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Vision scientiste ou vision biblique du monde ?

Dominique Tassot

Présentation : L’incompréhension entre les hommes vient souvent de la


méconnaissance des faits, mais plus souvent encore de la manière différente
de les interpréter, de les « com-prendre », en fonction d’une grille de
perception et d’un cadre mental constituant pour chacun sa « vision du
monde ». Depuis trois siècles, une sorte de « vision scientifique du monde »
s’est peu à peu arrogée le monopole de la vérité objective sur les êtres, ne
concédant à la « vision biblique du monde » (et plus généralement à la
religion) que le domaine des émotions intimes et des vérités subjectives. Or
cette vision en réalité « scientiste » du monde est d’une si affligeante
pauvreté qu’on a parlé à son sujet de « désenchantement du monde » (Max
Weber, 1904), soit qu’on se réjouisse du recul des « superstitions », soit
qu’on en déplore le simplisme et la prétention. Il importe de bien
comprendre, non que la science n’est pas contraire à la foi – tout dépend de
quelle science et de quelle foi il s’agit –, mais que la vision du monde
révélée par le Créateur demeure la seule à pouvoir concilier la rigueur dans
la connaissance et la complétude dans toutes les dimensions de l’existence
humaine, dont le Beau et le Bien.

Consciemment ou non, nous sommes tous habités par une


vision du monde (Weltanschauung) : non seulement notre regard,
mais notre ouïe, notre entendement reçoivent les stimuli externes
à travers un cadre et un filtre. Dans une expérience psychologique
célèbre, est passé un court film montrant une partie de basket et
l’on demande aux sujets de compter les échanges de ballon qu'ils
vont voir sur l'écran. Aussitôt la projection, leur est posée la
question : « Avez-vous vu le gorille ? » Personne ou presque ne
réagit. On repasse alors le film et l'on découvre un homme
déguisé en gorille qui, à deux reprises, traverse le terrain et
regarde la caméra. L’image optique du gorille a donc été captée
par les yeux, mais le cerveau qui déchiffre les images avait écarté
ce qui n’entrait pas dans ses préoccupations.
Certes, il y a tout d'abord les approches individuelles : devant
une fleur, le naturaliste, le peintre et le poète réagissent de
manière toute différente et ceci – qui fait le charme de la vie en
société – est sain et correspond à la variété infinie des esprits,
permettant de dire qu'il y a toujours plus dans plusieurs têtes que
dans une seule et que les équipes multidisciplinaires deviennent
indispensables.
Le Cep n°86. 1er trimestre 2019
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Un bon exemple en fut le Rapport de la Montagne de Fer1,


synthétisant les réponses d'une commission prestigieuse réunie
par l'administration Kennedy pour répondre à la question : notre
société pourrait-elle fonctionner sans guerres (actuelles ou
potentielles) ?
La réponse à la question posée fut négative, mais les
considérations qui l’étayent sont de loin plus instructives que la
réponse elle-même : on note, en effet, que ces experts choisis
pour être très divers (et tous spécialistes dans au moins deux
disciplines), ont cependant un arrière-fond commun, à savoir la
vision du monde partagée tant par eux que par ceux qui posèrent
la question, vision que nous nommerons dans un premier temps la
« vision scientifique du monde ». L'idée est la suivante : quand on
veut connaître la vérité sur quoi que ce soit, il faut interroger le
savant dont c’est la spécialité. Ainsi, sur le traité d’Utrecht, on ira
chercher un historien spécialisé dans la politique étrangère de
Louis XIV. Pour une question plus complexe, comme la guerre,
on dut donc réunir toute une commission. Ainsi la science a déjà
– ou aura bientôt – réponse à tout. La raison humaine est à elle-
même son propre guide2 et le consensus des savants nous a peu à
peu permis de connaître d'où nous venons (avec le Big bang et
nos ancêtres simiesques) et où nous allons (avec une société
« presse-boutons » affranchie des anciens déterminismes
physiologiques ou culturels).
Dans cette perspective, la religion peut avoir toute sa place. Le
premier directeur de l'Unesco, Julian Huxley, écrivait en 1965
cette formule dont on ne se lasse pas d'admirer la sagacité (mais
non la justesse) : « L’éventuelle réconciliation de la Science et de
la Foi viendra quand les esprits religieux comprendront que la
théologie a besoin d’un fondement scientifique et saisiront le
fait que la vie religieuse elle-même connaît l’évolution ; et quand
les esprits scientifiques accepteront le fait tout aussi important
que la religion fait partie du processus évolutif et que , dans la

1
Cf. Claude TIMMERMAN, « Le rapport de la Montagne de Fer », in Le
Cep n° 39 (p. 17) et n° 40 (p. 34). Dans le contexte belliciste actuel, ce
« rapport sur l’utilité des guerres » publié en 1967 a repris tout son intérêt.
2
Tel est bien le fondement de la philosophie moderne, que le basculement
opéré par l’esprit des Lumières a mis au cœur de nos sociétés, de leurs
Constitutions, de leurs lois et de leurs institutions.
Le Cep n°86. 1er trimestre 2019
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phase psycho-sociale de celui-ci, elle est un élément important de


l’histoire humaine3» [souligné par nous].
Ce fondement scientifique nécessaire à la théologie, c’était
précisément ce que le P. Teilhard de Chardin s’était proposé
d’établir. On ne sera donc pas étonné de voir un biologiste athée
militant et anticlérical comme Julian Huxley se faire le préfacier
du Phénomène humain, l’ouvrage de Teilhard le plus connu, lors
de sa traduction en anglais.
Mais le fondateur de l’École Biblique de Jérusalem, le P.
Lagrange, avait déjà ouvert la voie à la nouvelle vision du monde
pour nos théologiens lorsqu’il écrivait en 1897 : « L’humanité est
plus vieille qu’on ne le croyait lorsqu’on recueillait pieusement
les débris des souvenirs prétendus primitifs. […] Humainement
parlant, la transmission orale depuis le commencement du monde
est souverainement invraisemblable. […] À prendre le récit de la
Genèse comme une information historique, […] sa valeur est
simplement nulle pour nous renseigner sur ce qui s’est passé
“dans la nuit des temps”4. »
Ne pouvant compter sur le récit biblique, Lagrange s’ouvre à
ce que la science va bien pouvoir dire sur le Péché originel et
donc sur le monogénisme, cette idée d’un couple unique ancêtre
de tous les hommes : « L’Histoire est muette, elle ne fait donc
pas d’objection. La science naturelle objecte la différence des
races. C’était peut-être gênant, c’est peut-être encore gênant
pour les tenants des espèces figées. Mais, si une évolution
modérée tendait à prévaloir dans la science, je serais bien étonné
qu’elle ne réussît pas à expliquer ce phénomène par ses propres
principes. […] Ne faites pas à Bossuet ni à Pascal l’injure
d’estimer qu’ils auraient maintenu obstinément leurs positions
s’ils avaient appris ce que nous savons5. »
Ce que Pascal et Bossuet maintenaient – à tort, selon
Lagrange – c’était la chronologie biblique et la véracité littérale
de la Genèse.

3
George BARBOUR, Teilhard de Chardin sur le terrain, Paris, Le Seuil,
1965, Préface de Julian HUXLEY, p. 8-9.
4
P. Marie-Joseph LAGRANGE o.p., « L’innocence et le Péché », in Revue
Biblique, vol. 6, Paris, 1897, p. 377-378.
5
P. Marie-Joseph LAGRANGE, La Méthode historique (1903), Paris, Le
Cerf, 1966, p. 165.
Le Cep n°86. 1er trimestre 2019
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Dans son Discours sur l’Histoire universelle, Bossuet fait


commencer l’histoire du monde avec Adam (4004 AC) et, de ce
premier âge du monde jusqu’au Déluge, il écrit tout simplement :
« Voilà ce qui s’est passé en 1 656 ans6. » Loin d’ignorer
l’exégèse critique alors à ses débuts, il en anticipait les
inévitables conséquences et polémiqua contre l’oratorien Richard
Simon, le premier à vouloir diffuser cette manière d’étudier la
Bible comme un document littéraire banal. Le P. Lagrange, lui,
« sait » désormais que la Genèse n’est pas de l’Histoire : la
science le lui a dit et c’est sur ce tout récent savoir,
nécessairement plus véridique que l’ancien, qu’il va construire
une nouvelle interprétation de l’Écriture.
Encore un demi-siècle plus tard, pour l’exégèse, l’évolution ne
viendra plus seulement expliquer la diversité des races, mais
suggérer une origine naturaliste de la vie. Dans une thèse
soutenue en 1953, le franciscain Évode Beaucamp se voyait
parvenu « à l’heure des satellites artificiels, à l’heure surtout où
la vie commence à révéler quelques secrets de son histoire7 ». À
la différence de Bossuet, Beaucamp « sait » que la Genèse ne
transcrit pas une antique tradition, mais fut rédigée après l’exil
des juifs à Babylone et résume par là toute une vision du monde
enrichie de contacts avec les peuples de l’Orient ancien : « Le
premier chapitre de la Genèse constitue le plus théologiquement
élaboré des exposés que la Bible nous a laissés sur la création
[…] “Cette place de l’histoire de la création en tête de notre Bible
a souvent entraîné ce contre-sens que l’enseignement de la
création pourrait constituer un point central de la foi de
l’Ancien Testament. Ce n’est pas le cas. Pas plus ici que dans le
Deutéro-Isaïe8, le témoignage de la création ne vaut pour lui-
même”9 […]. Si la rédaction postexilique [du premier chapitre de
la Genèse] n’est plus guère contestée, on admet de plus en plus
aujourd’hui qu’elle suppose un long travail de réflexion sur des
données plus anciennes. Doit-on en chercher l’origine dans la
6
BOSSUET, Discours sur l’Histoire universelle (1681), rééd. Garnier
Flammarion, 1966, p. 48.
7
Évode BEAUCAMP ofm., La Bible et le sens religieux de l’Univers, Paris,
Éd. du Cerf, 1959, p. 132.
8
Concernant cette invention d’auteurs différents pour expliquer la variété
des styles chez le prophète Isaïe, se reporter au P. Georges H ABRA,
« L’Authenticité du livre d’Isaïe », in Le Cep n°9, novembre 1999, p. 70.
9
G. von RAD, Das erste Buch Moses, p. 34, cité par E. BEAUCAMP.
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liturgie, comme le veut Mowinckel et son école, ou au contraire y


voir l’élaboration d’un enseignement officiel sous forme de
récitations publiques ? Peu nous importe ici ; dans sa
composition actuelle, ce texte ne vaut plus pour lui-même, il sert
d’introduction à l’histoire relatant la première des ordonnances
de Dieu10. » En termes clairs, si le récit de la Création figure au
début de la Bible, ce n’est pas qu’il soit historiquement premier,
mais il s’agit de l’ajout tardif d’une introduction donnant une
ouverture cosmique à l’histoire des Hébreux, leurs « savants »
ayant fini par comprendre, au terme d’une longue errance, que
« le Dieu du Sinaï qui organise la vie de son peuple et dépose
dans sa structure le ferment même de sa Parole, qui, par la
bouche des prophètes, venge ensuite avec jalousie l’inobservance
de cette Loi, est également le Dieu de la création11 ». Bref, le
premier chapitre de la Genèse serait une fabrication utilitaire
concoctée par les scribes et les autorités d’Israël afin de mieux
faire respecter leurs édits par un peuple crédule.

