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La neurasthénie de l'écrivain
de Byron à Styron
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définie et enrichie, mais une époque dans laquelle la faiblesse même du moi
(celle qui sur un autre plan s'étale et s'exprime dans le journal intime) devient
objet d'intérêt et finalement ressource.
Si je renonce à m'appuyer sur les distinctions dégagées par les médecins,
c'est d'abord parce que je ne les maîtrise pas; c'est surtout parce que la lecture
des textes, sur laquelle j'appuie mes idées, requiert je crois de partir avec un
esprit ouvert, sans préjuger des "entités nosologiques" qui ont leur utilité, mais
pas ici; je ne cherche à soigner ni George Byron ni William Styron, mais à suivre
leur oeuvre quand elle décrit et explore certains états psychiques et physiques
qui recoupent, diversement, et de façon imprévue, ce que d'autres seraient
tentés de distinguer comme dépression, mélancolie, neurasthénie ou névrose. Il
est vrai que je m'intéresse ici à des poètes ou écrivains qui sont sans doute pas
seulement des créateurs ou des inventeurs de formes poétiques, mais des
inventeurs de formes de sensibilité dans lesquelles d'autres (lecteurs
contemporains ou ultérieurs, et même d'autres que des lecteurs) peuvent
reconnaître leurs souffrances, leurs aspirations et la tonalité de moments de
leurs vies.
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de Chillon). Mais ce sont là pour lui des pis-allers, qui canalisent, empêchent
l'explosion, mais ne soulagent ni ne délivrent (ni ne le veulent).
Aussi Byron ne peut-il aucunement apparaître comme un simple
littérateur: dès son vivant les diverses manifestations de son génie attirent
l'attention du public sur sa personne, sous un éclairage d'ailleurs toujours
double: d'une part un personnage tourmenté, sombre, à l'écart, qui broie du noir
et semble inconsolable (tout en suscitant l'envie de le consoler); de l'autre un
esprit satirique, vif, voltairien, infatigable, qui aime rire, se moquer et faire rire.
D'un côté le sombre Manfred, de l'autre le lumineux don Juan. Surtout, la
réputation qu'il acquiert auprès du public britannique puis européen le
transforme, comme malgré lui, de poète en prosateur. A côté des poèmes qu'il
avait composés et fait publier, le lecteur veut lire les oeuvres privées et intimes
de Byron: ses Lettres, dont les premières éditions paraissent dès 1828; ses
Journaux, dont une première édition paraît en 1830, par les soins de Thomas
Moore (Letters & Journals of L.B.; viendra ensuite l'édition de R.E.Prothero en 6
volumes, en 1898-1903). Conscient de cette curiosité, Byron avait confié à Moore
le manuscrit de ses Mémoires jusqu'en 1816, l'autorisant à les publier plus tard
(Moore et ses amis les jugèrent impubliables et les brûlèrent peu après sa mort
en 1824). On reconnaît là l'une des premières étapes du mouvement de
divulgation des oeuvres intimes, qui se manifesta aussi en France avec la
publication des textes intimes de Joubert par Chateaubriand, et des Journaux de
Maine de Biran.
