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ISBN : 978-2-35118-473-8
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Remerciements
Avertissement
Prologue
Première partie - Au jardin de soi : l'hospitalité du corps dans l'espace - L'art de s'accueillir
avec bien-veillance
Lucidité et inventivité : faire mûrir le « pensoir » pour une autre lecture du corps
Le principe de bien-veillance bien veiller sur soi-même : une science discrète du corps
Deuxième partie - Dans la confidence du souffle - Des jeux du plein et du vide à l'art
du non-agir
Prélude
Observation : le souffle, le rythme, le rien
Annexe 1
g : « gu » yogin « yoguinn »
ś et ṣ : « ch » suṣumnā « suchumnaa »
Ainsi, tels les yogis primitifs, rupestres, je passe par mon corps
pour m’adresser à ce for intérieur qui, secrètement, me constitue.
Il se manifeste si je m’invite « bien ». Ce « bien » se passe de
protocole religieux, mystique ou social, mais surtout ignore
totalement la notion de « maîtrise ».
Je ne domine rien : j’invite et j’écoute. J’écoute et je m’entends.
Rien ne vient s’opposer à cette connivence tacite.
Je traverse, pendant ce moment d’exercice, un état d’être
bénévolent. C’est concret ; ça existe et me suffit pour colorer ensuite
mon temps de vie en son entier.
Cette fonction d’apnée n’a pas fini de nous livrer ses secrets. La
recherche scientifique commence à publier des résultats au sujet du
silence respiratoire : ce dernier exercerait un pouvoir de stimulation
sur la zone cérébrale responsable de la vigilance et de la
concentration naturelles.
Enfin, nous tous, les persans et les autres, avons le même
corps ! Partout, que ce soit chez les Hindous du VIe siècle avant J.-
C. ou chez les P.-D.G. de nos mégapoles ! Mais, me dira-t-on, en
Occident on ne place pas toujours la respiration en vedette dans les
cours de yoga. Prenons patience, ça viendra avec la formation, la
modestie et la prudence autant chez l’élève que chez l’instituteur de
yoga. Cette découverte correspond en effet à un réel besoin
humain !
En réalité, grâce à l’apport de l’apnée indienne, on assiste
simultanément à un fonctionnement cérébral « assisté », à un
confort physiologique, une trêve dans l’activisme mécanique qui
nous sert d’alibi dans la société.
1. Le terme « for » viendrait du latin forum, désignant l’espace du marché, des affaires,
puis a signifié une autorité (juridique, ecclésiastique). Le sens a évolué et ce terme est
aujourd’hui une métaphore de l’espace intérieur.
Promenade en compagnie d’une yogini
impertinente
S’il fallait choisir, parmi le festin des idées qui s’est déployé au fil
de nos échanges, les mets les plus précieux et consistants,
j’opterais pour ces quatre leitmotive qui ponctuent l’enseignement
d’Eva :
Eva : Ce chemin a été, pour ainsi dire, non choisi, non imposé,
non cherché. Si l’intérêt s’est porté au départ sur le territoire
physiologique, le reste s’est développé naturellement. Le yoga
m’apparaît comme un don : je ne cherche pas, je trouve ! Ce savoir-
faire, on ne peut le classer dans une case par la logique.
Simplement être à l’écoute de cet instrument intuitif, peu banal, le
corps vivant. Ce qui survient peut alors parfois nous effrayer un
peu mais l’inattendu fait partie de la trame. Il y a un petit espace de
conscience appelé pré-conscience qui m’accompagne dans tout ce
qui m’advient. Quand on appuie sur le bouton de l’ascenseur, on sait
déjà duquel il s’agit ! Ce savoir latent intimement tissé à l’intention,
c’est cela la pré-conscience.
Colette : Dans la pensée indienne, cela me semble correspondre
à buddhi, instance médiatrice de l’être. En rapport avec la
conscience universelle, elle capte les éclats du réel et les transmet
au manas (l’organe mental) lié à la conscience du moi, individuelle, à
l’ego (ahaṃkāra). Cette dimension est contact immédiat avec ce qui
est.
