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Guillaume de Stexhe
Leuven, Peeters, coll. Core material – European Ethics Network, 2000, XIV – 324 p.
L'éthique, jusqu'il y a peu reléguée dans la sphère des convictions privées, voire de
l'expérience intime, revient aujourd'hui en force comme un horizon de référence pour le
jugement, la décision et l'action en tous domaines. Ce "retour" peut prendre l'allure d'une
invasion - et , souvent, d'une confusion - ce qu'on a justement appelé "la valse des
éthiques"1 - où chacun en appelle à l'éthique, mais dans des sens parfois très différents.
Dès lors s'impose un effort d'éclaircissement: qu'est-ce qui relève de l'éthique ? Qu'est-ce
que le fait ou l'expérience éthique ? De quelle façon se présentent-ils à nous, et, surtout:
quel sens a ce genre particulier d'expérience pour nous, pour nos existences ? C'est à ces
questions, simples et difficiles, que cette étude voudrait proposer au moins des éléments
de réponse.
Evidemment, d'emblée se présente une difficulté: c'est que ces questions ont déjà
reçu des réponses, et que ces réponses varient, tant selon les individus que selon les
traditions ou les cultures. Mais nous pouvons peut être transformer partiellement cette
difficulté en appui pour notre questionnement; car cette situation nous suggère au moins
deux choses importantes sur l'expérience éthique.
2 Selon la belle expression par laquelle H.-G. GADAMER définit la tâche de la philosophie.
3
2. Le phénomène éthique originaire: du fait normatif à la capacité de qualité.
Or, sur ce point, la multiplicité des interprétations se resserre sur un éventail de positions
assez limité, qu'on peut schématiser, en un premier abord, de la façon suivante. D'un côté,
on soulignera que l'éthique est cet aspect de l'expérience par lequel celle-ci se soumet à des
normes; d'un autre côté, on dira que l'éthique est l'ouverture de l'existence à des valeurs. Il
arrive assez souvent que ces deux termes, normes et valeurs, soient employés de façon à
peu près équivalente: ils ont pourtant des significations assez différentes. Une norme est
une forme plus ou moins générale de comportement, forme qui s'impose à la spontanéité.
L'idée de norme comporte donc celle de devoir ou de contrainte; par ailleurs, la pratique
d’une norme peut s'appréhender quasiment comme un fait observable. La valeur, quant à
elle, ne désigne pas (directement) une forme concrète de comportement, c'est-à-dire un
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fait, mais la qualité d'une d'expérience, le sens qualitatif qui l'imprègne, et qui se présente
plus immédiatement comme désirable que comme contraignant. La qualité ne se saisit pas
dans la simple observation, mais - et c'est évidement une grande difficulté - dans une
compréhension d'un type particulier, dans ce qu'on appelle un jugement évaluatif ou
appréciatif. Une triple différence contraste donc les idées de norme et de valeur: fait
contraignant et observable d'un côté, qualité désirable comprise dans l'appréciation de
l'autre.
Comment s'articulent ces deux registres, celui des normes et celui des valeurs? On
l'a noté: les normes se laissent saisir de façon quasi-empirique; c'est donc elles qui, à un
premier regard, semblent constituer le phénomène éthique. Ainsi en va-t-il
particulièrement pour les sciences humaines et sociales, qui repèrent les normes
caractéristiques d'un individu ou d'un groupe; mais ainsi en va-t-il aussi pour tout
humain, qui vient au monde dans une culture normée et normative, et qui expérimente
donc l'éthique comme ce réseau de normes s'adressant à lui en quelque sorte du dehors.
Les normes ont la solidité des faits, ce qui peut rassurer à la fois les observateurs soucieux
de maîtriser l'imagination théorique ou idéologique, et les acteurs - soucieux de réguler
l'anarchie des conduites. Seulement, en régime humain, les normes ont ceci de particulier
qu'elles ne sont jamais vécues (pratiquées et comprises) purement et simplement comme
des faits, comme de simples puissances régulatrices. Toujours, elles s'accompagnent de
justifications, c'est-à-dire finalement de compréhensions appréciatives. Certes, dans une
certaine mesure ces justifications consistent à montrer les conséquences de l'observation
(ou de la violation) des normes. Mais des états de fait résultant de la pratique des normes
ne justifient ces dernières que s'ils apparaissent comme désirables (ou indésirables) en
quelque façon, c'est-à-dire comme présentant une qualité (positive ou négative)
d'expérience. En d'autres termes, les normes se présentent toujours (même si cela reste
souvent implicite) comme des schémas de comportement qui permettent à ceux-ci de
réaliser ou de développer ces qualités qu'on thématise comme "valeurs". Il semble donc
bien que, malgré l'apparente priorité des normes, ce qui constitue l'expérience éthique
fondamentale soit la présence , dans l'existence, d'un registre de sens qui est celui de la
qualité .
