son sens, et c’est de ce double mouvement que naît
celui du chariot. Celui-ci représente donc la maîtrise des forces antagonistes,
leur union dans un même mouvement.
Tout comme le Chariot était lié à la Lame le précédant par le symbole
commun des deux antagonismes, il était lié à la suivante par le globe
terrestre au-dessus duquel il évoluait. C’est en effet sur le globe, également,
qu’est figurée l’Impératrice, la Lame III du Tarot. À quelques détails près,
Dina est resté très fidèle à Wirth. L’Impératrice couronnée d’étoiles est
installée sur un trône. Elle tient un sceptre et un bouclier sur lequel est
représenté un volatile. À droite, sur le trône, pousse une fleur. Le pied
gauche de l’Impératrice est posé sur le croissant de Lune, cornes vers le bas
chez Wirth, cornes vers le haut chez Dina. Une autre différence est à voir au
niveau des ailes de l’Impératrice, repliées chez Wirth, déployées aux
Avenières. Ces altérations, intentionnelles, sont lourdes de sens. En
choisissant de disposer le croissant les pointes vers le haut, Dina va à contre-
courant de la pensée symbolique de Wirth. Modifie le message de ce dernier
pour distiller aux Avenières un autre enseignement.
Lorsqu’il décrit la Lame III, Wirth insiste en effet sur le fait que le
croissant de lune a les cornes tournées vers le bas. Il ajoute que les artistes
chrétiens, s’inspirant de la symbolique Alchimique, disposant le croissant de
lune sous les pieds de la Vierge céleste, « ont souvent commis l’erreur de
tracer ce croissant les pointes en haut ». Or c’est ce parti que choisit Assan
Dina, insistant une nouvelle fois sur l’importance de la Lune dans le
processus qu’il décrit. En fixant l’imposant croissant aux lueurs d’argent, je
me rappelais que Dina l’avait ajouté sur la Lame du Jugement. La lune
dominait les sommets montagneux fermant le paysage théâtre de la
résurrection spirituelle…
Au-dessus de ces quatre Lames, figure la vingt et unième : le Monde.
Une jeune fille au centre d’une mandorle végétale y figure l’« Âme
corporelle de l’Univers ». Elle est le feu central du Monde, ce qui l’anime, se
cache derrière les apparences – la captatrice des forces. Elle tient dans sa
main gauche deux baguettes, l’une surmontée d’une pierre rouge, l’autre
d’une pierre bleue et figurant successivement les énergies ignées et le souffle
aérien.
Autour de la jeune fille sont disposés les symboles des quatre
évangélistes : le lion (Marc), l’Aigle (Jean), le bœuf (Luc) et l’Ange
(Matthieu) derrière lesquels on peut voir le symbole des quatre éléments : le
Feu, l’Air, la Terre, et l’Eau. Wirth les associe également aux étoiles Régulus
(le Cœur du Lion), Altaïr (Lumière de l’Aigle), Adelbaran (l’œil du
Taureau), et Fomalhaut. Ces astres disposés aux quatre points cardinaux
forment une croix dont le centre est l’étoile polaire. Si celle-ci n’est pas
figurée sur le Tarot de Wirth, il semble qu’elle le soit en revanche aux
Avenières, brillant au sommet de la composition comme un radieux soleil
délivrant un message mystique.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). Le Jugement. Les morts se réveillent,
sortent de leurs tombes, s’arrachent à la terre sous laquelle ils étaient ensevelis. La Lame fait référence
au Jugement Dernier, mais ce qu’elle signifie est tout autre chose. Le réveil des morts, c’est le profane
qui se réveille de son ancienne condition, qui atteint l’Initiation. La résurrection dont il est ici question
est l’image du passage entre l’état de mort dans lequel se trouve le profane et la Vie pleinement
consciente en laquelle entre l’Initié.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). Le Pape. Il représente l’Initié. À ses
pieds, deux femmes sont représentées sous les traits de servantes. L’une est noire, l’autre blanche.
