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"La théologie morale selon René Simon : présentation et réflexion critique"

Matongo, Freddy

ABSTRACT

Ce mémoire rend compte de la logique argumentaire de la morale autonome dans le contexte chrétien
selon René Simon. Il n’y a pas opposition entre théonomie et autonomie (humaine), il y a plutôt articulation
dans le respect de chaque liberté. L’exercice de la responsabilité humaine en matière d’élaboration des
normes morales relève de la raison humaine. Il s’agit là d’une réponse d’homme à un appel (de Dieu, d’une
parole qui le précède, du visage de l’autre …). Cette réponse suppose la liberté humaine. Cependant, pour
que l’homme ne s’enferme pas dans l’immanentisme et dans l’absoluité de sa liberté et de sa raison, son
autonomie se vit comme une participation à la loi divine en faisant de son existence un récit, une analogie
qui se construit en relation avec d’autres modèles.

CITE THIS VERSION

Matongo, Freddy. La théologie morale selon René Simon : présentation et réflexion critique. Faculté de
théologie et d’étude des religions, Université catholique de Louvain, 2018. Prom. : Gaziaux, Eric. http://
hdl.handle.net/2078.1/thesis:15199

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Faculté de théologie (TECO)

La théologie morale selon René Simon


Présentation et réflexion critique

Mémoire réalisé par


Freddy MATONGO

Promoteur
Éric GAZIAUX

Lecteur(s)
Dominique JACQUEMIN
Joseph FAMEREE

Année académique 2017-2018


Master en théologie. Finalité éthique

Grand Place, 45 bte L3.01.01, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique https://uclouvain.be/fr/facultes/theologie


Dédicace

A toi ‘’Omes – a – nton1’’,

Le récit de ta vie est une identité qui constitue une réponse existentielle à l’appel de ton
Créateur. C’est ta responsabilité d’en faire un ‘’oui’’ ou un ‘’non’’ en toute liberté de
cœur et d’esprit.

1
‘’Omes – a – nton’’ est un nom propre des babunda, en République Démocratique du
Congo. C’est une personne qui crée des situations toujours nouvelles qui en appellent à
de nouvelles dispositions de l’agir humain. Un provocateur, un créatif.
Remerciements

Nous remercions l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve pour son


environnement académique qui a favorisé la réalisation de ce travail. Puissent toutes les
personnes qui ont accompagné ce travail trouver à travers ces lignes l’expression de nos
sincères dévouements : le professeur Éric Gaziaux pour sa patience et son savoir-faire
dans la promotion du présent travail. Avec lui, tous les professeurs et personnels de la
faculté de théologie (TECO) dont les enseignements, les échanges et les services rendus
nous ont permis de grandir scientifiquement.

Les camarades et collègues reçoivent notre gratitude pour leurs différentes


présences. Nous pensons aussi à toutes ces personnes connues et anonymes (à travers
l’université des ainés – UDA –) qui ont donné de leur temps pour la lecture et corrections
du présent travail.

Le diocèse de Liège et la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie


Immaculée dans lesquels nous nous épanouissons spirituellement et humainement
reçoivent ici l’expression de nos remerciements appuyés.
Introduction générale.

1. État de la question et problématique.

Les mutations sociales du monde contemporain ouvrent les voies à une humanité
pluraliste. Dans cette pluralité, se pose le problème du référentiel moral de l’agir
humain : d’où l’acte moral tient-il son fondement ? Est-il possible, dans cette pluralité,
d’avoir un référent fondamental universel ? Quelle est la responsabilité de l’homme dans
l’élaboration des normes qui doivent régir son propre agir moral ? La théologie morale
postconciliaire se heurte à cette pluralité et se déploie pour proposer quelques
orientations dans une logique d’argumentation qui fait référence à Dieu, à la
transcendance, à l’homme dans son immanence ou encore à une jonction des référents
Dieu-Homme ; transcendance-immanence ; foi et raison. Sur fond de cette référence faite
à Dieu, à la raison, à la foi, plusieurs discours sont tenus de manières différentes : en
théologie morale fondamentale postconciliaire émergent, entre autres, les débats au sujet
de la morale autonome et de l’éthique de la foi.

Dans la recherche d’un fondement universel de l’agir moral, se pose, au cœur de


ces débats, la question de la spécificité de l’éthique chrétienne, en ces termes : « … au
plan des normes concrètes, que peut apporter la foi à la réalisation de l’existence
humaine ? »2. Cette interrogation laisse entendre que pour bâtir un monde fraternel et
juste, il n’est pas besoin d’être chrétien, de croire en Dieu, il suffit d’être humain et user
de ses facultés rationnelles. Si tel est le cas, l’éthique chrétienne est-elle superflue ? Ce
questionnement va animer et accompagner différents débats.

En effet, au début des années 1970, l’accueil des actes conciliaires par les
théologiens moralistes ouvre les premiers débats entre ceux qui soutiennent le courant
de la théologie morale autonome et ceux qui se penchent sur l’éthique de la foi. Au centre
de leurs échanges se trouve l’interprétation de l’orientation de la Constitution Pastorale
‘’Gaudium et Spes’’ par laquelle l’Église déclare aller à la rencontre de l’humanité de ce

2
Jean-Marie AUBERT, Débats autour de la morale fondamentale, dans Studia Moralia, XX/2 (1982), p.
198.

1
temps avec ses réalités terrestres dont elle reconnait l’autonomie selon la volonté du
Créateur car,

« […] les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs
valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser
et à organiser, une telle exigence d’autonomie est pleinement légitime : non
seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle
correspond à la volonté du Créateur. C’est en vertu de la création même que
toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur
excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques […] » (GS,
36, 2).

Prenant en compte les mutations sociales, les joies, les peines, les interrogations,
les inquiétudes et les aspirations de l’humanité de ce temps, Gaudium et Spes marque
une ouverture à toutes les réalités humaines ; ce texte rencontre et s’adresse « […] non
plus aux seuls fils de l’Église et à tous ceux qui se réclament du Christ, mais à tous les
hommes […] » (GS, 2, 1) sans distinction. Il reconnait en l’homme la possession d’un
« germe divin » (GS 3, 2) et des capacités à organiser la vie. C’est sur cette base que
s’appuient les théologiens du courant de la morale autonome pour insister « […] sur la
dimension universelle de la morale et [mettre] en avant le rôle central de la raison
humaine dans l’élaboration des normes éthiques communes à tous. »3 Le sujet humain,
par la raison, est capable de découvrir et d’élaborer par lui-même une loi morale
universelle. Cette perspective de la morale autonome n’ignore pas la spécificité
chrétienne dans la vie humaine, mais la comprend comme une « […] morale humaine
dans sa plénitude, éclairée par le mystère du Christ, l’homme par excellence [...] En un
mot, et selon une perspective classique, la loi du Christ assume la loi naturelle, la
rédemption ne renie pas la création, la grâce ne supprime pas la nature mais l’assume et
la perfectionne. »4 Dieu n’élabore pas des normes qu’il communique à l’homme ; il le
motive et grâce à la raison, ce dernier découvre sa loi morale qui puisse régir ses actes.

Pour l’éthique de la foi, les valeurs morales reposent aussi sur la foi ; la raison
seule ne suffirait pas et ne saurait être la seule source de l’élaboration des normes morales
car, « … si le salut et la grâce élèvent l’homme au plan surnaturel, cela doit se traduire
aussi au plan des contenus normatifs, pas uniquement dans l’intentionnalité, mais aussi

3
Alain THOMASSET, Ethique, dans L. LEMOINE, E. GAZIAUX et D. MÜLLER (éds.), Dictionnaire
encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 819.
4
A. THOMASSET, Ethique, p. 819.

2
dans le ‘’faire’’. »5 Ce courant de la morale, contrairement au premier, voudrait trouver
les fondements de l’agir moral dans la Révélation, l’Ecriture. « Son objectif est de
défendre la plénitude de la morale évangélique […] »6. Pour les tenants et les défenseurs
de ce courant de la morale, la lumière de la Révélation éclaire la raison et par conséquent,
une morale autonome non éclairée par cette lumière de la Révélation est illusoire.

La dialectique entre ces deux courants de la théologie morale postconciliaire


présente deux défauts 7 : celui de la pertinence qui consiste à réduire et à minimiser
l’apport spécifique de l’éthique chrétienne, d’une part, et celui de la crédibilité d’un
discours théologique déconnecté des réalités contemporaines, d’autre part. Même s’il
demeure des points de divergence entre ces deux courants de la théologie morale,
l’évolution des débats donne lieu à d’autres voies qui permettront de dépasser le seuil de
l’élaboration des normes. La vie morale est beaucoup plus que l’élaboration des normes.
Elle prend en compte l’intégralité de la personne humaine dans ce qu’elle a d’affectif, de
social, etc. C’est ici qu’émerge l’éthique des vertus qui ne s’attèle pas simplement à
l’élaboration des principes moraux, mais cherche à faire émerger un renouveau spirituel
qui soit une manière d’habiter le monde.

Les deux décennies qui ont suivi les années septante, connaissent deux autres
débats : celui des libéraux avec des communautariens et celui qui traite de la moralité
des actes humains en examinant les problèmes de conscience, liberté et vérité.

En effet, les communautariens « veulent mettre en évidence la spécificité de la formation


éthique des sujets chrétiens au sein de traditions narratives particulières. »8 C’est-à-dire
qu’il convient pour le vivre ensemble, au moins au niveau procédural, de promouvoir la
justice ; et les libéraux « qui insistent sur la nécessaire prise en compte d’un consensus
moral et l’abstention des particularités métaphysiques ou religieuses dans le débat public
pour assurer la cohésion et la paix sociales. »9 Pour les communautariens, l’entente sur
la manière de mener la vie d’ensemble, dans la diversité, est d’une grande importance.
Dans ce nouveau débat, s’invitent d’autres éléments comme les différentes expériences
humaines appelées à entrer en dialogue. On perçoit que l’insistance n’est plus sur

5
J.-M. AUBERT, Débats autour de la morale fondamentale, p. 206.
6
A. THOMASSET, Ethique, p. 819.
7
A. THOMASSET, Ethique, p. 820.
8
A. THOMASSET, Ethique, p. 820.
9
A. THOMASSET, Ethique, p. 820.

3
l’autorité de la raison ou de la foi dans l’élaboration des normes morales, mais plutôt sur
le vécu.

Par ailleurs, certains théologiens ont trouvé la nécessité de porter leur attention sur
« l’intérêt pour l’examen d’une morale de la décision pratique et l’étude de la moralité
des actes humains en situation. » 10 Cette manière d’évaluer l’acte moral permet de
remonter à l’intention qui a animé le sujet et le but poursuivi. Surgit ainsi l’examen non
seulement des consciences, des libertés, des volontés … mais aussi des moyens mis en
œuvre pour atteindre ce but. Cependant, il est nécessaire de ne pas sombrer dans le
subjectivisme et le relativisme et négliger l’universalité et l’immuabilité du Bien moral,
car
« La moralité des actes est définie par la relation entre la liberté de l'homme
et le bien authentique. Ce bien est établi comme Loi éternelle, par la Sagesse
de Dieu qui ordonne tout être à sa fin : cette Loi éternelle est connue autant
grâce à la raison naturelle de l'homme (et ainsi, elle est « loi naturelle »), que,
de manière intégrale et parfaite, grâce à la révélation surnaturelle de Dieu
(elle est alors appelée « Loi divine »). L'agir est moralement bon quand les
choix libres sont conformes au vrai bien de l'homme et manifestent ainsi
l'orientation volontaire de la personne vers sa fin ultime[…] »11

Ainsi, ces débats en théologie morale fondamentale postconciliaire connaissent


une évolution qui peut se décrire en trois moments : le premier est celui des pionniers
qui posent le problème des fondements des normes de la morale dans un contexte de
pluralité et recherchent des fondements universels compréhensibles à toute l’humanité.
Le second moment de débat est celui qui n’insiste pas sur les fondements théoriques de
la morale, mais vise plutôt à atteindre une cohésion dans le vivre ensemble, en cherchant
la possibilité d’une éthique commune. Un troisième moment de ces débats est celui qui
laisse émerger le sujet moral avec la mise en évidence des vertus et de la spiritualité du
sujet capable de délibérer et prendre une décision pour poser un acte qu’il assume.

Nous remarquons que ces débats gardent une dialectique permanente dans la
recherche du référentiel fondamental pour l’agir humain. Nous nous posons la question
de savoir quel paradigme (modèle) fondamental convient à la société actuelle ? Est-il
possible d’établir une unité entre les deux courants de la morale postconciliaire ?

10
A. THOMASSET, Éthique, p. 821.
11
JEAN-PAUL II, Veritatis Splendor. Lettre encyclique du souverain pontife Jean-Paul II. A tous les
évêques de l’Église catholique sur quelques questions fondamentales de l’enseignement moral de l’Église,
Rome, 1993, n°72.

4
2. Hypothèses.

Partant de la description du climat des débats en théologie morale postconciliaire,


force est de constater que la société contemporaine est écartelée entre plusieurs
paradigmes, plusieurs référentiels pour fonder l’agir moral humain. D’aucuns insistent
sur la capacité de la raison, d’autres sur la foi. Dans le souci d’offrir à l’humanité un
modèle universel de ce référentiel, il est nécessaire de rechercher une base commune à
tous.

Pour peu que l’on soit attentif, on peut bien remarquer que la raison et la foi
influencent la vie et l’agir humain. Selon les tendances et convenances personnelles,
communautaires ou sociales, le sujet peut se pencher plus vers ce que lui commande sa
raison ou ses convictions de foi. C’est ainsi que l’un ou l’autre penchant peut alors se
prononcer beaucoup plus que l’autre dans l’agir de l’homme. Ceci ne voudrait pas dire
que la rationalité nie la foi encore moins que la foi nie la rationalité. Les deux sont unies
dans la même personne et l’influencent à des degrés différents. Ainsi, il est possible de
faire émerger un sujet autonome et libre qui use de cette pluralité de paradigmes, en
l’occurrence la raison et la foi, comme moyens pour construire sa vie et atteindre son but
ultime. La complémentarité dans l’usage de la raison et de la foi est une nécessité : « A
la ‘’parrhèsia’’ de la foi doit correspondre l'audace de la raison. »12

3. Méthodologie.

Ce mémoire n’entend pas rendre compte de tous les débats qui se sont tenus
pendant la période postconciliaire. Nous allons travailler sur un auteur représentatif en
milieu francophone dudit débat entre morale autonome et éthique de la foi, à savoir René
Simon, considéré comme un des théologiens optant pour une mise en évidence de
l’autonomie en morale.

Notre travail de mémoire sera divisé en quatre chapitres : le premier sera consacré
à la présentation de l’auteur en prenant en compte de manière succincte sa vie et ses
réalisations. Dans le deuxième chapitre, nous allons présenter un résumé de chacune de
ses trois monographies à travers lesquelles sortira la logique argumentaire de la morale
autonome, selon René Simon. Le troisième chapitre sera consacré au développement de

12
JEAN-PAUL II, Fides et Ratio. Lettre encyclique du souverain pontife Jean-Paul II aux évêques de
l’Église catholique sur les rapports entre la foi et la raison, Rome, 1998, n°48.

5
quelques thèmes principaux (autonomie, théonomie) de la théologie morale
postconciliaire. Dans le quatrième chapitre, nous prendrons un recul en présentant
quelques critiques à la pensée de l’auteur et nous essayerons de l’ouvrir à une articulation
avec l’éthique des vertus.

6
Chapitre premier :
René Simon, expériences et émergence d’une pensée.

Dans ce chapitre il sera question de la présentation de René Simon. Dans le premier


point, nous parlerons de sa vie et sa profession ; dans le deuxième point, nous
présenterons son œuvre en deux parties : d’une part, son œuvre pastorale et d’autre part,
dans les grandes lignes, les écrits qui ont été offerts en son honneur. Nous réservons la
présentation de ses trois monographies au chapitre troisième. Enfin, nous essayerons de
montrer le contexte de l’émergence de sa pensée.

1.1. Vie et Profession.

René Simon est né en Alsace le 24 juillet 1912, d’une famille de trois enfants.
Son père Eugène Simon, initialement travailleur dans une usine de tissage, a été mobilisé
et enrôlé dans l’armée allemande pour laquelle il a combattu pendant la première guerre
mondiale ; il en revient gravement blessé et porte un handicap qui l’empêche de
s’occuper sérieusement de la famille. Cela fait de madame Simon, Philomène Glossier
de son nom de jeune fille, seule responsable des trois frères avec lesquels elle occupe, en
guise de logement, le rez-de-chaussée de la maison d’un officier militaire dont elle est
femme de ménage. Etant donné l’exiguïté du lieu et les conditions de vie devenues
difficiles, René est envoyé au pensionnat chez les pères salésiens de Don Bosco. C’est
l’ouverture d’une nouvelle orientation de vie.

« René Simon fut à peine témoin de l’engagement d’un père au tempérament


fort et actif ; en revanche, il se souvient d’un homme devenu serein dans
l’infirmité. Dès sa tendre enfance, il fut profondément marqué par le courage
invincible d’une mère qu’il a chérie et dont il a reçu en héritage la tendresse,
l’ardeur à la tâche, la ténacité, la patience, la foi en l’avenir, la fidélité du
cœur. »13
Formé et séduit par la spiritualité salésienne, René Simon devient l’un des frères
rompus au service des jeunes. Ses affectations auprès de ceux-ci dans les structures
salésiennes lui permettent d’en être le plus proche possible, dans l’orphelinat en Palestine

13
Simonne PLOURDE, René Simon, une passion spéculative et un esprit critique au service de la vérité,
dans Rodrigue BELANGER et Simonne PLOURDE (éds.), Actualiser la Morale. Mélanges offerts à René
Simon, Paris, Cerf, 1992, p. 14.

7
comme dans l’enseignement et l’éducation des jeunes garçons à Nazareth ou à l’école
secondaire du Château d’Aix.

Jeune théologien à Lyon, il a eu « … l’intuition de ce que pouvait être la liberté


théologique face à une attitude intellectuelle qui avait été imposée jusque-là. »14 ce, grâce
à sa rencontre avec des professeurs pétris du goût de la liberté intellectuelle et de la
pensée personnelle. Cet élan sera interrompu momentanément par la seconde guerre qui
a vu René Simon être enrôlé dans l’armée française. Il retrouvera sa passion universitaire,
après son ordination en 1943 (le 29 juin). Son grand atout, la maitrise de quelques langues
telles l’arabe, le grec, le latin … et sa fréquentation d’autres lieux scientifiques dont
Rome et l’École biblique de Jérusalem qui le prédestinaient aux études bibliques et
exégétiques. C’était sans compter avec le vœu d’obéissance initialement prononcé. Il est
assigné à d’autres responsabilités : enseignement et accompagnement des jeunes
salésiens en formation philosophique. C’est dans cet exercice qu’il a aiguisé son désir de
poursuivre des études philosophiques à Louvain où une nouvelle expérience l’attendait
car,

« L’enseignement exigea de lui qu’il investit beaucoup dans la lecture des


auteurs modernes. Sa passion pour la réflexion théorique s’en trouva
comblée. Obligé d’enseigner le thomisme, il essaya d’en ouvrir les avenues,
en s’inspirant en particulier d’Etienne Gilson, de Jacques Maritain et du père
Chenu. Son autonomie et sa vigilance intellectuelles étaient déjà à
l’œuvre. »15
Le penseur René Simon se manifeste dans les milieux intellectuels de notre
époque par ses enseignements et plus encore par ses écrits et certaines associations (sur
lesquelles nous reviendrons) dont il est fondateur et/ou membre. Il meurt en 2004 à l’âge
de 92 ans.

1.2. Œuvres.

L’œuvre de René Simon peut être considérée à deux niveaux : théorique et


expérientielle. La première catégorie faisant allusion à tout ce qui, de lui, constitue une
bibliographie regroupant ses livres, ses articles et d’autres écrits qui lui ont été offerts.

14
S. PLOURDE, René Simon, p. 16.
15
S. PLOURDE, René Simon, p. 18.

8
La seconde catégorie présente les associations ou les groupes dans lesquels réflexions et
échanges vérifient et président à l’élaboration et la maturation de sa réflexion.

1.2.1. Production littéraire.

Mis à part les conférences, colloques et d’autres communications


scientifiques …, de sa plume, nous retenons trois ouvrages monographiques et de
nombreux articles que nous présentons brièvement. La logique de l’argumentation de
chacune de trois monographies fera l’objet du prochain chapitre. Ici, nous présentons
deux ouvrages : le premier, un collectif qui lui est offert (nous le présentons ici parce
qu’il donne certains éléments de sa biographie et non comme une oeuvre issue de ses
productions) et le second, un rassemblement de ses articles.

- Actualiser la morale. Mélanges offerts à René Simon, Paris, Cerf, 1992.

Ce collectif est offert en hommage à René Simon pour sa contribution à


l’ouverture de la science morale à plusieurs courants de recherche. Il est préparé et publié
sous l’impulsion des professeurs de l’Université du Québec à Rimouski au Canada où
René Simon a continué ses recherches en donnant quelques séminaires sur la nature et la
démarche éthique, après sa retraite et les tumultes qui ont secoué sa carrière de professeur
à l’Institut Catholique de Paris suite à ses prises de positions critiques à l’égard de
l’encyclique Humanae Vitae. Il a été décoré de la médaille universitaire de l’UQAR et y
a reçu, en 1992, un doctorat honoris causa pour toutes ses compétences bénéfiques à
cette université.

Regroupés en triptyque ‘’Ethique’’, ‘’Théologie’’ et ‘’Pastorale’’, les articles et


contributions des auteurs et professeurs de philosophie et/ou théologie morale traitent
des thèmes de morale tels que la bioéthique, l’écologie, l’euthanasie, etc. D’aucuns
abordent aussi les questions qui ont occupé les champs de recherche du professeur Simon
dont l’épineuse question des rapports entre la morale autonome et l’éthique de la foi, la
morale conjugale, etc. Ils présentent un parcours et font état de la question morale
enracinée dans son évolution actuelle et ouverte à l’avenir. En effet, dans une première
partie, nous découvrons l’éthique à la rencontre des réalités contemporaines concrètes
(naissance, responsabilité, euthanasie, économie, politique, paix, guerres,

9
environnement, etc.) Dans la seconde partie, le rapprochement de l’éthique avec la
théologie systématique permet de faire l’herméneutique des faits existentiels et fait
ressortir les éléments des débats entre les deux courants de morale postconciliaire. Dans
la troisième partie, les auteurs rendent compte de la dimension particulière et vécue des
questions éthiques. Par ailleurs, les éléments biographiques et bibliographiques de René
Simon y sont présentés.

- Pour une éthique commune. Réflexions philosophiques et éclairages


théologiques 1970 – 2000, Paris, Cerf, 2009.

Contrairement aux trois monographies du professeur Simon et au collectif cités,


‘’Pour une éthique commune …’’ est un rassemblement d’articles de René Simon,
publiés de 1970 à 2000. Ils sont réunis et publiés par deux de ses successeurs à la
présidence de l’association de théologiens pour l’étude de la morale (ATEM), Éric
Gaziaux et Denis Müller.

Cet ouvrage ne se lit pas de manière linéaire tant les articles réunis abordent
plusieurs questions éthiques avec des problématiques orientées de différentes manières.
Néanmoins, le regroupement en quatre parties est fait non pas en suivant la chronologie
des publications d’articles, mais selon un ordre thématique. De la distinction entre
éthique et morale qui prend en considération les réflexions philosophiques, le premier
regroupement s’ouvre au second qui traite de la personne ontologique. La troisième
partie répertorie les articles relatifs à la spécificité de l’éthique chrétienne. Cette même
orientation se prolonge dans la dernière partie abordée dans la concrétude des différentes
situations de la vie.

1.2.2. Autres productions et actions humaines.

Outre ses productions littéraires, notre auteur puise dans la réalité humaine la sève
qui nourrit sa pensée. On dirait un humaniste averti et aguerri dont l’expérience
personnelle, pastorale, environnementale … est le lieu privilégié d’où émerge la pensée,
aussi affirme-t-il que :

« La pertinence d’une théorie tient à sa capacité de rendre compte et d’être


guide de la pratique. Celle-ci, à son tour, se présente à la fois comme le lieu
de vérification de la théorie et comme le matériau à partir duquel la théorie

10
s’élabore. (…) Ce qu’il importe de toute manière de retenir, c’est que le
concept de théorie en son articulation avec la pratique renvoie à l’analyse
scientifique des situations et des faits. (…) La théorie est le guide de la
pratique. La pratique est la critique sans cesse renouvelée de la théorie. »16

C’est cette logique qui préside à sa vision du monde, de la vie, et de l’agir humain.
Sur le plan concret, cette perception de l’existence se manifeste à travers les quatre
associations relatives à l’action de notre auteur. Ces associations sont importantes en ceci
qu’elles mettent en évidence la nécessité de la pratique et de la réflexion à partir des
réalités concrètes.

