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Antoine-Dover OSONGO-LUKADI
Habilité à Diriger des Recherches de philosophie

ETHIQUE ET DEONTOLOGIE PROF


ESSIONNELLE DE L’ENSEIGNANT

« Entrée initiatique au code de l’éthique enseignante


du niveau supérieur de l’Institut
Supérieur Pédagogique de la Gombe »
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Antoine-Dover OSONGO-LUKADI
Habilité à Diriger des Recherches de philosophie

ETHIQUE ET DEONTOLOGIE PROF


ESSIONNELLE DE L’ENSEIGNANT
« Entrée initiatique au code de l’éthique enseignante
du niveau supérieur de l’Institut
Supérieur Pédagogique de la Gombe »

Dépôt légal
Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique

D/2006/10.769/1

ASSOPHIM Collection
CRPIC éditions

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collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque
procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et
constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivant du code pénal.
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INTRODUCTION GENERALE
Nous sommes appelé à donner un cours qui ne figurait jamais auparavant dans le progr
amme des cours de l’Institut Supérieur Pédagogique de la Gombe. D’après ce qui nous a été r
apporté dans la rue, car jusqu’à présent il ne s’agit qu’un intitulé de cours que nous a lancé sur
la figure par l’autorité décanale, il s’agirait de donner à nos étudiants de LM2 un cours d’éthiq
ue susceptible de leur imputer un comportement voire une conduite presqu’irréprochable dan
s le cadre de leur fonction enseignante ; l’ISP ayant effectivement pour vocation de former de
s futurs enseignants plutôt que des bureaucrates ou des militaires, entre autres.
Voilà l’objectif. Celui à atteindre ici et maintenant. Mais au regard de la précipitation,
de la confusion auxquelles nous y assistons, il n’est pas possible que ce paris soit atteint à cent
pour cent. Le cours nous ayant été attribué en milieu de l’année académique, sinon presque ve
rs la fin, puisqu’après il y aura l’organisation de la première session, il n’est pas sûr et certain
que nous ayons disposé de suffisamment de temps et de moyens pour mettre en place un cours
conséquent. Mais au regard de nos efforts parfois surhumains, pétri de bonne volonté, sans co
mpter notre générosité et esprit de sacrifice en cette matière, nous nous y mettrons pour y répo
ndre à toutes les attentes tant théoriques que pratiques y inscrits.
Qu’est-ce qui nous est demandé dans le cadre dudit cours ?C’est d’enseigner l’éthique
professionnelle enseignante. Enseigner étant une profession, il lui faut une éthique. Ce que no
us nommons code d’éthique déontologique. Il y aurait ainsi une charte spécifique de la profess
ion enseignante, qu’il nous faudra chemin faisant et au terme de ce cours définir et présenter c
omme cursus universitaire adapté à cette promotion d’étudiants. Ce qui ne sera pas la porté à c
ôté mais nullement impossible, nous venons de le dire, avec un peu de volonté et d’esprit de s
acrifice.
Dans les chapitres qui vont suivre, nous allons évidement tenter d’y donner la sentence. C’est
ainsi que dans le premier chapitre, nous commençons par la conceptualisation du mot éthique
mais aussi de sa problématisation tant théorique que pratique. D’où l’analyse que nous faisons
des mots-clés.
a)éthique : Etymologie : du grec ethikos, moral, de ethos, mœurs, l'éthique est la
science de la morale et des moeurs. C'est une discipline philosophique qui réfléchit sur les
finalités, sur les valeurs de l'existence, sur les conditions d'une vie heureuse, sur la notion de
"bien" ou sur des questions de moeurs ou de morale.
L'éthique peut également être définie comme une réflexion sur les comportements à
adopter pour rendre le monde humainement habitable. En cela, l'éthique est une recherche
d'idéal de société et de conduite de l'existence.
Etymologiquement, donc, le mot "éthique" est un synonyme d'origine grecque de
"morale". Il a cependant, de nos jours, une connotation moins péjorative que "morale" car
plus théorique ou philosophique. Tandis que la morale est un ensemble de règles ou de lois
ayant un caractère universel, irréductible, voire éternel, l'éthique s'attache aux valeurs et se
détermine de manière relative dans le temps et dans l'espace, en fonction de la communauté
humaine à laquelle elle s'intéresse.
b)morale : La morale (du latin moralitas, « façon, caractère, comportement
approprié ») désigne l'ensemble des règles ou préceptes relatifs à la conduite, c'est-à-dire à
l’action humaine. Ces règles reposent sur la distinction entre des valeurs fondamentales : le
juste et l'injuste, ou plus simplement le bien et le mal. C'est d'après ces valeurs que la morale
fixe des principes d'action, qu'on appelle les devoirs de l'être humain, vis-à-vis de lui-même
ou des autres individus, et qui définissent ce qu'il faut faire et comment agir.
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La morale peut renvoyer à l'ensemble des règles de conduite diffuses dans une société
et exprimant ses valeurs (politesse, courtoisie, civisme), ou encore à des préceptes énoncés
explicitement par une religion ou une doctrine (morale religieuse, philosophie morale,
éthique). Les règles morales peuvent se diviser en deux groupes : d'une part, les maximes de
la morale personnelle (individuelle) et, d'autre part, les codes de conduite (ou systèmes de
principes) partagés au sein d'une communauté culturelle, religieuse ou civile (collectifs).
Les règles morales peuvent être vues comme de simples habitudes qui ont fini par
s'imposer à un groupe social (mœurs, coutumes), c'est-à-dire des façons d'agir culturelles,
acquises, apprises et intégrées par les agents (consciemment ou non), et variables selon les
communautés et les époques (relatives) ; mais elles sont parfois définies, à l'inverse, comme
des règles universelles, indépendantes du lieu et de l'époque, et établies par la raison humaine
ou exigées par une certaine représentation de l'être humain en général (universalisme, droits
de l'homme).
Selon l'approche philosophique, le critère définissant une conduite morale (ou ce que
signifie « bien agir ») ne sera pas le même. En effet, la valeur morale d'une action (le fait
qu'elle soit bonne ou mauvaise) peut être définie soit d'après ses conséquences
(conséquentialisme, utilitarisme, pragmatisme), c'est-à-dire selon les effets engendrés par
cette action, soit d'après sa conformité à des valeurs (déontologie, intuitionnisme), c'est-à-dire
selon les intentions ou motivations qui la commandent (indépendamment des conséquences).
NB : Dans "Le capitalisme est-il moral ?" (Albin Michel), le philosophe André Comte-
Sponville distingue l'ordre moral de l'ordre éthique. Pour lui, la morale est ce que l'on fait par
devoir (en mettant en oeuvre la volonté) et l'éthique est tout ce que l'on fait par amour (en
mettant en oeuvre les sentiments).
c)déontologie : 1.1.Les morales du devoir fondent le caractère moral de nos actions
par le concept d’obligation. Ce type de morale se conçoit indépendamment de toute
conséquence qui pourrait résulter de nos actions. Par exemple, selon Kant, l'homme ne doit
pas mentir pour éviter un meurtre, car l’obligation de dire la vérité est absolue et ne tolère
aucune condition particulière.
Un ensemble de règles appliquées a priori et ayant le statut d’obligations morales. Par
exemple, le décalogue et la règle d’or ou l’éthique de réciprocité.
L'éthique des droits provient des droits de l'homme. Cette invention moderne est
attribuée originalement à Rousseau et établit pour la première fois pour l’homme un ordre
moral indépendant du cosmos, de la nature. Dorénavant, l’homme ne se distingue plus comme
étant un animal doté de la raison comme chez Aristote, mais comme être ayant la liberté de
s’arracher à la nature et d’instaurer une autre légalité que celle naturelle, c’est-à-dire celle de
l’homme. Ce principe d’égalité est uniquement un droit juridique et non naturel.
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PREMIER CHAPITRE
CONCEPTUALISATION ET PROBLEMATISATION DE L’ETHIQ
UE

Première section
L’éthique philosophique théorique ou éthique classique ou éthique
fondamentale
C’est la forme d’éthique que nous appelons, depuis l’antiquité grecque avec Aristote ju
squ’à l’époque contemporaine (c’est-à-dire époque actuelle) avec Heidegger, en passant par S
aint Thomas d’Aquin, Descartes, Kant), éthique classique ou éthique fondamentale. Cette for
me d’éthique traverse, comme nous venons de le dire, il y a un moment, l’ensemble de l’histoi
re de la philosophie depuis le début jusqu’à ce jour.
Plusieurs métamorphoses lui firent imputées selon les tendances et théories des auteurs.
C’est ainsi qu’on a quelques éthiques suivantes :
1.Ethique de la vertu
Dans l’Antiquité, l’éthique était dominée par le concept de « vertu » aussi bien chez
Socrate que chez Platon, Aristote, les Stoïciens et Épicure. Ainsi, l’homme bon est celui qui
réalise bien sa fonction, son télos. Il s’agit donc de réaliser pleinement la nature et ce qui
constitue la nature humaine, afin d’atteindre le bonheur.
2.Ethique théologale
C’est l’éthique pratiquée Au Moyen-Âge à la suite de l'éthique antique, celle de Platon
puis d’Aristote, et qui deviendra intégrée à la tradition biblique et donc théologale avec St
Thomas d’Aquin, St Augustin, St Anselme, St Bonaventure, St Albert Le Grand,etc.
3.Ethique moderne rationaliste
C’est l’éthique non-spéculative, totalement subjectiviste voire individualiste proposée
au début du XVIIe siècle par R. Descartes qui fut le premier philosophe à prendre nettement
ses distances avec l’éthique antique, qu’il jugeait trop « spéculative». S’appuyant sur une
nouvelle métaphysique, il fonde une morale dans un sens beaucoup plus individuel.
3.1. Le rationalisme philosophique de Descartes : « Je pense, donc je suis »
3.1.1.La méthode : le doute méthodique
Ce philosophe français se fait connaître, et est devenu le fondateur du rationalisme
philosophique, par la formulation de sa méthode comportant quatre règles : premièrement
l’évidence consistant à n’admettre « jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse
évidemment être telle » := autrement dit se garder de toute « précipitation » et de toute «
prévention » (préjugé) et ne tenir pour vrai que ce qui est clair et distinct : deuxièmement
l’analyse consistant à « diviser chacune des difficultés en autant des parcelles qu’il se
pourrait ; troisièmement la synthèse consistant à « conduire par ordre mes pensées, en
commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à
peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés » ; et enfin
quatrièmement le dénombrement consistant à faire partout des dénombrements si entiers que
je fusse assuré de ne rien omettre »1.
Si cette méthode est devenue très célèbre, c’est parce que les siècles ultérieurs y ont vu
le manifeste du libre examen et celui du rationalisme. En effet la méthode affirme
l’indépendance de la raison et le rejet de toute autorité : « Aristote l’a dit » n’est plus un
argument sans réplique, car seules comptent la clarté et la distinction des idées 2. Le doute est
1
Ibidem, p. 103
2
Ibidem, p. 103
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le point central de l’itinéraire spirituel, intellectuel, philosophique de Descartes. Mais il ne


s’agit pas d’un doute radical ou définitif des sceptiques. Il s’agit d’un doute volontaire,
systématique et intégral pour distinguer nettement et clairement ce qui vrai et ce qui est
ivraie, peut-on dire.
3.1.2.Le doute conduit à Dieu et à moi-même
Chacun sait que Descartes commence son itinéraire spirituel par le doute. Mais il faut
comprendre que ce doute est d’une tout autre portée que le doute radical et définitif des
sceptiques. Descartes doute volontairement et systématiquement de tout, dès qu’il peut
trouver un argument, si faible soit-il. Les arguments du doute ne sont que des auxiliaires
psychologiques d’une ascèse, les instruments d’un véritable « exercice spirituel »3.
Doutons de nos sens puisqu’ils nous ont si souvent trompés, puisque, pour Descartes,
nous ne pouvons savoir si nous sommes éveillés ou en train de rêver ! Doutons aussi des
évidences scientifiques et des vérités mathématiques elles-mêmes ! Mais quoi ? N’est-il pas
vrai – que je rêve ou que je veille – que 2/2 : 4 ? Mais si un malin génie me trompait, si Dieu
était méchant et m’abusait dans ces évidences mathématiques et physiques ? Il y a pourtant
une chose dont je ne peux pas douter, même si le diable veut toujours me tromper. Quand bien
même tout ce que je pense serait faux, il reste qu’il est assuré que je pense. Aucun objet de
pensée ne résiste au doute, mais l’acte même de douter est indubitable. « Je pense, donc je
suis » : cogito ergo sum. Ce n’est pas un raisonnement (malgré le « donc ») ; c’est une
intuition, et une intuition plus solide que l’intuition du mathématicien, car c’est une intuition
métaphysique et méta-mathématique. Elle porte, non sur un objet, mais sur un être. Le cogito
de Descartes, n’est donc pas, comme on l’a dit, l’acte de naissance de ce qu’on appelle en
philosophie l’idéalisme (le sujet pensant et ses idées étant le fondement de toute
connaissance), c’est la découverte du domaine ontologique (ces objets qui sont des évidences
mathématiques renvoient à cet être qui est ma pensée)4.
A ce moment de son itinéraire spirituel, Descartes est solipsiste. Il n’y a guère d’autre
réalité, pour lui, que son être ou, plus exactement, que son être pensant : « Je ne suis,
précisément parlant, qu’une chose qui pense ». Mais c’est en approfondissant sa solitude que
Descartes va finalement lui échapper. Parmi toutes les idées de mon cogito, il en est une tout à
fait extraordinaire : c’est l’idée de perfection, d’infini. Je ne puis l’avoir tirée de moi-même,
moi qui suis fini et imparfait. Moi si imparfait, qui ai l’idée de perfection, je n’ai pu la
recevoir que d’un être parfait qui me dépasse et qui est l’auteur de mon être. Voilà donc Dieu
démontré. Et, notons-le, il s’agit d’un Dieu parfait, donc qui est toute bonté. Voilà le fantôme
du malin génie exorcisé. Si Dieu est parfait, il n’a pu vouloir me tromper, et toutes mes idées
claires et distinctes sont garanties par la véracité divine. Puisque Dieu existe, je peux donc
croire à la réalité du monde5.
La Cinquième Méditation, un autre ouvrage de Descartes, présente une autre manière
de prouver Dieu. Il ne s’agit plus ici de partir de moi qui ai l’idée de Dieu qui est en moi.
Saisir l’idée de perfection et affirmer l’existence de l’être parfait, c’est tout un. Car une
perfection non existante ne serait pas une perfection. C’est l’argument ontologique,
l’argument de saint Anselme que Descartes (qui n’a pas lu saint Anselme), retrouve. Ici
encore, il s’agit plutôt d’une intuition, d’une expérience spirituelle (celle en moi, d’un infini
qui me dépasse), que d’un raisonnement6.
3.1.3.Idée mécanique et libre arbitre
De ce qui précède, l’évidence métaphysique transcende l’évidence scientifique. Pour
Descartes, le Dieu créateur transcende radicalement la nature. Dieu a été « tout à fait
3
Ibidem, p. 103
4
Ibidem, p. 104
5
Ibidem, pp. 104-105
6
Ibidem, p. 104
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indifférent à créer les choses qu’il a créées ». Dieu n’est soumis à aucune vérité préalable.
C’est lui qui crée – par la toute puissance de son libre arbitre – les vérités. C’est parce que
Dieu le veut que la somme des angles d’un triangle valent deux droites. Cette radicale
transcendance de Dieu a deux conséquences fondamentales : le libre arbitre humain et
l’indépendance de la science :
Premièrement que l’homme n’est pas une partie de Dieu. La transcendance du
Créateur éloigne tout panthéisme. L’homme, simple créature radicalement dépassée par son
créateur, reçoit de ce fait même une autonomie qu’il perdra dans le système panthéiste de
Spinoza. L’homme est libre : il peut dire oui ou non aux ordres de Dieu. Descartes affirme
radicalement le libre arbitre, le pouvoir de refuser le vrai et le bien en présence même de
l’évidence qui s’offre. L’entendement conçoit le vrai, et c’est la volonté qui, ou bien se
détourne, ou bien affirme cette vérité. Dieu propose, l’homme, par son libre arbitre, dispose.
Ainsi Dieu n’est-il coupable ni de mes erreurs, ni de mes péchés. C’est moi qui me trompe,
c’est moi qui pèche. Mon libre arbitre me fait méritant ou bien coupable7 .
Secondement que la transcendance de Dieu va également rendre possible une science
purement rationnelle et mécaniste de la nature. La nature n’a, selon Descartes, aucun
dynamisme propre : tout le dynamisme appartient au créateur. La nature se voit ainsi
dépouillée de toute profondeur métaphysique, et Descartes peut éliminer les notions
aristotéliciennes et médiévales de forme, d’âme, de vie d’acte et de puissance. Toute finalité
disparaît : la nature est réduite à un mécanisme entièrement transparent au langage
mathématique. Les phénomènes naturels, qu’ils concernent les corps inanimés ou les corps
vivants, sont tous régis par les lois de la mécanique. Ainsi, les animaux sont assimilés à des
automates dont la seule « disposition des organes » suffit à expliquer les fonctions (théorie des
animaux machines)8.
3.2.Ethique moderne comme éthique pratico-déontologique
3.2.1.Position du problème sur les principaux enjeux de la éthique-morale k
antienne dont l’accusation du « formalisme » !
C’est Descartes qui le premier prit nettement ses distances avec l’éthique antique, qu’il
jugeait trop « spéculative ». S’appuyant sur une nouvelle métaphysique, il fonde une morale
dans un sens beaucoup plus individuel. Le développement de l´éthique moderne se poursuit
avec Kant et l’éthique déontologique : une réflexion critique sur les conditions de possibilité
de la morale mettant l’accent sur le devoir.
La philosophie kantienne, explique Olivier Dekens, se donne pour objet de répondre à
trois questions : que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Elle
veut ainsi définir les limites de la connaissance, les fondements de la morale et les résultats –
historiques ou religieux – que l’homme est en droit d’attendre. L’ensemble de ces concepts
permet à Kant de déterminer les fins essentielles de la raison humaine9. Ce qui veut dire que
Les Fondements s’inscrivent dans ce projet au titre d’une première réponse à la question :
« que dois-je faire ? », à laquelle Kant répond plus complètement dans la Critique de la
raison pratique. La fonction de l’ouvrage est donc bien délimitée : Kant veut simplement
décrire quels sont les concepts constitutifs de la moralité – la bonne volonté, la loi morale,
l’autonomie, la liberté – sans statuer sur son application concrète, ni en établir véritablement
la condition de possibilité. De telle sorte, que fonder la métaphysique des mœurs signifie
montrer en quoi la compréhension commune de la moralité est l’expression de la raison elle-
même, qu’il faut seulement consolider ; puis une fois la notion de devoir installée au principe
de la morale, formuler sous forme d’impératifs la loi morale présente en nous, même si nous
agissons mal ; enfin, d’établir que la liberté qui rend la morale pensable, est au moins
7
Ibidem, pp. 104-105
8
Ibidem, p. 105
9
DEKENS O., Fondements de la métaphysique des mœurs de Kant, Bréal, 2001, p. 13.
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possible, si ce n’est réelle10.


Ainsi, la morale kantienne a-t-elle pour caractéristique principale d’être une morale du
devoir ; la fin de l’acte, le bonheur, par exemple, importe peu. Le sentiment qui accompagne
l’acte – l’amour, amitié, bienveillance – n’est pas non plus considéré. Seul compte le fait que
l’acte soit accompli par pur respect pour la loi morale. On accusera Kant rapidement Kant de
formalisme, en lui reprochant d’avoir donné une morale vide et inapplicable. En réalité,
explique O. Dekens, le but de Kant n’est pas de proposer des devoirs particuliers, ni
d’accompagner la faiblesse de l’homme, mais seulement de dégager la moralité en sa
rationalité, en montrant en quels critères doit obéir un acte pour être qualifié de moral11. Une
façon de comprendre la morale qui eut un retentissement considérable dans l’histoire de la
philosophie. Car, elle rompt en effet avec l’éthique traditionnelle, fondée essentiellement sur
la notion de bien, et prend à rebours les doctrines du sentiment moral. La philosophie pratique
va s’en trouver durablement modifiée, tous les philosophes étant dans l’obligation de prendre
position par rapport à Kant, que ce soit pour le suivre ou le combattre. La tradition kantienne
est aujourd’hui l’une des plus vivantes, tant en France qu’en Allemagne, et l’on ne cesse de
découvrir, dans cette pensée d’apparence rigide, des ressources inespérées et une souplesse
qui lui permet d’être utilisée dans tous les domaines de l’action, du politique au droit12.
C’est l’éthique proposée par Kant. En effet, à la fin du XVIIIe siècle, le développement
de l'éthique moderne s’est poursuivie avec la pensée Kant et la naissance de l’éthique
déontologique : une réflexion critique sur les conditions de possibilité de la morale mettant
l’accent sur le devoir.
Kant est reconnu en philosophie comme celui qui a inauguré le « criticisme » ou le
rationalisme critique issu du rationalisme pré-moderne de Bacon ; c’est le champion toute
catégorie de la philosophie critique. C’est, sans doute, après Aristote, le plus grand philosophe
sinon l’un des plus grands philosophes de l’Occident. Au-delà des publications de jeunesse,
les grandes œuvres de Kant qui l’ont fait connaître au monde sont : -la Critique de la raison
pure (1787) où il précise avec vigueur et rigueur ses intentions « critiques » sur la raison
humaine ; il complète cet ouvrage critique sur la raison humaine par Les prolégomènes à toute
métaphysique future (1783) ;-les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785) suivis de
la Critique de la raison pratique (1788) où Kant a développé sa doctrine morale et éthique ;-et,
enfin, la Critique de la faculté de juger (1790) où il a traité des notions de beauté et de finalité,
en cherchant ainsi un passage entre le monde de la nature, soumis à la nécessité, et le monde
moral, où règne la liberté13.
Dans la Critique de la raison pure, Kant à examiner les pouvoirs de la raison, en
remontant de la connaissance aux conditions qui la rendent éventuellement légitime. Pour lui
les jugements rigoureusement vrais, c’est-à-dire nécessaires et universels, sont a priori, c’est-
à-dire indépendants des hasards de l’expérience ; ces jugements a priori sont des jugements
analytiques (un jugement analytique est celui dont le prédicat est contenu dans le sujet). Par
exemple : « un triangle a trois angles » : il me suffit pour l’affirmer d’analyser la définition
même du triangle. En revanche, quant aux jugements synthétiques (ceux dont l’attribut
enrichit le sujet : par exemple : cette règle est verte), ils sont a posteriori (car je sais déjà que
la règle est verte seulement parce que je l’ai vue14.
La révolution copernicienne « à la Kant » tient en ce que pour Kant lui-même il est
vrai que c’est l’expérience qui fournit à l’homme la matière de sa connaissance, mais c’est
son esprit qui d’un côté dispose l’expérience dans son cadre spatio-temporel et d’un autre côté

10
Ibidem, p. 13.
11
Ibidem, pp. 13-14.
12
Ibidem, p. 14.
13
Ibidem, pp. 188-189
14
Ibidem, p. 190
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lui donne ordre et cohérence par ses catégories. De telle sorte qu’on appelle l’expérience n’est
pas quelque chose que l’esprit, tel une cire molle, reçoit passivement. Au contraire, c’est
l’esprit lui-même qui, grâce à ses structures a priori, construit lui-même l’ordre de l’univers.
Ainsi comme Copernic qui affirmait que « ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre,
c’est la terre qui tourne autour du soleil », Kant affirme que « La connaissance n’est pas le
reflet de l’objet extérieur ; c’est l’esprit humain qui construit lui-même, avec les matériaux
de la connaissance sensible, l’objet de son savoir »15.
Kant s’est interrogé ensuite sur la valeur de la connaissance métaphysique. Pour lui, ce
qui est fondé, c’est la connaissance scientifique, qui se contente de mettre en ordre, grâce aux
catégories, les matériaux qui lui sont fournis par l’intuition sensible même si, dit Kant,
l’homme est incapable le fond des choses, il ne connaît le monde que réfracté à travers les
cadres subjectifs de l’espace et du temps ; l’homme ne connaît que les phénomènes, mais pas
les choses en soi, c’est-à-dire les noumènes16.

3.2.2.Principales étapes de l’éthicité ou de la moralité kantienne


1.La bonne volonté
Dans la première section de son livre les « Fondements de la Métaphysique des Mœur
s », E. Kant développe la question de la volonté. Chez Kant, de tout ce qu’il est possible de
concevoir dans le monde, écrit Kant, et même en général en dehors du monde, il n’est rien qui
puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n’est seulement une bonne volonté ». Bien des
qualités peuvent être utiles à l’homme : l’intelligence, le discernement, le courage, le
tempérament. Mais celles-ci peuvent servir à tout autre chose qu’à des fins morales. On peut
en dire autant des dons de la fortune, de la chance, de la richesse et du bonheur lui-même, qui
n’ont de valeur que soumis aux principes moraux. La réflexion morale ne doit donc pas
chercher à rendre l’homme heureux ; elle doit plutôt indiquer ce qui peut le rendre digne de
l’être. La bonne volonté est la seule qualité qui soit intrinsèquement adéquate à cette fin ; elle
est sa propre valeur17.
2.Le devoir
Chez Kant, le devoir est appréhendé par des exemples d’actions, dont on se demande
si elles sont simplement conformes au devoir ou si elles sont accomplies par devoir. Seule
cette dernière action a véritablement une valeur morale. Ainsi, la bienveillance à l’égard
d’autrui n’a une valeur morale identifiable que dans le cas où la personne qui la manifeste n’a
pas spontanément un tel sentiment, et est au contraire plutôt froide et indifférente envers
autrui. Kant ne condamne pas ici les sentiments altruistes, il n’exige pas de l’action morale
qu’elle soit faite avec répulsion. Il affirme simplement que, d’un point de vue
méthodologique, on reconnaît plus facilement la valeur morale d’une action quand celle-ci
n’est accomplie que par devoir, à l’exécution de tout autre motif18.
Kant apporte une précision supplémentaire à la détermination du devoir : « une action
accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but qui doit être atteint par elle, mais
de la maxime d’après laquelle elle est décidée ». La fin poursuivie ou obtenue par une action
ne peut lui conférer aucune moralité particulière. Seule importe ce pour quoi on la fait, c’est-
à-dire le principe de la volonté. Kant en déduit immédiatement une troisième proposition qui
est aussi sa définition du devoir : « le devoir est la nécessité d’accomplir une action par
respect pour la loi »19.
Reste à présent à définir le contenu de cette loi. Il est en réalité déjà défini par
15
Ibidem, p. 191
16
Ibidem, p. 191
17
Ibidem, p. 21.
18
Ibidem, p. 22.
19
Ibidem, pp. 22-23.
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l’exclusion du principe de la volonté de toutes les inclinations et de tous les effets possibles de
l’acte. La loi, n’ayant plus d’objet particulier, ne peut être caractérisée que par ce qui fait
d’elle une loi, à savoir son universalité : « en d’autres termes, je dois toujours me conduire de
telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle »20.
Cette première approche de ce qui sera explicitement nommé à la section suivante
l’impératif catégorique est suivie d’exemples : soit une promesse que je fais avec l’intention
de ne pas la tenir ; la sincérité peut certes être avantageuse pour de simples considérations
tactiques ; mais la bonne question à poser est celle-ci : puis-je vouloir que tout homme
s’exempte de ses promesses quand bon lui semble ? La réponse est claire : je peux bien
vouloir mentir de temps en temps, mais faire du mensonge une loi universelle conduirait à
détruire l’institution même de la promesse ; ma maxime se détruirait alors elle-même21.
3.2.3.Les impératifs hypothéthique et catégorique
1.L’impératif hypothétique
On en vient à la distinction kantienne de deux types d’impératifs. Ces distinctions
effectuées, il faut établir à présent comment des tels impératifs sont possibles. Le premier,
l’impératif hypothétique, représente « la nécessité pratique d’une action possible, considérée
comme moyen d’arriver à quelque autre chose que l’on veut » ; le second, l’impératif
catégorique, représente « une action comme nécessaire pour elle-même ». Poursuivons :
l’impératif hypothétique comprend tantôt de simples règles de l’habileté : il faut faire ceci
pour obtenir cela ; tantôt des conseils de prudence : il faut agir ainsi pour être heureux. Seul
l’impératif catégorique, qui fait de l’intention, et non des conséquences de l’acte, le principe
de sa bonté, a un contenu moral22. Donc pour le premier cas, il suffit de déduire les moyens de
la fin, réelle ou supposée.
2.L’impératif catégorique
Pour le second, les choses sont plus compliquées, ce qui conduit Kant à différer
provisoirement sa solution. Puisque nous n’avons aucun exemple démontrant la possibilité de
cet impératif du devoir, on va se contenter pour le moment d’en approcher la nature et d’en
donner une formulation préalable. L’impératif catégorique n’a, par définition, aucun objectif
déterminé. Il commande d’agir selon la loi, mais sans considérer les fins de l’action. Son
contenu est donc réductible à la simple forme de toute loi : l’universalité.
2.1.Agir c’est agir universellement
Agir moralement, c’est alors fonder le principe de son action sur la possibilité de son
universalisation : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même
temps qu’elle devienne une loi universelle ». Pour donner à comprendre cette formule
d’apparence singulière, Kant fournit quelques exemples. Nous les commenterons en détail
plus bas. Retenons pour le moment que le suicide, la malhonnêteté, la paresse et l’égoïsme
sont condamnés grâce à ce critère d’universalité. Il n’est pas question de savoir quelles
seraient les conséquences, pour l’état du monde et de la société, d’une loi établissant comme
principe universel ces quatre comportements. Il s’agit plus simplement de constater que
l’universalisation des maximes de ces actions produit une auto-contradiction, soit dans la
formulation même de la maxime, soit dans la volonté qui en poursuivrait la réalisation. On
peut bien vouloir se suicider mais il est inconcevable de vouloir que le suicide devienne na
normale universelle de l’action humaine23.
2.2.Dignité et respect de l’humanité
On en vient au concept de la dignité et du respect de l’humanité. Nous verrons
20
Ibidem, p. 23.
21
Ibidem, p. 23.
22
Ibidem, p. 25.
23
Ibidem, p. 26.
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comment dans un deuxième temps, Kant s’était efforcé de compléter la première formule par
une seconde, qui détermine au moins partiellement la manière possible du devoir. Celle-ci ne
peut en aucun cas être un objet d’expérience, puisque cette soumission de la volonté à la
sensibilité détruirait la moralité. Il faut donc que la fin de l’impératif catégorique, celle qui
pousse l’être raisonnable à se soumettre au critère de l’universalisation, soit une fin en soi,
quelque chose qui ait une valeur absolue. Or, le seul être qui ne peut jamais être réduit à un
moyen, c’est l’homme. La volonté n’est morale que si elle se donne pour motif le respect de
celui qui est le porteur de la volonté, l’humanité. Ce faisant, elle ne poursuit rien d’extérieur à
elle-même, mais seulement l’être particulier qui est doué de cette faculté de vouloir. L’homme
n’est pas une chose, mais une personne ; il ne peut pas être employé seulement comme un
moyen, mais il doit l’être toujours en plus comme une fin. D’où la formule : « Agis de telle
sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre
toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». Après
avoir appliqué ce principe aux quatre exemples déjà considérés, Kant fait un pas de plus dans
la détermination complète de l’impératif catégorique, en introduisant l’idée de législation
universelle, qui effectue la synthèse entre l’universalité de la première formule et la notion
d’être raisonnable de la deuxième24.
2.3.Principe de règne des fins et d’êtres raisonnables et libres
Ce troisième moment de détermination de l’impératif catégorique, poursuit O. Dekens,
fait de l’homme le principe d’un règne des fins constitué de l’ensemble des êtres raisonnables
et libres dont les volontés se sont d’elles-mêmes soumises au test d’universalisation des
maximes. Cette idée de règne des fins est étroitement liée à celle d’autonomie de la volonté.
Quand la volonté n’est déterminée à agir par elle-même, quand son seul objet est l’humanité,
elle établit une législation universelle liant systématiquement les êtres raisonnables par des
lois communes, étant entendu que le règne ainsi créé est idéal, et non réel. La moralité est
alors définie comme la nécessité pratique d’agir selon un principe qui soumet chaque maxime
à la condition de pouvoir participer à une législation universelle. La volonté de l’être
raisonnable est donc toujours en même temps sujet de la loi et législatrice ; elle ne se soumet
finalement qu’à elle-même en obéissant à la loi morale25. Cette double dimension de l’être
raisonnable lui confère une dignité. Bien des qualités peuvent être utiles à la vie, mais elles
ont toutes un prix, c’est-à-dire qu’on peut toujours leur trouver un équivalent. L’humanité en
revanche, en tant que fin en soi, doit être placée au-dessus de toutes les valeurs d’échange, et
c’est à ce titre qu’elle est objet de respect26.
L’itinéraire suivi jusqu’ici a permis à Kant de donner une forme, une manière et une
détermination complète à l’impératif catégorique. Revenant alors en arrière, Kant reprend sa
définition initiale de la bonne volonté, en lui donnant une caractérisation définitive. La
formule d’une volonté absolument bonne est alors la suivante : « Agis selon des maximes qui
puissent se prendre en même temps elles-mêmes pour objet comme lois universelles de la
nature »27.
2.4.volonté et raison pratique
Il s’agit simplement de savoir ce que la raison commande avec une absolue nécessité
et ce qu’est le devoir moral, en faisant abstraction de son accomplissement effectif. La
méthode qui va être employée est donc claire : non pas vulgariser la morale, mais la fonder ;
non pas la mêler à des réflexions sur la nature humaine censée la rendre plus facile à
appliquer, mais la présenter pure, cette pureté étant la condition de sa pénétration dans le

