Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
NEO~FINALISME
PAR
RAyMoNd RUYER
. PRofessEUR À LA· fAculTÉ dEs lETTRES dE NANCY
CoRREspoNdANT de l'INsTiTuT
~~}~~
~ DE RECHER~S.
EN . •f.JONS HUMAiNES
PRESSES UNIVERSITAIRES
DE FRANCE
Histoire de la Philosophie et Philosophie générale
Section dirigée par Émile BRÉHIER, Membre de l'Institut,
Professeur honoraire à la Sorbonne
ADOLPHE (L.).- La philosophie religieuse de Bergson, in-8°.. 300 fr.
ALQUIÉ (F.).- La découverte mf-taphysique de l'homme chez Des·
cartes, in-8° . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . • . • . • . • • . • . • . • . • • • • 700 >>
- La nostalgie de l'être, in-8°............................. 320 >>
BERTEVAL (vV.).- Le faux intellectualisme, in-8°........... 200 >>
BLONDEL (M.).- La philosophie el l'esprit chrétien :
T. 1 :Autonomie e.o;senlielle el connexion indéclinable, in-8° • • 700 >>
T. II : Condilions de la symbiose seule normale et salutaire, in-8°. 400 >>
- Exigences pllilosopltiqucs du Christianisme, in-8°. • • • . . • • • . 600 >>
Bfl:UNSCHVICG (L.). -llérilage de mols, héritage d'idées (Ze éd.)
In-8° ............•........... ·•..........•.............. 240 ))
BussoN (H.). -La religion des Classiques (1660-1685), in-8°. 600 ))
CESSELIN (F.).- La philosophie orgânïque de Whitehead, in-8°. 500 ))
CHASTAING (M.). -.L'existence d'autrui, in-8° .............. . 800 ))
- La plziloso phie de V irginia Wolf, in-8° ...........••..•• 500.))
CHAix-Ru·,· (J.).- J.-B. Vico. Œuvres choisies, in-8° ••••••.• 200 ))
DARBON (A.). -Philosophie de la volonté,:.in-8° .. ·....•...•• 500 ))
DAUDIN (H.).- La liberté de la volonté, signification des doc-
trines classiques, in-8°. . . . . . • . . . . . . . . . . • . . . . • . . • • • • • • • • • 600 »
DA VAL (R.). - La métaphysique de Kant, in-8°............. 800 >>
DERATHÉ (R.). -Le rationalisme de J.-J. Rousseau, in-8°.... 300 »
DEscHoux (M.).- La philosophie de Léon Brunschvicg, in-8°. 400 »
FARBER (M.). - L'activité philosophique contemporaine en
France et aux Étals-Unis :
T. 1: La philosophie américaine, in-8°.................. 900 >>
T. II : La philosophie françai!;e, in-8°. . . . . . • . . . . • • • • • • • • 800 · >>
FAURÉ-FREMIET (Ph.). - L'univers non dimensionnel el la vie
qualilalive,· in-8°....................................... 220 »
GÉRARD (R.). - Les chemins divers de la connaissance, in-8°. 300 >>
GILLE (P.). -La grande Métamorphose, in-8°............... 150 >>
GoLDMANN (L.). - La communauté humaine et l'univers chez
Kant, in-8°.•.....•.•......•.•.....•.•.....•.•.•.•••.•• · 600 >>
GoLDSCHJIHDT (V.). - Le paradigme dans la dialectique plato-
nicienne, in-8° ..••....••............•..•.••••••.•.....• 150. ))
- Les dialogues de Platon, in-8° ...•.•.........•....•..•••• 4:00 . ))
GoRDON (P.).- L'image du monde dans l'antiquité, in-8° •.••• 360 ))
HussoN (L.). -L'intellectualisme de Bergson, in-8° .••••..•• 200 ))
JALABERT (J .). -La théorie leibnizienne de la substance, in-So .. 300 ))
KRESTOVSKY (L.). - Le problème spirituel de la beauté et de la
laideur, in-8°. • . . . • . . • . • • . • • • • . . . • . . . • . • • • • • • . • • • • • • • • • 320 · »
KucHARSKI (P.). - Les chemins du savoir dans les derniers
dialogues de Platon, in~8° ..••••.•.•...•••..•••••••....•• 1000 >>
LACROIX {J.). - Marxisme, existentialisme, personnalisme
(2 8 éd.), in-8°.. . . . . . • • . . . . . • • . . • . • • • • . • • • . • • • • • • • • • • • • 300 »
LAGNEAU (J.).- Célèbres leçons el fragments, in-8°.......... 600 ·»
LAMY (P.).- Le problème de la destinée, in-8°.............. 160 »
LAPORTE (J.). - Le rationalisme de Descartes {2 6 éd.), in-so .• 1000 >>
LEwis (G.). - Le problème de l'inconscient el le cartésianisme,
in-8° ...••••...•..•...............•....•••.....•.•••.• 700 ))
NoGuÉ '(J.). ~Esquisse d'un système des qualités sensibles, in-So. 500 ))
- Le système de l'actualité, in-8° ..•.....•........•..•••••• 240 ))
ÜECHSLIN (L.).- L'intuition mystique de sainte Thérèse, in-8°. 400 ))
PALIARD (J.). - La pensée el la vie, in-8° ....•..•.•.• .:~ ..•• 700 ))
PARODI (D.). -Le problème politique et la démocratie, in-8° •• 200 ))
PÉTREMENT (S.). - Le dualisme chez Platon, les Gnostiques,
les Manichéens, in-8° ...............•.........•••...•.• 350 ))
PoRTIÉ (J.-F.). - Essai d'exploration humaine, in-8° .•..•..•• 500 ))
PRZYLUSKI (J.).- Créer, in-8° ..•...•.. ~;~f.~:~············· 300 ))
RALEA (M.). - Explication de l'homme, in-8o~<;;t••,.........••. 400 ))
RousTAN (D.). -La raison et la vie, in-8°..••.............. 240 ))
RusSIER (J.). -La foi selon Pascal, 2 vol. in-8° ensemble .••• 1100 ))
ScHUHL (P.-M.). - La fabulation platonicienne, in-8° .••••••• 120 ))
STERN (A.).- Philosophie du rire et des pleurs, in-so ••••••••• 320 ))
V ARET (G.). - L'ontologie de Sartre, in-8° ••••••.••••••••.• 300 ))
IMPRIMERIE
ÉDIT. 22.900
FLOCH, MAYENNE. 1952
11.000 francs l
DU M~ME AUTEUR
NEQ.. fiNALISME
PAR
RAyMoNd RUYER
PRofesseuR À lA fAcubé des LETTRES de NANcy
CoRRESpoNdANT de I'INsrhur
1952
D~POT LÉGAL
1re édition. . . . . . . 1er trimestre 1952
TOUS DROITS
de traduction, de reproduction et d'adaptation
réservés pour tous pays
COPYRIGHT
by Presses Universitaires de France, 1952
CHAPITRE PREMIER
LE COGITO AXIOLOGIQUE
•* •
II est absolument évident qu'au moins un être dans, l'unive~s
« offre ,, un sens : l'homme. Non pas l'homme en géneral, mais
chaque homme, chaque cc je >>, quand il est le sujet qui parle o?
agit. Chacun trouve assez facilement les ~ut:e~ cc absurdes » et I~
accueille très volontiers le.s nombreux et mgemeux systèmes qui
considèrent les hommes comme des marionnettes fonct,ionna~t
sous l'action de pures causes. Mais, seuls, quelques speculatifs
sophistiqués ·peuvent faire semblant de ne pas excepter le.ur
«personne parlante» du domaine de validité de tels système$. Il
est bien clair qu'affirmer en général•que tout acte est un p~r effet
de causes, et n'a ni fin ni ~ens, c'est proférer m~e ~bsurdite exa~
tement parallèle à celle de certains dément~ qu~ disent : « Je sms
mort >> ou : << Je n'existe pas. » Car celm qm affirme, affirme
comm~ vrai et avoue donc qu'il a cherché le vrai, ce qui est fon-
damentalen{ent incompatible avec le fait d'avoir été mû par de.-
pures causes. Donnons quelques exemples. . .
a) Un behaviourisle de stricte observance et dogmahqu~, 9m .
ne fait pas du behaviouris!De une simple .méth?de pro:'"ISOire,
affirme que le comportement des êt:es huma_Ins, lm compris, P?~t
toujours se décrire en termes d~ st~mulu~-repon~e, et. . que la bai-
son stimulus-réponse, si compliquee quelle pmsse etre. par les
mécanismes intermédiaires, a toujours le caractère d'u~~ ch~tne
causale et s'effectue de proche en proche, en conformite stricte
avec la' causalité de type mécanique. Mais si, par hypothèse, les
paroles ou écrits du psychologue behaviouriste s.ont d.e ~impl~s
réponses à des stimuli, cominent et de quel droit cro~t-Il avoir
raison sur ses adversaires, les << psychologues de la magie et de la
superstition ll? Ses réponses, comme le rougissement du tournesol,
sont des faits réels. Mais «fait ll n'est pas syn_onyme_ de « propo-
sition vraie >> et les réponses de ses adversmres sont. des fmts,
tout autant que les. siennes. Pourquoi la valeur d~ vérité s:atta-
cherait-elle aux uns plutôt qu'aux autres?, II?-agu~ons qu à u~
behaviouriste défendant son système, on rephque Impoliment .
cc Ce que vous dites là n'a aucun sens. » n. est proba]?le que ~e
behaviouriste sera offensé. Et pourtant. l'mterrupteur ne. fa1t
que reprendre la thèse même de celui qu~il attaque. Si, parcont.~e·,
un admirateur s'écrie : <<Vous avez rmson, comme c est vr~I. >~
son approbation est une réfutation : un pur effet ne peut a;01r ni.
raison ni tort. Le propre des doctrines pure~ent. << causal~s~es '''
c'est d'être réfutées aussi bien par approbatiOn que par cnbque.