10
BEAUCAMP, op. cit., p. 101-102.
11
D. Thierry MAERTENS, Les Sept Jours (Gn 1), Bruges, 1951, p. 34, cité
ici par E. BEAUCAMP.
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Inutile de commenter l’indigence, la gratuité et surtout la


prétention de telles lignes ! Mais si ces exégètes croient savoir
mieux que tous leurs prédécesseurs et tous les Pères ce qu’il faut
comprendre dans la Bible, c’est portés par l’illusion scientiste que
tout progrès du savoir dévalorise ce qui l’a précédé. La volonté de
réinterpréter les dogmes sur un « fondement scientifique »
(Huxley), donc d’adopter un cadre intellectuel forgé par la
science pour penser la foi, n’avait donc pas attendu Teilhard pour
se donner libre cours. Au fond, le lyrisme enthousiaste et les
néologismes du célèbre jésuite n’ont fait que donner au mythe
évolutionniste un habit séduisant pour amener les chrétiens à y
adhérer non plus à reculons mais d’emblée. Vieille tentation
tendue par l’esprit12 des Lumières, puisque dans L’Encyclopédie,
Diderot écrivait déjà : « La méthode des théologiens est d’abord
d’anathématiser les opinions nouvelles, ensuite de les concilier
avec leurs dogmes13. »
Or cet hymne à la science procédait d'une erreur colossale.
Certes l'homme est doté d'une réelle capacité à connaître et à
utiliser ses connaissances, les progrès techniques en témoignent
abondamment. Mais, selon le mot d'Hippocrate, « savoir, c'est la
science ; croire savoir, c'est l'ignorance ». La vision
prétendument scientifique du monde, dans laquelle communient
nos contemporains, est d'une si affligeante pauvreté que son
temps est compté. Pourquoi ? Parce qu'elle est fausse à force
d'être partielle.
Dans la vision grecque du monde, les objets corporels étaient
composés de quatre éléments : la terre, l'eau, le feu et l’air. Mais
ces éléments étaient connus et compris selon une large palette de
significations tant matérielles que symboliques dont la langue
populaire témoigne encore. Dire de l’un qu'il « ne manque pas
d'air » montre que l'élément air est bien autre chose qu'un gaz.
Dire d'un autre qu'il est « tout feu tout flamme » dépasse de
beaucoup le calcul calorifique. On n’a presque rien compris de
l'élément liquide en brandissant la formule H2O.

12
Ne s’agirait-il pas plutôt, au fond, de « l’Esprit » des Lumières ?
13
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des
métiers, Neufchastel, Samuel Faulche, 1765, art. « Mosaïque et chrétienne
(philosophie) », p. 741.
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Et s'il existe bien en Adam un composant terreux (ou plus


exactement glaiseux : c'est le sens propre du mot adamah en
hébreu), ce qualificatif recèle toute une cosmologie. « En
présence d’une ortie – écrit Jean Servier –, je ne penserai pas
qu’il s’agit d’une plante de la famille des urticacées et, dans un
cas précis, par exemple, d’un spécimen d’Urtica dioïca. Le seul
aspect de cette plante, selon les vieux philosophes, la rattache à
Mars dont elle a le caractère agressif. La tradition la fait
correspondre au feu dont elle a sans doute quelque propriété – ne
serait-ce que par son action urticante, brûlante, sur la peau14. »
Or ce quaternaire grec dont la subtilité l'emporte déjà de loin
sur notre vision des choses, est sans doute insuffisant, puisque les
Chinois, par dévotion envers le chiffre cinq, retenaient encore un
cinquième élément, l’éther15. Notons à ce sujet que les physiciens
du XIXe siècle avaient redécouvert l’éther en tant que milieu
vibrant, support des ondes électromagnétiques et lumineuses,
comme l'air ou l’eau conduisent les ondes sonores. On ne peut
bien expliquer autrement les phénomènes d'interférences et les
champs magnétiques. Puis, l'imprévu surgit avec les expériences
de Michelson et Morley (1881 et 1887) et la physique entra dans
une crise théorique dont elle n'est toujours pas sortie, les
échappatoires mathématiques ne constituant nullement une vraie
compréhension des phénomènes.
Or toute confrontation entre le grossier et le subtil se fait aux
dépens de ce dernier, qu'il s'agisse de crier le plus fort, de taper
du poing sur la table ou de raisonner. Ainsi les mots intraduisibles
disparaissent-ils. On distingue en mandchou cinq mots pour dire
« neige », selon qu'il s'agit de neige dure, fondante, poudreuse,
glacée, etc. Que peut faire le traducteur mandchou d’un roman
européen, sinon trancher arbitrairement ? De même, la langue
chinoise a deux mots pour distinguer systématiquement le frère
aîné du frère cadet, car cette différence porte à conséquences dans
la vie sociale et familiale, notamment pour le culte à rendre aux
ancêtres, réservé au fils aîné.

14
Jean SERVIER, L’Homme et l’invisible, Paris, Robert Laffont, 1964, p.
209.
15
De là encore une cinquième saveur dans la cuisine chinoise : salé, sucré,
acide, amer, mais encore aigre-doux.
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On mesure par-delà le drame où nous plonge la vision dite


scientifique du monde, de par l'orgueil qui a fait prendre pour une
supériorité la méconnaissance et l'incompréhension des visions
du monde antérieures. Surtout, et c'est là tout l'esprit de
suffisance des « Lumières », on présuppose a priori que tout
changement est un progrès, si bien que la confrontation avec les
savoirs, les pensées et les émotions des Anciens disparaît, et avec
elle le moyen de préserver l'humilité intellectuelle dont la science
et la réflexion continuent d'avoir besoin pour s'affiner et gagner
en compréhension. Il n'y a guère qu'en cuisine et en gastronomie
où l'ancien et la qualité continuent de faire bon ménage, mais
dans la plupart des domaines (art, liturgie, écriture, médecine,
etc.) semble régner le mot d'ordre : « tout (n'importe quoi), sauf
ce qui se faisait avant ! »
Or une règle négative ne peut rien suffire à fonder. Il ne faut
donc pas s'étonner du délitement général des schémas de pensée
et du simplisme des raisonnements, allant souvent de pair avec
les fausses certitudes de la science moderne. Déjà en 1794,
l'ingénieur Charles Coquebert avait aperçu le danger et appelait à
la prudence intellectuelle : « Pour nous, jaloux d’épargner à nos
concitoyens ces erreurs qui discréditent l’Art des Mines, nous
suivrons avec eux l’humble sentier de l’Observation, nous
conclurons peu, nous douterons souvent et nous les engageons à
se méfier du ton d'assurance qu’il est si facile de prendre et si
dangereux d'écouter16. »
Par comparaison avec l'appauvrissante et stérilisante vision
scientiste, la vision biblique et chrétienne du monde apparaît
d'une richesse incomparable, à la fois simple et subtile quand
l'autre est compliquée et grossière. Simple, car elle accepte les
choses pour ce qu'elles sont. Pour le naturaliste chrétien le cheval
est cheval car il a été créé tel17 : il ne reste qu'à l'admirer, le bien
connaître et remercier Celui qui a établi cette profonde harmonie
qui s'établit à l'usage entre monture et cavalier18, faite
16
Charles-Étienne COQUEBERT de MONTBRET, Journal des Mines n°1,
vendémiaire An III (septembre 1794), p. 10.
17
Bien sûr, telle race équine résulte d’une lente et habile sélection, mais les
grands traits morphologiques sont héréditaires et le couple ancestral, au
sortir de l’Arche, avait conservé les caractères majeurs du « type » créé ex
nihilo.
18
Notons au passage que Dieu a créé des animaux « domestiques »,
spécifiquement destinés à servir l’homme (Gn 1, 24). Leur domestication ne
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d'interdépendance matérielle, certes, mais aussi d'affection et


d'intuition divinatrice. Pour l'évolutionniste, en revanche, le
cheval n'est pas ce qu'il est, mais résulterait d'un processus
inconnu l’ayant fait descendre d'un ancêtre hypothétique dont
nous ne connaîtrons, au mieux, que quelques os. Cette approche,
introduisant à la connaissance par la ratiocination, détruit
d'emblée l'étonnement et l'admiration qui, aux dires de Platon,
sont le point de départ de toute science. On n’a plus devant soi un
être merveilleux à contempler, mais un tas d’os et de tendons
vêtus de chair animée et qu’il faut expliquer par autre chose que
lui-même et par des causes uniquement matérielles.
On objectera que cette recherche insensée d'arbres
« phylogénétiques » n'occupe qu'un petit nombre d’universitaires
qui en ont fait leur spécialité. Exact ! Mais c'est la vision du
monde de tous qui est affectée par cette « ancestromanie19 » :
notre regard même sur les êtres, influencé qu'il est par les
présentations scolaires.
Simple dans son regard, car elle prend les êtres pour ce qu'ils
sont, la vision chrétienne du monde n'en est pas moins subtile.
Elle ne se précipite pas pour croire qu’elle a compris, car elle sait
que l'intelligence créatrice prend des chemins qui ne sont pas les
nôtres : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 58, 8).
En revanche, le sutor, ne supra crepidam20! n'a plus cours
dans la société humaniste où l'homme s'est fait la mesure de toute
chose, avec pour premier effet de toujours chercher à réduire le
réel au connu. Or la capacité à observer est aujourd'hui plus que
jamais compromise par l'addiction aux écrans.

constitue donc nullement une déchéance, mais un accomplissement. De là


l’erreur de certains « écologistes » dont l’unique modèle mental est l’animal
sauvage. Le mal (éventuel) n’est pas dans la laisse ou dans la bride, mais
dans le maître indigne de son noble rôle.
19
Selon le mot si juste du Pr Pierre Rabischong qui a développé ce thème
dans sa conférence donnée au CEP au Colloque 2004 : « Les bases
scientifiques du programmisme » (CD 0406).
20
« Cordonnier, (ne juge) pas au-delà de la sandale ! ». Réplique
proverbiale attribuée au peintre Apelles de Kos ( IVe siècle A.C.), lorsqu’un
cordonnier, lui ayant fait de justes remarques sur le dessin d’une sandale, se
mit à critiquer le reste du tableau.
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Il est donc facile de prédire que les béquilles qui nous


prolongent par l'intelligence dite « artificielle » ne susciteront pas
les nouvelles découvertes fondamentales sans lesquelles la
science moderne va continuer à patiner malgré les immenses
progrès réalisés dans les outils d'observation : la compréhension a
divorcé de la connaissance. Même si la physique – pourtant
présentée comme le modèle de la rationalité scientifique – est le
domaine où il est aujourd'hui le plus flagrant, ce divorce s'étend à
toutes les disciplines, et la hâte à publier ne peut que le favoriser
encore. Ce ne sera donc en rien nuire à la science que de rejeter
l'actuelle vision scientiste du monde pour revenir à celle qui
habitait les propres fondateurs de la science européenne.
Alors, le savant, le poète et le mystique partageaient le même
langage et pouvaient s'enrichir mutuellement. Alors, les
politiques eux-mêmes savaient qu'une erreur intellectuelle se
répercute toujours, de quelque manière, sur la société, et tous
comprenaient que l'harmonie sociale ne pourrait jamais résulter
d'un équilibre artificiel entre les égoïsmes mais seulement, selon
le mot de Pie X, « de l'unité des esprits dans la vérité et de l'union
des cœurs dans la charité ».