24
Ibidem, pp. 26-27.
25
Ibidem, pp. 27-28.
26
Ibidem, p. 28.
27
Ibidem, p. 28.
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cœur de l’homme. Une fois posées ses clauses méthodologiques, Kant s’attache à
l’élaboration rationnelle du concept du devoir, sur la base d’une position de principe très
ferme, selon laquelle « toute chose dans la nature agit d’après des lois »28. On peut alors
concevoir deux manières de suivre la loi : soit mécaniquement comme les phénomènes ; soit
d’après une représentation de la loi, comme l’être raisonnable. Celui-ci, doué d’une volonté
qui n’est pas nécessairement en accord avec la loi mais qui est soumise à des conditions
subjectives et sensibles, perçoit la loi comme une contrainte, et la formule en conséquence
sous l’aspect d’un impératif. Le devoir a toujours pour l’homme le visage d’un
commandement : il sait ce qu’il doit faire, il sait qu’il le peut, reste qu’il est libre de se
soumettre ou non à cet ordre29.
3.Conséquences post-kantiennes de la morale pratico-déontologique
Les auteurs de ce courant sont : Vladimir Jankélévitch, Emmanuel Levinas, Paul
Ricoeur, Hans Jonas.
Les éthiques traditionnelles invitaient à respecter l’autre en tant qu’il est semblable au
moi. Mais l’autre était toujours noyé dans le prochain, dans l’universel, dans l’humanité
raisonnable. Ces morales ne sont valables qu’en temps de paix, quand l’autre est mon ami,
mon voisin, mon compatriote. Mais sont-elles encore efficaces, ces morales, quand l’autre est
un bouc émissaire, qui voit se cristalliser sur sa personne toutes les frustrations et toutes les
haines ? Il faut dès lors une morale qui soit attentive à l’Autre, en tant qu’il est autre,
précisément.
Le visage de l’autre, en raison même de son extrême vulnérabilité, dit Lévinas, est
porteur de commandements éthiques. Point n’est besoin d’aller fonder la morale sur on ne sait
quelle transcendance étrangère à l’homme ; c’est en l’homme, et en l’homme seulement, que
se trouve l’obligation, qui nous est faite de l’aimer et de le protéger. S’estimer soi-même,
nous apprend Ricoeur, c’est se considérer soi-même comme « un autre parmi les autres ».
C’est donc à partir de cette relation primitive et privilégiée avec l’Autre que quelques
philosophes contemporains, susmentionnés ci-dessus, tentent, à l’écart des modes et des
chapelles, de restaurer une réflexion morale authentique et exigeante30.
3.1. Vladimir Jankélévitch
Pour Jankélévitch, l’homme ne vit réellement que dans l’instant, c’est-à-dire dans
l’acte moral. Dans les intervalles qui séparent nos actes, nous sommes comme absents au
monde. Nous n’existons authentiquement que lorsque nous prenons une décision, lorsque
nous effectuons un choix31.
Le « se-faisant » est la catégorie fondamentale d’une philosophie qui élève l’homme
au rôle du créateur. Dans l’acte moral, nécessairement irréfléchi puisque instantané, je
m’engage tout entier, en créant par mon attitude un monde de valeurs qui transcende mon
simple être-là. C’est cette transcendance énigmatique que Jankélévitch a tenté de mettre en
lumière dans ses différents livres. Ainsi, le remords m’enseigne que je suis davantage que la
faute que j’ai commise ; l’ironie et l’humour m’apprennent que je suis au-delà de toutes mes
pensées ; l’ennui lui-même me révèle qu’ « une âme vide de plaisir et de bonheur est
cependant une âme où il se passe quelque chose » ; enfin le mensonge m’indique la
transcendance pécheresse du sujet qui se tourne vers le non-être32
3.2.Emmanuel Levinas
C’est dans Totalité et infini (1961) que Levinas pose les principes d’une éthique
28
Ibidem, pp. 24-25.
29
Ibidem, p. 25.
30
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 414
31
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 415
32
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 415
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fondée sur la relation à autrui. La philosophie occidentale, depuis ses débuts, est dominée par
les catégories de l’être et de la totalité. Elle évolue dans l’obsession de la synthèse, c’est-à-
dire de la réduction du divers à une totalité qui ne laisse subsister aucune altérité. A cette
pensée qui réduit violemment l’autre au même, Levinas oppose l’expérience subjective de
l’infini, telle qu’on peut la faire dans le face-à-face avec autrui. La rencontre de l’Autre, en
effet, constitue une « expérience irréductible et ultime » qu’on ne peut dissoudre dans aucune
totalité33.
L’Autre, pour Levinas, c’est d’abord un visage. Non pas un masque qu’on pourrait
regarder comme on regarde un objet (en demeurant extérieur à lui), mais une ouverture, un
accès immédiat à l’Autre. Quand je regarde la personne avec laquelle je parle, je ne vois pas
ses yeux ; je suis transporté par son visage dans un au-delà qui me révèle cette idée d’infini
que je ne peux trouver en moi-même. Mais la relation au visage n’est pas seulement
« transcendance vers l’autre » ; elle est aussi l’expérience éthique par excellence34.
En effet, le visage est en l’homme ce qu’il y a de plus pauvre et de plus vulnérable. Il
est aussi ce qu’il y a de pus nu, et comme offert à ma puissance. Mais dans ce total
dénuement, dans cette fragilité essentielle, s’inscrit l’impératif éthique, le commandement
suprême : « Tu ne commettras pas de meurtre ». Le visage, parce qu’il est exposé à toutes les
violences, est ce qui nous interdit la violence. Le « Tu ne tueras point », dit Levinas, est la
« première parole du visage ». Ainsi l’Autre est en même temps celui contre lequel je peux
tout et celui auquel je dois tout. Ma responsabilité envers lui, dès que son visage m’apparaît
est infinie35.
En réponse à la répudiation, structuraliste de l’homme, Levinas se propose de restaurer
l’humanisme sur la base, non plus de la nature raisonnable de l’humanité, mais de l’obligation
dans laquelle chaque homme se trouve de veiller sur son prochain sans pouvoir prétendre à
une quelconque réciprocité36.
3.3.Paul Ricoeur
Dépassant les lectures « soupçonneuses » des marxistes, des freudiens ou des
structuralistes – lesquels tentent toujours de réduire le sens d’une œuvre (ou de notre culture
dans sa totalité) à une signification supposée dernière (qu’elle soit idéologique,
psychanalytique ou simple combinatoire) -, Ricoeur s’est voulu l’initiateur d’un nouvel art
d’interpréter, d’une nouvelle herméneutique attentive au déploiement pluriel de la parole
plutôt qu’à sa « déconstruction » (Derrida)37 ;
Fidèle à ses lectures de la phénoménologie husserlienne, Ricoeur commence par
s’interroger, dans les trois volets de sa philosophie de la volonté, sur l’essence même du
vouloir. Il décèle ainsi, dans la volonté, trois composants fondamentaux : le projet, l’exécution
et le consentement.
Dans l’acte volontaire, je me projette dans un monde qui me résiste, avec un corps qui
est lui-même indocile. Dans ce jeu du volontaire et de l’involontaire, je me découvre limité à
la fois par le monde et par mon propre projet qui m’oblige. En acceptant par mon
consentement ces limites, je les transforme en instruments de ma liberté. Mais l’analyse de la
volonté révèle qu’il y a loin entre vouloir et créer ; l’homme, déchiré entre le fini et l’infini,
est éminemment faillible. C’est cette faiblesse constitutive de l’homme qui rend le mal
possible38.
Or, Ricoeur montre que s’il est de l’essence de l’homme d’être faillible, l’expérience
33
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 418
34
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35
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36
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37
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38
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de la faute, comme réalité effective, demeure incompréhensible. Le mal, en tant qu’il est, non
pas simplement possible, mais réalisé, échappe à toute conceptualisation. Aussi le philosophe
doit-il s’en remettre aux langages de l’aveu et du mythe – les seuls langages, selon Ricoeur,
dans lesquels le mal parvient à se dire. C’est toute une symbolique du mal, en effet, que ces
récits mettent en jeu.
Dans le langage de l’aveu, par exemple, on trouve la symbolique élémentaire de la
souillure, du péché et de la culpabilité : les propos par lesquels l’homme avoue ses fautes
révèlent d’abord la hantise de la tâche, puis la crainte résultant de la rupture de l’alliance avec
Dieu, enfin la conscience de celui qui sait avoir commis une faute39.
C’est parce que le mal est ce qui menace toujours la pensée qu’il doit être lui-même pensé
avec la plus extrême exigence. Ricoeur, confronté au "scandale du mal », refuse de s’avouer
vaincu. D’abord il est possible, grâce aux symboles, de retracer la généalogie du mal. Mais ce
n’est là que le prélude à l’action. Comme le mal « se précède toujours lui-même », il faut se
poser en s’opposant à lui : « Le mal, c’est ce contre quoi nous luttons : en ce sens nous
n’avons pas d’autre relation avec lui que cette relation du contre ». L’agir éthique est donc
inséparable de la reconnaissance du mal40.
3.4.E. Husserl : éthique phénomélogique transcendantale
Contemporain de Bergson, Husserl, malgré certaines analogies, est bien différent de
lui : certes Husserl réclame, par-delà les concepts et les théories qui faussent l’énoncé des
problèmes, le retour « aux choses mêmes ». Il dit, comme Bergson, qu’il faut revenir aux
sources vivantes de l’intuition originaire. A certains égards, la phénoménologie dont Husserl
est le fondateur peut s’interpréter comme un appel aux « données immédiates de la
conscience ». En effet, dans le terme « phénoménologie », le mot « phénomène » ne signifie
pas (comme chez Platon et Kant) la simple apparence qui s’oppose à la vérité de l’être, ou du
« noumène » ; pour Husserl le phénomène est apparition, plutôt qu’apparence. Il est une
manifestation pleine de sens, et toute la philosophie consiste à élucider ce sens. Seulement,
tandis que le bergsonisme aboutit à une philosophie de la nature, Husserl voit finalement dans
toute connaissance l’activité d’un sujet pensant, d’un sujet transcendantal. Il se situe donc
dans la lignée de Descartes et surtout de Kant41.
Premièrement, Husserl a été un philosophe de la différence entre la « réduction
psychologique et réduction eidétique », y consistant à une critique du psychologisme
empiriste. Un philosophe empiriste comme Hume a sans doute raison de vouloir décrire
l’expérience telle qu’elle est vraiment donnée, mais il trahit finalement l’expérience au lieu de
la décrire. Expliquer le principe de causalité par la simple habitude que nous avons prise
d’attendre le retour des phénomènes dans un certain ordre, c’est réduire la causalité à un
mécanisme psychologique ; c’est nier la causalité en tant que vérité. C’est ôter tout sens
véritable à la causalité, c’est la disqualifier par ses origines. Or Husserl ne veut pas d’une
science qui disqualifie son objet ; à une philosophie de l’explication par l’origine, la
phénoménologie prétend substituer une élucidation du sens42.
Deuxièmement, Husserl a été un philosophe de « la mise entre parenthèses du monde »
où, en effet, nous savons, nous rappelant de R. Descartes, que c’est par le doute méthodique et
universel que Descartes s’efforce de nous arracher à l’objet pensé – toujours douteux – pour
nous révéler le sujet pensant, l’acte même de douter, dont l’existence est indubitable. Ce
moment du cogito est aussi présent aussi dans l’itinéraire husserlien,. Mais Husserl remplace
le doute cartésien par une attitude plus subtile, plus nuancée, qui est la simple « mise entre

39
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 422
40
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42
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parenthèses » du monde, ou époché (mot grec signifiant « suspension du jugement « ). Moins


radicale que le doute cartésien, la mise entre parenthèses du monde est aussi, d’une certaine
façon, plus radicale. Moins radicale puisqu’il ne s’agit pas, comme chez Descartes, de nier la
réalité du monde extérieur. Pours Descartes, l’affirmation de la substance n’est pas mise entre
parenthèses ; elle est seulement déplacée : le monde, dans la Deuxième Méditation, n’existe
plus, tandis que le moi se connaît comme chose pensante (res cogitans). Husserl, de son côté,
se contente de suspendre la « thèse générale de l’existence du monde », de la mettre hors
circuit. Il ne nie pas radicalement l’existence du monde extérieur43.
Mais le champ de cette mise entre parenthèses est finalement plus vaste que chez
Descartes. Non seulement, comme Descartes, Husserl met entre parenthèses l’affirmation de
la réalité substantielle des évidences eidétiques, c’est-à-dire des objets mathématiques eux-
mêmes, mais il se garde d’affirmer la substantialité de l’ego, de le définir comme une chose. Il
se garde aussi de fonder la valeur de la pensée sur l’être divin, évitant ainsi le fameux cercle
cartésien (la pensée me conduit à Dieu, lequel garantit la valeur de ma pensée). C’est pour ma
pensée qu’il y a l’idée de Dieu, et je ne peux savoir encore si c’est par Dieu que ma pensée
existe44.
Troisièmement, Husserl a été un philosophe de « l’intentionnalité de la conscience »
où il y est constaté que la mise entre parenthèses de toute existence substantielle est donc très
exactement une réduction phénoménologique, car mon expérience s’y trouve proprement
« réduite » à ce qui est donné, à ce qui apparaît, à ce qui se manifeste authentiquement. Mais
qu’est-ce qui est vraiment donné ? Est-ce, comme dans la Deuxième Méditation, le cogito
dans sa solitude insulaire ? Pas le moins du monde. Car je ne me saisis pas seulement comme
« moi pensant » ; je me saisis comme pensant quelque chose ; le cogito m’est donné avec son
cogitatum. Car il demeure vrai – à l’intérieur de la parenthèse phénoménologique – que je
pense quelque chose. Toute conscience, dit Husserl, est « conscience de quelque chose ».
Toute conscience vise un objet, et c’est cette visée que Husserl appelle, à la suite de Frantz
Brentano, l’« intentionnalité ». Quant à l’objet visé, il n’est pas autre chose qu’un objet pour
la conscience, qu’un objet relatif à la visée intentionnelle de la conscience45.
Quatrièmement, enfin, Husserl a été un philosophe de l’« intersubjectivité » où
Husserl pose un problème capital que Descartes et Kant avaient ignoré dans leur théorie de la
connaissance : c’est le problème d’autrui. De même que toute conscience est conscience de
quelque chose, de même notre conscience reconnaît l’existence d’autres consciences dans une
expérience originaire de coexistence, que Husserl appelle l’intersubjectivité. L’alter ego
(l’autre moi) est donné à notre expérience comme est donné l’objet transcendant de nos visées
intentionnelles. Pas de la même façon cependant, puisque l’objet externe est objet pour notre
conscience, simple corrélat de notre visée, tandis qu’autrui n’est pas seulement celui que je
vois, mais celui qui me voit, et lui aussi source transcendantale d’un monde qui lui est donné.
D’où les difficultés propres à la constitution d’une phénoménologie intersubjective46.
3.5. M. Heidegger : éthique ontologique-phénoménologique-herméneutique
et « praxéologique »
C’est une éthique qui prend ses marques à la Fin du XIXe siècle, avec Heidegger où
43
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 296
44
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45
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46
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 297. On ne
peut parler d’aucune difficulté à fonder une phénoménologie intersubjective, dans la mesure où toute l’entreprise
de Heidegger a non seulement consisté à ne pas « transcendantaliser » la phénoménologie, mais au contraire à
l’« herméneutiser »,pour bâtir ainsi à partir du Dasein présenté dorénavant comme Mit-sein, justement cette
phénoménologie intersubjective où le moi comme l’autre moi sont des Mit-welt, c’est-à-dire des « êtres-au-
monde ».
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l’éthique quitte toute dimension morale pour prendre les traits de la vérité de l'Être (comme
l’auteur l’explique très bien dans son ouvrage intitulé « Brief über den Humanismus » (Lettre
sur l'humanisme).
Penseur allemand, en tout cas le plus réputé après Kant, Hegel, Marx et Nietzsche,
disciple de Husserl, Heidegger (1889-1976), s’est constamment proposé de renouveler la
signification de l’ontologie. Mais le point de départ sera anthropologique : l’ontologie doit
commencer avec l’analyse de l’homme, car l’homme est ce qu’il y a de plus proche de nous,
et surtout il est le seul « étant » qui fait la compréhension de soi-même. C’est lui seul qui peut
s’interroger sur son être. Toute chose est référée à l’homme, tout sens est sens pour
quelqu’un. Heidegger appelle l’homme le Dasein, « l’être-là » humain, non pas sous son
aspect corporel, ni comme simple sujet de connaissance, mais comme sujet de l’expérience
vécue47.
Et cet homme est « déjà dans le monde ». L’être-dans-le-monde » (In-der-Welt-sein)
est un mode fondamental de l’homme. De même, la Befindlichkeit est le fait de se-retrouver-
là, état affectif qui place l’homme devant la nudité de sa condition originelle. La
« déréliction » (Geworfenheit) consiste en ce que l’homme est jeté et abandonné dans une
existence qui lui a été imposée. C’est sur ce fondement de l’être-dans-le-monde que le Dasein
peut nouer des relations avec son monde-ambiant (Umwelt)48.
Le Dasein sait qu’il est fini, menacé par la mort, et il en éprouve de l’angoisse. Cette
angoisse est nourrie par le fait qu’il est jeté dans un monde d’objets hostiles. Et, il y a deux
façons de venir à bout de ce savoir angoissant :
1°L’existence inauthentique (Uneigentlichkeit) est la vie dans la banalité quotidienne
et sous la dictature du « on ». La mort y est dissimulée sous l’anonymat, les bavardages, les
soucis au jour le jour. Telle est l’ « tonnante tristesse », selon le mot de Gabriel Marcel, d’un
monde inauthentique49.
2°L’existence authentique (Eigentlichkeit) n’élude pas le savoir de la mort. Elle est
conscience de notre absolue solitude et de l’irréductibilité de l’existence humaine. Celle-ci va
se sentir obligée de réaliser ses propres possibilités, par un engagement responsable. En outre,
l’existence authentique éprouve un sentiment de culpabilité. La conscience morale est ce
pouvoir d’interpellation radicale qui s’adresse à nous lorsque nous sommes perdus dans les
divertissements mondains ; interpellation qui ne se laisse pas esquiver, mais qui ne dit rien
sinon que je suis invité à me reconnaître coupable, même si je n’ai pas agi. L’aveu de la
culpabilité, rejetant toute illusion mondaine, accule désormais le Dasein à ses possibilités les
plus propres. Il s’agit pour lui de se rendre libre pour la mort, il s’agit d’une incessante
anticipation de la mort. Contre l’ivresse de la réalisation cela nous révèle l’inanité profonde de
toute entreprise. L’existence authentique s’aperçoit que la « vie est souci » (Leben ist Sorge) :
il faut entendre par là), non point les soucis quotidiens, mais un souci essentiel50.
Malheureusement, il est difficile de se maintenir dans l’existence authentique. Car
c’est dans la banalité quotidienne que nous nous attardons auprès du monde : or c’est là une
« déchéance ». Pour le comprendre, partons de cette fonction humaine qui nous ouvre le
monde. Cette fonction n’est pas intellectuelle, mais existentielle. C’est notre intérêt vital,
pratique, qui seul nous permet un débat avec le réel. Le monde est dès lors le corrélat du
Dasein pragmatique et préoccupé. Une phrase comme le « marteau est lourd » montre que
47
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 329
48
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 330
49
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 330
50
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 330
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c’est le souci et non l’intuition qui nous ouvre le monde.


Heidegger appelle l’objet « Zuhanden » (ce qui est en mains, ce qui révèle ses
propriétés grâce à la manipulation). L’objet ne porte pas son sens en lui-même ; son sens est
d’être utilisable de quelque façon par l’homme. Le Dasein n’est pas le découvreur de ce qui
serait déjà là : il fonde le monde par son contact avec un « étant ». Tout en se défendant de
rejoindre le pragmatisme américain, Heidegger porte à l’absolu le côté pratique des choses ; il
accordera une portée métaphysique à la « technique planétaire ».
De même que l’idéalisme allemand proclamait le sujet créateur, ici le Dasein est
« fondateur », « donateur de sens ». Il ne faut pas croire que le Dasein appréhende les choses
une à une : cela n’aboutirait qu’à un tourbillon chaotique. Il vise le tout, le monde comme
totalité. Mais alors, si ce sont les actes du sujet qui « fondent » le monde et lui donnent un
sens, le monde n’est pas, il devient : il n’est pas fondé en une seule fois, il faut sans cesse un
nouvel acte du Dasein, une nouvelle prestation de sens. C’est pourquoi le monde devient
toujours autre, comme les intérêts changeants de l’homme. Ainsi le monde, et l’objet sont
quelque chose de mouvant et d’instable51.
Plutôt que de l’espace et du temps, le phénoménologue parlera de spatialité et de
temporalité. Le Dasein est spatialisant : il assigne à l’objet sa place à l’intérieur du tout ; il le
rapproche ou l’éloigne ; il anéantit la distance des choses en s’en rendant familier. Il
« occupe » l’espace, il le hachure de trajets. Ce n’est pas l’espace qui est premier, mais les
relations spatiales de l’homme avec le monde : telle est la spatialité du Dasein, qualification
du Dasein et non du monde. Il ne s’agit pas de l’espace du géomètre, mais de l’espace vécu,
limité, qualitativement différencié. L’espace homogène et infini de la physique classique est
le résultat d’un nivellement, d’une méconnaissance de sa structure anthropologique. La
science produit une « déréalisation » du monde (Entweltung) : l’attitude théorique n’aboutit
qu’à un morcelage abstrait du réel, elle ne peut pénétrer le sens propre de l’être. Cette
condamnation est l’expression d’une crise de la science52.
De même, le temps n’est plus un milieu vide dans lequel nos vies auraient à s’insérer.
La fonction propre de l’homme est de ne jamais être à court de la naissance du temps. « Il y a
un monde en tant que le Dasein se temporalise. ». Du fait même qu’il existe, l’homme se
transcende vers l’avenir : exister, c’est se soucier, c’est se projeter ; nous sommes toujours en
avant de nous-mêmes. Le souci est essentiellement « à venir » ; or seule la temporalité rend
possible le souci. Il ne s’agit donc pas du temps purement quantitatif et mesurable de la
physique classique : la temporalité est qualitative. Ni la durée de Bergson, qui appartient à
toute la nature : la temporalité n’appartient qu’à l’homme, tendu de la naissance vers la mort.
Puisque l’homme se hâte dans le présent, élabore des plans pour l’avenir, est un « être-pour-
la-mort », c’est à partir du futur qu’il faut concevoir la temporalité. Si l’homme oublie que
celle-ci est issue de lui, c’est du fait de sa chute dans la banalité quotidienne, dans le temps du
« on », dans le temps public53.
Notre vie ne se contente nullement de remplir un cadre temporel préétabli. En tant que
souci, elle est « ex-tensive de soi-même ». C’est cette mobilité spécifique de l’ex-tensivité que
Heidegger appelle l’historial (Geschechen) de l’existence humaine. L’historial n’a rien à voir
avec un devenir naturel, il marque « la structure absolument propre de l’existence-humaine
qui, réalité transcendante et réalité révélante, rend possible l’historicité d’un monde ».
L’historial permet de comprendre ce qu’est vraiment l’Histoire (Geschichte) que font les