Cette qualité est ce que le langage classique appelle le Bien ; mais ce mot risque
d'être mal compris. Il ne faudrait jamais oublier , d'abord , qu'il n'est pas un objet d'aucune
sorte, mais une signification (réelle), un sens de l'expérience: la qualité. Ensuite, il est
important de noter que la signification de "qualité" est, de façon nécessaire et immédiate,
comparative et hiérarchisante: ce qui a ou est une qualité vaut plus ou mieux que ce qui n'a
ou n'est pas cette qualité. En termes simples, la qualité est ce qui rend quelque chose
préférable à autre chose. Cela signifie que le bien comporte des modalités différenciée:
5
pour simplifier, le bien et/ou mal, ou, plus exactement peut-être: le plus ou moins bien 3. Et
cela signifie aussi que la qualité ou le Bien, s''ils se manifestent au désir, se présentent à lui
comme une puissance d'orientation et même d'injonction , avec une autorité qui est
structurante de cette ouverture qu'on appelle la conscience éthico-morale.
3 Que les normes soient secondes par rapport aux valeurs dont elles ne sont que la condition
d'effectuation, cela n'apparaît ordinairement que lorsque les normes sont interrogées quant à
leur justification - ce qui suppose une sorte de prise de distance vis-à-vis du pur et simple fait
autoritaire des normes. Une telle mise en question ne s'explicite pas toujours, ni surtout de façon
radicale; si bien que, très souvent, réduite à la pratique normée, l'éthique se présente comme ce
qui se fait (et ne se fait pas), c'est-à-dire comme emprise de faits normatifs sur l'existence
(personnelle ou collective). Et la justification des normes peut elle-même se réduire à remonter,
de ces faits normatifs, à un fait ultime, c'est-à-dire à une méta-puissance régulatrice qui
s'imposerait à l'existence (Dieu, nature, société...); bien souvent d'ailleurs, les "valeurs" elles-
mêmes sont comprises comme de tels faits normatifs. Mais un fait n'est jamais qu'un fait, une
puissance, même suprême, n'est jamais qu'une puissance. Ce qui signifie (comme Hume l'a
montré) qu'on peut toujours lui adresser la question de la justification de sa prétention à régler
ou orienter les comportements. Et cette question demande toujours, au fond, quelle positivité
(quel intérêt,, quel bénéfice, etc...), c'est-à-dire quelle qualité d'expérience on peut attendre de la
conformation à ces normes ou à cette puissance. Ce qui reste ainsi souvent enfoui sous
l'évidence, c'est que toute norme ne vaut éthiquement que comme ce qui rend effective une
qualité d'expérience, comme médiation d'une valeur, d'un bien - (y compris par exemple, cette
qualité première d'expérience qui consiste tout simplement à pouvoir vivre).
4 On notera ici que cette analyse répète assez exactement celle qu'Aristote synthétise dans la
célèbre première phrase de l'Ethique à Nicomaque: " Tout art et toute recherche, comme toute
action et toute délibération réfléchie, tendent manifestement à quelque bien".
6
Ce premier moment de la réflexion met en lumière ce qui nous arrive de plus
fondamental avec l'éthique. On pourrait- et on devrait - formuler cela en termes
ontologiques: l'expérience éthique implique non seulement une anthropologie (comme
nous le verrons mieux plus loin) mais bel et bien une ontologie, une compréhension de ce
que les philosophes appelle l'Etre, c'est-à-dire le réel, tout simplement: non pas l'ensemble
des objets face à nous, mais le milieu englobant de notre expérience, et comprenant notre
expérience elle-même. L'Etre n'est pas pure et simple factualité 5neutre: il est milieu
d'effectivité, mais aussi et en même temps de qualité ( comme l'avait vu Platon, qui
identifiait l'Etre au Bien) réellement possible ( comme l'avait vu Aristote qui le
comprenait comme tension de la puissance et de l'acte, du possible et de sa réalisation).
Sans nous attarder à cet aspect des choses, on soulignera simplement ce qu'il implique
quant à la forme du dynamisme qui sous-tend toute expérience éthique. Si on se laissait
prendre à l'évidence première de la norme, notre expérience éthique aurait le sens
essentiel d'une conformité ou d'une obéissance, sous la puissance de certains faits
(normatifs). Par contre, notre analyse demande de voir qu'elle a la forme première d'un
désir agissant, 6 toujours-déjà suscité par la possibilité du Bien, et d'un désir positif - le
désir de toute la qualité dont nous sommes capables. C'est ce que disent les
interprétations de l'éthique qui, d'Aristote à Kant7, en passant par les Béatitudes
évangéliques et l'utilitarisme, placent l'expérience éthique sous le signe ultime du
Bonheur.8 Et nous dirions ainsi que, dans cette tension originaire qui ouvre l'existence à sa
qualité, l'expérience éthique, saisie de la façon la plus formelle, est désir agissant - effort9 -
d'expérience bonne.