L'essentiel serait donc interne, et de nature volcanique. Dans l'image du
volcan (l'Etna, le Vésuve) on reconnaît d'abord l'une des images fondatrices de
l'humeur romantique ou pré-romantique, particulièrement en ce qu'elle associe
la force créatrice individuelle à des forces telluriques, chtoniennes, plus
généralement "pré-olympiennes". Je veux dire que des poètes comme Goethe,
Hölderlin, Keats, Maurice de Guérin, Nerval, ont manifesté une prédilection
pour les figures de la mythologie grecque appartenant à la génération des dieux
précédant celle de Zeus, tels Saturne-Cronos, les Titans, les Centaures, Ixion,
Prométhée, Phaéton, Hypérion, Antée, puissances indisciplinées que Zeus a
asservies et enchaînées de façon à asseoir son pouvoir sur l'Olympe et sur
l'univers. En l'homme, surtout en l'homme de génie, bouillonnerait cette force
archaïque, avide de jaillir ou de rejaillir (Nerval: "Je sais pourquoi là-bas le volcan
s'est rouvert.../ C'est qu'hier tu l'avais touché d'un pied agile,/Et de cendres soudain
l'horizon s'est couvert.", "Myrtho"; ou dans "Antéros": "C'est que je suis issu de la
race d'Antée,/Je retourne les dards contre le dieu vainqueur"). L'individu comme être
séparé trouve son origine dans un magma indifférencié et asocial, et il se sent
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exister suprêmement dans l'incandescence, dans l'intoxication ("The best of life is
but intoxication", Byron, don Juan, II.179), ou dans le bouillonnement de la
jeunesse, quand "the blood's lava, and the pulse a blaze", "le sang est lave, et le
pouls est fournaise", d.J., II.186). Mais l'inverse est tout aussi vrai: ce qui fait
d'un individu ce qu'il est n'est pas tant la substance volcanique qui affleure, que
l'issue singulière qu'elle trouve en lui, le conflit entre sa puissance et ce qui la
contient, le rythme de ses éruptions. Rien de plus individuel qu'un volcan: il est
l'individualisation même. "The fire that on my bosom preys/Is lone as some volcanic
isle" ("On the day I complete my 36th year": son dernier poème, 3 mois avant sa
mort): "Le feu qui de mon coeur fait sa proie/Est solitaire comme une île
volcanique". Le volcan byronien est une île. Le paradoxe est que Byron, en
développant cette image, a bien conscience de créer un poncif, un lieu commun
dont il se fatigue lui-même. Voir son portrait d'Adeline dans don Juan: "Beneath
the snow,/ As a volcano holds the lava more/ Within, et cetera. Shall I go on? No./ I hate
to hunt down a tired metaphor,/ So let the often used volcano go." (XIII. 36: "Tel un
volcan que la neige couronne/Mais où la lave...Assez comme ceci;/Car cette
image en mille écrits foisonne. D'autres et moi, nous avons si longtemps/Fait
sous la neige éclater les volcans,/En prose et vers que ma muse alarmée/Se sent
encor suffoquer de fumée", je cite ici la traduction en vers d'A. Fauvel, 3ème éd.,
A. Lemerre, 1878).
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déjà exaspération et rage; il consiste à être paralysé non pas par la pénurie des
désirs, mais par leur surabondance, ou plutôt par leur caractère tournoyant et
insaisissable. La neurasthénie, l'hypocondrie, le dégoût de toutes choses ne se
distinguent pas radicalement chez Byron d'une effervescence intérieure dont il
donne une idée à peine métaphorique dans son Journal de Ravenne (2 févr.
1821): "En Angleterre, il y a cinq ans, j'avais la même espèce d'hypocondrie, mais
accompagnée d'une soif si intense que j'ai bu jusqu'à 15 bouteilles d'eau de Seltz en une
nuit...Toutefois il s'en perdait un peu du fait de l'effervescence de l'eau de Seltz qui
jaillissait et débordait quand je faisais sauter les bouchons ou parce que je brisais le
goulot des bouteilles dans l'impatience de ma soif." Ce passage fait merveilleusement
ressentir la nature effervescente et ruisselante de l'humeur de Byron - elle
explique le goût passionné - qu'il partageait avec son contemporain Pouchkine
entre autres - pour le champagne, aussi bien dans sa vie que dans ses poèmes.
Mon hypothèse est que l'ennui byronien, effervescent, sauvage, éclaire
plus généralement l'ennui et même la dépression; il en révèle ce qui reste
d'ordinaire caché à ceux-là mêmes qui en souffrent, et qui n'ont affaire qu'à ce
qu'on pourrait nommer, dans le vocabulaire des penseurs chrétiens de l'époque
classique, l'aridité (opposée au caractère ruisselant ou abondant de la grâce).
C'est parce que l'ennui byronien est effervescent, parce qu'il garde le contact
avec une lave sous-jacente, parce qu'il est tournoiement furieux, qu'il peut tout à
coup faire place à une activité frénétique, qu'elle soit physique ou intellectuelle.