51
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, pp. 330-331
52
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 331
53
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 331
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hommes, car la solution n’en sera pas donnée par l’épistémologie de la science historique
(Historie). Le Dasein n’est pas temporel parce qu’il « se trouve dans l’histoire » ; au
contraire, il n’existe et ne peut exister qu’historiquement, c’est qu’il est « temporel dans le
fond de son être ». Dans l’histoire, le mode de l’existence authentique est la « décision résolue
qui anticipe ». C’est dire que l’histoire est un aménagement du passé en vue de l’avenir54.
Le Dasein, en sa temporalité est le point ultime de référence, le principe de tout ce qui
a du sens, le seul « étant » qui en soi ait du sens. Il se comprend par lui-même, par contraste
avec le néant, avec la mort, comme le bien le plus précieux. Pourtant – et Heidegger le
soulignera de plus en plus – l’homme est investi par l’être, pris dans ses filets. Mais il
l’oublie : depuis Descartes nous sommes coupables d’un « tragique oubli de l’Être ». Il nous
arrive de confondre l’ « être » avec les « étants » (les roches, les plantes, les bêtes). Mais
l’Être » n’est pas un objet ; il n’est pas Dieu, qui, s’il existait, serait « ‘l’Etant suprême ». Il
semble que l’homme ne peut pas plus se passer de l’ « Être » que « l’Être » ne peut se passer
de l’homme : « l’homme est le berger de l’ « Être »55.
C’est une propriété du Dasein que l’Être lui est ouvert. En effet la vérité, c’est, selon
l’étymologie grecque (a-lètheia) une « dé-couverture » ou découverte de ce qui était caché.
Mais d’où vient que le Dasein soit découvrant ? C’est qu’il est « ouvert à l’Être ». Ouvert à
l’Être transcendant qui l’éclaire, il est ontologiquement dans la vérité. Parce que nous sommes
ouverts à l’Être, nous avons vocation pour la vérité. « L’homme est celui qui peut s’éprendre
de la vérité. » Heidegger emploie parfois la formule « la vérité, autrement dit l’Être ». Or,
c’est une thèse constante chez lui que l’œuvre d’art a pour fin de révéler d’une certaine
manière la vérité. Mais la vérité de l’art n’est pas absolument première : elle se fonde déjà sur
l’identité de la Vérité et de l’Être (défini comme Ouverture et Lumière).
A cet égard, Heidegger insistera sur la poésie comme origine de l’œuvre d’art et de
toute œuvre. La poésie est expression originelle ; elle accomplit la relation de l’Être à
l’essence de l’homme par le langage. « L’essence de la poésie » est donc de fonder la vérité,
au sens où Hölderlin disait que « ce qui demeure, ce sont les poètes qui le fondent ».
Heidegger s’est de plus en plus occupé de la poésie et du langage en général (cfr.
Acheminement vers la parole)56.
3.6. J-P. Sartre : éthique existentialiste-humaniste
S’inspirant plus de Descartes que de Heidegger, dont il affirme pourtant en être
disciple, Sartre intercale une différence radicale entre essence et existence et affirme que cette
existence sur laquelle la philosophie s’interroge est d’abord mon existence ; les choses
existent, mais elles l’ignorent ; elles sont « en-soi » et non « pour-soi ». Tandis que le propre
d’une chose est d’être ce qu’elle est, tout simplement, l’homme est ce qu’il n’est pas et n’est
pas ce qu’il est. Il est toujours, par ses projets, au-delà de toute situation et toujours, par sa
conscience, au-delà de lui-même. Tandis que la chose « est », l’homme « existe », c’est-à-dire
échappe toujours à ce qu’il est, indéfiniment se renouvelle57.
L’existence, proclame Sartre, précède l’essence. Ce stylo-feutre vert dont je me sers
existe évidemment. Mais avant d’exister, il a été imaginé, conçu, dessiné peut-être par
quelque ingénieur. Construit selon un modèle et pour un usage précis, ce stylo a été un projet,
une idée, bref une essence avant d’être une existence. Mais moi, homme, j’existe tout
simplement. Ma personnalité n’est pas construite sur un modèle dessiné d’avance et pour un
54
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 332
55
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, p. 332
56
DUMAS Jean-Louis, La phénoménologie et les existentialismes, in Histoire des grandes philosophies,
Edouard Privat, Toulouse, 1980, pp. 332-333
57
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996, p. 320
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but précis. Tous les objets sont relatifs à l’usage que l’homme en fait, mais l’homme n’est
objet ni l’outil de personne. Le stylo est pour l’écrivain, non l’écrivain pour le stylo58 !
Le néant est la non-coïncidence de l’homme avec soi-même, cette constante séparation
d’avec ce que nous sommes que Sartre appelle le « néant ». L’homme est néant en ceci
précisément qu’elle n’est pas, mais plutôt sans cesse est à faire. Voilà pourquoi
l’existentialisme sartrien est avant tout une philosophie de la liberté. Certes, tout homme est
« en situation » : il a un corps, un passé, des amis ou des ennemis, des obstacles à franchir,
des problèmes vitaux à résoudre. Mais on ne peut pas dire que les situations dans lesquelles
l’homme se trouve « déterminent » sa conduite. En projetant mes intentions, mes visées
d’avenir sur la situation actuelle, c’est moi qui, librement, transforme celle-ci en motif
d’action. Ce sont mes libres projets qui donnent une signification aux situations. Le monde
n’est jamais que le miroir de ma liberté59.
Ajoutons que cette liberté est absolue. Sujet en situation, toujours déjà « embarqué »,
comme disait Pascal, je ne puis jamais éluder le choix, je suis donc totalement responsable de
tout ce qui m’arrive. Et je ne choisis pas seulement ma vie ; je choisis encore les principes et
les valeurs qui fondent mes choix60.
Quant à l’« existentialisme intersubjectif »61, il s’étale entre la question de « l’autre et
le regard d’autrui», où ma liberté est sans cesse menacée par le regard de mon alter ego, celui
qui n’est pas moi. Le danger vient au premier chef d’autrui, de cet autre qui me fait être par le
regard qu’il pose sur moi. Prolongeant la « dialectique du maître et de l’esclave » de Hegel,
Sartre montre que l’homme est fondamentalement un être-pour-autrui. Autrement dit l’autre
est la condition, et le moyen de ma propre reconnaissance ; il est « le médiateur indispensable
entre moi et moi-même ». Mais en me constituant comme sujet, le regard de l’autre me fige et
me « réifie » (littéralement, me transforme en res, en « chose »). Au premier coup d’œil,
l’autre m’évalue, me juge, m’enferme dans une essence (« il est jeune » ; « elle est belle » ;
« il est vieux » ; « elle est laide », etc.) – une essence dans laquelle je risque fort de
m’engluer, si je ne réagis pas, si je n’affirme pas clairement la primauté de mon existence62.
Ainsi la rencontre d’autrui s’effectue toujours, chez Sartre, sur le mode du conflit. Dès
que je suis vu par un autre, je suis ravalé au niveau des objets : « Ma chute originelle c’est
l’existence de l’autre ». Celui qui se laisse choir entre en représentation ; devançant les
attentes d’autrui, il va « jouer » à être celui que les autres voudraient qu’il soit. C’est la
« mauvaise foi » du garçon de café que Sartre décrit dans l’Être et le Néant. Celui qui refuse
d’assumer sa liberté et qui fuit ses responsabilités est condamné à se comporter comme un
automate – chose parmi les choses63.

58
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 320
59
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,pp. 320-321
60
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 321
61
Mon expression prêtée à Sartre, donc !
62
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 321
63
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p 321
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Deuxième section
Ethique philosophique appliquée

1.Karl Marx et l’Ethique matérialiste historique64


Le matérialisme historique, ou conception matérialiste de l'histoire, est une méthode
marxiste d'analyse de l'histoire, dans une perspective matérialiste. Elle induit l’idée, présente
dans les écrits de Karl Marx et Friedrich Engels, que les événements historiques sont
influencés par les rapports sociaux, en particulier les rapports entre classes sociales, donc par
la situation réellement vécue par les êtres humains. Cette conception accorde une part
essentielle à l'économie dans les transformations du monde.
Maximilien Rubel définit la conception matérialiste de l'histoire comme un
« instrument de connaissance et d'explication de la réalité sociale et historique ». Le
matérialisme historique apparaît à la fois comme une vue économique de l'histoire et comme
une vue historique de l'économie: il participe de la philosophie de Marx et Engels en exposant
comment la production des moyens d'existence a bouleversé la place de l'homme dans la
nature. Faisant partie intégrante de l'école dite du socialisme scientifique, il constitue le
versant sociologique du marxisme.
1.1.Sa définition originelle
Karl Marx et Friedrich Engels entreprennent de bâtir une conception cohérente de
l'histoire alors qu'ils rédigent, en 1845-1846, L'Idéologie allemande. L'ouvrage reste
longtemps inédit et n'est publié dans sa version intégrale qu'en 1932. L'effet de cette réflexion,
qui aboutit à l'exposé des principes fondamentaux de la conception matérialiste de l'histoire,
se ressent cependant dès lors sur les œuvres postérieures, dès l'époque de la rédaction du
Manifeste du Parti communiste. Marx rompt avec les conceptions « idéalistes » du
mouvement historique que l'on trouve chez Hegel et Proudhon ; lui-même n'emploie pas le
terme de « matérialisme historique », mais l'expression de « conception matérialiste de
l'histoire ». En 1859, Marx fait précéder le premier fascicule de sa Contribution à la critique
de l'économie politique d'un avant-propos dans lequel il détaille ce qui sert de « fil
conducteur » à ces travaux : dans ce texte, il résume ce qui prend par la suite le nom de
« matérialisme historique ». L'expression elle-même est créée par Engels en 1892.
L'idée fondamentale de Marx est que « Les hommes font leur propre histoire, mais ils
ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions
directement données et héritées du passé. »

64
Cf. OSONGO-LUKADI A-D, Cours de Philosophie de l’histoire (à l’attention de G2 et G3, Faculté de
Philosophie), Université Saint Augustin de Kinshasa, année académique 2017-2018.
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1.2.Vision des sociétés


La conception matérialiste de l'histoire cherche à analyser les causes des
développements et des changements qui s'opèrent dans les sociétés. Une importance est
notamment donnée aux conditions d’existence réelle des êtres humains, aux rapports entre les
classes sociales, et à leur influence sur les évolutions historiques.
L'évolution de chaque mode de production s'est déroulée de manière dramatique, sous
le signe de conflits multiples et de l'exploitation de l'homme par l'homme. Dans l'optique
marxiste, la lutte des classes, que Marx et Engels considèrent comme la clé de l'économie
politique, est le principal moteur du déroulement de l'histoire : structurante, générale, elle
existe dans toutes les sociétés et prend une forme particulière dans la société capitaliste, où
elle oppose le prolétariat à la bourgeoisie.
Ce rôle de moteur de l'Histoire est résumé ainsi dans le Manifeste du Parti
communiste: « L’histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes de classes »
(même si une note d'Engels nuance ce propos). Selon André Piettre, dans la perspective
marxiste, les rapports économiques évoluent selon une dialectique de rapports de force,
suivant la lutte perpétuelle des puissants et des faibles, les premiers exploitant les seconds :
l'histoire n'est pas menée par le mouvement des idées, mais en premier lieu par les données
matérielles et leurs luttes intestines. Selon Anton Pannekoek, « le matérialisme historique
retourne aux causes d’où proviennent ces idées : les besoins sociaux qui sont déterminés par
les formes de la société ».
Dans la perspective du matérialisme historique, l'histoire résulte du lien que les
hommes entretiennent avec la nature : dès lors que le premier outil est créé, la transformation
du milieu naturel débute. L'histoire commence vraiment lorsque des changements culturels
résultent de la création de l'outil, qui était initialement destiné à répondre à des besoins
sociaux élémentaires. L'évolution culturelle des sociétés humaines est donc indissociable de
son environnement technique, et par conséquent du développement de ses structures
économiques et sociales.
Dans la société humaine les individus entrent dans des rapports déterminés, qui sont
des rapports sociaux, dont ils ne peuvent se séparer et dont dépend leur existence : ces
rapports ne sont pas créés par leur conscience, mais constituent l'être social de chaque
individu (« Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la
conscience », selon Marx), l'homme est le produit de son milieu. Les hommes produisent leur
vie, dépassant par là le stade de la vie animale (naturelle) sans pour autant pouvoir s'affranchir
totalement de leur rapport à la nature : les rapports fondamentaux de toute société sont donc
les rapports de production, qui constituent sa structure essentielle. Les rapports de production
sont constitués de trois facteurs ou éléments : les conditions naturelles, les techniques, et enfin
l'organisation et la division du travail social (salariat, esclavage, servage…).
Les forces productives regroupent les prolétaires (les travailleurs, le travail direct) et le
capital (la machine, l'outil, le travail indirect, le capital constitue les forces productives
matérielles). Les rapports de production ont tendance à la conservation tandis que les forces
productives matérielles sont en constante évolution du fait du progrès technique. Les rapports
de production deviennent ainsi un frein à l'Histoire et doivent être modifiés afin de permettre
sa bonne marche. Un bouleversement de ces rapports de production peut signifier la
domination officieuse d'abord d'une nouvelle classe (la classe bourgeoise contrôle de facto la
vie économique des différents pays européens dès le XVIIe siècle), pour ensuite se traduire
par une domination officielle et politique de cette nouvelle classe. La révolution française est
considérée comme une révolution bourgeoise par Marx, parce qu'elle renverse la féodalité et
la domination de l'aristocratie et préfigure la domination de la classe bourgeoise et
l'avènement de l'âge du salariat.
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La société est donc comparable à un édifice dont l'infrastructure, ou le soubassement,


est représenté par les forces économiques, l'activité de production et tout ce qui gravite
autour ; tandis que la superstructure (soit l'édifice lui-même) correspond aux idées, aux
mœurs, aux institutions politiques, religieuses, etc. Aux superstructures politiques et
juridiques correspondent des états déterminés de la conscience individuelle. En somme la
superstructure est l'ensemble des idées et des institutions qui viennent justifier l'infrastructure.
C'est une culture de classe qui est transmise au peuple et qui permet de pérenniser les formes
de l'activité de production, d'asseoir la domination de la classe en question et de justifier
l'ordre des choses. Antonio Gramsci consacrera plus tard une grande partie de son travail à
l'analyse de cette superstructure.
La société comprend donc trois éléments, les forces productives, les modes de
production, et la superstructure. Ces éléments sont distincts, bien que liés, et se trouvent en
interaction et en conflits incessants : chaque mode de production est poussé, à travers les
contradictions, les conflits et les interactions de facteurs complexes, vers sa croissance, son
apogée puis son déclin. Les forces productives, à chaque moment de leur croissance,
fournissent la base sur laquelle s'établissent les rapports de production ; c'est sur cette même
base que s'élabore la superstructure sociale.
La conception matérialiste de l'histoire cherche à analyser les causes des
développements et des changements qui s'opèrent dans les sociétés. Une importance est
notamment donnée aux conditions d’existence réelle des êtres humains, aux rapports entre les
classes sociales, et à leur influence sur les évolutions historiques.
L'évolution de chaque mode de production s'est déroulée de manière dramatique, sous
le signe de conflits multiples et de l'exploitation de l'homme par l'homme. Dans l'optique
marxiste, la lutte des classes, que Marx et Engels considèrent comme la clé de l'économie
politique, est le principal moteur du déroulement de l'histoire : structurante, générale, elle
existe dans toutes les sociétés et prend une forme particulière dans la société capitaliste, où
elle oppose le prolétariat à la bourgeoisie.
Ce rôle de moteur de l'Histoire est résumé ainsi dans le Manifeste du Parti
communiste: « L’histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes de classes »
(même si une note d'Engels nuance ce propos). Selon André Piettre, dans la perspective
marxiste, les rapports économiques évoluent selon une dialectique de rapports de force,
suivant la lutte perpétuelle des puissants et des faibles, les premiers exploitant les seconds :
l'histoire n'est pas menée par le mouvement des idées, mais en premier lieu par les données
matérielles et leurs luttes intestines. Selon Anton Pannekoek, « le matérialisme historique
retourne aux causes d’où proviennent ces idées : les besoins sociaux qui sont déterminés par
les formes de la société ».
Dans la perspective du matérialisme historique, l'histoire résulte du lien que les
hommes entretiennent avec la nature : dès lors que le premier outil est créé, la transformation
du milieu naturel débute. L'histoire commence vraiment lorsque des changements culturels
résultent de la création de l'outil, qui était initialement destiné à répondre à des besoins
sociaux élémentaires. L'évolution culturelle des sociétés humaines est donc indissociable de
son environnement technique, et par conséquent du développement de ses structures
économiques et sociales.
Dans la société humaine les individus entrent dans des rapports déterminés, qui sont
des rapports sociaux, dont ils ne peuvent se séparer et dont dépend leur existence : ces
rapports ne sont pas créés par leur conscience, mais constituent l'être social de chaque
individu (« Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la
conscience », selon Marx), l'homme est le produit de son milieu. Les hommes produisent leur
vie, dépassant par là le stade de la vie animale (naturelle) sans pour autant pouvoir s'affranchir
totalement de leur rapport à la nature : les rapports fondamentaux de toute société sont donc
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les rapports de production, qui constituent sa structure essentielle. Les rapports de production
sont constitués de trois facteurs ou éléments : les conditions naturelles, les techniques, et enfin
l'organisation et la division du travail social (salariat, esclavage, servage…).
Les forces productives regroupent les prolétaires (les travailleurs, le travail direct) et le
capital (la machine, l'outil, le travail indirect, le capital constitue les forces productives
matérielles). Les rapports de production ont tendance à la conservation tandis que les forces
productives matérielles sont en constante évolution du fait du progrès technique. Les rapports
de production deviennent ainsi un frein à l'Histoire et doivent être modifiés afin de permettre
sa bonne marche. Un bouleversement de ces rapports de production peut signifier la
domination officieuse d'abord d'une nouvelle classe (la classe bourgeoise contrôle de facto la
vie économique des différents pays européens dès le XVIIe siècle), pour ensuite se traduire
par une domination officielle et politique de cette nouvelle classe. La révolution française est
considérée comme une révolution bourgeoise par Marx, parce qu'elle renverse la féodalité et
la domination de l'aristocratie et préfigure la domination de la classe bourgeoise et
l'avènement de l'âge du salariat.
La société est donc comparable à un édifice dont l'infrastructure, ou le soubassement,
est représenté par les forces économiques, l'activité de production et tout ce qui gravite
autour ; tandis que la superstructure (soit l'édifice lui-même) correspond aux idées, aux
mœurs, aux institutions politiques, religieuses, etc. Aux superstructures politiques et
juridiques correspondent des états déterminés de la conscience individuelle. En somme la
superstructure est l'ensemble des idées et des institutions qui viennent justifier l'infrastructure.
C'est une culture de classe qui est transmise au peuple et qui permet de pérenniser les formes
de l'activité de production, d'asseoir la domination de la classe en question et de justifier
l'ordre des choses. Antonio Gramsci consacrera plus tard une grande partie de son travail à
l'analyse de cette superstructure.
La société comprend donc trois éléments, les forces productives, les modes de
production, et la superstructure. Ces éléments sont distincts, bien que liés, et se trouvent en
interaction et en conflits incessants : chaque mode de production est poussé, à travers les
contradictions, les conflits et les interactions de facteurs complexes, vers sa croissance, son
apogée puis son déclin. Les forces productives, à chaque moment de leur croissance,
fournissent la base sur laquelle s'établissent les rapports de production ; c'est sur cette même
base que s'élabore la superstructure sociale.
2.H. Jonas : éthique de la responsabilité
À l'apogée du XXe siècle et à l'aube du XXIe siècle se développe l'éthique appliquée en
rapport avec de nouvelles préoccupations environnementales et sociétales. C'est à travers la
déontologie que s'établissent les codes de comportements au sein de la gouvernance et des
activités professionnelles.
H. Jonas part du constat suivant : l’éthique traditionnelle, fondée sur la simultanéité
(l’impératif éthique ne concerne que le présent) et sur la réciprocité (égalité des droits et de
devoirs entre des sujets libres et égaux), n’est pas adaptée à un monde dont la survie n’est
même plus garantie. La technique, en effet, échappe progressivement au contrôle de l’homme
et comporte des effets néfastes à long ou à très long terme (pollution, déchets industriels ou
atomiques). Mais l’agir technologique menace également l’homme lui-même : il est
désormais possible de modifier son comportement (en lui faisant absorber des drogues) et de
manipuler son patrimoine génétique.
La nature, ainsi que l’homme, sont donc aujourd’hui dans une situation extrêmement
précaire. Jonas compare cet état à celui d’un nourrisson vulnérable et sans défense, dont la vie
est entre les mains de ses parents. Or, dans les soins que les parents prodiguent à leurs enfants,
il n’est question ni du présent (c’est bien leur avenir qui est en jeu) ni de la réciprocité (les
parents n’élèvent pas leurs enfants en vue d’en recevoir un quelconque bénéfice en retour).
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C’est la conscience aiguë qu’ils ont de leur responsabilité qui fait agir les parents65.
Face à une nature et à une humanité fragilisées, Jonas préconise que nous adoptions le
« Principe responsabilité », en intégrant dans nos actions présentes le souci de préserver la vie
de nos descendants. A l’impératif kantien, il substitue cet impératif catégorique, qui intègre la
responsabilité que nous avons tous à l’égard de l’avenir de la planète et de l’homme : « Agis
de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie
authentiquement humaine sur terre ». Ce n’est plus l’amour, ou le respect, qui fonde l’éthique,
mais le maintien, sur la terre, d’une vie qui ne va plus de soi, qui a cessé d’être une donnée
naturelle66.
Au final, c’est la réconciliation, de l’éthique et de l’ontologie que vise Jonas. Car en
disant que l’être doit être, simplement parce qu’il est, il pose l’identité de l’être et du devoir-
être. C’est bien parce que l’humanité est qu’elle doit se survivre à elle-même et que nous
avons, pendant notre bref passage sur terre, la responsabilité de tout faire pour qu’elle ne
s’éteigne jamais67.
En effet, avec la parution en 1979 de Das Prinzip Verantwortung, les bases d’une
nouvelle éthique sont jetées. A la différence de la responsabilité juridique, la responsabilité
trouve maintenant sa source dans le futur (« pour ce qui est à faire », Jonas, 1993, p.132) et
non plus dans des obligations passées ou présentes. L’origine de ce changement d’éthique
réside dans les menaces issues de la puissance de la technologie engendrée par l’homme. La
limitation de l’agir humain résulte de l’obligation que nous avons à l’égard de l’avenir qui
nous oblige à être responsable aujourd’hui.
H. Jonas part du constat suivant : l’éthique traditionnelle, fondée sur la simultanéité
(l’impératif éthique ne concerne que le présent) et sur la réciprocité (égalité des droits et de
devoirs entre des sujets libres et égaux), n’est pas adaptée à un monde dont la survie n’est
même plus garantie. La technique, en effet, échappe progressivement au contrôle de l’homme
et comporte des effets néfastes à long ou à très long terme (pollution, déchets industriels ou
atomiques). Mais l’agir technologique menace également l’homme lui-même : il est
désormais possible de modifier son comportement (en lui faisant absorber des drogues) et de
manipuler son patrimoine génétique.
La nature, ainsi que l’homme, sont donc aujourd’hui dans une situation extrêmement
précaire. Jonas compare cet état à celui d’un nourrisson vulnérable et sans défense, dont la vie
est entre les mains de ses parents. Or, dans les soins que les parents prodiguent à leurs enfants,
il n’est question ni du présent (c’est bien leur avenir qui est en jeu) ni de la réciprocité (les
parents n’élèvent pas leurs enfants en vue d’en recevoir un quelconque bénéfice en retour).
C’est la conscience aiguë qu’ils ont de leur responsabilité qui fait agir les parents68.
Face à une nature et à une humanité fragilisées, Jonas préconise que nous adoptions le
« Principe responsabilité », en intégrant dans nos actions présentes le souci de préserver la vie
de nos descendants. A l’impératif kantien, il substitue cet impératif catégorique, qui intègre la
responsabilité que nous avons tous à l’égard de l’avenir de la planète et de l’homme : « Agis
de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie
authentiquement humaine sur terre ». Ce n’est plus l’amour, ou le respect, qui fonde l’éthique,
mais le maintien, sur la terre, d’une vie qui ne va plus de soi, qui a cessé d’être une donnée
naturelle69.
Au final, c’est la réconciliation, de l’éthique et de l’ontologie que vise Jonas. Car en
disant que l’être doit être, simplement parce qu’il est, il pose l’identité de l’être et du devoir-
65
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 425
66
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 425
67
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 425
68
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 425
69
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 425
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être. C’est bien parce que l’humanité est qu’elle doit se survivre à elle-même et que nous
avons, pendant notre bref passage sur terre, la responsabilité de tout faire pour qu’elle ne
s’éteigne jamais70.
3.T.W. Adorno
Apparemment, tout oppose les idéaux des Lumières avec la barbarie qui s’est abattue
sur l’Europe au milieu du 20è siècle. Apparemment, le nazisme, le fascisme et le stalinisme
sont la négation même des principes de liberté et de tolérance proclamés par la Révolution,
française…Apparemment seulement car, selon Adorno et Horkheimer, les totalitarismes
contemporains sont les enfants naturels de la philosophie des Lumières ! Thèse surprenante,
mais que les auteurs de la Dialectique de l’Aufklärung vont augmenter pas à pas71.
Leur idée est que la raison devient, au siècle des Lumières, un instrument au service de
la conquête conjointe de la nature et de l’homme. A partir du 18è siècle en effet, la raison
prétend se substituer au mythe, s’est elle-même transformée en mythologie. Armée du
concept, elle tend à objectiver toujours davantage la nature et, d’un outil de savoir, elle est
devenue un instrument de maîtrise.
Ainsi, détournée de ses objectifs premiers (libérer l’individu de toutes les servitudes
qui pesaient sur lui), la raison s’est muée en puissance d’aliénation et de domination.
L’individu, lui-même réifié (transformé en chose) par la raison, est pris dans les filets de
l’économie marchande.
La société post-industrielle, née des exigences de la raison, a tué l’élan émancipateur
dont elle procédait pourtant. Régies par des froids technocrates, administrés par des
bureaucrates tatillons, nos sociétés dissolvent progressivement les sujets individuels dans des
macrosystèmes dont le totalitarisme moderne n’est que l’ultime point d’aboutissement72.
4.Jürgen Habermas
C’est l’éthique qu’on peut trouver dans La Théorie de l’agir communicationnel (1981)
est la monumentale publication de Habermas. Il s’y est distingué par la distinction de deux
types d’agir l’l’un stratégique et l’autre communicationnel. L’agir stratégique est celui par
lequel on cherche à exercer une certaine influence sur l’autre (procédé mis en œuvre par la
publicité ou le discours de propagande politique), et l’agir communicationnel, est celui par
lequel on cherche simplement à s’entendre avec l’autre, de façon, à interpréter ensemble la
situation et à s’accorder mutuellement sur la conduite à tenir73.
Habermas est ainsi conduit à s’interroger sur les conditions de l’intercompréhension
dans le processus de communication. Partant du constat que tout locuteur se réfère à un au-
delà du discours (le monde vécu) qui n’est pas nécessairement partagé par l’auditeur, et que
ce qui est compris par l’auditeur est au fond plus important que ce qui est dit par le locuteur,
Habermas a mis au point une « éthique de la discussion », afin de garantir entre le locuteur et
l’auditeur une authentique compréhension mutuelle. Ainsi, pour que mon énoncé soit digne de
figurer dans un procès d’intercompréhension, il faut qu’il soit sensé, qu’il soit compréhensible
pour mes interlocuteurs, qu’il n’exprime ni autorité, ni intimidation, ni menace (sinon l’on
retombe dans l’agir stratégique) et qu’en dernier ressort, il soit susceptible d’être admis par
chacun et par tous comme étant valable. Ici se dessine un modèle démocratique du consensus,
modèle que prescrit la « raison communicationnelle » quand on l’applique au domaine du
politique. Habermas espère ainsi sortir la démocratie des ornières dans lesquelles le complexe
technico-scientifique l’a fait tomber74.
70
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 425
71
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p 396
72
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 396
73
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 400
74
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,pp. 400-401
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5.Hannah Arendt
Deux publications majeures marquent la pensée philosophique d’Arendt les Origines
du totalitarisme et La Condition de l’homme moderne.
Dans les Origines du totalitarisme, Arendt réfléchit sur la « solution finale » des nazis
pour l’anéantissement total et intégral des juifs. Ses questions sont : « Qu’est-ce qui s’est
passé ? Pourquoi cela s’est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ? ». A partir de l’étude
du système totalitaire, Arendt montre que le totalitarisme inaugure un type de régime
radicalement nouveau, qu’on ne peut réduire à une forme particulière de tyrannie. Le régime
totalitaire, en effet, se caractérise par la promotion d’une loi prétendument « naturelle » qui
vient se substituer à la loi positive ; ainsi, en exterminant systématiquement tel ou tel groupe
de population, le régime totalitaire ne fait qu’entériner, en quelque sorte, une condamnation
qui aurait d’abord été prononcée par la nature ou par l’histoire. C’est donc en toute
« légalité » que la terreur peut s’exercer avec, pour « institution centrale », cette machine à
exterminer que constitue le camp de concentration75.
Le sujet idéal du totalitarisme n’est pas un individu doué d’une affectivité et d’une
conscience propres ; c’est un numéro noyé dans la masse, un simple représentant de son
espèce et, surtout, un sujet dépourvu de tout sens politique. Car le totalitarisme, contrairement
à ce qu’on pourrait penser, ne requiert pas l’engagement politique des citoyens ; il s’appuie
plutôt sur l’atomisation de la société, sur l’effacement progressif du « sens commun » (ou
conscience du « vivre-avec-les-autres » dans un espace commun). On peut dire en ce sens que
le totalitarisme est la négation même du politique76.
Dans La Condition de l’homme moderne, Arendt s’est interrogée sur les moyens par
lesquels la société pourrait se préserver durablement contre la tentation totalitaire. Comme le
totalitarisme se nourrit de l’effacement du politique, Arendt s’était engagée là dans la
réhabilitation de l’action politique. Il se fait malheureusement depuis que la vita activa (la
« vie active ») a été supplantée par la vita contemplativa (la « vie contemplative ») – par la
faute même des philosophes qui vantent, depuis l’Antiquité, les délices de la pensée pure -, les
catégories de l’action se sont brouillées dans nos esprits. Arendt a distingué trois sortes d’agir,
trois activités humaines fondamentales : le travail, l’oeuvre et l’action. Or, seule l’action
(entendue d’abord comme agir politique) est capable de sauver le monde de la destruction77.
1)Par le travail, l’homme subvient à ses besoins vitaux. Mais les fruits de son travail
(les plats cuisinés, par exemple) sont éminemment périssables ; il faut vite les consommer, et
vite se remettre au travail ! Le travail s’inscrit donc dans la courte durée.
2)L’œuvre, en revanche, semble pouvoir produire des objets plus durables (meubles,
bâtiments, machines, etc.). Cependant cette production s’effectue au prix d’une destruction
violente et agressive de la nature. En outre, l’œuvre est toujours asservie à une fin utilitaire ;
le processus du faire est lui-même « entièrement déterminé par les catégories de la fin des
moyens ».
3)Reste l’action, « la seule activité qui mette directement en rapport les hommes ». En
s’engageant activement dans la vie de la cité, l’homme peut enfin prendre conscience de la
pluralité, essence de la condition humaine : « Ce sont des hommes et non pas l’homme qui
vivent sur terre et habitent le monde ». L’action est donc ici envisagée comme mise en
relation ; constitution d’un espace public au sein duquel les hommes peuvent dialoguer
librement et agir d’un commun accord. C’est dans l’instauration de cette communauté
d’égaux, où tous disposeraient de la même faculté d’agir, qu’Arendt voit la promesse d’un
monde sans domination ni violence – un monde humain, qui aurait éloigné pour toujours le

75
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 405
76
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 405
77
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,p. 405
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spectre du totalitarisme et de la barbarie78.


