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CE CORPS
N’ÉTAIT PAS
LE MIEN
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ISBN : 978-2-412-06134-3
ISBN numérique : 978-2-412-06572-3
Copyright
Dédicace
Avant-propos
Avertissement
19-20 ans
Dialogue avec mon vagin
20-22 ans
Des bonheurs gagnés, perdus ou perturbés
23-24 ans
Heureuse, mais…
24-29 ans
Témoigner pour lutter contre la transphobie
27-33 ans
La « richesse » de la transidentité
33-56 ans
60-62 ans
Baptême raté
62 ans
An I
Remerciements
Avant-propos
Le féminin et le masculin
Jennifer Huet
Jennifer Huet est la psychologue du service de chirurgie
plastique de l’hôpital Tenon. Elle accompagne celles et ceux qui vont
subir ou ont subi une opération de reconstruction, qu’il s’agisse de
reconstructions liées à une maladie, comme le cancer, à un accident
ou à la transidentité. Des reconstructions pour lesquelles le
psychisme occupe une part majeure. Dans beaucoup de ces
opérations, le féminin et le masculin sont l’objet de questionnements
importants et passionnants.
Oui, cela peut être lié à la religion, quelle que soit la religion,
quand certains considèrent que l’opération est un acte contre nature,
contre Dieu, puisque, estiment-ils, c’est Dieu qui fait l’homme ou la
femme. Il peut y avoir des difficultés dans ces milieux religieux,
comme dans tous les milieux qui sont homophobes, transphobes, ou
qui font preuve de très peu d’ouverture.
C’est souvent lié également à des milieux peu éduqués,
notamment à la question du masculin et du féminin, et qui restent
sur cette certitude que le sexe fait le genre.
Toutefois, il m’arrive aussi de recevoir des familles qui sont assez
fermées au départ ; elles vont se rendre compte progressivement
qu’il y a une telle détresse chez leur proche trans qu’elles vont finir
par accepter l’opération. Même si elles peuvent rester dans
l’incompréhension… En tout cas, elles voient que leur fille, leur fils,
leur mari ou leur femme sont beaucoup moins malheureux
qu’auparavant.
Cela fait une dizaine d’années, depuis la fin de mes études. J’ai
donc commencé à l’hôpital Saint-Louis qui avait le plus gros service
parisien de chirurgie plastique. Mon axe de recherche était le
narcissisme. Je voulais travailler sur les opérations de chirurgie
esthétique et voir en quoi le fait de modifier son corps pouvait
amener à une amélioration psychique. J’avais très peu d’idées sur la
question et je n’avais pas envisagé qu’à l’hôpital, il s’agissait plus de
reconstruction que d’esthétisme à proprement parler. Même si, dans
la reconstruction mammaire, il y a une part d’esthétisme. En réalité,
autour de cette opération, il y avait tout un questionnement sur le
féminin et la féminité. Beaucoup de femmes disaient : si je n’ai plus
de seins, je ne suis plus tout à fait sûre d’être une femme. Il y avait
un vrai questionnement identitaire : je ne me sens plus femme, je ne
me sens plus mère, je ne me sens plus amante.
Puis, le Pr Revol m’a proposé de travailler avec lui sur ces
personnes qu’on appelait transsexuelles à l’époque. Je n’y
connaissais rien. Il m’a dit : « Tant mieux… Moi aussi, j’ai commencé
sans rien y connaître. Mais j’ai envie de construire quelque chose. »
On a un peu tâtonné au départ, mais très vite, j’ai été intégrée aux
équipes chirurgicales et je n’ai cessé de développer mon activité
avec des évolutions au fil du temps. C’est d’ailleurs intéressant de
voir tout le parcours par lequel on passe et c’est avec ça que je
travaille aujourd’hui. Il y a tout ce questionnement sur ce qu’on se
représentait un peu bêtement comme des fondamentaux. Avant de
travailler dans ce service, je ne m’étais pas vraiment demandé : c’est
quoi être un homme, être une femme ? Est-ce que je me sens
femme ou pas ? Qu’est-ce qui me permet d’être considérée comme
femme ?
De fait, ce sont des questions qu’on peut être amené à se poser
au cours de sa vie, comme pour un cancer du sein, lors de la
maternité ou à l’occasion d’une rupture amoureuse.
Ce type de chirurgie amène donc un grand nombre
de questionnements…
Oui, mais ce parcours médical est imposé par la Sécu et non par
les chirurgiens. Moi, je suis un peu la dernière roue du carrosse que
les patientes viennent voir parce qu’elles ont envie de l’opération et
qu’elles ont la volonté de changer de sexe. Ce qui m’embête, c’est
que leur choix est forcément limité puisque nous sommes très peu à
pratiquer ce type d’opérations. Ce n’est pas notre faute, mais ce
n’est jamais très agréable de sentir de la part de certaines patientes
qu’elles viennent me voir non pas par choix, non pas parce que je
serais bonne chirurgienne, mais contraintes en quelque sorte. En
France, on a le choix de son médecin, mais là, pour une intervention
aussi importante, on n’a pas vraiment le choix de son chirurgien et je
trouve cela dommage. Cela dit, il ne faut pas exagérer, les patientes
qui sont dans cet état d’esprit ne sont pas nombreuses ; du moins, je
le ressens ainsi.
Ce dont on peut se féliciter, c’est qu’en France, la Sécu prend
tout en charge à 100 % dans ce parcours médical, que ce soit pour
les hormones ou la chirurgie. Il n’y a pas de sélection par l’argent. La
seule condition est d’être suivi à l’hôpital.