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RÄMANA M AHARSHI

ŒUVRES RÉUNIES
ÉCRITS ORIGINAUX ET ADAPTATIONS

Traduit de l'anglais
par I
C h ris tia n COUVREUR e t E rançoise DUQUESNE

ÉDITIONS TRADITIONNELLES
Q u ai Saint-M ichel - PARIS Ve
1984
ŒUVRES
DE

RAMANA MAHARSHI

réunies par

ARTHUR OSBORNE
R A M A N J B M A H AR S H I

ŒUVRES REUNIES
Écrits originaux et adaptations

i*. i

M ra
Christian Couvreur et Françoise Duquesne

ÉDITIONS TRADITIONNELLES
Quai Saint-Miefrßi - PARIS - V
AVERTISSEMENT
DE
L'ÉDITEUR FRANÇAIS

Le présent volume contient principalement la


traduction française des COLLECTED WORKS OF
RAMANA MAHARSHI (Madras 1963), comprenant
toutes les œuvres originales du grand sage ainsi que
les adaptations et traductions de textes classiques
sanscrits. A la demande de TAshram, nous avons
inséré dans ce volume aussi un nouveau traité inti­
tulé Spiritual Instruction (XJpadêshâ Manjarî), qui
avait été publié en opuscule séparé à Madras en
I960; ce texte occupe dans notre édition la deuxième
partie, et de ce fait ce qui constituait la deuxième par­
tie de l'édition anglaise des COLLECTED WORKS
est devenu la troisième partie du présent volume.

Tons droits de traduction, d ’a d a p t a t i o n et de reproduction


réservés pour tous pays
PREFACE

Losqu’il réalisa le Soi, le Maharshi Bhagavan


Shri Râmana était un adolescent sept ans ;
il appartenait à une famille brahmine 4© classe
moyenne de l’Inde du Sud. Il fréquentait encore
l’écolé secondaire, Üucune discipline
spirituelle et n ’avait rien étudié en matière de doc­
trine traditionnelle. Grdinairemenf l’étude est né­
cessaire» suivie d’un travail long el ardu, durant
souvent toute une vie, et plus so^SfUt encore in­
complet à la fin de la vi®* Comme disent les Sages,
cela dépend de la maturité spirituelle de l’indi­
vidu. Ce travail de toute une vie est comparable a
un pèlerinage à faire pendant une seule jour­
née : un être atteint le but, ou s’en rapproche
plus ou moins selon l’énergie avec laquelle il active
le pas et selon la distance qui l’en sépare au
moment où il se réveille et se met en route. Ce
n’est que dans de très rares cas qu’il est possible,
comme pour le Maharshi, d’atteindre le but en une
seule enjambée.
Quand on dit que le Maharshi a réalisé le Soi,
cela ne signifie pas qu’il eonnut quelque nouvelle
doctrine ou théorie ou qu’il atteignit quelque état
supérieur ou des pouvoirs miracwteiix, mais que
le « Je » qui comprend où né comprend pas la
doctrine, qui possède: ou ne possède pas de pou­
voirs, devint consciemment identique à l’Atman,
le Soi ou l'Esprit ùnpfeùsel. EêJfàïÿtrshi a lui-même
7
décrit en un langage simple et pittoresque com­
ment cela se produisit.
« C’était environ six semaines avant que je ne
« quitte Madura pour de bon que le grand chan-
« gement survint dans ma vie. Ce fut tout à fait
« soudain. Je me tenais seul dans une pièce située
« au prem ier étage de la maison de mon oncle.
« J ’étais rarem ent malade, et ce jour là ma santé
« n’était pas en cause, mais une soudaine et vio-
« lente peur de la mort me surprit. Rien dans
« mon état de santé ne justifiait cela, et je n’es-
« sayai pas de le justifier ou de découvrir s’il y
« avait quelque raison de crainte. Je sentis simple-
« ment « Je vais m ourir » et me mis à penser à
« ce qu’il fallait faire.. Il ne me vint pas à l’esprit
« de consulter un docteur, mes aînés ou des amis ;
«je sentais qu’il me fallait résoudre le problème
« moi-même et sur le champ.
« Le choc produit p ar la peur de la mort condui-
« sit mon esprit (1) vers l’intérieur et je me dis à
« moi-même mentalement, sans vraiment donner
« forme aux mots : « Maintenant la m ort est venue ;
« que signifie-t-elle ? Qu’est-ce qui m eurt ? C’est
« ce corps qui meurt. » Et aussitôt j ’interprêtais
« intimement la scène de la mort. Je m’étendis,
« les membres allongés, aussi raide que si la ri-

1) [E n a n g la is m in d . — N ous in d iq u o n s, une fo is p o u r
to u te s, que l’expression fra n ç a ise « le m en ta l » est à p re n d re
p a rto u t, d a n s cette é d itio n , a u sens su b s ta n tif, tel q u ’il fu t
em ployé, n o tam m en t, p a r R ené G uénon, d a n s ses ouvrages su r
l ’H indouism e, où il s’en e st servi p o u r re n d re précisém ent le
sa n sc rit m anas. D ans les œ uvres du M aharshi, en ra iso n de sa
p erspective trè s sy n th é tiq u e , la n o tio n de m anas rep résen te
assez ré g u lière m en t l’ê tre in té rie u r d a n s son ensem ble, en
ta n t q u ’e n tité séparée du Soi. Du reste, p a r e n d ro it où la chose
é ta it p lu s n a tu re lle sous le ra p p o rt du style, no u s avons ren d u
m anas p a r « e sp rit » d a n s le sens assez in d éte rm in é de l’a n ­
glais m in d lui-m êm e. P a r co n tre lo rsq u e l’on re n co n trera E sp rit
ou E sp rit Suprêm e, avec m aju scu le, ces term es sont à pren d re
a u sens d’A tm an, de P a ra m â tm a n ou encore de P u ru s n a ].

8
« gidité de la mort était survenue et j ’im itai un
« cadavre de façon à donner une plus grande réa-
« lité à la recherche. Je retins mon souffle et gardai
« les lèvres étroitement closes afin qu’aucun son
« ne puisse s’échapper, afin que ni le mot « Je » ni
« aucun autre ne puisse être articulé» « Ëh bien !
« maintenant, me dis-je, ce corps est mort. Tout
« rigide, il va être porté au bûcher et là brûlé et
« réduit en cendres. Mais suis-je m ort avec la mort
« de ce corps ? Le corps est-il « J e » ? Il est si­
le n c ie u x et inerte mais je sens toute la force de
« ma personnalité et même la voix du « Je » en
« moi, qui s’en distingue. Donc je suis Esprit trans-
« cendant le corps. Le corps m eurt mais l’Esprit
« qui le transcende ne peut être atteint par la mort.
« Cela signifie que je suis l’Esprit qui ne meurt
« pas » . Tout ceci n’était pas une vague pensée,
« mais jaillissait en moi avec intensité en tant que
« vérité vivante que je percevais directement,
« presque sans aucune intervention de la pensée.
« Je » était quelque chose de très réel, la seule chose
« réelle dans mon état présent, et toute l’activité
« consciente liée à mon corps était centrée sur ce
« Je ». A partir de ce moment le « Je » ou Soi
« concentra son attention sur lui-même par une
« puissante fascination. La peur de la mort s’était
« évanouie une fois pour toutes. Dès lors l’absorp-
« tion dans le Soi continua, sans interruption.
« D’autres pensées pouvaient aller et venir comme
« les différentes notes de musique, mais le « Je »
« continuait comme la note fondamentale shruti
« qui est sous-jacente et se mêle à toutes les autres
« notes (1). Que le corps s’adonnât à la parole, à
« la lecture, ou à quoi que ce soit, j ’étais toujours

1) L a n o te u n iq u e q u i p e rsiste p e n d a n t to u te la d urée d’un


m orceau de m usique hin d o u e, com m e le fil s u r lequel les perles
so n t enfilées, rep ré se n te le so i p e rs is ta n t à tra v e rs tous les é ta ts
de l ’être.

9
« centré sur « Je ».Jvm aicelle crise, jeuftavaâs pas
« de perception claire de mon Soi et je n’étais pas
« consciemment attiré par lui. Je ne ressentais pas
« d’intérêt perceptible ou direct pour lui* moins en-
« core quelque inclination à m’y établir en perma-
« nence. »
Une expérience fortuite de l’Identité n’aboutit pas
toujours ni même normalement à la Délivrance.
Elle survient à un chercheur, mais les tendances
inhérentes à l’ego l'obscurcissent de nouveau. *4
partir de là il garde la mémoire, l’inaltérable csa*-
titude du Véritable Etal mais il n’y vit pas de
façon permanente. Il doit s’efforcer de purifier
I!jpPÜ et d’atteindre lt soumission complète
dé sorte pu’il n’y ait plus de tendances pour le
ramener à l’illusion de l’être limité et distinct.
« Pourtant, l’ego oublieux du Soi, même une fois
rendu conscient du Soi, n’obtient pas la Délivrance,
qui Wgm réalisation du Soi, à cause de l’obstruction
des tendances mentales accumulées. Il confond
fréquemment le corps avëe. lis Soi, oubliant qu’il
est lui-même en vérité le Soi » (La Recherche de
Soi-même, chap. « La Délivrance », 2” par.). Le
miracle fut que, dans le cas du Maharshi, il n’y
ait pas eu d’obscurcissement, de retour à l’igno­
rance ; dès lors il demeura constamment conscient
de l’Identité avec le Soi Un.
Après cet éveil, il demeura quelques semaines
avec sa famille, menant apparemment la Vie d’un
éeolier, bien que toutes les valeurs du monde aient
perdu leur signification pour lui. Il ne prêtait plus
attention à ce qu’il mangeait, acceptant avec la
même indifférence tout ce qu’on lui offrait. Il ne
défendait plus ses droits nî n’attachait d’intérêt aux
occupations d’un jeune homme. Dans la mesure
du possible, il se conformait aux conditions de la
vie et cachait son nouvel état de conscience, mais
ses aînés s’aperçurent de son manque d’intérêt pour
10
l’étude et les activités du monde et ils en furent
irrités.
Il y a de nombreux lieux saints en Inde qui
représentent différents modes de spiritualité et dif­
férents types de voies. La sainte montagne d’Aru-
nachala, avec la ville de Tiruvannamalai qui
s’étend à son pied, occupe une place suprême en ce
qu’elle est un centre-support de voie directe de la
recherche du Soi guidée par l’influence silencieuse
du Guru sur le cœur du dévot, cœur secret et sacré
où Shiva demeure toujours en tant que Siddtm
(le Suprême),
C’est le siège de Shiva, qui, sous la forme de
Dakshinamurti (1), enseigne en silence, et que
l’on identifie à Bhagavan. C’est «entre et là
voie où l£ contact physique âvip le Guru n’est
pas nécessaire, mais où renseignement silencieux
parle directement au cœur. Même i i p i t sa réali­
sation, la montagne faisait vibrer le Maharshi et
l’attirait comme un aimant.
« Ecoute ! Il se tient Mont impassible (2). Son
action est mystérieuse. Elle dépasse l’entendement
humain. Depuis l’âge de l’innocence avait brillé
dans mon esprit la pensée qu’Arunachala était
quelque chose d’une grandeur transcendantale (3),
mais même lorsque j’appris par un autre que
c’était la même chose que Tiruvannamalai, je ne
me rendis pas compte de sa signification (à savoir
que c’était un mont). Lorsqu’attiré par lui qui ras-

1) [Manifestation « sudique » de Shiva].


2) [Ç’est-à-dire ne percevant aucune réalité comme distinc­
te de soi-même].
3) « Voir Chidambaram, naître à Tiruvarur, m ourir à Béna-
rès, ou simplement penser à Arunachala, c’est être assuré de la
Délivrance. » Ce couplet est bien connu des maisons brahmines
de l’Inde du Sud.

11
sérénail mon ©«prît, je m’en approchai, je le vis se
dresser immuable (1).
Bientôt, s’apercevant que ses aînés s’indignaient
de le voir vivre „comme un sâdhu alors qu’il dis­
posait des avantages de ta vis de famille, il quitta
le foyer secrètement et partit à Tiruvannamalai
en tant que sâdhu. Jamais plus il ne quitta cet
endroit. Pendant plus de cinquante ans il demeura
lui-même en tant que Dakshinamurti, enseignant
la voie de la recherche du Soi à tous ceux qui
vinrent, de l’Inde et de l’étranger, de l’Orient et
de l’Occident. Un Ashram se développa autour de
lui. Son nom de Venkataraman fut abrégé en celui
de Râmana, et on l’appela également le Maharshi,
c’est-à-dire le Maha Rishi ou Grand Sage, titre
traditionnellement donné à celui qui inaugure une
nouvelle voie spirituelle. Pourtant lorsque ses
dévots parlaient de lui ils l’appelaient Bhagavan.
De même ils lui adressaient la parole à la troi­
sième personne en tant que Bhagavan. La réali­
sation du Soi signifie conscience permanente de
l’identité avec Atman, l’Absolu, l’Esprit, le Soi de
toute chose ; c’est l’état exprimé par le Christ quand
il dit : « Mon Père et Moi nous sommes Un ».
C’est un état très rare et celui qui l’atteint est
généralement appelé Bhagavan, qui est un nom
signifiant Dieu.
Lors de l’arrivée de Bhagavan à Tiruvannamalai
il ne fut pas question de disciples ou d’enseigne­
ment. Il écarta même l’intérêt apparent pour le
monde manifesté, se tenant immergé dans cette
expérience de l’être qui est la Connaissance inté­
grale et la Béatitude ineffable, au-delà de la vie
et de la mort. Que le corps continuât de vivre lui
était indifférent, et il ne fit aucun effort pour le•

• 1) Variante : « Je réalisai qu’il était la Tranquillité Abso­


lue. »

12
sustenter. D’autres le sustentèrent en lui apportant
qu<Étidiennemeat la coupe àe nourriture requise
pour le nourrir; et lorsque graduellement il se re­
mit à participer aux occupations de la vie, ce fut
pour la sustentation spirituelle de ceux qui s’étaient
rassemblés autour de lui.
Il en va de même pour son étude de la philo­
sophie. Il n’avait pas besoin que la raison lui
confirmât la Réalité resplendissante dans laquelle
il était établi ; seuls ses disciples requéraient des
explications. Cela commença par Palaniswami, un
serviteur malais qui nè pouvait lire que le tamil,
et comme du reste il avait beaucoup de mal à lire
même le tamil, le Maharshi lut les livres pour lui
et lui en expliqua la signification essentielle. De la
même façon il lut d’autres livres pour d’autres
dévots et devint érudit sans rechercher ni attacher
de prix à l’érudition.
Il n’y âut pas de changement ou de développe­
ment apporté à sa doctrine au cours du demi-
siècle et plus que dura son enseignement. Il ne
pouvait y en avoir puisqu’il n’avait pas élaboré
quelque philosophie mais simplement reconnu les
exposés de la vérité transcendante dans les
livres, la mythologie et le symbolisme au cours de
ses lectures. Il enseignait l’ultime doctrine de la
non-dualité ou adwaita qui absorbe finalement
toutes les autres doctrines : l’Etre est Un. Bien que
manifesté dans l’univers et dans toutes les créa­
tures, il n’est jamais affecté dans son Soi éternel
et non-manifesté ; de même, comme dans un rêve,
l’esprit qui crée tous les personnages et les évé­
nements que l’homme voit sans rien perdre par
leur création ni rien gagner par leur réabsorption,
ne cesse jamais d’être lui-même.
Certains trouvaient cette idée difficile à accepter,
parce que cela impliquait l’irréalité du monde,

13
mais le Maharshi leur expliquait que le mande
est seulement irréel en tant que monde, c’est-à-dire
en tant que chose séparée, subsistant par soi-même,
mais qu’il est réel en tant que manifestation du
Soi, tout comme les événements que l’on voit sur
un écran de cinéma sont irréels en tant que vie
véritable mais réels en tant que spectacle d’ombres.
Certains craignaient que cela ne niât l’existence
d’un Dieu personnel à qui adresser leurs prières,
mais le point de vue de Uadwaita transcende cette
conception sans la nier, car finalement l ’adora­
teur est réabsorbi; dans l’Union avec l’Adoré. L’hom­
me qui gjafc la prière et le Uféu qu’il prie n’ont
tous dé réalité qu’en tant que manifestation du
Soi.
Comme le Maharshi réalisa le Soi sans instruc­
tion théorique préalable, il attachait peu d’impor­
tance à la théorie dans la formation de ses dis­
ciples. La théorie exposée dans les œuvres qui vont
suivre est toute orientée vers la pratique de la
connaissance du Soi — ce qui ne convie à aucune
étude de psychologie mais à connaître et être le
Soi qui existe derrière l’ego ou mental. Le Maharshi
écartait les questions posées par simple curiosité.
S’il était interrogé sur l’état posthume de l’homme,
il répondait par exemple : « Pourquoi voulez-vous
savoir ce que vous serez quand vous mourrez avant
de savoir ce que vous êtes maintenant ? Découvrez
d’abord ce que vous êtes maintenant ». Il détour­
nait ainsi le questionneur de sa curiosité mentale
vers la quête spirituelle. De même il éludait les
questions ayant trait au samâdhi ou à l’état du
Jnâni (le Connaissant par excellence, celui qui
a réalisé le Soi) : « Pourquoi voulez-vous connaître
ce qu’il en est du Jnâni avant de vous connaître
vous-même ? Découvrez d’abord qui vous êtes. »
Mais lorsque les questions portaient sur la tâche
14
de la découverte de soi il faisait preuve d’une
très grande patience dans ses explications.
La méthode d’investigation en soi-même qu’il
enseigna dépasse la philosophie et la psychologie,
car ce ne sont pas les qualités de l’ego que l’on
recherche, mais le Soi qui se tient resplendissant,
sans qualités lorsque l’ego cesse de fonctionner.
L’esprit n’a pas à suggérer une réponse mais à
demeurer calme afin que la vraie réponse puisse
apparaître. « Il ne convient pas de faire une in­
cantation du « Qui suis-je ? » Posez la question
une fois seulement et ensuite appliquez-vous à
trouver la source de l’ego et empêcher la sur­
venance des pensées », « Trouver la source de
l’ego » implique la concentration sur le centre spi­
rituel dans le corps, le cœur du côté droit, comme
cela est expliqué par le Maharshi. Cette concen­
tration est destinée à empêcher la survenance des
pensées ». « Des réponses suggestives à l’investi-
gation, telles que « Je suis Shiva », ne doivent pas
être données à l’esprit pendant la méditation. La
vraie réponse viendra d’elle-même. Aucune des ré­
ponses que l ’ego puisse donner n’àst la bonne. Ces
affirmations ou auto-suggestions peuvent être une
aide h ceux qui suivant d’autres méthodes mais
non pas dans cette méthode d’investigation. Si l’on
ne cesse pas de poser la question la réponse vien­
dra ». La réponse vient comme un courant de
conscience dans le cœur, par à-eoups au début et
obtenu seulement par un effort intense, mais elle
gagne peu à peu en puissance et en constance,
devenant plus spontanée, agissant comme un frein
sur les pensées et les actions, Sapant l’ego, jusqu’au
moment où celui-ci disparaît finalement et où
demeure la certitude de la pure conscience.
Telle qu’elle est enseignée par le Maharshi, la re­
cherche dh lSoi comprend aussi bien le karma-mâr-
ga que le jnâna-mârga, la voie de Faction que celle
15
de la connaissance, car elle doit être utilisée non
seulement comme thème de méditation mais aussi
en l’appliquant aux événements de la vie, en don­
nant l’assaut aux manifestations d’égoïsme et en
demandant à qui survient la bonne ou la mau­
vaise fortune, le triomphe ou le désastre. I)e cette
manière, les circonstances de la vie, loin de faire
obstacle à la sâdhanâ (1), deviennent moyens de
la sâdhanâ. Par conséquent ceux qui demandaient
s’ils devaient renoncer à la vie du monde en étaient
toujours dissuadés. Au lieu de cela il leur était
prescrit d’accomplir leur devoir dans la vie de
façon désintéressée.
La recherche du Soi comprend aussi la voie
d’amour et de dévotion. Le Maharshi disait : «H
y a deux voies : ou bien demandez-vous « Qui
suis-je » 7 ou alors soumettez-vous (2) A une autre
occasion il dit : « Soumettez-vous à moi et j’abat­
trai le mental » Nombreux furent ceux qui suivi­
rent, par l’amour, cette voie de soumission à lui.
Elle conduisait au même but. Il disait : « Dieu,
Guru et Soi ne sont pas vraiment différents mais
le même ». Ceux qui suivaient la voie de la re­
cherche du Soi cherchaient le Soi intérieurement,
tandis que ceux qui s’efforcaient d’atteindre le
but par l’amour se soumettaient au Guru mani­
festé extérieurement. Mais les deux voies étaient
les mêmes. Cela est plus clair que jamais pour
ses dévots maintenant que le Maharshi a quitté le

, 1} [La voie de ré a lisa tio n ],


2} [C ette p a ro le bien caractéristique et particulièrem ent ins­
tru ctiv e d u M aharshi ne se trouve incluse dans aucun des textes
de ses œ u v res proprem ent dites, m ais elle est rappelée encore
p a r 1’ « e d ito r » anglais dans l’introduction q u ’il fa it au traité
« La R echerche de Soi-même » (Self-E n q u iry), fig u ran t en tête
du présent recueil. On en trouvera égalem ent le rappel sous une
form e voisine, d a n s une réponse donnée p a r l ’A shram et que
cite une n o te de notre édition au propos in troductif des
P oèm es].

16
corps et est devenu le Guru intérieur dans le cœur
de chacun d’eux.
Ce fut ainsi une voie nouvelle et intégrale que
le Maharshi ouvrit à ceux qui se tournent vers
lui. L’antique voie de la recherche du Soi était
pur jnâna-mârga qui devait être suivie en médi­
tation silencieuse par l’ermite et, du reste, les Sages
l’avaient considérée comme inadéquate pour cette
fin du Kali-yuga, l’âge spirituellement sombre dans
lequel nous vivons. Ce que fît Bhagavan ne fut
pas tant de restaurer rancienne voie que d’en créer
une nouvelle adaptée aux conditions de notre âge,
une voie qui peut être suivie en ville ou chez soi
pas moins que dans la forêt ou dans un ermitage,
comprenant une période de méditation chaque jour
et une constante souvenance tout au long des acti­
vités de la journée, avec ou sans le support de
pratiques extérieures.
Le Maharshi écrivit très peu. Il enseigna surtout
par le pouvoir formidable du Silence Spirituel. Ce­
la ne signifiait pas qu’il se refusait à répondre aux
questions qu’on lui posait. Dès lors, qu’il les es­
timait posées avec un motif sincère et non par
curiosité désœuvrée, il y répondait exhaustivement
de vive voix ou par écrit. Cependant c’était l’in­
fluence silencieuse sur le cœur qui était l’ensei­
gnement essentiel.
Presque tout ce qu’il a écrit répond à quelque
requête, pour satisfaire aux besoins précis de quel­
que disciple, et c’est pourquoi l’éditeur a rédigé
une courte note introductive au début des diffé­
rentes œuvres pour expliquer au lecteur leur ge­
nèse. Mais le besoin particulier qui les suscita n’en­
lève rien à l’universalité de leur portée.
Il faut faire remarquer que les stances qui com­
posent les œuvres en vers ne sont pas présentées
dans l’ordre de leur composition, mais dans celui
que Bhagavan lui-même établit ultérieurement à

17

2
l’intention d’un disciple (1) qui les collectionnait
à titre personnel, et c’est à ce recueil privé que
nous l’avons emprunté.;, j
Un mot au sujet de la traduction. L’Ashrarh
est en possession des 'traductions des différentes
p fM w et parfois de plusieurs traductions paral­
lèles ; le rôle de l’éditéur anglais qui devait en
pteihier lieu NNBflpj au sëtfé1s’est borné’S ett choiéir
une et à en améliorer l’anglais le cas échéant

Arthur O s b o r n e

• 1) Sadhu Arunachala (le Major A.W. Chad’wick). '


2) [La ; version française -essaie de conserver au mieux les
m érites de la traduction anglaise ; les notes aj^ictées dans la
traduction française sont incluses entre crochets.]

18
PREMIÈRE PARTIE
ŒUVRES ORIGINALES
UTf
A. PROSE

LA RECHERCHE DE SOI-MEME
(V ic h a r a S a n g r a h a ) (1)

La Recherche de Soi-même est la première œuvre


du Maharshi. Elle fut écrite vers 1901, lorsqu’il avait
environ vingt-deux ans. Mais il était déjà un jnâni
ou sage ayant atteint la parfaite réalisation du
Soi, la béatitude resplendissante de la Science di­
vine. A cette époque-là, il vivait dans la grotte de
Virupaksha sur la montagne d’Arunachala. Un
groupe de dfÇùiptes s’ëiuit déjà formé autour de
lui. Bien qu’i l qM B pas fait vœu de sÜemm, il
parlait rarement •; m w P dans, de telles circonstances
que l’on ¡gÉS .m livre de. conseils qu’il rédigea lors­
qu’un de ses disciplesr Gambhiram Seshayya, <lt-
manda guidance.
Il n’y a pas de marque de juvénilité ou d’im­
maturité dans &etê& oâmre. Le Maître s'exprimait
déjà avec l’autorité d’une pleine connaissance spi­
rituelle, tel qù’il le fera jusque dans ses dernières
années. Comme tous ses exposés oraux ou écrits
cet ouvrage traite des problèmes pratiques de la
voie de réalisation du Soi ; ce n’est &. aucun mo­
ment une théorie aride. Toutefois Ü se distingue1

1. [Self-Enquiry dans l’édition fiSigiaise de ÜBd*»s].

21
sur un point important des exposés ultérieurs :
il ne décrit pas seulement le chemin de la recherche
du Soi* mais d’autres chemins aussi, tels que la
méditation sur l'identité avec le Soi et un ache­
minement goguique basé sur le contrôle de la res­
piration. Quant à lui, il prescrit seulement la re­
cherche du Soi ou la soumission au Guru. « Il y a
deux voies, disait-il souvent, demandez-vous « qui
suis-je ? » ou soumettez-vous ».
Pourquoi a-t-il inclus dans ce premier exposé
la mention de méthodes moins directes et plus
élaborées ? La raison évidente est de caractère
contingent : le disciple pour lequel il fut écrit
avait lu des livres sur ces différentes méthodes et
posait des questions à leur sujet. Peut-être aussi,
dans une perspective plus large, était-il approprié
qu’il fît d’abord un exposé général de différentes
méthodes avant d’enseigner toute sa vie durant
celle qu’il prescrivait. Il est certain que même s’il
décrit les autres méthodes, il les recommande fort
peu. Pour montrer le peu de cas qu’il faisait de
la méditation sur l’identité avec le Soi, il dit page
48 « ... c’est encore une pensée, seulement c’est une
pensée nécessaire pour les esprits très adonnés à
la réflexion ». Il affirme nettement page 49 que les
chercheurs les plus qualifiés suivent le chemin de la
recherche du Soi, ceux qui le sont moins méditent
sur l’identité, tandis que ceux qui sont à un niveau
encore inférieur, pratiquent le contrôle de la res­
piration. De plus, après avoir donné un bref aperçu
de la voie goguique basée sur le contrôle de la res­
piration, il dit page 53, que celui qui désire en
savoir plus à cê sujet doit aller voir un yogi qui pra­
tique et enseigne cette méthode. Ceci indique clai­
rement que lui-même ne le faisait pas.
Bien entendu, le contrôle de la respiration tel
qu’il est décrit n’est pas un simple exercice phg-

22
sique. La portée spirituelle de l’exercise est fondée
sur une science très étendue. « Science » est en effet
le mot exact, car il s’agit bien d’une science ¡ra­
tionnelle hindoue de purification personnelle. C’est
ce qui d’ailleurs la rend abstruse pour le lecteur
occidental ne possédant pas de formation préa­
lable dans ce domaine, surtout du fait que, comme
toutes les sciences, elle a son vocabulaire technique
qui ne permet pas de traduction adéquate, sinon
accompagnée de notes importantes. On doit se sou­
venir qu’en écrivant cet exposé, le Maharshi savait
qu’il pouvait compter sur une connaissance techni­
que de la science en question chez la personne
pour laquelle il écrivait. Les lecteurs occidentaux
se consoleront à l’idée qu’il ne recommandait ni
ne prescrivait cette voie et que dans ses dernières
œuvres c’est à peine s’il la mentionne. Il n’est
donc pas nécessaire pour eux d’apprendre les ex­
pressions techniques correspondantes.

23
h - LA QUETE DU SOI
(Atmâ-Vichâra) (1)

D ans ce cha p itre, est c la ire m e n t in d iq u é e la voie


de la re ch erch e d u S o i, ou « Qui suis-je ? *

Le sens du «je » n’est-il pas naturel à tous les


êtres, puisqu’ils l’énoncent couramment dans des
expressions comme : « Je venais », « J’allais », « Je
faisais» ou « J’étais » ? A la réflexion nous décou­
vrons que le « Je » est identifié avec le corps parce
que les mouvements et fonctions similaires sont le
propre du corps. Mais le corps peut-il être cette
« conscience du Je » ? Il n’existait pas avant la nais­
sance, il est composé des cinq éléments, il est absent
durant le sommeil, et finalement, il devient un cada­
vre. Non, ç’est impossible. Ge sens du « je » qui éma­
ne pour l’instant du corps est par ailleurs appelé ego,
ignorance, illusion, impureté, ou soi individuel. Le
propos de toutes les Ecritures est cette quête (du
Soi). Il y est dit que l’annihilation du sens de l’ego
c’est la Délivrance. Comment peut-on dès lors
rester indifférent à cet enseignement ? Le corps,
qui est aussi insensible qu’un morceau de bois,
peut-il briller et agir en tant que « je » ? Non.
Par conséquent laissez de côté ce corps insensible
comme s’il était vraiment un cadavre. Ne murmurez
pas même « je », mais recherchez avec acuité en
vous ce qu’est ce « je » qui brille maintenant dans
votre cœur. Sous le flot incessant des pensées va-1

1. [Enquiry into the Self dans l’édition de Madras}.

25
riées, surgit la conscience continue, ininterrompue,
silencieuse et spontanée du « Je-Je », au fond du
cœur. Si on le saisit et que l’on reste tranquille, il
annihilera complètement le sens du « Je-Je » dans
le corps et disparqîtra. lui-même comme du cam­
phre enflammé. Les Sages et les Ecritures procla­
ment que ceci est la Délivrance.
Le voile de l’ignorance ne peut jamais cacher
complètement le Soi. Comment le pourrait-il ?
Même l’ignorant ne peut manquer de dire « je ». Ce
voile cache seulement la réalité que « je suis le
Soi », ou que « je suis pure Conscience », et fait
confondre le « je » avec le corps.
Le Soi resplendit de soi-même. Point n’est be­
soin d’en donner de quelque façon une image men­
tale;, La pensée qui le conçoit est elle-même une
condition limitative, parce que le Soi ,est la Splen­
deur qui transcende obscurité et lumière ; on ne
peut le concevoir avec le mental (manas). Une telle
image .entraîne une limitation, alors que le Soi
brille spontanément en tant que l’Absolu. Cette
quête du Soi par la méditation adorative évolue
vers l’état de résorption du mental dans le Soi
et conduit à la Délivrance et au Bonheur absolu.
Les grands Sages ont déclaré que la Délivrance
ne pouvait être atteinte qu’à l’aide de cette recherche
adorative du Soi. L’ego sous la forme de la pensée
« je » (ahankâra) (1) étant la racine de l’arbre de
l’illusion, sa destruction abat l’illusion, de même
qu’on abat un arbre lorsqu’on en coupe les racines.
Cette méthode simple de l’annihilation de l’ego est
seule digne d’être appelée bhakti (voie d’amour),
jnâna (connaissance), yoga (union), ou dhyâna
(méditation).1

1. [En anglais I thought].

26
Dans la conscience « Je suis le corps » sont conte­
nus les trois corps (1) constitués par les cinq
enveloppes (2). Si ce mode de conscience est éli­
miné, tout le reste tombe par là-même ; tous les
autres corps en dépendent. Il n’est pas nécessaire
de les éliminer séparément parce que les Ecritures
déclarent que la pensée seule est le lien qui les
retient. Finalement les Ecritures enjoignent que la
meilleure méthode est de Lui soumettre (à Lui, le
Soi) le mental sous la forme de la pensée « je » et,
gardant une tranquillité absolue, de ne pas L’ou­
blier.

1". Le monde sensible, le monde subtil et le monde informel


(causal) correspondant respectivement aux états de veille, de
rêve et de sommeil profond.
2. Les enveloppes corporelle, animale, mentale, intëllective
et « béatitudinale ».

27
IL - LA NATURE DU MENTAL
(Manas Lakshanam) (1)

Ce chapitre d écrit brièvem ent la nature


du m ental, ses divers états, sa localisation.

D’après les Ecritures hindoues, une entité appe­


lée manas, le « mental », est formée en rapport avec
l’essence subtile de la nourriture consommée ; cette
entité s’exprime par l’amour, la haine, le désir, la
colère, etc... ; elle est l’ensemble de l’esprit, de l’in­
tellect, du désir et de l’ego ; malgré des fonctions si
diverses, elle prend le nom générique de « mental »
et nous l’objectivons comme choses insensitives
que nous connaissons ; bien qu’elle-même insensi­
tive, cette entité semble être sensitive du fait de son
association avec la Conscience, de même qu’un fer
chauffé au rouge semble être le feu lui-même ; elle
porte elle-même un principe de différenciation :
elle est en effet de nature transitoire et possède
des parties susceptibles d’être moulées en toutes
formes comme la laque, l’or ou la cire ; elle est la
base de tous les principes-racines (tattwas) ; elle se
situe dans le Cœur, comme la vue dans l’œil, et
l’ouie dans l’oreille ; elle donne son caractère au soi
individuel, et lorsqu’elle pense à l’objet déjà associé
&la conscience réfléchie sur lé cerveau, elle prend
une forme de pensée ; elle est en contact avec cet
objet par les cinq sens mus par le cerveau, et elle
s’approprie une telle connaissance avec le sentiment1

1. [The nature of the Mind dans l’éd. de Madras].

28
du « je connais ceci et cela », enfin elle jouit de
Bobjet et est finalement satisfaite.
Se demander si quelque chose est bon à manger
est une forme-concept du mental. « C’est bon,
ce n’est pas bon, on peut le manger, on ne peut pas
le manger » ; de telles notions discriminatives
relèvent proprement de l’intellect, discriminant
(buddhi). Parce que le mental seul est le principe-
racine qui se manifeste en tant que les trois entités
de l’ego, de Dieu et du monde, son absorption et sa
dissolution dans le Soi est l’émancipation finale
appelée Kaivcilya, qui est Brahman.
Les sens, étant orientés vers l’extérieur pour aider
à la connaissance des objets, sont externes ; le
« mental », étant à l’intérieur, est le sens interne.
Les termes « interne » et « externe » sont rela­
tifs au corps ; ils n’ont aucune signification dans
l’absolu. Dans le but de montrer que tout le monde
objectif est à l’intérieur et non pas à l’extérieur,
les Ecritures ont représenté l’ensemble du cosmos
par le symbole du « lotus, du Cœur ». Mais le Cœur
n’est pas autre que le Soi. De même que la boule
de cire de l’orfèvre, tout en Cachant de minuscules
particules d’or, ressemble toujours à un. simple
morceau de cire, de même tous les individus perdus
dans la sombre ignorance (avidyâ) ou le voilement
universel (Maya) ne peuvent que subir la nes-
cience pendant leur sommeil. Dans l’état de som­
meil profond, les corps physique et subtil, bien
que faisant partie de ce voile, sont plongés dans
le Soi : c’est de l’ignorance qu’a jailli l’ego — le
corps subtil ; le mental doit être transformé en
le Soi.
En vérité, le mental n’est que conscience (chit)
parce qu’il est pur et transparent de nature : dans
cet état pur, cependant, on ne peut guère l’appeler
« mental ». L’identification erronnée d’une chose
29
avec une autre (1) est l’œuvre du mental altéré.
C’est-à-dire que le mental pur et immaculé, qu’est
la Çqnscieng(| Absolus®, lorsqu’il oublie, sa nature
première, est submergé par la qualité d’obscurité
(tamas), el se manifeste en tant que monde phy­
sique. Derla même façon, subjugué par l’activité
(rajas),;le mental s’identifie avec le corps, et ap­
paraissant dans le monde manifesté comme le
« moi », prend à tort cet ego pour la réalité. Ainsi,
influencé par l’amour et la haine, il accomplit de
bonnes et mauvaises actions et, en conséquence,
est entraîné dans le cycle des naissances et des
morts. Selon l’expérience de chacun dans le som­
meil profond ou lors d’un évanouissement, on n’a
plus conscience de son propre soi ni d’objectivité.
Etìsuite, ï%xpênèttee de chaèuri « je suis sorti de
mon sommeil », « j’ai repris conscience », est la
connaissance distinctive née de l’état naturel. Cette
ëdnüaissamée;dStinétiVe est appelée vijnâna. Elle
né brille pai> d’elle-même, mais toujours par adhé­
rence tantôt au Soi, tantôt au non-Soi. Lorsqu’elle
demeure dans le Soi, elle est appelée vraie connais­
sance (jnâna) ; elle est conscience du mode mental
dans le Soi, ou conscience perpétuelle (prajnâna),
et quand cette connaissance distinctive se combine
avec le non-Soi, on l’appelle ignorance (ajnâna).
L’état dans lequel elle demeure dans le Soi et
resplendit comme Soi s’appelle aham sphurâna ou
pulsation du Soi. Cet état n’est pas quelque chose
de distinct du Soi ; c’est un signe de réalisation
imminente du Soi. Ce n’est pas cependant l’état
de l’être premier. La source où se révèle cette pul-1

1. C’est-à-dire la perception erronée qui a ttrib u e la R éalité du


Soi au m onde grossier, avec une existence indépendante du
principe conscient. Ceci est dû à la fausse identification du
Soi avec le corps physique ; d ’où l’ignorant suppose que ce
qui se trouve à l ’ex térieu r et indépendam m ent du corps phy­
sique est aussi ex tériéu r et indépendant du principe conscient.

30
sation est ce qu’on appelle prajnâna (connaissance
intégrale). C’est cette source à laquelle le Vêdânta
donne le nom de prajnâna ghana (ensemble de
connaissance intégrale). Le Vivekachâdâmani (1)
de Shankarâchârya décrit cet éternel état comme
suit : « Dans la gaine de l’intelligence brille éter­
nellement l’Atman, le témoin radieux de toute
chose. Prends cela comme but, un but qui n’a rien
d’irréel, et, par un courant continu de pensée* ex-
périmente-le et jouis de Lui comme de ton propre
Soi ».1

1. [« Le P lu s beau F leuron de la D iscrim ination » cf. infra


p. 235. Cf. aussi la traduction française de Marcel Sauton p u ­
bliée chez Adrien Maisonneuve, 1945].

31
III. - LES TROIS ETATS
(Auasthâthraya) (1)

Le Soi toujours lumineux est un et universel.


Nonobstant l’expérience individuelle des trois
états — veille, rêve et sommeil profond — le Soi
demeure pur et immuable. Il n’est pas limité par
les trois corps, physique, mental et causal ; et il
transcende la triple relation « voyant » - « vision » -
c chose vue ». Le schéma reproduit plus bas aidera
à comprendre l’état immuable du Soi, qui trans­
cende les manifestations illusoires citées précédem­
ment.
Ce croquis représente comment la Conscience
lumineuse du Soi, brillant de soi-même, fonctionne
en tant que corps causal (G) dans la chambre inté­
rieure entourée par des murs d’ignorance (avidyâ)
(D), et comment ensuite elle va vers la porte du
sommeil (B), qui est mue par les forces vitales, selon
le cycle assigné à la vie quotidienne, où, franchis­
sant le seuil de la porte (C), elle donne contre le
miroir interposé de l’ego, (jîva) (E). Elle passe avec
la lumière réfléchie par le miroir dans la chambre
intermédiaire de l’état de rêve (H) ; de là elle est
projetée dans la cour découverte de l’état de veille
(7) à travers le passage des cinq sens ou fenêtres (F).
Quand la porte du sommeil (B) est fermée par la
force d’esprit (= les forces vitales) selon le cycle
assigné à la vie quotidienne, la Conscience lumineu-1

1. [The Three States dans l’édition de Madras].

32
F F F F F

A - H a m m e ....................représentant le Soi.
B =*sP o r t e ........................ » le sommeil.
C =*s S e u i l ........................ » le principe intellectuel
(Mahat) en ta n t que la source de la
conscience individuelle (ahankâra).
D = Paroi intérieure . . représentant l'ignorance (avidyâ).
E = Cristal (miroir). . . » l'ego (jîva).
E == F en êtres.......................... » les cinq sens.
G = Chambre intérieure » le corps causal pendant
le sommeil.
H - Chambre interm édiaire » le corps subtil dans
l'é ta t de rêve.
I — Cour découverte - . » le corps physique dans
l'é ta t de veille.
Les chambres intérieure et interm édiaire, plus la cour dé­
couverte, représentent un être dans sa totalité.

33
3
se du Soi se retire des états de veille et de rêve dans
le sommeil profond et demeure simplement par soi-
même sans le sens de l’ego. Le croquis illustre aussi
l'existence sereine du Soi comme différent de l’ego
et des trois états de sommeil, de rêve et de veille.
Le soi de l’être humain (jtva) réside dans l’œil
durant l’état de veille, dans le cou (1) durant l’état
de rive, et dans le Cœur durant l’état de sommeil ;
mais le Cœur est le principal de ses sièges, et
c’est pourquoi le soi individuel de l’être ne quitte
jamais entièrement le Cœur. Bien qu’on dise pré­
cisément que le cou est le siège du mental (manas),
le cerveau celui de l’intellect (buddhi) et le Cœur
ou le corps entier celui de l’ego (jîva), les Ecri­
tures n’en énoncent pas moins d’une manière
concluante que le Cœur est le siège de l’organe
interne (antah-karana) (2) qui inclut la totalité des
fonctions mentales. Les Sages, en accord avec
toutes les versions des Ecritures, ont formulé suc-
cintement toute la vérité en disant : l’expérience
de chacun révèle que le Cœur est avant tout le
siège du « Je ».

1. A l’arrière du cou dans la m edulla oblongatu.


2. jC et organe in c lu t plus exactem ent les fonctions de la
buddhi (l’intellect), de V ahanM m {la conscience individuelle),
du marias (le m ental! et du «Met (la pensée)!.

34
IV . - L E M O N D E
Ç fagad) (1)

Dans ce chapitre il est montré que le monde


n’a pas de réalité par lui-même et qu’il n’existe
pas en dehors du Soi.

La Création (shrishti) : Le propos majeur des


Ecritures est d’exposer la nature illusoire du monde
et de révéler le Suprême Esprit (Brahman) en tant
que la seule Réalité. Elles ont édifié la théorie de
la création à cette seule fin. Elles entrent même
dans le détail et entretiennent l’intérêt de la caté­
gorie inférieure des chercheurs par le récit d’une
apparition de réalités successives : l’Esprit (Brah­
man), la dissociation (2) de la conscience réfléchie,
les fondements des éléments, le Monde, le corps,
la vie et ainsi de suite. Mais, à l’intention d’une caté­
gorie supérieure de chercheurs, 1ns Ecritures décla­
rent en somme que le monde entier apparaît
Comme un panorama dans un rêve ayant une ap­
parence d’objectivité et d’existence indépendante
en raison de l’ignorance du Soi, et l’obsession
conséquente de pensées importunes. Les Ecritures
cherchent ainsi à montrer le monde comme une
illusion afin de révéler la Vérité. Ceux qui ont

1. [The world, dans l’éd. de Madras].


2. Dans l’original P rakriti ou la Substance Prim ordiale ;
celle-ci indifférenciée en elle-même est aussi l’origine des trois
nualités constitutives, à savoir : sattw a (l’harm onie) rajas
(l’activité) tamas (l’obscurité), qui précèdent la m anifestation
universelle ou la « création »
réalisé le Soi par l’expérience directe et immédia­
te perçoivent clairement et indubitablement que
le monde phénoménal, pris comme une réalité ob­
jective et indépendante, est entièrement inexistant.

D is c r im in a t io n en tre le VOYANT ET LA CHOSE VUE

Objet vu : inanimé. Le voyant : animé


Le c o rp s, un vase, etc. L’œ il
L’oeil Le c e n tre n e rv e u x o p ­
tiq u e d a n s le c e rv e a u
Le c e n tre n e rv e u x Le m en ta l
o p tiq u e
Le m en tal L e soi in d iv id u e l ou
ego
Le so i in d iv id u e l L a p u re C o n scien ce .

Puisque le Soi, qui est pure Conscience, connaît


toute chose, comme cela est exposé dans la clas­
sification ci-dessus, c’est lui qui est le Voyant ul­
time. Tout le reste : ego, mental, etc., ne sont que
ses objets. Le sujet sur une ligne du tableau ci-des-
sus devient l’objet à la ligne suivante ; ainsi chacun
des sujets excepté le Soi ou la pure Conscience
n’est qu’un objet extériorisé et ne peut être le vrai
voyant. Puisque le Soi lui-même ne peut être
objectivé, n’étant connu par aucune autre chose,
et puisque le Soi est le Voyant qui voit tout le
reste, en réalité la relation sujet-objet et la subjec­
tivité apparente du Soi n’existent que sur le plan
de la relativité et non pas dans l’Absolu. Il n’y a
fin vérité rien d’autre que le Soi, lequel n’est ni
le voyant ni la chose vue, et n’est impliqué ni
comme sujet ni comme objet.

36
V . - L ’EG O
(J iv a ) (1)

Dans ce chapitre, le Soi (A tm an) lui-même est


dit être l’ego (jîva) et la nature de l’ego est
expliquée.

Le mental (marnas) n’est pas autre chose que la


pensée « je ». Le mental et l’ego sont une seule
et même chose. Intellect, volonté, ego et indivi­
dualité sont tous le même mental. C’est comme si
on décrivait un homme différemment d’après ses
diverses activités. L’individu n’est pas autre chose
que l’ego qui, lui-même, n’est que le mental. Avec
l’apparition de l’ego apparaît simultanément le
mental, associé à la nature réfléchie du Soi, com­
me le fer chauffé au rouge dans l’exemple connu
(2). Comment faut-il comprendre le feu dans le
fer chauffé au rouge ? Comme ne faisant qu’un avec
lui ? Puisque l’individu n’est pas autre chose que
l’ego, et qu’il est inséparable du Soi, comme sont
inséparables le feu et le fer chauffé au rouge, il
n’est pas d’autre soi, pour agir comme témoin de
l’individu, que l’individu lui-même agissant en qua­
lité d’ego, qui après tout n’est que le mental associé
à la conscience réfléchie (chidabhasa). Le même
Soi non seulement brille inaffecté dans le Cœur,

1. [The ego dans l’éd. de Madras].


2. Il existe en Inde nn exemple comm unément cité selon le­
quel, to u t comme le fer chauffé au rouge participe de la nature
du feu p ar le contact avec celui-ci, de même le m ental ou l’ego
participe de la nature de la Conscience p a r le contact avec le
Soi.

37
comme le feu dans le fer (2), mais il est également
illimité comme l’espace. Il brille d i soi-même dans
le Cœur en tant que pure Conscience, comme l’Un
sans second et, se manifestant universellement le
même chez tous les individus, il est connu comme
le Suprême Esprit. « Cœur > (hridaya) n’est qu’un
autre nom désignant le Suprême Esprit (Paramât-
man), parce qu’il est dans tous les Cœurs.
Ainsi le fer chauffé au rouge est l’individu, la
chaleur ardente est le Soi témoin, le fer est l’ego.
Le pur Feu est le suprême Esprit omni-immanent
et omni-connaissant.

2. Tout comme le feu dans le fe r chauffé au rouge est inaf­


fecté p ar les coups de m arteau, qui ne font que changer la
form e du m étal, de même les vicissitudes de la vie, p laisir
et peine, affectent seulem ent l’ego, le Soi dem eurant toujours
pur et immaculé.

38
VI. - i p SUPREME ETRE EST LE SOI
(Paramâtman) (1)

Dam es whapitre f§ est mpptfé que jp (orme


Ûi Soi est la forme de Dmu et que le Soi est
sous la forme « Je-Je ».

Le principe universel sous-jacent à la correspon­


dance entre les idées « intérieures » et les objets
« extérieurs » est la vraie signification du terme
« mental » (manas). Par conséquent, le corps et le
monde qui apparaissent comme extérieurs à nous-
mêmes ne sont que des reflets mentaux. C’est
seulement le Cœur qui se manifeste par toutes ces
formés. Au ©entre du Cœur qui embrasse tout,
c’est-à-dire, dans In vastttude du mental pur, là
resplendit toujours le «Je» qui brille de soi-même.
Parce qu’il est manifeste en chacun, on l’appelle
aussi le Témoin Omniscient (41/nfn Jyoti; Sarpa
Sâkshin) ou le Quatrième E lit (Turya) (2).
L’Infini (ChidakMÏitt) la Réalité connue en
tant que le Suprême R ip # (Devamétman) ou le
Soi (Atman), qui brille sans égoïté comme la
Conscience dans le « Je », comme l’Un chez toi®
les individus. Au delà du Quatrième Etat il n’y a

1. [The Supreme Being is ffct Saif dans BN. & M adras].


2. La veille est le prerU1er état, le rêve est le second et le
sommeil profond le troisièm e. Puisque la purs Conscience
subsiste d urant tous les trois états et les trancende aussi,
strictem ent on ne peut pas la classer sur le même plan que
les trois autres états, bien Û pppe soit techniquem ent appelée
le Quatrième Etat,

39
que cela. Méditons sur l’Etendue de la Conscience
absolue qui brille, pénétrant tout, à l’intérieur et
à l’extérieur, sur l’illumination du Quatrième Etat,
comme l’^pace qui s’étend simultanément jus­
qu’au centre bleu d’une flamme lumineuse et à
toute l’immensité par delà. Le vrai « état » est celui
qui brille partout, comme l’espace comprend et
s’étend au delà de la flamme. Il ne faut pas prêter
attention à Va lumière.
Il suffit de savoir que le Réel est l’état libre de
l’ego. Le fait que chacun indique la poitrine quand
il en réfère à lui-même par geste, est la preuve
suffisante que l’Absolu réside vraiment en tant que
le Soi dans le Cœur. Le Rishi Vasishta dit aussi
que dt&çher te Soi en déhors de soi-même, ou­
bliant qu’il brille constamment en tant que « Je-Je »
dans 1e Cœur, cela revient à abandonner une gem­
me céleste et sans prix pour un caillou étincelant.
En outre, il faut savoir que pour tes védantins (1),
il est sacrilège de considérer 1e Suprême Soi Uni­
que, Créateur, Conservateur et Transformateur,
comme des dieux séparés, Ganapati, Brahmâ
Vishnu, Rudra, Maheshwara et Sadashiva (2).

1. Ce sont les adhérents de la doctrine métaphysique qui


postule une Suprême. Réalité et rejette les noms et les formes
de tout le reste comme illusion.
2. Ganapati est le iïÎS de Rudra, Brahma est le dieu de la
Création, Vishnu c ita i de la Préservation, Rudra ou Shlva celui
de la Destruction, Maheshwara celui du Voile universel, Sada­
shiva est la divinité dont l’octroi de ta grâce enlève le Voile.

40
VIL - CONNAISSANCE DU SUPREME SOI
(Atmâ-Vidya) (1)

Dans ce chapitre est décrite la méthode


de réalisation du Soi.

Quand le mental (marias) sous la forme de


l’ego (jiva), qui prend le corps pour le Soi (Atman)
et erre au dehors, est ramené dans le Cœur, quand
le sentiment qu’a le « Je » d’être dans le corps est
abandonné, et que, avec un esprit serein on cher­
che qui habite le corps, une illumination subtile se­
ra éprouvée, à savoir le <Je-Je », qui n’est pas
autre que l’Absolu, le Soi, sis dans le lotus du
Cœur, dans la cité du corps, le tabernacle de Dieu.
Alors il faut demeurer immobile, avec la convic­
tion que le Soi, en tant que tout et cependant rien,
brille dedans, dehors et partout, et qu’il est aussi
l’Etre transcendant. C’est ce qu’on appelle la
méditation sur la Vérité véhiculée par le vocable
« Shivoham » « je suis Shiva », et on l’appelle
aussi le Quatrième Etat.
Ce qui est au-delà même de cette expérience
subtile est Dieu (Brahman), diversement appelé :
l’Etat au delà du Quatrième (turyatita), l’Omni-
présent et Suprême Etre, qui brille Comme Cœur
de la Divine Flamme, au dedans, et qu’on repré­
sente comme se manifestant dans la concentration1

1. [Knowledge of the Supreme Self dans l’éd. de Madras].

41
et la méditation, les Sixième et Septième degrés
de l’Octuple Yoga P), la vastilude du Cœur, pure
Conscience, l’Absolu brillant dans le ciel de l’esprit,
Béatitude, le Soi, Sagesse. Par une longue, continue
et constante pratique de cette méditation sur le
Soi sous la forme « Je suis le Suprême (Aham Brah-
masmi), le voile de l’ignorance dans le Cœur et
tous les obstacles qui en découlent seront écartés
et la parfaite Sagesse résultera. Connaître ainsi le
Réel habitant dans la cavité du Cœur, dans le
tabernacle du corps, c’est assurément réaliser
l’Absolu, qui est inhérent en tout, parce que le
Cœur comprend tout ce qui existe. Ceci est confir­
mé par le texte des Ecritures. «Le Sage demeure
bienheureux dans la cité aux neuf portes qui est
le corps», et «Le corps est le temple, le soi de
l’être est l’Absolu (Shuâdha Atman Brahman) ; s’il
est adoré en tant que «Le Suprême Je suis», la
Délivrance en résulte; l’Esprit qui soutient le corps
sous la forme des cinq enveloppes est cette cavité
qui n’est elle-même que le Cœur, l’Etre transcendant
qui y réside est le Seigneur de la Caverne». Cette
méthode de réalisation de l’Absolu s’appelle daha-
ra vidyâ ou Connaissance intuitive du Cœur. Que
peut-on dire de plus? Il faut La réaliser par
l’expérience directe, immédiate.1

1. [Notions expliquées plus bas, chap. X : l’Octuple Vole du


Yoga].

42
VIII - L’ADORATION N’EST QUE
RECHERCHE DE SOI
(Atmâ-Vichâra ) (1)

Dans ce chapitre, il est d it que la conscience


continuelle au Soi est vraie adoration et vraie
pénitence (tapas).

. La raison d’être de l’adoration du Suprême Etre


Impersonnel est de se rappeler constamment cette
vérité que tu es Brahman, parce que la médita­
tion « Je suis Brahman » est inhérente au sacrifice,
aux offrandes, à la pénitence, au rituel, à la prière,
au yoga et à l’adoration. Le seul moyen de surmon-
ter les obstacles qui s’opposent à ta méditation c’est
d’interdire au mental de s’occuper des obstacles et
de l’introvertir dans le Soi, et là, assister avec déta­
chement à tout ce qui arrive ; il n’y a pas d’autre
méthode. Ne perdez pas le Soi de vue, serait-ce
un seul instant. Fixer le mental sur le Soi ou sur
le « Je » demeurant dans le Cœur c’est la perfec­
tion du yoga, de la méditation, de la sagesse, de
la dévotion et de l’adoration. Puisque le Suprême
Etre demeure en tant que le Soi, il est dit que la
constante soumission du mental par absorption
dans le Soi comprend toutes les formes d’adoration.
Quand on maîtrise le mental, on maîtrise tout le
reste. Le mental est lui-même le courant de vie ;
les ignorants disent que sa forme ressemble à celle1

1. [Worship is onlg Self-Enquiry dans Péd. de Madras]

43
d’un serpent enroulé (1). Les six centres subtils
(chakras) (2) ne sont que des images mentales, et
sont destinés aux débutants dans lé yoga, Nous nous
projetons nous-mêmes dans les idoles pour ensuite
les adorer, faute de comprendre la vraie adoration
intérieure. La Connaissance du Soi, qui connaît
tout, est la perfection de la Connaissance.
Distraits comme nous le sommes par des pen­
sées variées, si nous voulions continuellement con­
templer le Soi, qui est lui-même Dieu, en temps
opportun cette seule pensée remplacerait toute
distraction et finirait elle-même par s’évanouir ; la
pure Conscience qui seule finalement demeure est
Dieu. Cela est la Délivrance. N’être jamais inatten­
tif à son propre Soi très parfait et pur, c’est le
faîte du yoga, de la sagesse et de toutes les autres
formes de pratique spirituelle. Quand bien même
l’esprit erre sans repos, entraîné dans des choses
extérieures, et oublie ainsi son propre Soi, il faut
rester vigilant et se souvenir : « Le corps n’est pas
Moi. Qui suis-Je ? ». Cherchez dans cette voie, en
ramenant le mental à son état primordial. L’inves­
tigation « Qui suis-Je ? » (Koham ?) est la seule mé­
thode pour mettre fin à toute misère et pour in­
troduire dans la Béatitude suprême. Quoique l’on
dise et de quelque façon qu’on l’exprime, toute la
vérité est là.

1. K undalini dans le tex te original, qui signifie une force


dynam ique et m ystérieuse, assoupie à la base de l’épine dorsale,
dont l’éveil est d it conférer d’abord des pouvoirs de thaum aturge
e t ensuite l’illu m in atio n spirituelle.
2. Ceux-ci sont d its être des centres dans le corps subtil
situés sym boliquem ent le long de l ’épine dorsale, depuis
la région sacrale ju sq u ’au som m et de la tête : dans son
m ouvem ent ascendant, le c ourant v ita l se fra ie un chem in
à trav e rs ceux-ci et confère de façon concom itante pouvoirs
th au m atu rg iq u es ou autres.

44
IX. - LA DELIVRANCE
(Mukti) (1)

Ce chapitre enseigne que la Délivrance pm i, f


, effectivement s’obtenir par une méditation
constante et prolongée sur -te Soi sous tu forme
S M v o h a m (Je suis S h iv a ) ce qui signifie « Je suis
». Les caraetérisiiqués de la J f a jn m u k t i
{Jjélinmuce en cette pie% ,;ei de la V ld ê h a m iik ti
(Délivrance après la mort) sont ü | décrites.

Parce que le soi individualisé, qui n’est pas


autre chose que le mental, a perdu la connaissan­
ce de son identité avec le vrai Soi, et s’est pris
dans les filets de l’esclavage, sa recherche du Soi,
lequel est sa propre nature primordiale et éternelle,
ressemble à celle du berger cherchant un agneau
qu’il né cessé cependant de porter sur ses propres
épaules.
Pourtant, l’ego (jîva) oublieux du Soi, même
après avoir eu une fois l’intuition du Soi, n’obtient
pas la Déliveancé, c’est-à-dire la Réalisation du Soi,
parce que l’accumulation de tendances mentales y
fait obstacle. Il confond fréquemment le corps
avec le Soi, oubliant qu’il est lui-même en, réalité
le Soi. Les tendances longuement entretenues peu­
vent assurément être extirpées par la méditation
longtemps poursuivie : « Je ne suis pas le corps,
les sens, le mental, etc, je suis le Soi ». C’est
pourquoi l’ego, c’est-à-dire le mental, qui n’est1

1. {Liberation, dans l ’éd. de M adras].

45
pas autre chose qu’un faisceau de tendances (vâ-
sanâs) et qui confond le corps avec le « Je », doit
être maîtrisé et ainsi devrait-on atteindre l’état
suprême de libération que l’on appelle là Réali­
sation du Soi après une adoration prolongée du
Soi divin, qui est l’Etre même de tous les dieux.
Cette recherche de soi-même annihile le mental,
et arrive finalement elle-même à l’anéantissement,
à l’instar du bâton qui, utilisé pour remuer le bûcher
funéraire, est lui-même finalement brûlé. Ceci est
l’état de Délivrance. Soi, Sagesse, Connaissance,
Conscience, l’Absolu et Dieu signifient la même
chose.
Un homme peut-il devenir un officier de rang
élevé simplement parce qu’il en a vu un? Il peut
le devenir s’il peine, et en s’équipant en vue de
cette situation. De la même façon, l’ego, qui est
en servitude en tant qu’esprit individuel, peut-il
devenir le Soi divin, simplement parce qu’il a
entrevu une fois qu’il est le Soi? Cela n’est-il pas
impossible sans la destruction du mental ? Un
mendiant peut-il devenir roi simplement parce
qu’il en a visité un et se proclame ensuite tel? De
même, à moins que le lien du mental ne soit coupé
en deux par la méditation prolongée et ininterrom­
pue, « Je suis le Soi* l’Absolu », il est impossible
d’atteindre l’état transcendant de Béatitude, qui est
identique à Fanüihilâtion du mental.
Le Soi est l’Absolu et l’Absolu est lë Soi Le Soi
est l’Absolu Seul. Ce qui est recouvert de son
tégument est du paddy (riz non-décortiqué), et une
fois décortiqué cela devient du riz. De la même
façon, quand quelqu’un se trouve dans la servitude
de Faction, il est le soi individualisé, et il brille en
tant que l’Absolu quand le voile est enlevé. C’est
ce que proclament les Ecritures, qui déclarent en
outre : « Le mental doit être attiré à l’intérieur et

46
contenu dans le Gœur jusqu’à ce que le sens de l’ego
(jiva), qui se développe sous la forme de l’esprit
ignorant, y soit détruit. Geci est sagesse et médita­
tion tout ensemble ; tout le reste n’est que discours
et pédanterie ». Et en accord avec cette parole
finale, il faut fixer le mental sur Lui, être cons­
cient de Lui et Le réaliser en faisant tous les
efforts possibles.
De même qu’un acteur brahmane n’oublie pas
qu’il est brahmane quel que soit le rôle qu’il joue,
de même un homme ne devrait pas se confondre
avec son corps, mais devrait avoir une ferme
conscience qu’il est le Soi, quel que soit son acti­
vité, Cette conscience se manifeste quand le
mental est absorbé dans son propre état primor­
dial. Une telle absorption conduit à la Béatitude
Suprême quand le Soi se révèle spontanément.
Alors on n’est plus affecté par le plaisir ou la
douleur, qui résultent du contact avec les objets
extérieurs. Toute chose est perçue sans attache­
ment, comme dans un rêve. Des pensées telles que
« est-ce ceci ou cela qui est bon t », « faut-il faire
ceci ou cela ? », ne devraient pas être admises.
Dès qu’une pensée apparaît, il faut l’annihiler à sa
source. Si on l’entretient même un court instant,
elle vous précipitera par terre la tête la première
telle une amie perfide. Le mental fixé dans son
état originel (swarûpa) peut-il garder un sens de
l’ego, ou avoir quelque problème à résoudre? Ne
sont-ce pas ces pensées elles-mêmes qui constituent
la servitude ? C’est pourquoi lorsque de telles
pensées surgissent en raison de tendances passées,
non seulement il faut contenir le mental et le
ramener à son véritable état, mais il faut aussi le
faire demeurer dégagé et indifférent aux évène­
ments extérieurs. N’est-ce pas en raison de l’oubli
du Soi que de telles pensées surgissent et causent
47
de plus en plus de souffrance ? Bien que la pensée
discriminante « Je ne suis pas l’auteur ; toutes les
actions sont simplement les réactions du corps, des
sens et du mental », soit une aide pour ramener
le mental à son état primordial, néanmoins c’est
encore une pensée ; seulement c’est une pensée
nécessaire pour les esprits adonnés à la réflexion.
D’autre part, le mental une fois fixé inébranlable­
ment dans le divin Soi et demeurant inaffecté mê­
me lorsqu’il s’engage dans des actions, pourrait-il
céder à des pensées telles que : « Je suis le corps,
je me livre au travail », ou encore à la pensée
discriminante « je ne suis pas l’auteur, ces actions
sont simplement des réactions du corps, des sens
et du mental ? » Graduellement il faut, par tous
les moyens possibles, essayer d’être toujours cons­
cient du Soi. Tout est atteint si on réussit cela.
Que le mental ne soit pas détourné vers quelque
autre objet. On devrait demeurer dans le Soi,
sans avoir donc le sens d’être agent, même lorsqu’on
est pris comme un fou dans une activité issue de
la destinée. N’est-il pas vrai qu’un grand nombre
d’hommes consacrés à la voie ont accompli beau­
coup de choses avec une attitude détachée et une
ferme dévotion de cette nature ?
Parce que la qualité de pureté (sattwa) est la
vraie nature du mental, la clarté semblable à celle
du ciel sans nuage est la caractéristique de la
vastitude du mental. Etant mis en mouvement par
la qualité d’activité (rajas) le mental devient agité
et, influence par l’obscurité (tamas), se manifeste
en tant que le monde physique. Le mental deve­
nant ainsi agité d’une part, et apparaissant comme
matière solide de l’autre, on ne discerne plus le
Réel. De même qu’on ne peut pas tisser de fins
fils de soie à l’aide d’une lourde navette de fer,
ou qu’on ne peut pas distinguer les nuances subti­
les d’une œuvre d’art à la lumière d’une lampe
48
vacillant dans le vent, de même la Réalisation de
la Vérité est impossible avec le mental rendu
grossier par l’obscurité (tamas) et agité par l’acti­
vité (rajas). Parce que la Vérité est extrêmement
subtile et sereine, le mental ne sera débarrassé de
ses impuretés que par l’accomplissement désintéres­
sé de sa tâche durant plusieurs naissances, trouvant
un Maître valable (1), s’instruisant auprès de lui
et pratiquant Incessamment la méditation sur le
Suprême. La transformation du mental en monde
de matière inerte, due à la qualité d’obscurité (ta­
mas), et son agitation, due à la qualité d’activité
(rajas), cesseront, ¡lljjgHi le mental recouvrera sa
subtilité et son calme. La Béatitude du Soi ne peut
se manifester que dans un mental rendu subtil et
stable par la méditation assidue* Celui qui expéri­
mente cette Béatitude est délivré même s’il est
encore vivant.
Quand le mental est dépouillé des qualités
d’obscurité et d’activité par la méditation constan­
te, la Béatitude du Soi se manifeste clairement à
l’intérieur du mental subtil. Les yogis acquièrent
l’omniscience au moyen d’un tel développement de
l’esprit. Seul celui qui a réalisé une telle subtilité
mentale (sûkshma) et acquis la Réalisation du Soi
est délivré pendant qu’il est encore vivant. Le mê­
me état a été décrit dans la Râma Gîta (2) comme
le Brahman au-delà des attributs, l’Esprit un, uni­
versel et indifférencié (Nirguna Brahman). Celui
qui a atteint l’Etat indestructible et éternel, qui dé­
passe cela-même, transcendant mental et parole,
est appelé vidêhamukta ; c’est-à-dire, lorsque mê­
me le mental subtil précité est détruit, l’expérience
de la Béatitude en tant que telle cesse également.
Il est noyé et dissous dans l’océan sans fond de
1. [En anglais worthy],
2. Livre sacré hindou transmis de génération en génération
depuis une haute antiquité.

49

4
la Béatitude- m êm e et il n’est conscient de rien
"d’a u tre. Ceci est la vidâhamukti !(l)|î® n’y a .rien an-
d e l|. C’est là fin de tout.
S r a S continue de d e m e u re r en tan t que le Soi,
l’expérience « Je s u ii le Suprême Esprit a croît et
d e v ie n t n a tu re lle ; l’ag itatio n d e l’esp rit e t l a p e n ­
sée du m ondé s’évlm ou issênt finalemë|Jt. P a f$ | qué
l’ex p é rie n c e .n’est p as possiim p sans ' le m e n ta l, .la
R éa lil|tio n s S fe c t ù e ave# I© m eiifàl subtil. P uis­
q u e la vidêhamukti i » p l ||p |§ l’entière dislgliition
m êm e du ffflita l subtil, cet était est au-delà de
l’exM rÎ^|icëi7C’est l’eÇit traigcen d àlïi « Je fie suis
pas le corps. .Je suis R p u r E sprit ;» ¡(Pmramaitmm
est l’expériedce claire et iftdyQtable du jîm tn m u k -
i a , c’est-à-dire c e lu i qui est délivré alors ! $U’il eël
encore vivant. 'N éan m o in sfilf le .m ental n’est pas
totalem ent !^Sruitsl il est |)^fore p oisib lë qu’il lui
arriv e d’être a p p a re m m e n t m a lh e u re u x ld |Îf de sa
re la tio n accid en telle avec des objets, su iv an t 'les
einmajiïemeptà prévuSJ d e sa destinée. C’ësti ainsi
que, aux y e u x de qui l’observe, i l peut ap œ raître
n ’av o ir p a s r é a l i s é *iÉ Béatitude ininterrom pue e t
éternelle, lor|q ue sdtt esprit sem bldïêtre à^îtë. EU
tout cas, la £g|atitudé de tà D ëlivtaijce pêïq|ànt la
vie n’est possible que p o u r le .mentalffiëndu subtil et
serein p a r une m é d ita tio n longue e t continuelle. 1

1. Etat-sans-®^grps d’Etre pur.

50
X. - L’OCTUPLE VOIE DU YOGA
(Ashtanga-Yoga) (1)

Dans ce chapitre est décrite la noie du yoga pour


obtenir la R éalisation du Soi, en acquérant le
contrôle du m ental par le contrôle de la
respiration.