LE COGITO AXIOLOGIQUE 3
Alors qu'à l'inverse, le propre de la doctrine du·<< sens», c'est
d'être confirmée autant par dénégation que par approbation .
b) Kohler (1) plaisante sur la thèse behaviouriste- ainsi que.
sur la thèse ·associationniste en général - et regrette ironique-
ment qu'elle ne soit pas vraie. En effet, dit-il, <<j'ai promis à un
éditeur de New York, pour dans peu de mois, le manuscrit de cet
ouvrage; je dois le rédiger en anglais, alors que ma langue mater-
nelle est l'allemand. Quel dommage que je ne puisse laisser jouer
tranquillement mes cc réponses aux stimuli>>. En fait, j'éprouve
devant les difficultés de la tâche un sentiment désagréable, « une
obscure pression qui tend à se développer en un sentiment d'être
traqué».
Sa thèse, la thèse bien connue de la Geslaltpsychologie, c'est
qu'un acte est de nature dynamique et non mécanique, que la
tension psychologique de la tâche, de la fin à réaliser, correspond
à une .tension dynamique dans le plan physiologique. Le sens,
l'ordre des actes dans l'espace et le temps <<est une représenta~
tion fidèlè d'un ordre concret correspondant dans le contexte
dynamique so'us-jacent )). ·
'La thèse << gestaltiste >> a un meilleur aspect que la thèse beha-
viouriste ou mécaniste; elle semble rendre mieux justice à la- réa-
lité de la tension, de l'effort dirigé. Mais, philosophiquement, elle
-ne vaut pas mieux. Si la rédaction de son manuscrit correspond
simplement à l'établissement d'un équilibre dans <<son contexte
physiologique sous-jacent >>, on ne voit pas pourquoi Kohler
doit se tourmenter plus que s'il avait à laisser jouer des réponses
à des stimuli. Mais on ne voit pas, surtout, pourquoi son manus-
crit aurait la moindre valeur philosophique, la moindre valeur
de vérité. L'auteur, après avoir écrit, sera simplement dans un
état plus agréable de détente, sans << obscure pression >> intérieure.
Certes, il nous répondra que cette détente ne sera acquise que si
la tâche est non seulement terminée· mais « menée à bien », réus-
sie, à ses yeux. Soit, mais alors il est clair qu'il ne s'agit plus de
dynamisme pur, et qu'il y a finalement coïncidence, si la tâche
est réussie, non avec un état d'équilibre, mais avec un idéal, et
que l'activité préalable avait un sens, non seulement comme un
vecteur en physique, mais comme une intention consciente.
c) Pour aller plus vite, introduisons à la fois plusieurs autres
représentants de la thèse générale qui prétend expliqùer l'acti..
vité humaine par des impulsions a lergo et non par un effort
pour se conformer· à des normes : un biologiste scientiste, un
(1) Recherche d'une première vérité (A. Colin), p. 138, 139, 14L
(2) Dilemmes de la métaphysique, p. 172, sqq., et cf. aussi, Note de HENou.:.
VIER, à la 4e partie de Recherche d'une première vérité, p. 134. Cf. J. WAHL,
LEQUIER (Collect. Philosophes de la liberté). ·
6 NÉO-FINALISME
mation revien~ à affirmer que j'ai ch~rché la vérité. L'on ne peut
che:cher que librement. L'affirmation ou la négation -de la liberté
_reviennent au ~ême; 1~ négat~on de la liberté - en paroles ou
dans ~a consCience philosophique - revient à l'affirmer in re.
On vmt que toute la force du double dilemme est empruntée à
l'argument de Lequier. ·
La ~omplexité de la forme renouviériste n'est pas sans danger.
Elle risqu~ de faire par~ître sophistique un argument inatta-
quable. ~Ien. de :plus fa.Cil? que de caricaturer· l'argument pour
?es :spr;~s distraits. Smt a prouver, non ma liberté, mais mon ·
tnfailhb1hté. On peut dire alors : ·
1. Faillible (en fait), j'affirme ma faillibilité.
2. Infaillible - - - _
3. Faillible mon infaillibiliié.
4. Infaillible
1 et 3 sont à éliminer, puisque, faillible en fait, ce que je dis ne
compte pas. Restent à prendre au sérieux 2 et 4. Mais 2 est
contradictoire. Reste donc 4. C. Q. F.' D .. Ce n'est évidemment
là qu'une ~aricature. La faillibilité ne disqualifie pas absolument
mes assertiOns, comme le fait le déterminisme. La contradiction
· d~ 2. montr~ que l'affirmation d'infaillibilité implique une contra-
diction logique, et c'est elle qui doit être éliminée.
Ce qui donne au double dilemme son aspect sophistique ·menî;
dan_s se~ applications légitimes, c'est que les énoncés de 'l'alter-
native zn re ou, comme dit encore Renouvier, « quant.à la vérité
externe de }a c~ose », sont déj.à des énoncés philosophiques, écrits
ou pa:lés, Impliquant des prises de position hypothétiques, non .
des f~1ts r~els se p~ése?tant eux-mêmes. cc L'hypothèse que x est
?n f~1t >> n est pas eqmvalente à cc x (comme fait donné) >>. Quand
Je ~hs, d~ns le double dilemme : cc Déterminé, j'affirme ... )) ou
<<Libre, J affirme ... , etc. >>, l'argument entend : « Déterminé en
fait >~,ou cc Libre e~ f.ait ». ~ais, pui~qu'il s'agit d'un argument
q_u~ J én~nce~ le sm-disant fmt est lm-même l'objet d'une suppo-
sition, _dun. JUge~ent in_ce~tain. Et la preuve, c'est que, finale..;
ment, Je reJetterai le so1-d1sant fait du déterminisme. L'énoncé
de l'hypo~hèse sur le fait doit donc explicitement fQrmer comme
':1-ne première couche, encore plus fondamentale que l'alternative
zn re :
1 2 3
Je suppose que \ d~terminé ~n fait 1 (affirme le déterminisme.·
Je suppose que ltbre en fad 1 affirm_e le déterminisml!···r etc.
LE COGITO AXIOLOGIQUE 7
. Dès lors, les soi-disant faits n'en sont pas, on le voit bien. Le
double dilemme se met donc dans la mauvaise situation de l'ar;.
gument ontologique classique, qui, lui, suppose l'idée de l' ~tre
parfait, avant de constater que la perfection implique l'existence.
Il suppose donc aussi l'existence, et ne la prouve pas, puisqu'il
suppose l'idée du parfait, censée contenir l'existence in re :
1 2 3
Je suppose l l'idée du parfait 1·el celle idée implique l'existence
1 in re du parfait.
Le « fait>>, là vérité in re, est ici dans la case 3, au lieu qu'elle
est dans la case 2, pour l'argument de Renouvier. Mais, dans ·les
deux cas, le cc Je suppose>> empêche que l'on prenne au sérieux le
_fait, soit dans l'argument de Renouvier, soit dans l'argument
ontologique.
Si le double dilemme de Renouvier est valable pourtant, c'est que
déjà la supposition fondamentale elle-même (couche n° 1), quel
que soit son contenu, est déjà manifestation expresse de liberté.
Dire cc je suppose», c'est déjà être libre, c'est aussi montrer que
l'on cherche le vrai, et que l'on sait d'avance qu'il y a une vérité.
Tant de complication revient au fond à la forme simple de l'argu-
ment de Lequier. Toute assertion, venant après une recherche,
quel que soit son contenu, implique le primat du vrai, de la
liberté, du cc sens>>, de l'existence comme activité sensée. L'àrgu-
ment de Lequier, .le « Cogito >> cartésien sont des arguments iden-
tiques (1 ). Ils ne sont valables que dans leur portée axiologique.
Thème finaliste
FIG. 1
sens .d'un voyage, c'est la « fin » du voyage, dans les deux signi-
ficatwns du mot« fin». Une conception dualiste de deux mondes·
monde réel et monde idéal, s'impose donc pour comprendre 1~
s,ens, la finalité, le travail, l'invention, l'existence consciente. Si
1 ?n ~re.nd à la let~re !e. s?héma de la physique classique; il est
hien ev1~ent. q~e 1. ac~IVIte.' au sens propre, exige que soit posé-
un domame Ideal, Irreductible au plan où se succèdent causes et
eff~ts. Dans ce domaine idéal, l'intention consciente peut se mou-
vmr, et survoler, sans localisation spatio-temporelle stricte et
en explorant les possibles, le plan des causes et des effets' de
~~nière à influen~er le déroulement des moyens vers la fin en~ore
Ideale. Cette dualité de deux mondes n'est pas le dernier mot sur
la question, mais l'hypothèse compensatrice d'un monde idéal
e~t l~ contrepartie .inévitable de la fiction d'un monde de lignes.
d umvers, ou de hgnes causales pures, si l'on veut décrire et
cc placer» correctement l'activité sensée.
Si les flèches numérotées dans l'espace-temps (fig. J)· repré-
sentent les ?estes d'un voyageur qui s'habille, court à la gare,
pren~ u_n billet, et s?ute dans le train, il est bien évident que la
descr1pbon de l affaire, vue comme pure succession de causes et
d'effets dans l'espace-temps, demande impérieusement à être com-
plétée par la description du sens et de la fin de cette activité du
voyageur, sens et fin qui cc survolent>> le déroulement des causes
et des effets, et l'organisent en un tout signifiant·. En d'autres
termes encore, toutes les notions que nous avons décrites sont
caractérisées par une unitas multiplex, selon l'expression de
W. Stern. L'unité doit être considérée comme « survolante· >> si
'
DESCRIPTION DE L'ACTIVITÉ FINALISTE 15
, l'on cc réalise» la multiplicité. Sinon, I'unilas multiplex peut s'ex-
primer par le seul mot cc forme >>. Toute activité, ou toute
existence consciente a une forme, et tout produit _d'une activité
. finaliste présente, pour l'observateur, une structure complexe.