* *

À noter le prochain colloque du CEP :


à Paris (Orsay)

les 28 et 29 septembre 2019

Thème : La chrétienté : passé, présent et avenir.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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SCIENCE ET TECHNIQUE
« Les rationalistes fuient le mystère
pour se précipiter dans l’incohérence. »
(Bossuet)

Teilhard de Chardin : une réhabilitation impossible

Dr Laurent Rebeillard

Présentation : Prophète enthousiaste de l’Évolution, adulé par les organisations


internationales et soutenu par de multiples associations locales d’« amis de
Teilhard de Chardin », il était devenu inévitable de faire repentance sur la
malencontreuse condamnation, par le Saint-Office de 1962, du génie théologique
qui, au risque d’être incompris, avait pris sur lui d’enseigner à l’Église les voies
de sa réconciliation avec le monde. Mais les idées sont ici inséparables de
l’homme qui les a portées : il importait donc, c’est l’intérêt de cet article, de
retracer l’ensemble du paysage afin de bien comprendre tout l’enjeu de cette
probable réhabilitation.

Le 25 novembre 2017, sous la plume de Francesca de


Villasmundo, le site Médias-Presse.info signalait que la
réhabilitation de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), jésuite et
anthropologue dont les écrits avaient été condamnés par le Saint-
Office en 1962, était désormais à l'ordre du jour :

« L'Assemblée plénière du Conseil pontifical pour la Culture a


approuvé à une large majorité une proposition envoyée au pape
François dans laquelle il lui est demandé d'étudier la possibilité de
retirer le Monitum de 1962 qui pèse sur les œuvres du jésuite
Pierre Teilhard de Chardin. Cette pétition a été signée le 18
novembre dernier durant les travaux de l'Assemblée réunie autour
du thème : “Le futur de l'humanité : les nouveaux défis pour
l'Anthropologie”. La demande est motivée comme suit :

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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“Nous retenons qu'un tel acte non seulement réhabiliterait


l'effort sincère du pieux jésuite dans la tentative de réconcilier
la vision scientifique de l'univers avec l'eschatologie chrétienne,
mais représenterait aussi une formidable stimulation pour tous
les théologiens et les scientifiques de bonne volonté à collaborer
dans la construction d'un modèle anthropologique chrétien
qui, en suivant les indications de l'encyclique Laudato Si’,
s'inscrit naturellement dans la merveilleuse trame du Cosmos.”
La lettre contenant cette proposition a été consignée hier, 24
novembre, au pape François, qui lors de la plénière avait souhaité
aux participants “un dialogue majeur entre l'Église, la
communauté des croyants et la communauté scientifique”. Les
signataires dans ce courrier de peu de lignes expliquent au Pontife
que durant les travaux de l'Assemblée est ressortie la sensation
que la pensée de Teilhard a été mal
interprétée. D'où ce souhait que le
Monitum qui frappe ses livres soit levé.
Souhait auquel, espèrent-ils, le Pape
actuel répondra positivement puisque la
doctrine de Teilhard de Chardin ne lui
est pas inconnue. Dans Laudato Si’, le
Pape le cite une fois (cf. n° 83) en
faisant remarquer sa contribution, qu'il
estime positive, à un christocentrisme de
souffle cosmique. »

Fig. 1. Le P. Teilhard de Chardin.

Cette demande de réhabilitation du jésuite Teilhard de Chardin


(1881-1955) est somme toute assez naturelle. Sa pensée influença
énormément les principaux inspirateurs du concile Vatican II.
Ordonné prêtre en 1911, dans l'Ordre des Jésuites, Teilhard de
Chardin s'était passionné très tôt pour la théorie de l'évolution de
Darwin. Il a mené une double carrière d'anthropologue et
d'écrivain, s'attachant dans ses ouvrages successifs à développer
une nouvelle théologie en adéquation avec une « évolution » qui
lui semblait indiscutable sur le plan scientifique.
Il est amené très tôt à rejeter le dogme du péché originel,
incompatible avec son idée darwinienne d’un progrès dans la
nature :

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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« Si le dogme du péché originel nous ligote et nous anémie,


c'est tout simplement parce que, dans son expression actuelle, il
représente une survivance de vues statiques périmées au sein de
notre pensée devenue évolutionniste. L'idée de chute n'est en effet,
au fond, qu'un essai d'explication du Mal dans un univers fixiste. À
ce titre, il est hétérogène à nos représentations du Monde. Voila
pourquoi il nous opprime. Par suite, c'est le problème du mal,
dans ses relations avec le Christ, qu'il nous faut, si nous voulons
respirer, reprendre et repenser, dans un style approprié à nos vues
cosmiques nouvelles » (Christologie et évolution).
Rejetant tout à la fois la création divine d'Adam et Ève –
présentés dans la Bible comme les ancêtres de toute l'humanité –,
leur péché de désobéissance et leur chute, à l'origine de la
corruption du genre humain, Teilhard s'attira rapidement les
foudres de certains théologiens.
Dès 1921, après la lecture d'une étude de Teilhard sur le péché
originel, le Saint-Siège lui interdit de publier d'autres ouvrages et
la Compagnie de Jésus lui demande d'abandonner l'enseignement.
En 1955, ses œuvres post-mortem furent condamnées par le Saint-
Office qui, le 30 juin 1962, édita un Monitum particulièrement
sévère, qui mettait en garde contre les idées hérétiques du Père
jésuite :

« Certaines œuvres du P. Pierre Teilhard de Chardin, même


des œuvres posthumes, sont publiées et rencontrent une faveur qui
n'est pas négligeable. Indépendamment du jugement porté sur ce
qui relève des sciences positives1, en matière de philosophie et de
théologie, il apparaît clairement que les œuvres ci-dessus
rappelées fourmillent de telles ambiguïtés et même d'erreurs si
graves qu'elles offensent la doctrine catholique.
Aussi les EEm. et RRv. Pères de la sacrée Congrégation du
Saint-Office exhortent tous les Ordinaires et Supérieurs d'Instituts
religieux, les Recteurs de Séminaires et les Présidents d'Université

1
Ndlr. On notera, une fois de plus, la réticence des théologiens à même
simplement opiner sur des questions scientifiques. Quel chemin parcouru en
un demi-siècle, puisque dans le décret Lamentabili, le 3 juillet 1907, saint P IE
X condamnait comme moderniste l’idée que « le dépôt de la foi ne contenant
que des vérités révélées, il n’appartient sous aucun rapport à l’Église de
porter un jugement sur les assertions des sciences humaines » (§5).

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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à défendre les esprits, particulièrement ceux des jeunes, contre les


dangers des ouvrages du P. Teilhard de Chardin et de ses
disciples. »

Dans son livre Création et Rédemption2, le père Boulet a


résumé l'œuvre et la pensée de Teilhard :
« L'œuvre de Teilhard est incontestablement liée à la théorie
transformiste de Darwin, qui n'est pourtant qu'une hypothèse à
laquelle aucune preuve n'a pu être apportée. Ni la Science, ni la
Révélation ne contraignent à être transformiste. Dans la mesure
où il faut faire violence à la doctrine catholique traditionnelle
pour la faire concorder avec un évolutionnisme hypothétique, il y
a une grande imprudence à adopter la vision teilhardienne.
La pensée de Teilhard, qui conjugue l'apparence scientifique et
le lyrisme du visionnaire, exerce une certaine fascination sur les
esprits qui pensent y trouver la synthèse dont notre temps aurait
besoin pour opérer une heureuse réconciliation entre la science et
la foi. Mais en réalité :
L'œuvre de Teilhard – mis à part les mémoires scientifiques,
inconnus du grand public – n'est pas à proprement parler une
œuvre scientifique, bien qu'elle se dise parfois telle et soit d'un
homme qui était spécialiste en paléontologie. Il lui manque les
vérifications expérimentales et la rigueur logique des exposés
scientifiques,
Beaucoup de lecteurs de Teilhard sont victimes d'un
malentendu : parce qu'il a la réputation d'être un homme de
science, ses lecteurs pensent que tous ses écrits offrent les
garanties des œuvres scientifiques. En fait, on peut être savant et
écrire autre chose qu'un traité de science, de la poésie par
exemple, ou un texte qui soit l'expression de sa vision personnelle,
une vision qui s'inspire de la science, mais qui se présente comme
une extrapolation nourrie d'intuitions personnelles. Les
apparences scientifiques (sujet, vocabulaire, raisonnements...) ne
suffisent pas pour que l'œuvre de Teilhard puisse être considérée
comme une œuvre scientifique. Il lui manque un certain nombre
de qualités telles que l'objectivité, les preuves, la démonstration.