Pour accomplir la dévotion sous la forme de la


méditation décrite dans le chapitre précédent, des
étapes comme le yama et le niyama (les deux pre­
miers stades de Yashtanga ou octuple yoga, expli­
qués ci-dessous) sont prescrites. Celles-ci ont deux
formes, l’une est de la nature du yoga et l’autre
est de celle du jnâna. Le contrôle de la respiration
relève du yoga. L’élimination du mental relève du
jnâna. L’une ou l’autre méthode conviendra mieux
à l’aspirant selon ses tendances inhérentes et sa
maturité. Les deux conduisent au même résultat,
puisque par le contrôle de la respiration on par­
vient au contrôle du mental, et que par l’élimina­
tion du mental on obtient aussi le contrôle de la
respiration. L’objet de ces deux méthodes est la
réduction et l’élimination du mental.
Yama (contrôle moral de soi qui est le prélimi­
naire nécessaire à la voie yoguique ; plus particu­
lièrement : abstention du mensonge, du meurtre,
du vol, de la concupiscence et de la convoitise),
niyâma (observations disciplinaires), âsana (pos­
tures), prânâyâma (contrôle de la respiration),1

1. [The Eightfold Path of Yoga, dans l’éd. de Madras],

51
pratyâhâra (retrait des sens de tous objets exté­
rieurs), dhâranâ (attention concentrée), dhyâna
(contemplation constante et ininterrompue), samâ-
dhi (identification de soi-même avec Atman) : tels
Sont les huit éléments du yoga. Parmi ceux-ci le
contrôle de la respiration comprend l’expiration,
l’inspiration et la rétention. Alors qu’il est dit dans
toutes les shastras que l’expiration et l’inspiration
doivent être égales et la rétention deux fois plus
longue qu’elles, dans le Râja-Yoga, la rétention de la
respiration est quatre fois plus longue que l’inspi­
ration et deux fois plus longue que l’expiration.
Le contrôle de la respiration enseigné par la voie
du Râja-Yoga est supérieur aux autres formes. Si
on pratique ce contrôle de la respiration selon ses
capacités, sans tension mais régulièrement, le corps
se fatigue d’une certaine façon mais devient calme
et le désir d’être dans un état de Béatitude appa­
raît peu à peu dans l’esprit. Alors le pratyâhâra
doit être essayé. Ceci unifie le mental et le rend
unipointé, afin qu’il ne poursuive pas les objets
extérieurs caractérisés par le nom et la forme.
Puisque le mental, qui jusqu’à maintenant a pour­
suivi lés choses extérieures, peut rarement se reti­
rer et se stabiliser lui-même, des efforts sont faits
pour l’unifier et le stabiliser en le fixant sur un
but particulier par les moyens suivants : pranava
japa (l’incantion du phonème OM) et d’autres in­
cantations faites mentalement ; fixation de l’atten­
tion entre les sourcils ; concentration sur le bout
du nez ; audition des sons s’élevant à l’intérieur
de l’une et de l’autre oreille alternativement, c’est-
à-dire en s’efforçant d’entendre le son dans l’oreille
gauche avec l’oreille droite et vice-versa. Alors le
dhâranâ (attention concentrée) doit être essayé.
Cela signifie fixer le mental sur un centre appro­
prié à la Méditation. Le cœur et le brahmarandhra
(fontanelle ou ouverture dans la couronne de la
52
tête) sont recommandés comme étant des endroits
convenant au dhâranâ. Le mental est fixé sur l’un
ou l’autre de ces endroits pendant que l’on conçoit
sa déité de choix personnel (ishta devatâ) sous la
forme d’une flamme de lumière brillant en ce lieu.
Si l’on fixe son attention sur le cœur cela constitue
le lotus aux huit pétales ; si l’on fixe son attention
sur le brahmarandhra cela aussi constitue le « lo­
tus aux huit pétales », bien qu’il soit dit consister
en sahasradala (mille pétales) ou encore en 125
petits pétales. En se concentrant ainsi, il faut médi­
ter sur lé fait què l’on n’est pas un être séparé de
sa déité et que cette flamme de lumière est la forme
de son Âtman (Esprit ou Soi). Autrement dit, c’est
la méditation sur « Je suis Lui ». L’Ecriture dit que
romni-pisétrant Brahman lui-même, brûle dans
le cœur en tant que «Je-Je», le témoin de l’in­
tellect. Si l’on se demande « Qui suis-je ? » alors Lui
(YAfman ou la dâîté) sera trouvé irradiant (par
pulsations) en tant que « Je-Je » dans le lotus du
cœur. Pratiquer cela c’est aussi de la méditation, et
c’est beaucoup mieux que la méditation « Je suis
Lui ». Un homme peut pratiquer tout ce pour quoi
il a de la facilité. Par la pratique de cette sorte
de méditation, on devient inconscient de soi-même
et de ce qu’on fait et le mental s’absorbe dans le
Soi. L’état subtil dans lequel même la pulsation
disparaît est l’état de samâdhi. Seulement, il faut
se garder du sommeil dans cet état. Car alors il con­
férera la Béatitude Suprême. Quiconque pratique
ceci chaque jour et régulièrement, Dieu le bénira
sur la Voie Suprême, sur laquelle il atteindra la
Paix parfaite. Comme il y a des traités détaillés
sur les éléments de Yashtanga yoga, seulement le
strict nécessaire est écrit ici. Quiconque désire en
savoir davantage doit avoir recours à un yogi
pratiquant et expérimenté, et s’instruire de lui en
détail.
Pranava est l’incantation de OM en trois temps
et demi : A, U, M et un demi-temps de M. Ainsi
A représente l’état de veille, le corps grossier et la
création ; U représente l’état de rêve, le corps subtil
et la préservation ; M représente l’état de sommeil
profond, le Soi au repos dans le sommeil, le corps
causal et la dissolution. Le demi-son représente le
quatrième état, le véritable état du Je ou Soi.
L’état au-delà de ceci est l’état de pure Béatitude.
Le quatrième état que l’on obtient dans la médita­
tion comme étant son vrai Etat contient en lui-même
A, U, M, ainsi que le demi-temps, et de ce fait
on l’appelle « l’état dans lequel toutes les formes
sonores se sont tues » ; oq l’appelle aussi l’incan­
tation silencieuse et l’incantation non-duelle, qui
est l’essence de toutes les incantations. C’est pour
obtenir cette expérience authentique de OM qu’au
stade du pratyâhâra l’incantation silencieuse est
prescrite.
« L’âme atteint l’immortalité consciente par la
méditation sur ce principe qui brille à jamais com­
me une flamme de lumière possédant la splendeur
de l’éclair, et qui réside comme Omni-Pénétrant au
milieu du cœur-lotus aux huit pétales, qui est de
la taille d’un pouce et qui est décrit diversement :
comme Kailas (montagne himalayenne, demeure
de Shiva), Vaikuiita (ciel de Vishnu) et Parama-
pâda (Etat Suprême) ». Il est conseillé au cher­
cheur de méditer en accord avec ce texte. Cepen­
dant une sensation d’inconstance dans le Soi peut
sembler surgir de même qu’une sensation de diffé­
renciation entre le méditant et ce sur quoi il mé­
dite. Or il est conseillé ainsi au chercheur de médi­
ter sur son propre Soi, parce que la flamme qui
palpite en tant que « Je-Je » est le Soi. Il n’y a
pas lieu de douter à propos de ce texte des Ecri­
tures. De toutes les formes de méditation, Yâtma-
dhyâna (méditation sur le Soi), que l’on vient de
54
décrire est la meilleure. Si cela est atteint il n’est
pas besoin d’essayer les autres formes de médita­
tion, parce qu’elles y sont toutes incluses. D’autres
formes de méditation ne sont conseillées que pour
aider au succès de celle-ci. La forme de médita­
tion suivie dépend de la maturité d’esprit de l'in­
dividu, Bien que les divers modes de méditation
puissent apparaître différents, ils convergent tous
cependant vers le même point, il n’y a pas lieu
d’en douter. « Connaître son propre Soi, c’est
connaître Dieu. Méconnaître la nature de celui qui
médite, mais méditer sur Dieu comme étranger à
son propre Soi, cela revient à mesurer sa propre
ombre avec son propre pied. Tandis qu’on mesure,
l’ombre ne cesse de reculer de plus en plus loin».
Ainsi disent les Ecritures. Donc la méditation sur le
Soi est la meilleure, parce que son propre Soi est le
Suprême Soi de tous les dieux.

55
XI. - L’OCTUPLE VOIE
DE LA CONNAISSANCE
(Jnâna ashtanga) (1)
Dans ce chapitre est décrit le Jnâna-m ârga (la
voie de la Connaissance) qui conduit à la
Réalisation du Soi par la réalisation que le
Suprême est Un et Indivisible.
La description détaillée des phases du Jnâna
ashtanga (l’Octuple Voie de la Connaissance) telles
que le yama et le niyama n’entre pas dans le plan
de ce petit ouvrage. L’expiration, dans cette voie,
signifie l’abandon des deux aspects que constituent
le nom et la forme, le corps et le monde. L’inspira­
tion est l’introduction (captation) des aspects sat
(être), chit (conscience), ânanda (béatitude), qui pé­
nètrent noms et formes. La rétention du souffle est
le fait de retenir ces aspects et d’assimiler ce qui a
été introduit ainsi. Le pratyâhâra c’est d’être tou­
jours vigilant pour empêcher que les noms et formes
qui ont été rejetés ne fassent de nouveau intrusion
dans le mental. Le dhârana c’est le fait de retenir
le mental dans le cœur, afin qu’il n’erre pas, en
s’attachant fermement au concept déjà saisi, c’est-
à-dire « Je suis le sat-chit-ânanda Atman » (le Soi
qui est Etre-Conscience-Béatitude). La dhyâna
(méditation) c’est la demeure stable en tant que
aham swarupa (dans la vraie forme qu’a tout
être) que l’on expérimente en tant que <Je-Je »
de son plein gré, tout comme lorsque l’on recher­
che « Qui suis-Je ? », en immobilisant le cadavre
de ce corps aux cinq enveloppes. Pour ce genre1

1. [The Eightfold Path of Knowledge, dans l’éd. de Madras].

56
de contrôle de la respiration, point n’est besoin
d’observances telles que les âsanas (postures) etc.
On peut le pratiquer n’importe où et quand. Le
but premier c’est de fixer le mental dans le Cœur
aux pieds du Seigneur qui brille en tant que le
Soi et de ne jamais L’oublier. L’oubli du Soi est
la Source de toute misère. Les anciens disent qu’un
tel oubli c’est la mort pour l’aspirant à la Déli­
vrance. On peut se demander si le contrôle ordi­
naire de la respiration du Râja-yoga (voie yogui-
que) n’est pas Inutile. A cela nous répondons : il
est utile, mais il n’a d’effet qu’aussi longtemps
qu’on le pratique, tandis que le contrôle de la
respiration de FOctuple Voie de la Connaissance
constitue un secours permanent. Le but des deux
sortes de contrôle de la respiration est la souve­
nance du Soi et l’apaisement du mental. Donc
jusqu’à ce que le mental se soit arrêté dans le cœur
au moyen d’une maîtrise sur le souffle ou de la
Recherche du Soi, le contrôle yoguique ordinaire
de la respiration demeure nécessaire ; à partir de
cela il n’en n’est plus besoin. Ce type de maîtrise du
souffle qui est appelé kêvala kumbhaka est d*une
nature telle que la respiration s’arrête dans le cœur
même sans avoir eu recours à la pratique ordinaire
des techniques de l’inspiration et de ;l’expiration.
On peut pratiquer les méthodes tant du yoga que
du jnâna (connaissance) tel qu’on l’aura choisi.
Toutes les Ecritures visent au contrôle du men­
tal, puisque la destruction du mental est Moksha
ou Délivrance. Le yoga c’est le contrôle du souffle,
tandis que la méthode du jnâna ou de la Connais­
sance c’est de voir toute chose comme une forme de
la Vérité ou en tant que Brahman Un et Indivisi­
ble. L’individu est attiré par l’une de ces deux
voies selon ses tendances latentes. La voie de la
Connaissance ressemble au domptage d’un taureau
fougueux en lui montrant une touffe d’herbe, celle
57
du yoga ressemble à son domptage en le battant
et en le mettant au joug. Ainsi disent ceux fui
savent. Les personnes les plus qualifiées at­
teignent le But en contrôlant le mental^ établies et
fixées daims la vérité du Vêdânta, connaissant la
certitude du Soi, et voyant leur Soi et toute chose
en tant que Brahman. Ceux qui sont moins quali­
fiés fixent le mental dans le cœur au moyen du
contrôle de la respiration et de la méditation
prolongée sur le Soi. Ceux qui sont encore moins
qualifiés atteignent des degrés supérieurs par des
méthodes telles que le contrôle de la respiration.
En ayant donc conscience de ceci, le yoga du
contrôle du mental est classifié comme l’Octuple
¥bie de la Connaissance ët du Yoga. Cela suffit
Si le contrôle de la respiration est pratiqué jusqu’à
ce que’Èà kêbdté kumbhaka soit obtenu. On peut
aussi atteindre- l’expérience directe du samâdhi
par la ‘'voie d’amour (bhakti) sous la forme de
méditation constante (dhyâna). Le kêvala kumbha-
ka avec la Recherche de Soi-même, fût-ce donc sans
la technique de l’inspiration et de l’expiration, est
une aide à cette fin. Si cela devient naturel, on peut
le pratiquer à tout moment même pendant les
activités extérieures et il n’est pas besoin de cher­
cher un endroit spécial pour cela. Tout ce qu’on
trouve approprié peut être mis à profit. Si le mental
s’apaise peu à peu, il est sans importance que d’au­
tres choses aillent et viennent. Dans la Bhagavad-
Gita, le Seigneur Krishna dit que le bhakta (celui
qui suit la voie d’amour) est supérieur au yogi
(c’est-à-dire celui qui suit la voie yoguique) et que
le moyen de la Délivrance est la bhakti sous la
forme de la méditation continue et prolongée sur le
Soi, qui est la seule Réalité. Donc si, d’une façon ou
d’une autre, nous acquérons la force de faire repo­
ser l’esprit perpétuellement en Lui, pourquoi se
soucier des autres choses ?

58
XII. L E R EN O N C EM EN T
(Sannyâsa) (1)

Dans ce chapitre rentier effacement de la pensée


est dit îfï/'e le Sèul e ra r (¡pntiyâsa (renoncement).

Le sanMàsa ou renoncement ri’est pas le rejet


des choses fxtérie^es rnsp celui de l’ego. Pour Ige
tels rjnonciateurs (sannyâsins) il n’ÿ a y de dif­
férence entre la solitude et la vie active. Le Rishi
Vasishta dit m f i même qu’un hoimn<|Ndontle
mental est préoccupé, n’est pas conscient de ce qui
est én face de li|| de mfême le Sage, ftièn qu’il
soit engagé dans Une activité, n’eh’ est paç l’ageiVt,
parce que son mental Melimmergé danl le Soi
sais montli'ü'e l’ego. De Berne qu’un homme é t||p
du MUr son lit rêve qu’il tombe M tête la première
datifs un précipice, de même l’ignorant dont l’ego
est encore présent, bien qu’il se livre à la méditd|
tioÜ profcflde dans la |f>litude, ne cesse d’être
l’agent de toute action.1

1. [Renunciation, daiis'I’cd. de Madras].

59
XIII. - CONCLUSION
Il est en notre pouvoir d’adopter une alimenta­
tion simple et nutritive et, par un effort appliqué
et incessant, de déraciner l’ego — la cause de toute
peine — en arrêtant toute activité mentale née de
l’ego.
Des idées obsédantes peuvent-elles apparaître
sans l’ego, ou peut-il y avoir illusion en dehors de
telles pensées ?
Donc, méditez incessamment sur le Soi et obte­
nez la Suprême Béatitude de la Délivrance. Tel est
assurément le but de cet ouvrage.
QUI SUIS-JE ?
(Koham) (1)

Qui suis-je ? fût écrit à la même époque que La


Recherche de Soi-même. Ce traité fut tout d’abord
conçu sous forme de réponses que le Maharshi fit
à quatorze questions posées par Shivaprakasam
Pillai, l’un de ses premiers disciples. Les réponses
prirent ensuite la forme d’un exposé suivi. C’est
le dernier exposé en prose rédigé par le Maharshi.
Par la suite il répondit aux demandes de vive voix.
Bon nombre de ces enseignements oraux ont été
recueillis et quelques uns ont été publiés par
l’Ashram sous forme de dialogues, mais lui-même
n’écrivit plus rien d’autre à l’exception des quel­
ques poèmes que l’on trouvera plus loin dans ce
recueil. Beaucoup de ceux-ci furent également
écrits en réponse à quelque requête particulière.
Tout être brûle du désir d’être toujours heureux,
inaffecté par la tristesse ; et chacun a le plus
grand amour pour soi-même, ce qui est dû au sim­
ple fait que le bonheur est sa vraie nature. Par
conséquent, afin de réaliser ce bonheur inhérent
et inaltérable qu’il éprouve bien chaque jour lors­
que son esprit est plongé dans le sommeil profond,
il est essentiel qu’il se connaisse. Pour obtenir une
telle connaissance la question « Qui suis-je » dans
la voie de la recherche du Soi est le meilleur
moyen.1

1. [« Who am / » dans l’éd. de Madras].

61
« Qui suis-je ? » — Je ne suis pas ce corps physi­
que, ni ne suis les cinq organes de perception
sensorielle (1) ; je ne suis pas les cinq organes d’ac­
tivité externe (2), ni ne suis les cinq forces vita­
les (3), ni même l’esprit pensant (manas) (4). Je
ne suis pas non plus cet état inconscient d’ignoran­
ce qui retient simplement les vâsanâs subtiles
(tendances latentes dans le mental), pendant qu’il
est libre de l’activité fonctionnelle des organes
sensoriels et du mental, et qu’il n’est pas averti
de l’existence des objets de la perception senso­
rielle.
Par conséquent, rejetant sommairement tous les
ajouts physiques mentionnés ci-dessus et leurs fonc­
tions, et disant « Je ne suis pas ceci ; non, ni ceci,
ni c « i ■» ce qui demeuré alors distinct et seul
par soi-même, cette pure Conscience, est ce que je
suis. Cette Conselènee est pàr sa nature mèmè Seti-
Chit-Ananda (Etre-Conscience totale-Béatitude).
Si le mental, qui est l’instrument de la connais­
sante et la base de toute activité, disparaît, la
perception du monde en tant que réalité objective
cesse. A moins que la perception illusoire du ser­
pent dans la corde ne cesse, la corde sur laquelle
se forme l’illusion n’est pas perçue en tant que
telle (5). Pareillement, à moins que la nature illu­
soire de la perception du monde en tant que réalité1

1. L’œil, ’j^drellle, 1S nez, la langue et l a peau et leurs


fonctions ;e<srrespondàrasès, la vue, l ’ouïe, l’odorat, le goût et
le toucher.
2. Les organes vocaux qui articulent le langage et produisent
le son, les m ains et les pieds qui gouvernent tes mouvements
q« corps physique, l’anus eï-l'organe géaJlal.
3. QÎttf contrôlent la réspiâitinn, la digestion et l'assim ilation,
la circulation sanguine, la tran sp iratio n et Béxcrétion.
4. [En anglais. « The tki&àluii.mind ».J
5. -fâeÿïe analogie e s t fondée sur une histoire traditionnelle
d’un homme qui voit une corde au crépuscule et qui, la pre­
nant pour un serpent, est effrayé sans raison.

62
objective ne cesse, la vision de la vraie nature du
Soi, sur lequel se forme l'illusion, n'est pas obtenue.
Le mental est une puissance (#hakfi)
unique dans FAtman, par laquelle des pensées nous
surviennent. En examinant de près ce qui demeu­
re après avoir éliminé toutes les pensées, on
trouvera qu’il n’y a pas de mental en dehors de la
pensée. De fait, les pensées elles-mêmes consti­
tuent le mental.
Poîart n’existe non plus de monde physique en
dehors et indépendamment de la pensée. Dans le
sommeil profond JI n ’y a pas de pensées et il n’y
a pas le monde non plus. Dans les états de veille
et de rêve des pensées son! présentes, et il y a
aussi le monde. Tout comme l’araignée tire le fil de
la toile de son intérieur même et le résorbe à nou­
veau en son intérieur, le mental projette le monde
en dehors de lui-même et le réabsorbe en lui-
même.
Le monde est perçu comme une réalité objective
(jagad) apparenté quand le mental est extériorisé
(bahir mukha) abandonnant par là son identité
avec le Soi. Quand le monde est ainsi perçu, la
véritable nature du Soi n’est pas révélée ? inver­
sement, quand le Soi eil réalisé, le monde cesse
d’apparaître comme une réalité objective.
A l’aide d’une investigation constante et continue
dans la nature du mental, le mental est transformé
en Cela à quoi le « Je » réfère ; et Cela est en fait
le Soi. Pour son existence le mental doit nécessai­
rement dépendre de quelque chose de grossier ; il
ne subsiste jamais seulement par soi-même. C’est
ce mental qu’on appelle en outre corps subtil
{sûkshma-sharîra ou linga-sharlra) ego, ou âme
(ahankâra ou jlva).
63
Ce qui surgit dans le corps physique en tant que
« je » c’est le mental. Si on recherche d’où surgit
en premier lieu la pensée « je » dans le corps, on
découvrira que c’est d e, hridaya (1) ou le Cœur.
C’est la sotirce et le siège du mental. Üü encore,
même si on se répète simplement et intérieurement
de façon continue « je-je » en y fixant l’esprit
tout entier, cela mène également à la même source.
La première et la plus importante de toutes les
pensées qui surgissent dans le mental est la pri­
mordiale pensée « je ». Ce n’est qu’après l’appari­
tion ou l’origine de la pensée « je » que d’innom­
brables autres pensées apparaissent. Autrement dit,
ce n’est qu’après l’apparition du premier pronom
personnel, « je », que les deuxième et troisième pro­
noms personnels (« toi, il », etc.) surviennent à l’es­
prit ; et ils ne peuvent subsister sans le premier.
Puisque toute autre pensée ne peut survenir
qu’après l’apparition de la pensée « je » et puis­
que le mental n’est rien qu’un faisceau de pensées,
ce n’est que par l’enquête « Qui suis-je ? » que le
mental disparaît. De plus la pensée « je » intégrale,
implicite dans une telle enquête, ayant détruit tou­
tes les autres pensées, est elle-même finalement
détruite ou consumée, tout comme le bâton utilisé
pour remuer le bûcher funéraire est lui-même
consumé.
Même lorsque des pensées étrangères surgissent
pendant une telle recherche, évitez d’achever la
pensée naissante, ét par contre recherchez profon­
dément à l’intérieur, « à qui cette pensée est-elle
survenue ? ». Quel que soit le nombre de pensées qui
vous surviennent ainsi, si vous cherchiez immédia-1

1. Le mot hridaya comprend deux syllabes, hrd et aya


(centre -H ce) qui signifie < Je suis le Cœur ».

64
tement avec une vigilance aigüe, lors de l’appari­
tion de chacune des pensées à qui elle est survenue,
vous découvririez que c’est à « moi ». Alors si vous
poursuivez « Qui suis-je ? », le mental s’introvertit
et la pensée naissante disparaît également. De cette
façon lorsque l’on persévère de plus en plus dans la
pratique de la Recherche du Soi, le mental acquiert
une force et une puissance croissantes pour s’éta­
blir dans sa Source.
Ce n’est que lorsque le mental subtil (sûksma-
manas) est extériorisé par l’activité de l’intelligence
et des organes sensoriels, que le nom et la forme
grossiers constituant le monde apparaissent.
Quand, par contre, le mental s’établit fermement
dans le Cœur, ils se retirent et disparaissent. L’op­
position à la sortie du mental et l’absorption de
celui-ci dans le Cœur constituent ce qu’on appelle
la « perspective introvertie » (antarmukha-drishti).
Le relâchement du mental et son évasion hors du
Cœur constituent par contre la « perspective extra­
vertie » (bahirmukha-drishti).
Si de cette façon le mental arrive à être absorbé
dans le Cœur, l’ego ou le « moi »* qui est le centre
de la multitude des pensées s’évanouit finalement,
et la pure Conscience ou le Soi, qui subsiste pen­
dant tous les états du mental» reste seul resplen­
dissant. C’est cet état, où il n’y a pas la moindre
trace de la pensée «je», qui est le véritable être
de chacun. On l’appelle Parfaite Solitude (Silence)
ou Mouna.
Cet état de simple inhérence dans l’Etre pur est
connu comme la Vision de Sagesse (jnâna-
drishti). Une telle inhérence signifie et implique la
complète disparition du mental dans le Soi. Rien
d’autre que cela, et aucun pouvoir psychique du
mental tel que la lecture de la pensée, la télépathie
et la clairvoyance, ne peut être la Sagesse.
65

5
Seul Atman existe et est réel. La réalité ternaire,
monde, àme individuelle et Dieu, est, comme l’ap­
parence illusoire de l’argent dans la nacre, une
création imaginaire dans l’Atman. Ceux-ci appa­
raissent et disparaissent simultanément. Le Soi est
à lui seul le monde, le « je » et Dieu. Tout ce qui
existe n’est que la manifestation du Suprême.
Pour l’élimination du mental il n’est pas de
moyen plus efficace et adéquat que la Recherche
du Soi. Même si par d’autres moyens le mental
disparaît, cela n’est qu’en apparence ; il apparaîtra
de nouveau.
Par exemple, le mental disparaît par la pratique
du prânâyâma (refrènement et contrôle de la
respiration et des forces vitales) I néanmoins une
telle disparition ne dure qu’autant que continue le
contrôle de la respiration et des forces vitales, et
lorsque celles-ci sont relâchées le mental aussi est
relâché et immédiatement, en s’extériorisant, il
continue d’errer par la force de ses tendances
subtiles.
La source du mental est la même que celle de
la respiration et des forces vitales. C’est en réali­
té la multitude des pensées qui constitue le men­
tal ; et la pensée « je » est la pensée première
du mental, et elle est elle-même l’ego. Mais le
souffle aussi a son origine au même endroit que
celui où apparaît l’ego. C’est ainsi que, lorsque le
mental disparaît, le souffle et les forces vitales
disparaissent également ; et inversement lorsque
ceux-là disparaissent, le mental disparaît aussi.
Le souffle et les forces vitales sont également
qualifiés comme manifestation grossière du men­
tal. Jusqu’à l’heure de la mort le mental sustente
et soutient ces forces dans le corps physique, et
lorsque la vie s’éteint, le mental les enveloppe et
66
les emporte. Pendant le sommeil, cependant, les
forces vitales continuent de fonctionner, bien que
le tnental ne soit pas manifeste. Ceci est en accord
avec la loi divine et destiné à protéger le corps
et à écarter tout doute possible sur son état de
vie ou de mort durant le sommeil. Sans une telle
disposition de la nature, des corps endormis se­
raient souvent incinérés vivants. La vitalité appa­
rente dans la respiration est laissée en arrière par
l’esprit comme un «veilleur». Mais dans l’état de
veille et dans le samâdhi, lorsque le mental s’arrête,
le souffle s’arrête aussi. Pour cette raison
(parce que le mental a le rôle de soutenir et
de contrôler le souffle et les forces vitales et
de demeurer après eux), la pratique du contrôle
de la respiration n’aide qu’à maîtriser le mental
mais ne peut entraîner son extinction finale.
Comme le contrôle de la respiration, la médita­
tion sur forme, les incantations, les invocations et
l’observance de régimes, ne sont que des aides
pour le contrôle du mental. Par la pratique de la
méditation ou de l’invocation, le mental devient
uni-pointé, Tout comme la trompe de l’éléphant,
qui autrement s’agite, se stabilisera si on lui fait
tenir une chaîne de fer, de sorte que l’éléphant
avance sans chercher à atteindre quelqu’autrc objet,
de même le mental toujours remuant, s’il est
exercé et accoutumé à un nom ou à une forme
par la méditation ou l’invocation, s’en tiendra
fermement à cela seul.
Lorsque le mental est partagé et dissipé en
d’innombrables pensées variées, il en résulte que
les pensées particulières sont chacune très faibles
et inefficaces. Lorsque, au contraire, de telles pen­
sées disparaissent de plus en plus jusqu’à être
finalement détruites, le mental devient uni-pointé
67
et, acquérant ainsi force et puissance d’endurance,
il atteint facilement la perfection dans la recherche
méthodique du Soi.
Le régime d’alimentation, limité à la nourriture
sattwique (1), prise en quantité modérée, est, de
toutes les règles de conduite, la meilleure : cela
est très favorable au développement des qualités
sattwiques (2) du mental. Ceiies-ci, à leur tour,
nous aident à la pratique de l’Atmâ-vichâra (quête
du Soi).
D’innombrables vishaya-vâsanâs (tendances sub­
tiles du mental en relation avec les objets de la
satisfaction sensorielle), venant l’un après l’autre
en succession rapide comme les vagues de l’océan,
agitent le mental. Néanmoins, eux aussi disparais­
sent et sont finalement détruits par une pratique
progressive de YAtmâ-dhyâna ou méditation sur le
Soi. Sans accorder une place à la pensée même
survenant sous forme de doute : « est-il possible de
demeurer simplement comme le Soi-même ? tous
les vâsanâs peuvent-ils êtr e détruits?», il faut
fermement et sans cesse poursuivre la méditation
sur le Soi.
Aussi pécheur que quelqu’un puisse être, s’il
voulait seulement s’arrêter de gémir inconsolable-
rftent : ■■«Hélas ! Je suis un -pécheur, comment
atteindrai-je la Délivrance ? » et, rejetant même la
pensée qu?il ést péchéür, S’i l voulait persévérer avec
zèle dans la méditation sur le Soi, sans aucun doute
se réformerait-il.
Aussi longtemps que des tendances subtiles conti­
nuent d’habiter le mental il faut poursuivre la1

1. Il s’agit de la nourriture simple et nutritive qui entretient


mais ne stimule pas le corps physique.
2. Pureté du cœur, modération, égalité d’humeur, tendresse
envers tous les êtres, force d’âme et absence de désir, de
haine et d’arrogance, sont les vertus éminentes du mental
sattwique.

68
recherche « Qui suis-je ? ». A l’instant précis où
des pensées surviennent, elles devraient, de la pre­
mière à la dernière, être annihilées immédiatement
au lieu même dé leur origine, par la méthode de
la recherche du Soi.
Ne rien désirer qui soit étranger à soi-même cons­
titue le vâiragya (absence de passion) ou nirâsa
(absence de désir). Ne pas abandonner son emprise
sur le Soi constitue le jnâna (connaissance). Mais
en réalité vâiragya et jnâna ne font qu’un. De
même que le pêcheur de perles, s’attachant des
pierres à la ceinture, plonge dans les profondeurs
et rapporte la perle du fond de la mer, de même
tout aspirant qui s’adonne au vâiragya peut plon­
ger profondément en lui-même et réaliser le pré­
cieux Atman. Si seulement le chercheur sérieux
voulait cultiver la constante et profonde « souve­
nance » (smriti) contemplative de la véritable na­
ture du Soi jusqu’à ce qu’il l’ait réalisée, cela seul
suffirait. Les pensées distrayantes sont comme l’en­
nemi dans la forteresse. Aussi longtemps qu’elles
tiennent la place,, elles feront certainement des
sorties. Mais si, à l’instant précis où elles sortent,
on les passe au fil de l’épée, la forteresse sera
finalement prise.
Dieu et le Guru ne sont pas différents en réalité :
ils sont identiques. Celui qui a gagné la grâce du
Guru sera indubitablement sauvé et ne sera jamais
abandonné, tout comme la proie qui est tombée
dans les mâçhuîres du tigre ne pourra jamais plus
s’échapper. Mais le disciple, pour sa part, doit inva­
riablement suivre la voix indiquée par le Maître.
Se tenir, avec fermeté et discipline, dans VAtman
sans laisser le moindre champ pour l’apparition
d’une autre pensée que la pensée profonde et
contemplative du Soi, constitue la reddition de
soi-même au Suprême Seigneur.
69
Qu’on repose sur Lui n’importe quel fardeau, Il
le portera tout entier. C’est, en fait» l’indéfinissable
pouvoir du Seigneur qui ordonne, soutient et
contrôle tout ce qui arrive. Alors, pourquoi nous
inquiéter, nous laisser tourmenter par des pensées
contrariantes et dire | « Faut-il agir comme ceci ?
Non, comme cela », au lieu de nous soumettre
humblement mais avec joie à cette Puissance?
Sachant que le convoi porte tout le poids, pourquoi
donc devrions-nous, nous les passagers qu’il trans­
porte; porter nos bagages individuels sur nos ge­
noux pour notre plus grand inconfort, au lieu de
les mettre de côté et de nous asseoir parfaitement
à l’aise?
Ce qui est Béatitude est également le Soi,.La
Béatitude et le Soi ne sont pas distincts et séparés :
ils sont une seule et même chose. Et Cela seul
est réel. Pas un s e u l des innombrables objets
du monde terrestre ne renferme quoi que ce soit
qui puisse être appelé bonheur. C’est par pure
ignorance et absence de sagesse que nous nous
imaginons que le bonheur peut en procéder. Au
contraire, lorsque l’esprit est extériorisé, il subit pei­
ne et angoisse. La vérité est que chaque fois que
nos désirs sont comblés, l’esprit se tourne vers sa
source et alors seulement goûte ce bonheur qui est
naturel au Soi. De même, dans le sommeil pro­
fond, ou dans l’étàt d’extinction spirituelle (samâ-
dhi), ou lors d’un évanouissement, ou encore lors­
qu’on obtient un objet désiré, ou, lorsqu’une chose
nuisible est détruite, le mental se tourne vers l’inté­
rieur et jouit de la Béatitude de YAtman. Ainsi
errer, abandonner le Soi et y retourner sans cesse,
tel est le lot interminable et lassant du mental.
Il fait bon à l’ombre d’un arbre et brûlant en
dehors dans la chaleur du soleil. Quelqu’un qui
peine au soleil recherche l’ombre fraîche de l’ar­
bre et s’y trouve heureux, Après y être resté quel­

70
ques instants» il la quitte à nouveau mais, incapa­
ble d’endurer la chaleur impitoyable du soleil, il
revient à l’ombre. Ainsi il ne cesse de passer de
l’ombre au soleil et du soleil à l’ombre.
Seul quelqu’un de malavisé agit de la sorte,
tandis que l’homme sage ne quitte jamais l’ombre i
pareillement l’esprit du Sage Illuminé (Jnâni)
ne se tient jamais en dehors de Brahman, l’Absolu.
L’esprit de l’ignorant, par contre, en entrant dans
le monde phénoménal, subit peine et angoisse; et
alors,-se tournant vers Brahman pendant un court
instant, il goûte le bonheur. Tel est l’esprit de
l’ignorant.
Ce monde phénoménal, pourtant, n’est que pen­
sée. Quand le monde se dérobe à la vue — c’est-
à-dire lorsqu’un est débarrassé de la pensée — le
mental jouit de la Béatitude du Soi. Inversement,
lorsque le monde apparaît — c’est-à-dire lorsque
survient la pensée — le mental éprouve peine et
angoisse.
Ce n’est pas à cause de quelque désir, résolution
ou effort de la part du Soleil levant, mais simple­
ment à cause de la présence de ses rayons, que la
lentille émet de la chaleur, que le lotus fleurit, que
l’eau s’évapore et que les gens vaquent à leurs
tâches variées dans la vie. A proximité de l’aimant
l’aiguille bouge. De même l’âme ou jîva, sujette
à la triple activité de la création, de la préservation
et de la destruction qui n’ont lieu qu’à cause de
l’unique Présence du Suprême Seigneur, accomplit
des actes en conformité avec son karma (1) et dià-
paraîl pour se reposer après une telle activité. Mais
le Seigneur Lui-même n’a pas de résolution; aucun
aËte ou événement ne touche même la frangé de1

1. C’est-à-dire les fruits des actions passées qui se déve­


loppent durant la vie présente.

71
son Etre. Cet état de transcendance immaculée peut
se comparer à celui du soleil, qui n’est pas touché
par les activités de la vie, ou à celui de l’éther qui
pénètre tout, qui n’est pas affecté par l’interaction
des propriétés complexes des quatre autres élé­
ments.
Toutes les Ecritures, sans aucune exception, pro­
clament que pour atteindre le Suprême Salut ou
la Délivrance (Moksha), le mental doit être maî­
trisé ; et une fois que l’on sait que le contrôle du
mental est le but final de celles-ci, il est futile d’en
faire une étude interminable. Un tel contrôle re­
quiert la véritable recherche en soi-même au moyen
de l’interrogation personnelle « Qui suis-je ? ».
Comment pourrait-on réaliser cette recherche du
Soi simplement au moyen d’une étude des Ecritu­
res ?
Il faut réaliser le Soi par l’Œil de la Sagesse.
Rama a-t-il besoin d’un miroir pour se reconnaître
comme Rama ? Ce à quoi le « je » réfère se trouve
à l’intérieur des cinq enveloppes (1), tandis que les
Ecritures leur sont extérieures. Par conséquent il
est futile de chercher au moyen de l’étude des
Ecritures lé Soi qui doit être réalisé par le rejet
sommaire des cinq enveloppes mêmes.
Rechercher «Qui suis-je, moi qui suis en escla­
vage ? » et connaître sa véritable nature, cela Seul
est la Délivrance. Maintenir son esprit constam­
ment tourné vers l’intérieur et demeurer ainsi
dans le Soi, cela seul est VAtmâ-vichâra (la Recher­
che du Soi), tandis que la dhyâna (la méditation)
consiste en une contemplation fervente du Soi en
tant que Sat-Chit-Ananda (Etre-Conscience-Béatitu­
de). En vérité, à un certain moment il faudra ou­
blier tout ce qu’on a appris.1
1. Ce sont Un enveloppes physique, vilale et mentale et les
enveloppes de l’Expérience-Connaissance et de la Bienheureuse
Ignorance.

72
De même qu’il est futile d’examiner les ordures
qui ne doivent être balayées que pour être jetées,
de même il est futile pour celui qui cherche à
connaître le Soi de s’astreindre à énumérer les
tattwas (1) qui enveloppent le Soi et à les examiner
au lieu de les rejeter. Celui-là ne doit considérer
le monde phénoménal par rapport à lui-même que
comme un simple rêve.
Si ce n’est que l’état de veille est long et l’état
de rêve court, il n’y a pas de différence entre les
deux. Les activités de l’état de rêve apparaissent,
sur le moment, tout aussi réelles que les activités
de l’état de veille quand on est éveillé. Seulement,
pendant l’état de rêve, le mental assume une autre
forme ou une enveloppe corporelle différente. Car
les pensées d’une part et le nom et la forme de l’au­
tre, surviennent simultanément aussi bien durant
l’état de veille que durant l’état de rêve.
Il n’y a pas deux mentais, dont l’un serait bon
et l’autre mauvais. Ce ne sont que les vâsanâs ou
tendances du mental qui sont de deux sortes, bon­
nes et favorables» mauvaises et défavorables.
Quand le mental est associé aux premières il est
dit bon; et quand il est associé aux secondes il est
dit mauvais. Mais quelque mauvais que le mental
des autres êtres puisse vous apparaître, il n’est pas
convenable de les haïr ou de lès mépriser. Sym­
pathies et antipathies, amour et haine sont égale­
ment à éviter. Il n’est pas convenable non plus de
laisser le mental se poser souvent sur des objets
ou dès affaires de la vie du monde. Dans toute la
mesure du possible, il ne faut pas se mêler des
affaires des autres.1

1. Les tattwas sont les éléments en lesquels est classée


l’existence phénoménale — partant de l’esprit subtil jusqu’à
la m atière grossière.

73
v

Tout ce que l’on offre aux autres est en réalité


Une' offre à soi-même; êt si seulement cette vérité
était réalisée, qui refuserait quelque chose aux au­
tres ?
Si l’ego apparaît, fout le reste apparaîtra égale­
ment ; s’il disparaît, tout le reste disparaîtra de mê­
me. Plus l’humilité avec laquelle nous nous conduit-
sons est profonde, mieux cela vaut pour nous; Si
seulement le mental est gardé sous contrôle, qu’im­
porte le lieu où l’on se trouve ?

74
B. - POEMES
CINQ HYMNES EN L’HONNEUR
D’ARUNACHALA
(Propos introductif)
Les cinq hymnes faits en l’honneur d’Arunachala
sont les premiers poèmes du Maharshi, à l’excep­
tion de quelques brèves strophes. Ils furent écrits
vers 1914, c’est-à-dire lorsqu’il était âgé d’environ
trente-cinq ans (il est né en décembre 1879). A
l’époque, il habitait encore une caverne sur la mon­
tagne. Quelques-uns de ses suivants, sâdhus eux-
mêmes, avaient coutume d’aller chaque jour dans
la ville de Tiruvannamalai mendier de la nourri­
ture et un jour ils lui demandèrent de composer
un hymne qu’ils puissent chanter en chemin. Il
refusa d’abord, disant qu’il y avait de nombreux
chants précédemment composés par les anciens
saints shivaïtes. Ils continuèrent de le solliciter
cependant, si bien qu’un jour, en faisant le tour
de la montagne, il composa, tout en marchant,
le premier de ces hymnes appelé La Guirlande nup­
tiale des Lettres. Cet hymne chante en un symbo­
lisme ardent l’amour et l’union de l’âme humaine
et de Dieu. C’est un des poèmes les plus profonds
et les plus émouvants qui soient. Bien que l’auteur
fût établi dans la Béatitude de l’Union indissolu­
ble, pour cet hymne il a adopté le point de vue
des dévots, et il exprime ainsi l’attitude de l’âme
qui aspire encore.
Les second, troisième et quatrième poèmes furent
écrits environ à la même époque et correspondent
75
au même point de vue. Tandis que les poèmes ulté-
rieurs du Maharshi sont plus doctrinaux, ces hym­
nes sont plus émotifs et expriment davantage l’at­
titude de dévotion et d’aspiration.
Les Onze Stances et les Huit Stances sont de ces
très rares poèmes que le Maharshi écrivit tout à
fait spontanément sans aucune demande. Comme
il le dit lui-même à leur propos :
« Les seuls poèmes qui me vinrent spontanément
« et dont la composition s’imposa à moi, pour ain-
« si dire, sans nulle sollicitation extérieure, sont
« tes Onze Stances à Shri Arunachala et les Huit
« Stances à. Shri Arunachala. »
« Les mots d’ouverture des Onze Stances me vin-
« rent un matin, et quand bien même j’essayai de
« les refouler, disant «Qu’ai-je à voir avec ces
« mots ? » ils ne se turent pas avant que je n’aie
«composé un chant qui les incorporât, et à cet
a effet tous les mots affluèrent aisément, sans
« aucun effort. De la même manière, la seconde
« stance fut rédigée le lendemain et les stances süb-
« séquentes les jours suivants, une chaque jour.
«Seules la dixième et la onzième furent compo-
«sées le même jour: »
Puis il décrivit de sa manière particulièrement
saisissante comment il composa les Huit Stances :
«Le lendemain je partis pour faire le tour de la
« montagne. Palaniswami marchait derrière moi ci
« après que nous eûmes fait quelque chemin, il fut
« rappelé par Aiyasami qui lui donna un crayon èt
« du papier, lui disant : Depuis quelques jours déjà
«le Swami compose des poèmes quotidiennement.
« Ce pourrait bien être le cas encore aujourd’hui,
« alors volts feriez mieux de prendre ce papier et
« ce crayon avec vous. »
76
« Je n’appris cela qu’après avoir remarqué que
« Palaniswami n’était plus avec moi pendant un
« moment, et seulement quand il me, rattrapa plus
« tard. Ce jour-là, avant que je ne rentre à Viru-
« pakshaï; j’écrivis si% des huit stances. Le même
« soir ou le lendemain Narayana Reddi arriva. Il
« vivait à l’époque à Vellore comme agent de Sin-
«ger et Cie et il venait nous voir de temps en
« temps. Aiyasami et Paierai l’informèrent au sujet
« des poèmes et il dit : « Donnez-les moi immédia-
&ment et j’irai les faire imprimer, £1 avait déjà
« publié des livres. Quand il insista pour emporter
« les poèmes, je lui donnai mon accord et lui dis
« qu’il pouvait publier les onze premières stances
« en un premier opuscule de poésie et le reste, qui
« était d’un mètre différent, en un second. Pour
« parfaire la quantité requise je composai sur le
« champ deux stances de plus, et il emporta toutes
« les dix-neuf stances pour les publier. » (1)
Le cinquième hymne intitulé Shri Arunachala
Pancharatnâ (Cinq Stances à Arunachala) est d’un
genre différent de celui des quatre premiers. Gana-
pati Shastri, grand poète sanskrit et dévot, qui était
aussi un suivant de Bhagavan, le pria d’écrire un
poème en sanskrit. Bhagavan répondit en riant qu’il
savait très peu de sanskrit et ne connaissait aucun
mètre en cette langue. Shastri toutefois lui expliqua
un mètre et renouvela sa démande. A son retour
le soir même cet hymne avait été écrit en parfait
sanskrit. C’est un exposé synthétique des différen­
tes voies de réalisation spirituelle et c’est pourquoi
un commentaire a été inclus avec la traduction.
Il est bien entendu que dans tous ces hymnes le
mot «Arunachala » signifie Dieu et rien de moins.1

1. Râmarta Maharshi et la voie de la connaissance du Soi,


pp. 171-2, p a r Arthur Osborne (Hider .et Cie, Londres). .

77
Toutefois ce mot signifie aussi la montagne sensi­
ble d’Arunachala dans l’Inde du Sud, où Dieu est
spécialement manifesté pour le Maharski et ses dis­
ciples. Depuis des temps reculés, des centres spiri­
tuels variés en Inde ont représenté autant de voies
spirituelles et d’aspects doctrinaux, et, parmi eux,
Arunachala représente la doctrine de l’Adwaita et
la voie de la recherche de soi-même. Bien que ce
soit la doctrine ultime et la voie suprême la plus
directe, cette dernière, à travers les âges, n’a pas
été ta plus notoire, car pour la plupart elle sem­
blait trop austère et difficile. Le Maharshi atteignit
la réalisation suprême par un acte spontané de
recherche de soi-même, sans guru humain. Mais
nous ne pouvons qu’effleurer ce mystère dans ces
lignes. Il nous suffira d’observer que le Maharshi
convenait avec tous les autres maîtres qu’un guru
est nécessaire, ajoutant pourtant que le guru ne
devait pas nécessairement prendre forme humaine.
Quand il quitta son foyer, cet adolescent qui était
déjà un sage, se sentait attiré par Arunachala com­
me par un aimant puissant. Il s’y rendit directe­
ment et y resta jusqu’à la fin de ses jours. C’était
Arunachala qu’il considérait comme son guru, et
ces hymnes sont écrits à la gloire d’Arunachala, du
Guru, de Dieu manifesté, de l’Absolu.
Par la grâce puissante de Bhagavan Râmana
Maharshi, la voie de la recherche de soi-même a
été mise à la portée des hommes et des femmes
de notre temps, elle a assurément été façonnée en
une nouvelle voie qui peut être suivie anonymement
dans les conditions du monde moderne, sans for­
me ni rituel, ni rien qui distingue apparemment un
individu du milieu dans lequel il évolue (1). Cette1

1. [M. C hristian Couvrent, le traducteur français, qui a eu la


charge de rétablissem ent proprem ent dit de cette édition et
qui a comm uniqué avec l ’Ashram pour la m ise au point de

78
création d’une nouvelle voie destinée à satisfaire les
besoins de l’époque a fait d’Arunachala le centre
spirituel du monde. Plus que jamais, maintenant
qu’il a quitté son corps physique et qu’il est un
avec Arunachala, la grâce et la direction qui éma­
nent du Maharshi, pour ceux qui se tournent vers
lui et cherchent son aide, sont centrés à Arunacha­
la. C’est le lieu saint, et beaucoup y sont attirés f
ceux qui étaient disciples du Maharshi de sou
vivant et ceux qui sont venus par la suite.
Il reste à dire que le tamil littéraire dans lequel
les hymnes furent écrits peut être utilisé d’une
manière extrêmement cryptique, et le premier
hymne spécialement abonde en passages que l’on
peut lire de plusieurs façons. Dans de tels cas, les
autres acceptions également possibles sont données
en notes
Avant les cinq hymnes figure d’abord une stro­
phe que Shri Bhagavan écrivit sur Shri Ganêsha,
comme introduction propitiatoire à ces poèmes.
Après cela vient une strophe qu’il écrivit sur la
signification d’Arunachala, puis une autre sur le
sens du fanal qui est allumé à son sommet chaque
année à la fête de Deepum. A cela s’ajoute un
cadrent du Skànda Purâna Sur la gloire d’Aruna­
chala, que Shri Bhagavan transposa en vers tamils.
Puis viennent enfin les cinq hymnes.

chacun des textes compris d a n s ce volume, ay an t exprim é


quelques réserves sur l’effet que pourrait produire çur des
licteurs d’esprit traditionnel les form ulations utilisées par
1’« editor » anglais de cette préface, l’Ashram lui répondit
en cès term es : « ...Vous pourriez ajouter que Shri Râmana
encourageait la persévérance chez: ceux qui suivaient la pratique
traditionnelle et qui en recevaient de l’aide. Il était davantage
content lorsque les chercheurs pouvaient suivre la voie de la
Recherche du Soi qui, disait-il, se suffisait à elle-même : « Dé­
couvrez qui vous êtes ou soumettez-vous. » (Lettre du 22 oc­
tobre 1969)].

79
E n l ' honneur de S h r i G anêsha

Un jour de 1912, un potier vint à la caverne de Viru-


paksa avec une petite image de Shri Ganêsha faite de sa
main, et il en fit cadeau à Shri Bhagavan (1). Un disciple
suggéra que tous deux — le potier et Bhagavan — écrivent
une strophe pour fêter Uévénement. Voici ce que Shri
Bhagavan écrivit :

« De celui qui vous engendra en tant qu’enfant


vous avez fait un mendiant ;
€ Quand vous étiez enfant vous-même, partout
vous ne viviez alors que pour sustenter votre pro­
pre ventre énorme.
«Moi aussi suis un enfant ! O Enfant-Dieu qui
résidez dans cette niche, en rencontrant quelqu’un
né après vous, votre cœur resterait-il de pierre ? Je
vous en prie, regardez-moi ! »

S ignification d ’A runachala

« La montée soudaine de la colonne enflammée


d’Annamalai (2), devant Brahma et Vishnu qui
avouent l’échec de leur tentative de connaître les
extrémités de celle-ci, symbolise le sphurana du
Centre du Cœur en tant que le Soi réel de l’intel­
lect et de l’ego, après qu’il a affligé et réduit les
entités de ceux-ci (3).1

1. Ganêsha, fils de Shiva et dieu de la Connaissance, est


représenté avec une tête d’éléphant, quatre bras et un ventre
énorme.
2. Annamalai est un autre nom d’Arunachala.
3. [Tout ce qui est dit dans ce texte se réfère à une tradition
puranique, populaire à Tiruvannamalai : Une fois, Brahmâ et
Vishnu se disputaient la suprématie ; leur querelle provoqua

80
S ig n if ic a t io n du s ig n a l

« Se débarrasser de l’idée « Je suis le corps » et


fondre le mental dans le cœur pour réaliser le Soi
en tant qu’Etre non-duel et la Lumière de tout, c’est
la signification réelle de Darshan, du Signal de
Lumière sur Annamalai, le centre de ¡’Univers (4) ».

le chaos sur la terre. Les dévas allèrent trouver Shiva et


le supplièrent de régler le conflit. Shiva parut alors sous la
forme d'une colonne de lumière dont les deux rivaux devaient
s’efforcer de trouver l’extrémité supérieure on inférieure :
c’est celui qui réussirait l’exploit qui devait être déclaré le
plus grand. Vishnu prit la forme d’un sanglier et creusa indéfi­
niment vers le bas sans pouvoir trouver l’extrémité de la
colonne. Brahmâ s’éleva aans les hauteurs sous la forme
d’un cygne sans pouvoir non plus atteindre le sommet ; cepen­
dant, comme d’en haut une fleur paradisiaque vint à tomber,
Brahmâ la saisit au passage et s’en servit ensuite pour préten­
dre avoir atteint le faîte de la colonne de lumière sur laquelle
il aurait cueilli la fleuri L’histoire dit que Vishnu admit fran­
chement son échec, et que Brahmâ lui-même, obligé d’avouer
sa supercherie, reconnut son insuccès. On peut interpréter la
fouille de Vishnu vers le bas comme celle de l’ego qui s’enfonce
indéfiniment dans l'obscur et le concret, et l’ascension de
Brahmâ comme l’effort spéculatif de l’intelligence : la fleur
saisie au passage représente une intuition fugitive du Paradis
prise pour l’Illumination même].
4. [Une fois tous les ans, à Kartikai, sur le sommet d’Aruna-
chala, lors de la Fête Deepum, un Feu sacré, nourri de beurre
fondu, est allumé sur un autel de pierre : c'est le Darshan
traduit par Signal (en anglais Beacon) mais qui signifie plus
exactement « la Vue » ou « le Spectacle théophanique par
excellence », car ce feu sacrificiel commémore et représente la
manifestation originelle de Shiva comme colonne de feu.
Du reste, le Mont Aruna lui-même est considéré comme épi-
phanie permanente de Shiva : plus exactement il est la
forme substitutive prise par la Divinité dont l’apparition
première igniforme était trop éblouissante pour les regards
humains ; en somme, le Darshan annuel réactualise, à( sa
façon, la forme primordiale de Shiva devenue inaccessible
comme telle, au sommet de sa forme secondaire plus condensée
et plus terne, mais plus adaptée aux modalités humaines ulté­
rieures].

81

6
La g l o ir e d e S h r i A runachala (S)
(Shri Arunachala Mahatmya)

Nandi (6) a dit :


« C’est là le Lieu Saint ! De tous les lieux, Aruna­
chala est le plus sacré ! C’est le cœur du Monde !
Connais-le comme le secret et le centre sacré du
Cœur de Shiva ! En ce lieu en effet Shiva demeu­
re toujours en tant que le glorieux Mont Aruna i »
Shiva a dit :
« Bien qu’ardent en fait, mon apparence est: ter­
ne en tant que montagne à cet endroit ; c’est cepen­
dant un acte de grâce et de miséricorde à fin d’as­
surer la maintenance du monde. Ici je demeure
toujours en tant que le Suprême (Siddha). Souviens-
toi qu’à l’intérieur de Mon Cœur est la gloire trans­
cendante, de même que toutes les jouissances du
monde. :
« Cd glorieux Arunachala est la montagne dont
la simple vue suffit à enlever tous les démérites
qui divisent l’Etre en egos et en mondes finis.
« Ce qui ne peut être acquis sans peines intermi­
nables — la vraie portée du Vêdânta — est facile­
ment atteint par touf ceux qui peuvent soit aper­
cevoir directement cette Montagne soit même y pen­
s a mentalement de loin.
«Je proclame que la résidence dans un rayon
de trois yojanas (7) autour de cette Montagne suf­
fira en soi-même pour brûler tous les défauts et
effectuer l’union avec le Suprême (8).
5. E xtraits de Skanda Pürâna.
6. Nandi est le tout premier adorateur de Shiva, demeurant
toujours en face de lui.
7. Un yojatta égalé, 16 kilomètres.
8. [Ceci doit s’entendre donc comme se réalisant par des
moyens autres que ceux de l ’initiation ordinaire].

82
LA GUIRLANDE NUPTIALE DE LETTRES
(Arunachala Atchramanamalai)

I n v o c a tio n

Gracieux Ganapati (1), de Ta main (aimante)


bénis-moi, afin que je puisse faire une guirlande
nuptiale de Lettres digne de Shri Arunachala,
l’Epoux !

R e f r a in

Arunachala Shiva ! Arunachala Shiva !


Arunachala Shiva ! Arunachala !
Arunachala Shiva ! Arunachala Shiva !
Arunachala Shiva ! Arunachala !
1. Arunachala ! Certes Tu déracines l’ego de
ceux qui méditent sur Toi dans leur cœur, ô Aru­
nachala ! (2)
2. Puissions-nous Toi et moi être un et insépara­
bles comme Alagli et Sundara (3), ô Arunachala !
3. Entrant chez moi et m’attirant (chez Toi),
pourquoi m’as-Tq gardé prisonnier dans la caver­
ne de Ton cœur, # Arpnachala ?
4. Etait-ce donc pour Ton plaisir ou par égard
pour moi que Tu m’as conquis ? Si maintenant Tu
me renvoies, le monde Te blâmera, ô Arunachala !1

1. Autre nom de Shri Ganêsha.


2. Autre traduction possible : « Arunachala ! Certes Tu ex­
tirpes l’ego de ceux qui se concentrent sur leur identité (essen­
tielle) avec Toi, ô Arunachala !
3. Le mot tam il álagú et le m ot sanskrit sundara ont . le
même sens : « beauté ». Alagu et Sundara sont aussi les
noms des mère et père de Shri Râmana,

83
5. Evite ce blâme ! Pourquoi T’es-Tu donc
rappelé à moi ? Et comment pourrais-je Te quit­
ter maintenant, ô Arunachala ?
6. Toi qui en bonté dépasses de loin notre pro­
pre mère, est-ce donc là Ta toute tendresse» ô Aru­
nachala ?
7. Siège fermement dans mon mental, de peur
qu’il ne T’élude, ô Arunachala ! (4)
8. Dévoile Ta beauté, pour que le mental volage
Te voie à jamais et qu’il repose (en paix), ô Aru­
nachala ! (5)
9. Après m’avoir enlevé, si maintenant Tu ne
m’embrasses pâs, Ta conduite est-elle chevaleres­
que, ô Arunachala ?
10. Te sieddl de dormir ainsi quand je suis outra­
gé par les autres, ô Arunachala ?
11. Même quand les cinq sens voleurs font irrup­
tion sur moi, n’es-Tu pas toujours dans mon cœur,
ô Arunachala ?
12. Tu çs Un sans second ; qui donc oserait T’élu­
der et entrer ? Ce n’est là qu’un de Tes artifices,
ô Arunachala !
13. Symbole du monosyllabe OM sans rival
sans pareil ! Qui peut Te comprendre, ô Aruna­
chala ?
14. En tant que Mère (Universelle), c’est Ton
devoir de dispenser Ta Grâce et de me sauver, ô
Arunachala !

4. Autre traduction possible : « Ne change pas Ton hum eur


en fuyant m ais tiens-Toi, inébranlable, dans mon m ental, ô
Arunachala ! » — Ou encore : « Sms vigilant dans mon
m ental, de peur qu’il ne Te change Toi-même (en moi) et ne
s’enfuie, ô Arunachala 1 »
5. Autre traduction possible : « Le m ental prostitué cessera
de co u rir les rues si • seulem ent il Te trouve. Révèle donc Ta
beauté et retiens-le lié, ô Arunachala ! » Mej Ou encore : « Le
m ental p ar son inconstance m’empêche de Te chercher et de
trouver la paix ; (retiens-le et) accorde-moi la vision de Ta
beauté, ô A runachala ! »

84
15. Qui peut jamais Te trouver ? Tu es l’œil de
l’œil et Tu vois sans yeux, ô Arunachala | (6)
16. Comme une pierre d’aimant attire le fer, en
le magnétisant et le tenant serré, fais, Toi, de même
pour moi, ô Arunachala !
17. Montagne (immuable) baignant dans une Mer
de Grâce, aie pitié (de moi) je T’en prie, ô Aruna­
chala !
18. Gemme ardente, brillant dans toutes les direc­
tions, je T’en prie, brûle mes impuretés, ô Aruna­
chala !
19. Brille en tant que mon Guru, me libérant des
fautes et me rendant digne de Ta Grâce, ô Aruna­
chala !
20. Sauve-moi des pièges cruels des femmes fas­
cinantes et honore-moi de l’union avec Toi, ô Aru­
nachala !
21. Malgré mes supplications, Tu es insensible et
Tu ne condescends pas. Dis-moi : « Ne crains pas ! »,
je T’en prie, ô Arunachala !
22. Son sollicité Tu donnes; telle est Ta renommée
impérissable. Ne démens pas Ton nom, ô Aruna­
chala !
23. Doux fruit au creux de mes mains, que je sois
fou d’extase, ivre de la Béatitude de Ton Essence,
ô Arunachala !
24. O, Toi qui est célébré comme le Dévorateur de
Tes adorateurs, comment puis-je survivre après
T’avoir embrassé, ô Arunachala ?
25. Toi, inaffecté par la colère ! Quel crime m’a
désigné (à Ton courroux), ô Arunachala ? (7)
6. Autre traduction possible : « E tant la vue de l’œil, même
sans yeux découvre-moi Toi-même. Qui (sinon Toi-même)
peut Te découvrir, ô Arunachala J »
7. Autre traduction possible : « Toi inaccessible à la colère !
Quelles (austérités demeurées) incom plètes (dans des existen­
ces antérieures) m ’ont gagné Ta faveur spéciale, ô Arunacha­
la ! »

85
26. Glorieuse Montagne d’Amour, célébrée par
Gautama (8), régis-moi de Ton regard gracieux, ô
Arunachala !
27. Soleil éblouissant qui inonde tout l’univers
dans Tes rayons, à Ta Lumière, ouvre le lotus de
mon cœur, je Te prie, ô Arunachala !
28. Que moi, Ta proie, je me rende à Toi, et sois
consumé, et gu’ainsi j’obtienne la Paix, ô Arunacha­
la ! (9)
29. O Lune de Grâce, de Tes (frais) rayons en gui­
se de mains, ouvre (en moi) l’orifice ambrosia-
que et que mon cœur se réjouisse, ô Arunachala !
30. Déchire ces robes, expose-moi ntt, puis enro­
be-moi de Ton Amour, ô Arunachala !
31. Là (dans le cœur) repose en paix ! Que la mer
de joie me submerge, que cessent parole et senti­
ment, ô Arunachala !
32. Ne continue pas de me tromper et de m’éprou-
vér ; révèle plutôt Ton Soi Transcendant, ô Aruna­
chala !
33. Daigne accorder la connaissance de Vie Eter­
nelle, que je puisse apprendre la glorieuse Sagesse
Primordiale et fuir l’illusion de ce monde, ô Aru­
nachala !
34. A moins que Tu ne m’embrasses, je fondrai en
larmes d’angoisse, ô Arunachala !
35. Si je suis repoussé par Toi — hélas — que me
reste-t-il sinon le tourment de mon prârabdha ?
(10) Quel espoir m’est-il laissé alors, ô Arunacha­
la ?
8. Le G autam a au q u el 11 e st ici f a it allu sio n n ’e st p as le
B ouddha m a is u n sage h in d o u de ce nom q u i h a b ita à A ru­
n ach ala.
9. A utre tra d u c tio n possible : « Je suis venu m e re p a ître de
T oi, m ais tu T ’es re p u de m oi ; m a in te n a n t c’e s t la P a ix , 6
A runachala ! »
10. Prârabdha, est la p a rtie de la destinée d ue a u x actio n s
passées (karmas) qui p o rte ses f r u its d a n s la v ie présente.

86
36. En silence Tu as dit : « Demeure en silence ! »
et Toi-même fus le Silence, ô Arunachala ! (11)
37. Le bonheur réside dans un repos paisible goû­
té en demeurant dans le Soi. Au-delà du langage
assurément est Ta prouesse de demeurer dans le
Soi. Au-delà du langage assurément est Ceci, mon
état, ô Arunachala !
38. Tû fis montre certes de ta prouesse une fois,
et, les périls cessant, Tu retournas à Ton repos, ô
Arunachala I (12)
39. (Un chien petit flairer son màître) ; suis-je
donc pire qu’un chien 1 Sans arrêt Tê cherôiéral-je
et Te recouvrerai-je, ô Arunachala ! (13)
40. Accorde-moi la sagesse, je T’en supplie, afin
que je ne languisse pas d’amour pour Toi dans
l’ignorance, ô Arunachala !:
41. 'M ë trouvant pas ma fleur éclose, Tu planes en
vain au-dessus de moi comme une abeille, ô Aruna­
chala J (14)
42. « Tu as réalisé le Soi, même sans savoir que
c’était la Vérité. C’est la Vérité même ! » : Dis-le
(s’il en est ainsi), ô Arunachala ! (15)
11. Le silence e st la p in s h a u te e t la p lu s p a rfa ite fo rm e
d ’in stru c tio n m éta p h y siq u e que le G uru p u isse d o nner, c a r de
p a r sa n a tu re il e st trè s proche de l’o b je t essen tiel d ’une te lle
in stru c tio n , à sa v o ir l ’Absolu incom m unicable et in ex p rim ab le.
12. A utre tra d u c tio n possible : « Soleil ! Tu fis certes une
so rtie e t (le siège de) l’illu sio n p r it fin . A lors certes T u b rilla s
san s m o uvem ent (seul), ô A ru n ach ala ! ».
13. A utre tra d u c tio n possible : « P ire q u ’un chien (p a r m a n ­
que de fla ir), com m ent p u is-je T e suivre à la tra c e (jusque
chez T oi), ô A ru n a ch a la ? »
14. A utre tra d u c tio n possible : « (An soleil le lo tu s fle u rit),
com m ent donc p ouvais-T u, Soleil des soleils, p la n e r a u-dessus
de m oi com m e une abeille, p o u r d ire e n su ite « T u n ’es p as
encore éclose », ô A runachala ? »
15. A utre tra d u c tio n possible : « S u je t à de trè s diverses
vues, c ep en d an t n ’es-T u pas seu lem en t Lui, ô A runachala ? »
— Oü encore : « Inconnu des ta ttw a s, b ien que T u sois le u r
ê tre 1: Que cela v e u t-il d ire, ô A ru n ach ala ? » (Sur lè s ta ttw a s
voir le tr a ité „« Qui su is-je ? ») .

87
43. Que chacun est la Réalité Elle-même, par Ta
nature Tu le démontreras, ô Arunachala ! (16)
44. « Regarde en toi-même toujours recherchant
le Soi avec l’œil intérieur, alors (II) sera trouvé » :
C’est ainsi que Tu m’as dirigé, ô bien-aimé Aruna­
chala !
45. Te recherchant vers l’intérieur, mais faible­
ment, je suis revenu (sans récompense). Secours-
moi, ô Arunachala ! (17)
46. De quelle valeur est cette existence sans la
Connaissance née de la réalisation ? Elle ne vaut
pas même qu’on en parle, ô Arunachala !
47. Que je plonge dans le vrai Soi, là où seuls
fusionnent les purs en esprit et en parole, ô Aruna­
chala ! (18)
48. Quand je m’abritai sous Toi en tant que mon
Dieu Un, Tu me détruisis certes entièrement, ô Aru­
nachala !
49. Trésor de Grâce bénigne et sainte, découvert
sans recherche, stabilise mon mental vagabond, ô
Arunachala !
50. En recherchant Ton Soi Réel avec courage,
mon radeau chavira et les eaux me submergèrent.
Aie pitié de moi, ô Arunachala !

16. A u tre tra d u c tio n p o ssib le : « R évèle-T oi, T oi seu l es


R é a lité , 6 A ru n a c h a la ! » — Ou enco re : « La R é a lité n ’e st
rie n q u e le Soi », n ’est-ce p a s to u t T on m essage, ô A ru n a ­
c h a la ? »
17. A u tre tr a d u c tio n p o ssib le : « A ussi fa ib le q u e f û t m on
e ffo rt, p a r T a G râce j e co n q u is le Soi, ô A ru n a c h a la 1 » — Ou
encore p « T e re c h e rc h a n t d a n s le Soi In fin i, j e re c o n q u is m on
p ro p re (S oi), ô A ru n a c h a la ! »
18. A u tre tra d u c tio n p o ssib le : « Moi, p a r T a G râce, su is a b im é
d a n s T on Soi, là oû seu ls fu s io n n e n t c e u x q u i so n t d é p o u illé s
de le u r m e n ta l e t a in s i p u rifié s , ô A ru n a c h a la 1 »

88
51. A moins que, par miséricorde, Tu ne tendes Ta
main de Grâce et ne m’embrasses, je suis perdu,
ô Arunachala ! (19)
52. O Immaculé, établis-Toi dans mon cœur pour
qu’y règne la joie étemelle, ô Arunachala !
53. Ne me raille pas, moi qui recherche Ta protec­
tion ! Pare-moi de Ta Grâce et ensuite considère-
moi, ô Arunachala ! (20)
54. Quand je m’approchai, Tu ne Te penchas pas ;
Tu Te tenais impassible, en union avec moi, ô Aru­
nachala ! (21)
55. Fais pleuvoir Ta Miséricorde sur moi avant
que Ta Connaissance ne me réduise en cendres, ô
Arunachala !
56. Unis-Toi à moi pour détruire (nos entités sépa­
rées en tant que) Toi et moi, et gratifie-moi de l’état
de joie toujours vibrante, ô Arunachala !
57. Quand (deviendrai-je) comme l’éther et T’at­
teindrai-je, Toi, subtil être, pour que cesse la tem­
pête des pensées, ô Arunachala ? (22)
58. Je suis un niais dépourvu de savoir. De grâce,
Toi, dissipe l’illusion, ô Arunachala ! (23)

19. A u tre tra d u c tio n p o ssib le : « E n lace-m o i c o rp s à corps,


m e m b re à m e m b re , ou j e su is p e rd u , ô A ru n a c h a la ! »
20. A u tre tra d u c tio n p o ssib le : « S o u ris-m o i av ec G râce e t
n o n avec m é p ris, m o i q u i v ie n s à T oi (p o u r re fu g e ), ô A ru n a ­
c h a la ! »
21. A u tre tr a d u c tio n p o ssib le : « Cela n e T e f a i t- i l p a s
h o n te d e r e s te r p la n té là com m e u n p o te a u , (m e la is s a n t) Te
d é c o u v rir p a r m o i-m êm e, ô A ru n a c h a la ? »
22. A u tre tra d u c tio n p o ssib le : « Q uand le s v ag u es de la
p en sée c e sse ro n t-e lle s d e se le v e r ? Q u an d T ’a tte in d r a i-je , T oi,
p lu s s u b til q u e l’é th e r s u b til, ô A ru n a c h a la ? »
23. A u tre tra d u c tio n p o ssib le : « D é tru is, T o i, m a fa u s se
co n n a issa n c e , j e T ’en su p p lie , c a r je su is d é p o u rv u de la
c o n n a issa n c e à la q u e lle c o n d u is e n t le s E c ritu re s , ô A ru n a ­
c h a la ! »

89
59. Quand je me fondis en Toi, mon Refuge, (je
Te trQuvtiH dressé et nu (comme le célèbre Digam-
bara) (24), ô Arunachala !
60. Dans mon Etre mal aimant Tu as certes engen­
dré une passion pour Toi, alors ne m’abandonne
pas, ô Arunachala !
61. Un fruit desséché et gâté ne vaut rien ; prends
et savoure-le mûr, ô Arunachala ! (25)
62. Ne T’es-Tu pas troqué avec ruse contre mol
(car mon individualité est disparue) ? O, Tu es la
mort pour moi, Arunachala ! (26)
63. Considère-moi 1 Songe à moi ! Touche-moi !
(27) Mûris-moi ! Fais-moi un avec Toi, ô Aruna­
chala !
64. Accorde-htoi Ta Grâce avant que le poison de
l’illusion ne me saisisse et, me montant à la tête,
ne me tue, ô Arunachala !
65. Toi-même considère-moi et dissipe l’illusion !
À moins que Tu n’agisses ainsi, qui peut intercéder
auprès de la Grâce Elle-même rendue manifeste,
ô Arunachala ?
66. En me rendant fou de Toi, m’as-Tu délivré
de ma folie (pour le monde) ? Accorde-moi main­
tenant la guérison de toute folie, ô Arunachala !

24. Digambara, de dik —, les directions de l’espace, et amba-


ra — drap, c’est-à-dire quelqu’un qui est: drapé dans les ¡§|jH|p
tions de l’espace, en d’autres termes, qui va nu.
25. Autre traduction possible : « Je ne suis pas (comme)
un fru it trop m ûr et gâté ; attire-m oi, donc, dans le recoin
le plus intim e (du cœur) et établis-moi dans l ’Eternité, ô Aru­
nachala ! »
■ 26. Autre traduction possible : « Ne T’es-Tu pas heureuse­
ment troqué contre moi (donnant tout et ne prenant rien) ?
N’es-Tu pas aveugle, 6 Arunachala ? »
27. Les termes « Considère-moi ! Songe à moi ! Touche-
moi I » se rapportent respectivement aux trois inodes d ’ini­
tiation, par le regard, la pensée et le toucher.

90
67. Impavide, je Te recherche, Toi qui es l’Impa-
vidité même ! Quelle crainte peux-Tu avoir de me
prendre, ô Arunachala ?
68. Que m’importe « ignorance» ou «sagesse», si
je suis gratifié de l’union à Toi, ô Arunachala ?
69. Mon mental a fleuri, (alors) parfume-le de Ta
senteur et rends-le parfait, ô Arunachala ! (28)
70. La simple pensée dë Toi m’as attiré à Toi, et
qui peut jauger Ta Gloire (en Elle-même), ô Aruna­
chala ?
71. Tu m’as possédé, inexorcisable Esprit, et Tu
m’as rendu fou (de Toi) afin que je cesse d’être un
fantôme (errant dans le monde), ô Arunachala !
72. Sois mon soutien et mon support de peur que
je ne retombe impuissant comme une tendre plan­
te grimpante, ô Arunachala !
73. Tu as certes engourdi (mes facultés) avec de
la poudre stupéfiante (29), alors dérobe-moi ma
compréhension et révèle-moi la Connaissance de
Ton Soi, ô Arunachala !
74. Montre-moi le combat pour Ta Grâce, dans la
rase campagne du Culte Libre où il n’y a ni com­
mencement ni fin, ô Arunachala !
75. Sans attache à la forme physique composée
des (cinq) éléments, que je repose à jamais heureux
à la vue de Ta Splendeur, ô Arunachala !
76. Tu m’as administré la drogue de la confusion,
alors je demeure confondu. Brille, Toi, en tant que
grâce, médecine guérissant toute confusion, ô Aru­
nachala !
28. Autre traduction possible : « Epouse-moi, je T’en supplie,
et que ce mental, aujourd’hui m arié au monde, soit marié
à la Perfection, ô Arunachala ! »
29. Cette strophe fait allusion aux ascètes errants qui subtili­
sent les enfants pour en faire des disciples, en les droguant
avec une pincée de poudre, telle que des cendres sacrées.

91
77. Brille, Toi, impersonnel, ruinant l’orgueil de
ceux qui se targuent de leur libre volonté, ô Aruna-
chala !
78. Je suis un insensé qui ne prie que lorsqu’il est
accablé (par la peine), pourtant ne me déçois pas,
ô Arunachala !
79. Protège-moi de peur que je ne me débatte bal-
loté par la tempête comme un bateau sans timo­
nier, ô Arunachala !
80. Tu as coupé le nœud qui cachait la vision de
Ta Tête et de Ton Pied (c’est-à-dire les « extrémi­
tés » du Soi illimité). Pareil à une Mère, ne devrais-
Tu pas compléter Ta tâche, ô Arunachala ? (30)
81. Ne sois pas (comme) un miroir tendu à un
homme sans nez, mais tire-moi (de mon abatte­
ment) et embrasse-moi, ô Arunachala !
82. Etreignons-nous sur le lit aux tendres fleurs
qu’est le mental, à l’intérieur de l’enceinte du corps,
ô Arunachala. !
83. Comment se fait-il que Tu sois devenu célè­
bre par une union constante avec les seuls pauvres
et humbles, ô Arunachala ?
84. Tu as enlevé l’aveuglement de l’ignorance avec
le collyre de Ta Grâce, et Tu m’as fait vraiment
Tien, ô Arunachala |
85. Tu tondis certes ma tête (et je fus perdu pour
le monde) (31), alors assurément Tu (Te montras)
dansant dans l’Espace Transcendant, ô Arunacha­
la !

30. La section du nœ ud qui lie l’hom m e à l ’illusion im plique


la réalisatio n de niruikalpa sam âdhi, résorption sans cons­
cience du m onde ; l’achèvem ent de la tâche se rap p o rte à
l ’é ta t de sahaja sam âdhi qui est défini comme com portant
la vision du m onde en ta n t que < form e du Soi ».
31. La parenthèse n ’est pas une additio n interp rétativ e, c ar
p a r une a u tre lecture, e n tra în a n t le changem ent d ’une seule
lettre, la phrase exprim e effectivem ent cet effet de la tonsure.