Elles symbolisent les forces contraires soumises à la volonté de l’Initié. Le mariage alchimique
accompli.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). Le Chariot. C’est l’image du chaos
coordonné. De la captation bénéfique des puissances opposées, qui, sans cela, se détruiraient l’une
l’autre. Le véhicule représente l’Initié, qui doit rester maître des énergies contraires dont il est le point
focal. La nécessaire union de la nature charnelle et de la nature éthérée est signifiée par les symboles
orientaux et égyptiens figurés à l’avant du chariot.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). L’Impératrice. Son sceptre fleurdelisé
comporte deux joyaux, l’un bleu, l’autre rouge que l’on trouvait déjà, notamment, sur le bâton du
bateleur. C’est le condensateur des rayons subtils. Assan Dina, en inversant le croissant de lune par
rapport à la lame originelle, délivre un processus magique bien précis.
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). Le Monde. La jeune fille incarne le
principe animique, le Feu qui anime toute vie dans le monde. Les symboles des quatre évangélistes qui
l’entourent (l’ange, le bœuf, le lion, l’aigle) figurent les quatre éléments constitutifs de la Matière,
comme le montre leur association à des paysages différents. La jeune fille figure le Cinquième
Élément. En cela, elle est l’objet sacré de la Quête.
71.
AINSI S’ÉVANOUISSENT LES FANTÔMES DE
L’IGNORANCE
La chapelle dorée du Château des Avenières (Haute-Savoie). Il faut s’attarder devant chaque Lame du
Tarot élaboré par Assan Dina. Toutes comportent énormément de symboles. Outre le jeu sur les
couleurs, la posture des personnages, les éléments qui leur sont associés, il faut noter de nombreux
signes hermétiques. Quelques-uns sont présentés ici. Il s’agit des signes associés à (de haut en bas, et
de gauche à droite) a. La Roue de Fortune (Lame X) ; b. L’Empereur (Lame IV) ; c. La Justice (Lame
VIII) ; et d. Le Diable (Lame XV). Certains sont empruntés au répertoire alchimique. Mais d’autres
sont une création d’Assan Dina. Ceux-là sont comme d’obscurs hiéroglyphes dont le sens semble
perdu. À moins que les livres de l’hermétiste ne constituent la Pierre de Rosette permettant de
déchiffrer son Énigme.
1. HAÜSERMANN Pascal, Assan F. Dina ou le Sphinx des Avenières, Yva Peyret éditeur,
Corcelles-le-Jorat, Suisse, 1994, p. 24.
2. DINA Assan Farid, La destinée, la mort et des hypothèses, Slatkine, Genève, 2012, p. 234.
PARTIE IX
OSER – VOULOIR – SAVOIR –
SE TAIRE
Un Ordre invisible qui avait traversé les siècles. Que j’avais croisé à
différents moments de cette Quête. Qui était là, constamment, derrière le
rideau des apparences – mais qui, jamais ne se montrait complètement.
L’Histoire occulte d’un secret d’Immortalité approché et partagé par
quelques-uns…
Il est un fil rouge – un fil d’Ariane – qui traverse ce livre. Ou plus
exactement deux fils. Parallèles. Presque insécables. Le premier est le fil du
Mystère. Le second est tissé par les figures évanescentes de ceux qui ont
pénétré le Mystère. Car il ne fait guère de doute que d’aucuns ont parcouru
jusqu’à son étonnant terme ce Labyrinthe dans lequel je me suis engagé.
Que d’aucuns y ont laissé des jalons, des marques discrètes, destinés à
permettre à qui saura les voir et les comprendre de retrouver le chemin
perdu. Des sociétés invisibles se sont manifestées au fil des siècles pour
dessiner les contours de ces Portes de l’Invisible et permettre à d’aucun d’y
pénétrer s’il sentait brûler en lui le quatuor initiatique : OSER – VOULOIR
– SAVOIR – SE TAIRE.
OSER – VOULOIR – SAVOIR – SE TAIRE. Au fil des siècles, des
hommes avaient cherché à percer un grand Mystère. Un Mystère dont
certaines fraternités avaient eu la garde. Dont elles s’étaient approchées, ou
dont elles avaient été les détentrices. Alors que je couche ces lignes par
écrit, je sens près de moi l’ombre de l’une d’elles. La Rose+Croix. La
Rose+Croix que j’avais sans cesse retrouvée, en bien des Énigmes jalonnant
ce voyage vers l’Ailleurs. Au plus elle devenait consistante, au plus son
ombre s’entourait de brumes épaisses. Car c’était cela qu’elle était : un
Mystère de brume. Ayant en commun avec celle-ci d’être visible et
néanmoins insaisissable.