6.John Rawls
John Rawls n'est pas un pur produit de la tradition analytique anglo-saxonne. Il est
surtout influencé par le contractualisme des libéraux classiques, c'est-à-dire de Locke à Kant.
Selon John Rawls, chaque individu tend consciemment à opter pour des décisions
collectives qui maximisent l’intérêt général. L’homo œconomicus singulier et égoïste ne se
retrouve pas complètement chez Rawls, en effet il considère l'homme comme un être se
réalisant personnellement tout en pensant à l'intérêt collectif. En ce sens, l'argumentation
théorique rawlsien s'écarte du concept de la « main invisible » chez Smith, pour qui cette
visée collective était naturelle.
Cependant, pour Rawls, dans la morale utilitariste, une action peut être considérée
comme « bonne » si, et seulement si, elle permet d'accroître « le plus grand bonheur pour le
plus grand nombre » et ce, même au prix du sacrifice du bien être de certains. Avant de
devenir le célèbre théoricien d'une conception déontologique de la justice, Rawls a été très
marqué par l'utilitarisme qui est, dans le monde anglo-américain, la doctrine morale à laquelle
l'on se réfère le plus fréquemment. Dans son article Two concepts of rule, il défend une
version originale d'un « utilitarisme de la règle ».
Selon Francisco Vergara, Rawls - fortement influencé par le vocabulaire et certaines
formes de raisonnement issues des théories économiques néoclassiques - n'aurait pas vraiment
compris l'utilitarisme, et la théorie que Rawls critiquera plus tard sous le nom d'utilitarisme ne
devrait en aucun cas être appelée ainsi car les auteurs utilitaristes n’emploient jamais
l’argument du sacrifice.
Cinq principes fondamentaux sont communs à toutes les versions de l'utilitarisme :
1°Principe de bien-être (the Greatest Happiness Principle en anglais).Le bien est
défini comme étant le bien-être. C'est-à-dire que le but recherché dans toute action morale est
constitué par le welfare, le bien-être (physique, moral, intellectuel).
2°Principe conséquentialiste (conséquentialisme) : Les conséquences d'une action sont
la seule base permettant de juger de la moralité de l'action. L'utilitarisme ne s'intéresse pas à
des agents moraux mais à des actions : les qualités morales de l'agent n'interviennent pas dans
le calcul de la moralité d'une action. Il est donc indifférent que l'agent soit généreux, intéressé,
ou sadique, ce sont les conséquences de l'acte qui sont morales. Il y a une dissociation de la
cause (l'agent) et des conséquences de l'acte. L'utilitarisme ne s'intéresse pas non plus au type
d'acte : dans des circonstances différentes, un même acte peut être moral ou immoral selon
que ses conséquences sont bonnes ou mauvaises.
3°Principe d'agrégation. Ce qui est pris en compte dans le calcul est le solde net (de
bien-être, en l'occurrence) de tous les individus affectés par l'action, indépendamment de la
distribution de ce solde. Ce qui compte c'est la quantité globale de bien-être produit, quelle
que soit la répartition de cette quantité. Il est dès lors envisageable de sacrifier une minorité,
dont le bien-être sera diminué, afin d'augmenter le bien-être général. Cette possibilité de
sacrifice est fondée sur l'idée de compensation : le malheur des uns est compensé par le bien-
être des autres. S'il est surcompensé, l'action est jugée moralement bonne. L'aspect dit
sacrificiel est l'un des plus critiqués par les adversaires de l'utilitarisme.
4°Principe de maximisation. L'utilitarisme demande de maximiser le bien-être général.
Maximiser le bien-être n'est pas facultatif, il s'agit d'un devoir.
5°Principe d’mpartialité et d’universalisme. Les plaisirs et souffrances ont la même
importance, quel que soit l'individu qu'ils affectent. Le bien-être de chacun a le même poids
dans le calcul du bien-être général. Ce principe est compatible avec la possibilité de sacrifice :
ce principe affirme seulement que tous les individus valent autant dans le calcul. Il n'y a ni

78
HUISMAN D. et VERGEZ A.,Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996,pp. 405-406
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privilégié ni lésé a priori : le bonheur d'un roi ou d'un simple citoyen sont pris en compte de la
même manière. L'aspect universaliste consiste en ce que l'évaluation du bien-être vaut
indépendamment des cultures et des particularismes régionaux. Comme l'universalisme de
Kant, l'utilitarisme prétend définir une morale valant universellement.
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DEUXIEME CHAPITRE

L’ETHIQUE PROFESSIONNELLE ENSEIGNANTE

Première section
Des mots-clés et des définitions

1.profession
C’est une profession 1.est une activité rémunérée et régulière pour gagner sa vie : quell
e est la profession de ton père ?2.Un métier de caractère intellectuel, politique, médical, psych
opédagogique, musical et artistique, manuel, industriel, etc. qui donne une position sociale plu
s ou moins prestigieuse : par exemple la fonction d’avocat, de médecin, de professeur, de prêtr
e ou d’évangéliste…
-quel est le synonyme du mot profession ?charge, emploi, fonction, métier, place, posit
ion, poste, situation, travail
-quelles sont les sortes de professions ?on parle ainsi de profession agricole, commerci
ale, médicale, artisanale, de la magistrature, de l’enseignement, du bâtiment, de l’industrie, du
commerce
-quelle est la différence entre un métier et une profession ?la distinction entre métier et
profession est souvent subjective. En effet, un métier est parfois perçu comme étant un emploi
de nature manuelle, alors qu’une profession correspondrait à un emploi à caractère plus intelle
ctuel
2.fonction
Elle a deux sens bien définis : 1.ce que doit accomplir une personne dans son travail, s
on emploi : on dit alors il ou elle s’acquitte très bien de ses fonctions.2.Cet emploi, considéré
en rapport avec la collectivité : on dit alors la fonction de juriste ; quel est le synonyme de la f
onction ?charge, mandat, mission, place, poste, rôle, situation, tâche
3.enseignant
Un enseignant est une personne chargée de transmettre des connaissances ou méthodes
de raisonnement à autrui dans le cadre d’une formation spécifique à une matière, un domaine
ou une discipline scolaire. Le terme « enseignant » désigne la personne qui enseigne aux élève
s.
-quelle est la profession d’un enseignant ? l’enseignant réalise des activités d’apprentissage et
participe activement à la vie scolaire. Il accompagne les élèves durant leur cheminement et ac
complit différentes tâches pour leur offrir le meilleur environnement possible.
-C’est quoi la fonction enseignante ?Les enseignants jouent le rôle de modèles, de men
tors, de soignants et de conseillers. Ils peuvent avoir un impact profond sur la vie de leurs étud
iants. Les enseignants transmettront principalement des connaissances à leurs élèves, pour les
aider à apprendre de nouvelles choses sur un groupe spécifique de matières.
-quels sont les avantages d’être enseignant ? stabilité de l’emploi et congés, créez un li
en fort avec les élèves?, développer les compétences en matière de leadership, apprendre et en
seigner, sentiment de nostalgie, chaque jour est un jour passionnant pour un enseignant…
-Quelles sont les qualités d’une enseignante ?la pédagogie. C’est LA compétence de ba
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se à acquérir et à développer quand on se destine aux métiers de l’enseignement, le sens de l’o


rganisation, la créativité, le sens de l’écoute, le sens de l’écoute, une dose de curiosité, une bo
nne culture générale, la passion, une capacité d’adaptation…
-quel est le but principal de l’enseignement ?le but principal de l’enseignement est de f
aire comprendre certains concepts aux élèves et de développer leur désir d’en savoir davantag
e…
-quelle est la responsabilité de l’enseignant ?l’enseignant a pour rôle de faire garantir s
es élèves et de leur apporter des connaissances, des savoir-faire, des savoir-être. En jouant ce r
ôle, le maître engage sa responsabilité comme toute autre fonction…
-pourquoi les enseignants sont importants ? Les enseignants fournissent l’éducation qu
i améliore la qualité de vie, apportant ainsi beaucoup aux individus et à la société dans son ens
emble. Les enseignants augmentent la productivité et la créativité des étudiants et donc des fut
urs travailleurs
-Quelle est la définition de l’enseignement ? 1.Action, manière d’enseigner, de transm
ettre des connaissances.2.Profession, activité de ceux qui enseignent : faire de l’enseignement
-quelle est la différence entre l’enseignement et l’éducation ?l’instruction, c’est l’acqui
sition de connaissances grâce à l’enseignement. L’éducation, c’est le développement de la cap
acité à être soi tout en étant avec les autres, à ménager ses relations avec eux, à participer à la
vie sociale, à intérioriser la culture commune
-quelle est la finalité de l’éducation en RDC ?L’éducation scolaire vise toutes les actio
ns menées par les structures classiques, spéciales et non formelles. Elle a pour finalité l’épano
uissement intégral et harmonieux de chaque personne afin de la rendre utile à elle-même et de
réaliser son insertion dans la société
-quelle est la différence entre enseigner et instruire ?instruire : « du latin bâtir, donc for
mer l’esprit de quelqu’un » (Petit Larousse,1977). Instruire est donc bien plus qu’enseigner pu
isqu’il s’agit de former l’esprit de l’enfant ou de quelqu’un tout simplement…
-quelles sont les fonctions didactiques d’un enseignant ?il définit, organise et fait acce
pter, grâce à ses interventions, les tâches et le mode de fonctionnement. Il instaure un climat d
e travail et reste à l’écoute du groupe de ses apprenants lors des activités didactiques

Deuxième section
Quelle éthique pour l’enseignant ?79

Nous ne pouvons penser la professionnalisation des métiers de l’enseignement en deh


ors de toute considération d’ordre éthique. Or, peu de choses sérieuses ont été dites et écrites
sur l’éthique professorale. Nous montrerons que celle-ci s’adosse à trois vertus : la vertu just
ice, la vertu de bienveillance et la vertu de tact. Il ne s’agit pas seulement de répondre de soi,
de l’autre, mais plus fondamentalement de la relation elle-même.
0.Position du problème
Un processus menant de l’estime de soi… à l’éthique enseignante. Quand on parle d’ét
hique enseignante, on peut prendre comme point de départ, une élucidation de l’acte d’enseig
ner. Mais qu’est-ce que « enseigner » ? Quel est le sens de cette activité particulière ? On mon
trerait alors que tout enseignement, même celui qui fait le pari des méthodes actives, est un m
ode d’intervention marqué par la dissymétrie, dissymétrie entre celui qui sait et celui qui ne sa
it pas encore. Envisagée sous cet angle, l’éthique apparaît comme un mode de régulation de la
relation enseignant/enseigné. Ce qu’elle est de fait. Et nul ne le contestera. L’éthique est un m
ode de régulation des relations au même titre que le droit ou les usages sociaux.
Empruntons cependant une autre voie pour démontrer qu’une posture éthique participe
79
Cf. Wikipédia
PAGE \* MERGEFORMAT2

au développement psychologique et intellectuel de l’élève.


La professionnalisation des métiers de l’enseignement s’est pensée au début des année
s 90, avec la naissance des IUFM*, sous le signe de la seule technicité. Le grand débat de l’ép
oque, quasi théologique, était de savoir comment distinguer le « pédagogique » du « didactiqu
e ». On ne parlait pas d’éthique. Quand on l’évoquait, elle était au mieux un « supplément d’â
me ».
Voyons comment, au-delà du simple supplément d’âme, elle devient le cœur du profes
sionnalisme enseignant.« Dire soi, écrit Paul Ricœur, n’est pas dire moi » car le « Soi impliqu
e l’autre que soi ».
Partons d’une belle notion qui vient de faire son entrée dans les programmes via les pr
ogrammes d’enseignement moral et civique : c’est la notion d’estime de soi, qu’il ne faut rétré
cir, réduire ni à un sentiment d’efficacité, ni à une simple confiance en soi.
Pour commencer, quelques mots sur l’estime de soi avec le philosophe Paul Ricœur. P
uis, dans un second temps nous exposerons ce que cela implique en termes d’éthique professi
onnelle.
De l’estime de soi… à l’éthique enseignante. De l’élève… au maître, voilà le parcours que no
us allons effectuer.
1.L’estime de soi
Ce que Ricœur nous permet de comprendre, c’est que l’estime de soi est non seulemen
t au principe de notre subjectivité, mais qu’elle est aussi au principe de notre relation à autrui.
Dit autrement : l’estime de soi est simultanément affirmation de soi et reconnaissance d’autrui
… « […] Si l’on demande, écrit Ricœur, à quel titre le soi est déclaré digne d’estime, il faut ré
pondre que c’est à celui de ses capacités. […] Le discours du “je peux” est certes un discours
en Je mais, l’accent principal est à mettre sur le verbe, sur le pouvoir-faire […] ».
Cela signifie que l’estime de soi est liée à notre capacité d’agir : capacité à lire, à écrir
e, à disserter, à philosopher, à chanter, à dessiner… Si l’estime de soi est liée à la capacité d’a
gir, alors la pire des insultes, celle qui frappe autrui en son cœur, celle qui l’humilie et qui d’u
ne certaine manière le ruine, est celle qui le traite d’« incapable » ou de « bon à rien ».
Dire de l’estime de soi qu’elle est liée à notre capacité d’agir, c’est dire quelque chose d’e
ssentiel. C’est déjà dire que l’on ne s’apprécie pas de manière immédiate, mais que c’est en a
ppréciant les actions et les actes que l’on pose que l’on apprend à s’estimer. On ne s’estime qu
e parce que l’on est l’auteur de nos actes. Si nous étions de simple forces agissantes ou de sim
ples instruments, nous ne nous estimerions point.
Dire de l’estime de soi qu’elle est liée à notre capacité d’agir, c’est aussi dire que
l’estime de soi est inséparable de l’estime de l’autre. Car ce que l’on estime en soi-même (l
ire, écrire, construire, organiser, entreprendre) n’est finalement, à bien y réfléchir, rien d’autre
que notre propre humanité. S’estimer, c’est aussi estimer autrui, car l’humanité est précisém
ent ce que l’on a en partage. L’estime de soi n’est donc pas l’estime du moi. « Dire soi, écrit R
icœur, n’est pas dire moi » car le « Soi implique l’autre que soi ». L’estime de soi est donc le
contraire du narcissisme, de l’égoïsme ou de l’autosatisfaction béate.
Car, dans le moment même où je m’estime, j’estime l’humanité en moi-même comme e
n tout autre. Si l’estime de soi n’est pas l’égoïsme, alors nous pouvons comprendre maintenan
t, qu’à la différence de l’égoïsme, sentiment naturel, sentiment toujours déjà-là, l’estime de so
i, elle, est l’objet d’une conquête. D’une lente et difficile conquête, car elle oscille inévitablem
ent entre un sentiment de fragilité qui menace ma capacité d’agir (Suis-je vraiment capable de
faire cela?) et un fantasme d’omnipotence qui me laisse penser que je m’appartiendrais d’em
blée (je veux donc je peux, comme s’il suffisait de vouloir pour pouvoir).
Pour pouvoir… pour pouvoir faire, il faut bien sûr croire que l’on peut faire, il faut cro
ire en soi. Mais on ne croit en soi que parce que quelqu’un d’autre croit déjà en nous. C’e
st là que le maître entre en scène.
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1.1.Passer de l’élève au maître


On va essayer à présent de passer de l’élève au maître, en explorant nos trois étapes ci-
après :
*L’estime de soi est au principe de notre subjectivité. Si l’identité d’une chose est
 relative à la possession de certaines caractéristiques (cette chose est ronde, rouge, rugue
use…), l’identité d’une personne est relative à l’exercice de certaines capacités : il sait
mettre en perspective des événements historiques, il se débrouille en allemand, il a du ta
lent pour argumenter avec rigueur… L’estime de soi est au principe de notre subjectivit
é.
 L’estime de soi est inséparable de l’estime de l’autre car ce que l’on estime en soi-
même est notre propre humanité qui n’est finalement rien d’autre que l’humanité comm
une. D’où l’on voit que l’estime de soi est très différente de ce sentiment naturel qu’est
égoïsme.
 L’estime de soi est une lente conquête qui requiert certes de croire en soi mais qui,
plus fondamentalement, exige l’appui de ce que l’on pourrait appeler un « allié éthique
». Car comme le dit encore Ricœur c’est un autre, c’est « un autre qui en comptant sur
moi, me constitue responsable de mes actes ».
Ajoutons un quatrième point : le lieu de cette conquête (de soi) est précisément l’école.
C’est Hegel, le grand philosophe allemand, qui dit :
« La vie dans la famille est […] un rapport du sentiment, de l’amour […]. L’enfant y a une val
eur […] parce qu’il est l’enfant […].À l’école […], l’enfant apprend à déterminer son agir d’a
près un but et des règles, il cesse de valoir à cause de sa personne et commence à valoir suiva
nt ce qu’il fait… ».
En d’autres termes, et plus simplement : en famille, ma valeur est indexée sur le seul f
ait d’être. Je vaux parce que je suis, je suis l’enfant, le fils, la fille. Je suis, donc je vaux. À l’é
cole, ma valeur va notamment être indexée sur ce que je fais. L’école substitue au primat d
e l’identité celui de l’activité. L’école inscrit le mérite dans l’ordre du faire et de l’agir. Je fais
donc je vaux. Je fais… Nous pourrions reprendre ici la belle formule du philosophe Alain : «
Ce que je fais, cela seul est de moi ».
D’où la première vertu morale du maître (peut-être la plus importante) : la vertu de ju
stice qui est reconnaissance des droits et des mérites. Ce n’est pas en effet d’une grande ori
ginalité. Il faut envisager la justice selon deux perspectives distinctes car le professeur peut se
rapporter à l’élève de deux manières différentes.Il y a des droits de l’enfant, il y a maintenant
des droits de l’élève !
1.2.Avant tout, la justice se rapporte à l’élève en tant que sujet de droits.
Il y a des droits de l’enfant, il y a maintenant des droits de l’élève. C’est un acquis maj
eur de la loi d’orientation de juillet 89. Or, tant qu’il se rapporte à des sujets de droits, le maîtr
e respecte « juste » les lois, il n’est pas au-dessus du droit. Ce n’est pas du formalisme, mais l’
assurance donnée que tous les élèves seront traités de la même manière, dans le respect de leu
rs prérogatives, même… quand ils seront sanctionnés car parfois ils arrivent que les élèves fas
sent des bêtises. Être juste, c’est déjà respecter la légalité, c’est-à-dire les règles, les textes, d’
un mot ce qui est légal. Or, l’enseignant ne s’adresse pas seulement à des élèves sujets de droi
ts qui, saisis sous cet angle, se ressemblent les uns les autres. Nous ne saurions en effet disting
uer un sujet de droits d’un autre sujet de droits.
Il y a ensuite, des sujets apprenants qui, appréhendés cette fois sous l’angle de leurs capacités,
apparaissent très différents les uns des autres. Sujets qui n’ont pas les mêmes motivations, les
mêmes désirs d’apprendre et de réussir, sujets qui n’ont pas eu les mêmes chances, les mêmes
soutiens familiaux. Cette différence – qui est celle du rapport social et épistémique au savoir –
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l’école ne saurait y être indifférente. Tant qu’il s’adresse à des élèves qui sont des sujets appre
nants très différents les uns des autres, le maître juste fait vivre la dialectique de l’égalité et de
l’inégalité.
La justice ne se manifeste donc pas dans le seul moment de l’évaluation qui, nous dit-on, d
oit être bienveillante, mais doit s’inscrire plus fondamentalement dans l’organisation même de
l’acte d’enseigner. La justice magistrale se décline donc selon deux versants :
 le respect de la légalité en seul mot en tant que le maître s’adresse à des élèves qui on
t des droits – les mêmes droits – : droit à la parole, à être écouté, à être accueilli… ;
 le souci de l’équité en tant qu’il s’adresse à des élèves apprenants qui, eux, sont toujo
urs des sujets singuliers aux capacités différentes.
Mais la vertu de justice pour essentielle qu’elle soit, requiert la compagnie de deux autres vert
us (la bienveillance et le tact) pour que l’on puisse parler d’une présence éthique de l’enseigna
nt/du professeur.
2.La présence
C’est d’abord un art d’être présent : présent à soi, présent aux élèves, être en réson
nance avec la classe, avec le groupe avec lequel on travaille. D’un mot : être impliqué ;C’est
aussi un art d’être au présent : être là ici et maintenant, dans l’immédiate actualité de ce qui
se déploie. Être disponible en somme ;C’est enfin un art du présent au sens de ce que l’on d
onne, le présent, le cadeau : don de sa patience, de ses connaissances, de son expérience…
La présence, c’est une manière d’être, mieux c’est une manière d’habiter la classe.
2.1.Emmanuel Levinas, philosophe
C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le grand philosophe Emmanuel Lévinas lor
squ’il écrit dans Totalité et infini que « le premier enseignement de l’enseignant, c’est sa prése
nce même d’enseignant » .À Hannah Arendt, philosophe allemande naturalisée américaine, qu
i, dans La crise de la culture, affirme en une formule célèbre que vis-à-vis de l’élève, le maître
se signale en disant : « Voici notre monde », Lévinas lui répond plus modestement que le maît
re se signale, d’abord et avant tout, en disant : « Me voici ». Et ce « Me voici » n’est pas un «
j’assure » mais un « j’assume », il n’est pas une prise de pouvoir mais une prise de risque. On
comprend dès lors que la vertu de justice, soucieuse des droits et des mérites, requiert d’être a
ccompagnée par deux autres vertus : la vertu de bienveillance et la vertu de tact.De quoi som
mes-nous responsables ?De ce qui est fragile et vulnérable.
Quelques mots sur la vertu de bienveillance, beaucoup de choses ont déjà été dites et é
crites… et quand beaucoup de choses sont dites et écrites, inévitablement quelques bêtises son
t aussi dites et écrites. Il est stupide par exemple de dire que la bienveillance est de la complai
sance. Être bienveillant, ce n’est pas plaire, c’est prendre soin, c’est avoir compris qu’autrui e
st fragile, et que nous sommes tous d’ailleurs fragiles et vulnérables. Parfois, un regard, un so
urire, un geste ébauché suffisent. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà beaucoup. Le bien
veillant veille. Il veille au bien-être. J’ai compris, il y a bien longtemps déjà, voyez-vous, que
la bienveillance faisait partie de l’équipement éthique du maître. La bienveillance nous invite
à apporter à l’élève, confronté à l’inquiétude, à la désillusion et parfois même à la souffrance
une forme de réconfort. Je n’ai jamais pu me résoudre car, au fond, je n’ai jamais vraiment vo
ulu me résoudre à faire la classe comme on balaie, comme le conseille le philosophe Alain. J’
essaie plutôt de balayer comme je fais la classe en essayant de ne pas trop maltraiter mon bala
i.
2.2. les notions de vertu et de tact
Prenons un peu plus de temps sur les notions de vertu et de tact. En écrivant La moral
e du professeur, Eirick Prairat a été frappé de voir l’importance du tact dans les métiers du soi
n et de la santé et son absence quasi-totale dans les métiers de l’éducation et de l’enseignemen
t. Le monde de l’enseignement ignore le tact.
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Être bienveillant, ce n’est pas plaire, c’est prendre soin.


Le monde de l’éducation ignore le tact. Qui se souvient de Johann Friedrich Herbart pr
ofesseur de philosophie et de pédagogie, à Göttingen puis à Königsberg, au début du XIXe siè
cle ? Qui se souvient de celui qui a inspiré avec Dilthey et Schleiermacher le courant de la péd
agogie humaniste ? Herbart, digne successeur de Kant à Königsberg, publie en 1806 sa fameu
se Allgemeine Pädagogik (Pédagogie générale). Œuvre oubliée, effacée comme le nom même
d’Herbart, elle est pourtant la première et peut-être la seule œuvre éducative à avoir fait une pl
ace à cette étonnante qualité qu’est le tact.
Thématisons en le distinguant et en l’opposant à la civilité. Il ne s’agit pas bien évidem
ment de faire disparaître la civilité – vive la civilité – mais l’on ne comprend vraiment ce qu’e
st le tact qu’en le distinguant de cette autre grande qualité relationnelle qu’est la civilité. La ci
vilité est respect des usages et des conventions alors que le tact se manifeste précisément là où
les préconisations et les règles viennent à manquer. On peut inventorier les règles et les pré
ceptes de civilité pour en faire des recueils et des traités, mais rien de tel avec le tact qui
s’invente dans son effectuation même. Le tact est improvisation car, il est à la fois sens de l’
adresse et sens de l’à-propos :
• Sens de l’adresse, car, quand je parle à Paul, je ne parle pas à Suzanne et, quand je parle à
Suzanne, je ne parle pas à Mohammed.
• sens de l’à-propos : sens de ce qui doit être dit et comment cela doit être dit, mais aussi et
surtout sens de ce qui doit être tu.
Le tact n’est pas simple habileté relationnelle, mais bel et bien vertu. Car il s’y manifeste une
sensibilité à autrui où s’esquissent les premiers mots, peut-être d’abord les premiers silences,
d’une éthique de la parole.
Justice, bienveillance, tact. L’éthique enseignante doit nouer ces trois vertus :
 la justice car elle est reconnaissance des droits et des mérites,
 la bienveillance car elle est attention à la fragilité/à la vulnérabilité,
 et le tact car il est souci du lien.
On pourrait dire les choses d’une toute manière mais ce serait encore dire la même chose, dir
e:
 la justice car elle est souci du collectif et des équilibres.
 la bienveillance car elle est souci des personnes singulières.
 et le tact car il est le souci de la relation elle-même.
L’exemplarité professorale, la nécessaire exemplarité professorale n’est rien d’autre que la fid
élité à ces trois principes même si Rousseau ne pense pas l’école, à la différence de ses illustre
s contemporains : Condorcet, Kant, Herder, …
2.3.Jean-Jacques Rousseau
Il parle d’éducation et d’apprentissage (en 1762 avec Émile ou de l’éducation), il parle
la même année de politique (Du contrat social, 1762), mais il ne pense pas ce qui, précisémen
t, permet d’articuler l’éducation et le politique, l’École. Émile et son précepteur Jean-Jacques
dialoguent en terrain vague, « loin des noires mœurs de la ville » (chapitre 1), dans une sorte d
e no man’s land institutionnel où rien n’est vraiment balisé et assigné. Rousseau n’a pas d’aut
re modèle à nous proposer que celui de la relation préceptorale qui était déjà à l’honneur dans
la tradition nobiliaire. Mais ne jetons pas trop vite Rousseau aux orties car sur la question de
l’exemplarité, il vise juste :« Une autre erreur que j’ai combattue, mais qui ne sortira jam
ais des petits esprits, c’est d’affecter toujours la dignité magistrale et de vouloir passer p
our un homme parfait dans l’esprit de votre disciple… Montrez vos faiblesses à votre élè
ve si vous voulez le guérir des siennes ; qu’il voie en vous les mêmes combats qu’il éprou
ve, qu’il apprenne à se vaincre à votre exemple… » (Jean-Jacques Rousseau)
L’exemplarité n’est pas à chercher du côté de la perfection mais, tout au contraire, du c
ôté d’une fidélité silencieuse à quelques grands principes. C’est cette fidélité silencieuse, cet
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engagement obstiné et sans emphase qui rend le professeur respectable aux yeux de ses é
lèves. L’exemplarité professorale – et ce n’est pas un paradoxe de dire cela – est une exemplar
ité ordinaire. Elle ne lui demande pas d’être un surhomme ou une sur-femme. Tout professeur
peut alors raisonnablement souscrire à cette conception non héroïque de l’exemplarité. Et, voy
ez-vous, une fidélité à des principes, une fidélité à une réalité qui n’est pas de l’ordre de la for
ce, la philosophe Simone Weil appelle cela « sainteté ». En ce sens, il peut y avoir de la sainte
té au cœur de l’école laïque. Elle n’est pas à chercher dans un dévouement sans faille et sans f
in, ou dans une vocation exacerbée mais dans une fidélité silencieuse à quelques principes.
Mais l’éthique professorale est souvent vacillante, toujours fragile car, il y a quelque c
hose qui est de l’ordre de Sisyphe dans le métier de professeur : faire, refaire, encore et toujou
rs refaire…
L’usure du même. Ne mésestimons pas ce défi qui, d’une autre manière, est le défi du t
emps : tenir, durer, rester fidèle… Pour relever ce défi, pour se maintenir dans une forme d
e constance éthique, un professeur peut prendre appui sur le comportement respectable
d’une grande majorité de collègues, mais il doit aussi pouvoir prendre appui sur un cadr
e déontologique clair. Toute profession a une déontologie mais celle-ci n’est pas toujours cla
irement explicitée, elle peut aussi cette déontologie comme c’est le cas pour le métier de profe
sseur être dispersée dans une pluralité de textes.

C’est pour cette raison qu’il serait intéressant de militer pour l’existence d’une véritable chart
e publique de déontologie avec un moment solennel d’entrée dans le métier… Ce que l’on p
ourrait « Le serment de Socrate ». Car ce n’est pas chose de peu que de devenir un professeu
r de l’école de la République.

Troisième section
Ethique et Déontologie professionnelle

Il y a beaucoup d’incompréhensions et de confusions autour de cette idée de déontolog


ie. Il est vrai que la prolifération de codes de bonne conduite, de chartes en tous genres, de list
ing de « tu dois » et de « il faut » notamment dans le monde du commerce, très souvent à l’ini
tiative des employeurs et ce, dans le souci de contrôler leurs employés, obscurcit, déforme – e
t pour tout dire – pollue l’idée déontologique. Rappelons qu’une déontologie inventorie les no
rmes et les recommandations auxquelles les professionnels entendent se soumettre dans l’exer
cice de leur tâche pour la mener du mieux possible.
Il n’y a rien de plus étranger à l’idée déontologique que l’idée d’un cadre, qui dans une
sorte d’apesanteur socio-politique, viendrait d’un pur dehors apprivoiser et contrôler des prati
ques professionnelles éminemment inventives et fluctuantes. Mais nous ne comprenons vraim
ent ce qu’est une déontologie que si l’on complète cette définition un peu laconique par une ré
flexion sur les fonctions.
1.A quoi est-ce cela sert une déontologie professionnelle ?