2 P. André BOULET : Création et Rédemption, Paris, Téqui, 1995.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


15

Sa finalité elle-même est davantage d'exprimer une vaste


synthèse personnelle originale mettant en forme un certain nombre
d'hypothèses.
L'œuvre de Teilhard n'est pas davantage une œuvre
théologique, car elle n'en a pas le caractère rigoureux. Bien qu'il
cite parfois quelques textes de l'Écriture à l'appui de ses thèses,
son œuvre n'est pas une réflexion systématique à partir de la
Révélation divine. Là aussi, les apparences ne doivent pas faire
illusion sur le genre de discipline que pratique l'auteur.
Dès lors, comment qualifier cette œuvre ? Dans quel genre la
classer ? À en juger par son style lyrique et imagé, abondant en
néologismes, il s'agirait d'une vision poétique, une vision
grandiose laissant libre cours aux élans spirituels, aux
affirmations enthousiastes, dans un style souvent éblouissant. Une
vision dans laquelle le chrétien retrouve comme transfigurées des
vérités dont la formulation traditionnelle lui semble
comparativement assez terne. Vision puissante et cohérente dans
laquelle l'intelligence, la sensibilité, la générosité, le sens spirituel
de Teilhard sont manifestes, mais où sa foi se laisse contaminer
par des rêves pseudo-scientifiques. Une vision que l'on ne peut
adopter sans renoncer à l'enseignement authentique du magistère
de l'Eglise sur des notions essentielles (la Création, la
Rédemption, le péché, la transcendance divine...). Étienne Gilson
la qualifie de “marécage doctrinal où l'on est certain de s'enliser
si l'on s'y hasarde”. Et il poursuit : “la théologie teilhardienne est
une gnose chrétienne de plus et, comme toutes les gnoses, de
Marcion à nos jours, c'est une théologie-fiction”. »
De multiples théologiens ont analysé la pensée de Teilhard, si
contraire à la théologie traditionnelle qu'elle peut être qualifiée
d'hérétique. Dans son livre publié en 1967, Alain Tilloy qualifiait
même Teilhard de « prophète de l'Antéchrist », annonçant, dans
son utopie d'une unification future de toutes les religions, une
Noosphère « luciférienne ». Teilhard est de fait un des maîtres à
penser du Nouvel Âge, mouvement spirituel panthéiste et
d'inspiration gnostique3. Mais que reste-t-il de son œuvre sur le
plan scientifique ?

3
Ndlr. Sur cette présence de Teilhard dans les discours mondialistes ou
maçonniques, se reporter à D. TASSOT, « Le teilhardisme : une religion de
l’Évolution », in Le Cep n° 32, p. 1-10.

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Teilhard a participé à la découverte des restes de plusieurs


« chaînons manquants », considérés comme les intermédiaires
entre le singe et l'homme, dont la recherche était active au début
du XXe siècle. L'article d'Arnaud Hurel, « Le paléoanthropologue
et l'artiste », situe clairement le cadre de ces recherches. Historien,
docteur en histoire contemporaine, ingénieur au département de
préhistoire du Muséum national d'histoire naturelle, Arnaud Hurel
rend compte d'un Séminaire du 20 mars 2008, publié sur le site
artsetsocietes.org /f/f-hurel.htm. Il note que « les reconstitutions
des êtres fossiles à fins muséographiques ou “pédagogiques” sont
pratiquées depuis longtemps, qu'il s'agisse des célèbres dinosaures
de Waterhouse Hawkins, réalisés grandeur nature et exposés à
Crystal Palace en 1851, ou du Pithécanthropus erectus de Java
présenté par Eugène Dubois au Pavillon des Indes néerlandaises
de l'exposition universelle de 1900. »
Après l'homme de Java, c'est l'homme de Néanderthal qui va
occuper les paléontologues au début du XXe siècle. « C'est en août
1908 que les abbés Jean et Amédée Bouyssonie, leur frère Paul et
leur ami l'abbé Louis Bardon, mettent au jour à la Chapelle-aux-
Saints (Corrèze) un squelette presque complet de Néanderthalien.
L'ensemble est confié à Marcellin Boule, professeur de
paléontologie du Muséum national d'histoire naturelle, qui se livre
alors à un travail long et minutieux de reconstitution (certains os
ont été brisés, dont le crâne en une trentaine de morceaux) et
analyse. Il publie ses résultats dans une monographie, où il se
pose en “simple traducteur des faits observés”, qui va devenir un
ouvrage de référence pour des générations d'anthropologues et va,
pour partie, orienter les réflexions sur l'homme de Neanderthal.
En 1918, à l'issue d'une conférence au cours de laquelle le
paléontologue présentait cette recherche, le sculpteur-graveur
Joanny Durand écrit à Boule pour lui annoncer qu'il existe à Paris
“un homme d'un certain âge qui présente tous les caractères de la
race simiesque : cou court et très musclé, jambes arquées, marche
en flexion, avant-bras très longs retombant naturellement en
pronation complète, les coudes éloignés du torse, crâne en carène,
arcades sourcilières très proéminentes, nez très large,
prognathisme exagéré du maxillaire inférieur, etc.”. Et cet
individu est le modèle de Rodin pour son “Penseur” de “la Porte
de l'enfer”.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Répondant à une attente du public, Boule va faire appel au


talent de Durand pour réaliser, en 1921, une reconstitution
présentée en bonne place dans son manuel de paléontologie
humaine. »

Fig. 2 : Reconstitution de la tête et du cou de l'Homo neanderthalensis


de la Chapelle-aux-Saints.

« En Chine également – poursuit Arnaud Hurel – les nouvelles


découvertes d'hommes fossiles sont l'occasion de se livrer à
l'exercice de la reconstitution. La mise au jour, entre 1927 et
1937, à Chou-Kou-Tien, à une soixantaine de kilomètres de Pékin,
des restes d'un Homo erectus (Sinanthropus pekinensis) est un
événement scientifique majeur. L'anthropologue chargé de sa
diagnose, Franz Weidenreich, s'attelle à un travail de
reconstitution en partant d'un crâne et de quelques éléments de la
face. L'objectif de Weidenreich est clairement de reconstituer le
“type” fossile, le “type” du Sinanthrope. Là aussi le scientifique
va faire de cette opération un vecteur pour ses propres idées. Il
choisit, par exemple, de reconstituer une femelle (bien que les
éléments dont il dispose ne permettent pas d'en déduire une telle
gracilité) et accroît l'expression des caractères archaïques
(simiens), tout en laissant transparaître des traits asiatiques
actuels. Il accentue ainsi l'idée de continuité, qui permet de
conforter sa théorie de l'évolution locale (multirégionale) des
hommes modernes.

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Le nouvel Homme de Pékin qui, en 1926, avait fait son entrée


sous le sobriquet de “Pekin's lady”, gagne, dix ans plus tard, avec
l'équipe internationale qui travaille à sa reconstitution, un visage
(réalisé par la sculptrice Lucile Swan) et un prénom (Nelly). »

Fig. 3 : Lucile Swan4,


sous la direction de Franz
Weidenreich, et « Nelly »
(Sinanthropus pekinensis),
1937 (cliché Fondation
Teilhard de Chardin).

Fig. 4 : Lucile Swan


dans son atelier.

Voilà dans quel contexte intervint Teilhard de Chardin qui, de


1923 à 1935, effectua plusieurs voyages en Chine, cautionnant par
sa présence le Sinanthrope de Chou-Kou-Tien, et devenant un ami
intime de la sculptrice qui lui a donné un visage, Lucile Swan.

4
Ndlr. On notera la similitude entre le sculpteur et son œuvre. Dans le premier
cas de reconstitution, celui de l’Homme de Java pour l’Exposition Universelle
de Paris en 1900, Jean, le fils d’Eugène Dubois, avait servi de modèle (Les
Dossiers de la Recherche, n° 32, août 2008, p. 50). On dit que les
reconstitutions actuelles sont plus « scientifiques », mais recréer un visage à
partir de morceaux d’un crâne souvent brisé risque de demeurer longtemps un
art plutôt qu’une science (avec ou sans ordinateurs).

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Dans une série d'articles parus en 1981, pour le centenaire de sa


naissance, dans la revue La Contre-réforme catholique au XXe
siècle, l'abbé de Nantes considérait que l'œuvre de Teilhard se
résumait à une série de fraudes scientifiques. « Sur ces fraudes,
écrit-il, un livre fait la complète lumière, avec honnêteté et
compétence, celui du Rev. O'Connell, Science d'aujourd'hui et
problèmes de la Genèse (Action-Fatima 1963). »
Nous retranscrivons ici le résumé que donne l'abbé de Nantes
du livre du RP. O'Connel avec ses commentaires :
« Darwin ayant décidé que l'homme descendait du singe par
évolution lente et sélection naturelle, ses disciples se mirent en
quête du “chaînon manquant”, être intermédiaire qui prouverait
indiscutablement le passage de l'un à l'autre. Jusqu'ici, rien que de
normal. On trouva donc des fossiles de “pithécanthropes”, c'est-à-
dire de singes-hommes, moitié singe, moitié homme. Une fois,
deux fois, trois fois. Quand les fixistes éventèrent les supercheries,
ils en firent la matière convaincante de leur réfutation de
l'Évolution et le fondement de leur thèse d'une création directe de
l'homme par Dieu à partir du limon de la terre, selon la lettre de la
Bible. Et les paléontologistes ? Si la fraude est patente, ils cessent
subitement d'en parler. Si elle reste peu connue du public, ils se
débrouillent de leur mieux, pour en parler sans trop s'engager.
Mais en observant les deux lois suprêmes de la maffia darwinienne
internationale : on ne se critique pas entre collègues ; on fait front
contre les cléricaux.
Il est extrêmement instructif, pour qui sait le fond ténébreux,
scandaleux, de certaines impostures, d'aller voir chez Piveteau,
Arambourg, Coppens, Heim, Caries, Clarke, etc., la manière dont
chacun d'eux s'en tire. Marcellin Boule lui-même, le plus grand...
Les fraudes majeures de la génération fondatrice demeurent ainsi,
aujourd'hui encore, des piliers de l'argumentation
paléontologique, darwinienne, d'une continuité biologique et
psychique totale de l'animal à l'homme. Ce sont Java, Piltdown et
Chou-Kou-Tien.

1. Le faux pithécanthrope de Java.


Le Dr Dubois, médecin militaire hollandais, part pour Java en
1889, avec l'idée bien ancrée qu'il y trouvera le chaînon manquant,
selon les prédictions de l'infaillible Darwin.

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Il le trouve en 1891, le dénomme Pithecanthropus erectus ( le


Singe-homme dressé ), et publie un rapport convaincant sur sa
découverte en 1895. Il exhibe une calotte crânienne, d'apparence
simienne, dont il évalue le volume cérébral à 850 cm3, à peu près à
égale distance de celui du chimpanzé et de celui de l'homme. Et un
fémur de type humain, dont il omet de préciser qu'il l'a trouvé à
15 m de ladite calotte. Mais il ne souffle mot des deux crânes
humains de 1 550 et 1 650 cm3 qu'il a trouvés dans les parages ! Il
les exhibera trente ans plus tard, en 1925. Ces crânes humains ne
troublent pas les paléontologistes. Ils les font figurer à part du
premier lot sous une autre dénomination, dans leurs nomenclatures,
et le tour est joué, la fraude est consolidée : c'est “l'Homme de
Wadjack”, découvert par Dubois en 1888-1889, date fantaisiste (R.
GESSAIN, Catalogue de l'exposition organisée par le Musée de
l'Homme en 1977, p. 136).
De nouvelles expéditions (Ngandong, sur la rivière Solo) ont
fourni des dents, des crânes humains de 1 100 à 1 300 cm3. Enfin,
le Dr Koenigswald a trouvé des crânes de volume cérébral
intermédiaire, de 800 à 900 cm3, sauvant ainsi le Pithécanthrope
d'un entier discrédit.