- END (Équipes Notre-Dame)

Nées dans un contexte purement pastoral sous les auspices de l’abbé Henri
Caffarel, les END (Équipes Notre-Dame) ont pour vocation la sanctification des époux
et l’éducation des enfants catholiques. Cependant, dans la pratique, les réunions et
échanges entre ces couples ne se limitent pas strictement à l’environnement catholique,
mais s’étend aussi à tout autre homme ou femme du monde. Cette ouverture plait
fortement au père René Simon devenu aumônier des END. Ses contacts avec ces couples
mettent en évidence les problèmes concrets du mariage ; c’est ainsi qu’il connaît de plus
près les réalités de la vie conjugale et familiale dans ses méandres qui ne se limitent pas
au foyer mais s’étend à toute la société et à l’Église.

L’exercice de ses services d’aumônier auprès de ces couples est une occasion
pour qu’il s’engage dans la réflexion et les recherches sur la morale fondamentale, les
questions portant sur le mariage et la famille. C’est dans « une pratique constamment
soumise à la réflexion philosophique et théologique (qu’) il découvrit la véritable
théologie du mariage, dont il n’avait appris à Lyon ni plus ni moins que les aspects
canoniques. »17

16
René SIMON, Pour une éthique commune. Réflexions philosophiques et éclairages théologiques 1970-
2000. Textes réunis par Éric Gaziaux et Denis Müller, Paris, Cerf, 2009, p. 26-27.
17
S. PLOURDE, René Simon, p. 18.

11
- ATEM (Association de théologiens pour l’étude de la morale)

Les progrès réalisés dans plusieurs domaines des sciences humaines et bien
d’autres disciplines notent à suffisance que le théologien n’est plus le seul qui incarne la
vérité et les réponses à toutes les questions qui se posent à la vie humaine. Du coup, la
compréhension théologique des questions morales qui se posent au quotidien n’est plus
du seul essor de la théologie.

Dans un environnement social français des années 1968 accueillant


concomitamment, d’une part, la révolte sociale des étudiants français contre
l’autoritarisme dans toutes ses dimensions (familial, moral, etc.), une revendication de la
liberté et, d’autre part, la publication de l’encyclique Humanae Vitae, portant sur la
régulation des naissances, l’Association de théologiens pour l’étude de la morale semble
une réponse ou un cadre nécessaire pour l’approfondissement des problèmes du monde
de ce temps. Déjà quelques années plus tôt, un groupe pluridisciplinaire parisien
composé de médecins, gynécologues, psychologues, psychanalystes, biologistes et
prêtres dont René Simon, se réunissait mensuellement pour partager et étudier « le
problème de régulation des naissances… ils partageaient tous la conviction que seule la
régulation thermique naturelle était permise… les expériences transmises ou écoutées
par les uns et les autres rendaient intenable la position initiale du groupe. »18 Riche de
cette expérience de complémentarité, pendant sa carrière professionnelle à l’Institut
catholique de Paris, René Simon a organisé quelques rencontres de théologiens et
philosophes catholiques débattant des questions soulevées par la toute récente encyclique
et celles relatives au divorce et remariage. Les échanges sont fructueux et il suggère de
fonder une association, ATEM, dont il est alors le président fondateur. Ses prises de
position sur des questions morales auront été à la base des turbulences de ses rapports
avec la hiérarchie romaine et celle de l’Institut catholique de Paris où il dispense encore
les enseignements.

- GRI (Groupe de réflexion sur l’Islam)

A soixante-quinze ans et retraité, cette intelligence, toujours imprégnée du désir de savoir


et de comprendre, ne faiblit pas et se fait toujours inventive. Les questions d’actualités
ne lui sont en aucun cas étrangères ; avec Jacqueline Constant, il lance ce groupe de

18
S. PLOURDE, René Simon, p. 19.

12
réflexion sur la présence de l’Islam en France, avec pour objectif de le comprendre à
travers tous ses visages et surtout sa coexistence avec le christianisme qui a valu à la
France le surnom de ‘’fille ainée’’ de l’Église. Nous pouvons bien y percevoir les bases
d’ouverture et de dialogue entre non seulement les religions mais aussi de celles-ci avec
l’État et d’autres courants humanistes non religieux, les rencontres des cultures.

- AETC (Association européenne de théologie catholique)

Dans une Europe désormais cosmopolite et pluriculturelle, vouée à des mutations


importantes, sa pensée théologique et son avenir se trouvent au carrefour des chemins et
méritent d’être repensés et actualisés. Le professeur et penseur René Simon fait partie de
l’Association de théologiens catholiques européens.

1.3. Contexte et émergence d’une pensée.

Partant de sa vocation salésienne et de l’exercice de son ministère, René Simon


se trouve voué et assigné au service d’autrui. Sa vie professionnelle et personnelle vacille
entre ses rencontres avec les réalités existentielles et les théories dûment élaborées et
enseignées, entre les expériences concrètes, combien riches d’enseignements, et les
principes soigneusement élaborés.

Le parcours tant humain, vocationnel que professionnel, combien riche


d’expériences et de rencontres, réalisé par le penseur René Simon est une haute école
d’apprentissage et d’élaboration d’une autonomie de la pensée. Il suffit, pour s’en
convaincre, de considérer sa tendre enfance, sa rencontre avec la spiritualité salésienne,
ses multiples expériences missionnaires et universitaires. C’est sur ce fond d’une
personnalité bâtie au fil du temps qu’il importe pour nous de chercher à comprendre le
penseur et l’auteur dont la vie, les convictions et la pensée se croisent.

13
Chapitre deuxième :
Résumés et présentation des ouvrages de René Simon.

Dans ce chapitre, nous allons essentiellement présenter les trois monographies de


René Simon. Nous le ferons en ordre chronologique de publication. Ceci nous permettra
de percevoir non seulement l’évolution de sa pensée à travers le temps, à savoir avant et
après le deuxième concile du Vatican, mais aussi et surtout la logique de son
argumentation en ce qui concerne la théologie morale.

Son premier ouvrage publié avant le Concile aborde la problématique morale


sous l’angle philosophique. Mais cela ne l’empêche pas de la mettre en dialogue avec la
théologie. Les deux autres sont publiés après le Concile dans le contexte de l’émergence
du courant moral autonome et de l’éthique de la foi.

2.1. Morale. Philosophie de la conduite humaine, Paris, Beauchesne, 1967.

Ce livre est un ensemble de cours et d’enseignements de philosophie morale. Il


est constitué de contributions des leçons de morale fondamentale. Précédées d’une
introduction qui fixe et présente la nature de la philosophie morale en la distinguant de
la théologie morale, les trois parties qui le composent rendent compte des motivations de
l’acte humain avant de confronter ce dernier à sa valeur existentielle et vertueuse. Les
notions essentielles de l’enseignement de la philosophie morale fondamentale, en
l’occurrence les cardinales, et quelques courants philosophiques y sont exposés. En
d’autres termes, ces leçons de philosophie morale étudient, dans la première partie, les
fondements de l’acte humain dans son être ; dans la seconde partie, elles abordent la
valeur morale de ces actes humains et dans la troisième partie, il est question de l’étude
des vertus.

Dans la présentation, nous allons respecter la cohérence du plan telle qu’élaborée


par le professeur René Simon.

14
2.1.1. Philosophie et théologie morale.

Avant d’aborder les trois parties qui composent cet ouvrage, René Simon les fait
précéder d’une introduction dans laquelle il présente une méthodologie dont le point de
départ de la démarche morale est non pas la norme, mais la personne humaine renvoyée
à sa conscience. L’expérience humaine est source de l’éthique, c’est le lieu de son
émergence. C’est à partir de la méthode expérientielle que l’on arrive à la méthode
régressive qui conduira à l’analyse et compréhension des valeurs et des vertus. En
d’autres termes, il renverse la démarche morale, il ne pose pas au préalable les principes
auxquels l’homme doit obéir ; il les met au second plan. La première place est accordée
à l’expérience et à la réalité (pratique) de la vie humaine. La méthode qu’il emploie dans
cet ouvrage est essentiellement dialectique : de l’expérience de la conscience comme
point de départ de la démarche morale, il met en dialogue la morale thomiste avec
d’autres courants philosophiques tels que le naturalisme, l’hédonisme, le naturalisme, le
positivisme, le conventionnalisme, le créationnisme, l’idéalisme.

Quant à la nature et à l’objet de l’éthique, il les situe entre la théorie et la pratique,


car « [la morale] opère comme toute science en donnant des raisons d’être de l’activité
morale et par conséquent en rattachant cette activité à ce qui est principe et raison d’être
dans l’ordre moral, à savoir les fins et particulièrement la fin ultime, les valeurs, le bien,
etc. On arrivera ainsi à un savoir systématique »19 qui porte sur les actes humains qui en
sont l’objet.

La distinction entre la philosophie et la théologie morale, qui sont


complémentaires, est établie dans l’approche différente de chacune de deux disciplines,
même si elles ont un même objet d’étude, les actes humains. La philosophie aborde son
objet par la lumière de la raison naturelle et la théologie se base sur la lumière de la raison
elle-même éclairée par la Révélation. Ainsi qu’il l’affirme en écrivant :

« La philosophie morale et la théologie morale se distinguent principalement


par la différence des fins qu’elles envisagent, des principes de connaissance
qu’elles utilisent, des motivations qu’elles mettent en œuvre. La fin envisagée
par l’éthique naturelle est constituée […] par la perfection et la félicité
naturelles de l’homme ; celle de la théologie morale, par la béatitude
surnaturelle. Les principes de connaissance sont respectivement […] la raison
dans son exercice naturel ; la raison encore, mais éclairée par la lumière de la
révélation. »20

19
René SIMON, Morale. Philosophie de la conduite humaine, Paris, Beauchesne, 1961, p. 21-22.
20
R. SIMON, Morale, p. 34.

15
Ces préalables établis, le professeur Simon aborde la rédaction de cet ouvrage en
commençant par poser et montrer comment la morale a son fondement dans l’homme.

2.1.2. Le fondement humain de l’acte moral.

L’acte humain avant d’être extérieur et objet de la morale est tout d’abord
psychologique, car il est volontaire et libre. En effet, il présente la volonté comme
tendance, inclination vers les appétits de l’être ; cette volonté restant éclairée par la
raison, vise le bien commun. Il précise, par ailleurs, que la volonté et la nature ne sont
pas contradictoires parce que la nature constitue l’essence de l’être. Ce bien poursuivi
constitue par ce fait même la volonté, car elle « […] est une puissance et, comme toute
puissance, elle est définie par son objet propre. Cet objet, c’est le bien universel. C’est
donc cette inclination naturelle et nécessaire qui la constitue comme volonté. »21 Dans
cette inclination, il convient aussi de faire une distinction entre l’inclination naturelle qui
est nécessaire et l’inclination élective qui appelle un choix et la liberté.

La volonté, par nature, est portée par la liberté qui implique le choix. Ce dernier
est soumis au jugement pour permettre au sujet de poser et assumer son acte. Ainsi fondé
dans l’être, l’acte humain procède de l’intelligence et de la volonté ; il prend en compte
l’intention, l’élection comme choix et délibération, pour aboutir à l’exécution22.

Outre ces descriptions sur le caractère psychologique, volontaire et libre de l’acte


humain, René Simon estime que le processus qui conduit à poser un acte est aussi
conditionné par les principes métaphysiques (états affectifs, caractère, conscience) qui
agissent dans le même sujet humain et orientent les choix et la délibération. L’acte
humain est ainsi le fruit de la coordination de plusieurs tendances conscientes ou non qui
habitent en l’homme, ainsi « la liberté humaine n’est pas absolue. »23 Elle rencontre des
obstacles intérieurs et extérieurs (violence, crainte, concupiscence, ignorance, névrose,
conditionnement sociologique) qui font que l’homme n’est pas toujours maître absolu de
son agir. Par conséquent, il fait comprendre que l’acte n’épuise pas et n’enferme pas tout
le sujet qui en est l’auteur.

21
R. SIMON, Morale, p. 40.
22
R. SIMON, Morale, p. 44-45.
23
R. SIMON, Morale, p. 57.

16
Partant de cette compréhension du fondement de l’acte humain qu’il situe dans
l’homme lui-même, en apportant des précisions sur les obstacles qui surgissent de
l’intérieur et de l’extérieur, le professeur Simon entame alors la seconde partie de
l’ouvrage avec l’étude des valeurs morales.

2.1.3. Etude des valeurs.

Le professeur Simon aborde cette étude des valeurs en deux temps : d’abord il en
fait une description en les expliquant en rapport avec quelques courants philosophiques ;
après, il les étudie en termes de normativité et loi tout en gardant une place à la liberté
de conscience.

La valeur est pour le bien, une qualité. Ce qualificatif lui est imputé quand le bien
est pris comme fin vers lequel tend l’action du sujet. Et, « un bien n’est valeur que s’il
est susceptible de déclencher le mouvement de la tendance qui lui fait face. »24 Ensuite
le professeur Simon présente les caractères d’une valeur en général avant de parler de
ceux de la valeur morale. Dans la hiérarchie qu’il établit dans l’ordre des valeurs, il y a
une bipolarité : au niveau biologique se trouvent les valeurs immanentes. Ainsi appelées
parce qu’elles répondent aux aspirations de l’esprit du sujet ; c’est le niveau subjectif. En
effet, « il est de l’essence de la valeur de pouvoir s’incarner, de porter en elle, en un
certain sens, une exigence d’incarnation et d’impliquer, pour le sujet axiologique, un
appel à se déplacer vers elle. » 25 Au niveau réflexif ou spirituel, interviennent la
dimension de la transcendance et la surdétermination de la valeur. Ce qui voudrait dire,
en d’autres termes que l’incarnation de la valeur ne signifie pas une subjectivité ou un
enfermement dans un sujet singulier encore moins dans ses actes ; la valeur « est
supérieure aux faits et aux actes. » 26 Elle dépasse les bornes individuelles ; c’est la
dimension objective et à ce titre, elle est communicable et capable d’ouvrir le sujet à
l’intersubjectivité. Il ajoute une autre dimension bipolaire qu’il qualifie d’antithétique :
celle qui consiste à affirmer ou à nier une réalité (vrai-faux ; beau-laid).

Quant à la valeur morale, le professeur Simon lui reconnaît trois caractères


essentiels : elle est personnelle parce qu’elle intéresse la personne dans son

24
R. SIMON, Morale, p. 77.
25
R. SIMON, Morale, p. 78.
26
R. SIMON, Morale, p. 78.

17
individualité et dans sa liberté. C’est à ce niveau de liberté que l’homme donne sens à la
valeur. Elle est urgente en ceci qu’elle exige l’action du sujet ; elle est enfin obligatoire
parce qu’elle n’est pas récusable, elle s’impose.

La connaissance philosophique de la valeur est ainsi secondaire par rapport à la


connaissance naturelle car la valeur s’inscrit dans l’agir concret. Même si le caractère
subjectif de l’acte peut faire courir à la valeur le risque de la relativité, la raison et la
visée du bien lui rendent son caractère objectif et trans-individuel.

C’est sur base de cette compréhension générale de la valeur que René Simon la
met en dialogue avec certains courants philosophiques (le naturalisme, l’hédonisme, le
positivisme, le conventionnalisme, le créationnisme, l’idéalisme) que nous ne
développons pas ici. D’emblée, il écarte la possibilité de poser la valeur en termes de
fonction du désir ou de plaisir de peur qu’on ne la regarde que sous une seule de ses
dimensions immanente ou transcendantale. Que l’on méconnaisse l’un ou l’autre aspect
de cette bipolarité change le sens à donner à la valeur. Elle n’est pas non plus
fondamentalement et uniquement issue de la société. Il reproche à certains courants
philosophiques cités le fait de ramener la valeur au niveau empirique alors que certains
autres ont le mérite de reconnaître en l’homme la source de la création des valeurs.

« C’est au surgissement de la liberté, à son pouvoir de transcendance ou de


néantisation, qu’est due l’apparition des valeurs. » 27 Cette irruption des
valeurs a une visée, celle du Bien. Ce dernier « est d’abord ce qui fait face à
la tendance naturelle de chaque être : bonum est quod omnia appetunt (sic) ;
il est la perfection vers quoi tend tout être du fait qu’il est ce qu’il est ; car
aucun être n’est inactif ; tout être est fait pour son opération ou mieux
‘’propter seipsum operantem’’. Doctrine d’emblée ontologique, comme on le
voit, qui s’oppose à toute forme d’idéalisme de la valeur et du bien. Le bien
peut ensuite être envisagé dans sa relation à la volonté : il exprime alors la
convenance de l’être avec l’appétit rationnel : convenance universelle, si l’on
songe que la volonté est l’appétit d’une raison à ouverture
transcendantale. »28
L’étude des valeurs dans leur description a conduit à montrer la visée de l’agir
humain qui n’est autre que le bonheur, entendu comme « cette volonté de nature qui, en
chacun de nos actes, nous fait aimer implicitement Dieu, […], explicitement, en pleine
conscience et liberté, pour la faire aboutir. C’est là notre vocation. »29 Ainsi, dans le
domaine de l’agir, la fin joue le rôle des principes ; les actes de l’homme sont donc

27
R. SIMON, Morale, p. 121.
28
R. SIMON, Morale, p. 118.
29
R. SIMON, Morale, p. 135.

18
orientés et éclairés par une conscience droite vers cette fin. C’est là que l’action de
l’homme trouve son sens.

Cependant, il convient de se demander comment ces valeurs influencent l’agir


humain. C’est ainsi qu’il propose l’analyse des vertus en termes de normativités et de
lois. Dans quel sens s’imposent-elles à l’humain ? Quelle compréhension se fait René
Simon de la norme, de la loi, de l’obligation? Ce n’est que sous ces formes (loi, norme
ou obligation) que les valeurs morales agissent et influencent le sujet humain. Et cette
influence est règlementée par la lumière de la raison. En effet,

« Si les valeurs morales sont, en quelques manières, les vecteurs de l’agir


humain, les exigences ou les appels orientés de l’action, elles ne s’inscrivent
dans l’existence, n’entrent dans le monde de l’homme, qu’en se faisant norme
ou règle, c’est-à-dire en prenant la forme, pour les puissances de réalisation
de l’agent moral, d’un dictamen rationis (sic), d’une dictée de la raison [ et
…] la bonté ou la valeur de l’acte humain réside dans sa conformité avec la
droite raison. »30
Avant de présenter toutes les acceptions de la loi et de l’obligation, il commence
par préciser et assigner deux rôles à la raison : premièrement, la droite raison est la norme
pilote. C’est-à-dire qu’elle est la cause formelle de l’acte humain posé librement ; c’est
elle le principe qui guide l’agir de l’homme, le détermine et le spécifie. Deuxièmement,
elle est norme-précepte (commandement), c’est à ce titre qu’elle devient loi. Dans les
deux cas, cette norme pilote ou précepte a une connotation d’une obligation qui rencontre
la liberté de l’homme qui peut soit l’admettre soit la rejeter. De cette action dépendra la
moralité de son acte.

S’appuyant sur saint Thomas, René Simon montre que la moralité de l’acte
humain est jugée dans son adéquation avec la droite raison : d’abord, parce que la raison
est le principe formel de l’acte humain. « Le bien de chaque être est fait de ce qui
convient à sa forme ; le mal, de ce qui lui est opposé. Or, la forme de l’acte humain, c’est
la raison. Le bien de l’acte humain lui vient donc de sa conformité à la raison ; le mal, de
sa non-conformité. »31 ; ensuite, parce que l’objet de la volonté est proposé par la raison :
si celle-ci est bonne, l’objet qu’elle propose ne saurait être mauvais. Enfin, parce que la
raison est le principe premier des actes humains en ce sens « qu’il lui revient de saisir et
de constituer les valeurs et fins de l’agir et d’y orienter la conduite humaine. »32 Si telles
sont les fonctions de la raison, elle est norme de la moralité de l’acte humain. Faut-il

30
R. SIMON, Morale, p. 142.
31
R. SIMON, Morale, p. 144.
32
R. SIMON, Morale, p. 146.

19
encore qu’elle soit droite, qu’elle ait une connaissance spéculative et pratique innée et la
connaissance des principes, qu’elle « dirige l’action à la lumière de la syndérèse ou de la
loi naturelle, entendue ici comme norme-pilote ou comme ordre auquel l’homme doit
conformer son agir pour réaliser sa vocation d’homme. »33

Ainsi définie, la droite raison est différente de la conscience entendue comme


norme de la moralité subjective. La droite raison est à comprendre non comme une
faculté mais comme une dictée ; elle est entendue dans sa normativité objective. Elle est
homogène et ne se confond pas avec la loi éternelle qui, elle, est suprême et
transcendante. La droite raison, avec ses valeurs humaines, est ouverte à la loi éternelle
qui est la raison divine sur laquelle elle (raison humaine) se fonde. C’est par ce
mécanisme d’ouverture que l’homme, créature raisonnable, participe, par la création de
ses valeurs, à sa propre providence. De cette manière, la nature humaine peut alors être
la norme fondamentale de l’agir moral. Aussi, les valeurs humaines sont bonnes en elles-
mêmes et président à la bonté de l’acte humain dans le rapport qu’il y a entre la droite
raison (qui prend en compte l’objet de l’agir, les circonstances, l’intention) et la raison
éternelle. Quant au jugement à porter sur la bonté ou la malice de l’acte humain, cela
dépend de la bonté ou de la malice de l’objet de cet acte34. L’on peut donc comprendre
que, pour René Simon, la normativité est intrinsèquement liée à la valeur, celle-ci
découlant de la droite raison ouverte à la raison éternelle.

La loi, quant à elle, ordonnée à la raison, vise le bien commun et doit être
promulguée par le responsable en charge de la communauté qu’elle est appelée à régir.
Elle (la loi) est faite de la raison comme élément qui ordonne l’ordonnancement de l’agir
humain dont la finalité est le bien commun. En rattachant la loi à la raison humaine et à
la loi éternelle, le professeur Simon récuse l’idée de fixer l’origine de la loi dans la
société. Elle n’est pas extérieure à l’homme.

Les trois sortes de lois (éternelle, naturelle et humaine) sont étroitement liées. Par
la loi naturelle, l’homme participe à la loi éternelle qui est universelle et divine. C’est
dans cette participation que la loi naturelle peut se matérialiser dans la loi humaine. Le
contenu de la loi naturelle est ainsi un principe qui, par la syndérèse, illumine les

33
R. SIMON, Morale, p. 147.
34
R. SIMON, Morale, p. 147-161.

20
préceptes liés aux inclinations fondamentales de l’homme telles que la loi de
conservation, la loi de fécondité et la loi des personnes humaines.

L’aspect d’obligation morale, il l’aborde avec Kant et Bergson. Quoiqu’en


opposition, les notions d’obligation chez les deux philosophes permettent à René Simon
de toucher à l’obligation morale comme typiquement humaine. « Chez Kant, la notion
de moralité exclut la considération du bien et se définit par l’obligation ou par l’impératif
catégorique. » 35 Chez Bergson, par ailleurs, dans un premier temps, l’obligation est
présentée comme un fardeau sur la volonté, comme une nécessité contingente. En tout
état de cause, ces deux manières de concevoir l’obligation rétrécissent la notion
d’obligation morale. Car si Kant exclut la considération du bien, Bergson enracine la
morale dans le biologique et le psychologique, il méconnaît la nature de l’obligation et
vide la morale de son objectivité. La dimension rationnelle de la volonté morale a pour
mérite de dépasser les limites imposées par la nature et imprimer un dynamisme pour
l’agir humain36. Le professeur Simon estime ainsi que ces deux philosophies retiennent
deux traits de l’obligation ; elles la voient comme une imposition inconditionnelle et ne
laissent pas d’espace de réplique pour l’agent moral, d’où la possibilité psychologique et
le fondement métaphysique de l’obligation.

L’obligation ne saurait jamais être une contrainte qui irait à l’encontre de la


liberté ; il n’est pas opportun de la comprendre en rapport avec la sanction (comme
rétribution) ; elle est paradoxalement imposante, sans forcer ; elle est aussi rattachée à la
volonté divine. Cette intervention divine peut laisser entendre une contrainte
psychologique et présenter l’obligation comme extrinsèque à l’homme.

« L’obligation est donc la marque, en l’homme, d’une dépendance qui apparait jusqu’au
sein de ce qui est le plus profondément lui-même, sa liberté ; d’une exigence de
dépassement de soi, qui, tout en signifiant sa grandeur, est aussi l’indice d’une marque
et d’une pauvreté, de son indigence et de sa finitude. »37

La conscience morale se comprend en rapport avec l’objectivité de la norme et


de la loi qui ne deviennent « règle de conduite qu’en se faisant norme subjective. »38 La
conscience assume et s’approprie l’objectivité de la norme. Elle se forme et s’éduque.

35
R. SIMON, Morale, p. 197.
36
Cf. R. SIMON, Morale, p. 189-208.
37
R. SIMON, Morale, p. 215.
38
R. SIMON, Morale, p. 216.

21
Par cette appropriation de la norme, par sa formation et son éducation, permet ainsi
l’évaluation de la valeur morale.

2.1.4. Étude des vertus.

La troisième partie de cet ouvrage est consacrée à l’étude des vertus. Le


professeur Simon commence cette section par un constat du discrédit de l’usage et
compréhension de la vertu par ses contemporains (qui la relèguent au vieux temps). Aussi
propose-t-il de définir ce qu’est la vertu avant d’arriver à l’analyse des vertus cardinales.