• Elle a une fonction identitaire. Une déontologie est un texte qui essaie toujours in fine d
e répondre à la question « Quid ? », « Qu’est-ce que ? ». Qu’est-ce que bâtir pour un architect
e ? Qu’est-ce que défendre pour un avocat ? Qu’est-ce que prodiguer des soins pour un médec
in ? Qu’est-ce qu’informer pour un journaliste ? Qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui dans une
société de la connaissance ? Il n’y a pas de réflexion déontologique qui soit séparée et séparab
le d’une réflexion sur se qu’enseigner veut dire. Une déontologie participe à la définition d’un
e identité professionnelle. En ce sens, l’enjeu déontologique excède, et de loin, la seule questi
on éthique.
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• Elle facilite l’engagement collectif. Elle est tournée vers l’action. Elle est là pour organis
er un corps de professionnels en lui donnant des points de repère pour décider et agir notamm
ent dans des contextes de travail brouillés, difficiles. Elle n’a pas vocation à être bavarde… À
évoquer tous les aspects du métier. Une déontologie est là pour faciliter la décision, faciliter l’
engagement et, par là même, guider l’action. Établir une déontologie, c’est codifier certaines p
ratiques, c’est pour parler comme Bourdieu, s’engager dans un travail de « mise en ordre sym
bolique » d’une pratique professionnelle. C’est en ce sens que j’ai pu dire qu’une déontologie
est une sorte de sagesse collective issue des débats qui ne cessent de traverser et de travailler u
ne profession.
• Une déontologie a une fonction de moralisation. On retrouve ici le lien avec l’éthique. I
l y a des pratiques douteuses, illégitimes, inacceptables et d’autres qui, à l’inverse, sont recom
mandables. Dans toute profession, il y a des choses à faire et d’autres à ne pas faire (des pratiq
ues qui sont contraire à l’honneur et la dignité de la profession). Une déontologie énonce donc
non seulement des normes professionnelles – au sens technique du terme –, mais elle énonce é
galement quelques normes morales. Dans la sociologie des professions anglo-saxonnes, le ter
me de profession – par opposition à celui de métier – est réservé aux activités professionnelles
qui formalisent leurs normes morales. La noblesse d’une profession réside précisément dans l
a capacité à expliciter la morale de sa pratique. Dès lors, une déontologie, dans sa dimension é
thique, dans les normes morales qu’elle explicite et revendique, apparait comme un point d’ap
pui pour soutenir et étayer l’autonomie morale du professeur.
Elle est, en somme, pour reprendre une expression de Winnicott, « un environnement
de facilitation ». Dans le moment même où elle apparaît comme une ressource mobilisable par
les différents membres de la profession, elle en réaffirme l’unité essentielle. Ce n’est d’ailleur
s pas le moindre des mérites d’une déontologie professionnelle que de réactiver le sentiment
d’appartenance, et au-delà, et au-delà l’unité d’une profession autour de quelques principes pa
rtagés, explicités et annoncés.
2.Alors qu’elle forme donner à une déontologie enseignante ?
Il pourrait obéir à trois principes :
1.un principe de sobriété normative : une déontologie doit enfermer un nombre restre
int de normes et de recommandations. Pas trop de normes, pas trop de recommandations… U
ne déontologie doit obéir à un principe de sobriété normative, que l’on ne saurait assimiler au
principe de parcimonie normative. En philosophie morale, le principe de parcimonie normativ
e se déduit de l’affirmation kantienne selon laquelle il est inutile et sot d’obliger quelqu’un à f
aire ce qu’il a envie de faire. De même qu’il est inutile et sot d’interdire à quelqu’un de faire c
e qu’il ne souhaite pas faire. Le principe de parcimonie normative dit « non » aux normes sup
erflues. Le principe de sobriété normative dit « non » à l’excès, au trop plein de normes. Ce q
ui est à son fondement n’est pas une raison logique, mais une raison pratique. Trop de normes
rendraient la déontologie peu maniable, peu opératoire. La sobriété : c’est une question d’effic
acité.
2.un principe de stabilité : c’est une déontologie qui n’enferme aucune obligation extr
avagante, mais seulement des obligations qui peuvent être raisonnablement imposées et accep
tées par tous. Question de stabilité qui est plus une vertu des institutions (des dispositifs) que
des personnes. La stabilité occupe une place originale dans la philosophie rawlsienne. Pour le
grand Rawls, des institutions justes sont dites stables lorsqu’elles font facilement l’objet d’un
consensus et lorsqu’elles permettent d’acquérir « un sens suffisant de la justice ». Acquérir «
un sens suffisant de la justice ». Acquérir « un sens suffisant du métier ». Une déontologie ne
nous dit pas que les professionnels vont être parfaits mais qu’ils seront suffisamment moraux
et professionnels dans l’exercice de leurs missions.
3.un principe d’abstention : c’est une déontologie qui fait silence sur la figure d’un p
rétendu maître idéal. Tel est le paradoxe des déontologies modernes : être structurées à
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partir d’un lieu vide. Silence essentiel. Car toute déontologie qui se hasarderait à dresser
le portrait du maître idéal contredirait non seulement l’évidence selon laquelle l’excelle
nce peut prendre plusieurs formes mais aussi et surtout empêcherait de promouvoir des
pratiques fiables et ordinaires, des bonnes pratiques qui précisément ne s’encombrent d’
aucune figure idéale. Car il y a de bonnes pratiques dans l’enseignement, comme dans t
outes activités professionnelles. C’est d’ailleurs à cela que l’on repère un professionnel.
C’est celui qui sait mettre en œuvre les bonnes pratiques au bon moment.
2.L’éthique n’est pas un supplément d’âme mais, elle est au cœur du
professionnalisme enseignant80.
La professionnalisation des métiers de l’enseignement a été pensée sous le seul signe
de la technicité, sans que la question de l’éthique, qui devrait pourtant être au cœur du
professionnalisme de l’enseignant, soit abordée.
Définir une « éthique » pour le métier d’enseignant n’est pas chose aisée. Comment,
en
effet, définir une éthique professionnelle fédératrice, capable d’être appropriée et
partagée par tous ?Si nous faisons pour beaucoup le même métier, nous l’exerçons
différemment. Comment dès lors définir une ligne fédératrice pour nos actions?
Réfléchir à une éthique, c’est tenter « d’élucider » l’acte d’enseigner, et de trouver un
sens à cette activité si particulière tout en redonnant confiance et estime de soi au professeur.
Premier point : l’estime de soi est la condition première de l’acte d’enseigner. En effet
celle-ci, définie par Paul Ricoeur comme le principe même de notre subjectivité, est à la
fois affirmation de soi et reconnaissance de l’autre. De cette estime de soi découle notre
capacité d’action : on s’estime au travers de la hauteur de nos actes, tout en prenant en
considération l’estime que l’autre a de lui-même. L’estime de soi, qui est le contraire de
l’égoïsme, semble donc être un préalable nécessaire à toute définition d’une éthique
enseignante. « C’est un autre qui en comptant sur moi me constitue comme responsable
de mes actes ». Or, le lieu par excellence de cette « conquête de soi » est bien l’école.
C’est à l’école que l’enfant, devenu élève, commence à « valoir à cause de ce qu’il fait
». Le professeur permet en ce sens à l’élève de développer sa propre estime de lui-même. Il
s’agit là d’une longue conquête, car « c’est un autre qui en comptant sur moi me constitue
comme responsable de mes actes ».
L’école est donc bien le lieu de la conquête de soi, et le professeur doit être à la fois
acteur et moteur de celle-ci. Si à la maison l’enfant ou l’adolescent existe par le seul fait
d’être, à l’école, au contraire, c’est ce qu’il fait qui le définit. En somme, l’école substitue le
primat
de l’identité au primat de l’activité, activité elle-même définie, dans ses modalités et
objectifs, par l’enseignant.
Second point : toute forme d’enseignement est marquée par une dissymétrie entre celui
qui sait, et celui qui ne sait pas encore, et donc une certaine forme d’injustice. En ce sens,
la première vertu du professeur doit être la justice : je reconnais à l’élève des droits et des
mérites en fonction de ce qu’il fait. L’élève, n’oublions pas, est aussi un sujet de droit. Etre
juste, c’est donc certes respecter la légalité des textes, mais aussi être juste dans les
attentes, les objectifs fixés à l’élève, ainsi que dans l’accompagnement. Cette justice ne
se manifeste pas seulement au moment de l’évaluation, mais dans l’organisation même

80
Cf. Erick Prairat, De l’enseignant: tentative de définition d’une « pédagogie humaniste » ..., Transcription de
la conférence d’Eirick Prairat au #CongrèsMlf2019(Conférence d’Erick Prairat, professeur de sciences de
l’éducation).
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de l’acte d’enseigner.
A la vertu de justice s’ajoute une autre vertu, essentielle : celle de la bienveillance, du
« tact ». Il s’agit ici de magnifier l’acte d’enseigner par une forme de « présence éthique ».
Cette présence peut être définie comme « manière d’être » et surtout « d’habiter » la
classe. Etre bienveillant, c’est « prendre soin », comprendre et assimiler la vulnérabilité
de l’autre, veiller à son bien-être. Cette bienveillance ou « tact », c’est à dire selon E.
Levinas la « capacité de penser l’autre et de se soustraire à soi », fait indéniablement
partie de l’équipement éthique du professeur. Elle apporte réconfort à l’élève, qu’il soit ou
non en difficulté. Hélas, le « tact » est une notion encore trop souvent ignorée du monde
de l’enseignement.
Notons toutefois, pour nuancer les propos précédents, qu’il ne s’agit nullement
d’apparaître auprès de l’élève comme un être « parfait ». Au contraire, « montrer ses
faiblesses à l’élève si vous voulez qu’il guérisse des siennes ». Exemplarité ne signifie pas
perfection, perfection qui d’ailleurs n’a aucune valeur éducative.
En somme, l’exemplarité professorale se présente davantage comme une fidélité à
quelques grands principes éthiques. C’est une exemplarité de l’ordinaire, qui n’a rien
d’héroïque: de la « sainteté au cœur de l’éthique laïque », pour paraphraser Simone Veil.
Se pose toutefois au professeur le défi du temps, de l’usure. Aussi, pour se maintenir dans
une forme de « constance éthique », il apparaît nécessaire de prendre appui sur un cadre
déontologique claire. Toute profession a une déontologie, à savoir un ensemble de
normes et de recommandations définissent les règles que se donnent les professionnels
pour mener à bien leur mission. Ne serait-il pas, dès lors, utile de définir pour les métiers
de l’enseignement une « charte » ? Cette charte aurait comme objectifs la définition d’une
identité professionnelle et la moralisation des pratiques professionnelles. En d’autres
termes, elle énoncerait des normes morales, et donc éthiques, qui garantiraient
l’autonomie du professeur.
Quelques questions méritent à ce stade de la réflexion d’être soulevées ?
Quelle déontologie pour l’enseignant ?
Cette déontologie professorale doit être minimale, et articulée autour d’un petit
nombre de normes et de recommandations. Il s’agit de ne formuler aucune obligation
extravagante : l’idée est bien de tendre vers la stabilité du corps enseignant et ainsi faire
consensus. Autrement dire : cette déontologie doit annihiler tout rêve d’un prétendu
« professeur idéal ». Il n’y pas de professeur idéal, il n’y a que des bonnes pratiques, et
c’est là l’essentiel.
Peut-on et doit- on évaluer le respect de cette éthique ?
Non, on ne le peut pas ...: seul le professeur peut et a le devoir de « s’auto évaluer ».
Comment former les professeurs à cette éthique ? Travailler à partir d’exemples, cela donne
des idées, ça inspire ! Pour une pédagogie du
concret!Travailler sur des dilemmes moraux : que ceux-ci fassent également pédagogie.
-
« Justice, tact, bienveillance », ce triptyque apparaît comme indispensable à l’acte
d’enseigner.
Le métier de professeur est, plus que jamais, un métier de la relation. Cette relation
exige du tact, c’est à dire la capacité de penser l’autre et de se soustraire à soi mais aussi de la
justice. Justice dans son rapport à soi et donc à l’autre. Enseigner, c’est tout simplement être
responsable de soi et des autres, c’est prendre en compte la fragilité et la vulnérabilité de
l’élève, tout en restant fidèle à ce que l’on est et à ses convictions.
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TROISIEME CHAPITRE

L'éthique professionnelle des enseignants : déontologie ou éthique appl


iquée de l'éducation ? 81

Introduction
L’acte d’enseigner semble être devenu plus difficile qu’il ne le fut jamais, non pas tant
qu’il ait fondamentalement changé de signification ou d’horizon, ni non plus qu’il laisse techn
iquement démunis ceux qui l’exercent lorsque les apports des recherches en éducation ouvrent
des possibilités inouïes d’analyse et de compréhension de l’éducation scolaire, mais bien plutô
t parce qu’il implique désormais une éthicité réfléchie de la part de ceux qui l’exercent, et que
la source de cette éthicité est l’objet d’une tension importante entre les institutions et les acteu
rs : celles-ci demandent à ceux-là de concevoir éthiquement leur profession, ce à quoi les acte
urs répondent par la requête adressée à l’institution de leur fournir et de leur rendre disponible
cette éthique introuvable.
Nous proposons dans ce travail de clarifier la question de la source de l’éthicité propre
à l’acte éducatif en général, en nous appuyant sur les résultats de recherches relatives à la cons
truction de l’éthique professionnelle des enseignants au cours de leur formation et lors de leur
entrée dans le métier. Nous préciserons comment ces recherches ont permis de poser l’hypoth
èse d’une éthique appliquée de l’éducation, et, à travers sa mise à l’épreuve dans le champ de
la construction de la professionnalité enseignante, nous apporterons quelques éléments pouva
nt éclairer le débat entre la nécessité d’une déontologie de source institutionnelle, ou la possib
ilité de prendre confiance dans cet « homme capable », pour reprendre l’expression de Paul Ri
cœur82 , que peut devenir l’enseignant pour peu qu’il ait été formé en vue de l’imputabilité per
sonnelle de son agir.
1.Comment interpréter l’éthicité des enseignants ?
La profession d’enseignant est donc confrontée à cette requête qui semble générale act
uellement de devoir attester une éthicité propre. Il est en effet demandé aux jeunes enseignant
s de donner une dimension éthique à leur engagement professionnel, et aux plus anciens d’être
aptes à entreprendre une réflexion morale accompagnant de manière critique l’exercice de leu
r métier. Cette injonction à l’éthique est plus qu’une mode passagère ou que l’expression d’un
désarroi contemporain. Elle est portée par un mouvement de pensée que Michel Fabre a caract
érisé comme un écho de la postmodernité en éducation83 et que nous avons analysé à travers le
concept de post-historicité84 Quoi qu’il en soit, cette injonction à l’éthique peut être abordée à
travers trois types d’interprétations.
Selon le premier, l’activité professionnelle spontanée des enseignants souffrirait de la
même dérégulation que l’agir général de l’époque, et il serait alors nécessaire que l’institution
de tutelle imposât de l’extérieur un cadre éthico-juridique apte à restaurer la régulation déficie
nte. Mais cette interprétation doit prendre en compte le processus de professionnalisation des
enseignants : aussi, à la normativité et à la prescriptivité caractérisant l’encadrement des métie
rs, l’institution préfère désormais la régulation propre à la déontologie professionnelle : une in
jonction externe à construire dans la communauté elle-même un code pour normer l’agir profe
ssionnel. Mais se pose visiblement la question d’une médiation capable d’assurer le passage d
81
Cf Didier Moreau
Dans Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle 2007/2 (Vol. 40), pages 53 à 76
82
RICŒUR P. Parcours de la reconnaissance. Paris : Stock, 2004.
83
Cf.Fabre M. Le problème et l’épreuve : formation et modernité chez…
84
MOREAU D. Le recueil de soi à l’épreuve de la post-historicité. Horizons Philosophiques, 2004, n° 1 Vol. 15.
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u politique à l’éthique lorsque le juridique fait défaut, car, contrairement aux corporations dot
ées juridiquement d’une déontologie et d’une instance collégiale de reddition de comptes (Ord
re des médecins, bâtonnier des avocats, etc.), le législateur en France n’a pas voulu étendre la
professionnalité des enseignants au-delà d’une autonomie pédagogique limitée au choix des m
anuels et à l’herméneutique des programmes. Et on conçoit mal qu’une instance collégiale pui
sse s’élever contre un principe hiérarchique – même à l’Université. C’est pourquoi ce premier
type d’interprétation, s’il était conduit schématiquement, aboutirait au paradoxe d’une déontol
ogie impossible : moins contraignante qu’un code prescriptif, plus déroutante qu’une véritable
autonomie morale, elle produirait les effets contraires à cette régulation éthique des pratiques
enseignantes qu’elle recherchait. C’est ainsi qu’il est possible de comprendre le malaise expri
mé par les jeunes enseignants du secondaire de manquer de cadres juridiques propres à oriente
r leurs responsabilités, et d’y voir l’origine de la loi du 15 Mars 2004 relative aux signes religi
eux ostensibles.
La deuxième interprétation est portée par la sociologie des valeurs85 Elle postule que le
s jeunes débutants détectent et reproduisent les traits éthiques propres aux acteurs appartenant
à la corporation à laquelle ils s’intègrent. Mais cette interprétation laisse irrésolues des questio
ns redoutables portant principalement sur l’origine de l’axiologie propre à tel groupe professio
nnel. Cette source est-elle justifiable par l’utilitarisme, comme la recherche du plus grand bén
éfice pour les membres du groupe, ou par une approche conséquentialiste 86 , comme : choisir l
es valeurs faisant préférer les actions dont les conséquences sont cohérentes avec les buts sup
posés de la corporation ? Quoi qu’il en soit, la sociologie des valeurs ne peut pas analyser le p
oids moral propre que chaque nouveau professionnel apporte à sa communauté, et la force qu’
il peut exercer, en tant que singularité, sur l’éthicité concrète de sa corporation.
Si la première interprétation plaçait la source de l’éthicité dans une instance externe, la
seconde la dissout de telle sorte qu’elle se perde. C’est pourquoi nous avons privilégié dans n
os recherches un troisième type d’interprétation, selon lequel l’enseignant est non seulement u
n acteur professionnel, mais également un agent moral.
Un acteur accomplit ses tâches à partir de l’interprétation qu’il fait du rôle qui est le si
en, et cette interprétation du rôle est rendue possible grâce à des représentations. Mais l’éthiqu
e ne doit rien aux représentations ! On ne peut pas se représenter ce qui doit être ; est objet de
représentation seulement ce qui est accessible, précisément, à la connaissance. Le devoir-être,
et c’est Aristote qui le caractérisa avec le plus de rigueur, est objet de délibération rationnelle.
Un agent moral est ainsi, par définition, celui qui délibère relativement aux actes qu’il doit acc
omplir, selon le principe mis en évidence par Aristote pour distinguer la praxis de la techné, p
rincipe qui exige que la qualité des moyens mis en œuvre soit homogène à la qualité de la fin
visée. L’agent moral agit ainsi en veillant à chaque phase de son action à ce qu’elle reste intri
nsèquement morale, de part en part orientée vers le meilleur but possible recherché. Cette inte
rprétation cependant ne prétend pas que tous les enseignants soient factuellement des agents
moraux, ou même que certains le soient constamment. Elle pose seulement qu’un enseignant
professionnel peut l’être s’il prend en charge effectivement la tâche éducative corrélée à son a
gir professionnel. Comme on le saisit, cette interprétation vise l’horizon transcendantal de l’ét
hique de l’éducation, et réintroduit ainsi la précellence d’une méthode, celle d’une analyse des
concepts, afin de préparer une étude empirique des faits. La source de cette analyse est simple
même si elle s’avère difficile : elle considère que l’acte éducatif possède une spécificité irréd
uctible, et qu’il n’est pas possible de comprendre l’action de l’enseignant professionnel hors d
e cette spécificité éducative. Ce qui semble ainsi un truisme n’est pas cependant pris en compt
e dans nombre d’approches analogiques qui tendent curieusement à se généraliser.
85
ESTRELA M. T. Autorité et discipline à l’école, Paris, ESF, 1996.
86
PETTIT P. Conséquentialisme et psychologie morale. Revue de Métaphysique et de Morale, 1994, n° 2.
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La caractérisation éthique des activités professionnelles est profondément marquée en


effet par une dichotomie, posée à l’origine par la pensée grecque, attestée chez Homère, repris
e par la réflexion anglo-saxonne et que Lemosse87 a contribué, avec d’autres, à introduire dans
le champ francophone. Cette dichotomie oppose les professions d’orientation altruiste aux mé
tiers exercés pour l’intérêt premier de l’artisan et susceptibles de répondre – factuellement – à
l’utilité d’autres personnes. Partant, il était tentant de fonder, à l’intérieur même de l’ensemble
des professions, des classes définies par le type d’orientation altruiste qui y est engagé. C’est a
insi que le concept de caring a été introduit, rassemblant les professions fondées sur ce souci
d’autrui, comme les professions de santé et les professions de l’enseignement et de l’éducatio
n88 Or nous pensons fortement que cette catégorisation aboutit au résultat contraire à son prin
cipe même, et que, loin d’apporter une compréhension nouvelle, elle est la cause d’un obscurc
issement de la question de l’éthique dans le champ de l’éducation. Il est possible de reconnaîtr
e que la relation pédagogique n’est en rien une relation thérapeutique, sauf à prendre certaines
métaphores relatives à la « guérison de l’ignorance » au pied de la lettre, et il est nécessaire de
penser qu’autrui, tel qu’il est présent dans l’acte éducatif, n’est pas une individualité comme
l’est un patient par exemple.
L’interprétation de l’éthicité des enseignants que nous privilégions ainsi part de l’hypo
thèse, peu répandue il est vrai, d’une spécificité intrinsèque de l’acte éducatif : c’est parce que
l’acte éducatif est structuré a priori comme un acte éthique, qu’il peut être a posteriori investi
par un projet moral porté par celui qui l’accomplit : l’acteur professionnel peut devenir un age
nt moral parce qu’il comprend qu’il le doit, s’il veut éduquer, et l’éthique ne peut plus se prés
enter alors comme un « supplément d’âme » dont on voudrait que les enseignants soient dotés,
pour le bien de la communauté. Ce qui, on peut le saisir dès à présent, n’oblige ni un professi
onnel de la santé, ni un conseil juridique qui, pour cette raison même, a besoin d’une déontolo
gie. Or, quel est le fondement de cet apriorisme que nous mettons en avant ? Ce n’est pas le si
mple refus du positivisme empirique qui nous y mène, et pas davantage un arrière-plan prescri
ptif masqué – un moralisme préconçu. C’est, une fois de plus, l’analyse philosophique des con
cepts. Nous pensons en effet que la tâche présente de la philosophie de l’éducation n’est plus t
ant de fournir en catégories, en notions et en concepts le marché des idées, mais d’aider à com
prendre et à interpréter les phénomènes de l’éducation, au-delà d’une fallacieuse causalité don
t l’explication positiviste a abondamment recouvert le réel, au point de le rendre méconnaissa
ble. Et singulièrement, le champ de l’éthique.
2.La structure éthique de l’éducation
Qui est cet autrui qui est concerné par l’éducation ? Il est d’abord ce que les Grecs no
mmaient les Neoî, et que nous avons bien du mal, désormais à désigner. Les Neoî, c’est cet au
trui-nouveau qui advient à toute communauté à condition qu’elle accepte de ne pas le réduire
à ce qui est déjà présent, mais qu’elle le considère comme chance ; les Neoî commandent ains
i un mode particulier du respect, non pas en raison de leurs déficits ou de leurs incapacités – c
e qui sera le propre de la pensée moderne, mais parce qu’ils promettent un enrichissement de
l’interprétation du monde, un « rajeunissement » du sens de notre expérience (les romains dési
gnaient les Neoî par le terme de juventes). Mais en tant que promesse, autrui-nouveau ne peut
être respecté que par l’entreprise d’une éducation, parce qu’il est inachevé - non en tant qu’in
dividu, ce qui n’a pas de sens, car nous sommes tous des êtres de finitude, mais en tant qu’inte
rprète et acteur futur du monde. L’éducation est ainsi la tâche éthique essentielle que nous dev
87
LEMOSSE M. Le professionnalisme des enseignants : le point de vue anglais. Recherche et formation, 1989, n°
6.

88
NODDINGS N. Caring, a feminine approach to Ethic and moral education. Los Angeles : University of Califor
nia Press, 1984.
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ons entreprendre vis-à-vis des Neoî. C’est le fondement même du droit à l’éducation89 , souve
nt obscurci parce que les Neoî, en tant que structure d’existence, sont rabattus sur la subjectivi
té concrète et privée d’élèves dans l’état juridique de minorité.
Mais autrui est également représenté par les Neoî des Neoî, c’est-à-dire que l’éducatio
n vise un horizon qui dépasse la proximité de ceux qui nous succèdent : nous voulons qu’à leu
r tour « ceux que nous laisserons après nous », pour reprendre l’expression d’Aristote, puissen
t éduquer leurs propres successeurs, dans la fidélité au principe de respect qui nous a conduits
à les éduquer eux-mêmes. Autrui dans l’éducation est un horizon dont on voit bien qu’il se dér
obe sans cesse : on peut nommer cela, avec Hans Jonas90 , les « générations futures », ce dont i
l s’agit est cette prise en compte de l’inachèvement du sens, de nous-mêmes et du refus de l’i
mmanence absolue qui consisterait à ce qu’une génération se présentât un jour comme l’huma
nité enfin réalisée. L’éducation est éthique en ce qu’elle refuse ce totalitarisme d’une détermin
ation achevée de l’essence de l’homme, selon un modèle à réaliser. Ce qu’il y avait de parado
xal et d’absurde dans les thématiques totalitaires de l’Homme Nouveau, c’est que précisément
les Neoî n’y avaient pas leur place, écrasés par le poids des exigences de l’idéologie.
Au respect dû aux Neoî se superpose donc le respect dû au monde qu’ils pourront cons
truire, si la possibilité leur en est donnée par l’éducation. L’éducation est donc la formulation
du droit qu’ont les générations futures à exister et à déterminer de manière responsable le mon
de qui sera le leur. De ce point de vue, elle vise à l’auto-affirmation d’autrui. Autrui, dans l’éd
ucation, ne se rencontre pas comme individu, et c’est le premier paradoxe de l’éducation, qui
en fait comme l’a dit Kant le premier, une tâche impossible. Car l’éducateur, l’enseignant, ont
un rapport avec des individualités. Or le premier caractère des Neoî est d’être-en-devenir. Et
c’est ce que disent les pédagogues, de plutôt s’attacher chez l’élève à la promesse d’un dévelo
ppement qu’à la déception d’une insuffisance actuelle. Mais l’être-en-devenir ne s’accomplit
véritablement que s’il est mis en rapport avec la culture et le savoir de la communauté humain
e ; jamais l’éducation, par définition, n’a pensé ce devenir comme un processus d’auto-dévelo
ppement de l’individu. C’est dans l’œuvre pédagogique de Schleiermacher que l’on rencontre
cette thématique posée le plus lucidement : l’éducation vise à transformer l’individualité en si
ngularité, par la mise en relation avec la communauté humaine, par la culture et les savoirs. Et
seule la singularité de chacun peut enrichir notre expérience commune du monde91
C’est pourquoi la structure éthique de l’acte éducatif se révèle si spécifique : aucune a
utre activité humaine, même explicitement orientée vers autrui, ne rencontre l’humanité sur u
n mode aussi fondamental, et c’est ce qui justifie, à nos yeux, le caractère essentiel de l’appro
che philosophique en éducation. Mais la tâche de la philosophie n’est pas de collecter ou d’en
registrer des événements, elle est plutôt d’aider à les penser et à les comprendre. Aussi, toute r
echerche visant à interpréter l’éthicité d’hommes au travail, si elle commence par l’élucidatio
n des concepts, doit-elle cependant se poursuivre aussitôt par une enquête empirique sur les ac
tes et discours de ceux qui sont concernés.
3.Problématique d’une recherche sur l’éthicité des enseignants
Lorsque nous avons engagé notre travail pour connaître l’origine de l’éthicité des ensei
gnants professionnels, nous avons privilégié la notion de position d’agent moral, en la disting

89
MOREAU D. « L’insertion dans l’être : la question de l’éducation dans la philosophie de Merleau-Ponty » ; Pen
ser l’éducation, n° 17, 2005.
90
MOREAU D. « Le droit à l’éducation : un enjeu de l’éthique appliquée des enseignants professionnels » ; Le dr
oit à l’éducation : quelles effectivités du Nord au Sud ? Actes du Colloque AFEC de Ouagadougou, Mars 2004.
91
JONAS H. Pour une éthique du futur, Paris, Payot, 1998. La difficulté du concept chez Jonas est qu’il est charg
é de la signification onto-théologique selon laquelle nous avons la charge de l’être-à-venir parce qu’il nous est as
signé par notre origine-même, totalement transcendante : les « générations futures » manifestent notre essence et
indiquent la possibilité de notre salut.
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uant bien des autres approches relatives aux représentations et aux postures professionnelles.
Être ou devenir un agent moral, c’est prendre position, par ses actes et ses paroles, quant à la f
in éthique poursuivie par ceux-ci, c’est tenter d’assumer cette cohérence fondamentale qui, sel
on Aristote, définit la praxis. À chaque moment donc, une position morale est objet de délibér
ation et de réflexion : elle n’est pas source habituelle des comportements, comme pourrait l’êt
re une représentation sur la moralité, ou une posture acquise par intériorisation de patterns. O
n peut même affirmer qu’il n’y a que la position morale qui exige cet effort rationnel intégral.
L’hypothèse de notre recherche a donc été, dès l’origine, que les enseignants qui début
aient dans la profession se trouvaient confrontés à cette exigence – portée par la structure mê
me de l’acte éducatif, d’avoir à conquérir une telle position d’agent moral, et qu’ils avaient le
choix, parfaitement libre, de ne pas s’y engager. Une position d’agent moral en effet n’oblige
pas au-delà d’une cognition rationnelle, et reconnaître sa portée rationnelle ne comporte aucun
e motivation à s’y atteler. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un acteur reconnaîtra qu’il est préférabl
e, relativement au sens même de l’acte éducatif, d’y agir moralement, qu’il se sentira contraint
par cette cognition, et il pourra décider pour des raisons purement subjectives de l’ignorer tota
lement. C’est la supériorité de la notion de position morale que d’éviter de recourir à des arriè
re-plans qui ne soient pas accessibles phénoménologiquement, comme la Lebensform92 , la For
me de Vie à laquelle le sujet a appartenu avant son entrée dans le métier d’enseignant. Ce n’es
t pas dire, bien évidemment, que de telles enquêtes soient dénuées d’intérêt, elles sont d’autan
t plus nécessaires qu’elles seules permettent de mieux saisir la motivation à agir qui doit succé
der à la cognition pour que l’acte moral soit entrepris, et d’analyser comment cette motivation
prend sa source dans les valeurs propres à la Lebensform du sujet. Mais l’erreur la plus comm
unément commise par les recherches positivistes est de penser que les valeurs peuvent être à l
a fois la causa efficiens et la causa finalis de l’éthicité concrète. Nous pensons tout au contrair
e que les valeurs ne sont que la causa materialis de l’agir moral. La cause finale étant la reche
rche délibérée de l’horizon transcendantal de l’essence de l’éducation et la cause formelle, po
ur être fidèle à la doctrine aristotélicienne des quatre causes, étant à rechercher dans la réflexi
on et la distanciation consécutive à l’épreuve de la réalité, ici : l’expérience professionnelle. Q
uant à la cause efficiente, il faut tenir comme étant nécessaire qu’elle est le résultat de la délib
ération morale elle-même, c’est-à-dire la décision de l’agent moral93 . Toute autre déterminati
on invalidant ipso facto le caractère moral de l’action.
On le voit donc, la notion de position morale permet seule de rendre compte de manièr
e éthique de l’éthicité d’acteurs humains. Quelle serait en effet le sens éthique d’une recherch
e en éducation qui ferait l’hypothèse que les acteurs ne sont pas libres de leurs choix moraux,
qu’ils n’obéissent qu’à des représentations, des désirs ou des fantasmes ? Elle ne pourrait pas l
onguement cacher ses arrière-pensées prescriptives ou coercitives, et en aucun cas elle ne sera
it respectueuse des acteurs sur lesquels elle prétendrait travailler ; en un mot, ce ne serait pas u
ne recherche déontologiquement acceptable… Si nous nous en convainquons, en revanche, il
nous faut trouver un moyen – cohérent avec les fins recherchées, pour entrer en contact avec l
es positions éthiques des enseignants. Et c’est ici que la double face de la métaphore de la pos

92
La Lebensform est un concept introduit par Wittgenstein pour penser comment, à travers les jeux de langage, d
es règles sont intériorisées par les sujets comme structures mêmes de la culture et de la pensée ; chaque Lebensfo
rm permet que le sujet prenne appui sur des certitudes indémontrables. Par exemple la possession d’un nom prop
re est pour chaque homme une telle certitude, extraite des jeux de langage de la Lenbensform à laquelle il apparti
ent, qui n’a pas besoin d’être démontrée. Cf. WITTGENSTEIN L. De la certitude. Paris : Gallimard, 1965.