92
86. Bien que Tu m’aies libéré des brumes de l’er­
reur et que Tu m ’aies rendu fou de Toi, pourquoi
ne m’as-Tu pas encore délivré de l’illusion, ô Aru-
nachala ? (32)
87. Est-ce le vrai Silence de reposer comme une
pierre, Inerte et non expansif, ô Arunachala ?
88. Qui est-ce qui me jeta de la boue en guise
de nourriture (33) et me vola mon gagne-pain, ô
Arunachala ?
89. Alors que je Suis inconnu de tous et stupéfait,
qui est-ce qui m’a ravi mon âme, ô Arunachala ?
90. Je Te parlai ainsi, parce que Tu es mon Sei­
gneur î ne suis pas offensé mais viens me donner
le bonheur, h Arunachala !
91. Jouissons l’un de l’autre dans la Maison du
Libre Espace, où il n’est plus de nuit ni de jour,
q Arunachala ! (34)
92. Tu m’as certes percé des dards de l’Amour et
ensuite me dévoras vivant, ô Arunachala !
93. Tu es l’Etre Premier, tandis que je ne compte
ni dans ce monde ni dans l’autre. Qu’as-Tu donc
gagné par mon être dépourvu de valeur, ô Aruna­
chala ?
94. Ne m’as-Tu pas appelé ? Je suis entré. Mainte­
nant sers-moi ma mesure, (ma subsistance est main­
tenant à Ta charge). Qu’il est ardu d’avoir Ton lot,
ô Arunachala !

32. A utre traduction possible : « Bien que Tu m ’aies détaché


du monde et m’aies fa it ad h érer à Toi, Ta passion p o u r moi
ne s’est pas refroidie, ô A runachala ! »
33. L ittéralem en t : « Je ta de la boue dans m a bouche »,
expression sig n ifia n t : « causa m a ru in e ». Le sens profond
de cette strophe est : « Qui est-ce qui m ’a individualisé et
yolé mon E tre P a rfa it ? »
34. C’est une allu sio n à la « c av ité du cœ u r» qui se situe
au-delà du tem ps et de l ’espace.

93
95. Du moment où certes Tu m’accueillis, entras
en moi et m’accordas Ta vie divine, je perdis mon
individualité, ô Arunachala !
96. Bénis-moi pour que je puisse mourir sans
lâcher ma prise sur Toi, ou alors mon sort est vrai­
ment misérable, ô Arunachala !
97. Hors de chez moi certes Tu me séduisis, Te
glissant alors dans mon cœur Tu m’entraînas dou­
cement dans le Tien, (telle est) Ta Grâce, à Aruna­
chala !
98. J’ai divulgué Tes œuvres (secrètes). Ne sois
pas offensé ! Maintenant montre-moi Ta Grâce
ouvertement et sauve-moi, ô Arunachala !
99. Accorde-moi l’essence des Vêdas, qui brille
dans le Vêdânta de la Non-Dualité, ô Arunachala !
100. Même mes calomnies, considèle-les comme
des louanges et protège-moi à jamais en tant que
vraiment Tien, je T’en prie, ô Arunachala ! (35)
101. Comme la neige dans l’eau, que mon être
d’amour fonde en Toi Qui es l’Amour même, ô
Arunachala !
102. Je n’avais que pensé à Toi en tant qu’Aruna,
et voilà que je fus pris au piège de Ta Grâce! Le
filet de Ta Grâce peut-il jamais faillir, ô Aruna­
chala ?
103. Me guettant comme une araignée pour me
prendre au piège de la (toile de Ta) Grâce, Tu m’as
certes entrelacé et quand je fus emprisonné Tu T’es
repu de moi, ô Arunachala !
104. Que je sois le serviteur des adorateurs parmi
ceux qui entendent Ton nom avec amour, ô Aru­
nachala !

35. Autre traduction possible : « Que la calomnie même me


soit louange, et protège-moi à jam ais en tan t que bien à Toi, je
T’en prie, ô Arunachala ! * — Ou encore s « Pose (Ta main) sur
ma tête ! Fais de moi un participant de Ta Grâce ! Ne m’aban­
donne pas, je T’en prie, ô Arunachala ! »

94
105. Brille, Toi, à jamais en tant que le miséricor­
dieux Sauveur des suppliants désespérés tel que
moi-même, ô Arunachala !
106. Familiers à Tes oreilles sont les doux chants
des adorateurs qui fondirent jusqu’aux os d’amour
pour Toi, cependant que mes pauvres efforts aus­
si Te soient acceptables, ô Arunachala !
107. Mont de Patience, montre-Toi indulgent
envers mes folles paroles, (les considérant) comme
des hymnes de joie ou comme il Te plaira, ô Aru­
nachala !
108. O Arunachala ! Mon Seigneur Aimant ! Jette
sur mes épaules Ta guirlande et porte Toi-même
celle que je viens d’enfiler pour Toi Arunachala !
Béni soit Arunachala, bénis soient ses adora­
teurs !
Bénie soit cette Guirlande nuptiale de Lettres !

95
LE COLLIER AUX NEUF GEMMES
(Arunachala Navamanimalai)

1. A la cour (de Chidambaram), Shiva, bien


qu’immuable par nature, danse (en extase) devant
Sa Shakti qui se tient silencieuse. Sache qu’à
Arunachala II est là dans Sa solennité, et qu’EUe
se retire dans Son Soi Immuable !
2. « A », « Ru » et « Na » (les trois syllabes du
nom de la montagne Aruna) signifient Sat, Chit et
Ananda (Etre, Conscience et Béatitude), ou encore
le « Suprême Soi », le « soi individuel » et leur
«union» en tant que l’Un Absolu, exprimé dans
le mahâvâkyâ (la grande formule) (1) « Tu es
Cela » ; achala (= montagne) signifie la Perfec­
tion (2). Alors, adore Arunachala au lustre doré
éclatant, car Sa simple souvenance assure la Déli­
vrance.
3. Ceux qui cherchent refuge aux pieds de lotus
du Seigneur Suprême de Miséricorde présidant à
Arunachala — l’esprit libéré de l’attachement aux
richesses, à la terre et à la famille, à la caste et
aux choses de cet ordre (3), et purifié sans cesse
par la recherche de Ta Grâce bienveillante —
ceux-là se débarrassent (des peines) de l’obscurité,
et, dans la lumière permanente de Ta Grâce à
jamais protectrice qui brille comme les rayons
dorés du soleil levant, demeurent heureux, abîmés
dans l’océan de la Béatitude.

1. Un vâkyû est Une formule védique ; on en distingue spé­


cialement quatre, dont celle-ci, la Tattoamasi.
2. Pour l’étymologie A'Arunachala, voir plus loin le début
des Cinq Stances.
3. C’est-à-dire les quatre étapes de la vie (âshramas).

%
, 4. Annamatai ! (3) Ne songe pas à me laisser
dépérir et languir tel un oublieux de Toi (4) ; il
n’est pas juste bon plus que je sois réduit en pous­
sière pour avoir confondu le corps vil avec le Soi.
Porte sur moi Ton regard miséricordieux et ra­
fraîchissant, Œil de mes yeux ! Ne m’abandonne
pas, Seigneur, Toi qui es la Conscience même, ni
mâle ni femelle. Habite en mon Coeur !
5. Seigneur ! Toi qui es la Conscience même,
régnant sur le sublime Shonagiri (5), pardonne
toutes les graves fautes de ce pauvre être, et, par
Ton regard miséricordieux, bienveillant comme un
nuage de pluie, épargne-moi d’être à nouveau per­
du dans le désert lugubre, sinon je ne peux guéer
le sinistre (courant) de la manifestation (universel­
le). (Tu es la Mère Universelle) (6) ; y-a-t-il quelque
chose qui puisse valoir l’attention d’une mère pour
son enfant ?
6. « Tueur de Kâma » (7). Ainsi Te dénomment
toujours Tes adorateurs. Seigneur Arunachala ! Un
doute s’élève au sujet de la convenance de ce titre.
S’il convient, comment Kâma (qu’on appelle tou­
jours d’ailleurs) « le puissant », « l’invisible »,
peut-il continuer, aussi courageux et valeureux
soit-il, de se glisser dans un esprit qui s’abrite sous
Tes pieds, Toi son Tueur ?

3. = A ru n a c h ala .
4. Autre lecture possible : « Ne songe pas à me laisser dépérir
car Tu es toujours dans mon esprit ».
3. A ru n a c h ala .
6. Voir La Guirlande nuptiale de Lettres, strophe 14. '
7. Kâma est Cupidon 1 11 tenta Shiva alors' que celui-ci se
livrait à des tapai et finit par se faire incendier par un regard
courroucé de sou troisième œil. Pris de pitié pour sa femme
inconsolable, Rati, Shiva lui tsporda de prolonger son existence
dans un corps subtil.

97
7. O Arunaehala ! dès que Tu m’eus revendiqué,
mon corps et mon âme furent Tiens. Que puis-je
désirer d’autre? Tu es à la fois le mérite et le
démérite, ô ma vie ! Je ne peux les concevoir en
dehors de Toi. Fais donc comme Tu veux, mon
Bien-aimé, mais accorde-moi seulement un amour
toujours grandissant pour Tes pieds!
8. Pour me délivrer, moi qui suis né des vertueux
Sundara et Sundari (8) dans le saint lieu de Tiru-
chuli, siège de Bhuminathêshwara, pour me sau­
ver du tourment de la misérable vie du monde,
Il m’a élevé jusqu’à Son état, afin qu’ainsi Son
Cœur se réjouisse, qu’ainsi Timmanence de Shiva
resplendisse, et le Soi s’épanouisse. Tel est Aruna-
chala, célèbre à travers tout l’univers !
9. Tu m’engendras gÉ Tu veillas sur moi dans le
monde sous la forme de mes père et mère, Tu
habitas mon esprit, et avant que je ne tombe dans
la mer profonde de la Jaganmâyâ (9) et que je
ne m y noie, Tu m’attiras jusqu’à Toi, ô Arunaehala,
Toi qui es la Conscience elle-même, car telle est
la merveille de Ta Grâce !

8. Rappelons que Sundara (« Beauté ») est le nom sanscrit du


père de B hagavan; Sundari est une épithète donnée ici par
symétrie à Alagu (qui en Tamil signifie elle aussi « beauté »),
la mère de Bhagavan.
9. Jaganmâyâ est Rlllusion universelle.

98
ONZE STANCES AU SUJET DE SHRI
ARUNACHALA
(Aruncichala Pathigam)

1. Maintenant que par Ta Grâce Tu m’as reven­


diqué, qu’adviendra-t-il de moi, à moins que Tu ne
Te manifestes à moi, car, soupirant ardemment
après Toi et, harassé par l’obscurité du monde,
sans Toi je suis perdu ? O Amour à forme d’Aru-
nachala, le lotus peut-il fleurir sans la vue du
soleil ? Tu es le Soleil des soleils ! Tu fais surgir
la Grâce en abondance et Tu la répands à flots !
2. Arunachala, Tôt formé de la Grâce elle-mê­
me ! Une fois revendiqué par Toi, aussi dénué
d’amour fussé-je, comment peux-Tu m’abandon­
ner à mon égarement, privé de la plénitude
d’Amour, de sorte que je doive brûler pour Toi sans
cesse et fondre vers l’intérieur comme cire sur le
feu ? G Nectar surgissant dans le cœur des dévots !
Havre de mon refuge ! Puisse Ton agrément être
le mien, car dans cette voie se trouve ma joie,
Seigneur de ma vie !
3. Me tirant avec les cordes de Ta Grâce, Bien
que je n’aie pas même vaguement pensé à Toi,
Tu décidas certes de me tuer net. Or, alors que le
faible que je suis continue ses offenses à Ton
encontre, Tu laisses le verdict Inexécuté ? (1). Pour-1

1. Autre acception possible : < Quelles austérités demeurées


incomplètes (dans des existences antérieures) m’ont gagné
Ta faveur spéciale ? (Voir dans La Guirlande nuptiale de
Let'-es, strophe 25, note 7p Que ine reste-t-il d’autre à obtenir
ou a accom plir? »

99
quoi donc me tortures-Tu ainsi, me tenant suspendu
entre la vie et la mort ? O Arunachala ! Exécute
Ton arrêt et survis-moi longtemps tout seul, ô
Seigneur !
4. Que T’a-t-il profité de me choisir parmi tous
ceux qui luttent dans le samsâra (2), de soustraire
mon être sans force à l’égarement et de me retenir
à Tes Pieds ? Seigneur de l’Océan de Grâce ! Même
penser à Toi me fait honte. A Toi la vie sans fin !
Je courbe la tête devant Toi et je Te bénis 1
JL Seigneur ! Tu m’as certes enlevé furtivement,
et depuis lors Tu m’as retenu à Tes Pieds ! Sei­
gneur ! Tu as fait que je restasse tête baissée,
(muet) comme une image, lorsque je fus interrogé
sur Ta nature (3) ! Seigneur ! Daigne mè soulager
dans mon épuisement en lequel je lutte comme un
cerf pris au piégé. Seigneur Arunachala ! Quelle est
donc Ta volonté ? (Mais) qui suis-je pour Te
comprendre ?
6. Seigneur de ma vie ! Je suis toujours à Tes
Pieds, comme une grenouille (qui s’agrippe) à la
tige du; lotus g fais-moi plutôt abeille qui (de la
fleur du Cœur) tire le doux miel de la Pure
Conscience ; alors j’aurai la Délivrance. Si je suis
perdu alors que moi je m’agrippe à Tes Pieds
de Lotus, ce serait une; colonne ¿’ignominie dressée
pour Toi, ô Flambant Pilier de Lumière, appelé
« Arunachala» (4) ! 0 vastitude de Grâce, plus
subtile que l’éther !
7, O Pur par excellence ! Si les cinq éléments,
les êtres vivants et chaque chose manifestée ne

2. Le samsâra est le flux de la m anifestation universelle.


3. Autre acception possible : « Tu m’as fa it (demeurer
tendu) comme un arc fléchi lorsque je fus Interrogé sur Ta
nature ». v .-
*'.’ü ifflA ffc iW tii m Ë m ï m m Lumière ». Voir plus loin
fis. Cinq SiSnèes dédiées à Shri Amnachàla$»

100
soüt rien que IFar Lumière ;’toutpé'mbrassa!*tej com­
ment puis-je alors (moi seul) êtrë séparé de Toi ?
Puisque Tu brilles dans le Cœur, étendue unique
sans dualité, comment puis-je en sortir en. tant que
distinct ? Montre-Toi plantant Tes, Pieds de Lotus
sur la tête de l’ego tandis qu’il émerge .! .*
8. Tu m’as épargné toute connaissance par réa­
lisation graduelle pendant me vie dans ce monde,
et Tu m’as établi en paix ; une telle sollicitude
est assurément bénéfique et dépourvue de peine
pour quiconque, car la mort (spirituelle) durant la
vie est en vérité glorieuse (5). Accorde-moi, à moi
qui suis prodigue et fou (de Toi), le souverain
remède d’être accroché à Tes Pieds !
9. O Transcendant ! Je suis le premier de ceux qui
n’ont pas la Suprême Sagesse de s’attacher à Tes
Pieds, libres de tout autre attache. Ordonne, Toi,
que mon fardeau soit transféré à Toi et ma libre
volonté effacée, car qu’est-ce qui pourrait être un
fardeau pour le Support (de l’univers) ? Seigneur
Suprême ! Je suis lassé de porter le fardeau de ce
monde sur ma tête, séparé de Toi. Arunachala,
Suprême Soi ! Ne pense plus à me garder à
l’écart de Tes Pieds !
10. J’ai découvert une Nouvelle Chose ! Ce Mont,
la Pierre d’aimant des vies, arrête les mouvements
de quinconque seulement pense à Lui, l’attire face
à face avec Lui, et le fixe sans mouvement comme
Lui-même, pour se repaître de son âme ainsi mû­
rie. Quelle (merveille) est-ce là ! O âmes ! Veillez
à Son sujet et vivifiez î (6) Quel destructeur de

5. Autre acception possible : « Tu as détruit ma capacité


de gagner ma vie dans le monde, et Tu as fa it de moi un
rebut ; celte condition est misérable et malheureuse ; mieux
vaut m ourir que vivre dans une telle ignominie ».
6. ! Autre acceptais» ? « O âmes ! Pensez-Y et soyez . sau­
vées 1»

101
vies est ce magnifique Arunachala, qui brille à l’in­
térieur du Cœur !
11. Combien y en a-t-il qui se sont consumé
comme moi pour s’être attachés à la pensée que ce
Mont était le Suprême ? (7) O hommes qui, dégoû­
tés de cette vie d’intense misère, cherchez un moyen
d’abandonner le corps, sachez qu’il est sur terre une
rare drogue : sans tuer nocivement, elle annihile
quiconque seulement pense à Lui. Sachez que Lui
n’est nul autre que cet Arunachala !

7. A utre acception possible : « Combien y en a -t-il qu i ont


perdu (leur ego) po u r avoir pensé que cette M ontagne é ta it
Le Suprêm e ? >

102
HUIT STANCES SUR SHRI ARUNACHALA
(Shri Arunachala Ashiakam)

% L e m o n t q u i a ttir e à L u i c e u x q u i s o n t ric h e s en
jnanatapas (1), c ’e st c e t A ru n a c h â la ». (T ire d e VArina-
malai Venba d u G u ru N a n ia stiiv a 3'a , d is c ip le d e G u h a
N a m a sh iv a y a .) ,

1. Ecoute ! Il se tient Mont impassible (2). Son


action est mystérieuse, elle dépasse l’entendement
humain. Depuis l’âge de l’innocence avait brillé
dans mon esprit la pensée qu’Arunachala était
quelque chose d’une grandeur transcendantale (3),
mais même lorsque j’appris par un autre que
c’était la même chose que Tiruvannamalai (4), je
ne me rendis pas compte de sa signification (à
savoir que c’était un mont). Lorsque, attiré par lui
qui rassérénait mon esprit, je m’en approchai, je
le vis se dresser immuable (5).
2. « Qui est le voyant ? » Lorsque je cherchais
vers l’intérieur, j ’assistais à la disparition du voyant
et de ce qui lui survivait. Aucune pensée, telle que
« je voyais », ne se levait ; dès lors, comment la 12345

1. Ceux qui sont to u t e n tie r voués à l’acquisition de. la


sagesse.
2. C’est-à-dire : ne percevant aucune ré alité comme distincte
de soi-mèine.
3. « V oir C hindam baram , n a ître à T iru v arn r, m o u rir à Bé-
narès, ou sim plem ent penser à A runachala, c’est être assuré
de la D élivrance ». Ce couplet est bien connu dans les m ai­
sons b rahm ines de l’Inde du Sud.
4. T iruvannam alai est le nom de la localité où se trouve
Arunâcïtala.
5. V ariante : « Je ré alisai qu’il é ta it la T ran q u illité Abso­
lue ».

103
pensée « je ne voyais pas» pouvait-elle apparaî­
tre ? Qui a le pouvoir de communiquer ceci avec
des mots, quand bien même Toi ne pouvais le
faire jadis (apparaissant en tant que Dakshinamûr-
ti) jfpe par Le:silence? C’est seulement pour com­
muniquer par le silence Ton Etat (ineffable) que
Tu Te dresses comme une montagne qui brille de
ciel en terre.
3. Quand j’approche Te regardant comme doué
de forme, Tu es rocher sur terre. Si (avec le men­
tal, le scrutateur) cherche Ta forme Sans-forme, il
est comme celui qui parcourt la terre pour découvrir
f'éther Ipàrtout présent). Se fixer sans ÿènlêe sur
Ta nature (illimitée) c’est perdre sa propre iden­
tité comme une poupée de sucre lorsqu’elle fvient
en Bonta et àvëc i ’o'céan (de nectar)^1et lorsque j’en
viens à réaliser qui je suis, à qui donc est cette iden­
tité mienne Hf eé iiiest: à TII4 ô Tof'qui TeNfierts en
tant quë sublime Mont Aruna ?
4. Chercher Dieu alors qu’on T’ignore Toi qui
es Etre et Conscience, c’est aller avec une lampe à
la recherche de l'obscurité* C e st seulement pour
Te faire connaître, en tant qu’Elre et Conscience,
que Tu résides dans différentes religions sous (des
noms et) des formes différents. Si (cependant) les
hommes ne ( parviennent pas);.à Te connaître, ils
sont assurément les aveugles qui ne connaissent
pas le Soleil. O, Arunachala le Grand, Toi Gemme
sans pareille, demeure et brille en tant que mon
Soi, Un sans second !5
5. Tout comme le fil dans (un collier de) perles,
c’est Toi qui dans Ton. Unité pénètres toute, la
diversité des êtres et des religions. Si, comme une
pierre lorsqu’elle est taillée et polie, le mental
(impur) est ouvré contre la meule du mental (pur)
pour être débarrassé dé ‘ses défauts, *il prendra la
104
lumière de Ta Grâce (et brillera)- ¡comme un rubis
dont le feu est inaffecté par un quelconque objet
extérieur. Lorsqu’une plaque sensible a été exposée
au soleil, peut-elle encore être impressionnée ? O
doux et éblouissant Mont Aruna ! Y a-t-il vraiment
qjMqué;ÿiliQse à part Tpi ?
6. Tu es Toiteême l’Etbp Un, toujours en éveil
en tant que le Cœur qui brille de soi-même ! En
Toi il est une puissance mystérieuse (Shakti) qui
sans Toi n’est rien. D’elle procède le fantôme du
mental avec ses brumes noires subtiles et cachées,
qui, illuminées jp&r Tè* Lumière (de tfonscience)
réfléchie' sur :afïes> 'd#paiaftSi*É' inférieurement
comme des pensées : tôùrbillobiïânt dans les vbr-
tex de prârabdiïà et développant ''■ÉMilfte dans
les mondes psychiques, ces pensées sont projetées
vers l’extérieur en tant que le monde matériel,
pour être transformées en objet concrets grossis
par les sens extériorisants et se mouvant comme
des images cinématographiques. Visibles ou invisi­
bles, ô Mont de Grâce, sans Toi elles ne sont rien !
7. Tant qu’il y a la pensée « Je », il n’y a pas
d’autre pensée. Tant que d’autres pensées apparais­
sent, (la question) « A qui ? » appellera la réponse
«A moi ». Celui qui poursuit cet examen en s’in­
terrogeant : <Quelle iéÉflreÉtgine,'i|u « je », et plon­
geant intérieurement, atteint le siège du mental
dans le Cœur, devient (là-dedans) le Souverain Sei­
gneur de l’Univers (l)y*0, Océan illimité de Grâce
et de Splendeur appelé Arunachala, dansant sans
mouvement à l’intérieur de la cour du Cœur ! Là il
n’y a plus de rêve correspondant à des dualités
telles que dedans et dehors, bien et mal, nais-1

1. Littéralement : le Souverain Seigneur à l’ombre d’un seul


jS S ïr S s i® ., -

105
sance et mort, plaisir et douleur, ou encore lu­
mière et obscurité.
8. Les eaux s’élèvent de la mer et forment des
nuages, puis elles retombent en pluie et retournent
à la mer sous forme df rivières ; rien né peut
lis empêcher de revenir à*'leur source. De même
on ne peut empêcher l’âme qui a surgi dé Toi
de retourner à Tpi, bien qu’elle soit entraînée dans
de nombreux tourbillons en chemin. Un oiseau qui
s’élève de terre et prend son essor dans le ciel,
ne peut trouver aucun lieu de repos en l’air, mais
doit revenir à terre. Ainsi tous doivent assurément
revenir sur leurs pas, et lorsque l’âme elle-même
trouvera le içhemin vers sa source, elle sombrera
et fondra en Toi, ô Arunachala, Toi Océan de
Béatitude !

106
GINQ STANCES
DEDIEES A SHRI ARUNACHALA
(Shri Arunachala Pancharatna)

Océan de Nectar, comblé de Grâce, engloutissant


l’univers dans Ta Splendeur, ô Arunachala, Toi qui
es le Suprême Lui-même, sois le Soleil et ouvre le
lotus de mon cœur en Béatitude !
Ceci est la stance d’ouverture du Pancharatna qui sous
la forme d’un stotra (louange de Dieu) énonce l’essence de
la Connaissance Suprême issue de la Réalisation. On la
compare aux sûtras (1). Très concise, elle recèle un sens
beaucoup plus profond qu’il n’apparaît au premier abord.
« Arunachala » - Aruna (lumière), Achala (montagne) -
signifie le Têjolingam (symbole de lumière) de Shiva.
Microcosmiquement cela signifie que, lorsque l’on va
au-delà de la conscience corporelle, le Soi intérieur brille
pur et clair.
La perte ordinaire de la conscience corporelle, à l’occa­
sion d’un choc par exemple, n’entraine que l’obscurité,
tandis que le même état provoqué volontairement en vue de
la Réalisation du Soi, aboutit a l’Illumination du Soi, par
la grâce de Dieu.
Une telle illumination détruit l’ego, entraînant la com­
plète reddition de soi-même au Seigneur. Le Seigneur est
Eternel ; le sens de l’Eternité est Béatitude (Nectar).
Tort comme le bouton de lotus, croissant dans les maré­
cages, fleurit au lever du soleil, de même le cœur, derrière
le mental souillé, s’irradie par la grâce de Dieu qui est le
Soi de tous les êtres et qui est extérieurement visible en1

1. [Les sûtras so n t des « A p h o rism es » d o u é s d ’a u to r ité


tra d itio n n e lle . Cf. le s Brahma-Sûtras d e B â d a râ y a n a q u i c o d i­
fient le V êdànta ].

107
tant qu’Arunachala. Mais ce soleil, une fois levé, ne se cou­
che jamais plus et le Cœur de l’Ame Réalisée est en fleur
une fois pour toutes.

■O Arunachalp P en Toi Mpiage de l’uni§irs iH


formée, est, é,|^^bjyi»is ^dissoute ; telle est la
sublime vérité ! Tu es le Soi intérieur, qui danses
dans le Cœur en tant que « moi » ! « Cœur » est
Ton nom, ô Seigneur !

Ce sloka réfère à Dieu d’abord|en f||pt qui? Jçêateui^’


Prélerspfjtur étffipgractefar et ¡ensuite làipDleu en,.tant que
IfeaK éaM M ’llldtM B .
't e s délivrés vivants disrojË que tout^iynmie Dieu est le
séjour ^Hl'Uniw^Mw'flœtlr e s n l séjour (^Thoihiire. iwa
•partie ffl)|t êtreyigJja natùtM ,d.u am|t 'Ê,le-ÆMû (Dieu) est
Infinité. Par conséquent, il n k M g s de SptSëjüon entre
l f S P | l Dieu,
Dieu est ConatiMgÉi de gj|i|fc| le Cœur. Indépendant et
shblitne, il •se manifeste f§| tant que te-4H uïtomain',-
concomitant dune force individualisante perceptible,en
« a t. que 1’ « ego » ou le « moi ». Si l’on remonte jusqu’à
l’origine de l’ègo, une vibration émanant du Cœur devient
perceptible, témoignant du Soi Réel.

Celui qui sè tourne vers l’intérieur, l’esprit tran­


quille, poiu* rechercher d’où s’élève la conscience
du « moi », réalise le Soi, et demeure en Toi, ô
Arunachala, comme une rivière lorsqu’elle rejoint
l’océan.

J n â n a -m û r g a .- la Voie de la Connais«
« ace, ,om[ n u i i t é c Jrc.ux jÆ^feont à la, rqekerche de la
Vérité. ne-'«|esniffi iîs a E m ftiiB. quatre voies de réali­
sation;, du : lé Xpaqa, 1e ^ o g a , le B h a k ti et
le K a r m a .
i S f g f É i r ||iti’vj|*;<|È jpggjgjg les ies,i so u m is à Pfipfpap'î-
ration, d es nuages se n rsn e n t et tombe, donnant
a i t i l e à des s’agitent, pour
a lÉ H ^ p fr et s ’écoulen t pour
leur rej»®s qu’après s’être d è v e r i§ jf dans {Mjjg$$L’ P areil­

108
lement, l’individualité procédant du Cœur est agitée et
devient anxieuse dè retrouver sa propre source. La Voie
est la'piste de 1’ « ego »»vers le Cœur.^, (

Abandonnant le monde extérieur, mental et Souf­


fle contrôlés, pour méditer sur Toi vers l’intérieur,
le Yogi voit Ta Lumière, ô Arunachala, et trouve
en Toi son délice.

Cette stance traite du Yoga mârga, décrit dans les « Yoga


Sûtras » de Patanjali.
Tandis qu’un Jnâni recherche la, .source de l’ego vers
l’intérieur et atteint la Délivrance en suivant sa piste jjjs-,
qu’au Cœur, un Yogi, brûlant du désir de voir la Gloire de
Dieu, se détourne des autres occupations et se concentre
sur Lui (au nom ou à la forme d’Arunachala)'. La Monta­
gne, bién qu’inerte d’apparence, s’anime et devient
perceptible dans la vision transcendante du Yogi, en tant
que la Lumière Glorieuse Universelle, identique au Soi.

Celui qui Te consacre son mental et, Te voyant,


£ontppÉ|e tpiijours l’univers en taü§ que Tji 'ïftite
manifestée, celui qui de tout tem^fTe glorifie eÉ
T|^gp|e ejjp teffli^que nul autre que 3^ Sp!ÿrjsipj|iià
est ]S |M Bjifika8 sans rival, car il est-vpn a v e c Toi, ô
ëé. iM ÉdSft dans Ta

La irem ièrë p artie de cette stance Ag^ppiiMMMBpp ti


mârga. En gloriliaËÉMBto d’un aS ipit intçimc, c^H^He
au-delà du samsâmMgmi trouve le ]p|gÉflh en se fondant
en Lui. Cela est de ÉGflsjjH, La vistili transcendante révè­
le aHBSBmra ccaamg notre Maître, et cte- iMBs
eypj^^çcs^enoùve^ S nous convainquent dlq|jjOrrése&^$
intime de ■■k. La reddition complépMBHH en résulte et
ce agii dm ^ p fe a i’ealligue la Cdnscipnfe Glorieuse d’Etre,
pénétrant tout et toujours présente. élimi­
ne noms eïToMüés pour ÿffiutir à l’Infini et à l’Eternel.
La seconde MBie de 1k stance au Karma
mârga. Percewnt la de Dieu ggm |É |ppt‘>se consi­
dère non pas comme l’aK^t, mais comme un outil au ser­
vice de Kfeu vu SMS 'ta forme du ppii#i||n.

109
Il e st tro is a sp e c ts d e D ieu en a c c o rd avec la ré a lisa tio n
d é c h a c u n . Ce s o n t :
Sat (E tre ), Chit (C o nscience), Ananda (B éatitu d e).
L ’a s p e c t Sat e st m is en re lie f p a r les jnânis q u ’on d it
re p o s e r d a n s l’E sse n c e d e l’E tre , a p rè s l’a v o ir re c h e rc h é e
sa n s re lâ c h e , e u x d o n t l’in d iv id u a lité e st p e rd u e d a n s
le S u p rêm e.
L ’a sp e c t Chit c o n c e rn e les yogis q u i s’e ffo rc e n t de
c o n trô le r le u r so u ffle p o u r s ta b ilis e r le m e n ta l e t q u i so n t
d its v o ir la G loire (c o n sc ie n c e d e l’E tre ) de D ieu en ta n t
que la lu m iè re U ne q u i s’ir r a d ie u n iv e rse lle m e n t.
L ’a sp e c t Ananda c o n c e rn e les a d o ra te u rs q u i s’e n iv re n t
d u n e c ta r d e l’a m o u r d e D ieu e t q u i se p e rd e n t d a n s l’é ta t
b é a tifiq u e . R é p u g n a n t à l’a b a n d o n n e r, ils d e m e u re n t à
ja m a is fo n d u s en D ieu.
L es q u a tre mârgas, Karma, Bhakti, Yoga e t Jnâna ne
s ’e x c lu e n t p a s e n tre elles. C e p e n d a n t s i c h a c u n e e st d é c rite
sé p a ré m e n t d a n s les oeuvres cla ssiq u e s, c ’e st p o u r d o n n e r
u n e id é e d e l’a s p e c t a p p ro p rié d e D ieu q u i a ttir e r a le m ieu x
l’a s p ira n t s u iv a n t ses p ré d is p o s itio n s . C ette stotra, m a lg ré
sa b riè v e té , e st d e n se e t p e u t ê tre d év e lo p p é e d e m a n iè re
à in té re s s e r a u ssi les é ru d its e t les p h ilo so p h e s.

110
L’ESSENCE DE L’INSTRUCTION

(Upadêsha Saram)

Une vieille légende raconte qu’autrefois un grou­


pe de Rishis vivait en commun dans la forêt, pra­
tiquant des rites grâce auxquels ils acquirent des
pouvoirs surnaturels. Par le même moyen ils espé­
raient atteindre la Délivrance finale. En cela, d’ail­
leurs, ils se trompaient, car l’action n’engendre que
l’action et non la cessation de l’action. Les rites
peuvent susciter des pouvoirs mais non pas la Paix
de la Délivrance qui est au-delà des rites et des
pouvoirs et de toutes les formes de l’action. Shiva
résolut de les convaincre de leur erreur et à cette
fin leur apparut sous la forme d’un sâdhu errant.
Vishnu raccompagnait sous la forme d’une belle
femme. Tous les Rishis s’éprirent d’amour pour
cette f e m m e , ce qui troubla leur équanimité et af­
fecta leurs cites et leurs pouvoirs. Bien davantage,
leurs femmes, qui vivaient avec eux dans la forêt,
s’éprirent toutes de l’étrange sâdhu. Courroucés, ils
charmèrent un éléphant et un tigre par leurs rites
magiques et les envoyèrent contre celui-ci. Shiva,
pourtant, les tua facilement et de la peau de l’élé­
phant se fit une robe et de la peau du tigre un man­
te a u A lo rs les Rishis, se rendant compte qu’ils
avaient affaire à plus puissant qu’eux, se prosternè­
rent devant lui et lui demandèrent de les instruire.
Il leur expliqua donc que ce n’est pas par l’action
mais par la renonciation à l’action que l’on atteint
la Délivrance.

111
Le poète Muruganar écrivait de nos jours cette
légende en vers tamils, mais lorsqu’il en vint à l’ins­
truction donnée aux Rishis par Shiva, il demanda à
Bhagavan, en tant que Shiva incarné, de l’écrire à
sa place. C’est ainsi que Bhagavan écrivit une Ins­
truction en trente strophes tamiles. Plus tard il les
traduisit lui-même en sanskrit. Cette version sans-
krite était quotidiennement chantée devant lui, de
même que les Védas, et elle continue d’ailleurs
d’être chantée devant son tombeau ; on la consi­
dère donc comme une Ecriture. Shri Râmana y fait
allusion aux différentes voies menant à la Déli­
vrance, les classant par ordre d’efficacité et d’excel­
lence, et montrant que la meilleure est la Recher­
che de soi-même.
1. Est-ce Dieu (Kartu) qui ordonne que l’action
(karma) porte fruit (en action) ? Non pas, car c’esl
cela (le karma, par lui-même) qui affecte le corps.
2. Les résultats de l’action passent, et cependant
laissent des germes qui précipitent l’agent dans un
océan d’action. L’action (donc) ne confère pas la
Délivrance.
3. Mais les actes accomplis sans aucun attache­
ment, dans l’esprit de servir Dieu, purifient le men­
tal et marquent le chemin de la Délivrance.
4. Voilà la certitude : culte (puja), incantations
(jabam) et méditation (dhyâna) sont accomplis
respectivement avec le corps, la voix et le mental
et se présentent dans cet ordre de valeur ascen­
dant.
5. On peut considérer cet octuple (1) univers
comme une manifestation de Dieu ; et tout culte1

1. Octuple car il est composé des cinq éléments, du soleil,


de la lune et de l'être individualisé.

112
qui y est rendu est excellent en tant que le culte
de Dieu.
6. La répétition à haute voix de Son nom est une
excellente louange (jabam). Encore meilleur en est
le léger murmure. Mais la répétition dans le mental
est la meilleure de toutes — et cela est la médita*
tion (dhyâna) & laquelle il est fait allusion plus
haut.
7. Mieux qu’une telle pensée (méditation) entre­
coupée, c’en est l’écoulement égal et continu com­
me le flot de T’huile ou d’un fleuve perpétuel.
8. L’attitude altière « je suis Lui » est préféra­
ble à l’attitude «Il n’est pas moi».
9. Demeurer dans l’Etre Réel, transcendant tou­
te pensée, au moyen d’une intense dévotion, c’est
l’essence même de la Suprême Bhakti.
10. « L’absorption dans la source » ou cœur de
l’Existence fest ce qu’enseignent les voies de Karma,
Bhakti, Yoga et Jnâna.
, 11. De même que les oiseaux sont pris au filet,
de même en retenant le souffle, le mental est conte­
nu et absorbé. Ce (contrôle du souffle) est une
méthode pour effectuer l’absorption.
12. Car mental et souffle vital (prâna), exprimés
dans la pensée et l’action, divergent et se ramifient,
mais ils procèdent d’une racine unique.
13. L’absorption revêt deux formes, laya et nâsha.
Ce qui est simplement absorbé en laya revit ; mais
ne revit point ce qui est réellement mort (nâsha).
14. Lorsque lo mental se fera absorber au moyen
de la rétention du souffle, alors il « mourra »,
(c’est-à-dire que sa forme périra) s’il est fixé en un
point unique.
113
15. Le grand yogi dont le mental est éteint et qui
demeure en Brahman n’a pas de kârma, puisqu’il a
atteint sa vraie nature (Brahman).
16. Lorsque le mental se retire des objets exté­
rieurs et perçoit intuitivement (c’est-à-dire se livre
à l’introspection métaphysique) sa propre forme
resplendissante, cela est la vraie sagesse.
17. Lorsque le mental scrute incessamment sa
propre nature, il s’avère qu’il n’y a rien de tel que
le mental. Ceci est la voie directe pour tous.
18. Le mental n’est que pensées. De toutes les
pensées, la pensée « je » est la racine. (Donc) le
mental n’est que la pensée «je».
19. « D’où ce « je » s’élève-t-il ? » Recherchez-le
vers l’intérieur ; alors il disparaît. Ceci est la pour­
suite de la Sagesse.
20. Là où le « je » s’est évanoui, apparaît de soi-
même un « Je-Je ». Ceci est l’Infini (Purnam).
21. Ceci est toujours la vraie teneur du terme
« je ». Car nous ne cessons pas d’exister même dans
le plus profond sommeil, où il n’est pas de «je»
qui veille.
22. Le corps, les sens, le mental, le souffle vital
(prâna) et l’ignorance (avidyâ ou sushùpti) sont
tous insensibles (jadam) et ne sont pas le Réel. Je
suis le Réel (Sat). Je ne suis pas ces (enveloppes).
23. Comme il n’y a pas d’être second pour connaî­
tre ce qui est, « Cela qui est » (Sal) est le Connais­
sant. Nous sommes Cela.
24. L’être particulier (jivâ) et la Divinité (Isha)
existent bien (chacun à son degré) ; mais dans
l’Etre ils sont Un. Distinctivement, ils diffèrent par
les degrés de connaissance et par leurs attributs
définitoirs.
114
25. Lorsque l’être particulier se voit et se connaît
soi-même sans attributs, cela est la connaissance
de la Divinité* car la Divinité apparaît alors en tant
que nulle autre que le Soi.
26. Connaître le Soi c’est être le Soi — puisqu’il
n’y a pas deux « Soi » séparés. C’est ce qui constitue
le thanmaya nishta (la demeurance en tant que
Cela).
27. Telle est la réelle connaissance qui transcen­
de à la fois connaissance et ignorance. Là il n’est
pas d’objet à connaître.
28. Quand on connaît sa vraie nature, alors il y
a Etre sans commencement ni fin. C’est une Béati­
tude Eveillée ininterrompue.
29. Rester dans cet état de Suprême Béatitude, au
delà de toute idée de lieu ou d’affranchissement,
c’est cela, au fond, demeurer au service du Suprê­
me,
30. L’application à réaliser Cela, Cela qui seul
reste quand toute trace de « je » s’en est allée, est
le bon tapas. Ainsi chante Ràmana, le Soi de tous !

115
LA CONNAISSANCE DE L’ETRE
Q u a ra n te str o ph es

(Ulladu Narpadu ou Sad-Vidya) (1)

L’un des fidèles de Bhagavan, l’éminent poète


tamil Muruganar, sollicita du Maharshi un cycle de
quarante strophes qui donnât une synthèse succin-
ie de sari enseignement. Bhagavan écrivît ces stro­
phes à différents moments, quand l’occasion se pré­
sentait à lui, ét, lorsque le nombre requis fut atteint,
Muruganar les rassembla et leur donna une forme
suivie.
Plus tard un supplément de quarante autres stro­
phes fut ajouté. Bhagavan n’est pas lui-même l’au­
teur de toutes ces strophes supplémentaires. S’il en
trouvait par ailleurs une qui convenait, il l’utili­
sait, en la traduisant du sanscrit le plus souvent,
sinon il en composait une. Les strophes qu’il
emprunta à des sources plus anciennes sont ici
imprimées en italique.
Ces quatre-vingt strophes constituent l’exposé le
plus synthétique de l’enseignement du Maharshi.
Nombre de traductions et de commentaires en ont
été rédigés. L’Ashram les a publiés en un livret sépa­
ré sous les titres de Ulladu Narpadu, Sad-Vidya ou
« La Connaissance de l’Etre ».1

1. [Le premier groupe de deux Termes est le titre tamil, le


second est son équivalent en sanscrit].

116
I nvocation

I. Si la Réalité n’était pas en nous, pourrait-il y


avoir quelque connaissance de l’Etre ? Libre de tou­
te pensée, la Réalité est établie dans le cœur, source
de toutes les pensées. On L’appelle donc le Cœur.
Comment peut-on alors La contempler ? Demeurer
dans le Cœur, c’est La contempler.
II. Ceux qui éprouvent une peur intense de la
mort, cherchent refuge aux pieds du Seigneur que
n’affecte ni mort ni naissance. Alors, morts à eux-
mêmes et à toute possession, la pensée de la mort
pourrait-elle encore les affecter ? Ils sont im­
mortels.
*
* *

1. De notre perception du monde découle l’ac­


ceptation d’un Principe Premier unique possédant
des pouvoirs variés. Les images douées de noms
et formes, le Spectateur, l’écran qu’il regarde ainsi
que la lumière grâce à laquelle il voit : tout cela
c’est Lui-même. ;
2. Toutes les religions postulent trois fonde­
ments 1 le monde, l’âme et Dieu ; mais en tous
trois ce n’est que la Réalité une qui Se manifeste.
Il n’est pas possible de dire : « Les trois sont réel­
lement trois » qu’autant que l’ego subsiste. Mais,
demeurer dans son propre Etre, où le « je » ou ego,
est mort, cela est l’Etat parfait (où tout est Un).
3. «Le monde est réel ». « Non, c’est une simple
apparence illusoire», «Le monde est conscient».
« Non ». « Le monde est bonheur ». « Non ». Quelle
est Futilité d’un tel débat ? Chacun convient que
dans l’état dans lequel on abandonne le point de
vue objectivant, on se connaît comme l’Unique et
117
on perd toute notion d’unification ou de dualité,
du Soi et de l’ego.
4. Si on a une forme soi-même, le monde et Dieu
paraîtront aussi avoir une forme ; mais si l’on est
soi-même sans forme, est-il encore quelqu’un pour
voir les formes de Dieu et du monde, et comment ?
Sans l’œil quelque objet peut-il être vu ? Le Soi
voyant est l’Œil, et cet Œil est l’Œil de l’Infini.
5. Le corps est une forme composée de la quin­
tuple gaine ; donc toutes les cinq gaines sont impli­
quées dans le terme corps. Séparé du corps le mon­
de existe-t-il ? Sans le corps, quelqu’un a-t-il vu le
monde ?
6. Le monde n’est rien de plus qu’une manifes­
tation objective de conceptions conditionnées par
les cinq organes sensoriels. Puisque, à travers ces
cinq organes sensoriels, un mental unique conçoit
l’existence du monde, §§ monde n’est rien que le
mental. Hors du mental peut*il y avoir un monde ?
7. Quoique le monde et sa connaissance s’élèvent
et disparaissent ensemble, c’est par sa connaissan­
ce seule que le monde devient apparent. La per­
fection en laquelle le monde et sa connaissance
s’élèvent et disparaissent, et qui brille sans lever ni
coucher, seule est la Réalité.
8. Quels que soient le nom et la forme sous les­
quels on adore le Réel Absolu, ce n’est qu’un
moyen de Le réaliser sans nom ni forme. Celle-là
seule est la vraie réalisation par laquelle on se
reconnaît soi-même en ce Réel, on atteint la paix
et on réalise son identité, avec Lui. .
9. Le couple sujet-objet et la triade « voyant>-
« vision » - « chose vue t> ne peuvent exister que
s’ils sont supportés par l’Unique. Si l’on se retourne
vers l’intérieur à la recherche de cette Réalité Une,
118
ii$ totâtenf. Ceux qui voient ceci sont ceux qui con­
naissent la Sagesse. Jamais ils ne sont dans le doute.
10., La connaissance ordinaire est toujours accom­
pagnée d’ignoranée et l’ignorance de connaissance ;
la seule vraie Connaissance est celle par laquelle
on connaît le Soi en recherchant à qui appartien­
nent connaissance et ignorance.
11. N’est-ce pas plutôt de l’ignorance que de
connaître tout le reste sans se connaître soi-même,
don#fans connaître le Connaissant lui-même ? Dès
que l’on connaît le Soi, qui est le substrat de la
connaissance et de l’ignorance, connaissance et
ignorance périssent.
12. Celle-là seule est vraie Connaissance qui n’est
ni connaissance ni ignorance. Ce qui est connu
n’est pas la vraie Connaissance. Puisque le Soi bril­
le et qu’il n’y a rien d’autre que le Soi à connaî­
tre, seul II est Connaissance. Il n’est pas un vide.
13. Lé Soi, qui est Connaissance, est la Réalité uni­
que. La connaissance de la multiplicité est une faus­
se connaissance. Cette fausse connaissance, qui est
réellement ignorance, elle-même ne peut exister
sépàÎPément du Soi, qui est Connaissance Vraie. La
vàrîété des ornements en or est irréelle, puisqu’au-
cun d’eux ne peut exister sans l’or dont ils sont tous
faits.
14. Si la première personne, «je », existe, alors les
seconde -et troisftflft#.personnes, « tu » et « il », exis­
teront a us;si. En scrutantla nature du « je », le « je »
périt, enL^nap# la RfRtç, des « |u » et «il». L’état
qui en résulte, qui brille en tant, que l’Etre Absolu,
est l’état naturel de chacun, le Soi.
15. Le passé et le futur ne peuvent exister que par
rapport r au présent. D’aillëurs lorsqu’ils sont en
cours,:'eùx«miÉÉiês!‘ne sont «pre le présent. Essayer
119
de déterminer la nature du passé et du futur en
ignorant ce qu’est le présent en soi, revient à
vouloir compter sans l’unité*
16. En dehors de nous-mêmes qu’advient-il du
temps et de l’espace ? Si nous sommes corps, nous
sommes soumis au temps et à l’espace, mais som­
mes-nous corps ? Nous sommes l’Un identique
maintenant, alors et toujours, ici, là et partout.
Par conséquent nous sommes Etre Seul, sans temps
ni espace.
17. Pour ceux qui n’ont pas réalisé le Soi comme
pour ceux qui l’ont réalisé, le mot «je» s’applique
au corps. Pour ceux qui ne l’ont pas réalisé, le « je »
est limité au corps, tandis que pour ceux qui ont
réalisé le Soi dans le corps, le « je » brille en tant
que le Soi illimité.
18. Pour ceux qui n’ont pas réalisé (le Soi) com­
me pour ceux qui l’ont réalisé, le monde est réel.
Mais pour ceux qui ne l’ont pas réalisé, la Vérité
est limitée à la mesure du monde, tandis que pour
ceux qui l’ont réalisé la Vérité brille en tant que
Perfection Sans-forme et Substratum même du
monde. Ceci est toute la différence entre eux.
19. Seuls ceux qui ne connaissent pas la Source de
la destinée et du libre arbitre discutent de savoir
lequel des deux remporte sur l’autre. Ceux qui
connaissent le Soi en tant que Source unique de la
destinée et du libre arbitre sont libérés des deux.
Comment pourraient-ils se laisser encore prendre
dans une discussion à cet égard ?
20. Celui qui voit Dieu sans voir le Soi ne voit
qu’une image mentale. Qui voit le Soi voit Dieu, dit-
on. Celui qui, ayant complètement perdu l’ego, voit
le Soi, a trouvé Dieu, car le Soi n’existe pas sépa­
rément de Dieu.
21. Quelle est la vérité des Ecritures qui décla­
rent que si l’on voit le Soi on voit Dieu ? Comment

120
péut-on voir son Soi ? Et puisque nous sommes un
être unique, si i’on ne peut pas voir son Soi, com­
ment peut-on voir Dieu ? Seulement en devenant Sa
proie offerte en sacrifiée.
22. Le Divin illumine le mental et brille à l’inté­
rieur de celui-ci. A moins d’introvertir le mental
et de le fixer dans le Divin, il n’y a pas moyen de
Le connaître avec le mental.
23. Ce n’est pas le corps qui se proclame «je».
Personne ne soutiendra que même dans le sommeil
profond le « je » cesse d’exister. Dès que le « je »
émerge, tout le reste émerge. Recherchez avec un
mental aiguisé d’où ce « je » émerge.
24. Ce n’est pas le corps inerte qui se proclame
lui-même « je », pas plus que la Réalité-Conscien­
ce (qui en tant qu’absolue ne se manifeste pas).
Entre les deux et à la limite du corps, quelque cho­
se émerge en tant que « je ». C’est ceci qui est
connu comme Chît-jada-granthi (le nœud entre le
Conscient et l’inerte) et que l’on appelle aussi ser­
vitude, âme, corps subtil, ego, samsâra, mental ét
ainsi de suite.
25. Il vient à l’existence pourvu d’une forme et
tant qu’il garde une forme il persiste. Ayant forme,
il se nourrit et grossit. Mais si on le scrute, ce mau­
vais esprit, qui n’a pas de forme propre, abandon­
ne son emprise sur la forme et s’enfuit.
26. Si l’ego est, tout le reste est également. Si l’ego
n’èst pas, rien d’autre n’est. Assurément, c’est l’ego
qui est tout. Donc rechercher ce qu’est cet ego est
le fondement de la renonciation à tout.
27. L’Etat de non-émergence du « je » est l’état où
nous sommes Cela. Sauf à s’enquérir de l’Etat de
non-émergence du « je » et à L’atteindre, comment
peut-on obtenir l’état d’extinction de l’individualité,
121
d’où le « je » ne revit pas ? Sans cet aboutissement
comment est-il possible de s’établir dans son véri­
table Etat, là où l’on est Cela ?
28. A l’instar d’un homme qui plongerait pour
récupérer un objet tombé dans l’eau, aussi
devrions-nous plonger en nous-même, avec un men­
tal aiguisé et uni-pointé, contrôlant parole et souf­
fle, pour trouver le lieu d’origine du « je »,
29. La seule recherche conduisant à la réalisation
du Soi consiste à scruter la Source du « je » avec
un mental intériorisé et sans prononcer le mot
«je». La méditation sur «je ne suis pas ceci ; je
suis Cela » peut être une aide dans la recherche
mais elle ne peut être la recherche elle-même,,
30. Si l’on recherche « Qui suis-je ? » dans le men­
tal, le « je » individuel s’effondre, confus, dès que
l’on atteint le Cœur, et immédiatement et sponta­
nément la Réalité se manifeste en tant que «Je-
Je». Quoiqu’elle se révèle en tant que «Je», ce
n’est pas l’ego mais l’Etre Parfait, le Soi Absolu,.
31. Pour Celui qui, après l’extinction de l’ego, est
immergé dans la béatitude du Soi, que reste-t-il à
accomplir ? Il n’est pas conscient de quelque cho­
se d’autre que le Soi. Qui peut comprendre son
Etat ?
32. Bien que les Ecritures proclament «Tu es
Gela », ce n’est qu’un signe de faiblesse mentale
de méditer « Je suis Cela, non pas ceci », parce
que nous sommes éternellement Cela. Ce que l’on a
à faire c’est de rechercher Cela que l’on est réel­
lement et Le demeurer.
33. Il est aussi ridicule de dire « je n’ai pas réali­
sé le Soi » que « j*ai réalisé le Soi » ; y aurait-il deux
« Soi », dont l’un serait l’objet de la réalisation de
122
l’autre ? La vérité accessible à l’expérience de cha­
cun est qu’il n’y a qu’un Soi.
34. C’est à cause de l’illusion née de l’ignorance
que les hommes, au lieu de reconnaître Cela qui
est toujours et pour tous la Réalité inhérente, rési­
dant de par sa nature au centre du Cœur et de s’y
établir, discutent de savoir si elle existe ou n’exis­
te pas, si elle a une forme ou n’en a pas, ou enco­
re si elle est duelle ou non-duelle.
35. Chercher et demeurer dans la Réalité qui est
toujours accomplie est le seul Accomplissement.
Tous les autres accomplissements (siddhis) sont
semblables à ceux que l’on réalise en rêve. Peu­
vent-ils apparaître réels à celui qui s’est réveillé
de son sommeil ? Peuvent-ils abuser ceux qui sont
établis dans la Réalité et libérés de Mâyâ ?
36. C’est seulement au cas où survient la pensée
« je suis le corps » que la méditation « je ne suis
pas ceci, je suis Cela» nous aide à demeurer en
tant que Cela. Pourquoi devrions-nous toujours être
en train de penser « je suis Cela » ? Est-il néces­
saire à l’homme d’entretenir la pensée « je suis un
homme » ? Ne sommes-nous pas toujours Cela ?
37. Est également faux le débat : « dualité au
cours de la quête, non-dualité lors de l’Accomplis­
sement ». Pendant que l’on recherche anxieusement
de même que lorsqu’on a trouvé son Soi, qui d’autre
est-on si ce n’est le « dixième homme » (1) ?1

1. Ceci fa it allusion à l’histoire traditionnelle d’une troupe


de dix sots qui étaient en voyage. Ils eurent à traverser une
rivière et en atteignant l’autre rive voulurent s’assurer que
tous étaient passés sains et saufs. Chacun à son tour compta
le groupe, m ais chacun compta les neuf autres et oublia de
se com pter soi-même. P ensant que le dixièm e homme s’était
noyé, ils comm encèrent de le pleurer. A ce moment précis
passait un voyageur qui leur demanda ce qui arrivait. Il vit
tout de suite la cause de leur erreu r et pour les convaincre
il les fit défiler devant lui, donnant à chacun un coup au
passage et leur dem andant de com pter les coups.

123
38. Tant que l’homme est l’agent, il récolte aussi
les fruits de ses œuvres, mais dès qu’il réalise le
Soi en recherchant qui est l’agent, son sens d’être
l’agent disparaît et le triple karma (2) est terminé.
Ceci est l’état de l’éternelle Délivrance.
39. Tant qu’on s’estime lié, les pensées de servi­
tude et de Délivrance persistent. Quand on recher­
che qui est lié, le Soi est réalisé, éternellement
accompli et éternellement libre. Quand la pensée
de la servitude cesse, la pensée de la Délivrance
peut-elle survivre ?
40. S’il est dit que la Délivrance est de trois sor­
tes : avec forme ou sans forme ou avec-et-sans
forme, alors laissez-moi vous dire que l’extinction
des trois formes de Délivrance est la seule vraie
Délivrance.

, ,2. sanchita, agami et prârabdha. Pour une explication de


ces trois ternies, voir le Supplém ent aux quarante strophes, stro­
phe 33.

124
SUPPLEMENT
; AUX
QUARANTE STROPHES (*)
« Ce en quoi tous ces mondes sont
établis, Ce dont ils sont faits, Ce dont ils
procèdent, Ce pour quoi ils existent, Ce
à cause de quoi ils viennent à l’existence
et Ce qu’ils sont réellement — Cela seul
est le Réel, la Vérité. Cela est le Trésor
dans le Cœur » (1).
1. La compagnie ,des Sages gui ont réalisé la
Vérité enlève les attachements sensoriels ; ces
attachements une fois disparus, les attachements du
mental sont détruits à leur tour. Ceux dont les
attaches mentales sont ainsi détruites deviennent
un avec Cela qui est immuable. Ils atteignent la
Délivrance de leur vivant. Chérissez la compagnie
de tels Sages.
2. Cet Etat Suprême, obtenu ici et maintenant
par la compagnie des Sages, et par la méditation
profonde propre à la Recherche du Soi dans le
Cœur, ne peut pas être obtenu avec l’aide d’un ins­
tructeur ordinaire ou par la connaissance des Ecri­
tures, ou encore par le mérite spirituel, ni par quel-
qu’autre moyen.
3. Si la compagnie des Sages est obtenue, à
quoi bon les méthodes variées de discipline per­
sonnelle ? Dites-moi, quelle est futilité d'un éven­
tail quand sauffie le doux et frais vent du Sud ?

* Nous rappelons que les strophes imprimées en italiques


sont celles qui furent empruntées à dés sources anciennes
(Cf. le propos introductif « Quarante Strophes »).
JL Autre traduction possible : « Puissions-nous adorer Céla
au fond du Cœur ».

125
4. L’ardeur de l’excitation mentale et corporelle
est calmée par (les rayons de) la lune ; gêne et misè­
re sont effacées par l’arbre Kalpaka (1) ; les péchés
sont lavés par les eaux sacrées du Gange. Toutes
ces afflictions sont bannies ensemble par le simple
darshan 0spectacle) du Sage sans pareil.
5. Ni les eaux sacrées du pèlerinage, ni les re­
présentations divines faites de terre ou de pierre,
ne peuvent soutenir la comparaison avec le regard
bienveillant du Sage. Celles-là ne purifient qu’a-
près d’innombrables jours de grâce, par contre le
Sage n’a pas sitôt accordé son regard miséricor­
dieux que l’on est purifié l
6. Le disciple : Qui est Dieu ?
Le Maître : Celui qui connaît le mental.
D : Mon mental est connu par moi, l’Esprit.
M : Puisque les Shrutis déclarent : « Le Con­
naissant est Un », toi (en tant que le connais­
sant du mental) tu es réellement Dieu.
7. Le Maître : Quelle est la lumière selon toi ?
Le Disciple : De jour le soleil, de nuit une
lampe.
M : Quelle est la lumière qui perçoit cette lu­
mière ?
D : L’œil.
M : Quelle est la lumière qui illumine l’œil ?
D : Cette lumière est l’intellect (buddhi).
M : Quelle est la Lumière qui connaît l’in­
tellect ?
D : C’est le « Je ».
M : Tu es (donc) la Lumière suprême de (tou­
tes) les lumières.
D : Je suis Cela.1

1. L’arbre céleste qui accorde toutes les faveurs sollicitées


par la prière.

126
8. A l'intérieur delà caverne du Cœur brille seul
Bratanan* l’Un, en îfaut que «Je-Je», l’Atman
conscient de l^ M êm e, Réalisez cet Etat d’inhésion
inébranlable dans le Soi en entrant dans le Cœur,
soit par une plongée profonde en dedans au moyen
de la reeberebe du Soi, soit par la submersion du
mental au moyen du contrôle de la respiration (1).
9. Sachez que la pure et inaltérable conscience
du Soi dam le Cœur est la Connaissance qui* par
la destruction de l’ego, confère la Délivrance.
10. Le corps est inerte comme un pot d’argile.
Puisqu’il n’a pas de conscience du « je », et que
dans le sommeil profond, sans le corps (2), nous fai­
sons l’expérience de notre être naturel, le corps ne
peut pas être le « je ». Qui donc cause le sens du
« je » ? D’où est-il ? Dans la caverne du Cœur de
ceux qui ainsi recherchent et qui, connaissant, sont
établis en tant que le Soi, le Seigneur Arunachala
Shiva resplendit de Lui-même en tant que la
Conscience « Je suis Cela ».
11. Qui est né ? Sachez que seul est né celui
qui, recherchant « d’où suis-je né f », est né dans
la Source de son être. Le Sage Suprême est lui
né de toute éternité et il est né chaque jour et à
chaque instant,
12,,Rè|itez la notten « je suis le corps mépri­
sable »., Méditez et réalisez le Soi de béatitude
éternelle. Chercher à connaître le Soi tout en ché-1

1. Cette strophe a été composée dans les circonstances par­


ticulières que voici. Dans sa jeunesse, le disciple Shri Jaga-
deesa Shastri visitant Bhagavan à la grotte de Virupaksha,
voulut résum er l’enseignement de Shri Bâmana en quelques
vers sanscrits. Il se m it à écrire les trois premiers mots
« Hridaya Kuhara Madye », mais il ne put continuer. Il
laissa donc la feuille de papier pliée dans un livre sur le
siège de Bhagavan et partit prendre un bain. A son retour
il trouva le poème achevé par Bhagavan.
2. C’est-à-dire quand il n’y a pas de conscience corporelle.

127
rissant le corps revient à prendre un crocodile
comme radeau pour traverser une rivière.
13. Charité, pénitence, devoir, yoga, dévotion,
vastîtude de la Connaissance, substance, paix, vé­
rité,. grâce, SiienèO, Etat suprême, « mort-s&ns
mort », connaissance, renoncement, Délivrance et
Béatitude ; sachez que tous sont synonymes de
rüptûre avec la -conscience « je suis le corps ».
14. La seule voie utilisable pour le karma, la
bhdkti, ie yoga et le jnâna c’est de rechercher qui
est-ce qui a un karma (action), une vibhakti (man­
que de dévotion), un vïgoga (séparation) et un
ajri&na (ignorance). Au moyen de cette investiga­
tion, l’ego disparaît et l’état de permanence dans
le Soi, dans lequel aucune de ces qualités néga­
tives n’a jamais existé, subsiste en tant que Vérité.
15. Il y a des soi# qpi, ne réalisant pas qu’eux-
mêmes sont mus par le Pouvoir Divin, cherchent à
obtenir tous les pouvoirs surnaturels d’action. Ils
sont comme le boiteux qui disait : « Je me débarras­
serai de l’ennemi si quelqu’un veut me tenir debout
sur mes jambes ».
16. Puisque la paix mentale est permanente
dans la Délivrance, comment ceux qui assujettisent
leur mental aux pouvoirs — lesquels sont acquis
seulement par une activité mentale — comment
ceux-là peuvent-ils se fondre dans la Béatitude de
la Délivrance qui dompte l’agitation mentale ?
17. Le Seigneur porte le fardeau du monde.
Sachez que l’ego illégitime qui prétend porter ce
fardeau est comme un personnage sculpté au
pied de la tour du temple, qui paraît en supporter
le poids. A qui la faute si le voyageur, au lieu
de mettre son bagage dans la voiture, qui de toute
façon porte la charge, le place sur sa tête, pour
sa propre gêne ?
128
18. Entre tes deux seins, au-dessous de la poi­
trine et au-dessus de l’abdomen, il y a six points
de couleurs variées. L’un deux ressemble à un bou­
ton de lis et se trouve à deux doigts du centre
sur la droite. Ceci est le Cœur (1).
19. Il est renversé, et, dedans, il y a un minus­
cule trou dans lequel réside, inébranlable, une ob­
scurité sans fond en même temps que les tendances
latentes etc.. Là se trouve le support du système
nerveux tout entier. C’est le siège des forces vi­
tales, du mental et de la lumière de la conscience.
20. Cette Divinité qui brille en tant que le « Je »
dans la cavité du Cœur-lotus est adorée en tant
que le Seigneur Guhesa. Lorsque, grâce à une pra-
Mque intensivàf le bhâvana (2) « je suis Lui » —
c’est-à-dire « je suis Ce Guhesa » — est aussi fer­
mement établi que là notion « je » est profondé­
ment enracinée dans te corps, et, lorsque Ton de­
meure toujours en tant que cette Divinité elle-mê­
me, Elle resplendit, en conséquence de quoi l’igno­
rance, c’est-à-dire la notion « je suis-le-corps-pé-
rissable » est dissipée comme l’obscurité devant le
soleil levant.
21. « Dis-moi ce qui est décrit comme le Cœur
de tous les individus de ce monde, dans lequel
(comme dans un) grand miroir tout cet univers
est perçu par réflexion », demanda un jour Rama
au sage Vasishta ? Ce dernier répondit : « Après
investigation (il a été déclaré que) le Cœur chez
tous les individus est double ».
22. « Ecoute et comprends tes caractéristiques
des deux, l’un devant être retenu et l’autre rejeté.1

1. Gela ne s’applique pas à l’organe musculeux situé su r


la gauche, mais au centre du Cœur spirituel, au côté droit
de la poitrine.
2. Le bhâpana consiste à être en harmonie avec Cela.

129

9
L’organe appelé « cœur » et situé à un endroit par­
ticulier dans la poitrine du corps physique, est à
rejeter. Le Cœur qui a la forme de la Connaissance
absolue est à retenir. Quoiqu’étant à la fois en
dedans et eh dehors» il est dépourvu de côté in­
terne et de côté externe ».
23. « Cela seul est le Cœur Suprême, et en lui
tout ce monde est établi. C’est le miroir de tous les
objets et la demeure de toute richesse. De là, pour
tous les êtres vivants, céttè Connaissance seule est
déclarée être le Cœur. Ce n’est pas une partie du
corps périssable lequel est insensible comme une
pierre ».
24. « Donc la destruction des tendances laten­
tes du mental a lieu spontanément en conclusion
des âpres efforts fournis pour contenir l’ego dans
le Cœur de la Pureté Parfaite et de la Connais­
sance Absolue, conjugués avec le contrôle de la
respiration 1»
25. « En demeurant continuellement dans le
Cœur au moyen de l’incessante méditation « je
suis le Seigneur Shiva qui est Pure Connaissance,
libre de toute limitation qualitative », enlève (ô
héros Raghava !) tous les attachements de l’ego ! »
26. « Ayant scruté lès troits états (veille, rêve
et sommeil profond) et adhérant inébranlablement
dans ton cœur à l’Etat Suprême qui est au-dessus
d’eux et libre de l'illusion, joué ton rôle dans le
monde, ô héros Raghava / Tu as réalisé dans le
Cœur ce qui est le Substratum réel sous toutes les
apparences. Donc, sans jamais abandonner ce
point de vue, jolie ton rôle dans le monde comme
il te plaira ».
27. « Tel celui qui feint l’enthousiasme et la
joie, l’excitation et la haine, tel celui qui prend
130
une initiative feinte et feint l'effort, joue ton rôle
dans le monde, ô héros Raghava l »
28. Celui qui a conquis les sens par la Sagesse
est le seul Vrai Jnâni établi dans la connaissance
du Soi. Proelamez-le « Feu de Connaissance »,
« Maître de la Foudre de la Connaissance », « Mort
à la Mort » e t « Héros qui a tué la mort ».
29. Sachez que (les qualités de) rayonnement,
intelligence et force, se développent elles-mêmes
chez ceux qui ont réalisé la Vérité, (tout comme)
la beauté et tous les autres attraits parent la nature
avec l'arrivée du printemps.
30. Le mental qui est libre des tendances la­
mientes n’est pas réellement engagé dans l’activité,
même s’il accomplit des actions, tout comme tés
gens qui entendent une histoire tandis que leur
mental est ailleurs {n’écoutent pas réellement)¿ Le
mental qui est submergé par les tendances latentes
est réellement engagé dans l’activité, même s’il
n’accomplit pas d’actions, comme une personne
qui, en rêve, gravit une montagne et tombe dans
un précipice, quoique son corps reste immobile.
31. Pour le Jnâni, qui entre en sommeil dans
le corps grossier, les états d’activité, de samâdhi et
de sommeil, ne signifient pas davantage que l’a­
vance, l’arrêt et le dételage d’une charrette pour
le voyageur qui y est endormi.
32. Le Quatrième Etat, qui est au-delà des trois
états, est la seule Réalité. Il est connu en tant que
l’état transcendant de «sommeil éveillé ». Puisque
les trois états apparents n’existent pas réellement,
sachez que le Quatrième transcendant est le Réel
absolu.
33. Dire que le sanchita (karma accumulé
dans le passé devant être épuisé dans l’avenir) et
l’âgâmi (karma accumulé actuellement et devant
131
être épuisé dans des ' existences futures) n’adhè­
rent pas au Jnâni, mais que le prârabdha (karma
dont on s’acquitte en la vie présente) s’attache à
lui, ce n’est là qu’une réponse de pure forme lors­
que la question est posée par des tiers. Sachez que
tout comme après ta mort du mari aucune de ses
femmes ne peut pas ne pas être veuve, de même
après la destruction de l’agent aucun des trois
karmas ne peut subsister comme tel.
34. Pour les hommes de peu d’entendement,
femme, enfants et autres constituent la famille.
Sachez que pour les doctes il est une famille qui,
faite d’innombrables livres dans leur mental, est
un obstacle du yoga.
35. A quoi bon la science de ceux qui ne tendent
pas à effacer les lettres de la destinée (1) par la
recherche : « D’où vient notre naissance, nous qui
connaissons les lettres ? » Ils ont sombré au niveau
d’une machine à paroles. Que sont-ils d’autre, ô
Arunachala ?
36. C’est ceux qui ne sont pas instruits qui
sont sauvés plutôt que ceux dont l’ego n’a pas
énaare ditparu en dépit de leur Savoir. Les incultes
sont sauvés de l’emprise implacable du démon de
l’infatuation ; ils sont sauvés de la maladie des
myriades de pensées et de mots tourbillonnants ;
ils sont sauvés de la course aux richesses. C’est
de plus d’un mal ,qu’ils sont sauvés.
* 37. Renoncerait-il au monde entier et acquer­
rait-il toute connaissance, il serait bien rare que
fût sauvé celui qui est tombé sous la sujétion de
cette vile prostituée qu’est la flatterie.

1 .-Ceci évoque Ja conception suivant laquelle les lettres de


là destinée de S o m m e sORt écrites sur son front. Effacer
les lettres c’est transcender sa destinée ou son karma.

132
38 Qu’y a-t-il à part le Soi, si seulement on
est toujours établi en tant que le Soi, sans s’écarter
de cet état premier ni jamais (s’individualiser pour)
se différencier des autres ? Qu’importe si les autres
parlent de nous ? Qu’importe certes si l’on est le
seul loué ou dénigré ?
39; Garde au cœur le sens de la non-dualité,
mais ne l’exprime jamais dans l’action. O mon
fils, le sens de la non-dualité peut s’appliquer aux
trois mondes, mais sache que par rapport au Maître
il ne conviendra jamais.
40. Je proclamerai en vérité la quintessence des
conclusions avérées du Vêdânta tout entier, à sa­
voir : quand l’ego est détruit, il devient Cela et
alors le Soi, dans la forme de la Conscience
Absolue, seul demeure.

133
CINQ STROPHES SUR LE SOI
(Ekatmapanchakam)
Bhagavan écrivit ces strophes spontanément,
sans imitation ou requête extérieure. Elles relèvent
d’ailleurs d’une sorte de « tour de force », puis­
qu’il les écrivit d’abord en telugu mais d’après un
mètre tamil et qu’ensuite il les traduisit lui-même
en tamil.

★ *

1. Celui qui est oublieux du Soi, Le prenant à


tort pour le corps physique et qui passe ainsi par
d’innombrables existences, est pareil à quelqu’un
qui erre à travers le monde entier dans un rêve.
Par conséquent réaliser le Soi équivaut tout sim­
plement à se réveiller des vagabondages d’un névé.
2. Celui qui se demande « Qui suis-je ?» et
« Où suis-je ? » bien qu’il n’ait jamais cessé d’être
le Soi, est semblable à un ivrogne qui s’informe
de sa propre identité et du lieu où il se trouve.
3. Tandis qu’en réalité le corps est dans le Soi,
celui qui croit que le Soi est intérieur au C orps
grossier est comparable au spectateur qui consi­
dérerait que la toile de l’écran qui supporte une
image projetée est contenue dans l’image.
4L Un joyau existe-t-il séparément de Por dont
il est fait ? Où est le corps s’il est en dehors du
Soi ? Celui qui considère que son corps est lui-même
est un ignorant. Celui qui se voit lui-même en tant
que le Soi est l’Illuminé qui a réalisé le Soi.
5. Le Soi Un, la Réalité Unique, seul existe
éternellement. Puisque l’Antique Maître, Dakshina-
mûrti, lui-même Le révélait par le silence éloquent,
qui d’autre pourrait le communiquer par la pa­
role ?
134
PO ESIE S V A R IE ES

%
LE CHANT DU POPPADUM
Durant les années où Bhagavan vécut à Skan-
dashramam — un ashram attenant à une caverne
d’Arunachala — c’est-à-dire de 1914 à 1922, sa mère
vivait avec lui et faisait presque toute la cuisine.
Lui-même, habile cuisinier, aidait souvent à la
préparation des repas. Un jour que sa mère faisait
du poppadum — mince gâteau rond fait de fari­
ne grillée de pois chiches noirs — elle l’appela à son
aide. Pourtant, au lieu de satisfaire à sa demande,
il composa ce poème, qui est une instruction spiri­
tuelle ironiquement symbolisée par la recette du
poppadum.

Nul besoin de courir le monde


Et de peiner justju’à l'abattement ;
Faites du poppadum en votre demeure
Selon la recette dû « TU ES CELA », sans
. [égal,
Lé Verbe Unique, non-proféré
Que la parole ne manifeste pas (1).
Le silence du Sage-Adepte
N’est jamais interrompu,
Grande apothéose avec son héritage éternel $
Etre - Conscience - Béatitude.1

1. C’est-à-dire que le silence est paradoxalement le Verbe


Eternel.