En effet, il rappelle la notion thomiste de l’habitus pour recadrer et corriger la


compréhension stéréotypée qui sous-entend automatisme, invariabilité, inertie de
l’habitude comme ce qui est inscrit dans le sujet et que celui-ci se contenterait
simplement de reproduire même sans en avoir conscience.

« A l’encontre d’une telle théorie, l’habitus thomiste se présente d’abord


comme une manière d’être, une modalité de la substance […] qui l’affecte et
la détermine de l’intérieur, avant d’être une facilitation de l’agir. Saint
Thomas la conçoit comme un avoir permanent qui qualifie le sujet ‘’in ordine
ad raturam’’ et dispose celle-ci en bien ou en mal. »39
L’habitus se comprend ainsi comme un prérequis qui facilite l’agir comme une partie
intégrante de l’être ; il est dans la logique de ce qui est en puissance avant de se traduire
en acte. Agir par habitude implique et suppose l’intervention de la raison et de la volonté
parce que l’habitus est en relation avec les dimensions rationnelles, intellectuelles et
spirituelles du sujet. La bonté ou la malice de l’habitus dépend de son rapport avec la
nature. « La vertu est donc un habitus »40 parce qu’elle rend son objet bon ou mauvais.

Les vertus intellectuelles et morales sont celles qui perfectionnent l’agir de


l’homme. Les premières (intellectuelles) comprises comme facultés de bien agir sont de
l’ordre spéculatif (sagesse, connaissance habituelle des choses par attachement à leur
cause première) ; les secondes (morales) sont de l’ordre pratique, elles dépendent de la
volonté bonne et de la droite raison. Celle-ci permet de chercher le juste milieu parmi les
appétits sensibles et les opérations de la volonté.

Les quatre vertus cardinales ont chacune un rôle d’ordre pratique sans négliger
leur dimension intellectuelle. La vertu de prudence a une place importante dans la

39
R. SIMON, Morale, p. 233.
40
R. SIMON, Morale, p. 235.

22
détermination du juste milieu ainsi que dans la coordination de toutes les autres vertus.
Avec la syndérèse, elle vise la vérité dans sa dimension intellectuelle.

Les vertus de courage (force) et de tempérance (magnanimité) régulent les


appétits sensibles. Avec leur action, la concupiscence et la rationalité s’équilibrent dans
l’agir humain et engendrent ainsi une modération dans l’action. Quand la force permet
de résister au mal, la magnanimité confère une grandeur d’âme à l’homme dans son agir
moral.

La vertu de justice est au cœur de l’activité humaine ; c’est elle qui définit
l’objectivité du droit en relation avec autrui, la société et la loi. C’est à partir de cette
idée de la vertu de justice que, sous les auspices de saint Thomas, René Simon revient
sur la notion du droit naturel qu’il situe et fonde dans la nature et l’essence de l’homme
en tant qu’être relationnel et social. Quant au droit positif, il dépend du législateur
humain et promeut la vie en société en garantissant le Bien commun.

Avec Emmanuel Kant, René Simon établit le rapport entre droit et morale. Il constate
l’hétérogénéité des deux disciplines. Le droit ne s’appliquant qu’aux relations extérieures
et pratiques, ne recherche pas le but poursuivi par l’action. Il constate, par ailleurs, avant
de trouver un point d’encrage entre le droit et la morale, que « la doctrine kantienne du
droit professe le même formalisme que sa doctrine morale. »41 Cette critique permet la
possibilité de rapprocher le droit et la morale, car « l’ordre juridique est essentiellement
un ordre moral. »42 Ils ont tous deux le même objet (acte humain) dont l’approche est
variée sur la plan matériel et final (visée). La conscience morale porte sur l’intention
alors que celle du droit sur la matérialité de l’acte. L’une est pour l’autre ce qu’est une
partie pour le tout. Le domaine de la morale est plus grand que celui du droit.

La vertu de justice a pour tâche de rendre à chacun selon son dû. Elle influence toute la
vie morale ; elle vise le bien commun. René Simon l’attache aussi particulièrement à
l’altérité et, à cet effet, elle est ouverte à la religion qui fait le lien avec Dieu.

41
R. SIMON, Morale, p. 282.
42
R. SIMON, Morale, p. 282.

23
Résumé

Après avoir parcouru ce livre, nous remarquons que la pensée de René Simon n’y
est pas tout à fait développée pour la simple raison que le statut des cours dispensés obéit
à la pédagogie propre de l’Institution où ils sont enseignés. Il ne s’agit pas d’un
déploiement libre de la réflexion, mais d’un cadre précis d’enseignements. L’exemple de
la philosophie thomiste qu’il enseignait en rapport avec d’autres courants philosophiques
abordés dans la deuxième partie peut prouver suffisamment que ce livre ne développe
pas sa pensée personnelle.

Cependant, cette manière d’accueillir ce livre n’ignore en rien l’originalité


pédagogique du professeur Simon qui prend la personne comme source de la démarche
éthique tendue vers sa fin dernière qui est surnaturelle (Dieu), en effet, « la philosophie
morale se propose l’étude de l’agir humain dans son dynamisme et dans son rapport avec
la fin dernière de l’homme. »43. Le livre commence par une phénoménologie du repentir
de l’être humain passant par le regret et les remords…, bref, les problèmes de conscience
qu’il fait ouvrir à la réalité morale. Remarquons qu’il ne pose pas les principes moraux
comme préalables … auxquels se conformerait l’agir de l’homme, mais il renverse la
donne en commençant par un retour à la conscience d’où part la réflexion avant d’en
arriver aux principes. Dans cette logique, ce livre n’est pas en rupture avec ses futures
publications, au contraire, par sa démarche pédagogique, il paraît une des sources
d’inspiration pour le développement de la pensée de René Simon qui va se développer
dans ses deux prochains livres.

2.2. Fonder la morale. Dialectique de la foi et de la raison pratique, Paris,


Seuil, 1974.

Dans ce livre, l’auteur ose interroger et tenter une réponse sur le fondement de la
morale. Il y aborde, sans détour, les questions épineuses qui animent les débats au sujet
de la théologie morale postconciliaire. Dans une démarche dialectique, il argumente et
explique l’enracinement humain des vertus théologales. Il essaie de percevoir le rapport
entre la raison pratique et l’obéissance évangélique pour articuler autonomie, liberté,

43
R. SIMON, Morale, p. 32.

24
responsabilité éthique, immanence de l’agir humain et ouverture à la transcendance, à
Dieu. Bref, il articule la pratique avec la théorie.

Par ailleurs, son ouverture à l’interdisciplinarité permet une large compréhension


des questions théologiques qu’il aborde. La philosophie de Ricœur, Kant et Gusdorf ; la
sociologie de Marx et Althusser ; la psychanalyse de Freud et la théologie de Rahner, de
Von Rad et de saint Thomas sont utilisées pour constituer une unité de pensée ; cela lui
permet de tenir un discours moral sur l’être humain contemporain.

La problématique principale que René Simon traite dans ce livre répond à la


question de la spécificité de la morale chrétienne, sa pertinence et son utilité dans l’agir
humain. Aussi, peut-il proposer des orientations et situer la morale par rapport à
l’articulation entre pratique et théorie. C’est-à-dire que, pour lui, l’expérience reste le
point de départ en morale. C’est la méthode inductive (expérimentale) ; c’est la condition
dans laquelle vit l’homme qui est la source de l’éthique car, écrit-il, « […] dans le
domaine de la morale, qui est le domaine de l’action concrète, il faut partir de l’action
concrète. »44. Quant à la méthode reductive, elle complète la méthode expérimentale, en
partant de celle-ci pour atteindre les valeurs. Ainsi, la pratique et la théorie se complètent-
elles pour la compréhension d’une action morale.

Dans cette monographie, l’hypothèse que soulève cette problématique, est que du
point de vue du contenu il n’y a pas de différence entre la morale qu’il qualifie de
séculière et l’éthique chrétienne. Nous ne voulons pas, dans cette partie, résumer chacun
de sept chapitres qui composent ce livre, mais nous essayerons de présenter la logique
de son argumentation qui explique cette manière de penser la morale en trois points :
premièrement, un préalable (réfutation de la réduction athée, les dytiques création-salut
et loi naturelle- loi évangélique) ; deuxièmement, la possibilité d’une morale séculière
(la loi morale humaine basée sur la raison pratique) ; troisièmement, l’éthique chrétienne
comme motivation et critère des décisions.

44
René SIMON, Fonder la morale. Dialectique de la foi et de la raison pratique, Paris, Seuil, 1974, p.
200.

25
2.2.1. Quelques préalables.

• Athéisme : Critique et réfutation.

René Simon pose trois bases desquelles il partira pour présenter ce qu’il entend
par morale séculière et éthique chrétienne. Il commence par accueillir de façon
représentative la critique de l’athéisme moderne, représentée en l’occurence par la
critique marxiste et la critique freudienne. Il ressort des différentes formulations de la
critique athée adressées à la théologie par Marx et Freud que la religion est une illusion.
Cette critique touche non seulement à la pratique de la religion par l’homme, mais encore
et surtout à l’image que ce dernier se fait de Dieu. « Pour Freud comme pour Marx, la
religion est une solution d’évasion et de substitution aux conditions aliénantes et aux
frustrations que l’existence ou l’histoire imposent à l’homme. »45 A cet effet, elle est
illusoire et n’est rien d’autre qu’une projection de l’homme qui renonce à ses
responsabilités pour les confier à un être qui serait au-dessus de lui. C’est une démarche
qui infantilise l’homme. Par voie de conséquence, la morale religieuse serait dépassée
parce qu’elle prend appui sur une illusion.

René Simon estime que cette compréhension de la question de la théologie morale


par l’athéisme moderne est réductrice. Premièrement, au niveau méthodologique,
l’herméneutique athée de la religion se penche sur la forme générale et parfois
idéologique des motivations religieuses assimilées à des pulsions et incapacités pour
l’homme de venir à bout de ses problèmes par lui-même. Deuxièmement, au niveau
profond de l’être humain, « toutes ces herméneutiques […] prennent l’homme dans une
situation où il est déjà aliéné ou perdu […] »46 et l’athéisme se veut alors une réponse
d’autonomie et de croissance humaine. Ces réductions athées perçoivent l’homme, le
ramènent et le réduisent à quelques aspects profanes, sociaux, économiques,
psychologiques. Par ailleurs, en plus de ces deux critiques formulées à l’athéisme
moderne, René Simon fait ressortir quelques éléments des motivations religieuses
nécessaires à la responsabilité du chrétien dans sa participation à la réussite de l’humanité
(il parle du sens de la responsabilité autonome, de la conscience de l’unité de la vie
humaine, de l’espérance eschatologique, d’une vie ouverte au-delà de l’histoire, de non-
absolutisation de l’empirique, de l’opérativité du Christ dans sa rencontre avec les

45
R. SIMON, Fonder la morale, p. 39.
46
R. SIMON, Fonder la morale, p. 48.

26
hommes)47. A ce titre, l’expérience chrétienne est appelée à cohabiter et à vivre avec
l’athéisme. Dans ce contexte de dialectique entre l’athéisme et la praxis chrétienne, la
théologie a la charge de faire non seulement l’herméneutique de l’Ecriture mais aussi du
lieu où s’enracine et se vit ce message évangélique. Le point qui va suivre s’ouvre sur
une théologie de la création et du salut.

• Création et Salut.

L’expérience salutaire d’Israël est ce qui lui permet de comprendre la création.


« Ce qui est premier dans l’expérience religieuse d’Israël, c’est la conscience qu’il a de
l’action salutaire que Yahvé a accomplie à son égard. »48 De cette expérience et dans une
démarche de foi, le peuple remonte jusqu’à celui qui l’a créé. Prenant appui sur les textes
vetero et néo-testamentaires, René Simon montre comment cette expérience singulière
du peuple d’Israël a une visée universaliste et que l’accomplissement de l’articulation
création-salut se trouve en Jésus-Christ. C’est lui qui fait l’unité du dessein de Dieu. Car
« dans le dessein de Dieu créateur et rédempteur, ce qui est premier, ce n’est ni le monde
pris en lui-même, ni le salut pris en lui-même. Ce qui est voulu de Dieu, c’est le monde
à diviniser et à sauver en Jésus-Christ. »49 Du coup, les deux réalités création et salut ne
sont pas pensées séparément en termes de temps et espace, mais elles s’articulent
conjointement, l’une n’est pas sans l’autre ; en d’autres termes, l’économie du salut est
englobée dans le dessein créateur de Dieu ; le salut ne surgit pas après coup, il n’est pas
conséquence ou réparation du péché, mais il est pensé et contenu dans le dessein de Dieu
qui articule création et salut. Ce dernier restaure la création dans sa dimension éthique :
Jésus étant pleinement homme et Dieu, ses actes sont à la fois ceux de l’homme et de
Dieu ; son agir imprime un caractère dynamique à la création. C’est ainsi que l’existence
chrétienne, inspirée du modèle du Christ, est une réponse qui participe à ce dessein
salutaire.

Empruntant à saint Thomas la définition de « l’homme, capable de Dieu »50, René


Simon présente ce qu’il appelle une « orientation salutaire de la praxis humaine. »51 En
effet, l’homme est créé comme interlocuteur de Dieu. Cette ouverture au créateur est
inscrite dans la profondeur même de l’homme pour qu’il comprenne le message de son

47
R. SIMON, Fonder la morale, p. 50.
48
R. SIMON, Fonder la morale, p. 58.
49
R. SIMON, Fonder la morale, p. 61.
50
R. SIMON, Fonder la morale, p. 68.
51
R. SIMON, Fonder la morale, p. 68.

27
créateur. Mais cette ouverture à la transcendance s’opère différemment selon que l’on y
adhère ou non.

« C’est au plan de l’acquiescement fondamental, libre et de type éthique […]


que l’on peut alors situer la réalité de l’appropriation du don salutaire offert
par Dieu à tout homme en Jésus-Christ, son Fils. […] L’activité terrestre de
l’homme, en son autonomie même et en sa sécularité, constitue du côté de
l’homme la condition même de la possibilité de dessein rédempteur du Père
en Jésus-Christ […] Le déploiement de cette activité se situe dans le dessein
créateur qui, à son tour, se trouve intégré dans le dessein salutaire de Dieu. »52
Par son activité, l’homme (n’importe lequel, peu importe ses croyances), répond
et collabore au don salutaire de Dieu. Ceci est une conséquence qui découle de cette
compréhension thomiste de l’homme pris indistinctement de tout penchant relatif à ses
croyances, mais vu dans sa dimension purement anthropologique. Ainsi donc, ce qui fait
de lui qu’il est ‘’capable de Dieu’’, n’est rien d’autre que son appartenance à l’humanité.
C’est ici que René Simon amorce le début de la réponse à la problématique de ce livre
(la pertinence de l’éthique chrétienne, son apport à la morale humaine) en affirmant que :
« Le rôle de la morale chrétienne est moins d’ajouter à la morale humaine, que de
provoquer la morale humaine à être elle-même en la manifestant en même temps dans sa
dimension divine, qu’elle possède par la grâce de Dieu. »53

Après cette conception de création et salut qui fait découvrir l’homme dans ses
capacités à collaborer à l’œuvre de Dieu, il aborde la question de la compréhension de
Dieu dans la dimension de la foi avec l’appui de von Rad. Premièrement, il est important
de préciser que Dieu est asexué ; il crée par la parole mais ne procrée pas. D’où, le fait
que la création n’est pas une émanation mais une œuvre distincte de lui. Deuxièmement,
en s’inspirant de Paul Ricœur, il estime que la désexualisation de Dieu-Père permet de
ne pas enfermer Dieu dans des anthropomorphismes et du même coup, la filiation dont
il est question en rapport avec Jésus, est une filiation par nature. Les questions
existentielles de la sexualité appartiennent ainsi à l’homme et, à ce titre, il en dispose les
capacités de gestion comme réalités terrestres54. Troisièmement, il analyse la création en
rapport avec la parole dont la conséquence éthique est que « Dieu révèle l’homme [être
de parole] à lui-même comme liberté et responsabilité, et lui donne comme mission de
conférer sens et finalité humains à l’univers qu’il habite. »55 Par ce fait, l’homme, image

52
R. SIMON, Fonder la morale, p. 72-73.
53
R. SIMON, Fonder la morale, p. 74.
54
R. SIMON, Fonder la morale, p. 77.
55
R. SIMON, Fonder la morale, p. 80.

28
et ressemblance de Dieu, est institué garant et responsable de la transformation de toute
la création, par ses capacités humaines toujours ouvertes à Dieu.

• Loi naturelle et loi évangélique.

Dans la logique de l’articulation création-salut, René Simon aborde, dans cette


section, le rôle de la loi naturelle en la mettant en dialogue avec l’interprétation des
écritures (loi évangélique).

Citant Schüller, René Simon pose un préalable qui affirme que la théologie
morale, puisqu’elle a pour objet la loi du Christ, intègre aussi, dans sa réflexion, la loi
naturelle. Celle-ci est importante pour la compréhension de celle-là. Dans les rapports
qu’il établit entre la loi naturelle et le Nouveau Testament, il ressort que l’Evangile est
le point du départ et d’arrivée de la question morale de la loi naturelle. En effet, « le
langage et la parole de l’homme sont la médiation nécessaire de la révélation de Dieu. »56
C’est dans cette optique que la loi naturelle devient une médiation nécessaire pour la
compréhension de la grâce ; en d’autres termes, la grâce a besoin de la nature pour se
faire comprendre. Pour croire et bénéficier de la grâce qui vient de l’Evangile, il convient
d’être humain et donc d’incarner la loi naturelle. Le paradigme par excellence de l’unité
de la loi naturelle et de la grâce est le Christ, Homme-Dieu. Il assume dans son humanité
les projets de Dieu et en tant que Dieu, les projets de l’humanité. « Le Christ vit donc
aussi l’impératif moral qu’il tient de son être homme, mais en le divinisant […] »57 C’est
quand l’homme se comprend dans sa dimension éthique qu’il est capable de recevoir la
grâce qui lui vient de Dieu. Les deux lois agissent mutuellement dans l’humain. Aussi,
l’action de l’homme est-elle, en Jésus-Christ, cette action de Dieu.

Par ailleurs, René Simon marque une distance critique par rapport à la
compréhension équivoque de la loi naturelle dans la culture contemporaine. C’est ainsi
qu’il précise les concepts de nature et loi naturelle en passant par le thomisme. En tout
état de cause, les concepts sont à comprendre selon le contexte dans lequel ils sont
employés.

Il établit quatre distinctions de la nature: primo, en rapport avec la loi évangélique, pour
établir la différence entre nature et grâce, ce qui ne relève pas de l’adoption divine est de
l’ordre naturel et cela rime avec la loi morale humaine. Secundo, la nature est comprise

56
R. SIMON, Fonder la morale, p. 90.
57
R. SIMON, Fonder la morale, p. 93.

29
dans un système de liens de causalité en sciences exactes (comme les mathématiques).
C’est dans le système qu’est défini la nature des lois qui doivent régir les liens entre les
éléments de ce même système. Tertio, elle est prise aussi dans sa dimension finale (dans
le sens du but à atteindre qui doit obéir à une logique). Quarto, enfin, ce concept désigne
aussi l’ordre moral qui préside aux sollicitations de l’homme. Appliquée à ce dernier,

« La notion de nature désigne ce noyau constitutif et inaliénable de l’être


même de l’homme, qu’il ne peut perdre sans perdre son humanité, nier sans
nier ce qu’il est, qui est en lui non seulement ce qui assure la continuité de
son être, mais encore ce qui est la source de son développement et qui
implique qu’il ne peut faire de soi n’importe quoi. »58
Cette compréhension de la nature humaine n’est pas un enfermement dans un vase clos
de son être, mais un dynamisme qui invite à une autodétermination ; c’est une nature
appelée à l’inventivité avec le concours de la raison et de la liberté. Mais, la nature ainsi
comprise est un fait, elle n’est pas encore un impératif.

Quant à la loi naturelle, René Simon la perçoit comme un « ensemble de droits et devoirs,
de normes et de valeurs, qui ont leur fondement dans l’être de la personne et qui
s’imposent à elle comme médiation pour son accomplissement et son humanisation. »59
Dans l’exercice de ces droits et devoirs, la notion et la compréhension de la loi naturelle
ainsi définie, subissent une entorse quand la raison et la liberté ne sont pas engagées.
René Simon préfère l’expression de « loi morale naturelle » à celle de la « loi naturelle »
tout simplement60.

Avec saint Thomas, René Simon rappelle que la notion de loi naturelle prend
appui sur la compréhension de la nature humaine telle que décrite plus haut. Il dégage
les trois dimensions de cette loi naturelle : la conservation qui appartient à tout
être (substantielle), la fécondité qui est l’instance de l’être vivant (animalité) et la
personne humaine (rationalité) dont la raison permet l’ouverture à Dieu et à la sociabilité.
Il fait remarquer que la normativité est d’ordre rationnel et non la nature physiologique.
C’est la rationalité qui doit régir les inclinations naturelles. Plus encore, il situe la
compréhension de l’homme et de la loi naturelle dans la logique de la création : par cet
acte, Dieu engendre une altérité qui est distincte de lui-même mais qui garde une
dépendance par rapport au créateur. A ce point, la liberté et l’autonomie de l’homme

58
R. SIMON, Fonder la morale, p. 100.
59
R. SIMON, Fonder la morale, p. 103.
60
R. SIMON, Fonder la morale, p. 104.

30
s’exercent en rapport avec le créateur pour marquer une continuité et dans une
discontinuité où l’homme se pose comme autre que le créateur61.

La loi évangélique est abordée en posant la difficulté de la critique portée par la


théologie protestante à la théologie catholique au sujet du dualisme du naturel et du
surnaturel, alors que la croix du Christ a aboli, par la Rédemption, le pouvoir de la loi
naturelle. On tombe dans la juxtaposition. René Simon ne revient pas sur l’apport de
Schüller dont il a déjà parlé plus haut (la grâce suppose la nature), il précise cependant
que « la rencontre de Dieu nous ouvre à la consistance des créatures. »62 En exerçant sa
raison pratique, l’homme « se trouve déjà, de par la commune vocation des hommes à la
vie divine, en régime de grâce. »63 Dans cette optique, la loi évangélique et la loi naturelle
ne s’excluent pas. La raison humaine est bénéficiaire de la grâce.

Ainsi donc, après ces préalables : accueil et réfutation de la critique de l’athéisme


moderne à la religion et à la théologie morale ; articulation création et salut, puis loi
naturelle et loi évangélique à travers lesquelles il a montré qu’il n’y a pas incompatibilité
mais articulation entre l’homme dans l’exercice de sa raison et Dieu dans le déploiement
de sa création et sa grâce, René Simon peut alors poser et présenter ce qu’il entend par
morale séculière et éthique chrétienne.

2.2.2. Possibilité d’une morale séculière.

Il consacre un chapitre à chercher à établir les possibilités ou les conditions


« d’une morale autonome qui trouve les motivations et le fondement immédiat de ses
normes dans l’homme lui-même et le sens humain qu’il est appelé à donner à son
existence. »64

Trois points permettent de mettre en lumière la logique de l’argumentation de ce


fondement immédiat de la morale autonome :

61
R. SIMON, Fonder la morale, p. 110-124.
62
R. SIMON, Fonder la morale, p. 130.
63
R. SIMON, Fonder la morale, p. 131.
64
R. SIMON, Fonder la morale, p. 136.

31
• Fondement rationnel et fondement théologique.

L’avènement du thomisme recadre la tradition augustinienne qui a dominé


l’enseignement de la scolastique, tradition qui se traduit par une « idée de l’impuissance
de l’homme livré à lui-même. »65 Le surnaturel domine sur le naturel au point que celui-
ci ne saurait se déployer de manière autonome. « La pensée de saint Thomas pose les
fondements de la distinction entre le temporel et le spirituel et leur autonomie
respective » 66 avec la pluralité de l’intellect agent, alors que ses contemporains
défendaient son unicité. Cette pensée thomiste avait pour conséquence que l’origine de
l’acte humain n’est pas au-dessus du sujet mais en lui-même, il en est le responsable.

En comprenant la loi naturelle comme une participation de l’homme à la loi


éternelle, saint Thomas (cf. ST, I – II, 91, 2), cité par René Simon67, entend par là,
l’existence d’une loi propre à l’homme ; ce dernier en a conscience et cela est
l’expression de sa rationalité. Ce que l’homme a en propre et qui lui permet de percevoir
et saisir des valeurs existentielles ne relève pas de Dieu mais de la loi naturelle. Ceci
explique le fait que l’homme « trouve en lui-même le fondement immédiat de son
agir. »68 C’est donc lui-même qui donne sens et oriente sa vie ; il n’est pas un moyen
tendu vers une finalité mais il est en lui-même une fin, une tâche appelée à s’accomplir.
D’où sa capacité à se doter librement des normes qui régissent sa vie. Si par la loi
naturelle, l’homme trouve le fondement rationnel d’une morale séculière, par son
exercice qui est une participation à la loi éternelle, il trouve son fondement théologique.
Car « en créant l’homme à son image, avec sa raison et sa liberté, Dieu le crée justement
comme causa sui (sic). »69 Quelle place accorder à Dieu dans cette logique d’autonomie
humaine ?

