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MINISTERE DE L EDUCATION NATIONALE

ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE DE TOLIARA
FACULTE DES LETTRES
DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

LA VERTU DANS L’ETHIQUE A


NICOMAQUE CHEZ ARISTOTE

Mémoire pour l’obtention du diplôme de


Maîtrise en philosophie
Présenté par : Madame NOTAHINIMARO Fridin
Sous la direction de : Monsieur SAMBO Clément
Professeur des Universités

28 Novembtre 2008

Année Universitaire : 2007-2008


LA VERTU DANS L’ETHIQUE A
NICOMAQUE CHEZ ARISTOTE
REMERCIEMENT

Je remercie infiniment le dieu tout puissant et ceux qui ont contribué à la


réalisation de cette étude.
INTRODUCTION

Aristote, philosophe grec qui a vécu de 384 à 322 avant Jésus-Christ, a


écrit nombreux ouvrages ou sa pensée comporte un ensemble d’ordonnances
sévères qui manifestent logiquement la dualité entre certains principes dont la
matière et la forme, la puissance et l’acte, la substance et l’accident, sans pour
autant être une pensée systématique concernant la philosophie de la nature. Sa
recherche semble être centrée sur l’opposition qui existe entre puissance et
l’acte. Par l’analyse de ces deux entités duelles où la première est ordonnée
vers le second, Aristote étudie effectivement presque tous les domaines
d’activités humaines. Et parmi ces activités, la vie éthique semble être au centre
des préoccupations de la pensée aristotélicienne. Bien sûr, notre étude
concerne surtout sa conception d’excellence telle qu’elle est esquissée dans les
livres I à VIII de l’Ethique à Nicomaque1. Elle porte en elle les fondements d’un
véritable humanisme, une ontologie concrète fondée sur le vécu des actions
humaines et sur le praxis. Elle ne se borne pas seulement à régler la vie morale
d’une façon plus ou moins normative, mais elle s’appuie aussi et surtout sur
l’expérience de ce qui est la vie de l’homme. A cette fin, Aristote cherche à
comprendre le sens et la valeur de nos actions qui permettent d’atteindre le
bonheur en tant que fin de la vie humaine et de ses activités concrètes.

Notons que le concept aristocratique d’excellence a été étudié pour la


première fois dans le monde grec. Pour les penseurs grecs, en effet, la vertu ou
l’excellence traduit philosophiquement une forme de perfection constituant pour
chaque être la réalisation parfaite que possible de sa nature. Elle indique, par le
même, sa fonction ou sa finalité2. Le mythe d’Er, le Pamphylien est significative
à cet égard, ou la vierge Lachésis entrevoit, dans la nature innée de chaque
être humain, sa destinée ultime. C’est peut-être la raison pour laquelle, dans
l’Ethique à Nicomaque, Aristote centre sa réflexion sur la finalité spécifique de
nos actes.

1
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, livre I à VIII
2
PLATON, La République, X
2

Sa vision de l’homme concernant l’ordre de l’agir et de l’exister est


considérée comme le modèle d’une conception aristocratique de la vertu. La
recherche du Bien absolu en tant que valeur suprême, introduit une sorte d’hié-
rarchisation qui est liée à l’organisation générale de nos actions. Une action est
bonne ou mauvaise selon qu’elle s’accorde avec ce Bien dont la nature varie
selon les systèmes.

L‘idéal hellénique souscrit une existence faite d’harmonie et de mesure.


Dans la mesure où cette existence reflète l’idée d’ordre prescrite dans le cos-
mos, on peut quand même dire que c’est la nature elle même qui fixe les fins de
l’homme et assigne sa direction à l’Ethique. Car le cosmos est un tout uni et
organisé qui sous-tend une harmonie ordonnée vers la perfection qui est sa fin.

Les fins sont effectivement domiciliées dans la nature Cela ne signifie


pas que, dans l’accomplissement de sa tache propre, l’individu qui est la partie
d’un tissu social ne rencontre pas des difficultés. Concernant ces difficultés, il a
besoin d’exercer sa volonté et ses facultés de discernement pour le résoudre. Il
en va ainsi de l’éthique comme toute autre activité.

L’apprentissage de l’instrument de musique, par exemple, requiert sans


doute du talent. Mais, il faut aussi et surtout de l’exercice pour devenir le
meilleur, l’excellent. De ce point de vue, il y a lieu d’affirmer que le but le plus
élevé de la pratique de l’excellence comme disposition naturelle, c’est le Bien
dont le corrélat est le Bonheur. Car toute disposition éthique tend vers la
recherche du Bien. Selon Aristote, seul un don naturel peut indiquer la voie à
suivre et permettre de lever les difficultés qu’elle pourrait éventuellement
rencontrer. Telle est aussi la raison pour laquelle la vertu ou l’excellence se
définit comme « une juste mesure », un intermédiaire entre les deux extrêmes.
Dans la mesure où elle traduit « une médiété », elle se situe entre l’excès et le
défaut. La vertu sera, dans ce cas, une sorte de moyenne par rapport à nous,
c’est-à-dire, un intermédiaire entre « le trop et le peu ». S’il s’agit de réaliser
avec perfection notre destination naturelle, il est clair qu’elle ne peut réellement
se situer que dans une position intermédiaire. Ainsi, par exemple, le courage se
tient-il à égale distance de la lâcheté et de la témérité ; et la bonne vue entre la
3

myopie et la presbytie. De ce fait, la juste mesure n’est pas à séparer d’une


position médiane ou modérée puisqu’elle renvoie au statut ontologique de la
perfection. Du point de vue ontologique, c’est-à-dire dans l’ordre de la
substance. Aristote pense que l’être qui réalise parfaitement sa nature es-
sentielle est également éloigné de pôles opposés qui, parce qu’ils sont à la
limite de leur détermination, confinent à la monstruosité. En effet, l’être mons-
trueux est aux yeux d’Aristote, celui échappe à sa propre nature. Car les
dispositions morales proviennent des actes qui leur sont semblables. Mais dans
l’ordre de l’excellence et du parfait, la vertu est un sommet3. Dans cette
perspective, on peut dire que la fonction régulatrice de la vertu est de conférer à
chacun la bonne disposition de son être afin de lui permettre la parfaite
réalisation de son œuvre propre. En effet, l’être vertueux n’est pas seulement
celui qui atteint un certain niveau d’actualité de son être grâce à des efforts
librement consentis, mais aussi celui qui fonctionne bien, et même excellem-
ment selon la nature et la finalité qui lui sont assignés. Et cela vaut autant pour
les choses ou les animaux que pour les humains dont le bonheur est lié à cet
accomplissement de soi.

Comme la vertu est fille de l’habitude, celle-ci ressemble à une chose


innée. Ce n’est ni par un effet de la nature ni contrairement à la nature que les
vertus naissent en nous. Tout au contraire, nous sommes naturellement
prédisposés à les acquérir, à condition de les perfectionner par l’habitude. Dans
cette perspective, elle apparaît sou un double aspect dont l’un est objectif et
l’autre subjectif. Plus précisément, alors que cet aspect objectif concerne la
nature même de la vertu dans sa manifestation comme conscience de la réalité,
l’autre regarde le sujet dans son comportement à l’égard de cet objet.

Cet examen sommaire portant sur la notion préliminaire de l’excellence


nous conduit à l’idée que cette dernière présente des aspects variés sous forme
de dispositions naturelles, acquises, inhérentes à l’homme. Il n’est pas toujours
facile d’en faire une analyse objective, du fait que ces dispositions sont souvent
sujettes aux impératifs des règles pratiques régissant la vie humaine et l’on

3
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque II, I, 1107 a 5
4

peut reconnaître cela à travers l’étude faite par Aristote sur la réalisation de la
vertu. Celle-ci exige de l’homme des actes habituels bons dont l’activité
contemplative est l’acte de la suprême vertu. Tout ce que l’esprit humain désire
connaître fait l’objet de ses recherches assidues. Car, nous dit Aristote, tous les
hommes désirent naturellement savoir pour agir et dominer4. Par la même,
notre pensée est ordonnée à l’agir, lequel permet de modeler nos compor-
tement, les conduites à tenir dans la vie sociale. Dans l’ordre socio-éthique, tout
ce que l’homme désire posséder est recherché avec le même intérêt et la
même sollicitude : atteindre le bonheur. Aristote conçoit ce bonheur comme une
activité de l’âme ; le Bien suprême de l’homme comme étant la fin ultime de ses
activités. Mais cet avis est toujours diversement partagé. Car pour les uns, le
bonheur réside dans tout acte qui permet d’améliorer la vie matérielle de
l’homme5. D’autres, au contraire, estiment que ce bonheur repose sur la
possession du Bien en-soi, séparé du sensible6. De ce fait, seul le bien séparé
est capable de perfectionner le Noûs humain.

Notons que cette divergence doctrinale manifeste la relativité du concept


de bonheur auquel les moralistes post-socratiques attachent une attention
particulière. Chez Aristote, comme chez Platon d’ailleurs, on ne saurait l’ap-
préhender que relativement à l’idée du Bien, objet de contemplation rationnelle
qui vise la perfection de l’être. Cela explique le fait que, dans une perspective
morale, le bonheur est lié à l’idée d’excellence dont la nature mérite d’être
clarifiée dans le cadre de la pensée aristotélicienne.

. Et l’on se pose la question de savoir comment Aristote conçoit cette


notion d’excellence qu’il associe à l’acte vertueux. Pour mieux cerner les
problèmes posés par Aristote, notre recherche comporte trois parties distinctes
mais complémentaires :

• La première partie traite le Bien moral tel qu’il se dé gage de la


conception morale grecque, des Présocratiques à Aristote. Dans cette

4
ARISTOTE, Métaphysique, &, 1
5
Point de vue scientiste et empiriocriticiste
6
Point de vue de PLATON et les platoniciens
5

perspective, notre étude mettra l’accent sur l’évolution de cette conception où


cette valeur suprême qu’est liée à la sagesse, culminant dans l’acte de
contemplation rationnelle qui, chez Platon et Aristote, constitue le Bonheur.

• Cet aspect historique nous amènera à l’analyse topologique de


l’excellence que l’on comprendrait mieux à travers les différentes sortes de
vertus et les manifestations de la vertu. En tant qu’un état habituel, cette vertu
se traduit par une sorte d’intermédiaire entre la puissance et l’actualité. Aristote
se représente la vertu à la fois comme un fait de disposition perfectible et fruit
de l’apprentissage. Ce dernier confère à l’excellence une disposition éthique
qu’Aristote lui-même exprime en termes de « juste milieu ».

• Enfin, nous nous posons alors la question de savoir : comment


la vertu se réalise-t-elle ? Répondre à cette question revient à porter sa
considération sur les qualités du sujet vertueux, critères nécessaires pour
comprendre l’exercice de cette vertu en nous. Certes, l’homme peut acquérir
l’excellence par une activité qui vise le bien. De ce fait, la vertu suppose une
action authentique du bien.

Comme la vertu morale et la sagesse s’impliquent réciproquement, il


nous faut effectivement comprendre qu’une sagesse éthique se reconnaisse
dans l’agir, lequel est inséparable de la connaissance qui détermine les
conduites à tenir dans la vie. L’expérience de nos actes repose ainsi sur des
impératifs incluant l’obligation morale dictée par le libre jugement de la raison.
Voilà pourquoi, il y a lieu de commencer cette étude de l’excellence par
l’analyse du concept de bien moral.
6

PREMIERE PARTIE :
LES SOURCES DE LA PHILOSOPHIE
ARISTOTELICIENNE
7

I.1 PLATON ET L’ESPRIT GREC

Déterminer la nature du bien moral ne peut être le fait d’une pensée


encore soumise à la tyrannie de la conscience collective et des croyances
enracinées dans la vie du groupe. En effet, pour que la pensée soit en état de
se représenter un idéal du mieux agir, il faut qu’elle soit elle-même affranchie
des limites que lui impose la discipline du groupe. Car ces limites l’empêchent
d’envisager cet idéal.

Chez les Grecs, c’est d’abord à partir des mythes ou des poèmes
d’Homère et d’Hésiode qu’on tirait les principes absolus de la conduite. En
d’autres termes, les conduites morales des Grecs reposent sur les spéculations
touchant les mœurs dus à leurs croyances et à leur groupe. Ces conduites
incluent non seulement les pratiques coutumières mais aussi toutes les
croyances et, plus précisément, celles consacrées aux pratiques religieuses.
Or, les philosophes Grecs n’ont jamais conçu la morale comme une science
des mœurs. Cette morale a toujours été pour une théorie de l’art de vivre,
qu’elle soit conçue sur un modèle à imiter ou que cette théorie, quelle qu’elle
soit régule la conduite humaine et amène à la systématisation normative des
morales spécifiques. Tout cela atteste d’ailleurs l’idée que les morales
helléniques donnent lieu à la notion du Souverain Bien. Cela veut dire que, au-
delà de la conduite à suivre, il y a une fin visée, une fin suprême qui constitue le
bonheur.

I.1.1 Vers un idéal de justice : « le rien de trop »

Cette recherche se propose d’étudier d’une manière générale la


conception morale de Platon et d’Aristote, partant de l’esprit grec pour lequel la
possession du Bien le plus élevé, traduit le bonheur. L’éthique platonicienne
place ce bonheur au sommet des préoccupations morales où l’Idée du Bien se
confond avec le Vrai et le Beau. Cette possession permet à l’homme le
développement de sa personnalité, du à ses dimensions rationnelles et
morales. C’est pour cela la meilleure conduite à tenir dans la vie pour prévaloir
la conduite et l’ordre.
8

La vie grecque était essentiellement une vie municipale, vécue dans la


Cité-Etat : la POLIS. Cette vie ne peut être également menée en dehors de la
cité, si bien qu’aucun Grec authentique ne puisse être un homme parfaitement
bon s’il se tenait entièrement en dehors de l’Etat. Car ce n’est que dans et par
la société que la vie bonne devienne possible pour le citoyen et que cette
société signifie Etat-Cité. L’analyse de ce fait social éprouvé dans un Etat
conduit à concevoir l’existence d’une société organisée sur le modèle d’une
institution » naturelle » où l’homme vit essentiellement comme un « animal
politique ». Envisagé sous l’angle aristotélicien, le bien de l’homme individuel ne
peut-être strictement et exclusivement individuel, l’homme étant un animal
social qui dépend de la Cité. Cette dernière est un tout naturel qui doit se
perpétuer comme les espèces vivantes7.

Cette doctrine prévaut également chez Platon pour qui la société est
conçue comme un mal nécessaire. La cité naît de la nécessité où sont les
hommes de subvenir à leurs besoins vitaux, ce besoin trouve vite dans la
division du travail le moyen rationnel de parvenir à une production plus
abondante et plus facile. Cependant, certains de ces hommes ont compris la
valeur d’un équilibre dans la répartition de l’autorité ou des richesses. Ils ont en
effet appelé eux-mêmes à doter leurs citées d’une législation, capable de
mettre fin aux désordres issus d’un équilibre général. Il en est une cependant
qui traduit avec force la recherche d’un principe d’unité et de liaison : de tout
façon le plus grand des biens, proclame-t-elle, c’est la mesure, le « rien de
trop ». Le bien moral a son principe dans un équilibre de tendances contraires,
dont chacune est un excès.

Pour un philosophe qu’est Platon qui se préoccupait du bonheur de


l’homme, c’est-à-dire, de la vie réellement bonne pour l’homme, l’essentiel est
de déterminer la véritable nature et la fonction des citoyens au sein de l’Etat.
Cela veut dire que dans la Cité, les hommes et les femmes seront appliqués
aux mêmes taches et pour s’y préparer, recevront la même éducation.

7
ARISTOTE, La politique, I 1
9

Il n’existe entre les deux sexes aucune différence de nature mais ce qui
distingue chacun d’eux, c’est les aptitudes naturelles ou techniques.

En fait, la communauté des biens et la communauté des fonctions sont


spécialement platoniciennes : « la famille », d’une part, implique l’existence d’un
patrimoine, d’autre part, la spécialisation d’une femme dans les fonctions
domestiques. Pourtant, nous sommes nets : la répartition des fonctions se
fonde sur les seules aptitudes naturelles, sans tenir compte du sexe. Il faut une
adaptation dans le cadre de la famille aux limites mêmes de la cité. Pour tout le
monde, le respect des lois est primordial : ce qui est à la fois un critère de
justice et la justice elle-même, la fonction la plus précieuse, c’est de tenir le
pouvoir de l’Etat que celui-ci est confié aux philosophes, puis les gardiens se
montrent comme auxiliaires et assurent la garde de la Cité avec courage, enfin
les producteurs qui sont doués à produire par leur nature. Sur ce, on peut dire
que dans la mesure où les citoyens étaient foncièrement et moralement
mauvais, il serait impossible d’assurer un Etat bon. Inversement, si l’Etat était
mauvais, ils se trouveraient eux-mêmes dans l’incapacité de mener la vie
vraiment bonne comme elle devrait être menée.

Les Grecs possédaient cette conscience politique à un degré très élevé :


la vie bonne serait inconcevable en dehors de la cité : « polis ». De là, naît la
réflexion de Platon sur la vie bonne en général et également sur l’Etat en tant
que polis idéale, la forme dont les Etats empiriques ou Etats de fit ne sont que
des approximations. Même en fondant son Etat, Platon l’a bien établi avec
raison car son but consiste à chercher et à appliquer la justice dans la Cité.
Celle-ci s’obtient par la raison. Cette Cité n’est définie que par les vertus que
tous les citoyens ont en eux pour faire régner la justice. Le savoir est à la base
de cette justice et le but même du philosophe, c’est d’avoir un Etat juste, où les
citoyens sont vertueux. C’est pour cela qu’il insiste sur l’éducation qui initie les
doués pour être dirigeants8.

Puisque l’aristocratie se dégrade par la richesse et que la démocratie


conduit à la tyrannie où les parents n’osent plus commander aux enfants, il faut,

8
PLATON, La République, livre V, 480a
10

selon lui, imposer la technocratie. Bien que la « kallipolis » reste comme une
utopie, ce modèle permet d’évaluer les Cités réelles et imparfaites et de
mesurer la distance qui les sépare de la vraie justice.

La Sagesse antique semble d’ordinaire être hostile à toute démesure non


réglée. Dans une célèbre formule des lois, Platon a opposé à l’empirisme
relativiste de Protagoras son idéalisme mystique : « Dieu est la mesure de
toutes choses ».Ce n’est pas en ramenant les choses à sa propre mesure que
l’homme pourra réaliser sa nature et sa fin, et porter à l’acte toutes ses
puissances : c’est en se conformant au modèle divin qui est, pour lui comme
pour toutes les choses, la norme du juste et du bien. Car, pour le sage, la
grande affaire est de vivre, et, par conséquent de bien agir puisqu’une vie
privée de toute action, théorétique ou pratique, est une vie indigne d’être vécue.

