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Michel Braud
• https://orcid.org/0000-0003-2914-5169
p. 157-174
Dans son lit, une nuit d’insomnie, c’est là qu’on se retrouve... et après
quel plaisir !... On est un peu étranger d’abord, un peu timide... : il y
avait si longtemps qu’on ne s’était senti ! La conversation est difficile
entre vous et ce « moi » profond qui vient de tressaillir de nouveau, là
dans le silence et la solitude. « [jeudi 9 avril 1899]3
I. « PASSION DE
L’INTÉRIORITÉ »
7La « passion de l’intériorité » que Charles Juliet confesse dans
une de ses notes est d’abord l’expression de la constance et de la
force de sa quête introspective :
Je n’ai vécu que pour l’aventure qui m’était imposée [...]. Par aventure,
j’entends : aventure intérieure, laquelle inclut la passion de l’intériorité
[...] (15 nov. 1987, p. 306).
37La relation individuelle qui peut s’établir avec autrui n’est pas
menacée par les mêmes dangers, mais est sous-tendue par une
rêverie proche. L’autre peut, parfois, agresser le diariste9, ou
encore le distraire de sa quête intérieure, lui faire perdre sa
solitude, son silence, mais ces inquiétudes restent marginales.
Plus profondément, en revanche, court la préoccupation de ne pas
connaître les autres et de ne pas être reconnu par eux, de ne pas
réussir à établir avec eux de relation autre que superficielle. C’est
que la relation avec autrui n’est pas imaginée dans la surface,
comme un contact d’extériorité à extériorité, mais comme une
communication directe d’intériorité à intériorité. Connaître
quelqu’un, c’est connaître « ses rêves, ses fantasmes, ses désirs
les plus secrets, ce qu’enfante son imaginaire » (2 déc. 83, p. 87),
c’est connaître ses passions. Mais par-dessus tout, c’est connaître
sa souffrance, c’est souffrir avec lui :
Je croise dans la rue une personne dont le visage est empreint
d’angoisse de souffrance, ou dont l’apparence me donne à penser
qu’elle mène une existence difficile, et parfois, un immense senti ment
de compassion m’étreint, me ramène à la conscience de notre solitude,
me fait redécouvrir la précarité de notre condition (23 mars 85, p. 154-
155).
72La valeur symbolique des mots utilisés doit rester ouverte, pour
être reprise, rechargée par le lecteur. On demeure ici dans un
imaginaire d’adhésion par celui-ci à l’aventure intérieure du
diariste, de compassion pour sa souffrance, d’identification à son
personnage.
73Ainsi peut s’expliquer la simplicité du lexique : les images
préférées sont, comme on l’a vu, celles du corps (voix, œil) et de
la nature (source, magma, feu...), que le lecteur peut facilement
investir. De même, aussi, les emprunts qui peuvent être repérés
— assez hétéroclites — restent-ils très généraux, ou sont-ils
rendus manifestes par le contexte. La psychanalyse est sollicitée
pour le concept de moi, redéfini par le diariste, pour la mise en
évidence du poids de l’enfance dans les comportements et du rôle
de l’inconscient, et pour la nécessité de « dénouer les conflits »
pour atteindre à un équilibre intérieur (24 août 85, p. 180).
• 10 Charles Juliet commente ces influences dans Mes
chemins (recueil d’entretiens avec Francesca Piolo (...)
9 Cette menace que constitue autrui est encore plus nette dans le
premier volume (« Seul face à la meute » : Journal I, p. 103, 6 janvier),
où elle apparaît aussi comme la jalousie de l’exclu p. 175, 29 nov. 61).
AUTEUR
Michel Braud
Université Michel de Montaigne / I.U.F.M. d’Aquitaine
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