• Autonomie humaine et présence de Dieu.

La morale est, dans son déploiement, une quête de sens à donner à la vie humaine.
Celle-ci nous a été présentée dans la première monographie (‘’Morale, philosophie de la
conduite humaine’’) comme le lieu éthique d’où émerge la théorie et où elle est vérifiée.
Dans les pages qui précèdent, il a été montré que l’homme demeure l’artisan principal
de cette quête de sens, par la raison. Cette quête de sens stimule l’agir de l’homme pour

65
R. SIMON, Fonder la morale, p. 137.
66
R. SIMON, Fonder la morale, p. 138.
67
R. SIMON, Fonder la morale, p. 139.
68
R. SIMON, Fonder la morale, p. 140.
69
R. SIMON, Fonder la morale, p. 141.

32
bâtir son monde (personnel et relationnel) régi par les normes que lui-même élabore.
Dans cette section, René Simon montre comment cette autonomie s’articule avec
d’autres altérités dont Dieu.

L’ouverture de la constitution pastorale Gaudium et Spes aux réalités du monde


donne une consistance au travail de l’homme. Elle reconnaît en ce dernier les capacités
nécessaires qui lui permettent de transformer sa vie et la nature. Cette autonomie ainsi
reconnue à l’homme n’exclut pas les données de la Révélation. En effet, « les réalités de
la foi ne se superposent pas du dehors à celles de la terre, le rayonnement de la foi ne
menace pas la morale humaine. La Révélation renvoie l’homme à sa responsabilité
terrestre comme à une tâche que le Seigneur lui a confiée. »70 La présence de Dieu à côté
de l’autonomie de l’homme n’est pas une concurrence, elle n’est en rien une rivalité mais
une présence donnée qui provoque la créativité et l’inventivité de l’homme.

• Dialogue avec l’athéisme.

L’athéisme « peut jouer, par les exigences qu’il impose et les critiques qu’il
formule, un rôle important de purification et de démystification de l’expression théorique
et pratique de la foi. »71 Cela permet un regard rationnel et renouvelé sur les affirmations
et la pratique de la foi de telle manière qu’elle soit purifiée des acquis trop faciles qui
peuvent friser l’idolâtrie. En d’autres termes, René Simon accueille la critique athée
comme une nécessité pour une foi purifiée. Elle permet une nouvelle herméneutique de
la foi en la dégageant des aliénations.

Dans l’entendement de René Simon, ce qu’il appelle morale séculière n’est pas à
confondre avec l’athéisme. Celui-ci est une sécularité poussée à l’extrême, il l’a montré
au début de cet ouvrage en critiquant son esprit réductionniste à l’égard de la théologie
et de la religion. Ainsi, l’examen de la particularité de l’éthique chrétienne vient-il
conclure ce parcours.

70
R. SIMON, Fonder la morale, p. 150.
71
R. SIMON, Fonder la morale, p. 160.

33
2.2.3. Contenu d’une éthique chrétienne.

Sous ce titre, René Simon veut montrer « qu’il n’y a pas opposition entre
autonomie et théonomie »72 et qu’il convient de ne pas non plus se faire d’illusion d’une
parfaite harmonie entre les deux réalités qu’il faut, par ailleurs, tenir ensemble.

En mettant en rapport la conception de la norme morale rationnellement établie


et ce qu’il appelle commandement de Dieu, René Simon estime qu’il ne convient pas
d’établir une opposition. En effet, au niveau substantiel, ces commandements ne sont pas
nouveaux et ne sont pas un ajout à la norme établie par la loi naturelle. Le langage du
décalogue est analogique car « Dieu ne commande pas de l’extérieur, à la manière des
hommes, mais du fond de notre être-au-monde, par le fait qu’il en est le Créateur. »73
Cela ne signifie pas que le sens qu’il donne aux commandements de Dieu rejoint
strictement et exclusivement l’immanence de l’homme, mais plutôt « qu’au plan de la
création comme du salut, l’homme n’est pas à lui-même son fondement. »74 A ce titre, la
norme qu’il établit est fondée en lui en rapport avec son créateur. C’est ici qu’il parle de
l’altérité fondatrice qui, « loin d’aliéner ma liberté, lui permet au contraire d’exister et
de se déployer dans l’espace que la parole de l’autre (Dieu) a créé. »75 L’existence de
l’homme dans cette optique est une réponse, une participation (assumée) à la parole
créatrice. C’est dans ce rapport que René Simon situe l’agir de l’homme. Il y a d’une part
la démarche de Dieu vers l’homme et d’autre part, la réponse de celui-ci à Dieu.

La foi exerce, dans ce mouvement de relation à Dieu, un rôle critique face aux
ambiguïtés de la raison. Cette critique portera sur le maléfice de l’athéisme pratique qui
consiste à éloigner Dieu en le situant dans une transcendance coupée de la vie concrète ;
le maléfice de la convoitise et concupiscence enfermé dans le désir effréné de la
consommation ; le maléfice de la domination dictatoriale ; le maléfice d’une absurdité
intellectuelle76.

A la lumière de cette compréhension du rôle de la foi qu’il tient de la pensée


ricoeurienne, René Simon esquisse la structure et le contenu de l’éthique chrétienne.
Avec Böckle, il situe la spécificité de la morale chrétienne, non pas au niveau de

72
R. SIMON, Fonder la morale, p. 169.
73
R. SIMON, Fonder la morale, p. 170.
74
R. SIMON, Fonder la morale, p. 170.
75
R. SIMON, Fonder la morale, p. 171.
76
R. SIMON, Fonder la morale, p. 172-174.

34
l’élaboration de la norme, mais au niveau de la structure et des critères de décision. En
d’autres termes, cette spécificité de l’éthique chrétienne est une manière d’agir et
d’habiter le monde ; c’est une identité qui doit être vécue. Elle est une attitude
existentielle dont les critères de choix intériorisés par le sujet sont inspirés du Christ.
Faut-il parler d’une éthique spécifiquement chrétienne ? René Simon répond d’une part,
par l’affirmative, car « la spécification de l’agir et de l’éthique dite chrétienne n’est pas
d’abord principalement à chercher dans le contenu matériel de la norme et de la loi. »77
Et d’autre part, par la négative, parce qu’il la situe « au plan des motivations
fondamentales et des finalités ultimes de l’action, au plan des attitudes existentielles
concrètes du croyant. »78

Résumé

Il n’est pas anodin de constater et de rappeler que ce livre est publié au début des
années soixante-dix, six ans après la publication de l’encyclique Humanae Vitae dont le
contenu a eu – en Occident – des réactions et contestations en matière de règlementation
des questions relatives au mariage, à la sexualité et à la régulation des naissances. Aux
regards des avancées scientifiques et connaissances acquises au niveau biologique et
médical, l’orientation de l’encyclique paraissait déconnectée de l’intention première du
Concile qui reconnaissait l’autonomie des réalités terrestres et voulait rencontrer les
hommes de ce temps (cf. GS, 36), ce qui l’exposait à des contestations et des critiques
des théologiens. Comme nous pouvons le voir, le contexte est celui des contestations
d’une vérité institutionnelle établie, des débats qui interrogent le fondement de l’agir
moral et la réception du second Concile du Vatican qui s’est voulu proche de l’humanité
de son temps avec ses joies, ses angoisses, ses tristesses … (Cf. GS, 1). Aussi, la raison
fondamentale qui légitime cette publication, écrit son auteur,

« … était de me dire à moi-même mes raisons de croire en Jésus-Christ


aujourd’hui … Si une assurance traverse ce livre, c’est celle d’une double
confiance : confiance en l’homme, chef-d’œuvre de la parole créatrice de
Dieu, et confiance en Jésus-Christ, devenu l’un d’entre nous et nous ouvrant
dans l’évènement pascal l’avenir de Dieu. Ces deux confiances ou ces deux
fois sont indissolublement liées, comme sont liés création et salut. »79
Une telle ouverture d’esprit et confiance en l’homme se trouve au cœur de son thomisme
qui rencontre l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et pose entre les lignes

77
R. SIMON, Fonder la morale, p. 190.
78
R. SIMON, Fonder la morale, p. 191.
79
R. SIMON, Fonder la morale. p. 7.

35
le problème de l’essence de la loi naturelle, sa compréhension, son rôle et son usage par
le Magistère. Gardant à l’esprit la praxis comme lieu privilégié de l’élaboration des
principes éthiques, René Simon, après avoir abordé entre autres questions l’athéisme, la
création et la rédemption, pose les bases de la morale au niveau séculier en privilégiant
la méthode inductive. Son questionnement sur la pertinence et la particularité d’une
éthique chrétienne reste constant et interroge le fondement de la théologie morale. Car,
« la morale chrétienne n’est pas, quant à son contenu, fondamentalement différente de la
morale humaine. »80

2.3. Ethique de la responsabilité, Paris, Cerf, 1993.

Dans cet ouvrage, l’auteur rend compte de la responsabilité éthique à l’égard


d’autrui comme une assignation partant de notre humanité. Avant d’être un impératif, un
ensemble des lois ou principes positifs régissant le vivre ensemble, l’éthique est tout
d’abord une responsabilité établie par la relation intersubjective, c’est-à-dire qu’elle
(éthique) constitue et fait émerger le sujet à la rencontre avec autrui dans un cadre de
justice où l’homme, assigné à sa responsabilité originelle, répond librement à l’appel de
l’autre.

La problématique traitée dans cet ouvrage est celle de l’agir moral dans la
perspective de la responsabilité du sujet agissant. Elle s’inscrit dans la logique de la
pensée déjà amorcée dans son livre précédent, mais ici René Simon aborde plus la
question de la responsabilité de manière fondamentale et expérientielle. Dans une tension
pluridisciplinaire (philosophie et théologie), cet ouvrage présente la responsabilité
comme un processus, une démarche qui part de l’expérience avant toute élaboration des
principes théoriques.

Le livre est composé de trois parties que nous voulons présenter en deux grands
points pour la simple raison que la première et la troisième parties peuvent se lire
ensemble, respectivement comme processus éthique sous l’angle philosophique et sous
la mouvance de la foi au niveau expérientiel; la seconde partie du livre est une élaboration
d’une théorie éthique du point de vue fondamental. Nous retrouverons ainsi d’une part,
la praxis et d’autre part, la theoria.

80
R. SIMON, Fonder la morale. p. 73.

36
2.3.1. Le processus de la responsabilité au niveau expérientiel.

- Ethique comme démarche au niveau philosophique (première partie)

Cette première partie de l’ouvrage rend compte de l’éthique au niveau


expérientiel (philosophique) en s’appuyant sur le dynamisme de la situation dans laquelle
le sujet se trouve. Il s’agit d’une démarche, d’un processus qui intègre débats et
arguments. Les deux chapitres de cette partie présentent respectivement les éléments
constitutifs d’une éthique et leur mise en mouvement dans l’agir. Nous pouvons ainsi,
dans le premier chapitre, déceler cinq éléments constitutifs de la démarche éthique :
l’indétermination, l’anthropologie, le socio-historique, le langage et l’action éthique
proprement dite.

En effet, il présente deux indéterminations : la première est de l’ordre de causalité


(située au niveau de l’intention) et la seconde relève de la liberté (Située au niveau de
l’action). L’action humaine implique qu’il y a « intervention d’une causalité sui generis
[…] dans le passage du concret au concret, d’une situation à une autre, l’action s’inscrit
dans la visée d’un univers de liberté. »81 Il situe ces deux indéterminations au début et à
la fin de l’action. C’est cela le premier élément constitutif de la démarche éthique.

Le second est essentiellement d’ordre anthropologique. René Simon perçoit, ici,


l’être humain dans son articulation entre corps (matière) et intelligence inventive
(artifice). Il remonte l’histoire de l’évolution de l’homme depuis ses origines jusqu’à
l’éclatement de l’intelligence de l’homo sapiens. Ce dernier dompte et maitrise son
environnement par l’inventivité qui le caractérise et qui n’est pas une prédestination. En
d’autres termes, avec la théorie de l’évolution, se déploient la liberté et la responsabilité
de l’homme sur la construction de sa vie ; l’on pourrait dire qu’il est lui-même la source
de la normativité qui régit son existence.

Le troisième composant de la démarche éthique est ce qu’il appelle le ‘’socio-


historique’’. Il s’agit de tout l’héritage culturel et social constitué, transmis qui constitue
une habitude. Il est composé de l’ensemble des règles de conduite humaine et des
rapports entre les hommes. C’est ces us et coutumes qui constituent un « éthos dans
lequel l’éthique prend racine. » 82 Ainsi se forme une nature humaine à partir de cet
héritage culturel. Mais cette transmission n’est pas un allant de soi, elle doit passer au

81
René SIMON, Ethique de la responsabilité, Paris, Cerf, 1993, p. 20.
82
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 27.

37
crible de la critique pour marquer le dynamisme dans la réception et la transmission des
valeurs, c’est-à-dire que :

« Le passage de l’éthos à l’éthique et la nature même de l’éthique


apparaissent alors clairement, parce que nos raisons d’agir sont portées à la
lumière et passées au crible de la critique, pour nous faire parvenir à
l’élaboration dûment réfléchie des normes de l’action, en même temps que se
laisse entrevoir une certaine relativité, jamais totalement levée, des règles et
des lois. Ce passage est d’ailleurs moins le fait d’un individu, fût-il
‘’charismatique’’, (encore qu’il ne faille pas négliger l’importance du leader)
que celle d’un ensemble d’acteurs sociaux, parmi lesquels se rencontrent des
représentants du discours éthique, de la codification juridique, du pouvoir
politique et des diverses traditions religieuses ; le débat est ici la règle du
jeu. »83
Le quatrième composant est de l’ordre du langage. Les signes et paroles qui
constituent le langage disent toujours quelque-chose du locuteur. De cette façon, ils font
partie des éléments constitutifs de la démarche éthique. René Simon en parle en termes
de constatifs et performatifs pour joindre le dire et le faire ; cela signifie qu’entre le
discours et l’agir, il y a un lien intrinsèque au point qu’« une action déliée de ce lien sera
peut-être un acte réflexe, un comportement : à vrai dire, ce ne sera pas une action,
imputable à un agent. »84 Dans cette catégorie du langage, il place aussi tout ce qui est
prescriptif à savoir les normes et lois.

Vient, en cinquième lieu, le moment éthique proprement dit. Il passe par plusieurs
étapes prenant en compte l’intention, la motivation, l’agent moral, la délibération et la
décision pour poser l’acte. En effet, l’intentionnalité de l’action est la dimension de son
intelligibilité. Elle est motivée par les raisons d’agir qui, pour être éthiquement valable,
doit être une valeur ; l’agent moral est un sujet réel qui est responsable de l’acte posé.
L’instance de la délibération portera sur les moyens à employer pour parvenir au but ; il
s’agit d’une discussion au niveau individuel en vue d’opérer un choix. Elle prend en
compte les notions du bien, du mal, de la norme, de l’universel et elle permet au sujet
éthique d’être capable d’assumer sa décision, celle-ci étant la dernière instance de la
délibération. Elle implique le choix entre plusieurs possibilités sur lesquelles il faut
trancher donc garder les unes et laisser tomber d’autres. A cette instance de décision, le
sujet éthique tient compte de la bonté éthique réciproque de la fin et des moyens à utiliser.

83
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 29.
84
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 36.

38
Toutefois, dans le cas de conflit, la décision devra aussi tenir compte des valeurs telles
que la justice, l’équité et le jugement prudentiel.85

Après avoir présenté les éléments constitutifs de la démarche éthique, René


Simon analyse leur dynamisme à la lumière de la philosophie de Paul Ricœur en
établissant les rapports et la distinction entre éthique (sous l’angle d’une visée, d’une
intention bonne qui s’accomplit dans la relation triangulaire réciproque dans laquelle se
déploie la liberté : ‘’je’’, ‘’tu’’, ‘’il’’) et la morale perçue dans son aspect normatif.
L’éthique est d’ordre téléologique et la morale d’ordre déontologique. C’est dans ces
trois pôles de liberté (je-tu-il) que s’exerce la visée éthique. Si les deux premiers pôles
sont respectivement exercice de la liberté à la première personne et liberté à la deuxième
personne qui impliquent la rencontre d’une autre liberté, le troisième pôle est celui qui,
par sa neutralité, ouvre à la dimension normative (c’est le tiers : règles et institutions) qui
régit le vivre ensemble. « C’est en poursuivant sur la voie ouverte par la ‘’règle’’ et
‘’l’institution’’, troisième pôle de l’intention éthique, que celle-ci va s’effacer petit à petit
et que l’on passera progressivement à la morale. »86

En effet, la morale, comme instance normative et impérative, vient après l’éthique


qui parait, dans cette logique, ‘’primordiale’’. C’est ainsi que, pour René Simon,
« resituer la loi morale revient à montrer qu’elle termine le procès de l’intention éthique,
elle présuppose donc tous les moments antérieurs de ce procès :’ma liberté, ta liberté, la
règle’. » 87 La visée éthique, quoiqu’antérieure à la morale, pour être à l’abri de
l’arbitraire, s’éprouve à la valeur de la norme. Elle (visée éthique) peut s’élever au niveau
de l’universel. Cet universel relève du consensus issu du débat dans la société ; ce
consensus devient un patrimoine culturel qui régit l’action88. Car « l’éthique discursive
c’est le principe d’universalisation argumentative, condition sine qua non de la validité
de la norme d’action, selon laquelle les partenaires concernés sont appelés à participer
activement à son élaboration. »89

85
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 49-77.
86
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 94.
87
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 95-96.
88
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 97-120.
89
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 120.

39
- Éthique comme démarche au niveau théologique (troisième partie)

Après avoir présenté le premier axe expérientiel philosophique, nous voulons, à


présent, dans l’analyse de l’étude de cette troisième partie de l’ouvrage, aborder ce même
axe sous l’aspect théologique. Ici, l’auteur présente l’éthique de la responsabilité comme
une réponse existentielle à l’appel d’une parole qui est antérieure à l’homme et qui
retentit dans la communauté. Il y a appel comme vocation et comme convocation
(appeler avec…) et il y a réponse comme responsabilité et comme coresponsabilité
(responsabilité avec…). Ainsi, choisit-il l’articulation Création et Alliance comme cadre
dans lequel s’accomplit cette démarche éthique. Car « (con)vocation et
(co)responsabilité sont, en leur enracinement même dans l’acte créateur de Dieu et
l’Alliance (élection), tout à la fois de l’ordre théologal et de l’ordre de l’éthique, de
l’ordre du croire et de celui de l’agir. »90

En effet, cette articulation création et salut, René Simon l’a déjà abordée dans son
ouvrage Fonder la morale. Il s’agissait d’une expérience existentielle de foi par laquelle
Israël découvre l’identité entre son Rédempteur et son Créateur. Jésus étant pleinement
homme et Dieu, ses actes sont un accomplissement éthique enraciné dans la création.
Abordant cette articulation, création-alliance, dans l’éthique de la responsabilité, René
Simon essaie de montrer que l’acte qui crée le peuple élu (le choix par Dieu de ce peuple)
est intimement lié à son acte libérateur de la servitude. Ce choix du peuple attend une
réponse existentielle à travers le dynamisme du décalogue qui invite le sujet « […] à être
dans un devenir toujours en cours et une identité relationnelle à autrui toujours à
construire. »91

L’altérité engendrée par l’acte créateur qui, par ailleurs, reste un don gratuit
(grâce) de la part du créateur, constitue la créature responsable et lui accorde la liberté
d’agir. C’est dans cet acte que l’on perçoit déjà, enracinée dans la création, la dimension
de l’autonomie de la créature. Le point d’ancrage entre création et alliance salutaire se
trouve en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme ; c’est lui qui met en évidence les
énergies qui sont en l’homme pour que ce dernier agisse, de manière responsable, dans
la logique et la dynamique de la création. Le Christ vient donc révéler à « l’homme toute
la densité de sa vocation » 92 . L’articulation création-alliance se veut une sorte de

90
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 214.
91
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 225.
92
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 245.

40
complémentarité qui reconnait la part du créateur et celle de la créature dans
l’accomplissement et le prolongement de cette même création et alliance. L’on pourrait
se permettre de voir ici une coresponsabilité entre l’homme et Dieu. Aussi est-il
nécessaire que « Dieu se ‘retire’ tant dans l’ordre de la création que dans celui de
l’alliance pour que le partenaire humain puisse lui répondre en répondant à l’autre
homme. »93C’est ici que se déploie la responsabilité (vocation) et la coresponsabilité
(convocation) du croyant-chrétien comme réponse à l’appel de Dieu.

Cette articulation responsabilité-vocation et coresponsabilité-convocation, René


Simon la voit dans un angle du témoignage de vie dans une triple relation « à autrui, pour
autrui, avec autrui. »94 Il établit le rapport entre la foi et l’agir : la vie de foi du chrétien
apparait dans son agir et ce, à la lumière critique de l’Evangile qui illumine et intègre le
patrimoine culturel de l’homme. En effet, de même que l’autonomie de l’homme ne
saurait être comprise comme autarcie ou autosuffisance qui exclut l’altérité, de même

« Dieu ne se présente pas comme le rival de l’homme, comme la plénitude


ontologique dont la perfection ne laisserait plus de place au projet créateur de
l’homme, mais comme le Don qui nous constitue responsables et qui, nous
‘’inspirant’’, nous convoque, dans la Pâque de son Fils, pour une tâche
libératrice jamais achevée ; même si cette tâche est ouverte à son
accomplissement eschatologique, celui-ci ne saurait jamais être saturant, sous
peine de supprimer l’écart indispensable à la relation d’altérité. »95
Par ailleurs, cette responsabilité-réponse éthique à l’appel de Dieu opère dans
toutes les dimensions de la vie chrétienne : la dimension anthropologique qui implique
sa participation à des pratiques du culte et de rite chrétiens (la liturgie) et la dimension
ecclésiale dans laquelle doit être vécue la coresponsabilité. On peut ainsi dire que la
réponse éthique sous la mouvance de la foi, comme au niveau philosophique, est
existentielle. A ce titre, elle implique l’individu et la communauté, elle est responsabilité
et coresponsabilité, vocation et convocation.

2.3.2. Le processus de la responsabilité au niveau fondamental et théorique (deuxième


partie).

Si du point de vue expérientiel, René Simon a analysé la responsabilité comme


appel-réponse et assignation-imputation (passivité originaire qui précède toute initiative

93
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 251.
94
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 258.
95
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 307.

41
libre de la part du sujet et qui le constitue) sous la mouvance de la foi et de la philosophie,
du point de vue fondamental, son exercice consistera à poser de façon théorique cette
responsabilité en la fondant séculièrement ; il part de la philosophie d’Emmanuel
Levinas sur le visage d’autrui pour établir avec Hans Jonas le principe de responsabilité
qu’il élargit dans le temps et l’espace.

C’est ici qu’émergera le sujet agissant dans un engagement libre sans être
déraciné de l’imputabilité naturelle à laquelle il est appelé par le visage d’autrui. Cette
altérité du visage d’autrui engendre l’hétéronomie. Celle-ci provoque « l’initiative du
Moi »96 à agir. Ainsi, de l’hétéronomie à l’autonomie, le sujet passe de la passivité à
l’activité qui le constitue responsable de l’acte posé. Aussi, René Simon, affirme-t-il à
ce propos qu’

« Il faut se rappeler que le paradoxe de l’éthique lévinassienne et d’une


morale se plaçant dans l’axe de cette éthique est que l’extrême de la passivité
du sujet (l’accusatif du soi), de l’hétéronomie, se renverse en responsabilité,
au sens le plus actif du terme, en initiative qui se porte au secours du frère,
en autonomie qui ne peut confier à nul autre qu’à soi-même la tâche dont on
se trouve chargé. »97
L’éthique lévinasienne est essentiellement relation réciproque et trilogique entre
le moi, autrui et le tiers. Il est nécessaire cependant de préciser ici qu’autrui ne renvoie
pas uniquement à l’immanence de la personne humaine qui est en face de moi, mais qu’il
ouvre aussi à une transcendance double : celle du visage d’autrui et celle d’illéité « que
nous pouvons désigner par le nom de Dieu. »98 Quant au tiers lévinassien, il est toujours
et déjà présent dans le visage d’autrui : il implique la justice, l’égalité, l’équité. Ce qui
correspondrait à l’instance institutionnelle ricoeurienne.

En s’appuyant sur Hans Jonas et F. Tinland, René Simon aborde la problématique


de la responsabilité pour l’avenir. En effet, cette assignation à responsabilité, René Simon
ne la restreint pas à la relation intersubjective ou au tiers ; il l’ouvre à l’écologie et aux
structures politiques et familiales auxquelles incombe la responsabilité de bâtir l’avenir.
La nouvelle éthique suggérée par Hans Jonas se veut un renversement de procédure de
l’ancienne éthique qui partait du devoir pour aboutir au pouvoir, c’est-à-dire puisque tu
dois, tu peux ; la nouvelle procédure met à l’avant-garde le pouvoir du sujet pour aboutir
au devoir, puisque tu peux, tu dois. La responsabilité pour l’avenir oblige le sujet à poser

96
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 131.
97
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 143.
98
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 155.