En cela, le sage ne fait qu’imiter Dieu autant qu’il peut. Or, comme Dieu
est acte pur, perfection achevée vivant éternellement, forme sans matière,
pleinement maîtresse d’elle-même, et, par là, fin en soi et principe de tout ce
qui est, l’homme qui se trouve engagé dans le monde du réel parviendra à se
débarrasser de tout ce qui est du ressort de l’accident pour participer à
l’essence divine et imiter à sa manière dans ses actes le pur acte divin. Dans ce
cas, il ne peut agir en Dieu, sans doute, car il n’est pas un Dieu et il ne peut pas
l’être, il doit agir en homme en fixant les yeux sur le modèle divin qu’il se rendra
semblable à Dieu autant qu’il le peut. Ce modèle divin n’est rien d’autre que la
providence, une suprême sagesse avec laquelle Dieu gouverne le monde. De
telles normes conviennent absolument et d’une manière éminente, à celui qui
est à Dieu, vers lequel concourt le mouvement, la vie, l’âme et la pensée (9).
Lire aussi Platon :

« Quoi qu’on ait pu prétendre, le dynamisme des Idées, la


causalité, l’action, la vie et la pensée appartiennent en propre à
l’être total, complet »9.

Dans cette perspective, le sage est d’abord un homme qui serait homme
et rien de plus.

9
PLATON, Sophiste, 248e-249d.
11

Fidèle à éthique du « rien de trop », de la juste mesure, il adopte une


attitude qualifiée par les Grecs d’Arête, ce qui est excellent. Cette notion inclut
tout à la fois d’excellence des forces disponibles, inhérentes à sa nature : le
courage, la valeur et la vertu de l’homme juste. L’arête comporte aussi tout ce
qui apprend à l’homme à devenir meilleur. Voilà ce que Socrate demande aux
deux sophistes Euthydème et Dionysodore de persuader le jeune Clisias. Cette
éthique der l’honneur ou de la vertu se fonde sur les quatre vertus dont la
pratique mène à la kalokagatia10. En somme, la morale n’isole pas de la
Politique car les préoccupations morales et religieuses, dont la Politique est
seulement un aspect, ont obsédé la pensée de Platon. En effet, le bien de
l’individu est inclus dans celui de la Cité, mais tous les deux dans le bien du
monde qui servent de modèle à l’un comme à l’autre et qui ont eux-mêmes leur
modèle idéal, lequel est dominé par le Bien absolu. Et cela nous conduit à
l’analyse du Bien conçu comme une prudence dictée par la mesure et la
proportion.

I.1.2 Bien, une prudence dictée par la mesure et la proportion

C’est dans les Livres V et VI de La République que Platon consacre ses


études concernant les magistrats et les philosophes, où la théorie des Idées est
exposée comme fondement de toute connaissance. Alors si le philosophe seul
est capable de gouverner la Cité et si en dehors de lui, nul n’est capable de
diriger l’éducation, c’est que, c’est lui seul qui possède la connaissance du Vrai
Bien. Il a conscience de la valeur suprême de la justice. Il ne confond pas la
vérité avec l’apparence. Plus précisément, il sait en fait distinguer l’opinion de la
science. Selon Platon, le Bien est une Idée, le Bien en soi et pour soi. Dans
cette perspective, l’éthique de Platon est eudémoniste, en ce sens qu’elle est
dirigée vers l’acquisition du bien qui conduit au bonheur.

On peut dire que le bien de l’homme réside dans le véritable dévelop-


pement de sa personnalité en tant qu’être doué de raison et de moralité, de la
droite culture de son âme, du bien-être général et harmonieux de sa vie. Dans

10
PLATON, Euthydème, 275a
12

ce cas, lorsque l’âme humaine est dans l’état de béatitude, ce stade confère à
l’être une vie heureuse. Dans cette perspective, il y a un Bien de l’homme
rationnel et absolu, un Bien qu’il ne peut pas ne pas vouloir, qui est toute sa
raison de vivre. Le manquer, c’est perdre son âme. Tout autre bien est
secondaire et relatif telle que richesse, santé, préservation de la vie. Et au
contraire, pauvreté, maladie, mort qui passent pour des maux n’en sont pas
nécessairement. Cela dépend pour des maux n’en sont pas nécessairement.
Cela dépend de leur rapport avec le Bien absolu. Cela veut dire que le Bien de
l’homme a un rapport nécessaire avec le Bien absolu, subsistant à l’Idée de
Bien, raison et cause de toute existence et de toute vérité. En effet, le Bien pour
l’homme est conforme à l’Idée divine. Car c’est de l’ordre de l’âme, de l’ordre de
la Cité, qui produit la justice et le Bien. Ainsi le secret qui forme la vie bonne et
la mesure ou la proposition. Le Bien est ainsi une forme du beau, qui est
constituée par la mesure et la proportion11. Notons que c’est pour Platon et
c’est en Platon que vit Socrate comme le maître revit dans son disciple de
prédilection. A cet égard, l’homme, c’est l’âme et que la seule fin de l’activité
humaine est la vertu. Car pour Socrate, le Bien consiste en sagesse que la
sagesse suffit à tout, au bonheur et à la vertu elle même, que la possession des
biens importe moins que leur bon usage, lequel dépend de l’exercice de la
pensée pure, inséparable de la pleine maîtrise et possession de soi. Qu’au-
dessus de l’intelligence, il y a le bon sens et le sens moral, c’est pourquoi, tout
le savoir humain ne compte de rien s’il n’est ordonné au vrai, c’est-à-dire, au
juste et au bien. Car le bien ou le bonheur humain est la ressemblance au
Dieu., la vie bonne doit inclure toute la connaissance la plus vraie, connais-
sance exacte des objets intemporels. L’homme n’a pas besoin de tourner
complètement le dos à cette vie bonne, mais il doit reconnaître que ce monde
n’est pas le seul monde et non plus le monde le plus haut, mais ce n’est qu’une
copie de l’idéal.

Ainsi, c’est la mesure ou la proportion qui forme la vie bonne. Dans cette
perspective, le bien de l’homme est avant tout une condition de l’âme. Dans La
Politique de Platon, la juste mesure qui renvoie au convenable et à l’opportun

11
PLATON, Philèbe, 61b sq et 62c 1-4
13

s’oppose à celle qui ne compare du plus petit à du plus grand. Ainsi Philèbe,
précise que cette mesure naît de la limite qui, en s’introduisant dans le devenir
illimité des contraires, y apporte la proportion et l’accord des diverses
dispositions de l’âme. Cela est du à l’effet de l’intelligence. En imposant sa
mesure, elle confère beauté et vérité, lesquelles constituent les manifestations
du bien. Soulignons que c’est par la mesure que ce bien est posé en toute
œuvre et en toute action. Car l’unité qui n’est pas le fait de l’intelligence risque
de détruire les éléments constituants12.

D’ailleurs dans le Ménon, nous pouvons dire que Platon acceptait


l’identification socratique de la vertu à la connaissance vraie. Autrement,
l’homme intempérant est quelqu’un qui poursuit ce qui est réellement nuisible
pour l’homme. Tandis que l’homme tempérant poursuit ce qui est bon et
bénéfique, c’est être sage. C’est la raison pour laquelle la tempérance et la
sagesse ne peuvent être entièrement distinctes. Ainsi, le courage ne peut-il pas
plus être séparé de la sagesse que ne le peut la tempérance. C’est pourquoi les
différentes vertus ne peuvent être entièrement disparates. Bien entendu, Platon
ne nie pas qu’il y ait des vertus distinctes selon leurs objets ou les parties de
l’âme don telles sont les habitudes, mais toutes ces vertus distinctes forment
une unité dans la mesure où elles sont les expressions de la même
connaissance du mal et du bien.

Les vertus distinctes sont unifiées dans la prudence ou la connaissance


de ce qui est véritablement bon pour l’homme et des moyens d’atteindre ce
bien. La vertu est l’habitude de se conduire en conformité avec le Bien, c’est la
manière de se comporter à l’égard des dangers, des plaisirs, des intérêts
d’après la fin qu’on se propose ou la conformité au Bien. La vertu parfaite
dépend de la connaissance du Bien et toute vertu particulière découle cette
connaissance.

L’unité de la vertu doit être politiquement effectué, c’est que l’intelligence


ne commande pas seulement du dedans mais s’impose aussi par le moyen des
lois. Le problème de la valeur de l’âme et de l’Etat est de nature hiérarchique.

12
PLATON, Philèbe 61b
14

Car leur justice dépend de la juste réponse à cette question : qui doit
gouverner ? Et qui doit obéir ? Le Ménon montre clairement que si la vertu était
connaissance ou prudence, elle pourrait être enseignée. Et dans la République,
il est clair que c’est seulement le philosophe qui possède la vraie connaissance
du bien de l’homme. En tout cas, ce n’est pas le sophiste qui peut l’enseigner,
parce qu’il se contente des notions populaires de la vertu, mais seulement celui
qui en a la connaissance exacte : c’est le philosophe.

Notons que si chacun ne peut vouloir que ce qui lui parait bon. Dans ce
cas, la plupart ne trompent en identifiant le bien au plaisir et à la connaissance.
De plus, selon Platon, le Bien n’a pas d’essence propre, puisqu’il est par-delà
l’essence et sa causalité n’est pas celle d’une forme, étant donné que ce bien
n’est pas ce par quoi les bonnes choses sont bonnes. Et dans la mesure où,
selon Platon, le bien apparaît comme la source de la connaissance, il révèle à
l’âme qu’elle possède, une intelligence capable de connaître parfaitement. Or,
elle ne peut le faire que parce que le bien confère à ses objets leur parfaite
intelligibilité et aussi leur existence Dans la République ‘Platon prévoit quatre
vertus cardinales : la sagesse, le courage ou force de l’âme, la tempérance et la
justice. La sagesse est la vertu de la partie rationnelle d’âme ; le courage celle
de la deuxième partie tandis que la tempérance consiste dans l’union des deux
parties inférieures sous le gouvernement de la raison.

Enfin, la justice est une vertu générale qui consiste en ce que chaque
partie de l’âme accomplit sa propre tache dans l’harmonie qui convient. Toute
âme n’en vaut pas une autre, ou ne peut pas plus choisir la nature de son âme,
on ne peut entièrement choisir son genre de vie. Car l’homme est cet animal qui
peut toujours dégénérer, devenir bête trop féroce et trop docile. Mais l’homme
peut transformer les tendances en vertus, se modérer par la musique, et se
fortifier par la gymnastique et même s’humaniser. C’est ainsi que le courage a
besoin de se modérer pour ne pas tourner en férocité. Les hommes doivent
jouir d’une double transcendance pour exister : en s’éduquant à la vertu et en
croyant à leur part divine. Car la politique se repose sur un fondement éthique
et sur un fondement naturel : l’homme en effet, est un animal naturellement fait
pour vivre en société et dans cette cité vive aussi ses contraires.
15

Platon a tenu à l’idée que la vertu est connaissance et que la vertu est
susceptible d’être enseignée, comme aussi à l’idée que nul ne fait le mal
volontairement. Lorsqu’un homme choisit ce qui est mauvais, il le choisit et
désire quelque chose qu’il imagine être bon, mais qui est, en fait, mauvais. Mais
lorsque Platon dit que nul ne choisit volontairement ce qu’il sait être injuste,
mais que nul ne choisit délibérément de faire ce qu’il sait être, à tous égards
nuisible pour lui-même. C’est le cas d’un homme qui peut bien savoir que tuer
son ennemi lui sera en fin de compte mauvais, mais il choisit tout de même de
le faire, parce qu’il fixe son attention sur ce qui lui semble être le bien immédiat,
satisfaire son désir de vengeance, ou tout simplement obtenir le bénéfice par la
disposition de son ennemi. Dans Gorgias, Platon parle de l’identification du bien
avec le plaisir et du mal avec la douleur. Le plaisir est subordonné au bien et,
par conséquent, la raison doit être juge des plaisirs et ne les admettre que dans
la mesure où ils sont d’accord avec l’harmonie et l’ordre de l’âme et du corps.
Ainsi, ce n’est pas l’homme intempérant mais l’homme tempérant qui est
vraiment bon et heureux, puisque le premier se fait du mal à lui-même.
Signalons que Platon rejette expressément ce qu’on doit être bon pour ses
amis et méchant pour ses ennemis, car faire le mal ne peut jamais être bon13.
Polémaque prône la théorie qu’il est juste de faire du bien à notre ami s’il est un
homme bon, et de nuire à notre ennemi s’il est un homme mauvais. Dans ce
cas, il appartient à l’homme juste de rendre pire l’homme injuste. De plus, le
bonheur comprend naturellement la connaissance de Dieu. D’ailleurs nul
homme ne pourrait être heureux sans reconnaître l’opération divine dans le
monde. Par conséquent, on peut dire que le bonheur divin est le modèle du
bonheur humain14. Or le bonheur doit être atteint par la poursuite de la vertu,
qui signifie devenir aussi semblable à dieu autant qu’il est possible à l’homme.

Nous devons devenir aussi semblables à Dieu que nous le pouvons, et


c’est encore devenir juste à l’aide de la sagesse15. Dans les Lois, Platon
déclare que offrir des sacrifices aux dieux et les prier est la plus noble et

13
PLATON, République, livre I, 335a, 77-8
14
PLATON, Théétète, 176a 5-4
15
PLATON, Théétète, 176b 1-3
16

meilleure des choses, et aussi celle qui conduit le mieux à une vie heureuse16.
Ainsi, l’adoration et la vertu appartiennent au bonheur, de telle sorte que, bien
que la poursuite de la vertu et la pratique d’une vie vertueuse soient les moyens
d’atteindre le bonheur. La vertu elle-même est partie intégrante du bonheur
mais n’est pas extérieure à ceci.

Bref, on peut dire que le Bien de l’homme est avant tout une fin de l’âme,
et ce n’est que l’homme véritablement vertueux qui est un homme
véritablement bon et heureux.

I.1.3 La justice chez l’individu et l’Etat

Platon n’est pas le genre de penseur à admettre le fait qu’il y a une


moralité pour l’individu et une autre pour l’Etat. Car, à ses yeux, l’Etat se
compose d’individu qui n’existent que pour l’Etat ; lequel à son tour, existe pour
que ces individus vivent dans le bien en jouissant de leur plénitude d’être pour
que les hommes mènent une vie bonne. En effet, selon, Platon, il y a un code
moral qui régit tous les hommes et tous les états. C’est un code où
l’opportunisme doit s’incliner devant le droit. Par conséquent, l’Etat n’est ni un
personnalité, ni un organisme qui pourrait et devrait se développer sans
restrictions, c’est-à-dire, sans faire attention à la morale. Il n’est pas arbitre du
juste et de l’injuste. Encore moins, il n’est pas la source de son propre code
moral, ni la justification absolue de ses actions ; cette conception prévaut dans
la République où les interlocuteurs cherchent à déterminer la nature de la
justice. C’est ainsi qu’à la fin du Livre I, Socrate déclare expressément son
ignorance » je ne sais pas ce qu’est la justice »17.

Dans le Livre II, il suggère que, dans l’Etat, les mêmes caractères sont »
écrits plus gros et plus facilement visibles »18. Il propose par conséquent que »
nous cherchons la nature de la justice et de l’injustice telle qu’elles apparaissent
d’abord dans l’Etat et deuxièmement dans l’individu en procédant du plus grand

16
PLATON, Lois, 715b-717a 3
17
PLATON, République, 354c 1
18
PLATON, République, livre II 368b-2
17

au plus petit et en les comparant »19. Cela implique évidemment qu’aux yeux de
Socrate, les principes de la justice sont les mêmes pour l’individu et pour l’Etat.
Dans la mesure où cet individu vit comme membre de l’Etat et si la justice de
l’un comme de l’autre est déterminée par la justice idéale, il est alors clair que ni
l’individu, ni l’Etat ne peuvent être affranchis du code éternel de la justice. C’est
pourquoi les prisonniers de la caverne de la République, VII s’attachent, avec
l’œil de l’esprit, à la vérité de toute leur âme quand ils sont libérés de
l’impuissance où ils étaient de connaître le Bien en soi. Celui qui, derrière les
données confuses et contradictoires des sens, a su discerner et mettre en
rapport raisonné les réalités intelligibles qui en rendent compte, arrive à saisir
les vraies lois et la véritable harmonie.

A l’instar de la navette du tisserand dans le Politique, celui-là sait dis-


tinguer et unir la trame et la chaîne pour en fabriquer le tissu. Au lieu de s’ar-
rêter à cette science hypothétique où l’être véritable est encore perçu en songe,
il n’en fait usage que pour se tourner vers la contemplation suprême de l’être.
Ainsi, il tachera de voir, ce que chaque chose est en soi, à savoir son idée.

En effet, une fois parvenir à ce stade, il s’apercevra que la vie de


l’homme dépassera ce songe, disons, incertain et illusoire, qui a fait l’imagi-
nation des hommes ordinaires. Dans cette perspective, il réalisera que notre
corps n’est pas l’être véritable.

Car il y a en nous, un principe divin qui retournera à Dieu après la mort20.


Ce principe organisateur est l’âme qui a pour essentielle fonction de contempler
les Idées dans toute leur splendeur et leur pureté. Il s’ensuit que l’âme pourra
atteindre le vrai, l’immuable qu’est le divin. Ce dernier constitue le principe de
vie que la mort ne saurait ébranler, en la délivrant de tous les maux qui infligent
la conduite humaine.

En outre, pour que cette âme fasse un effort pour rendre cette vie
harmonieuse, elle pourra se délivrer de la volupté et des désirs, des tristesses

19
PLATON, République, livre II 369a-3
20
PLATON, Phédon, 115c
18

et des craintes pour s’unir à Dieu dans la mesure où lui permet sa nature, ce en
quoi consiste la vie humaine authentique. Telle est la nature, telle est aussi la
destinée de notre âme qui veut se rendre semblable au divin. Simple et
indivisible en son essence, notre âme comporte en elle trois principes d’action
auxquels correspondent trois classes de l’Etat : les artisans, les guerriers et les
magistrats. Le principe du désir et de toutes les passions concupiscibles a son
siège dans le bas ventre, celui du courage ou des autres passions dans le cœur
et enfin celui de la pensée, dans la tête. Ce dernier principe est fait pour
commander comme l’indique la station droite21.

Aux yeux de Platon, le plaisir n’est qu’un devenir et non un être. Il est un
moyen et non une fin. Par conséquent, il n’est pas le bien, étant mêlé de
douleur constituant ses conditions. Ce plaisir ne peut pas satisfaire l’âme du
sage qui cherche, par-delà les choses sensibles, une source de joies pures et
sereines, de stabilité et de permanence où l’âme jouit de la paix. Et cette paix
de l’âme est source d’ordre et corrélativement de subordination. En effet, c’est
dans cette perspective que l’âme remplit sa tache propre et assume celle qui
relève de son ressort, soit pour commande, soit pour obéir. Dans ce cas, il faut
que la tête commande. Car elle seule sait ce qui est bon pour chaque partie
comme pour l’ensemble ; c’est la vertu de la prudence : il faut aussi que le cœur
suive les ordres de la raison, que cela soit difficile à exécuter ; c’est la vertu du
courage.

Le courage et la prudence confèrent au cœur et à la raison la maîtrise et


la mesure de l’âme concorde. Car elle met chaque partie du tout où chaque
chose a sa place. De ce fait, elle règle non seulement l’activité extérieure de
l’homme, mais elle organise aussi le dedans « entos » pour lui-même et pour
tout ce qui ressort de lui.