5Au contraire de ce qu'affirme le positivisme, qui est sans doute l'ontologie dominante de notre
culture, sa métaphysique spontanée.
6 L'expérience éthique n'est pas constat, mais ouverture agissante: c'est sans doute cette
structure qui est visée par les théories ("prescriptivistes") qui interprètent les jugements éthiques
comme des impératifs, des expressions du vouloir ( R. HARE, The language of Morals, Oxford,
1952); mais elles tendent à négliger le fait que ce vouloir n'est pas sa propre origine, mais est se
déploie à l'intérieur d'un milieu originaire de qualité ( G. E. MOORE, Principia Ethica,
Cambridge 1903 (2°ed. 1993).
7 Certes, Kant refuse de faire de la quête du bonheur (entendu comme satisfaction) - la
motivation de l'attitude éthique. Mais, d'une part, il interprète bien l'éthique comme une
expérience de qualité absolue, comme en témoigne le début des Fondements de la métaphysique des
moeurs ("Qu'est-ce qui peut être bon absolument ? "); d'autre part, dans la Critique de la raison
pratique, il intègre la dignité , "bien suprême" que l'homme s'assure par son attitude morale, à
l'intérieur du "Bien intégral" qui est le bonheur.
8 L'idée de Bonheur est évidemment très équivoque: elle hésite entre le fantasme d'une
satisfaction totale et l'idée très formelle d'une vie pleinement sensée. Autrement dit, elle est au
coeur du mouvement (théorique et pratique) d'interprétation qui caractérise l'expérienc éthique.
7
3. L'éthique dans le sillage de la vie
Posons donc cette question redoutable: qu'est-ce que l'existence humaine, pour
qu'elle se présente comme ouverture originaire sur de la qualité, c'est-à-dire avec un sens
éthique? La proposition qu'on fera ici est de commencer par reconnaître ce qui fait de
l'existence une vie, que nous partageons dans une large mesure avec les autres êtres
9 "Désir d'être" ou "effort d'être": ce sont des termes centraux chez Jean NABERT (Eléments pour
une éthique, Paris, 1943) et souvent repris par P. RICOEUR.
8
vivants; dans cette perspective, nous commencerons donc par inscrire l'éthique dans le
sillage du dynamisme constitutif de la vie elle-même10, de ce que Spinoza appelait le
conatus essendi, "l'effort d'un être pour persévérer dans son être". Mais qu'est-ce qui
caractérise la vie, pour le questionnement qui est le nôtre? Nous retiendrons quelques
traits liés. D'abord le fait que, à la différence des non-vivants, les êtres vivants ne se
soutiennent dans l'être qu'en déployant un certain comportement dynamique -
préfiguration de ce qui, en régime humain, devient l'action; puis le fait que ce
comportement est essentiellement un échange avec l'environnement qui conditionne la
vie; cet échange est finalisé par le maintien en vie (du vivant lui-même, de son groupe ou
de sa lignée) et prend donc la forme d'une adaptation à la situation. Ensuite, on peut
estimer que, en corrélation avec la complexification des organismes et de leurs
comportements, on voit croître en même temps, comme structures de la vie, ce qu'on peut
appeler de la (pré-) subjectivité et de l'altérité . Pré-subjectivité, au sens où un vivant
complexe déploie à la fois une inventivité11 et une forme de présence à soi, notamment
sous la forme d'une affectivité qui est présence de la vie à elle-même; altérité, au sens où
ce même vivant, sans plus se trouver simplement et immédiatement intégré dans une
situation, lui fait face en quelque sorte pour en "tenir compte". Enfin, dernière
caractéristique: on peut estimer qu'avec la complexité du comportement et des échanges
avec l'environnement croît une certaine forme de fragilité du vivant, de plus en plus en
plus dépendant des événements et des ressources comportementales et
environnementales .
Parmi ces caractéristiques, lesquelles peuvent aider à comprendre la présence de la
signification éthique dans l'expérience humaine? Probablement avant tout le fait que,
dans le cas des vivants, la vie ou le maintien dans l'être n'est pas un pur et simple donné,
mais l'enjeu d'un "comportement" , le corrélat d'une quasi-visée. Et on peut élargir cette
perspective: de l'intérieur et en fonction de ce quasi-projet que déploie la vie se visant
elle-même, les moments d'expérience et les éléments de situation prennent une
"signification" ou une valence non neutre, positive ou négative (en simplifiant). Il faut
évidemment noter que ces significations "évaluatives" sont ici quasiment fixées d'avance,
parce que très étroitement corrélatives du type de comportement, lui-même strictement
fixé par l'instinct générique, propre à tel ou tel vivant.