Qui était l’énigmatique Christian Rosenkreutz qui hantait les écrits de la
fraternité ? Quel insondable Secret avait-il percé lors de son voyage dans
l’Inde lointaine, où, avant lui, s’était rendu Apollonius de Tyane – dont je
ne vais pas tarder à évoquer la figure ? Quel était son lien avec le Grand
Mystère dont la France – véritable Terre du Graal – était la séculière
gardienne ?
Les Polaires affirmaient qu’à son retour d’Orient, Christian
Rosenkreutz, avant de regagner son Allemagne natale, s’était rendu en
Espagne, puis avait traversé les Pyrénées. Selon eux, il avait fait halte dans
le château de Lordat où, à partir de 1931, ils avaient fait des fouilles
effrénées. Fouilles interrompues en 1932, dans des circonstances
surnaturelles. Les Polaires ont alors été rejoints par Ivan Cooke, spirite
anglais, fondateur à venir, avec Grace Cooke, de la Loge Aigle Blanc. Le
spirite anglais, guidé par ses communications avec l’autre monde, pense
pouvoir aider les Polaires à percer le secret de Lordat. Mais, brusquement,
un des Polaires se sent attaqué violemment par des démons. Un épisode qui
marquera la fin de toute espérance.
Les Polaires s’étaient consumés dans la Quête des Secrets de Christian
Rosenkreutz. D’autres les avaient-ils approchés ? Les avaient-ils touchés ?
Tout au long de mon Voyage, j’ai marché dans le sillage de certaines
figures invariablement retrouvées comme des présences familières. Celles –
silencieuses – de ces Adeptes qui ont cherché le Grand Secret. Ainsi, devant
les saisissantes fresques dédiées à la Tradition du Temple du Hiéron du Val
d’Or en Bourgogne comme devant les puissantes mosaïques hermétiques du
Château des Avenières en Savoie, se devine l’ombre de l’énigmatique
Milosz. Malgré le trouble qui entoure l’Histoire du Hiéron du Val d’Or, il
transparaît que c’est par lui que Milosz acquit les Connaissances qui
devaient déterminer le reste de son parcours. Que c’est en ce cénacle
émanant manifestement de la maçonnerie templière qu’il reçut la Mission à
laquelle il consacra la suite de son existence 1. Milosz, par cet intermédiaire,
devint un authentique Rose+Croix 2.
Le Hiéron, terrassé par le Vatican, disparut. Son œuvre se poursuivit
néanmoins sous différentes formes. Paul Le Cour incarna incontestablement
une continuité. Il fut une des branches, la plus visible peut-être, qui reverdit
sur l’arbre mort. Mais il ne fut pas la seule. Milosz incarna une autre
branche. Cofondateur du Groupe des Veilleurs, il y insuffla quelque chose
du Hiéron. Dans ses veines illuminées coulaient les hauts idéaux de
l’antique chevalerie templière. Sous son impulsion notamment, les Veilleurs
devaient participer de ce grand combat de l’Idéal dont ces hommes «
réveillés » avaient senti la nécessité impérieuse. Au-delà de leurs parcours
individuels, ils œuvraient à une évolution positive du monde et de la société
humaine.
Une évolution, non une révolution, comme l’exposa Gaston Revel
(1880-1939), autre membre des Veilleurs, dans une allocution ardemment
pacifiste prononcée lors de l’assemblée inaugurale du Centre Apostolique le
23 février 1919. Milosz, le même jour, donna une direction. C’est,
notamment, par le biais de l’Art, dans les multiples sens que peut prendre ce
terme, que le changement s’opérera.