C’est pourquoi, chez Platon, la justice n’autorise aucune partie de l’âme


à empiéter sur les autres, faisant en sorte que l’âme, par sa fonction propre,
établit entre les différentes parties, un accord parfait à l’instar de ce qui se
passe entre l’octave, la quinte et la tierce. Elle lie tous les éléments dans l’unité

21
PLATON, Timée, 90a-c
19

de leur diversité en conduisant tous ses actes et toute sa vie d’après cet ordre,
en ayant les yeux fixés en haut sur l’idée du Bien22.

La question du rapport du bien individuel à celui de la Cité, de la


dépendance de l’individu à l’égard de la Cité en ce qui concerne son bien, est
sans doute renvoyée à la politique. Lorsque l’homme réfléchit sur la vie
humaine sur le bien de l’homme et sur la vie bonne, comme a fait Platon, il est
clair qu’il ne peut passer sous silence les relations sociales.

Ainsi, la société humaine a un projet naturel : c’est d’abord la famille qui


comprend au moins l’homme, la femme, le serviteur ou le bœuf laboureur…
Ensuite, le village est une extension de la famille, alors la communauté de
plusieurs villages constitue déjà une cité qui se suffit à elle-même, société
parfaite et indépendante. Cette dernière a pour but non seulement les
nécessités de la vie mais « le bien vivre » la perfection de la vie. En d’autres
termes, l’homme est né dans une société, non seulement dans celle de la
famille, mais aussi dans une association plus large. Et dans cette société qu’il
doit vivre une vie bonne et atteindre sa fin. Sur ce, il ne peut être traité comme
tel s’il était une unité isolée vivant pour lui tout seul. On peut dire que le but de
la Cité n’est rien d’autres que le bonheur de vivre en considérant le bonheur
comme chose sérieuse. Ainsi, la Cité, si on peut le dire est une réalité naturelle
étant le terme et la fin d’autres groupements naturels.

La Cité est, par nature, antérieure à la famille et à l’individu car le tout est
antérieur par nature aux parties.

Notons que le langage est effectivement une épreuve que l’homme est
naturellement social et politique. Par là, il ne suffit pas à lui-même ; cela veut
dire que sa pleine suffisance n’est pas réalisée que par la Cité, en se
subordonnant à la Cité. Dans cette perspective, aucun être humain ne peut
vivre en dehors de la Cité. Aux yeux de Platon alors, l’Etat n’existe pas
seulement pour satisfaire les besoins matériels des hommes mais aussi pour le
bonheur, pour les développer dans la vie bonne, en accord avec la justice. En

22
PLATON, République, livre IV, 444a-b
20

fait, cela rend l’éducation nécessaire, car les membres de l’Etat sont des êtres
rationnels.

Mais, il n’y a pas d’éducation qui vaille si ce n’est celle par le vrai et le
bon. Il faut déterminer le principe de l’éducation et distribuer les différentes
taches dans l’Etat à ses membres et surtout avoir la connaissance de ce qui est
réellement vrai et bon. En d’autres termes, ces individus doivent être des
philosophes23.Car, on considère citoyen celui qui participe au pouvoir quelle
que soit sa fonction, c’est celui qui se propose comme fin le bien, la
conservation de la Cité24.

La vertu du citoyen est relative à la Cité, plus précisément à la


constitution de la Cité. Or il y a plusieurs types de Cité. Il est clair que la vertu
du bon citoyen n’est pas spécifiquement une, or la vertu qui fait l’homme bon
est une. La seule vertu et suffisante pour rendre l’homme bon n’est rien d’autres
que la sagesse. Ainsi, il est possible d’être bon citoyen sans avoir la vertu qui
fait l’homme vraiment bon. De plus, le bien de l’Etat n’exige pas que tous les
membres soient moralement bons, cela est même impossible, mais que tous
soient bons citoyens. On peut être alors bon citoyen sans avoir la vertu
proprement humaine. En effet, tout bien est dans ce tout naturel qu’est l’Etat et
procède de lui, et tout bien comme toute vertu est civique.

Mais l’individu participe à ce bien et à cette vertu dans la mesure où il est


homme. Car l’Etat le meilleur est sans doute celui qui tend à procurer à chacun
la possibilité du bonheur.

23
PLATON, République, livre VII
24
ARISTOTE, Politique, livre III 1275a 23
21

I.2 CRITIQUE ARISTOTELICIENNE DE L’IDEE DU BIEN

D’une manière générale, Platon et Aristote ont beaucoup en commun,


les mêmes préoccupations éthiques annoncées par Socrate : Aristote était
élève de Platon durant vingt ans. Il critiqua le point de vue platonicien
concernant la doctrine de l’Idée du Bien. Soulignons par là même la différence
qui caractérise leur doctrine respective dont l’une est le platonisme et l’autre,
l’aristotélisme.

Chez Aristote, le bien dont il est question ici n’est rien d’autre que le
bonheur, lequel constitue le principe et la fin même de l’activité de l’homme. Et
Aristote dit que le bien, c’est ce que désirent tous les êtres. Par conséquent, les
objets de l’activité sont une fin par soi et pour soi. C’est de cette fin que désire
tout le reste. En fait, pour atteindre cette finalité de la vie humaine, Aristote
pense qu’il faut quelque chose de meilleur, le Souverain Bien. Car le désir
serait creux et vain s’il n’y avait pas véritablement une fin comme telle.

I.2.1 Critique de la théorie des idées :

C’est à bon droit que la philosophie est appelée science de la vérité. En


effet, la fin de la spéculation est la vérité25. De cette conception suit une
conséquence sur la finalité de la science aristotélicienne qui manifeste combien
le problème de la vérité est central dans la pensée d’Aristote. Il est vrai que la
tradition morale grecque donne raison à la primauté de l’amitié et sauvegarde
sa valeur.

D’ailleurs, les conseils et les recommandations des sages sont


significatifs à cet égard : »un bon ami, recommande Xénophon, est le plus
précieux de tous les biens26. Mais on admettra peut-être qu’il est préférable et
c’est aussi pour nous une obligation si nous voulons, du moins, sauvegarder la
vérité en sacrifiant même nos sentiments personnels, surtout quand on est
philosophe ». C’est la raison pour laquelle Aristote affirme que la moralité

25
ARISTOTE, Métaphysique, &, 1 993b 19-20
26
XENOPHON, Les Mémorables, II, 4 début
22

consiste à donner préférence à la vérité. Aussi, reprenant le mot de Platon au


sujet d’Homère, déclare-t-il solennellement que : « si l’amitié et la vérité me sont
chères l’une et de l’autre, je dois néanmoins préférer la seconde à la
première27. De cette déclaration ressort le premier souci du philosophe, le culte
de la vérité. A notre avis, c’est là l’une des raisons majeures de la rupture du
disciple avec son maître vis-à-vis de la conception qu’il se fait du Bien.

Concernant l’Idée du Bien, cette conception métaphysique de Platon


apparaît, chez Aristote, disons fantomatique. Car, si la science du Bien est
possible, il n’en reste pas moins qu’il y ait des réalités individuelles, modèles,
stables et ; partant, intelligibles. Et selon Aristote, l’illusion de Platon est d’avoir
considérée ces réalités stables comme séparées des choses sensibles.
D’ailleurs, en séparant les Idées de ce dont elles sont Idées, Platon n’a voulu
qu’imaginer une substance qui peut être objet de science car celui-ci avait placé
la science dans des inductions amenant à des définitions.

En effet, la critique d’Aristote est naturellement toute dialectique. En


d’autres termes, il s’agit de démontrer que les Idées n’existent pas. Dans ce
cas, Aristote veut aussi montrer que la philosophie de Platon n’est pas la
philosophie première. Le Stagirite montre par là qu’elle a laissé séparées les
deux choses qu’elle avait eu à unir, à savoir, la science et la substance. Les
Platoniciens démontrent l’existence des Idées trois arguments principaux. Le
premier concerne la multiplicité d’objets possédant une même propriété, dont la
beauté qui exige que cette propriété existe au-dessus d’eux tous.

Les arguments, tirés des sciences, montrent une définition géométrique


qui implique l’existence de son objet. La représentation de la chose, qui persiste
une fois la chose disparue, implique enfin la stabilité d’un objet de la science qui
n’est plus soumis au flux des choses sensibles28. On peut dire que les choses
multiples dont on affirme l’unité, les choses que l’on définit et celles enfin que
enfin que se représente une fois disparues, peuvent être bien autre chose que
des substances à savoir des quantités, des qualités et des relations.

27
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 6, 1096a 11-13
28
ARISTOTE, Métaphysique, A, 9, 990b 11-15
23

Ces arguments prouvent l’existence des idées des substances29. Mais


comment l’idée d’une chose qui n’est pas substance pourrait-elle être
substance ? Car même l’idée d’une substance ne peut pas être, elle non plus,
substance. Car toute substance est une. Si les idées sont comme elles doivent
être, dans le platonisme, objets de définition est composée d’un genre et d’une
différence. L’homme, par exemple, se définit comme étant un animal, bipède.
Puisque animal bipède désigne un seul être, cette composition ne présente
aucun obstacle à l’unité du défini. Or, si la théorie des Idées est vraie, la
composition est incompatible avec l’unité, parce que les termes animal est
bipède désignent chacun une Idée, une substance. Dans cette perspective, il y
a, dans l’homme, deux substances et, de ce fait, l’homme perd sa substantialité
avec son unité. Par conséquent, Platon établit pour chaque classe d’êtres une
infinité d’Idées. Car à chaque multiplicité des choses semblables doit
correspondre une Idée. Dans ce cas, la règle doit s’appliquer quand nous
envisageons l’homme sensible et l’idée de l’homme.

Puisqu’ils sont semblables doit correspondre à un troisième homme : au


groupe formé par ces trois hommes, doit en correspondre en quatrième, et ainsi
à l’infini. Ainsi, la substantialité de l’Idée va perdant.

Ainsi, si les Idées pouvaient être définies, elles ne seraient par des
substances. Et, inversement, si les idées étaient des substances, elles ne
pourraient être ni objets, ni moyens de science. Aristote a prêté à Platon dans
toute son argumentation l’intention de faire des Idées des principes
d’explications des choses sensibles. Elles ne sont que la quiddité réalisée de
ces choses et elles prétendent répondre au problème de la métaphysique. Car
ce qui fait qu’un homme sensible est un homme,c’est qu’il participe à l’homme
en soi. Or, cette explication semble être illusoire : tout d’abord, comme les idées
sont des substances fixes, elles n’expliquent pas le devenir des choses
sensibles.

De toute façon, étant immobile, l’idée peut-être cause d’immobilité, non


des mouvements. Comme la nature est immanente aux choses, les Idées ne

29
ARISTOTE, Métaphysique, A, 16, 990b 22-23
24

peuvent être cause motrice, puisqu’elles en sont séparées. En effet, aucun


universel n’est capable de produire une chose particulière actuelle qui engendre
une chose particulière. C’est « l’homme qui engendre l’homme »30 et c’est
l’architecte qui fait la maison. On peut quand même affirmer que cette vision
immédiate et concrète du devenir s’oppose à la fiction platonicienne des
prétendus modèles des choses qui ne sont en réalité que les choses en soi.

Dans cette perspective, la pensée d’Aristote s’érige contre la doctrine


des êtres mathématiques conçus par Platon comme des intermédiaires entre
les Idées et les choses sensibles. Le philosophe naturaliste réagit plus
fermement, d’un coté, contre la théorie des nombres mathématiques érigés en
réalités suprêmes par Speusippe et, de l’autre, contre la théorie des nombres
idéaux chez Xénocrate.

Or, Aristote ne peut pas dire des essences mathématiques ce qu’il disait
des Idées, lesquelles ne font que doubler les choses sensibles, puisqu’elles
sont d’une autre nature. Mais cette différence de nature est précisément le point
de départ d’une critique qu’il adresse contre la réalité des Idées

Par conséquent, on peut dire, des sciences de l’astronomie qui substi-


tuent au ciel visible une construction mathématique faite des cercles ou des
sphères. Ces sciences astronomiques n’avancent-elles pas plus près de la
réalité que celles qui procèdent de la sensation ? Et Aristote lui-même admet
bien que, dans des sciences telles que l’harmonie, l’arithmétique rend raison
des accords que les sens font apparaître comme tel. L’être mathématique n’a
point cette vertu puisqu’il naît d’une abstraction qui manifeste les formes et les
limites en les séparant de leur contenu. En plus, Aristote ne considère pas du
tout que les mathématiques rendent raison des substances réelles intelligibles.

30
ARISTOTE, Métaphysique, A, 9, 991a 8611 et Z, 8, 1033a 2, 6632
25

I.2.2 Analyse du Bien et de l’Etre

Les études faites par les spécialistes montrent que, c’est dans les
Topiques31 et dans l’Ethique à Eudème32 que l’on retrouve l’une des thèses les
plus anti-platoniciennes : celle de l’équivocité de l’Etre et du Bien. Notons
d’abord que la théorie des Idées était déjà un sujet classique de discussion au
sein même de l’Académie et, de là, la contribution d’Aristote dans la première
partie du Parménide33 et au livre A de la Métaphysique34.

Mais selon l’analyse faite par Pierre Aubenque dans le Problème de


l’Etre chez Aristote ; c’est dans l’Ethique à Eudème que l’homonymie du Bien
est invoquée contre la théorie des Idées :

« Dire qu’il y a une Idée non seulement du Bien, mais de toute


autre chose, c’est s’exprimer d’une façon verbale et vide. Car le
bien se dit en plusieurs sens et en autant de sens que l’être »35.

Aristote le dit bien dans le Problème de l’Etre que le bien est un


homonyme. En interprétant cette affirmation d’Aristote, on constate que le bien
s’applique à une pluralité d’objets, mais que, d’un genre de choses à l’autre, il
change complètement de signification. Par exemple, sur le plan de l’être, ce qui
fonde la synonymie du bœuf et du cheval, c’est qu’ils sont l’un et l’autre des
animaux, cela veut dire qu’ils appartiennent l’un et l’autre au genre animal.
Mais, il n’y a pas de fondement ontologique de l’homonymie : ou plutôt toute
homonymie renvoie à l’homonymie fondamentale, qui est celle de l’être lui-
même et qui se traduit par sa dispersion en une pluralité de catégories.

En tout cas, le Bien peut s’attribuer sur le mode de l’agir, de la qualité de


la quantité, du temps. Cela signifie tout simplement qu’il n’y a rien de commune
entre l’action bonne, la perfection quantitative, la juste mesure et le temps

31
ARISTOTE, Topiques, I, 15 et Y IV 2
32
ARISTOTE, Ethique à Eudème
33
PLATON, Parménide, 248a-249c
34
ARISTOTE, Métaphysique, A, 9, 990b 11 ; 19 et 23.992a 1-24
35
ARISTOTE, Ethique à Eudème, I, 8, 1217b-26 et P. Aubenque, Le problème de l’être
chez Aristote.
26

opportun. En d’autres termes, ils ne sont pas les espèces d’un même genre, qui
serait leur essence respective ; ce qui veut dire encore que le Bien en tant que
Bien, c’est-à-dire, un Bien qui ne serait pas envisagé selon telle ou telle
catégorie particulière n’est pas un genre, que le Bien en tant que Bien n’est pas
une essence. S’il en est ainsi, c’est parce que les catégories de l’être ne sont
pas les espèces du genre être. L’être en tant qu’être n’est pas un genre et qu’il
n’est pas une essence. Dans cette perspective, le Bien qui se manifeste
réciproque avec l’être s’affirme de toutes les catégories. Il ne saurait pas, plus
que l’être lui-même, être quelque chose de commun, d’universel et d’un, en
d’autres termes être un genre. Puisque le Bien s’affirme d’autant de façons que
l’être, il est clair qu’il ne saurait être quelque chose de général et d’un : car s’il
l’était, il ne s’affirmerait pas de toutes les catégories, mais d’une seule.

Après avoir énuméré les sens multiples de l’être et les sens


correspondants du Bien, Aristote conclut en disant que « de même que l’être
n’est pas dans les catégories, de même, le bien n’y est pas non plus, et il n’y a
pas davantage une science unique de l’être, ni du Bien36.

De même que dans les choses tombant sous une seule Idée, il n’y a
qu’une seule science, de même il ne devrait y avoir également qu’une science
unique pour tous les biens sans exception. Or, les biens sont l’objet d’une
multiplicité de sciences, même ceux qui tombent sous une seule catégorie, Il en
est ainsi pour l’occasion : sous une seule catégorie, dont l’occasion qui est celle
du temps.

Mais dans la guerre, il y a la stratégie comme la médecine l’est dans la


maladie dont la science repose aussi sur le régime alimentaire qui exige une
juste mesure. Dans ce cas, il faut également éviter les exercices fatigants dans
la gymnastique.

Dans le Cratyle37, le Phédon38, et la République39, Platon pose les Idées


comme condition de possibilité de la science. Immuables, les Idées fournissent

36
ARISTOTE, Ethique à Eudème, I, 8, 1217b-33
37
PLATON, Cratyle 439c-440b
27

à la science l’objet stable que le sensible ne saurait être. Et pourtant, a travers


les Idées, c’est le sensible qui doit être visé par la connaissance. La science
des Idées ne serait que l’Idée de la science sans être la science des choses qui
nous entourent. Ainsi, aux Yeux d’Aristote, les Idées platoniciennes devraient
répondre à des exigences : d’une part, être séparées du sensible et, de l’autre,
être identiques aux choses sensibles, c’est à dire avoir les mêmes noms
qu’elles.

Par conséquent, le lit en soi doit être, en quelque façon, le même que les
lits sensibles sans quoi il ne soit pas l’Idée de ces lits40.

De ces deux exigences, la critique d’Aristote conduit à cette conclusion :


si les Idées sont séparées, elles seront inconnaissables par nous, si les Idées
sont identiques au sensible, elles comporteront la même infirmité que lui et
seront, par la même, inconnaissables également. Dans cette perspective, dans
un cas comme l’autre, les Idées ne peuvent pas réaliser leur fonction d’être
principe d’intelligibilité en soi, mais celui de l’intelligibilité du sensible. On peut
dire que cette augmentation a permis à Aristote d’affirmer que les Idées
n’apportent aucun concours aux êtres sensibles. Par conséquent, elles ne sont
pas causes, ni principes du mouvement ou du changement. En d’autres termes,
les Idées ne peuvent pas être causes efficientes des êtres et n’expliquent pas
leur existence, n’étant pas immanentes aux choses particulières41.

I.2.3 Le Bien, principe te fin de l’action humaine

Notons que l’éthique d’Aristote est foncièrement téléologique. Elle se


préoccupe de l’action, non en tant que bonne en soi sans tenir compte de toute
autre considération, mais de l’action en tant qu’elle conduit au bien de l’homme,
Cela conduira à concevoir le bien comme la fin humaine de l’action « bonne »,
laquelle s’oppose à une action « mauvaise » : « tout art et toute recherche,

38
PLATON, Phédon, 78b-79a
39
PLATON, République, V 475 e-476a ; VI 507b-508d
40
ARISTOTE, Métaphysique, A, 9, 991a 2-8
41
ARISTOTE, Métaphysique, A, 9, 990b 8-15
28

toute action et tout choix sembleraient viser quelque bien. Il s’ensuit que le bien
a été justement défini comme ce vers quoi tendent toutes les choses »42.