Ce que peut nous apprendre ce bref passage par les structures de la vie, c'est donc
d'une part que l'expérience prend valence sur fond d'un dynamisme orienté qui, dans le
cas des vivants, est la vie même; c'est ensuite que, toujours dans ce cas, on peut lier des
10 Dans cette optique, mais avec des réserves, on peut citer H. JONAS, Das Prinzip
Verantwortung, Frankfurt-am-Main, 1979; mais, en arrière-fond, on trouve la pensée de
Nietzsche: la vie évalue.
9
formes (des "normes") de comportement à des "valeurs vitales" étroitement fonctionnelles,
convergeant finalement dans l'adaptation à la situation qui est la condition de la (sur)vie.
L'humain est un vivant, et l'existence humaine participe à ce titre à la logique de
la vie que nous venons de schématiser. On comprend donc que d'innombrables
interprétations de l'éthique, plus ou moins consciemment, alignent celle-ci sur la la
logique vitale; ce que nous avons plus haut appréhendé de façon formelle sous l'idée de
bien ou de qualité se voit alors déterminé sous les catégories d'intérêt ou d'utilité, avec
comme horizon ultime, plus ou moins explicite, le maintien ou le développement (le bien
être) de la vie sous les contraintes d'une situation.
Cette rupture par rapport à la "simple vie" a d'abord la forme d'une absence, d'un
véritable "effondrement"12 du système naturel de régulations qui ordonnent un vivant à
lui-même, l'insèrent dans sa situation, structurent son comportement. L'humain, on le sait
depuis longtemps, est le vivant dénaturé, "l'animal malade", comme disait Nietzsche, et
en qui la logique vitale ou fonctionnelle défaille presque complètement: le plus évident
du phénomène humain est cette défonctionnalisation, tout à la fois neuronale ou cérébrale,
posturale et gestuelle, instinctuelle et comportementale, psychique13, relationnelle et
sociale. Certes, dans cet effondrement d'ensemble surnagent (comme le montrent les
études des éthologistes) des débris de tendances vitales et de schèmes comportementaux
(notamment sociaux: agressivité, solidarité, hiérarchie,protection des petits, etc...) hérités
de l'histoire de la vie: mais ces débris sont en quelque sorte flottants, épars, inarticulés,
11 Les théories de l' autopoièse, d'origine biologique, ont développé cet aspect de la vie: cfr. F.
VARELA, Principles of biological autonomy, New-York-Oxford, 1979.
12 F. TINLAND, La différence anthropologique, Paris, Aubier, 1977.
10
privés de l'ajustement finalisé qui fait la cohérence et la sûreté de la vie. Au total, il faut
bien reconnaître qu' avec l'humain se présentent une forme radicalement originale d'être,
et un genre inédit d'expérience.
D'abord, avec la défonctionnalisation que nous avons relevée, ce qui disparaît est
l'ordination donnée de la vie à son propre maintien, dans les déterminations qui
caractérisent a priori un vivant d'une espèce donnée et le vouent à être ce qu'il se trouve
être. En contraste surgit une dynamique d'auto-invention ou d'auto-institution radicale,
et radicalement indéterminée - c'est-à-dire ouverte à un possible sans aucune
détermination fixée ou stabilisée d'avance. L'humain (individuel et collectif) apparaît
comme l'être qui se trouve ainsi en charge radicale de son avenir, c'est-à-dire de lui-même.
Pour le dire avec les termes de Heidegger, son mode d'être est d'avoir à être 15 par lui-
même, et non de se recevoir; plus exactement, il se reçoit comme ayant à être par lui-
même16. La contribution du comportement au maintien de la vie devient ici prise en
charge originaire de l'existence par elle-même, ce qui est tout autre chose : capacité
principielle de soi, ou encore capacité d'action (et d'histoire) au sens plein du terme. Or, ce
qui apparaît ainsi, c'est le champ propre de l'éthique: l'action, non comme simple
comportement, processus ou production d'états de fait, mais comme effectuation
C'est ce que signifie l'idée de " vie bonne"18 , qu'on peut maintenant avancer pour
désigner l'enjeu éthique original de l'existence humaine. Cette formule de "la vie bonne"
dit d'abord ce caractère totalisant qui ouvre à la prise en compte de la vie comme telle,
comme totalité d'expérience ressaisie au-delà de sa fragmentation19, et, dans la foulée, elle
signale la transcendance du genre de qualité propre à une telle vie par rapport à tout être-
en-situation satisfaisant. Nous retrouvons ainsi ce qu'on avait noté, dès le début de ces
analyses, en percevant le fait éthique comme un pur questionnement donnant d'avance
17 Cette constitution originale de l'action est ce qu'Aristote avait en vue sous le terme de Praxis -
une activité qui n'est pas poièsis, production d'états de choses, mais effectuation de l'existence
elle-même (et donc de l'existant). Cfr. Ethique à Nicomaque, livres I et VI.