93
Lorsqu’on veut rendre compte de l’être d’une chose, dit Aristote, quatre causes sont posées par la pensée. Dan
s l’exemple d’une coupe sacrificielle, la première est la cause matérielle : l’or de la coupe. La seconde est la for
me, qui rend la matière visible pour l’esprit comme objet. La troisième est la cause finale : la fonction de l’objet,
offrir un sacrifice. Enfin, c’est la quatrième, la cause efficiente, qui rassemble les trois premières et rend la coupe
présente : c’est l’orfèvre, travaillant la matière en lui donnant sa forme en vue du sacrifice.
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ition va se révéler féconde. Une position éthique est d’abord une position stratégique qu’il fau
t d’abord conquérir puis occuper ; elle est de nature nécessairement conflictuelle, car elle va s
e heurter à des croyances, à des préférences et à des habitudes personnelles de l’acteur : elle v
a imposer des choix et des renoncements. Il va falloir ensuite la défendre, mais comment ? L’
agent qui conquiert sa position éthique est un stratège, mais non un tacticien, car il lui manque
le savoir-faire de l’expérience, et le désarroi rend amère la victoire. Enfin, une prise de positi
on est un acte public qui rend visible et qui expose, c’est la deuxième face de la métaphore. L’
agent ne peut plus s’appuyer sur des convictions morales élaborées in foro interno dans la mes
ure où il accède à la pleine visibilité éthique, requise par son exercice professionnel qui cesse
d’être un agir de la sphère privée. S’il peut se conduire comme bon lui semble dans sa vie pers
onnelle et n’avoir de comptes à rendre qu’à sa conscience morale – car dans la sphère privée,
l’inconduite est plutôt interprétée du point de vue des affects que de la mauvaise délibération,
en revanche l’exercice d’une profession exige que rende des comptes celui qui n’est plus sujet
mais acteur d’un rôle qui lui est confié. C’est l’origine de toute déontologie professionnelle : i
nterdire que l’on puisse exercer une charge, un rôle ou une fonction avec la désinvolture et l’i
nsouciance qui, parfois, sont la tonalité majeure de la vie personnelle.
La position éthique est délibérée et publique, elle est donc accessible à la recherche. M
ais comment la recueillir ? La démarche que nous avons choisie fut celle de l’herméneutique,
conduite méthodologiquement par l’intercompréhension des positions éthiques dans des entret
iens semi-dirigés, dont les propositions furent analysées suivant leur direction illocutoire.
4.L’hypothèse d’une éthique appliquée
Les premiers résultats orientèrent l’interprétation vers l’idée d’une structuration de l’ét
hicité professionnelle94 Les positions éthiques ne pouvaient être tenues qu’en cohérence entre
elles, contrairement à des valeurs qui peuvent s’avérer conflictuelles. C’est-à-dire que les posi
tions fonctionnent comme les propositions d’une axiomatique, comme l’avait montré J. Vuille
min à propos des systèmes éthiques95 : une proposition excluant, par le choix qui en avait été f
ait, une autre proposition mais en imposant en revanche une tierce ; chaque décision morale or
ientant systématiquement les autres propositions formulées sur l’éthique. Là où la sociologie n
e pouvait collecter que des faits rhapsodiques, nous avons pu mettre en évidence la systématic
ité et la structuralité de l’éthique des enseignants, corrélats nécessaires et donc probants de so
n caractère réflexif et rationnel. Mais l’autre aspect de cette systématicité est qu’elle résulte d’
un processus dynamique, qui nous a permis alors de soutenir l’idée d’une genèse de l’éthique
professionnelle, conduite à travers un processus de construction de l’éthicité de l’agent : l’acte
ur professionnel devient un agent moral, en s’engageant dans un procès d’élaboration de struc
tures éthiques capables d’orienter son agir.
Mais pour quoi faire ? Loin d’octroyer un « supplément d’âme », comme Bergson le d
emandait à la morale pour corriger l’aveuglement de la technique, ou d’être une justification a
posteriori habillant habilement une errance pratique, l’éthique professionnelle des enseignants
est apparue comme le résultat de la résolution de problèmes liés à l’action concrète et quotidie
nne, loin des déclarations principielles et abstraites. C’est parce qu’ils se trouvent confrontés à
des problèmes éthiquement valides et dont les solutions techniques s’avèrent insuffisantes, qu
e les enseignants débutants peuvent s’engager dans la recherche de structures et de catégories
leur permettant d’envisager des solutions. C’est parce qu’ils se trouvent insatisfaits de leur ma
nière spontanée d’agir qu’ils vont tenter, par la délibération rationnelle, de produire des norme
s valides capables de guider leurs futures décisions. En un mot, nos recherches ont posé l’hyp
othèse que l’éthique des enseignants professionnels possédait les caractères d’une éthique app
94
MOREAU D. La construction de l’éthique professionnelle des enseignants : la genèse d’une éthique appliquée
de l’éducation. Thèse de Doctorat sous la direction de Marguerite Altet, Université de Nantes, Février 2003.
95
VUILLEMIN J. Nécessité ou contingence. Paris : Minuit, 1984.
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liquée.
Le concept même d’« éthique appliquée » souffre en France, nous l’avons souvent con
staté, de nombreuses confusions. Certains l’entendent comme une sub-éthique, d’autres encor
e – un peu mieux informés, n’acceptent pas d’y voir autre chose qu’une néo-casuistique. À l’o
rigine de toute éthique appliquée il y a l’affirmation de la spécificité de l’Application, telle qu
e Gadamer la formule96 . Dans les théories morales classiques de la modernité, la connaissance
des principes permet de dégager à coup sûr les maximes de l’action à conduire, et l’applicatio
n n’y est considérée que comme une déduction, faisant passer de l’universel au particulier, co
mme chez Kant. Ces théories mettent en avant l’idée d’une éthique centrée sur la conviction
morale du sujet et sur la perfection de ses intentions. Mais qu’advient-il, si les garanties métap
hysiques d’un Savoir absolu, d’un Regard Omniscient (ce que Thomas Nagel appelle le « poin
t de vue de nulle part » viennent à manquer ?
Dans les perspectives postmodernes en effet, le savoir est une construction fragile et m
enacée, qui suppose que s’établisse la mutuelle compréhension de ceux qui y participent ; or l
e partage des expériences montre au contraire que, selon la formule de Schleiermacher c’est pl
utôt la mécompréhension qui est la règle, et la parfaite compréhension l’exception. La raison e
n est à rechercher dans cette attitude fondamentale de l’homme qui est l’interprétation, en vue
de la construction d’un sens. Contrairement à ce que voulait la pensée moderne, l’homme n’es
t pas face à des objets signifiants par eux-mêmes, car le sens, lui, n’est pas un objet du monde,
facilement accessible à la pensée, comme le seraient ces objets physiques. Le sens est toujours
à venir, incertain, éphémère, sans cesse à la recherche d’un nouvel enracinement dans la confi
rmation d’un partage. Toute lecture, toute discussion, tout effort de connaissance, sont des ten
tatives de construire un sens par l’interprétation, et aucune interprétation ne peut être validée p
ar un principe qui lui serait extérieur. Nous ne pouvons pas sauter hors du cercle interprétatif.
C’est le fondement de l’herméneutique philosophique, telle que Gadamer la définit, à partir de
Schleiermacher, Dilthey et Heidegger. Il en résulte dans le domaine moral qu’aucune action n
e peut être garantie avec certitude a priori comme étant moralement bonne, et que l’applicatio
n devient alors une phase tout à fait originale de la délibération morale : l’application devient
elle-même créatrice de normes.
Parallèlement à l’herméneutique philosophique, les analyses de Max Weber97 ont perm
is de dépasser l’aporie du post-kantisme. Dans le monde contemporain complexe, il n’est pas
possible de connaître avec précision et certitude quelles seront les conséquences de chaque act
ion : les interdépendances entre les acteurs et les sphères multiples de l’agir sont désormais ho
rs de portée d’une pure conscience réfléchissante. Weber analyse les conséquences de cette co
mplexité dans le monde moral et montre qu’elle réinterroge la question de la responsabilité. Il
oppose alors une éthique de la conviction, selon laquelle l’agent se détermine à partir de ce q
u’il tient pour juste et pour bon, et se satisfait in foro interno de l’excellence morale de ses ma
ximes, à une éthique de la responsabilité dans laquelle l’agent envisage les conséquences prob
ables de ses actions pour arrêter ses décisions. Dans une éthique de la responsabilité, le problè
me de l’application passe ainsi au premier plan : que signifie en effet la validité éthique d’un p
rincipe si son application produit des effets catastrophiques ?
C’est dans ce constat que l’éthique appliquée puise sa légitimité. Le développement de
s activités s’appuyant sur la science et la technique nous amène à prendre des décisions dont n
ous ne pouvons connaître avec certitude les effets pratiques et les conséquences morales. Le p
aradoxe est donc bien d’être responsable dans l’incertitude, c’est-à-dire, d’être responsable de
l’incertitude. Ainsi commence l’éthique herméneutique : prendre en charge l’agir contemporai
96
GADAMER H. G. Vérité et méthode. Paris : Seuil, 1996.

97
NAGEL T. Le point de vue de nulle part. Combas : L’éclat, 1993.
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n qui creuse son sillon dans l’inconnu parce que se sont perdues les voies balisées du progrès
émancipateur. Nous devons à Kurt Bayertz, Professeur à l’université de Münster, d’avoir défi
ni le premier paradigme d’une éthique appliquée98En posant l’alternative de savoir « si l’huma
nité subit l’évolution sociale comme une force de la nature et la lie à elle ou si cette évolution
peut être dirigée selon des critères rationnels et humains », il conclut : « Actuellement, peu de
choses donnent à penser que ce problème puisse être résolu, théoriquement comme pratiquem
ent »99 Ni la générosité de la Providence, ni sa sécularisation dans l’achèvement de la Raison
ne peuvent plus apparaître comme des paradigmes interprétatifs aptes à éclairer nos choix, et s
ans doute convient-il de répudier l’alternative elle-même. L’année 1992 est la date choisie par
K. Bayertz de la reconnaissance de l’éthique appliquée dans l’université allemande à travers l
a publication de l’Almanach de l’éthique pratique par Meggle, Rippe et Fehige, qui recensa le
s travaux appartenant à ce champ spécifique et qui se situaient dans la voie ouverte aux Etats-
Unis par Peter Singer100 .
Cette éthique pratique n’est pas une casuistique en ce qu’elle ne traite pas de cas indivi
duels, d’agents moraux dans des situations toujours singulières, mais au contraire de problème
s ayant une signification générale, tels ceux posés par les développements de la biologie conte
mporaine, la complexification de la justice distributive, l’accélération de la pression des activi
tés humaines sur l’environnement. Contrairement à la casuistique, dans laquelle la particularit
é des cas interdit toute construction de savoirs, contrairement également aux expériences de p
ensée comme Kant lui-même les proposait en vue d’en subsumer des principes, l’éthique appl
iquée se concentre sur des problèmes réels qui ont une portée générale et qui présentent ainsi
un intérêt public, même s’il ne s’étend pas au-delà du groupe professionnel des acteurs qui s’y
trouvent confrontés. L’éthique appliquée ne vise pas universellement et abstraitement « tout êt
re doué de raison » mais précisément des hommes dont les actions rencontrent un obstacle éth
iquement (et non techniquement) déterminé. Si ces problèmes peuvent intéresser rationnellem
ent tout agent moral quel qu’il soit, il n’en demeure pas moins qu’ils ne se posent factuelleme
nt qu’à certains acteurs, et que c’est cette rencontre même qui définit éthiquement les enjeux e
t tensions propres à telle activité professionnelle.
Aussi, contrairement à la casuistique, l’éthique appliquée peut poser qu’il y a une solut
ion générale à une classe de problèmes et qu’elle est accessible par une discussion rationnelle.
La casuistique101 refusait qu’il existât une telle issue, car la rechercher conduisait assurément
à l’aporie : seule peut être envisagée une réponse à une situation particulière, non généralisabl
e à d’autres possédant des traits voisins. L’éthique appliquée sépare ainsi deux questions : cell
e de l’examen de la validité des principes, et celle de leur application cohérente et pertinente.
À partir de ces deux questions, K. Bayertz distingue trois groupes de problèmes moraux.
Le premier est celui qui résulte de la collision de principes : dans une situation donnée,
deux principes éthiques fondamentaux peuvent également être invoqués pour produire une nor
me d’action, mais leurs issues respectives sont contradictoires : solidarité/égalité, par exemple
(cf. le problème de la discrimination positive dans l’institution scolaire).
Le second est la conséquence d’un manque de clarté dans la problématisation morale d
e faits jugés empiriquement pertinents : comment remonter aux principes pour interpréter mor
alement une situation complexe ?
Le troisième est lié à la complexité de l’agir : ce sont les problèmes issus de conflits en

98
BAYERTZ K. Qu’est-ce l’éthique appliquée ? In : SOSOE L. (dir.). La vie des normes & l’esprit des lois. Paris/
Montréal : L’Harmattan, 1998.
99
BAYERTZ K. Y a-t-il des limites éthiques à la recherche scientifique ? In : Colloque de Neuchâtel, octobre
1997.
100
SINGER P. Practical ethics. New York : University of Cambridge Press, 1993.

101
JONSEN A. R. & TOULMIN S. E. The abuse of casuistry. Berkeley : University of California Press, 1989.
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tre motivations morales et mobiles extra-moraux : comment traduire en acte ce que l’on pense
être juste, ou inversement, comment orienter moralement ce qui apparaît pragmatiquement né
cessaire ?
Ce que l’éthique appliquée permet d’éviter, dans ces classes de problèmes, est l’appari
tion de ce qui chez Kant était présenté comme conflit des devoirs, et qui comme tel était réfut
é dans la mesure où toute conscience peut, dans un acte simple d’examen et de réflexion, reco
nnaître son devoir. Ou, ce qui serait le résultat de l’application d’une déontologie externe, la c
onstitution d’une hiérarchie des principes (l’égalité avant la solidarité), qui ne serait, in fine, q
u’un système relativiste de valeurs, s’opposant dogmatiquement aux systèmes concurrents. N
ous reviendrons sur cette limite.
Face à ces classes de problèmes, l’éthique appliquée propose une démarche cohérente
dont la mise en œuvre commence par une analyse explicative des dilemmes, conflits et collisi
ons de principes et qui, posant l’hypothèse d’une décision concevable, évalue le prix à payer q
ui en résultera. Cette phase évaluative correspond effectivement à cet exercice de la responsab
ilité qui caractérise l’abandon d’une éthique de la conviction. Enfin, le recueil des décisions a
cceptables dans la portée de ce qui est prévisible permet la production de normes en vue d’acti
ons futures. L’éthique appliquée fait donc, comme le demandait Gadamer, de l’application un
moment herméneutique permettant de comprendre comment un principe abstrait est toujours v
alide pour éclairer une situation nouvelle, ce qui coïncide avec ce que Dworkin nomme l’Inter
prétation créatrice102
5.La nature de l’éthique professionnelle enseignante
L’hypothèse directrice d’une éthique appliquée nous a alors amené à privilégier l’atten
tion portée sur la genèse même de l’éthique des enseignants et nous a conduit à constituer un c
orpus d’entretiens de Professeurs des Écoles débutants d’ancienneté réduite échelonnée sur tro
is ans : PE2, titulaires première et deuxième année. Nous lui avons fait correspondre d’autres
données, recueillies auprès d’enseignants confirmés ayant choisi de devenir formateurs de leu
rs jeunes collègues, dans la perspective de comprendre comment se réalisait l’étayage de cette
genèse. Les résultats obtenus ont été de deux ordres : tout d’abord structurels, ce qui répondait
bien à nos hypothèses, mais également événementiels, ce qui relevait plutôt de la sérendipité,
de la découverte inattendue.
Les enseignants débutants sont confrontés dès leur prise de fonction à des difficultés q
ue la plupart d’entre eux interprètent comme relevant de l’éthique, et qui se présentent comme
des dilemmes ou des apories. Ils découvrent alors que leurs convictions morales initiales sont
insuffisantes pour les résoudre et qu’ils doivent faire face, par eux-mêmes, à des situations for
t complexes qui outrepassent celles qu’ils avaient pu imaginer. Quelques-uns déplorent alors u
n manque de formation, d’autres enfin refusent toute épaisseur morale à des difficultés qu’ils t
raiteront plutôt techniquement, mais la plus grande part acceptera d’engager une problématisa
tion éthique, en construisant une position éthique. Le point de départ est une éthique juridique,
qui, partant du projet de construire des règles morales pour éclairer le comportement de chacu
n, peut se développer en un véritable cadre en vue d’organiser une vita studiosa103 propre à la
classe. C’est la première structure de l’éthique professionnelle qui présente un effort de systé
maticité et de cohérence, puisque l’agir de l’enseignant y est nécessairement interrogé. Mais c
e système ne concerne que les problèmes liés à la relation pédagogique propre à la classe conç
ue comme communauté d’apprentissage. Elle laisse le débutant démuni face à un autre ordre d
e conflits qui, cette fois, le cernent dans sa professionnalité même.
Si le débutant se représente généralement la difficulté de l’acte d’enseigner, il ne peut
en aucun cas anticiper l’extrême diversité des questions éthiques que sa fonction d’acteur prof
102
DWORKIN R. L’empire du droit. Paris : PUF, 1994.

103
Expression en référence à l’ouvrage de Hannah Arendt, Vita activa, Stuttgart / Berlin, Kohlhammer, 1960.
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essionnel lui fera rencontrer, avec les élèves, les parents, les collègues, tout partenaire qu’il se
ra amené à rencontrer. Il réalise alors que cette dimension humaine de sa profession revendiqu
e une éthique surérogatoire, dépassant toute déontologie formelle qui aurait pu lui être présent
ée, et qu’il n’a pas les ressources suffisantes pour y parvenir. C’est pourquoi il s’oriente vers
l’idée d’une éthique de la discussion, destinée à promouvoir autour de lui, dans son école et e
ntre collègues concernés en dehors de celle-ci, de véritables communautés communicationnell
es104 Cette structuration correspond à l’abandon véritable de toute éthique de la conviction con
çue in foro interno, et se traduit par la demande très forte des jeunes enseignants de former de
s groupes de discussion dans lesquels il soit possible de résoudre des problèmes éthiques. C’es
t ici que commence véritablement l’éthique professionnelle : dans l’abandon d’une instance m
onologique au profit d’un cadre dialogique en vue de la résolution de problèmes et de la créati
on de normes.
Enfin, s’ébauche la constitution d’un troisième système éthique, dans l’effacement pro
gressif du caractère rigide de l’éthique juridique et grâce aux premiers résultats obtenus dans l
a participation aux communautés communicationnelles. Il s’agit d’une véritable éthique herm
éneutique, qui fait passer au premier plan les exigences morales de l’acte d’éduquer, et qui s’a
ttelle à la tâche, qui paraît infinie mais nécessaire, de travailler à la compréhension mutuelle q
ui permettra que chacun reçoive de l’éducation la possibilité de s’auto-affirmer comme sujet d
ans un monde dont il partagera le sens. Comme le dit Gadamer, comprendre est un cas particu
lier de l’application d’une généralité à une situation concrète. La poursuite de nos travaux nou
s a conduit à penser que c’est dans cette herméneutique que réside le noyau propre de l’éthiqu
e des enseignants, qui n’est pas commun aux autres éthiques professionnelles. Car c’est la sou
rce de la sérendipité, le surgissement du factum pédagogique dans son caractère singulier.
6.Les épreuves herméneutiques de la construction de l’éthique des
enseignants
Dès les premiers entretiens en effet il est apparu que la construction de structures d’éth
icité était rythmée par des événements, véritables scansions dans un processus dynamique. Ce
s événements étaient vécus comme des épreuves par les jeunes enseignants, auxquelles tous se
trouvaient confrontés, mais auxquelles ils réservaient cependant un accueil personnel, en leur
octroyant une valeur et un sens propres. À la lumière des recherches ultérieures ces épreuves s
ont apparues multiples, mais leur efficience identique : provoquer une conversion du regard, u
ne éducation morale de soi au sens platonicien, ou bien, dans un sens plus contemporain, initi
er la construction de compétences interprétatives, herméneutiques plus précisément. Trois épr
euves éthiques ont été ainsi discernées et décrites.
La plus éclatante est celle de la Vulnérabilité105 Cette épreuve peut être une attitude dé
libérée du débutant. Elle passe alors par deux phases successives. Dans la première, l’enseign
ant découvre la vulnérabilité d’autrui : élève mais aussi parent, que son inexpérience met en di
fficulté. Son pouvoir insoupçonné peut être dangereux et autrui-élève y est exposé sans défens
e. Il lui importe alors de développer des compétences pour protéger autrui. Mais pour y parve
nir, et c’est la seconde phase, le débutant doit lui-même s’exposer, vulnérable, afin qu’autrui e
n retour puisse se sentir protégé : ce n’est qu’en s’impliquant, en se mettant à nu, en prenant d
es risques, que l’enseignant pourra assumer sa responsabilité vis-à-vis des plus faibles que son
t, individuellement, les élèves. L’épreuve de la vulnérabilité ouvre alors la parole, non plus la
parole magistrale, mais un dialogue où la finitude de chacun devient le ciment de la communa
uté. La vulnérabilité fonde l’intercompréhension. On peut saisir aussi que, faute de ce projet d
104
HABERMAS J. De l’éthique de la discussion. Paris : Cerf, 1992 ; APEL K. O. Éthique de la discussion. Paris : P
UF, 1994.

105
MOREAU D. L’épreuve de la vulnérabilité : une source de l’éthique professionnelle des enseignants. Penser l’
éducation, 2004, n° 14.
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e s’exposer à autrui, la relation pédagogique est vécue comme un affrontement permanent don
t il s’agit de sortir victorieux par des stratégies de succès technique et de domination par le ver
be. Le projet éthique s’est mué alors en projet politique. En revanche, si le débutant assume l’
épreuve où il devient vulnérable, il permet que les élèves, en tant que sujets éthiques, construi
sent eux-mêmes des compétences grâce auxquelles chacun découvre qu’il doit répondre de l’a
utre afin de préserver le monde de la vie dans lequel il se sait lui-même protégé. Nous somme
s ici aux antipodes d’une éthique monologique de la compassion.
Mais cette épreuve de la vulnérabilité, quoiqu’elle apparaisse phénoménologiquement
première dans la recherche, n’est cependant pas dissociable dans l’expérience vécue d’une aut
re épreuve herméneutique – peut-être première dans l’ontogenèse, celle de l’opacité. En effet,
très tôt est apparu qu’un certain type de problèmes catalysait en quelque sorte le moment de la
vulnérabilité, et qu’il était centré sur la question des élèves en difficulté106 . Un élève mis en di
fficulté à l’école est un alter incompréhensible, dont l’enseignant ne peut pas interpréter de m
anière fiable les actions, les attitudes, les représentations ou les croyances. Cette opacité peut
avoir une source culturelle, et c’est d’abord ce qu’imagine le jeune débutant, avant de compre
ndre qu’elle n’est que la manifestation de l’énigme nécessaire que pose un sujet souffrant dont
on ne peut saisir la démarche cognitive. Le premier résultat de cette épreuve est la destruction
du fantasme de l’omnipotence pédagogique, et les débutants ne peuvent se réfugier très longte
mps dans cette pensée magique qu’il suffit d’apporter à l’élève ce qui lui manque, pour venir
à bout de son incompréhension. Car la grande difficulté de certains élèves ne laisse aucune pri
se à des solutions techniques. Si la vulnérabilité dévoile l’altérité, l’opacité révèle la singularit
é d’autrui : car ce qui n’est pas compréhensible dans l’élève en difficulté, ce n’est pas sa diffic
ulté mais plutôt sa propre incompréhension de ce qui semble à l’expert transparent. Et dès lors,
l’enseignant s’aperçoit qu’aucun élève n’est compréhensible, parce qu’autrui n’est pas access
ible, sauf dans l’illusion pédagogique dont le paradigme majeur est construit par Jean Itard ins
truisant Victor de l’Aveyron107
Lorsque cette illusion tombe, lorsque se manifeste ce principe d’une incomplétude péd
agogique, le risque est grand que le débutant ne se réfugie dans un scepticisme prononcé vis-
à-vis des compétences des plus expérimentés comme pour les préconisations apportées par la
réflexion pédagogique. Et cette attitude est assez légitime, dans la mesure où le noyau de la dé
couverte est bien cette impossibilité du comprendre, marque de la finitude humaine. Aussi est-
il nécessaire, décide alors le débutant, d’entreprendre un travail sur le déficit herméneutique, d
ont le but ne sera plus la compréhension parfaite, la transparence radicale, mais une approche
respectueuse de la singularité d’autrui, afin de limiter graduellement les effets de la mécompré
hension. La modification du projet éthique qui en résulte pour l’enseignant est radicale : il ne
s’agit plus d’apporter à un être déficient ce qui lui manque en matière de savoirs ou d’habileté
s, mais de l’aider à ce qu’il nous aide à le comprendre. C’est parce que les hommes se compre
nnent mal, comme l’avait montré Schleiermacher, qu’ils coopèrent et qu’ils dialoguent. Ce qu
e les enseignants installent alors dans leur pratique de classe est un intermonde de traduction,
un espace mutuel de dialogue où chacun tente de devenir un peu plus compréhensible à l’autre.
Leur projet éthique s’oriente ainsi vers une éthique de l’hospitalité, d’autant plus construite et
réfléchie qu’elle accueille les plus lointains : les Voyageurs, les enfants déficients. Selon le pri
ncipe de l’hospitalité, chacun sait que l’opacité de l’autre est la condition fondatrice de l’altéri
té, et qu’il doit faire l’effort du dialogue, du partage langagier des expériences et de leur mise
à l’épreuve pour produire des savoirs nouveaux dans une forme de vie assumée collectivemen
t.
Plus tardivement, la poursuite des recherches en direction des titulaires première année
106
MOREAU D. L’entrée dans le métier d’enseignant : les deux épreuves éthiques fondamentales. 7e Biennale de
l’Éducation et de la formation, Lyon, 2004.
107
ITARD J. Mémoire et Rapport sur Victor de l’Aveyron. Paris : Bibliothèque 10-18, 1964.
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a permis d’identifier une troisième épreuve, celle de l’assomption de la responsabilité108 . Du p


oint de vue éthique, elle signifie que le débutant accepte de passer « de l’autre côté du miroir
»109 et qu’il prend en charge globalement le poids moral de son agir professionnel : l’acteur s’
assume enfin comme agent moral. Il s’agit bien d’une épreuve, et non d’un simple passage, da
ns la mesure où son échec conduit le jeune enseignant à la démission à l’orée même de sa carr
ière. Il y a deux faces bien distinctes que décrivent les entretiens. Tout d’abord un moment réf
lexif, en fin de formation, qui amène le débutant à faire le bilan des compétences construites e
t généralement à douter de leur étendue. Mais ce doute est soumis lui-même à la pression de l’
environnement professionnel et s’en trouve amplifié parfois jusqu’à la démesure : tous y parti
cipent, parents d’élèves, collègues sceptiques, conseillers pédagogiques. Or dès ce moment, il
ne concerne plus seulement certaines compétences du débutant, mais attaque sa qualité même
et son aptitude à enseigner.
Aussi la réflexion découvre-t-elle enfin le cœur du problème de la responsabilité moral
e de l’enseignant, qui n’est pas de posséder par avance les réponses à toutes les difficultés pot
entielles de l’acte pédagogique, mais, tout différemment, de comprendre que l’on a construit l
es compétences permettant de problématiser éthiquement sa praxis quelles que soient les circo
nstances à venir, parce que l’on sait s’y prendre avec autrui dans le but d’assurer son éducatio
n. Le débutant assume sa responsabilité lorsqu’il reconnaît avec certitude qu’il peut avoir conf
iance dans la relation pédagogique, parce qu’il peut faire confiance dans l’intelligence hermén
eutique des élèves et que ceux-ci pourront avoir confiance dans la sienne propre : à aucun mo
ment, les élèves et leur maître ne seront démunis et exposés à la perte de sens, au dépassement
des limites, à la dissolution de la communauté, à cette catalysis si redoutée des Grecs. Cette as
somption de la responsabilité manifeste des compétences qui peuvent s’exprimer à partir des p
rincipes herméneutiques premiers qui fondent l’éthicité de la relation éducative : le principe d’
indulgence110 l’anticipation de la perfection111 la pertinence interprétative.
Il est permis de comprendre que les compétences ainsi synthétisées par l’assomption d
e la responsabilité résultent des deux épreuves antérieurement décrites, et que dès lors ce troisi
ème moment est une interprétation créatrice dans laquelle le débutant comprend, en un bloc, l’
essence de sa professionnalité : son noyau éthique propre. Aussi pensons-nous qu’il devient p
ossible désormais d’apporter des éléments de réponses à nos questions initiales.