Dans la structure-produit, par contraste avec la forme-activité,
la multiplicité immanente à la forme s'est cc réalisée ))' comme
dans une machine par exemple, où les pièces agencées par l'in- _
génieur se poussent l'une l'autre.
Nous n'avons pas commenté le sens lui-même. Nous considé-:-
rons qu'il est suffisamment éclairé· par l'analyse des. notions qui
ne font qu'un avec lui. Tout essai de définition du sens, qui pré-
tendrait donner« le sens du sens>>, ne pourrait qu'embrouiller la
question (1 ). Bornons-nous à souligner que le sens n'est pas la
signification au sens étym_ologique ~u mot, c'e~t-à-dire la ?és~
gnation d'un sens par un signe. L'existence de s1gnes·et ~e signi-
fications implique, en un sens d'ailleurs différent de celui de
l'existence des machines, une dissociation frappante de deux
plans, celui de la multiplicité où existent les signes dans leur suc-
cession. physique, et celui de l'unité transcendante du sens désigné.
Supposons que X me parle. Je saisis ou je cherche spontané-
ment le sens de ses paroles, ce qu'il veut dire. Mais s'il agit, sans
parler, j'ai exactement la même attitude, je cherch~ ce qu'!l.veut
faire. J'ai encore la même attitude devant un animal, SI JC ne
m'encombre pas de préjugés behaviouristes. Peu imp.orte que
l'action dont je suis témoin ait ou non, en plus de son mtentwn
propre comme action, une intention· ~ignifian~e. à m.on é~ar~.
Que je le comprenne ou }lOn, le sens dune activité lm est mhe-
rent, et ne dépend pas d'un témoin. C'est donc une ~rès fâcheuse
erreur que de définir le sens en passant par la notiOn beaucoup
plus spéciale de signification. ,. , .
L'homme est tellement habitué au langage - c est-a-dire au
sens «signifié» - qu'il doute aisément du sens de ce qui ne
parle pas, de ce qui ne s'exprime pas par des paroles prononcées
ou écrites. Il s'imagine que c'est lui qui donne aux choses un
sens en les nommant.
(1) Cf. OGBEN et RicHARDS, The meaning of meanin(J (surtout.Ies ~h~
pitres VIII et IX, où Ogben e~ Richards citent et discutent vmgt-.,rois
définitions différentes- du meamng).
CHAPITRE III
L'ACTIVITE FINALISTE
ET LA VIE ORGANIQUE
e
de l'art, en inventant au besoin de nouveaux procédés au risque
de se tromper. Bref, toute la cons-
,
--.... ,,,, ,.~---,., tellation des notions liées à l'acti-
®
,
® . ~
,' '·
._....... ,,___ .....
Je Cuisinier
FIG. 2
vité sensée est ici présente, et la
-e for~ule: «Je cuisine, donc je suis>>,
serait une forme valable du «Co-
gito ». Il emploie des outils, cas-
sa main sa casserole serole, cuiller, qu'il manie grâce
à ses organes, œil, main, corn-
mandés par son système nerveux
central, et plus spécialement par
le cortex cérébral. Si l'on suppose, après .cela, qu'il mànge lui-
même le plat qu'il a préparé, on peut dire qu'un circuit s'est
établi, qui va de son .cerveau à sa main, à l'ustensile au tube
d~gestif. Le moteur de tout ce circuit est dans un be~oin orga_.
mque, dont le sens et la fin nous sont évidents hien que ses
modes d'action soient assez mystérieux. Les modalités complexes,
les raffinements de l'art culinaire, sont introduits par le médium
du système nerveux central, lequel est en rapport non seulement
avec le reste de l'organisme, mais avec un certain idéal normatif,
non représentable sur un schéma géométrique, et avec toute une
culture sociale et historique. Si l'on voulait figurer maintenant
la digestion, le circuit deviendrait interne : les mouvements et
la chimie de l'estomac sont commandés par des centres.nerveux
autonomes, sympathiques et parasympathiques, reliés d'ailleurs
étroitement au système nerveux central, notamment par la
regiOn hypothalamique. Il en est de- même pour l'assimilation.
Il saut~ au_x ?'eux qu'il e_st ~ain d'établir une frontière précise
entre Circmt mterne et Circmt externe, que ce dernier sort du
premier, qu'il complique et prolonge, et qu'il est absurde d'ad-
mettr~ sens et finalité pour l'un, et de les refuser pour l'autre.
La cmsson des aliments est une prédigestion en circuit externe,
de même que la digestion continue naturellement la préparation
et l'ingestion des aliments.
Acheter du bicarbonate dans une pharmacie est un acte de
l'organisme, tout comme de sécréter du suc pancréatique. L'un
et l'autre de ces actes ont le même but. A force de voir familière-
ment M. X, notre voisin, aller à la pharmacie ou à l'épicerie,
L'ACTIVITÉ FINALISTE ET LA VIE ORGANIQUE 19
LES CONTRADICTIONS
DE L'ANTI-FINALISME BIOLOGIQUE
FIG. 3 FIG. 4
Coloration. Ce qui fait· pour l'œil l'unité d'un objet, c'est qu'ilpré-
sente une surface approximativement continue, bordée par un
contour qui tranche sur le fond. Pour camoufler cet objet, quand
étant mobile il ne peut être dissimulé par simple homochromie
(1) Methuen, Londres, 1940. Les figures (3 à 12} sont d'après COTT.
28 NÉO-FINALISME
avec un fond invariable, il faut donc rompre le contour par des
taches violemment contrastées, dont quelques-unes ont chance de
se fondre avec le fond, et dont les autres, hien que très visibles,
constituent une configuration toute différente de celle de l'objet
à camoufler. Or, c'est justement ce que l'on constate chez une
foule d'animaux appartenant aux espèces les plus diverses, chez
des Papillons (fig. 4), des Poissons, des Batraciens, des Reptiles,
des Mammifères, ou les œufs de certains oiseaux. Dans beaucoup
de cm>, l'organisme raffine ce procédé en accentuant le contraste
des tons entre les taches adjacentes (peau des Reptiles (fig. 3);
Batraciens : Cardioglossa gracilis; Poissons : Eques lanceolatus; .
Oiseaux : PluPier, etc. Tous les
camoufleurs savent que les taches
contrastées doivent non seulement
rompre les contours de l'objet, ·
mais être complètement désoli-
darisées des éléments naturels de
l'objet. A priori il semble qùe la
FIG. 5
Vra1ë antennes
tete
''
'
',~,~~
FIG. 9
FIG. 10
FIG. 12
FIG. 13
souligne cette adaptation pour plusieurs des cas cit'és plus haut.
Il a observé lui-même, à l'aquarium de Regent Park, le comporte-
ment d'un poisson-feuille ( M onocirrhus Polyacanthus) qui se laisse ,
flotter sans mouvement comme une feuille morte, à laquelle il res-
semble parfaitement (1), en maintenant son: corps rigide, et en
s'approchant de sa proie par d'imperceptibles mouvements de
nageoires dorsale3 et anales presque invisibles. Une pie de Ceylan,
décrite par Phillips, camoufle son nid de façon à le faire ressembler
à un nœud dans une branche. Ses petits ont le curieux instinct
de se tenir rigoureusement immobiles, le bec levé, de manière à
(1) Il faut noter spécialement le camouflage de l'œil, qui est sur le point
de convergence des pseudo-nervures de Ja feuille simulée (fig. 12).
R. RUYER 3
34 NÉO-FINALISME
:figurer un bout de branche brisé. Il y a, de même, la plus étroite
ressemblance entre les marques déflectives que nous avons mention-
nées plus haut,, et qui font partie d.e 1: organisme anima~. et. les
marques déflectiVeS que certames araignees (fig. 13) ont l mstmct
de fabriquer sur leur toile et qui, faites de soie et de débris, ont la
taille et l'apparence de l'araignée elle-même, de manière à attirer
sur elles les coups de bec de l'oiseau (1). R. Hardouin (2) est, d'autre
part, parfaitement j.usti~é de rappro?her, des faits organiques .de
camouflage et de mimétisme, les habitudes des chasseurs humams
primitifs qui s'identifient avec le gibier convoité et se déguisent
avec son plumage. Comme il y a aussi, d'autre part, des animaux;
qui se déguisent instinctivement, tel le crabe (Oxyrhynque) qut
découpe des algues, les englue et les accroche ·aux crochets de sa
carapace, nous retrouvons les. trois niveaux de la formation orga·
nique du circuit externe instinctif, et du circuit externe intelli•
gent. ' Ce rapprochemen~, . qui. s'imp.oae, ren,force .encore. l'argu-
ment tiré de la contradiCtiOn mterne entre l emploL orgamque du
camouflage et l'obéissance pure à des lois physiques ·ou physiolo-
giques.
(1) Cf. E. l\1. STEPHENSON, Animal camouflage, 1946, p. 65.
(2) Le mimétisme animal.
CHAPITRE v
L'ACTIVITE FINALISTE
· ET LE SYST~ME NERVEUX
(1) Les outils chez les etres vivants, p. 310. Cf. CuÉNOT, Invention el fina-
lité en biologie.
(2} Les outils chez les êtres vivants, p. 312.
(3) Ibidem, p. 319.