« Nous attendons les poètes, les vrais, les Dante et les Goethe de cette
époque et nous leur préparons le chemin […]. Le frisson me saisit quand je
pense à Celui qui doit venir […] car tout est vermoulu, putréfié, tout s’en va
en loques 3… »
Les mots, les images ont un pouvoir. Ils peuvent ouvrir en l’homme et
en l’univers des Portes insoupçonnées…
…Ces hommes qui dans l’ombre œuvraient – ces « Nobles Voyageurs »
– n’étaient pas guidés que par leur idéal. Leur force était d’avoir vu. «
Veilleurs ! Veilleurs ! Voyants ! » Ils avaient vu le « divin », l’envers du
monde, l’homme d’avant la Chute.
Certaines correspondances intimes de Milosz l’affirmaient. En 1935,
dans une lettre à un prêtre, Bernard de Gérardon, avec qui il s’est lié
d’amitié, le poète trace des mots énigmatiques. La confession d’un secret.
Ce secret, dont il ne s’est pas encore ouvert, a trait « à une substance
physique qui [lui] a été mise pour ainsi dire dans les mains, et qui explique
la longévité des personnages compris dans la généalogie d’Adam par Seth
jusqu’à Noé. » 4 Retrouver l’état édénique et divin de l’indi vidu était alors
devenu l’obsession de Milosz. Une obsession dont il était certain qu’elle
pouvait être atteinte.
Atteindre cela, devenir « Voyant », tel est le Domaine Mystérieux qui se
cache au terme du Grand Labyrinthe qui sillonne la France. Les lieux
traversés durant la Quête agissent sur celui qui les fréquente, qui prend le
temps d’en soulever les Voiles. Il faut se laisser pénétrer par eux – venir
sans croyance et écouter la grande voix du Silence. Il faut mourir à soi-
même pour entendre ce murmure indistinct à ceux qui n’ont pas accompli
ce grand Combat. Alors ces lieux – ces lieux où souffle l’Esprit – révèlent
leur Grand Secret. Et peu à peu, le simple Voyageur devient Noble
Voyageur.
1. MAGRE Maurice, Mélusine ou le Secret de la Solitude, coll. Les Voix de la France, Édouard
Aubanel, Avignon, 1941, p. 37.
2. Ibid., p. 337.
3. Ibid., pp. 337-338.
4. MAGRE Maurice, Lucifer, Albin Michel, Paris, 1929, pp. 85-86.
5. BEDU Jean-Jacques, Maurice Magre, le Lotus perdu, Dire éditions, Cahors, 1999, p. 236.
6. MAGRE Maurice, Magiciens et Illuminés, Bibliothèque-Charpentier, Fasquelle, Paris, 1930,
p. 34.
7. Ibid., pp. 34-35.
8. Ibid., p. 36.
75.
LE CENTRE DU MONDE MYSTIQUE
Dans ma traversée d’une France hantée par le Mystère, j’ai croisé les
ombres de ceux qui, avant moi, s’étaient laissé happer par l’Appel de lieux
dont l’atmosphère semble dire qu’ils gardent un secret. Il demeurait là le
souvenir d’âmes qui s’étaient parfois toutes entières consumées dans cette
recherche qui leur avait ouvert les portes intérieures d’une autre « réalité ».
Le pouvoir fascinatoire de ces jalons sur le Grand Labyrinthe qui traversait
la France s’expliquait-il, comme le suggérait Maurice Magre, par la présence
d’antiques dépôts magiques ? Au plus je m’enfonçais dans ce Circuit de
Mystères, au plus je découvrais de traditions occultes allant dans ce sens.
Après Maurice Magre, c’est dans l’œuvre métaphysique et poétique de
François Brousse (1913-1995) que je retrouvais ce singulier Fil rouge de
mon Aventure. Étrange figure là encore que celle de François Brousse.
Professeur de Philosophie né à Perpignan. Poète. Métaphysicien. Révélateur
de la dimension invisible du monde. Cette « Quatrième Dimension » à la
perception de laquelle il consacra son existence.