42
des actes constructifs parce qu’il le peut et donc il le doit au nom de la responsabilité qui
lui revient. Cet agir pour l’avenir doit viser le bien qui oblige la conscience. Ainsi, la
responsabilité parentale est irrévocable (on n’y renonce pas) et irréversible (elle n’attend
pas en retour que les enfants agissent de la même manière) ; par ailleurs, bien
qu’artificielle, la responsabilité politique implique un choix et prolonge la responsabilité
parentale avec laquelle elle vise le bien de premier ordre.99 Quant à la responsabilité
écologique, elle se fonde « […] dans le respect de l’humanité de l’homme,
indissociablement lié aux rapports étroits que celui-ci entretient avec la cosmosphère et
la biosphère […] »100

Dans cette optique de la responsabilité pour l’avenir, René Simon, considérant


l’évolution scientifique et le rapport qu’il y a entre l’homme et le cosmos, fait une
réflexion sur l’éthique de la mesure (de la finitude). Il est nécessaire de conjuguer
l’évolution technologique et la sagesse (raison) pratique pour épargner l’écosystème des
dérives totalitaires. Les vertus en général et celle de prudence en particulier sont à
cultiver à cet effet.

Résumé

S’appuyant essentiellement sur la philosophie de Paul Ricœur, Hans Jonas et


Emmanuel Levinas, René Simon montre la démarche et le fondement séculier d’une telle
éthique avant de l’appliquer et l’ouvrir à une dimension de la foi. Il développe par
conséquent les notions de responsabilité en rapport avec la liberté du sujet éthique dans
un processus délibératif. Ceci fait écho à une relation triangulaire, ‘’Je’’ – ‘’Tu’’ – ‘’Il’’
entendue sous l’angle de ‘’visée éthique’’, ‘’Norme morale’’ et ‘’sagesse pratique’’.
L’apport particulier de notre auteur à cette trilogie ricoeurienne se situe dans son
insistance sur le visage d’autrui qui assigne à la responsabilité.

« L’éthique commence donc avec le rapport à Autrui ; la relation à l’autre


homme n’est pas accidentelle, survenant après coup à des sujets déjà
constitués ; elle est originaire, au sens où elle me constitue responsable avant
tout choix libre de ma part, avant toute initiative personnelle. A ce niveau, la
responsabilité n’est pas conséquence de la liberté : elle la précède, la fonde et
la justifie. »101

99
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 172-189.
100
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 184.
101
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 208.

43
Quant à la dimension de la foi dans la perspective de l’éthique de la
responsabilité, René Simon la pose comme une réponse à un appel, cette fois, d’une
« Parole qui nous précède ». La responsabilité personnelle et communautaire des
chrétiens ou de ceux qui font profession de foi est comprise comme un dynamisme de la
Création et de l’Alliance. Dans cette mouvance, il établit le lien entre foi et agir, celui-ci
extériorise celle-là. Il fait l’herméneutique de l’Écriture et de l’action du Christ et établit
le lien entre le croyant, la communauté et l’Évangile.

Il ressort de cet ouvrage que la question éthique demeure une problématique, une
question permanente non saturée par les réponses apportées. Ni l’éthique séculière, ni le
dynamisme de la foi sous la mouvance du Christ n’apportent toutes les solutions aux
problèmes de l’humanité. L’actualité de la question éthique reste ouverte et est ainsi le
leitmotiv de l’agir.

Récapitulatif

Dans ses trois monographies, René Simon aborde les questions relatives à la
morale fondamentale. Si nous pouvons dégager un fil rouge qui traverse ces trois livres,
ce serait celui du fondement (origine, enracinement) de l’agir humain. Il apparait ainsi
que l’être humain est doté de capacités nécessaires dont la raison pour élaborer les
normes qui puissent régir sa vie sans recourir à d’autres forces hors de lui. C’est ce qui
ressort de ce que René Simon désigne, dans ses deux dernières monographies, sous le
nom de ‘’morale séculière’’.

En effet, ‘’Morale, philosophie de la conduite humaine’’ s’est voulu un


enseignement de la philosophie morale dont le contenu analysait l’acte et la conduite
humaine en rapport avec les vertus et les normes. En tout état de cause, la centralité de
l’homme (par le retour à la conscience) d’où part René Simon indiquait déjà
l’enracinement de l’agir humain dans son être propre. Pour qu’elles ne soient pas
étrangères ou extérieures à l’homme, les normes et les vertus, élaborées par l’homme,
doivent être assumées par sa droite raison pour permettre à la conscience d’évaluer la
malice ou la bonté de l’acte posé.

Dans ‘’Fonder la morale. Dialectique de la foi et de la raison pratique.’’, René


Simon essaie de mettre en rapport l’autonomie de la raison pratique dans l’élaboration
des normes qui doivent régir la vie humaine et le sens de la présence de Dieu (de la foi).

44
En scrutant le sens de l’articulation création-salut, liberté-loi, il fait une analyse et tente
une réponse à l’épineuse question de l’apport spécifique de la morale chrétienne à une
éthique séculière. Il reconnaît que l’une et l’autre ne satisfont ou ne répondent pas
totalement à toutes les questions de la vie humaine. Il estime que les questions éthiques
restent toujours ouvertes et appellent le dynamisme de la raison pour trouver des réponses
en visant le bien. Par conséquent, l’autonomie humaine et la théonomie ne se repoussent
pas.

Quant à sa dernière monographie, ‘’Ethique de la responsabilité’’, qui est à


certain égard un prolongement de l’ouvrage précédent, René Simon rend compte de la
responsabilité humaine au niveau existentiel (pratique) et au niveau principiel
(théorique). Il fait une reprise de l’articulation création-salut (alliance) et en se basant sur
la philosophie de Paul Ricœur, Emmanuel Levinas, Hans Jonas. Il présente la
responsabilité comme une assignation originelle avant d’être un choix qui engage ma
liberté ; elle est une réponse à un appel (du visage d’autrui, de la parole qui nous précède).
C’est dans cette logique que l’éthique est présentée comme antérieure à la morale. Il faut
préciser qu’il n’établit pas cette antériorité en termes de temps et espace, mais plutôt dans
une articulation dont la séparation serait difficile à établir. Cette logique argumentaire
qui s’inscrit dans le contexte des débats entre le courant de la morale autonome et celui
de l’éthique de la foi appelle à l’approfondissement de quelques autres questions de
compréhension.

Nous nous proposons ainsi, dans le prochain chapitre, d’étudier quelques thèmes
théologiques qui peuvent se dégager de cette logique argumentaire et apporter des
précisions sur le rapport entre la présence de Dieu et la liberté de l’homme dans l’agir
moral. Il s’agira, pour nous, d’approfondir les thématiques de l’autonomie (avec les
problématiques sous-jacentes de la liberté et de la responsabilité humaines) et de la
théonomie (Révélation divine).

45
Chapitre troisième :
Deux thèmes de la théologie morale de René Simon.

Ce chapitre veut rendre compte d’une réflexion systématique sur deux thèmes qui
émergent de la logique des arguments telle que ressortie dans les ouvrages de René
Simon que nous venons de résumer dans le chapitre précédent. Il s’agit de l’articulation
entre l’autonomie humaine et la théonomie. Cette articulation pose quelques questions
telles que celles du sens et de la place à accorder à la théonomie dans l’agir humain.

Si les deux courants de morale postconciliaire (morale autonome et éthique de la


foi) ne se juxtaposent pas, comment se coordonnent-ils ? La présence de Dieu et la liberté
de l’homme dans l’agir moral sont-elles concurrentielles ou complémentaires? Par
ailleurs, il se pose de manière sous-jacente à la problématique de l’articulation
autonomie-théonomie, celle de la compréhension de ces mêmes concepts.

Ainsi, en vue de bien aborder ce chapitre, nous voudrions le diviser en trois


parties. Dans un premier moment, nous analyserons (dans le contexte des débats
postconciliaires en théologie morale fondamentale) chacun de ces deux concepts :
autonomie, d’une part et théonomie, d’autre part. Ces termes ainsi cernés nous
conduiront au second moment de ce chapitre qui sera consacré à une articulation entre
les deux concepts. Il s’agit principalement d’établir les types de rapports qui existent
entre théonomie et autonomie. Le troisième moment nous permettra de mettre en
évidence trois enjeux que nous estimons fondamentaux qui découlent de cet
argumentaire, à savoir l’universalité de l’éthique, la théologie et l’anthropologie avec
leurs corolaires de liberté et de responsabilité.

3.1. Précisions et définition des concepts.

Dans ce point nous traiterons spécifiquement de l’évolution sémantique des


concepts d’autonomie et de théonomie. La pensée philosophique et théologique sur
l’homme et Dieu a influencé sinon déterminé l’usage de ces deux concepts, il est donc
nécessaire d’étudier leurs différentes significations pendant l’Antiquité, le Moyen-Âge
et l’Époque moderne102.

102
Walter KASPER, La théologie et l’Église, Joseph HOFFMAN (trad.), Paris, Cerf, 1990, p. 234-250.

46
En effet, durant l’antiquité grecque, le concept d’autonomie était d’abord relatif
à la politique visant, pour les cités, à atteindre leur indépendance. Celle-ci devant leur
permettre d’établir leurs propres lois indépendamment des autres puissances.
L’autonomie, dans sa dimension politique, était alors une quête d’affranchissement des
lois qui devaient régir l’une ou l’autre cité. C’est de manière latente et sporadique que
l’on peut, à cette époque, rencontrer l’autonomie au niveau éthique et individuel.
L’exemple pathétique reste celui d’Antigone de Sophocle qui brave l’interdit pour offrir
un rite funéraire à son frère Polynice. Ce qui rejoint notre problématique, c’est le rapport
que cette conception antique de l’autonomie (politique) peut avoir avec l’autonomie
humaine et la théonomie.

Notons que la conception antique du cosmos est à la fois plurielle et une.


L’homme et Dieu sont inscrits dans la totalité de la réalité qu’est le cosmos. Les
manifestations des dieux sont tellement cosmiques et concrètes qu’elles ne semblent
avoir aucune transcendance. Ainsi, « la question du rapport entre autonomie et
théonomie ne pouvait pas encore être posée à l’intérieur de la pensée antique du cosmos.
En effet, dans l’Antiquité les réalités divines et celles du monde formaient finalement un
tout. »103 La mythologie grecque présente ainsi une espèce d’identité entre l’homme, les
dieux et le cosmos.

Par ailleurs, la théogonie biblique, par le récit de la création, établit une altérité
qui pose une différence en séparant le Créateur de la créature et en distinguant l’homme
du reste du monde. Car « en tant qu’il est ce qui dépend de façon radicale, le monde est
le non -divin, et donc ce qui se tient face à Dieu dans une autonomie relative. »104 Cette
manière de poser l’altérité et le dépassement de la pensée cosmique du monde va
permettre une nouvelle approche de l’autonomie et théonomie avec l’avènement de la
scolastique.

Le Moyen Age développera cette assertion d’altérité comme une autonomie


relative avec la théologie de la création de Saint Thomas d’Aquin qui situe l’origine et
l’aboutissement de toutes choses en Dieu. Tout vient de Dieu et tout retourne vers lui.
« Mais Thomas corrige et modifie ce schéma circulatoire mythologique (…) en insérant,
à partir de l’idée de création, la liberté de l’homme comme un moment constitutif au sein

103
W. KASPER, La théologie et l’Église, p. 235.
104
W. KASPER, La théologie et l’Église, p. 236.

47
de ce processus. » 105 Cette perception thomiste commence un autre tournant dans la
compréhension de l’autonomie et de la théonomie. Il va se développer toute une
compréhension de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, doté de
capacités naturelles dont la raison qui lui permettent de participer à la raison divine. En
d’autres termes, cette loi naturelle qui fonctionne de manière autonome en l’homme
parce qu’il a été créé ainsi par Dieu, engendre une autonomie qui participe relativement
à la loi de Dieu.

Cependant, la conception thomiste de l’autonomie relative et participée sera reçue


de différentes manières par les courants de pensée tels que le nominalisme qui, ayant
poussé à l’extrême la logique circulatoire du rapport Créateur et créature pourrait
admettre que Dieu pourrait induire l’homme en erreur en lui commandant de faire le mal
et il le ferait par obéissance au créateur. Cette interprétation est une négation de l’homme
dans son autonomie et dans sa liberté. Aussi, l’action de Dieu sur l’homme, au lieu d’être
une altérité qui favorise l’émergence de la créature, ne serait qu’une autorité dont le
pouvoir absolu agirait, dans ce cas, inconditionnellement sur l’humain qui n’est en réalité
pas responsable de ses actes. C’est ainsi que « la protestation contre l’arbitraire divin
nominaliste et la critique du système ecclésiastique autoritaire ont donc conduit à une
forme d’autonomie qui n’est plus fondée de façon théonome, mais qui se constitue elle-
même de façon autonome. »106 Cette réception nominaliste de la pensée thomiste sera
une espèce de charnière à la nouvelle manière de poser le problème d’autonomie et de la
théonomie à l’époque moderne : l’autonomie humaine se présentera comme une
émancipation, une libération du joug et de la dictature de la théonomie.

En effet, bien que l’époque moderne soit l’héritage de plusieurs antécédents


(politiques - déclaration américaine des droits de l’homme -. religieuses et
confessionnelle), on ne s’empêchera pas de constater que l’un des objectifs des Lumières
est d’ouvrir l’humanité « (…) à une culture émancipée de la tutelle de la religion et des
Églises, à l’orientation immanentiste, et à une autonomie comprise en termes
d’émancipation. »107 L’autonomie a, ici, une résonance d’autolibération. Elle porte le
sens d’une indépendance arrachée. Ainsi, nous pouvons citer en exemple le ‘’cogito’’
cartésien qui renverse la démarche thomiste partant de Dieu vers l’homme et de ce

105
W. KASPER, La théologie et l’Église, p. 238.
106
W. KASPER, La théologie et l’Église, p. 241.
107
W. KASPER, La théologie et l’Église, p. 243.

48
dernier vers Dieu, pour finalement mettre l’homme au premier plan. Il fonde ainsi
l’autonomie humaine dans l’homme lui-même comme cette « volonté libre de toute
causalité et détermination extérieure, c’est-à-dire libre de toute hétéronomie, (qui) est
une volonté qui se donne elle-même sa loi »108, cette volonté définit et pose l’homme
moderne comme autonome et indépendant de toute hétéronomie. Il faut préciser
immédiatement qu’il ne s’agit pas ici d’un subjectivisme absolu, mais d’une conception
de l’autonomie qui élève l’homme dans sa dignité universelle et engendre une éthique
qui le considère toujours comme une fin et non comme un moyen.

Ces trois périodes ont montré, dans leur évolution, comment l’autonomie et la
théonomie ont pris des proportions identiques et opposées avant que l’homme ne
s’émancipe de ce qui, à côté de son autonomie, constituerait une hétéronomie. Se pose
dès lors le problème de l’articulation de cette autonomie (acquise et/ ou arrachée) avec
la théonomie : faut-il comprendre l’émancipation de l’autonomie moderne comme un
rejet de la théonomie ? Faut-il la lire sous l’angle d’une cohabitation concurrentielle ou
complémentaire dans laquelle chaque liberté (autonomie et théonomie) existe dans le
respect et l’émergence de l’autre ?

Ce questionnement nous conduit au cœur des débats en théologie morale fondamentale


postconciliaire entre le courant de morale autonome et éthique de la foi. Le point suivant
s’offre pour articuler les deux dans une démarche dialectique.

3.2. Articulation autonomie-théonomie.

Dans ce deuxième point nous nous appuierons essentiellement sur la démarche


de René Simon telle qu’elle est présentée dans Fonder la morale et dans Éthique de la
responsabilité, puis sur celle de Walter Kasper dans La théologie et l’Église. En effet,
trois points nous permettront de ressortir l’articulation de l’autonomie avec la théonomie.
Dans un premier temps nous mettrons l'accent sur les conséquences d’une théonomie et
d’une autonomie poussées à l’extrême (au moyen âge et à l’époque moderne). Un second
moment cherchera à montrer la non-opposition entre la théonomie et l’autonomie. Enfin,

108
Éric GAZIAUX, Autonomie, dans Laurent LEMOINE, Éric GAZIAUX et Denis MÜLLER (éds.),
Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 237.

49
pour ne pas établir une identité entre les deux, le troisième moment sera consacré à leur
distinction.

3.2.1. Quelques conséquences de l’extrémisme d’autonomie et de théonomie.

Rappelons d’emblée que l’établissement et la compréhension de l’autonomie à


l’époque moderne se sont présentés comme une réaction, une quête de l’affirmation de
l’humain face à une théogonie très prononcée au Moyen Age. L’exemple du cogito et
celui du nominalisme cités plus haut en sont des illustrations. L’une et l’autre époque ont
dû véhiculer une image de Dieu et de l’homme d’une manière qui a soit diminué et
méconnu les capacités de l’homme au profit de Dieu, soit inversement affirmer un
humanisme très prononcé au détriment de l’image de Dieu.

En effet, la négation des capacités de l’homme l’a conduit à un certain degré


d’irresponsabilité qui vaut la critique de l’athéisme moderne dont nous épinglons
quelques illustrations avec René Simon. Pour peu que nous portions un regard sur les
différentes formulations de la critique athée de Marx, Freud et Feuerbach adressées à la
théologie, cela touche non seulement la pratique de la religion par l’homme, mais encore
et surtout l’image que ce dernier se fait de Dieu. Dès lors, on peut se demander quelles
considérations, quelles conséquences et quelles incidences cette perception a sur l’agir
de l’homme et l’existence de Dieu.

Plusieurs éléments de la critique peuvent être dégagés du discours de l’athéisme


contemporain. René Simon en a retenu un qui parait englobant : l’illusion religieuse.
Dans la compréhension phénoménologique, la connaissance de l’existence d’un être
correspond à une réalité qui a son être (existentielle) propre car,

« Notre connaissance procède de deux sources fondamentales de l’esprit,


dont la première est le pouvoir de recevoir les représentations (la réceptivité
des impressions), la seconde le pouvoir de connaitre par l’intermédiaire de
ces représentations un objet (spontanéité des concepts) ; par la première nous
est donné un objet, par la seconde celui-ci est pensé en relation avec cette
représentation (comme simple détermination de l’esprit) {…} Les deux
éléments sont ou purs ou empiriques. Empiriques si une sensation (qui
suppose la présence réelle de l’objet) y est contenue ; purs, en revanche, si à
la représentation n’est mêlée aucune sensation. {…} Aucune de ces deux
propriétés n’est à privilégier par rapport à l’autre. Sans la sensibilité, nul objet
ne nous serait donné, et sans l’entendement, aucun ne serait pensé. »109

109
Emmanuel KANT, Critique de la raison pure, 3e éd., Paris, Flammarion, 2006, p. 143-144.

50
Si tels sont les présupposés de la connaissance où entendement et réalité
empirique s’entrecroisent et se conditionnent mutuellement, une réalité amputée d’un
pan, n’entre pas dans la catégorie des objets connaissables par la raison. Cela pose avec
acuité le problème de la connaissance et de l’existence des réalités spirituelles qui nous
préoccupent dans ce point relatif à la critique athée face à la religion (à la théologie).
Cette critique, forte de la logique et de la cohérence rationnelle, affirme qu’il est fort
possible que « frustré par ses limites face à la nature, à la société, à la mort, l’homme
{soit} appelé à surmonter ses souffrances dans une croyance à l’immortalité
bienheureuse. De là naissent les besoins religieux. » 110 Ceux-ci se présentent ainsi
comme des projections purement humaines qui comblent des désirs et souhaits que
l’homme ne saurait satisfaire à cause de ses limites. Mais en réalité, ces projections
humaines ne correspondent à aucun objet concret pour permettre le bouclage d’une unité
de connaissance rationnelle. Les pratiques religieuses apportent certaines réponses aux
inquiétudes de l’homme mais de façon irréaliste ; c’est une impasse.

Sigmund Freud, père de la psychanalyse, inscrit ces tendances religieuses dans


l’ordre de l’inconscient, de l’illusion et même de la névrose. Que certaines dimensions
de l’homme échappent au contrôle systématique de la raison, cela est un fait appelé à être
reconquis. Du coup, cette traversée du religieux est une étape qui doit tendre vers une
maturation et non le seuil et l’aboutissement de l’élévation de l’esprit humain au risque
de l’aliéner et nier son identité humaine. La perception psychanalytique de la religion est
que celle-ci est illusoire. Il en est de même de tout ce qui en fait partie dont l’idée de
Dieu. En réalité, la psychanalyse freudienne trouve une certaine ressemblance entre les
symptômes de la névrose et les pratiques relatives à la religion. Les pratiques religieuses
ne sont rien d’autres que les productions psychiques mues et produites par les tendances
cachées de l’homme. Il le démontre dans le fil de sa pensée en observant les phénomènes
sociaux tel le totémisme à travers lequel, l’homme, par les rites, crée une espèce de
religion qui vénère un totem qu’il revêt d’un certain pouvoir protecteur. C’est cette même
logique qui est à la base de la fondation de la religion, de ses croyances et ses pratiques
qui restent illusoires. Dans le prolongement de cette réflexion, l’avenir de cette religion,
puisqu’illusoire, est compromis. L’homme religieux est appelé à la maturation
rationnelle. La comparaison établie entre la nécessité de la mort du père prométhéen et

110
Georges MINOIS, Dictionnaire des athées, agnostiques, sceptiques et autres mécréants, Paris, Albin
Michel, 2012, p. 298.

51
celle du Fils dans la religion (chrétienne) dont la commémoration n’est rien d’autre que
le rappel du repas totémique fonde respectivement la société et la religion. C’est là la
preuve que l’illusion religieuse a son fondement dans les désirs insatisfaits et l’incapacité
de l’homme à résoudre ses problèmes dont il renvoie la responsabilité et attend les
solutions d’un être puissant (totem et Dieu)111. Logiquement, les raisons de croire aux
dogmes religieux sont fallacieuses parce qu’elles ne laissent pas d’ouverture à
l’expérimentation et au débat. C’est ainsi que les dogmes sont soustraits à la raison ; leur
vérité s’éprouve intérieurement et non intellectuellement ; or, estime l’auteur de l’Avenir
d’une illusion,

« {…} il n’y a pas d’instance au-dessus de la raison. Si la vérité des dogmes


religieux dépend d’une expérience intérieure qui témoigne de cette vérité, que
fait-on de tous ceux qui n’ont pas une expérience aussi rare ? On peut exiger
de tous les hommes qu’ils fassent usage du don de raison qu’ils possèdent,
mais on ne peut pas bâtir une obligation valable pour tous sur un motif qui
n’existe que chez un petit nombre. Si un individu, à partir d’un état d’extase
qui l’a profondément remué, est arrivé à la conviction inébranlable que les
dogmes religieux sont d’une vérité réelle, qu’est-ce que cela signifie pour
autrui ? »112
La fin de l’illusion religieuse a sonné le glas dans la recherche rationnelle
freudienne de la vérité. Il serait irrationnel de fonder toute une vérité rien que sur une
fiction dont la force ne réside que dans la satisfaction des désirs et dans le soulagement
de son désarroi.

Le marxisme, comme la psychanalyse freudienne, conçoit la religion sous le


même angle de l’illusion, mais du point de vue pratique et social. Dans le contexte de la
lutte ouvrière de l’Allemagne de son époque, il attribue à la religion la fonction et le rôle
dissuasifs et illusoires dans la recherche de bonheur du peuple. L’usage fait de la religion
par la classe dirigeante paraissait endormir et éloigner le peuple de ses objectifs en le
projetant et le rassurant par un bonheur futur dont les gages ne sont ni établis ni enracinés
dans la réalité. Ce qui lui a valu le qualificatif d’« opium du peuple ». Aussi, Clotilde
Legueil, écrit-elle, à ce propos

« Au sein d’une réflexion politique sur la fonction idéologique de la religion,


Marx considérait que cette dernière participe de l’aliénation du peuple. Ainsi
la signification réelle de la religion est d’exprimer la souffrance du peuple,
tout en le maintenant dans des conditions sociales qui perpétuent sa
domination. ‘La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un

111
Sigmund FREUD, L’avenir d’une illusion, Bernard Lortholary (trad.), France, Points, 2011, p. 78 – 79
et passim.
112
S. FREUD, L’avenir d’une illusion, p. 75.