ACTIVITÉ FINALISTE ET SYSTÈME NERVEUX 37
réglé par ses propres centres nerveux. Si donc, on admet la fina-
lité organique, en assimilant l'estomac lui-même à un outil
inventé, il semble qu'il faille, pour expliquer cet outil organique,
un deuxième circuit externe - cc surnaturel » ...._ commandé par
une conscience et même un cerveau surnaturel. On comprend
qu'une telle duplication de l'homme ou de l'animal par un Dieu
fabricant- par un« Vertébré gazeux», comme disait Th. Hux-
ley- ne séduise pas beaucoup les biologiste.s.
Mais l'erreur commise est visible. L'action finaliste en circuit
externe, qui suppose en effet le bon état du cerveau, n'est qu'une
complicati()n, nous l'avons constaté, de l'action finaliste en cir-
cuit interne. Il est·. dori.c logique de considérer le cerveau comme
FIG. 14
LE CERVEAU ET L'EMBRYON
(1) Cf. WoonwoRTH, Psychology, p. 273, qui cite les rapports de. Fili-
monofi. (Traduction française: P. U. F., 1949.)
52 NÉO-FINALISME
sensorielle ou motrice est l'équivalent du tout, il est donc invrai-
semblable a priori de l'interpréter par un modèle mécanique quel-
conque, où fonctionne une causalité de proche en proche.
Cette équipotentialité .. est exactement . .par9-llèl~.AJ~équ,~p_o~en
tialité erribryonnair(},. que . lesJaits.de.:gémellité, de régulation; et
de régénération permettaient depuis longtemps de postuler, mais .
que d'innombrables expériences de laboratoire, depuis les tra-
vaux de Driesch ont permis de préciser. Un œuf fécondé - et
même, dans beaucoup d'espèces, la blastula et la jeune gastrula-
n'est pas une mosaïque de territoires voués irrévocablement à
fournir tel ou tel ôrgan~~~ Pnurleur-côiiiliiôaité~--îësëiiïD.ryoTo
gistes distinguent dans l'œuf ou l'embryon jeune, des «ébauches
présumées >> - par exemple_ dans une jeune gastrula de Triton,
l'hémisphère animal comprend l'ébauche de l'épiderme et
l'ébauche nerveuse - mais cette présomption signifie simple-
ment que telle est la destinée normale de ces territoires.
Dans une expérience caractéristique, Spemann (1918) sectionne
la plus grande partie de l'hémisphère animal, le fait tourner . de
180°, et le replace sur l'hémisphère végétatif en intervertissant
ainsi l'ébauche nerveuse et l'ébauche épidermique. Après cica-
trisation, l'embryon continue son développement sans anomalie :
l'ébauche épidermique fournit le système nerveux, et l'ébauche
nerveuse fournit l'épiderme. C'est en pensant à des expériences
du genre de celle-là que Lashley, par boutade, et avec quelque
exagération, a pu dire que parfois on a l'impression que, si l'on
pouvait enlever tout le cortex du rat et le replacer sur le cerveau
après l'avoir fait tourner de 180°, il n'y aurait rien de changé
dans le comportement de l'animal.
Faite plus tardivement, l'qpération ne réussirait plus. La
valeur prospective des· deux territoires, nerveux et épidermique,
ne serait plus la même. Les deux territoires subissent, à un cer-
tain moment, une << détermination » ·qui reste quelque temps
invisible, mais qui se traduit bientôt par une différenciation
apparente. Présomption, détermination, différenciation, ·les trois
stades doivent être hien distingués. La présomption ne regarde
que les connaissances du biologiste, qui sait ce qui se passe dans
le développement normal habituel; mais l'expérience de Spe-
mann prouve que, avant la détermination, l'hémisphère animal·
dans la jeune gastrula de Triton est équipotentiel. Après la déter-
mination, l'équipotentialité se conserve, mais seulement pGmr le
territoire plus restreint déterminé. Des expériences, analogues à
la première, de découpage et de rotation d'un morceau du terri-
toire ne peuvent plus réussir qu'à l'intérieur de ce territoir~.
LE CERVEAU ET L'EMBRYON 53
Il arrive même que la détermination ne soit active que pour cer-.
tains axes et non pas pour d'autres. Si l'on enlève le bourgeon
d'un membre pour le replacer en lui faisant subir une rotation d,e
180°, en le faisant passer de la partie droite à la partie gauche de.
l'organisme, ou vice versa, il peut se développer régulièrement
selon sa nouvelle position, mais il arrive aussi qu'il garde sa
direction propre antéro-postérieure, celle-ci étant déterminée
avant son caractère de patte droite ou patte gauche, ou avant
la direction dorsale-ventrale.
L'équipotentialité embryonnaire, comme l'équipotentialité
cérébrale, est donc liée au caractère thématique du développe-
ment .. Les déterminations en cascade ont un caractère théma~
tique, puisque la détermination précède la différenciation, et que
celle-ci procède à son tour par des thèmes que l'on ne peut dési-
gner que, par des mots abstraits : un bourgeon de membre est
déterminé comme patte - comme patte en général - avant
d'être déterminé comme patte droite ou patte gauche. Elle est
liée aussi à son caractère finaliste (au sens strictement ét"ymolo-
gique du mot) puisque, dans toutes les extraordinaires.régula~
tions permises par l'équipotentialité, la fin normale est atteinte,
malgré le bouleversement opératoire des conditions, des .maté-
riaux et des :moyens.
Ce qui achève de prouver que le rapprochement entre les
.expériences de Lashley - sur les régulations du comportement à
la suite des lésions cérébrales --- et celles de Spemann - sur la
régulation de l'organisation à la suite des lésions sur l'embryon--,..
n'a rien d'artificiel, c'est que les progrès du comportement et la
maturation du comportement chez les embryons et les jeunes
animaux suivent des lois analogues à celles du développement.
organique : ils vont de la réaction globale de larges groupes mus~
culaires non encore innervés, aux réactions individualisées et
différenciées de muscles à innervation spécialisée (Graham Brown;
Coghill). Dans les' observations et les expériences de Coghill (1)
sur l'Amblystome, le cm:;n.portement locomoteur a d'abord une
allure globale : l'organisme prend la forme d'un C, puis d·'un S, la
flexion se propageant de la tête à la queue. Seulement ensuite, les
pattes se développent, et participent progressivement au mou-
vement : le thème du mouvement sigmoïdal du corps précède
donc la différenciation des réflexes locomoteurs des membres.
On peut donc dire que le cerveau, et plus spécialement le cortex,-·-)
par contraste avec les organes irréversiblement différenciés de . (
tés; reçoivent plus d'influx à la fois qu~ les neurones ad .et a8, et
la résistance des synapses peut être vamcue pour (jy et non pour
a3); sommation tempo.relle (~or~n~e. de ~?); accord ou désac-
cord chronaxique (Lapicque); Inhibition reCiproque {Gasser), etc ..
Que ·l'organisme s'y prenne d'une maniè~e .ou d'une a~tre,_j~_
précisicm du fonctionne~e.nt. n~~V:~.ll.~ .~~~ generalem~!lt..trt:ll:!.~l:IP.é
riei.tre_à ce_que-_ permettrait de préVOir -~~-S~r1JC_t:ure_aga_~9!!J.!<.Il1e.·
Mais, s'il est vrai que l'équipOtenfia]ité -ëérébrale est indépenda~te
des fibres d'association il est tout à fait normal, au contraire,
que le cerveau, inst~:':l-~~~t d'un thémat!~me ~r~-~_:I~C~~~le . .!: ~E:e
chaîne de causalité de prOëlïe en procfie, traVaille selon a es liai-
soJis physiologiques plutôf<iû'aiiatomiqùes. En effet, des liai~ons
physiologiques peuvent être établies o~ rompues avec ?e fmbles
dépenses d'énergie. Des liaisons anatom1qu~s, au contraire, trans-
formeraient le cerveau en une pure machme, ou en un organe
·irréversiblement différencié, comme le foie ou le poumon, dans
lequel l'équipotentialité embryonnaire est désormais « dépen-
56 NÉO-FINALISME-
périence. Ainsi, en étudiant la réaction différée chez des singes sans lobes
préfrontaux (la tâche consiste pour l'animal à faire un choix correct· entre
deux pots d'après le seul souvenir), Jacobsen avait cru pouvoir conclure
que la capacité d'enregistrer le souvenir était abolie. Mais Malmo a constate
ensuite qu'il suffit d'éteindre toutes les lumières pendant la minute où
l'animal doit garder le souvenir (du pot où est caché l'appât) pour que
l'animal lobectomisé réussisse l'épreuve normalement. Ce qui est diminué
chez lui, ce n'est donc pas la mémoire, mais la force de maintenir un mon-
tage conscient malgré la distraction. L'obscurité supprimant toute dis-
traction d'origine visuelle, l'animal ne manifeste plus d'infériorité.
(1) Eléments de psycho·biologie (P. U. F.), p. 86 sqq.
LE CERVEAU ET L'EMBRYON 59
s
® ® ® ® ® @
IR
FIG. 16
SIGNIFICATION DE L':EQUIPOTENTIALITI!
II arrive souvent, dans l'·histoire des sciences, qu'un problème cérébrale et organique, la conscience organique étant plus ou
qui a paru insoluble se résolve ensuite comme de lui-même. C'est moins distribuée à des sous-individualités, cellulaires ou autres.
le cas ici. La solution a été trouvée depuis plusieurs décade~ La .réalité de A pour B apparaît, dans la conscience cérébrale de B,
par beaucoup d'auteurs (1), avec des considérants philosophiques comme un objet perçu, que B appellera le corps de A - et réci-
divers et parfois contestables. Nous avons essayé de l'énoncer . proquement. Comme l'homme est un être social, A adopte vite
sur lui-même, pour l'usage courant, le point de vue de l'obser-
(1} STRONG (Essays on the nalural origin of the mind), B. RussELL vation d'objet, et non de pur self-enjoyment (1). ·
(Analysis of malter et Human Knowledge), EDDINGTON (New pathways ~n
science). Leibniz, et les philosophes romantiques allemands, l'avaient déJà (1) Nous empruntons cette expression commode à ALEXANDER, Space.