135
Faites du poppadum et, une fois cuit,
Mangez pour assouvir vos appétits !
La graille, fruit du pois chiche noir,
Le dénommé moi ou ego,
Cultivé dans le champ fertile du corps aux
[cinq gaines (1)
Mettez-la dans la meule de pierre,
Qui est la recherche de la Sagesse, le « Qui
[suis-je ? »
C’est alors seulement que le Soi gagnera sa
[liberté.
La graine doit être écrasée en très fine
[poussière
Et moulue en farine puisqu’elle est le
[non-soi ;
Ainsi devons-nous briser nos attachements.
Faites du poppadum et, une fois cuit,
Mangez pour assouvir vos appétits !
Mêlez-y le jus de la vigne à pied carré,
Ceci est l’association avec les Sages.
Ajoutez à cette préparation
De la graine de cumin, contrôle du mental,
Et du poivre, frein des sens fantasques,
Roulez le tout dans le sel qui demeure
Indifférent au monde que nous voyons,
Avec du condiment, penchant pour une unité
[vertueuse.
Telles sont de ces différents ingrédients les
[significations.1

1. Les doctrines traditionnelles hindoues enseignent que


l’être hum ain est constitué de < corps » de plus en plus
subtils, fonctionnant chacun à un niveau d’existence diffé­
rent. Les cinq gaines mentionnées dans le texte sont incluses
dans les trois corps — grossier, subtil et causal. Ces gaines
sont respectivement de nature grossière, vitale, mentale, inhsl-
lectuelle et béatifique. Voir la description qu’en donne te
Vivekachûdâmani [voir également René Guénon, ¡¿Homme et
son devenir selon le Védânta, ch. IX].

13 6
Faites du poppadum...
Malaxez le mélange en une pâte
Que vous placez sur la pierre
Du « mental durci » par les tendances,
Et battez-le sans cesse
Aux coups vigoureux du « Je-Je *
Assénés avec le pilon du « mental introverti ».
Lentement le combat inter-mental touchera
[à sa fin.
Alors étalez la pâte avec le rouleau de la paix
Sur la dalle de Brahman
Et poursuivez votre effort sans relâche
D’un puissant élan.

Faites du poppadum...
Le poppadum, ou l’âme, est maintenant prêt
A être mis dans la poêle
De l’unité et de l’indétermination du grand
[Silence,
Laquelle peut être préparée à l’avance en y
[mettant
Le beurre frais clarifié du Suprême.
Et maintenant commencez de la chauffer
[pour qu’elle grésille,
Sur la flamme de la Sagesse qui resplendit de
[soi-même
Faites frire le poppadum, le « Je », en Cela.
Jouissez-en tout seul ;
Jouissez de cette béatitude à laquelle nous
[aspirons toujours.

Faites du poppadum avec vous-même


et ensuite mangez !

Vous serez alors rassasié de Paix parfaite.


137
II

LA CONNAISSANCE DE SOI
(Atmâ-vidga)

Un disciple écrivit un jour sur un bout ée papier


que la connaissance de soi-même est la chose la
plus facile, puisque Von est déjà le Soi, et il le tendit
à Bhagavan, lui demandant d’écrire un poème sur
le sujet. Voici le poème.
La connaissance de soi-même est chose facile,
La plus facile qui soit.
Le Soi est quelque chose de tout à fait réel
Même pour l’homme le plus ordinaire.
On pourrait dire qu’une baie de nelli tenue
[au creux de la main (1)
Est une illusion par comparaison.
Le Soi qui brille en tant que Soleil à l’inté-
[rieur du Cœur,
. Est réel et tout-pénétrant.
Il se révèle de soi-même dès que la fausse
[pensée est détruite,
. Et que pas une tache ne subsiste.
. , Car cette pensée est la cause de .l'apparition
[de fausses formes,
Le corps et le monde, qui semblent être des
[objets réels
En dépit du Soi qui reste ferme
Lui, qui ne change pas, l’adamantin comme
[la Vérité même.
Quand le Soi brille les ténèbres se dispersent.1

1. La nelli, communément cultivée en Inde mais inconnue


en Europe est plus an moins transparente et de. là, « clair
comme nelli au creux de la m ain » est l’équivalent de
l’expression « clair comme de l’eau de roche ».

138
L’affliction cesse et seule demeure la Béati­
tude.
La pensée « je suis le corps » est le fil
Sur lequel sont enfilées diverses pensées
[comme des perles.
Donc en plongeant profondément
A la quête de « Qui suis-je » et d’ « où
¡[viens-je ? »
Les pensées disparaissent
Et alors la conscience de Soi resplendit en
[tant que le « Je-Je »
Au-dedans de la cavité du Coeur de tout
[chercheur.
Et ceci est le Ciel,
Ceci est le Silence, la demeure de Béatitude.
A quoi bon tout connaître sauf le Soi ?
Qu’y a-t-il d’autre à connaître pour qui­
conque,
Quand le Soi, Lui-même, est connu ?
En réalisant le Soi en soi-même,
Qui est le seul resplendissant de soi-même en
[myriades de sois,
La lumière du Soi brillera clairement en
[dedans.
Certes ceci est la vraie manifestation de
[grâce, la mort de l’ego,
Et le déploiement de la Suprême Béatitude.
Afin que lés liens de la destinée
Et tous ses apparentements puissent enfin
[être dénoués,
Et afin que nous puissions aussi être libérés
Du redoutable cycle de la naissance et de la
[mort,
Cette voie est plus facile que toute autre.
Donc soyez paisibles, puis gardez silencieux
Vos langue, mental et corps :
Ce qui est le Resplendissant de soi-même
[s’élèvera au-dedans.
139
Céci est l’Expérience Suprême. La peur
[cessera.
Ceci est la mer sans limites de la Parfaite
[Béatitude !
Annamalai (1), le Transcendant,
Cela est l’Œil derrière l’œil du mental
Que l’œil et les autres sens connaissent,
Qui à leur tour illuminent le ciel,
De même que tous les autres éléments.
Cela est encore le Ciel-Esprit
Dans lequel certes le ciel-mental apparaît ;
Cela brille en dedans du Cœur parfaitement
[libre de toute pensée,
Et le regard fixé vers l’intérieur demeure en
[tant que Cela ;
Annamalai, le Resplendissant de soi-même,
[brille.
Mais la Grâce (2) est ce dont on a le plus
[besoin.
Alors soyez fidèles au Soi et la Béatitude en
[résultera.1

1. Ce nom tam il veut dire « montagne insurmontable » et


H est ici utilisé pour évoquer et signifier le Soi Intérieur,
qui est hors d é . portée dèjla pensée et de la parole.
2. La Grâce provenant d’un Sage-Adepte est une nécessité
préalable à l’obtention de cette illumination.

140
III

STROPHES CONCERNANT LA CELEBRATION


DE L’ANNIVERSAIRE DE BHAGAVAN
L’anniversaire de Bhagavan est au mois de
décembrë, mais, le jour varie selon la phase dé la
lune. Il est né' à. ta' pleine luné et, l’année de sa
naissantëien 1879, cela tombait le 29 décembre. Cet
anniversaire était l’une des grandes fêtes annuelles
de son ashram et le demeure. Cependant, quand
on se proposa de le célébrer pour la première fois,
Bhagavan protesta et composa le poème qui suit.
Plus tard il se rendit à l’importunité de ses fidèles.
Vous qui souhaitez célébrer cet anniver­
saire, cherchez d’abord d’où vint votre
propre naissance. En réalité le vrai jour de
n&iss,aiice ^f’est loifqù’ÔU entre clans qui
transcende naissance et mort — l’Etre Eter­
nel.
Plutôt devrait-on pleurer, au moins le jour
de son anniversaire, son entrée dans ce mon­
de (samsara). S’en glorifier et le célébrer
c’est comme si on se plaisait avec un cadavre
et on le décorait. Chercher notre Soi et fon­
dre dans le Soi : cela est la Sagesse.

141
IV

LA COMPLAINTE DE L’ESTOMAC

Un jour de fête à l’ashram, beaucoup de convives


avaient été indisposés par la trop bonne chère.
Quelqu’un cita cette complainte contre l’estomac du
poète tamil Avvayar :
« Tu ne saurais te passer de nourriture
fût-ce un seul jour, et tu n’en prendras non
plus assez en une fois pour deux jours. Tu
n’as pas idée du tracas' qüe j’ai 'à cause de
toi, ô misérable estomac ! Il est impossible de
s’entendre avec toi ! »

Bhagavan répondit immédiatement au moyen


d’une parodie qui évoque la complainte de l’esto­
mac contre l’ego :
« Tu ne me laisseras pas même unes heure
de repos, à moi, ton estomac. Tous les jours,
à toute heure, tu manges sans discontinuer.
Tu n’as pas idée de ce que je souffre à cause
de toi, ô ego fauteur de troubles ! Il est im­
possible de s’entendre avec toi ! >

142
V

NEUF STROPHES EPARSES


Ces strophes furent écrites par Bhagavan ¿1 des
moments divers et avaient été insérées dans quel­
ques-uns des poèmes de Muruganar. L’ordre adopté
ici a été suggéré par Bhagavan.
1.
Une syllabe brille à jamais dans le cœur en
[tant que Soi.
Qui est-il et où se trouve-t-il celui qui peut
[l’écrire ?
2.
L’incantation qui atteint l’origine du son est
[la meilleure voie,
Pour ceux qui ne sont pas fermement établis
[dans la Conscience* source du « Je ».
3.
Celui qui prend à tort ce corps producteur
[d’excrétions pour le Soi
Est pire que celui qui, né cochon, prend des
[excrétions pour nourriture.
4.
L’incessante recherche du Soi nous l’appe-
[lons l’amour suprême de Dieu ;
Car Lui seul est établi comme Soi au dedans
[du Cœur de tous.
5.
Ce que le mental introverti appelle Paix est
manifesté à l’extérieur en tant que
[Puissance ;

143
Ceux qui ont atteint et trouvé cette Vérité
[ont connu leur Unité.
6.
Celui qui est satisfait de son sort est exempt
[de jalousie ;
Abondance et indigence pour lui s'équili­
brent ; il n’est pas lié par l’action.
7.
Seul celui qui s’est libéré lui-même peut
[libérer autrui ;
L’aide offerte par d’autres que celui-là est
[comme celle de l’aveugle qui voudrait
[conduire un autre aveugle.
8.
Question et réponse relèvent du langage, la
[dualité est leur domaine ;
Impossible de leur trouver une place dans
[l’Unité.
9.
Il n’y a ni créatipn ni destruction, ni prédes­
tination, ni libre-arbitre,
Ni voie, ni accomplissement : ceci est la
[Vérité Ultime.

144
VI

EXCUSES AUX FRELONS


Un jour que Bhagavan gravissait la montagne, il
buta contre un nid de frelons qu’il endommagea ;
ceux-ci Vattaquèrent et le piquèrent grièvement à
la jambe et à la cuisse. Il fut pris de remords de
leur avoir nui, et lorsqu’on lui demanda pourquoi
il se repentait de ce qui était survenu accidentelle­
ment, il répondit :
Puisque en revanche les frelons me piquèrent
A la jambe au point qu’elle s’enflamma,
Bien que ce fût par hasard que j’aie foulé
Leur nid, construit dans un buisson feuillu,
Quelle sorte de mentalité aurait-on
Si on ne se repentait pas au moins d’avoir
[causé un tel tort ?
*
* *

SOMMEIL EN EVEIL
Le soinmeil profond peut toujours être goûté
En plein éveil par la recherche du Soi.
Dans les états de rêve et de veille
Poursuivez la quête du Soi sans arrêt,
Tant que ces états ignorent le sommeil
[suprême.

145

10
V II

REPONSE A SA MERE

Lorsque Bhagavan quitta son foyer,'sa famille


essaya de retrouver sa trace, mais ce fut d’abord
sans suea&s. Quelquès années -phU tard seulement
ils le découvrirent à Tiruvannamalai. Sa Mère, qui
n’était pas encore prête à renoncer au monde et à
le rejoindre, alla le trouver et tenta de le persùader
de revenir à elle. Comme le jeune swami observait
le silence à l’époque, B lui écrivit la strophe qui
suit, déclarant que ce qui doit arriver qrnve.
Les destinées des âmes sont toutes détermi­
nées par Dieu
Selon les œuvres que les âmes ont accomplies.
Une fin do ut l’atteinte serait à jamais
[exclue
Ne sera jamais réalisée par quelqu’un malgré
[ tous ses efforts,
Et toutes choses prévues pour arriver un jour
[arriveront
Quoi que l’on fasse pour s’y opposer et tenter
[d’endiguer leur cours.
Ceci est certain. A la fin nous arrivons à voir
Que la meilleure conduite est de garder le
[silence.

146
V III

POUR LA GUERISON DE LA MERE

En 1914 la mère de Bhagavan lui rendit une Gout­


te visite é Tiruvannamalai. Durcmt $&n séjour elle
eut un grave acmés de fièvre, qui selon certains était
la typhoïde. Son cas était désespéré et Bhagavan
composa le poème suivant pour sa guérison. Elle
guérit. Deux apnées plnê tard, elle vint habiter de
façon permanente à l’ashram de Bhagavan sur la
montagne.
O Seigneur ! Montagne de mon refuge,
qui guéris les maux des naissances récurren­
tes, c’est à Toi de guérir la fièvre de ma mère.
0 Dieu qui tues la mort ! Révèle Tes pieds
dans le lotus, du Cœur de ma mère, elle qui
me porta pour que j’arrive à prendre refuge
à Tes Pieds de Lotus, et défends-la contre la
mort. Qu’est-ce que la mort à y bien regar­
der ?
Arunachala, Toi Feu flamboyant de
Connaissance ! Enveloppe ma mère dans Ta
lumière et fais-la une avec Toi. Et quel
besoin alors d’une incinération ? (1)
Arunachala, destructeur d’illusion, pour­
quoi tardes-Tu à dissiper le délire (2) de ma
mère ? En est-il un autre que Toi pour veil­
ler comme une Mère sur qui a cherché refuge
en Toi et pour sauver de la tyrannie du
karma ?

(X) E h Inde, le corps du Sage est enterré après la mort,


tandis que les autres eorps sont incinérés« Ayant passé par le
feu durant sa vie, il nia pas besoin d’y repasser après la
mort. La Mère atteignit la. Délivrance ayant la m ort et fut
enterrée, comme ce M rs le
(2) P ar délire, il faut entendre non seulem ent la fièvre
physique m ais aussi l’illusion « je-suis-le-corps ».

147
IX.

ARUNACHALA RAMANA
Dans les replis du Cœur à forme de lotus qui se
trouve dans tous les êtres, et chez Vishnu le tout
premier, brille en tant que pur Intellect (Conscience
Absolue) le Paramâtmâ qui est le même qu’Aruna-
chala ou Râmana,
Quand le mental fond d’amour pour Lui, et
atteint le repli le plus profond du Cœur à l’intérieur
duquel II est établi en tant que le Bien-aimé, l’œil
subtil du pur Intellect s’ouvre et Paramâtmâ Se
révèle en tant que Pure Conscience.

148
X.

LE SOI DAMS LE CŒUR


L’éminent poète et sadhu, Ganapati Shastri, fit
en vers sanscrits la relation de certaines questions
que lui-même et d’autres fidèles avaient posées à
Shri Bhagavan, ainsi que des réponses reçues. Tout
cela fut publié par h Shri Ramanasramam tant en
anglais qu’en sanscrit sous le titre Shri Râmana
Gîtâ. La strophe qui suit, et qui est extraite de cet
ouvrage, est de la composition de Bhagavan et elle
fut traduite en anglais par lui-même, bien qu’en
général il n’écrivit pas en cette langue car il ne la
connaissait pas très bien. La version originale de
cette stance constitue la huitième strophe du Sup­
plément aux quarante strophes.
Cette strophe énumère trois voies de réalisation
du Soi § par la recherche de soi-même, qui est la
voie du jnâna ou de la Connaissance ; par l’amour
du « dieu », qui est la voie de la bhakti ou de la
dévotion ; et par le contrôle de la respiration, qui
est la voie du yoga. En cela cette strophe est à com­
parer au dernier des Cinq Hymnes en l’honneur
d’Arunachala.
Dans le tréfonds intime, le Cœur
Brille en tant gué Brahmau seul,
En tant que « Je-Je », le Soi éveillé.
Entre profondément dans le Cœur
Par la recherche de Soi, ou par la résorption
[adora tive,
Ou avec le souffle sous contrôle !
Ainsi établis-toi à jamais en Atman.
(Râmana &ltâ, ch. II, str. 2.)

149
DEUXIÈME PARTIE
INSTRUCTION SPIRITUELLE
(Upadêshâ Manjarî)
OU TAT SAT
Shri Râmana Bhagavate Namah

I n t r o d u c t io n

Grâce à plusieurs ouvrages qui ont déjà été


publiés, tout le monde tamil s’est familiarisé avec
la vie et les enseignements de Shri Râmana Bha-
gavan, qui réside au glorieux site de Tiruvannama-
lai et resplendit tel le Soleil de la Connaissance
dispensant ses rayons de grâce au monde entier
pour dissiper les sombres misères de ses humbles
dévots.
En adorant ses pieds saints et en déposant une
guirlande de fleurs odorantes (faite d’hymnes de
louange) à ses pieds de lotus, Shri Natanananda,
un fidèle fervent, avait à plusieurs occasions enten­
du les paroles saisissantes et immortelles de Shri
Bhagavan retraçant sa propre expérience spiri­
tuelle. Afin de la faire comprendre à tous les autres
sans doute ou erreur possible, il l’a classée sous
quatre rubriques — Enseignements ; Pratique ;
Expérience ; Stabilité — et publiée sous le titre
Upadêsha Manjari (Instruction Spirituelle) sous
forme de dialogue.
Cette brochure contient une nourriture salutaire
pour l’âme. Je demande humblement aux fidèles
de la consommer avec dévotion et de s’en trouver
heureux.
Shri Ramanasraman
VISHVANATHAN
2-2-1934

152
INSTRUCTION SPIRITUELLE (1)
(Upadêsha Manjari)

P réfa ce d e l ’é d it e u r ta m il

P r iè r e R
O Râmana de Suprême Béatitude, qui proje­
tant de l’intérieur tout ce qui est, lui donnant
vie et le préservant, demeure son créateur, soutien
et destructeur — puissent Tes pieds sacrés dissiper
mon ignorance et me guider dans la présentation
de Tes paroles mêmes l
OÙ EST LA GRANDEUR DE CET OUVRAGE f
Adorant en pensée, en parole et en acte les pieds
de lotus sacrés de Bhagavan Shri Râmana Mahar-
shi, lequel resplendit en tant que Sat-Chit-Ananda,
le Suprême Brahman même, j’ai enfilé les joyaux
étincelants de ses paroles divines en leur donnant
la forme de cet ouvrage propre à parer les plus
éminents chercheurs en quête de la Délivrance et à
réjouir même les plus érudits.
L’essence des enseignements du grand sage lui-
même, en présence de qui tous les doutes et erreurs
s’évanouissent comme l’obscurité devant le soleil,
forme le contenu de ce livre.1

1. [Ainsi que nous l’avons précisé dans l’Avertissement de


cette édition française, à la demande de l’Ashrâm, nous avons
inclus dans le présent volume également la traduction de
l’Upadêsha Manjari faite d’après une édition anglaise publiée
en brochure séparée par Jupiter Press Ltd. & Madras en I960].

153
Le faîte et l’esprit de tout le Vêdânta, le Brah­
man toujours-présent, en constituent la substance.
Le Bien suprême exalté par toutes les Upanishads
et auquel visent les glorieux chercheurs de Brah­
man, le but sans égal de l’homme — la réalisation
du Soi — est aussi le propos de ce livre.

154
Chap. I : UPAD ESH A OU INSTRU CTIO N SPIR IT U E L L E

1. Quelles sont les caractéristiques d’un vrai


maître (sadguru) ?
Etre établi en tant que le Soi ; considérer tous
les êtres avec égalité ; être inébranlable dans son
courage en tout temps, en tout lieu et en toute
circonstance» etc.
2. Quelle# sont ifs qualifications du bon disciple
(sad shishya) ?
Un désir ardent de se débarrasser de la misère
et d’atteindre le bonheur, ainsi qu’une grande
répugnance pour toute autre jouissance dans le
monde.
3. Quelle est la nature essentielle de l’enseigne­
ment (upadêsha) (1) du maître ?
Jîva (l’âme individuelle ou le disciple) ignorant
l’état primordial d’être pur, est différencié en de
multiples objets, ballotté entre plaisirs et peines,
et harassé. Pour l’empêcher de continuer ce che­
min, le maître, qui est identifié avec Sat-Chit-Anan-
da (Etre-Conscience-Béatitude), le restaure dans
son état premier d’Etre Pur dont il n’aura jamais
plus à s’écarter.
Ce que le disciple pense (dans son ignorance)
être éloigné de lui-même, c’est-à-dire le Suprême1

1. Le mot upadêsha = upa (proche) + dêsha (endroit),


signifie restituer un objet à son endroit propre.

155
Brahman, se révèle comme étant son être véritable,
le Soi immédiat et Intime.
4. Si le maître est le Soi même (Atman) du dis­
ciple, comment peut-il être dit qu’aussi savant ou
doté de pouvoirs que l’on soit, on ne peut pas
réaliser le Soi sans la grâce du maître ?
Bien qu’en réalité le maître est le vrai Soi de
tous, l’âme devenue par ignorance différenciée et
individualisée, ne peut recouvrer son état originel
d’Etre Pur sans la grâce du maître. De là l’affir­
mation des Ecritures.
Tout simplement en présence du maître le men­
tal devient paisible. A qui est fier de son immense
savoir ou à tel autre qui se vante de réaliser même
l’impossible, posez les simples questions : « Toi qui
as tant appris, te connais-tu toi-même ?» ou encore
« Toi qui peux réaliser même l’impossible, te
connais-tu toi-même?»; la tête baissée, il reste
silencieux. Cela même prouve que seule la Grâce
du Guru aide à la Connaissance du Soi et non pas
quelqu’autre accomplissement si grand ou glorieux
soit-il.
5. Quelle est la nature de la Grâce du Guru ?
Elle est au-delà de la pensée et des mots.
6. Alors comment peut-il être dit que te disciple
réalise son Etre véritable en vertu de la Grâce du
Guru ?
C’est comme un éléphant qui se réveille en
voyant en rêve un lion. De même que le lion du
rêve est suffisant pour réveiller Téléphant, de
même le regard de Grâce émanant du maître suffit
pour éveiller le disciple de son sommeil d’ignorance
à la Connaissance du Réel. Cela est sûr et certain.
7. Que signifie l’énonciation « Le Guru est en
vérité le Suprême Brahman » ?

156
Lorsque l’âme individuelle (jiva) désire obtenir
la Connaissance du Réel ou l’état divin (Ishwa-
ra), et s’exerçant incessamment dans la voie, sa
dévotion est devenue mûre, le Seigneur, qui est le
Témoin de cette âme individuelle et identique avec
elle, se manifeste avec un nom et une forme humai­
ne inséparables de ses trois caractères naturels Sat-
Chit-Ananda. Par sa grâce, le Seigneur rend alors
le disciple un avec lui-même. Donc il n’est que juste
de dire que le Guru est le Suprême Seigneur.
8. Comment se fait-il que quelques grands sages
aient réalisé le Soi, même sans l’aide d’un maître ?
Aux quelques êtres qualifiés, le Seigneur lui-mê­
me demeurant à l’intérieur en tant que la Lumière
de la Connaissance, parfois révèle la connaissance
de la Vérité.
9. Quelle est la fin et le but de Siddhanta ou de
la Voie de Dévotion (comme on l’appelle parfois) ?
La dévotion désintéressée au Seigneur, pratiquée
avec le corps, la parole et le mental maintenus
en état de pureté, aboutit à la conviction que
toutes nos actions ne sont en réalité que celles du
Seigneur ; réalisâJüt cette Vérité éternelle dans
toute sa nudité, et libre de l’idée de « mien », on
peut resplendir en gloire. Ceci ü t la. Para Blmkti
(Suprême Dévotion) ou iraipani nitral (vivre au
service de Dieu) dans la terminologie Siddhanta.
10. Qu’est-ce que le Vêdânta ou la fin et le but
de la Voie de la Connaissance ?
« Je » n’est rien qu’Ishwara (Dieu) ; réaliser cette
vérité et être libre de « je » (l’ego).
11. Comment ces deux voies (le Siddhanta et le
Vêdânta) ont-elles la même but ?
Leur but commun est l’élimination de l’indivi­
dualité et du sens de ta possession, c’est-à-dire les
157
idées de «je» et «mien». Elles sont interdépen­
dantes ; l’une d’elles disparaissant, l’autre dispa­
raît aussi. En vue d’obtenir l’état de Silence qui
s’étend au-delà de la pensée et de la parole, ou
bien l’individualité sera éliminée par la Voie de
la Connaissance, ou bien le sens de la possession
par celle de la Dévotion. Les deux sont opérantes.
De là le même but pour les deux voies — c’est sûr
et certain.
(Note : L’individualité subsistant, le suzerain doit être
accepté. Afin de perdre son individualité sans heurts pour
s’unir au Suprême, Je suzerain doit être accepté jusqu’à ce
que le but soif atteint).
12. Quelle est la caractéristique de l’ego ?
Ce n’est que ¡tua (l’âme individuelle) se connais­
sant toujours soi-même en tant que « je-je ». La
Pure Conscience (Chit) ne peut pas dire « je » ; ni
le corps insensible. Entre les deux, s’élève un jîva
illusoire qui est la racine de tout le tourment.
Eliminez-le par n’importe quel moyen. Ce qui
demeure après cela resplendira en tant que la
Toujours-présente Réalité. Ceci est la Délivrance.

158
Chap. II : SHADHANA OU LA PRATIQ UE

1. Quelle est la pratique menant à la Délivrance ?


Le Soi et celui qui cherche à le réaliser, ne sont
pas différents l’un de l’autre : il n’y a pas de chose
à réaliser supérieure à Soi-même ; réaliser Atman
ou Brahman c’est réaliser le Soi ; donc que le
chercheur distingue le réel de l’irréel, qu’il
connaisse son propre être réel, au-delà du doute et
de l’erreur, et qu’il demeure toujours inébranlable
comme le vrai Soi j ceci est la pratique dans la
Voie de la Connaissance ; ceci est également ap­
pelé g investigation menant à la Réalisation du
Soi.
2. Une telle investigation est-elle praticable par
toutes les classes de chercheurs ?
Seuls ceux qui sont qualifiés peuvent y recourir ;
les autres doivent s’adonner à d’autres méthodes
qui leur sont adaptées.
S. QaeBen sont les autres méthodes ?
(a) Les Stuti (hymnes) a Le cœur fondant, chan­
ter I p .gloifes du Seigneur à cœur joie.
(b) Le Japa : Répéter les noms du Seigneur ou
des sptipfees : sacrées, ,ieomm« Om mentalement ou
oralement
Le mental est parfois en harmonie avec ces pra­
tiques (a, b) et d’autres fois il ne l’est pas. Dans
ce cas l’invocateur n’est pas aisément averti des
caprices du mental.
(c) La Dhgâna : Ceci consiste en répétition
mentale des syllabes sacrées avec représentation
mentale (des formes et des actions divines). Puis­
que le mental sert d’embouchoir, ses caprices sont
aisément remarqués. Parce qu’il ne peut pas en
même temps être en harmonie et être distrait,
pendant qu’il est en dhgâna il ne peut pas être
159
distrait et pendant qu’il est distrait il ne peut être
en dhyâna. Donc les pratiquants conscients de
l’état du mental peuvent de temps en temps le
détourner de son vagabondage vers la méditation
et l’y établir. La méditation bien conduite mène
finalement à la fixation dans le Réel.
La méditation s’accomplit dans la source extrê­
mement subtile du mental ; par conséquent son
apparition et sa disparition deviennent immédia­
tement évidentes pour le pratiquant.
(d) Le Yoga : Le mental et le souffle ont la
même source ; lorsque l’un disparaît l’autre dis­
paraît aussi sans plus d’effort. Par le contrôle
du souffle (prânâyâma) le souffle est retenu et
ceci est nécessairement suivi de la sérénité du
mental. Une telle pratique est appelée Yoga.
En fixant le mental sur quelqu’un des six centres,
tel celui de la couronne de la tête (sahasrâra), les
yogis peuvent demeurer, quelque temps, le mental
au repos. Pendant cette durée ils semblent être
dans la béatitude ; mais dès que le mental réap­
paraît, il reprend ses activités passées. Donc chaque
fois que le mental veut s’évader il faut le tourner
vers l’intérieur par la méditation ou l’investigation
de Sorte qu’il ne retourne pas du tout à son état
antérieur.
(e) Le Jnâna : Il consiste en une méditation
ou une investigation ininterrompue de façon à
fondre le mental dans le Soi et à annihiler son
entité. L’annihilation du mental est l’état ultime
où toutes les activités prennent fin. Ceux qui réa­
lisent un tel état ne peuvent jamais plus s’en éva­
der. Les termes « Silence » et « Non-agir » déno­
tent uniquement cet état.

160
Notes additionnelles :
* T o u tes les sâdhanâs (p ra tiq u e s) ne v ise n t q u ’à m a in te n ir
le mental uni-pointé. P e n se r, p u b lie r, so u h a ite r, h a ïr , tenir,
c e sse r etc., tous relèvent d u m e n ta l e t non d u Soi. Seul
l’E tre P u r in a lté ra b le e st n o tre v ra ie nature. A in si d e v e n ir
éveillé à son ê tre R éel e t L ’ê tre , e st a p p e lé a ffra n c h is s e m e n t
d e l’esclavage (bandha nivritti) o u c o u p u re d u n œ u d (gran-
thi-nâsa). Ju s q u ’à ta n t que c e t é ta t d e P a ix S u p rê m e d e m e u ­
re in in te rro m p u , les c h e rc h e u rs n e p e u v e n t a b a n d o n n e r
les d e u x p ra tiq u e s : n e p a s s ’é v a d e r d u S oi e t n e p a s
la isse r le m e n ta l ê tre so u illé p a r d e s p e n sé e s é tra n g è re s.
* * On n e p e u t m e n tio n n e r to u te s les m é th o d e s d e stin é e s
à g a rd e r le m e n ta l fe rm e e t sta b le ; to u te s c o n v e rg e n t v e rs
le m êm e b u t. P a r ex e m p le , q u e l q u e so it l’e n v iro n n e m e n t
de l’o b je t p ro p o s é p o u r fix e r le m e n ta l, le su c c è s d e la
m é d ita tio n (dhyâna siddhi) c o n siste en l’é lim in a tio n d e
l’e n v iro n n e m e n t, la is s a n t l’o b je t p u r. O u b ie n c e u x q u i
s o n t engagés d a n s l’in v e s tig a tio n ( vichâra) ré a lis e n t q u e
le p u r m e n ta l q u i d e m e u re e st B ra h m a n .
L es d e u x m é th o d e s a b o u tisse n t au m êm e p o in t e t a in s i
le c h e rc h e u r p e u t c h o is ir l’u n e ou l’a u tre p o u r sa p r a t i­
q u e e t s’y te n ir ju s q u ’à la fin .

4. « Etre paisible » cela implique-t-il l’effort ou


l’absence d’effort ?
Etre paisible c’est ne faire aucun effort et ce
n’est cependant pas demeurer oisif. Ce qui est gé­
néralement connu comme activité ou effort signi­
fie l’extériorisation profane du mental morcelé
dans ses activités. Tandis que l’acte de demeurer
paisible à l’intérieur consiste à maintenir le mental
toujours vigilant et non-partagé.
Mâyâ (l’illusion ou l’ignorance), qui est autre­
ment sans fin, ne prend fin que dans ce Silence
du plein éveil du mental.
5. Quelle est la nature de Mâyâ (l’illusion) ?
Mâyâ est ce qui, cachant le Soi — la Réalité uni­
que brillant d’elle-mème, parfaite en elle-même et
toujours remplissant tout et partout — fait apparaî­
tre réels jagat, jiva et lshwara (le monde, l’individu

161

u
et le Créateur) (1), bien que leur néant soit déjà
avéré en tout lieu et en tout temps.
6. Le Soi étant brillant de Soi-même et parfait,
pourquoi n’esl-il pas perçu par tous Pomme les
divers objets du monde ?
Quels que soient les objets, chaque fois qu’ils
sont connus, cela revient à connaître le Soi en
tant que ces objets, parce que la connaissance
distinctive ou la discrimination n’est que la Shakti
(nature productrice) du Soi. Seul le Soi est cons­
cient* Il n’existe rien en dehors du Soi. Si du non-
Soi existait, il lui faudrait être inconscient de sorte
qu’il ne pourrait pas s’affirmer, et que ce non-Soi
n’en connaîtrait pas un autre, ni ne serait connu
d’un autre. Pour un Ure qui n’est pas conscient de
sa propre nature réelle, le Soi semble être né com­
me un individu et lutter dans l’océan du samsâra.
7. Ishwara étant tout pénétrant, sa réalisation
devrait être chose aisée. Pourtant les Ecritures
déclarent que sans Sa grâce le Seigneur ne peut
même pas être adoré et encore moins réalisé. Dès
lors, comment réaliser le Soi, ou Ishwara, par des
efforts individuels, en l’absence de Sa grâce ?
Ishwara est identique au Soi. Sa grâce signifie
la conscience de Son immédiate et intime Présence
ou Révélation. Donc Ishwara ne demeure jamais
inconnu. Bien qu’il brille sur le monde entier, le
Soleil reste invisible pour le hibou, à cause de son
propre défaut et non de celui du Soleil. Pareille­
ment l’ignorance du Soi toujours-présent et brillant
de Soi-même doit être due à notre propre défaut et
non à Celui du Soi, La Grâce est Pitre vrai d’/s/i-
wara et ainsi B ®ft appelé également Grâce. Etant
la Grâce-même, Ishwara ne peut être dit mani-1
1. [Ish w a ra est pris ici dans son seul aspect de Créateur
qui, solidaire de la création, disparaît dans la non-dualité.
Dans d’autres e¿dr°fc :ft¡ est pris dans son sens dé Principe
p¿r et il est idenf|Ej§!nu Soi].

162
fester la Grâce seulement en une période ou occa­
sion particulière.
8. Où est le siège du Soi dans le corps ?
Il est indiqué communément comme étant le
Cœur dans la partie droite de la poitrine, parce
que chacun place sa main là pour se désigner soi-
même aux autres. D’aucuns, cependant, soutien­
nent que le siège de l’être est dans le cerveau ;
dans ce cas, la tête ne devrait pas se courber dans
le sommeil ou ^évanouissement»
9. Quelle est la nature du Coeur ?
Le Cœur a été décrit comme suit I
« Entre les deux seins, au-dessous de la poitrine
et au-dessus de l’abdomen, il y a six points de
couleurs variées. L’un d’eux ressemble à un bou­
ton de lis et (se trouve) à deux doigts (du centre)
sur la droite. C’est le Cœur. »
« Il est renversé, et, dedans il y a un minuscule
trou dans lequel réside, inébranlable, une obscu­
rité sans fond en même temps que les désirs
(tendances) etc. Là se trouve le support du système
nerveux tout entier. C’est le siège des forces vitales,
du mental et de la lumière (de la conscience).»
Pourtant, en vérité, le mot Hridaya (Cœur) signi­
fie seulement le Soi. Puisque le Cœur est Sat-Chit-
Ananda-Nitya-Purna (Etre - Conscience - Béatitude
Éternelle et Parfaite), il ne peut pas y avoir quoi
que ce soit qui lui soit extérieur ou intérieur ni
quoi que ce soit au-dessus ou au-dessous de lui.
L’état de vacuité de toutes pensées, état stable et
inaltérable, est celui du Soi. Si on réalise le Soi
tel qu’il est, des questions comme celle de savoir
s’il est au-dedans ou au-dehors du corps ne peuvent
pas se présenter.
10. Même en l’absence d’objets extérieurs, com­
ment le mental perçoit-il intérieurement différents
objets ?
163
Cela est dû à de précédents samskâras (impres­
sions mentales demeurant à l’état latent). Ils sont
perceptibles à la conscience individuelle qui, s’é­
tant évadée de son propre Etre naturel, inchan-
geable et pur (en soi), s’extériorise. Chaque fois
qu’une chose, quelle qu’elle soit, devient percep­
tible, immédiatement demandez-vous : « Qui est
le voyant ? », et elle disparaîtra tout de suite.
11. Comment les triades (voyant-vision-chose
vue) inexistantes dans le sommeil profond ou le
samadhi, deviennent-elles manifestes (dans les au­
tres états) ?
De l’Etre pur (le Soi) s’élèvent successivement :
(a) la conscience réfléchie (chidâbhâsa),
(b) jivâ (l’âme individuelle), c’est-à-dire le
voyant, ou la pensée « je »,
(e) les phénomènes ou le monde.
12. Etant Lui-même libre des notions de connais­
sance et d’ignorance, comment le Soi peut-il pé­
nétrer tout lé corps en tant que sensibilité ou
rendre le mental et les sens sensibles ?
Les sages ont déclaré que les différents nâdis
(nerfs) subtils s’étendant au corps tout entier ont
leur racine dans le siégé du Soi ; que leur relation
mutuelle est appelée le noeud du Cœur (hridaya
granthi) Éque tant que ce nœud ne sera pas tranché
par la Connaissance du Soi, les facteurs sensibles
et insensibles demeureront certainement entrela­
cées j qu’à J’instâr de l’énergie électrique subtile
et invisible opérant à travers les fils, l’énergie du
Soi actionne le mental et les sens à travers les
nerfs, s’étendant à tout le corps ; qu’une fois ce
nœud coupé, le Sol fifa réalisé tel qu’il est, dégagé
de toute attache.

164
13. Comment la Conscience Absolue, c'est-à-dire
le Soi demeurant en tant que Pure Connaissance,
est-elle reliée aux triades (le Connaissant, la Connai-
sance et le Connu), c'est-à-dire à la connaissance
relative ?
La séance de cinéma le démontre fort bien, com­
me suit :

La sé a n c e d e c in é m a L e S oi

(1) La lampe allumée dans Le Cœur brillant de soi-


la machine. même.
(2) La lentille devant la Le mental en sattiva (état
lampe. de pureté) tout près du Soi.
(3) Le rouleau d’impres- Le rouleau de tendances
Sions (le film d’images). latentes sous la forme de pen­
sées subtiles.

(4) La lentille et la lumière Le mental et l’Atman ou le


de la lampe de l’intérieur qui Soi (brillant de soi-même) qui
la traverse, lesquelles ensem­ l’illumine, lesquels ensemble
ble constituent la lumière constituent jîva ou le connais­
concentrée. sant.

(5) Le faisceau de lumière La lumière du Cœur bril­


projetée à travers la lentille lant de soi-même projetée, à
sur l’écran. travers le mental et les sens,
sur le monde.

(6) Les différentes merveil­ Les différents noms et for­


leuses images apparaissant mes apparaissant comme les
avec la lumière sur l’écran. objets perçus avec la lumière
dans le monde.

165
(7) Le mécanisme mettant La loi divine rendant ma­
le film en marche. nifestes les tendances du
mental.

(8) Les scènes apparais­ Le monde visible sera ap­


sent avec la lumière sur parent à l’individu dans les
l’écran aussi longtemps que états de veille et de rêve aus­
les images du film s’interpo­ si longtemps que demeurent
sent devant la lumière qui les impressions mentales la­
sort de la lentille. tentes.

(9) Les minuscules grains Le mental grossit ses pen­


optiques se trouvant sur le sées bourgeonnantes en d’am­
film sont énormément gros­ ples arbres d’objets énormes,
sis par la projection sur et en un clin d’œil seulement
l’écran ; ensuite (du fait de la il met en mouvement d’in­
superposition rapide des ima­ nombrables mondes devant
ges projetées) en un clin nous.
d’œil seulement, plusieurs
phénomènes se déroulent sur
Fécràn.

(10) Le film étant fini, En l’absence des modifica­


seule la lumière de la lampe tions mentales de ses laten­
est visible. ces, c’est-à-dire dans le som­
meil profond, l’évanouisse­
ment ou le samâdhi (la Re­
sorption parfaite), les triades
disparaissent, seul le Soi de­
meure brillant.

(11) Bien qu’illuminant la Bien qu’illuminant le men­


lentille, etc., la lampe demeu­ tal et ses réflexions, le Soi
re inchangée. demeure toujours immuable.
Maintenant le parallèle est complet.

166
14. Qu’est-ce que la dhyâna (la méditation) ?
Ne pas s’évader de son propre Soi réel à aucun
moment, ne pas même penser à dem eurer en médi­
tation, être absorbé dans le Soi, c’est la méditation.
Dans un tel état, pas même les vestiges des états
de veille, rêve et sommeil ne sont perceptibles. Le
sommeE aussi doit être considéré comme de la
méditation.
15. Comment le samâdhi diffère-t-il de la dhyâ­
na ?
La méditation débute et se soutient par un
effort conscient du mental. Lorsqu’un tel effort
s’évanouit entièrement, c’est le samâdhi.
16. Quels points doit-on avoir en vue dans la
dhyâna ?
Puisque se fixer dans le Soi est notre principale
tâche, nous ne devons pas nous écarter, tant soit
peu, de l’uni-pointage du Soi. Il ne faut pas être
trompé et se laisser distraire en tenant pour
réelles les diverses lumières agréables qui peuvent
apparaître, ou quelque nâda (son) mélodieux et
inaccoutumé qui se fait entendre, ou les formes
divines qui surgiraient soit à l’intérieur de nous-
même soit face à face. La connaissance des per­
ceptions externes étant elle-même irréelle, com­
ment les objets révélés par elle sauraient-ils être
réels ?
Remarque : Si chaque moment perdu à la
poursuite du non-Soi était utilisé à la poursuite du
Soi, la réalisation du Soi s’ensuivrait très bientôt.
Jusqu’à tant que le mental se fixe dans le Soi,
un certain bhâvana est tout à fait essentiel. Autrer
ment le mental est une proie facile pour les pen­
sées vagabondes ou pour le sommeil. (Le bhâvana,
outre qu’il soit une contemplation imaginative
aigüe de la déité de choix personnel, est teinté de

167
profonde émotion religieuse, qui pénètre jusqu’au
cœur de notre être. Dans cette attitude, qui impli­
que un haut degré de concentration, le mental est
pleinement éveillé et cependant libre des pensées
vagabondes.)
U ne faut pas perdre de temps en s’appliquant
indéfiniment aux mantras tels que « Je suis Shi-
va ■» ou « Je suis Brahman » que l’on dénomme
Nirgunopasana (culte de l’Etre sans qualités). Ils
aident à fortifier le mental. Dès que cette force
est acquise, il faut s’adonner à l’investigation du
Soi.
Le but de la sâdhanâ (pratique) est de ne pas
céder à la moindre modification du mental.
17. Quelle est la discipline pour te sâdhaka
(l’aspirant) ?
La modération dans la nourriture, le sommeil
et les paroles.
18. Combien de temps la pratique devrait-elle
durer ?
Jusqu’à ce que le mental soit fixé sans effort
dans l’état originel, libre de modes, c’est-à-dire
jusqu’à tant que les idées de « moi » et « mien »
cessent d’opérer.
19. Que signifie la solitude ou la retraite ?
Le Soi étant partout il ne peut pas y avoir d’en­
droit déterminé pour le trouver par l’isolement ;
l’état libre de concepts mentaux, c’est cela la retrai­
te solitaire.
20. Qu’est-ce que la discrimination (vivêka) ?
Après avoir éprouvé la Vérité une seule fois,
la beauté du pouvoir de discrimination consiste à
ne pas se laisser illusionner. Tant qu’on pense que
le corps est le Soi on ne peut pas réaliser la
Vérité. Seul est pris de peur celui qui voit une
différence quelconque dans le Suprême Brahman.
168
21. Le prârabdha (karma antérieur) étant res­
ponsable de tous les événements, comment les
obstacles à la méditation peuvent-ils êtfe surmon­
tés ?
Le prârabdha concerne le mental seulement
lorsqu’il est tourné vers l’extérieur et non pas vers
l’intérieur. Le chercheur résolu du Sol ne se tour­
mente pas à propos d’aucun obstacle. Penser aux
obstacles c’est en soi le plus grand obstacle.
22. Le sannyâs (le renoncement) est-il une condi­
tion sine qua non pour l’âtmâ nishta (être fixé en
tant que le Soi) ?
Il s’agit de l’effort soutenu pour arriver à être
débarrassé de l’attachement à son corps. Le déta­
chement résulte de la qualification et de la recher­
che du Soi, non pas d’autres causes telles que les
ordres de vie (âshramas) (dont le sannyâs). L’atta­
chement est une satisfaction du mental. Les élé­
ments définissant les âshramas sont relatifs au
corps et donc extérieurs. Comment des conditions
corporelles peuvent-elles combattre des inclina­
tions mentales ? Certes la qualification et la recher­
che du Soi ont rapport au mental j et en raison
de la négligence de la recherche, le mental demeu­
re extériorisé, proie de l’attachement etc ; et ceci
ne peut être réparé que par une autre activité du
mental, à savoir, la recherche du Soi. Or, le « re­
noncement » (sannyâs), est utile pour cultiver l’im­
passibilité, et c’est au moyen de l’impassibilité que
l’on effectue la recherche du Soi. Par conséquent
ceux qui sont désireux d’être délivrés adoptent lé
sannyâs comme un moyen en vue de la recherche
du Soi. Mais il ne convient qu’à un petit nombre
d’êtres qualifiés. Les inaptes ne devraient pas
gâcher leur vie en l’adoptant ; en vivant la vie
dans le monde, ils peuvent considérablement s’amé­
liorer. Pour fixer le mental dans le Soi qui est
U9
son état pur, son doit le séparer de la famille des
imaginations (sankcâpu) et des doutes ÿg&wlpa),
c'est-à-dMe 1« faire renoncer mentalement à la
famille | tel est le vrai sannyâs (renoncement). ■
2§. Tawf que subsiste une $ret&e de la conscience
d’être ragent, la Connaissance de Soi ne peut pas se
révéler. ÉSm, chef de famille désirant la Délivrante
peut-il accomplir son devoir correctement, sans
avoir la conscience d’en être l'agent ?
H n’est nullement dit que les choses doivent être
accomplies seulement avec la conscience d*|tre
l’agent | et* tons doute, les choses peuvent être
faites ton* participation, c’est-à-dire sans la cons­
cience jngÈe l’agent. Tout comme un caissier dans
un bureau, pleinement conscient de n’être pas lui-
même le propriétaire de l’argent, et par consé­
quent n’y étant pas attaché, le manipule avec
grand soin et s’acquitte de son devoir parfaitement
bien ; de même le chef de famille avisé, demeu­
rant seulement un outil détaché du résultat, mais
engagé dans sa tâche par suite de son propre
prârabdha (karma passé), peut accomplir celle-là
de façon satisfaisante. Le karma et la Connaissan­
ce ne se contredisent pas.
24. Comment un sage chef de famille non sou­
cieux de ses aises peut-il être de quelque utilité à
la maisonnée, ou vice-versa ?
Bien qu’inattentif à ses propres aises, si son
prârabdha est cependant tel qu’il doive travailler
pour l’entretien de la famille, il le fera pour le
bien des autres. Quant à son propre bénéfice, ayant
déjà utilisé l’accomplissement loyal de son devoir
familial comme un moyen pour obtenir la Con­
naissance, elle-même supérieure à tous les autres
gains, il demeure maintenant parfaitement satis­
fait et heureux, ne chiïitatnt pas de nouveau gain
en provenance de la famille.
170
25. Comment la nivritti (non-agir) et la Paix
mentale sont-elles compatibles avec les tâches do­
mestiques qui sont si urgentes et exigeantes ?
Un Jnâni (sage) semble actif aux autres mais
en lui-même il ne l’est pas ; quoiqu’accomplissant
des tâches immenses, lui-même ne se considère pas
actif. Donc les activités apparentes d’un tel chef de
famille illuminé ne peuvent interrompre sa nivritti
et son repos. Il sait que toutes les activités sont
basées sur lui et qu’il n’en dépend pas ; par consé­
quent il demeure comme le témoin impassible de
toutes les activités empiriques axées sur lui.
26. Bien que ses activités présentes constituent
le produit de son karma antérieur, ne laissent-elles
pas leur empreinte sur son mental pour se mani­
fester de nouveau ?
Puisqu’un Jnâni est déjà libre des tendances
latentes du mental et n’est pas attaché à quelqu’ac-
tivité, comment le karma peut-il laisser une em­
preinte sur son mental ?
27. Qu’est-ce que le Brahmachârya (signifiant
normalement le célibat) ?
La quête de Brahman est lé Brahmachârya.
28. be Brahmachârya (ordre de vie traditionnel,
célibat consacré à l’étude) peut-il être une aide
pour l’obtention de la Connaissance ?
Les règles du Brahmachârya, contrôle des sens,
etc., étant les mêmes que les qualifications requi­
ses du chercheur de la Connaissance, la vie disci­
plinée du Brahmachârya doit être favorable au
progrès de la spiritualité.
29. Peut-on adopter le sannyâs (renoncement)
directement à partir du Brahmachârya ? (c’est-à-
dire adopter le quatrième à partir du premier ordre
de vie).
Les quatres ordres de vie ne sont pas impéra­
tifs pour Vadhikâri (chercheur de la Connaissan-

¿71
ce entièrement qualifié). L’homme ayant réalisé le
Soi ne différencie pas un âshrama d’un autre ;
Vâshrama ne l’aide ni ne le retarde.
30. Le Sâdhaka petd-t-il quelque chose en n’ob­
servant pas les règles des castes et des ordres de
vie ?
Toutes les autres observances sont destinées à
la pratique de la Connaissance. Un pratiquant
constant de la Connaissance n’est lié par aucune
règle. S’il adhère strictement à quelque discipline,
sa vie est seulement proposée en exemple aux au­
tres. L’adhésion à une discipline n’assure (par elle-
seule) aucun gain pour lui, et le fait de s’en écar­
ter (par lui-seul) ne l’expose à aucune perte.

172
Chap. III : ANUBHAVA OU L’EXPERIENCE

1. Qu’est-ce que la Lumière de la Conscience ?


C’est l’Etre-Connaissance (Sùt-Chit) brillant de
Soi-même qui demeure et qui illumine les noms et
les formes et les révèle au voyant, en tant que le
mental à l’intérieur, et en tant que le monde à l’ex­
térieur. Ce Sat-Chit ne peut pas être objectivé,
mais son existence est inférée à partir de l’illu­
mination des objets.
2. Qu’est-ce que Vijnâna (La Connaissance) ?
C’est l’état de sérénité expérimenté par l’aspirant
zélé — après que le mental cesse d’être actif —
une mer calme, unie, ou un éther que rien ne vient
troubler.
3. Qu’est-ce que Ananda (la Béatitude) ?
L’Expérience de la Paix Parfaite en état de
Vijnâna (Connaissance), libre de toutes les activi­
tés et ressemblant au sommeil profond. Ceci est
également appelé Kêvala Nirvikalpa Samâdhi (de-
meurance sans concepts ) (1).
4. Qu’y a-t-il au delà de la Béatitude ?
C’est l’état de la Paix Parfaite sans fin qu’on
trouve en état de quiescence absolue (jagrad su-
shupti ; littéralement : sommeil conscient), et qui
ressemble au sommeil profond inactif (sans con­
cepts). Tel est le Sahaja Nirvikalpa Samâdhi (2).
5. Qu’est-ce que l’expérience (anubhava) établis­
sant que la totalité des mondes mouvants et non-
mouvants surgit du Soi ?1

1. et 2. Réponse rédigée à nouveau par l’Ashram et qui


diffère de la version anglaise Madras, 1960.

173
Le vrai sens du « |e » est le Soi. Quand le Pou­
voir caché dans le sommeil profond apparaît en
tant que connaissance « je-suis-le-corps », tout au­
tre est perçu.
Le vrai voyant (le Soi) est partout, et sans la
connaissance « je suis » il ne peut y avoir de per­
ceptions d’aucune sorte. Celles-ci montrent claire­
ment que toutes sont issues du Soi, demeurent dans
le Soi et sont retirées par le Soi (1).
6. Les corps sont innombrables ; autant de « soi »
doivent les animer ; ceci est vu directement. Com­
ment dès lors peut-il être dit que le Soi est un
Unique ?
Là où l’idée « je-suis-le-corps » conditionne le soi
de l’être, les « soi » peuvent être considérés comme
multiples. Seulement le point d’évanouissement de
cette idée révèle le Soi et par conséquent l’idée
elle-même ne peut pas être le Soi. A ce stade aucune
trace d’une seconde chose n’est laissée en arrière.
Donc il n’est que juste de dire que le Soi est un
Unique.
7. Quelle expérience montre que Brahman peut
être saisi ou non par le mental ?
Il est dit que le pur mental résolu en Lui Le saisit,
mais non pas le mental impur.
8. Qu’est-ce que le pur mental (sattwa) ? Qu’est-
ce que le mental impur ?
Quand la Puissance indéfinissable de Brahman,
qui émerge de Lui et s’unit à la réflexion de la
CbtÉiaiissanâe | chidâdïhâsa)j, ¡prend des formes va­
riées et devient enfin libre de cette réflexion de
la connaissance par la discrimination (vivêka), on
l’appelle le Pur mental. Son union avec le Brah­
man est sa préhension de Brahman. L’énergie unie1

1. Réponse rédigée à nouveau par l’Ashram.

174
à la réflexion de la Connaissance est appelée le
mental impur et son état de séparation de Brahman
signifie sa non-préhension de Brahman (1).
9. Le prârabdha (karma passé) dont il est dit
qyt$ a la ipême durée que le corps, peut-il être
vaitmi, BÉBt qu’on demeure soi-même dans le
corps ?
Oui, lye karma appartient su kartâ (c’est-i-dirs
l’action revient | son agent) ; l’agent est l’ego, un
faux soi, interposé entre le Soi Réel et le corps in­
sensible ; cet ego fondant dans sa Source (le Soi),
l’entité étant perdue, le karma qui lui adhère ne
peut pas lui survivre. Par conséquent, il ne peut
y avoir de prârabdha en l’absence de l’ego.
10. Le Soi étant Sat-Chit (Etre-Connaissance),
comment est-il dit être autre que l’Etre ou le Non-
Etre et différent du sensible et de l’insensible ?
Le Soi étant le Réel (Sat) comprenant tout, il
n’y a pas lieu pour des questions concernant la
dualité (sa réalité ou son irréalité). De même, étant
Conscience (totale) (Chit), puisqu’il n’y a anehn
autre que Lui pour Le connaître ou être connu
par Lni, le Soi est dit être différent du sensible et
de l’insensible.1

1. Réponse rédigée à nouveau par l’Ashram.

175
Chap. IV : ARUDHA OU LA FERME DEMEURANCE

1. Qu’est-ce que l’Etre Suprême de Connaissan­


ce ?
C’est l’état de stabilité sans effort du mental dans
l’Atman (le Soi) duquel il ne ré-émerge pas. Cons­
cient du corps, tout homme demeurant naturel
et tranquille sait toujours : « je ne suis pas une
chèvre, ni un bœuf, ni quelqu’aütre animal, mais
uniquement un homme » ; de même au sujet du Soi
11 sait : « je ne suis pas le corps, ni quelqu’autre
tattwa se terminant en nâda (bruit non provoqué
entendu à l’intérieur), mais uniquement le Soi,
c’est-à-dire Sat-Chit-Ananda (Etre-Connaissance-
Béatitude) » j une telle Connaissance du Soi, spon­
tanée et éternelle est dite être la stabilité sans effort
dans l’Etre Suprême (Atmâ prâjna).
2. Auquel des sept degrés de l’évolution spiri­
tuelle devient-on jnâni ?
Au quatrième degré.
Remarque : Les sept Jnâna Bhumikas (degrés
de réalisation de la Connaissance) sont :
(1) Subhêccha (le désir de l’illum ination)
(2) Vichâranâ (la recherche)
(3) Tanumânasa (mental ténu)
(4) Satwâpathi (Réalisation du Soi)
(5) Asamshakti (non-attachement)
(6) Padârthâbhâvani (non-perception des objets)
(7) Turyagâ (transcendance).
Ceux qui ont atteint les quatre derniers Bhumi­
kas sont respectivement appelés Brahmavit, Brah-
176
mavidvara, Brahmavidvariya et Brahmavidvarish-
ta.
3. S’il en est ainsi, quelle est la signification des
trois degrés qui suivent (ce quatrième) ?
Le quatrième, le cinquième, le sixième et le
septième degrés dénotent différents aspects de la
Délivrance pendant la vie même ; ils ne signifient
pas une différence en jnâna (expérience) ou mok-
sha (Délivrance). Sons le rapport du jnâna et du
moksha, il n’y a pas la moindre distinction entre
ces quatre degrés.
4. La Délivrance étant commune à tous les qua­
tre, comment le Varishta peut-il être exalté au-
dessus de tous les autres ?
C’est à cause de son expérience ininterrompue
de Béatitude, en raison de l’excellence de ses mé­
rites antérieurs, qu’il est ainsi exalté ; et non pour
quelqu’autre raison.
5. p n’y a personne qui ne soit désireux de l’ex­
périence ininterrompue de Béatitude. Pourquoi
toutes les classes de jnânis n’atteiqnent-elles pas
cet état ?
Ce n’est pas le résultat du désir ou de l’effort.
Le prârabdha en est la seule cause. L’ego entiè­
rement perdu même dans le quatrième degré, au­
cune individualité ne subsiste soit pour faire l’ef­
fort soit pour désirer. Ils ne peuvent être des
jnânis c@â& qui continuent de faire effort. Les
Ecritures en exaltant le Varishta, ne disent pas en
même tetnps dès trois autres classes qu’elles sont
différentes de celles des jnânis.
6. Quelques Ecritures déclarant que l’Etat Suprê­
me a lieu après l’élimination du mental et des sens,
comment cet état est-il compatible avec l’existence
active ?
177
Si tel est le critère, l’Etat Suprême ne peut pas
être différent du sommeil profond. De plus l’état
existant à un moment, mais pas à un autre, on ne
peut dire qu’il soit l’Etre Naturel et Permanent.
Selon le prârabdha, l’Etat Suprême peut survenir
et continuer peu de temps ou un certain temps
ou même jusqu’à la mort pour quelques uns ; mê­
me dans ce dernier cas, on ne peut pas dire qu’il
soit le stade définitif. Autrement les grands sages
qui étaient les Voyants des montras védiques ou
les auteurs d’œuvres védantiques originelles, oui,
Ishwara Lui-même, tomberait dans la catégorie des
ignorants. Si l’Etat Suprême était seulement au-de­
là du mental et des sens et non en eux et partie
d’eux, il ne pourrait pas être le Tout-parfait L’ac­
tion et l’inaction du jnâni dépendant uniquement
de son prârabdha, seul l’état de sahaja (naturel)
nirvikalpa (au-delà de tout concept) est déclaré par
les sages être définitif.
7. Comment le sommeil ordinaire diffère-l-il du
sommeil-éveillé (jâgrat sushupti) ?
Le premier n’est pas seulement libre de pensées
mais la connaissance n’y resplendit pas non plus.
Par contre le second n’est fait que de connaissan­
ce brillant de soi-même. Donc c’est un sommeil en
plein état de veille.
8. Comment m Soi peut-il ^tre le turiya (le qua­
trième état) et aussi atîta (au-delà de celui-ci) ?
Turiya veut dire le « quatrième s> (état). Les
expérimentateurs de vishwa, l’état de veille, de
taijasa, l’état de rêve, et de prâjna, l’état de som­
meil profond, et qui passent de l’un à l’autre, ne
sont pas le Soi. Celui-ci doit être différent de
ceux-là, demeurant toujours leur témoin ; d’où il
est dit être le « Quatrième ». Lors de la réalisation
du Soi, les trois autres expérimentateurs disparais­
sent complètement, ne laissant rien en témoignage ;
178
ainsi sans avoir à être encore témoin, le Soi de­
meure aussi pur que jamais ; par conséquent il est
dit être au-delà du quatrième état également.
9. Comment les Ecritures profitent-elles au sage
qui a réalisé le Soi ?
Le sage qui a réalisé le Soi étant la chose même
indiquée de si nombreuses façons par les Ecritures,
elles ne peuvent lui être d’aucune utilité.
10. L’obtention de pouvoirs prodigieux (siddhis)
est-elle reliée de quelque façon à la Délivrance ?
La recherche illuminée est lé seul moyen d’ac­
céder à la Délivrance. Les siddhis ne sont que des
phénomènes passagers de la puissance d’illusion
(mâgâ shakti). Réaliser le Soi est le seul accom­
plissement qui en vaille la peine, et permanent.
Lès phénomènes passagers sont illusoires et ne va­
lent pas d’être réalisés. Ils sont désirés et obtenus
par ceux qui sont avides de renommée et de plai­
sirs. A cause du prârabdha, les siddhis peuvent sur­
venir involontairement à quelques-uns. Sachez que
le meilleur de tous les pouvoirs acquis (siddhis)
C*eSt d ’ê tr e un avec l’Etre Suprême. C’est aussi la
forme de Délivrance (airga mukti) connue en tant
que sayujya (union).
11. Telle étant la Délivrance (Moksha), comment
certaines Ecritures, tout en acceptant que le jîva (le
soi individuel) est uni au corps, déclarent-elles que
la Délivrance consiste à ne pas laisser le corps se
perdre mais à le garder éternellement vivant) ?
Si seulement l’esclavage était réel, la Délivrance
et les expériences appartenant à son accomplisse­
ment seraient aussi réelles. Mais en réalité, le Soi
(Purusha) et non jîva n’est lié à aucun des quatre
états. Le Vêdânta et le Siddhanta (1) déclarent avec

1. Voir chapitre I, question 11.

179
force que l’esclavage est une simple opinion cou­
rante ; l’esclavage lui-même étant irréel comment
les moyens de se délivrer et la Délivrance peuvent-
ils eux-mêmes être fondés ? Ne pas comprendre
cette vérité et s’engager à établir le bien-fondé de
l’esclavage et de la Délivrance, est aussi futile que
d’essayer de prouver les bons et les mauvais cotés
du « fils d’une femme stérile » ou de déterminer
la taille et la couleur d’« une corne de lièvre » !
12. S’il en est ainsi, la nature et les caractéris­
tiques de la servitude et de Ici Délivrance que les
Ecritures traitent si minutieusement seraient hors
de propos et faux ?
Non. La « servitude » a depuis des temps immé­
moriaux été fabriquée par l’ignorance et commu­
nément acceptée ; cette illusion de la servitude ne
peut être dissipée que par la vraie connaissance
qui, à son tour, a fabriqué le terme contraire « Dé­
livrance » ; celui-ci a également trouvé un usage
répandu ; c’est tout. Le fait que les traités sur la
Délivrance sont diversement écrits prouve leur na­
ture illusoire.
13. Alors donc, l’audition de la vérité, la réflexion,
sur celle-ci et un mental uni-pointé, ne sont-ils
d’aucune valeur ?
Mais si ! Le propos le plus élevé de tous
ces efforts est de s’assurer Sans l’ombre d’un doute
que la servitude et la Délivrance sont elles-mêmes
illusoires, et cette conviction courageuse ne peut
procéder que de l’expérience acquise par ces mo­
yens (écoute, réflexion etc.). Rien d’autre ne peut
y faire. Par conséquent, ils sont utiles.
14. Quelle est l’autorité qui nie esclavage et Dé-
livrance ?
La fausseté de ces deux idées est confirmée par
la force de l’expérience, et n’est pas seulement une
assertion textuelle des Ecritures.
180
15. Sur quelle expérience leur dénégation est-elle
fondée ?
Comme ce ne sont que des mots, et non pas des
entités, leur fonctionnement n’a pas de base en
soi. Mais n’étant que des relations, ils doivent avoir
une cause. Cherchez-là et le chercheur lui-même
se trouvera être celui pour qui les deux (esclavage
et Délivrance) ont été affirmés. Cela est synonyme
de la recherche: « Qui suis-je ? ». La recherche
aboutit à l’annihilation de l’illusoire « je » et le Soi
qui subsiste sera aussi clair qu’une baie de groseil­
le au creux de la main. Il n’y aura là que des mots
à l’usage du mental extériorisé. Ceux qui tournent
ce mental vers l’intérieur, cessant de discuter inu­
tilement, réalisent le Soi. Sans aucun doute, tous
ceux qui ont réalisé le Soi ne voient pas qu’il puis­
se être question d’esclavage ou de Délivrance en ce
qui concerne le vrai Soi.
16. La servitude et la Délivrance n’étant pas
réelles, pourquoi misère et confusion devraient-el­
les persister 7
Elles appartiennent seulement au non-Soi, et
n’ont rien à voir avec le Soi.
17. Est-ce possible pour tous de reconnaître leur
Etre réel, au-delà de tout doute ?
Certainement.
18. Comment ?
Dans l’état de sommeil profond ou dans l’éva­
nouissement, quand le monde entier, mobile et im­
mobile, depuis la terre (prakriti non manifestée y
comprise), disparaît, le Soi ne disparaît pas, car le
Pur Etre de l’expérience directe et indubitable de
chacun est un état naturel à tous. Tout le reste —•
toutes les expériences de l’état ignorant — est illu­
sion.

181
TROISIÈME PARTIE
ADAPTATIONS ET TRADUCTIONS
LE CHANT CELESTE
(Bhagavad-Gîtâ Sâram)

Bhagavan parlait un jour avec un pandit de


passage des grands mérites de la Bhagavad-Gîtâ.
Un des assistants, se plaignant été ta difficulté qu’il
éprouvait à garder présents à Vesprit tous ses 700
versets, demanda s’il n’g en avait pas un que l’on
puisse retenir et qui donnât la quintessence de la
Gitâ. Bhagavan cita alors le Livre X, verset 20 :
«Je suis le Soi, ô Gudâkesa, demeurant dans le
Cœur de chaque être ; Je suis le commencement
et le milieu et aussi la fin de tous les êtres. »
Ensuite il choisit les 42 versets qui vont suivre
Éle verset cité plus haut en étant le quatrième) et les
arrangea dans un ordre propre à servir de guidance.
[Chaque verset est suivi d’une référence numéri­
que, renvoyant au texte de la Bhagavad-Gîtâ]
Sanjaya (1) a dit :
1. À Ârjuna, rempli de compassion et arrivé au
désespoir, aux yeux angoissés et baignés de lar­
mes, à lui Mudhusudana (le Seigneur Bienheureux
Krishna) adressa ces paroles : II, 1.
2. Ce corps, ô fils de Kunti (1), est appelé le
Kshetra (le champ) ; qui le connaît, les Sages l’ap­
pellent le Kshetrajna (le Connaisseur du champ),
XIII, 1.
3. Connais-Moi aussi comme le Connaisseur du
champ dans tous les champs, ô Bharata (1) : .la
connaissance du champ et du Connaisseur du
champ je la déclare vraie Connaissance.
XIII, 2.

1. Autre nom attribué à Arjuna.

185
4. Je suis le Soi, ô Gudâkesa (1), demeurant
dans le Cœur de chaque être ; je suis le commen­
cement et le milieu et aussi la fin de tous les
êtres.
X, 20.
5. De ceux qui sont nés la mort est certaine,
et certaine la naissance de ceux qui sont morts :
c’est pourquoi, de ce que nul ne peut éviter, tu ne
dois pas te lamenter»
II, 27.
6. Jamais Lui ne naît ni ne meurt ; ne naissant
pas, Jamais ne cesse-t-Il d’être : non-né, subsistant,
éternel, primordial, Il n’est pas tué quand est tué
le corps.
II, 20.
7. On ne peut pas Le fendre, on ne peut pas Le
brûler, on ne peut pas même Le mouiller ni encare
Le dessécher : Il est subsistant, omni-présent, stable,
immuable etéternel.
II, 24.
8. Sache qu’est indestructible Ce par quoi tout
ceci est pénétré ; nul ne peut opérer la deslruction
de cet Immutable.
II, 17.
9. L’irréel ne peut être et le Réel ne peut pas
ne pas être : la vérité de ces deux affirmations est
vue par les Voyants de l’Essence.
II, 16.
10. Tout comme l’éther partout présent n’est
cependant pas pollué en vertu de sa subtilité, de
même le Soi qui partout demeure n’est pas pollué
dans le corps.
XIII, 32.

1. Autre nom d’Arjuna.

186
11. Ni soleil ni lune ni feu ne L’illumine : et là
où l’on va sans jamais revenir, Cela est Ma De­
meure Suprême.
XV, 6.
12. Cela s’appelle Non-manifesté, Indestructible ;
et on proclame que cela est l’Etat Suprême (Âhat),
d’où, une fois qu’on l’a atteint, on ne revient pías ;
Cela est Ma Demeure Suprême.
VIII, 21.
13. Sans orgueil, sans illusion, victorieux de la
souillure de l’attachement, toujours établis dans le
Soi, ayant abandonné tout désir, libérés des
contraires appelés plaisir et peine, désillusionnés,
ils (ceux qui ne s’égarent pas) vont à cette Demeure
Immuable.
XV, 5.
14. Celui qui abandonne les commandements des
Ecritures et agit sous l’influence du désir, n’atteint
pas à la perfection, ni au bonheur, ni à l’Etat
Suprême.
XVI, 231
15. Celui qui voit le Suprême Seigneur demeu­
rant également dans tous les êtres, ne périssant pas
quand ils périssent, c’est celui-là qui voit juste.
XIII, 27.
16. Seulement par la dévotion sans partage, ô
Arjuna, je puis être connu et vu et pénétré en
essence, ô Parantapa (1).
XI, 54.
17. En tout homme, ô Bharata, la fol est confor­
me à l’essence ; l’homme consiste en foi et il
s’identifie à l’objet de sa foi.
XVII, 3.
18. Celui qui a une foi intense èt qui, voué à1
1. Arjuna.

187
cette foi, maintient les sens sous contrôle, obtient
la Connaissance ; et ayant obtenu la Connaissance
il atteint promptement la Paix Suprême.
IV, 39.
19. A ceux qui sont en harmonie avec le Soi et
qui M’adorent d’un fervent amour, Je donne cette
union intelleçtive (buddhiyogam) par laquelle ils
arrivent à Moi.
X, 10.
20. Pris de compassion pour eux et établi dans
leur Soi, avec la Lumière resplendissante de la
Connaissance, Je détruis leurs ténèbres nées de
l’ignorance.
X, 11.
21. Chez ceux dont l’ignorance est détruite par la
Connaissance du Soi, la Connaissance, tel le soleil,
illumine Ce Suprême.
V, 16.
22. Hauts, disent-ils, sont lés sens ; plus haut
que les sens est le mental (marias) ; et plus haut
que le mental est l’intelligence; mais celui qui
est plus haut que rintelligence, c’est Lui.
111,42.
23.. Sachant ainsi qu’il est plus haut que l’intel­
ligence, stabilisant le soi par le Soi, ô toi fort en
bras, tue l’ennemi sous forme de désir, si dur à
vaincre,
III, -43,
24. Comme un feu allumé réduit en cendres son
combustible, ô Arjuna, de même le feu de la
Connaissance réduit en cendres toutes les œuvres.
IV, 37.
25. Celui dont chaque entreprise est sans désir
ni mobile, dont les actions sont brûlées dans le
Feu de la Connaissance, les savants l’appellent un
Sage.
IV, 19.