52
monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit
est exclu.’ Marx reprochait à la croyance religieuse d’agir comme un
narcotique adoucissant la souffrance du peuple opprimé, mais ôtant en même
temps aux êtres humains la force nécessaire pour se révolter contre un état
d’injustice sociale. »113
Dans cette vague de contestation de l’autorité des réalités religieuses, Feuerbach
base ses analyses sur l’essence et la praxis des religions. Il les situe au niveau pur et
simple de l’imagination humaine, tout en reconnaissant que la religion se trouve au
fondement de la vie humaine, de la morale et de la politique. Par ailleurs, il se veut
d’éclairer l’obscurantisme religieux par la lumière de la raison qui libère l’homme de ses
puissances imaginaires et peureuses. Ainsi libéré, l’homme redevient le centre, le but et
le critère de sa morale et sa politique. Le fantasme obscur de la religion laisse ainsi la
place à la vraie et réelle religion, celle de l’humaniste, celle de la nature dont les capacités
sont transposées à un être fictif autre que lui-même. Cette acception de la religion fait
tourner le regard humain vers son propre être, son essence propre et c’est, pour
Feuerbach, la vraie compréhension de la religion parce que, écrit-il, « La religion est le
rapport que l’homme entretient avec sa propre essence – là se trouve sa vérité et sa
puissance morale du salut – {…} »114. Le corollaire de cette affirmation est la négation
d’une essence autre que celle de l’homme au point que l’athéisme peut bien s’appliquer
à ceux qui, dans la praxis, nient le réel (homme-nature) pour le projeter dans l’irréel
(Dieu-transcendant).

La religion est perçue par cette critique athée comme une illusion créée par
l’homme qui n’arrive pas à braver ses craintes et ses angoisses. Il projette ses propres
forces dont il ne s’approprie pas dans un imaginaire qui se fabrique un substitut d’un être
aussi fort et puissant qui réellement n’existe pas. « La conséquence de cette illusion est
finalement de poser l’autonomie d’un principe spirituel qui ne serait redevable que de
lui-même et dont tout serait redevable. »115 L’athéisme en appelle à la restitution des
capacités de l’homme lui dérobées par une fiction qui non seulement n’existe pas mais
encore l’aliène et le maintient dans une crainte irresponsable qui l’empêche de se réaliser.
Il faut éveiller l’esprit de la culture humaniste et répugner celui de l’illusion religieuse.

Ce détour par la critique de l’athéisme moderne vaudrait une illustration de la


reconquête de l’autonomie humaine. Cependant, son extrémisme permettant à la

113
S. FREUD, L’avenir d’une illusion, p. 22.
114
Ludwig FEUERBACH, L’essence du christianisme, Jean-Pierre Osier (trad.), Paris, Gallimard, 1968, p.
345.
115
Marcel XHAUFFLAIRE, Feuerbach et la théologie de la sécularisation, Paris, Cerf, 1970, p. 252.

53
théologie chrétienne d’opérer une autocritique, passe par une réfutation en vue d’une
compréhension du mode opératoire d’une juste autonomie et théonomie. La
problématique de l’articulation autonomie-théonomie dans la théologie morale
postconciliaire tente une réponse sinon un équilibre de la question dans un essai de
rapprochement de deux réalités. La réception de la critique formulée à la théologie passe
par une herméneutique pour en saisir le sens et le contenu avant toute autre éventuelle
réaction et considération théologique.

En effet, le moins que l’on puisse dire de l’athéisme classique du dix-neuvième


siècle est qu’il fait émerger une idée de l’homme, de la société et de la politique qui
ébranle et révolutionne les acquis de la conception jusqu’ici admise dans la dimension
de la foi. Cette montée de la rationalité touche l’humanité à telle enseigne que « …
quiconque veut aujourd’hui répondre de la foi en Dieu devant le monde et sa propre
raison doit en répondre face à cet athéisme. »116, c’est dire en d’autres termes qu’il ne
s’agit pas d’un fait anodin dans l’examen et la réflexion touchant les dimensions
importantes de la vie humaine au rang desquelles se trouvent la foi et la raison.

Après avoir relevé les contradictions descellées dans le dualisme raison et foi
dont les logiques et cohérences ne riment pas, nous pensons qu’il est fort possible que
l’athée ne soit pas nécessairement dépourvu de moral ; l’athée peut paraitre mieux dans
son athéisme qu’un chrétien superstitieux qui projette et cherche sa réalisation en un Dieu
hors de lui et nie, de facto, ses capacités en déclinant ses responsabilités face au monde
et à l’existence. « Nul ne peut réfuter que le sentiment de dépendance, les souhaits et les
besoins les plus divers, que surtout la pulsion de bonheur et d’autoconservation jouent
un rôle fondamental dans la religion. »117 Bien plus encore, la pratique étant le lieu de la
vérification de la théorie,

« Il n’est point besoin d’être marxiste pour reconnaitre que toutes les
argumentations rationnelles contre la critique marxiste de la religion ont une
limite – la praxis ! On aura beau démontrer tant et plus que la religion n’est
pas uniquement un opium du peuple : là où de fait elle agit comme un opium,
tous les arguments deviennent quasi inutiles. On peut exposer en long et en
large comment la religion ne reflète pas les rapports de domination sur terre :
là où c’est de fait le cas, toutes les expositions ne servent à rien. On peut
établir et rétablir qu’il ne faut pas voir en Dieu le garant de l’injustice sociale

116
Hans KÜNG, Dieu existe-t-il ? Réponse à la question de Dieu dans les temps modernes, Paris, Seuil,
1981, p. 286.
117
H. KÜNG, Dieu existe-t-il ?, p. 314.

54
existante : là où de fait, on le revendique pour cela, nulle théologie ne pourra
s’y opposer. »118
Cependant, le matérialisme sensualiste et anthropologique qui émerge de la
critique athée portée à la théologie mérite un recadrage. Ce à quoi l’homme pense, ce
qu’il désire et ce qu’il projette ne peut en aucun cas n’être toujours et déjà qu’un reflet
du néant. Personne ne peut démontrer que tous ces désirs ne correspondent à aucune
réalité. La réalité de la transcendance ne peut être mise en cause simplement par un
postulat psychologique, autant la foi en Dieu n’a pas de preuves positives, autant
l’athéisme est lui aussi buté au manque d’arguments positifs qui démontrent le contraire
et sombre ainsi dans sa propre critique qu’est celle d’une projection des désirs de
l’homme119.

C’est ici qu’il convient de revenir à la remarque formulée par René Simon à
l’athéisme moderne : il (athéisme moderne) est réducteur. Outre le fait que cette
herméneutique athée a pour échantillon l’homme dans un état d'aliénation, René Simon
apprécie le désir de relèvement de l’homme en lui rendant son autonomie et sa liberté
qu’il perçoit plutôt comme une tâche appelée à s’accomplir et non comme une réalité
donnée. Il réfute la compréhension d’un Dieu dont les capacités seraient concurrentielles
et dominantes de celles de l’homme à qui il ne laisse aucune responsabilité dans l’agir120.
Comment faut-il articuler autonomie et théonomie sans nier Dieu encore moins l’homme
et sans les mettre en opposition concurrentielle ?

3.2.2. Unité et distinctions entre autonomie et théonomie.

Suivant la logique d’argumentation de la morale autonome telle que nous l’avons


relevée avec René Simon dans Fonder la morale et Ethique de la responsabilité,
autonomie et théonomie ne s’excluent pas même si chacune de ces deux réalités, tout en
restant unie à l’autre, garde ses distinctions. En effet, deux arguments méritent d’être mis
en évidence ici : création-salut et création-alliance, d’une part ; loi naturelle et loi
évangélique, d’autre part.

En premier lieu, dans l’articulation création-salut-alliance, René Simon met en


évidence l’appel (de Dieu, de la parole qui précède l’homme), la réponse et la

118
H. KÜNG, Dieu existe-t-il ?, p. 389.
119
H. KÜNG, Dieu existe-t-il ?, p. 315-316.
120
R. SIMON, Fonder la morale, p. 48.

55
responsabilité éthiques de l’homme dans l’élaboration et la construction du monde reçu
du Créateur. La rédemption et l’alliance font partie de l’œuvre créatrice de Dieu. Cette
participation relève de la double responsabilité originelle et libre de l’homme. En
d’autres termes, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme est autre, différent
de son créateur. Autant la rédemption est une réponse de Jésus-Christ, Homme-Dieu, à
sauver le monde, autant l’élection du peuple de Dieu (par l’alliance) attend une réponse
d’Israël à l’appel de Dieu qui l’invite à habiter son monde. Dans les deux cas, la
rédemption et l’alliance engagent la responsabilité et la liberté de l’homme appelé à
accomplir les actes éthiques qui répondent au dynamisme du monde à sauver et à bâtir.
L’acte rédempteur et la réponse éthique d’Israël dans l’alliance se trouvent ouverts et liés
au Créateur.

En second lieu, le diptyque loi naturelle - loi évangélique implique que la


compréhension de la loi évangélique suppose l’exercice de la loi naturelle. La grâce qui
vient de Dieu a besoin de rencontrer une nature capable de la comprendre. La grâce
présuppose la nature. Celle-ci est entendue de manière distincte dans le sens où elle
constitue l’être humain dans son altérité par rapport au Créateur. Par conséquent, cette
nature humaine obéit à une certaine normativité qui fait d’elle ce qu’elle est. Par l’altérité
engendrée dans l’œuvre de la création, l’homme est posé comme une liberté et une
autonomie appelées à s’accomplir en se coordonnant avec Dieu. En effet

« Dieu ne crée donc pas l’homme en lui donnant en outre la loi naturelle,
expression de la ‘’volonté de Dieu’’. La volonté de Dieu est unique : que
l’homme soit, ce qui en même temps signifie : qu’il soit homme. La loi morale
naturelle est donc inscrite dans la nature de l’homme en ce sens que l’homme
lui-même trouve, découvre, reconnaît dans la réalisation concrète de son être
corporel et spirituel, la manière de mener sa vie et de se comporter qui
correspond à la personne dans son être concret. »121
Ces deux arguments ont quelques conséquences dans la compréhension de
l’humain en tant qu’être éthique : ils permettent de relativiser l’impuissance de l’homme
pris en lui-même, d’une part et affirme son autonomie dans l’inventivité du monde,
d’autre part. Puisque la liberté et la responsabilité qui riment avec l’autonomie sont une
réponse à une parole qui nous précède122, l’autonomie humaine est à la fois réalisation,
accomplissement dynamique d’une tâche reçue du Créateur et aussi liberté originelle

121
Joseph FUCHS, Existe-t-il une morale spécifiquement chrétienne ? (Recherches et Synthèses. Morale,
9), Gembloux, Duculot, 1973, p. 26-27.
122
R. SIMON, Ethique de la responsabilité, p. 214.

56
voulue par l’acte de la Création qui pose l’homme différent et autre que le Créateur. Cette
conception implique que l’être humain est doté des capacités nécessaires qui obéissent à
l’ordre de sa nature123. Par ailleurs, comment articuler cette autonomie humaine avec la
théonomie sans l'absolutiser ni tomber dans l’hétéronomie124 ?

Dieu étant créateur de l’homme ainsi compris, son commandement n’est pas à
situer à l’extérieur de l’homme. Il commande de l’intérieur de l’homme puisqu’il en est
le Créateur. Faut-il insinuer que l’homme, dans ce cas, est un simple exécutant d’un
commandement préétabli ? Joseph Fuchs suggère qu’il s’agit bien d’une loi inscrite dans
le cœur et dans la nature de l’homme125. Ce qui explique qu’en se servant de son être-
homme pour agir avec sa droite raison, il se réalise comme tel dans sa responsabilité
d’être autonome. A cet égard, il réalise son autonomie en participant à la théonomie qui
en est l’origine. L’on peut ainsi estimer que du point de vue éthique, la réalisation de
l’autonomie rime avec la théonomie. Ce qui relève de l’homme n’est en rien étranger à
la norme divine. « La vieille distinction entre le domaine naturel et le domaine surnaturel
(…) est abandonnée au bénéfice d’une vision intégrale nouvelle (…). »126

Par ailleurs, y aurait-il identité entre autonomie et théonomie ? Autant la grâce


présuppose la nature, autant la théonomie présuppose l’autonomie 127 . René Simon
aborde cette articulation en excluant l’opposition entre la « norme morale
rationnellement déterminée et commandement de Dieu. »128 La loi et la grâce sont toutes
deux intérieures à l’homme et opèrent de manière complémentaire, dans un même espace
d’existence humaine. Par conséquent, elles mettent en relation l’homme et Dieu. Bref,
autonomie et théonomie sont unies dans la distinction : l’une dans sa finitude est appelée
à s’ouvrir à l’infinitude de l’autre. C’est dans cette ouverture que s’opèrent et s’exercent
la liberté et l’autonomie humaines. « Car il appartient à la liberté de l’homme d’être
ouverte vers un mystère infini. Ce n’est qu’en référence à cet horizon qu’est l’infini que

123
R. SIMON, Fonder la morale, p. 141.
124
L’hétéronomie est entendue comme une recherche de la norme éthique en dehors de l’homme. « Si la
volonté cherche la loi ailleurs que dans l’aptitude de ses maximes à instituer pareille législation universelle,
si elle la recherche dans un but extérieur, comme le bonheur, elle succombe à l’hétéronomie. » (Éric
Gaziaux, Autonomie, dans Laurent LEMOINE, Éric GAZIAUX et Denis MÜLLER (éd.), Dictionnaire
encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 237).
125
J. FUCHS, Existe-t-il une morale spécifiquement chrétienne ?, p. 25.
126
W. KASPER, La théologie et l’Eglise, p. 255.
127
W. KASPER, La théologie et l’Eglise, p. 259.
128
R. SIMON, Fonder la morale, p. 169.

57
l’homme peut faire l’expérience du fini comme fini et comme contingent ; ce n’est qu’en
référence à cet horizon qu’est l’infini que la liberté est possible. »129

Cette corrélation autonomie et théonomie telle que pensée par le courant de la


morale autonome pose en filigrane le problème et l’épineuse question de la spécificité de
l’éthique de la foi. Elle permet de mettre en évidence la question qui anime notre
problématique, à savoir : y a-t-il une morale spécifiquement chrétienne qui ne soit
fondamentalement humaine ? Nous voulons, à présent, voir en termes de conséquences
de cette argumentation de la morale autonome, ce qu’il en est de l’éthique de la foi. Celle-
ci étant enracinée dans la dignité humaine, on se demande si dans son contenu, la morale
chrétienne se distingue spécifiquement de la morale humaine. Joseph Fuchs présente
trois éléments qui permettent de parler de la morale chrétienne130.

Premièrement, il tire des sources chrétiennes (Écritures, Magistère, Tradition,


etc.) les valeurs et les normes pour la conduite morale. Il faut noter d’emblée que ces
sources ne fournissent pas une éthique immédiatement applicable. Elles sont les points
de repères qui appellent à l’usage de la raison le chrétien qui cherche à donner sens à sa
vie dans la sequela christi. C’est par sa capacité de discernement que le chrétien tire le
catégorial (réalisation des valeurs, vertus, normes dans la particularité de la vie. Par
exemple on peut citer la justice) du transcendantal (qui considère la moralité en elle-
même comme entité, par exemple l’amour). Mais dans cette logique, il est difficile de
réserver l’agir catégorial et transcendantal uniquement aux chrétiens, les non-chrétiens
eux-aussi peuvent avoir un comportement humain qui soit authentiquement vertueux
appliquant la justice par exemple au niveau catégorial et l’amour au niveau
transcendantal. Dans ce cas, le chrétien et l’humain ne diffèrent qu’au niveau de
l’intentionnalité.

Deuxièmement, cette intentionnalité est ce qui établit un lien entre la décision et


le comportement (l’agir) du chrétien. Dans son agir éthique, le chrétien actualise ce qui
jusqu’avant le moment de poser l’acte ne relevait que de cette intentionnalité alimentée
par le catégorial et le transcendantal. En agissant ainsi, il s’ouvre à Dieu et établit un lien
avec lui. A titre d’exemple, un acte de philanthropie peut être compris différemment au
niveau de l’intentionnalité de la personne qui le pose suivant le fait qu’il soit chrétien, il
le ferait parce qu’en plus de la valeur humaine, il estime que cela relève de l’amour de

129
W. KASPER, La théologie et l’Eglise, p. 259.
130
J. FUCHS, Existe-t-il une morale spécifiquement chrétienne ?, p. 10 - 25.

58
Dieu. S’il est non-croyant, son acte revêt et s’explique par l’humanisme envers autrui.
En d’autres termes, par cet acte, le chrétien se réalise dans sa foi « comme croyant aux
sens plein du terme, non seulement il connait Dieu comme le Père de Jésus-Christ mais
il vit en tant que personne, dans la décision pour lui »131 alors que le non-croyant, lui, se
réalise, par le même acte, dans son humanité. Au niveau éthique, en revanche, l’acte est
le même.

Troisièmement, consécutivement aux deux points précédents, le contenu de la


morale chrétienne n’a rien de spécifique qui ne soit authentiquement humain. Abstraction
faite de l’intentionnalité qui motive la décision. Du point de vue catégorial et matériel, il
n’y a pas de différence entre l’agir moral chrétien et l’agir moral humain.
L’intentionnalité s’incarne dans la réalité concrète du croyant en tant qu’humain.

Par ailleurs, il convient de mentionner que ces considérations faites du rapport


entre les aspects chrétiens et humains de la morale chrétienne, ne remettent pas en cause
l’articulation autonomie-théonomie. Elles complètent l’articulation création-
rédemption-alliance et mettent en évidence le fait que la grâce présuppose la nature. La
conscience ou non d’être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, ne compromet pas
au niveau éthique la visée du Bien d’un acte. Les éléments humains et transcendantaux
de la morale chrétienne concourent à la bonté de l’agir éthique. C’est par cette éthique
que s’accomplit l’authentique réalisation de l’homme, laquelle n’exclut en rien son être
chrétien. L’humaniste et le chrétien se rencontrent sur le terrain du catégorial.

« L’intentionnalité chrétienne doit vivre et s’exprimer dans


l’accomplissement de la réalité totale de l’être concret de l’homme, donc
aussi bien l’humanum que le christiania de cette réalité. Cela ne devrait pas
engendrer la crainte que le christianum puisse aller contre l’authentique
humanum (donc pas seulement contre l’in-humain) et le dépasser. Car
l’existence de l’humanum comme humanum christiania devrait nous faire
découvrir que l’humanum est par essence ouvert et relatif au mode chrétien
d’existence. »132
Aussi, la morale humaine (autonome) ne doit pas être prise dans le sens d’un
immanentisme totalement amputé de la transcendance. Cette morale comprend Dieu hors
de tout anthropomorphisme en s’articulant avec lui comme une altérité transcendante
« qui fonde son immanence comme porteur du fondement personnel en tous et en chacun,
sans qu’il soit lui-même quelque-chose de ou en ce monde contingent. »133 En d’autres

131
J. FUCHS, Existe-t-il une morale spécifiquement chrétienne ?, p. 15.
132
J. FUCHS, Existe-t-il une morale spécifiquement chrétienne ?, p. 20-21.
133
J. FUCHS, Existe-t-il une morale spécifiquement chrétienne ?, p. 16.

59
termes, ce Dieu qui crée l’humanité, ne la sépare pas de sa volonté qui serait extérieure
et viendrait s’ajouter, mais il la crée comme liberté et responsabilité qui construisent une
authentique humanité autonome.

3.3. Quelques enjeux

En suivant la logique articulée par l’argumentation de René Simon et de Fuchs


au sujet de l’autonomie et de la théonomie, nous percevons trois enjeux sur lesquels nous
revenons. Il s’agit de l’enjeu de l’universalité de l’éthique qui s’applique et se comprend
de tous (dans un contexte pluraliste, trouver un discours qui soit compréhensible à tous),
de l’enjeu théologique (la foi) dont la fonction tient à la motivation et la stimulation d’une
éthique particulière qui marque et s’applique à un groupe (les chrétiens, les croyants) et
enfin de l’enjeu d’une anthropologie appuyée sur la liberté et la responsabilité.

En posant la possibilité d’une éthique séculière, René Simon met en évidence bon
nombre d’éléments qui peuvent élever l’éthique au niveau universel. Nous citons non
seulement l’articulation création-salut-alliance mais encore et surtout la notion de la loi
naturelle sur lesquelles nous ne revenons pas ici puisque ces notions ont été abordées
dans le second chapitre du présent travail. Nous rappelons cependant qu’elles ont permis
de montrer comment le fondement de la morale se trouve dans l’être humain et ce dernier
est de manière autonome l’auteur des normes qui doivent régir la vie. Ce qui constitue la
base de cette compréhension est uniquement l’humanité qui est commune à tous et qui
use de sa rationalité pour donner sens à son existence. Ces assertions d’humanité et de
rationalité, considérées dans leur aspect commun à tous, permettent de penser
l’universalité de l’éthique qui en découle si et seulement si celle-ci est capable de
dépasser les clivages et les enfermements dans les particularités. En effet, « la pratique
humaine n’est humainement sensée que dans la mesure où elle dépasse le cloisonnement
et la fermeture de la particularité (celle de l’individu, celle du groupe, celle d’une norme
éthique donnée) {qu’elle n’exclut pas de la communauté humaine tels individus ou tels
groupes} par l’ouverture à une visée d’universalité. » 134 Le critère d’universalité de
l’éthique tient donc à la rationalité ouverte à tous.

134
R. SIMON, Pour une éthique commune, p. 33.

60
Quant à l’enjeu théologique, la typologie création-salut-alliance permet de donner
une image de Dieu partenaire de l’humanité. La compréhension thomiste de la loi
naturelle en termes de participation à la loi divine suppose une altérité de Dieu et de
l’homme dans une relation fondée sur la création, « l’élection, l’adoption et une parole
de désignation. » 135 Cet argument exclut formellement et fondamentalement la
possibilité d’une hétéronomie. La grâce opère dans la nature et la nature en accueillant
la grâce n’est pas inerte, elle agit avec elle. Ce qu’il convient de comprendre est que Dieu
ne dicte pas à l’homme une voie ou une loi toute tracée et formulée qu’il devra suivre
quoiqu’il en soit. Il est un Dieu immanent parce qu’il se fait présent dans l’humain créé
à son image, sa ressemblance et à qui il communique sa grâce … et il est « jusqu’en sa
transcendance la plus nettement affirmée, toujours aussi un Dieu pour nous et non pas le
Dieu en soi de la philosophie aristotélicienne. »136 L’immanence et la transcendance de
Dieu ne sont pas à distancier dans le temps et l’espace. Autant l’autonomie et la
théonomie interagissent, autant l’immanence et la transcendance de Dieu sont comme
une pièce à deux facettes. Sans être identiques, l’immanence et la transcendance de Dieu
participent à l’émergence de l’homme situé dans son monde. De ce fait, la
compréhension d’un Dieu partenaire de l’homme permet de saisir l’idée de
l’intentionnalité et motivations qui stimulent l’éthique de la foi.

Quelle anthropologie découle-t-elle de cette argumentation de la morale


autonome suivant la logique création-salut-alliance ? C’est une humanité libre et
responsable, capable de discernement et d’inventivité. Penser autrement l’anthropologie
du croyant ou même du non-croyant revient à nier non seulement son humanité elle-
même mais aussi nier Dieu et sceller l’obsolescence éthique de l’agir humain. La liberté
et la responsabilité passent ainsi comme des fondamentaux de l’éthique.

135
R. SIMON, Pour une éthique commune, p. 192.
136
R. SIMON, Pour une éthique commune, p. 191.

61
Récapitulatif

Dans ce troisième chapitre, nous avons analysé deux thèmes de la théologie


morale de René Simon : l’autonomie et la théonomie. Il s’est révélé essentiellement que
les deux, dans leur fonctionnement ne s’excluent pas mais se complètent dans le respect
de leurs distinctions.

En effet, dans un premier temps nous avons cherché à comprendre chaque


concept de façon particulière ; trois périodes de l’histoire (Antiquité, Moyen-Âge et
Époque moderne) nous ont permis de saisir et comprendre l’évolution des concepts de
l’autonomie et de la théonomie. Si la cosmogonie de l’Antiquité n’a pas distingué
formellement ces deux concepts, l’avènement du monothéisme biblique et le Moyen-
Âge ont établi la distinction entre d’une part le monde créé et d’autre part son Créateur.
La théologie thomiste voit l’origine et la fin du monde en Dieu. Ce qui a eu un écho
particulier chez les nominalistes qui, ayant poussé à l’extrême cette compréhension de
Dieu, en sont venus à la conclusion selon laquelle Dieu serait capable d’induire l’homme
en erreur et celui-ci obéirait. Du coup, cette conception de la relation Dieu-Homme
scellait l’obsolescence de l’autonomie et liberté humaine avant que les lumières, à
l’époque moderne, ne renversent la procédure et ne réaffirment la place centrale de
l’homme dans la relation avec la transcendance. Dans ces circonstances, d’aucuns ayant
poussé à l’extrême cette reconquête de l’autonomie et de la liberté de l’homme jusqu’ici
confisquées ou mal comprises par une conception de la théonomie, sont parvenus à
rendre illusoire l’idée de Dieu et par conséquent, la théonomie.

La théologie morale autonome, telle que perçue par René Simon, refait l’unité et
l’équilibre entre l’autonomie et la théonomie. Ainsi que nous l’avons montré dans
l’articulation entre les deux réalités, il n’y a ni opposition ni identité sinon la
complémentarité et la corrélation. Par la loi naturelle qui est inscrite en l’homme et qui
fait de lui ce qu’il est, l'homme participe à la loi divine. Le Créateur ne met pas l’homme
dans les conditions du déterminisme ; il le constitue comme une liberté qui se donne ses
normes relativement à sa nature.