énoncée. Time and Deity, sans nous référer spécialement à sa philosophie (Alexande;
oppose enjoyment et contemplation). Dans un ar~icle ancien (La Connais-
li. liUYEll 6
1
L'ILLUSION. RÉCIPROQUE D'INCARNATION 81
avec précision (La conscience el le corps, 1937). Heymans, dont
'nous ignorions les œuvres métaphysiques, l'avait exposée avec
une parfaite netteté dans des articles divers (rassemblés dans
Gesammelle Kleinere Schriflen, voL I, La Haye, 1927), mais avec
ce que nous croyons être une. grosse erreur, sur laquelle nous
reviendrons. D'autre part, dans le domaine particulier de la
psychiatrie, Adolphe Meyer avait depuis longtemps, dans des
articles de revues, protesté contre la distinction abrupte du corps
. et de l'esprit, des théories somatiques et des. théories psycholo-
giques en médecine mentale, en réclamant une médecine psycho-
somatique.
Cette solution peut être énoncée en peu de mots : le problème
posé par la dualité de la conscience et du corps, de l'organisme-
conscience et de l'organisme-corps, est un problème apparent
pour l'excellente raison qu'il n'y a pas de corps. Le <<corps>:
résulte, comme sous-produit, de la perception d'un être par un
autre êt~e. L'être. perçu est perçu par définition comme objet,
au sens etymologique du mot. Il apparaît, d'autre part, comme
indépendant de l'observateur, ce qui conduit à le substantialiser.
L'qbjet substantialisé est appelé, en un seul mot, un corps.
Mais il faut considérer plusieurs cas.
a) A et·B sont deux hommes qui se regardent (fig. 17). La réa-
lité de A pour A, ou de B pour B, est l'ensemble de sa conscience
6 a
û û
A
FIG. 17
B
<<SURFACES ABSOLUES»
ET DOMAINES ABSOLUS DE SURVOL
y 1,,
<0 ·1
Ir'
,
1.'
1 \ 1
11\
1 1
1 ' 1 \
1 \
1 1 \
FIG. 19
FIG. 20
~~
- _ J'..T,--,-
_ r _1 , 1
/ ~
FIG. 21
FIG. 22
~---------). _______ _
-~
... ...
. -::::_______
,_. ~_..--
_
FIG. 23
''Man"
champ visve!
avec sur-vol·
absolu
Fra. 24
O .
'
"'1 \
l \
"Troisièn:e c:etl"
mythtque
FIG. 25
..
Nous avons raisonné jusqu'à présent- et nos schémas accen-
tuaient encore cette Îlnptession - comme si « domaine absolu >>
était synonyme de cc surface absolue >>. Mais, en fait, la surface
absolue étant intuitionnée sans troisième dimension, rien n'em-
pêche de concevoir des domaines absolus plus généraux, par
exemple des volumes absolus. La conscience primaire organjque
doit ressembler à un volume absolu plutôt qu'à une surface·abso.:..
106 NÉO-FIN ALISME
FIG. 26
FIG. 28
FIG. 29
formes sont reconnues aussi selon leurs rapports. avec les valeurs
visées, ou, inversement, les valeurs sont reconnues à travers les
formes. Si j'essaie sur une serrure diverses clés pour reconnaître
la cc bonne » clé, la valeur est liée, non à la forme proprement dite,
mais au paliern de la clé. Seulement, ce cas-limite n'est évidem-
ment qu'un cas dégradé. Les formes absolues laissent transpa-
raître directement en elles, sans confrontation point par point
de deux structures, leurs diverses valeurs dans tous les ordres,
technique, théorique, esthétique, etc. Un domaine absolu, pour
employer la· métaphore platonicienne, est une sorte de miroir à
réminiscence, où se projette et se reconnaît un monde trans-spa-
tial. Une forme absolue est à la fois structure et idée, et8o<; -dans
le double sens du mot. Le triangle, par exemple, est à la fois spa-,
DOMAINES ABSOLUS ET FINALITÉ 119
FIG. 30
: 1
'
A B ~-8
A1 '
1
1
''
1
c
l c C' a"
1
1
FIG. 32 FIG. 33
LA REGION DU TRANS-SPATIAL
ET DU TRANS-INDIVIDUEL
..
évidemment déplacerait le problème sans le résoudre. Toute per-
ception est thématique et·saisit directement l'eidos dans la forme-
lssen'ce Essence
/~~\
,,~,,\ ' 1
,,
1
.,
1 l
,1\'
'• \
1 1 1 \
/ :', li \ , 1 1 1 1 '
. ,/ : \ :' ~ \\ ,' :\ ,' ~ \ .
/ : \ ,' : \
. '/;!
,: : ,''::!(\ !j\\.,\ ,
1
//: :rtl'\\ :\\
,' . '. 1
1 1
1
\ 1 \
1
: '~ / \; ', ,
:'
1'
,~' '{ \
' ' { " 't
Espace. -
Temps ,• \ . ~
/ 1 \
1 · · '
' '
',
\ 1
1
Multiplicité ·~ " ' / '+ '
1 2 3
FIG. 34
Tous ces faits ont donc le même schéma. Ils ont ceci de con1~
mun qu'ils mettent en jeu, dans l'actuel, une ressemblance .
s,ans 9u'il puisse ,être. question d'un calquage. mécanique pou;
l expliquer. La memoire sans engrammes, l'action de la ressem-
blance, l'imitation sans calquage, tout· cela est contraire aux
lois ?e la physique ordinaire et ne peut être expliqué par la
physique. Il faut, pour en rendre raison, avoir recours à des
thèmes ou à des essences trans-spatiales. La ressemblance de
deux actualisations d'un même souvenir impose l'idée de thème
mnémique, la ressemblance organique entre deux individus de
même espèce impose l'idée d'un potentiel spécifique. La ressem-
blance des organes entre deux espèces très éloignées, la ressem-
blance de ces organes avec nos outils, marque de même que toutes
ces actualisations, étant analogues, sont cç financées» par quelque
chose, qui est situé dans la région trans-spatiale. Dans l'ordre
psycho-biologique et dans l'ordre de l'invention en général, le
nombre des actualisations paraît être indifférent nous voulons
dire, p~raît ne rien coûter à la nature, et n'être Ümité que par
l'occasiOn ou le matériel de réalisation disponible. Les virus,
les vi:us-protéïnes, les unicellulaires, les embryons d'organismes
supérieurs, tout comme les évocations mnémiques ou des évo-
cations d'idées, peuvent se dédoubler et se multiplier à l'infini.
L'indifférence du nombre dès actualisations répond parfaite-
ment à l'indifférence au nombre des essences et des thèmes.
Le nombre des cercles existants est quelconque relativement
au cc Cercle », comme le nombre des hirondelles relativement
au type cc hirondelle » : essences et thèmes sont trans-individuels
comme ils sont trans-spatiaux. Il suffit d'un rien, du contact
d'une substance inductrice banale, d'un cheveu plus ou moins
serré autour ?e !'~uf par !:expérimentateur, pour dedder· qu'il
y aura deux mdividus au heu d'un. Il suffit d'une infime coïn-
cidence actuelle, pour évoquer de nouveau un souvenir obsé-
dant. Quand une idée, scientifique ou philosophique, est dans
l'air, il suffit d'une infime secousse pour qu'elle éclose dans un
LA RÉGION DU TRANS-SPATIAL 141
Pas de Trans- 1.
parallélisme Spatl~l ;·
l'aral/élisme
FIG. 35
sont utilisés par lui; mais ils ne sont pas l'organisme. Autant
vaudrait prétendre expliquer les propriétés chimiques de la
molécule d'eau ou de la molécule de sel par les lois de l'hydro-
graphie ou de l'océanographie. Les théories mécanistes (1)-
ou physico-chimistes au sens classique- de la vie, ne sont
plus aujourd'hui ·que des survivances.
Nous ne nous attarderons donc pas sur le matérialisme ou
la doctrine physico-chimiste à l'ancienne mode. Ses représen-
tants contemporains, · encore nombreux, ont de plus en plus
tendance (2) à faire appel à des considérations en réalité néo-
matérialistes, au sens que nous définirons plus loin.
(1) P. 88.
LES .THÉORIES NÉO-MATÉRIALISTES 173
LE ~0-DARWINISME
ET LA S~LECTION NATURELLE
178 .NÉO~FINAL1$ME
(1) The genelical lheory of natural seleclion (1930). Un bon exposé des
calculs mathématiques de S. Wright est donné par W. Lunwra, Die Selek-
tiontheorie (p. 479 sqq.), dans Die Evolution der Organismen, édit. G. Hebe:..
rer (1943). -
182 NÉO-FINALISME
générations pour une évolution que l'on·peut considérer comme
le passage à une autre espèce (1 ).