7.L’orientation de la formation : déontologie ou éthique appliquée ?


Le problème qui était posé était celui de savoir si la requête d’une éthicité concrète des
enseignants devait être satisfaite par l’imposition d’une déontologie institutionnellement déter
minée ou s’il était pertinent de laisser les praticiens résoudre par eux-mêmes cette question. Il
est légitime de penser que cette alternative n’est peut-être pas fondée.
Nos recherches ont mis en évidence la genèse d’une éthique professionnelle, mais elles
n’ont pas prétendu être une enquête statistique de masse, qui, au demeurant, n’eut été qu’un vi
sage fugitif de la morale enseignante. La proposition que nous pouvons retenir est en effet con
ditionnelle : si les enseignants entrent dans une démarche de professionnalisation, alors celle-
ci est centrée sur l’éthique et se structure selon les modes que nous avons décrits, comme les s
euls pertinents a priori, étant donné les conditions formelles du problème. Mais cette propositi
on est purement contrefactuelle, si on veut l’appliquer à des enseignants non professionnalisé
s : « s’ils s’étaient professionnalisés, ils auraient construit une éthique », et cependant à nos ye
108
MOREAU D. & LESTERLIN B. L’assomption de la responsabilité : l’entrée des jeunes enseignants dans la profe
ssionnalité. 8e Biennale, Lyon, 2006.

109

110
QUINE W. O. Le mot et la chose. Paris : Flammarion, 1977.
111
GADAMER H. G. op. cit.
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ux elle est suffisante pour résoudre la difficulté, si on la situe bien dans son origine, c’est-à-dir
e en amont. En effet, un enseignant non professionnalisé est un praticien qui n’a pas construit
les compétences de réflexivité, d’auto-évaluation, d’auto-formation, d’auto-efficacité personn
elle et de communication entre pairs que l’on s’accorde à reconnaître actuellement112 En un m
ot, un tel enseignant ne peut pas prendre la position d’un agent moral. Quels seraient les effets
dans ce contexte d’une déontologie ? Une véritable déontologie professionnelle (médecins, av
ocats, magistrats) se concrétise toujours par la prestation d’un serment. Par un tel acte, le prati
cien reconnaît publiquement sa réflexivité comme constitutive de sa posture professionnelle :
manquer à son serment, c’est manquer à la promesse publiquement faite d’agir selon les princi
pes éthiques qui permettent de problématiser les situations professionnelles, et de réguler ses
pratiques selon ces normes. Une déontologie ne crée pas la réflexivité, puisqu’elle la suppose.
Aussi s’avère-t-elle éthiquement inutile dans l’hypothèse où celle-ci est en défaut, et ne peut ê
tre confondue avec des injonctions de moralité qui ne donnent, comme le montre Kant, qu’un
e conformité extérieure aux lois. En ce sens, l’idée même d’un Code, si elle peut interdire des
actes en prévoyant des sanctions, ne peut en aucun cas favoriser un gain en éthicité concrète.
Dans l’éducation, le droit positif suffit à réprimer les actes illégaux, mais aucun code ne peut
bannir les pratiques illégitimes qui ne respectent pas la personnalité morale de l’élève, son dro
it à l’éducation qui inclut d’être accueilli avec bienveillance dans une structure d’éducation.
Il faut cependant distinguer entre deux requêtes en vue d’une déontologie qui pourrait
être qualifiée de « forte » ou de « faible ». La première, posée par G. Longhi113 arguments pui
ssants. Le premier est que sa construction prend la figure d’une morale éclectique, qui, comm
e l’avait analysé V. Brochard114 à propos de la morale scolaire « rassemble des éléments épars,
des fragments de doctrines pris de tous côtés et rapprochés assez arbitrairement ». L’éclectis
me moral, comme le montre J. Vuillemin, interdit toute cohérence éthique, et l’on ne compren
d pas comment elle pourrait aider les professionnels. Le second argument est qu’un Code, co
mme on l’a dit, interdit le problème de l’Application et légitimise un certain fondamentalisme
qui séduit parfois de jeunes enseignants du secondaire : les réponses morales sont connues ava
nt que les problèmes ne soient posés, et les décisions sont disponibles en dehors de toute com
préhension des situations.
Contre ces dangers, Eirick Prairat défend l’idée d’une déontologie « faible »115 : « Il c
onvient donc moins de proposer un code qu’une charte, moins un catalogue d’interdits et de p
rescriptions qu’un texte plus ramassé et articulé autour de quelques articles clefs ». Si cette pr
oposition conserve la responsabilité portée par l’accès à la question de l’application, nous pen
sons cependant que son écriture devrait être a posteriori le résultat de la formation profession
nelle, plutôt que le préalable d’un agir d’enseignant. Ce serait l’introduction d’un travail d’exp
licitation autoréférentielle à partir des principes universels sous-tendus par l’acte d’éduquer, e
ntrepris par les enseignants débutants dans l’analyse herméneutique de leurs pratiques professi
onnelles116 au cours de leur formation et de leur entrée dans le métier.
L’éthicité, par définition même, résulte d’une décision libre du sujet d’engager sa pens
ée et ses actes dans la perspective du choix moral, telle que l’avait ouverte la question socratiq
ue : « comment dois-je vivre, pour être le mieux possible un homme ? » ; elle ne peut donc êtr
e contrainte. C’est pourquoi il faut se tourner à nouveau vers l’éducation, qui est la réponse pl
atonicienne à la question, ici, à l’éducation de soi-même, telle que la formation la rend possibl

112
HUGHES E.C. Le regard sociologique. Paris : EHESS, 1992.
113
HUGHES E.C. Le regard sociologique. Paris : EHESS, 1992.
114
QUINE W. O. Le mot et la chose. Paris : Flammarion, 1977.
115
LONGHI G. Pour une déontologie de l’enseignement. Paris : ESF, 1998.
116
BROCHARD V. La morale éclectique, in : Etudes de philosophie ancienne et moderne. Paris : Vrin, 1974, p. 53
6.
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e. C’est en effet dans la formation professionnelle que se joue la question de la genèse de l’éth
ique des enseignants. Nous avons mis en évidence chez les formateurs cette compétence à l’ét
ayage de la réflexion morale du débutant, très loin en général de la modélisation du compagno
nnage propre aux métiers. Les jeunes débutants initient eux-mêmes cet étayage par une deman
de forte d’un partage de la problématisation dans la structure de l’accompagnement, et se mon
trent extrêmement réticents à toute tentative d’inculcation de valeurs – c’est une conséquence
de la vulnérabilité. Les pratiques de formation qui leur paraissent alors les plus adéquates sont
l’accompagnement proche et l’analyse des pratiques professionnelles, conduites dans un souci
herméneutique. Aussi nos conclusions vont-elles, à contre-courant d’une tendance actuelle, ve
rs un optimisme raisonné dans les compétences des acteurs de l’éducation eux-mêmes à dével
opper la dimension éthique de leur profession, dans la mesure où la formation qu’ils ont reçue
leur permet d’accéder à la problématisation, seule source légitime d’une éthique appliquée, et
de refuser les fondamentalismes moraux portés par des convictions monologiques sans exerci
ce de la responsabilité. En tant qu’ouverture sur les Neoî, les « nouveaux venus », l’éducation
construit chemin faisant, par ses pratiques, les normes qui leur permettent de prendre place da
ns le monde.
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QUATRIEME CHAPITRE117

L’ETHIQUE DES PROFESSEURS


La dimension éthique de l’enseignement requiert, plus que toute autre chose, une prati
que éducative qui soit en accord avec les valeurs dont elle prétend relever. C’est comme un vé
ritable « agent moral » que le professeur doit concevoir son rôle, et développer son activité. S
on rapport à l’élève doit éviter toute logique de domination - et attester un réel souci éthique, i
mpliquant respect, sollicitude et attention. Ce souci se traduit par l’utilisation la plus judicieus
e possible de la classe et de la communauté scolaire pour promouvoir les valeurs finalement re
quises par la démocratie.
Le professeur en tant qu’agent moral ;Difficultés qu’il faut surmonter ;Les formes spéc
ifiques de cette pratique morale ;La salle de classe en tant que communauté de recherche ;L’ét
ablissement en tant que communauté de recherche-action et communauté juste ;L’établisseme
nt en tant qu’espace pour la transformation sociale
L’éthique à l’école est un des sujets qui méritent habituellement la plus grande attentio
n de toutes les personnes concernées par l’éducation formelle. Alors que nous nous sentons pa
rticulièrement désorientés face aux profondes transformations qu’il nous est donné de vivre, n
ous assistons à un redoublement d’intérêt pour les questions éthiques en général et pour la néc
essité de retrouver dans les écoles une solide éducation morale qui garantisse par la suite aux
enfants une bonne intégration sociale. La prolifération de cas de corruption dans nos démocrat
ies parlementaires ou les conflits constants entre personnes appartenant à des traditions cultur
elles différentes sont deux bons exemples, parmi tant d’autres, des facteurs qui nous entraînen
t, nous qui travaillons dans les écoles, à porter notre attention sur les problèmes éthiques.
Ce qui me pousse à centrer ma réflexion sur les professeurs c’est une attitude qui, bien
que fréquente, me laisse toujours perplexe : comment une personne qui enseigne l’éthique, pe
ut-elle faire preuve dans son comportement professionnel, devant les élèves et les collègues d
e travail d’une attitude bien peu éthique ? Ce type de personnes qui s’autoproclament professe
urs d’éthique et écrivent des livres sur la question, bien qu’ils n’aient pas l’habitude de mettre
en pratique personnellement ce qu’ils écrivent, existe réellement. La seule explication possibl
e c’est, d’abord, qu’ils réduisent l’éthique à une série de réflexions globales sur l’action humai
ne et, finalement, qu’ils n’enseignent pas l’éthique. Ils semblent dire à leurs élèves : « Faites c
e que je dis, mais ne faites pas ce que je fais », sans se rendre compte que ce qui arrive habitue
llement c’est précisément le contraire. Les personnes finissent par faire ce qu’elles ont vu fair
e et non ce qu’on leur a dit de faire. Les règles de conduite acquises par les élèves dans les éta
blissements scolaires viennent de ce qu’ils voient faire beaucoup plus que de ce qu’on ne cess
e de leur expliquer.

117
Cf. Félix Garcia Moriyón(Traduction de Claudine Adam), « L’éthique des professeurs »,p. 87-94,https://doi.o
rg/10.4000/ries.4166/05 | 1995,Éthique, école et société,Dossier. Référence papier :Félix Garcia Moriyón,
« L’éthique des professeurs », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 05 | 1995, 87-94/Référence électroni
que :Félix Garcia Moriyón, « L’éthique des professeurs », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne]
05 | 1995, mis en ligne le 16 mars 2015, consulté le 05 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/ries/41
66 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.4166/Félix Garcia Moriyón
Professeur de philosophie, Madrid, Espagne
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1.Le professeur en tant qu’agent moral118


Il est sûr que l’on peut avoir des conceptions différentes de ce que peut être l’enseigne
ment et, par conséquent, de ce que peuvent et doivent être les fonctions professionnelles des p
rofesseurs. Pourtant, si l’on tient compte des défis actuellement lancés aux systèmes éducatifs
du monde entier, la dimension morale de la pratique éducative acquiert une importance notoir
e ; c’est précisément ce dont on parle tant dernièrement quand on insiste sur la nécessité pour l
es professeurs de devenir des professionnels réfléchis ou des intellectuels critiques. Sans renie
r un certain aspect technique fondé sur des connaissances plus ou moins scientifiques, le profe
sseur est surtout un agent moral, une personne dont le travail peut être entendu comme un art
pratique où la dimension morale est fondamentale.
Si l’on suit la réflexion de Tom que nous venons de citer, cette dimension morale de la
profession éducative apparaît de manière évidente sous deux formes qui sont, en outre, vécues
de façon conflictuelle par les professeurs. Tout d’abord, le professeur est constamment obligé
de prendre des décisions concernant des personnes concrètes situées dans un cadre spécifique
de relations sociales et à un moment clé de leur développement personnel. S’il est vrai que cer
taines de ses décisions ne vont pas au-delà de celles que prend un technicien qui analyse un co
ntexte et cherche les moyens qui lui permettront d’atteindre des objectifs déterminés, réfléchir
sur ces objectifs et donc déterminer ceux qui doivent être atteints constitue une part essentielle
de la profession. Le système éducatif est clairement orienté par des objectifs, qu’ils soient imp
licites ou explicites, qui défendent un modèle de personne et un modèle de société. Il est diffic
ile de penser à une activité humaine où la raison technique et la raison des objectifs puissent êt
re totalement séparées ; dans le cas de l’éducation, cela s’avère bien sûr totalement impossible
et quand on postule cette séparation on tombe dans une manœuvre évidente de dissimulation,
on fait de l’idéologie. L’action des professeurs fait partie du domaine de la raison pratique, tel
le qu’elle est définie par Aristote et reprise par Dewey au XXe siècle, pour le monde de l’éduca
tion et de la réflexion.
Or, cet aspect de notre pratique professionnelle soulève un des dilemmes fondamentau
x auxquels nous devons faire face, celui de la neutralité dans l’évaluation. Peut-être y a-t-il en
core quelqu’un pour penser que, dans l’enseignement on peut être neutre, mais il suffit de rap
peler toute la littérature sur le « curriculum caché » pour se rendre rapidement compte que la n
eutralité est impossible, et même qu’elle n’est absolument pas souhaitable puisqu’elle attenter
ait directement à l’entreprise éducative elle-même. Il ne s’agit pas seulement des valeurs que
nous transmettons dans les différentes disciplines, ce que nous transmettons en effet dans notr
e propre pratique est encore plus important, si l’on se souvient de ce que nous disions dans l’e
xposé initial de l’exemple. Ce qui est décisif alors, ce n’est pas tant le message que le moyen,
et les valeurs que nous défendons finissent par être façonnées par la configuration spécifique,
les relations concrètes qui s’établissent dans le système éducatif. Il n’y a donc ici aucune plac
e pour une neutralité d’aucune sorte.
À aucun moment cette situation n’est aussi claire que lorsque les professeurs évaluent l
es élèves. Mettre une note, évaluer, voilà certainement une des activités du système éducatif le
s plus vulnérables du point de vue moral que soit obligée de réaliser une personne. Il ne s’agit
pas de tout ce que le système d’évaluation a d’implicite lorsqu’il établit des hiérarchies et com
pare des personnes, ou décide des possibilités offertes à un élève lors du choix de sa vie future.
Le plus important c’est que l’élève voit l’évaluation comme une contrainte permanente qui en

118
Cf.1.A.R. Tom, Teaching as a moral craft, New York, Longman, 1984. 2 P.B. Joseph et S. Efron. « Moral choices/m
oral conflicts: teachers’ self-perception », Journal of m (...)3 F. Barcena Orbe, « El tratamiento de la incertidumbre en
la enseñanza reflexiva », Revista de educa (...)

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trave sa capacité à intervenir et à défendre son propre point de vue sur le processus d’apprenti
ssage. Quelques-unes des idées répandues par Hegel décrivant la dialectique du maître et de l’
esclave peuvent parfaitement convenir pour caractériser l’influence de l’évaluation sur la relat
ion. Le modèle hégélien en tout cas n’est pas le plus fructueux pour envisager correctement le
s relations entre élèves et professeurs.
Beaucoup plus intéressant est le point de vue apporté par Levinas. D’une part, dans la
mesure où sa proposition éthique a pour point de départ la reconnaissance de l’autre, dont le r
egard exige de moi une réponse et me situe dans une certaine attitude de dépendance. La fragi
lité réelle de l’élève, son infériorité manifeste de savoir et de pouvoir, ne font qu’accentuer, si
c’est possible, cette condition d’otage d’un autre dont je ne peux, en aucun cas, manipuler l’al
térité, condition qui met en évidence la racine profonde du comportement éthique. Le seul co
mportement éthique possible du professeur face à son élève est donc la sollicitude, l’attention
et l’affection ; il a sa finalité propre : que l’élève puisse se passer de l’aide qu’il lui a apportée
dans son processus de maturation personnelle. D’autre part, la dissymétrie entre l’élève et le p
rofesseur est accompagnée de la reconnaissance par l’élève de l’autorité du professeur ; cette
autorité se trouvera accentuée si elle se présente dépouillée de tout pouvoir coercitif et favoris
e la reconnaissance rationnelle par l’élève que sans cette autorité il n’a aucune possibilité d’ar
river à être lui-même. De la même façon, Simone Weil affirme que la priorité ce sont les devo
irs et jamais les droits ; une fois de plus, la dissymétrie élève-professeur implique que dans ses
relations, le professeur est avant tout une personne dont l’activité doit être guidée par ses devo
irs vis-à-vis de l’élève, tandis que ce dernier ne peut être convenablement protégé si ce sont se
s droits qui l’emportent, même si aucun des deux ne doit renoncer au second aspect.
2.Difficultés qu’il faut surmonter 119
La première difficulté, c’est l’absence totale de formation éthique de ceux qui sont des
tinés à enseigner. Les écoles de formation des professeurs offrant des cours de formation éthiq
ue à leurs élèves sont très peu nombreuses. Il semblerait que tout le monde pense que la moral
e est une chose que l’on possède plus ou moins et que le sujet ne mérite pas que l’on y consac
re une attention particulière dans les écoles. C’est, sans doute, une grave erreur ; on ignore qu
e l’éthique est une discipline parfaitement délimitée, ayant ses propres instruments conceptuel
s d’analyse des problèmes, que l’on ne peut justement acquérir que dans le cadre d’une discus
sion sur les problèmes moraux. On ignore tout autant que l’on trouve tout un ensemble de pro
blèmes moraux liés à la pratique éducative, pour le traitement duquel existe déjà un corpus et
un très grand nombre d’expériences qu’il faut prendre en compte si l’on ne veut pas redécouvr
ir constamment le monde. Dans ce domaine de la formation des professeurs, des expériences
d’une très grande valeur existent déjà. Il est certain que cette formation devrait être cohérente
avec les exigences que je vais énoncer dans le dernier point, car les professeurs eux aussi finis
sent par faire ce qu’ils ont vu faire dans leurs écoles de formation, et non ce qu’on leur a dit q
u’il convenait de faire.
Il existe un second obstacle, beaucoup plus difficile à percevoir, dont la présence dans
le contexte culturel où nous évoluons est diffuse. Comme je l’ai déjà dit, il faut rechercher la r
acine de la dimension morale du professeur dans une combinaison appropriée entre l’acceptati
on du devoir face à l’autre, c’est-à-dire l’élève, et l’attention ou le soin que cet autre exige de
moi ; cela revient à dire que dans sa pratique doivent converger deux tendances qui actuellem
ent ne parviennent pas à trouver un terrain commun de collaboration, celle qui s’incline davan
tage vers une éthique axée sur une formulation quelque peu abstraite de la communauté de dia
logue, et celle qui désire retrouver les valeurs communautaires, la logique du cœur. Les profes
seurs vivent ce conflit entre les deux tendances, conflit présent dans la société, et trouvent très
difficile d’avoir de solides points de référence les orientant dans leur travail. Il est plus grave e
119
4 G. Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, Paris, Gallimard, 1992.
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ncore pour eux de se trouver plongés dans une société qui a fini par affaiblir profondément to
ute éthique basée sur le devoir et qui insiste uniquement sur la nécessité du développement pe
rsonnel individuel. Dans la logique de l’individualisme régnant il n’est pas si facile de reconst
ruire l’exigence du devoir ; être un professionnel critique et créatif ne peut être que partiellem
ent défini par un projet axé sur la propre réalisation personnelle. Le principe de responsabilité
peut être une voie pour jeter les fondements de l’action des professeurs, mais il ne semble pas
suffisamment solide.
3.Les formes spécifiques de cette pratique morale
À l’heure actuelle, il est certain qu’il faut vraiment avoir les nerfs solides pour exercer
en tant qu’agent moral à l’école. Il semble pourtant, comme je l’ai déjà dit, que le processus s
oit inéluctable et la radicalisation de cette entreprise peut nous aider à comprendre pourquoi le
nombre de professeurs atteints de dépressions a considérablement augmenté. Il est cependant
possible d’aborder quelques principes de base pour orienter l’activité morale des professeurs à
l’école. Je vais les présenter en parcourant trois cercles concentriques, qui ne peuvent être sép
arés qu’analytiquement.
4.La salle de classe en tant que communauté de recherche
Le noyau central de la relation pédagogique est celui qui apparaît dans la salle de class
e, quand chaque jour une personne se trouve dans l’obligation d’avoir affaire à un groupe d’él
èves. Nous ne voulons pas dire qu’il faut considérer la classe comme un élément séparé de tou
t le reste, mais il s’agit d’un moment central dans un processus plus large où interviennent des
instances étrangères à l’école et l’école elle-même comme un tout. L’axe fondamental de l’atti
tude éthique du professeur est défini par ce que j’ai décrit auparavant, en m’appuyant sur des i
dées de Levinas, telle que la dialectique de l’attention et la reconnaissance. L’élève est toujour
s une personne qui ne peut en aucun cas être manipulée et que nous sommes obligés de traiter
avec la plus grande affection, en mettant à sa disposition les instruments et les connaissances
qui lui permettront de construire sa propre identité. Cette attitude prend tout son sens quand o
n comprend que l’horizon final de tout le processus éducatif est d’obtenir que l’élève puisse se
passer du professeur, en surmontant l’asymétrie qui les caractérisait au départ. Et l’on ne parvi
endra jamais à ce point si cette autonomie de l’élève n’est pas présente dès le premier instant.
Le professeur doit aussi apprendre à dialoguer avec ses élèves, accepter un processus d
e négociation touchant aussi bien les contenus que les procédés et les notes. Il est indispensabl
e d’agir avec une transparence absolue ; il doit dès le début exposer clairement à ses élèves qu
els sont les objectifs à atteindre, comment ils seront atteints et quels seront les critères utilisés
pour évaluer le processus d’apprentissage. Mais, cela fait, il doit admettre de discuter des trois
moments, accepter le point de vue de l’élève et introduire les modifications qui s’avéreraient n
écessaires et seraient cautionnées par des motifs exposés et défendus publiquement. Même si l
a décision finale ne dépend pas des élèves, ni parfois des professeurs, la marge de discussion e
st beaucoup plus large que celle admise généralement par des professeurs trop attachés à leur
position de pouvoir et de privilège. Il en est de même pour les notes dont l’attribution nous re
vient en dernier ressort dans notre exercice professionnel ; comme elles font partie du domain
e de l’interprétation, bien qu’elles soient basées sur des critères rationnels, même le professeur
ne peut s’arroger le droit d’avoir la seule interprétation possible.
Si, comme je l’ai dit au début, je suis en train de parler de l’éthique des professeurs sér
ieusement engagés dans la démocratie, abandonner toute position magistrale ne se résume pas
à renoncer au magister dixit en cherchant à éviter tout différend. Il faut aussi pratiquer une dy
namique de collaboration dans la classe elle-même pour qu’elle devienne une sorte de commu
nauté de recherche où le processus d’apprentissage n’aille pas seulement de l’élève au profess
eur, mais aussi d’un élève à l’autre. Il s’agit de découvrir que les élèves peuvent apprendre de
leurs camarades et que le processus de connaissance est réalisé au sein d’une communauté prê
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te à maintenir un dialogue rigoureux visant à rechercher la vérité5. C’est aussi un concept cent
ral de la proposition pédagogique de Paolo Freire : personne n’éduque personne, les êtres hum
ains s’éduquent en communauté. Il suffit d’entrer dans une classe et de modifier la disposition
des tables pour vérifier le changement d’attitude des professeurs exigé par cette dynamique de
collaboration. Quand toutes les personnes de la salle, élèves et professeur, sont assises en cerc
le et voient chacune leur visage, et que la présence physique d’une place privilégiée occupée p
ar le professeur est éliminée, le type de relations entretenues dans la classe varie chaque fois q
ue le changement ne se limite pas à l’aménagement de la disposition des tables.
5.L’établissement en tant que communauté de recherche-action et communauté juste120
Ce qui se passe dans la salle de classe n’est qu’une partie importante d’un processus éd
ucatif beaucoup plus vaste. L’attitude éthique des professeurs doit aller bien au-delà de la clas
se, car il ne servirait à rien de réduire la pratique de la réflexion à quelques moments que l’on
ne peut comprendre sans les relier à tout un processus beaucoup plus vaste6. Si nous avons un
e vision globalisée de l’éducation en tant que profession, il semble nécessaire de considérer l’
établissement dans une double dimension : lieu où l’on travaille avec d’autres collègues à une
tâche commune et espace où se définissent les relations entre élèves et professeurs.
Il est certain que, contrairement à leurs déclarations, les autorités administratives ont te
ndance à limiter constamment l’autonomie des établissements, en renforçant une conception h
iérarchisée du système éducatif où le professeur est réduit au rôle de simple technicien appliq
uant des directives, sans trop y réfléchir, et où l’on exige des chefs d’établissement qu’ils surv
eillent l’application correcte de la loi. Une pratique réfléchie de l’éducation doit rompre cette
dynamique, encourager au maximum l’autonomie et l’autogestion des établissements, pour qu
e tout le monde prenne ses responsabilités et accepte de discuter non seulement des moyens n
écessaires pour atteindre les objectifs, mais aussi des objectifs eux-mêmes. Il est inexcusable
de reporter sur un autre ses propres responsabilités, ou de les éluder en prétextant les impératif
s de la loi. Aujourd’hui, alors qu’une grande partie des professeurs travaille dans l’école publi
que et est donc fonctionnaire de l’État, adopter la moralité propre à la bureaucratie, si bien déc
rite par Weber, est une atteinte directe portée à la conception de la pratique éducative que je s
uis en train de défendre dans ces lignes.
6.L’établissement en tant qu’espace pour la transformation sociale
Le système éducatif n’est pas une entité isolée, c’est une pièce fondamentale du foncti
onnement de la société dans laquelle nous vivons. L’éthique des professeurs doit aussi repren
dre les exigences du rôle social que joue l’école. C’est pourquoi il ne faut pas réduire l’éducati
on à un processus psychologique ou pédagogique, mais accepter pleinement sa dimension soci
ale et politique. Une grande part de tout ce que j’ai dit a pour point de départ cette implication
politique et les exigences éthiques que j’ai ébauchées sont le résultat d’une réflexion critique s
ur le rôle de l’école. Loin de convertir l’école en sphère par excellence de l’intégration sociale,
les professeurs doivent assumer leur rôle pour dynamiser la société à laquelle ils appartiennen
t, comme le pensaient les grands idéaux de l’école républicaine en France, ou ceux de La Insti
tución de Libre Enseñanza et des écoles rationalistes en Espagne.
Cela exige, entre autres choses, que les professeurs optent clairement dans le système é
ducatif pour les plus défavorisés, en s’efforçant de ne pas transformer l’apport de l’école pour
que tous les élèves aient les mêmes chances de développer au maximum leurs capacités, en un
e pure rhétorique vide de contenu. Il est trop facile de consacrer son attention aux élèves qui
montrent de plus grandes dispositions pour apprendre, ou à ceux qui possèdent le plus de capa
cités pour avancer dans leurs études. Nous ne pouvons pas être assez naïfs pour oublier que ce
s dispositions et ces capacités sont dans une grande mesure le résultat des conditions sociales