188
26. Tout alentour des Sages austères, libres du
désir et de la colère, qui ont assujetti leur mental
et réalisé le Soi, irradie la Paix béatifique de
Brahman.
V, 26.
27. Peu à peu il faut réaliser la tranquillité, grâce
au discernement mis au service d’un ferme propos;
en faisant s’établir le mental dans le Soi, il faut
ne penser à rien.
m 25.
28. En quelque direction que vagabonde le men­
tal volage et instable» il faut le ramener et le mettre
sous l’emprise du Soi seul.
VI, 26.
29. Le saint consacré à la recherche de la Dé­
livrance, sens, mental et intellect (buddhi) domptés,
sans désir, crainte ou colère, est certes toujours
Délivré.
V, 28.
30. Celui qui est ferme dans le yoga et qui
considère tout avec impartialité, voit le Soi de­
meurer dans tous les êtres et tous les êtres dans
le Soi.
VI, 29.
31. Je prends sur moi d’assurer et de protéger
la subsistance de ceux qui, sans altérité, méditent
sur Moi et M’adorent et qui sont toujours centrés
sur Moi.
IX, 22'
32. Parmi ceux-ci le Jnâni, qui est toujours cen­
tré et dont la dévotion est fixée sur l’Un, est lé
plus excellent ; parce que Je suis suprêmement
cher au Jnâni et que lui M’est cher.
VII, 17.
33. Au terme de nombreuses existences, le Jnâni
trouve refuge en Moi, reconnaissant que Vâsu-
189
dêva (1) est tout. Un tel être est difficile à trouver.
VII, 19.
34. Quand on exclut du mental tous désirs, ô
Partha, et que dans le seul Soi et par le Soi on
est pleinement satisfait, alors on est appelé iné­
branlable en Sagesse.
II, 55.
35. Celui-là atteint la Paix qui, ayant rejeté tous
les désirs, demeure sans envie, dénué de « moi *
et de « mien ».
II, 71.
36. Celui par qui le monde n’est pas troublé et
qui n’est pas troublé par le monde, non sujet à
l’exultation, à l’impatience, à la crainte et à
l’agitation, celui-là M’est cher.
XII, 15.
37. Celui pour qui honneur et déshonneur se
valent» pour qui se valent aussi amitié et inimitié,
qui a renoncé à toute entreprise, celui-là est dit
avoir transcendé les gunas.
XIV, 25.
38. L’homme qui dès ici-bas se délecte du Soi
seul, du Soi est satisfait et dans le Soi seul se
complaît, S n’y a pour lui aucun travail à accom­
plir.
III, 17.
39. Pour lui il n’y a pas d’intérêt à faire ou à
ne pas faire quoi que ce soit ; pas plus qu’il ne
dépend quant à son but d’aucun des êtres.
III, 18.
40. Content de saisir ce que le destin lui apporte,
ayant passé au-delà des contraires, affranchi de1

1. Epithète de Krishna en tant que fils de Vâsudêva.

190
l’envie et égal dans le succès ou l’échec, il n’est
pas lié par ses actes.
IV, 22.
41. Le Seigneur, ô Arjuna, réside dans le Cœur
de chaque être et Sa puissance mystérieuse fait
tourner tous les êtres disposés sur la Roue.
XVIII, 61.
42. A Lui seul rends-toi, ô Bharata, avec tout
ton être J par Sa Grâce tu obtiendras certes la
Paix Suprême, la Demeure Eternelle.
XVIII, 62.

191
EXTRAITS DES AGAMAS
Les Agamas sont dès écritures traditionnelles
hindoues ne faisant pas moins autorité et n’étant
pas moins authentiques que les Vêdas. On les
considère comme des enseignements divinement
révélés et aucune origine humaine ne leur est
attribuée. Le culte rendu dans les temples repose
principalement sur les Agamas.
Il g a vingt-huit Agamas qui font autorité. Parmi
ceux-là on distingue le Sarva Jnanottara et le
Devikâlottara qui expriment le point de vue du pur
Adwaita, ou non-dualité.
Le Maharshi traduisit spontanément ces deux
Agamas en strophes tamiles, le Devikâlottara au
tout début de sa résidence à la grotte dé Virupaksha
et la partie essentielle du Sarva Jnanottara appelée
l’Atmâ Sakshatkara en 1933 quand il était déjà à
l’ashram situé au pied de la montagne. Les deux
textes sont des instructions concernant la Voie de
la Connaissance données par le Seigneur Shiva, la
première à son fils Guha (outre nom du Seigneur
Subramania) et la seconde à son épouse, Pârvatî.

192
LA CONNAISSANCE QUI ENGLOBE TOUT
(Atmâ Sakshatkara)

St r o ph e p r o p it ia t o ir e d e S h r i B hagavan

L’Atmâ-Sakshatkara qui fut enseigné par Ishwa-


ra, le Soi (de tous), à son fils Guha, est à présent
exposé en tamil par le même Seigneur, le demeu­
rant en moi, le Primordial et le Suprême, .
T ex te

1 et 2. Je le dirai» ô Guha I une autre méthode


au moyen de laquelle même l’Absolu incondition­
né, intangible, subtil et immanent, peut être réali­
sé d’une façon parfaite, ce par quoi les sages de­
viennent eux-mêmes Shiva. Jusqu’ici cela n’a pas
été exposé à quiconque. Maintenant écoute !
3. Cette méthode a été transmise par une lignée
de Gurus, mais on ne la trouve pas encore expli­
quée dans les différents recueils doctrinaux. Son
propos est de nous sauver des liens du sàmsâra.
Elle est transcendante et s’applique à tous.
4 et 5. « Je suis Celui qui est immanent en tous,
l’esprit de tous, que l’on trouve partout, qui est
de la nature des principes fondamentaux (tattwas),
incompréhensible, régissant tout, au-delà des prin­
cipes fondamentaux, au-delà de la parole et du
mental, et sans nom ». Telle devrait être l’adoration
tout en gardant le mental parfaitement serein.
6 et 7. Ce qui est Inconditionné, Connaissance
absolue, éternel, durable, infini, indescriptible, qui
n’est pas l’effet d’une cause antérieure, sans pareil
et sans forme, impérissable, Calme, transcendant les
sens, non-manifesté et cependant vérifié sans nul
doute, Cela est Moi-même.
193

13
8. Je suis certainement le Dieu Suprême dont
l’être même constitue tous les mantras et qui les
transcende et s’étend au-delà de la création et de la
destruction.
9. Je pénètre tout ceci — le visible et l’invisible,
le mobile et l’immobile —, Je suis sûrement le Sei­
gneur de tous et tous irradient de Moi.
10. Cet Univers, comprenant les mondes et divisé
en plusieurs formes, de la Shakti jusqu’à la Terre,
est tout en Moi,
11. Tout ce qui est vu ou entendu dans l’Univers
tant à l’intérieur qu’à l’extérieur est pénétré par
Moi.
12. Celui qui pratique un culte, pensant qu’il est
un Soi séparé de Shiva le Suprême, agit par
ignorance et ne peut pas devenir lui-même Shiva.
13., Abandonnant ton entité séparée en tant que
distincte de Shiva, médite constamment sur l’iden­
tité non-duelle : s Je suis Celui qui èst connu en
tant que Shiva. »
14. Colui qui est établi dans la contemplation
de l’identité non-duelle se fixera dans le Soi de tous
et réalisera l’Unique immanent, tout-pénétrant.
Nul doute à ce sujet.
15. Il â la Sagesse parfaite celui qui est yogi,
fermement établi dans la non-dualité, et affranchi
des pensées.
16. Le Soi qui dans, les Ecritures est décrit com­
me le Seigneur non-né, sans formes ni qualités,
est mon Soi. Nul doute à ce sujet.
17. Celui qui n’est pas éveillé au Soi, est un ani­
mal assujetti à la création, la préservation et la
destruction, tandis que celui qui est toujours en
éveil est Shiva, éternel et pur. Nul doute à ce sujet.
194
18. En distinguant soigneusement le transcendant
du contingent, le subtil du grossier, le Soi doit
toujours être scruté et réalisé par les vigilants.
19. Le transcendant est le Suprême, et il est aussi
le Nirvâna, tandis que le contingent est sujet aux
conditions du créé. Les montras représentent le
côté grossier tandis que la méditation représente le
côté subtil.
20 et 21. O Shadanana (Dieu aux six visages) !
Pourquoi s’exprimer en tant de mots ? La nom
multiplicité de la forme existe uniquement dans le
Soi ; les formes sont manifestées par le mental
confus ; elles sont objectivement créées en simul­
tanéité avec les pensées qui les conçoivent.
22. La Connaissance du Soi t’a donc été briève­
ment énoncée. Par sa connaissance on réalise que
toute chose est Atman uniquement.
23. Il n’y a pas de place pour les dieux, les
Védas, les sacrifices ou les offrandes dans cet
exposé. Etablis-toi dans la Réalisation du Soi qui
est pur et lout-embrassant.
24. Pour ceux qui sont submergés dans l’Océan
de la destinée et qui désirent la protection, il n’y
a pas de refuge autre part que dans la Connais­
sance du Soi.
25. Celui qui s’établit en tant que le Soi et qui
en est pleinement conscient est délivré sans aucun
effort de sa part, même s’il lui advient d’être en­
gagé dans l’action.
26. Il n’y a pas d’accomplissement supérieur au
Soi. Réalise ce Soi qui est au-delà de l’ego.
27. Il n’est ni prâna ni aprâna, ni quelque
organe ou quelque sens. Médite sur le Soi qui est
éternel, parfait et pleinement sage.
¡195
28. Ne concentre pas le mental au-dedans ou
au-dehors, ni près ni loin, mais sur la pure
Transcendance.
29. Réalise le Soi comme étant toujours ni au-
dessus ni en dessous, ni d’un côté ni d'un autre, ni
à l'extérieur ni à l’intérieur, mais comme étant
éternel et resplendissant au-delà du vide sublime.
30. Réalise le Soi comme pénétrant et subsistant
dans le vide et dans le non-vide, comme différent
à la fois du vide et du non-vide, non pas comme
intermédiaire entre eux, non pas comme partielle­
ment vide et partiellement non-vide.
31. Réalise que le Soi est pur, sans support, au-
delà de la caste, de la croyance, du nom ou de la
forme, inaltérable et inconditionné.
32. Réalise que le Soi est sans demeure, sans
support, immensurable, sans égal, intrinsèquement
pur et éternel.
33. Renonçant à toutes les activités, sans désir
et non-attaché de quelque manière, demeurant dans
le Soi, il faut méditer sur le Soi, avec le Soi et dans
le Soi.
34. Que l’homme sage médite sur le Soi après
s’être dépouillé des idées de lieu, de caste, de
croyance et des devoirs qui s’y rattachent
35. « Ceci est le m o n t r a à répéter I ». « Ceci est
le dêvatà à adorer ! ». « Ceci est la méditation ! ».
« Ceci est la pénitence ! » — Extirper toutes ces
pensées et chercher le Soi.
36. Rendant la méditation abstraite et sans sup­
port sensible et fixant le mental sur le Soi, demeure
inagité par les pensées.
37. Cela n’est pas quelque chose à quoi l’on
puisse penser, ni quelque chose à quoi l’on ne
196
puisse pas penser ; c’est à la fois pensée et non-pen­
sée. Réalise le Soi qui n’est pas conditionné de quel­
que manière.
38 et 39. Sans permettre au mental de s’accro­
cher à quoi que ce soit, applique-toi toujours à
ce qui transcende la pensée. Ce bonheur trouvé
dans l’état de vide et de pureté est également inhé­
rent au Soi, non-distrait, inimaginable, il n’est
pas le résultat de quelque cause antérieure ; il est
aussi incomparable. Il est dit être le meilleur, le
plus haut et sans pareil.
40. Sans être distrait par les sens, libère le mental
de ses fonctions. Quand il se transcende soi-même,
il en résulte la béatitude la plus haute.
41. Le Yoga doit être pratiqué sans cesse où que
l’on soit. Il n’y a pas de différence en Jnâna
quelles que puisse être la caste ou la condition
de l’individu.
42. Tout comme le lait est uniformément blanc
bien qu’il soit tiré de vaches aux différentes cou­
leurs, de même la Réalisation est uniforme pour
tous les individus quelle que soit la croyance.
43. Brahman est partout, immanent à tous et
tout-pénétrant. Ses qualifications ne sont pas
réelles. Donc ne prête pas attention aux détails,
mais concentre-toi sur le Brahman absolu.
44. Pour celui qui est établi dans le Suprême Soi
il n’y a rien à accomplir ; donc il ne récolte pas
les fruits de Ses actions, pas plus Qu’il n’est obligé
d’être actif. Il n’y a pas de caste et de croyance
distinctives ni de code de conduite.
45 et 46. Quels que soient son occupation et le
milieu où il puisse se trouver, celui qui est établi
dans le Soi est toujours en repos ; et celui qui se
satisfait du Soi est toujours pur.
197
47. «Je suis mouvant et pourtant ne viens ni
ne vais, car il n’y a pas de mouvement pour moi.
Je ne suis pas né et ne renaîtrai jamais ; car ce
qui relève du corps ne me concerne pas. *
48. « Les actions sont du corps, et le corps est
le résultat des actions. Je n’agis d’aucune façon ni
ne suis associé au corps ». Ainsi pense le parfait,
le régénéré.
49. « En outre le corps n’est pas pour moi ser­
vitude, car je suis à jamais libre ; les accessoires
physiques ne peuvent jamais affecter le Soi. »
50. De même que la lumière brille, dissipant
l’obscurité, de même le Suprême Soi brille, dissi­
pant l’ignorance.
51. De même qu’une lampe s’éteint spontanément
si on ne l’alimente pas en huile, de même l’ego
s’éteint si on l’abandonne en méditant sans cesse et
en se fondant dans le Soi. Il n’est pas de gain supé­
rieur en Soi.
52. Quand un pot est déplacé d’un endroit à
l’autre, l’espace qui y est contenu semble se dépla­
cer aussi mais le mouvement est celui du pot et
non celui de l’espace qu’il contient. Il en va de
même avec l’âme qui correspond à l’espace dans
te pot.
53. Quand le pot est brisé, son espace intérieur
se fond dans l’espace extérieur ; de même à la
mort du corps grossier (ou la forme conditionnée)
»’Esprit se fond dans l’Absolu.
54. C’est ainsi que la vérité a été exposée avec
autorité par le Maître omniscient et compétent.
Alors libère-toi de la servitude, et sois métamorpho­
sé en l’Omniscient et l’Infini.
55. Laisse les Ecritures ; applique-toi au pur
yoga de la réalisation du Soi ; convaincu que rien

198
ne dépasse cette Connaissance Suprême, empêche
ie mental d’errer.
56. Engagé dans cette voie, le Sage se fond à
jamais dans la Réalité inconditionnée ; il devient
tout-pénétrant, atteint la Délivrance, il est établi
immanent dans tous — à l’intérieur et à l’extérieur
— et se meut à volonté.
57. Devenant éthéré et pur, il se fond en Shiva
— synonyme d’Omniscience, satisfaction, conscien­
ce Intemporel», transcendance, puissance éternelle,
impérissable et infinie.
58 et 59. Il n’est lié par aucune des réglemen­
tations telles que les incantations, le culte, les
ablutions, le feu sacrificiel, ou autres actes rituels ;
il ne récolte pas le fruit des actions — vertueuses
ou autres ; il n’y a pas de culte des ancêtres pour
lui ; point n’est besoin pour lui d’observer des
jeûnes à des dates ou occasions précises, point ne
lui est besoin non plus de se soucier de la renon­
ciation, de la famille ou du célibat et de leurs
obligations.
60. Bois du nectar de la Connaissance-Shiva et
conduis-toi à ton gré. Tu es semblable à Shiva en
immortalité et pureté, mais non pas en pouvoir
créateur, etc.
61. Tout ceci est la Vérité et rien que la Vérité.
O Guha ! Ceci est la Vérité dernière. Il n’y a rien
d’autre à connaître.
62. Celui dont le mental, l’intellect et l’ego sont
purs, de même que les sens et leurs perceptions,
celui-là est effectivement pur et il trouve toute
chose également pure.
63. Renonce à marcher au travers du feu et à
te baigner dans le Gange et autres rivières ou dans

199
les chutes d’eau ; bois du nectar de la Suprême
Connaissance-Shiva. Sois à la forme du Seigneur
éternellement et en toute pureté. Tu n’as plus rien
de commun avec la Création, va à ton aise.

200
REPONSE DE SHIVA A LA DEESSE
(Dêvikâlottara) (1)
I n t r o d u c t io n de S h r i M a harshi

Shri Dêvikâlottara est un des Agamas mineurs,


et ce chapitre sur Jnâna-âchâra-vichâra qui en est
extrait constitue ce que le Suprême Shiva accorda
à Sa bien-aimée — un discours sur la sagesse à
laquelle les âmes mûres sont initiées, et sur leur
mode de vie. Ainsi cet ouvrage, essence de tous
les Agamas, est un merveilleux bateau qui enlève
et emporte au rivage de la liberté ces âmes qui
luttent avec acharnement pour leur vie, tour à tour
sombrant et émergeant de la mer du samsâra et
de son enchaînement de naissances et de morts.
Puissent tous les aspirants, à l’aide de cet Agama,
renoncer à leurs errements confus, prendre le sen­
tier direct qui est indiqué ici et atteindre cette De­
meure suprême de Béatitude immuable.
1. Dêvi : O Seigneur dés êtres célestes ! Sois
assez miséricordieux pour m’instruire des moyens
de la Délivrance, du Jnâna et de la conduite des
Jnânis, afin que, entendant cela, la Délivrance en
résulte pour tous.
2. Ishwara (2) : O ma Beauté ! Je vais te
décrire sans tarder la conduite des Jnânis, en
raison de laquelle ils sont absous de tous pêchés et
délivrés du samsâra.
3. Pas même des millions de livres ne pourront
impartir la vraie connaissance à ceux qui sont1

1. [Le mot se décompose en Dêoi,. la déesse (c’est-é-dire


PArvatt l’épouse de Shiva), Kâla, autre nom de Shiva, uttara,
réponse].
2. Le nom « Ishwara » signifie « Dieu » et peut donc être
utilisé, comme ici, à la place de « Shiva ».

201
incapables de la trouver dans le Kala Jnâna (le
présent Agama).
4. Donc, que l’homme sage soit sans crainte,
sans incertitude, libre du désir, fervent, résolu et
persévérant dans le Jnâna, comme il est expliqué
ici.
5. Que l’aspirant à la Délivrance se conduise de
façon désintéressée et généreuse, qu’il accorde de
l’aide à tous, qu’il fasse pénitence et qu’il étudie
cet Agama.
6. Il est Brahman, il est Dêva, il est Vishnu, il
est Indra, il est le Skanda aux six visages, il est
le Guru de tous les Dêvas (Brihaspati), il est le
Yogi, et lui seul est riche en tapas.
7. Celui-là seul est savant, celui-là seul est heu­
reux et victorieux dont le mental n’est plus ins­
table comme l’air mais tenu ferme.
8. Cela est la voie de la Délivrance, cela est la
vertu la plus haute, cela est la sagesse, cela est
la force et cela est la récompense de ceux qui
cherchent.
9. La stabilisation du mental agité est le seul
vrai pèlerinage, la seule aumône à accomplir et
la seule pénitence.
10. Le mental qui se tourne vers l’extérieur est
samsâra ; lorsqu’il est stable il est Moksha (Déli­
vrance). Donc que le mental soit tenu ferme par
la suprême Sagesse.
11. Là où il y a le bonheur pur et ininterrompu
(dans la solitude), il y à l’Infini. Y a-t-il un homme
sage qui ne se délectera pas dans la Réalité
absolue et inébranlable ?
12. Celui qui s’est abstenu des plaisirs sensuels
et s’est consacré à la sagesse pure et inaltérable
202
est sûr de réaliser le Moksha éternel, même s’il ne
le cherche pas consciemment.
13. La simple conscience d’être en tant que
Conscience (Chaitanya) est elle-même Shakti, et
tout ce monde est la projection de cette Shakti.
Le vrai Etat de Connaissance est celui dans lequel
le mental n’est pas attaché à cette Shakti.
14. La reconnaissance du monde en tant que la
manifestation de la Shakti est l’adoration de la
Shakti* La pure Connaissance, non reliée aux
objets, est absolue.
15. Ne perds pas de temps à méditer sur les
chakras, nâdîs, padmas, ou montras des divinités,
ou sur leurs formes.
16. Si tu désires le Moksha éternel ne t’engage
pas dans des pratiques yoguiques ou dans des in­
cantations, ou tout autre chose de la sorte.
17. Il n’y a pas de culte, ou de prière, ou d’in­
cantation, ou de méditation, ou de chose à connaî­
tre en dehors du Soi.
18. Les mentais qui se tournent vers l’extérieur
se forgent à eux-mêmes les chaînes de l’esclavage.
Contrôler le mental qui se tourne vers l’extérieur
nous libère de la misère dans le monde.
19. Il n’y a rien au-dedans ©u au-dehors, en haut
ou en bas, à mi-chemin ou de côté. Ce qui est
parfait revêt toutes les formes — mais sans aucune
forme définie en soi — et brille de sa propre
Conscience.
20. Puisque tout ce qu’un individu voit, pense
et cherche à accomplir par ses actes, influence sa
destinée, qu’il médite sur ce qui est au-delà de la
perception et même de l’imagination.
203
21. Il n’y a en vérité pas de cause, pas de résul­
tat et pas d’action ; tout cela est chimérique. Il
n’y a pas de monde ni aucun habitant en celui-ci.
22. L’Univers n’a pas de support externe, et
n’est pas non plus connu de l’extérieur ; mais il
devient tel qu’on le conçoit.
23. Celui qui né médite pas sur le Vide éthéré
et tout-pénétrant, s’empêtre dans le samsâra com­
me le ver à soie dans le cocon qu’il file lui-même.
24. Quelle que soit la naissance et en quelque
genre que ce fût, l’individu endure une misère sans
fin et renouvelée à chaque naissance ; pour écar­
ter ceci il faut méditer sur le Vide infini.
25. La voie n’a été prescrite qu’en vue d’acquérir
la Connaissance. Détourne-toi de toute sorte de
Yoga entraînant l’action et médite sur le Vide.
26. Seuls ces héros, qui avec la flèche du Vidé,
ont transpercé toutes les régions de la plus haute
à la plus basse, sont considérés comme Connais­
seurs de ce Vide.
27. En fixant le mental errant (plus malicieux
encore qu’un singe) dans le Vide absolu, on atteint
le Nirvâna.
28 et 29. Puisse-t-il jouir de la béatitude celui
qui réalise le Suprême béatifique et sans forme, qui
est tout-pénétrant comme l’éther, manifesté en tant
que les tattwas (principes fondamentaux) eüx-
mêmés, mais séparé du corps, non allié aux per­
ceptions telles que «je suis», mais pure conscien­
ce qui enveloppe tout.
30. De même que le feu s’éteint automatique­
ment si on ne l ’alimente pas en combustible, de
même le mental s’éteint s’il n’est pas alimenté en
pensées.
204
31 et 32. Détourne-toi de la confusion, de l’igno­
rance, de l’illusion, du rêve, du sommeil ou de la
veille ; car le Suprême est différent du corps
grossier, du prâna subtil, de la pensée, de l’in­
tellect et de l’ego; médite sur Chit (Conscience)
et deviens un avec elle.
33. Souvent le mental s’égare dans la rêverie ou
s’endort ; sois vigilant et tourne-le chaque fois
vers son état primordial..
34. Dès lors qu’il devient stable le mental doit
être laissé tranquille ; il ne faut penser à rien,
mais le mental doit uniquement être stabilisé dans
son état originel.
35. Le mental cherche attachement et cela l’amè­
ne à vaguer. Détruis ses attachements de manière
à le tourner vers l’intérieur et là, le stabiliser. Ne
le dérange pas quand il est là.
36. Tout comme l’espace est inaffecté au contact
des éléments, de même notre Etat Primordial est
inaffecté au contact des objets. Médite cela.
37. C’est alors seulement que le but de la vie
est atteint. Seule la pure Connaissance est capa­
ble de tenir ferme le mental frivole.
38. Le mental ne devrait pas s’arrêter sur ce qui
est au-dessus, au-dessous, à mi-chemin, ou à l’in­
térieur ; il devrait toujours demeurer non-attaché.
39. S’il est endormi, réveille le mental ; s’il est
distrait, dompte-le ; s’il n’est ni endormi ni distrait,
ne le trouble pas.
40. Quand le mental n’a plus ainsi rien à quoi
s’accrocher, qu’il ne s’agrippe à rien et qu’il est
tout à fait libre des pensées; cela indique Mukti.
41. Sauve le mental des qualifications, rends-le
pur et fixe-le dans le Cœur. Cette conscience qui
205
se manifeste clairement après cela doit seule être
visée et âprement recherchée,
42. Ceux qui méditent sur le Vide absolu et qui
pratiquent dans ce but s’établissent dans cet état
ineffable situé au-delà de la naissance et de la
mort.
43. Dieux et déesses, mérites, démérites et leurs
fruits, connaissance du support et du supporté,
sont tous signes de servitude dans le samsâra.
44. Les qualités sont les couples d’opposés ; dé­
tourne-t’en et la réalisation la plus haute en
résulte. Un tel yogi est le Jivanmukta ; lors du
rejet du corps il devient Vidêhamukta|
45. Jamais un homme sage ne devrait abandon­
ner le corps par dégoût ; il meurt de lui-même
dès que le prârabdha karma est épuisé.
46. Dans le Cœur il y a la Conscience infinie
« Je-Je », qui est à la fois pure et constante ; lors
de l’extirpation de l’ego ceci se manifeste et
conduit au Moksha.
• 47. Un tel « Je » est « Cela » qui est au-delà des
qualifications et éternel comme la Conscience. En
contemplant sans désemparer ce « Je-Je » en tant
que Shiva, affranchis-toi des attachements.
48. Romps toute relation de pays, de statut, de
caste et de ses devoirs, et pense toujours à ton
propre état naturel.
49. Je suis seul et rien n’est à moi et je n’appar­
tiens pas non plus à rien d’autre ; je ne puis
trouver personne à qui j’appartienne ou qui soit
à moi.'
50. Je suis le Suprême Brahman ! Je suis le
Seigneur de l’Univers ! Telle est la conviction éta­
blie du Mukta ; toutes les autres expériences mè­
nent à la servitude.
206
I

51. Quand il est réalisé clairement que le Soi


n’est pas le corps, celui qui le réalise obtient la
paix et se libère de tous les désirs.
52. Celui qui dans les Ecritures est décrit comme
le Seigneur de tous, non-né, toujours-existant, est
le même que le Soi non incorporé, non qualifié
dans chaque être. Je suis Lui sans aucun doute.
53. Je suis Conscience pure et simple ; je suis
toujours libre ; je suis indéterminable, ni saisi ni
perdu, mais indescriptible. Je suis donc Brahman,
en béatitude à jamais.
54 et 55. Je suis ce qui est couvert de la tête
aux pieds, au-dedans et au-dehors, jusqu’à la
peau qui enveloppe, mais comme j’en suis aussi
séparé et immortel, je suis le Soi vivant, conscient
et toujours présent. Je suis le Seigneur de tous, l’im­
muable et le mouvant. Je suis le père, la mère et les
grands-parents. C’est Moi que les aspirants à la
Mukti contemplent étant établis dans le quatrième
état (c’est-à-dire, l’état du Turiya — celui qui est au-
delà des états de veille, de rêve et de sommeil).
56. Moi seul suis digne d’adoration parmi les
dieux et les hommes, les serpents, les êtres céles­
tes, les sacrifices, etc., et tous n’adorent que Moi
seul.
57. Tous n’adorent que Moi par la pénitence pu­
rificatrice, ou en faisant des dons variés. Toute
création est en Moi et Je suis leur Etre.
58. Je ne suis ni grossier, ni subtil, ni vide ; Je
suis Conscience vive et l’unique Refuge de l’univers.
Je suis le Seigneur de tous, pur et éternel, non li­
mité par le rêve et les autres états, mais transcen­
dant toute création.
59 et 60. Discerne à chaque pas que Je suis tout
ce qui est sans commencement, conscient, non-né,

207
primordial, résidant dans la cavité du Cœur, im­
maculé et transcendant le monde, tout ce qui est
pur, sans pareil, sans désir, au-delà de la vue ou de
toute autre perception mentale. Tout ce qui est
éternel est Brahman. Celui qui est inébranlable
dans une telle certitude est sûr de se changer en
Brahman et d’être immortel.
61. Ma Beauté f Ainsi vient d’être exposée ici la
connaissance qui fait gagner la Délivrance. Ecoute
maintenant la conduite de l’Illuminé.
62. Il ne requiert ni ablution, ni prière, ni culte,
ni homa (culte du feu), ni autre discipline ; il n’a
pas besoin de rendre un culte au feu ou de
s’adonner à quelque autre pratique comparable.
63. Il n’est pas lié par les règles disciplinaires,
pas plus qu’il n’a besoin de fréquenter les temples
pour l’adoration ; il n’a pas besoin d’accomplir le
srâddha (1) ou d’aller en pèlerinage ou d’observer
des vœux.
64. Il ne récolte pas le fruit des actions, qu’elles
soient des rites religieux ou des activités du monde ;
au contraire il est absous une fois pour toutes
de toute sorte d’action et de code de conduite.
65. Que l’aspirant abandonne usages convention­
nels et pratiques coutumières, comme étant pour
lui les chaînes de l’esclavage.
66. Qu’il n’accepte pas les pouvoirs thaumatur-
giques ou les amulettes même lorsqu’ils lui sont
directement offerts.
67. Car toutes ces choses sont semblables à des
cordes qui servent à attacher une bête, et elles
l’entraîneront certainement à sa perte. Ce n’est pas

. 1. Rites commémoratifs célébrés en l’honneur de parents


décédés. (A ne pas confondre donc avec shraddhâ, la Foi).

208
là le chemin de la Délivrance Suprême ; elle ne
se trouve pas ailleurs que dans la Conscience In­
finie.
68. Il faut s’engager dans le Yoga par tous les
moyens dont on dispose, quelque puisse être notre
engagement par ailleurs. Il faut éviter les réjouis­
sances même si elles ont lieu dans les temples, les
demeures des sâdhus ou autres lieux sacrés de ce
genre.
69. La progression spirituelle ne tolère pas mê­
me le moindre mal fait à un ver, un reptile, un
insecte, un arbre, ou à toute forme de vie.
70. Par conséquent qu’aucune vie végétale ne
soit détruite, ni même les feuilles endommagées.
Aucune peine ne doit être causée à quelqu’être ou
chose créée. Même les fleurs ne doivent pas être
cueillies.
71 et 72. Même l’adoration rituelle doit être
effectuée avec des fleurs tombées d’elles-mêmes des
arbres. Il ne faut pas s’intéresser aux prières mal­
faisantes et nuisibles, telle que le maraña etc, (qui
entraîne la mort des ennemis ou leur cause de la
peine, ou qui attire les faveurs des grands ou
l’amour de la personne aimée). L’adoration des
images ne doit pas constituer une fin en soi.
73. Abandonnant tout intérêt pour le culte des
lieux et des images sacrées, et pour l’accomplisse­
ment des rites religieux qui leur sont propres, appli­
que-toi à la méditation sur le Chit (Conscience)
universel.
74. L’absence de passion c’est l’éqüanimité dans
le plaisir et la peine, parmi les amis et les ennemis,
devant les cailloux ou devant l’or.
75. Un Yogi ne doit pas être fléchi par les désirs
ni consentir à satisfaire les sens. Il doit trouver son

209

14
ravissement dans le Soi seul, libre du désir et de la
crainte.
76. L’équanimité doit toujours être maintenue,
que l’on soit loué ou diffamé * une conduite égale
doit être observée à l’égard de toutes les créatures
et il ne doit pas y avoir de discrimination entre
le Soi et le non-Soi.
77. Disputes, fréquentations profanes et querel­
les doivent être évitées, Il ne faut pas même
s’adonner aux débats d’ordre spirituel, bons ou
mauvais.
78. Jalousie, diffamation, ostentation, passion,
envie, amour, colère, peur et misère, tous doivent
disparaître graduellement et entièrement.
79. Quand un homme est libre des couples de
contraires et vit dans la solitude, la parfaite
sagesse brille en lui, même dans le présent corps.
80. Puisque la Délivrance résulte de la Connais­
sance, les pouvoirs thaumaturgiques sont inutiles ;
seul l’aspirant qui convoite encore lés jouissances
profanes désire ces pouvoirs.
81. Si seulement l’âme connaît son vrai Maître,
la Délivrance esf certaine, accompagnée ou non
de pouvoirs supra-humains.
82. Le corps est composé de cinq éléments et
Ikhiva y ilfide § de ibiva jusqu’à la Terré tout est
manifestation de Shankarâ (1).
83 et 84. Les fervents chercheurs qui rendent un
culte à la vue des Illuminés avec du parfum, des
fleurs, de l'eau, des fruits, de l’encens, des vête­
ments et de la nouftfture, ou par la parole, l’acte
et la pensée, sont absous séance tenante. En les1

1. Un nom de Shiva.

210
louant, ils partagent leurs mérites, en les diffamant
leurs démérites.
85. J’ai exposé l’ensemble de la Voie de Connais­
sance et la conduite qui s’y rapporte, comme tu le
désirais. Que souhaites-tu savoir de plus ?

211
E X T R A IT S D E SHANK ARACHARYA

Au huitième siècle de notre ère, le pur ensei­


gnement du Vêdânta — la doctrine de PAdwaita
ou de la Non-dualité, essence même de l’hindouis­
me — qui était sur le déclin, fut restauré dans
toute sa vigueur par le grand maître spirituel Shri
Shankarâ, connu aussi sous le nom de Shan-
karâchârya ou « Shankarâ, le Maître ». Râmana
Maharshi, qui était un parfait Jnâni, c’est-à-dire un
être délivré de l’illusion et établi dans la Connais­
sance Absolue, reconnut l’enseignement de Shri
Shankarâ comme étant le sien propre. De temps
en temps il traduisait l’une ou l’autre des œuvres
du grand prédécesseur, soit spontanément soit à
la requête de quelque fidèle qui ne lisait pas le
sanscrit et demandait une version tamile. C’est
d’après cette version tamile qu’a été faite la tra­
duction anglaise, et d’après cette dernière la tra­
duction française.
L’HYMNE DE SHANKARACHARYA
DEDIE A DAKSHINAMURTI

(Traduit d’après la version tamile


de Bhagavan Sliri Râmana Maharshi)

Selon les légendes hindoues, Dakshinamûrti (qui


signifie « manifestçdiffn sudique ») est Digp p e -Shi­
pa manifesté sous la forme d’un adolescent. Il est
le divin Guru qui guide des disciples plus âgés que
lui-même par l’influence silencieuse su$ le Cœur.
Le nom est également scindé en Dakshina-amûrti
et prend alors le sens de « Puissance Sans Forme ».
Le Maharshi étant SMUû wMiiifêsfâ, le Divin Guru
qui enseignait par le Silence, fut donc identifié à
Dakshinamûrti,

I n vocation

Ce Shankarâ qui apparut en tant que Dakshina­


mûrti pour donner la paix aux Grands Ascètes
(Sanaka, Sanandana, Sanat Kumara et Sanat Su-
jata), qui révéla son état réel de Silence, et qui
a exprimé la nature du Soi en cet Hymne, est établi
en moi.

L ’h y m n e

Celui qui enseigne par le silence la nature du


Suprême Brahman, qui est un adolescent, qui est
le plus éminent Guru, entouré des disciples les plus
doués demeurant fermement en Brahman, celui
213
dont la pose de la main signifie l’illumination (1),
celui qui est de la nature de la béatitude, qui
se délecte de soi-même, qui a une expression
bénigne —- c’est ce Père qui a forme de « mani­
festation su dique » (2), que nous «dorons.
A lui qui, par Mâyâ, comme en rêve, voit dans
soi-même l’univers qui est en lui — telle une cité
qui apparaît dans un miroir — (mais) qui est ma­
nifesté comme extérieur pour celui qui perçoit, au
moment de l’éveil, son propre Soi Unique | à lui,
le Guru primordial, Dakshinamûrti, à lui cette
adoration 1
A lui qui, comme un magicien ou même comme
un grand yogi, déploie, de par son propre pouvoir,
cet univers indifférencié au début comme le ger­
me dans la graine, mais différencié ensuite selon
les conditions variées, de l’espace, du temps et du
karma, posées par Mâyâ : à lui, le Guru Dakshi­
namûrti, cette adoration !
A lui, dont la luminosité seule — qui est de. la
nature de l'existence — brille, pénétrant le monde
objectif, qui est comme le néant J à lui, instruc­
teur de ceux qui le sollicitent par la formule « Tu es
Cela » ; à lui qui, s’il est réalisé, il n’y aura plus
de chute dans l’océan des existences ; à lui qui
est le refuge des ascètes, le Guru Dakshinamûrti, à
lui Cette adoration !
A lui, qui est lumineux comme la lumière d’une
lampe installée dans un vase percé de nombreux
trous ; à lui, dont la connaissance sort par l’œil
et les autres organes sensoriels ; à lui, qui resplen-1

1. Il y a beaucoup de mudras ou postures traditionnelles


des m ains qui sont usitées dans la danse et l’iconographie
indiennes, chacune ayant sa signification propre.
2. Lé suprême Guru est le nord spirituel et par conséquent
il fait traditionnellem ent face au sud.

214
dit en tant que « Je sais », et puis l’univers entier
brille selon lui » à lui, l’immuable Guru Dakshina-
murti, cette adoration !
Ceux qui connaissent le «Je » en tant que corps,
souffle, sens, intellect, ou Vide, sont abusés com­
me les femmes et les enfants, les aveugles et les
sots, et ils parlent beaucoup. A lui, qui détruit
la grande illusion produite par l’ignorance ; à lui,
qui enlève les obstacles à la connaissance, le Guru
Dakshinamûrti, à lui cette adoration !
A lui, qui dort quand le mental manifesté est
résorbé du fait de son voilement par Mâyâ, com­
me le soleil ou la lune en éclipse, et qui au réveil
reconnaît l’existence de soi-même sous la forme
« J’ai dormi jusqu’à maintenant » ; à lui, le Guru
de tout ce qui se meut et de ce qui ne se meut
pas, Dakshinamûrti, à lui cette adoration !
A lui qui, au moyen de la pose de main signi­
fiant l’illumination, manifeste à ses adorateurs
son propre Soi qui brille à jamais à l’intérieur en
tant que « Je », constamment, dans tous les états
inconstants tels que la première enfance, etc.,
l’état de veille, etc. — à lui, dont l’œil a la forme
du feu de la connaissance, le Guru Dakshinamûrti,
à lui cette adoration !
Au soi qui, abusé par Mâyâ, voit en rêve et à
l’état de veille, l’univers dans ses distinctions telles
que cause et effet, seigneur et serviteur, disciple
et maître, père et fils, à lui, le Guru du monde,
Dakshinamûrti, cette adoration !
A lui dont l’octuple forme est tout cet univers
mouvant et immuable, apparaissant en tant que
terre, eau, feu, air, éther, soleil, lune et âme, à lui
le suprême, le tout pénétrant, au-delà duquel nul
autre n’existe pour les chercheurs, à lui, le gra­
cieux Guru Dakshinamûrti, cette adoration !

215
a été ainsi expliqué, !eu l’écoutant,' eu réfléchissant
à sa signification,' en Îe méditant ¡et en le récitant,*
suprême splendeur de cet étiat de. Soi Universel,
partir de lè sera réalisé,* à. nouveau, le pouvoir pro­
digieux sans obstacles, qui se présente sous huit
formes.

216
HYMNE A LA LOUANGE DU GURU
(Guru Stuti)

On raconte qu’une fois Shri Shankarâ provoqua


un adversaire à une dispute doctrinale, étant en­
tendu que s’il gagnait, son adversaire devait re­
noncer à sa famille et devenir un errant sans logis,
mais que par contre, si son adversaire gagnait,
Shankarâ devait accepter la vie de chef de famille.
L’adversaire fut battu sur toute la ligne, mais alors
sa femme intervint prétendant qu’elle aussi devait
être entendue puisqu’elle et son mari ne faisaient
qu’un et que la peine qu’il devait encourir, s’il per­
dait, l’affectait elle aussi. Shri Shankarâ accéda à
cette requête et là-dessus elle ie défia d’exposer le
symbolisme de la sexualité. N’ayant jamais expéri­
menté l’amour charnel, il resta perplexe et deman­
da un délai de deux semaines avant de répondre,
ce qu’elle accorda.
C’est alors qu’un roi mourut et que Shri Shan­
karâ, usant de son pouvoir yogiquc, quitta son pro­
pre corps et prit possession de eelui dû roi défunt,
de sorte qu’aux yeux des courtisans ce dernier sem­
bla avoir miraculeusement guéri. Les reines furent
comblées de joie mais, opposant l’intelligence, la
vigueur et la grâce maintenant déployées par leur
mari avec le terne et inerte compagnon qu’il avait
été autrefois, elles devinèrent ce qui s’était produit.
Elles dépéchèrent donc des officiers avec l’ordre de
rechercher le corps apparamment mort d’un sâdhu
217
et de brûler tout corps qu’ils trouveraient de la
sorte, afin que le nouveau roi ne puisse pas re­
tourner à son premier corps. Ils découvrirent effec­
tivement le corps apparemment sans vie de Shri
Shankarâ et le prirent pour le brûler.
Shri Shankarâ, cependant, avait pris la précau­
tion de prévenir ses disciples et leur avait dit, que
s’il excédait le temps prévu ou s’il y avait quelque
danger pour son corps, d’aller à son palais et de
chanter le chant qui va suivre sur la Vérité. Ainsi
firent-ils et immédiatement il abandonna le corps
du roi et réanima le sien propre. Par la suite Shri
Shankarâ rencontra la femme de son adversaire
et, ayant à présent l’expérience, il accepta et gagna
le débat.
Le Maharshi traduisit ce chant sous le titre de
« Guru-Stuti ».1

1. Gela est la Vérité que les sages réalisent en


tant que le Soi, ce qui demeure quand on se retire
des objets extérieurs, avec ou sans forme (éther,
air, feu, eau et terre), grâce à une soigneuse ap­
plication du texte des Ecritures : « Pas ceci-Pas
ceci ». Cela Tu es !
2. Cela est la Vérité, qui, après avoir engendré
les éléments sensibles (éther, air, feu* eau et terre)
et être entrée dans le monde, gît cachée sous les
cinq enveloppes et qui a été battue par les sages
avec le pilon du discernement, tout comme l’on
récupère le grain en battant et vannant la menue
paille. Cela Tu ès !
3. De même qu’on rompt les chevaux sauvages
en les fouettant et en les mettant à l’écurie, de

218
même les sens rebelles, errant parmi les objets sont
cinglés avec le fouet de la discrimination, montrant
que les objets sont irréels, mais sont aussi, pour
les sages* attachés au Soi par la corde du pur in­
tellect. Un tel Soi est la Vérité. Cela Tu es !
4. La Vérité a été certifiée par les sages comme
étant le support, distinct en soi, des états de veille,
rêve et sommeil profond lesquels constitués par
l’expansion de Ses modalités, sont maintenus par
Elle comme les fleurs tressées sur une guirlande.
Cela Tu es !
5. Cela est la Vérité présentée par les Ecritures
comme la cause première de tout, et celles-ci ren­
dent la chose parfaitement claire par des textes
tels que : « Purusha est tout ceci », « comme de l’or
dans des ornements d’or», etc. Cela Tu es !
6. La Vérité a été proclamée avec force par les
Ecritures dans des textes tels que | « Celui qui est
dans le Soleil, est dans l’homme », « Celui qui brille
dans le Soleil, brille dans l’œil droit», etc. Cela
Tu es 1 .
7. Ce que les purs Brahmanes recherchent si
âprement par la répétition des Védas, par les
offrandes rituelles, par l’application zélée de leur
connaissance durement acquise et par la renoncia­
tion, c’est la Vérité. Cela Tu es !
8. Cela est la Vérité que lés valeureux obtiennent
par la recherche, le mental sous contrôlé, par
Vabstinence, la pénitence, etc., et en plongeant
dans le Soi par le Soi. Quand ils La réalisent, on
les considère comme des héros ayant atteint le but
le plus élevé. Cela est le transcendant Satchitâ-
nanda (Etre-Conscience-Béatitude), après l’acqui­
sition duquel il n’y a rien d’autre dont on puisse
se soucier puisque règne alors la paix parfaite.
Cela Tu es !
219
IÆYMNE DE ImSTAMALAKA

(Hastâmalaka Stotra)

iN T R O D ^ tlO N

tftpsé femrffk Brahmane alla se baigné" dans la


Jurùna. Trouvant un yogi qui sC tenait en médi­
t a t i f sur la rive, elle laissa soit enfapt unique,
un |lébé de deux prfaT^de tmPlui demandant
d’èm prendre soin jusqifMson retour du bain. En
revmant eM&.décQÿÊ’it à ¡^consternation que Ven-
faim était S r i pendant soif absmce à la suite âe
quelque aSfdent. Là mère affligée pleurQ sa mort
si bruyamnMnt que le yêar s’éventa. Comprenant
ce qui étaiQàrrivÊ ^ l fut pris deli pitié, eTjifin
consoler Im pomme: femme,: il aèamâonnM son pro­
pre: corps grâce & son. pouvoir yogique Sf entra
'dans: -celui dm bébé .mort. Voycüml’enfuM revivre,
la mËre. fat transportée, de: foie, le prit et rentra
chÆ m le sans se soucier de découvriimle secret
du ÿfffracujçux rewur à M j vie cf| l’enfMtfâfj
iyMui-ci fw~praudit pas comme un gaXçpn nor­
m alIl était d ’urne, nature trop ■comlempSfige pour
apprendre, bavarder, jiomeml ou même. dÊruser ses.
parents de quelgwe manwZe ; alors ils -pensèrent
qu’Wjlevamêtre solird-mu^7
Quelques années- plus f«|H» Shri Sbemkmêeàârya
voyageait dans: la région.. Les parents: hü'am enè­
rent l’enfqM et 1% .prièrent de bien tjmitoir lui
rendre une santé J wrmaM au moyen de pou-
i$toirtdivim. UÆekêrya com prit siluamm en un
instant et posa au ferme '^Êrçon ëes questions qui
suivent. Celui-ci répondit immédiatement, éton­
nant Fassistance par la sublimité de sa sagesse.
Lorsque les patents apprirent la vérité, ils' le
laissèrent avec Shri Shankarâchârya. Depuis ce
temps là il fut connu sous le nom de Hastâmalaka,
l’un des quatre principaux disciples du grand mai*
tre.
Hastâmalaka veut dire : « un embellica sur la
paume de la main » *|l). Les strophes exposent lit
sublime Vérité aussi clairement que le fruit vu
sur la paume de sa main,

T exte

1. « Qui es-tu ? De qui es-tu l’enfant ? Où vas-tu ?


Quel est ton nom ? D’où viens-tu ? O Enfant ! je
voudrais entendre ta réponse à ces questions ».
Ainsi parla Shri Shankarâchârya au jeune garçon.
Et Hastâmalaka répondit comme suit :
2. « Je ne suis ni homme, ni dieu, ni génie
(yaksha), ni Brahmane, ni Kshatriya, ni Vaishya, ni
Shûdra, ni Brahmachârî, ni Grihastha, ni Vanapras-
tha, ni Sannyâsî (2) ; mais je suis uniquement
Conscience pure.
3. « Tout comme le Soleil cause tous les mou­
vements du monde, de même moi — le Soi cons­
cient, toujours présent — je cause l’action du1

1. [Hastâ veut dire la paume de la m ain ; 1’ amalaka est la


groseille à maquereau indienne (embellica mgrobolan) ; stotra
veut dire hymne de louange. Hastâmalaka stotra signifie
donc : l’hymne qui rend (la vérité) aussi claire qu’une gro­
seille à maquereau posée sur la paume de la m ain].
2. On distingue quatre âshramas ou stades de l’existence
terrestre, ce sont ceux de Brahmachârî ou < étudiant de la
Science sacrée », disciple d’un Guru, de Grihastha ou « chef
de famille », de Vanaprastha ou « anachorète », et de San-
nyâst ou ascète qui a renoncé à tout.

221
mental et le fonctionnement des sens. Ou encore,
de même que l’éther est tout-pénétrant et cepen­
dant vide de toute qualité particulière, de même
je suis libre de toute qualité.
4. «Je suis le Soi conscient, toujours présent et
associé à toute choie de la même manière que la
chaleur est toujours associée au feu. Je suis cette
conscience éternelle, indifférenciée, inébranlable,
à cause de laquelle le mental inerte et les sens
fonctionnent, chacun à sa façon.
5. « Je suis ce Soi conscient dont l’ego n’est pas
indépendant, comme l’image d’un miroir n’est pas
indépendante de l’objet reflété.
6. « Je suis le Soi conscient, inconditionné, exis­
tant même après l’extinction de buddhi tout comme
l’objet demeure toujours le même fût-ce après
l’enlèvement du miroir réfléchissant.
7. « Je suis Conscience éternelle, dissociée du men­
tal et des sens. Je suis le mental du mental, l’œil de
l’œil, l’oreille de l’oreille et ainsi de suite. Je ne suis
pas connaissable par le mental et les sens.
8. « Je suis le Soi éternel, singulier, conscient,
réfléchi dans des intellects (dhî) variés, tout comme
le Soleil est réfléchi sur la surface de nappes d’eau
différentes.
9. «Je suis le Soi unique, conscient, illuminant
tous les intellects, tout comme le Soleil illumine
simultanément tous les yeux de sorte qu’ils per­
çoivent les objets,
10. « Seulement les yeux qui sont aidés par le
Soleil sont capables de voir les objets, non pas
les autres. La Source dont le Soleil dérive son
pouvoir c’est Moi-même.
11. « De même que la réflexion du Soleil sur
des eaux agitées semble être brisée, mais demeure
parfaite sur une surface calme, de même je suis
222
V

le Soi conscient, inévident dans les intellects agi­


tés mais qui brille avec clarté dans ceux qui sont
en paix,
12. «Tout comme un sot croit que le Soleil est
définitivement perdu quand il est caché par d’épais
nuages, de même les gens croient que le Soi lui, le
toujours libre, est enchaîné.
13. «Tout comme l’éther pénètre tout et demeu­
re inaffecté par le contact, de même le Soi tou­
jours conscient pénètre toute chose sans être
affecté de quelque façon. Je suis ce Soi !
14. « Mais de même qu’un cristal transparent re­
vêt les lignes de son arrière-plan, sans être aucune­
ment modifié pour cela, de même que la Lune
immobile reflétée sur des surfaces ondoyantes
apparaît agitée, ainsi en est-il de Vous-même, le
Dieu tout-pénétrant.

223
CONNAISSANCE DU SOI
(Atmâ-Bodha)
« Seulement en Le (le Soi) connaissant, on trans­
cende la mort; il n’y a pas d’autre voie vers la
Délivrance ». Ainsi, Shri Shankarâ, de par sa gran­
de charité, propose ce traité — Atmâ Bodha — écrit
en strophes sanscrites, aux sâdhakas du monde en­
tier. Il fut transposé en tamil par Bhagavan Shri
Râmana Maharshi.
kk k

c Shankarâ, l’Illuminâteur du Soi peut-il être


différent de notre propre Soi ? Qui d’autre que
lui, ce jour, établi en tant que le plus intime Soi
en moi, énonce ceci en langue tamile ? » :
S h r i R am ana

1. Ceci — cet Atmâ-Bodha — est destiné à par­


faire l’aspiration des chercheurs de la Délivrance
qui, par leurs tapas prolongés, se sont déjà dé­
barrassé des impuretés et sont devenus mentale­
ment paisibles et affranchis des désirs.
2. De tous les moyens employés pour obtenir la
Délivrance, la Connaissance est le seul qui soit
direct — aussi essentiel que le feu l’est à la cuis­
son — ; sans la Connaissance, la Béatitude (Anan-
da) ne peut être obtenue.
3. L’action (karma) n’étant pas opposée à
l’ignorance, ne la détruit pas. Par contre la Connais­
224
sance dissipe l’ignorance aussi sûrement que la
lumière dissipe les ténèbres.
4. En raison de l’ignorance, le Soi apparaît pré­
sentement voilé ; dès que l’ignorance est éloignée
le pur Soi brille loin, de Lui-même, comme le soleil
répand sa clarté lorsque, le nuage est dispersé.
5. Le jîua est mêlé d ’ignorance. Par la pratique
constante de la connaissance le jîva devient pur,
et la connaissance (active et préparatoire) dispa­
raît (en même temps que l’ignorance), comme le
détergent (1) disparaît dans l’eau avec les impu­
retés.
Objection : Mais le m onde est là ; com m ent le Soi seul
peut-il être réel et non-duel ?
6. Réponse : Le samsâra est plein de sympathies
et d’antipathies et autres opposés. Tel un rêve, il
semble réel sur le moment ; mais, au réveil, il
s’évanouit car il est irréel.
Objection : P arce que le rêve est nié au réveil, je sais
qu’il est irré e l ; m ais le m onde persiste c a r je le retrouve
toujours réel.
7. Réponse : Tant que l’essence (adhisthâna) de
tout, le Brahman non-duel, n’est pas vue, le monde
semble réel — comme l’argent illusoire dans un
morceau de nacre.
Objection : Oui, m ais le m onde est si divers ; cepen­
dant vous dites qu’il est unique.
8. Réponse : Comme des bulles montant à. la
surface des eaux de l’océan, tous les mondes s’élè­
vent, demeurent et se résolvent dans l’Etre Su­
prême (Paramesa) qui est la cause-racine et le
support de tous.
9. Dans l’Etre-Conscience-Béatitude (Sat-Chit-
Ananda) qui est tout-pénétrant, Vishnu éternel, tous
ces divers objets et individus apparaissent (en tant1
1. [Détergent constitué par la poudre de la noix k a ta k a
utilisée en Inde pour purifier l’eau],.

225

15
que phêhQmènies) -eomme - des: : ornements variés
flflSig d’or.
Objection : Oui ; m ais que d ire des in n o m b ra b les âm es
k ic fe id u p ip s ? ,lt«
10. Réponse : De (p&ligt1'gpj& le (Itet-pénétrant
éther (akâsha) apparaît fragmenté en différents
objets (tels un puits, un vase, une maison, une
A j<|e théâtre, e$tt¿) mais demeure
de la chute des limitations, il en va de même
de l’unique non-duel Régent des sens (qui semble
ajgjlg en tant hommesi bétail. etc.)., ..
in d iv id u s p ré se n te n t d iffére n te s
qu alités et agissent .suivant d iffére n te s con d itio n s.
11.' Réponse : qualités etc. sont également
surimposées. L’eau pure (sans goût par elle-même)
est sucrée, amère, salée, etc. selon lea additions
(upûdhis) otf ftit ajiglifeá«De même, la race, 1§
nom, l’état (âshrama) etc. sont tous surimposés
aÉ. Soi jgon-due^ A ' JîÉÉife .Que # l t
qui jouent de tels tours au Soi ? Ils sont : le gros­
sier, le subtil et 1| très subtil, comme il esfïlÉiÉÈt
ién
12. Le corps grossier constitué des cinq éléments
grossiers (terre, ©au, feâ, air et Bther) est ges m l
à récolter Ifs frufis des jetions passées sous forme
de plaisir et de peine.
À Le corps hsuh'®^qiii «jèst tcó'nstitiíl B fe
souffles, du mental, de l’intellect et des dix sens,
et qui est formé H’éJémejlts subtils est également
(jMËé à lfc jouissance (comme dans les rêves).
14. L’ignorance inexprimable et sans commen-
cement est dite f f l e le IJpÈ'ps causal (comme dans
le sommeil profond). Sache que le Soi est autre
qpe ces irois upâdhis. ‘
Objection : S’il en est a in si, p o u rq u o i le Soi ne m ’est-il
pjfi é v id e n t $ ^ ’autj^Ejg>arty la S h rn ti d it : « Ce
c onstitué de annarasa (l’essence de la n o u rritu re ) ».

226
ljff| Rÿ$fiÈÈjÊÊf EM même qgpun (Jrair rérfefal (luir
même apparaît rouge, bleu, jaune, etc.,
selon j$^#Ste-yh,oyide. même le Soi, pur et inal­
térable, semble; être id eà^^ g au a>j|x s0w^
fies, au mental, à l’intellcip ou^û |§i ÉijÉjljjije béatl»
fique indifférenciée (qui constituent IS&î « cinq
enveloppes »P pancha kosha), lorsqu’il entre en
contact avec eux.
16. De même que le décorticage du paddy met
à jour le grain qui y est contenu (le riz ), de même
nous faut-il judicieusement séparer lit pur Atman
des enveloppes qui le recouvrent.
Objection : L ’Atman est d it ê tre p a rto u t. P o u rq u o i dès
lors faut-il les-¿chercher ju d ic ieu sem en t % l’in té rie u r des
cin q enveloppes ?
17. Réponse : Bien que toujours et partout pré­
sent, le Soi ne brille pas pn tous lieux. Tout comme
la lumière ne paraît que dans un milieu transpa-
iijif, de même le Soi ¡est clairement vu dans l’in-
tellect seulement, <
18. . u f S g g tef" réalisé dans l’iptelleçt. ffi
que * ilmof^^PiSêpendant séparé -— $1| a^H ^H
du corps, des sens* dù’ r a l ® , djf
de I-ÿ nat^p'inffiff^è’^ K e i
roi p?|r ra'rMwÉnNfes suijfP fl
O b je c tio n :
LeSoi seimÆB SfBRüf t r de leu rsa ctiv a s :
dès »"n^^pfflTpw <pfe d^f|ré$$* d’eux, ni (pfe "îeuf
témoMj.1 ■
*ifÊfeR#ÉSItèk .v De même que la lune sÉflBBËij^u-
ger’ quand lii nuages W. de
même le Ë^iSemblHttÊ sont
pas do|Îfl| de discrimination, i E t t qu’en r^B |&
seuls ïdjs, sens sont actifs.
ObfecÉfiHjji : P o u r être actifs le c o rftîfffe ié ifS : etc. doivent
aussi ê tfe ^ in te ilig e S s É ' o r &iypSjt < jp |s sont inefïtes.
( ’.oui mené: peuvent-i 1s a g ir sans que Ie S lt; IjërcçtHNjnt p i f t p 1
cipe à leurs actio n s^ # ^ :
20. Réponse: De même que- les hommes aecom-
227
plissent leur devoir à la lumière du Soleil (sans
que le soleil y participe), de même le corps, les
sens etc., fonctionnent à la lumière du Soi sans
qü’Il y participe.
Objection : Il est v ra i, seul le Soi est intellig en ce.
Mais je constate que je suis né, que je g ra n d is, que je
déchois, que je suis heureux ou m alh eu reu x et a in s i de
suite. Ai-je ra iso n '?
21. Réponse : Non. Les caractéristiques (naissan­
ce, mort, etc.) du corps et des sens sont surimposées
sur l’Etre-Conscience-Béatitude comme l’est le bleu
dans le ciel par ceux qui ne sont pas doués de
discrimination.
22. De même les caractéristiques du mental,
telles que les activités, etc., sont par ignorance
surimposées à YAtman, comme le sont les mouve­
ments de l’eau sur la lune qui s’y reflète.
23. G’est seulement lorsque l’intellect est mani­
festé que sympathies et antipathies, plaisir et peine
sont ressentis. Dans le sommeil profond, l’intellect
demeurant latent, ils ne sont pas ressentis. Donc
ils relèvent de l’intellect et non d’Atman (le Soi).
Voici la vraie nature d’Atman.
24. Tout comme la lumière est le soleil même,
comme le froid est l’eau, comme la chaleur est
le feu, de même l’Etre-Conscience-Béatitude pur
et éternel est le Soi Lui-même.
O bjection : T ôt ou ta rd Chaque ê tre ressen t « je suis
h e u reu x », et a in si l ’e x p érien c e de i’E tre-C onscienee-B éati-
tu d e est évidente. Com m ent peut-on a ssu re r la p e rm a n en c e
et l’in a lté ra b ilité de l’e x p érien c e ?
25. Réponse : L’Etre-Conscience relève du Soi ;
le mode ou la modification « je » relève de l’intel­
lect ; ce sont deux choses distinctes. Pourtant, à
cause de l’ignorance, l’individu les mélange et
pense «je sais», et agit en conséquence.
26. Il n’y a jamais de changement (ou d’action)
dans Atman pas davantage qu’il n’y a de connais-

228
sauce dans l’intellect (buddhi), C’est seulement
jîva qui est abusé au point de penser qu’il est le
connaissant, l’agent et le voyant.
27. Prenant à tort jîva pour le Soi, l’homme est
effrayé, comme une personne qui prend par erreur
une corde pour un serpent. Mais il est tout
à fait libéré de la crainte s’il se connaît non en tant
que jîva mais en tant que le Suprême Soi.
28. Seul le Soi illumine les sens, l’intellect, etc.,
comme une lampe illumine des objets tels que
des pots. Le Soi n’est pas illuminé par eux puis­
qu’ils sont inertes.
O bjection ; Si le Soi ne p e u t p a s ê tre co n n u p a r l’in te l­
lect, il n ’y a u ra pas de c o n n aissan t p o u r c o n n a ître lé Soi
et le Soi ne p e u t p as ê tre connu.
29. Réponse : Pour voir une lumière, aucune
autre lumière n’est requise. De même le Soi, étant
resplendissant de soi-même, ne requiert aucun au­
tre moyen de connaissance. Il brille de soi-même.
O bjection : S’il en est a in si c h ac u n d o it ê tre ré alisé de
soi-m em e, sans e ffo rt, m ais il n ’en est p a s ainsi.
30. Réponse : Par la vertu de l’enseignement
védique «Pas ceci — pas ceci », élimine toutes
les conditions limitatives (upâdhis| et à l’aide des
Mahâvâkyûs (les Grandes Formules) (1), réalise
l’identité de jîvâtmâ (moi individuel) avec le
Paramâtmâ (le Suprême Soi) î
31. Tout le monde objectif, tel le corps, est né de
l’ignorance et périssable comme une bulle d’air
quand elle paraît à la surface de l’eau. Sache que
le Soi en est distinct et qu’il est identique avec
Brahman (Le Suprême).
32. Puisque je suis distinct du corps grossier,
naissance, mort, vieillesse, débilité, etc., ne m’ap-1

1. [Ce sont les quatre formules tirées de quatre üpanishads


rattachées chacune à l’un des quatre Védas].

229
partiennent pas. N’étant pas les sens, je n’ai pas
de rapport avec les objets des sens, tel le son, été»
33. Les Shrutis déclarent : « Je ne suis pas le souf­
fle vital, ni le mental, (mais) pur (Etre) ». Puisque
je ne suis pas le mental, je suis exempt de sym­
pathies et antipathies, de la peur, etc.
34. «Je suis exempt de qualités et sans action,
impérissable, sans volition, plein de béatitude,
immuable, sans forme, éternellement libre et pur ».
35. « Comme l’éther, je pénètre toujours toutes
choses, intérieur et extérieur* non-fléchissant,
toujours le même dans toutes choses, pur, incor­
ruptible, limpide et inébranlable.»
36. Ce qui demeure éternel, pur, toujours libre,
seul, toujours eh béatitude, sans dualité, Etre-
Conscience-Béatitude, (çe même) Brahman trans­
cendant c’est Moi-même.
37. Une longue et constante pratique du « Je
suis Brahman uniquement » détruit tous les
vâsanâs (tendances latentes), nées de l’ignorance,
de même qu’un remède (rasâyana) (2) efficace
extirpe une maladie.
38. Sois sans passion ; garde le contrôle des sens ;
et ne laisse pas le mental errer ; tiens-toi en un
lieu solitaire et médite sur le Soi en tant qu’infini
et Un sans second.
39. Garde le mental pur ; avec un intellect ai­
guisé, résous tout ce qui est objectif dans le Soi,
et médite toujours sur le Soi aussi pur et simple
que l’éther,
40. Ayant rejeté tous les noms, formes, etc., tu
es maintenant le connaissant de l’Etre Suprême

2. [Médecine indienne à base de mercure et de soufre, qui


est réputée contenir le secret de la régénération et de la
longévité].

230
et tu demeures comme parfaite Conscience-Béati­
tude»
41. Etant identifié à la Conscience-Béatitude, il
n’y a plus de différenciation telle que je connais­
sant et le connu, et le Soi brille de Lui-même.
42. De cette manière en procédant à une
constant© méditation, les deux morceaux de bois,
en l’occurence, le Soi et l’ego, sont frottés l’un
contre l’autre et les flammes du feu de la connais­
sance brûlent toute l’étendue de l’ignorance.
43. Dès que la connaissance détruit l’ignorance,
comme la lumière de l’aube disperse les ténèbres
de la nuit, le Soi se lèvera comme le soleil dans
toute sa gloire.
44. C’est vrai, le Soi est toujours immédia­
tement présent ; pourtant II n’est pas apparent,
en raison de l’ignorance. Lorsque l’ignorance est
détruite, le Soi semble pour ainsi dire acquis, com­
me le collier sur notre propre cou (1).
45. De même que dans l’obscurité on prend à
tort un poteau pour un voleur, de même l’igno­
rance fait prendre à tort Brahman pour jîva. Si,
pourtant, la vraie nature de jiva est vue, Ï’illüsion
s’évanouit.
46. La Connaissance surgissant lors de l’expé­
rience de la réalité détruit immédiatement les per­
ceptions ignorantes « je » et « mien », qui ressem­
blent à l’illusion de la direction dans l’obscurité.
47. Le jnâni qui est un yogî parfaitement réalisé,
contemple par l’œil de la Connaissance toutes les1

1. Ceci fa it allusion à l’histoire d’une femme qui portait


un précieux collier et qui soudain oublia où il se trouvait ;
clic s’inquiéta, le chercha partout et demanda même à d’au­
tres de l’aider, jusqu’à ce qu’une amie complaisante lui fit
remarquer qu’il était autour du cou même de la chercheuse.

231
choses comme demeurant en soi-même, et ainsi
il perçoit que toute chose est l’unique Atman.
Objection : C om m ent alo rs agit-il d an s le m onde ?

48. Réponse : De même que l’argile est le seul


matériau dont les différents ustensiles sont consti­
tués (tels que des pots, des vases, etc.) de même
il voit que tout l’univers est le Soi et qu’il n’y a
que le Soi.
49. Pour être délivré dans la vie (jîvanmukta), le
Sage doit complètement renoncer aux conditions
limitatives (upâdhis), et ainsi obtenir la vraie nature
de l’Etre-Conscience-Béatitude, comme la larve
qui se change en guêpe.
50. Ayant traversé l’océan de l’illusion et ayant
tué les démons des sympathies et des antipathies,
le Yogi, maintenant uni avec Shânti (la Paix), trou­
ve son délice dans le Soi et s’établit ainsi dans
sa propre gloire.
51. Le jîoanmukta, affranchi de tout désir éprou­
vé pour les plaisirs externes périssables, jouit de
son propre Soi et demeure calme et serein comme
Une lampe dans un vase.
52. Comme l’éther (akâsha) qui demeure inal­
téré par les objets qui y sont contenus, le Sage
(Muni) demeure inaltéré par les conditions limi-
mitatives (upâdhis) qui le recouvrent. Etant le
Tout-Connaissant il demeure cependant comme un
ignorant ou il se meut comme l’air, non contaminé
par les objets qu’il touche.
53. Quand les conditions limitatives ont été écar­
tées (le corps, les sens, etc.), le Sage libéré des par­
ticularités se fond dans l’Etre (Vishnu) qui pénètre
tout, comme l’eau dans l’eau, l’éther dans l’éther
ou le feu dans le feu.

232
54. Il n’y a pas Été gain au-delà de ce gain, pas
de plaisir au-delà de cette Béatitude, pas de connais­
sance au-delà de cette Connaissance. Sache que
ceci est Brahman. ,
55. Quand on l’a vu il n’y a plus rien à contem­
pler, identifié à Lui il n’y a plus de retour au
samsâra, Tayaut connu il n’y a plus rien à connaître.
Sache que ceci est Brahman.
56. Ce qui pénètre tout, ce qui est au-dessus, ce
qui est en-dessous et ce qui s’étend partout, lui-
même Etre-Conscience-Béatitude, sans dualité, in­
fini, éternel, unique. Sache que ceci est Brahman.
57. Ce qui demeure en tant qu’immuable, Béati­
tude sans fin, et en tant qu’un unique, ce que même
les Ecritures désignent indirectement par la mé­
thode apopha tique « pas ceci — pas ceci ». Sache
que ceci même est Brahman.
, 58. Attachés à une fraction . de la Béatitude
inépuisable de YAtman, tous les dieux, tel Brahma,
jouissent dé la Béatitude selon leurs degrés.
59. Comme le beurre dans le lait, le monde entier
est contenu en Lui ; toutes les activités sont basées
sur Lui seul. Donc Brahman pénètre tout.
60. Ce qui n’est ni subtil ni grossier, ni court ni
long, ni produit ni consommé, qui est dépourvu de
forme, d’attribut, de caste et de nom, sache que
ceci est Brahman.
61. Ce dont la lumière fait briller le soleil et les
autres corps lumineux, mais qui n’est pas soi-même
illuminé par eux, et dans la lumière duquel toutes
les choses sont vues, sache que ceci est Brahman.
62. Comme le feu dans un boulet de fer incan­
descent, Brahman pénètre le monde entier à l’inté­
rieur et à l’extérieur, de part en part, le fait briller
et Lui-même aussi brille de Lui-même.

233
1

63. Brahman est distinct de l’Univers, pourtant


il ne demeure rien hors Brahman. Si quelqu’autre
que Brahman semble apparaître, ce n’est qu’une
illusion comme Peau d’un mirage.
64. Tout ce qui est vu ou entendu ne peut pas
être différent de Brahman. Par la vraie Connais­
sance Brahman est contemplé comme Etre-Cons-
cience-Béatitude et Un sans second.
65. Seul l’œil de la Connaissance peut contempler
l’Etre-Conscience-Béatitude Omniprésent, et non
l’œil de Pignorance car l’œil aveugle ne peut voir
le soleil.
66. Comme l’or débarrassé de ses scories,
le jîva (le sâdhaka) voit toutes ses impuretés brû­
lées au feu de la Connnaisance qui s’embrase activé
par l’audition (shravana), la compréhension (ma-
nana) et la contemplation ininterrompue (nidhi-
dhyâsana), et maintenant il brille de lui-même.
67. Parce que le Soleil de la Connaissance, qui
chasse les ténèbres, s’est levé, Atman brille dans la
vastitude du Cœur en tant que le Sustentateur uni­
versel et l’IUuminateur de toute chose.
68. Celui qui s’est baigné dans les eaux claires,
douces et fraîchissantes de son propre Soi qui est
cet Atman partout présent et immédiat, et qui n’a
pas à être recherché dans des lieux et des moments
spéciaux, celui-là est sans action, il connaît toute
chose ; il pénètre tout et il est immortel.

234
LE PLUS BEAU FLEURON
DE LA DISCRIMINATION
(Vivekachûdâmani)
Cette œ uvre de S h an k ârâch ary a. de mêm e que le Drik
Drihsya Vivêka, fut tra d u ite en p rose tam ile p a r Bhagavan
quand il vivait encore dans la grotte de V irupaksha. C’est
une trad u ctio n libre, l’o rd re mêm e des p a rag rap h es étant
partiellem ent m odifié.

I n t r o d ü c t io n de

B hagavan S h r i R amana M a h a r s h i

Tout être au Mánde brûle d’être toujours heu­


reux et exempt de la tâche de la tristesse et dé­
sire se débarrasser des maux corporels qui n’ap­
partiennent pas à sa vraie nature. De plus, cha­
cun chérit le plus grand amour pour soi-même et
cet amour n’est pas possible en . l’absence du
bonheur. Dans le sommeil profond, bien que vide
de tout, on a l’expérience d’être heureux. Cepen­
dant, en raison de Vignorance de la vraie nature
de notre propre être, qui est le bonheur lui-même,
on se débat dans le vaste océan de l’existence maté­
rielle, abandonnant le droit chemin qui mène au
bonheur, et on agit sous l’emprise de la croyance
erronée que la voie du bonheur consiste à obtenir
les plaisirs de ce monde et de l’autre.
Malheureusement pourtant, un bonheur de ce
genre est toujours empreint de tristesse. C’est préci­
sément dans le but d’indiquer le droit chemin du
vrai bonheur que le Seigneur Shiva prenant l’appa­
rence de Shri Shankârâcharya, écrivit les com­
mentaires du Triple Canon (Prastfaana Traya)
235
du Vêdânta qui prônent Vexcellence de cette
béatitude, et qu’il proposa à titre de démonstration
l’exemple de sa propre vie« Ces commentaires, ce­
pendant, sont peu utiles à ces ardents chercheurs
qui sont fermement résolus à réaliser la béatitude
de la Délivrance mais qui n’ont pas l’érudition né­
cessaire pour les étudier.
C’est à l’intention de ceux-ci que Shri Shankârâ-
charya révéla l’essence des commentaires en ques­
tion dans ce court truité, « Le plus beau Fleuron
de la Discrimination*, qui explique en détail les
points à saisir par ceux qui recherchent la Déli­
vrance et les dirige ainsi vers le chemin véritable
et direct.
Shri Shankarâ commence par observer qu’il est
certes difficile d’atteindre la naissance humaine,
et que, Vayant atteinte, il faut s’efforcer de réali­
ser la béatitude de la Délivrance, qui est
seule, réellement, la nature de notre être. C’est
uniquement par le Jnâna ou Connaissance Spiri­
tuelle que cette Béatitude doit être réalisée, et le
Jnâna ne peut être réalisé que par le vichâra ou
recherche constante. Pour apprendre cette métho­
de d’investigation, dit Shankarâ, il faut rechercher
la grâce d’un Guru ; puis il entreprend de décrire
les qualités de Guru et de son disciple et la façon
dont le dernier doit aborder et servir son maître.
En outre, il souligne combien l’effort individuel est
un facteur essentiel pour réaliser la béatitude de
la Délivrance. Une pure étude livresque ne produit
jamais cette béatitude ; celle-ci ne saurait être réa­
lisée que par la recherche de Soi-même ou vichâra,
qui consiste en shravana ou attention dévouée
aux préceptes du Guru, manana ou intellection
profonde, et nidhidyâsana ou établissement con­
templatif dans le Soi.
236
Les trois corps, physique, subtil et causal, sont
du tton-Soi et ils sont irréels. Le Soi, ç’esi-a^dirê
le  ham ou «Je » en est tout à fait différent. C’est
en raison de Vignorance que le sens de Soi ou la
notion « Je » se glisse sur ce qui n’est pas Soi,' et
ceci est assurément l’esclavage. Puisque de l’igno­
rance surgit l’esclavage, de la Connaissance s’en­
suit la Délivrance. Apprendre ceci par le Guru c’est
le shravana. . .
La méthode du manana, qui est recherche subti­
le ou intellection profonde, consiste à rejeter
les trois corps formés des cinq gaines (physique,
vitale, mentale, intellectuelle et béatifique), com­
me n’étant pas «Je s et à découvrir par une recher­
che subtile du « Qui suis-je ? » ce qui est différent
de tous trois et qui existe seul et universel dans
le cœür en tant que Aham ou « Je », tout comme
une tige d’herbe est délicatement tirée de son
fourreau. Ce « Je » est dénoté par le mot twam =
Tu (dans la formule scripturaire « Tat-twam-asi »
Tu es Cela).
Le monde du nom et de la forme n’est qu’un
accessoire de T at= Cria, ou de Brahman, et, n’ayant
pas de réalité séparée, est rejeté sous le rapport de
la réalité et affirmé en tant que nul autre que
Brahman. L’instruction du disciple par te Guru à
ce Mahâvâkyâ « Tat-twam-asi », qui déclare l’iden­
tité du Soi et du Suprême, est cet upadêsha (gui­
dance spirituelle). Le disciple est alors engagé à
demeurer dans l’état béatifique de Aham-Brahman
(Jc-l’Absolu). Néanmoins, tes anciennes tendances
du mental poussent serré et dru, et font obstruc­
tion. Ces tendances sont triples l’ego est leur
racine. L’ego fleurit dans la conscience extériori­
sée et différenciée, causée par les forces de. pro­
jection dues à rajas et d’obscurcissement dues à
tainas.