Mais l~ manière ?ont ?n introduit les ~hiffres dans ce genre
de problemes est necessairement très arbitraire~
. Ainsi, dans leur fo;~ule fondamentale, Fisher· et Wright uti-
hse~;t ~n terme carac~ensant le degré de fitness d'une race ou d'une
variete mutante relativement à une autre race ou aux non-mutants
Cette « fitness » ou !Jignun:g n'est pas une vague «adaptation,;
ou Anpassung,. .s~ulignent-Ils, c'~st l'avantage sélectif, chiffrable
comme prob~b1hte d; reprodu_ct10n relativement à la probabilité
de reproduction de l autre race ou des non-mutants~ La formule
suppose que ce degré de fitness de la mutation reste constant pen-
dant l'énorme durée nécessaire à sa fixation. On doutera de cette
hypothèse quand on songe aux innombrables variations d'humidité
de t~mpérature! d'insolation, d'abondance alimentaire, dTinfection~
possibles, de VIrulence. des prédateurs, etc., qui peuvent modifier
mc~ssam~e~t un pareil terme et même transformer un avantage
en mconvement (2). .. ·
0~ touche ici du doigt le c~ractère failacieirx: d'es formules mathé'-
matiques dans un pareil sujet. L'introduction dans la formule
d'un é!éme~~ vague. (comme le degré de fitness) oblige a préciser
la .notlo~ d 1mpresswnnante fa9on. A?- _lieu d'un concept, philos 0 ..
phique d ~liure, ~n a une fractiOn precise ou un rapport précis de
deux fractiOns. C est tout avantage, dira-t-on. Malheureusement le
vague ne ~isparaît que. pour se transformer en fausseté manifeste :
une !?utatwn ne saura_1t. do_n~er a~x mutants, pend~nt de~ miiiie~s
de Siecies, une mortalite differentielle constante. Sr l'on mtrodmt
d_ans la fo:mule des termes nouveaux pour· représenter des varia-
bons p~ssi,hles, c_es ter:nes seront toujours grossièrement insuffi-
san.ts .. SI l o;n pret~ndait représenter par une formule le taux de
cro.Issanc~ dtff~rent~elle de la ,P?PU~ation franç~ise et de la popu-
latiOn hr1tan~1que a travers lhn~tmre, on aurait beau compliquer
la formule, ii est douteux que l'on puisse représenter les faits .
~ême de t~ès !oin. Or, nous l'avons. vu, l'histoire des espèces ést
hien une histoire au sens fort.
Le Dr N. Wiener a fait, à propos des statistiques sociales, une
(1) c~. J. HuxLEY, Évolution, p ..56.
(2 ), Sx la sélection . est censée discriminer entre deux mutants dont le
degre de filness ne diffère que du centième ou du millième on comprend
mal comment elle peut laisser subsister des races. ou des espèces avec· des
o~ganes mon~trueusement hypertéliques ou dystéliques. Le néo-Darwi~
~1sme est o~hgé d'adopter deux politiques contradictoires : tantôt la sélec-
tion est un .mstrument d'une délicatesse infinie qui discrimine des mutants .
~ont les d1ffére~ces sont imper~eptibles, tantôt elle est singulièrement
l~bérale o~ gro~s1ère. Le~ exphea~t?ns néo•darwiniennes des:. faits de dysté-
lre. (sélectiOn mtra-spéclflque, liaison à des caractères favorables ete.)
ont to~t l.e caractère d'hypothèses auxiliaires ou fabriquées pour s~utenir
une theorie plutôt que pour interpréter docilement les faits.
NEO-DARWINISME ET SÉLECTION NATURELLE 183
remarque· critique qui s'applique à la perfection aux, formules des
néo-Darwiniens. Une bonne statistique d·emande des observations
longues, ma:is sous des conditions: essentiellement constantes,.
exactement comme, pour .une bonne K résolution l> de la lumière,
il. .faut une lentille de grande ouverture. Mais il faut aussi que: la
lentille soit faite d'une matière bien homogène,. sans quoi l' ouver-
ture n'augmente pas le pouvoir séparateur. C'est pourquoi l'avan-
tage de statistiques à longue portée; mais dans des conditions rJariables,
est <( spècious and spurious » (1). A plus forte raison encore, peut-on
ajouter, si cette c< longue portée» n'est obtenue que par extrapola-
tion~
Il est aisé de concevoir des manières de calculer les · ch.ances
d~une origine par sélection d'un caractère donné, qui aboutiraient
à des résultats tout différents. Prenons le
cas ·des' bandes: de: ea:mouflage d' Edalorhina
buckleyi, qui se raccordent, de la cuisse au
segment entre genou et talon, puis au
segment de la région tarsienne. Comme le
fait. remarquer Cott (2) il faut, non seule-
ment que les intervalles entre bandes claires
et foncées correspondent, mais que la
séquence des bandes, dans la série inter-
médiaire, soit inversée. Si les bandes sont
marquées dans leur· ordre apparent sur la
patte repliée (fig. 36), de cette manière :
ABC . .-. abc ... cx.~y .... l'ordre anatomique dans
la patte étendue est celui-ci : ABC... cba ...
cx.~y ... Bref, les bandes doivent être dans un FIG. 36
ordre bien déterminé. Si l'on veut expli-
quer leur origine par mutations fortuites et sélection, on a un
problème mathématique de combinaisons où intervient la facto-
rielle du nombre des éléments. Réduisons même à 10 les éléments
à combiner, admettons encore que la première série soit donnée
au hasa:rd, et rte tenons compte que de rordre, non du raccord
spatial. La chance, pou:r la troisième série, est alors la factorielle
de 10 au càrré :
(10!) 2 == 1,3.1012 •
184 NÉO-FINALISME
E~ à condition de po.stul~r encore que le petit détail supplémen-
taire dans la bonne d1rect10n apporte, pour chaque mutation favo-
ra?Ie donnée, une fitness s.upérieure relative de 1/1.000. Nous sommes
lom d.es quelques. centames. ou mêJ?e des quelques dizaines de
r~utatwns, qu~ 'Yr1ght et Fisher. es~Iment suffisantes pour passer
dune espece a 1autre dans la hgnee des chevaux.· Les «échelles
longues>! .de temps. les plus invraise~?Iables pour les astronomes
et physi?Iens seraient encore prodigieusement loin de compte.
Avec trms rangées de quinze éléments chacune (ce qui est encore
au-.d?ssous. de la vérité), la probabilité de coïncidence pour la
troisième rangée (calculée par la formule de Stirling simplifiée)
Je résultat est : une chance sur 1,7-1024, moins d,une chance sur
1, m,illi~n de milliards de milliards (toujours à multiplier par 104
generations).
On trouvera que ces chiffres n, ont pas grande signification.
C'est bien notre avis. Mais il est à craindre que les calculs de Fisher
n'en aient pas davantage . .
D,autre part, les calculs sur le nombre de générations nécessaires,
pour fixer dans une espèce par sélection ·une mutation favorable,
FIG. 37 FIG. 38
P.ostulent que l'espèce ne subit pas dans le même temps des muta-
tiOns défavorables liées à la première. Or, en fait une mutation
qui, actueUe~ent ou virtuellem.ent,. constitue une' pré;-adaptation
- de caractere par exemple mimétique - est souvent, liée à un
~~ai~lissement général de .la vitalité, de telle sorte que la· sélection
ehmme les mutants, au heu de les favoriser. ·
Les indi~dus d:une ~spèce ne peuvent ~tre comparés. à des êtres
aveugles qm aurment a se rendre de a à b sur une surface rendue
mortelle partout, sB:u~ sur l'ét~oit chemin indiqué en ligne pleine
(fig. 37). Les Darwmiens, anciens ou nouveaux, ont dans l'esprit
un schéma de ce genre, et il leur paraît_ naturel qu'au prix d'un
m~ssacre suffisant, 9uelques survivants arrivent en a', puis en a",
pUis en b. !1 y a b~en un f!a~nant à la loterie, al?rs qu'à chaque
nouveau chiffre sorti, des milhers de preneurs de billets sont élimi-
nés. Mais ce. schéma du. c~emin unique _est tou~ à fait tromp~tir.
Par quel miracle les milliers de mutatiOns qm sont nécessaires
pour l'édification d'un organe quelque peu complexe pourraient-
NÉO-DARWINISME ET SÉLECTION NATURELLE 185
LE NÉO-DARWINISME
ET LA GENETIQUE
(1) Nous ne faisons ici que les résumer rapidement, car nous les avons
longuement analysés dans notre précédent ouvrage : :Éléments de psycho-
biologie (1946), chap. III et VIII.
LE NÉO-DARWINISME ET LA GÉNÉTIQUE 193
Triton - il donnera de la peau ventrale, ou des branchies, ou
un rein.
Seulement, O:Q. voit la· charge écrasante qui est imposée à la
génétique rien que par le développement individuel. Puisque
la substance inductrice est une substance chimique banale, toute
la « responsabilité » du développement structural est évidem-
ment donnée au système des gènes. C'est la structure génétique
qui doit expliquer la structure de l'organisme adulte. Mais cette
structure « explicative » doit être cc à tiroirs », à multiples fonds,
puisque, .selon l'induction qu'elle subira, elle devra produire l'or-:-
gane a ou l'organe b, etc. La théorie de la mosaïque avait une
certaine vraisemblance quand il s'agissait de l'œuf ou de l'em-
bryon. jeune, pris dans son ensemble, et -qu'aucun expérimenta-
teur n~ touchait; elle n'en a plus aucune quand elle prétend trans-
porter la cc mosaïque» dans les gènes. Ceux-ci ne peuvent expliquer
à la fois le caractère-Grenouille, ou le caractère-Triton, ou le
caractère-Axolotl d'une part, et d'autre part, le caractère-patte,
ou le caractère-rein, ou le caractère-branchies, ou les organes,
en nombre indéfini, que l'on peut énumérer.
C'est d'ailleurs un fait reconnu par tous que les gènes rest,ent
ce qu'ils sont dans toutes les cellules de tous les organes du
corps, puisque les mitoses sont génétiquement égales. Ils ne
deviennent pas la structure adulte que l'on prétend leur faire
expliquer. Les généticiens ont dépensé des trésors de patience et
de génie .pour établir la carte .des gènes dans certaines espèces
comme la Drosophile. Ils· ont étudié les points des chromosomes,
les loci, que l'observation ou l'induction révèlent en corrélation
avec tel ou tel caractère de l'adulte (par exemple (( aile vesti-:
giale >~, « œil vermillon», « œil-bar», etc.). Ils sont très excu-
sables, si, dans l'enthousiasme de la découverte, ils ont cru, par
là, résoudre le problème de l'hérédité totale, de l'ontogénèse et
de la phylogénèse.