Il y a différents biens correspondant aux différents arts et sciences. L’art


du médecin vise la santé, celle de la navigation, un voyage sur et l’économie, la
richesse. D’ailleurs, il y a des fins subordonnées à d’autres et des fins plus
éloignées.

La fin que poursuit le fait de donner un certain remède peut produire le


sommeil, et cette fin immédiate est subordonnée à la fin de la santé. De là
même façon, la fabrication des mors et des rênes pour les chevaux de la
cavalerie est la fin d’un certain art, mais elle est subordonnée à la fin la plus
vaste et plus compréhensive de conduire efficacement les opérations
guerrières. Dans ces cas, ces fins immédiates visent des buts ou des biens plus
éloignés. Pourtant, s’il y a une fin que nous désirions pour elle-même et pour
laquelle nous désirons tous les autres biens ou fins, alors ce bien ultime sera le
meilleur bien, en un mot, le Souverain Bien.

Selon Aristote, c’est la science politique et sociale qui étudie ce qui est
bien pour l’homme. Dans cette perspective, l’Etat et l’individu ont le même bien,
quoique ce bien trouvé dans l’Etat est plus grand et plus nobles43. Quant à la
question de ce qu’est le bien de l’homme, Aristote montre qu’on ne peut lui
répondre avec exactitude comme on peut répondre à un problème mathé-
matique. Car c’est l’action humaine qui est l’objet de l’Ethique, et l’action
humaine ne peut être déterminée avec une exactitude mathématique. Ainsi,
dans l’Ethique, on part des jugements moraux concernant l’homme. Et c’est en
les comparant, les opposant que nous en venons à formuler les principes
généraux44. De toute façon, cette opinion présuppose qu’il y a des tendances
naturelles implantées en l’homme, dont l’observation est la vie éthique pour
l’homme. On peut dire quand même que l’éthique d’Aristote est en grande
partie du bon sens, fondée comme elle est sur les jugements moraux de

42
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque I, 1094a 1-3
43
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 1094a 27-b11
44
ARISTOTE, Ethique à Eudème, 1219b 32 sq
29

l’homme bon et vertueux. En ce sens, il destinait son éthique à être la


justification et le complément des jugements naturels d’un tel homme, qui est le
mieux qualifié pour juger des problèmes de cette sorte45.

D’ailleurs, quoique nous puissions discerner de façon manifeste le goût


grec contemporain en matière de conduite humaine et l’idée que fait Aristote
des vertus morales, le philosophe semble être préoccupé par la nature humaine
comme telle en fondant son éthique sur les caractéristiques universelles de
cette nature.

On se demande alors la question de savoir ce que l’on envisage en


général comme but de la vie, sinon la vie heureuse. Le bonheur, dit Aristote, est
le but de la vie, ce à quoi tout le monde tend et doit être une activité, qui exclut
la misère. Or, si le bonheur est une activité, celle-ci engagera volontiers
l’homme dans sa vie particulière. Mais elle ne peut être une activité de la
croissance ou de la reproduction, ni celle de la sensation puisqu’elles sont
partagées par d’autres êtres inférieurs à l’homme.

Ce doit être l’activité de ce qui est inhérent ou naturel à l’homme parmi


les êtres naturels, à savoir l’acte de l’intellect, ou tout au moins, celui qui est en
accord avec l’intellect. Il s’agit d’une activité vertueuse, où Aristote distingue les
vertus morales des vertus intellectuelles. En tout cas, le bonheur comme fin
morale de notre activité ne pourrait consister simplement dans la vertu comme
telle. Il réside plutôt dans une activité comprenant toutes vertus morales et
intellectuelles. D’ailleurs, dit Aristote, s’il mérite réellement le nom de bonheur, il
doit se manifester durant une vie entière et non simplement pendant un bref
moment46.

Mais si le bonheur est essentiellement l’activité selon la vertu, c’est


qu’Aristote n’entend pas par là exclure purement et simplement toutes les
notions générales du bonheur. Car l’activité à laquelle tend la vertu s’ac-
compagne nécessairement du plaisir puisque le plaisir est l’accompagnement
45
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque I, 1094b 27
46
On comprend pourquoi, pour La Fontaine, l’argent ne fait pas le bonheur, mais y
contribue quelque fois.
30

naturel d’une activité libre et sans entrave. Sans quelques biens extérieurs, en
effet, l’homme ne peut «évidemment bien exercer cette activité.

Par conséquent, le bonheur comme activité ne peut nullement sacrifier,


ni exclure le plaisir et la prospérité extérieure, la richesse matérielle47.

Une fois de plus l’éthique d’Aristote montre combien sa pensée est


marquée du bon sens et qu’elle ne réside pas dans les nuages hostiles à cette
terre. En effet, elle considère d’abord la nature générale du caractère du bien et
de l’action bonne, puis les principales vertus morales. Mais ces vertus enten-
dent suivre le plan établi par la raison, grâce à l’intellect. A la fin de l’Ethique à
Nicomaque, il considère la vie idéale, c’est-à-dire, celle de la plus haute activité
vertueuse qui rendra la vraie vie heureuse pour l’homme.

On peut dire que le bien de l’homme est le souci du concret, qui


caractérise la morale d’Aristote, le conduit aussi à préciser que l’objet de
l’éthique, c’est de définir le bien de l’homme, c’est-à-dire un bien pratique te
réalisable pour l’homme. On peut y parvenir en se demandant : quelle est la
fonction de l’homme ? En effet, Platon avait montré à la fin du livre domestique,
ce qui fait le bon outil, le bon ouvrier, le bon cheval, ou de bons yeux, c’est la
qualité, la vertu, ou excellence propre, qui les rend aptes à accomplir leur
fonction propre. Or, la fonction ou activité propre de l’homme ne saurait être
que l’activité de l’âme raisonnable ; celle qui distingue l’animal, comme la
sensation distingue l’animal de la plante. Dès lors, la vertu de l’homme, c’est
l’aptitude à la vie raisonnable ; c’est cette aptitude qui le rend bon, et son
bonheur ne peut consister que dans l’exercice de cette aptitude dans la vie
raisonnable elle-même. On pourra définir le bonheur comme activité de l’âme
s’exerçant selon la vertu48. Et ceci nous conduit à la deuxième partie de notre
recherche concernant l’analyse topologique de la vertu.

47
PLATON, République, I, 352d-353e
48
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque I, 7, 1097b 22 et 1098a 16
31

DEUXIEME PARTIE :
ANALYSE TOPOLOGIQUE DE LA VERTU
32

II.1 LES DIFFERENTS TYPES DE VERTU

D’abord, l’objet de l’Ethique, dans un premier temps, c’est de définir le


Souverain Bien, qui est la fin suprême de notre activité : il y a nécessairement
un objet absolu de notre volonté, que nous recherchons pour lui-même et par-
dessus tout à l’égard de tous nos autres buts qui ne sont que des moyens. Ce
bien suprême est en même temps un bien parfait, c’est-à-dire, achevé, qui se
suffit à lui-même, qui est à lui seul capable de nous combler49. Et c’est la raison
pour laquelle, Aristote a entrepris la recherche de ce qu’on appelle le bien
propre de l’homme qui consiste dans son aptitude à la vie raisonnable, elle
réside pour chacun dans une disposition permanente à se conduire
raisonnablement50. Dans cette perspective, le philosophe concède que la vertu
n’est pas encore le Souverain Bien. Le souverain bien ne consiste pas
proprement dans la vertu, mais dans l’exercice de la vertu. Le bonheur ne
saurait consister dans une hexis, une simple aptitude ou disposition ; mais
suppose l’exercice de cette fonction excellente.

L’âme humaine trouve ainsi, dans la pratique des vertus et dans l’exer-
cice de ses facultés raisonnables, sa satisfaction la plus haute. En d’autres
termes, on peut dire que l’activité vertueuse porte en elle-même son prix.

En tout cas, la vertu dont il est question ici ne réside pas dans celle du
corps, mais dans celle de l’âme. Elle est fondée sur une activité morale qui
permet d’atteindre le bien. En fait, la réalisation de la nature de l’homme ne
peut se faire qu’à partir de ce qui lui est propre et le distingue des animaux,
c’est-à-dire, sa raison. D’après Aristote, la recherche de la vie heureuse ne peut
se comprendre que par l’exercice de la vertu proprement humaine qu’est
l’aptitude à la vie raisonnable.

Pourtant, il faut distinguer deux sortes de vertus : tout d’abord, il y a les


vertus dianoétiques ou intellectuelles qui sont issues de l’activité rationnelle
comme la science, l’art, la prudence, l’intellect et la sagesse, et caractérisent

49
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, 5, 1097a 28 sq ; b 14-15
50
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, 8, 1099a-9
33

les habitudes de méthodes et de réflexion qui doivent régler la vie intellectuelle ;


ensuite les vertus morales ou éthiques qui ont dues aux mœurs et à l’habitude
comme le courage, la justice, la tempérance… ont pour fin de définir la conduite
morale. Aristote représente la vertu comme ce qu’il a de plus naturel et fruit de
l’apprentissage. Cela veut dire tout simplement que tout être a sa propre vertu.
La vertu d’une pierre par exemple est de tomber vers le bas et celle de la
flamme est de monter vers le haut. Mais parler de la vertu morale de l’homme
revient pour Aristote à penser qu’aucune des vertus n’est naturellement
engendrée en nous. Elles sont devenues comme une chose innée, c’est-à-dire,
une sorte de seconde nature. Car l’homme peut l’acquérir par une activité qui
vise le bien. En fait, la vertu suppose une puissance authentique du bien.

II.1.1 Les vertus intellectuelles

D’après Aristote, en général, il y a une partie rationnelle et une partie


irrationnelle dans les parties de l’ame. En fait dans l’âme elle-même, il y a deux
éléments dont le premier est règle, c’est-à-dire, c’est celui qui par nature
commande et juge de nos affaires et de nos actions ensuite le second suit les
ordres du premier, c’est celui qui est naturellement fait pour lui obéir. Mais dans
ce chapitre, notre analyse se porte sur la partie rationnelle seulement car la
partie irrationnelle dont parle ici englobe l’âme des plantes comme celle des
animaux. A son tour, cela se divise aussi en deux parties dont l’une est
purement et simplement irrationnelle qui préside à la nutrition et à la croissance
et se trouve chez les pantes elles-mêmes, c’est la partie végétative, l’autre, qui
irrationnelle pareillement n’est capable de participer à la raison en lui obéissant,
c’est la partie désirante. En effet, Aristote définit la partie la pus haute de l’âme
étant partie rationnelle ou intellect comme étant celle qui de l’aveu de tous, par
nature commande et dirige et a pour rôle de penser ce qu’est beau et divin.
Mais pour remplir ce double rôle, il faut à l’intellect deux vertus, la philosophie
pour contempler Dieu et la sagesse pour diriger l’homme.

La partie rationnelle de l’âme comprend deux parties : la partie scienti-


fique qui considère les réalités nécessaires et porte sur les connaissances du
nécessaire. C’est l’intellect spéculatif. La seconde partie de connaissance qui
34

est relative aux choses et aux réalités contingentes est appelée par Aristote
tantôt faculté d’opiner ou faculté de calculer caractérisée par la possibilité de
juger faux. C’est l’intellect pratique.

En effet, les vertus de cette dernière partie de l’âme rationnelle sont


d’abord l’art qui est une disposition accompagnée de règle vraie, capable de
produire, en tous cas, l’art ou le défaut d’art se meut dans le domaine du
contingent. L’art porte sur la détermination des moyens. Et ensuite, la prudence
qui porte sur la détermination des fins et elle doit à son caractère relatif. Elle
n’est pas une science » et non plus un art, mais une disposition pratique qui
concerne surtout la règle du choix, accompagnée de règle vraie ayant pour
domaine le bien ou le mal. Et celui-ci a pour norme le bien absolu. En effet, il
s’agit ici une justesse de critère et non pas une rectitude de l’action.

Quant à la partie scientifique de l’âme rationnelle, elle comprend trois


vertus : tout d’abord la vertu de l’intuition des principes qui appartient au nous
ou l’intellect, ensuite la vertu de démontrer la vérité et qui constitue la science et
enfin la vertu de sagesse qui enveloppe les deux précédentes vertus dans la
mesure où la sagesse est fondée le savoir et qui est proprement la vertu de la
vie de contemplation. Parmi les vertus intellectuelles, la sagesse est la plus
haute, est considérée comme la forme suprême de la connaissance théorique,
s’exerce seulement dans la vie contemplative et parait se situer, par la même,
au-delà de la moralité. Elle s’oriente vers les objets les plus élevés, comprenant
probablement non seulement les objets de la métaphysique, mais aussi ceux
des mathématiques et de la science naturelle. La contemplation de ces objets
appartient à la vie idéale pour l’homme.

En un mot, admettons que les états par lesquels l’âme énonce ce qui est
vrai sous une forme affirmative ou négative sont au nombre de cinq à savoir
l’art, la science, la prudence, la sagesse et la raison intuitive car le jugement et
l’opinion, il peut arriver que nous soyons induits en erreur.
35

II.1.2 Les vertus morales

Les vertus ne sont pas naturelles mais nous sommes naturellement


prédisposés à les acquérir, à condition de les perfectionner par l’habitude. La
nature nous donne tout simplement les dispositions, les possibilités et c’est à
nous ensuite à les faire passer à l’acte. Nous acquérions les vertus par les
exercices. Dans ce cas, il faut exercer nos actes d’une manière déterminée car
les différentes conduites engendrent des habitudes différentes. Chaque activité
correspond une telle disposition. La vertu est la capacité d’exécuter les plus
belles actions qui est contrairement aux vices. Car la vertu dont on parle ici,
c’est la vertu de l’homme, la vertu de l’âme et non la vertu du corps. Nous
savons qu’Aristote considère la vertu comme une disposition résultant d’une
délibération volontaire, car l’intelligence humaine peut être une véritable cause
à coté de celles que nous agissons. Dans cette perspective, pour qu’on puisse
parler de vertu, il faut celui qui agit soit dans une certaine disposition :

« En premier lieu, il doit savoir ce qu’il fait, ensuite choisir


librement l’acte en question et le choisir en vue de cet acte lui-
même ; et en troisième lieu l’accomplir dans une disposition
d’esprit ferme et inébranlable »51.

Dans ce cas, les vertus sont des actes volontaires et par sa valeur, elles
sont considérées comme une extrême dans l’excellence, mais par son essence,
c’est une médiété entre deux vices ont l’un par l’excès et l’autre par défaut.
Mais une telle action peut-être involontaire parce qu’elle est imposée par un
agent extérieure qui exerce une contrainte telle que l’ignorance qu’en est la
source d’une action involontaire.

Car ceux qui agissent mal, ignorent le plus souvent ce qu’ils devraient
faire et ils ne savent pas que leurs actions soient involontaires.

En d’autres termes, s’il dépend de nous d’accomplir des actions bonnes,


il est à notre pouvoir d’être vertueux ou vicieux et c’est en cela que le vice peut
être blâmé. Cela veut dire tout simplement que, c’est à nous de distinguer ce

51
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 3, 1105a 30
36

qui proprement en soi possède la raison et ce qui ne fait que lui obéir à la façon
dont on obéit à un père. Et c’est à partir de ce moment là que nous devons
distinguer les vertus morales des vertus intellectuelles.

Pour mieux comprendre ce que sont des vertus morales, elles sont des
vertus qui relèvent du caractère ou des mœurs et qui sont relatives au plaisir et
à la peine et que le courage est un juste milieu entre la peur et la témérité. La
tempérance est un juste milieu entre le dérèglement et l’insensibilité. La
douceur ou la mansuétude est un juste milieu entre la colère et l’apathie ;la
libéralité est un juste milieu entre la prodigalité et l’avarice. La magnificence est
un juste milieu entre le manque de goût et la mesquinerie. La magnanimité est
un juste milieu entre la vanité et l’humilité, la véracité est un juste milieu entre la
vantardise et la dépréciation de soi. L’engouement est un juste milieu entre la
bouffonnerie et la rusticité, l’affabilité est un juste milieu entre l’obséquiosité et
l’esprit de chicane. La réserve est un juste milieu entre la timidité et l’effronterie.
La juste indignation est un juste milieu entre l’envie et la malveillance.
37

II.2 LES MANIFESTATIONS DE LA VERTU

Tout d’abord, l’éthique diffère des autres sciences en ce sens qu’elle ne


part pas des principes premiers mais qu’elle cherche au contraire d’y remonter ;
c’est pourquoi, elle tient d’abord de la dialectique qui examine les opinions et
les discussions, et qui ne néglige ensuite aucune forme de l’expérience, surtout
qu’elle vient des hommes compétents. Ainsi, pour rechercher la vertu, il faut au
fond être déjà vertueux. Tous les hommes sont d’accord pour dire que la
pratique est la recherche du bonheur, mais soulignons quand même que les
opinions diffèrent à partir du moment ou il faut savoir ce que l’on peut mettre
derrière ce mot « bonheur ». De plus, les avis aussi diffèrent selon les
circonstances, pour chaque, individu. Aux yeux d’Aristote, le bonheur ne peut
pas être un simple moyen mais une fin. Car le bonheur de l ‘homme consiste
dans l’exercice de l’activité spécifiquement. Par exemple, pour le joueur de
flûte, pour le sculpteur, pour tout artisan, le bonheur consiste dans la perfection
avec laquelle ils exercent leur fonction52. C’est son âme rationnelle qui distingue
l’homme des autres êtres vivants. Par conséquent, le bonheur réside dans une
certaine forme d’activité, cela veut t dire que le bonheur consiste dans une
activité de l’âme en accord avec la vertu, et au cas de pluralité des vertus, en
accord avec la plus excellente et la plus parfaite d’entre elles53.

II.2.1 L’habitus : disposition de l’âme vertueuse

Conformément à l’enseignement de Platon, il y a deux catégories de


vertus humaines à savoir : les vertus de la pensée et les vertus du caractère ou
vertus morales, celles-ci suivant la désignation du sujet psychologique. Mais
contrairement à Platon, le Stagirite ne conçoit que deux vertus de la pensée
dans l’ordre du savoir. D’un coté, il y a la vertu morale comme vertu de l’intellect
pratique et de l’autre, la sagesse spéculative, soucieuse d’atteindre le vrai qui
est une vertu de l’intellect spéculatif. L’activité philosophique relève ainsi de la
vertu intellectuelle fondée sur l’instruction dont elle a besoin pour se manifester

52
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 6, 1097B 25
53
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 6, 1098a 15
38

et se développer. Et comme le connaître détermine l’agir, la sagesse est


considérée ici comme une vertu qui perfectionne l’individu pour lui permettre
d’atteindre le Bien

Alors pour Aristote, la sagesse est inséparable des vertus du caractère


car elle «énonce la règle à laquelle celles-ci obéissent. Il existe une distinction
entre sagesse et la philosophie et la double activité de l’esprit à laquelle elles
président : d’abord, l’activité de commandement par où l’esprit règne sur le
désir, sur le corps auquel il est uni et sur tout ce qui est inférieur à lui ; ensuite,
l’activité de contemplation, par où l’esprit vit à part du corps, et avec tout ce qui
lui est supérieur.