Une autre fois, je séjournais dans une grande maison prêtée par
des amis partis en voyage. Mon projet était de boucler un livre. Je
me levais en général vers 4 h du matin, travaillais jusqu’à 9 heures.
Je choisis de me poser près de la grande volière où s’ébattaient
deux perruches. Centrée sur mon labeur, j’éprouvais lors de ces
heures en leur compagnie un état spécial : euphorie toute
mozartienne, harmonie aussi légère qu’un Botticelli. Tout se passa
comme si ces oiseaux ressentaient cet état, certainement
contagieux car quelques temps après leur retour, j’appris qu’ils
avaient enfin pondu, après sept ans, pour la plus grande joie de leur
maître.
Je ne pus m’empêcher de songer que le yoga faisait fructifier un
talent, infiniment précieux, le talent de vivre, c’est-à-dire de cultiver
l’aptitude à vivre une certaine qualité d’expérience. On est
responsable du talent que nous donne la vie, mais aussi de la vie
que nous offre le talent. On se rend compte de cela quand on est
malade et, de fait, d’une certaine manière, privé de liberté.
De rivage en rivage
Poursuivons à présent notre promenade au pays du yoga en
compagnie d’Eva. Quel regard porte-t-elle, du haut de ses neuf
décennies, sur les moments-clés de sa vie qui sont à l’origine de
prises de conscience déterminantes pour sa vocation ? Ce
témoignage est en effet celui d’une yoginī qui a contribué de manière
décisive à la diffusion du yoga en France et en Europe. L’itinéraire
de sa vie, pleine de créativité, porte ainsi sur plus de soixante
années de recherches en ce domaine.
Pour les apprentis-yogin comme pour les professeurs, il existe
une utilité évidente à recueillir un tel témoignage car, non seulement
il encourage à l’audace et à la persévérance, mais il montre, dans ce
cas singulier, les vertus de l’auto-éducation. Comme elle l’a toujours
fait, Eva préfère aller droit à l’essentiel et déteste tout ce qui est
emberlificoté, parole comme pratique ; « ni pompon, ni ruban, ni
volant, s’exclame-t-elle, mais sobre, épuré », c’est ainsi qu’elle
aborde le yoga, avec toute la subtilité et l’efficacité qu’on lui connaît.
Être au plus juste, ajuster le souffle, le mouvement, l’état intérieur,
d’instant en instant, c’est cela vivre dans le spontané.
Cette qualité du regard sur la vie et la transmission du yoga ont
trouvé dans une célèbre devise d’Eva une expression consacrée :
« Nous sommes des jardiniers d’adultes bien-portants »
répète-t-elle inlassablement aux professeurs. Il faut bien lire ici le
sens qu’elle donne à cette expression : les adultes bien-portants
sont ceux qui portent bien leur peine.
Eva : En effet, les deux sont à mes yeux intimement liées. Dans
mon existence, l’élan de vie s’est trouvé intensifié du fait du besoin
d’équilibre et de soin qu’a éprouvé mon corps en raison du problème
de santé dont nous avons parlé. Il m’a aidé à transformer l’épreuve
en « exercice de soi ». Pour moi, dès le plus jeune âge, apprivoiser
mon corps, m’exercer inlassablement, devint une question de liberté.
Seule, désespérément à l’affût de la vie, je rencontrai le souffle
ami et développai un goût immense de liberté. Cette attitude m’offrit
des rencontres pittoresques, savants ou artistes, des
expériences inouïes, en pleine mer ou avec les oiseaux.
De ces expériences fortuites et renversantes, j’ai déduit que le
yoga était bien une science intégrale, conduisant à la coexistence
pacifique avec soi-même, si difficile à réaliser. Plus important que
tout, le yoga nous enseigne à être acteur de sa vie, à vivre avec une
plus grande fluidité. Il est bien autre qu’un divertissement car son but
est le samādhi, la pause intérieure, le parfait établissement en soi.
Colette : Nous avons déjà abordé quelques passions littéraires,
mais qu’en est-il des autres arts ?