Mais on ne voit pas, en fait, comment une éorresporidance
terme à terme peut être établie entre la structure des gènes et les
structures complexes dés organes adultes. Ce que l'on comprend,
c'est l'action modificatrice des gènes sur une ·formation structu-:-
rale donnée par ailleurs avec ses lois propres. On comprènd que
tel gène produise ou provoque la formation, ou, muté, change la
vitesse de formation, d'une substance chimique capable de modi-
fier la couleur de l'œil, d'inhiber le développement de l'aile ou
de ·la rendre bouclée,, froissée, deltoïde. Mais comment un ou
plusieurs gènes pourraient-ils commander à distance la struc-
ture normale de l'œil, de l'aile, du système nerveux de la Dro~o-
JI. RUYER 13
194 NÉO-FINALISME
phile? Et d'ailleurs, où sont, sur les cartes dressées ·par l'école de
Morgan, ces gènes que l'on pourrait appeler «de structure nor-
male »? Si les gènes contenaient le se·cret dé l'hérédité totale, la
carte des loci chromosomiqùes de la Drosophile devrait' ressern"-
hler à un schéma de l'organisme de la: Drosophile adulte. On
devrait avoir quelque chose d~analogue ·à l'Homunculus sché-
matique que l'on peut établir sur la circonvolution frontale
ascendante, à la suite des expériences de stimulation électrique (1)
où l'on peut reconnaître en gros, malgré des proportions diffé-
rentes, et malgré une langue << corticale » à elle seule aussi grosse
que le tronc « cortical », la structure générale de l'organisme
humain.
Il n'existe qu'un nombre extraordinairement faible de cas
où l'hypothèse d'une correspondance structurale du gène: à l'or-
ganisme adulte ne soit pas, à priori, invraisemblable. Morgan
cite le cas de l'enroulement dextre ou senestre des mollusques
d'eau douce· Lymneae. Chez ces Mollusques, en ~ffet (2), l'enrou-
lement est· normalement dextre, mais il se· rencontre des· indi-
vidus à enroulement senestre. L'étude .de leurs · croisements
indique qu'il s'agit d'hérédité mendélienne. Il existe un gène
dominant dextre, et un allélomorphe récessif senestre. Or'-
c'est là le point intéressant- on a pu suivre, dans l'embryogé-
nie de ces mollusques, dès les premiers clivages de l'œuf (4 où
8 cellules), l'amorce de l'enroulement à droite ·ou à gauche. Il
n'est donc pas absurde ici de supposer «que les caractères qui
s'expriment dans le protoplasme relèvent, en dernière analyse,
des gènes contenus dans les chromosomes (3) >>. Mais ces cas
semblent très particuliers. Le sens d'un enroulement ·est uri
caractère structural particulièrement simple, tellement simple
qu'il ne s'agit pas, à vrai dire, de « structure ». Un gant« droit>>
a la même «structure» qu'un gant «gauche». L'exemple est
d'autant moins heureux que, chez les jumeaux univitellins« en
miroir», la situation, normale ou inversée, des organes, est Jus-
tement un caractère qui, de toute n1anière, ne ·peut dériver
de la structure des gènes, puisque les deux individus ont la
même structure génétique.
Pour la moindre structure vraie, le passage structural gène ---).
protoplasme --* œuf --* embryon --* adulte est inconcevable, sauf ·
par action magique.
L'ORGANICISME ET LE DYNAMISME
DE LA FINALIT:E
son cc idée directrice » qui elle seule crée et dirige. On dirait que
cette évocation de Claude Bernard voue l'évocateur à toutes les
fluctuations organicistes. Le pouvoir autonome de régulation, qui ·
distingue le vivant d'une horloge, n'empêche pas «la. justification
générale apportée . par la biologie moderne à la doctrine du déter-
minisme physico-chimique >> (p. 214). Toutefois, le détermin.isme
matériel n'est que l'indispensable auxiliaire de la forme orgamque.
Il ne saurait être question d'invoquer la conscience «comme· force
liante et modelante », car ce serait cc ressusciter le vitalisme >1.
D'après le. contexte, Bounoure entend ici par <<vitalisme» ce .que
l'on désigne généralement comme << animisme », et il ne condamne
pâs tout dynamisme vital. Seulement, il l'entend comme transcen~
dant. au sens ·théologique du mot, et non pas seulement comme
transcendant relativement aux processus physico-chimiques. La spéci~
fi cité de la vie viendrait ainsi directement de Dieu : la vie a quelque
qhose d'inconnaissable et de merveilleux. Il n'est pas précisé si
Dieu intervient intemporellement, par harmonie pré-établie, ou .
par influence active, temporelle. Il est difficile de discuter une thèse
théologique. Cependant, même au prix de cet aveu d'impuissance
scientifique, l'auteur n'échappe pas à la contradiction : si la spéci-:
ficité vitale· vient de Dieu, en quel sens faut-il parler de l' << autonomie
de l'être vivant»? · ·
Il existe, exactement parallèle à la biologie organiciste, une psy~
chologie organiciste qui veut, elle aussi, concilier déterminisme et
finalisme, ou les rejeter l'un. et l'autre au profit d'un point de
vue cc organismique ». K. Goldstein (1), dans son ouvrage riche en
faits, "a critiqué avec une particulière vigueur les explications
cc analytiques >>, qui isolent artificièllement de& éléments tels que
le réflexe; le réflexe conditionnel, pour reconstruire pièce par pièce
le comportement psycho-organique (chap. II et V). Il leur oppose
le point de vue de la<< totalité organique>> (ch. VI). Tout.processus
vital présente une Ganzheitliche Gestaltung, qui le rattache à la
situation momentanée du reste de l'organisme; celui-ci effectue des
ajustements et des déplacements .compensateurs, qui sont des
remplacements signifiants. Une performance déterminée ne dépend
pas du fonctionnement d~une région donnée (p. 141). Après trans-
plantation des nerf13, la performance peut être néanmoins aussi
réussie sans exercice. La forme de l'incitation ne dépend pas d'une
. structure anatomique donnée (p. 145). Même la perception d'une
couleur e:x;erce une action ·SUr l'organisme tout entier (p~ 169).
C'est sur fond de tout l'organisme que se détache la forme d'un
comportement ou d'une perception privilégiée, Aus gezeichnete
V erhalten. Goldstein fournit, en plus grande abondance encore
que Lashley, les arguments utilisables en faveur de l'équipotentia-
lité non· seulement cérébrale, mais organique, et en faveur de l'in ..
terprétation de l'organisme comme un domaine de survol absolu.
(1) The Revolt against dualisrn, chap. li. Cf. aussi le livre collectif :
Crilical Realism (par Durand DRAKE, LOVEJOY, J. B. PRATT, etc.).
(2) La conscience et le corps, p. 24.
(3) Cf. MERLEAu-PoNTY, La structure du comportement, p. 236. Lossky a
fait une confusion analogue à propos de la théorie bergsonienne de la per-
ception (cf. RuYER, Le monde des valeurs (Aubier), p. l62 sqq.).
(4) Cf. W. KoHLE.R, The place of values in a world of facts, chap. IX. Pré-
cisons bien qu'il n'y a pas lieu de reprocher à Kôhler de comparer l'activité
visant une valeur avec la force physique. Nous avions fait nous-même
cette comparaison avant de connaître son ouvrage (cf. Éléments de pSfJCho-
biologie, p. 266). Ce qu'il faut lui reprocher, c'est de comparer l'activité
axiologique avec l'action d'une force de la physique macroscopique. Dès
lors, quoiqu'il s'en défende, il réduit l'action axiologique et finaliste à une
n. RUYBR 15
226 NÉO-FINALISME L'ORGANICISME· ET LE DYNAMISME
valeur soit réductible à la force, puisque la force n'est qu'une libre, n'est que le résultat de milliards d'actions élémentaires
résultante macroscopique, du moins telle qu'il la conçoit. Elle .dont chacune manifeste la force primaire que donne l'obéissance
prouve à 1'inverse que toute tension dynamique est finalement à une, norme idéale. De même que l'éléphant est, malgré les appa-
réductible à l'action d'un« idéal». Pour être plus précis, la force, rences, plus « microscopique » qu'une bulle de savon, la force de
comme liaison du domaine, manifeste la<< transversale métaphy- l'instinct, quand on prétend le gêner dans son développement, ou
sique >> qui fait que la forme vraie d'un tel domaine est indisso- la force d'un idéal que l'on défie, est plus primaite et plus << élé-
ciable d'une idée ou d'un thème trans-spatial. Cette idée, à son mentaire >> que la force d'un ballon trop gonflé et qui éclate.
tour, peut viser soit une essence encore universelle, soit une
essence déjà transformée en thème mnémique spécifique (ins-
tinct) ou individuel (tendance acquise). L'acte et l'actualisation
qui obéiraient exactement à l'idée ou au thème qu'ils visent en
manifesteraient le dynamisme sans que racte-je de r ((agent))
l'éprouve comme cc impression de force». Mais il suffit, ce qui est
pratiquement toujours le cas, à cause· de· la structure interne
hiérarchisée des êtres, qu'une gêne soit apportée à l'actualisation
pour que la force soit éprouvée aussi bien que manifestée. Que
la manifestation d'une idée, d'un instinct, d'un souvenir obsé-
dant soit empêchée par un obstacle externe ou interne, et l'im-
pression de force apparaît aussitôt, à la fois dans l'être empêché
et dans l'être empêchant. Alors, il y a lutte, effort des deux êtres
ou des sous-individualités en conflit, pour résoudre le conflit.
par constitution d'un système plus unitaire. C'est pourquoi, ·si la
force dans son essence résulte· de la nature physico-métaphy-
sique du domaine unitaire, fimpression de force résulte de l'al-
térité relative, soit des deux domaines interagissants, soit des
deux sous-individualités dans un domaine complexe. La force
sentie, c'est toujours l' ((idéal >>, ou la ((vertu)) d'un (( autre »,
éprouvée du dehors. Quand l'altérité est absolue, l' << autre »
poursuit mon élimination. Quand elle est relative, il agit par
«persuasion», effort de <<conversion>> (1), et j'agis de même sur
lui. On croit faire une métaphore quand on applique ces descrip-
tions psychologiques à la force en général. On croit faire une méta-
phore, quand on parle de la« force» d'une autorité qui nous per-
suade, et vous convertit à son propre idéal. Mais c'est là, au
contraire, retrouver le caractère vraiment primaire de la force.