En effet, l’activité de commandement met en jeu une double vertu à


savoir : la vertu qui perfectionne le maître-l’esprit-pour lui permettre de bien
commander, c’est la sagesse, la vertu morale qui est la vertu perfectionne le
sujet-le désir lui permettant de bien obéir.

Dans l’ordre de l’action, la vertu morale est une sorte de discipline


s’exerçant dans la vie quotidienne. Fille de l’habitude, elle touche plus exacte-
ment les mœurs qui sont des façons permanentes de la Cité. Elle s’apprend à
force de l’expérience et de l’éducation. Elle est un état de disposition
naturelle « habitus » et sa différence spécifique est le juste milieu. Comme la
vertu apparaît sous un double aspect dont l’un objectif et l’autre subjectif, pour
être assurément vertueux, il faut faire certaines choses, mais bien attendu, il
faut les faire dans certaines dispositions. Les choses que la vertu doit faire sont
des choses mesurées, cela veut dire, accomplies dans le juste milieu car ce
dernier est considéré comme qualité distinctive de l’objet de la vertu. Les
dispositions dans lesquelles la vertu doit les faire sont les qualités du sujet
vertueux : car c’est l’état habituel qui lui fait accomplir les choses vertueuses de
façon stable, selon la droite intention, et d’une manière infaillible54. Plus
précisément, la vertu de l’acte provient de son efficience, c’est-à-dire de son
efficacité. La réalisation des choses de la vertu d’une façon stable et infaillible
est l’un des efforts de l’habitude qu’est la vertu. Ainsi, ce principe établit un lien

54
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 3, 1105a 32-33
39

entre les vertueuses et nous. Car selon Aristote, on ne se rend pas compte de
la rationalisation par l’état habituel. Bien sur, le désir reste désir, mais, il est
totalement soumis à la raison. En effet, là où le désir n’est pas totalement
soumis à la raison, il n’y a pas de vertu : il y a seulement ce qu’Aristote
appelle « continence » ou « maîtrise de soi ».

Par sa dimension rationnelle, l’homme est maître de lui-même, l’esprit


est maître du désir, un désir qui se révolte contre la loi qui le plie.

Voilà pourquoi, il fait ce qu’il doit faire en dépit des mauvais désirs qui le
tentent. Aristote affirme ainsi que la continence n’est pas vertu, mais un simple
mélange55. Elle désigne ici l’état définitif des avortons trop mal venus pour
parvenir à la vertu, à qui la nature n’a pas fait don d’un heureux naturel. Or, par
là même, la vertu ignore la tentation et la lutte qui déchire le continent. Car chez
le vertueux, la partie désirante est en pleine harmonie avec la raison56. Il ne
craint aucune chute puisqu’il ne subsiste rien qui puisse l’incliner au mal, car le
but visé étant le bien57. Car l’homme qui est vertueux ignore la honte d’avoir fait
mal et le repentir de ses actes, puisqu’il n’en commet jamais dont il puisse avoir
à rougir ou à se repentir.

Pour Aristote, l’intention est droite quand le désir qui l’anime suit la
prescription exigée par la raison. La vertu rectifie l’intention qui se traduit en
acte. Car agir selon la vertu, c’est suivre les normes de la vie normale, règles
qui s’avèrent immanentes à chaque être raisonnables. En fait, ce qui rend la
valeur de l’acte, c’est l’intention. Cela permet à Aristote de dire que « la fin
justifie les moyens ». Et par le moyen de la vertu, l’homme s’acquiert un état de
disposition habituelle : ce qu’Aristote exprime en terme de hexis : un avoir par
lequel l’homme acquiert une maîtrise de soi, principe de toute action vertueuse.
L’action vertueuse est une fin morale. Mais elle est aussi un moyen de parvenir
à la contemplation. Cette dernière manifeste la vertu intellective de l’âme qui

55
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, IV, 15, 1128b 33-34
56
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 13, 15-25.III, 15, 1119b15
57
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 11, 1100b 19-20
40

s’exerce pour atteindre sa perfection. Par contre, le vice dégrade l’intellect et


empêche, par là même, toute vie contemplative de l’âme.

Si l’état habituel nous rend capables de faire infailliblement les choses


vertueuses, il a surtout pour effet d’établir entre les choses vertueuses et nous,
une sorte de parenté et de faire que nous nous portons spontanément vers
elles.

Si quelquefois, le vicieux en vient à faire des choses vertueuses, ce sera


par intérêt ou pour quelque autre mobile étranger à la vertu. En ce sens,
Aristote dit que l’effet de la vertu est de rectifier l’intention. Cela nous amène à
faire quelque remarque à ce propos. D’abord, en premier lieu, il importe de bien
noter ce qui sépare la conception aristotélicienne de la droite d’intention et de la
conception kantienne de la pureté d’intention. Ceci c’est pour éviter tout
malentendu. Pour Kant, l’intention est pure quand la volonté est déterminée par
la maxime qu’énonce la raison, abstraction faite de toute inclinaison. Mais pour
Aristote, au contraire, l’intention est droite quand la raison a tellement pénétré le
désir que celui-ci se porte sur l’objet même que prescrit la raison. Cependant,
cette pénétration de la raison dans le désir, n’est rien d’autre que la vertu
même, c’est la raison pour laquelle elle rectifie l’intention.

En second lieu, l’intention, pour Aristote se traduit nécessairement en


acte, car dans la plupart du temps, elle s’identifie avec la décision. Toutes les
deux sont appelées « prohairesis ». Elle porte sur la fin. C’est pourquoi, la vertu
implique nécessairement l’intention, décisive qu’est la prohairesis, un acte
efficace et l’acte extérieur qu’est la praxis58. D’une manière générale, la
première ne va pas sans la seconde. La doctrine de l’intention consiste à faire
les choses qui sont objectivement vertueuses pour elles-mêmes.Ainsi, il faut
jeter un coup d’œil sur les applications qu’en fait Aristote. La chose qui est
objectivement courageuse, c’est de tenir bon dans son rang dans la bataille et
de mourir sur place s’il le faut. Mais on peut ainsi tenir bon parce qu’on
ambitionne les honneurs civiques : on est alors un bon citoyen, mais on n’est
pas un courageux ; on peut tenir bon parce qu’on a l’expérience du danger, on

58
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, x, 8, 1178a34b-1
41

est alors un homme de métier, mais on n’est pas un courageux. En fait, on est
vraiment courageux quand on tient bon »pour la beauté du fait de tenir bon »59
ou comme Aristote le dit souvent, on est courageux quand on tient bon » parce
que c’est beau »60.

Faire les choses vertueuses pour elles-mêmes, c’est les faire pour la
beauté morale qui leur est immanente. Car la loi générale qui vaut pour toutes
vertus est que la beauté de l’acte est la fin que propose la vertu. Ainsi, c’est
tendre à cette beauté morale qui fait la droiture de l’intention. Pour Aristote,
c’est la morale objective qui est première. D’abord, il y a des choses
vertueuses, c’est-à-dire des comportements objectifs définis et prescrits par la
raison et dont la rationalité même fait la beauté, c’est-à-dire, la valeur objective
qui se communique à nos actes par l’intention. Cela veut dire qu’on la prend
elle-même pour fin de son action. Cela permet à Aristote d’affirmer que la fin
justifie les moyens. A vrai dire, le moyen qui est voulu pour lui-même, peut avoir
du caractère moral. Car il est moralement bon d’accomplir une grande et belle
action prix d’une petite malhonnêteté61 qui est une vie sous contrainte. C’est le
cas, par exemple, des guerres considérées comme des actions mauvaises,
mais qui ne sont pas mauvaises dans leur finalité. Le mensonge est certes, un
mal, mais quand on ment pour le bon motif, cela n’est pas un mal62. S’unir à la
femme d’autrui est un mal, mais si on le fait pour renverser un tyran, ce n’est
pas un mal, tels est le cas d’Oedipe qui a épousé sa mère après avoir renversé
son père et de Paris qui a épousé Hélène. Car le mal ne réside que dans
l’intention. On comprend dès lors qu’aux yeux d’Aristote, ce qui fait la valeur de
l’acte en captant la valeur objective de la chose prescrite par la raison, c’est
l’intention.

Pour Socrate comme pour Aristote, toute activité rationnelle s’oriente


vers l’action. L’éthique d’Aristote est une morale d’immanence qui requiert la

59
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, III, 10, 1115b 12-13 ; IV1117a8
60
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, III, 11, 1116a
61
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 1, 111a 19-23
62
Cas de bienséances diplomatiques même si elles ne sont pas nécessairement
mensonges
42

pratique des vertus, par certaines dispositions où l’homme « animal politique »,


se distingue des autres animaux par son appartenance à une « polis ».

Celle-ci, fruit de la civilisation, est le terme d’un développement des


associations humaines dont les stades sont la famille, la tribu, le village et la
Cité. « Animal raisonnable », l’homme est capable de faire le bien, car il suffit,
dit Platon, de connaître le bien pour faire le bien. De toute façon, être vertueux
implique toujours une lutte contre quelque appétit naturel, lutte exige l’effort. En
d’autres termes, la vertu est comprise comme une disposition naturelle
conforme à la conduite d’un homme réfléchi.

II.2.2 Le juste milieu

Tout ce qu’on retient de la morale d’Aristote, c’est l’idée que la vertu est
un juste milieu. Aristote rejoint ici la conception des penseurs grecs antiques
sur l’exigence de la vie morale » la juste mesure ». Dans le livre II de l’Ethique à
Nicomaque, il affirme que la vertu se trouve ruinée par l’excès ou par un
manque insuffisant, tandis que la modération la conserve63.

L’idée d’habitus ne suffit pas pour saisir ce qu’est la vertu : cette dernière
renvoie à un état intermédiaire qui se situe entre deux extrêmes, à savoir
l’excès et le défaut. Pour Aristote, l’application de la notion de juste milieu à la
vertu morale réside dans l’objet de la vertu qui doit être prise au sens de
quantité continue et divisible à l’infini64.

En effet, en toute quantité divisible, on peut prendre une part plus


grande, une part plus petite que l’autre part de la chose et une part égale à
l’autre part de la chose, en ce cas, on déterminera le milieu de la chose. Mais
Aristote souligne ainsi que le juste milieu a pour fonction de faire ce qu’on doit,
quand on le doit, dans les circonstances où on le doit, envers les personnes à
qui on le doit. En un mot, le juste milieu est lié au devoir65.

63
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 5, 1104a 15-30
64
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 5, 1106a 26-27
65
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, III, 3, 1121b12
43

C’est ce que prescrit la règle morale que nous devons faire, le juste
milieu, c’est d’agir comme le dit la droite règle. En effet, il faut que l’action soit
mesurée et conforme à la mesure de la règle. Cette mesure est sans doute,
c’est pour Aristote, le vertueux66. Le vertueux est aussi le sage car c’est la
sagesse qui énonce la règle morale. En fin de compte, le juste milieu n’est que
pour Aristote la conformité de l’action à la règle morale.

La vertu suppose à la fois disposition permanente et choix volontaire et


ne peut être qu’habitus, qui est une manière de se comporter à l’égard des
affections, attitude permanente de la volonté, préférence habituelle ou habitude
préférentielle. Rappelons-nous quand même que la volonté de l’homme, ce qui
le rend bon, c’est son aptitude à bien remplir sa fonction propre67. Or, comme
l’avait montré Platon, tout artisan qui exerce bien son métier, qui remplit bien sa
fonction, réalise dans son ouvrage un ordre, une harmonie une proportion d’où
résulte la perfection de l’ensemble68. Aristote dit qu’un ouvrage achevé, parfait
est celui auquel on ne peu rien enlever ni rien ajouter, qui représente un juste
milieu entre l’excès et le défaut ; la perfection a aussi pour expression
mathématique, la proportion. Ainsi, la proportion est constituée essentiellement
par un moyen terme, qui est un milieu entre deux extrêmes, qui est dans un
même rapport avec deux extrêmes. La proportion consiste dans une égalité de
rapports et, à cet égard, elle réalise une exactitude qui ne saurait être
dépassée. Les vertus ont toutes pour objet à la fois des passions intérieures et
des activités extérieures. Elles modèrent certaines passions pour régulariser
certaines activités. Ainsi, le courage est une attitude modérée à l’égard des
sentiments de confiance et de crainte. Il modère la peur et l’audace pour
permettre au soldat de rester ferme à son poste de combat.

En effet, le courage est le milieu entre la lâcheté et la témérité. La


tempérance consiste à garder la juste mesure dans les appétits nutritifs
sexuels, c’est-à-dire, elle modère la convoitise du plaisir et la répulsion à la

66
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 6, 1113a 33
67
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 6, 1106 a 22
68
PLATON, Gorgias, 503d-504 a
44

peine pour permettre au mari d’être fidèle à sa femme, il ne doit pas négliger ni
courir auprès de celle du voisin. Car l’excès en ce genre est dérèglement, le
défaut insensibilité. La libéralité s’exprime dans une manière de donner ou de
recevoir des richesses également éloignées de l’avarice et de la prodigalité. La
justice modère le plaisir du gain pour permettre de respecter un contrat parce
qu’elle ne doit pas ni léser autrui ni se laisser léser soi-même

Elle trouve son exercice dans la répartition des biens entre les citoyens
ou dans des transactions entres les particuliers, vise à instituer l’égalité entre
les personne d é gal mérite à réparer l’inégalité qui résulte de la violation des
contrats ou de la violence, à proportionner enfin les rétributions aux services,
elle s’oppose principalement à la pléorexia, à l’ambition avide69. En tout cas, la
juste mesure définit, un idéal élevé, auquel on manque par excès ou par
défaut ; théorie du juste milieu n’équivaut pas à un éloge de la médiocrité ; elle
se rattache à l’idéalisme mathématique de Platon et des Pythagoriciens, qui
considéraient, l’univers comme un cosmos, lié par la proportion et offre un
modèle à l’activité morale de l’homme70.

Aristote estime ainsi que la médiété de la vertu est la fonction de


l’appréciation rationnelle du sujet. Cela signifie tout simplement que l’acte
vertueux ne réside pas dans une action envisagée en elle-même et dans sa
matérialité brute, mais à une action envisagée dans son rapport avec nous. En
effet, l’action morale est subjective, parce qu’elle inclut in rapport au sujet. Le
vertueux est un homme de raison qui, entre les excès divers où l’inclinent les
passions, sait discerner et choisir son vari bien en toutes circonstances.

De toute façon, par le fait même où il modère ses passions, il leur


impose une limite entre excès opposés dont l’un ou l’autre est toujours à
redouter, il détermine un milieu, milieu qui n’a rien de mathématique et ne divise
pas les passions comme en parties égales mais qui indique la ligne à suivre en
chaque occurrence par l’action raisonnable. Ainsi, l’homme les plus sociables

69
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, V, 1, 1129a32b-10
70
PLATON, Gorgias, 507e-508a et Timée 47b
45

n’aura pas toujours, s’il est vertueux, le même sourire, et il devra pouvoir se
mettre en colère.

Aux yeux d’Aristote, pour déterminer pratiquement ce juste milieu, il ne


suffit pas de considérer chaque action abstraitement et en elle-même. Mais il
faut tenir compte du sujet à qui elle incombe et des conditions où elle
s’accomplit. Seulement, la formule mathématique de l’idéal moral dot déter-
miner son contenu en fonction des circonstances. C’est ainsi qu’en médecine,
on ne fixera pas uniformément la ration alimentaire. Dans cette perspective, ce
n’est pas le milieu absolu que la vertu prescrit mais une moyenne relative à
chacun de nous Ainsi, la crainte et la confiance, la convoitise, la colère et la
pitié et en général le plaisir et la douleur peuvent être éprouvés trop ou pas
assez. Alors dans les deux cas, ce n’est pas bien ; mais les éprouver quand il
faut, envers qui il faut, pour le motif qu’il faut, et de la façon qu’il faut, c’est là un
milieu, une perfection. En d’autres termes, c’est le propre de la vertu. Par
conséquent, Aristote décrit la vertu morale comme une disposition à choisir, et
qui consiste essentiellement en un milieu déterminé par une règle relativement
à nous, c’est-à-dire, la règle par laquelle un homme pourvu de la sagesse
pratique se détermine71.

La vertu est une disposition à choisir selon une règle, à savoir, la règle
suivant laquelle un homme vraiment vertueux, fait son choix et a une
pénétration morale. En regardant la possession la sagesse pratique, c’est-à-
dire, aptitude à voir ce qui est la chose bonne à faire selon les circonstances, tel
le cas d’un homme vraiment vertueux. Car, pour Aristote, l’homme prudent sera
l’homme qui voit ce qui est vraiment bon pour tel ou tel dans tel concours de
circonstance, il attache plus de valeur aux jugements moraux de la conscience
éclairée qu’à n’importe quelles conclusions a priori et purement théoriques.
Rappelons-nous que lorsque Aristote parle de la vertu, plus précisément d’un
milieu, il ne s’agit pas d’un milieu qui aurait à être calculé arithmétiquement,
voilà pourquoi, il ajoute dans sa définition « relativement à nous ». Ainsi, nous
ne pouvons pas déterminer ce qui est excès, milieu et défaut par des règles

71
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 1106b 36-1107a2
46

rigoureusement ou mathématiques. Mais cela dépend du caractère du senti-


ment ou de l’action en question. Parfois, il peut être préférable de se tromper du
coté de l’excès que du celui du défaut tandis que dans d’autres cas, l’inverse
peut être aussi meilleur. Bien entendu la conception aristotélicienne du juste
milieu ne peut ras être prise comme une exaltation de la médiocrité de la vie
morale, car dans la mesure où il s’agit de l’excellence, la vertu est extrême,
mais c’est par rapport à son essence et à sa définition qu’elle est un milieu.
Notons que dans la philosophie d’Aristote, la médiété s’applique aussi aux
vertus intellectuelles. Elle joue toujours un rôle important qui n’est pas limité à la
simple médiation éthique puisqu’elle s’étend aux domaines économiques et
politiques et autres. Bref, la vertu est une sorte de médiété puisqu’elle refuse
les extrêmes. C’est ce qui fait que le vice a pour caractéristiques essentielles :
l’excès et le défaut.

II.2.3 Règles pratiques pour atteindre la vertu

On a déjà dit dans l’introduction de ce chapitre que la vertu est une


habitude, c’est-à-dire une manière d’être. Et Aristote ajoute qu’elle aussi une
médiété. De là, la vertu morale est en relation avec l’action et les passions.
Dans ce cas, toute passion est suivie de plaisir ou de peine. Il est difficile de
résister au plaisir que de maîtriser la colère. En effet, dans l’ordre de la
moralité, Toute personne qui arrive à maîtriser ces deux sentiments, serait
vertueuse et celle qui les subit se verserait dans le vice. Alors que nos fautes
peuvent présenter mille formes, en revanche, il n’y a pas qu’une seule façon de
réaliser le bien : agir selon la droite règle. C’est pourquoi, il est difficile
d’atteindre ce but que de le manquer. Par là, on considère la vertu comme une
telle sorte de disposition qui établit l’équilibre entre l’excès et le défaut.