"Si je me secoue, écrit-il, c'est pour me mettre en fureur" (2 févr. 1821); et le
Journal de Ravenne ne cesse de montrer le passage sans rupture visible entre les
heures d'accablement maussade et la suractivité: lectures abondantes, courses à
cheval, visites, conversations, réflexions et conseils politiques, composition de
poèmes, plaisirs divers. On dirait que si Byron peut sortir de la léthargie, c'est
parce qu'il se jette dans la première activité possible ou dans la première idée
venue, laquelle en entraîne d'autres, puis d'autres, sans rompre cependant avec
l'ennui: puisque précisément il lui faut sans cesse varier la nature de ses activités
(chez Byron, ennui et détestation de l'ennui ne font qu'un).
Les humeurs sont donc diverses, chez Byron comme chez les autres
grands maîtres de l'intime, ses contemporains (Benjamin Constant, Maine de
Biran); comme eux il sent que ces variations sont liées aux variations
barométriques du temps qu'il fait, comme aux variations d'une atmosphère
intérieure. Mais il a plus intensément qu'eux la conscience de la continuité entre
les états de l'humeur; il sait faire voir comment ces états s'engendrent
réciproquement, parce que la conscience est constamment en mouvement, et
que le carrousel des représentations et des idées peut aussi bien être vécu
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comme une monotonie obsédante et morne que comme un jaillissement.
Monotonie et pauvreté, lorsque ce défilé emprisonne la volonté, empêche de
décider, de commencer, de suivre un fil en abandonnant les autres; richesse
lorsqu'au contraire le sujet a su sortir de la fascination par l'ennui, enjamber
l'insatisfaction qui le faisait se sentir inadéquat, et transformer l'inertie en
ressource, ou plutôt percevoir les ressources travesties en inertie. Peut-être est-
ce la passion du jeu (que Byron observa plus qu'il ne s'y livra) qui éclaire la
parenté profonde et finalement énigmatique entre excitation et ennui: "Je pense
que les joueurs sont aussi heureux que quiconque, car ils vivent dans l'excitation,
note-t-il dans ses Pensées éparses. Les femmes, le vin, la renommée, la bonne
chère, l'ambition même, on s'en lasse parfois; alors que chaque carte qu'il
retourne, chaque dé qu'il jette, maintient le joueur en vie." (cité dans Leslie A.
Marchand, Byron, portrait d'un homme libre, tr. O. Lamolle, Autrement éd.,
1999, p. 69). L'excitation du jeu ne détruit pas l'ennui: elle y puise sa violence.
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d'une crise révolue qu'il veut décrire pour l'édification des autres - alors qu'en
fait la majeure partie de son esprit y est pour toujours engagée. Inversement,
donc, il faut voir que le livre de Styron trouve dans la crise elle-même son
énergie, sa qualité de perception et d'auto-analyse, son ampleur - la crise n'a pas
fait que lui fournir un matériau auto-biographique rétrospectif. La crise, dans
Face aux ténèbres, est toujours actuelle, et le livre y trouve des ressources. Il la
prolonge en la tordant vers un lecteur, en imaginant pour elle un autre
spectateur que celui qui en souffre. Car la crise présente cette caractéristique
soulignée par Styron lui-même, que si elle "engloutit" l'intelligence et l'énergie
du malade, ce n'est pas sans ménager et même renforcer en lui une sorte de
personnage second, d'observateur curieux et lucide. Ainsi, décrivant
rétrospectivement la soirée au cours de laquelle il décide de mettre fin à ses
jours après avoir méticuleusement voué à la destruction son carnet de notes,
Styron se souvient du sentimùent qu'il avait "d'être en permanence escorté par un
second moi - un observateur fantomatique qui, ne partageant pas la démence de son
double, est capable d'observer avec une curiosité objective..." Or c'est cet observateur
neutre et même sarcastique, voire cruel, qui une fois la crise passée, en tire profit
pour la raconter, l'analyser, l'approfondir (ainsi quand il se souvient que c'est la
voix d'une chanteuse qui interprétait la "Rhapsodie pour contralto" de Brahms
qui le bouleversa et lui fit à nouveau désirer de s'accrocher à la vie).