AU JARDIN DE SOI :
L’HOSPITALITÉ DU CORPS DANS
L’ESPACE
L’art de s’accueillir avec bien-veillance
« La vie ne compte pas tant par sa longueur mais par sa
largeur. »
Avicenne
Eva : Il est vrai que ces objets rayonnent d’une sensualité sans
âge et exercent sur moi une grande puissance de séduction. De
cette antique culture, je reste éblouie par son regard sur la vie et
l’univers et je conserve une indéfectible amitié avec Paśupati 2, le
Seigneur des animaux… et des yogin. Cette figure centrale de
l’hindouisme (mais qui remonte peut-être à la civilisation de l’Indus),
me parle du temps où les hommes savaient se mettre à l’écoute de
la musique cosmique : ce que nous sommes tous capables de faire,
puisque nous baignons dans cette « petite musique de l’origine »,
même si nous ne l’entendons pas toujours.
L’espace du dedans
Colette : D’où provient cette sensibilité à l’espace ?
1. Cf. « Notre grand et glorieux chef d’œuvre, c’est de vivre à propos. » Montaigne,
Essais III.13.
2. Paśupati est un des multiples noms de Śiva. Il signifie « protecteur du troupeau »,
« berger du bétail ».
3. Si l’on revient à l’étymologie du terme pratique opposé à la théorie ou à la
contemplation, de nature plus abstraite, ce terme désigne une forme d’action. Praktiki
actif, efficace. Praxis signifie en grec action, accomplissement, manière d’agir. Pour
Aristote, c’est l’activité physiologique et psychique ordonnée à un résultat. C’est un
ensemble de pratiques visant une fin, ce qui s’oppose à la passivité.
4. Edward Hall (1914-2009), anthropologue américain, spécialiste de l’interculturel, a
exploré les dimensions cachées de l’espace interpersonnel dans La dimension cachée
et celles du temps dans Le Langage silencieux (Paris, Seuil, 1984). Il est également
l’auteur de La danse de la vie (Seuil, 1994). Il met en lumière dans ses divers ouvrages
les expériences personnelles vécues dans diverses cultures et les diverses manières
d’agir qui leur sont liées : il montre ainsi comment naissent les incompréhensions
mutuelles, et comment y remédier.
5. Cf. Colette Poggi, Visions et expériences du corps in Eva Ruchpaul, Yoga, Sources
et variations, 2005, ainsi que note p. 84.
6. Voir le chapitre Développement de la course du diaphragme in Eva Ruchpaul,
Précis de Hatha-yoga, Stade classique, Paris, Ellebore, 2004, pp. 204-205 ; Pulsions
de diaphragme in Eva Ruchpaul, Précis de Hatha-yoga, Stade fondamental, Paris,
Ellebore, 2004, pp.132-133. Concernant le rythme respiratoire 4-16-8-16, voir
chapitre II Dans la confidence du souffle, 2- Participation : la barcarolle du souffle-
énergie.
7. Mahat, le “grand” principe, désigne, sur le plan universel, la puissance de décision
et d’intuition, alors que buddhi s’applique au plan individuel.
8. Au sens propre, guru désigne le maître authentique, « lourd » de sens. Ce terme
sanskrit est en effet de la même famille que les mots français « grave, gravité ». Il n’est
donc pas, originellement, péjoratif dans la pensée indienne, bien au contraire. Il a pris
de nos jours en Occident cette signification négative du fait de dérives totalement
blâmables.
Le principe de bien-veillance bien veiller
sur soi-même : une science discrète
du corps
Un exemple de séance
- Mise à niveau
Étude respiratoire
le chat à quatre pattes ; salutation au soleil ; préparation au rocking (libération des
tensions dorsales)
- Posture de l’élève
- Yogamudrā en diamant : assis sur les genoux écartés, les mains dans les
plis des aines, descendre le front vers le sol,
- Posture du demi-pont
- Postures d’assise
- Bandha
dos au mur, ou en position de l’élève, respiration alternée : inspirer par une narine
maintenue élargie, expirer par l’autre narine, inspirer par cette même narine,
expirer par l’autre.
- Respiration basse
Une grande respiration, respiration par la même narine à l’inspir et à l’expir (sauf
si rhume).