Le problème est alors de savoir le moyen à mettre en œuvre pour


devenir vertueux. Tout d’abord, celui qui cherche à atteindre la vertu doit
s’éloigner du vice. Cela requiert le choix des principes d’action permettant d’y
parvenir. Pour cela, Aristote nous met en garde contre nos impulsions naïves
qui tendent davantage à nous pencher vers l’agréable. Pour lui, l’essentiel est
47

de suivre les critères de la droite règle qui détermine toutes les modalités de
nos actes.

La vertu ne peut être telle sans certaines dispositions, dont l’état habituel
qui rectifie l’intention et dont l’essence dans le juste milieu. Ce dernier est le
fruit d’une ascèse rationnelle conduisant à la maîtrise de soi.

En effet, il n’est pas toujours facile de devenir vertueux. Celui qui aspire
à l’être doit tenir compte de certaines conditions conformes aux critères de la
droite règle. Comme la vertu ne vise que le bien, l’homme vertueux doit
savourer le bien. Par conséquent, pour porter un jugement sur des différents
genres de vie, cela signifie que si tous les êtres vivants recherchent le plaisir, il
est à remarquer cependant que tous ne recherchent pas le même plaisir. C’est
la même chose pour le bonheur, la plupart ne le conçoivent pas de la même
façon car chacun a pour ainsi dire son bonheur ou son plaisir propre ou pour
déterminer là où réside vraiment le bonheur de l’homme, il faut considérer
l’activité spécifique e l’âme raisonnable. Il faut viser l’excellence de l’homme ou
la vertu dans son aptitude à la vie raisonnable72. Dans ce cas, pour s’assure
que le vrai bonheur de l’homme réside dans la pratique de la vertu, c’est-à-dire,
dans l’exercice de l’activité raisonnable, il suffit alors d’invoquer le témoignage
de l’homme vertueux. Prenons par exemple, si l’homme qui est malade, a de la
fièvre, ne juge pas du doux et de l’amer, du chaud et du froid, comme celui qui
est en bonne santé, l’homme raisonnable, lui non plus, ne juge pas de
l’agréable et du pénible comme l’intempérant et l’insensé73.

Or, c’est l’homme sensé qui est juge compétent en la matière. Car c’est
son jugement qui est considéré comme mesure du vrai et du faux, en fait, du
plaisir. Sur ce, le genre de vie qu’il préfère est le bonheur véritable. En effet ; la
vie vertueuse ne réclame pas le plaisir pour ornement, elle est agréable en elle-
même. Comme le bonheur consiste dans la pratique de la vertu, dans l’activité
raisonnable, l’homme vertueux se plait aux actions vertueuses, il ne serait pas
vertueux sans cela.

72
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, IV, 3, 1176a 10-12, 8, 1099a 8-11
73
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, IV, 3, 1176a 13-15, 3, 1173b23-25
48

La droite règle est un critère fondamental de la morale pour que la vertu


soit telle. Car toutes les dispositions morales tendent vers le bien pour que
l’homme soit vertueux. Chez Aristote, il existe un principe à séparer de la
détermination des médiétés, lesquelles constituent un état intermédiaire entre
l’excès et le défaut, du fait qu’elles sont en conformité avec la droite règle74.
Dans cette perspective, notre action est prescrite par cette droite règle Ainsi, le
juste milieu demeure conforme à la mesure de l’action que l’on entreprend.
Voilà pourquoi, pour Aristote, l’homme vertueux est celui qui sait mesurer ses
actes. En effet, la médiété de la vertu n’est que la conformité de l’action à la
règle morale. En fait, toutes nos actions doivent rester conformes à la règle
morale. Ainsi, la médiété établit un équilibre entre l’excès et le défaut. Car tout
être raisonnable cherche le bien et évite le mal.

Pour le Stagirite, la morale doit être tirée de l’expérience des hommes,


c’est en examinant les opinions et en discutant qu’on comprend la morale.
Ainsi, la morale comme la politique fait partie des sciences pratiques. C’est la
raison pour laquelle pour Aristote comme pour Platon, la morale est toujours
subordonnée à la politique. Comme nous savons, pour fabriquer sa morale, le
fondateur de l’Ethique part de ce qu’on appelle « le gros bon sens ».Cela veut
dire qu’elle réclame du discernement, une pensée souple et ferme, la vigueur
d’un jugement s’exerçant au contact de l’expérience.

La moralité ne peut se passer d’un idéal formel ; mais elle ne saurait tenir
dans des formules toutes faites. Elle a pour mesure une conscience vivante,
éprise d’harmonie idéale et soucieuse en même tems de la complexité du réel.
Aussi est-ce l’homme bien sensé, doué de bon sens moral, qui devient règle de
la moralité75.

En d’autres termes, la vertu est une attitude volontaire, se tenant dans un


juste milieu, relatif à nous, défini suivant une raison idéale et tel que le définirait
un homme bien sensé76. Toutefois, tous les hommes cherchent le bonheur. Par

74
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI, 2, 1138b 20-25
75
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, III, 4, 1113a33
76
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, II, 6, 1106b36
49

contre, même si, tous les hommes sont d’accord sur ce point, la plupart d’entre
eux ne s’accordent pas sur la conception même du bonheur. Puisque les
hommes n’ont pas tous les mêmes inspirations, alors chacun son contenu
différent. Ainsi, la recherche des conditions objectives du bonheur consiste à
savoir ce que les hommes doivent vraiment rechercher pour réaliser le bonheur.
En tout cas, cette recherche s’effectue dans l’exercice guidé par la volonté.
Pour le flûtiste, par exemple, comme pour le sculpteur, le bonheur est de
maîtriser parfaitement son art et non pas simplement de produire une œuvre
d’art parfaite. Il devrait en être ainsi pour le bonheur de l’être humain, car le
bonheur doit couvrir la vie entière. En fait, le bonheur est en même temps le
chemin lui-même et le point d’arrivée.

Pour le philosophe, l’être humain réalise son bonheur dans la mesure où


il apprend à utiliser ses habilités intellectuelles. Parce que, tout simplement,
c’est grâce à la vie intellectuelle qu’il peut délibérer et faire du choix moral.
Dans ce cas, quand il fait son choix moral, il doit tenir compte d’abord des
normes de la société, puis, du plaisir à obtenir, ensuite, de la portée de son
choix sur autrui, et enfin, de ce qu’il est possible de faire dans le but visé par la
vertu. L’homme obtient le bonheur en pratiquant la vertu et les hommes sont
disposés à la vertu mais ils doivent la pratiquer pour la perfectionner.

En d’autres termes, c’est en pratiquant de la justice, de la tempérance et


du courage que nous devenons justes, tempérants, et courageux. Il faut
toujours nous situer entre les deux extrêmes à savoir le défaut et l’excès,
rejoindre le juste milieu. Car chaque situation doit être analysée dans le but de
vivre dans le bonheur, dans le but de vivre heureux, même si le bonheur des
uns fait quelque fois le malheur des autres dans la vie quotidienne. Par
exemple, on peut mentir pour la bonne cause comme le cas de l’espion ou faire
du mal pour la bonne cause en tuant ses ennemies durant la guerre. En effet,
l’intention compte beaucoup dans l’idéal moral, car c’est à force d’accomplir des
actions conformes à la vertu qu’on devient vertueux.
50

TROISIEME PARTIE :
LA REALISATION DU SUJET VERTUEUX
51

III.1 LES QUALITES DU SUJET VERTUEUX

Dans la conception moderne, la morale est la première des sciences


pratiques. Elle détermine le bien et le mal par rapport à la fin de l’homme. La
pédagogie et la politique s’emparent à ses conclusions, l’une pour la façon de
dresser l’enfant à la pratique du bien, l’autre pour rechercher l’organisation de
l’Etat qui aide l’individu dans l’accomplissement de son devoir. Ces deux
sciences sont sur le même plan ; il n’y a aucune subordination entre elles ;
toutes les deux se rattachent au même titre et avec la même rigueur. Dans ce
chapitre, on parle du sujet vertueux car l’Etat le meilleur est celui qui inculque la
vertu aux citoyens par l’éducation car le bien et le bonheur de l’homme ne se
trouve qu’au sein de la société civile parce que vivre en société est naturel pour
lui. Une famille est la société quotidienne par nature, la société qui s’est ensuite
formée de plusieurs maisons s’appelle village, des villages née la Cité ou l’Etat.
La formation de la Cité est justifie la sociabilité de l’homme. L’Etat a pour but de
faire bien vivre tous ses citoyens car il n’est pas suffit de vivre ou de satisfaire
les besoins immédiats mais il faut bien vivre. Rien de ce qui s’enseigne au
citoyen n’est pour lui une fin, mais il est la fin de tout ce qu’on lui enseigne. En
d’autres termes, il n’est en service ni de la gymnastique, ni de la musique, ni
des lettres, mais ces trois sont à son service, il les emploie comme l’artiste
emploie ses outils, pour sculpteur sa statue, c’est-à-dire, devenir un homme
accomplit, capable d’arriver au bonheur. La fin de l’homme est subordonnée à
celle de l’Etat. L’éthique montre à l’individu quelles formes d’activité il doit
développer et entretenir s’il veut être utile de l’organisme social.

III.1.1 La vertu du bon citoyen et de l’homme du bien

Tout d’abord, pour comprendre ce qu’une « politeia », il faut d’abord


connaître la nature de la Cité ou de la Polis car dans une évolution politique
incessante. On doit s’interroger souvent sur la légalité de l’Etat et sur la
légitimité du pouvoir. Ensuite, la Polis est aussi fort importante pour la science
politique puisque l’homme d’Etat et le législateur ont toute leur activité tournée
vers la Cité. Enfin la constitution qui est un ordre établi dans une Cité entres
52

tous ses habitants. Et comme, la Cité est un tout composé de ses multiples
parties que sont les citoyens, on peut dire que l’essence de ces derniers varie
suivant les divers régimes politiques et diverses formes de gouvernement. Par
ailleurs, selon la définition qui s’adapte le moins mal à tous ce que l’on appelle
de ce nom, le citoyen au sens absolu est celui qui participe de façon
permanente à ces pouvoirs délibératifs et judiciaires qui représentent l’autorité
suprême. Pour Aristote lui-même, seul est citoyen, l’homme qui a la possibilité
d’accéder au Conseil ou aux magistratures ; et l’Etat est la collectivité des
citoyens en possession de ce droit et en nombre suffisant pour assurer à la Cité
sa pleine indépendance, son autarcie c’est-à-dire se suffit à soi-même.

Les chapitre IV et V de la Politique forment un tout et traitent le problème


non moins important que celui de citoyenneté : celui de « bon citoyen » et de sa
« vertu particulière » et par voie de corollaire celui des catégories de citoyens
qu’exclut une telle définition.

Sur le plan pratique, c’était une question sans cesse évoquée dans les
procès devant les tribunaux comme en témoignent tant de discours des
orateurs attiques, et sur le plan de l’éthique en général, c’est la question
capitale de l’identité de la morale sociale et de la morale individuelle qui est
posée ici. Sur la Politique d’Aristote, il affirme que les constitutions son bonnes
ou mauvaises suivant qu’elles sont plus ou moins adaptées à la vraie fin de
l’Etat qui est de promouvoir la vertu parfaite et le bonheur des citoyens. Dans
cette perspective, si la cité est une sorte de communauté des citoyens à un
gouvernement. Dès que la forme du gouvernement devient spécifiquement
autre ou simplement différente. Il est inévitable que la cité ne soit plus la même,
tout comme nous disons qu’un chœur, tantôt comique, tantôt tragique, n’est pas
le même, bien que souvent il est composé des mêmes personnes pareillement,
n’importe quelle forme de communauté ou unité de composition est autre si la
forme de la composition est autre. Il est clair que c’est avant tout la constitution
qu’on doit considérer pour dire qu’une cité reste la même. De même que
chaque matelot est l’un des membres d’une communauté, ainsi en est-il du
citoyen. Ces matelots ont beau différé par leur capacité dont l’un rameur, un
autre pilote, une autre la vigie, un autre reçoit quelque autre dénomination du
53

même genre. Il est clair que la définition la plus exacte de la perfection de


chacun n’est propre qu’à lui, mais qu’il y en aura également une qui sera
commune et qui s’adaptera à tous : en effet, la sécurité de la navigation est leur
tache à tous car c’est à cela qu’aspire chacun des matelots. Il en va de même
des citoyens : leur tache, c’est le salut de la communauté, la perfection du
citoyen est nécessairement en rapport avec le régime politique qui est la
communauté.

Dans le chapitre IV, le plus important du livre III, Aristote vise moins à
rectifier des opinions comme celle qu’exprime Thucydide « qu’être bon citoyen,
c’est-à-dire un membre utile à la cité quelle que soit sa constitution, c’est être
un homme de bien » que celle que défendait Socrate affirmant l’unité de la
vertu « la vertu est une et la même dans tous ceux qui possèdent et que la
vertu du bon citoyen et celle que l’homme de bien sont identiques ». C’est
d’ailleurs un des principes fondamentaux de la République où Platon implique
l’analogie de l’Etat et de l’individu et qui ressort de façon évidente de l’examen
des régimes défectueux et des tempéraments sociaux pervertis. Selon le
Gorgias, la vertu du bon citoyen consiste à amener ses concitoyens à ce dont
résultera leur amélioration. Au contraire, pour Aristote, il admet ce principe dans
quelques cas, c’est-à-dire, dans la constitution parfaite, les deux types de
vertus sont distinctes ; la vertu varie avec la fonction que remplit une personne
et comme la fonction d’un bon citoyen dépend de la constitution, sa vertu qui
consiste à savoir gouverner et être gouverné et non uniquement à savoir bien
délibérer et bien juger, varie avec la constitution : elle n’est pas absolue,
parfaite, comme celle de l’homme de bien. Ainsi de même que la constitution
est la garante e la permanence de l’Etat, elle détermine aussi la relation qui
existe la vertu e l’homme et celle du bon citoyen. Par conséquent, identifier la
vertu du bon citoyen et vertu de l’homme de bien, c’est ignorer les différences
entre les constitutions et aussi les différences entre le gouvernant et le
gouverné dans la meilleure de constitution.

Dans cette perspective, c’est ce qu’Aristote cherche une voie


moyenne entre les opinions opposées dont on a parlé ci-dessus. Thucydide, il
admet une certaine vertu du citoyen dans divers constitutions et comme
54

Socrate, il reconnaît que la vertu du bon citoyen est sous sa forme la plus
haute, c’est-à-dire dans le cas du gouvernant sous la meilleure des
constitutions, identiques à celle de l’homme de bien. Aux yeux d’Aristote, la
vertu du citoyen n’est pas absolue, parce que la notion des citoyens varie
suivant les diverses constitutions. En effet, si le citoyen est des marins dans
leurs diverses fonctions à bord du navire, comme nous l’avons expliqué, ils sont
différents les uns des autres : assurer les uns, la sécurité de la navigation et les
autres le salut de la communauté civique. On peut dire quand même que d’une
part la vertu du citoyen est nécessairement relative à la constitution, comme la
vertu de l’épouse et de l’esclave est relative à l’époux et au maître. Et d’autre
part, puisqu’il y a plusieurs espèces de constitution et que la vertu parfaite est
seule et unique, la vertu du bon citoyen qui revêt diverses formes suivant les
constitutions, ne saurait être identiques à la vertu parfaite de l’homme e bien qui
elle n’a qu’une seule forme.

Aristote emploie une autre méthode pour bien assimiler une différence
spécifique entre la vertu du bon citoyen et celle de l’homme de bien. Sur ce, il
montre que l’Etat idéal ne peut comprendre uniquement des gens de bien, mais
que tous les membres de cet Etat doivent posséder la vertu du bon citoyen
sinon ce ne serait pas l’Etat idéal. Toutefois, cette vertu à la différence de la
vertu toujours une de l’homme de bien, varie comme excellence des marins,
suivant la fonction de chacun et lui permet de remplir convenablement sa
tache ; ainsi vertu du bon citoyen et vertu de l’homme de bien ne sauraient être
identiques pour tous, même dans cet Etat disons idéal.

Cependant, il peut y avoir identité entre ces deux vertus chez le


gouvernant qui lui doit avoir cette qualité propre à l’homme de bien, la prudence
vertu dont Aristote faire une analyse approfondie au livre VI de l’Ethique à
Nicomaque. Et le caractère particulier de la vertu du chef apparaît dans la
différence d’éducation reçue dès l’enfance en marquant bien la différence
d’éducation et de genre de vie qui sont considérées comme des indices d’une
différence de la vertu entre le gouvernant et le gouvernés, c’est-à-dire, entre
l’homme de bien et le simple citoyen. Et si la vertu du citoyen est art de
commandement et de l’obéissance disait Platon dans les Lois et si la vertu de
55

l’homme de bien est de toute commandement, il reste toujours une même


différence de vertu chez le citoyen et chez l’homme de bien. Mais entre
l’éducation reçue par le gouvernant qui est art de commandement et celle que
reçoit le gouverné qui est art à la fois du commandement et d’obéissance. On
peut en conclure qu’il n’y a pas d’opposition puisqu’elles ont un élément
commun : c’est l’apprentissage du commandement, il y a en fin de compte une
identité de perfection chez l’homme de bien et chez le citoyen ou le gouvernant.

III.1.2 La nécessité de l’amitié en tant que vertu sociales

Platon, héritier de toute la tradition grecque n’avait pas hésité à


consacrer plusieurs dialogues au problème de l’amour et de l’amitié. Dans le
Lysis, il montrez toute la fraîcheur de ce sentiment intime qui unit les âmes des
jeunes gens bien nés leur permettant de se révéler mutuellement ce qu’ils ont
de plus cher et de vivre en pleine harmonie. Dans le Banquet, Platon exalte
l’amitié comme une forme divine de la vie, capable de nous élever jusqu’à la
contemplation du « beau en-soi ». L’amitié d’ailleurs à la fois divine et humaine
réalise l’unité parfaite de vie entre les hommes et entre ceux-ci et Dieu. Pour lui,
en fait, l’amitié se confond avec le désir amoureux, et tout le problème de
l’amitié consiste à ordonner toutes les amitiés, ou tous les amours, en une
seule série hiérarchisée qui s’élève du degré en degré jusqu’à l’objet premier
d’amitié, qui est le bien en-soi. Il ne saurait à vrai dire y avoir qu’un amour
désintéressé : l’amour du, bien en-soi qui seul est aimé pour lui-même.

Aux yeux d’Aristote, l’amitié, après la sagesse et la vertu est le plus


estimable et le plus indispensable à l’homme et sa préoccupation est de
discerner entre les nombreuses fores qu’elle peut revêtir, celle qui convient à
l’homme. E grec comme en français, amitié est un mot qui sert à désigner des
relations e nature assez diverses, un lien réciproque de sentiment, d’affection
dont la sociabilité la plus adroite. Il comprend et vit de cette valeur
incomparable de l’amitié. L’amitié est un amour réciproque. Une telle définition
manifeste clairement que si l’amitié est vraiment un amour, elle regarde un
certain bien, l’aimable, elle n’est cependant pas n’importe quel amour. L’amour
d’amitié distingue, en effet en premier lieu de l’amour de concupiscence, orienté
56

vers les biens sensibles, bien, en réalité, ne sont pas aimés pour eux-mêmes,
nous les aimons pour notre propre avantage. Si nous désirons que le vin soit
bon, c’est uniquement parce que cela nous est agréable, ce n’est pas par
amour pour le vin, mais bien pour nous. Cet amour concupiscence est
intéressé : on aime l’ami pour lui-même. Noter amour s’achève et se repose en
ami. Voilà pourquoi l’ami ne peut être que l’homme puisqu’on ne peut aimer
d’une manière désintéressée qu’un certain bien absolu au moins qui se
présente tel. En effet, ce désintéressement de l’amour est le premier caractère
de l’amitié. Il nous révèle sa noblesse particulière.