Fig. 5 : Teilhard et le professeur von Kœnigswald sur le site de Trinil


(1935).

La fraude indéniable... et avouée par Dubois trente ans plus


tard, a été d'associer par fanatisme évolutionniste, ce fémur
d'homme moderne, non pas avec les crânes humains trouvés dans
le même champ paléontologique, mais avec un débris de crâne de
gibbon, comme s'ils appartenaient l'un et l'autre au même individu.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Et les paléontologistes sont des fraudeurs encore aujourd'hui,


quand ils exposent ce fémur humain dans la vitrine du
Pithécanthrope, comme preuve de son hominisation avancée et de
sa station droite d'Homo erectus. Et plus loin, dans une autre salle,
celle de l'Homme de Néanderthal, un million d'années les
séparant5, les crânes de l'Homme de Wadjack, de telle manière que
les visiteurs ne puissent faire le joint.
Ce joint que la science réclame, dont le darwinisme officiel ne
veut pas, le voici : à Java, il y a 10 000 ans, vivaient des hommes
préhistoriques qui chassaient des grands singes, dont certaines
caractéristiques anatomiques tendent à faire une espèce en
évolution vers la forme humaine.

2. Le faux Eoanthrope de Piltdown.


Le 18 décembre 1912, le Manchester Guardian annonce la
spectaculaire découverte du ‘’chaînon manquant’’, à Piltdown
(Sussex), par les honorables Charles Dawson et Arthur Smith
Woodward du British Museum. C'est l'Eoanthropus Dawsoni. Ils
ont trouvé un crâne, récemment brisé, privé de sa partie faciale et
une mandibule simiesque munie de deux dents usées à la manière
humaine ; le condyle manque, les canines aussi et l'emboîtement
n'est pas évident. Peu importe. La capacité crânienne de 1 070 cm3,
selon l'évaluation de Dawson, en fait l'intermédiaire rêvé.
Toutefois le Dr Keith conteste l'ensemble de la découverte : le
volume cérébral est de 1 500 cm3, ce crâne ressemble à celui d'un
bourgeois de Londres. Le moulage endocrânien est d'un homme
moderne. Marcellin Boule estime que cette mâchoire de
chimpanzé ne s'accorde pas avec ce crâne d'homme. Keith
demande d'autres éléments, tels que les canines...
En 1913, le jeune jésuite Pierre Teilhard de Chardin, lié
d'amitié intime avec Dawson, au point que celui-ci écrivait à
Woodward : “Teilhard est parfaitement sûr” (!), Teilhard donc
trouva, en passant au crible les déblais du site de Piltdown,
justement la canine tant désirée !

5
Ndlr. Il est intéressant de noter, dans le cas du P. O’Connell comme de
bien d’autres antiévolutionnistes, que leur croyance dans les longues durées
de la géologie actualiste ne les empêche pas de conclure contre l’Évolution.
Les longues durées sont certes une condition nécessaire à la thèse
évolutionniste, mais nullement une condition suffisante.

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Ainsi que des outils primitifs, un ivoire sculpté, dix- huit


fossiles d'animaux vieux de 500 000 ans. Et l'Homme-Singe de
Piltdown prit place parmi les documents les plus probants de la
descendance simienne de l'homme jusqu'en 1953, quarante ans
plus tard, où deux tests au fluor ramenèrent l'antiquité des restes de
Piltdown de 500 000 à 50 000 ans. L'enquête, reprise avec soin,
prouva que le crâne était celui d'un néanderthalien,
artificieusement brisé, et la mâchoire, celle d'un singe moderne. La
dent de Teilhard avait été limée pour faire aller le tout ensemble,
les divers os teints pour les vieillir. Le reste avait été ramassé
ailleurs.

Fig. 6 : Les quatre suspects dans l’imposture de Piltdown.

Le Bulletin du British Museum rendit compte de la fraude et le


silence se fit. Teilhard le naïf (ou le faussaire ?) avait été joué (ou
avait trompé son monde ?) et s'était fait la garantie bourgeoise de
l'énorme escroquerie, y gagnant pour sa part la renommée d'un
savant paléontologiste de notoriété internationale. Que pensez-
vous qu'il fit, en 1953 ? Alors au sommet de sa gloire, il continua à
croire à sa “découverte” de jeunesse, il ne changea rien à ses
théories et n'y perdit rien de son prestige. La très maçonnique
Unesco fête solennellement cette année, en 1981, le centenaire de
la naissance de cet illustre imposteur.

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3. Le faux Sinanthrope de Chou-Kou-Tien.


C'est le père Licent, jésuite aussi saint que savant, qui découvre
ce site paléontologique de Chou-Kou-Tien, près de Pékin, et en
commence l'exploitation en 1912. Il est bientôt évincé par une
équipe internationale abondamment subventionnée par la
Fondation Rockefeller.
Teilhard y est envoyé par le Musée de l'Homme, en 1926,
comme “observateur”. Marcellin Boule lui trouve cette mission
scientifique lointaine fort opportunément, car il a cessé d'être
persona grata à l'Institut catholique de Paris où son modernisme
fait scandale.
Des molaires trouvées en 1922 et en 1927 sont déclarées, par
Davidson Black et le chinois Wang, appartenir à un “hominidé
inférieur” qu'ils nomment Sinanthrope. Cette découverte apporte,
dit-on dans la presse mondiale, une aide décisive à l'interprétation
des fossiles de Piltdown (!). Teilhard assure la continuité.

Fig. 7 : Teilhard et l’abbé Breuil à Chou-Kou-Tien en 1935.

En 1929, découverte de nombreux crânes brisés, de grande


capacité cérébrale, que Teilhard décrit en 1930 comme simiesques
(grande largeur sous-auriculaire, occiput triangulaire) ; aucune
trace de feu ni d'outils. En 1931, Black écrit dans Paleontologia
sinica l’article : « Sur un crâne de Sinanthrope adolescent. »
Curieusement, c'est la description d'un moulage de crâne, de
capacité estimée à 950 cm3, intermédiaire, dit Black, entre
l'Homme de Java et l'Homme de Néanderthal.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Sur le moulage, évidemment !, n'a pas été représenté ce trou


caractéristique que tous les crânes des Sinanthropes portent à leur
sommet, visiblement fait pour en extraire la cervelle. Ont signé
Black, Teilhard, Young et Pei.
En 1932, l'abbé Breuil, paléontologiste éminent autant
qu'évolutionniste fanatique, visite les lieux. Son article décrit des
débris de cuisine énormes, 10 000 mètres cubes, signale la
présence de 2 000 pierres taillées amenées de loin, des crânes de
Sinanthrope mêlés à des os de différents animaux. Il ne se
prononce pas sur le fond de la question. Marcellin Boule a tout de
suite estimé que « le chasseur était un homme véritable dont on a
retrouvé l'industrie typique et qui faisait sa victime du
Sinanthrope. Celui-ci n'est donc pas le monarque de Chou-Kou-
Tien, mais le gibier du roi de ces lieux », dont on ne retrouvera pas
le squelette dans ses débris de cuisine (article de 1934) ! C'est
l'évidence même.
En 1933, Teilhard relate pour la Revue des questions
scientifiques la découverte des débris de cuisine, des crânes de
Sinanthrope, tous de même gabarit du haut en bas du site exploré,
et de maints outils de pierre et d'os. Il prend le contre-pied de son
maître, Marcellin Boule, en attribuant au Sinanthrope une forte
capacité crânienne et en faisant de lui l'auteur de cette cuisine et de
cette industrie. C'est la promotion remarquable du Sinanthrope au
rang d'Homo faber.
Or, il termine son article, cinq mois plus tard, sous le coup de
l'émotion, par l'annonce d'une grande découverte : Pei vient de
mettre au jour trois crânes d'adultes non mutilés et, pour la
première fois, des fémurs et d'autres parties de squelettes. Teilhard
déclare que ce sont des Homo sapiens, mais rapporte qu'on les a
trouvés dans un autre site6. Explication vague et fourbe qui
demeurera parole d'évangile jusqu'à nos jours.
Le 15 mars 1934, Black meurt subitement au milieu de ses
fossiles. Le Dr Weidenreich lui succède. Chose prodigieuse : il
garde le silence sur ces neuf ou dix squelettes Homo sapiens
découverts en 1933. Pei et Teilhard les lui ont-ils cachés ? Qui
trompe qui ? Il n'en connaîtra ou n'en avouera l'existence qu'en
1939, et de nouveau en 1945, mais comme de fossiles trouvés dans

6
Ndlr. C’est ici une question de mots : il s’agit bien du même site de Chou-
Kou-Tien, mais d’un autre lieu sur le site.

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la couche supérieure, de genre Homo sapiens, mongoloïdes.


Teilhard, lui, refusera toujours de reconnaître, dans cette petite
famille écrasée accidentellement par un éboulis sur les lieux
mêmes de ses activités, les chasseurs de Sinanthropes, friands de
cervelles, prévus par Boule. Car ce sont des hommes modernes !
Le Dr Pei a “trouvé” en 1936, trois crânes : d'un mâle, de deux
femelles. L'article de vulgarisation de Teilhard n'en donne aucune
description, et pour cause ; il est rempli d'inexactitudes sur le site
de Chou-Kou-Tien, où Teilhard n'allait presque jamais. Dans cet
article, Teilhard osait écrire qu'aucune trace n'avait été trouvée de
l'hypothétique Homo sapiens supposé par Boule pour expliquer
l'industrie (cf. O' Connell, p. 89). Il oubliait qu'il en avait signalé
lui-même la découverte en 1934...
Comment ne pas supposer que cette découverte de 1936 est de
pure invention, son seul but étant de faire oublier la petite famille
Homo sapiens imprudemment révélée et décrite par Teilhard dans
Les Études de 1934 ?
En 1939 et plus tard en 1945, revenu en Californie,
Weidenreich avouera la vérité, et cela malgré les dénégations de
Teilhard. Il produira les photos de la petite famille découverte en
1933. Et la vérité se fera jour dans un tout petit cercle d'initiés.
Après des centaines de milliers d'années de présence paisible du
Sinanthrope en Chine, arrivèrent des représentants de l'espèce
Homo sapiens, qui s'établirent à Chou-Kou- Tien, y firent leurs
outils, leur cuisine, et pourchassèrent le Sinanthrope. L'étude
objective des sites et de leurs couches superposées de fossiles
démontre que la taille des outils et la maîtrise du feu n'apparaissent
pas avant la venue de l'Homo sapiens... que nous n'aurions jamais
rencontré dans sa cuisine si un grand malheur n'était pas arrivé à
cette famille surprise par un éboulement, écrasée avec son gibier
prêt à cuire, et retrouvée providentiellement par Pei en 1933 ! Mais
la « Science » mondiale, subventionnée par la Fondation
Rockefeller et l'Unesco, continue de croire au Sinanthrope de
Teilhard. J'accuse la maffia paléontologique de faux et usage de
faux en vue d'abuser le monde sur la descendance simienne de
l'Homme.
Quant à Teilhard, laissons le Rev. O' Connell, qui l'a connu sur
le terrain de ses exploits imaginaires, à Pékin, prononcer son
oraison funèbre :