Vivre en apprenti
« Ce n’est pas le chemin qui est difficile mais le difficile qui est
chemin. »
Simone Weil
1. Jayavarman VII fut l’ultime souverain de l’empire khmer qui régna de 1181 à 1218
( ?). Durant son règne, le bouddhisme Mahāyana devint religion d’État, ce qui explique
la réalisation de la statue au temple de Préah Khan de Kompong Svay (début XIIe s.).
2. Cf. Colette Poggi, Gorakṣa, yogin et alchimiste Paris, Les Deux Océans, 2018.
3. Concernant praxis, voir note 3.
4. Eva préfère ce terme à celui d’« exercice » qu’elle soupçonne teinté de routine et
d’automatisme.
5. Le Bouddhisme, dir. Lilian Silburn, Fayard, Paris, 1977, p. 48.
6. Le nom brahman, qui au neutre désigne le principe universel de l’univers, dérive de
la racine verbale BṚH croître, augmenter, de même que vṛkṣa l’arbre. On pourrait
également rappeler le thème de l’arbre inversé, racines au ciel, branches vers la terre,
symbolisant l’univers, dans la Bhagavad Gītā, par exemple.
7. Cf. le chapitre Fête et transcendance chez les Indiens Pémon de l’Amazonie
vénézuélienne par Elbatrina Clauteaux, in Rites, Fêtes et Célébrations de l’humanité,
dir. Thierry-Marie Coureau et Henri de La Hougue, Paris, Bayard, 2012, pp. 1018-1038.
8. La « marche en singe » appartient à la catégorie des exercices d’échauffement ;
pour résumer, elle s’effectue en marchant sur la ligne extérieure de la voûte plantaire,
en recourbant les orteils en « griffes ». On peut alterner avec une marche sollicitant la
ligne interne du pied. Cette marche est décrite in Eva Ruchpaul, Précis de Hatha-yoga,
Stade classique, Paris, Ellebore, 2004, pp. 132-133.
9. La synesthésie (littéralement en grec union des sensations) correspond en
neurologie à l’association de deux ou plusieurs sens.
10. Voir plus haut : (il s’agit d’) « une respiration de plus grande amplitude, appelée
"grande respiration", ponctuée d’une suspension, aussi naturelle et détendue que
lorsqu’on soupire. Elle sera suivie d’une expiration, jambes allongées, sans aucune
tension, accompagnée d’une suspension de même durée que celle liée à l’inspir. »
11. L’Un, eka en sanskrit, désigne dans les textes hindous la réalité fondamentale,
imperceptible, qui sous-tend toute chose. Ce thème déjà présent dans le Veda, se
poursuit dans les Upaniṣad ainsi que dans les Tantra.
12. Les cakra (prononcé tchakra), « roues » vibrantes, correspondent à des centres
énergétiques du corps subtil. De nombre variable, ils s’étagent le long de l’axe médian
(au nombre de sept en général), depuis la base jusqu’au sommet de la tête. De
nombreux autres centres appelés également padma (lotus) parsèment le corps en son
entier (mains, pieds…). Les représentations de ces roues participent de la symbolique
des couleurs, des formes, des sons (mantra) car chacune est associée à un mantra
essentiel ainsi qu’à une divinité, tandis que chaque pétale est porteur d’un mantra
secondaire.
13. Martin Buber, Le chemin de l’homme, Monaco, Alphée, 2005, p. 20.
14. R. Gransaignes d’Hauterive, Dictionnaire des racines des langues indo-
européennes, Paris, Larousse, 1994.
15. Dans la nouvelle génération, on peut citer Stéphane Benoist, historien de
l’Antiquité, Christiane Berthelet-Lorelle, psychanalyste, Michel Bitbol, philosophe de la
Physique (CNRS), Blandine Calais-Germain, kinésithérapeute spécialiste de
l’anatomie, Valérie Daugé, neurobiologiste, Kiron Mallick, physicien-chercheur au CEA
de Saclay, Mariette Mignet, psychanalyste, Alain Monnereau, médecin chercheur,
Amina Taha Hussein-Okada conservateur au Musée Guimet-MNAAG, Colette Poggi,
indianiste, etc.
16. Jean-Claude Ameisen, La sculpture du vivant, Paris, Points Seuil, 2003. « Le
pouvoir de se reconstruire est lié au pouvoir de s’auto-détruire. » p. 247.