18 Cette formulation renvoie à l'idée aristotélicienne de "bien vivre" (eu zèn) qu'Aristote , au
début du Politique, (I, 2) pose en contraste avec le "simple vivre" - ce que nous avons appelé la
logique vitale.
12
une résonance qualitative à la totalité de l'expérience: l'idée de vie bonne porte au langage
cette signifiance originaire, tout en la distinguant de ce qui serait une simple quête de
satisfaction. Ainsi s'éclaire quelque peu le type de qualité (ou de "valeur) qui relève
proprement de l'éthique: est éthiquement pertinent, par rapport à d'autres types de
qualité, ce qui concerne "la vie", l'existence, de façon essentielle ou décisive, c'est-à-dire
en tant qu'elle est projet d'elle-même et unité intégrative, ce qui ainsi participe d'une
qualité ou d'un bien qu'on peut appeler "absolu"20 au sens où il qualifie l'existence elle-
même, "en son être" - et non dans ses aspects ou ses moments accidentels. C'est ce
qu'Aristote affirme lorsqu'il comprend le bien éthique comme bien "en soi" (et non
comme simple fonction de circonstances), qui accomplit l'homme "en tant qu'homme" 21.
Cette dernière référence à Aristote nous fait passer de la vie comme telle à l'homme
comme tel. En effet, avec l'idée de vie (bonne) s'annonce déjà une autre originalité du
mode humain d'expérience: lorsqu'elle se présente comme une totalisation, et non comme
une série continue d'états, l'existence se manifeste comme l'advenir à soi d'un être - celui
qui vit son existence: le sujet, ou la personne. Et dès lors, le Bien ou la qualité qui se
présente à nous avec l'éthique est ce qui doit marquer, non pas un fait, mais une personne;
comme qualité de la personne, ce Bien se présente comme ce que les anciens appelaient
vertu. 22 Dans le champ éthique, ce qui est arraché à la neutralité des simples faits, c'est
l'existence des humains: l'éthique devient ici l'espace où les personnes sont appelées et
exposées à leur propre qualification.
Cette perspective signale que le premier abord que nous avons proposé du fait éthique,
comme ouverture à la qualité, peut être trompeur s'il s'interprète comme la mise en
évidence d'une spontanéité positive, d'une "bonté naturelle" de l'homme: en réalité, il
s'agissait seulement de montrer que l'expérience a toujours pour nous un sens qualitatif,
non pas qu'elle a toujours une forme bonne. On peut donc, sans briser avec cette approche
initiale, estimer que, dans le registre de la qualité, le Bien ne se détache que de façon
26 Que le mal soit plus évident que le bien, c'est ce qui sous-tend la démarche de Jean NABERT
(op. cit.), qui introduit à l'éthique par une triple méditation sur l'échec, la faute, la solitude.
27 On reconnaît ici un argument très présent chez les penseurs dits "communautariens" (par
exemple chez Ch. TAYLOR, The Malaise of Modernity, Ottawa, 1991). Mais cette idée est centrale
aussi bien chez Aristote (qui identifie éthique et politique sur le fond d'une conception de la
communauté politique comme communauté essentiellement éducative) que chez HEGEL, pour
qui le sens éthique se nourrit de la Sittlichkeit historique et collective.
15
entre l'amoralisme et l'attitude éthique positive. En ce sens, chacun constate la différence
entre ceux qui envisagent leur conduite sous une interrogation éthique, et ceux qui
simplement vont leur chemin.
Si l'on conjoint ces deux aspects de ce qui fait de l'éthique une institution, on peut
alors estimer que l' éthique est d'abord et tout simplement la participation à l'institution
éthique, l'appartenance volontaire à la communauté de ceux qui se placent sous l'horizon
de la vie bonne28.
Jusqu'à présent, l'analyse que nous avons menée n'éclaire la signification éthique
que de façon très formelle ou très abstraite. Mais les choses vont changer avec la prise en
compte de ce qui constitue probablement l'originalité la plus décisive de l'expérience
humaine: lorsque se rompt la fonctionnalité vitale advient un monde de personnes. C'est
ici que l'augmentation de sens qui caractérise l'expérience humaine est la plus évidente.
Cette mutation a plusieurs aspects corrélatifs: elle engendre à la fois une existence vécue
en première personne, une existence ouverte à l'altérité, une existence sociale 29; et elle
donne à l'expérience éthique l'allure d'un champ d'ambiguïtés et de tensions parfois
dramatiques.
Dans un de ses poèmes de jeunesse, R.-M. Rilke demandait: "qui donc vit la vie?".
Cette question n'appelle de réponse positive que dans le cas humain, car la vie non
humaine se présente comme un processus anonyme, se déployant à travers les individus
qu'elle anime - et, en somme, sans eux. Certes, avec la complexification des formes
vivantes apparaît une sorte de pré-subjectivité, une affectivité qui est présence de la vie à
elle-même . Mais avec la mutation anthropologique, les choses changent du tout au tout.