237
Fixer te mental fermement dans le cœur Jusqu’à
ce que ces forces soient détruites et éveiller avec
une vigilance inébranlable et incessante la vérita­
ble tendance inhérente à î’Atman et qui est expri­
mée par les sentences : Aham Brahmasmi {Je suis
Brahman) et Brahmaivaham {Je suis seul Brah­
man) est appelé nidhidhyâsana ou Atmanusandhâ-
na, c’est-à-dire constance dans le Soi. Ces méthodes
reçoivent également les noms de bhakti, yoga et
dhyâna.
L’Atmanusandhâna a été comparé au barattage
de la crème pour en faire du beurre, le mental
représentant la baratte, le cœur la crème et la
pratique de concentration sur le Soi symbo­
lisant le barattage. De même que le beurre est
produit par le barattage de la crème et le feu
par la friction, de même l’état naturel et sans
changement de nirvikalpa samâdhi est produit par
la concentration vigilante et inébranlable sur le
Soi, incessante comme le flot d’huile ininterrompu.
Ceci produit aisément et spontanément cette per­
ception de Brahman, directe, immédiate, inobs-
truée et universelle, qui est aussitôt connaissance
et expérience, et qui transcende temps et espace.
Cette perception est la réalisation de Soi-même.
Son accomplissement coupe le nœud du cœur. Les
fausses illusions de l’ignorance, les tendances men­
tales perverses et longtemps entretenues qui cons­
tituent ce nœud, sont détruites. Tous les doutes
sont dissipés et Tenchaînement du karma est rompu.
C’est ainsi que dans ce « Plus beau Fleuron de
ta Discrimination » Shri Shankârâ a décrit le sa­
mâdhi ou l’exaltation spirituelle qui est la Béatitude
illimitée de la Délivrance, au-delà du doute et de
la dualité, et a indiqué en même temps les moyens
de l’atteindre. Atteindre cet état de non-dualité,
est le vrai but de la vie, et seul celui qui l’a acquis
238
est un Jîvanmukta, délivré de son vivantl et
non celui qui a une simple compréhension théori­
que de ce que constitue purusharta ou la fin dé­
sirée et la visée de l’effort humain.
Ayant défini le Jîvanmukta, Shri Sliankârâ dé­
clare qu’il est affranchi des liens du triple karma
(sanchita, âgâmi et prûrabdha).
Le disciple atteint cet état et relate alors son
expérience personnelle. Celui qui est délivré est
certes libre d’agir à sa convenance et quand il
quitte le corps, il est établi dans la Délivrance et
ne retourne jamais plus a cette naissance, qui n’est
qué mort.
Shri Shankârâ décrit ainsi la Réalisation, c’est-
à-dire la Délivrance, comme étant de deux sortes,
Jîvanmukti et Vidêhamukti, selon ce qui a été ex­
pliqué ci-dessus. Par ailleurs, dans ce court traité*
écrit sous forme de dialogue entre un Guru et
son disciple* il a abordé de nombreux autres su­
jets s’y rattachant.

I nvocation

Réjouissez-vous éternellement ! Le cœur se ré­


jouit aux pieds du Seigneur, qui est le Soi, res­
plendissant à l’intérieur en tant que «Je-Je» éter­
nellement, de sorte qu’il n’y a pas (d’alternance)
de nuit et de jour. Ceci aboutira à l’enlèvement
de l’ignorance du Soi.

L oange du GURU

Shri Shankârâ Jagadguru resplendit sous la for­


me du Seigneur Shiva. Dans cet ouvrage, Viveka-
cliûdâmani, il a exposé en détail le cœur du Vêdânta
cl son sens pour que les plus ardents par­
mi ceux qui sont qualifiés pour la Délivrance puis-
239
sent en prendre connaissance et atteindre l’immor­
talité.
Hommage au toujours bienheureux Shri Govin-
da Sadguru qui doit être connu seulement par la
vérité ultime du Vêdânta et non par quelqu’autre
moyen.

T exte

Certes il est très difficile d’accéder à la condition


humaine et en tant qu’être masculin ; et il est
encore plus difficile de naître dans la caste
des brahmanes. Quand bien même ce résul­
tat serait atteint, il est encore plus difficile de
marcher sur le sentier du Vaidik Dharma sur le­
quel les Védas sont chantés. Mais il est encore plus
difficile de devenir un parfait lettré, et il est plus
difficile encore d’entreprendre la recherche concer­
nant le Soi et le non-Soi. Cependant il est encore
plus difficile que tout cela d’obtenir la sagesse née
de l’expérience du Soi. La Délivrance sous la forme
de demeurance en tant que le Soi, née de cette
sagesse, ne peut être atteinte qu’en résultat d’ac­
tions vertueuses accomplies à travers d’innombra­
bles dizaines de millions de naissances. Pourtant,
même si toutes les qualifications mentionnées ne
peuvent être obtenues, la Délivrance est assurée
par la Grâce du Seigneur si seulement trois condi­
tions Sont réunies e c’est-à-dire une naissance
humaine, un intense désir de la Délivrance et
la compagnie des Sages.
Si, à la suite de quelque grande pénitence, cette
rareté que constitue un corps humain est obtenue,
avec son habileté à comprendre le sens des écri­
tures, et que, pourtant, et en raison de l’attache­
ment aux choses inertes, l’effort n’est pas fait pour
atteindre l’état immuable de la Délivrance, qui
est. notre propre état véritable, alors assurément
240
on est un sot qui commet un suicide. Quel plus
grand sot y-a-t-il que celui qui ne cherche pas
son propre bien ?
La Délivrance n’est pas à réaliser au cours de
laps de temps interminables par la lecture dés
écritures, l’adoration des dieux ou par quoi que ce
soit d’autre que la Connaissance de l’unité de Brah­
mán et d’Atman. La richesse ou les actions rendues
possibles par la richesse ne peuvent produire, le
désir ardent de w Délivrance. Les écritures ont
donc déclaré avec raison que l’action ne peut
jamais produire la Délivrance. Pour obtenir la;
Délivrance il faut rejeter résolument même le désir
des plaisirs de ce monde. Alors il faut rechercher
le Parfait Guru qui est l’incarnation de la Paix et
concentrer son mental et méditer sans cesse ce à
quoi on est initié. Une telle méditation mène à la
demeurance dans la sagesse de l’expérience ainsi
obtenue. En s’embarquant sur ce bateau de sages­
se, il faut faire passer sur le rivage de la Déli­
vrance ce Soi qui est immergé dans l’océan du
samsâra. Donc l’aspirant courageux doit aban­
donner l'attachement à la femme, aux enfants
et aux biens, et renoncer à toute activité. Ce
faisant il doit se libérer dé l’esclavage du cycle
de la naissance et de la mort, et rechercher la
Délivrance. Les actions sont prescrites seulement
pour la purification du mental et non pour la
réalisation du Soi. La connaissance de la vérité
du Soi est obtenue seulement par la recherche de
Soi-même et non point par un nombre quelconque
d’actions. Celui qui prend à tort une corde pour
un serpent est saisi de crainte, et seule la connais­
sance que c’est une corde peut dissiper sa crainte
et sa détresse. Un ami qui sait ceci le lui dit, alors
il recherche et découvre ce qu’il en est. Il n’est
pas d’autre voie. Pareillement, la connaissance de
241


Brahman est obtenue grâce à l’initiation reçue du
G u f à a r e c h e r c h e dans la Vérité. Cette Vérité
ne peut être réalisée par des bains purificatoires,
des offrandes, le .contrôle de la ou
quelqu’autre pratique. Celui qui cherche la Déli-
vrance plir lâ^cdiiHaissaiîèi^dii fetti doit IcriiteiF'en
soi-même avec l’aide du parfait Guru qui, libre des
désirs, est un esluiplliSffïf dé BïffliHb&i#,e |'‘UB tlfeê®®
de Grâce. C’est principalement par la recherche
q u e ll lt iî f 'ff&UtâSÈ 'C s f c f ï f c i i t i ^ i l ^ e i i a B ftR p iis fe ig e
du Soi ; les circonstances dè temps et de lieu et
lâ 'OffÉSIi. Éi'- n®i sont .qli- dès àl#te pour
la quête.
Afin d’être qualifié pour la i^lfpîéhjS. de, Sqir
mêm^j l’homme doit avoir un intellect puissant et
l’M M M .A |K:à jlg jlfé r râepèssoijro,
outre les qualités variées énumérées dans les écri-
fpris. Quelles .spnl-ellé^,? Il doit être capable,, dé
discriminer entre 1<2 Réel et l’irréel«. II. doit avoir
un mental désintéressé. Il doit posséder le contrôle
dm organes ^néSp^É exlèrnés et internés. Il J|Sit
ardemment désirer la Délivrance. Et il doit être
inlassable dans la pratique. Seul un tel ' être est
iwalifiq jsjq’r rechercher le Brâhmanj Les qualifi­
cations sont donc énumérés 3pmme suit :
1. Discrimination entre le Réel et l’irréel.
2. .I^tihté8ttr% 'V |iW ^’‘d ^ -I ru lts .v.de HÉéSsElW.
la présente vie où en quelque vi;e «Satlttp«
3. Les six vertus de tranquillité, contrôle de soi,
dêtacli'émènt, I'On%a%iittîfêl'Jfôi ep'coilcè’ntration sur
le Soi’.';|
4. Intense désir de la Délivrance.
L’aspirant doit certes posséder ces qualités pour
a|MinJI|t laî;déiifl*ppii®ee dadsison Soi ; sans elles,
il ne pét^jy avoifs de réalisation de la Vérité. Exa-
minons en quoi elles consistent :
242
1. Lia disoriMaèrttiii©n entrfeÿle Réel tL l’îit'éifcfiÉt
lâ-ifèrme éo*ffiÉÉÉn que Brahman seul ¡fSiiiai- .f i ^ é
et qae lé monde mIf irréel.
2. Nafis observons èt apprcüons to ü ti^ la fois
des écritures que tous les plaM a;expÉ?iiiiR^ par
les êtres animés, de Brahmâ jusqu’au dernier d’en­
tre eux, sont transitoires et éphémères et qu’ils
entraînent tristesses et imperfections ; abandonner
leur désir ÿ’ist lé vairâgya ou le non-attachement.
3. (a) La tranquillité implique la fixation du men­
tal sur sa cible par la méditation fréquente sur
l’imperfection dès choses qui n’engendrent qu’in-
satisfaction.
(b) Le contrôle de soi-même cela veut dire
contrôler les organes sensoriels externes et internes
et Ieg- fixer dans leurs centres respectifs.
|è| Istf («feéhement. signifie l’abandon de toute
activité e^î'êriWte par une ferme fixation du m®-
tal sur sa cible, dp sorte qu’il ne soit pas amené par
ses lehtÜfmgsi antérieures à s’arrêter sur les objets.
f®| tÈ longanimité veut dire l’endurance de
toutes les peines qui peuvent échoir sans tenter
de les éviter.
(e) La foi, qui est la cause de la réalisation
du Soi, est le résultat de la conviction entraînée
par la vérité des écritures védantiques et par les
paroles du Guru.
(f) La concentration c’est faire tous ses efforts
pour fixer le mental sur le pur Brahman en dépit
de sa nature vagabonde.
Telles sont les six qualifications requises pour
la pratique du samâdhi.
4. L’intenserïÉIWte' dé.fc MJ§iaia»ee nÉSi de l’envie
de réaliseras propre naêuféçüen èehappantià l’escla-
vage du corf» tgfhjte ltego causé par Vignorânce. Ce
désir co n n altts^ i^ ren lte:^ ^^ ;» pipi ilBfilÉlrtS#-
meut faible ou moyen,
243
accru du fait des six qualifications sus-mention­
nées, et dans ce cas il peut porter fruit. Si le désir
est intense ces qualifications portent fruit rapide­
ment. Mais si le renoncement et le désir sont fai­
bles, le résultat peut être une simple apparence
comme un mirage dans le désert.
De tous les moyens qui conduisent à la Déli-
vrance, la bhakti ou dévotion, est le meilleur ; et
cette bhakti signifie rechercher la vérité de son
propre Soi, comme le disent les Sages.
L’aspirant qui possède les qualifications néces­
saires et qui souhaite entreprendre la recherche
de Soi-même doit se mettre en quête d’un Sad-Guru
et se prosterner devant lui avec humilité* crainte
et révérence, et le servir de manières variées. Le
Sad-Guru est celui qui est capable d’abolir l'es­
clavage de ceux qui s’attachent à lui. Il est un
océan de sagesse immuable. Sa connaissance
comprend tout. Il est pur comme le cristal. Il a
obtenu la victoire sur les désirs. Il est suprême
parmi les connaissants de Brahman. Il repose cal­
mement en Brahman comme un feu qui a consumé
son combustible. C’est un inépuisable réservoir de
miséricorde. Il n’y a pas d’explication à sa misé­
ricorde ; c’est sa nature même. Il secourt tous
les sâdhus qui s’attachent à lui. Le disciple fait
appel à un tel Guru : « Je me prosterne devant
vous, mon Maître, vrai ami des désespérés ! Je
vous supplie de m’aider à traverser le terrible
Océan de l’esclavage dans lequel je suis tombé et
qui me submerge. Un simple regard gracieux de
votre part est un radeau qui me sauvera. O jail­
lissant flot de Grâce ! Je suis violemment secoué
par les vents d’un sort contraire. Je ne sais de
quel côté me tourner. Je suis torturé par le feu
inextinguible du samsara qui brûle autour de moi.
Sans cesse je vous prie de me rasséréner par le
244
nectar de votre Grâce. Les sâdhus tels que vous
sont toujours établis dans la paix, grands et ma­
gnanimes, et constamment profitent au monde
comme la saison du printemps. Non seulement ils
ont traversé eux-même l’océan du samsâra mais
ils peuvent calmer les craintes des autres. De même
que le monde après avoir été chauffé par les brû­
lants rayons du soleil, est calmé par les frais et
gracieux rayons de la lune, de même il est dans
votre nature de donner asile sans aucune raison
à ceux qui comme moi se réfugient auprès de vous
contre l’océan du sàmsâra. Certes, impuissant et
n’ayant d’autre refuge, je vous ai confié la charge
de me protéger de ce samsâra de naissance et de
mort. 0 Seigneur ! les flammes de la conflagra­
tion de l’être individuel m’ont desséché; rafraîchis­
sez-moi par l’épanchement de vos paroles gracieu­
ses, Vos paroles apportent la paix, puisqu’elles
sont issues de votre expérience de Divine Béa­
titude. Bénis soient ceux qui ont reçu même votre
regard miséricordieux ! Bénis soient ceux qui vous
ont été acceptables ! Comment franchirai-je l’océan
et par quel moyen ? Je ne sais certes pas quel est
mon sort. Vous seul devez me protéger, et me
libérer de cette peine du samsâra ».
Le disciple prend ainsi refuge auprès du Guru
comme il est enjoint par les écritures. Il sert le
Guru, incapable de supporter les vents brûlants
du samsâra. Son mental devient calme en suivant
les ordres du Guru. Le Maître, c’est-à-dire le
connaissant de Brahman, jette sur lui son regard
miséricordieux et touche son âme de l’intérieur,
lui donnant l’assurance de la protection. « Mon
savant disciple ne crains pas. Aucun mal ne te
frappera plus dorénavant. Je vais te donner un
unique et puissant moyen avec lequel tu pourras
traverser ce terrible et insondable océan du sam­
sâra et obtenir ainsi la suprême Béatitude. Par ce

245
moyen, des sâdhus qui renoncent au monde Pont
franchi et ton esclavage également sera aboli sur
le champ. Les écritures déclarent : « Les moyens
de la Délivrance pour les chercheurs sont la foi,
la dévotion, la méditation et le yoga ». Toi aussi
il te faudra obtenir ces moyens et si tu les pratiques
constamment tu seras affranchi de l’asservisse­
ment au corps causé par l’ignorance. Tu es éter­
nellement de la nature de Paramâtmâ et cette
servitude du samsâra, du non-Soi, t’est survenue
seulement par ignorance. Elle sera complètement
détruite par la connaissance issue de la recherche
de Soi-même ».
Contemplant le Guru qui parle ainsi, le disciple
demande : « O, Maître, qu’est-ce que l’esclavage ?
Comment est-il survenu, comment survit-il, et com­
ment doit-il être aboli ? Qu’est-ce que le non-Soi ?
Et qu’est-ce, en fait, que le Soi ? Et qu’est-ce que la
discrimination entre le Soi et le non-Soi ? Par
grâce, daignez répondre à ces questions de sorte
que je sois béni en entendant vos réponses ».
A la requête du disciple le Maître donne cette
réponse : « Chère âme ! Si tu as ressenti le désir
d’être le Soi, libre de l’esclavage causé par l’igno­
rance, en vérité tu es béni. Tu as réalisé le bit!
de la vie. Tu as sanctifié par là toute ta lignée.
Tout comme des fiis et autres parents patent
les dettes d’un père, il y a ainsi des êtres qui
déchargent d'autres êtres du farde® qu’ils por­
tent sur la tête. Mais la détresse engendrée par
la faim ne se guérit qu’en mangeant p # ir soi-même,
ce que d’autres ne peuvent faire à noire place.
Et si tu es malade, tu dois prendre un remède et
suivre un régime adapté, toi-même, nul autre ne
peut le faire pour toi. Pareillement, l’esclavage te
survient de par ta propre ignorance et ne peut
être aboli que par toi-même. Aussi savant que

246
l'homme puisse être, il ne peut se débarrasser de
rïgjnoraiÉce née du désir et du destin, sauf à réa­
liser Brahman avec sa propre connaissance infi­
nie. Quel avantage pour toi si d’autres voient la
lune ? Tu dois ouvrir les yeux et la voir par toi-
même. La Délivrance ne s’obtient pas par le
Sârikhya, le Yoga, lès rites ou le savoir, mais uni­
quement par la connaissance de l’unité de Brah­
man et d’Atman. De même que la belle forme de
la veena et la musique provenant de ses cordes
donnent seulement du plaisir aux auditeurs, mais
sans leur conférer aucun empire sur elles, de mê­
me les belles paroles, les discussions ingénieuses,
l’habileté à exposer les écritures et l’érudition dëè
savants ne procurent jouissance que sur le moment.
Même l’étude des écritures est insuffisante puis­
qu’elle n’entraîne pas le résultat désiré. Une fois
que l’on connaît la vérité du Suprême, l’étude des
écritures devient superflue parce qu’il n’y a plus
rien à gagner. Donc il faut éviter la grande forêt
des shôstras qui ne produit que confusion mentale,
et bien plutôt expérimenter effectivement le Soi
à travers le Guru, qui est un connaissant de la
Réalité. Pour celui qui est mordu par le serpent
de l’ignorance, le salut ne peut venir que de l’élixir
de la connaissance de Soi-même et non des
Védas, écritures, incantations, ou autres remèdes.
De même que la maladie d’un patient ne dispa­
raît pas sans l’absorption d’un remède, de même
son état d’esclavage n’est pas aboli par des textes
scripturaires tels que « Je suis Brahman », sans sa
propre et directe expérience du Soi. On ne devient
pas roi en disant simplement : « Je suis roi » sans
anéantir ses ennemis qt, assumer la réalité du pou­
voir. Pareillement on n?obtient pas la Délivrance
en tant que Brahman Lui-même en répétant sim­
plement le texte scripturaire « Je suis Brahman »,
sans détruire la dualité causée par l’ignorance et

247
expérimenter directement le Soi. On n’obtient pas
un trésor caché dans le sol par le simple ouï-dire,
mais seulement par le renseignement d’un ami
qui le connaît, puis en creusant et enlevant la dalle
qui le cache et en le tirant du sol. De la même
façon il faut entendre parler de son véritable état
par un Guru qui connaît Brahman et ensuite le
contempler et l’expérimenter directement par une
méditation constante. Sans cela, la vraie forme de
notre propre Soi, qui est cachée par Mâyâ, ne
peut être réalisée par la simple argumentation.
G’est pourquoi ceux qui sont avisés font eux-mêmes
tous leurs efforts pour abolir l’esclavage de l’exis­
tence individuelle et obtenir la Délivrance, tout
comme ils le feraient pour se débarrasser de quel­
que maladie.
« Cber disciple, la question que tu as posée est
de la plus grande importance et acceptable pour
ces âmes réalisées bien versées dans les écritures.
C’est comme un apborisme contenant un sens sub­
til et compréhensible pour celui qui implore la
Délivrance. Ecoute cette réponse avec un mental
Calme et serein, et tes liens seront tranchés immé­
diatement. Le premier moyen pour obtenir la Dé­
livrance ést le vairâgya (absence de passion).
D’autres qualités telles que la tranquillité, le contrô­
le de soi, la longanimité et la renonciation à l’ac­
tivité, peuvent venir plus tard, de même que l’au­
dition de la vérité védantique, et plus tard en­
core la méditation sur cette vérité. Vient finale­
ment la méditation perpétuelle et prolongée sur
Brahman. Ceci entraîne le nirvikalpa sam&dhi, par
lequel on acquiert la force nécessaire à la réalisa­
tion directe du Suprême Soi. Cette puissance de
réalisation directe habilite l’âme discriminante à
expérimenter immédiatement la Béatitude de la
Délivrance. Telle est la sâdhanâ qui conduit à la
Délivrance.
248
« Maintenant je te parlerai dé la discrimination
entre le Soi et le non-Soi. Ecoute et garde-la fer­
mement présente à l’esprit. Je parlerai d’abord
du non-Soi.
« Le cerveau, les os, la graisse, la chair, le sang,
la peau et la semence sopi les sept parties constituti­
ves du corps grossier. Ainsi disent ceux qui savent.
Les pieds, les cuisses, la poitrine, les épaules, le
dos, la tête, etc..., sont ses membres. L’homme
considère tout cela comme le « je » en raison d’un
attrait subi par son mental en ce sens. Là est la
première attraction et la plus normale pour tous.
Tout cela est fait d’éther, d’air, de feu, d’eau
et de terre qui, en tant qu’éléments substantiels
forment les objets des sens, et des groupes quin­
tuples tels que l’ouïe, le toucher, la vue, le goût
et l’odorat. L’ego (jîva) étant enclin au plaisir les
considère comme des moyens de jouissance. Les
sots et les ignorants sont liés aux objets des sens
par la corde du désir, et attirés selon la puissance
de leur karma qui les mène ça et là et les fait
vagabonder en détresse. Le serpent et le cerf
meurent en raison de l’attachement au son, l’élé­
phant par l’attachement au toucher, la mite par
rattachement au goût, et l’abeille par l’attache­
ment à l’odprah Si ces derniers meurent par
l’attachement à un seul sens, quel doit être le
sort de l’homme qui est attaché à tous les
cinq ? Les effets pernicieux des objets des sens
sont plus nuisibles que le poison du cobra (1),
parce que le poison tue seulement celui qui le
prend, tandis que les objets des sens causent la
destruction de celui qui simplement les voit ou1

1. En sanscrit il y a là un jeu de mots, car vishaga veut


dire objet des sens et oisha poison.

249
même y pense. Seul obtient la Délivrance celui
qui, avec l’épée tranchante du détachement, coupe
la forte corde de l’amour des objets des sens et
ainsi s’en libère. Autrement, même si l’homme est
largement versé dans tous les six shâstras, il n’ob­
tiendra pas la Délivrance. Le désir, comme un
crocodile, saisit instantanément l’aspirant à la Dé­
livrance qui essaie de franchir l’océan du samsara
et de gagner le rivage de la Délivrance, mais qui
manque de ferme détachement, et l’entraîne tout
droit dans l’abîme. Seul cet aspirant qui tue le cro­
codile avec l’épée tranchante du détachement peut
traverser l’océan et atteindre sain et sauf le rivage
de la Délivrance. Celui qui, manquant de bon sens,
s’engage tour à tour sur les sentiers de l’attachement
aux objets des sens, expérimente encore une plus
grande détresse jusqu’à ce qu’il soit finalement
'Ë$Eg£lÉt* Mais celui qui exerce le contrôle de lui-
même marche sur le sentier de la discrimination
tracé par le Guru et atteint son but. Ceci certes est
la vérité. Donc si réellement tu veux la Délivrance
rejette les plaisirs des objets des sens comme s’ils
étaient du poison. Tiens t’en fermement aux ver­
tus de. contentetnent, compassion, pardon, sincérité
tran^jlujQlié et contrôle de soi. Abandonne toutes
les actions accomplies par attachement au corps
et lutte sans cesse pour te délivrer de l’escla­
vage causé par l’ignorance. Ce corps est finale­
ment consumé, que ce soit par la terre, le feu,
les bêtes ou les oiseaux. Celui qui oublie sa vraie
nature et prend à tort ce corps pour le Soi,
s’y attache, le chérit et de ce fait devient le meur­
trier du Soi. Celui qui se soucie encore du corps
tandis qu’il recherche le Soi est semblable à celui
qui saisit un crocodile pour traverser une rivière.
L’infatttâtion du corps est assurément fatale à
l’aspirant à la Délivrance. Seul celui qui triomphe
de cette infatuation obtient la Délivrance. Par

250
conséquent toi aussi tu dois triompher de l’infatua­
tion du corps, de la femme et des enfants, et alors
tu atteindras la Délivrance, c’est-à-dire l’état su­
prême de Yishnu qu’ont atteint les grands Sages.
Il faut fermemesd se prévenir contre ce corps gros­
sier, qui est constitué en fait de peau, chair, sang,
artères et veines, graisse, moelle et os, et qui est
rempli d’urine et d’excréments. Il est produit par
nos propres actions passées à partir des éléments
grossiers, les éléments subtils s’associant pour pro­
duire eps éléments grossiers. C’èst ainsi qu’il dévient
la demeure où l’ego jouit des plaisirs, à l’instar de
ce que représente sa maison pour un père de famil­
le. C’est dans l’état de veille que l’ego expérimente
le corps grossier. C’est dans cet état seul qu’il peut
être expérimenté, quand le Soi, bien qu’il soit réel­
lement séparé du corps, est illusoirement identifié
avec lui et que, par les organes externes, il jouit
des divers et merveilleux mais grossiers objets de
plaisir tels que les guirlandes, la crème de santal,
les femmes, etc. Sache que l’ensemble du samsâra
extérieur s’abat sur l’Esprit (Purusha) par le moyen
du corps grossier. Naissance, croissance, vieillesse,
décrépitude et mort sont ses caractéristiques. En­
fance, adolescence, jeunesse et vieillesse en sont
les étapes. Castes et ordres de vie sont prescrits
pour lui. Il est également sujet aux différents
modes de traitement, à l’honneur et au déshonneur,
et il est le siège de maladies variées.
« Les oreilles, la peau, les yeux, le nés et la
langue sont des organes de connaissance parce qu’ils
nous permettent de connaître les objets. Les or­
ganes vocaux les mains, les pieds, etc., sont des
organes d’action parce qu’ils accomplissent leurs
modes d’action respectifs. L’organe interne (le men­
tal) est unique en soi mais il est diversement
dénommé, mental, intellect, ego, ou attraction.
251
Le mental est la faculté d’attraction ou de répul­
sion. L’intellect est la faculté de déterminer la vé­
rité des choses. L’ego est la faculté qui s’identifie
avec le corps en tant que soi. L’attraction (chitta) est
la faculté qui recherche le plaisir. De même que
l’or et l’argent sont modelés en des formes variées,
de même l’unique souffle vital devient prâna,
apâna, vyâna, udâna, samâna. Le groupe des cinq
éléments (éther, feu, eau, air, terre), le groupe des
cinq organes de sensibilité (les oreilles, les yeux
la peau, le nez, la langue), le groupe des cinq
organes d’action (les organes vocaux, les mains,
les pieds, l’anus, les organes génitaux), le groupe
des cinq airs vitaux {prâna, apâna, vyâna, udâna,
samâna), le groupe des quatre organes internes
{chitta, manas, buddhi, ahankâra), tous réunis com­
posent le corps d’ensemble appelé la cité aux huit
constituants. Etant livré aux désirs, il est produit
par les éléments, antérieurement à leur subdivision
et mutuelle combinaison. L’âme s’est attirée cette
surimposition sans commencement par sa propre
ignorance en vue d’expérimenter le fruit de ses
actions. Cet état d’expérimentation est l’état de
rêve. Dans cet état le mental fonctionne de lui-
même, s’expérimentant soi-même en tant que l’ac­
teur, en raison de ses tendances variées et de l’ef­
fet des expériences de l’état de veille. Dans cet
état le Soi, resplendissant de sa propre lumière,
est surimposé au méritai sans être attaché à
ses actions et demeure comme un simple témoin.
De même que la hache et les autres outils du char­
pentier ne sont que les moyens de ses activités,
même ce corps d’ensemble n’est que le moyen des
activités du Soi qui est toujours en éveil. Les
organes internes accomplissent toutes leurs actions
en raison de la simple proximité du Soi, tandis
que le Soi demexire inaffecté par ces actions et
intact. Une bonne oü une mauvaise vue est düe
252
à l’état des yeux, la surdité aux oreilles et ainsi
de suite ; elles n’affectent pas le Soi, le Connaissant.
Ceux qui savent disent que l’inspiration, l’expira­
tion, le bâillement, l’éternuement, etc., sont des
fonctions du souffle vital, comme le sont la faim
et la soif. L’organe interne (le mental), avec la
lumière de la conscience réfléchie, a son siège
dans les organes externes, tel que l’œil, et s’iden­
tifie avec eux. Cet organe interne est l’ego. L’ego
est l’acteur et le jouisseur qui s’identifie avec le
corps en tant que « je ». Sous l’influence des trois
gunas il assume les trois états de veille, rêve et
sommeil profond. Quand les objets des sens sont
à son goût, il est heureux, sinon, il est malheureux.
Ainsi, plaisir et peine relèvent de l’ego et ne sont
pas des caractéristiques du Soi toujours en béa­
titude. Les objets apparaissent plaisants à cause
du Soi et non à cause de quelque béatitude qui
leur serait inhérente. Le Soi ne comporte pas de
peine. Sa béatitude, qui est indépendante des
objets, est expérimentée par chacun dans l’état de
sommeil profond et par conséquent il est cher à
tous. Ceci est confirmé par l’autorité des Upani-
shads et par la perception directe, par la tradition
et par inférence.
«Le Suprême (Brahman) a une merveilleuse
Shakti (Puissance ou Energie) connue en tant que
« l’indifférenciée », « l’Ignorance », « Mâyâ », etc.
Celle-ci a comme modalités les trois gunas. Son exis­
tence est inférée par ceux qui sont doués d’entende­
ment d’après les effets produits par elle. Elle est
grandement supérieure à toute objectivité et crée
l’univers entier. Elle n’est ni Etre ni Non-Etre, elle
ne participe pas non plus de la nature des deux.
Elle n’est ni composée de parties, ni indivisible, ni
les deux à la fois. Elle n’est ni formelle, ni sans
forme, ni les deux conjointement. Elle n’est au­
cun de ces attributs. Telle qu’elle est, elle est
253
indescriptible. Elle est aussi sans commence­
ment. Pourtant tout comme la peur abusive d’un
bout de corde pris pour un serpent est dissi­
pée en reconnaissant la corde en tant que telle,
de même Mâyâ peut être détruite par la connais­
sance intégrale de Brahman. Elle a ses trois gunas
qui sont à Connaître d’après leurs effets. Rajas,
dont la couleur est rouge, est de la nature de l’ac­
tivité et constitue la puissance de projection.
C’est la cause originelle de toute activité, d’où
naissent les modifications mentales qui entraî­
nait désirs et peines. La concupiscence, la colère,
l’âpreté, l’orgueil, la haine, l’égoïsme sont toutes
dés tendances caractéristiques de rajas. Cette
puissance de projection est la cause de l’escla­
vage parce qu’elle crée les tendances extériori­
santes ou profanes. Ta/ncrs»' dont la couleur est
le noir, est la puissance d’obnubilation. Elle fait
apparaître les choses autres qu’elles ne sont. Par
son alliance avec la puissance de projection, elle
est à l’origine des constantes renaissances de
l’hômme. Celui qui est enveloppé par cette puis­
sance d’obnubilation, tout sage ou savan* qu’il soit,
habile, très versé dans le sens subtil des écritures,
capable de réussites merveilleuses, ne sera pas
apte à saisir la vérité du Soi, même si le Guru
et d’autres la lui expliquent clairement de diverses
manières. Etant sous l’empire de cette puissance
d’obnubilation, il estime des choses qui portent
la marque de l’illusion et de l’ignorance et les
réalise. Même si on l’instruit, celui qui est enve­
loppé par cette puissance d’obnubilation est tou­
jours dépourvu de la claire connaissance et de
l’entendement sans lesquels elle ne peut être dis­
sipée ; il demeure toujours dans le doute et prend
des décisions contraires à la vérité. En même temps
le pouvoir de projection le rend agité. Ignorance,
indolence, inertie, somnolence, non-acquittement
254
des devoirs et stupidité sont les caractéristiques de
tamas. Celui qui possède ces qualités ne comprend
rien mais il est comme un dormeur ou une pierre.
Enfin, vient sattwa, dont la couleur est blanche :
bien qu’elle soit tout à fait claire comme de l’eau
pure, elle devient cependant ténébreuse lorsqu’elle
est mélangée à rajas et tamas. Le Soi brille à
travers sattwa comme le soleil illumine le monde
entier de la matière. Mais des qualités vertueuses
résultent même d’un sattwa mélangé, telles que la
modestie, le contrôle moral de soi (yama) et les ob­
servations disciplinaires (niyâma), la foi, la dévo­
tion et le désir de la dévotion, des qualités divines
et le détournement de l’irréel. De la clarté du pur
sattwa résulte la réalisation de Soi-même, la paix
suprême,¡la satisfaction jamais défaillante, le par­
fait bonheur, la demcurance dans le Soi qui est la
source de l'éternelle Béatitude. La puissance indif­
férenciée qui es,t dite contenir la triplicité des gunas
est le corps causal de l’âme. Son état est celui du
sommeil profond dans lequel tous les organes sen­
soriels et fonctions du mental sont au repos. Dans
cet état toutes les perceptions cessent et le mental
sous la forme d’une graine subtile expérimente la
béatitude suprême. Ceci est confirmé par l’expé­
rience universelle : « J’ai dormi profondément et
n’avais plus conscience de rien ».
« Ce qui précède est une description du non-Soi.
Ces choses ne relèvent pas du Soi : le corps, les
organes sensoriels, le mental, l’ego et ses modes,
le bonheur dû aux objets des sens, tous les élé­
ments à commencer par l’éther, et le monde entier
jusqu’à la Mâyâ indifférenciée. Tout ceci est du
non-Soi. Depuis Mahat (le Grand Intellect cosmi­
que) jusqu’au corps grossier, toute chose est l’effet
de Mâyâ. Sache que ces phénomènes sont le non-
Soi. Ils sont tous irréels comme un mirage dans
le désert.
255
« Maintenant je vais te parler dé la véritable na­
ture du Suprême Soi, par la réalisation duquel
l’homme atteint la Délivrance et est affranchi de
l’esclavage. Cette réalisation signifie que le Soi
est expérimenté en tant que « Je-Je » resplendis­
sant de soi-même,-l’Être absolu, le témoin des trois
états de veille, rêve et sommeil profond, distinct
dés cinq gaines, eouscient des modes mentaux dans
les états dé veille et de rêve, ainsi que de leur
absence dans l’état de sommeil profond. Ce Soi
voit tout cela spontanément mais n’est jamais vu
par rien de cela. Il donne la lumière à l’intellect et
à l’ego mais n’est pas illuminé par eux. Il pénètre
l’univers et par sa lumière tout cet univers inerte
est illuminé, mais l’univers ne le pénètre d’aucune
façon. En sa présence le corps» les sens, le mental
et l’intellect exercent leurs fonctions comme sur
son ordre. Par cette connaissance ininterrompue,
toutes choses, de l’ego au corps, les objets et l’ex­
périence que nous en avons, se produisent et sont
pgrçues. C’est par Lui que la vie et les organes
variés sont mis en mouvement. Ce Soi inté­
rieur, en tant que l’Esprit primordial, éternel,
toujours éclatant, Béatitude parfaite et infinie,
unique, indivisible, entier et vivant, brille en cha­
cun en tant que la conscience témoin. Ce Soi
dans sa splendeür, resplendissant dans la cavité
du cœur en tant que l’éther subtil, pénétrant et
cependant non manifesté, illumine cet univers
comme la soleil. Il est conscient des modifications
du mental et de l’ego, des actions du corps* des
organes sensoriels et du souffle vital. Il prend leur
forme comme le feu prend celle d’un boulet in­
candescent ; pourtant il n’encourt pas de change­
ment à ce faire. Ce Soi ne naît ni ne meurt, ne
croît ni ne décrépit, pas plus qu’il ne souffre quelque
changement. Quand un vase est brisé, l’espace qu’il
contient ne l’est pas, et il en va de même quand

256
le corps meurt, le Soi en lui demeure éternel. Il
est distinct de la Mâyâ causale et de ses effets.
Il est pure Connaissance. H illumine l’Etre et le
Non-Etre également et il est sans attributs. Il est
le témoin de l’intellect dans les états de veille, de
rêve et de sommeil profond. Il resplendit en tant
que « Je-Je », selon une expérience directe et tou­
jours présente. Connais ce Suprême Soi au moyen
d’un mental uni-pointé et connais « ce Je est
Brahman ». Ainsi par l’intellect tu peux connaître
le Soi en toi-même, par toi-même, et par ce moyen
franchir l’océan de la naissance et de la mort, et
être de ceux qui ont accompli le but de la vie
et demeurer à jamais en tant que le Soi.
« Prendre à tort le corps ou le non-Je pour le
Soi-même «si la cause de toute misère, c’est-à-dire
de tout esclavage. Cet esclavage survient par igno­
rance de la cause de la naissance et de la mort,
car c’est par ignorance que les hommes considè­
rent ces corps inanimés comme réels, les prenant
abusivement pour le Soi et les sustentant avec les
objets des sens et se faisant finalement détruire
par eux, tout comme le ver à soie se protège à
l’aide des fils qu’il sécrète, mais est finalement
détruit par eux. Pour ceux qui prennent la corde
pour un serpent la splendeur intégrale et pure de
l’état premier est voilée par tamas, de même que
la tête du dragon recouvre le soleil lors d’une
éclipse, et en conséquence l’Esprit (Purusha) oublie
sa réalité. Il est dévoré par le dragon de l’illusion
et, prenant à tort le non-Soi pour le Soi, est domi­
né par les états mentaux et submergé dans l’océan
insondable du samsâra rempli du poison des jouis­
sances sensorielles et, tantôt sombrant, tantôt fai­
sant surface, il ne trouve pas d’issue. Tels sont
les tourments causés par le pouvoir de projection
de rajas combiné avec le pouvoir d’obnubilation
de tamas. De même que les couches de nuages
257

17
causées par les rayons du soleil augmentent au
point de cacher le soleil lui-même, de même l’es­
clavage de l’ego causé par l’ignorance dans le Soi
s’étend au point de cacher ce Soi.
« Tout comme la gelée et les vents froids, nous
éprouvent par une journée d’hiver quand le soleil est
caché par les nuages, de même lorsque tamas re­
couvre le Soi le pouvoir de projection de rajas
abuse les ignorants leur faisant prendre le non-Soi
pour le Soi et les afflige de nombreux tourments.
C’est donc par ces deux pouvoirs seulement que
le Soi a été réduit à l’esclavage. Considérant cet
arbre du samsâra, tamas est la graine, l’idée « je
suis corps » est la pousse, le désir est la jeune
feuille» l’activité est l’eau qui le fait pousser, le
corps est le tronc, les vies successives de l’homme
sont les branches, les organes sensoriels les
rameaux, les objets des sens les fleurs, et les di­
verses afflictions causées par l’activité les fruits.
L’ego est l’oiseau perché sur l’arbre et savourant
ses fruits.
« Cet esclavage du non-Soi, né de l’ignorance,
cause de peines sans fin par la naissance, la mort
et la vieillesse, est sans commencement, cepen­
dant son abolition complète peut être opérée de
la façon que je te dirai. Aie foi dans les Védas
et accomplis toutes les actions qu’ils prescrivent
sans en rechercher aucun profit. Cela purifiera
ton mental. Avec ce mental purifié médite inces­
samment et ce faisant tu connaîtras directement
le Soi. Cette connaissance de Soi-même est l’épée
affilée qui tranche net les liens. Aucune autre arme
ou invention n’est capable de les détruire, ni vent,
ni feu, ni même des actions sans nombre.
«Le Soi est recouvert par les cinq gaines elles-
mêmes causées par le pouvoir d’ignorance. Il est
caché à la vué comme l’eau d’un étang recouvert
258
d’herbes. Lorsque les herbes sont enlevées, l’eau
est révélée et peut être utilisée par l’homme pour
étancher sa soif et le rafraîchir de la chaleur. De
la même façon en procédant par élimination, tu
dois* avec un intellect aiguisé, dépouiller le Soi
des cinq gaines objectives en tant que « pas ceci,
pas ceci». Connais le Soi qui est distinct du corps
et de toute forme, comme une tige d’herbe dans
ses fourreaux foliacés. Connais-le en tant qu’in­
térieur, pur, unique dans son essence, sans atta­
ches, sans tâches à accomplir, toujours béatifique
et resplendissant de soi-même. Celui qui est déli­
vré réalise que toute la réalité objective, qui est
surimposée au Soi comme l’idée d’un serpent
l’est à la corde, n’est au fond pas autre que le
Soi, et qu’il est lui-même le Soi. Donc l’aspirant
avisé doit s’appliquer à la discrimination entre le
Soi et le non-Soi. Parmi les cinq gaines (nourri­
ture, souffle vital, mental, intellect et béatitude),
le corps grossier est créé de nourriture, la consom­
mation le fait croître et l'abstention périr. C’est
la gaine alimentaire. Composé de peau, de sang,
de chair, de graisse, de moëlle, d’excréments et
d’urine, il est des plus répugnants. Il n’a pas d’exis­
tence avant la naissance ou après la mort mais
apparaît entre elles. Il est soumis au changement
à tout moment. Aucune loi établie ne gouverne
ce changement. C’est un objet, comme un vase, il
est inanimé et revêt une variété de formes. D’au­
tres forces agissent sur lui. Le Soi, d’autre part,
est distinct de ce corps et il est unique, éternel
cl pur. Il est indestructible, quand bien même le
corps et ses membres sont détruits. Le Soi est le
témoin qui connaît les caractéristiques du corps,
sos modes d’activité et ses trois états. Il est en
éveil de soi-même et dirige le corps. Tel étant le
contraste entre le corps et le Soi, comment le corps
Hcruit-il le Soi ? Le sot pense qu’il est le Soi.
259
L’homme d’action avisé doué de quelque discri­
mination prend corps et âme ensemble pour « Je »,
mais l’homme réellement sage qui poursuit la re­
cherche avec ferme discrimination se connaît tou­
jours soi-même en tant que le Suprême Brahman,
l’Etre qui est de sa propre nature. L’idée «je suis
le corps » est la graine de toute tristesse. Par
conséquent, tout comme tu ne t’identifies pas à
ton corps-ombre, corps-image, corps-rêve, ou au
corps que tu as dans ton imagination, cesse éga­
lement d’associer le Soi de quelque façon avec le
corps de peau, de chair et d’os. Fais tous tes
efforts pour extirper cette erreur et, t’en tenant
fermement à la connaissance de la Réalité en tant
que l’Absolu Brahman, détruis le mental et ob­
tiens la Paix Suprême. Alors tu ne connaîtras plus
de naissance. Même un savant érudit qui comprend
parfaitement le sens du Vêdânta ne peut aucune­
ment espérer la Délivrance si, en raison de l’illu­
sion, il ne peut abandonner l’idée que le corps
non-existant serait le Soi.
« Maintenant venons-en au corps vital de prâna,
qui est le souffle vital avec les cinq organes d’ac­
tion. La gaine alimentaire précédemment citée
entre en acï|?ité lorsqu’elle est remplie par cette
force vitale. Ce n’est qu’une modification de l’air,
et comme l’air elle entre dans le corps et en sort.
Elle ne connaît pas ses propres désirs et antipa­
thies pas plus que ceux des autres. Elle dépend
éternellement du Soi. Donc le corps vital ne peut
être le Soi.
« La gaine mentale est constituée du mental avec
les facultés de perception. Elle est la cause du
faux concept du Soi pris en tant que « moi » et
« mien ». Elle est très puissante car elle est douée
d’une diversité de formes de pensée, à commen­
cer par la pensée « Je ». Elle remplit et pénètre

260
la gain» vitale. Le feu toujours flambant de la
gaine mentale consume ce monde entier, allumé
par les cinq organes sensoriels qui représentent
les prêtres officiants, alimenté par les objets des
sens qui seraient le combustible, et maintenu em­
brasé par les tendances latentes. Il a pas d’igno­
rance à part le mental II est la cause de l’escla­
vage de la naissance et de la mort, Avec l’émer­
gence du mental toute, chose apparaît ¡et avec sa
disparition tout cesse. Dans Pétât de rêve, dans
lequel il n’y a pas d’objets, le mental crée son
monde onirique âf jouisseurs eî tutfNI par ses
propres pouvoirs. De même, tout ce qu’il perçoit
dans l’état de veille est sa propre manifestation.
Selon l’expérience de chacun rien n’apparaît
quand le mental fond dans le, sommeil profond.
Donc l’esclavage du semsém est seulement surim­
posé au Soi par le mental. En fait il n’a pas
de réalité. Tout comme le vent rassemble les nua­
ges dans le ciel et ensuite les disperse, de même
le mental cause l’esclavage mais aussi la Déli­
vrance. Le mental crée d’abord chez l’homme un
attachement au corps et à tous les objets des sens,
et le voilà lié par son attachement comme une
bête à la longe. Sous l’influence de rajas et de
tamas il est affaibli et empêtre l’homme dans le
désir du corps et des objets, mais sous l’influence
de sattwa il rompt avec rajas et tamas et atteint
le non-attachement et la discrimination, et rejette
les objets des sens comme du poison. Par consé­
quent le chercheur avisé en quête de la Délivrance
doit d’abord s’établir fermement dans la discrimi­
nation et l’absence de désir. Le mental est un grand
tigre qui rôde éperdu dans l’immense jungle des
objets des sens. Alors les aspirants doivent s’en
écarter. C’est seulement le mental qui évoque
devant le Soi les objets subtils et grossiers et toutes
les variations de corps, de caste, de stades de la

261
vie, de qualités et d’actions, de causes et d’effets.
Ainsi, il tente et abuse le Soi, qui est en réalité
pure intelligence détachée, le liant avec les qua­
lités du corps, des sens et de la vie, et l’abusant
avec ridée de « moi » et de « mien » rapportée aux
fruits de l’action qu’il crée. Au moyen de cette
fausse représentation le mental crée le mythe du
samsara (l’esclavage) pour l’Esprit. Ceci est la
cause première de la peiné entraînée par la nais­
sance et la mort qui lie ceux qui sont sujets aux
fautes de rajas et tamas et qui manquent de dis­
crimination. De même que les masses de nuages
tournoient dans l’air, de même le monde entier
tournoie dans l’illusion du mental. Par conséquent
ceux qui connaissent la Réalité déclarent que le
mental est ignorance. Celui qui cherche la Déli­
vrance doit examiner son mental par ses propres
efforts, et une fols que le mental est purifié par
une telle introspection, la Délivrance est obtenue
et apparaît évidente et naturelle. Fort du désir
de la Délivrance tu dois extirper tous les autres
désirs, renoncer à l’activité et te vouer à la préoc­
cupation constante de la Vérité (shravana manana)
qui te mènera à la méditation perpétuelle (nidhi-
dhgâsana). C’est alors seulement que les vagues
du mental peuvent être calmées. Donc même cette
gaine mentale ne peut pas être le vrai Soi, puis­
qu’elle a Un commencement et une fin, qu’elle est
sujette aux modifications et caractérisée par la
douleur et la peine, et qu’elle est un objet de per­
ception.
« L’intellect avec les cinq facultés de percep­
tion est la gaîne mjnâna mâyâ et il est aussi la
cause de l’esclavage pour l’Esprit. C’est une modi­
fication du Soi Non-manifesté, Sans-commen­
cement, qui a assumé la forme de l’ego et conduit
toutes les activités à travers la lumière réfléchie
de la conscience. C’est l’agent conscient de l’acti-

262
vité, et ses attributs sont l’intelligence et les actions.
Il considère le corps et les sots en tant que « moi »
et leur mode de vie, les devoirs, les actions et qua­
lités en tant que « miens ». Il accomplit de bonnes
ou de mauvaises actions comme cela est prescrit
par ses tendances antérieures, et en conséquence de
ces actions, il atteint des fiio n s supérieures ou
inférieures et il y vagabonde jusqu’à ce qu’il soit
attiré par là renaissance dans quelque matrice
séduisante, H expérimente les états de veille, rêve
et sommeil profond et les fruits agréables ou désa­
gréables de ses actions, A l’intérieur de cette gaine
de connaissance, le Soi palpite en tant que la Lumiè­
re x*esplendissant d# soi-même, l’Ame suprême,
itomogène, la Vérité» toute pénétrante, complète,
immuable, le Suprême Seigneur. Cependant le Soi
assume des limitations par la fausse surimposition
que l’intellect lui fait subir dans cette gaine, parce
qu’il lui est proche, et en fait, le plus proche de
scs accessoires. En conséquence il est abusé au point
de croire qu’il est cette gaine. Tout comme un vase
pourrait sembler être différent de son argile, de
même il s’imagine être différent de lui-même et être
l’agent et le jouisseur, et semble être limité de telles
façons, bien qu’il soit comme le feu dans un boulet
incandescent, inaffecté par la forme du boulet. »
Le disciple dit en réponse au Guru : « Maître,
j’accepte votre dire suivant lequel, que ce soit par
illusion ou non, le Suprême Soi en est venu à se
considérer comme l’ego. Mais puisque cette surim­
position du concept ego est sans commencement,
elle ne doit pas avoir de fin non plus. Comment
donc peut-il y avoir Délivrance ? Mais s’il n’y a pas
Délivrance, le concept ego devient éternel et l’es­
clavage également devient éternel. Veuillez m’éclai-
rcr sur ce point ».
A cela le Maître répond : « Voilà une bonne ques­
tion, savant disciple. Alors écoute mon explication

263
avec un mental uni-pointe. Tout ce qui a été évoqué
par l’illusion doit être examiné à la pure lumière
de l’intelligence. Les choses apparaissent réelles tant
que dure l’illusion et périssent comme irréelles et
inexistantes dès qu’elle passe, dé même que l’illu­
sion d’un serpent vu dans un morceau de corde
apparaît réelle tant que dure cette illusion. En réa­
lité le Soi est sans attache, sans agit, sans caractère
distinctif, immuable, sans forme, Etre-Conscience-
Béatitude, le Témoin Intérieur. Il n’a nulle rela­
tion avec quoi que çe soit. Penser qu*H en a est
pure illusion comme l’apparence de bleu dans le
ciel. La fausse attitude de l’ego envers le Soi est due
à la relation avec le véhicule faux et sans commen­
cement, mais même ce sens de relation est le résul­
tat de l’illusion. Bien que cette attitude de l’ego
envers le Soi fût sans commencement, cela ne le
rend pas réel, L’eau devient claire dès qu’on en
retire la saleté, il en va de même avec le Soi quand
les effets de l’ego et ses faux accessoires tombent et
que l’ignorance disparaît grâce à la discrimination
entre le Soi et le non-Soi. Alors apparaît, resplen­
dissant de soi-même, la véritable Connaissance de
l’Unité de Dieu et du Soi.
« Le rejet de l’ignorance sans commencement
avec sa cause et ses effets, ses corps et ses états, est
comme la cessation de la non-existence avant qu’elle
ne devienne manifeste (1) ou la cessation d’un rêve
qüand survient l’état de veille. La Délivrance de
l’esclavage du faux concept ego ne peut jamais se
produire que grâce à la connaissance acquise par la
discrimination entre le Soi et le non-Soi. Donc toi
aussi tu dois discriminer pour enlever l’ego non-
existant. Même cette gaine intellectuelle est sujette
au changement : elle est inanimée, partie d’un tout1

1. P ar exemple la forme d’un vase d’argile avant que l’argile


ne se manifeste comme vase.

264
et objet de perception, par conséquent elle ne peut
être l’Atman. Le non-éternel peut-il jamais devenir
éternel ?
« Abordons maintenant la gaine de Béatitude |
ce n’est qu’une modification de l’ignorance sur
laquelle le Suprême Soi est réfléchi. Elle se révèle
à volonté dans tous les trois états de veille, de rêve
et de sommeil profond, et procure les différents
modes de béatitude venant de la perception,, de
l’obtention et de la jouissance des choses. Elle est
expérimentée sans effort par tous dans une certaine
mesure dans le sommeil profond, mais les sâdhus
qui ont pratiqué la discrimination jouissent de sa
béatitude perpétuellement, sans effort et en toute
plénitude dans l’état de sommeil profond. Pourtant,
même cette gaine de Béatitude ne peut pas être le
Suprême Soi, puisqu’elle est sujette au changement
et possède dés attributs. Elle est l ’effet ¡de bonnes
actions passées, elle est une modification de Pra-
kriti et elle demeure dans les autres gaines qui
sont elles-mêmes aussi des modifications. Si par
le rejet des fausses idées, toutes les cinq gaines
sont éliminées^ le Soi seul est éprouvé en tant
que «Je-Je». Il demeure seul, entier et conscient
de Soi-même, distinct des cinq gaines, témoin des
trois états, resplendissant de Soi-même, immuable,
immaculé, Béatitude sans fin. Il est comme Dêva-
datta (1) qui n’est ni le vase ni ne participe de sa
nature, mais qui est seulement le témoin. Le Soi
n’est pas les cinq gaines, qui sont des objets, il ne
participe pas non plus à leur nature, mais il est leur
simple témoin. »
Ce à quoi le disciple répond : « O Maître, après
avoir rejeté les cinq gaines comme irréelles, je ne
trouve rien qui demeure que le vide. Alors qu’y
a-t-il à connaître en tant que «Je-Je», en tant
que la vérité du Soi ? »1
1. Nom qui sert simplement d’illustration.

265
Le Guru réplique : « O savant disciple, tu es
habile à la discrimination et tu as dit la vérité.
La règle de la recherche ou perception est : « Ce
qui est perçu par quelque chose d’autre a cette
dernière chose pour témoin. Quand il n’y a pas
d’agent de perception, il n’est pas question que la
chose ait été du tout perçue. » En conséquence, le
Soi, en tant que conscience, connaît non seule­
ment soi-même mais aussi l’existence de l’ego
avec ses modifications variées aux noms et formes
transitoires et leur nescience. Donc c’est le Soi qui
est leur témoin. Au-delà il n’y a rien à connaître.
Il est éveillé à soi-même par sa propre splendeur
et ainsi il est son propre témoin. Il est unique et im­
muable dans les états de veille, de rêve et de som­
meil profond. Il se fait connaître en tant qu’Etre-
Conscience-Béatitude et il est resplendissant de soi-
même dans le cœur en tant que « Je-Je ». Au moyen
de ton intellect aiguisé, sache que cet éveil béati-
fique éternel est le Soi ou « Je ». Le sot prend la
réflexion du soleil dans l’eau d’un vase pour être
le soleil ; l’homme avisé élimine vase, eau et
réflexion et connaît le soleil dans le ciel tel qu’il
est réellement, unique et inaffecté, mais les illu­
minant tous trois. De la même façon le sol, par
erreur et fausse perception, s’identifie avec l’ego
et avec sa lumière réfléchie éprouvée au moyen de
l’intellect. L’homme avisé et discriminant élimine
corps, intellect et lumière réfléchie de la
conscience et scrute profondément son vrai Soi
qui les illumine tous trois, tandis qu’il demeure uni­
forme dans l’éther du cœur. Ainsi il réalise le
témoin étemel qui est Connaissance Absolue, illu­
minant tout. Il est subtil et tout-pénétrant, ni Etre
ni Non-Etre, sans intérieur ni extérieur et il est
resplendissant de soi-même. Réalisant cela, il est
libéré des impuretés de l’ego. Il n’est plus soumis
à la naissance ni à la mort. Il est exempt de la

266
souffrance et devient l’essence immuable à la ferme
Béatitude. Le Jnâni qui, par expérience, a réalisé
que son Soi est Brahman comme II l’est vérita­
blement, en tant que Vérité, Connaissance, Béati­
tude sans fin, l’Unique Essence, éternelle, illimitée,
pure, sans-attache et indivisible, non seulement ne
retourne pas à l’esclavage mais il est ce Brahman
Lui-même, adwaita, le Non-Duel. C’est-à-dire
que la connaissance de l’identité de Brahman et
du Soi est la cause première de la libération de
l’esclavage. Pour celui qui aspire à la Délivrance
il n’y a pas d’autre moyen de libération de l’escla­
vage que la connaissance de l’identité de Brahman
et du Soi. Donc, toi aussi, par ta propre expérience,
connais ton Soi en iant que toujours « Je suis
Brahman », « Brahman je-suis », « Brahman seul je-
suis ».
« Puisqu’il n’y a rien d’autre que Brahman, Il
est le suprême Adwaita. Le vase fait d’argile n’a
pas d’autre forme que celle de l’argile. Nul ne peut
montrer le vase si ce n’est au moyen de l’argile.
Le vase n’est qu’une illusion de l’imagination et
existe seulement de nom, puisqu’il n’a pas d’autre
réalité que celle de l’argile. Pareillement, l’univers
entier est une surimposition (de la forme) à
Brahman bien qu’il semble en être séparé. Le
substratum Brahman transparaît à travers l’illusion
surimposée. Cette dernière est en réalité inexis­
tante, comme le serpent vu dans la corde. Le
manifeste n’est qu’une illusion. L’argent vu
dans le substratum de la nacre n’a pas d’existence
séparée de celle-ci, mais il est la nacre elle-même.
De même, la manifestation n’a pas d’existence
séparée de son substratum Brahman. Tout ce qui
apparaît, ô sâdhu, aux illusionnés en tant que le
monde manifesté des noms et formes, en raison de
leur ignorance et fausse connaissance, toute objec­
tivité qui apparaît réelle, tout ceci quand on réalise
267
véritablement ce qu’il en est, est l’effet de Brahman
et est surimposé au substratum Brahman. Ce n’est
qu’en raison de l’illusion que le monde manifesté
parlât être réel et que e’est Brahman, son substra­
tum qui serait surimposé. En réalité tous ces noms
et formes ne sont rien du tout. Ils sont un mythe
pur et simple et n’ont pas d’existence en dehors
de leur substratum qui est Brahman. Ils ne sont
que l’Etre-Conscience-Béatitude qui ne se lève ni ne
se couche. Si l’on soutenait que le monde manifesté
à quelque existence en dehors de Brahman, cela
ruinerait l’infinité de Brahman. Cela contredirait
aussi l’autorité de YAtharva Vêda qui déclare en
termes non équivoques s « Tout ce monde est en
vérité Brahman ». Cela établirait également que
le Seigneur Omniscient a prononcé une fausseté
quand II a dit : «Tous ces éléments ne sont pas
en Moi. Moi, l’indivisible Entier, ne suis pas en
eux ». Les Mahâtmas, qui sont les vrais sâdhus,
n’accréditeraient pas ces contradictions. Qui plus
est, le monde extérieur n’existe pas dans l’état de
sommeil profond et, s’il est investigué, on voit qu’il
est irréel, comme le monde du rêve. Donc n’im­
porte quelle déclaration prononcée par des sots
telle que : « le monde manifesté a sa propre exis­
tence en dehors de son substratum Brahman »,
est aussi fausse que les paroles vaines d’un homme
parlant dans son sommeil. C’est Brahman Lui-
même qui brille partout, uniforme et complet.
C’est cette Vérité que les Illuminés (Jnânis)
connaissent en tant que l’Un sans second, sans
forme, inactif, non-manifesté, indestructible, sans
commencement ni fin. Il est Vérité, Pureté abso­
lue, essence de pure Béatitude. Il ne contient
aucune des différences internes qui sont la créa­
tion de Mâyâ. Il est éternel, continu, pur-imma-
culé, sans tache, sans nom, indifférencié, resplen­
dissant de soi-même, au-delà des triades eonnais-

268
seur-connaissance-connu, absolu, pur, Conscience
ininterrompue, toujours brillant.
« Disciple bien-aimé, ce Soi ne se retient ni ne
s’abandonne. Il est au-delà de la perception et de
l’expression. Il est immensurable, sans début ni fin,
Cette infinité de Brahman est mon Soi et le tien
et celui de tous les autres individus. Des textes
célèbres tels que i « Cela tu l’es » révèlent l’identité
entre le Brahman connu en tant que « Cela » et
l’individu connu en tant que «tu ». L’identité n’est
pas prouvée par le sens littéral de « cela » et de
«tu». Le sens littéral de «cela» est la Mâyâ
d’Ishwara qui est la cause de l’univers, et le sens
littéral de « toi » c’est les cinq gaines de l’ego. Ce
sont des surimpositions illusoires, la cause et
l’effet de fantômes illusoires. Leurs qualités sont
opposées les unes aux autres, comme le soleil et
le ver luisant, le roi et l’esclave, l’océan et le puits,
le Mont Meru et l’atome. Il ne peut pas y avoir
identité entre Brahman et l’individu au sens litté­
ral de « Cela » et « toi », et ce n’est pas de cette
façon que les écritures postulent l’identité.
« [La science du sens second des mots est appelée
lakshanâ et elle est de trois sortes. La première
est appelée jahatî-Iakshanâ, la seconde ajahatî-laks-
hanâ et la troisième jahatî-ajahati-lakshanâ.
Dans la première, le sens premier d’un terme est
rejeté et le sens second retenu ; dans la seconde,
le sens premier est retenu et le sens second rejeté ;
dans la troisième, le sens premier et le sens second
ne sont que partiellement rejetés et retenus cha­
cun.] (1). Parmi ces trois variétés, on peut omettre
les deux premières comme étant inutiles pour notre
propos et conserver la troisième. Suivant celle-ci,
dans un texte tel que « Il est ce Dêvadatta » nous
éliminons les aspects contradictoires de Dêvadatta1

1. Ce passage entre crochets est inséré par l’éditeur anglais.

269
manifestés en des lieux et temps différents pour
nous concentrer sur l’identité de Dêvadatta lui-
même quelques soient les conditions dé lieu et de
temps. De même, dans le texte en question, nous
éliminerons les attributs contradictoires, objec­
tifs, inexistants de « cela » et de « toi » en tant
que « pas ceci » et « pas ceci » (je ne suis).
Tu peux faire ceci sur l’autorité des Védas qui
rejettent la dualité surimposée à Brahman, et
aussi par ta propre intelligence. Si des attributs
tels qu’un bouclier pour un personnage royal et
une plaque de propriété pour un esclave sont enle­
vés, tous deux appartiennent pareillement au genre
humain. De la même manière le texte (au sujet
de «cela » et de «toi») déclare l’identité naturelle
entre Ishwara et l’individu dans leur aspect rési­
duaire de Conscience, séparé des formes â,lshwara
e| de l'individu. Il n’y a pas dé contradiction à cela,
puisque la Conscience est l’essence unique, inin­
terrompue des deux. Grâce au toucher des Mahât-
mas, connais cette identité bénie de Brahman et
du Soi en rejetant comme « pas moi » le corps
inexistant. Connais par ton propre et clair intellect
que Brahman est ton Soi, existant de soi-même,
subtil comme l’éther, toujours radieux, vrai, éveil,
béatitude, indivisible et entier.
« Vraiment « tu es Cela », le Soi qui est le
Brahman non-duel, pur et exquisément serein, la
Vérité hormis quoi il n’est rien. Il en est ainsi par­
ce que, même dans cet état de veille, le monde, le
corps, avec ses organes sensoriels, l’ego, qui,
en raison de l’ignorance semble être séparé du
Soi, et le souffle vital, sont de simples mythes. « Tu
es Cela » parce que, au temps de l’état de rêve,
l’espace et les objeté èt leur connaissant sont tous
Créés p tï le soMbaell et sont purement illusoires.
« Tu es Cela » parce que ce monde entier émane
de Brahman, qui seul EST, et il est Brahman
270
r

Lai-même, tout comme des vases d’argile sont


l’argile même car ils sont certes faits d’argile. Ce
Brahman est inaffecté par le sextuple changement
de la naissance, la jeunesse, la croissance, la
vieillesse, la décrépitude et la mort. Il n’a pas de
caste ou de coutume, de tribu ou de famille, de nom
ou de forme. Il est sans attributs. Il n’a ni mérite,
ni démérite, ni afflictions mentales ou physiques.
Il est libre des six maux de la faim, la soif,
la tristesse, l’illusion, la vieillesse et la mort. Il n’a
pas de temps, d’espace ou d’objectivité. Il ne peut
être décrit par les mots. Le mental grossier ne peut
l’atteindre. Il ne peut être appréhendé que par
l’œil de la sagesse et expérimenté dans le cœur
du Yogi, au for de son être, et non par l’usage de
quelque organe. C’est le substrat du monde illusoi­
re qui semble Lui être surimposé. Il est la cause de
l’émanation, de la préservation et de la réabsorp­
tion du monde. Il est la Cause Suprême, qui elle-
même n’a pas de cause ; tous les mondes aux noms
et formes sont ses effets et cependant II est distinct
de la cause et de l’effet. Il est distinct de l’Etre
et du Son-Etre. Bien que, en raison de l’illusion,
Il apparaisse comme de l’or dans ses aspects
et ses modifications aux noms et formes variés,
pourtant II n’a ni nom ni forme, ni attributs ni
modifications. En Lui point de déséquilibre. Il
est immuable, comme un océan sans vagues. Il est
éternel, sans forme, intact, incomparable, toujours
libre, indestructible, pur, sans commencement. C’est
ce au-delà de quoi il n’y a rien. Il est complet,
non composé d’éléments ou de parties. Il est Etre-
Conscience-Béatitude, uniforme, indivisible Béati­
tude. Il est unique en essence. Ce Brahman qui est
tout ceci, «Cela tu l’es». Médite sur la vérité de
tout ceci dans ton cœur continuellement, sans
interruption, calmement, raison et intellect aigui­
sés. Alors tu obtiendras la Connaissance essen-
271
tielle exempte du doute, aussi claire que de l’eau
dans le creux de la main. La Connaissance dans
le corps avec ses facultés est comme un roi au
milieu de sa vaste armée, et cette Connaissance est
le Soi, et elle est Brahman. Connais ceci par la
discrimination. Considère toutes les autres choses
distinctes en tant que Ceci Même et demeure tou­
jours en tant que ce Soi. Par cette demeurance tu
atteindras la Béatitude et la paix de l’Etre.
« Au plus profond de l’Intellect est l’unique
vérité de Brahman, distincte de l’Etre et du Non-
Etre. Celui qui demeure éternellement en tant que
cette Vérité même n’est jamais ramené à la nais­
sance dans le corps.
« Quoique l’homme sache que «ici est vrai, le
Sentiment « Jé suis l’agent », « Je suis le jouisseur »
s’élève vigoureusement en lui en raison de l’escla­
vage (samsâra) causé par les vâsanâs (tendances
innées) puissants et sans commencement qui sou­
vent lui font obstacle. Refrène ces tendances dès
l’instant où elles apparaissent, par tes efforts per­
sonnels, par la ferme demeurance dans le Soi, par
une vision du Soi. Des Sages tel Vasishta ont
déclaré que le dépérissement des vâsanâs est assu­
rément la Délivrance. La réalisation du Soi tel
qu’il est ne vient pas des tendances à l’activité
profane ou sensorielle ou d’une étude prolongée
des écritures. Pour ceux qui recherchent la déli­
vrance de la prison ou de l’océan du samsâra, les
triples tendances précédemment citées ne sont que
fers, disent ceux qui sont réalisés. Donc il faut
renoncer à l’attachement au monde, aux écritures
et au corps, et réaliser pleinement que le corps est
soutenu par la force du prârabdha (karma passé).
Par conséquent tu dois courageusement renoncer
à ces attachements et lutter énergiquement pour
triompher de tamas par le pouvoir de sattwa et de

272
rajus, ensuite de rajas pas* un satlwa mêlé, et
enfin du satlwa mêlé par le satlwa pur. Tu dois ac­
complir ceci avec un mental ferme et serein, aidé
par les grandes formules telles que « Tu es Cela »
qui proclament l’identité entre le soi individuel et
Brahman. Cherche par le raisonnement et l’expé­
rience à te débarrasser des vâsanâs, de façon à
avoir une foi inébranlable en Brahman, et extirper
complètement du corps et des sens le sentiment
de « je » et de « mien » qui apparaît constamment
comme résultat de la surimposition. Ceci est à
réaliser par la ferme demeurance dans le Soi Un
Indivisible dans le Cœur, et par la méditation sur
l’expérience incessante de la connaissance de
l’unité de Brahman et du Soi de la façon suivante :
«Je ne suis pas l’ego. Je suis l’incessante Perfec­
tion de Brahman expérimentée en tant que Je, le
Témoin des formes de pensée », Il faut persister
dans cette méditation jusqu’à ce que le sens de
l’ego soit complètement extirpé du corps, sans
laisser de trace, et que le monde des individus
apparaisse comme un rive. Celui qui médite n’a
pas de travail à faire sauf de mendier et d’accom­
plir ses fonctions naturelles. Il ne doit jamais
oublier le Soi en cédant à des discours profanes
et aux objets des seps. Le bois d’agil est naturel­
lement parfumé, mais son parfum est masqué par
une mauvaise odeur quand il est mis en contact
avec l’eau, et il est riv éli quand il est frotté. La
pratique constante de la méditation c’est ce frot­
tage. Les tendances latentes du mental ne sont
enlevées que dans la mesure où il s’établît dans
le Soi. C’est par une telle demeurance constante
dans le Soi que le mental du Yogi est détruit. Et
par la destruction du mental les tendances « uon-
Soi » extérieures du cœur sont complètement déra­
cinées. Alors l’expérience du Suprême Soi qui
était auparavant voilée par la magie des vâsanâs,

273

18
resplendit comme le parfum de la crème de san­
tal immaculée.
« Quel que soit l’angle sous lequel on l’examine,
l’ego, avec toutes ses facilités, s’avère être irréel,
limitation momentanée, inerte, inanimée et inca­
pable de réaliser l’Unique. Le Suprême Soi est dif­
férent à la fois des corps grossier et subtil. Il est
le témoin de l’ego avec ses facultés et il existe
toujours, même dans le sommeil profond. Les
textes disent : « Il est sans naissance et sans mort ».
Il est immuable et distinct également de l’Existant
et du non-ExistanL L’ego ne peut jamais lire le Soi
réel, le vrai sens de « Je ». Tiens-toi à distance de ce
corps impur comme tu le ferais d’un hors-caste.
Renonee au sens du « je » dans le corps grossier
et à tous les attachements dus au mental, au nom
et à la forme» à la tribu ëè à la famille, à la caste
et à l’ordre social. Renonce aussi à l’attachement
au corps subtil, à sa nature et au sens d’être l’agent.
Trouve le sens de « je » dans le Soi, qui est Vé­
rité» Connaissance et Eternité. De même que l’air
dans un vase fait partie de l’air extérieur, de même
conçois le Soi comme étant ce Brahman resplen­
dissant de soi-même qui est le substrat de tout,
en lequel le monde est vu reflété comme une cité
dans un miroir ou comme des ombres projetées.
Pense à toi-même en tant que « Cela je le suis »,
sans parties, sans forme, sans activité, sans dua­
lité, sans fin, Etre-Conscience-Béatitude. Connais
le Soi tel qu’il est réellement. Abandonne ce faux
soi physique tout comme un acteur abandonne son
rôle et demeure lui-même. Par la connaissance
acquise au moyen de la recherche de Soi-même,
rejette tant le microcosme que le macrocosme
comme irréels et, établi dans l’immobilité ininter­
rompue, demeure toujours en repos dans la par­
faite Béatitude en tan* que Brahman Inconditionné.
274
Ainsi donc obtiens la Paix suprême, qui est le but
de la vie.
« Quoique des obstacles variés contribuent à
l’esclavage de l’âme, leur cause première à tous
est l’apparition du faux sens de l’ego. C’est par
la surimposition de l’ego sur le Soi que cet escla­
vage de la naissance, de la mort et de la souffrance
t’est survenu, toi qui es par nature Etre-Conscience-
Béatitude à la gloire illimitée, éternel, unique en
essence, immuable. Un tel esclavage ne te revient
pas par nature. Tout comme il n’est pas de bonne
santé tant que l’effet d’une trace de poison subsiste
dans le corps, de même il ne peut y avoir de
Délivrance tant que l’identification avec l’ego
continue. La connaissance de l’Identité du Soi et de
Brahman est clairement révélée aussitôt que l’ego
est complètement détruit sans résidu, conjointe­
ment à l’illusion de la multiplicité causée par l’ob­
nubilation de tamas. Donc, par investigation dans
la nature du Soi parfaitement libre, découvre la
Vérité de ton propre Soi, complet, parfait, resplen­
dissant de soi-même et toujours béatifique. Celui
qui est libéré de l’ego brille éternellement en tant
que le Soi, comme la pleine lune, irradiant quand
elle est délivrée de la tête du dragon (de l’éclipse).
Dans le cbamp du cœur te terrible cobra de l’ego
est lové autour de la Béatitude du Soi dont il
dénie l’accès ayep la triple coiffe des: gunas. Ces
trois tètes effrayantes du serpent de Togo doivent
être coupées, eu aegord MpWa les écritures, seule­
ment au prix d’un grand courage avec la puis­
sante épée de PexpérienÇe infett du Soi Celui qui
a ainsi détruit le serpent aux trois coiffes peut
obtenir le vaste trésor de la Béatitude de Brahman
et en jouir. Par conséquent, toi aussi, renonce au
sens du « je » dans l’ego, qui apparaît comme exis­
tant et présume qu’il est l’agent, tandis qu’il n’est
<iue la lumière réfléchie du Soi. Tourne vers l’in­
275
térieur toutes les formes de pensée qui adhèrent
à l’ego. Il est ton ennemi, alors tue-le avec l’épée
de la connaissance. Il t’a fait souffrir comme le
ferait une épine dans ton gosier quand tu manges.
Abandonne tous les désirs pour réaliser ton état
en tant que le Suprême Sol Jouis du royaume
du Soi, sois parfait, sois calme dans la tranquillité
de l’immuable état de Brahman.
« L’ego peut être tué de cette façon, mais si
on lui accorde une pensée, fût-ce un seul instant,
il revit et se livre à l’activité, poussant l’homme
devant lui comme le vent pousse les nuages d’hi­
ver. Sooviéhs-toi que celui qui associe le sens du
«je» au corps et à HH facultés H t lié tandis que
celui qui le dissocie est délivré.
« Les pensées des objets des sm s créent un sen­
timent de différenciation et par là même causent
l’esclavage de la naissance et de la mort. Donc
il ne faut pas donner prise à l’ego, l’ennemi qui
nourrit de telles pensées. Tout comme un tilleul
desséché produit de nouvelles feuilles si on l’arrose,
de même l’ego revit du fait de la pensée aux objets
des sens. L’accroissement des effets fait prospérer
leur germe ou leur cause, tandis que le dépéris­
sement des effets détruit aussi leur cause ; par
conséquent tu dois d’abord détruire les effets. Si
les pensées, qui sont l’effet, prospèrent, l’ego avec
ses tendances, qui est la cause, prospère également.
Les pensées suscitent des activités extérieures, et
les unes et les autres développent les tendances
et créent l’esclavage qui assujettit les âmes. Pour
échapper à cela, pensées, activité et tendances doi­
vent être toutes trois abolies. Le meilleur moyen
d’y parvenir est de s’en tenir fermement au point
de vue que : « Tout ce qui apparaît comme noms
et formes séparés est Brahman Lui-même ». Ce
point de vue doit être maintenu en tous temps, en

276
tous lieux et tous états. Le ferme maintien de cette
attitude réduit l'activité et aboutit à un déclin des
pensées» ce qui finalement détruit les tendances
latentes. Or la destruction des tendances latentes
c’est assurément la Délivrance. Alors développe
cette tendance secôurable à tout considérer en tant
que Brahma#* Il en résultera la disparition des
frêles tendances de l’ego comme celle des ténèbres
devant le soleil. Tout comme lis ténèbres avec
tons lents lugubres effets disparaissent devant le
soleil levant, de même l’esclavage avec toutes ses
peines se dissipera sans laisser de trace quand se
lèvera le soleil de l’expérience adwaïtique. Par
conséquent considère toute la manifestation objec­
tive en tant que Brahman et tiens-toi ferme dans un
état de paix (samâêhi) et de béatitude intérieure et
extérieure (nischala bhâva) tant que dure l’escla­
vage d û à ta destinée passée (karma). Ce faisant,
souviêttt-ioi toujours : « Je suis cette Béatitude
Immuable de Brahman Lui-même. »
« Cette demeurance en tant que Brahman ne doit
jamais se relâcher, car sinon, il s’ensuivra une
fausse notion de la Vérité qui sera certes fatale,
comme dit Bhagavan Shri Sanath Sujatha, le Fils
de Brahmâ. Cette fausse notion de la vérité due
à la déviation de l’état de demeurance dans la
Vérité introduit l’illusion ; l’illusion provoque l’at­
tribution du « Je » à l’ego et à ses objets, d’où l’es­
clavage qui, lui-même, entraîne la souffrance.
Donc il n’y a pas de plus grand malheur pour
l’Illuminé que la fausse intelligence et la dévia­
tion de la Réalité. Comme des plantes aquatiques
qui, même si on les écarte d’un plan d’eau ne restent
pas à l’écart mais le recouvrent à nouveau, de
même si l’homme est extériorisé, fût-il illuminé,
et si Mâyâ (l’illusion) se met à l’envelopper, il sera
ballotté dans de nombreuses directions par le faux
intellect. Ceci est dû au relâchement de sa vigi­

277
lance, à l’oubli de son véritable état, à sa sortie
vers les objets des sens. Il est comme un homme
influencé et dominé par une femme dissolue dont
il s’est enamouré. Si, à cause de la fausse intel­
ligence de la dérifftfon de la Réalité, la conscience
de l’homme glisse tant soit peu de la cible de son
propre Soi, elle pénétrera dans les choses exté­
rieures et bondira de l’une à l’autre comme une
balle s’échappe de la main et dégringole une volée
d’escalier. Elle se mettra à considérer que les ex­
périences extérieures lui sont bénéfiques et ainsi
apparaîtra le désir d’en jouir. Cela la conduira
à y participer, détruisant par là sa demeurance
dans le Soi, et il s’ensuit que l’être sombrera dans
des profondeurs dont il ne pourra jamais plus re­
monter et sera anéanti. Par conséquent il n’y a
pas de plus grand danger dans la conscience-Brah-
man qu’une fausse intelligence signifiant la dé­
viation de notre véritable état. Seul celui qui a
l’état éternel de conscience (nishta) obtient la Réa­
lisation (siddhi) et de ce fait renonce à la mani­
festation (sankalpa) née de pramada (fausse in­
telligence) et du relâchement de la pratique. Cette
fausse intelligence est la cause de tôtii déclin
tha) spirituel. Alors sois le swarûpa nishta qui est
établi à jamais dans le Soi.
« Celui qui a atteint la Délivrance dans l’état
de Brahman durant sa vie resplendira de même
façon dans l’état sans corps. Il est dit dans le
Yajur ¥ é ia : « Celui qui garde fût-ce le moindre
seps de différenciation est toujours effrayé ! »
Ceh»i qtïi voit quelque attribut de différenciation,
si petit soit-il, dans le Brahman Absolu demeurera
pour cette raison dans un état de terreur. Celui
qui localise le sens du « je » dans le corps inanimé
et dans ses objets, qui sont pourtant si méprisés
par les différentes écritures et leurs commentaires,
éprouvera tourment sur tourment comme le pé­
278
cheur qui commet des actes illicites. D’après la
discrimination entre les brigands et les honnêtes
gens, on peut voir que celui qui est voué à la
vérité échappe au malheur et remporte le succès,
tandis que celui qui est voué à l’erreur périt (1).
Nous voyons aussi que l’abandon des objets ex­
térieurs donne au mental une claire perception du
Soi, ce qui aboutit à l’abolition de l’esclavage du
samsâra. Donc l’abandon de toute réalité objec­
tive est la voie de la Délivrance. Si un homme
discrimine entre la Vérité et la non-vérité en quête
de la Délivrance et découvre la Vérité du Suprême
Seigneur par l’autorité des écritures, va-t-il alors,
comme un enfant, courir après des chimères,
tout en sachant qu’elles sont la cause de sa
destruction ? Nul n’agirait ainsi. Par conséquent
celui qui discrimine doit également renoncer et
cesser de poursuivre les objets externes qui nourris­
sent ces tendances inférieures et causent l’esclava­
ge par l’expérience de « Je suis ce Suprême Brah-
man seul, qui est Etre-Conscience-Béatitude », et
doit s’établir à jamais dans son véritable état, qui
est Béatitude. Celui qui est en état de veille ne rêve
pas et celui qui est dans l’état de rêve ne veille pas i
les deux s’excluent mutuellement. De la même fa­
çon, celui qui n’est pas attaché au corps a la Déli­
vrance mais, celui qui y est attaché ne 1% pas.
« Un être délivré est celui qui se voit en tant
qu’unique et témoin tant à l’înfÉrleur qu’à l’ex­
térieur du monde des choses mobiles et immuables,
le substrat de tout. Par sa conscience universelle
expérimentée au moyen du mental subtil il a en­
levé tous les véhicules et demeure en tant que le
Tout Absolu, Seul un tel être est délivré et il n’a1

1. Ceci fait allusion au jugement par ordalie, lorsque l’on


met un fer ronge dans lu main d’un prévenu qui est brûlé
s’il est coupable mais non pas s’il est innocent.