DEUXIÈME PARTIE
DANS LA CONFIDENCE
DU SOUFFLE
Des jeux du plein et du vide à l’art
du non-agir
« Le souffle, c’est la conscience, et la conscience, c’est le
souffle.
Car tous deux résident ensemble dans le corps et le quittent
ensemble. »
Kauśitakī Upaniṣad III.4.7
Prélude
« Le mystère est absolument nécessaire pour qu’il y ait du
réel. »
Magritte
e
Colette : Comment peut-on être yogin au XXI siècle, sur
l’asphalte parisien ?
Eva : Le yoga n’est pas une thérapie en tant que telle. Je dis
souvent que les enseignants de yoga sont des jardiniers d’adultes
bien-portants, qui savent bien porter leur peine. Être capable de
s’adresser à sa vitalité en toute circonstance, de développer ses
ressources internes, sans s’attarder sur ce que l’on a ou pas !
Considérer en premier lieu ce que la nature nous a confié : cela est
signe que l’on est dans la confidence du souffle.
Accueillir le déjà-là, en éclairant cette réalité immédiate par la
confiance et la prévoyance ; celles-ci s’appuient sur la technique
respiratoire d’oxygénation, l’installation d’une neutralité
neurophysiologique. La confiance dans le souffle est une invitation à
savourer l’instant, elle incite à accueillir en soi la préscience, la
prémonition, et ne laisse aucune place au mépris de soi.
« Souviens-toi du souffle ! ».
1. Le terme sattva est formé du participe présent du verbe être AS, sat- (ce qui est,
étant) et du suffixe -tva (le fait de) : le sens de sattva peut se dire, littéralement « le fait
d’être, simplement, sans altération ».
2. Ces deux textes médicaux, les plus importants de l’Inde ancienne, contiennent des
passages forts intéressants sur la conception de l’homme, les préceptes de longue vie
(āyus), socle de l’āyur-veda (science de longue vie).
3. Lilian Silburn, Les Vātūlanātha Sūtra, Paris, de Boccard, 1959. Cf. note 1 p. 87
4. Les termes latins suere (coudre, attacher), sutor (cordonnier, savetier), et anglais to
sew (coudre).
5. Dans les Upaniṣad et le Sāṃkhya, est développée la doctrine des multiples
dimensions du corps ; emboîtées concentriquement, les cinq enveloppes (kośa) se
déclinent comme suit, du plus grossier au plus subtil : enveloppe faite de nourriture
(anna-maya-kośa), enveloppe faite de souffle-énergie (prāṇa-maya-kośa), enveloppe
faite de pensée (mano [manas]- maya-kośa), enveloppe faite d’intuition (vijñāna-maya-
kośa), enveloppe faite de béatitude (ānanda-maya-kośa). Ces cinq enveloppes
correspondent aux trois corps : physique (1er kośa), énergétique (les 3 suivants),
spirituel (le dernier).
6. Cf. dans la partie introductive du livre : Autoportrait par Eva.
7. Cf. Bhagavad Gītā II. 50 « le yoga est habileté dans les actes ».
8. Ajantā, dans le Maharashtra, près d’Aurangabad, site exceptionnel de 30 grottes
bouddhiques, est classé au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Il a été
découvert par hasard en 1819 par des soldats britanniques en patrouille. On pense
que les moines, dès le IIe s. av. JC, venaient y trouver refuge à la saison des pluies ; ils
ont peint et sculpté des scènes d’un exceptionnel raffinement, sur les thèmes
bouddhiques traditionnels.
9. Eva cite ce vers de Rimbaud, qui ouvrent le poème Éternité : « Elle est retrouvée.
Quoi ? — L’éternité. C’est la mer allée Avec le soleil. […] », mai 1872.