Brousse avait eu, dès son enfance perpignanaise – en cette ville où un
autre visionnaire, Salvador Dalí (1904-1989), avait vu le « Centre du Monde
» – des expériences mystiques en lien avec Apollonius de Tyane. Alors qu’il
n’y avait aucun lien direct entre les deux hommes, il avait laissé, dans ses
écrits, d’étonnantes affirmations similaires à celles de Maurice Magre. Il ne
s’agissait pas, chez Brousse, d’enseignements reçus dans des cénacles
secrets. C’étaient de véritables révélations spirituelles. Des visions
mystiques comparables à celles que pouvaient produire les talismans
magiques décrits par Magre.
1927. François Brousse a quatorze ans lorsqu’il est saisi d’une puissante
vision. L’adolescent, qui depuis l’âge de dix ans s’adonne fébrilement à
l’écriture, est hanté de rêves récurrents où il se voit errer dans de sombres
souterrains. Rêves d’angoisses qui se répètent chaque nuit, pendant un an,
jusqu’à se manifester en plein jour. C’est une après-midi banale. François se
trouve seul au domicile de ses parents, 23 rue Duchalmeau. Il écrit.
Brusquement, il se sent comme arraché à son corps. Une force prodigieuse
l’entraîne dans un abîme, « un souterrain rempli de nuit, d’obscurité 1 ».
Dans ces ténèbres, il devine un point de lumière. Ça n’avait jamais été le cas
dans ses cauchemars nocturnes. Il court. La lumière tombe d’un puits
donnant sur le monde extérieur. Ayant gravi le puits, il croise le regard serein
d’un vieil homme sous un grand ciel bleu. C’est Apollonius de Tyane. Le
sage le conduit jusqu’à une immense pyramide de fer. Entré dans celle-ci,
l’adolescent découvre une grande salle circulaire dont la voûte est portée par
sept colonnes. C’est au sein de celle-ci qu’Apollonius l’initie à la « science
du cosmos » à travers l’enseignement de 108 vérités.
L’adolescent sort profondément marqué de cette expérience. Il est
changé. Il a vu quelque chose en lui. Cette chose, désormais, va guider
chacun de ses pas. Apollonius de Tyane, un des « Maîtres de l’Agartha » 2,
lui a révélé qu’il avait une mission terrestre à accomplir. Toute forme de
doute l’a définitivement quitté. Son chemin fraie entre ce monde et l’autre.
Perpignan devient une ville de mystères où le Temps s’est déchiré.
La même année 1927, il vit une autre traversée du miroir. Il est 19 h 30
passées. Ayant quitté l’étude du Lycée Arago, où il est externe-surveillé,
François marche sous les « froides étoiles de novembre ». Comme chaque
jour, il franchit le pont surplombant le Ganganeil, « étroite rivière aux eaux
sombres. » Arrivé sur l’autre rive, un homme l’accoste. Il est drapé dans un
grand manteau noir. Ses yeux ont quelque chose de particulier. Ils sont
étincelants. Magnétiques. L’homme commence à lui parler du Perpignan
mystique et secret. C’est alors qu’il évoque les dépôts sacrés d’Apollonius
de Tyane. L’un d’eux se trouve dans la ville.