28 On peut trouver cette idée chez J. RAWLS ( A theory of justice, Harvard, Harvard UP, 1971;
tr. française de la seconde édition par C. Audard : Théorie de la justice, Paris, Seuil , 1987) , où la
"capacité de former des jugements moraux" ou de développer un sens moral relève de ce que cet
auteur considère comme les "biens premiers" qui font l'objet de la justice. De même, on peut
interpréter l'éthique de la discussion, de J. HABERMAS comme reposant sur cette valeur
fondatrice: la participation à une communauté éthique de jugement. L'objection souvent
adressée à Habermas et à Rawls - "pourquoi faudrait-il entrer dans la délibération (Rawls) ou la
discussion (Habermas)?" - met en lumière le rôle cette option première , de cette "décisin à
l'éthique" que nous soulignons ici.
29 Je reprends ici la structure - je, tu, il - qui gouverne la pensée éthique de P. RICOEUR,
notamment dans Soi-même comme un autre, Paris 1990, aux chapitres 7, 8, 9.
16
L'expérience humaine, marquée par l'interruption des structures fonctionnelles,
provoque en quelque sorte celui qui la vit à s'avancer pour la mener lui-même - et à
s'avancer donc, en première personne. La présence à soi, jusqu'ici réduite à une affectivité
anonyme, vire en ce que les philosophes appellent "personnalité" (Kant) ou "ipséité" (P.
Ricoeur). Le langage (symbolique) est à la fois le milieu et le phénomène même de cette
présence à soi : dans le langage, un être se saisit lui-même, comme Je, comme un soi, de
façon radicalement inédite. Ce qui apparaît ainsi est un nouveau registre d'expérience:
l'expérience vécue en propre - et en ce sens seulement un être nouveau, original: le sujet
de cette expérience, la personne.
L'énigme de cette existence en première personne a suscité les analyses les plus
complexes - les plus contrastées aussi: la "question du sujet" est-elle une des plus
âprement disputées en philosophie. Dans les limites de cette réflexion, on se bornera à
désigner quelques traits de cette existence propre. Ce qui caractérise un sujet, c'est qu'il se
rappporte à son expérience à partir d'une distance qui lui permet de se l'approprier au lieu
de la subir purement et simplement, d'être englouti en elle. Cette distance s'enracine la
défaillance de la pure et simple spontanéité qui traverse les vivants; elle s'affermit avec le
langage, par lequel un être pose en quelque sorte son vécu en face et en dehors de lui ,
pour s'y rapporter à partir de cette distanciation. On comprend donc que ce type
d'expérience puisse être appelé réflexivité: , retour à soi, où plutôt avènement de soi dans
une distance constitutive par rapport au vécu. Cette même distance ouvre alors la
possibilité (toujours effectuée dans une certaine mesure) d'une reprise active du vécu, d'un
ressaisissement qui contraste avec la passivité de la vie subie pour ouvrir l'espace de
l'existence activement vécue; ici commence l'aventure de la liberté.
Ce que nous avons, plus haut, approché comme existence capable d'action se
révèle ici capacité propre, capacité de soi. Et, dans toutes leurs traditions, les humains ont
apprécié cette capacité propre comme possibilité d'une qualité d'existence tout-à-fait
décisive, comme une valeur première: cette capacité de soi est, pour employer un terme
consacré par Kant, ce qui fait la dignité humaine, : elle manifeste l'humain comme l'être qui
"existe comme une fin en soi". La "valeur" proprement humaine de la personne, c'est ici sa
capacité originaire d'être le sujet de sa propre existence, l'auteur ou l'acteur insubstituable
de sa propre histoire. C'est en ce sens précis que chaque être humain et chaque existence
humaine existent comme des "absolus" - parce que ce qui fait la qualité de leur être serait
violée si on instrumentalisait ces existences, si on les intégrait comme de simples moyens
au service d'autre chose que leur déploiement propre, si on les aliénait à elles-mêmes.
17
Mais cet absolu de l'existence propre est équivoque; il introduit des possibilités
multiples dans un champ d'expérience déjà travaillé par la tension entre la logique de la
simple vie et l'horizon de la vie bonne . Autrement dit, il apparaît de façon définitive que
le champ éthique est complexe, foncièrement ambigu. En particulier, on risque de rabattre
l'existence personnelle sur la simple individualité, 30le simple fait qu'un individu est
déterminé par une série de caractéristiques qui le singularisent, et sur le fait du "sentiment
de soi" ou de l'attachement à soi qui est l'héritage du conatus essendi naturel. Alors, la seule
différence avec la logique de la vie est le fait que la vie est désormais radicalement
individuée - sans pour autant qu'elle devienne autre chose que vie, poursuite de
satisfaction, désormais "personnelles". Mais avec cette individuation émerge encore un
autre phénomène: la possibilité, la tentation même d'un égocentrisme que ne connaît pas
la vie naturelle. Le sujet propre peut se constituer, dans sa spontanéité émancipée de
l'ordre naturel, comme le centre de référence absolu de tout sens - de toute "valeur", le
Bien étant réduit à ce qui lui permet de se réaliser, de s'éprouver ou de s'exprimer. Cette
possibilité donne donc un élan nouveau à la menace de la violence; elle est ce que Kant a
profondément analysé 31 comme un germe de mal radical.