Là est en effet l'énigme que la dépression enveloppe: comment la crise
peut y être transformée en ressource, comment elle est ressource potentielle. Il y
a là une forme sans doute particulièrement contemporaine de création - même si
elle se situe dans l'époque qu'a ouverte Byron, telle que j'ai essayé de l'évoquer.
Prenons pour exemple le puissant récit de V. S. Naipaul, L'énigme de
l'arrivée (1987, Viking Press; tr. fr. 1991 chez C. Bourgois). Ce récit, qui se
présente comme autobiographique (le narrateur est l'écrivain lui-même, qui
s'installe un hiver dans une maison du Wiltshire), comprend en son centre une
crise (une série de crises) subie par le narrateur. Sans doute le récit est-il
conforme au type moderne illustré par Proust: "comment je suis devenu
écrivain", ou plutôt "comment j'ai surmonté les obstacles qui m'empêchaient de
le devenir". Ainsi la dernière phrase du livre de Naipaul est-elle: "je remisai mes
brouillons et mes hésitations pour me mettre à écrire très vite à propos de Jack et de son
jardin" (pour écrire, donc, le livre qu'on vient de lire). Mais parce que la crise ici
traversée est une crise de dépression, de mélancolie, de panique, elle mérite de
venir s'inscrire après celles évoquées précédemment.
De quelle nature est la crise? Angoisse, épuisement dû au travail de la
composition, perte de confiance en ses pouvoirs, sens et même hantise
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qu'éprouve le narrateur de la dégradation universelle des choses, y compris de
sa propre vitalité ("impression de ruine et de déréliction, de déphasage", p. 23).
S'installant au coeur de l'Angleterre rurale, ancienne, paléolithique même
(Stonehenge), le romancier antillais d'origine indienne, avec sa peau sombre et
son mélange particulier d'ambition et de doute sur soi, se sent un intrus, et
retrouve une ancienne blessure, qui s'approfondit. Tout ce qu'il perçoit avec une
acuité quasi maladive (infiltration de la pluie dans les fissures, recul ou
industrialisation de l'agriculture dans les campagnes - rouleaux de foin, ensilage
-, vieillissement ou crise conjugale chez ses voisins, suicide, urbanisation) - il ne
pourra le décrire que plus tard; pour l'instant cela ne fait qu'accentuer sa propre
détresse. Plus tard il saura - dans le texte qu'en fait nous lisons - évoquer la
dimension indienne de sa mythologie personnelle, qui le rend apte à considérer
le monde simultanément sous l'aspect de la création et de la destruction, "le
tambour de la création dans la main droite du dieu et la flamme de la destruction dans la
gauche" (p. 73). Pour le moment la crise se déclenche. Elle commence par une
"légère crise d'étouffement" (p. 115), premier signe d'une maladie, sans doute
organique, sur laquelle il reste discret, mais dont il dit avoir finalement guéri.
La crise psychique dont parle Naipaul, il perçoit qu'elle est chez lui une
reprise, qu'il en a déjà été victime sous une ou des formes un peu différentes. Il
avait d'abord connu une hésitation sur la nature même du livre auquel il essaie
à présent de travailler. Au lieu de la description réaliste d'un coin de campagne
anglaise, en laquelle c'est l'ensemble du monde qui vient se refléter, Naipaul
avait pensé à un roman allégorique, né d'une rêverie sur un tableau de G. de
Chirico - qui porte précisément le titre "L'énigme de l'arrivée" (p. 127). Ce roman
qui avortera, remplacé par celui que nous lisons, cherchait à donner expression
et sens au cauchemar qui le hante alors, d'une explosion dans sa tête,
exacerbation de sa crise, de son surmenage, de l'intensification épuisante de
l'angoisse liée à son travail d'écrivain (p. 131). Dans la crise présente, ce n'est
plus un rêve de mort, mais la hantise de la mort même. Au coeur de son
désarroi, il comprend progressivement que le thème de 'L'énigme de l'arrivée"
répète ce qu'il avait vécu jadis, jeune boursier de Trinidad venu faire des études
en Angleterre avec l'ambition de devenir un écrivain. Le roman donne alors un
récit très attentif, très précis de ce que le jeune homme avait vécu à ce moment-
là, d'une expérience dont curieusement il était coupé au moment même où il la
vivait, parce qu'elle ne correspondait pas à l'idée préconçue qu'il se faisait de ce
qu'un écrivain devait avoir en lui.