L’amitié est une vertu, ou tout au moins, elle s’accompagne de vertu. De


plus, elle est indispensable à la vie sans ami, nul ne voudrait vivre, même en
étant comblé de tous les autres biens. Les riches eux-mêmes possèdent les
charges et le pouvoir suprême ont tout particulièrement besoin d’amis.
Comment pourrait-on surveiller et garder tous les biens en étant resté sans ami.
Plus ces biens sont nombreux plus leur possession est incertaine. Dans la
pauvreté et les autres infortunés, on pense, généralement, que les amis
constituent le seul refuge. Aux jeunes gens, l’amitié prête son concours pour
leur éviter des fautes ; aux vieillards, elle vient en aide pour les soins que
demande leur état et elle supplie à l’incapacité d’agir à laquelle les condamne
leur faiblesse ; quant aux hommes dans la force de l’age, elle les stimule aux
belles actions. L’amitié semble-t-il un sentiment inné dans le cœur de créateur à
l’égard de sa créature et dans celui de la créature à l’égard du créateur. Il existe
non seulement chez les hommes mais encore chez les oiseaux et chez la
plupart des êtres vivants, dans les individus d’une même espèce, les uns à
l’égard des autres, et principalement entre les hommes.

L’amitié semble encore être le lien des cités et attirer les soins des
législateurs plus que la justice. La concorde qui semble en quelque mesure à
l’amitié parait être l’objet de leur principale sollicitude, tandis qu’il cherche à
bannir tout particulièrement la discorde qui est l’ennemi de l’amitié. D’ailleurs, si
les citoyens pratiquaient entre eux l’amitié, ils n’auraient nullement besoin de la
justice ; mais même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de
l’amitié et la justice à son point de perfection parait tenir de la nature de l’amitié.
57

En fin de compte, l’amitié » est nécessaire. De toute façon, les discussions que
suscite l’amitié sont nombreuses : Les uns la fondent sur une sorte de res-
semblance et disent que se ressembler, c’est aimé. De même, ces proverbes
« le semblable est attiré par le semblable ». D’autres par contre, déclarent que
tout ceux qui ont ressemblance se comporte les uns avec les autres en
véritables potiers. Pour Héraclite, tout naît du contraire, la belle harmonie naît
du contraire et tout provient de la discorde.

L’amitié est fondée sur l’utilité. L’utile parait être ce qui nous procure un
bien ou un plaisir de sorte que le bien et l’agréable en tant que fins seraient
dignes d’amour. Aimons-nous ce qui est bon en soi ou ce qui est bon
relativement à nous-mêmes. Les deux critères du bien ne s’accordent pas
toujours. Il semble que tout homme aime ce qui est bon pour lui et ce qui est
bon et aimable, chacun trouve aimable, non pas exactement ce qui bon pour
lui, mais ce qui lui parait bon. Nous pouvons définir, en effet, d’aimable ce qui
parait bon. Nous n’employons pas le mot amitié pour désigner l’attachement
que nous avons pour les objets car ils ne peuvent nous payer en retour d’amitié
et nous ne pouvons leur vouloir du bien. C’est ridicule, par exemple, de dire
qu’on veut du bien au vin, à moins de faire entendre par là, qu’on désire sa
conservation, afin de pouvoir l’utiliser. En revanche, on dit couramment qu’on
veut le bien d’un ami, non pour soi, mais pour lui. Les gens animés de ce désir
s’appellent bienveillant, même si leurs sentiments ne sont pas payés de retour.
Car la bienveillance, quand elle se montre réciproque, devient une amitié.
L’amitié exige non seulement ces bonnes dispositions réciproques mais aussi
qu’on veuille le bien d’un ami.

Pour Aristote,, l’amitié réunit une extrême diversité de manière d’être du


caractère et de formes d’actions : c’est à la fois la bienveillance et la
bienfaisance, la philanthropie et l’humanité. A ses yeux, c’est l’amour de soi qui
est le vrai principe de l’amitié. Car un ami, c’est celui qui veut ou fait du bien à
une autre personne.
58

III.1.3 Le vertueux vivant de la médiation éthique

La justice est aussi une condition de bonheur. Elle est une vertu résidant
dans la juste mesure, une vertu morale qui fait rendre à chacun ce qui lui est
dû. Elle joue un rôle important dans l’action humaine. Car une chose juste est
conforme à la droite règle et en même temps, à la raison. A ce sujet, tout
d’abord, elle comporte un double sens : ou bien c’est l’observation des nomima,
c'est-à-dire, des règles de conduite, lois écrites ou coutumes qui concernent
nos relations avec nos semblables, en ce sens la justice est en quelque sorte
l’universalité des vertus. Ou bien, c’est une vertu particulière concernant d’un
coté, le partage des biens entre tous les membres de la communauté ; d’autre
coté, c’est l’échange de ses biens soit par consentement mutuel, soit aux
dépens d’une des parties.

Aristote distingue trois sortes de justice, à savoir :

-la justice distributive, en tant que vertu distincte, elle consiste à faire un
partage des biens entre les personnes. La tache de la justice distributive est de
faire ce partage selon ce que valent individuellement ces personnes de manière
que ne soit pas inégale la part de celles dont le mérite est égale, ni égale la part
de celles dont le mérite est inégale.

-Ensuite, la justice réparative ou redressement, c’est elle qui régit les


transactions et se caractérise comme une proportion arithmétique ou par
équidifférence. Contrairement à la précédente au lieu de considérer des
différences de mérite entre les personnes, on considère celles-ci comme
égales.

-Enfin, la justice d’échange qui préside aux relations commerciales et


repose sur l’institution de la monnaie qui étant elle-même soumise à la loi de
l’offre et de la demande n’a pas toujours la même valeur ou le même pouvoir
d’achat. Elle est la base de la justice sous la forme de l’échange et c’est elle
seule permet de maintenir l’égalité proportionnelle entre celui qui reçoit et celui
qui donne.
59

En résumé, il y a trois types de justice dont chacun a sa place et dans


son rang, pour chaque préjudice, une réparation correspondante et enfin à
chaque chose son juste prix.

La justice est considérée comme la plus importante de toutes les vertus.


Elle est l’exercice « parfaite et selon le mot de Théogonis qui est passé en
proverbe » dans la justice se trouve contenue toute la vertu ». Elle est le juste
milieu entre deux extrêmes qui sont un seul et même vice, qui est l’injustice qui
est à la fois l’excès et le défaut. C’est un milieu entre agir injustement et être
traité injustement. Par ailleurs, la justice est concrète, elle est politique celle qui
doit régner entre des associés libres et égaux les droits, en vue d’une existence
qui se suffise à elle-même, l’existence de la cité ou de la polis. Cependant, il y a
aussi une justice non politique qui n’est justice que par analogie, celle du maître
à l’égard de l’esclave ou du père à l’égard de son enfant. Or, l’esclave et
l’enfant sont en réalité une partie de ce dont ils dépendent, et, comme personne
ne choisit d’être injuste à l’égard de soi-même, il ne peut être question
d’injustice à l’égard de l’esclave et pas davantage à l’égard de l’enfant tan ce
dernier n’est pas encore en état d’entrer dans la communauté que régit la Loi,
celle des personnes véritables auxquelles il appartient à titre égale de prescrire
la règle et d’y soumettre77. Par contre, on peut parler de la justice quand il s’agit
de la femme parce qu’avec elle, on est en présence d’un droit familial qui
possède sa propre spécificité qui diffère du droit politique78.

La justice a pour objet propre le droit qui régit la participation des biens
communs avec leurs avantages et leurs charges et les diverses modalités du
droit positif ou coutumier, le droit privé, le droit public, le droit domestique. Les
autres droits se réfèrent toutes à un droit de nature, immuable, éternel qui a
partout la même force et qui ne dépend pas de l’opinion, bien qu’il soit comme
tout ce quoi est humain, à certaines vicissitudes dont les sophistes ont pris
prétexte pour nier qu’il y eut un droit naturel. Il est propre aux hommes libres,
seuls possesseurs de la raison et maître de soi, à qui il appartient à titre égal de

77
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI, 1134b15
78
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque VII, 1134b18sq
60

prescrire la règle et de s’y soumettre ; mais il ne s’applique pas à ceux qui sont
au pouvoir d’un autre et ne possèdent ni raison, ni volonté ni droit proprement
dit tel que l’esclave par nature. La justice revendique l’équité contre l’égalité
niveleuse qui est le principe de la démocratie et d’où procèdent toutes les
revendications et tous les conflits. L’équité, forme supérieure de la justice, est
plus valable qu’elle, en ce qu’elle corrige et adoucit la justice légale, tempère la
justice stricte et remédie aux déficiences ou aux abus de la loi. Ayant objet le
général, n’est pas capable de se prononcer avec une parfaite justesse sur les
cas particuliers, comme eut fait le législateur s’il était présent ou s’il avait en
connaissance du fait, usant comme les biens, non d’une règle de fer mais d’une
règle de plomb susceptible de s’adapter à la forme de la pierre.
61

III.2 LA SAGESSE PHILOSOPHIQUE

Aristote définit la vertu morale comme étant un état habituel qui rectifie
l’intention, dont l’essence est d’être un juste milieu personnel à chacun de nous,
juste milieu qui a pour norme une règle rationnelle, celle-là même que lui
donnera pour norme le sage79. Mais cette définition fait appel à une idée qui n’a
pas été encore élucidée, celle de la sagesse. En effet, vertu morale et sagesse
s’inclinent réciproquement. Toutes les deux sont interdépendantes et
complémentaires. D’où on ne peut pas définir l’une sans l’autre. Car le concept
sagesse est l’un de concepts les plus originaux de la morale aristotélicienne. La
sagesse a le caractère pratique qui fait d’elle une vertu intellectuelle et le
caractère pratique qui font de cette connaissance d’un type très spécial.

III.2.1 La sagesse contemplative

La sagesse n’a pas dès lors les principes pour objet puisque le propre du
sage est d’avoir une démonstration pour certaines choses. La sophia pratique
procède d’une démonstration qui, comme la science, ne saurait atteindre les
principes ; lesquels sont hors du domaine de toute démonstration. Aristote
conclut que le noùs seul est apte à saisir les principes. Car les principes ne sont
pas connaissables par la discussion. Il échappe ainsi à l’emprise de la science
et de la sagesse pratique qui font, l’une et l’autre, appel à la démonstration. Le
noùs, seul les saisit à l’aide de l’induction. La sagesse pratique est capable de
démontrer toutes les sciences.

Si alors, le noùs procède par la connaissance des vérités indémontrables


et l’épistémè, par celle des vérités démontrables, la sophia est l’entendement
même tourné vers la connaissance des réalités les plus hautes et les plus
divines. La sagesse sera la plus achevée des formes du savoir80.

Il n’est plus douteux désormais que le bien et le bonheur doivent se


trouver dans l’excellence des fonctions de l’âme, à savoir le noùs qui est

79
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI, 7, 1141, A, 15-62
80
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI, 7, 1141a15-20
62

l’intellect en tant que faculté des principes exerçant son activité par la
contemplation, c’est-à-dire par la pure spéculation, le savoir théorique. Elle
suppose l’exercice de la faculté intellectuelle, celle qui saisit les premiers
principes, la raison suprême de la chose. La vertu de l’intellect ou la sagesse
théorique. La sophia est la plus haute vertu de l’âme humaine et dans l’exercice
de cette vertu, dans la vie contemplative réside le bonheur le plus parfait. Par
ailleurs, l’activité contemplative est la plus pure dans toutes les activités de
l’âme, elle est la plus haute destination de l’homme si elle correspond à
l’accomplissement de sa nature raisonnable, lui demeure le plus souvent
inaccessible ; elle est le privilège de la nature divine. En effet, le sage doit
connaître les conclusions découlant des principes et encore possédant la vérité
sur les principes eux-mêmes. Car la sagesse est à la fois raison intuitive et
science. De plus, la sophia est le noùs, en tant qu’elle appréhende les
principes. Elle est la vertu complète spéculative. Chez Aristote, la meilleure
façon de traduire le terme sophia, c’est par philosophie. Ainsi, tout le monde
comprendra que ce qui est pour Aristote la vertu suprême et le principe du
bonheur, c’est un état strictement intellectuel. Et la philosophie joue un rôle
prépondérant dans l’activité de l’esprit. C’est aussi l’état habituel qui habilite
l’intellect spéculatif. A vrai dire, ce sont les exigences mêmes de ce rôle qui
vont nous permettre d’en préciser la nature en montrant d’abord que la
philosophie est une science couronnée d’intelligence et ensuite qu’elle est la
science des êtres les plus sublimes.

En outre, la philosophie, en tant que science couronnée d’intelligence,


est un état habituel qui dirige la démonstration et qu’aucune démonstration ne
se suffit à elle-même. Car elle est une science parfaite dont les démonstrations
s’enracineront dans l’intelligence des principes. En effet, le mot « sophia »
évoque avant tout l’idée de maîtrise. Or, qui dit maîtrise dit perfection. Car elle
sera à la fois science et intelligence : la sagesse sera ainsi à la fois raison
intuitive et science.
63

Science munie en quelque sorte d’une tête et portant sur les réalités les
plus hautes81. Et ce n’est pas n’importe quelle science qui peut ainsi s’achever
dans l’intuition des principes. Elle est, comme dit Aristote, science des êtres les
plus sublimes82. En effet, la philosophie ou la sagesse suprême n’est encore
qu’un état habituel ; elle nous rendons capable de faire une activité
contemplative dans laquelle seule résident le Souverain Bien et le bonheur de
l’homme.

Car le bonheur est une activité conforme à la vertu. Il est rationnel, parce
qu’il est une activité conforme à la plus haute vertu. Et celle-ci sera la vertu de
la partie la plus noble de nous-mêmes et c’est par la vie contemplative qu’on
atteint le bonheur. Cette activité est la plus haute puisque l’intellect est la
meilleure partie de nous-mêmes. C’est que les objets sue lesquels pores
l’intellect est les plus haut de tous les objets connaissables83. En effet, grâce à
ces objets que les autres ont un sens. Par exemple, si le premier moteur n’est
pas, il n’y a aucun mouvement

La vie contemplative et sa félicité souveraine sont pour l’homme un idéal


rarement atteint. C’est une condition presque surhumaine. Au-dessous de la vie
contemplative se range la vie pratique, celle de l’homme d’action, entre les
diverses formes d’action, celle du citoyen bien dévoué au bien public ou du
soldat qui combat pour la défense de la cité, l’emporte sur celle du négociant
qui travaille pour s’enrichir. La plus haute vertu du citoyen, la vertu politique par
excellence, est la prudence ; c’est la vertu de l’intellect pratique, qui s’exerce
dans la délibération et qui est distincte de la sophia ou de la sagesse théorique.
Pour Platon l’idée de bien est l’objet suprême de la connaissance et c’est à
ceux qui en ont obtenu la contemplation qu’il appartient d’en réaliser l’image
dans les institutions de la cité.

Aristote au contraire oppose radicalement les hommes sages tels que


Thalès et Anaxagore, homme presque divin qui ont réalisé l’idéal de la vie

81
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI, 7, 1141a15-20
82
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI 7, 1141b5-10
83
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, X, 7, 1177a 158-25
64

contemplative, et les hommes prudents, comme Périclès qui a su bien conduire


la cité. Néanmoins, c’est là l’humanité atteinte la perfection de sa nature qui est
également la fin de la cité. Notons que la vie humaine peut s’orienter de deux
manières : l’une selon les exigences de notre nature humaine, impliquant le
corps et l’âme rationnelle et l’autre selon les exigences plus intimes et plus
profondes du noùs qui est en l’homme. Puisque ces deux orientations peuvent
être perfectionnées dans leurs principes propres par des vertus morales et
intellectuelles. Car la première est celle qui termine et finalise la vie active et
politique de l’homme et la seconde termine et finalise la vie contemplative. Et
entre ces deus bonheurs, il y a un certain ordre : seul le bonheur de la
contemplation est parfaite. Il est le bonheur au sens plénier selon l’ordre de
nature. Car c’est lui seul qui peut finaliser d’une manière absolue tout ce qui est
en l’homme. C’est pourquoi seul il relève de la vertu par excellence : la sagesse
pourtant, le bonheur de la vie active est politique ne peuvent être qu’imparfait.
C’est par la sagesse philosophique, considérée comme la philosophie première,
qui doit nous permettre d’acquérir le bonheur parfait.

En effet, l’homme imite Dieu par la sagesse autant que cela est possible
à un être qui n’est ni bête ni Dieu, l’une incapable de participer à la vie
commune, l’autre n’en ayant pas besoin parce qu’il se suffit. Etant le bien
absolu et parfait, il est transcendant. Dans la mesure où l’homme participe à la
divinité, il doit, autant qu’il le peut, réaliser en lui la vie divine, c'est-à-dire, la vie
de l’Etre nécessaire qui est le Bien et le Beau absolu. Ces attributs lui confèrent
le noble rang de principe, étant Acte pur.

En résumé, la contemplation aristotélicienne ne saurait être que


strictement intellectuelle. Et l’ambition d’Aristote est parachevée le sujet par
cette contemplation rationnelle qui lui confère une sagesse plus qu’humaine.
Sans doute, l’étude de cette sagesse ferait-elle apparaître l’idée aristotélicienne
de la vertu.

Car la sagesse, plus précisément, ou le sage est, à tout égard la mesure


de la vertu. La vie contemplative seule parait apte à réaliser la vraie fin de
65

l’homme84. L’homme sera heureux quand il exercera la fonction de l’âme


suivant le meilleur mode qu’il peut accomplir selon la vertu et notamment selon
la plus excellente de toutes, qui est la vertu contemplative. Avec tout ce qui en
découle, cette dernière soumet les actions de l’homme à la loi de l’esprit et fait
de notre vie une vie parfaite, achevée et complète puisqu’elle est coextensive à
la durée de notre existence requérant un autre aspect de cette sagesse
humaine : la sagesse de vie reposant sur nos activités pratiques.

III.2.2 La sagesse pratique

Comme on vient de le dire précédemment, la sagesse est une vertu


intellectuelle. Elle n’est pas le fruit d’un apprentissage, résidant ainsi dans la
juste mesure. Mais elle relève d’une ascèse rationnelle du sujet qui, par sa
vertu intellectuelle, veut saisir la vérité, mais imprégné du désir. Et sa tâche ne
réside pas seulement dans la connaissance de la pure vérité mais dans une
tendance ordonnée de nos actes constituant le pendant de la rectitude du
désir85.