119
pas d’attachement au corps. Il n’y a pas d’autre
moyen de Délivrance que cette réalisation bénie
que «Tout est un Soi unique». Et cette attitude
« Tout est Un » s’obtient par la perpétuelle demeu-
rance dans le Soi et le rejet des objets sans s’y
attacher. Comment l’homme peut-il rejeter la réa­
lité objective s’il entretient l’idée « Je suis le corps »
et s’il est attaché aux choses extérieures et ac­
complit sans cesse les actions que ces dernières
lui suggèrent ? C’est impossible. Renonce donc à
toutes les actions basées sur le karma et le
dharma et, avec la connaissance du tattwa, établis-
toi en permanence dans le Soi. Prépare ton mental
pour l’immersion dans la Béatitude perpétuelle.
Cet effort te permettra de rejeter la réalité ob­
jective. C’est afin d’obtenir ce sarvatmabhava (con­
ception selon laquelle tout est le Soi) que le texte
des écritures « Shanto dantha » (calme et maître
de soi) prescrit le nirvikalpa samâdhi (résorption
identifiante) à ces chercheurs qui ont fait le vœu
de ehandrayâna (régulation de l’accroissement et de
la diminution de l’absorption de nourriture pen­
dant deux quinzaines consécutives) et qui ont aussi
accompli le shravana (audition du texte « Tu es
Cela »). Le savant qui n’a pas eu une ferme ex­
périence de nirvikalpa samâdhi, si érudit qu’il
soit, ne sera pas capable de détruire l’ego et sa
réalité objective de même que toutes les tendances
accumulées de ses existences précédentes»

« C’est le pouvoir de projection de Mâyâ en


même temps que son pouvoir d’obnubilation qui
unit l’âme à l’ego, la cause de l’illusion et qui,
par ses qualités, maintient vainement l’homme en
suspens comme un fantôme. Si le pouvoir d’ob­
nubilation est détruit, le Soi brillera de lui-même,
et il n’y aura de place ni pour le doute ni pour
l’obstruction. Alors le pouvoir de projection s’éva-
280
nouiera également, ou, persisterait-il, sa persistance
ne serait qu’apparente. Mais le pouvoiï de pro­
jection ne peut disparaître tant que le pouvoir
d’obnubilation n’aura pas disparu. Ce n’est que
lorsque le sujet est parfaitement détaché des objets,
comme Je lait de l’eau, que le pouvoir d’obnubila­
tion peut être détruit.
« La pure discrimination née de la connaissance
parfaite distingue le sujet des objets et détruit l’il­
lusion due à l’ignorance. L’homme de discrimina­
tion distingue le Réel de l’irréel, raisonnant comme
suit : « À l'instar du f f l qui se combine au fer,
l’intellect se combine à l’ignorance pour obtenir
une unité fictive avec le Soi, qui est Etre, et se
projette en tant que le monde du voyant, de la
vue et de la chose vue. Par conséquent toutes
ces apparences sont fausses, comme une illusion,
un rêve ou une imagination. Tous les objets des
sens depuis l’ego jusqu’au corps sont également
irréels, n’étant que des modifications de Prakriti,
sujettes au changement d’un moment à l’autre.
Seul le Soi ne change jamais. Le Soi, distinct du
corps, distinct de l’Existant et du non-Existant, qui
est témoin de l’intellect et signification impliquée
par le sens du «Je», singulier, éternel, indivisible,
inséparable, est certes le Suprême Soi ou la Béa­
titude éternelle incarnée. »
« De la sorte il discrimine entre la Vérité et la
non -uistiti et découvre ainsi le vrai Soi. Avec l’œil
de l’illumination, il obtient la réalisation effec­
tive du Soi et expérimente ce « Je » en tant que
la Connaissance indivisible du Brahman Absolu.
Par là il détruit le pouvoir d’obnubilation, la fausse
connaissance et les autres peines qui ont été créées
par le pouvoir de projection, comme tombe la peur
du serpent dès que l’on perçoit la réalité de la
corde (que l’on a prise pour le serpent). Libéré
de ces maux, il demeure dans un état de paix
281
parfaite. Ainsi, ce n’est qu’à l’obtention de la réa­
lisation de l’Identité Suprime i par le nirvikalpa
samâdhi que l’ignorance est détruite sans laisser
de trace et que le nœud du cœur est délié.
Comment peut-il encore demeurer quelque germe
de samsâra dans l’âme délivrée qui a réalisé l’Ideih-
lité Suprime du fait de la complète destruction
de la forêt de l’ignorance p arle feu de la connais­
sance de l’Uni té du Soi et de Brahmán ? Cette âme
n’a plus de samsâra, plus de renaissance ni de
mort. Donc l’âme discriminante doit connaître
L’Atmâ tattwa afin d’être délivrée de l’esclavage
du samsâra.
« Toutes les formes de création il d’imagination
qui apparaissent é » tant que toi, moi» ceci, etc.»
sont le résultat de Fimpureté de l’intellect. Elles
semblent exister dans le Suprême Soi Incondition-
né, Absolu, mais dans l’état d’absorption (samâdhi)
et d’expérience de Brahman elles cessent d’exister.
De même le Soi semble être divisible en raison des
différences de véhicules, mais lorsque ceux-ci sont
éliminés il brille unique et complet. La concentra­
tion perpétuelle est nécessaire pour dissoudre ces
différenciations dans l’Absolu. La larve de guêpe
qui renonce à toute activité et médite constamment
sut la guipe deviehf guêpe, et de la même façon
l’âme qui languit de Brahman d’une méditation uni-
pointée devient le Suprême Sia par le pouvoir de sa
méditation et de sa perpétuelle demeurance en
Brahman, dans l’Immobilité Absolue. Ainsi persé­
vère constamment dans la méditation sur Brahman,
et ton mental eu ressortira pœolfé de ia souillure des
trois gimas au point de devenir parfaitement pur et
il recouvrera son véritable état quand il sera mûr
pour la dissolution dans Brahman comme du sel
dans l’eau. Ceci est comparable au cas de l’or qui est
purifié de son alliage et retourne à la pureté de son
véritable état après passage par le fourneau. Le nir-
282
r

vilcalpa samâdhi ne s’obtient qu’au moyen d’une


telle pureté du mental, et par la même occasion
est réalisée la béatitude essentielle de l’Identité. Grâ­
ce à ce samadhi tous les nœuds des oâsanâs sont dé­
liés et tous les karmas passés détruits de sorte que la
Lumière du Soi est éprouvée sans effort, intérieu­
rement, en tous lieux et en tous temps. Ainsi
le subtil Brahman est atteint dans l’unique et
subtil mode mental du samâdhi, par ceux qui sont
doués d’un intellect subtil ; aucune autre voie,
aucune vue grossière n’autorise cette expérien­
ce. De même le Sage qui tient les sens internes
et externes sous contrôle dans la solitude et l’équa-
nimité, obtient la connaissance du Soi tout-péné­
trant par la perpétuelle concentration, et alors,
se débarrasant de toutes les créations mentales
causées par les ténèbres de l’ignorance, devient
sans agir et sans attributs, et demeure éternel­
lement dans la Béatitude de Brahman Lui-même.
Seul est délivré de l’esclavage du samsâra celui qui,
ayant ôhiinu le nirvikalpa samâdhi, perçoit que le
mental, les sens et les objets, les oreilles et le Son,
etc., sont inhérents au Soi, mais non pas celui qui se
prévaut d’une sagesse toute théorique. Brahman
peut être clairement éprouvé sans aucune barrière
seulement par le nirvikalpa samâdhi, car en
dehors de celui-ci le mode mental fluctue toujours
et conduit d’une pensée à l’autre. Par conséquent
contrôle les sens et le mental, et établis-toi ferme­
ment dans le Soi. Dissipe complètement les ténè­
bres de l’ignorance et aussi sa cause par l’expérience
du Soi Un et demeure à jamais en tant que le Soi.
La réflexion sur la vérité entendue est cent fois
plus puissante que sa simple audition, et la demeu-
rance dans la vérité est cent mille fois plus puis­
sante que la réflexion en question. Quelle limite
peut-on alors assigner à la puissance obtenue par
le nirvikalpa samâdhi ?

283
« Retenue dans la parole, non-acceptation de
tout ce qui provient d’autrui, conquête du désir,
renonciation à l’action, continence et solitude sont
autant d’aides dans les premiers stades de ce
samâdhi yoga. La solitude aide à calmer les sens,
et de ce fait aussi le mental. La tranquillité d’es­
prit détruit les tendances et ainsi donne l’expé-
rience perpétuelle de la Béatitude essentielle de
Brahman. Donc le yogi doit toujours s’employer
à refréner la conscience (chit). La respiration doit
s’absorber dans le mental, le mental dans l’intel­
lect, l’intellect dans le témoin, et en connaissant
le témoin en tant que la plénitude du Soi Suprême
Inconditionné, on obtient la Paix parfaite.
« Celui qui médite devient cet aspect de son être
vers lequel sa conscience est attirée : si c’est vers
le corps il devient eorps* si c’est vers les sens il
devient sens, si c’est vers le souffle vital il
devient tel, si c’est vers le mental ou l’intellect il
devient mental ou intellect. Par conséquent, ¿caf­
tant tous ceux-là, la conscience doit s’enfoncer et
obtenir la paix en Brahman* qui est la Béatitude
Eternelle.
« Celui qui, mû par le désir de la Délivrance, a
atteint la parfaite liberté des désirs, est capable de
s’établir dans le Soi et de se défaire de tout
attachement, tant intérieur qu’extérieur, lui seul
réalise la renonciation interne et externe. En outre,
lui seul est sans désirs, lui seul a le parfait non-
attachement et ainsi obtient le samâdhi, puis grâce
au samâdhi la certitude qu’il est parvenu au
tattwa jnâna qui apporte la Délivrance. Celui qui
a atteint la Délivrance a atteint la Béatitude éter­
nelle. Donc le non-attachement complet est la seule
voie pour celui qui aspire à la béatitude de l’union
avec l’épousée de la Délivrance. Non-attachement
et Connaissance de Soi-même coalisés emportent
le royaume de la Délivrance, Le non-attachement
284
et la Connaissance sont comme les deux ailes de
l’oiseau requises pour l’ascension du mont de la
Délivrance, et si l’une d’elle vient à manquer on
ne peut y parvenir. Donc renonce au désir des
choses, qui «si comme du poison ; abandonne
l’attachement à la caste, au groupe» à la position
sociale et à la destinée; cesse de localiser le sens
du « Je » dans le corps ; sois toujours centré sur le
Soi ; car en vérité tu es le Témoin, le Brahman sans
tache.
« Le Soi à la forme de Brahman, témoin de tous
les êtres manifestés, resplendissant de soi-même,
brille éternellement en tant que « Je-Je » dans la
gaine de Vijnâna, distinct dés cinq gaines. Eprou­
vé en tant que « Je », il resplendit comme la vraie
forme du Soi, expérience directe des grands
textes. Fixe ton cœur constamment sur ce Brahman
qui est le but. Laisse les sens demeurer dans leurs
centres; stabilise le corps en y demeurant indiffé­
rent ; pratique la méditation « Je suis Brahman,
Brahman je suis », sans permettre à aucune autre
pensée de pénétrer. Immobilise le mental graduel­
lement par la pratique du flot ininterrompu de
béatitude. Réalise l’identité du Soi et de Brahman
et bois le nectar de la Béatitude de Brahman en
éternelle joie. De quelle utilité sont les basses pen­
sées du corps et du monde qui sont non-Soi ?
Abandonne ces pensées non-Soi, cause de toute
tristesse. Tiens t’en fermement au Soi, le siège de
la Béatitude, en tant que «Je » et n’impute plus le
sens du « Je » à l’ego et à ses attributs. Sois-leur
indifférent comme envers des vases et des images,
et médite perpétuellement sur le Soi, qui est la
cause de la Délivrance.
« Un vase, une énorme jarre en terre pour
conserver le grain et une aiguille sont des choses
séparées, mais une fois qu’ils sont écartés il ne
285
reste plus qu’une seule étendue d’éther. Quelque
chose qui est faussement imaginé exister sur le
substrat de quelque chose d’autre n’a pas de réa­
lité séparée de la chose réelle, pas plus que n’en
a un serpent imaginé dans un morceau de corde.
Vagues, écume, bulles et tourbillons, si on les exa­
mine, se révèlent être tout simplement de l’eau.
Des vases de tailles et de formes différentes ne
sont rien d’autre que de l’argile et ils sont en fait
de l’argile. De même, tu dois rejeter les limitations
du corps, des sens, du souffle vital, du mental et
de l’ego qui sont purement illusoires. Seuls les
sots perçoivent et parlent de «je», «tu», «il» et
ainsi de suite, par illusion et sottise, ivres qu’ils
sont du vin de l’illusion {Mayà). Même leur percep­
tion de la multiplicité est contenue dans l’Etre-
Conscience-Béatitude, dans la parfaite pureté du
Soi qui, en tant que Brahman, brille comme un
tout indivisible, tel le vaste éther. Toutes les surim­
positions comme le corps et le sens de l’ego, depuis
Brahmâ jusqu’à la pierre, qui sont perçues en tant
que le monde, ne sont en réalité rien d’autre que
le Soi Un. Elles sont seulement le déploiement de
Prakriti et du Soi en tant qu’Etre pur. L’unique
et suprême Soi, inentamé et homogène, existe en
tant qu’est, ouest, nord et sud, intérieur et extérieur,
haut et bas, en tout lieu. Il est lui-même Brahmâ ;
il est lui-même Vishnu, Shiva, Indra, les dieux et
les hommes, at toute chose. Que reste-t-il à dire ?
Toute chose depuis (la triple apparence du) Dieu
Personnel, l’être individuel et le monde jusqu’au
plus infime atome n’est qu’une forme de Brahman.
Afin d’enlever la surimposition de mithya (le faux),
les écritures déclarent qu’ « il n’existe aucune dua­
lité » (Brahman est Un sans second) ; par consé­
quent tu es toi-même le Brahman non-duel, imma­
culé comme l’éther, sans intérieur ni extérieur,
sans attributs, sans changement, intemporel, sans

286
dimensions ni parties. Qu’y a-t-il d’autre à connaî­
tre ? Les écritures déclarent : « Tant que l’individu
considère le cadavre de son corps en tant que
« je » il est impur et sujet à divers maux tels que
la naissance, la mort et la maladie. » Enlève toute
réalité objective surimposée sur le Soi par illusion
et connais-toi en tant que pur, immuable Shiva ;
alors tu seras délivré, le Brahman non agissant, in­
divisible perfection. » Les Illuminés qui ont
atteint la Suprême Connaissance resplendissent en
tant qu’Etre-Conscience-Béatitude, Brahman homo­
gène, ayant entièrement renoncé à la réalité objec­
tive. Donc toi aussi, rejette ton corps grossier et
impur, et le corps subtil qui oscille comme le vent,
de même que le sens du « Je » en eux, et consi-
dère-toi en tant qu’Etre-Conscience-Béatitude,
comme l’a déclaré le Vêdânta, et demeure ainsi à
jamais en tant que le Brahman même.
« Les écritures déclarent que : « La dualité est
de la nature de l’illusion (Maya) et seule la non-
dualité est la Suprême Vérité. »L’expérience montre
que la diversité créée par la conscience cesse
d’exister dans le sommeil profond, dans lequel la
conscience est absorbée en béatitude. Les sages,
les doués de discrimination savent que le serpent
proverbial n’a pas d’existence en dehors du
substrat de la corde, ni l’eau du mirage en dehors
du sol désertique. L’expérience montre que, quand
le mental assume la nature du Soi et s’identifie
avec le Suprême Soi sans Attributs, la spécificité
mentale cesse. Toutes ces créations magiques que
l’illusion du mental développe en tant que l’uni­
vers, se trouvent ne pas avoir d’existence réelle
et se révèlent fausses lorsque la Vérité qui
se tient derrière elles est réalisée en tant que
Brahman Lui-même. Dans le Brahman non-duel
la triple réalité du voyant, de la vue et de la
287
chose vue n’existe pas. Il est le substrat dans lequel
l’ignorance, cause radicale de toute illusion de
multiplicité, est absorbée, comme les ténèbres
dans la lumière. Comme des océans qui subsistent
jusqu’à la fin du cycle temporel, la Vérité de
Brahman demeure unique, complète, pureté abso­
lue, sans agir, inconditionnée, inaltérable, sans
forme. En quoi, dès lors, peut-on parler de dualité
ou de diversité dans l’homogénéité de Brahman ?
Quand il est en état de samâdhi, le Jnâni Illuminé
expérimente dans le cœur en tant que « Je-Je » la
complétude homogène de ce Brahman éternel, béa­
titude de connaissance incomparable, non-atta­
ché, sans forme, sans agir, non qualifié, immuable,
inconditionné, sans nom et libre de tout esclavage.
Il est immobile, comme l’éther, et cependant rien
ne peut lui être comparé. Il n’a pas de cause et il
n’est donc pas un effet. Il se situe au-delà de
l’imagination. On ne peut l’atteindre qu’au moyen
de la réalisation sur l’autorité du Vêdânta. Sa
vérité est établie dans le cœur et elle est éprouvée
constamment en tant que «Je». Il est exempt de
la naissance, de la vieillesse et de la mort. En soi-
même il est éternel. Il est éternel, serein et indif­
férencié ; il est vaste et silencieux comme un
calme océan sans rivage. Pour ne pas retomber
dans le samsâra, pratique le nirvikalpa samâ­
dhi par la concentration sur Brahman, qui est
éprouvé dans lè cœur comme notre propre Soi
rayonnant, libre de toute limitation et comme
Etre-Conscience-Béatitude. Ceci détruira la cons­
cience individuelle, la cause de toute erreur, et
ainsi tu pourras délier le nœud du cœur qui suscite
les maux de la naissance et de la mort. C’est
alors que par la réalisation de toi-même tu attein­
dras la gloire de la béatitude ininterrompue et
qu’ainsi tu accompliras le but de la vie humaine,
faveur qu’il est si rare d’obtenir.

288
« Le Yogi qui a réalisé le Soi, connaissant sa
vraie nature, le grand Mahatma, montre sa sagesse
en rejetant le corps qu’il considère comme un
cadavre, simple ombre de son être qui n’existe
qu’en raison de sa destinée passée. Ce grand
Mahatma sait qu’il est la béatitude ininterrompue
du Soi. Il a entièrement consumé le corps et ses
attributs au feu de Brahman, qui est Vérité éter­
nelle et immuable. Ayant ainsi consumé le
corps, et, demeurant la conscience toujours immer­
gée dans l’océan de béatitude qui est Brahman, il
est lui-même Connaissance éternelle et Béatitude.
Comment donc se soucierait-il de nourrir, de sus­
tenter le corps ou de s’y attacher, quand il s’ali­
mente au nectar éternel de Brahman, intérieure­
ment et extérieurement ? De même que la vache
ne se soucie pas de la guirlande autour de son cou,
de même il ne se soucie pas si le corps, lié par les
cordes du karma passé, vit ou meurt. Alors toi
aussi rejette ce corps inerte et impur, et réalise le
pur et éternel Soi de sagesse. Ne songe plus au
corps. Qui se soucierait de reprendre ce qu’il a
auparavant vomi ?
« A connaître un mirage on s’en tient éloigné, et
à l’ignorer on se met à le rechercher. De même,
la connaissance conduit au chemin du retour et
l’ignorance aux poursuites profanes. L’accomplis­
sement de la connaissance de Soi-même ou de la
réalisation de Soi-même libère l’homme des maux
surgissant de l’erreur et lui apporte la satisfaction
éternelle et une béatitude sans pareille dont il jouit
à jamais ; l’ignorance, par contre, l’incite à faire
l’expérience objective de l’erreur et de la misère.
Comment, dès lors, le sage qui a tranché le
nœud du cœur avec l’épée de la sagesse conti­
nuerait-il à accomplir les actions vaines et variées
qui l’occupaient au temps de son illusion ? Quelle
cause pourrait l’induire à l’activité ?
289

19
« La connaissance mène au non-attachement ;
la solitude et l’abandon du foyer mènent à la
Connaissance ; la béatitude de l’expérience de Soi-
même et de la tranquillité résulte de la cessation
de l’activité. Si ces résultats ne sont pas acquis gra­
duellement, la marche reste sans effet. La perfec­
tion du non-attachement est atteiùte quand les
précédentes tendances à rechercher la jouissance
ne surgissent plus. La perfection de la Connaissance
est réalisée lorsque le sens du « Je » n’appartient
plus au corps. La perfection de la solitude est
atteinte quand les pensées tombent au moyen
d’une lutte incessante et que, se dissolvant en
Brahman, elles ne se tournent plus vers l’extérieur.
« Ne différencie pas entre Soi et Brahman,
ou entre le monde et Brahman. Sur l’autorité des
Védas réalise « Je suis Brahman ». Atteins la pure
béatitude de l’Unité et établis la pure conscience
immuablement en Brahman de manière à te dis­
soudre en Lui. Etant toujours Brahman, renon­
ce à la réalité objective et que tes jouissances
soient constatées ou connues des autres, comme
l’état des enfants endormis. Renonce à l’activité
et, avec une pureté d’Etre Primordial, établis-toi
dans l’éternelle jouissance de la pure Béatitude.
Bien que ton mental soit dissous et que tu semblés
être oublieux du monde, demeure toujours éveillé,
et cependant tel celui qui n’est pas éveillé. Demeure
indifférent au corps, aux sens et aux choses exté­
rieures qui te suivent comme une ombre. Sois
celui qui discrimine, libre de la tache du samsâra,
des tendances et des objets des sens. Retiens la
conscience sans la pensée. Retiens la forme, toute­
fois sans forme» N’éprouve ni sympathies ni anti­
pathies pour ce qui est expérimenté au moment
présent et ne pense pas à ce qui peut arriver dans
l’avenir. Abandonne toute idée d’intérieur et d’exté­
rieur et concentre-toi constamment sur l’expérience
290
beatifique de Brahmán. Par le pouvoir de la con­
naissance maintiens une parfaite équanimité en
fan© de tous les contraires, tels que vice et vertu,
sympathies et antipathies, ou louange et blâme,
qu’ils viennent des sâdhus ou des malveillants. Le
Sage voué à l’Absolu est comme une rivière dé­
versée dans l’océan, inaffecté par l'attaque des
objets des sens, absorbé dans le Soi g et lui seul
atteint la réalisation pendant qu’il habite encore le
corps. Lui seul mérite qu’on lui rende un culte et
récolte la récompense de ses bonnes actions. Toutes
ses tendances innées ont été détruites par sa
connaissance de l’Identité avec Brahman et aucun
retour au samsâra ne peut lui être imputé. Tout
comme l’homme le plus luxurieux ne songe jamais
à abuser de sa propre mère, le Sage qui éprouve la
perfection de Brahman ne retourne jamais au sam­
sâra. Sinon il n’est pas un Sage qui a connu
Brahman mais seulement une âme tournée vers
l’extérieur.
« L’Identité avec Brahman est le feu de la
connaissance qui consume le sanchita karma (la
destinée accumulée pour les existences à venir)
et Yâgâmya karma (destinée créée en cette vie).
Le sanchita karma est détruit parce qu’il ne peut
plus causer la naissance aux mondes supérieurs ou
inférieurs une fois que le Sage s’est éveillé de
l’illusion de l’activité dans laquelle il a récolté
mérites et démérites au cours d’âges innombra­
bles. Et Yâgâmya karma ne peut plus l’affecter
car il se sait établi en tant que le Suprême Brah­
man, indifférent comme l’éther aux effets du
karma. Il y a de l’éther dans un vase contenant
de l’alcool, mais est-il affecté par l’odeur de
l’alcool ? Point du tout. Après avoir parlé du san­
chita et de Vâgâmga karma du Sage, il reste main­
tenant à expliquer comment son prârabdha kar­
ma (cette portion de karma antérieur qui doit être
291
éprouvé en cette vie) est aussi un mythe. Bien qu’il
soit toujours absorbé dans son véritable état, on
le voit parfois éprouver les fruits de ses actions
passées ou prendre part à l’activité extérieure |
alors les gens disent qu’il n’est pas affranchi du
karma puisqu’il doit récolter les bons et les mau­
vais effets d’actions antérieures. La règle suivant
laquelle il y a des fruits de l’action passée là où
il y a destinée et pas de fruits là où il n’y a pas
de destinée ne s’applique-t-elle pas également au
Sage f Si on lire une flèche sur un animal, croyant
que c’est un tigre mais que par la suite ce dernier
se révèle être une vache, la flèche peut-elle
être rappelée ? Une fois décochée, elle devra
certainement tuer la vache. De même, disent-ils,
la destinée qui a débuté son cours antérieure­
ment à l’aube de l’Illumination doit produire
ses effets, de sorte que le Sage est encore sujet
au seul prârabdha karma et qu’il doit en éprouver
les effets. Pourtant, les écritures déclarent ce prâ­
rabdha irréel, parce qu’un homme qui s’est éveillé
d’une expérience onirique ne retourne pas au mê­
me rive ni ne désire s’accrocher aux expériences
oniriques ou au corps et à l’atmosphère du
rêve en tant que « je » et « mien ». Il est parfai­
tement affranchi du monde du rêve et heureux
dans son état éveillé, tandis qu’on ne peut pas dire
qu’un homme qui garde quelque attachement au
rêve ait quitté l’état de sommeil. De la même fa­
çon, celui qui a réalisé l’Identité de Brahman et
du Soi ne voit rien d’autre. Il mange et élimine
mais comme en rêve. Il est au-delà de toutes les
limitations et associations. Il est le Brahman Abso­
lu Lui-même. Les trois sortes de karma ne l’affec­
tent aucunement, alors comment peut-on dire que
seul l’affecte le prârabdha karma ? Celui qui s’est
éveillé rêve-t-il encore ? A supposer que l’on admet­
te que le prârabdha karma affecte le corps du

292
Sage qui a été édifié en conséquence du karma
antérieur, cela ne l’affecterait que dans la mesure
où il aurait la pensée « je suis le corps », mais une
fois que cela s’en est allé, on ne peut lui attribuer
de prârabdha, puisqu’il est le Soi, non-né du
karma, sans commencement, pur et décrit par
les écritures comme « non-né, éternel et immor­
tel ». Mais attribuer le prârabdha au corps qui
est irréel et un produit de l’illusion, est en soi une
illusion. Comment une illusion peut-elle naître,
vivre et mourir alors qu’il y a la Réalité ? On peut
se demander, dès lors, pourquoi les écritures de­
vraient se référer à un prârabdha inexistant ? On
peut aussi se demander comment le corps peut
continuer d’exister alors qu’il y a la Connaissance
après la mort de l’ignorance et de ses effets. Pour
ceux qui sont à ce point fourvoyés et sous l’influen­
ce de fausses idées, on explique que les écritures
admettent que le Sage a un prârabdha illusoire uni­
quement comme concession, par égard à la discus­
sion et non pas pour postuler que le Sage a un corps
et des facultés. L’état éternellement établi de Brah­
man non-duel est visible en lui, au-delà de la
description et de la définition mentale ou verbale,
sans commencement ni fin, Etre-Conscience-Béati-
tude intégral, stabilisé, immobile, inaltérable, in­
commensurable, infini, non-attaché, homogène,
jamais rejeté ou obtenu, subtil, intérieurement et
extérieurement complet, sans substrat, au-delà des
gunas, sans couleur, forme ou changement, du fait
qu’il est Etre pur. Là on ne voit rien de ce qui pré­
vaut ici-bas. C’est seulement par la connaissance de
cette Unité dans le cœur grâce à l’Atmà Yoga, en re­
nonçant au plaisir et au désir même du plaisir, que
les Sages voués à l’Absolu qui ont acquis la paix et
le contrôle de soi obtiennent la Suprême Déli­
vrance.
« Donc, mon fils, si toi aussi, par l’œil de la sa-

293
gesse obtenue au moyen d’un samâdhi inébranlable,
tu découvres au-delà de tout doute le Suprême
Soi de parfaite béatitude qui est ta nature origi­
nelle, tu n’auras plus de doutes au sujet de ce que
tu as entendu. Rejette, par conséquent, l’illusion
créée par le mental et deviens un Sage, un Homme
Réalisé qui a atteint le but de la vie. Le Maître,
comme les écritures, donne des instructions com­
munes à tous, mais chacun doit éprouver pour soi-
même l’esclavage et la délivrance, la faim et la
satiété, la maladie et la santé ; les autres ne peu­
vent qu’en tirer des déductions. De même, celui
qui discrimine doit franchir l’océan de la naissan­
ce et de la mort par ses propres efforts, avec la grâ­
ce du Suprême Seigneur. Obtenant ainsi l’affran­
chissement de l’esclavage, qui n’est dû qu’à l’igno­
rance, demeure en tant qu’Etre-Conscience-Béati-
tude. Les écritures, la raison, les paroles du Guru
et l’expérience intérieure sont les moyens qu’il te
faut employer à cette fin.
« L’essence des écritures védantiques peut être
ramenée aux point suivants :
« Premièrement : En moi, Brahman immua­
ble, tout ce qui semble différent est absolument
sans réalité. Seul je suis. Ceci s’appelle le point de
vue de l’élimination (Badha drishti).
« Deuxièmement : Le rêve et tout ce qui appa­
raît en moi comme le résultat de la magie est une
illusion. Seul je suis la Vérité. Ceci s’appelle le
point de vue de l’illusion (Mithya drishti).
«Troisièmement : Tout ce qui apparaît comme
forme distincte de la mer, c’est-à-dire la bulle et
la vague, est la mer. Tout ce qui est vu en rêve
se trouve en celui qui voit le rêve. Pareillement,
en moi comme dans l’océan ou l’homme qui rêve,
tout ce qui semble séparé de moi est moi-même.
Cecï s’appelle le point de vue de la résolution (de
l’effet dans la cause) (Pravilapa drishti).
294
« Rejette le monde extérieur par l’un quelcon­
que de ces trois procédés et reconnais que celui
qüi le voit est Brahman infini, pur et homogène,
qui est le Soi. Celui qui a ainsi réalisé Brahman
est délivré* Bien que ces points de vue soient tous
trois des aides à la Réalisation, le troisième, dans
lequel on conçoit toute chose comme son propre
Soi, est le plus puissant. Donc, sachant que le Soi
indivisible est notre propre Soi. par l’expérien­
ce propre à chacun, il faut s’établir dans sa vraie
nature, au-delà de toute forme mentale. Que dire
d’autre ? Le monde entier et tous les individus
sont réellement Brahman et la demeurance eri
tant que ce Brahman indivisible est en soi-même
la Délivrance. Ceci est l’essence et la conclusion de
tous les Védas. Les écritures font autorité sur ce
point. »
Le disciple réalisa la vérité du Soi grâce à ces
paroles du Guru, grâce à l’autorité des écritures
et à sa propre compréhension. Il maîtrisa ses orga­
nes sensoriels et, devenant uni-pointé, demeura
pendant un temps restreint absorbé en samâdhi
inébranlable dans ce Suprême Soi. Alors il se leva
et parla ainsi à son Guru :
« O, Maître de la Suprême Expérience, incarna­
tion de la Suprême Paix, de Brahman, de l’essen­
ce éternelle de non-dualité, océan de grâce sans
fin, je me prosterne devant vous. »
Ainsi prosterné, il commence de raconter sa pro­
pre expérience : « Par la grâce de votre regard
béni l’affliction due au mal de la naissance est
terminée et en un instant j’ai atteint l’état béati-
fique d’identité. Par la réalisation de l’identité de
Brahman et du Soi mon sentiment de dualité a
été détruit et je suis affranchi de l’activité exté­
rieure. Je ne peux pas discriminer entre ce qui
295
est et ce qui n’est pas (1). Comme l’iceberg dans
l’océan, j’ai été absorbé petit à petit dans l’océan
de la Béatitude de Brahman jusqu’à devenir l’océan
lui-même, dont mon intellect ne peut sonder la
nature et la profondeur. Comment peut-on conce­
voir la vastitude de cet océan de Béatitude brah-
mique plein de l’Essence divine*, comment le
décrire avec des mots ? Le monde qui était perçu
l’instant d’avant s’est entièrement évanoui. Où
s’en est-il allé, par qui a-t-il été enlevé, en quoi
a-t-il été dissous ? Quelle merveille est-ce là ! Dans
ce vaste océan de Béatitude brahmique rempli de
la Réalité divine, qu’y a-t-il à rejeter ou accep­
ter, à voir, entendre ou connaître, en dehors de
son propre Soi ? Moi seul suis le Soi de Béatitude
Je suis sans attachement ; je n’ai ni corps gros­
sier ni corps subtil. Je suis indestructible ; je suis
parfaite tranquillité •, je ne suis ni l’agent ni le
jouisseur ; je ne subis aucun changement. L’action
ne m’appartient pas. Je ne suis pas le spectateur
ou l’auditeur, le locuteur, l’agent ou le jouisseur.
Je ne suis ni les choses expérimentées ni les cho­
ses non expérimentées mais celui qui illumine les
unes et les autres. Je suis le Vide, intérieur et exté­
rieur. Je suis au-delà de toute comparaison. Je suis
l’Esprit de toujours. Je suis sans commencement.
En moi il n’est point de création de « je » ou de
« toi », de «ceci » ou de « cela ». Je suis à la fois
intérieur et extérieur à tous les éléments en tant
que l’éther conscient en eux et aussi en tant que
le substrat sur lequel ils reposent. Je suis Brah-
mâ, je suis Vishnu, je suis Rudra, je suis Isha, je
suis Sadashiva. Je suis au-delà d’Ishwara (2). Je1

1. Ceci n’im plique pas que le disciple est dans un état


d’ignorance, incapable de différencier entre la Réalité et l’illu­
sion, m ais au contraire, qu’il est m aintenant établi dans la
Non-dualité, au-delà de tous les contraires, même celui de
l’Etre et du non-Etre.
2. Même Ishw ara, le Dieu personnel, est une déterm ination

296
suis le témoin qui englobe tout, le Brahman indi­
visible, homogène, infini, éternel, l’Etre même, per­
fection entière et sans faille, Existence éternelle,
pure, illuminée, délivrée et de suprême Béatitude.
Tout ce qui autrefois était connu comme des
choses séparées en tant qu’expérimentateur-
expérience-chose expérimentée se trouvé mainte­
nant tout en moi-même. Même si les vagues du
monde s’élèvent à cause de Mâyâ, comme un vent
se lève et tombe, elles se lèvent et tombent en moi
qui suis l’océan illimité de Béatitude.
« Les sots que l’on condamne pour leurs erreurs
m’attribuent faussement le corps et autres idées,
à moi qui suis sans malice et immuable. Cela re­
vient à diviser le temps illimité et sans forme en
parties telles que l’année, le semestre et la saison.
Comme la terre n’est pas souillée par les vagues
d’un mirage, de même la destruction ne m’affecte
en aucune façon, car je suis sans attaches comme
l’éther, séparé de tout ce que j’illumine, comme le
Soleil, immobile comme une montagne, illimité
comme l’océan. L’éther est inaffecté par les nua­
ges, de même le suis-je par le corps; comment
dès lors peut-il être de ma nature de veiller, rêver
et dormir, comme le fait le corps t Seules les limi­
tations corporelles {relatives à l’Etre) vont et vien­
nent, agissent et récoltent les fruits de l’action,
naissent, existent et se dissolvent, Comment puis-
je accomplir un karma, choisir l’activité ou le
retrait, récolter les fruits du mérite ou du démé­
rite, moi qui suis comme la ferme montagne men­
tionnée dans les Puranas, qui suis toujours immo­
bile, indivisible, complet et parfait comme l’éther,
qui suis un tout parfait exempt de sens, de
conscience, de forme ou de changement ? Que
ou une m anifestation de l'Etre Absolu et donc dans une cer­
taine m esure une lim itation. Ceci même est transcendé dans
l’E tat absolum ent pur, sans aucun sens de l’ego.

297
l’ombre de l’homme soit froide ou chaude, ait de
bonnes ou de mauvaises qualités, cela n’affecte pas
l’homme pour autant ! et de même je suis au-delà
des vertus et des vices. Les écritures aussi déclarent
cela. Tout comme la nature d’une maison n’af­
fecte pas la lumière à l’intérieur, de même aussi
les caractéristiques objectives ne peuvent m’af­
fecter moi qui suis leur témoin, distinct d’elles,
immuable et inaffecté. De même que le soleil est
témoin de toute activité» de même je suis le témoin
de tout ce monde objectif. De même que le feu
pénètre le fer, de même je pénètre et illumine le
monde ; et en même temps je suis le substrat sur
lequel le monde repose comme le serpent ima­
ginaire dans un morceau de corde. Puisque je suis
le «Je» resplendissant de soi-même, je ne suis
pas l’auteur ni la cause de quoi que ce soit ; je ne
suis ni le mangeur ni celui qui fait manger ; je ne
suis pas le spectateur ni la cause de quelque spec­
tacle.
« C’est l’accessoire surimposé qui se meut. Ce
mouvement de la conscience réfléchie est imputé
par l’ignorant à la Conscience elle-même. Pareille­
ment, on dit que je suis l’agent, le jouisseur»
que moi hélas, je suis ceux-ci. Etant inactif comme
le soleil (tout en causant la croissance sur terre),
étant le Soi aux formes et éléments, je demeure
inaffecté par la lumière réfléchie de là conscience.
C’est égal pour moi si ce corps tombe sur terre
ou en mer. Les qualités de la lumière réfléchie de
la conscience ne m’affectent pas davantage que la
forme d’un vase n’affecte l’éther qu’il contient.
Etats et fonctions de l’intellect, tels que : agir,
jouissance, compréhension, idiotie ou ivresse,
esclavage ou liberté, ne m’affectent pas puisque
je suis le pur Soi non-duel. Les tâches (dharmas)
qui incombent à Prakriti par milliers et centaines
de milliers ne m’affectent pas plus que l’ombre
298
projetée par les nuages n’affecte l’éther. Je suis
ce en quoi l’univers entier, de Prakriti à la matière
grossière, apparaît comme une simple ombre, donc
ce qui constitue le support, qui illumine tout, qui
est le Soi de tous, qui est de toutes formes, qui est
tout-pénétrant et cependant distinct de tout, ce qui
est entièrement vide, ce qui est distinct sans
aucun des attributs de Mâyâ, ce qui est pratique­
ment inconnaissable par l’intelligence ordinaire, qui
est soi-même éther, qui n’a ni commencement ni fin,
qui est subtil, immobile, sans ferme, inactif,
immuable, je suis ce pur Brahman dans son état
naturel, Béatitude ininterrompue, éternelle, vérita­
ble, éveillée, sans fin, subsistant de soi-même,
Brahman non-duel.
« Maître, j’étais perplexe dans la forêt cauche­
mardesque du samsara de la naissance, de la vieil­
lesse et de la mort causé par Mâyâ, angoissé par
les épisodes tourmentés, et terrifié par le tigre de
l’ego. Vous m’avez éveillé de ce cauchemar par
votre grâce et m’avez sauvé, m’apportant la Béati­
tude suprême. Grand Maître ! par la gloire de vo­
tre grâce, même moi ai pu obtenir l’empire de
l’Etre véritable. J’ai été béni et j’ai accompli le but
de cette vie. Racheté de l’esclavage de la naissan­
ce et de la mort, je réalise la réalité de mon être,
l’entier océan de Béatitude. Oh, c’est tout à la gloi­
re de votre grâce, ô Suprême Maître ! Hommage
sans fin à vos pieds bénis à la forme de la pure
béatitude de conscience qui représentent la tota­
lité de la création. Hommage à tout jamais ! »
C’est en ces termes que le disciple au cœur
exultant s’adresse au Maître Suprême puis se pros­
terne à ses pieds après avoir réalisé la vérité de
l’Etre Un, la suprême Béatitude. Celui-ci répond :
« De même que celui qui a des yeux n’a rien à
faire qu’à se délecter des fermes, de même celui
qui connaît Brahman n’a pas d’autre utilisation
299
satisfaisante pour son intellect que l’expérience de
la Réalité Brahman. Qui prendrait plaisir à regar­
der une peinture de la lune quand la pleine lune
brille de toute sa splendeur pour notre délecta­
tion ? Nul ayant la vraie connaissance ne peut re­
noncer à l’essence pour trouver son plaisir dans
l’irréel. L’expérience de l’irréalité ne comporte ni
satisfaction ni bannissement de la tristesse ; c’est
pourquoi l’homme doit faire tous ses efforts pour
voir avec l’œil de la réalisation et maintenir le
mental dans un état de paix parfaite, pour voir
son propre Soi en tant que Brahman, en tant que
la vérité de non-dualité qui brille comme le Soi de
l’univers entier. Il doit méditer sur cela et se
concentrer incessamment sur le Soi. Alors il joui­
ra de l’expérience ininterrompue de Béatitude
essentielle qui seule pourra le satisfaire. C’est
l’intellect qui cause l’agitation, apparaissant dans
l’ensemble sans attributs du Soi conscient, comme
une cité dans les nuages, et c’est pourquoi l’intel­
lect doit réaliser la parfaite immobilité qui lui
conférera la béatitude éternelle et la sérénité en
Brahman. Lorsque l’immobilité et le silence ont
été atteints, on éprouve contentement et paix. Le
silence parfait exempt des tendances latentes est
le seul moyen d’éprouver la béatitude éternelle
pour le Mahatma, pour celui qui connaît Brahman,
qui a réalisé le Sol et jouit d’une béatitude inin­
terrompue.
« Le Sage qui a ainsi réalisé le Suprême
Brahman se délecte à jamais dans le Soi et son
courant de pensées sera sans obstacles. Il va et
vient, se lève, s’assied et se couche, accomplit toutes
les actions qu’il désire, sans avoir besoin de
tenir compte du lieu, du temps, de la posture, de
l’orientation, des règles du yama, ou autres éta­
pes du yoga ou positions de concentration. Qu’est-
il besoin de règles comme le yama pour réaliser

300
son propre Soi ? Aucune discipline extérieure
n’est requise pour connaître son propre Soi en
tant que «je suis Brahman », de même que « Dê-
vadatta » (1) n’a pas besoin de technique extérieu­
re pour se connaître en tant que tel. Ce Soi tou­
jours existant resplendit spontanément lorsque le
mental est pur, tout comme un vase est vu natu­
rellement quand la vue n’est pas déficiente. Point
n’est besoin de considérer la pureté du lieu ou du
moment pour résider dans le Soi. De même que le
monde est illuminé par le soleil, de même tous
les univers et les Védas, Shastras, Puranas et élé­
ments variés, sont illuminés par Brahman, qui est
de même consciemment resplendissant de soi-mê­
me, Comment ce Brahman peut-il être illuminé par
quelque bas et inexistant non-soi ? Ce suprême Soi
resplendit de soi-même, il est doué de multiples
pouvoirs (Shakti), il ne peut pas être connu par
quinconque et cependant il est expérimenté par
chacun en tant que le « Je-Je » dans le cœur. C’est
en réalisant cet Atman que le connaisseur de
Brahman est libéré de l’esclavage, et une fois libé­
ré il connaît le contentement afférent à la jouis­
sance de l’essence d’éternelle Béatitude. Cette per­
fection de la beauté dépasse l’imagination. Il ne
ressent ni bonheur ni malheur en rapport avec
les conditions extérieures, qu’elles soient agréa­
bles ou désagréables, et il n’éprouve ni goût ni dé­
goût. Tel un enfant, il accepte toutes les conditions
qui l’environnent en raison des désira des autres.
Tout comme un jeune garçon innocent est absor­
bé par son jeu sans se soucier de la faim, de la
soif ou des tourments physiques, de même le Sage
est absorbé dans le jeu de son propre Soi sans
conscience de l’ego et il se délecte en permanence
dans le Soi. Montant dans le char de son corps>1

1. Nom pris simplement comme exemple.

301
celui qui jouit de la vaste étendue de la pure
conscience mendie sa nourriture sans aucune pen­
sée ou sentiment d’humiliation, il boit l’eau des
rivières, s’enveloppe de vêtements qui n’ont pas
été lavés ou séchés, ou encore de l’écorce
des arbres, ou bien il va nu. Aucun code ou règle
de conduite né le lie, car il est en permanence libre.
Bien qu’il dorme sur le sol, comme un enfant ou un
fou, il demeure toujours fixé dans le Vêdânta. Notre
Mère la terre est là couche fleurie sur laquelle
il repose, il dort sans crainte dans la forêt ou le
cimetière, car son jeu et son plaisir sont en Brah­
ma n. Lui qui est le Soi universel assume à volonté
d’innombrables formes et il 0 d’innombrables
expériences. Ici il se conduit comme un idiot, là
comme un savant, et plus loin comme une dupe.
Ou encore , ici il circule comme un homme ordinai­
re, là comme un roi et plus loin comme un men­
diant, mangeant dans ses mains car il n’a pas même
un bol. Là on l’adore, ailleurs il est dénigré. Ainsi
vit-il en tout lieu et les autres ne peuvent percevoir
la vérité cachée derrière lui. Bien qu’il n’ait pas
de richesse il est éternellement en béatitude. Les
autres peuvent ne pas l’aider mais il est d’une
force prodigieuse. Même s’il ne mange pas il est
éternellement satisfait. Il considère toute chose
d’un œil égal. Même s’il agit ce n’est pas lui
qui agit ; s’il mange ce n’est pas lui qui mange ;
il a un corps et pourtant il est sans corps.
Il est individualisé, et cependant ' il est l’Unique
Tout Indivisible. Connaissant Brahman et délivré
vivant, il n’est pas affecté par les sympathies
et les antipathies, les joies et les tristesses, par
les bons ou les mauvais augures, toutes choses
naturelles pour l’homme ordinaire qui est atta­
ché au corpsi Malgré que le soleil ûe soit jamais
vraiment pris par la gueule du dragon (lors d’une
éclipse), il semble Met! ifêtre*. alors les sots qui ne

302
savent pas la vérité disent i « Regardez, le soleil
est pris ! » De même ils disent que celui
qui eonnait Brahman a un corps, mais ils se trom­
pent, parce que même si celui-ci semble avoir un
corps il n’en est aucunement affecté. Le corps de
l’Homme délivré, bien qu’affrancM de l’esclava­
ge, existe à un endroit ou à un autre, comme la
dépouille rejetée par le serpent. Le corps d’un
Homme délivré, telle une bûche ballotée par le
courant d’une rivière, peut parfois être immergé
dans le plaisir en raison de son prârabdha, mais
même s’il en est ainsi, à cause des effets des ten­
dances latentes dans le prârabdha, comme pour le
corps d’un profane, il demeure pourtant le témoin
dans son état de silence intérieur, le moyeu de la
roue, libre du désir et de l’aversion et parfaite­
ment indifférent. Il n’attache pas les sens aux
objets qui procurent le plaisir pas plus qu’il ne
lés détache. Les fruits de ses actions ne l’affec­
tent pas le moins du monde, puisqu’il est complè­
tement ivre de l’expérience ininterrompue du nec­
tar de la béatitude. Celui qui connaît Brahman est
le Soi Absolu, le Suprême Seigneur, et n’a pas
besoin de formes spéciales de méditation. Aucun
doute à cela.
« Celui qui connaît Brahman a accompli le but
de la vie et, en tant que Brahman, il est éternelle­
ment délivré même s’il vit dans le corps et utili­
se ses facultés. Certes il conserve l’état de Brahman
même lors de la destruction du corps et de ses
accessoires. C’est comme un acteur sur scène qui
reste le même individu qu’il porte un masque ou
pas. Peu importe à l’arbre que l’endroit où tombe
sa feuille morte soit propice ou non, que ce soit
une rivière, un canal, une rue ou un temple de
Shiva. De même, n’affecte pas le Sage l’endroit
où son corps, déjà brûlé au feu de la Connaissance,

303
est jeté au rebut. L’Etre-Conseience-Béatitude de
Soi ne périt pas avec le corps, le souffle, l’intel­
lect et les organes des sens, pas plus que ne périt
un arbre quand il perd ses feuilles, fleurs et fruits.
Les écritures déclarent aussi : « Seul ce qui est fini
et mutable peut périr », de même : « Le Soi, qui est
conscience établie, est Vérité et il est impérissa­
ble ». Le Sage est Brahman dans la parfaite Béati­
tude de la Non-Dualité ; il est établi dans la Vérité,
qui est Brahman. Que lui importe alors le lieu et le
temps où il perdra son corps, qui est un véhicule de
peau, de chair et d’impuretés ? Se débarrasser du
corps, du bâton et du pot à eau (du mendiant) n’est
pas réellement la Délivrance ; la Délivrance telle
que l’entendent les Sages signifie Tellement le dé­
nouement du nœud de l’ignorance dans le cœur.
« Une pierre, un arbre, une paille, le grain, une
natte, des images, un vase et ainsi de suite, lors­
qu’on les brûle, sont réduits à la terre (dont ils sont
issus) ; de même le corps et les organes sensoriels,
lorsqu’ils sont brûlés au feu de la Connaissance,
deviennent Connaissance et sont absorbés en
Brahman, comme les ténèbres dans la lumière
du soleil. Quand un vase est brisé, l’espace qu’il
contient se confond avec l’espace ambiant ;* de
même aussi lorsque la limitation causée par le corps
et ses accessoires est enlevée, le Sage, réalisé durant
la vie, resplendit en tant que Brahman, absorbé
dans le Brahman qu’il était déjà, comme du lait
dans du lait, de l’eau dans de l’eau, ou de l’huile dans
de l’huile, et il est rayonnant comme l’Unique Su­
prême Soi. Ainsi, quand le Sage qui est établi en
tant que Brahman, qui est Etre Pur, obtient son
état désincorporé absolu, il né renaît plus jamais.
Comment peut-il y avoir renaissance pour un Sage
qui est établi en tant que Brahman, dont le corps
et ses limitations ont été brûlés au feu
de la Connaissance, et qu’il y a identité de l’indi-
304
vîdu et du Suprême ? L’existence de tout ce qui
est affirmé ou nié dans l’unique substrat du Soi
indestructible, éternel, libre, non-duel, absolu, dé­
pend seulement du mental, tout comme l’appari­
tion ou la disparition du serpent imaginaire dans
un morceau de corde n’a aucun fondement réel.
Esclavage et Délivrance sont des créations de
Mâgâ, des surimpositions sur le Brahman imagi­
nées par le mental sans aucune existence réelle.
C’est le sot qui blâme le soleil pour sa propre céci­
té. Il est impossible de soutenir que l’esclavage
(samsâra) est causé par la puissance d’obnubila­
tion (tamas) de Mâgâ et la Délivrance par sa des­
truction, puisqu’il n’y a pas de différentiation dans
le Soi. Une telle prétention conduirait à nier la
vérité de la Non-dualité et à établir une affirma­
tion de dualité. Ceci serait contraire à l’autorité
des écritures. Comment pourrait-il y avoir quel­
que déploiement de Mâgâ dans le Brahman non-
duel qui est parfaite immobilité, un Tout Unique
comme l’éther, sans tache, sans agir, immaculé et
sans forme ? Les écritures proclament même for­
tement : «En vérité il n’y a ni création ni des­
truction ; nul n’est asservi, nul ne recherche la Dé­
livrance, nul n’est sur la voie de la Délivrance.
Nul n’est libéré. Ceci est la vérité absolue ». Mon
cher disciple, ceci, somme et substance de tou­
tes les Upanishads, secret des secrets, tel est mon
enseignement pour toi. Tu peux aussi le communi­
quer à celui qui aspire à la Délivrance, seulement
prends soin de l’examiner plusieurs fois pour t’as­
surer qu’il a le vrai détachement et qu’il est
exempt de tous les péchés et impuretés de cet
âge sombre ».

Après avoir entendu ces mots du Guru, le disci­


ple se prosterne devant lui plusieurs fois, prend
congé et rentre chez lui en état de béatitude. Le
305

20
Maître également, immergé dans l’océan de Béati­
tude, parcourt la terre pour la purifier.
C’est ainsi qu’a été révélée la vraie nature du
Soi sous forme d’un dialogue entre le Guru et son
disciple, tel que peut facilement le comprendre ce­
lui qui recherche la Délivrance. Puissent ces instruc­
tions précieuses être suivies par ceux qui ont foi
en l’autorité des écritures et qui aspirent à la Déli­
vrance, par ces chercheurs avancés qui accomplis­
sent leurs tâches prescrites sans souci du fruit de
leurs actions, et qui se sont ainsi lavés de leurs
impuretés mentales, qui ne sont pas attachés aux
consolations du samsâra et qui ont atteint un état
d’équanimité.
Les âmes vagabondant dans la forêt sauvage et
terrible du samsâra sont opprimées par le tour­
ment de la soif causée par l’effroyable chaleur du
triplé mal (1), et sont alors illusionnées par le mi­
rage de l’eau. Le grand Maître Shankâra Bagha-
vath Padacharya souhaite les informer de l’exis­
tence toute proche d’un océan d’eau douce, la béa­
titude de la Non-dualité, ce par quoi elles seront
soulagées, et de ce qu’il les a bénies avec son Vivê-
kachûdâinani, « Le plus beau Fleuron de la Sages­
se », qui leur conférera l’éternelle béatitude de la
Délivrance. Ceci ne fait aucun doute.
OM
Paix, Paix, Paix.1

1. Adhgâtmika (provenant de l’être individuel même), Adhib-


hoatika (produit par les autres êtres) et Adhidaiuika (venant
du macrocosme par effet du vouloir divin).

306
COMMENT DISCRIMINER LE SPECTATEUR
DU SPECTACLE

(Drik Drishya Vivêka)


DE

S h r i S h an k ara ch ary a

Stance introductive de Bhagavan Shri Râmana


Maharshi :
O Toi Divin Shankarâ,
Tu es le Sujet,
Qui a la Connaissance
Du sujet et, de l’objet.
Que le sujet en moi soit détruit
En tant que Sujet et objet.
Car alors dans mon mental se lèvera
La Lumière en tant que l’Unique Shiva.
I n t r o d u c t io n

(Ecrite par Bhagavan S h ri R âm ana pour sa traduction


en tam il du D rik D rishya Vivêka).
« Brahman est unique et non-duel » déclarent
les Sbrutis. Puisque Brahman est l’Unique Réalité,
selon l’Adwaita, comment se fait-il que Brahman
ne nous soit pas apparent, tandis que prapancha
(le monde, c’est-à-dire le non-Brahman) est si vi­
vace ? Ainsi s’interroge le sâdhaka déjà avancé.
Dans notre propre Soi, qui n’est pas autre que
Brahman, il y a une puissance mystérieuse connue
307
en tant que Avidya (Ignorance) qui est sans com­
mencement et qui n’est pas séparée du Soi. Ses
caractéristiques sont l’obnubilation et la manifesta­
tion de la diversité. De même que des images ciné­
matographiques, bien qu’invisibles, tant à la lumiè­
re du soleil que dans Vobscurité, deviennent visibles
dans un faisceau lumineux au milieu de Vobscurité,
de même dans les ténèbres de l’Ignorance appa­
raît la lumière réfléchie du Soi, illusoire et disper­
sée, qui prend la forme de la pensée. C’est ce qui
Constitue la primordiale pensée connue comme
1’ « ego — jîva ou kartâ (l’agent) — qui a le men­
tal comme moyen de ses perceptions. Le mental a
une multitude de tendances latentes qu’il projette,
comme les objets d’une séance d’ombres chinoises,
dans les états de veille et de rêve. Ce spectacle, pour­
tant, est faussement pris pour réel par le jîva.
L’aspect « obnubilation » du mental cache d’abord
la vraie nature du Soi et ensuite présente le monde
objectif à la vue. Tout comme les eaux de l’océan
ne semblent pas différentes des vagues, il en va
de même pour la durée des phénomènes objec­
tifs : le Soi, bien qu’étant Lui-même l’Etre Unique,
n’apparaît pas différent d’eux. Détournez-vous de
l'illusion causée par les tendances latentes et par les
fausses notions d’intérieur et d’extérieur. Grâce à
une telle pratique'Constante du sahaja samâdhi,
la puissance d’obnubilation disparaît et le Soi non-
duel demeure et resplendit en tant que Brahman
Lui-même. Ceci est tout le secret de la doctrine
de l’Adwaita que le maître, enseigne au sâdhaka
déjà avancé. Le traité qui suit contient le même
enseignement exposé par Shri Shankarâchârya
avec une concision exempte de toute minutie.

Toute notre perception relève du non-Soi. Le


Voyant immuable est certes le Soi. Toutes les
308
innombrables écritures ne font que proclamer la
discrimination entre le Soi et le non-Soi.
La forme (rûpa) que nous voyons, étant vue par
l’œil, est drishya (objet) ; l’œil qui voit est drik
(sujet). Mais cet œil, quand il est perçu par le men­
tal devient à son tour drishya (objet) et le mental
qui le voit devient drik (sujet). Le mental, avec
ses pensées perçues par le Soi, dévient aussi
drishya (objet), et le Soi est alors drik (sujet). Le
Soi ne petit pas être drishya (objet), car il n’est pas
perçu par quelque chose d’autre. Les formes per­
çues sont variées, bleues et jaunes, grossières et
subtiles, longues et courtes et ainsi de suite ; mais
l’œil qui les voit demeure un seul et même œil.
Pareillement, les conditions variantes de l’œil —
telles que la cécité, la faiblesse et l’acuité — aussi
bien que celles des oreilles et autres organes, sont
perçues par le mental uniquement. Il en va de
même des caractéristiques variées du mental -—
telles que désir, résolution, doute, foi, manque de
foi, Courage, manque de courage, peur, timidité,
discrimination ; bonnes et mauvaises elles sont tou­
tes perçues par le Soi uniquement. Ce Soi ne sè
lève ni ne se couche, ne croit ni ne se corrompt.
Il brille de sa propre luminosité,, Il illumine tout
ce qui est autre sans avoir recours à l’aide d’autres
sources.
Buddhi, en tant que somme totale des organes
internes, en contact avec la conscience réfléchie,
a deux aspects. L’un est appelé ego individualisant
(aham-krili) et l’autre organe interne (antah-kârar
na). Ce contact de la conscience réfléchie avec bud­
dhi est semblable à l’identité du boulet de fer in­
candescent avec le feu. Il s’ensuit que le corps iner­
te passe pour une entité consciente. Le contact éta­
blissant l’identité entre l’ego et la conscience réflé­
chie est de trois sortes : „ .
30?
1. L’identification de l’ego avec la conscience
réfléchie est naturelle ou innée.
2. L’identification de l’ego avec le corps est due
au karma passé.
3. L’identification de l’ego avec le Témoin
(Sâkshin) est due à l’ignorance.
Le contact naturel ou inné dure aussi longtemps
que buddhi, mais lors de la Réalisation du Soi
il se révèle être faux. Le troisième contact sus­
mentionné est rompu quand on découvre par
l’expérience qu’il n’y a à vrai dire pas de contact
avec le Soi, qui seul est. Lé deuxième contact,
celui qui est né du karma antérieur, cesse d’exis-
ter lors de la destruction dés tendances innées (vâ-
sanâs). Dans l’état de sommeil profond, quand le
corps est inerte, l’ego est entièrement immergé (dans
l’ignorance causale). Il est à demi manifeste dans
l’état de rêve, #t il est entièrement 'manifeste dans
l’état de veille. C’est le mode ou la modification
de la pensée (avec ses tendances latentes) qui crée
le monde intérieur des rêves dans l’état de rêve
et le monde extérieur" dans l’état de veille. Le
corps subtil, qui est la cause formelle du mental
et de l’ego, expérimente les trois états de même
que la naissance et la mort.
La Mâyâ du corps causal détient des pouvoirs
de projection (rajas) et d’obnubilation (tamas).
C’est le pouvoir de projection qui crée toute chose
depuis le corps subtil jusqu’à l’univers grossier aux
noms et formes. Ceux-ci sont produits en Sat-Chit-
Anànda (Etre-Conscience-Béa titude) comme l’écu­
me dans l’océan. Le pouvoir d’obnubilation opère
dé telle façon qu’on né puisse percevoir, intérieu­
rement la distinction entre sujet et objet, et, exté­
rieurement, celle entre Brahman et le monde
phénoménal. Ceci est assurément la cause du
samsâra. L’individu avec sa lumière réfléchie de

310
la Conscience est le corps subtil existant dans une
étroite proximité avec le Soi empirique (wjâvmhâ*
rika). Ce caractère individuel du soi empirique
apparaît dans le Témoin ou Sâkshin, également
par - fausse surimposition. Mais lors de l’extinc­
tion du pouvoir d’obnubilation (tamas), la distinc­
tion entre le Témoin et le soi empirique devient
claire ; et la surimposition tombe également. De
même, Brahman ne brille en tant que le monde phé­
noménal aux noms et formes que par l’effet du
pouvoir d’obnubilation qui cache la distinction
entre Lui et ce monde. Lorsque l’obnubilation cesse,
la distinction entre les deux est perçue, car aucune
des ,activités du monde phénoménal n’existe en
Brahman.
Des cinq caractéristiques | Etre, Conscience;
Béatitude, Nom et Forme, les trois premières ap­
partiennent à Brahman et le nom et la forme ap­
partiennent au monde. Les trois aspects Etre,
Conscience et Béatitude sont partout également pré­
sents dans les cînq éléments Vl’éther, l’âir, le fèU>
FfeaU et la terre, el chez les dêvfes (dieU3C|, les ani­
maux, les hommes; etc., tandis que les noms et for­
mes ne servent qu’à différencier les choses. Soyez
donc indifférents aux noms et formes, concentrez-
vous sur rEtre-Conseience-Béaiitude et pratiquez
constamment le s&mâdhi frésàrption en Brahman)
à l’intérieur du cœur ou avec Un support extérieur
( 1 ).
Cette pratique du samâdhi (résorption en Brah-
man) est de deux sortes ; le savikalpa (dans lequel
la distinction entre Connaissant, Connaissance et
Connu ntest pas abolie) et Te iéfvikàlpa (dans le­
quel cette distinction est abolie). Le savikalpa1

1. [Mantm (parole sacrée), Yantra (représentation .figurée,


etc.)].