Ce phénomène bouleverse le champ éthique, et lui donne un sens nouveau . D'un côté,
l'éthique est l'ouverture d'un être à sa propre destinée; de l'autre, elle est confrontation à la
possibilité, non seulement d'une anarchie, mais d'un égocentrisme plus ou moins radical,
avec ce qu'il comporte de violence. On comprend alors que l'expérience éthique soit
appréhendée et vécue, le plus souvent, moins comme ouverture positive à la vie bonne
que comme effort pour surmonter ces menaces; son sens apparaît alors comme l'exigence
d'une mise en question de cet égocentrisme. Mais au nom de quoi, si l'existence propre est
bien une valeur absolue? La réponse à cette question décisive est cherchée, soit du côté
des nécessités régulatrices de la vie, soit du côté d'un autre phénomène constitutif de
l'expérience humaine: son ouverture originale à l'altérité.
Car, en même temps qu'elle s'ouvre sur elle-même, l'existence devient capable d'altérité.
L'humain est l'être capable de reconnaître une réalité pour et comme elle-même - et non de
façon purement égocentrique, comme un simple élément de sa propre situation, comme
un moment du vécu qui le traverse. Désinséré de son vécu, l'humain lui fait face: ainsi
s'ouvre le champ de l'altérité. De nouveau, le langage en témoigne, qui dit et considère le
Après avoir fortement marqué l'originalité du champ éthique humain par rapport
à la logique de l'adaptation à la situation, il faut reconnaître qu'on risque de tomber dans
l'abstraction en réduisant l'éthique au triple déploiement (propre, intersubjectif, social) de
l'existence personnelle. Cette abstraction est fréquente dans la modernité occidentale,
centrée sur la subjectivité et donc sur les valeurs (formelles) de liberté et d'égalité. Ce
qu'on risque alors toujours d'oublier, c'est que l'existence humaine est finie: c'est-à-dire que
la vie personnelle et interpersonnelle se développe de l'intérieur d'une situation - le monde
- et ne se réalise qu'en s'incarnant dans des façons ("concrètes") de pratiquer ce monde:
comme vie corporelle, économique, etc...35 A nouveau, l'expérience éthique change ici de
sens: elle n'est plus simple souci de l'existence "proprement humaine", mais effort pour
découvrir les meilleures façons possibles de pratiquer humainement le monde, de l'habiter
de façon humainement sensée .
Cette exploration est affrontée à une difficulté: le hiatus entre, d'un côté, l'horizon
totalisant ou intégratif que nous avons reconnu comme caractéristique de l'éthique en
régime humain - l'idée englobante de vie bonne ou de ce qui est bon "absolument" ou "en
soi", et d'autre part le fait que l'expérience concrète est toujours expérience partielle,
limitée, engagée selon une perspective limitée dans un aspect particulier de la réalité.
Dans une très large mesure, la visée éthique de l'expérience concrète est déterminée par la
signification et les structures du secteur de situation et à quoi elle a affaire: par exemple,
distribuer des biens rares, où veiller à la satisfaction que réclame la vie corporelle, etc...
Comment mener cette pratique limitée à la fois dans la prise en compte de ses
caractéristiques constitutives et limitantes et sous l'horizon lointain du "Bien" en tant que
tel? N'y a-t-il pas un divorce inévitable entre des éthiques "locales" propres à des rôles
limités - bien soigner un malade, bien gérer son entreprise, bien enseigner ses étudiants-
et l' horizon intégral du bien-vivre, avec sa responsabilité infinie ? En réalité, encore une
fois, ce qui se dessine ici est un cercle: en vertu du caractère à la fois fini et totalisant de
l'existence humaine, le Bien comme tel et les pratiques bonnes s'éclairent et se constituent
dans un échange réciproque. Mais cet échange, cette interrogation réciproque, est une
tâche inifinie, et une source de perplexité, voire de dilemmes, toujours renaissante. Cet
échange difficile est le lieu propre des éthiques sectorielles - et en particulier des éthiques
professionnelles.