62
Chapitre quatrième : Réflexions critiques.

Ce dernier chapitre se veut un recul critique par rapport au déploiement de


l’argumentation de la théologie morale selon René Simon. Au-delà de lui, ce
positionnement s’adresse au courant de la morale autonome. Nous subdivisons le
chapitre en trois points qui rendront compte de trois critiques adressées à l’ensemble de
l’argumentaire de la morale autonome : premièrement l’accent immanentiste de la morale
autonome paraitrait contradictoire avec la logique développée dans son argumentation.
Cette première critique rime avec la seconde qui s’interroge sur l’absolutisme de la
liberté et de la rationalité humaine. La troisième critique porte sur l’universalité de
l’éthique (qu’en est-il exactement quand on sait qu’une éthique est toujours située). Ce
troisième point constitue aussi une ouverture des nouveaux horizons avec l’éthique de la
vertu.

4.1. L’immanentisme et la contradiction de la morale autonome.

L’éthique de la foi surgit comme une réaction (réponse) à la morale autonome. Cette
dernière est vue par l’éthique de la foi comme une « compromission avec le monde athée
»137. Par conséquent, il ressort plusieurs éléments de cette critique que nous présentons
en deux points : l’immanentisme et certaines contradictions de la morale autonome.

4.1.1. L’immanentisme de la morale autonome.138

Ce premier élément de critique portée à la morale autonome dénonce un double


risque pour cette morale : d’abord une morale basée strictement sur la raison humaine,
ne prenant en compte que les dimensions immanentistes de l’agir, court le risque de
sombrer dans l’utilitarisme et le subjectivisme ; ensuite, elle ignore le surnaturel. Car, le
surnaturel se coordonne avec le naturel. Nous l’avons souligné plus haut, la grâce
présuppose la nature. Elles ne s’excluent pas. Cependant, au regard de l’éthique de la foi,
l’accentuation de la rationalité humaine dans l’élaboration des normes et dans l’agrir

137
J.-M. AUBERT, Débats autour de la morale fondamentale, p. 205.
138
J.-M. AUBERT, Débats autour de la morale fondamentale, p. 206.

63
moral tend à méconnaitre sinon dénier l’apport du surnaturel dans ces mêmes domaines
(de l’agir humain et de l’élaboration des normes morales).

Du point de vue sémantique, le concept d’autonomie est ambigu dans


l’entendement de la rationalité contemporaine. Cela crée un effet contraire du résultat
escompté par la morale autonome en contexte chrétien. Au lieu de rendre communicable
le message éthique dans le contexte chrétien pour une humanité pluraliste, l’ambiguïté
du concept d’autonomie a pris des proportions qui l’opposent à la transcendance. C’est
ainsi que l’on peut percevoir dans l’argumentaire de la morale autonome, frisant le
sécularisme, « l’idée que l’homme doit se faire seul, se construire et construire le monde,
par ses propres forces. »139 Ceci détache (sépare) la morale de la théologie. Or la vocation
de l’homme est celle qui attend de lui une réponse à l’appel d’une parole qui nous
précède, comme nous avons dit plus haut avec René Simon en parlant de l’articulation
Création-Alliance. Dans cette logique, une autonomie absolue s’éloigne de la vocation
humaine qui, au lieu de grandir et se réaliser par la Révélation140, s’obscurcit, s’atrophie
et se limite au strict minimum de l’immanence de la rationalité humaine. Cette ouverture
à la Révélation n’exclut en rien l’humanité non-croyante car elle « … ne vaut pas
seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne
volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ
est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir
divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connait,
la possibilité d’être associé au mystère pascal. » (GS, n°22, 5). Le divin et l’humain font
un dans l’homme et la Révélation en Jésus-Christ en est le paradigme parce qu’elle mène
cette unité à la réalisation parfaite de la vocation intégrale de l’homme. (AA, n°7, 2).

Jean-Marie Aubert estime cependant que cette critique de l’éthique de la foi non
seulement a mal ciblé la pointe de la morale autonome (en contexte chrétien) sur le

139
P. DELHAYE, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne, dans Revue théologique de
Louvain, 4 (1973), Louvain, p. 333.
140
Gaudium et Spes, n°22, 1 et 2 :
« En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam,
en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le
Christ, le Christ dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement
l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. Il n’est donc pas surprenant que les vérités
ci-dessus trouvent en lui leur source et atteignent en lui leur point culminant. »
« Image du Dieu invisible (Col 1, 15), il est l’homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam
la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu’en lui la nature humaine a été assumée non
absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son
incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme… »

64
surnaturel qui n’y est pas méconnu, mais encore elle est à lire dans le contexte de
rétablissement de l’articulation entre l’autonomie dans l’agir moral des chrétiens (la
base) et l’autorité hiérarchique de l’Église, garante de l’orientation morale des fidèles141.
Plus encore, le pessimisme de l’éthique de la foi a atteint son paroxysme en déniant à la
raison humaine sa capacité de distinguer le bien et le mal. Elle déprécie l’humain. D’où
les deux écueils et tentations de l’éthique de la foi : le conformisme (concordisme) et le
fondamentalisme qui font de la parole de Dieu un énoncé des principes moraux ou encore
y trouvent telles quelles les normes directement applicables.

4.1.2. La contradiction de la morale autonome.

Par ailleurs, l’éthique de la foi considère comme illusoire de la ramener et la


limiter à l’intentionnalité et à la motivation alors qu’elles (intentionnalité et motivations)
apparaissent dans l’agir. « On ne peut séparer aussi facilement la motivation du contenu
moral ; en effet, ce pourquoi nous faisons quelque chose entre souvent dans le sens même
de ce que nous faisons. » 142 Dans cette optique, il devient difficile de justifier
l’autonomie de la raison dans l’élaboration des normes et l’agir moral en la séparant de
ses motivations ou encore en excluant l’apport de la foi dans cette tâche. Il convient de
minimiser l’écart dans le dualisme entre ce qui est mis dans l’ordre de motivation et ce
qui relèverait strictement de la rationalité humaine. Car, autant il y a incidence de la vie
divine sur la vie humaine au plan transcendantal, autant Joseph Fuchs devrait l’admettre
au plan catégorial143.

En outre, si la loi naturelle permet à l’homme de participer à la loi divine en


répondant à la logique de Création-Salut-Alliance et s’il est vrai que l’autonomie n’exclut
pas la théonomie, que la grâce présuppose la nature, alors exclure la foi dans l’élaboration
des normes nie de facto l’essence même de la loi naturelle. Et « si transcendantal et
catégorial semblent se distancer puisque l’un est spécifiquement chrétien et l’autre
purement humain, il y a cependant des contacts et des influences du premier sur le
second. »144 Par voie de conséquence, en reprenant certains points de l’argumentation de
Joseph Fuchs, il est nécessaire de comprendre, avec Philipe Delhaye que dans cette

141
J.-M. AUBERT, Débats autour de la morale fondamentale, p. 205.
142
W.C. SPOHN, Jésus et l’éthique. Va et fais de même, Bruxelles, Lesius, 2010, p. 29.
143
P. DELHAYE, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne, p. 337.
144
P. DELHAYE, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne, p. 312.

65
logique de l’impact de la vie chrétienne sur l’agir moral, le christianisme est ce ferment
qui provoque et détermine le contenu du comportement humain. L’intentionnalité n’est
pas niée mais elle n’en reste pas là, car « l’influence de l’ethos de la communauté et de
l’église ; ce sera fondamentalement un ethos de l’humanum christianum. »145 Alors que
la relation que l’homme établit avec Dieu est un comportement moral dont les marques
transparaissent dans les actes, nier cette réalité, selon Delhaye, relève d’une idéologie
qui tendent à tout prix à rendre justice à la rationalité humaine ou encore à vouloir donner
satisfaction à une moralité non-chrétienne. C’est ainsi que la morale autonome nie la
dimension divine du droit naturel et construit une éthique sans Dieu. « Ces systèmes de
pensée sont hermétiquement clos ; ils représentent des styles de vie dans lesquels on
essaierait en vain de trouver une place pour Dieu, encore moins pour le Christ comme
condition de la morale. » 146 Ces systèmes, dans leurs fermetures, opèrent de deux
manières : soit ils excluent Dieu de l’éthique humaine (c’est l’athéisme) soit ils
s’efforcent de faire fondre la spécificité chrétienne dans l’humanisme (c’est l’autonomie
en contexte chrétien).

Parler de l’autonomie en contexte chrétien et refuser d’admettre le caractère


normatif de la Révélation sont contradictoires. En effet, réduire la Révélation à « … une
prise de conscience historique de ce qui est nécessaire pour être mieux homme »147, c’est
l’amputer de sa dimension transcendantale qui articule kénose et ascension. Remettre en
question la nouveauté normative qu’apporte la Révélation, c’est méconnaitre non
seulement la valeur de la Rédemption mais aussi sortir et rejeter la valeur de l’Écriture
Sainte de la théologie morale postconciliaire. Ce qui étonne Philippe Delhaye au sujet du
courant de la morale autonome est que Joseph Fuchs, un des représentants de ce courant,
par exemple, n’ait pas pris en compte la nouveauté de la loi de l’amour (Jean 13, 34 - 35)
apportée par la Révélation et que le second Concile du Vatican a su mettre en évidence148.

145
P. DELHAYE, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne, p. 313.
146
P. DELHAYE, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne, p. 318.
147
P. DELHAYE, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne, p. 329.
148
P. DELHAYE, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne, p. 329 - 333.
Nous reprenons texte de Dei Verbum n°24 : « La sainte théologie s’appuie sur la parole écrite de Dieu,
ainsi que sur la Tradition, comme sur un fondement durable ; c’est dans la parole de Dieu qu’elle trouve
sa force et qu’elle puise toujours sa jeunesse, en approfondissant, sous la lumière de la foi, toute la vérité
cachée dans le mystère du Christ. Les saintes écritures contiennent la Parole de Dieu et, parce qu’elles sont
inspirées, elles sont réellement la parole de Dieu ; aussi l’étude des saintes Lettres doit-elle être comme
l’âme de la sainte théologie. C’est aussi de la même parole de l’Écriture que le ministère de la parole,
autrement dit la prédication pastorale, la catéchèse et toute l’instruction chrétienne, dans laquelle il faut
que l’homélie liturgique ait une place privilégiée, est nourri de façon salutaire et trouve sa sainte vigueur.»

66
Bref, cette contradiction dont il est question dans l’argument du courant de la morale
autonome se situe entre l’absoluité de la raison dans l’élaboration des normes (où elle
reste seule responsable, comme relevé dans le second chapitre en posant la possibilité
d’une morale séculière) et la logique Création-salut-alliance qui donne lieu à une
autonomie participée.

4.2. La négation du contenu universel de la morale par la notion d’une liberté erronée.

Prolongeant la critique sur l’immanentisme et la contradiction de l’autonomie,


cette seconde critique s’adresse à un élément fondamental de l’autonomie humaine : la
liberté. Celle-ci est cruciale pour répondre aux questions éthiques qui se posent à la vie
de l'homme. Elle se retrouve au centre et l’on peut dire que « les problèmes humains qui
sont les plus débattus et diversement résolus par la réflexion morale contemporaine se
rattachent tous, bien que de manière différente »149, à cette liberté humaine. Cependant,
quand nous considérons l’autonomie participée qui articule autonomie et théonomie,
l’absoluité de la liberté parait une contradiction. Car, dans cette ligne de conduite, la
liberté-absolue nie et exclut l’altérité ; elle rend ainsi impossible l’ouverture à l’universel
suivant la logique de l’impératif catégorique, tel qu’Emmanuel Kant l’énonce :

« Le principe qui fait de certaines actions un devoir est une loi pratique. La
règle que l’agent se donne à lui-même comme principe pour des raisons
subjectives s’appelle sa maxime ; de là vient que, pour des lois uniques, les
maximes des agents peuvent cependant être très différentes. L’impératif
catégorique, qui énonce simplement d’une manière générale ce qui est
obligation, est celui-ci : agis d’après une maxime qui puisse valoir en même
temps comme une loi universelle ! Tu dois donc commencer par considérer
tes actions d’après leur principe subjectif ; mais pour ce qui est de savoir si
ce principe a aussi une valeur objective, tu ne peux le savoir que d’après la
manière dont, quand ta raison le soumet à l’épreuve qui consiste à te penser
toi-même, à travers un tel principe, comme légiférant universellement, il se
qualifie pour une telle législation universelle. »150
Ceci suppose, en d’autres termes, que d’autres libertés sont susceptibles d’agir autant
que moi, non pas par imitation pure et simple mais par analogie et inventivité qui leur
permettent de s’assumer en tant que sujet. Cette ouverture permet non seulement la
rencontre d’autres libertés, mais aussi et surtout pose les conditions de possibilité d’un
contenu moral universel. Ne pas considérer la pluralité des libertés, revient à nier la

149
JEAN-PAUL II, Veritatis splendor, n°31 § 1.
150
E. KANT, Métaphysique des moeurs, t 1, Paris, Flammarion, 1994, p. 177.

67
possibilité d’une liberté morale universelle et sombrer dans l’erreur. La liberté morale,
pour être vraie et non erronée, doit être soumise à la contingence et à la relativité. C’est
ainsi que :

« Le sentiment que nous avons de vivre le chaos moral, dans un monde fragmenté,
explique deux caractéristiques dominantes de la théorie éthique récente : l’insistance
sur la liberté, l’autonomie et le choix comme l’essence de la vie morale; et l’effort
pour assurer à la vie morale une fondation non liée aux contingences de nos histoires
et de nos communautés. (…) ces deux considérations sont étroitement liées, dans la
mesure où on suppose que la liberté dépend de notre capacité à trouver des moyens
pour nous dégager de nos propres engagements. Tiraillés entre des intérêts
contradictoires, nous nous sentons toujours davantage poussés à créer ou à choisir
notre moralité. Ce fait se reflète de différentes manières dans des théories morales
comme l’émotivisme, l’existentialisme et le situationnisme, qui maintiennent que la
connaissance morale n’est pas tant découverte que créée à travers des choix
personnels. »151
Cette liberté « authentique en elle-même, s'est traduite en de multiples
expressions, plus ou moins adéquates, dont certaines toutefois s'écartent de la vérité sur
l'homme en tant que créature et image de Dieu (…) »152. Il est nécessaire, à ce niveau,
que nous apportions une certaine distinction entre la liberté en morale autonome en
contexte chrétien et celle en contexte non-chrétien. En effet, la liberté exercée dans
l'autonomie en contexte chrétien est une réponse à l'appel du Créateur. A proprement
parler, elle reste relative à une autre liberté, elle est toujours relationnelle. Elle articule
création-rédemption-alliance. Par conséquent, la critique de l'absoluité de la liberté
semble incompatible avec la morale autonome en contexte chrétien. Cependant, cette
critique nous permet de situer l’exercice de ladite liberté à deux niveaux : celui qui
intègre la théonomie en dépassant l’hétéronomie et celui qui va aux extrêmes et ignore
l'ouverture à Dieu (créateur). Ce dernier volet, par ailleurs, a été réfuté par René Simon
en termes de réduction athéee. La critique sur l'absoluité de la liberté est donc à entendre
en rapport avec certains courants de morale autonome qui ne seraient pas ouverts au
créateur. Cette critique rejoint, dans ce cas, celle sur le caractère immanentiste de la
morale autonome.

En définitive, à partir de ces deux volets de compréhension de la liberté, l'on peut


distinguer au sein du courant de la morale autonome, deux tendances : premièrement,
celle ouverte au créateur et donc à l’altérité ; deuxièmement, celle immanentiste et
tournée uniquement vers la seule raison humaine, donc fermée à l'altérité trascendentale.

151
Stanley HAUERWAS, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, Pascale-Dominique
Nau (trad.), Paris, Bayard, 2006, p. 47.
152
JEAN-PAUL II, Veritatis splendor, n°31, § 3.

68
Et cette dernière tendance accentue l’écart entre l’autonomie et la théonomie, écart
pourtant réduit par la complémentarité et la corrélation établie par la loi naturelle qui fait
participer l’autonomie humaine à la loi divine. Il s’agit ici, d’une limite de cette tendance
de la morale autonome qui considère l’impératif catégorique simplement sous l’angle du
devoir en tant que bien à accomplir. Par conséquent, il est un a priori de la raison pratique
qui fonde l’éthique strictement sur la raison pratique, autonome de toute référence
extérieure qui la rendrait aliénante153. Il devient difficile, face à une telle compréhension
de la raison, de faire exister d’autres libertés ou même d’envisager l’instruction de ladite
raison. Elle se suffit. Elle est absolue et capable, toute seule, de venir à bout de problèmes
qui se posent à elle. Cette acception de la raison, pour être complète, devrait allier les
dispositions de la contingence et de l’altérité par lesquelles la liberté rationnelle se
constitue, elle n’est jamais quelque chose toute donnée de façon immuable car,

« Se vouloir, ou se considérer comme personne, c’est équivalemment opter pour la


liberté. On comprend qu’il s’agit moins d’une sorte de qualité dont l’homme serait
doté, avec ce risque récurrent de mettre en doute cette qualité par rapport aux
déterminismes divers, que d’une manière de se situer par rapport à soi-même et par
rapport au tout des choses. La liberté est alors ce geste par lequel on choisit de se
vouloir obliger ou tenu par des obligations grâce auxquelles on honore en soi et en
autrui son humanité (…) la liberté ne peut être considérée comme une sorte d’état
dont on jouirait, qu’on possèderait, qu’on aurait atteint : elle est une option toujours
ouverte, plus ou moins ouverte certes selon les circonstances et les contraintes
factuelles, mais pas une rente de situation dont on tirerait bénéfice. »154
La morale autonome en contexte chrétien comprend la liberté toujours en rapport avec
un environnement qui permet une influence mutuelle entre la subjectivité de la liberté et
son objectivité. Ce qui explique son universalité. Les tendances absolutistes de
l’autonomie sont celles qui, en allant aux extrêmes, finissent par nier non seulement
d’autres existences, mais encore l’objectivité de leur propre existence.

4.3. L’éthique située (particulière) et la recherche de l’universel.

Une troisième critique est portée sur la recherche d’une éthique universelle.
Rappelons, ici, que le souci de trouver une éthique qui soit communicable à tous, dans
un monde pluraliste, est une des raisons qui ont conduit René Simon et les autres tenants
de la morale autonome à s’investir dans la recherche d’une éthique qui soit universelle.

153
J-M AUBERT, Débats autour de la morale fondamentale, p. 210.
154
Paul VALADIER, Eloge de la conscience, Paris, Seuil, 1994, p. 157.

69
C’est contre cette « tentative d’élaborer des normes universelles indépendantes de tout
contexte »155 que s’insurge la critique à l’ambition universaliste de la morale autonome,
en rappelant qu’une telle éthique serait utopique et que chaque éthique est située c’est-à-
dire qu’elle s’exprime toujours de quelque part. Elle devrait être assumée par une
histoire. Nous considérons, avec Stanley Hauerwas 156 et William C. Spohn 157 , deux
arguments à cet effet : la narrativité (le récit inchoatif) et l’analogie. Selon ces deux
arguments, l’universalité est à comprendre relativement à la particularité et par ce fait,
soumise à la contingence et au dynamisme du temps et de l’espace. Il n’y a pas
d’universel tout donné que l’on se contenterait d’appliquer ou d’imiter. Il n’est possible
que dans la performativité éthique.

Mais avant d’aborder ces deux arguments proprement dits, il est nécessaire de
préciser ce qu’il en est d’une éthique située. Situer l’éthique rappelle le débat autour de
l’éthique de situation et l’éthique en situation. Nous ne développons pas, ici, tous les
arguments y afférents, mais nous voulons distinguer et préciser le contenu de ces
expressions selon l’entendement des théologiens moralistes postconciliaires. Par «
éthique en situation on entend une éthique appliquée, qui relève de ce qu’on appelait
jadis l’éthique spéciale, propres à des domaines particuliers de l’activité humaine. »158
Par exemple les normes propres en politique, en médecine, … éclairent l’agir pour une
action bonne dans ces domaines particuliers et précis. Quant à l’éthique de situation,
basée sur la conscience morale, elle se veut inchoative, elle refuse le conformisme et vise
le bien par une intention droite, elle évalue les situations et agit suivant les cas précis ;
elle en appelle à la liberté et au discernement … dans ce cas, « malgré sa fragilité interne,
son investissement par l’inconscient, les doutes qui la traversent, ses errements, la
conscience reste et doit rester une référence fondamentale. » 159 , même si quelques
décennies avant, cette éthique de situation a reçu des mises en garde du Pape Pie XII en
termes d’individualisme et du rejet de l’universel. Mais, en situant l’éthique ainsi, ces
concepts de narrativité et analogie, tout en maintenant la critique sur la prétention de
l’universel, font évoluer la question en la sortant de l’individualisme pour la mettre dans

155
Éric GAZIAUX, Fondements et perspectives d’une éthique chrétienne, dans Revue théologique de
Louvain, 44, 2013, p. 337.
156
S. HAUERWAS, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne.
157
W.C. SPOHN, Jésus et l’éthique. Va et fais de même.
158
Paul VALADIER, Ethique de situation, dans L. LEMOINE, E. GAZIAUX et D. MÜLLER (éd.),
Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 864.
159
P. VALADIER, Eloge de la conscience, p. 265.

70
une relation communautaire qui se trouve en rapport avec l’histoire entendue comme
récit dans lequel le sujet se forme et forme une communauté des valeurs. Venons-en
maintenant à la narrativité et analogie proprement dites.

4.3.1. La narrativité ou le récit inchoatif.

La notion d’éthique, par le fait qu’elle est liée et comprise en rapport avec l’agir
humain, est toujours et déjà située et qualifiée par la contingence de l’histoire. Elle est
affectée par le temps et l’espace dans lequel le sujet éthique évolue. En d’autres termes,
l’éthique n’est pas exemptée des relativités de l’histoire et de l’arbitraire humain. Les
mêmes questions ou les mêmes problèmes ne trouvent pas des mêmes réponses partout
et en tout temps. Elles sont toujours et déjà affectées par les particularités des sujets, de
temps et de l’espace. A cet égard, l’on peut admettre que « l’éthique traite par nature de
problèmes changeants. »160 Si tel est le cas du fonctionnement de l’éthique, le dynamisme
et le récit de chaque subjectivité sont le point d’ancrage de la vie morale qui est appelée
à se construire comme une histoire. Ce qui jadis était une valeur ou un vice peut ou ne
pas l’être aujourd’hui. Or, admettre une éthique universelle, c’est rechercher les valeurs
de l’agir humain qui puissent braver les limites de la subjectivité, du temps et de l’espace.
Du coup, la validité d’une telle éthique (universelle) n’est possible qu’à partir de
particularités humaines qui, au cours de l’histoire, élèvent leurs maximes de sorte
qu’elles rencontrent d’autres qui agissent de la même manière, sans quoi elles demeurent
particulières. Et ainsi, la possibilité de l’universel est relativisée.

Par ailleurs, il est nécessaire de préciser dès à présent que la prise en compte de
particularités éthiques ne signifie pas une anarchie dans l’établissement des principes
moraux. Il n’est pas question que chacun s’enferme, se replie sur soi-même et « choisisse,
sinon invente les normes pour la conduite de sa vie »161 sans estimer son environnement
social, religieux, politique, etc. Il s’agit plutôt d’admettre que tout cet environnement
reste contingent et soumis à la relativité ; par ricochet, le sujet éthique, épris de liberté et
de responsabilité, crée et invente la vie en opérant des choix. C’est dans cette créativité
et inventivité que se trouve le sens de la vie éthique dans une visée bonne. En effet, « la

160
S. HAUERWAS, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, p. 53.
161
S. HAUERWAS, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, p. 43.

71
condition nécessaire de la moralité authentique se trouve dans la liberté de choisir et la
volonté de prendre la responsabilité de ses choix. »162 Ceci implique la relativisation du
déjà établi qu’il convient, toutefois, d’intégrer dans une autonomie inchoative propre.
En agissant ainsi, le sujet éthique est dédouané du suivisme et du subjectivisme. Il est un
récit, il est une histoire dans les limites du temps et de l’espace qui lui appartient en
propre. Cette notion de récit veut bien insinuer que l’éthique est une réalité qui se
construit avec le sujet. Elle n’existe pas autrement. C’est par cette performativité que le
sujet éthique exerce sa liberté, assume ses responsabilités morales. Bref, le récit inchoatif
ne se contente pas d’appliquer simplement les normes déjà établies et ne les rejette pas
non plus, de facto, mais il s’approprie l’histoire du sujet éthique dans ses fluctuations.

Si le récit constitue le socle de la vie éthique et qu’il assume les normes avec
liberté et responsabilité tout en créant du nouveau, il reste une préoccupation au sujet de
la manière dont s’exerce cette créativité éthique : comment intègre-t-elle et assume -t-
elle le passé ? Crée-t-elle, invente-t-elle cette éthique ex nihilo ? Quel type de relation
peut-on établir entre la performativité du récit inchoatif du sujet éthique qui, d’ailleurs,
n’est pas monolithique et le reste de la communauté historique de l’humanité ? Quelle
est l’influence mutuelle entre le sujet et la communauté en garantissant la liberté et la
responsabilité éthique de chaque pôle ? C’est à ce questionnement que répondra le point
suivant sur l’analogie.