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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« Il était simplement comme un enfant qui n'aurait jamais


grandi. Il possédait une connaissance merveilleuse de tous les
termes techniques employés par les géologues et les
paléontologistes, mais c'était tout. Ce qui est tragique, c'est que les
opinions d'un tel homme, absolument sans valeur, aient influencé
l'enseignement d'éminents savants. »
Le Révérend O'Connel, à la page 117 de son livre Science
d'aujourd'hui et les problèmes de la Genèse, a tiré des conclusions
générales au sujet de l'Origine de l'homme d'après les résultats de
cent ans de recherches d'une liaison entre l'homme et l'animal :
1. Depuis le livre de Darwin De l'Origine des espèces, paru en
1859, cent années de recherches nous ont fourni une histoire
raisonnablement certaine de l'homme sur la terre et de ses activités
en remontant jusqu'à l'époque d'Adam et Ève.
2. L'étude et la classification des fossiles trouvés montrent que
la race prédominante durant le Paléolithique inférieur (qui nous
fournit des spécimens des premiers instruments de l'homme) fut la
race de Néanderthal. On convient maintenant que les hommes de
cette race avaient un physique puissant ; qu'ils avaient toutes les
caractéristiques de l'Homo Sapiens ou homme normal ; qu'ils
avaient des arcades sourcilières proéminentes et le menton fuyant ;
et que la race s'éteignit et ne peut donc par conséquent être
considérée comme un chaînon dans le développement de l'homme.
Comme l'on trouve l'Homme de Néanderthal dans toutes les
contrées d'Europe qui n'ont pas été affectées par l'époque glaciaire,
dans toute l'Afrique et l'Asie Mineure, et comme un petit nombre
seulement de fossiles d'autres races ou familles appartenant au
Paléolithique ont été trouvés, il est fort probable, sinon certain,
que la race de Neanderthal était la race de Caïn et certains des
autres fossiles de la même période appartenaient à la race de Seth
et d'autres, enfin, à la race qui résultat des mariages entre la race
de Caïn et la race de Seth.
3. Les restes fossiles que l'on présente comme des chaînons
manquants, les fossiles des Australopithèques, de l'Homme de
Pékin et de l'Homme de Java, n'ont aucun droit au titre de chaînons
manquants, ce sont juste des fossiles de grands singes.

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4. Comme l'on n'a trouvé aucun fossile d'homme appartenant à


la période du Paléolithique antérieure au hiatus ou Déluge, en
Amérique du Sud, en Australie, aux Indes, en Chine, ni nulle part à
l'Est des montagnes de l'Himalaya, ni dans aucune des parties du
monde affectées par la période glaciaire, il est très probable, sinon
certain, que l'homme, avant le Déluge, était confiné en Europe, en
Afrique et dans la partie de l'Asie à l'Ouest de l'Himalaya et peut-
être en Amérique du Nord.
Les crânes fossiles de Fontéchevade (découverts par Mlle
Henri Martin en 1947) représentent une race très probablement
plus ancienne que la race de Néanderthal. Comme ces crânes sont
parfaitement formés et sont similaires en tous les détails
importants aux crânes des hommes modernes, ils fournissent une
solide confirmation scientifique à la croyance commune à tous les
chrétiens, que le premier homme, Adam, était un être humain
parfaitement formé et non pas le résultat d'une évolution à partir de
l'animal.
Notre conclusion générale est que la Paléontologie nous
montre qu'il n'y a aucun lien génétique entre l'homme et l'animal,
ce qui confirme l'enseignement traditionnel selon lequel l'homme a
été spécialement créé par Dieu. Comme d'autre part les arguments
en faveur du polygénisme ou pluralité des ancêtres étaient
entièrement fondés sur la supposition que les fossiles tels que
l'Homme de Java, l'Homme de Pékin et les Australopithèques
étaient authentiques, et sur cette autre supposition sans fondement
que l'on trouvait l'homme en Amérique, aux Indes, en Chine, en
Indonésie, à la même époque, si ce n'est plus tôt qu'en Europe et en
Afrique, ces arguments s'écroulent et ainsi il existe une solution
pratique et scientifique de l'antiquité de l'homme, qui se trouve en
harmonie avec l'enseignement de l'Eglise catholique selon lequel
toute l'humanité descend d'un couple unique, Adam et Ève.
Rejeter le transformisme de Darwin et l'évolutionnisme théiste
de Teilhard impose donc de revenir au point de vue créationniste.
Faisant référence aux récits de la Genèse sur la création divine de
l'homme et de la femme, dans la Bible, Pie XII déclarait en 1952
aux membres de l'Académie Pontificale des Sciences :
« Dieu créa l'homme à son image et ressemblance... Ce n'est
que de l'homme qu'un autre homme peut naître qui pourrait
l'appeler père et aïeul.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


28

La compagne donnée au premier homme par Dieu vint aussi de


lui et elle est la chair de sa chair… prenant son nom de l'homme
parce qu'elle fut formée à partir de lui. Dieu a placé au sommet de
l'échelle des êtres vivants l'homme doué d'une âme raisonnable
comme prince et souverain du règne animal. Les multiples
investigations paléontologiques, biologiques ou morphologiques
sur l'origine de l'homme n'ont apporté jusqu'ici aucun résultat
clair et certain sur le plan positif. Il faut donc se tourner vers
l'avenir pour trouver une solution, quand la science illuminée par
la foi et sous la conduite de la Révélation, sera peut-être capable
d'arriver à des conclusions certaines et définitives concernant une
matière d'une aussi grande importance. »
On comprend, en lisant Pie XII, pourquoi Teilhard a été
justement condamné et combien il serait tragique qu'il soit
réhabilité. Mais on comprend aussi que beaucoup puissent le
souhaiter…

*********************************
Nos membres publient :
Gnose et Évolution. Étude critique de la pensée de
Teilhard de Chardin, par le Dr Laurent REBEILLARD

Lors de ses études, le Dr Rebeillard s’était passionné pour le


psychanalyste Carl Gustav Jung (1875-1961, disciple dissident de
Freud mais dont la « psychologie des profondeurs » fait une large
place à l’âme), dans lequel il voyait à juste titre l’heureux
dépassement de l’approche de l’homme largement matérialiste
dispensée dans les cours de médecine. Puis il revint à la foi
catholique et sut faire le lien entre la gnose et Jung, cet esprit féru
d’histoire des religions et d’alchimie. Lorsque Teilhard fut à la
mode, Laurent Rebeillard était donc armé pour en comprendre
certains aspects, ceux que le Grand-maître Jacques Miterrand
avait signalés de son côté lors de l’Assemblée Générale du
Grand-Orient tenue du 3 au 7 septembre 1962, rue Cadet, à Paris.
Il y déclarait : « Au nom de l’œcuménisme, les catholiques ne
restent pas fidèles, comme nous les francs-maçons, à leur passé
pour en tirer leçon, ils s’efforcent de rénover leur religion…

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Écoutez-bien : un jour, un savant s’est levé de leurs rangs, un


authentique savant1, Teilhard de Chardin. Il a commis, sans s’en
douter peut-être, le crime de Lucifer qu’à Rome on a tant
reproché aux francs-maçons : dans le phénomène de
« l’hominisation », et, pour reprendre la formule de Teilhard,
dans la « Noosphère », c’est-à-dire dans cette masse de
consciences qui entoure le globe, c’est l’homme qui est au
premier plan. Quand la conscience atteint son apogée, au point
« Oméga », dit Teilhard, alors c’est sûrement l’homme tel que
nous le désirons, libre dans sa chair et dans son esprit. Ainsi
Teilhard a mis l’homme sur l’autel et, adorant l’homme, il n’a pu
adorer Dieu.
« Rome l’a senti, qui, par toutes les puissances rétrogrades
groupées dans son sein, a condamné Teilhard. »

1
L’œuvre scientifique de Teilhard représente 2 000 pages de publications
diverses, principalement la description de fossiles et de faciès géologiques.
Il a donc du scientifique la formation et les travaux, et il serait injuste de lui
récuser ce titre. Mais Jean Rostand fait cette remarque intéressante :
« Quand on me demande ce que je pense de la ‘’théorie teilhardienne de
l’évolution’’ je surprends invariablement mon interlocuteur. Je le
surprends et je le déçois en lui répondant que, strictement parlant, la
théorie teilhardienne de l’évolution est une chose qui n’existe pas. »
Rostand dit ensuite que Teilhard n’est pas un biologiste. « Du
biologiste, il n’a ni la formation, ni le savoir, ni l’esprit. Schématiquement,
on peut dire qu’il passe directement du caillou à l’homme, sans passer par
le protoplasme ni par les complexités de la vie cellulaire » [souligné par
nous]. Celui qui lit le Phénomène Humain arrive à la fin du livre sans en
savoir davantage ou même parfois moins qu’avant de l’avoir lu. Chardin dit
beaucoup de choses, mais ne prouve absolument rien. C’est pour cela que
Rostand nous dit que son transformisme, affligeant par son superficiel et
son conformisme, est très loin de découler des organisations et des
structures germinales où devrait résider le secret des variations des espèces.
« Teilhard – dit-il encore – ignore délibérément l’Embryologie et la
Génétique. Il se désintéresse des chromosomes, des gènes, des acides
nucléiques, laissant, par conséquent, de côté toutes les questions précises
qui se posent à tout biologiste désireux d’éclaircir, avec les moyens dont
nous disposons à notre époque, le mécanisme des phénomènes évolutifs.
Bon gré, mal gré, le problème de l’Évolution est, avant tout, un problème
de biologie cellulaire, ou plus précisément un problème de biochimie
cellulaire » (Le Figaro Littéraire du 23-29 septembre 1965).

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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« Mais, me dit-on, à quoi a servi cette condamnation ?