10. Le maître cachemirien Utpaladeva (Xe s.), de la même lignée qu’Abhinavagupta,
propose une approche synthétique des souffles liés aux états de conscience. « Le
souffle vital (générique) (prāṇa), se compose de l’expiration (prāṇa) et de l’inspiration
(apāna) qui toutes deux peuplent les états de veille et de rêve ; mais dans l’état de
sommeil profond, le souffle vital prend la forme du souffle égalisé (samāna) qui est par
essence cessation (de toute activité), et comparable aux équinoxes. » Īśvara-
pratyabhijñā-kārikā (IPK) III.2.19 « Celui qui se dresse au centre s’appelle “souffle
ascendant” (udāna), il accomplit le sacrifice du monde connaissable correspondant au
quatrième état. Il concerne tous les sujets conscients depuis les Vijñānakevala
jusqu’aux Mantreśa. Quant au souffle diffus (vyāna), il œuvre dans cet état suprême et
universel qui se situe par-delà le quatrième état (turyātīta). IPK III.2.20. Cf. Colette
Poggi, L’art de l’illumination au cœur du Tantra, Paris, Les Deux Océans, 2018, Le
souffle quintuple et les états de conscience correspondants, pp. 87-93.
TROISIÈME PARTIE
LA CONSCIENCE-ÉNERGIE
Improviser la vie : de la conscience
de l’espace à l’espace de la conscience
« Transformez votre miroir en une fenêtre ouverte sur la vie. »
Magritte
Eva : L’amour envers la vie, cette vie qui nous fonde et que nous
partageons, implique de plonger son regard intérieur sur la face
cachée de la vie. À l’intérieur de nous-même, parmi les flots
mouvants de la pensée, citta, nous parvenons ainsi à la « simplicité
du regard 6 » qui met en contact avec l’Un, l’Originel. C’est une
pause, c’est un silence. Il invite à suivre le courant d’eau vive de la
conscience, semblable à celui qui court dans les strates profondes
des déserts. Le yogin les repère, creuse, s’y désaltère.
C’est cela, la création du yoga à partir de laquelle la vie sans
trêve se réinvente. Compris comme dynamique harmonieuse de la
conscience, le yoga est l’espérance de l’humanité.
1. Les yeux ouverts : ensemble d’entretiens réalisés par Matthieu Galey avec
Marguerite Yourcenar, Paris, Le Centurion, 1980.
2. Dans les versets de Vātūlanātha, sāhasa fait allusion à ce qui survient par hasard,
de manière inattendue, avec une puissance immédiate ; en l’occurrence il s’agit de la
grâce ou « descente d’énergie », śaktipāta.
3. Dans la pédagogie d’Eva, les premiers cours sont toujours individuels.
4. Cf. note 18 à propos de kuśala (habile, adroit), caractérisant le yogin dans la
Bhagavad Gītā.
5. Un autre terme, smṛti, désigne l’attention en sanskrit, il signifie également mémoire
et amour, ces trois notions étant inter-reliées.
6. Pour reprendre le titre du beau livre de Pierre Hadot sur Plotin : Plotin ou la
simplicité du regard, Paris, Études augustiniennes, 1989, 3e édition.
De l’amour, de l’attention, envers la vie
Eva : S’aimer, oui, cela est mon leitmotiv, car, j’en ai peur, une
personne qui se désaime, même innocemment, le fait au détriment
d’autrui. Elle désaccorde l’orchestre (par exemple dans un cours de
yoga). Et ce qui est très étonnant, c’est que cela ne survient jamais
pour des « innocents » invités à leur premier cours de yoga. En
revanche c’est le cas de certains, prétendant avoir acquis une
expérience : alors se manifestent, comme en musique, des
discordances nocives. Ce n’est de fait qu’un yoga extérieur.
Il n’est pas si facile de s’aimer un peu, de s’accorder une
attention bienfaisante. Certains, je le vois bien, entrent dans un
cours de yoga comme un quidam à la croisée des rues, pour faire
une affaire. Le yoga, c’est en priorité un état d’esprit à dévoiler.
Toute la stratégie pédagogique de la leçon tient dans cette intention :
ne pas se malmener, ni vitesse, ni rendement, ni standardisation.
S’accorder une auto-considération juste, c’est honorer toutes ces
strates humaines qui se sont essayées à ces techniques
multimillénaires regroupées sous le nom générique de yoga.
1. Ces deux versets sont ici traduits par Lilian Silburn, on peut en lire le commentaire
dans Lilian Silburn, Le Vijñāna Bhairava, Paris, de Boccard, 1971.