120
6 Abraham Edel, « Interpreting the teacher student transaction », Thinking, vol. 9, n° 4, p. 24-27.
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dans lesquelles vivent nos élèves. Si nous ne dirigeons pas nos efforts vers les autres élèves, n
ous courons un risque évident : l’école, au lieu d’être le domaine de la promotion personnelle
et sociale, deviendra le domaine de la consolidation et de la légitimation des inégalités déjà ex
istantes dans notre société. Je suis très inquiet à l’idée que l’actuel débat sur la qualité de l’ens
eignement ne finisse par entraîner un retour de cette capacité discriminatoire que peut avoir l’
école. De la même façon, je suis très inquiet à l’idée que dans certaines propositions d’attentio
n à la diversité et d’enseignement compréhensif le système ne finisse par condamner les class
es sociales les plus défavorisées à ne plus pouvoir sortir de leur situation de déficit culturel. Il
faut se consacrer davantage à ceux qui ont moins, non pour les laisser où ils sont, mais pour le
s aider à développer tout ce qu’ils ont en eux.
Une lecture rapide de ce que je viens d’écrire pourra peut-être provoquer chez le lecteu
r le sentiment que je demande trop aux professeurs. Il ne fait aucun doute qu’une profession c
omme l’enseignement est très exigeante et l’Organisation mondiale de la santé a des raisons d
e la considérer comme une activité des plus dangereuses. Pourtant mon intention est plutôt inv
erse. Je suis totalement convaincu que nous n’aurons la possibilité d’accomplir notre travail et
aussi d’y trouver une satisfaction profonde qui nous aidera à affronter dans de meilleures cond
itions les nombreux problèmes posés par la pratique éducative, que si nous prenons notre prof
ession au sérieux. La manière la plus salutaire et la plus gratifiante de faire face à un problème,
c’est précisément d’être conscient du problème posé.
On peut résumer très simplement tout ce que j’ai dit. Éduquer/enseigner est intrinsèque
ment une activité morale et il faut préserver au maximum cette dimension morale. D’autre par
t, la seule manière sensée de partager avec nos élèves les valeurs de base auxquelles nous croy
ons est de montrer par notre pratique quotidienne que ces valeurs ne constituent pas une moral
e au rabais dont on peut facilement s’accommoder ; elles sont si importantes qu’au lieu d’en p
arler, nous préférons les montrer dans notre activité quotidienne. C’est pour nous la seule man
ière d’obtenir la crédibilité sans laquelle notre position de maîtres se dégrade irrémédiablemen
t.
7.Quels principes éthiques à respecter pour être un bon prof ? 121
L’exemplarité professorale n’est pas à chercher du côté de l’impossible perfection. Sh
utterstock
C’est quoi, au juste, être un bon professeur ? C’est d’abord, bien sûr, maîtriser la disci
pline que l’on enseigne, et savoir transmettre les connaissances qui la composent – cette aptitu
de à mettre en scène et en énigmes les savoirs étant ce qu’on appelle « l’expertise didactique ».
Mais, au-delà de ces compétences, c’est aussi une question d’attitude. Il s’agit de se co
mporter de manière respectueuse et attentive vis-à-vis d’autrui. C’est-à-dire d’être attentif à la
fragilité et à aux difficultés de l’élève, respectueux de ses droits et de ses prérogatives.
On se situe là dans le champ de l’éthique, un enjeu qui est bel et bien au cœur du professionna
lisme enseignant. Dans les instituts de formation des enseignants, les INSPE, des modules son
t d’ailleurs consacrés depuis quelques années à cette facette du métier. Mais comment définir
concrètement une conduite « éthique » ?
1.L’importance de la justice
C’est moins la tradition, qui a longtemps fait l’éloge du maître sévère mais juste, que l
es interrogations permanentes des élèves qui nous invitent à faire de la justice la vertu premièr
e.
Suis-je noté comme je le mérite ? Pourquoi participerais-je à une punition collective si
je n’ai rien fait ? Ai-je été défavorisé par rapport à mon voisin de classe lors de la présentation
121
Eirick Prairat,Professeur de Philosophie de l’éducation, membre de l’Institut universitaire de France (IUF), U
niversité de Lorraine, Published: January 4, 2022 9.06pm SAST
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d’un exposé ? Une sélection sur dossier sera-t-elle aussi impartiale qu’un examen ? Les objets
de questionnement varient selon les âges, mais, quel que soit le niveau scolaire, cette question
de justice est récurrente.
Il faut l’envisager dans deux perspectives distinctes. D’une part, le professeur se rappo
rte à l’élève en tant que sujet de droits. Il respecte les textes officiels, donnant ainsi l’assuranc
e aux élèves que tous seront traités de la même manière, dans le respect de leurs prérogatives,
même quand ils seront sanctionnés.
D’autre part, il s’adresse aussi à des sujets apprenants qui, appréhendés cette fois sous
l’angle de leurs capacités, apparaissent très différents les uns des autres. Ils n’ont pas les mêm
es motivations ni les mêmes envies de réussir, ils n’ont pas eu les mêmes aides ni les mêmes s
outiens. Cette différence, que l’on appelle parfois « rapport social et épistémique au savoir »,
l’école ne saurait y être indifférente.
Les interrogations permanentes des élèves nous invitent à faire de la justice la vertu pr
emière. Shutterstock ; Devant accompagner des élèves qui ne partent pas dans la vie avec les
mêmes chances, le maître juste sait aussi faire vivre la dialectique de l’égalité et de l’inégalité.
Égalité dans les attentes et les objectifs fixés pour toute la classe ; mais inégalité dans les appu
is et les étayages. Pour donner à tous les élèves l’opportunité d’atteindre les compétences visé
es, le professeur doit personnaliser leur accompagnement.
Il va donner plus d’attention à l’un dans telle situation, plus d’explications à l’autre dans tel au
tre cas. Il y a donc inégalité dans l’accompagnement au nom de difficultés d’apprentissage, ce
rtes contingentes, mais bien réelles. Le professeur doit savoir être au plus près de certains élèv
es ; savoir les suivre, les conseiller, les orienter pour les maintenir à l’étude.
Une présence éthique .Pour importante qu’elle est, la vertu de justice requiert la comp
agnie de deux autres vertus – la bienveillance, et le tact – pour que l’on puisse parler d’une pr
ésence éthique de l’enseignant.
Être présent, c’est être en résonance avec le groupe avec lequel on travaille. Être impli
qué, pourrions-nous dire. La présence, c’est aussi savoir être là, dans l’immédiate actualité de
ce qui arrive. Être disponible. La présence c’est enfin, ne l’oublions pas un art du présent au s
ens du cadeau, de ce que l’on donne : son énergie, ses compétences, son savoir.
Eirick Prairat : « Quelle éthique pour l’enseignant ? » (SNUipp FSU, 2016).
La présence, c’est une manière d’être, mieux, c’est une manière d’habiter la classe. C’
est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le philosophe Emmanuel Levinas lorsqu’il écrit que
« le premier enseignement de l’enseignant, c’est sa présence même d’enseignant ».
À Hannah Arendt, grande philosophe allemande naturalisée américaine, qui dans La Crise de
la culture affirme en une formule célèbre que vis-à-vis de l’élève, le maître se signale en disan
t : « Voici notre monde », Levinas lui répond plus modestement que le maître se signale en di
sant : « me voici ». Et ce « me voici » n’est pas un « j’assure » mais un « j’assume », ce n’est
pas une prise de pouvoir mais une prise de risque.
2.Bienveillance et tact
Il s’agit ensuite d’agir avec bienveillance. Il n’est pas juste de dire, comme on a pu le f
aire, que cette vertu n’est que de la complaisance. Être bienveillant, ce n’est pas plaire, c’est p
rendre soin, c’est avoir compris que celui qui me fait face est fragile et vulnérable et que nous
sommes tous d’ailleurs fragiles et vulnérables.
La bienveillance nous invite à apporter à l’élève confronté à l’inquiétude, à la désillusi
on et parfois même à la souffrance, une forme de réconfort. Quelques mots répétés, un aparté,
des encouragements appuyés peuvent suffire. Ce n’est pas grand-chose mais c’est déjà beauco
up.
La troisième vertu est le tact, vertu relationnelle par excellence mais vertu discrète, pre
sque invisible. Elle est à la fois sens de l’adresse et sens de l’à-propos. Sens de l’adresse car, q
uand je parle à Paul, je ne parle pas à Suzanne et, quand je parle à Suzanne, je ne parle pas à
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Mohamed. Mais aussi sens de l’à-propos : sens de ce qui doit être dit et comment cela doit êtr
e dit.
Le tact est la vertu du « comment », comment on fait les choses, comment on les dit. Il
se manifeste notamment quand le professeur doit rendre des travaux et les commenter. Évalue
r sans dévaluer. Aussi, la parole professorale doit être une parole polie (mais sans pathos), fait
e de retenue (mais sans dissimulation) et chaleureuse (mais sans familiarité).
3.Perfectibilité
Justice, bienveillance, tact. L’éthique enseignante mêle ces trois vertus : la justice car e
lle est souci du collectif et des équilibres, la bienveillance car elle est souci de la personne sin
gulière et le tact car il est le souci de la relation elle-même.
L’exemplarité professorale, la nécessaire exemplarité professorale, n’est pas à cherche
r du côté de la perfection, de l’impossible perfection. Rousseau l’avait bien vu :
« Une autre erreur que j’ai combattue mais qui ne sortira jamais des petits esprits, écrit le ph
ilosophe genevois, c’est d’affecter toujours la dignité magistrale et de vouloir passer pour un
homme parfait dans l’esprit de votre disciple. […] Montrez vos faiblesses à votre élève si vou
s voulez le guérir des siennes ; qu’il voie en vous les mêmes combats qu’il éprouve, qu’il app
renne à se vaincre à votre exemple. »
L’exemplarité professorale est à chercher du côté d’une fidélité silencieuse à quelques
grands principes. C’est cet engagement obstiné et sans emphase qui rend un professeur respec
table aux yeux de ses élèves. Une exemplarité ordinaire. Tout professeur peut alors raisonnabl
ement souscrire à cette conception non héroïque.
8.Les 10 qualités d’un bon enseignant 122
Depuis 1994, la journée mondiale des Enseignants est célébrée, tous les ans, le 5 octob
re. Le thème cette année est : « Un personnel fort pour des sociétés durables ».
1. Objectif : réussite
À l’île Maurice, certains enseignants sont connus comme des « faiseurs de lauréats ».
D’autres ont le ‘label’ de faire travailler les élèves jusqu’à ce qu’ils obtiennent les meilleurs ré
sultats. Tony Wong Ah Sui, recteur du Keats College à Chemin-Grenier, insiste que l’élève d
oit être mis en confiance pour faire de son mieux. Il est donc du devoir de chaque enseignant
de veiller à ce qu’il atteigne cet objectif. « Il n’y a aucune raison pour qu’un élève ne réussisse
pas… Pour réussir, l’élève a un rôle à jouer : être constant dans ses efforts et suivre rigoureuse
ment les conseils de l’enseignant.
2. Dynamisme
En classe, c’est l’enseignant qui est le maître. Tony Wong Ah Sui avance qu’il a le de
voir d’être à l’écoute de chaque élève. « L’enseignant doit avoir l’œil sur tout et porter une att
ention particulière à chacun de ses élèves. Pour ce faire, il doit trouver le temps d’accueillir ch
aque élève à sa table.» Le pédagogue souhaite que le nombre d’élèves par classe soit réduit, à
environ 25 élèves. « L’enseignant doit trouver le temps d’aider ses élèves de manière personn
alisée, pour rattraper leur retard, soit pendant les pauses, soit après les heures de classe. L’écol
e doit contribuer au développement intégral de l’enfant », ajoute-t-il.
3. Gestion de la classe
Gérer sa classe convenablement passe par la connaissance du comportement de chaque élève.
Clency Kelly – qui compte une longue expérience au primaire – insiste que l’enseignant se do
it comprendre les causes d’un acte d’indiscipline. « Il existe de nombreux facteurs familiaux/s
ociaux qui engendrent un comportement perturbateur de l’enfant, notamment un environneme
nt permissif à la maison, ce qui engendre un mauvais comportement en classe. ».

122
CF.PAR ANNICK DANIELLA RIVETContact: a.rivet@defimedia.info, 05 OCTOBRE 2015
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L’indiscipline peut aussi être causée par les enseignants eux-mêmes, lorsqu’ils favoris
ent certains actes. L’enseignant doit donc être à l’écoute des élèves, tout en demeurant ferme
dans ses décisions. Un enseignant doit pouvoir utiliser une variété de méthodes pour toucher c
haque apprenant, sinon les élèves s’ennuient et se désintéressent de la classe, provoquant par l
a même leur mauvaise conduite. Chaque élève est unique, il faut le considérer en tant que tel.
« Un manque de communication, de leadership, peut conduire à l’indiscipline en classe. »
4. Formation continue
La connaissance évolue. Ainsi, tout enseignant doit être conscient qu’il lui faut continu
er à apprendre. Clency Kelly déplore que de nombreux enseignants aient embrassé cette profe
ssion par obligation. « Au fil du temps, ils rencontrent des difficultés. Il faut aimer ce que l’on
fait. L’enseignement est une noble profession, il faut avoir la vocation pour l’exercer.»
5. Valorisation
De nos jours, avec l’évolution des mœurs, l’éducation doit s’ajuster. Ravind Gajeelee,
le directeur de Hampstead Junior School, souligne le rôle primordial de l’enseignant à cet effe
t. « Il doit pouvoir user/jouer de son influence pour faire bouger les choses vers une tendance
positive. Il faut valoriser le métier d’enseignant. Ce dernier ne doit pas se cantonner à s’occup
er de sa classe et de ses seuls élèves, avant de rentrer tranquillement chez lui.»
6. Conseiller
L’enseignant peut être un conseiller et un modèle pour les élèves. Pour le pédagogue R
avind Gajeelee, l’enseignant peut agir comme médiateur pour les élèves qui rencontrent des pr
oblèmes familiaux. « Il peut les aider à trouver des solutions. Dans certains cas, l’enseignant e
st la personne la mieux placée, ayant le tact nécessaire, la confiance et le savoir pour écouter l
es élèves en difficulté. »
7. Former
« Qui est la personne la mieux placée pour former les adultes de demain, sinon le prof
», dit Ravind Gajeelee. « On dit que l’élève est le miroir de son prof. Il reflète le caractère et l
a personnalité de ce dernier. Pourquoi ne pas saisir cette occasion pour que l’enseignant soit a
u premier plan dans la formation des jeunes qui sont les adultes de demain ? Pour ce faire, cha
que enseignant doit recevoir une formation continue qui sera axée sur les nouvelles technologi
es », poursuit-il.
8. Patience
La patience est un outil de survie. Dans le domaine de l’enseignement, la patience est l
a marque de l’enseignant expérimenté qui a mûri avec son métier. Le président de la Fédératio
n des managers des collèges privés, Basheer Taleb, fait ressortir qu’il ou elle aura appris à mai
triser ses émotions. L’enseignant a une compréhension des caractéristiques des apprenants da
ns toute leur diversité. Il ou elle a conscience de son rôle de modèle pour les adolescents en qu
ête d’identité.
Face aux troubles, souvent délibérés et prémédités, l’enseignant garde son calme, ce q
ui inspire respect et admiration, chez le jeune. « La patience, une fois ancrée dans l’entité de l’
enseignant, lui permet d’être plus objectif dans ses actions. Il peut ainsi toujours décider dans
l’intérêt supérieur de l’apprenant. Quand celui-ci réalise l’intérêt que lui porte son enseignant,
une relation de confiance s’établit entre les deux et peut les marquer pour le restant de leur vie.
»
9. Écoute
Enseigner, c’est communiquer. L’écoute fait partie intégrante de la stratégie de commu
nication. Basheer Taleb précise que celui qui n’est pas disposé à écouter ne peut communique
r avec succès.
L’écoute permet à l’enseignant d’autoévaluer sa pédagogie et d’apporter, si besoin est,
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des corrections. Sur le plan psychologique, l’enseignant écoute également les confessions du j
eune. Il prend conscience de ses difficultés à appréhender les études, mais aussi de la complex
ité de sa vie. S’établit alors une complicité entre l’apprenant et l’enseignant qui permet à celu
i-ci d’orienter le jeune dans la bonne direction. Aussi, la qualité de l’écoute importe beaucoup.
Une bonne écoute exige du temps et de la disponibilité – deux conditions trop souvent difficil
es à respecter dans le contexte de l’école.
10. Respect
Le respect se cultive et se mérite. Nul ne peut s’attendre à être respecté s’il ne manifest
e pas dans ses paroles, ses actions, ses attitudes et sa tenue un respect profond pour sa professi
on, pour les autres et pour soi-même. Dans le milieu scolaire surtout, chaque adulte doit rester
conscient qu’il existe une connexion profonde entre lui/elle et les jeunes apprenants qui sont s
i facilement impressionnables. L’école ne peut impunément blâmer les jeunes pour leur manq
ue de respect, sans assumer une part de responsabilité.
Le respect se construit par des gestes et des mots parfois anodins comme ‘bonjour’ et
‘merci’. Cela traduit un sentiment authentique qui finira par interpeller le jeune. Finalement, l
es étudiants savent très bien reconnaître les enseignants qui les aident à avancer dans leurs étu
des et leur quotidien. Avec ceux-là, ils entretiennent une relation de respect mutuel.
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CONCLUSION GENERALE

Codes de conduite des enseignants


Un code de conduite est un ensemble de directives écrites, définies par les pouvoirs pu
blics ou les organisations professionnelles qui édictent dans le détail des normes éthiques (ou
des valeurs) reconnues et des règles de conduite professionnelle auxquelles tous les membres
de la profession doivent adhérer.
En instaurant des normes de conduite professionnelle, ces codes cherchent à améliorer
l’engagement, le dévouement et la qualité des services rendus par le corps enseignant et à pro
mouvoir l’autodiscipline.
Un nombre croissant de pays se dotent de ce type de codes, dont la conception est conf
iée soit à un organisme indépendant – comme à Hong-Kong – soit aux organisations professio
nnelles elles-mêmes, comme dans l’Ontario (Canada). Des travaux de recherche ont montré q
ue si ces codes pouvaient effectivement promouvoir l’éthique dans l’éducation, leur mise en p
lace se révélait parfois ardue, du fait notamment de problèmes d’accès, de l’imprécision du co
ntenu et du manque de formation des enseignants (consulter le rapport de l’IIPE sur l’Asie du
Sud - EN).
Pour aider les pays à concevoir et mettre en place ces codes, l’IIPE a développé des Li
gnes directrices, qui décrivent chaque étape de l’élaboration d’un code.
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BIBLIOGRAPHIE GENERALE
RICŒUR P. Parcours de la reconnaissance. Paris : Stock, 2004.
MOREAU D. Le recueil de soi à l’épreuve de la post-historicité. Horizons Philosophiques, 200
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ESTRELA M. T. Autorité et discipline à l’école, Paris, ESF, 1996.
PETTIT P. Conséquentialisme et psychologie morale. Revue de Métaphysique et de Morale, 19
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LEMOSSE M. Le professionnalisme des enseignants : le point de vue anglais. Recherche et
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NODDINGS N. Caring, a feminine approach to Ethic and moral education. Los Angeles : Univ
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MOREAU D. « Le droit à l’éducation : un enjeu de l’éthique appliquée des enseignants professi
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EC de Ouagadougou, Mars 2004.
JONAS H. Pour une éthique du futur, Paris, Payot, 1998. La difficulté du concept chez Jonas e
st qu’il est chargé de la signification onto-théologique selon laquelle nous avons la charge de
l’être-à-venir parce qu’il nous est assigné par notre origine-même, totalement transcendante : l
es « générations futures » manifestent notre essence et indiquent la possibilité de notre salut.
MOREAU D. Jean-Paul, lecteur de Jean-Jacques ; l’approche herméneutique de l’éducation. Le
Télémaque, 2005, n° 27.
La Lebensform est un concept introduit par Wittgenstein pour penser comment, à travers les je
ux de langage, des règles sont intériorisées par les sujets comme structures mêmes de la cultur
e et de la pensée ; chaque Lebensform permet que le sujet prenne appui sur des certitudes indé
montrables. Par exemple la possession d’un nom propre est pour chaque homme une telle cert
itude, extraite des jeux de langage de la Lenbensform à laquelle il appartient, qui n’a pas besoi
n d’être démontrée. WITTGENSTEIN L. De la certitude. Paris : Gallimard, 1965.
Lorsqu’on veut rendre compte de l’être d’une chose, dit Aristote, quatre causes sont posées pa
r la pensée. Dans l’exemple d’une coupe sacrificielle, la première est la cause matérielle : l’or
de la coupe. La seconde est la forme, qui rend la matière visible pour l’esprit comme objet. La
troisième est la cause finale : la fonction de l’objet, offrir un sacrifice. Enfin, c’est la quatrièm
e, la cause efficiente, qui rassemble les trois premières et rend la coupe présente : c’est l’orfèv
re, travaillant la matière en lui donnant sa forme en vue du sacrifice.
MOREAU D. La construction de l’éthique professionnelle des enseignants : la genèse d’une ét
hique appliquée de l’éducation. Thèse de Doctorat sous la direction de Marguerite Altet, Univ
ersité de Nantes, Février 2003.
VUILLEMIN J. Nécessité ou contingence. Paris : Minuit, 1984.
GADAMER H. G. Vérité et méthode. Paris : Seuil, 1996.
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LONGHI G. Pour une déontologie de l’enseignement. Paris : ESF, 1998.
BROCHARD V. La morale éclectique, in : Etudes de philosophie ancienne et moderne. Paris :
Vrin, 1974, p. 536.
PRAIRAT E. De la déontologie enseignante. Paris : PUF, 2005.
C’est la fonction des séances de formation par l’analyse herméneutique des pratiques que nou
s avons menées à l’IUFM de Nantes, et à notre avis également la visée des travaux de l’équipe
d’Anne Jorro à l’Université de Toulouse II.
1 A.R. Tom, Teaching as a moral craft, New York, Longman, 1984.
Voir aussi « Conocimiento e interrogantes pedagógicos » en Cuadernos de Pedagogía,
n° 228, Barcelone, 1994, p. 70-83.
2 P.B. Joseph et S. Efron. « Moral choices/moral conflicts: teachers’ self-
perception », Journal of moral education, vol. 22, n° 3, London, 1993, p. 201-220.
3 F. Barcena Orbe, « El tratamiento de la incertidumbre en la enseñanza reflexiva », Revista
de educación, Madrid, 1993, p. 105-132. W. Herzog, « La relación pedagógica », Revista de
Educación, n° 297, Madrid, 1992, p. 47-72.
4 G. Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, Paris, Gallimard, 1992.
5 La communauté de recherche est un concept central dans tout le programme de philosophie
pour enfants. M. Lipman, Thinking in Education, Cambridge univ., 1991, p. 229-577.
6 Abraham Edel, « Interpreting the teacher student transaction », Thinking, vol. 9, n° 4, p. 24-
27.
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TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION GENERALE....................................................................................................................3
PREMIER CHAPITRE............................................................................................................................5
CONCEPTUALISATION ET PROBLEMATISATION DE L’ETHIQUE...........................................................5
Première section...........................................................................................................................5
L’éthique philosophique théorique ou éthique classique ou éthique fondamentale................5
1.Ethique de la vertu....................................................................................................................5
2.Ethique théologale.....................................................................................................................5
3.Ethique moderne rationaliste...................................................................................................5
3.1. Le rationalisme philosophique de Descartes : « Je pense, donc je suis »...........................5
3.1.1.La méthode : le doute méthodique.....................................................................................5
3.1.2.Le doute conduit à Dieu et à moi-même.............................................................................6
3.1.3.Idée mécanique et libre arbitre...........................................................................................6
3.2.Ethique moderne comme éthique pratico-déontologique....................................................7
3.2.1.Position du problème sur les principaux enjeux de la éthique-morale kantienne dont l’
accusation du « formalisme » !....................................................................................................7
3.2.2.Principales étapes de l’éthicité ou de la moralité kantienne.............................................9
1.La bonne volonté.......................................................................................................................9
2.Le devoir....................................................................................................................................9
3.2.3.Les impératifs hypothéthique et catégorique...................................................................10
1.L’impératif hypothétique........................................................................................................10
2.L’impératif catégorique..........................................................................................................10
2.1.Agir c’est agir universellement............................................................................................10
2.2.Dignité et respect de l’humanité..........................................................................................11
2.3.Principe de règne des fins et d’êtres raisonnables et libres...............................................11
2.4.volonté et raison pratique....................................................................................................11
3.Conséquences post-kantiennes de la morale pratico-déontologique....................................12
3.1. Vladimir Jankélévitch.........................................................................................................12
3.2.Emmanuel Levinas...............................................................................................................12
3.3.Paul Ricoeur..........................................................................................................................13
3.4.E. Husserl : éthique phénomélogique transcendantale......................................................14
3.5. M. Heidegger : éthique ontologique-phénoménologique-herméneutique et « praxéologiq
ue »...............................................................................................................................................15
3.6. J-P. Sartre : éthique existentialiste-humaniste..................................................................18
Deuxième section........................................................................................................................20
Ethique philosophique appliquée..............................................................................................20
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1.Karl Marx et l’Ethique matérialiste historique....................................................................20


1.1.Sa définition originelle..........................................................................................................20
1.2.Vision des sociétés.................................................................................................................21
2.H. Jonas : éthique de la responsabilité...................................................................................23
3.T.W. Adorno............................................................................................................................25
4.Jürgen Habermas....................................................................................................................25
5.Hannah Arendt........................................................................................................................26
6.John Rawls...............................................................................................................................27
DEUXIEME CHAPITRE........................................................................................................................29
L’ETHIQUE PROFESSIONNELLE ENSEIGNANTE..................................................................................29
Première section.........................................................................................................................29
Des mots-clés et des définitions..................................................................................................29
1.profession.................................................................................................................................29
2.fonction.....................................................................................................................................29
3.enseignant.................................................................................................................................29
Deuxième section........................................................................................................................30
Quelle éthique pour l’enseignant ?............................................................................................30
0.Position du problème...............................................................................................................30
1.L’estime de soi.........................................................................................................................31
1.1.Passer de l’élève au maître...................................................................................................32
1.2.Avant tout, la justice se rapporte à l’élève en tant que sujet de droits.............................32
2.La présence..............................................................................................................................33
2.1.Emmanuel Levinas, philosophe...........................................................................................33
2.2. les notions de vertu et de tact..............................................................................................34
2.3.Jean-Jacques Rousseau........................................................................................................34
Troisième section........................................................................................................................35
Ethique et Déontologie professionnelle.....................................................................................35
1.A quoi est-ce cela sert une déontologie professionnelle ?......................................................35
2.Alors qu’elle forme donner à une déontologie enseignante ?...............................................36
2.L’éthique n’est pas un supplément d’âme mais, elle est au cœur du professionnalisme
enseignant....................................................................................................................................37
TROISIEME CHAPITRE.......................................................................................................................39
L'éthique professionnelle des enseignants : déontologie ou éthique appliquée de l'éducation ? ...39
Introduction................................................................................................................................39
1.Comment interpréter l’éthicité des enseignants ?.................................................................39
2.La structure éthique de l’éducation.......................................................................................41
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3.Problématique d’une recherche sur l’éthicité des enseignants.............................................43


4.L’hypothèse d’une éthique appliquée....................................................................................44
5.La nature de l’éthique professionnelle enseignante..............................................................47
6.Les épreuves herméneutiques de la construction de l’éthique des enseignants...................48
7.L’orientation de la formation : déontologie ou éthique appliquée ?....................................51
QUATRIEME CHAPITRE.....................................................................................................................53
L’ETHIQUE DES PROFESSEURS..........................................................................................................53
1.Le professeur en tant qu’agent moral............................................................................................54
2.Difficultés qu’il faut surmonter .....................................................................................................55
3.Les formes spécifiques de cette pratique morale...................................................................56
4.La salle de classe en tant que communauté de recherche.....................................................56
5.L’établissement en tant que communauté de recherche-action et communauté juste...........57
6.L’établissement en tant qu’espace pour la transformation sociale......................................57
7.Quels principes éthiques à respecter pour être un bon prof ? .....................................................58
1.L’importance de la justice.......................................................................................................59
2.Bienveillance et tact.................................................................................................................59
3.Perfectibilité.............................................................................................................................60
8.Les 10 qualités d’un bon enseignant .............................................................................................60
1. Objectif : réussite....................................................................................................................60
2. Dynamisme..............................................................................................................................60
3. Gestion de la classe.................................................................................................................61
4. Formation continue................................................................................................................61
5. Valorisation.............................................................................................................................61
6. Conseiller.................................................................................................................................61
7. Former.....................................................................................................................................61
8. Patience...................................................................................................................................61
9. Écoute......................................................................................................................................62
10. Respect...................................................................................................................................62
CONCLUSION GENERALE......................................................................................................................63
Codes de conduite des enseignants.....................................................................................................63
BIBLIOGRAPHIE GENERALE...................................................................................................................64

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