311
samâdhi est lui-même de deux sortes : celui qui est
associé à des paroles ou sons (appelé savikalpa sa­
mâdhi externe), et celui qui consiste en méditation
sur sa propre conscience en tant que le Témoin des
formes de pensée, telles que le désir, et qui est le
savikalpa samâdhi interne associé aux objets con­
naissables internes. Réaliser son propre Soi en tant
que « je suis Etre-Conscience-Béatitude, sans dua­
lité, inconditionné, resplendissant de soi-même »,
c’est lé savikalpa samâdhi externe (précédem­
ment énoncé) associé à des paroles., ou sons.
Abandonner tant les objets connaissables internes
que les formes sonores des deux précédents modes
de samâdhi, et être complètement absorbé dans la
Béatitude expérimentée par la réalisation du Soi,
c’est le nirvikalpa samâdhi (interne). Dans cet
état est obtenue une ferme demeuraUce, comme
la flamme non vacillante d’une lumière tenue dans
un lieu à l’abri du vent. De même aussi, dans lé
cœur, devenir indifférent aux objets extérieurs
ayant nom et forme, et percevoir seulement l’Etre ou
Sat, cela est le savikalpa samâdhi interne associé
aux objets internes ; et être continuellement éveillé
à ce Sat (existence véritable) en tant que l’essence de
Bràhman unique et indissociable, ceïa est le savi­
kalpa samâdhi externe associé aux paroles ou sons.
Après ces deux expériences, l’Etre qui est égal com­
me l’océan sans vague est le nirvikalpa samâdhi
(externe). Celui qui médite doit perpétuellement
consacrer son temps à ces six sortes de samâdhi.
Par elles, l’attachement au Corps est détruit et le
mental qui demeure perpétuellement dans le Soi
Suprême (Paramâtman) où qu’il puisse errer, est
partout et spontanément en samâdhi. Par Cettè
pratique1constante du samâdhi, le Suprême Soi,
qui est à la fois le plus haut et le plus bas, qui
enveloppe Paramâtma autant que jîvatmâ, est
expérimenté directement, et alors le nœud du cœur

3 i?
est dénoué ; tous les doutes sont détruits et tous
les karmas (activités) cessent également.
Des trois modes de l’être individuel : le soi li­
mité (comme dans le sommeil profond), le soi em­
pirique (comme dans l’état de veillé) et le soi oni­
rique, seul l’individu limité par le sommeil pro­
fond constitue le vrai Soi (Pâram&rthika). Cepen­
dant même celui-ci n’est qu’une idée. L’Absolu
seul est le vrai Soi. En réalité et par nature il est
Brahman lui-même, seule la surimposition crée les
limitations de l’individualité dans l’Absolu. C’est
au Pâramârthika Jîva, à l’exclusion de tout autre
que s’applique l’identité exprimée par Tat Twam
Asi (Cela Tu Tes, toi aussi), et d’autres grands
textes des Upanishads. La grande Mâyâ (la Surim­
position sans commencement ni fin) avec son pou­
voir d’obnubilation et de projection (tamas et
rajas) voile le Brahman unique et indivisible et,
dans ce Brahman» crée le mondé et les individus.
L’individu (jîva), concept du soi empirique en
buddhi, est assurément l’acteur et lé jouisseur,
et tout le monde phénoménal est son objet de
jouissance. Depuis un temps sans commencement,
jusqu’à l’atteinte de la Délivrance, l’individu et le
monde ont une existence empirique. Ils sont tous
deux empiriques. L’individu empirique semble
avoir le pouvoir du sommeil sous la forme des
pouvoirs d’obnubilation et de projection. Il est
associé avec la Conscience. Le pouvoir recouvre
d’abord l’individu empirique et l’Univers connu,
et ensuite ceux-ci sont à nouveau imaginés en rêve.
Ces perceptions oniriques et l’individu qui les per­
çoit sont illusoires, parce que leur existence sé limi­
te I la durée de l’expérience onirique. Nous af­
firmons leur nature illusoire, parce qu’en s’éveil­
lant du rêve personne ne voit les objets du rêve.
Le soi onirique tient le monde du rêve pour réel
tandis que le soi empirique tient le monde empi­
313
rique pour réel ; mais lorsque le Pâramârthika
Jiva est réalisé, celui-ci sait que l’un et l’autre sont
irréels. Le Pâramârthika Jiva en tant que distinct
du jiva des états de veille et de rêve, est identique
à Brahman. Il ne voit rien qui soit «autre». Ver­
rait-il quelqu’« autre », il saurait qu’il est illusoire.
La douceur, la fluidité et la fraîcheur de l’eau
sont des caractéristiques également présentes dans
les Vagues et l’écume. De même, l’Etre-Conscience-
Béatitude, caractère du Soi (le Pâramârthika pré­
cité) est présent dans le soi empirique et à tra­
vers lui dans le soi onirique également, parce qu’ils
sont seulement des créations illusoires dans le Soi.
L’écume avec ses qualités, telle que la fraîcheur,
se résorbe dans les vagues, les vagues avec leurs
caractéristiques, telle que la fluidité, se résorbent
dans l’eau, et l’océan seul existe comme au com­
mencement. Pareillement, le soi onirique et ses ob­
jets sont absorbés dans le soi empirique ; alors le
monde empirique et ses caractéristiques sont ab­
sorbés dans le Pâramârthika et, comme au com­
mencement, l’Etre-Conscience-Béatitude qui est
Brahman brille seul.

314
LA GUIRLANDE
AUX JOYAUX DU DISCERNEMENT
(Vichâra Mani Meda)

Le texte qui suif est constitué par des extraits


du célèbre ouvrage Vichâra Sâgara (Océan de
Discernement) de Mahâtmâ Nishchaldas. L’origi­
nal est en hindi, mais il g a aussi une traduction
en tamil, et c’est sur cette version que Shri
Râmana Maharshi fit un Choix et uii regroupement
des passages les plus intéressants, ceci pour répon­
dre à la demande d’un fidèle qui se plaignait que
le grand volume tamil était trop difficile à
parcourir et comprendre.

I nvocation

Ce qui demeure béatifique, éternel, resplendis­


sant, tout-pénétrant, sans nom ni forme, et qui
constitue cependant l’arrière-plan de toute chose,
qui n’est pas connu par l’intellect souillé, mais uni­
quement par l’intellect le plus pur et illimité,
que l’on appelle le Brahman, c’est ce que Je suis.
Cèci signifie qu’après s'être débarrassé de l’ego,
le vrai sens du mot «Je » resplendit en tant que la
connaissance dernière et pure, le Soi ; le sens
illustré par le mot «Je» est Brahman. Telle fut
la réalisation du Saint Arunagiriar de Tiruvanna-
malai, qui dit : «Ayant dévoré le moi connu en
tant que « je » (c’est-à-dire l’ego), ce qui demeure
en tant que le Soi est justement l’Etre Suprême. »
315
T exte

Un chercheur ayant au cours de plusieurs exis­


tences précédentes accompli de bonnes actions au
nom du devoir et non en vue du profit, et s’étant
consacré à Dieu, fut, par suite de ses mérites pas­
sés, graduellement libéré des impuretés de son
mental. En conséquence son mental devint clair et
contemplatif ; seule demeurait l’ignorance qui
voile le Soi. Il avait également acquis un intellect
discriminant, l’absence de passion, la tolérance,
le contrôle des sens, la force d’âme et la ferveur,
et avait triomphé du désir d’agir. Il était avide de
gagner la Délivrance et était hautement qualifié
pour entreprendre la quête de la Connaissance
nécessaire. Ne pouvant pas supporter les misères
du samsâra, il chercha puis rencontra un vrai
Guru, très versé dans le Vêdânta et établi en
Brahman. Avec crainte et amour, il tomba à ses
pieds et demanda : Seigneur ! Comment me débar­
rasserai-je de la maligne vie de ce monde et
gagnerai-je la paix béatifique, éternelle ?
Le Guru : O, disciple ! Pourquoi cette illusion ?
Tu es toujours pure Béatitude ; il n’y a pas la
moindre trace de samsâra en toi ; ne prête donc pas
attention à la misère de la naissance, de la mort,
etc. Tu es libre de la naissance, libre de la mort,
pure conscience, c’est-à-dire Brahman.
Le disciple : La Délivrance doit certainement
être totale évasion de la misère et acquisition du
bonheur perpétuel. Si je suis déjà pure Béatitude,
pourquoi devrais-je chercher à l’acquérir ? Ou si
je. suis toujours affranchi de la misère, pourquoi
devrais-je la fuir ? - , ' '
Le Guru : L’acquisition du bonheur est comme
le recouvrement d’un bracelet qui ne t’a jamais
316
quitté» mais que, en raison de l’oubli, tu pensais
avoir perdu. Tu l’as cherché en tout lieu jusqu’à
ce qu’il te soit rappelé où il était, et alors tu as
pensé qu’il,avait été recouvré. Pareillement, essayer
d’éviter la misère cela revient à penser que tu vois
un serpent, mais scrutation faite, tu ne trouves
qu’ùne corde.
Le disciple : L’expérience de la Béatitude et
l’absence de la misère peuvent-elles coexister en un
seul état de Délivrance ?
Le Guru ; Oui ; de même que le substrat d’une
corde demeure sous l’apparence du serpent inexis­
tant, de même le substrat de la Béatitude demeure
sous l’apparence de la misère inexistante.
Le disciple : Puisque le plaisir est toujours
associé aux objets, comment pouvez-vous dire que;
je suis pure Béatitude ?
Le Guru : La Béatitude de Soi ne peut pas être
apparente à l’homme qui ignore le Soi, du fait que
son mental est toujours agité par son appétence
des objets. Lors de l’acquisition de l’objet désiré,
le mental se stabilise pendant un instant et se
tourne vers l’intérieur en direction du Soi, et la
Béatitude du Soi est alors reflétée sur lui. Ainsi
l’homme s’abuse au point de croire que la joie
ressentie provenait de l’objet. Puisque la joie dis­
paraît avant qu’on ait un désir nouveau d’un autre
objet, puisque la joie de revoir son fils après une
longue séparation ne continue pas avec la même
Intensité tant que le fils demeure avec nous, puis­
que la béatitude est expérimentée dans le samâdhi
et le sommeil profond où les objets sont totalement
absents, la joie ou la béatitude ne peuvent pas rési­
der dans les objets ou être dues à aucun d’eux.
C’est le Soi seul qui est Béatitude. Quand les jîvas
expérimentent la Béatitude, ce n’est que celle du
Soi et aucune autre. C’est uniquement pour nous
317
faire prendre conscience de ceci que les Védas
insistent sur le fait que tous les individus sont pure
Béatitude.
Le disciple : Le jnâni désire-t-il des objets et
jouit-il des plaisirs, ou pas ?
Le Guru : Bien que le désir des objets et la
jouissance des plaisirs soient apparents chez le
jnâni, tout comme chez l’ignorant, il ne voit
cependant pas le plaisir comme quelque chose de
distinct du Soi.
Le disciple : La misère du samsara sous forme
de naissance et de mort étant si évidente, comment
pouvez-vous dire qu’elle n’existe jamais pour moi ?
Le Guru : C’est en raison de ton ignorance du
fait que ton Soi est Brahman, que la naissance,
la mort et le monde apparaissent réels, de même
que le faux semblant d’un serpent apparaît dans
un bout de corde, ou le bleu dans le ciel, ou les
silhouettes dans un rêve.
'Le disciple : Qu’est-ce qui forme le substrat de
cet univers illimité ?
Le Guru : Tout comme la corde elle-même cons­
titue le support et le substrat du serpent illusoire
qui y est projeté par ignorance, de même toi tu
constitues le support et le substrat du monde illu­
soire, projeté par l’ignorance du Soi.
Le disciple : Veuillez me dire quelle est la dis­
tinction entre âdhâra (objet désigné ou assigna­
tion) et adhistâna (état propre, de base).
Le Guru : L’aspect « ceci » apparaissant aussi
bien dans le phénomène illusoire (ceci est un ser­
pent) que dans la réalité (ceci est un bout de
corde) est appelé âdhâra (support). De même, le
« est », c’est-à-dire l’aspect être dans « ceci est le
monde», est l’aspect être du Soi et est appelé
âdhâra.
318
Mais l’aspect discernant, la « cordéité » de la
corde, qui n’est pas apparent dans l’illusion, devient
apparent plus tard ; de même, la nature inaffectée,
non-changeante toujours libre, toute-pénétrante
du Soi n’est pas apparente durant l’illusion. Ceci
est Yadhistâna l’état propre de base.
Le disciple : Mais il y a un voyant distinct de
la corde qui constitue Yâdhâra et Yadhisthâna
pour le serpent ; où donc est le voyant séparé de
moi qui constitue Yâdhâra et Yadhisthâna pour
le monde (jagat) ?
Le Guru : Au cas où Yadhisthâna n’est pas
sensitif, un voyant est nécessaire ; s’il est sensitif,
il est lui-même le voyant. Tout comme la conscien­
ce-témoin qui constitue Yadhisthâna des visions
de rêve est également le voyant du rêve, de
même toi tu es le voyant du monde.
Le disciple : Si le monde empirique, comme sa
contrepartie onirique, n’était qu’une illusion engen­
drée par l’ignorance, pourquoi les états de veille
et de rêve devraient-ils être différenciés, et la
réalité de leurs interactions être classée comme
empirique et fausse (vyâvahârika et prâtibhâ-
sika) ?
Le Guru : Un rêve, produit sans matière appro­
priée et oscillant dans l’espace et le temps, dû à
l’ignorance, aggravé par le sommeil, est dit être
faux (prâtibhâsika). Le monde produit dans l’Etre
Suprême par la seule ignorance, dénué de
matière, temps ou espace, est dit être empirique
(vyâvahârika). Pourtant, si l’on recherche plus
loin, il devient clair qu’aucune semblable distinc­
tion n’existe réellement entre les rêves et l’état de
veille, ou entre les niveaux de réalité dans leurs
interactions. La Conscience seule est la Réalité
transcendante ; tout ce qui peut en être distingué
319
est faux ou ilhisoire* ayant l’ignorance pour cause
matérielle et la conscience pour substrat.
Le disciple : Pourquoi alors le monde du rêve,
à l’encontre du monde de la veille, est-il nié même
en l’absence de la Réalisation du Soi ?
Le Guru : Il est vrai qu’en l’absence de la Réali­
sation du Soi, un rêve ne s’évanouit pas tota­
lement (c’est-à-dire sans récurrence) lorsqu’on s’en
révèille ; cependant, il est perdu dans l’ignorance
première, parce que sa cause immédiate (le som­
meil) s’évanouit et qu’aussi son mode mental
contraire (la veille) commence à se manifester.
Le disciple i Les mêmes objets persistent dans
l’état de veille avant et après les rêves, tandis que
le même rêve ne se répète jamais. Alors comment
les deux états peuvent-ils être semblables ?
Le Guru : Toutes choses sont également les modi­
fications d'avidyâ (l’ignorance) et des surimpo­
sitions sur la connaissance. Elles ont la même
durée que les modes mentaux. Il n’est pas possible
que le même objet persiste dans l’état de veille
mais seulement sa vision fugace comme dans un
rêve. Les états de rêve et de veille sont donc
semblables.
Le disciple ; Puisque la connaissance de la
même chose est renouvelée après l’éveil du som­
meil comme avant celui-ci, on ne peut pas dire
que la connaissance et les choses ont la même
durée. Au contraire, les objets demeurent les
mêmes avant et après la connaissance qu’on en a'.
Le Guru : De même que les objets du rêve,
bien que nouvellement créés, semblent être tout
à fait vieux et anciens, de même, les choses empi­
riques semblent persister. Tout cela est dû
à l’ignorance. Les causes et les effets apparents
dans le monde appartiennent à cette catégorie.
320
Le disciple t Si l’esclavage du samsara est dû à
l’ignorance du Soi, comment et quand cette igno­
rance est-elle apparue ?
Le Guru : Cette ignorance dépend du Soi, autre­
ment dit Brahman ; c’est simplement une illusion
sans commencement.
Le disciple f Comment l’ignorance peut-elle
exister dans le Brahman resplendissant de soi-
même plus que n’existerait l’obscurité dans le
soleil ? En admettant qu’elle est surimposé#, la
surimposition est impossible sur une chose claire­
ment perçue ou totalement non perçue ; elle ne
peut exister que pour un objet confusément vu, tan­
dis que Brahman est dénué de qualités, tant géné­
rales que particulières, étant indissociable et
exempt de particularités (il ne peut pas être confu­
sément vu). Où donc la surimposition de l’escla­
vage intervient-elle ?
.Le Guru : Le feu demeure latent dans le bois ;
il ne peut pas dissiper l’obscurité ou nous être de
quelque utilité ; mais lorsque deux bouts de bois
sont frottés l’un contre l’autre, le feu latent, main­
tenant rendu manifeste, dissipe l’obscurité et nous
est utile. De même, la lumière du Soi est toujours
là ; cependant dans le sommeil profond l’ignorance
la recouvre et n’est pas dissipée ; par conséquent,
la lumière du Soi n’est pas ennemie de l’ignorance ;
d’autre part elle l’aide. Mais la conscience de
Brahman réfléchie dans le mode mental, elle, est
manifeste et dissipe l’ignorance.
Bien que Brahman soit indissociable, son aspect
Etre est expérimenté en tant que « je suis » même
dans l’état d’ignorance ; il apparaît comme la
nature générale de Brahman. Tandis que les
aspects Connaissance et Béatitude ne sont pas
apparents dans l’état d’ignorance mais deviennent
apparents dans l’état de connaissance ; donc cêUx-
321

21
ci apparaissent comme des aspects spéciaux. Tous
ceux-ci sont à nouveau dûs à l’ignorance seulement.
Cependant, l’aspect Etre peut fort bien constituer
la caractéristique générale et les deux autres les
caractéristiques particulières de Brahman. Donc
la surimposition devient possible.
Le disciple : Bien que les cauchemars soient
irréels, ils peuvent être écartés par des invocations,
des. incantations (japas), etc. De même, bien que
le monde soit irréel, il cause pourtant la misère
des naissances répétées, etc. Comment peut-il être
éliminé pour ne jamais plus réapparaître ?
Le Guru : Toute irréalité qui apparaît dans
l’ignorance doit disparaître dans la connaissance
correspondante ; tout comme un serpent ou de
l’argent apparaissent par ignorance de la nature
d’un bout de corde ou de la nacre et disparaissent
par leur connaissance. De même, le monde qui est
projeté par ignorance de ton Soi, disparaîtra dans
la Connaissance du Soi.
Brahman demeure inébranlable, uniforme, incor­
ruptible, non-né, invisible, sans nom, ni forme.
L’ignorance qui lui est surimposée et les produits
de l’ignorance — jîva, Dieu et le monde — ne sont
que des produits de l’imagination, n’ayant d’exis­
tence ni maintenant, ni avant, ni après. Tout ce
qui est vu équivaut à un tour du mental, lui-même
produit de l’ignorance. Ce mental demeurant
folâtre dans les états de veille et de rêve fond dans
l’ignorance de l’état de sommeil profond. De même
que l’eau d’un mirage ne peut pas mouiller le sol,
de même les. phénomènes illusoires ne peuvent
m’affliger, moi leur substrat Je suis Etre-
Conscience-Béatitude, c’est-à-dire je suis Brahman.
Découvrir ceci c’est le Jnâna (Conscience). Comme
je l’ai déjà dit, c’ést le seul moyen d’obtenir là
Délivrance.
322
Tout comme l’obscurité ne peut disparaître
devant autre chose que la lumière, de même
l’obscurité de l’ignorance qui enveloppe actuelle­
ment le cœur ne peut s’évanouir avec ses effets,
devant le karma, l’upâsana, etc., si ne point la
lumière de la Connaissance.
11 demeure le Soi, Brahman, toujours incorrup­
tible et homogène ; rien ne naquit auparavant, ne
naît maintenant ni ne naîtra ci-après. Puisqu’il n’y
a pas d’objet, il ne peut y avoir de témoin.;
puisqu’il n’y a pas d’esclavage, il ne peut y avoir
de délivrance ; puisqu’il n’y a pas d’ignorance, il
ne peut y avoir de connaissance. Celui qui, sachant
ceci, •se débarrasse de son sens d’être l’agent,
devient un Jnâni (Sage). Demeurant libre du désir,
que les sens soient actifs ou pas, il est incorrup­
tible et, par conséquent, il n’est pas agent, même
s’il peut sembler être actif.
Le disciple § Comment peut-il y avoir identité
entre jîva (moi individuel) qui apparaît fragmenté
en tant que « je » en de nombreux et différents
individus et affligé par les sympathies et les anti­
pathies, et Brahman qui demeure non-duel, tout
pénétrant et affranchi des sympathies et anti­
pathies ? S’ils sont identiques, qui accomplit les
actions et qui confère les résultats des actions ?
Le Guru : Bien que cela ne s’accorde pas avec
le sens apparent de « je », qui est l’individu qua­
lifié par le mental, le Soi peut être identifié avec
Brahman et avec le sens indicateur de « je », nom­
mément le Témoin. La conscience réfléchie, en tant
que le mental, accomplit les actions, et Brahman
réfléchi, en tant que la Mâyâ, en confère les fruits.
La pure Conscience, qui est la seule signification de
Tu et de Cela (dans la formule « Tu es Cela»),
demeure indifférencié©. Elle ne participe pas des
qualités respectives des deux autres.
323
Le disciple : Quel est le jîva et quel est le Témoin?
Un témoin divorcé du jîva semble être une impos­
sibilité, comme le fils d’une femme stérile.
Le Guru : De même que dans un vase d’eau, le
vase-éther (c’est-à-dire l’éther dans le vase) et
Péther réfléchi du ciel forment ensemble l’éther
dans l’eau, de même la Conscience demeurant en
tant que le substrat de l’intellect et la conscience
réfléchie dans l’intellect, qui est elle-même remplie
d’impuretés telles que le désir et l’action, forment
ensemble le jîva qui est l’agent, le bénéficiaire,
etc.
D’autre part, le Témoin immuable est la
Conscience qui forme le substrat de l’intellect spé­
cifique du jîva, qui est en réalité l’ignorance indi­
viduelle. Le Témoin n’a pas d’origine. Il demeure
immuable.
Mérite ou démérite, plaisir ou peine, qui Vont
vers d’autres régions ou qui en reviennent, ne
relèvent tous que de la conscience réfléchie où
plutôt de son mode secondaire (upâdhi), le mental,
et non de la pure Conscience. Le jîva est seulement
un aspect particulier du Témoin. La Conscience est
une. Le mental constitue un mode secondaire d’un
de ses aspects, c’est-à-dire le Témoin; et un attribut
(viseshana) d’un autre de ses aspects est le jîva.
Ceci signifie que la même Conscience lorsqu’elle
est unie au mental (antah-kârana) semble être jîva
et lorsqu’elle en est séparée semble être le
Témoin. En d’autres termes, le même mental est un
mode secondaire de la Conscience du point de
vue du discriminant et un attribut du point de vue
de l’ignorant. La même conscience est le Témoin
pour un homme discriminant et le jîva pour un
ignorant.
Le disciple : Même dans ce cas, les témoins étant
aussi nombreux qu’il y a d’individus, comment le

324
Témoin peut-il être unique et identique à la
Conscience non-duelle ?
Le Guru ; Tout comme l’éther dans des usten­
siles variés n’est pas séparé ou autre que celui de
l’espace externe, de même le Témoin dans des indi­
vidus variés étant non-différent de Brahman peut
être identique à la Conscience non-duelle. Ainsi
connais « Je suis Brahman ».
Le disciple : Cette connaissance appartient-elle
au jîva ou au Témoin ?
Le Guru : Connaissance et ignorance appar­
tiennent seulement au jîva et non pas au Témoin.
Le disciple : Cette Connaissance « Je suis Brah­
man » qu’a le jîva qui est autre que Brahman ne
sera-t-elle pas niée par la suite ?
Le Guru : De même qu’il y a toujours identité
apparente entre l’éther dans un vase et l’éther
extérieur, il y a aussi la condition d’un lieu géomé­
trique commun immédiat (mukhya samânâdhika-
ranya) entre Brahman et la Conscience Témoin
(le sens profond de « Je »).
Quant au jîva (le sens apparent de «Je»),
l’identité avec Brahman ne devient possible
qu’après l’élimination de l’égoïté propre au jîva,
comme dans le cas d’un poteau pris à tort pour un
homme. (Ce n’est qu’après la négation de l’idée
d’« homme » que la réalité du poteau est identifiée.
Il en va de même avec jîva et Brahman). Ceci est
badha samânâdhikaranya, la condition d’un lieu
géométrique commun, seulement après négation
(de l’apparence).
Le disciple : Les deux sens du mot «je» — jîva
et le Témoin — apparaissent-ils simultanément ou
alternativement ?
Le Guru : Simultanément. Le jîva est l’objet de
perception du Témoin g tandis que le Témoin est le
325
«resplendissant de soi-même». En cas de percep­
tion directe d’objets externes, tel un vase, etc., un
mode mental (vritli) apparaît ; la lumière de la
Conscience y est réfléchie ; le mode de lumière
réfléchie sort à travers l’œil jusqu’à l’objet, le
pénètre et assume sa forme j la lumière ainsi
réfléchie sur l’objet dissipe les ténèbres (avarna)
de l’ignorance nature®# qui le recouvre^ et illu­
mine de la sorte les objets qui ne sont pas « res­
plendissants de soi-même ». Ceci est tout à fait
comme la lumière de la lampe illuminant des
objets contenus dans un vase, ceux-ci ne peuvent
briller d’eux-mêmes, même lorsque le vase qui les
contient est brisé. Tandis que, s’agissant de la
connaissance directe de Brahman (c’est-à-dire le
Soi), celle-ci s’ensuit en entendant le Mahâvâkyâ
« Tu es Cela », tout comme elle s’ensuit en enten­
dant « tu es le dixième » (1) ; à l’instar des senti­
ments de plaisir et de peine, la connaissance
directe s’ensuit même sans moyens externes de per­
ception ; ceci parce que le mental, détourné des
sens et regardant vers l’intérieur, devient Brahman ;
le même mode mental lève le voile du Soi et le
petit résidu d’ignorance ayant ainsi été enlevé,
comme la saleté avec le savon, Brahman resplendit
de Soj-même, tout comme la toute-pénétrante
lumière du Soleil, lorsqu’on retire le doigt qui
recouvré l’œil. De même qu’une lampe allumée
dans un vase resplendit de soi-même sans aide,
ce que l’on constate lorsque le vase qui la contient
est brisé, de même l’aide de la lumière réfléchie
(nommément jîva) n’est pas nécessaire pour que
Brahman resplendisse.
Le disciple : Quels sont les ïhoyens, tant externes
qu’internes, pour obtenir cette connaissance ?

1. Voir note à la 37® strophe de Sad Vtdya.

326
Le Guru : L’action désintéressée tels que les rîtes
sacrificiels, le culte de Dieu, ou du Guru, etc., sont
les aides extérieures. La discrimination, l’absence
de passion,, la cessation de l’action, le désir
aigu de la Délivrance, l’audition de la Vérité pro­
venant d’un Guru, la réflexion sur celle-ci et sa
contemplation, et, finalement, la recherche de la
signification des mots du Mahâvâkyâ, ce sont les
huit formes des aides intérieures. L’audition du
Mahâvâkyâ est la cause directe de la Réalisation,
Le disciple : Si la connaissance directe émane
du Mahâvâkyâ seul, quel est le rôle dévolu à l’au­
dition et la réflexion ?
Le Guru : La connaissance est de deux sortes r
fermement établie ou vacillante. Bien que rensei­
gnement du Manâv&kyâ suscité la Connaissance mê­
me chez le chercheur peu qualifié, celui-ci n'étant
pas libéré des doutes et des fausses conclusions,
cette Connaissance ne lui est d’aucune utilité. Si
cependant, il s’applique à l’audition (shravana)
etc., tous ses défauts seront enlevés. Tel est le fruit
de l’audition de là Vérité en provenance d’un Guru
et de la réflexion sur l’enseignement, etc. Puisque
le Mahâvâkyâ confère une connaissance ferme et
inébranlable au chercheur le plus hautement qua­
lifié qui a un mental pur et clair, d’autres moyens
tels que le shravana (l’audition) et le manana (la
réflexion) ne lui sont pas nécessaires. Etant fer­
mement établi, il est aussi délivré pendant la vie
même.
Le disciple : Quelles sont les marques distinc­
tives du sage et de l’ignorant ?
Le Guru Le détachement est la marque du sage,
tandis que l’attachement est celle de l’ignorant.
L’ignorant aussi peut donner des signes spora­
diques de détachement, mais puisque sa foi en la
réalité du monde objectif n’a pas disparu, son déta-
327
dhëment ne sera done qu’une phase passagère.
Quant au détachement du sage, il est le résultat
de sa ferme conviction que le monde objectif n’est
qu’un faux phénomène et par conséquent il se
tient ferme et inébranlable.
Le disciple : Certains disent que le karma
(l’action) et le jnâna (la connaissance) accompa­
gnés de la bhakti (amour de Dieu) produisent la
Délivrance.
Le Guru : Le karma (l’action) repose sur la
croyance que nous sommes l’agent et le bénéfi­
ciaire, et que l’agent, l’action et le résultat de
l’action sont différents l’un de l’autre, tandis qu’en
réalité le Soi est le Brahman incorruptible lui-
même. La connaissance réelle consiste en la non-
différenciation de l’acteur, de l’action et de son
fruit et elle n’est pas différente du Soi. Son fruit
est la Délivrance.
Le disciple : Comment ces deux énonciations
contradictoires peuvent-elles être vraies toutes
deux ? Tant que le mental persiste, il ne perdra
pas sa propre nature de vacillation ; même un
jnâni ne peut y échapper. Sa nature n’affecte pas
la Délivrance après le rejet du corps, mais il peut
certainement faire obstacle à la Béatitude du Soi
du vivant du jn&ni délivré. La dévotion ne sera-
t-elle pas une aide pour un tel jnâni ?
Le Guru : Samâdhi ou absence de samâdhi, cela
né fait pas de différence pour le jnâni fermement
établi ; donc il ne peut y avoir aucune tentative de
sa part pour tenir le mental. II n’a pas d’ignorance
qui le pousse à des activités journalières ou qui
l’illusionne au point de voir des différences, ou
encore qui le fasse aimer ou haïr quoi que ce soit.
Seul reste pour lui le résidu de prûrabdha (desti­
née précédemment accumulée). Ceci est la cause
de ses activités apparentes. Ceci également diffère
328
selon les différents jnânis et n’est pas fixé par
quelque règle. Les activités d’un jnâni sont donc
considérées comme dépendantes du prârabdha. Il
y a une classe de jnânis, comme le roi Janaka,
qui semblent désirer les jouissances en accord avec
leur prârabdha et qui paraissent tenter de les
obtenir ; il y a aussi une autre classe, comme Suka
et Vamadeva, qui, à cause de leur prârabdha de
renoncement total, sont seulement enclins à la
Béatitude de la Délivrance pendant leur vie et
dégoûtés de toute sorte de jouissance.
Puisque Brahman-Béatitude ne peut pas être
révélé par simple tranquillité du mental, mais
seulement par le mode mental particulier, c’est-à-
dire le mode Brahman, acquis par contempla­
tion de la signification de renseignement védan-
tique (qui rend également le mental tranquille), le
chercheur désireux d’atteindre la Béatitude de la
Délivrance de son vivant doit méditer sur l’ensei­
gnement du Vêdânta à l’exclusion de toute autre
chose.
Le disciple : Un jnâni peut-il être excessivement
actif ?
Le Guru : Plus le jnâni est actif moins il est en
béatitude, moins il est actif et plus il est en béati­
tude. Mais dans les deux cas son jnâna demeure
le même. L’activité, bien qu’apparemment incom­
patible avec la Béatitude de la Délivrance, ne l’est
pas avec la Délivrance elle-même, car l’illusion de
l’esclavage dans l’activité ou la non-activité
n’existe plus.
Le disciple * Puisque le jnâni sait que tout le
non-Soi (c’èst-à-dire le monde objectif) est un phé­
nomène illusoire et que par conséquent il n’est
attaché à rien, qu’est-ce qui le fait se livrer à
l’activité ?
329
Le Guru : Bien qu’il soit conscient du caractère
illusoire- du >corps, le jnâni mendie de la nourri­
ture pour maintenir le corps en vie ; de même que
les spectateurs jouissent d’une séance de magie tout
en sachant que c’est un tour du magicien, ou qu’un
malade s’adonne à de la nourriture interdite tout
en étant conscient du risque que cela comporte.
Le disciple : Comment donc est-il dit que
lé jnâni est sans désirs ?
Le Guru : Ce n’est pas que son mental ne subisse
pas la modification du désir. Il n’est pas parfai­
tement sattvique (calme) mais seulement sattvique
pour la plupart, tandis qu’il demeure encore asso­
cié avec plus ou moins de rajas et de tamas (acti­
vité et obscurité) ; tant que rajas lui est associé,
le désir ne peut pas totalement disparaître. Toute­
fois, il ne voit pas le désir en tant qu’une qualité
du Soi. C’est ce que signifie son absence de désire.
Il est incorruptible. Bien qu’il semble agir, il est
sans action. D’où les Shrutis déclarent que les
actions accomplies par le corps du jnâni — mérites
ou démérites, bonnes ou mauvaises actions — ne
l’affectent d’aucune manière.
Le disciple : N’est-ce pas une restriction pour le
jnâni dé rester toujours en Nirvikalpa Samâdhi
ou dans l’état inébranlable non-duel de pure Béa­
titude, libre de l’ignorance qui le voile, avec un
mode mental assumant la forme Brahman et fon­
dant dans la Lumière de Brahman qui résulté d’une
contemplation constante ; et aussi de ne pas laisser
le mental sombrer dans l’ignorance du sommeil
où la Béatitude du Soi demeure voilée et non-
manifestée ?
En écoutant ces inepties le Güru rit et ne dit
rien. ' .-T ■
Le disciple : Celui qui, se détournant de la Béa­
titude de la Délivrance pendant sa vie, trouve de
330
la jouissance aux plaisirs du monde, ne se détour­
nera-t-il pas plus tard de la Béatitude de la Déli­
vrance après le rejet du corps pour chercher les
plaisirs du ciel ?
Le Guru : Puisque, pour le jnâni, le fait d’aban­
donner la Béatitude de la Délivrance de son
vivant même et de désirer la jouissance des plai­
sirs est déterminé par 1é prârabdha, alors que son
ignorance a déjà été consumée par le feu de la
Connaissance, il ne se trouve pas de résidu pour
l’attacher ; puisque son air vital ne sort pas (c’est
à-dire ne sort pas du Soi tout-remplissant) et qu’il
n’y a aucune chance pour qu’un autre corps se
présente à lui ici-bas ou dans l’au-delà, il n’est
pas pertinent de penser qu’il puisse abandonner la
Béatitude de la Délivrance par un désir du ciel et
pour y résider.
Le disciple : Qu’est-ce que la Délivrance durant
la vie ? Et qu’est-ce que la Délivrance après le rejet
du corps ?
Le Guru : Etre libre de l’illusion de l’esclavage
même pendant la vie dans le corps, c’est la Déli­
vrance pendant la vie (jîvanmukti). Le Prârabdha
ayant pris fin, l’ignorance (sous ses deux formes,
grossière et subtile) fond dans la Connaissance Su­
prême et ceci est la Délivrance après le rejet du
corps (vidêhamukti).
Ceci est l’Essence de tous les Shastras. Après
l’avoir écouté, le disciple réalisa le Soi et fut ainsi
délivré de son vivant même et après le rejet du
corps également.
OM TAT SAT
Shri Râmanarpanamasthu

331
G LO SS A IR E

A
Adwaita : Non-dualité, parfois incorrectement appelée « Mo­
nisme ».
agami karma : actions bonnes et mauvaises, qui doivent porter
fruit dans des existences futures.
Aham : Je ; soi incorporé ; âme.
aham sphurana : la pulsation du Soi-Béatitude dans lé cœur.
aham swarupa : notre vraie nature.
ahamkâra (ou ahankâra) : le soi-ego ou la conscience indi­
viduelle.
ajnâna : ignorance ; connaissance de la diversité sans unité
essentielle.
ânanda : béatitude.
anartha : le Mal, sans valeur.
antah-kârana : instruments de perception interne.
antarmukha-dnshti : vision interne.
apâna : l’un des dix airs vitaux.
aprâna : au-delà de la vie manifestée ; vide de la vie.
âsana : posture y^guique.
Ashtanga-Yoga : Yoga consistant en huit degrés de discipline.
Atmâ (ou Atman) .* le Soi ; le Principe de la vie et de la
sensation.
Atmâ-Dhyâna )
Athmanusandhâna j =contemplation du Soi,
Atmâ-Vichâra : investigation dans le Soi.
avidyâ : nescience, ignorance.

B
bahirmukhà-drîshti : conscience tournée à l’extérieur.
Bhagavan : nom communément employé pour désigner Dieu.
Titre utilisé pour quelqu’un qui, comme Shri Hâmana, est
reconnu avoir réalisé son identité avec le Soi.
bhakta : un dévot, celui qui suit la voie d’amour.
bhakti : dévotion et amour.
Bharata : qualificatif d’Arjuna utilisé par Shri Krishna dans
la Bhagavad-Gîta, signifiant « âme resplendissante ».

322
bhâvana : méditation continue ; constante concentration
d'esprit.
Brahmâ : Seigneur de la Création ; Dieu en tant que Créateur.
Brahman : le Principe Suprême, l'Absolu.
Buddhi : l'intellect discriminant ; l'un des quatre aspects de
l’organe interne.

i
chakra : une roue, un centre de concentration yoguique.
chandragâna : jeune expiatoire d’un mois complet, commen­
çant à la pleine lune, la nourriture étant chaque jour
diminuée d’une poignée pendant la quinzaine décroissante,
et augmentée dans la même proportion pendant la quin­
zaine croissante.
Chit ; l’Intelligence Absolue ou la Conscience.
chitta : le mode mental tourné vers les objets. Cet aspect du
mental dans lequel des impressions sont emmagasinées.

dahara vidyâ : contemplation dans la cavité du eœur.


dêva : un dieu ou un être céleste.
dêvatâ : une divinité.
Dêoi : la Mère Divine ou une Déesse.
dharma : loi, ordre, conformité à l'ordre, action vertueuse,
vie harmonieuse, devoir naturel de l’homme. Egalement
qualités inhérentes.
dhyâna : contemplation, le septième échelon dans l’échelle de
l'Octuple Yoga (Ashtanga-Yoga).
drik : sujet.
drishya : objet.

G
Ganapati : le fils aîné du Seigneur Shiva, celui qui enlève
les obstacles. Le même que le Seigneur Ganêsha, le chef
des armées du Seigneur Shiva.
Gudakesa ; épithète d’Àrjuna conquérant du sommeil. Le Sei­
gneur Krishna utilise ce terme en s'adressant à Arjuna.
gunas : les trois qualités fondamentales, tendances ou forces
sous-jacentes à toute la manifestation : sattwa, rajas et
tamas représentées, respectivement par le blanc, le rouge et
le noir.

333
H
homa : sacrifice du feu.
Hridaya : le Cœur (Hridi + Ayam = Centre + Ce). Le siège
de la Conscience du côté droit de la poitrine, comme l’a
éprouvé et exposé Bhagavan Shri Râmana.
1
Indra : le Seigneur des Dêvas. Le premier pratiquant du
Brahma vidya. La Mère Divine fut son Maître.
Isha : le Suprême Seigneur.
Ishwara : le nom du Suprême Seigneur indiquant sa Seigneurie
sur les mondes.

J
Jaganmâyâ : illusion universelle et mystère du monde.
Jîva : l’âme individuelle ou l’ego.
Jîvanmukta : celui qui a réalisé l’Identité Suprême pendant
qu’il habite le corps.
Jîvanmukti : la Délivrance en cette vie.
jnâna : connaissance de la forme transcendante absolue et
du sans-forme.
Jnâna-mârga : la Voie de la Connaissance.
Jnâni : homme ayant réalisé le Soi, un Sage ; celui qui a
atteint la réalisation par la voie de la Connaissance.

K
Kailas : une Montagne de l’Himalaya réputée être la demeure
du Seigneur Shiva.
Kaiualya : Unité Absolue. Emancipation finale. L’une des cent
huit Upanishads.
Kali-yuga : le dernier des quatre âges du monde (Krita, Trêta,
Dwapara et Kali).
Kâma : désir, amour physique. Entité équivalente à Cupidon.
karma : action, travail, œuvre ; les fruits de l’action s’accu­
mulant de trois manières : sanchita., prârabdha et âgâmi ;
voir ces termes. Egalement destinée.
Karma-mârga : la Voie des devoirs rituels et religieux, et
l’action.
kêvala kumbhaka : rétention du souffle menant à la stabili­
sation du mental» sans inspiration ou expiration.
Kshetra : lieu sacré de pèlerinage, un sanctuaire. Dans le
Yoga : cité ou champ du corps.

334
Rshetrajna : le principe conscient (Connaissant) dans le champ
du corps. Le témoin absolu conscient des trois états du
Soi : veille, rêve et sommeil.
Kundalini : le cercle mystique de trois spires et demi, situé
dans la région ombilicale. Le principe yoguique de la
puissance du serpent. La Mâyâ primordiale.
L
laya : absorption. En Yoga, absorption du souffle et du mental
dans le cœur.

M
Maharshi (Maha Rishi) : Grand Rishi ou Sage.
Mahat : Grand Intellect cosmique, principe intellectuel source
de ahankara, voir ce terme.
Mahatma : âme supérieure, personne hautement spirituelle.
Mahâvâkyâ : les quatre principales formules proclamant la
Vérité de Brahman, tirées respectivement de l’Itareya
(Aitareya) Upanishad du Rig Vêda, de la Brihadaranyaka
du Yajur Vêda, de la Charidogya du Sama Vêda, et de la
Mandukya de l’Atharva Vêda. Egalement l’une des cent huit
Upanishads expliquant les mahâvâkyâ.
Maheswara : l’un des cinq aspects du Seigneur Shiva, en tant
qu’il voile la Vérité aux âmes, jusqu’à ce que leur karma
soit complètement épuisé. De même, le Seigneur Shiva en
tant que Para-Brahman, l’Etre Absolu.
manana : contemplation. Le second des trois stades de la
réalisation védantique.
manas : mental, raison, mentalité. Terme également utilisé
pour l’agrégat de chittat huddhi, manas et ahankara.
mantram {mantra) : formules des Védas, utilisées pour le culte
et la prière. Egalement lettres fondamentales pour la
méditation sur la forme du Seigneur. Incantation rituelle.
marana : Part de causer la mort par des pouvoirs surnaturels.
Mâyâ : illusion, fausse apparence. Manifestation ou illusion
personnifiée.
mithya : le faux.
Moksha : Délivrance ; émancipation finale ; libération de la
transmigration.
Mouna : silence. L’inexprimable. La Vérité de Brahman, qu’ex­
prime le connaissant de Brahman, par sa simple demeu-
rance en sérénité.
mudra : geste et position de la main dans le culte et la danse.
Mukta : un homme délivré.
Mukti : la Délivrance.

335
N
nâdî : les 72.000 nerfs du corps véhiculant la force vitale.
Parmi ceux-ci, Idaf Pingala et Sushumna sont les princi­
paux. Dans l’état de samâdhi, tous sont fondus en un seul :
« Para » ou « Amarita » Nâdi.
nâsha : destruction.
nidhidhyâsana : le dernier des trois stades de la réalisation
védantique. Contemplation ininterrompue.
nirâsa : absence de désirs.
nirvikalpa samâdhi : le plus haut stade de résorption dans
lequel l’âme perd tout sens de différentiation d’avec le Soi
Universel, mais état temporaire d’où l’on revient à la
conscience individuelle.
nisehala bhâva : immobilité, stabilité, aussi Eternité.
nishta. : demeurance en ferme méditation.
niyâma : discipline ; devoir religieux ordonné pour le second
des huit stades du Yoga.

P
Padma : Lotus, dans le Yoga, posture dans laquelle le pied
droit est placé sur la cuisse gauche, et le pied gauche sur
la cuisse droite, accompagnée des poses de mains corres­
pondantes.
Paramapâda : Station suprême.
Pâramârthika : le Vrai Soi.
Paramâtmâ : le Suprême Soi, le Brahman Universel.
Parantapa : épithète d’Arjuna, signifiant celui qui détruit son
ennemi.
Partha : Arjuna, le fils de Pritha — autre nom de Kunti, sa
mère.
prajnâna ghana : ensemble de connaissance intégrale = Brah­
man ; l'Absolu, Connaissance immuable.
Prakriti : Substance Primordiale dont toute chose est créée.
La Nature Primordiale.
pramada : déviation de la demeurance dans l’Absolu.
Prâna : le premier des airs vitaux centré dans le cœur.
Pranava Japa : incantation de « Om ».
Prânâyâma : contrôle du souffle.
prârabdha karma : portion de la destinée due aux actions
passées (Karma) qui porte fruit dans la présente existence.
Prasthana T raya : le triple canon du Vêdânta. Les trois auto­
rités scripturaires védantiques : Upanishads, Brahma-Su-
tras, Bhagavad-Gîta.

336
pratyahara : retrait des sens de la réalité objective : le pre*
mier échelon dans l’échelle du Yoga.
Puranas : Dix-huit livres sacrés, attribués à Vyasa, traitant
de la création première et secondaire, la généalogie des
rois, etc.
Purnam : Plénitude, Infini.
Purusha : Esprit, âme, principe vivant.
Purushartha : fins humaines ; objectifs dignes de la poursuite
humaine : Dharma, Ariha, Kama et Moksha.

R
Raghavà : épithète de Shri Rama en tant qu’il appartient à la
lignée des Raghu.
Râja-Yoga : principal système de Yoga enseigné par Patanjali.
rajas : l’une des trois qualités primordiales, décrite comme
rouge, le principe de l’activité (voir guna).
Rishi : Sage (voir également : Maharshi).
Rudra : le Seigneur Shiva dans l’un de ses cinq aspects :
le Dieu Destructeur.

S
Sadashiva : Le Suprême Seigneur comme bonté éternelle.
Sad-Guru : Le Grand Maître, le vrai ou parfait Guru.
Sâdhanâ : chemin vers la Délivrance.
Sâdhu : ascète ou quelqu’un qui a renoncé au monde en quête
de la Délivrance.
Sahasrâdala : le lotus aux mille pétales ; le centre de l’illu­
mination expérimentée dans la couronne de la tête dans
la voie yogique.
Sâkshin : témoin.
Samaria : l’un des dix airs vitaux.
sanchitha karma : karma accumulé des existences passées qui
restent à être éprouvées.
Sankalpa : volition, activité mentale, pensée, tendances et
attachements.
Sânkhya : doctrine de la manifestation universelle, l’un des
six points de vue de la doctrine hindoue.
Sannyâsa : renoncement.
sannyâsin : quelqu’un qui a renoncé au monde.
saruatmabhava : l’état d’expérimentation du Soi en tant que
tout. Demeurance dans l’Unité de l’Etre.
Sat : Existence. Etre Pur

337

22
Satchidananda : Etre-Conscience-Béatitude.
sattwa : tendance à la pureté ; l’une des trois gunas (voir ce
mot).
Savikalpa samûdhi : état de conscience dans lequel la distinc­
tion entre Connaissant, Connaissance et Connu n’est pas
encore perdue.
Shakti : énergie qui se manifeste d’un aspect divin, représentée
mythologiquement comme l’épouse d’un dieu.
Shanto dantha : quelqu’un qui est calme et qui a le contrôle
de lui-même.
Shastras : Ecritures.
Shiva : le Suprême Seigneur. Egalement l’un des aspects de la
Trimûrti (« triplé manifestation ») hindoue.
ShiDoham : l’incantation : « je suis Shiva ».
Shraddhâ : ardeur, foi, acquisition fidèle de la connaissance
théorique de la Vérité.
shravana : écoute de la Vérité en provenance du Maître.
Sliruti : les Védas entendus par les Sages dans leur état trans­
cendant et transmis aux disciples oralement.
Siddha : quelqu’un doué de pouvoirs surnaturels et capable de
faire des miracles. Quelqu’un qui a atteint le but.
Siddhi : la réalisation, l’accomplissement. Egalement pouvoirs
surnaturels.
Skanda : le plus jeune fils du Seigneur Shiva ; le chef des
armées divines, ou encore le Seigneur Subrahmania.
Smriti : écritures hindoues faisant autorité autres que les Védas
(shruti).
sushupti : sommeil profond.
swarupa nishta : demeurance en Soi-même.

T
tamas : obscurité, ignorance ; l’une des trois gunas (voir ce
mot).
tapas : austérités méthodiques.
Tat : Cela, Brahman.
tattwa jnâna : connaissance de la Réalité (Brahman ou Atman).
Tattwam : Réalité, Vérité, Principe.
Tat-Twam-Asi : « cela Tu l’es ».
thanmaya nishta : demeurance en tant que Cela.
Turiya : le quatrième état ; la Conscience témoin — toujours
présente et sans changement à l’encontre des trois états
changeants de veille, rêve et sommeil profond.

338
ü

Udâna : l ’u n des dix a irs vitaux, a y a n t son siège dans le cou.


upadêsha : la direction sp iritu elle ou l’enseignem ent donné
p a r un Guru.
Upanishads : écrits m étaphysiques fa isa n t p artie des Védas.

Vaikunta : le ciel de V ishnu.


vairâgga : affranchissem ent des désirs du m onde ; absence
de passions.
vâsanâs : prédispositions, tendances, ou propension du m ental
dans la présente vie, dues au x expériences d’existences
an térieures.
Vâsudêva : Seigneur K rishna, en ta n t que fils de Vâsudêva,
le Seigneur dont la m an ifestatio n constitue to u t ce monde.
L’une des 108 U panishads in d iq u an t le chem in de Vâsudêva.
Vêda : les Livres sacrés des Hindous : Rig, Y ajur, Sâm a et
A tharva, révélés p a r les Rishis.
Vêdânta : la V érité absolue exposée dans les U panishads, les
B rahm a-S utras e t la B hagavad-G îta interprétée p a r Shri
Vyasa. La fin ou la consom m ation des Vêdas.
veena : un instrument de musique à cordes.
vichâra : recherche de la v érité du Soi.
Vidêhamukta : un être délivré après le re je t du corps.
Vidêhamukti : la ré alisa tio n du Soi après avoir q u itté le
corps.
Vijnâna : connaissance discrim in ato ire du réel et de l ’irréel.
Vishnu : Dieu en ta n t que C onservateur, dans la T rim û rti
hindoue.
vishaya vâsanâs : prédisposition à la jouissance des sens.
vivèka : d iscrim ination.
viyoga : séparation.
Vyâna : l’un des d ix a irs v itau x causant la circulation du sang
et p arco u ran t to u t le corps.
oyâoahârika : le phénom énal ou l ’em pirique.

Yuma : le prem ier échelon de l’échelle de l ’octuple Yoga ;


m aîtrise de soi ; abstention du mensonge, du m eurtre, du
Vol, de l'envie, de la convoitise, etc.

339
INDEX
(La présente liste ne contient pas quelques termes sanscrits au­
jourd'hui très connus des lecteurs occidentaux et qui reviennent
un grand nombre de fois dans nos textes, à savoir : Atman, Brahmâ,
Brahman, Guru, jîva, jnânî, karma, mayà, Shiva et Vishnu* Ces termes
sont d'ailleurs, expliqués dans notre glossaire).

A c h tln , 96, 107 Anubhava, 173.


AchAra, 201. ApAna, 252.
AchA rya, 220. 'A prA na, 195.
AdhAra, 319, 319* A rju n a , 185, 187, 188, 191.
A dhyA tm ika, 306. A rudha, 176.
A dhihhoutika, 306. A ru n a, 81, 82, 94, 96, 104, 105, 107.
A dhidaivika, 306. A runachala, 11, 21, 75, 77, 78, 79, 80, 81,
A dhikA ri,. 171. ~ £ 2 , 83, 96, 97, 98, 99, 100, <102, 103,
A d h isth in a , 225, 318, 319. 104, 105, 106, 107, 108, 109, 127, 132,
Adwa'ita, 15, 14, 78, 192, 212, 267, 307, 308. 135, 147, 148.
Agam as, 192, 201, 202. A runagiriar, 315.
A gAm i, 124, 131; 239. A sam shakti, 176.
A gäm ya karm a, 291. A sana, 51, 57.
A ha m , 237, 238. A shram , 12, 61, 78, 79, 116, 135, 141, 142,
A ham B rahm asm i, 42, 238. 147, 173, 374; 175, 192.
A h a m -kriti, 309. Ashram as, 96, 169, 172, 221> 226,-
A ham sphurana, 30. A shtakam , 103.
A ham swarupa, 36. A shtanga yoga, 51, 53.
AhankAra, 26, 33, 34, 63, 252. Atchram anam alai, 83.
A h a t, 187. A tharva Veda, 268.
A fry» m u kti, 179. A tlta , 178.
A iyasam i, 76, 77. Atm AdhyAna, 54, 68,
AjahAti-lakshanA, 269. Atm A n ish ta , 169.
A jnA na, 30, 128. ApnAnusandhana, 238.
AkAsha, 226, 232. A tm A prajna, 176.
A lagu, 83, 98. A tm A Sakshatkara, 192, 193,
A m alaka, 221. A tm A tattw a, 282.
A nanda, 56, 96, 110, 173, 224. A tm A VichAra, 25, 43, 68, 72.
A nartha, 278. A tm A vidya, 41, 138.
A nnam alai, 80, 81, 97, 103, 140. A varna, 326.
Anna rasa, 226. AvasthAthraya, 32.
Antah-kA rana, 34, 309, 324. A vidyA , 29, 32, 33, 114, 308, 320t
A ntarinukha-drishti, 65, A w a ya r, 142.

Badha drishti, 294. Bhagavad G ita SAram, 185.


Uadha samAnAdhlkaranya, 325. Bhagavan, 7, 11, 12, 17, 78, 79, 80, 98,
/Iahir m ukha, 63, 65. >112, 116, 127, 134, 135, 138, 141, 142,
143, 145, 146, 147, 149, 152, 153, 193,
/Iandha n lvrlttl, 161. 213, 224, 235, 307.
A4nar4s, 11, 103. Bhagavan S h ri Sana tb Sujatha, 2 77.
Ithagavad Q ita, 58, 185. B hakta, 58.

341
'B hakti, 24I 58, 108, 109, 110, 115, 128, 149, B rahm anndhn, 52, 55.
258, 244, 528. Brahmasútras, 107.
B ha kti m irga, 109. Brahmavidyara, 176.
B h a n ta , 185, 187, 1 9 t Bnhm avidvarishta, 177.
Bhávana, 129, 167. Brahmavidvarya, ITT.
B hum ikas, 176. B n h m a vit, J176.
B hum inatishw an, 98. Brihaspati, 202.
Bodha, 224. B uddhi, 29, 54, 126, 189, 222, 229, 252,
B rahm achiri, 221. 509, 510, 515.
Brahmach&rya, 171. Buddhiyogam, 188.
B nhm aivaham , 258.
cm
C h a in s, 44, 205. Chidambaram, 11, 96, 103.
Chandrayana, 280* C hit, 29, 5 6 ,9 6 ,1 1 0 ,1 5 8 , 175, 205,209,284.
C baitanya, 203. Chit-jada-granthi, 121.
Chidábhása, 57, 164, 174. C hitta, 54, 252.
Chidakasha, 5 9.

V a h a n rid y i, 42. V h ira n i, 52/ 53/ 56.


V akshinam úrti, 11, 104/ 134/ 213/ 214/ 215. Vharm a, 280, 298.
V arshan, 81, 126. V h t, 222 .
Veepum , 79, 81. V hyána, 26, 52, 56, 58, 72, 112, 113, 159,
Désha, 155. 160, 167, 238.
V éva, 202. Vhyána siddhi, 1 6 t
Vévadatta, 265, 269, 270, 3 0 t Vigambara, 90.
Devamátman, 39. V rik, 309. .
V ira ta , 196. D rik drishya virika , 255, 307.
V iv í, 2 0 t D rishya, 309.
V eriia lo ttara , 192, % 0t

- s
Ekatmapanchakan, 134. |

«r
G
G am hhinm Seshayya, 2 t G ranthi-nisa, 1 6 t
Ganapati, 40/ 83. Grihastha, 2 2 t
G anapati Shastri, 77, 149. G udikesa, 185, 184.
G anisha, 79, 80/ 83. Guha, 103/192/ 193/ 199.
Gautama, 86. Guhesa, 129.
Ghana, 3 t Gunas, 190, 253, 254, 255, 2 75, 282, 293.
Gorinda, 240.

- H ~
H a sti, 2 2 t I H ridaya, 38, 64, 143.
H 'astim alaka, 220, 2 2 t I H ridaya granthi, 144.
H om a, 288. 1
w l -
Indra, 202/ 284. 1 Ishta devati, 53.
Iraipani n itra l, 157. I Isb w a n , 157, 161, 162, 178, 193, 201, 269,
Isba, 114/ 294. 1 270/ 294.

342
Jabam, 112, 113. Jtranm ukti, 45, 239, 331.
Judam, 114. J lr itm i, 229, 312.
Jagad, 35, 63, 161( 319. J n in a , 26, 30, 51, 57, 69, 108, 110, 113,
128, 149, 160, 177, 197, 201. 202, 236,
Jagadeesa Shastri, 127 322, 328, 329.
Jagadgun, 239. Jn in a ashtanga, 56.
Jaganm ayi, 93. Jn in a bhum ikas, 176.
Jagrad sushupti, 173, 178. Jn in a drishti, 65.
Jahatl-ajahad-lakshana, 269. Jn in a m irga, 15, 17, 56, 108.
Jahati-lakshana, 269. Jninatapas, 103.
Japas, 159, 322. Jum na, 220.
jivanm ukta, 50, 206, 232, 239. Jyo ti, 39.

—K -
Kailas, 54. Kataka, 225.
Kaivalya, 29. K ivala kumbhaka', 57, 58.
K ila , 201. K ivala N irvikalpa sam idhi, 173.
Kala Jn in a , 202. Koham , 44, 61.
K ali-yuga, 17. Kosha, 22 7.
Kalpaka, 126. K rishna, 58, 185, 190.
Kama, 97. K shatriya. 221.
Karma m irga, 15, 109* Kshetra, 185.
K a rti, 175, 308. K shetrajna, 185.
K artikai, 81. K undalini, 44.
K artu, 112. K un ti, 185*

- I -
Zaya, 113.
Likashana, 269.
Lakshanam, 28» I Linga-sharira, 63.

- M -
M adura, 8. M iy i shakti, 179.
M ahat, 33, 255. M e n , 269.
M ahitm as,268, 270, 289, 300. M ith ya , 286.
M ahatm ya, 82. M itbya drishti, 294.
M a h iv ik y i, 96, 229, 237 , 326, 327. M oksha, 57, 72, 177, 179,1202, 203, 206.
Maheshwara, 40. M ouna, 65.
M anana, 234, 236, 237, 327. M udhusudana, 185.
M anas, 8, 26, 28, 34, 37, 39, 41, 62, 63, M udras, 214.
188, 252. M ukhya sam inidhikaranya, 325.
M anas Lakshanam, 28. M u kta, 206.
M anjari, 152. M u kti, 45, 205, 207.
M antras, 178, 194, 195, 196, 203, $11 M u n i, 232.
M arana, 209. M uruganar, 112, 116, 143.
M ir gas, 110.

N ida, 167, 176. N andi, 82.


N idts, 164, 203. Narayana, Reddi, 77.
Namaslilvaya, 103. Narpadu, 116»

343
Nisba, ií5. N irvika lp a sam àdhi, 9 2, 238, 248, 280, 282,
N atan an a ñd a , 152. 283, 284, 288, 311, 312, 330.
N a vam aním ala i , 96. N isch ala bhàva, 277.
N e lli, 138. N ishchaldàs, 315.
N id h íd h yá sa n a , 234, 236, 238, 262. N lsh ta , 278.
N ir is a , 6 9 . N ity a , 163.
N trg u n a , 49. N iv r itti, 1 7 1 ,
N irgunopasana, 168. N iya m a , 51, 56, 255.
N ir v in a , 195, 204.

0 -
O m , 52, 54, 84, 159, 306. 1 O m -tat-sat, ,152/ 333L
Ì -
P a d irth ib h iv a n i, 176. P tam ada, 278.
P a d d y, 227. B rin a , 113, 114, 195, 205, 252, 260.
P adm as, 203. F ranava, 54.
P a lan isw am i, 13, 76, 77. F ranava ja p a , 52.
P ancha, 227« P r in iy im a , 51, 66, 160.
P ancharatna, 77, 107. P rapancha, 307.
P a ri B h a k ti, 157. P rirabdha, 86, 105, 124, 132,169, 170, 175/
P a ram apida, 54. 177, 178, 179, 206, 239, 272, 292, 293,
'P á ra m á rth ika , 313, 314. 303, 328, 329, 331.
P ira m á rth ika J iv a , 313, 314. P rirabdha ka rm a , 206, 291; 292.
P aram átm an, 8, 38,39, 5 0 ,1 4 8 , 229, 246, 312. P rasthana tra vya , 235.
P aram esa, 225. P ritib h isik a , 319.
P arantapa, 187. P ratyàhàra, 52 , 54, 56.
P a rth a , 190. P ravilapa d rish ti, 294.
P á m tí, 192, 201, P u ja , 112.
P a ta n ja li, 109. P uranas, 297, 301.
P athig a m , 99. P u m a , 163.
P oppadum , 135, 136, 137. P u rn a m , 114.
Pr& jna, 178. P urusha, 8, 179, 219, 226, 251, 257,
P ra jn in a , 30, 31. P urusharta. 239.
P ra k r iti, 35, 181, 227, 265, 281, 286, 298,
299.

R -
PagAara, 130, 131. R im a n a G iti, 149.
P a/af, 30, 35, 48, 49, 237, 254, 255, 257, R im a narpa nam asihu, 331.
258, 261, 262, 273, 310, 313, 330. R am anasram an, 149, 152.
P ija -y o g a , 5 2, 57, R a siya n a , 230.
Pània, 72, 129. R a ti, 97.
P iraa G ita , 49. R ish i, 40, 111, 112.
R im a n a , 7 , 12, 112, 115, 127, 148> 152, R u dra, 4Ò, 296.
153, 212, 213, 224.
R ip a , 309.
R im a n a B hagavate N a m a h , 152.

- s
Sadashiva, 40, 296. Sadhu, 12, 75, 111, 149, 209, 217> 244, 246,
Sadguru, 155, 240, 244. 265, 267. 268, 291.
S id h a k a , 168, 172, 224, 234, 307, 308. Sadhu A runachala, 18.
S id h a n i, 16, 159, 161, 168. 248. S a d sh ish ya , 155.

344
S ad vid ya , 116/ 326. M a iri, 63, 96, 105, 16 2 ,1 9 4 , 203, 253, 301.
S ahaja n irvika lp a , 173/ 178. S h a n k a ri, 210, 21 2 , 217, 218, 224, 236, 238,
Sahaja sam ádhi, 92, 308. 239, 307.
Sahasradala , 33. Sh ahkarà B aghavath P adaharya, 306.
S a h a srira , 160. M aniartÌcM iyi, 31, 212, 213, 220, 221, 235/
S aksh a tka ra , 193. 236, 307, 308.
S á ksh in , 39/ 310, 311. S h à n ti, 232.«
Sam ádhi., 14, 5 2 , 55, 67, 70, 151, 164/ 166/ S h a n to da ntha , 280.
167, 238, 243; 277/ 282, 283/ 284/ 288/ Sh astras, 5 2 , 247, 250, 301, 331.
294, 295, 311, 312/ 317/ 328. Shivaprakasam P illa i, 61.
S a m ád h i yoga , 284. Sh ivoham , 41 , 45.
Sam ána , 252. Sh o n a g iri, 97.
Sam sára , 100, 109/ 121, 141/ 162/ 193/ 201, Shraddhà, 208.
202, 204, 206, 225, 233, 241, 244, 245, g ira v a n o , 234, 236, 237, 280, 327.
246, 250, 251, 257, 258, 261,. 262, 272, Shravana m anana, 262.
279, 282, 283, 288, 290, 291, 299, 305, S h ris h ti, 35.
306, 310, 316, 318, 321. S h ru ti, 9 , 126, '226, 230, 307, 330.
Sam skára, 164. Shu dd ha, 42.
S anaka, 213. S h ùdra , 221.
Sanandana, 213. S id d h a , 11, 82.
S a n a t kum ara, 213. Siddhanta, 157, 179.
S a n a t su ja ta , 213. S id d h is, 123, 179, 278.
S anchita , 124, 131, 239. S ka n d a , 202.
S anchita kazm a, 291» Skanda pu ràna, 79 , 82.
S a n ja ya , 185. Skandasram am , 155.
S an kalpa, 170, 278, S lo ka , 108.
S á n kh ya , 247. S m riti, 69.
S a n n yá s, 169, 170, 171. S p h u rin a , 30, 80.
Sannyása, 59. S zid d h a , 208.
S a n n yá sin , 59, 221. S to tra , 107, 110, 220, 221.
Saram , 111. S ta ti, 159, 217, 218.
Sarva Jn a nottara, 192. Subhéccha, 176.
•Jarva S aksh in , 39. Subram ania, 192.
Sarvatm abhava, 280. S ukshm a , 49.
Jar, 56, 96, 110, 114, 175, 312, 331. Sukshm a-m anas, 65.
S a t-ch it, 173, 175. Sukshm a-sha rlra, 63.
Satchitánanda , 50, 56, 62, 72, 153, 155, 157, Sund ara, 83, 98.
163/ 176, 219, 225, 310. S u n d a ri, 98.
S attw a , 35, 48, 165, 174, 255, 261, 272, 273. S u sh u p ti, 114.
Sa tw áp athi, 176. S ù tra , 10 7.
Savikalpa sam ádhi, 311, 312. S via m i, 76 , 146.
S a y u jy a , 179. •SVartfpa, 47, 56.
Shadanana, 195. Sw arùpa n ish ta , 2 78.

- X
T aijasas, 178. T ittw a jn à n a , 284.
Tama/, 30, 35, 48, 49, 237, 254, 255, 257* T a t-tw a m -a si, 237, 313.
238, 261, 262, 272, 275, 305, 310, 311, T a ttw am asi, 96.
313, 330. T attw a s, 28, 73, 87, 176, 193, 204, 280.
T anum inasa, 176. T éjo lin g a m , 107.
Tapas, 43, 97, 115, 202, 224. T hanm aya n ish ta , 115.
T if, 237, 331. 'T iru c h u li, 98.

345
Tiruvannam alai, 11, 12, 75, 103/ 146, 147, Turyagá, 176.
152/ 315. T u rya tita , 41,
Tiruvarur, 11, 103. Tw am , 72)7,
Tariya, 3% 178, 207.

IT -
Udána, 252. U padhis, 226, 229 , 232, 234.
U lladu, 116. Upanishad, 154, 229, 253, 305, 313.
Upa, 155. Upásana, 323.
Upadésha, 111, 152, 153, 155, 237. U ttara, 201.
Upadésha M an ja r i , 6, 151, 152, 153, 155.

- V -
V aidik dharm a, 240. V ic h ira n i, 176.
V aikunta, 54. Vich&ra Sigara , 315.
V airigya, 69, 243, 248. Vichára Sangraba, 21.
W 96. V idéham ukta, 49, 206.
V aishya, 221. V idéham ukti, 45, 50, 239, 331.
Vanaprastha , 221. V idya, 42.
V arishta, 177. V ijn in a , 30, 173, 285«
Vasana, 46, 62, 68, 73, 230, 272, 273, 283, V ijn in a m aya, 262.
310. V ikalpa, 170.
FarisAia, 40, 59, 129, 272. V irupaksha, 21, 77, 80, 127, 192, 235,
VasudSva, 189, 190. Viseshana , 324.
m 94, 112, 192, 195, 219, 229, 240, 247, V isha, 249.
290, 295, 301, 318.
V ishaya, 249.
V6danta , 31, 58, 82, 94, 133, 136, 154, 157,
. 179, 212, 236, 239, 240, 260, 287, 288, FwAajra-v is anas, 68.
302, 316, 329. V ishvanathan , 152.
Veena , 247. V ishw a, 178.
Vellore , 77. V ivéka, 168, 174.
Fea&a, 103. V irekachúdám ani, 31, 136, 235, 239, 306.
Venkataranan , 12. Fxyoga, 128.
V ibhakti, 128. Frita-, 326.
V ich ira , 25, 43, 161, 201, 236. Vyána, 252.
V ichira M a n i M ala , 315. V yavahárika, 311, 319.

Ta/nr FA/a, 278. Toga m&rga, 109.


Yaksha, 221. Toga Sútras, 109.
Yam a, 51, 56, 255, 300. reg í, 22, 58, 109, 110, 114, 160, 194, 202,
Y antra, 311. 206, 209, 214, 220. 231, 232, 271, 273,
Toga, 26, 42, 44, 51, 52, 57, 58, 108, 110, 284, 289.
113, 128, 132, 149, 160, 189, 197, 198, Y ojana, 82.
204, 209, 238, 246, 247.

346
TABLE DES MATIERES

Pages
Préface par Arthur Osborne ........................................... 7

Première partie

ŒUVRES ORIGINALES
I PROSE
LA RECHERCHE DE SOI-MEME (V ic h a ra S a n graha) 21
Chap, I. La Quête du Soi ( Atmâ Vi&hâfa) . . . . . 25
Chap. H, La nature du mental (M anas L a k sh a n a m ) 28
Chap. III. Les Trois Etats (A v a sth â th ra ya ) 32

.
Chap. IV. Le Monde U a g a d ) ................................... 35
Chap. V. L’Ego (Jîva) .............................................. 37
Chap. VI. Le Suprême Etre est le Soi (P a ra m â tm a n ) 39
Chap. VIL Connaissance du Suprême Soi (A tm â -
Vidya) .......................................................... 41
Chap. VIII. L’adoration n’est que recherche de Soi
(A tm â -V ic h â ra ) .......................................... 43
Chap. IX. La Délivrance (M u k ti ) ............................ 45
Chap. X. L’Octuple voie du Yoga (A sh tâ n g a Yoga) 51
Chap. XI. L’Octuple voie de la Connaissance (Jnâ-
na-ashtânga) .............................................. 56
Chap. XII. Le renoncem ent (S a n n y â s a ) .................. 59
Chap. XIII. Conclusion .................................................. 60
QUI SUIS-JE (K oh a m ) .................... . . ........................... 61

II. POEMES
CINQ HYMNES EN L’HONNEUR D’ARUNACHALA
(Propos introductif) .................................................. 75
I. La Guirlande Nuptiale de Lettres (A ru n a ch a la
A tc h ra m a n a m a la i) ........................................ » . . . 83
II. Le Collier aux Neuf Gemmes (A ru n a c h a la Na-
v a m a n im a la i ) ............................ 96
III. Onze Stances au sujet de Shri Arunachala (A ru ­
n a ch a la P a th ig a m ) ................................................ 99
IV. Huit Stances sur Shri Arunachala (S h r i A ru n a ­
chala A s h ta k a m ) .................................................... 103
V. Cinq Stances dédiées à Shri Arunachala (S h ri
A ru n a ch a la P a n ch a ra tn a ) .................... 107

348
Pages
L’ESSENCE DE L’INSTRUCTION (Upadêsha Sâram) gfl
LA CONNAISSANCE DE L’ETRE (l/ZZadii Narpadu
au Sad-Vidya)
I. Quarante H n | | ............................... ......... 118
II. Supplément aux Quarante Strophes »............ . 125
CINQ STROPHES SUR LE SOI (Ekatmapanchakam) 134
POESIES VARIEES :
I. Le Chant du Poppadum .......................... , -... 135
IL La Connaissance de Soi (Atmâ-Vidya) . . . . . . 138
III. Strophes concernant la célébration de l’anni­
versaire de Bhagavan ..................................... 141
IV. La Complainte de l’estomac .......................... 142
V. Neuf Strophes éparses ................................... 143
VI. Excuses aux frelons. Sommeil en éveil ......... 145
VII. Réponse à sa Mère .......................................... 146
VIII. Pour la guérison de la Mère ...................... * 147
IX. Arunachala Râmana ....................................... 148
X. Le Soi dans le cœ u r........................................ 149

Deuxième partie

INSTRUCTION SPIRITUELLE
(Upadêsha Manjarî)
Chap. L Upadêsha ou Instruction spirituelle . . . . 155
Chap. II. Sâdlianâ ou la Pratique .......................... 159
Chap. III. Anubhâva ou l’Expérience ................... 173
Chap. IV. Arudliu ou la Ferme Demeurance . . . . . . 176

Troisième partie

ADAPTATIONS ET TRADUCTIONS
LE CHANT CELESTE (Iiliagavad-Gilâ Sâram) . . . . 185
EXTRAITS DES AGAMAS ...................................... 192
I. La Connaissance qui enveloppe tout (Atmâ-
Sakshatkara) .................................................. 193
II. Réponse de Shiva à la déesse (Dêvikâlottara) 201
349
Pages
EXTRAITS DE SHANKARACHARYA

I. L’hymne de Shankarâchârya dédié à Dakshi-


namûrti ........................................................... 213
II. Hymne à la louange du Guru(Guru Stuti) .. 217
III. L’hymne de Hastâmalaka (Hastâmalaka Stotra) 220
IV. Connaissance du Soi (Atmâ-Bodha) ................ 224
V. Le plus beau Fleuron de la Discrimination
(Vivekachûdâmani) ......................................... 235
VI. Comment discriminer le Spectateur du Spec­
tacle (Drik-Drishya-Vivêka) ............................. 307
LA GUIRLANDE AUX JOYAUX DU DISCERNEMENT
(Vichâra Mani Mala) de Mahâtmâ Nishchaldâs 315
***

Glossaire .................................................................... 332


Index ................................. 341

350

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