C'est, à l'inverse, la force de la physique statistique qui est,
sinon métaphorique, du moins « dégénérée ». La pression d'un
gaz, d'un liquide, d'une forme-Geslalt écartée de son profil d'équi- _
LE PSYCHO-LAMARCKISME
1'1. RUYEll
16
CHAPI'fRE xx
~OLOGIE DE LA FINALITI!
(1) ALEXANDER, Space, Time andDeity, II, p. 343. Pour Alexander, comme
pour les organicistes, un être d'un niveau donné peut être entièrement
décrit, sans résidu, dans les termes du niveau inférieur; le novum est seu-
iement la qualité propre qui est l'âme de la configuration réalisée par les
unités du niveau inférieur, ou sa «couleur" nouvelle. La déité est la« cou-.
leur » que prendra l'Unive:r:s. , . .
(2) Space, Time and Detty, II, p. 394. La theorie d'Alexander sera1t
valable s'il se bornait à dire que la « déité » doit être conçue par nous comme
fondée sur la vie personnelle, sans pouvoir être définie selon la catégorie
de personnalité.
(3) Ibid., p. 397.
( 4) N. HARTMANN, Ethik, cha p. 21, p. 180 sqq.
252 NÉO-FINALISME
nature n'est qu'un mythe : Dieu, cc Sujet>} co~scient. de c.ette
finalité de la nature, n'est qu'un homme agrandi; on lm attnbue
cc prédestination» et« providence» sur le mode de l'activité fina-
liste humaine. Il n'y a aucune différence essentielle à ce point de
vue, entre théisme et panthéisme: la téléologie est la même, sauf
que, dans le cas du panthéisme, l'appareil ~éléologique reste« en
l'air ». Dans une nature finaliste - finaliste << en bloc >) - un
être fini comme l'homme ne pourrait rien : Dieu ou l' cc esprit du
monde » atteindrait son but par-dessus sa tête. Entre le déisme
et la morale - Hartmann retourne la thèse kantienne - il y a
incompatibilité : << L'hominisation métaphysique du tou~ , est
un anéantissement moral de l'homme. >> Comme la mo~rahte et
l'activité finaliste humaines sont des faits d'expérience, c'est la
téléologie de la nature, pure théorie, qui doit être abandonnée.
C'est l'athéisme, et non le déisme, qui est le cc postulat>> de la
moralité et -de la liberté humaines.
Il y a, nous l'avons accordé d'avance, quelque chose .de juste
dans l'argumentation de N. Hartmann : toute conceptiOn fina-
Este du monde, tout déisme, suppose anthropomorphisme et
mythologie. Mais ne considérons pour le moment que cette autre
thèse bien distincte de la première : l'incompatibilité d'une fina-
lité d'u monde dans son ensemble et d'une activité finaliste de
l'homme. Elle n'est pas soutenable. Hartmann pense sans doute
à des systèmes comme celui de Leibniz, dans lequel la créat~o!l
selon le principe du meilleur ne laisse pas, en effe~, de pla?e v~ri
table à la liberté humaine, ou comme le panthéisme spinoziste
où l'homme n'est qu'un« mode,,, et n'est libre que par identifi-
cation mystique avec Dieu. Peut-être pense-t-il encore au Pre-
mier Moteur immobile d'Aristote. Mais, précisément, ces sys-
tèmes n'attribuent pas vraiment à Dieu l'activité finaliste. Dieu
ne crée pas en réalité, il laisse fonctionner sa nature : c'est sa
nécessité, et non sa liberté finaliste, qui entraîne la nécessité pour
l'homme. On ne voit pas en quoi un cc plan divin » finalis1te est
incompatible avec des «missions>> laissées à la liberté des agents
multiples. La liberté-spontanéité pure "serait incompatible .avec ·
la finalité de la Na ture ou de Dieu, mais non pas la liberté-tra-
vail. Le travail vise un idéal. Le plan divin peut donc' être le
système des Idéaux. Le <<système>> impose des limites à tou~e~
les libertés mais il les constitue d'abord. La plus haute .autonte
dans une hiérarchie donne des missions et des ordres, mais elle
laisse une marge de liberté à ses subordonnés. L'auteur d'un
scénario peut donner simplement un canevas à ses iil.terprète~;
il ne les transforme pas obligatoirement en .marionnettes. L'm-
THÉOLOGIE DE LA FINALITÉ 253
1f
* 1f
Agent Idéal
1 ..oE--- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ~
..... l DIEU· L'INSAISISSABLE
.., 1
g
.,
1
1
X Dieu comme Agent x Dieu comme Idéal
-gl
+-,
= 0
1
1
~------------------.-1
l x individuels essences '
1 1
1
1
1 1 ~ « je » FORMES· IDÉES idées :
.'
1 n A
z•
_, " «ames»
'\ individuelles
,,
thèmes ~
ol
\\
mnem)ques ,,
,,
~.
If 1\ 1
r, Il
1 1
\\ \ \ FORMES- STRUCTURES ,' 1
\ \ , 1
1
' \organes œuvres /
m' \ 'outils matérielles / /
.,. 1 \ ',, Domaines ,./ /
"01
0 1 ', '...... de ~urvol. ,";. ,/
~ 1 ', ................ "'""' ___ .,..,.,. ,"
• 1
--------~-~-~----
-Il
, 1
3 1 .
~ l
~
temporels au sens strict du terme. Notr.e «je», par exemple, est
comme éternel relativement à un domaine limité de temps, et il
a une sorte d'ubiquité relativement à un domaine limité d'es·
pace; << je >> suis Dieu relativement à ma vie, si du moins je l'unifie
par un Idéal.
Au-dessous de la ligne II seulement commencent les scènes de
travail observables, dans lesquelles d'une part, l'agent apparaît
THÉOLOGIE DE LA FINALITÉ 265
comme incarné,. comme un ensemble d'organes et d'outils agis-
sants, dans lesquelles d'autre part le travail s'applique à des
domaines de survol concrets au travers desquels l'agent aper-
çoit un Idéal. guidant la transformation et l'amélioration du
domaine.
Le paradoxe de Lequier s'applique à ce qui est entre les deux
lignes horizontales : le « Je » se fait en faisant. Ici, acteur et œuvre
sont inséparables. C'est vrai aussi bien de l'embryon qui se forme
et s'individualise selon le potentiel mnémique de son espèce, que
de l'artiste qui se modifie et enrichit son âme par ses propres
œuvres. Que le forgeron puisse prendre ou laisser son travail
matériel, ce n'est là qu'un phénomène secondaire, possible seule-
ment au-dessous de la. ligne II. Ce phénomène ne doit pas dissi-
muler le caractère fondamentalement inséparable de l'acteur et
de l'œuvre·, et il doit encore moins être confondu - selon la gros-
sière ·confusion du créationnisme vulgaire - avec la transce:n-
dance de Dieu le.lativement à tous les individus dont il est l'être.
et l'activité là ;plus intime .
Aucune des oppositions figurées dans le schéma n'est absolue;
L'unité divine ne laisse aucune frontière imperméable. La région
des formes-idées est Nature relativement à Dieu, mais elle est
Dieu relativement à l'espace.,.temps. L'espace-temps lui-même
n'est constitué que d'actions, et, en ce sens, il ne s'oppose pas au
trans-spatial comme une sorte de matière opaque et rebelle. Il
ne s'oppose au trans-spatial que comme moyenne purement sta-
tistique des myriades d'activités qui le constituent.
Au «niveau» de Dieu même, non seulement Agent et Idéal
sont inséparables, mais, probablement, la dualité des deux pôles
n'est telle qu'à nos yeux. Dieu comme Agent ne diffère pas de
Dieu comme Idéal. Dieu n'a pas de facultés, ni d'attributs, ni de
distance à lui-même, ni de nature, puisqu'il est tout ce qui fait ~a.
nature. Même pour les créatures, il n'existe jamais de séparation
abrupte, de gauche à droite, entre le pôle Agent et le pôle Idéal.
Il n'y a jamais agent pur, ni objet pur de visée. Tout être est à
la fois créateur et créature. Réciproquement, une idée visée est
toujours individualisée.: elle s'identifie au sujet qui la construit,
et elle devient active comme lui. Les premières incarnations ·de l'x.
actif·de l'organisme sont à la fois ses œuvres et ses substituts;
elles sont elles-mêmes actives. Un thème d'invention est inventé,
mais il invente à son tour. L'âme est formée, mais elle est aussi
formante. Le corps est à la fois une œuvre d'art et un outil vivant,
.capable de former ces corps, plus purement << corps >>, que sont
les machines. Un souvenir est à la fois norme idéale quand. il
266 NÉO-FIN ALISME
Pages