« Vers l’an cinquante de l’ère chrétienne, le génial Apollonius de Tyane a
caché des talismans d’ordre mental dans les entrailles de la Gaule
méridionale. L’un d’entre eux gît et rayonne sous la tour de l’église Saint-
Jacques, à trente-trois mètres de profondeur. Il suffit d’appuyer sa main
droite sur la tour, en invoquant son ange gardien, pour quitter en corps astral
son corps physique et monter par ce moyen jusqu’au Soleil 3. »
Le mystérieux inconnu lui confie ensuite s’appeler Aton. Il dit être le
fondateur de Perpignan, et présente son nom comme un titre : il aurait été
initié en Égypte, à Héliopolis. Là où était adoré le dieu solaire Aton. Après
quoi, le mystérieux interlocuteur affirme : « Mon tombeau repose sous la
colline de Sainte-Colombe, à quelque cent quatre-vingts mètres de
profondeur. » Et d’ajouter : « Je te livre une dernière indication sur mon
tombeau. Quand mes ossements seront découverts, la paix, de son auguste
toge, ombragera toute la Terre. » 4
L’homme au manteau noir disparaît alors que l’adolescent est saisi d’une
forme d’extase mystique après qu’il lui eut posé la main sur la tête. Que
s’est-il passé ? Lorsque peu avant sa mort François Brousse parlera de cet
épisode, il laissera à chacun le choix de juger. « Est-ce un rêve ou une
fantastique réalité ? » Mais il ne fait guère de doute que, pour lui, il a ce
jour-là fait une de ces rencontres extra-dimensionnelles qui hantent ses
écrits. L’image du tombeau d’Aton demeurera en lui jusqu’à ses derniers
jours. En mai 1994, alors que s’esquisse l’ultime année de son existence
terrestre, il en dresse le mystérieux tableau poétique…
« Près de Sainte-Colombe Un mage est enterré Le vol clair des palombes
L’entoure de regrets. Le site de sa tombe Reste encore ignoré L’ouragan et la
trombe Gardent son pur secret. Il a vécu sans faste Soignant l’âme et les
corps Sous les étoiles chastes Pleines d’un grave accord. Son nom sacré
demeure Gravé au cœur de Dieu Son ultime demeure Rayonne au gouffre
bleu. Terminant l’aventure De Rome et de Sion Ceux qui l’invoqueront
Entreront dans la pure Illumination. »
Une étrange Énigme semblait contenue dans ces vers – sorte de presque
ultime testament invitant à retrouver ce qui a été perdu. De quel Sainte-
Colombe était-il question ? Il en existait plusieurs autour de Perpignan, dont
trois pouvaient correspondre à la description donnée… Sainte-Colombe-la-
Commanderie, ancien fief Templiers, où je m’étais rendu lors de mon
voyage dans l’Ombre des Templiers. Une colline baptisée Sainte-Colombe,
tout à côté de l’ermitage de Notre-Dame de Pène, sanctuaire juché sur un
promontoire de roches blanches, qui plus que tous les autres paraissait sorti
d’un rêve. J’avais passé des heures dans ce désert, dont certaines sentes
secrètes étaient comme des portes à travers les siècles. J’avais deviné en les
parcourant le souvenir encore tangible des cultes antiques qui avaient
précédé le christianisme. Le troisième Sainte-Colombe était Sainte-Colombe
de las Illas, plus à l’intérieur des terres, au pied du massif du Canigou…
À nouveau se devinait ainsi l’image incertaine d’un profond Secret
reposant dans les contreforts de la montagne. Perpignan, Port-Vendres, Ille-
sur-Têt… Ces Terres imprégnées d’un Mystère cosmique semblaient sans
cesse murmurer qu’elles étaient les Gardiennes de ce que j’avais toujours
cherché. C’était là que j’avais passé les heures les plus saisissantes de cette
Quête. C’étaient ces Terres qui correspondaient le plus exactement aux
ressentis mentionnés par Maurice Magre à propos des dépôts magiques
d’Apollonius de Tyane. Et c’était vers elles que devait me ramener une
nouvelle découverte qui les révélait comme lieu d’achèvement de ce Grand
Voyage…
Notre-Dame de Pene (Pyrénées-Orientales). Cette représentation ancienne donne une vision quasi
fantastique du sanctuaire. C’est un temple dans le ciel, perdu dans les nuées. Il est vrai que l’on se sent
attrapé par l’Ailleurs lorsque l’on suit l’ancien chemin conduisant à l’église. En marchant dans les
environs, on devine que quelque chose d’autre a précédé cet ermitage chrétien. Et que ce quelque
chose d’autre marque toujours ces lieux de son empreinte d’Étrangeté…
Tour de l’église Saint-Jacques, à Perpignan. À 33 mètres de profondeur sous cette tour, reposerait un
des talismans magiques d’Apollonius de Tyane, intentionnellement déposé là par le mystérieux initié
vers l’an 50. Il y aurait plusieurs dépôts de ce type, principalement situés dans le sud de la France.
Obéissant à un projet bien particulier destiné à sauver l’humanité du Chaos, ces dépôts magiques
donneraient à ces lieux une atmosphère particulière – apte à « réveiller » certaines personnes destinées
à incarner la Lumière dans le grand combat annoncé par l’ère crépusculaire que nous traversons.
Le 17 janvier 2016.