Écoutez : de son vivant, Teilhard n’a pu publier aucun de ses
textes. Ce n’est qu’après sa mort, qu’aux éditions du Seuil et chez
Grasset, ses livres sont sortis. Imaginez que nous soyons dans un
pays comme l’Espagne où l’Église soit toute maîtresse, ni les
Éditions du Seuil, ni Grasset n’auraient pu sortir les ouvrages de
Teilhard de Chardin. […] Notre mission à nous est de servir
l’avenir... Non contents d’être dans nos Temples la République à
couvert, nous sommes en même temps la Contre-Église, parce
que nous sommes les hommes de la vie, les hommes de l’espoir,
de la lumière, du progrès, de l’intelligence et de la raison. »
De son côté le Frère Marius Lepage (alors encore Vénérable
de la loge Volney, mais peu avant de fonder la loge Ambroise
Paré au sein de la Grande loge nationale française) venait d’écrire
dans Le Spiritualisme de mai 1962 : « Je ne vois pas que les
théologiens reconnaissent le P. Teilhard pour un des leurs ; mais
il est certain que tous les maçons connaissant bien leur art le
salueront comme leur frère en esprit et en vérité » [souligné par
nous].
Dans ce petit ouvrage de 180 pages, Laurent Rebeillard
commence par situer Teilhard dans le contexte général de
l’époque et dans le sillage de la parution du livre de Darwin en
1859, livre dont l’influence ne peut être sous-estimée. Même si,
« de l’aveu même de Darwin, il n’y avait absolument aucune
preuve que l’une quelconque des grandes divisions de la nature
eût été franchie de manière graduelle, mais si l’on voulait
expliquer la nature par des processus naturels, il fallait que
celle-ci fût continue. […] Pour concevoir la nature, les
biologistes adoptèrent peu à peu une nouvelle grille. Avant
1859, il était courant et intellectuellement respectable
d’envisager le monde comme un système discontinu, résultat
d’une succession d’interventions créatrices divines. Après 1859,
il devint respectable de voir la vie comme le produit de processus
purement naturels agissant sur de longues durées. Cependant,
changer l’interprétation courante du monde n’est pas la même
chose qu’établir un fait nouveau. Les faits n’ont pas changé
entre 1850 et 1870, seule leur perception a changé. » (p. 39).
Cette nouvelle perception, Teihard fit beaucoup pour
l’introduire et la faire accepter dans l’Église.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Son statut scientifique y aida : le grand Dictionnaire de


Théologie catholique, dont la publication s’échelonna de 1903 à
1950, le voit fournir dans le tome 15, imprimé en 1946, 3
colonnes entières dans la partie « Exposé du transformisme
comme doctrine biologique » de l’article « Transformisme » (col.
1 371-1 373), l’auteur composant ces colonnes par de larges
citations de deux publications de Teilhard datant de 1921 et 1925.
À la fin, six titres de Teilhard sont donnés en bibliographie.
Malheureusement, sa pensée n’était qu’une gnose de plus, avec la
particularité de s’opposer radicalement à l’idée de la Chute et, par
ricochet, de devoir réinterpréter radicalement la Rédemption :
« Le péché originel coupe les ailes de nos espérances, à nous qui
nous lançons, à tout moment, vers l’espace des conquêtes
optimistes », écrit-il. Et encore : « L’idée de chute n’est en effet,
au fond, qu’un essai d’explication du Mal dans un univers fixiste.
À ce titre, il est hétérogène au reste de nos représentations du
Monde. Voilà pourquoi il nous opprime » (Christologie et
Évolution, cité p. 151). Laurent Rebeillard reproduit quelques
« pages choisies », fort utiles, du célèbre jésuite, notamment de la
Messe sur le monde.

(À commander chez l’auteur : 539 Chemin des corbeilles


d’argent, 83136 Rocbaron (France), 12€ franco).

* *

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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LES DESSOUS DE LA PRÉHISTOIRE

La dentisterie
préhistorique ne
serait-elle qu’un
sous-produit de
science-fiction ?

Dr Pierre-Florent Hautvillier
Dr Jean-Maurice Clercq

Présentation : La mode n’est plus à montrer que l’homme préhistorique


était une sorte de demeuré, mais plutôt qu’il était d’une intelligence
comparable à la nôtre, ce qui ne fait que lui rendre justice. Aussi, voit-on
maintenant des préhistoriens perdre la tête afin de pouvoir publier, en
scoop, une nouveauté soulignant la modernité d’une découverte afin de se
valoriser et de se donner ainsi une notoriété… au risque de se ridiculiser, en
interprétant, sous la déformation de ce prisme ambitieux, des faits qui
finissent alors par échapper au simple bon sens. La connaissance des faits
de la préhistoire est parcellaire et s’écrit en pointillés, que l’imagination et
l’ambition de certains préhistoriens comblent en recherchant la nouveauté à
tout prix.
Les communications dont nous allons faire état concernent la préhistoire
dentaire. Elles ont été publiées dans des revues ou des sites spécialisés en
préhistoire et, curieusement, n’ont pas rencontré d’échos dans des revues
professionnelles lues par les dentistes, pourtant souvent friands de
connaissances archéologiques sur l’art dentaire. À la lecture de ce qui suit,
on comprendra pourquoi.

Quelques cas d’école glanés dans diverses publications


Commençons la leçon…
1. Ils n’ont pas osé
Nous commenterons tout d’abord un article provenant de
inumidem.com du 13/4/2015 et signé par Jean Granat1 et Jean-

1
Jean Granat : Docteur en chirurgie dentaire, membre de l’Académie
nationale de chirurgie dentaire, diplômé en anthropologie, docteur en
sciences odontologiques, ancien chargé de cours aux facultés de Paris 5,

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Louis Heim2 qui sont d’éminents universitaires. Il est intitulé :


« La première prothèse dentaire préhistorique. »
S’y trouve relatée la trouvaille d’un crâne, en 1954, provenant
de Faïd Souard (Est de l’Algérie), dans une escargotière où avaient
été inhumés des morts. L’industrie lithique trouvée sur place est
estimée provenir de la civilisation « capsienne », qui a duré 2 500
ans, entre 9 000 et 6 5003. En mauvais état, le crâne a été estimé
vieux de 7 000 ans et provenir d’une jeune fille dont l’âge devait se
situer entre 18 et 25 ans. Bien qu’il ait dû être fortement
reconstitué, il a été considéré comme présentant « un intérêt
anthropologique et odontologique exceptionnel ».
L’intérêt anthropologique provient du fait que la base du crâne
avait été sciée et les os pariétaux, sur les deux côtés, percés de
manière à en faire une suspension, donc un trophée ou un objet
analogue.
Mais c’est l’intérêt dentaire qui a surtout été retenu par les
deux auteurs : le titre de leur communication révèle déjà l’état
d’esprit dans lequel elle a été rédigée par l’absence d’un point
d’interrogation dans le titre, le transformant déjà en réponse.
La maxillaire a subi une mutilation par l’extraction des 4
incisives, probablement lorsqu’elles ont fait éruption, selon le bon
état cicatriciel osseux. Ce genre de mutilation se retrouve dans
nombre de sociétés préhistoriques. Mais cette mutilation ne
présente qu’un intérêt anecdotique.
L’intérêt de ce maxillaire supérieur réside dans l’absence de
la deuxième prémolaire supérieure droite, remplacée par une
dent artificielle sculptée dans un os d’origine indéterminée.

Paris 6 et Paris 7, ancien attaché en premier à l’hôpital Robert-Debré,


chercheur associé au CNRS-UMR 5198 et USM 103, médaille d’argent de
la Ville de Paris, diplômé d’anthropologie, secrétaire de la Commission de
Recherche.
2
Jean-Louis Heim (1937-2018) : paléoanthropologue, ancien professeur de
paléoanthropologie au Muséum national d'histoire naturelle, ancien
professeur à l'Institut de paléontologie humaine et lauréat de l'Académie des
sciences, auparavant chercheur à l'Institut de paléontologie humaine, puis
sous-directeur du laboratoire d'anthropologie biologique du Muséum
national d'histoire naturelle.
3
Ndlr. Il s’agit ici des dates officielles. Nous déclinons toute responsabilité
concernant ces estimations, les méthodes physico-chimiques de datations
reposant toutes sur des hypothèses difficiles à valider.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Fig. 1 : Crâne reconstitué. Fig. 2 : Maxillaire supérieur droit.


Flèche orange : dent artificielle ; flèche
rouge : perforation osseuse due à une
infection.

Aussitôt, bien que l’article présente cette dent artificielle


comme une reconstitution probablement post-mortem, les auteurs
insistent déjà sur une possibilité ante-mortem. Cette dent est
qualifiée de « prothèse dentaire » et, même mieux, de « prothèse
dentaire ostéo-implantée », donnant un caractère exceptionnel à ce
crâne, car cette définition assimile la dent artificielle à un implant
dentaire, comme il s’en pose de plus en plus couramment de nos
jours. Cependant, s’il s’agit d’une parure post-mortem, elle ne peut
prétendre au titre de prothèse dentaire dans sa définition classique :
dispositif destiné à remplacer les dents manquantes pour rétablir
une mastication ou une esthétique correcte.
S’ensuit alors une description minutieuse de l’état osseux
alvéolaire entourant cette fausse dent :
« L’examen radiographique montre une réelle contiguïté entre la
paroi alvéolaire et la pseudo-racine. Nous en avons discuté avec le
Professeur Marcel Gaspard de la Faculté de Chirurgie dentaire de
Paris (Université R. Descartes) et nous avons estimé qu’il était
effectivement possible d’envisager que l’on ait là une cicatrisation
par ostéogenèse sur 3 faces seulement, représentant, selon lui, un
mode d’attache alvéolo- implantaire par ankylose ou par soudure
de type “pleurodonte” dans lequel la dent est fixée uniquement par

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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sa face vestibulaire à son support osseux. Cette prothèse dentaire


unitaire, endo-alvéolaire, est un véritable implant en os. »

Fig. 3: Confirmation
radiologique de l’infection
au niveau de la dent
artificielle (flèche rouge).