2. « Le yoga est habileté dans les actes », une action qui, de l’intérieur, améliore les
autres. Cf. note 16.
3. Le Vijñāna Bhairava, op. cit. p. 73.
4. E. Herrigel, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, Paris, Dervy, 1980, p. 37.
5. Ce roman d’Éric-Emmanuel Schmitt (La nuit de feu, Paris, Albin Michel, 2015)
raconte l’expérience vécue dans le désert du grand sud algérien, alors que l’auteur se
retrouve seul, perdu, sans provision, dans l’immensité du Hoggar au cours d’une nuit
glaciale. En dépit de tout, il se sent soulevé par une énergie indicible (pp. 135-143).
6. Patañjali est honoré, en tant que médecin, comme portant remède au corps, en tant
que grammairien comme guérissant la pensée et comme yogin comme médecin de
l’âme. Cf. Pierre-Sylvain Filliozat, Les Yoga-sūtra, Paris, Āgamāt, 2005, p. 13 : « Mains
jointes, je m’incline devant Patañjali, le meilleur des ermites, qui élimina le mal de
l’esprit par le yoga, celui du langage par la grammaire, celui du corps par la
médecine. »
7. Cf. note 2 à propos des deux termes dharma, svadharma.
8. Cf. note 1, ainsi que Lilian Silburn, Les Śivasūtra et la Vimarśinī de Kṣemarāja,
Paris, de Boccard, 1980. C’est le sage Vasugupta (IXe s.) qui, selon la tradition,
découvrit ces versets ainsi sur un roc, à la suite d’un rêve. Cf. Colette Poggi, Sept
joyaux du Tantra shivaïte, Paris, Accarias-L’Originel, 2018.
9. Il s’agit de la photo du buste de Jayavarman VII (1181-1218). Cette tête en grès (in
e e
XII s. début XIII s.) représente le souverain du Cambodge sous les traits d’un homme
d’âge mûr, en méditation, les yeux mi-clos, esquissant un sourire indéfinissable,
suggérant un émerveillement subtil. Parfaitement intériorisé, apaisé, centré, ce portrait
laisse rayonner une profonde compassion.
10. Ce livre est paru chez Gallimard, coll. L’air du temps ; Anne Philippe (1917-1990),
femme de lettres française, fut l’épouse du comédien Gérard Philippe.
11. Cf. José Le Roy, L’éveil spirituel, Paris, Almora, 2018.
12. Extraite du sermon In hoc apparuit caritas dei.
13. Ce roman d’Éric-Emmanuel Schmitt (La nuit de feu, Paris, Albin Michel, 2015)
raconte l’expérience vécue dans le désert du grand sud algérien, alors que l’auteur se
retrouve seul, perdu, sans provision, dans l’immensité du Hoggar au cours d’une nuit
glaciale. En dépit de tout, il se sent soulevé par une énergie indicible (pp. 135-143).
Esprit de vigilance, esprit de découverte
Eva : Il est vrai que cette symbolique est très riche. L’espace
vient ici aussi jouer un rôle, la danse étant par excellence un art
dans l’espace.
Eva : On voit bien là les résonances avec notre vie de tous les
jours : l’attraction pour l’information porte les couleurs de notre
humeur, c’est évident. Notre disposition provisoire à comprendre, à
saisir au vol une indication, à se comprendre soi-même, est bien
variable ! Comme une feuille aimantée attire à elle des brindilles
magnétiques, notre réseau « aimante » des informations, soit nous
entraînant vers plus de vie, soit toxiques et destructrices. Il y a des
périodes où tout nous convient : on « est », on vit, on respire d’une
autre manière.
Écrire avec son corps, sur la musique du souffle, une poésie née
du silence. Cette calligraphie corporelle est bien, selon les mots
d’Eva, « une pratique pour rien ! » certes, mais vibrant du plaisir de
se tenir librement dans le courant du souffle ; un art sans art qui se
révèle si l’on demeure sans préjugé par rapport à soi-même, car
« on a tous du talent, on a tous un talent qui nous attend. C’est cela,
l‘insolite saveur du yoga qui se transmet spontanément, sans
pourquoi, et épanouit un goût de vivre, en toute naïveté, en cultivant
l’art du « selon ».