Il nous faut, pour finir, revenir sur la complexité interne de l'éthique, que nous
annoncions comme notre fil conducteur. On la soulignera, d'abord, en revenant au
contraste entre normes et valeurs d'où nous étions partis. En interprétant les normes
comme médiations des valeurs, nous avons développé notre analyse du fait éthique sous
le signe de la visée positive du bien - donc dans une perspective téléologique. Mais, de
cette façon, il semble que nous avons négligé une forme fondamentale de l'expérience
éthique: chacun, en effet, l'expérimente dans une certaine mesure comme la confrontation
à du devoir ou de l'obligation: en particulier, chacun adresse aux autres des requêtes qui
se réfèrent à l'éthique en tant qu'obligation. C'est cet aspect déontologique37 qu'il nous
faut mieux comprendre, en réarticulant donc le désir du Bien et l'obéissance à la loi. En
36 Cette interrogation est sans doute la véritable attitude éthique: cfr. H. DECLEVE, D'un ton
propre à l'éthique, in Variations sur l'éthique ( coll.), Bruxelles, 1994.
37 Pour une synthèse rapide et intelligente, cfr. C. LARMORE, Modernité et morale, Paris, Puf,
1993.
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réalité, notre parcours a croisé à de multiples reprises ce qui, dans l'expérience éthique,
contribue à en faire l'expérience d'une injonction. Nous synthétiserons donc ces éléments.
D'abord, il faut rappeler que ce qui constitue une valeur comme telle n'est pas le
fait qu'on décide arbitrairement de la désirer. En elle-même, une valeur est une
signification qualitative qui manifeste l'expérience (effective ou projetée) comme préférable
à une autre possibilité. En d'autres termes, la valeur comporte en elle-même, de façon
immédiate, une dimension d'autorité, un impératif impliqué par l'optatif: la valeur se
présente comme ce qui mérite d'être vécu et réalisé - et , en ce sens, comme ce qui requiert,
réquisitionne la décision et l'action. En ce sens, l'opposition entre valeur et devoir,
téléologie et déontologie, est une illusion d'optique: l'autorité relève de la valeur elle-
même; ou, en d'autres termes, la question: "pourquoi faudrait-il faire ce qui semble bien?"
n'a guère de sens: le Bien est une signification qui, de soi, de façon immédiate, appelle et
engage l'action.
On peut appliquer cette analyse à la constitution fondamentale qui met l'existence
sous le signe de l'avoir -à-être: si l'existence est institution d'elle-même, ce n'est pas
seulement ni même d'abord comme projet, c'est comme exigence: dans chaque existence,
l'humanité se présente comme ce qui manque, encore et toujours, et qui requiert. Chaque
humain est constitué comme humain par cette dette originaire d'humanité. Et, en
particulier, cette dette se manifeste lorsqu'elle fait valoir la différence de l'existence
vraiment humaine par rapport à la simple vie vouée à sa satisfaction et à son expansion.
Se trouver constitutivement situé dans cette tension (c'est l'idée de conscience morale) est le
foyer originaire qui fait de l'éthique une expérience d'exigence sans cesse renaissante, celle
d'avoir à vivre à hauteur d'humanité - ou de se dégrader.
Ces analyses sont renforcées par un autre phénomène: celui de la violence. Nous
avons relevé que, en régime humain, l'anarchie est originaire, et que la violence est une
possibilité constante. C'est face à cette possibilité, et même face à ce que nous avons
signalé comme tentation d'égocentrisme violent, que l'éthique prend une signification
urgente, pressante - celle d'un devoir ou d'une obligation: devoir de lutter contre la
possibilité toujours-déjà réalisée de la violence, et même contre cette puissance de violence
qui fait partie de nous-mêmes, de notre être propre. En tant qu' elle convoque à cette prise
de parti , l'éthique prend bien la force d'une injonction, d'un devoir qui dresse une
possibilité contre l'autre, une part de nous-même contre une autre.
Un troisième aspect de l'expérience éthique , enfin, aiguise encore cette dimension
du devoir: c'est la confrontation de l'existence propre à l'existence autre. Car autrui ne se
présente, ni comme un fait, ni même simplement comme une "valeur" - mais bel et bien
comme une personne se présentant à partir d'elle-même, et revendiquant ou implorant le
respect et la sollicitude, contre l'indifférence ou la violence qui toujours le menacent ou
l'ont déjà frappé. En tant qu'elle se développe comme cette exposition à la demande
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d'autrui, l'expérience éthique est bien, originairement, marquée par l'injonction reçue du
dehors. C'est d'ailleurs sur cet aspect qu'insistent les très nombreuses interprétations de
l'éthique qui situent son foyer dans l'exigence de compassion face à la souffrnce ou à la
vulnérabilité - de l'autre, mais aussi de soi et même, plus récemment, de la nature et du
monde 38. Il en va, enfin, de façon semblable pour l'expérience sociale: la participation à la
socialité constitue un foyer d'injonction - non seulement un foyer de contrainte normative
factuelle, mais bel et bien une exigence adressée à l'existence propre: au-delà des projets
personnels, aussi sublimes soient-ils, la participation au tissu structuré de relations
sociales, à l'institution d'un monde humain, saisit l'existence comme un principe obligeant
en même temps que comme une possibilité désirable.