4.3.2. L’analogie.

La question de l’identité : qui suis-je ? À quelle communauté j’appartiens ?


Permet d’établir le lien analogique entre le récit du sujet et sa communauté dans le temps
et l’espace. L’analogie déplace et fait évoluer la question de l’origine de l’élaboration
des normes morales (raison ou foi) vers l’articulation du paradigme normatif et l’identité
subjective. Le récit historique d’un paradigme a une valeur normative. Celui de Jésus de
Nazareth en est un pour les chrétiens. Car « Jésus-Christ joue un rôle normatif dans la
réflexion morale des chrétiens. (Son) histoire nous permet de reconnaitre quels traits de
l’expérience sont importants, elle nous indique comment agir et forme notre être dans la
communauté de foi. »163, c’est-à-dire que le récit particulier de la vie de Jésus de Nazareth

162
S. HAUERWAS, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, p. 47.
163
W.C. SPOHN, Jésus et l’éthique. Va et fais de même, p. 11 - 12.

72
prend d’autres proportions pour devenir un modèle, un paradigme normatif pour les
croyants. Ceux-ci forment leurs récits propres à partir du paradigme Jésus. Ce processus
d’appropriation du paradigme passe par la perception des traits de l’expérience propre
du paradigme, la réceptivité de ces traits paradigmatiques par le sujet dans ses
dispositions morales propres et la formation de l’identité du sujet dans sa liberté et sa
responsabilité assumées.

En effet, à propos de la perception des traits de l’expérience du paradigme, nous


ne voulons pas traiter principalement du rapport de l’éthique à l’Écriture. Mais nous
relevons le fait que l’expérience de Jésus constitue un paradigme éthique pour les
chrétiens. Ces traits pratiques et historiques propres à Jésus de Nazareth communiquent
une manière de vivre, une spiritualité de vie. Ils ont force de vertu qui devient une base
d’expérience transformatrice pour le chrétien (ici, entendu comme sujet éthique). En
s’inspirant des pratiques néotestamentaires au sujet du récit de la vie de Jésus de
Nazareth, le sujet éthique produit une nouvelle existence dans son contexte propre lié au
temps et à l’espace qui sont les siens. C’est ainsi qu’il s’approprie l’existence
paradigmatique et rend sa propre existence inventive et créatrice. La normativité du
paradigme fait appel à l’imagination subjective et c’est seulement par analogie qu’il a
prise sur le sujet. En d’autres termes, il ne s’agit pas de copier la vie de Jésus et de
l’appliquer telle qu’elle est donnée aux chrétiens, il s’agit plutôt d’y découvrir le guide,
le repère … A partir du concret de la vie de Jésus, le chrétien produit un autre concret de
sa vie adaptée à des circonstances propres à lui :

« Jésus est l’universel concret pour la vie chrétienne, parce que son histoire a une
portée universelle pour les chrétiens. Où qu’ils soient, ils doivent vivre
conformément à la vie de Jésus. Ils doivent former les sortes de communautés qui
incarnent le Christ dans le monde. Ils doivent se servir de leur imagination pour
reconnaitre certains modèles et les étendre à leurs propres familles, affaires et
sociétés. Ce mouvement du texte à la vie intervient généralement par extension
analogique, non par abstraction. Les dits de l’Évangile ne sont pas l’objet
d’abstractions inductives pour en faire des principes généraux appliqués ensuite à
la vie par déduction. »164
Puisqu’il s’agit de basculer du paradigme à l’existence du sujet en passant par
l’imagination analogique, la notion du temps et de l’espace resurgit avec acuité. La
tension entre les traits de repères et le concret de l’existence du sujet doit être maintenue
pour garantir le dynamisme éthique qui articule le nouveau et l’ancien ; le particulier (du
sujet) et l’universel (paradigme). Il y a rupture dans la continuité en ce sens que

164
W.C. SPOHN, Jésus et l’éthique. Va et fais de même, p. 105.

73
l’inventivité éthique ne se fait pas ex-nihilo. Un regard nouveau transforme, adapte la
réalité existentielle au contexte du sujet.

En outre, la réceptivité du paradigme est conditionnée par les dispositions du


sujet. Autant la créativité ne se fait pas à partir de rien, autant l’objectivité du paradigme
éthique doit solliciter les prédispositions du sujet. Il appartient à celui-ci d’intégrer et
d’assumer le modèle qui s’offre. Ce sont ces dispositions éthiques qui évitent au sujet le
conformisme au modèle qui se donne. Les tendances personnelles (convictions,
caractères, émotions …) innées ou reçues constituent et mettent le sujet dans ces
dispositions de réceptivité ou de rejet. L’expérience du récit paradigmatique n’est donc
pas un principe fin prêt à être appliqué tel quel ici et maintenant, mais elle appelle un
discernement et une délibération dans l’imitation du paradigme et demeure nécessaire au
sujet éthique qui réagit de manière appropriée pour faire émerger son identité morale en
devenant ainsi un nouveau récit, une nouvelle histoire. Ceci implique deux autres
prédispositions : la liberté et la responsabilité.

Toutes proportions gardées sur la seconde critique formulée au courant de morale


autonome, ce que nous avons appelé plus haut absoluité de la liberté, l’identité morale
du sujet est établie dans une relation. Et, pour être authentique, elle dépend du degré de
liberté et de responsabilité que le sujet porte dans son agir qui, par ailleurs, exprime
quelque chose de son être. Considérant le cadre précis de l’analogie du récit de Jésus de
Nazareth dont l’histoire constitue une norme pour les individus et l’ensemble de la
communauté chrétienne, chaque trait du récit du paradigme est intégré librement et de
façon assumée pour faire partie du récit propre du sujet. C’est cette capacité d’intégration
« qui détermine les circonstances, même quand celles-ci nous sont imposées, parce que
notre activité morale dépend précisément de notre capacité d’interpréter nos actions dans
le contexte d’une histoire. »165 car le récit forme la base de l’identité personnelle du
chrétien et de la communauté qui deviennent ce qu’ils font et ils s’extériorisent,
s’expriment en reflétant leurs convictions166. Ainsi,

« Une partie de l’expérience de conversion religieuse consiste à nous voir nous-


mêmes comme partie d’un nouveau récit. Nous n’en sommes plus spectateurs ou
auditeurs, nous nous identifions maintenant à lui. Les mots prononcés au Sinaï sont
aussi prononcés pour nous; l’appel des disciples nous inclut; la croix devient aussi
notre destinée. Les pratiques de spiritualité reposent sur cette identification

165
S. HAUERWAS, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, p. 49.
166
Cf. W.C. SPOHN, Jésus et l’éthique. Va et fais de même, p. 250 - 254.

74
imaginative avec les histoires. Celles-ci peuvent nous avoir été présentées comme
faisant autorité, mais elles n’obtiennent autorité sur nous que lorsque nous
commençons à nous voir en elles. (…) L’histoire de Jésus n’est pas à ce point
surdéterminée que nous ne puissions la faire nôtre analogiquement. »167
Cette façon d’assumer analogiquement le récit du paradigme pour en devenir une partie
par expérience, nous permet de faire un rapprochement avec un des arguments de la
morale autonome en contexte chrétien tel que ressorti dans le chapitre précédent :
l’Alliance comme réponse d’Israël à l’appel de la Parole engendre une expérience unique
qui devient un paradigme de réponse à l’appel du Créateur. En se construisant comme
peuple de Dieu, Israël constitue une histoire, une identité particulière qui sert de modèle
de réponse à donner à Dieu pour d’autres peuples et d’autres personnes aujourd’hui. En
d’autres termes, chaque réponse de chacune des personnes à cette parole qui nous
précède devient une nouvelle identité et un nouveau récit qui s’assume et se constitue au
fil de temps et d’espace. Cette perception ne voudrait en rien sceller l’individualisme ou
le particularisme de chaque histoire, mais elle établit une articulation, une relation
permanente entre ce qui est donné en modèle et ce qui est appelé à se constituer. Ainsi la
quête de l’universel reste une tâche toujours dynamique (inchoative), un horizon à
atteindre en partant de l’expérience, du récit, de l’histoire de chaque vie.

167
W.C. SPOHN, Jésus et l’éthique. Va et fais de même, p. 267.

75
Conclusion générale.

Le problème du référentiel dans l’élaboration des normes en morale fondamentale


postconciliaire est à la base des débats qui ont préoccupé les théologiens moralistes
contemporains dont les tout premiers sont les tenants de la morale autonome et ceux de
l’éthique de la foi.

Le présent travail s’est attelé à la logique des arguments du courant de la morale


autonome par un de ses représentants francophones, René Simon. En effet, ces arguments
de la morale autonome en contexte chrétien tentent de montrer la corrélation qu’il y a
entre l’autonomie humaine et la théonomie. L’une et l’autre ne se repoussent pas mais se
complètent. Dans son argumentation (telle que présentée par René Simon), le courant de
la morale autonome rend compte non seulement de la recherche d’une morale qui soit
communicable à l’homme moderne (qui puisse rejoindre l’entendement de l’homme
contemporain) en le sortant d’une morale casuistique, énonciatrice des principes à
appliquer, des lois et normes à respecter (dans le fais ceci et évite cela) sans sa propre
participation rationnelle, libre et volontaire, mais aussi et surtout en l’amenant à
s’assumer comme protagoniste du premier plan dans l’agir moral, ce, à travers sa
participation, par la loi naturelle, à l’élaboration des principes qui doivent régir sa vie.
D’où, face à une certaine compréhension de la relation entre autonomie et théonomie
perçue comme extérieure à l’homme et par conséquent, établissant une hétéronomie
aliénante, l’autonomie participée se met à la charnière entre les deux (autonomie et
théonomie) et établit une corrélation dans le respect et la considération de chaque liberté.

En effet, eu égard à ce qui est dit de la théonomie qui dénie à l’homme sa liberté
pour ne considérer que Dieu et/ou celui de la reconquête de l’autonomie humaine qui
voudrait éviter l’aliénation en rétablissant l’homme dans son absolue liberté, force est de
remarquer que ces deux extrémismes ont scellé et creusé la séparation entre la théonomie
et l’autonomie humaine. Les conséquences qui en ont découlé sont d’une part, celles
d’un panthéisme qui retire à l’homme toutes ses responsabilités et libertés éthiques dans
son agir moral et d’autre part, celles d’un humanisme prétentieux qui s’accapare de tout
et s’enferme dans le subjectivisme qui rejette l’altérité de la théonomie.

Aussi, pour permettre le rapprochement, l’articulation autonomie et théonomie,


l’argumentaire de la morale autonome en contexte chrétien rend compte d’une humanité

76
qui participe à la loi divine par la loi naturelle. L’autonomie et la théonomie ne se
repoussent pas, elles sont unies dans la distinction. René Simon établit cette articulation
en réfutant préalablement l’extrémisme athée. Par quelques-uns de ses représentants, il
montre que l’illusion religieuse considère l’homme uniquement au moment de sa
déchéance. Et sans tomber dans le fidéisme, il pose la possibilité d’une morale (éthique)
séculière en établissant le rapport création-salut-alliance en termes d’appel par une
parole qui précède l’homme et l’assigne à responsabilité. Ce dernier, par une réponse
libre et responsable participe à la création-salut-alliance qui établit un lien étroit entre
l’autonomie et la théonomie.

Cette articulation appel-réponse constitue un point d’ancrage entre la liberté humaine et


la liberté divine dans lesquelles sont intégrées et par lesquelles opèrent l’immanence de
l’homme et la transcendance de Dieu. C’est en étant pleinement libre que l’homme se
réalise dans son autonomie. Sa responsabilité est une réponse à la requête du créateur
car,

« L’humanisme ne contredit pas le théocentrisme, car tous deux sont reliés


ontologiquement : le premier n’existe que parce que créé et voulu par Dieu,
et le second n’est pas détrôné par le premier ; car de par sa qualité d’image
et fils de Dieu, tout ce qui grandit l’homme tourne à la gloire de Dieu, son
modèle et père (que cette relation soit perçue ou non ne change rien à sa
réalité). Rabaisser l’homme pour grandir Dieu et le rôle de la foi (selon une
certaine éthique de la foi) est alors contradictoire (pour ne pas dire plus). Car
respecter en l’homme le visage de Dieu (sa liberté, sa capacité de se décider
soi-même), c’est contribuer à faire respecter Dieu, dans sa volonté créatrice
et salvifique, et c’est par là respecter aussi le visage du Christ, en tant que
chef de l’humanité rachetée (…) L’importance de la raison est donc à
souligner et c’est un des mérites de l’école de la morale autonome de l’avoir
mis en lumière; mais à condition de ne pas refuser à cette raison la capacité
d’atteindre l’être des choses, et donc d’être illuminée par la foi et élevée par
la grâce (rôle des vertus théologales); sinon, close sur elle-même, son
autonomie serait incompatible avec le contexte chrétien. »168
Trois critiques nous ont permis de marquer quelques petites nuances dans
l’argumentaire du courant de la morale autonome de façon globale en partant de René
Simon qui en est un des représentants. Il est nécessaire de signaler, par ailleurs, que ces
critiques que nous relevons pourraient déjà être perçues d’une manière ou d’une autre
dans l’argumentation de la morale autonome en contexte chrétien. Il s’est agi
principalement de l’immanentisme, de l’absoluité et de l’universalité (prétentieuse ?)
d’une certaine conception de l’autonomie de la raison humaine, ce qui est assimilé à

168
J-M AUBERT, Débats autour de la morale fondamentale, p. 214-215.

77
l’extrémisme athée. Il s’est avéré que dans le courant de la morale autonome, nous
devrions porter une attention particulière à la nuance qui a distingué une autonomie en
contexte chrétien et une autre purement absolue, car c’est là qu’il convient de percevoir
le nœud de l’articulation autonomie et théonomie qui a donné lieu à une autonomie
participée. L’immanentisme et l’absoluité de la raison sont ainsi perçues comme une
fermeture qui compromet l’ouverture à l’universalité de la raison. Celle-ci reste, dans ce
cas, simplement au niveau de la maxime subjective et non universelle.

Le prolongement de la troisième critique sur l’universalité de la maxime


subjective nous a permis d’ouvrir les horizons avec l’éthique de la vertu en termes de
narrativité et analogie. Chaque subjectivité, pour s’ouvrir à l’universel, doit s’assumer
comme un récit, une histoire. Celle-ci, tout en étant soi-même constitue une identité par
la relation analogique qu’elle établit avec le modèle de son environnement dans le temps
et l’espace. Le récit et l’analogie rendent et assignent à responsabilité chaque subjectivité
en rapport avec d’autres. Dans cette logique, la réponse éthique à l’appel de Dieu qui
établit une Alliance avec la communauté d’Israël devient un modèle de réponse pour
d’autres libertés qui se construisent. Aussi pouvons-nous affirmer que le récit d’une vie
est une identité qui constitue une réponse existentielle à l’appel du créateur. Il en va de
la responsabilité de chaque individu, de chaque communauté … de faire de sa vie, dans
son agir, une réponse qui implique sa liberté (d’esprit et de cœur) et son autonomie. C’est
de cette façon que l’homme peut habiter son monde et le transformer.

78
Bibliographie.

I. Dictionnaires et Encyclopédies.

- CANTO-SPERBER Monique (éd.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie


morale, Tomes 1 et 2, Paris, Puf, 1996.

- LACOSTE Jean-Yves et RIOUDEL Olivier (éds.), Dictionnaire critique de


théologie, 3è édition revue et augmentée, Paris, Puf, 2007.

- LEMOINE Laurent, GAZIAUX Éric et MÜLLER Denis (éds.), Dictionnaire


encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013.

- MINOIS Georges, Dictionnaire des athées, agnostiques, sceptiques et autres


mécréants, Paris, Albin Michel, 2012.

II. Ouvrages

a. Ouvrages de René Simon

- SIMON René, Morale. Philosophie de la conduite humaine, Paris, Beauchesne,


1961.

- ___ Fonder la morale. Dialectique de la foi et de la raison pratique, Paris, Seuil,


1974.

- ___ Éthique de la responsabilité, Paris, Cerf, 1993.

- ___ Pour une éthique commune. Réflexions philosophiques et éclairages


théologiques 1970 – 2000. Textes réunis par Éric Gaziaux et Denis Müller, Paris,
Cerf, 2009.

b. Ouvrage Collectif

- BELANGER Rodrigue et PLOURDE Simonne (éds.), Actualiser la morale.


Mélanges offerts à René Simon, Paris, Cerf, 1992.

79
c. Autres ouvrages

- ARNOUX Romain, Éthique de la responsabilité. Enquête philosophique au cœur


des enjeux contemporains, Paris, Hermann, 2017.

- CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX, Compendium de la doctrine sociale de


l’Église, Paris, Cerf, 2005.

- FEUERBACH Ludwig, L’essence du christianisme, Paris, Gallimard, 1968.

- FREUD Sigmund, L’avenir d’une illusion, France, Points, 2011.

- GUGGENHEIM Antoine, Pour un nouvel humanisme. Essai sur la philosophie de


Jean-Paul II, Paris, Parole et Silence, 2011.

- HÄRING Bernard, La morale après le Concile, Paris, Desclée, 1967.

- HAUERWAS Stanley, Le Royaume de paix. Une imitation à l’éthique chrétienne,


Paris, Bayard, 2006.

- JEAN-PAUL II, Veritatis Splendor, lettre encyclique du souverain pontife Jean-


Paul II à tous les évêques de l’Église catholique sur quelques questions
fondamentales de l’enseignement morale de l’Église, Rome, 1993.

- ____, Fides et Ratio, lettre encyclique du Souverain Pontife Jean-Paul II aux


évêques de l’Église catholique sur les rapports entre la foi et la raison, Rome,
1998.

- JONAS Hans, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation


technologique, 3 éd., Paris, Cerf, 1995.

- KANT Emmanuel, Critique de la raison pure, 3e éd., Paris, Flammarion, 2006.

- ____, Métaphysique des mœurs, t 1, Paris, Flammarion, 1994.

- KASPER Walter, La théologie et l’Église, Paris, Cerf, 1990.

- KÜNG Hans, Dieu existe-t-il ? Réponse à la question de Dieu dans les temps
modernes, Paris, Seuil, 1981.

- LEVINAS Emmanuel, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris,


Vrin, 1982.

- ORAISON Marc, Une morale pour notre temps, Paris, Fayard, 1965.

80
- PAUL VI, Humanae Vitae, encyclique du 25 juillet 1968, sur le mariage et la
régulation des naissances, Paris, Téqui, 2007.

- RATZINGER Joseph et DELHAYE Philippe, Principes d’éthique chrétienne, Paris-


Namur, Lethielleux-Culture et Vérité, 1979.

- RICŒUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

- SPOHN William, Jésus et l’éthique. « Va et fais de même ! », Bruxelles, Lessius,


2010.

- VALADIER Paul, Eloge de la conscience, Paris, Seuil, 1994.

- VATICAN II, Les Seize documents conciliaires. Texte intégral, Martin Paul-Aimé
c.s.c. (éd.), Canada, Fides, 2015.

- XHAUFFLAIRE Marcel, Feuerbach et la théologie de la sécularisation, Paris, Cerf,


1970.

III. Articles

- AUBERT Jean-Marie, La spécificité de la morale chrétienne selon saint Thomas,


dans Le supplément (à la vie spirituelle), 92 (1970), p. 55-73.

- AUBERT Jean-Marie, Débats autour de la morale fondamentale, dans Revue


Studia Moralia, Vol XX/2 (1982), Rome, p. 194-221.

- AUBERT Jean-Marie, Loi de Dieu, Loi des hommes, dans Scopientia Christianna,
Tournai, 1989 – 90, p. 131-150.

- DELHAYE Philippe, La mise en cause de la spécificité de la morale chrétienne,


dans Revue théologique de Louvain, 4 (1973), Louvain, p. 308-339.

- FUCHS Joseph, Existe-t-il une morale spécifiquement chrétienne ?, (Recherches


et Synthèses. Morale, 9), Gembloux, Duculot, 1973, p. 9-31.

- GAZIAUX Éric, Fondements et perspectives d'une éthique chrétienne, dans Revue


théologique de Louvain, Vol. 44, 3(2013), p. 329-364.

- ____, Universalité et particularité, exigence de la rationalité et éthique de la


vertu, dans L. DUBRULLE, C. FINO et Ph. BORDEYNE, Habiter le monde selon le
désir de Dieu : mélanges Médevielle, Paris, DDB, 2015, p. 43 - 55.

81
- ____, Autonomie, dans LEMOINE Laurent, GAZIAUX Eric et MÜLLER Denis (éds),
Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 233 -
248.

- RICŒUR Paul, Avant la loi morale : l’Ethique, dans Encyclopedia universalis,


Supplément II, « Les enjeux », Paris, 1985, p. 42 – 45.

- THOMASSET Alain, Ethique, dans LEMOINE Laurent, GAZIAUX Eric et MÜLLER


Denis (éds), Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf,
2013, p. 813 - 832.

- VALADIER Paul, Hésitations sur la loi naturelle, dans Dubrulle L., Fino C. et
Bordeyne Ph. (éds.), Habiter le monde selon le désir de Dieu : mélanges
Médevielle, Paris, DDB, 2015, p. 57-68.

- ____, Ethique de situation, dans LEMOINE Laurent, GAZIAUX Éric et MÜLLER


Denis (éds), Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf,
2013, p. 864-871.

82
Tables des Matières.

INTRODUCTION GÉNÉRALE .......................................................................................................... 1


1. ETAT DE LA QUESTION ET PROBLÉMATIQUE ........................................................................... 1
2. HYPOTHÈSES..................................................................................................................... 5
3. MÉTHODOLOGIE ................................................................................................................. 5
CHAPITRE PREMIER RENÉ SIMON, EXPÉRIENCES ET ÉMERGENCE D’UNE PENSÉE .. 7
1.1. VIE ET PROFESSION ........................................................................................................... 7
1.2. ŒUVRES .......................................................................................................................... 8
1.2.1. Production littéraire ................................................................................................ 9
1.2.2. Autres productions et actions humaines ............................................................... 10
1.3. CONTEXTE ET EMERGENCE D’UNE PENSEE .......................................................................... 13
CHAPITRE DEUXIÈME RÉSUMÉS ET PRÉSENTATION DES OUVRAGES DE RENÉ SIMON
...........................................................................................................................................................14
2.1. MORALE. PHILOSOPHIE DE LA CONDUITE HUMAINE, PARIS, BEAUCHESNE, 1967. ...................... 14
2.1.1. Philosophie et théologie morale ........................................................................... 15
2.1.2. Le fondement humain de l’acte moral ................................................................... 16
2.1.3. Etude des valeurs ................................................................................................ 17
2.1.4. Etude des vertus .................................................................................................. 22
2.2. FONDER LA MORALE. DIALECTIQUE DE LA FOI ET DE LA RAISON PRATIQUE, PARIS, SEUIL, 1974. .... 24
2.2.1. Quelques préalables ............................................................................................ 26
2.2.2. Possibilité d’une morale séculière ........................................................................ 31
2.2.3. Contenu d’une éthique chrétienne ........................................................................ 34
2.3. ETHIQUE DE LA RESPONSABILITE, PARIS, CERF, 1993. .......................................................... 36
2.3.1. Le processus de la responsabilité au niveau expérientiel ...................................... 37
2.3.2. Le processus de la responsabilité au niveau fondamental et théorique (deuxième
partie) ............................................................................................................................ 41
CHAPITRE TROISIEME : DEUX THEMES DE LA THEOLOGIE MORALE DE RENE
SIMON ..............................................................................................................................................46
3.1. PRÉCISIONS ET DÉFINITION DES CONCEPTS ...................................................................... 46
3.2. ARTICULATION AUTONOMIE-THÉONOMIE. .......................................................................... 49
3.2.1. Quelques conséquences de l’extrémisme d’autonomie et de théonomie. .............. 50
3.2.2. Unité et distinctions entre autonomie et théonomie. ............................................... 55
3.3. QUELQUES ENJEUX ......................................................................................................... 60
CHAPITRE QUATRIÈME : RÉFLEXIONS CRITIQUES...............................................................63
4.1. L’IMMANENTISME ET LA CONTRADICTION DE LA MORALE AUTONOME .................................... 63
4.1.1. L’immanentisme de la morale autonome .............................................................. 63
4.1.2. La contradiction de la morale autonome..................................................................... 65
4.2. LA NÉGATION DU CONTENU UNIVERSEL DE LA MORALE PAR LA NOTION D’UNE LIBERTÉ ERRONÉE
.......................................................................................................................................... 67
4.3. L’ÉTHIQUE SITUÉE (PARTICULIÈRE) ET LA RECHERCHE DE L’UNIVERSEL. ............................... 69
4.3.1. La narrativité ou le récit inchoatif. ............................................................................ 71
4.3.2. L’analogie.............................................................................................................. 72
CONCLUSION GÉNÉRALE ...........................................................................................................76
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................79
TABLES DES MATIÈRES ..............................................................................................................83

83
84

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