En effet, ce qui caractérise l’intellect pratique, c’est son aptitude à diriger


l’action dont l’objet est à la fois celui du désir et celui de la pensée. Et pour agir,
il faut impérativement que le vrai ait pour complément nécessaire le bien. Le
vrai est identique au bien moral, car le bien moral est une vérité de l’acte
conforme à la nature de l’homme. C’est pourquoi vrai et bien sont convertibles.
En d’autres termes, le chemin de la sagesse nous fait connaître la vérité et le
bien moral. Par conséquent l’action est bonne lorsque la sagesse et la vertu
trouvent leur point de raccord dans leur objet, dont la réalité objective est
éclairée par la pensée. L’exercice de cette action repose sur la volonté qui
s’incarne dans la vertu morale.

Celle-ci décide, comme conscience agissante, en dernier ressort selon le


désir de l’intellect. La sagesse est une vertu intellectuelle pratique, un état
habituel vrai qui commande l’action dont la réalisation dépend de la volonté
84
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 5, 1095b 14-4
85
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI, 2, 1139a25-35
66

libre du sujet moral. Mais ce n’est pas de la même manière que la sagesse et la
vertu morale dirigent l’action, corollaire d’une décision délibérée ou d’un
jugement critique de la pensée spéculative qui en justifie la véracité. Tandis que
la vertu morale en dicte l’exercice en l’ordonnant vers le bien. Ici réside
l’originalité de la pensée aristotélicienne : la sagesse comme conscience
agissante, est en même temps juge du bien. De ce fait, elle décide en dernier
ressort pour commander l’acte permettant d’atteindre ce bien. Et l’on sait que
pour Aristote, tous les hommes désirent naturellement connaître pour agir et
dominer. Ce double aspect de la raison spéculative et délibérante fait la
complexité de la doctrine aristotélicienne de la sagesse.

C’est par la sagesse pratique que l’on parvient à la sagesse de vie qui
est un acte de vivre. Par là même, on peut dire que la morale d’Aristote est une
morale, non de la conscience mais un cheminement en quête du bonheur qui
s’identifie à la contemplation. Comme la sagesse est la plus haute et la plus
noble de toutes les vertus, le sage est celui qui sait bien mener sa vie et
pratiquer les actes vertueux en vue du souverain bien qui est le bonheur de
l’homme.

III.2.3 Le connaître et l’agir

Cette conception est de Socrate. Mais elle a été reprise par Aristote à la
suite de Platon. Ici, on se base sur les rapports entre le savoir et l’expérience.
On sait très bien que l’expérience est une connaissance et ce savoir n’est que
le fruit de l’apprentissage. Corrélativement, la vertu ne peut être telle que dans
son rapport avec l’action et les passions. Car toutes les deux sont inséparables.
L’action morale a pour objet les choses justes, belles, bonnes pour l’homme. Et
l’homme de bien peut les accomplir naturellement et vertueusement car une
vertu est vertu parce qu’elle est nécessairement conforme à la droite règle.

L’œuvre authentiquement humaine n’est complètement achevée qu’en


conformité avec la droite règle. Et selon Aristote, il faut que l’homme possède
les trois catégories de vertus pour être vraiment vertueux. Comme la vertu
naturelle est l’apanage de tout être de nature, la vertu morale n’est acquise qu’à
67

partir de la bonne habitude, c’est pour cette raison qu’elle ne peut s’acquérir
que par l’acte qui vise le bien. Et ce qui est visé, est le bonheur. C’est pourquoi,
toute activité humaine tend toujours vers le souverain bien. C’est parce que le
bonheur est une activité conforme à la vertu la plus noble que la vertu morale
qui rend droite la fin. Elle est ainsi dans l’intention, corrélat de la fin86. Aristote le
suppose partout et il le dit expressément à l’égard de la vertu. Par conséquent,
le science ou la philosophie morale n’est pour Aristote ni science, ni philosophie
mais une sagesse qui a été assimilée à la phronésis : le soin de connaître la fin.
En effet, il ne suffit pas de savoir mais il faut aussi désirer. C’est ce désir que
rectifie la vertu. Car la règle morale suffit à faire poser effectivement l’action.

Socrate et Aristote savent qu’elle n’est efficace qu’avec l’apport du désir.


Par conséquent, le rôle de la connaissance c’est de déterminer les conduites à
tenir pour l’expérience de nos actes parce que l’impératif du savoir inclut
l’obligation morale. Et Kant à la suite de Descartes le reconnaît : il suffit de bien
juger pour bien agir, pour bien faire. Socrate a atteint la sagesse bien qu’il le
nie. Cette dernière sous entend dans l’antiquité, l’amour qu’il a su éveiller chez
ces disciplines, par les liens durables d’amitié qu’il a su créer et affermir en eux
mais aussi entre lui et ses élèves grâce à l’aspect pathétique de son
enseignement.

Pour le sage, la grande affaire est de vivre et par conséquent d’agir car
une vie privée de toute action théorétique ou pratique est une vie indigne d’être
vécue. C’est du moins ce que pensera plus tard André Malraux dans Les
conditions humaines, à la suite d’Albert Camus dans la Peste face aux ravages
de la peste incorporant le mal et s’interroge si la vie vaut la peine d’être vécue.
Évidemment, le sage en imitant Dieu estime que vivre en indissociable de
pensée.

Car ce n’est pas en ramenant les choses à sa propre mesure que


l’homme pourra réaliser sa nature et sa fin et porté à l’acte toutes ses
puissances mais en se conformant au modèle divin qui est la norme du juste et
du bien. Cependant, Dieu est un Acte pur, forme sans matière. Vivant éternel,

86
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VI, 13, 1144a 5-25
68

et pensée de la pensée, il est principe de tout ce qui est ; alors que l’homme qui
se trouve dans le monde de la matière ressemble à Dieu dans la mesure où il
parviendra à s’affranchir e tout ce qui ressort de l’accidentel. En effet, il ne peut
sans doute agir comme Dieu. Car il n’est pas du tout un Dieu caractérisé par sa
responsabilité de toutes les vicissitudes de la contingence. Dans ce cas, il doit
agir en homme. Mais, c’est précisément en agissant ainsi qu’il se rendra
semblable à Dieu autant qu’il le peut. En d’autres termes, agir bien quoi qu’on
puisse le dire, c’est supporter vaillamment les épreuves de la vie quoi qu’il
arrive. Il s’agit de se détacher de tout ce qui n’est pas nécessaire afin de ne
dépende que de soi par sa pensée et Dieu qui est finalité de nos actions. Voilà
ce qu’est être homme. En tout cas, le sage est un homme possédant tout ce qui
caractérise, certes, l’homme qui tend à devenir meilleur. Le propre du sage est
d’exercer les vertus durant toute sa vie et par delà la mort.

Aux yeux d’Aristote, être soi et pour être soi, il faut vivre et agir en
homme, tel qu’il recommandé par la maxime du sage. Ce dernier est le modèle
en qui résident le principe et la fin de son action. Car, si l’action seule importe,
c’est que compte le bien qu’il confère, non le succès. Car le succès dépend des
dieux87.

Bref, une vie bienheureuse est une vie conforme à la sagesse qui
constitue l’essence de l’homme. Les vertus dianoétiques l’emportent sur les
vertus éthiques comme le savoir commande à toute notre action. Et c’est dans
cette perspective que l’on peut devenir vertueux qui est le but visé.

87
Démosthène le proclame dans son discours de la couronne 321 et ARISTOTE dans
l’ Ethique à Nicomaque, III, 6, 1115a32
69

CONCLUSION

La morale d’Aristote est exposée dans deux ouvrages spéciaux :


l’Ethique à Nicomaque et l’Ethique à Eudème. Mais la morale n’est pas pour lui,
un ensemble de commandements ou de lois dictées de l’extérieur. Elle doit
plutôt être tirée de l’expérience des hommes. C’est en examinant les opinions
et en discutant qu’on apprend la morale. a priori, elle repose tout en entier sur
l’observation des faits. Elle se traduit en conseils, en préceptes, non en
impératifs conçus par Kant. Car Aristote pense qu’aucune autorité extérieure
n’intervient pour l’imposer. Subordonnée au politique, la morale fait partie des
sciences pratiques.

L’éthique d’Aristote, dès les chapitres introductifs de l’Ethique à


Nicomaque propose une définition de la vertu d’ordre moral où il dénie les types
d’homme vertueux qui possèdent la prudence, la justice et la sagesse. La vertu
est une disposition acquise de la volonté, résidant dans un juste milieu relatif à
nous, lequel à nous, lequel est régi par la droite règle tel que l’exigerait l’homme
prudent. Cette vertu est elle-même un milieu à caractère volontaire qui n’est
autre que la faculté de choisir raisonnablement ce qu’il faut faire. De ce fait, elle
rend bonne l’âme humaine ainsi que son action. Car toute action humaine
bonne doit être une action mesurée, puisqu’elle apparaît comme une action
intermédiaire entre un excès et un défaut. De toute façon, l’homme agit pour se
procurer d’un bien et pour atteindre ainsi le bonheur, le bien suprême de
l’homme et fin ultime de nos actions. Ces trois notions sont presque
inséparables dans l’Ethique aristotélicienne. En effet, tout être, capable d’agir,
ne peut être parfait qu’en agissant. Et comme le propre de la nature humaine
est d’être une naturelle raisonnable, l’opération propre de l’homme, sa
perfection ne peut être qu’une activité de sa raison ou selon sa raison dans son
rayonnement. Pour être perfection véritable de l’homme, cette opération doit
être parfaite et avoir à son origine un principe parfait qu’incorpore toute la vertu.
Car la perfection de l’homme qui est son fin propre, réside dans l’activité de
l’âme déterminée par vertu. Et comme ses activités vertueuses sont de fait
multiples et diverses, sa perfection suprême, son bonheur ne peuvent être que
l’activité selon la vertu la plus parfaite. En fin de compte, elle est à la fois fin
70

propre et la fin ultime de la nature humaine. Selon Aristote, le bien est requis
par l’acte propre de chaque être. D’un coté, cet acte s’exerce en vue de son
bonheur qui réside dans l’activité contemplative de l’âme vertueuse. De l’autre,
il obéit à la nécessité de son être. Il est, pourrait-on dire, l’excellence de la
partie essentielle de l’homme : l’âme rationnelle ou irrationnelle caractérisée par
les vertus dianoétiques et éthiques. Elles expriment tout de même l’excellence
de ce qui est accessible aux exhortations de la raison. En fait, par l’exercice des
actes vertueux, l’homme peut atteindre le bien qui n’est que la finalité de la
vertu. Avec Aristote, le bien que nous cherchons n’est pas un bien universel et
abstrait, c’est-à -dire, extérieur au monde comme l’Idée platonicienne du Bien.
Mais il est à notre portée, à notre mesure et approprié à nos besoins. Quand on
a pu se procurer de ce bien propre, l’homme est heureux. Le but visé est
atteint. Car il ne suffit pas de reconnaître le bien pour le faire. Parce que la
passion peut s’immiscer dans le savoir du bien au cours de la réalisation. Et la
moralité n’est pas seulement de l’ordre du logos, puisqu’elle est rationnelle
dans son principe, mais elle se réfère à la raison droite. De ce fait, le précepte
ancien « rien de trop » reste toujours valable pour qu’elle n’existe qu’en
situation.

Chaque vertu est définie à partir d’un certain type de dispositions propres
à l’homme. Il en est ainsi de la perspicacité pour le courage, de la richesse pour
la libéralité, le plaisir pour la tempérance, de la grandeur pour la magnanimité.
Par conséquent, l’éthique d’Aristote, qui est purement informative et formative,
est exposée selon un schéma classificatoire de l’homme qualifié de vertueux.
La prudence est alors considérée comme une vertu populaire qui implique la
capacité de délibérer sur les choses contingentes, c’est-à-dire, des choses
pouvant être autrement qu’elles ne sont. A la différence de la sagesse, la
prudence n’est pas une science, mais un jugement qui permet le discernement
correct des possibles. L’habileté du vertueux guide la vertu morale en lui
indiquant les moyens d’atteindre ses fins. Par là, l’homme acquiert lui-même
une vertu morale. Car normalement, il n’est pas toujours licite d’être maladroit
quand on veut le bien. La prudence n’est sans doute pas la forme la plus
achevée du savoir, étant la capacité de discerner et de réaliser le bien de
71

l’homme. Vertu proprement humaine, elle n’est l’apanage ni des animaux, ni


des dieux puisque l’homme n’est ni ange ni bête disait Pascal. De ce fait, elle
est la vertu moyenne comme l’est la position de l’homme dans l’univers.

Pour Aristote, une autre qualité est requise pour être vertueux : la justice
a pour fonction d’attribuer à chacun son du. Ce que Platon appelle justice
distributive. Mais Calliclès estime que ce genre de justice reflète la domination
du puissant sur le faible et sa supériorité admise est érigée en droit. En effet,
selon Calliclès, la justice est le droit du plus fort (République).Une telle
disposition autorisant l’homme à ne pas toujours accomplir des actions justes et
bonnes. En fait, la faiblesse de la loi si bien fait qu’elle soit, qu’elle est générale
et qu’elle ne peut prévoir tous les cas. D’où la nécessité d’une justice qui ne se
laisse pas enfermer dans les formules, mais qu’elle puisse au moins considérer
les cas particuliers. Ce qu’Aristote appelle l’équité. Ce qui fait la valeur de
l’équitable réside précisément dans le fait qu’elle ne regarde pas le droit en
général, mais le droit particulier qui n’est pas énoncé dans le droit en général
car le droit est ce qui est conforme à la nature normale.

Et comme la sagesse est la plus excellente de toute vertu, est alors sage
celui qui est réfléchi et modéré à l’égard des règles de la raison et de la morale.
Il évite, dans ce cas, les excès et les défauts. La vertu de sagesse est au
sommet : elle implique ces deux vertus intellectuelles inférieures. Etant au
sommet elle domine ; elle peut ordonnée tout ce qui lui est inférieur, mais
surtout elle peut contempler à sa manière ce qui est ultime et dernier. On
comprend, par là, l’orientation de la philosophie aristotélicienne, une pensée de
l’immanence. C’est pourquoi, il n’est pas si facile de devenir vertueux, car il
faudrait avoir un rare degré de maîtrise de soi face à ses responsabilités
d’homme. Cela exige une ascèse rationnelle qui est propre de la réflexion
philosophique dans ces fonctions critiques et cathartiques : critique puisque le
vari philosophe est un homme sans préjugé disait Socrate, et cathartique
également puisqu’il faut purifier les yeux des hommes pour s’ouvrir à un monde
qui dépasse les apparences. Face à tout cela, la mission du philosophe
consiste alors à associer la pensée et l’action dans l’unité organique d’une
72

même responsabilité intellectuelle et morale pour la santé des peuples disait


Maurice Blondel.

En guise de conclusion, c’est dans le monde grec que le concept


aristocratique d’excellence a été thématisé pour la première fois de façon
philosophique, en définissant la vertu ou l’excellence comme une forme de
perfection ou comme la réalisation aussi parfaite que possible, pour chaque
être, de ce qui constitue sa nature et indique par là sa fonction et sa finalité. Car
c’est dans la nature innée de chacun que devait se lire sa destinée ultime. C’est
ici la nature qui fixe les fins de l’homme et assigne ainsi sa direction à l’éthique.
Ici la vertu n’est rien d’autre qu’une actualisation réussie des dispositions
naturelles d’un être, un passage de la puissance à l’acte. Tandis que pour les
philosophies modernes de la liberté notamment pour Kant et Rousseau et pour
les républicains français : la vertu apparaît à l’exact inverse comme une lutte de
la liberté contre la naturalité en nous. Dans cette perspective, la nature est
plutôt maléfique que bénéfique du moins sur le plan moral car nos inclinaisons
naturelles, nos penchants vont tous dans le sens de l’égoïsme. Or c’est cet
égoïsme qu’il nous faut combattre par notre volonté libre, si nous voulons
prendre en compte l’intérêt général ou le bien commun. Dans ce cas là, il y a
l’idée d’action désintéressée : action vraiment moral et vraiment humaine qui
témoigne de ce propre de l’homme qu’est la liberté comme faculté d’échapper à
toute détermination par une essence préalable et celle d’universalité comme
idéal de bien commun et de dépassement des simples intérêts particuliers en
principe visé par les actions morales, comme on sait dans la déclarations des
droite de l’homme.

Liberté, vertu de l’action désintéressée, souci de l’intérêt général voici les


mots qui définissent les morales modernes du devoir. Car l’action désintéressée
peut être déclarée véritablement morale.

Les deux moments de l’éthique moderne : l’intention désintéressée et


l’universalité de la fin choisie se concilient dans la définition de l’homme comme
« perfectibilité ». Et c’est dans l’anthropologie philosophique qu’ils trouvent leur
source : car la liberté signifie avant tout la capacité à agir hors la détermination
73

des intérêts naturels, c’est-à-dire particulier, et en prennent ses distances à


l’égard du particulier, c’est vers l’universel, vers la prise en compte de l’autre
homme, qu’on s’élève. L’éthique moderne est de l’inspiration démocratique é
tant donné que le mérite se situe dans un registre autre que celui des talents
innés, nul n’en est a priori dépourvu et il requiert seulement la bonne volonté.
74

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES D’ARISTOTE

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Paris, Les Belles Lettres, 1971

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AUTRES OUVRAGES

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VANIER Jean, Le Bonheur, Principe et fin de la morale arstotélicienne, Paris,


Desclée de Brouwer,1965
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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ..................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE : LES SOURCES DE LA PHILOSOPHIE
ARISTOTELICIENNE.............................................................................. 6
I.1 PLATON ET L’ESPRIT GREC............................................................ 7
I.1.1 Vers un idéal de justice : « le rien de trop » ............................ 7
I.1.2 Bien, une prudence dictée par la mesure et la proportion ..... 11
I.1.3 La justice chez l’individu et l’Etat ........................................... 16
I.2 CRITIQUE ARISTOTELICIENNE DE L’IDEE DU BIEN.................... 21
I.2.1 Critique de la théorie des idées : ........................................... 21
I.2.2 Analyse du Bien et de l’Etre .................................................. 25
I.2.3 Le Bien, principe te fin de l’action humaine ........................... 27
DEUXIEME PARTIE : ANALYSE TOPOLOGIQUE DE LA VERTU............... 31
II.1 LES DIFFERENTS TYPES DE VERTU........................................... 32
II.1.1 Les vertus intellectuelles ...................................................... 33
II.1.2 Les vertus morales ............................................................... 35
II.2 LES MANIFESTATIONS DE LA VERTU ......................................... 37
II.2.1 L’habitus : disposition de l’âme vertueuse ............................ 37
II.2.2 Le juste milieu ...................................................................... 42
II.2.3 Règles pratiques pour atteindre la vertu .............................. 46
TROISIEME PARTIE : LA REALISATION DU SUJET VERTUEUX .............. 50
III.1 LES QUALITES DU SUJET VERTUEUX ....................................... 51
III.1.1 La vertu du bon citoyen et de l’homme du bien ................... 51
III.1.2 La nécessité de l’amitié en tant que vertu sociales ............. 55
III.1.3 Le vertueux vivant de la médiation éthique ......................... 58
III.2 LA SAGESSE PHILOSOPHIQUE................................................... 61
III.2.1 La sagesse contemplative ................................................... 61
III.2.2 La sagesse pratique ............................................................ 65
III.2.3 Le connaître et l’agir ............................................................ 66
CONCLUSION....................................................................................... 69
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................... 74

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