Là est la révélation. La dépression naît d'un obstacle intérieur, d'une sorte
de taie qui empêche l'écrivain de voir ce qu'il voit; et cependant la dépression -
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malgré son caractère funèbre et destructeur - est riche d'une acuité du regard et
de l'analyse qui pourra s'appliquer et s'exprimer si l'obstacle est perçu, si
l'expérience de toute la vie de l'écrivain est par lui correctement mise en
perspective. Quand il est le siège du combat paralysant entre création et
destruction, le romancier guette - sans pouvoir les exploiter - les signes de l'une
et de l'autre. Ce qu'il vit douloureusement sous l'apparence d'une destruction de
ses pouvoirs créateurs n'est autre - on le voit après-coup, parce que cela a réussi
- qu'une possibilité nouvelle de voir ce qu'il a vu, d'en profiter, de se défaire de
l'envoûtement qu'il subissait et qui le rendait aveugle à ce qu'il vivait vraiment.
L'écrivain débutant s'est défait de l'image conventionnelle de grand écrivain
anglais qui l'étouffait et l'empêchait de parler de ce qu'il connaissait vraiment
(son île natale, le malaise racial et sexuel). De même l'écrivain parvenu à l'âge
mûr doit revenir sur le sens de ses années d'écrivain débutant pour mieux
apercevoir ce qu'il perçoit, et qui l'affecte tant, dans la campagne anglaise où il
s'est installé, et où il souffre. La dépression, la panne, est au coeur du roman,
comme ce qui a menacé de l'empêcher de venir au jour, et qui cependant l'a
rendu possible en désignant l'aveuglement qu'il fallait surmonter pour l'écrire.
La crise se révèle dès lors créatrice, porteuse de la perception d'un pays qui est à
la fois l'Angleterre rurale, l'Afrique et Trinidad, une "terre créée par ma douleur
et mon épuisement" (tr. fr. p. 220-221).
Conclusion
Byron et Naipaul sont évidemment doués - de façon diverse - d'une
vitalité et d'une force créatrice exceptionnelles. Leur aventure à chacun ne vaut
que pour eux. Elle révèle cependant un aspect que la médicalisation de la
dépression pourrait masquer, si un retour historique ne nous éclairait, ne nous
rappelait l'idée assez classique que la dépression est crise, à la fois résistance à
un nouveau développement et signal que l'organisme s'adresse quand il
anticipe ce développement. Dans la dépression, à chaque idée vient s'opposer
une idée contraire; à chaque phrase une antiphrase; à chaque impulsion, le
sentiment antithétique de l'"à quoi bon?" L'inertie apparente n'est alors que le
résultat d'une mise en doute infatigable, quand tout désir de faire est neutralisé,
quand la capacité de décider - c'est-à dire de se porter en avant de soi-même -
est malade. La prétendue "énergie" physico-mentale dont le XIX° siècle
(Balzac...) a aimé entretenir l'image, n'est pas là en cause. Ni son cubage ni son
débit ne sont réduits; sont atteints plutôt les rythmes internes, la possibilité
d'ordonner ou de faire se succéder les impulsions. Désormais ce sont des
hoquets, des secousses contradictoires qui s'annulent, provoquant
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étranglements ou tournoiements. - L'homme déprimé que l'on voit tout à coup
s'arrêter ou se prostrer, comme frappé d'inertie, ne subit pas le tarissement d'un
flux interne. Ce qui l'arrête et lui barre la route, c'est une idée ou une
représentation, un souvenir, une parole qui ne veulent pas venir à l'expression,
mais seulement barrer un chemin.
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Pierre PACHET
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