L’art de la « vraie vie »
« Cette inimitable saveur que tu ne trouves qu’à toi-même. »
Paul Valéry
Feuille de route
Au jardin de soi
L’hospitalité du corps ou comment s’accueillir soi-même
À la lumière de la conscience-énergie
improviser la danse de la vie : l’art du « selon »
Coordonnées de l’IER
Le projet pédagogique
Les caractéristiques de la séance constituent le projet
pédagogique de l’enseignant, infiniment modulable et proposé à
l’élève sous forme d’un « contrat » rappelé, précisé et affiné au fur et
à mesure du déroulement de la séance :
- sous forme de thèmes ou de procédés,
- de la mobilisation d’une zone spécifique,
- d’un contrat respiratoire particulier,
- de la mobilisation de zones réflexes, etc.
Les postures
- se construisent en négociation bienveillante avec soi-même,
sans jamais rechercher l’exploit, la performance, sans esprit de
compétition ni avec soi, ni avec les autres ; en équilibrant exigence
et respect de ses limites.
- l’agencement des postures, selon une hiérarchie bien définie,
s’organise en un rituel dont les règles sont particulièrement
exigeantes dans le premier tiers de la séance, un peu plus souple
dans le deuxième, puis finalement l’encadrement est plus libre dans
le dernier tiers.
- l’enseignant respecte l’interrelation des postures entre elles
dans la structure du cours.
2. La technique respiratoire
- en fin de leçon
Respirations alternées lentes : avec une suspension après
l’inspiration de 16 temps.
Changer de narine pour expirer. Le cycle est répété sans aller
jusqu’à la fatigue, l’inconfort
ou la baisse de conscience.
Une grande respiration.
Respirations alternées rapides : alternance d’inspir/expir par une
seule narine, de type « soufflet de forge » bruyant avec le même son
à l’inspir et à l’expir.
Un temps de silence en assise.
L’enseignant pourra opter pour d’autres techniques respiratoires
selon l’objectif du cours, le déroulement de la séance ou l’état du
pratiquant : respirations en balancier, grande respiration.
3. Le déroulement de la séance
- Sollicitation du diaphragme :
Suspension inspiratoire et compression par appui au sol, par les
bras ou par la tonicité abdominale : éveil respiratoire, tonus résiduel
du diaphragme, donc rendement respiratoire amélioré. La
suspension inspiratoire se réalise en octroyant la durée adéquate à
la posture ; celle-ci doit obéit à un « contrat » avec soi-même, en
fonction de ses capacités. Elle indique à l’enseignant l’état de
l’élève, son degré de tonus, de fatigue et d’investissement.
Les Poissons
À cette étape de la séance, l’élève saura tirer profit de la
passivité induite par l’architecture osseuse de la posture. Tout ce qui
a été fait avant, dans les familles de postures précédentes, a
contribué à la mise à niveau :
- articulo-musculaire, par la souplesse articulaire, égalisation des
tensions
- physiologique, par l’amélioration de l’amplitude respiratoire,
l’allègement de la circulation, la détente des zones « spasmées ».
Les Yoga-mudrā
Cette posture de repli vers l’avant fait écho au Poisson, posture
d’ouverture, toutes deux se complétant par leur opposition. Dans le
Yoga-mudrā, les articulations sont sollicitées a contrario ; avec
fermeture des hanches (compression douce du triangle de Scarpa et
remontée viscérale), appui du front au sol et suspension expiratoire
prolongée. Toutes les fonctions se stabilisent en adoptant un rythme
minimum de survie.
1. Préparation au rocking :
2. Pulsions de diaphragme :
3. Tête de vache :
4. Demi-pont :
5. Arc :
8. Rockings :
1. Préparation au rocking :
2. Demi-pont :
3. Arc :
4. Poisson renversé :
5. Cobra :
ou
7. Pince latérale :
8. Rockings pieds joints & tortue :
1. Préparation au rocking :
2. Tête de vache :
3. Demi-pont :
4. Arc :
5. Cobra :
6. Poisson renversé :
7. Table molle, table, puis table en tendant les genoux :
8. Pince latérale :
9. Grande respiration en demi tête de vache :