Autrement dit, ce
troisième avis suggère la
pose d’un type
d’implant posé du
vivant de la personne en
argumentant sur l’état
osseux du support.
Il faut noter cependant
que deux arguments
majeurs contredisent une pose ante-mortem :

1- La dent artificielle n’est pas fonctionnelle car elle est


trop longue : elle empêche la mâchoire de se fermer
convenablement et entrave la mastication. Serrer les dents dans
ces conditions déclenche de vives douleurs et entraîne une forte
mobilité de la dent artificielle par traumatisme occlusal : elle se
serait déchaussée, ce qui est contraire au constat de l’état de
l’os alvéolaire qui est bien ajusté à la racine artificielle…
Difficulté que les auteurs de l’article contournent en écrivant
qu’en l’absence de certitude d’avoir trouvé la bonne mandibule
appartenant à ce crâne, « toutes les hypothèses sont
envisageables, y compris l’absence d’antagonistes ». Ainsi,
pour conserver l’hypothèse d’une pose ante-mortem, on écarte
la conséquence d’un mauvais engrènement des dents
antagonistes en les ignorant. C’est plus simple !
2- La présence d’une infection de très grande taille
bien visible sur l’os, comme sur la radio dentaire au niveau de
l’alvéole de la racine de la dent naturelle absente, signe une
infection chronique, voire kystique, ancienne qui a fortement
évolué en détruisant l’os au contact de l’extrémité de la dent,
tant du côté du palais que du côté extérieur, traduisant une
extériorisation de l’infection et de la poche de pus vers le palais

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


36

et la joue, et avec certainement, en corollaire, une diffusion de


l’infection dans le sinus. L’extension de cette infection fut
certainement la cause de violentes douleurs qui ont entraîné son
extraction, ce qui provoqua certainement ensuite le décès par
septicémie.
L’histoire de la dentisterie nous révèle que, dans les
siècles précédents et ce jusqu’au XIXe siècle, nombre de décès, par
septicémie due à des infections dentaires en suite d’extraction, ont
été relatés avec précision par le corps médical de l’époque. Notre
cas préhistorique entre dans ce cadre. On conçoit alors la pose
post-mortem d’une dent artificielle comme faisant partie d’un rite
funéraire dont la finalité reste à définir. Bien sûr, les deux auteurs
ont décrit cette lésion infectieuse, très visible sur la radiographie
dentaire, mais sans y attacher trop d’importance alors qu’elle
semble essentielle pour un dentiste. Et les auteurs de conclure :
« Il est probable que la perte de la prémolaire soit liée à
la présence de cet abcès. La grande question qui se pose, de savoir
si cet implant a été réalisé du vivant du sujet ou après sa mort,
reste toujours sans réponse.

Fig. 4 : Vue rapprochée de la perforation.

Il est vrai que la raison nous pousse à croire que cette


reconstitution dentaire a été effectuée après la mort du sujet, au
moment de la confection du masque. Son ajustage est si parfait
qu’il peut paraître impossible qu’elle ait été exécutée, en bouche,
du vivant du sujet. Mais ce n’est toujours qu’une hypothèse.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Nous pouvons aussi imaginer que cette prothèse a été


réalisée en bouche juste après la perte de la prémolaire, ce
“Capsien” vivant encore ; puis il est décédé de cela ou d’autre
chose, très peu de temps après. Alors, les tentatives de greffes
osseuses ou d’implantologie réalisées par ce praticien d’alors,
auraient 7 000 ans !
Si cette pseudo-dent a été exécutée post-mortem, ceci ne
remet nullement en question le moment de son exécution. Quoi
qu’il en soit, cette prothèse dentaire, retrouvée en bouche, reste la
plus ancienne connue à ce jour, même si elle n’a jamais été
fonctionnelle et ceci reste malgré tout très étonnant ! Tout cela
confirme que de tout temps les hommes ont porté une attention
particulière à leurs dents, soit par rites religieux, soit par
esthétisme, soit encore dans un but thérapeutique, et ce
témoignage de l’art dentaire préhistorique est vraiment
exceptionnel. »

À la lecture de cette conclusion, on reste stupéfait de lire


l’évocation de l’hypothèse : « Nous pouvons aussi imaginer que
cette prothèse a été réalisée en bouche juste après la perte de la
prémolaire » !
Ici, le lecteur doit bien comprendre tout ce que cela sous-
entend : cette jeune fille, qui souffrait régulièrement de sa dent, a
présenté un épisode infectieux très grave dont les traces sont
visibles (les perforations osseuses) sur le maxillaire supérieur. Les
vieux dentistes se souviennent encore de cas semblables rencontrés
dans les campagnes reculées ou les banlieues pauvres, il y a un
certain nombre d’années. L’expérience professionnelle concernant
ce genre d’urgences dentaires nous a appris que, dans ce cas, le
malade présentait toujours les signes cliniques suivants : une
grosse tuméfaction occupant le côté droit du palais, un gonflement
énorme de la muqueuse buccale en regard de la dent et de la joue
avec une boule contenant du pus d’une longueur d’au moins 1 cm,
une joue fort gonflée jusqu’à l’œil qui se trouve à moitié fermé
avec une peau de couleur rouge-violacée, le tout accompagné de
fièvre.
Dans ces circonstances, l’extraction de la dent causale est
une catastrophe, surtout sans les instruments adaptés : elle est
extrêmement douloureuse, à tel point que de nos jours l’anesthésie
locale serait totalement inefficace vu l’importance de

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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l’inflammation. Cette intervention va certes provoquer


l’évacuation du pus en quantité mais accompagnée d’un
saignement hémorragique qu’il sera très difficile de juguler, même
aujourd’hui. Sans anesthésie, c’est très douloureux car il faut
réaliser dans l’alvéole de la dent extraite une compression à l’aide
d’une compresse imbibée d’une substance hémostatique en
parallèle à l’injection intraveineuse d’un médicament approprié.
De plus, l’extraction de la dent va immédiatement aggraver les
douleurs et ajouter une inflammation supplémentaire, favorisant
une recrudescence de l’infection pouvant entraîner une septicémie
suivie d’une mort rapide en l’absence d’antibiotiques. Ce scénario
est bien documenté dans l’histoire de la dentisterie. Heureusement,
ces temps anciens sont révolus.
Maintenant, considérons un autre aspect : la pose de
l’implant ante-mortem. Il est nécessaire alors de concevoir que
l’extraction se soit bien passée, donc réalisée dans un contexte
maxillaire osseux et tissulaire sain et non celui d’un contexte
infectieux aigu, ce qui est contraire à l’observation du maxillaire.
Cependant, toujours dans cette hypothèse, l’implant doit se poser
le plus vite possible après l’extraction, car l’hémostase va se faire
dans les 10 mn qui suivent, et le caillot s’organiser rapidement et
boucher l’alvéole de sorte qu’après, si on veut placer la dent
artificielle, il faudra retirer et cureter le caillot de l’alvéole pour
libérer la place… et tout cela sans anesthésie dans une zone
ultrasensible… C’est de la torture organisée ! L’ajustage de la
dent, telle qu’elle est décrite, aura pris du temps, surtout pour
mettre la racine à la dimension de son logement qui aura été
nettoyé (avec quels instruments ?), car il faudra essayer, retirer,
retoucher de nombreuses fois la dent pour finir la sculpture,
provoquant à chaque essayage de nouvelles douleurs.
Dans ce scénario, il faut penser que le saignement aura
repris, ne facilitant pas ces essayages hypothétiques. Si, comme
cela pourrait arriver (comme sous anesthésie locale trop forte), le
saignement s’arrête ou ne reprend pas en cours d’ajustage, alors le
processus cicatriciel osseux va s’arrêter. S’ensuit une inflammation
et une infection (faute d’intervention aseptisée) de l’os alvéolaire :
une alvéolite douloureuse amenant à retirer la pièce prothétique.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Comme toutes ces manipulations auront introduit des


germes, il s’en suivra logiquement et rapidement une infection
secondaire très grave, compte tenu des altérations osseuses, et
l’implant sera de toute manière expulsé.
Ce contexte inflammatoire et infectieux grave, qui exclut
formellement la pose immédiate après extraction d’une prothèse de
type implant, semble avoir échappé aux auteurs de la
communication. Passons pour un anthropologue qui n’est pas
coutumier de l’art dentaire, mais on reste rêveur quand cette
hypothèse est ainsi poussée, presque sans réserve, par un praticien
qui, de plus, enseigna la profession dentaire et fut membre de
l’Académie nationale de chirurgie dentaire…Il semble donc que le
souci de créer un scoop soit supérieur à celui de coller avec la
réalité dentaire, même préhistorique. Quelle place reste-t-il alors
pour l’éthique et la déontologie ?
Comme il apparaît certain que cette fausse dent n’a pu être
posée que post-mortem, affirmer le contraire serait un non-sens
grotesque au regard du dentiste. Aussi, dans leurs conclusions, les
auteurs « bottent en touche », et l’on sent bien qu’ils « affirment,
sans vraiment l’affirmer », que la prothèse en question a été posée
ante-mortem, ce qui serait une nouveauté médico-dentaire
préhistorique extraordinaire dont la gloire de la découverte leur
reviendrait ! Mais ils n’ont pas osé franchir le pas. D’autres vont le
faire pour eux.

2- Encore mieux : ils ont osé !

Nous commenterons ici un article écrit par un certain Pierre


Barthélemy4 qui, lui-même, se fait l’écho fidèle d’un article publié
sur PLoS-ONE en 2012, signé Émeline Férard, et qui s’intitule :
« L’homme préhistorique aussi allait chez le dentiste. »

En voici le texte cité in extenso :


« C'est l'histoire d'une mandibule à remonter le temps. Ce
morceau de mâchoire inférieure appartenait à un jeune homme
vivant il y a 6 500 ans dans ce qui est aujourd'hui la Slovénie.

4
https//twitter.com/#%/21/PasseurSciences

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


40

Cet Européen du néolithique n'a pas profité très


longtemps de l'existence car l'analyse de sa mandibule et des cinq
dents qui y sont toujours plantées (1 canine, 2 prémolaires, 2
molaires) suggère qu'il avait au maximum 30 ans quand il est
mort. Ses restes ont été retrouvés au début du siècle dernier dans
une grotte et, après avoir été dûment décrits et catalogués, ils ont
été conservés, des décennies durant, dans un musée de Trieste
(Italie) sans que personne ne note quoi que ce soit de particulier
à leur sujet.
Fig. 5 : Morceau de la mandibule gauche porteur de la canine étudiée

Fig. 6 : Gros plan sur la canine

« C'est en s'en servant pour tester un nouvel appareil de


radiographie que des chercheurs du Centre international de
physique théorique de Trieste se sont aperçus d'une anomalie :
comme ils l'expliquent dans un article publié le 19 septembre sur
PLoS ONE, il y avait, sur le dessus de la canine, quelque chose qui
n'était pas censé y être. Cette canine était cassée et fissurée : toute
la pointe manquait et la dentine, c'est-à-dire la partie de la dent se
trouvant sous l'émail, était exposée. Mais en réalité, une fine
couche d'un matériau inconnu la recouvrait, comme une sorte de
pansement. À l'analyse, cette substance protectrice s'est avérée
être... de la cire d'abeille. La datation au carbone 14 a révélé
qu'elle aussi avait 6 500 ans d'âge.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


41

« Qu'a-t-il bien pu se passer ? L'étude n'a pu montrer si


la pose de ce qui semble être le premier "plombage" de l'histoire
s'est faite avant ou après le décès du propriétaire de la mandibule.
Deux hypothèses ont donc été proposées. La première, qui a la
faveur des auteurs, dit qu'une fois cassée, la dent est devenue très
sensible, soit au contact de la canine supérieure quand la
mâchoire se refermait, soit aux changements de température, soit
aux aliments sucrés qui provoquent une réaction sur la dentine
exposée. D'où une tentative de colmatage pour protéger la dentine
et réduire la douleur. La cire était une solution pratique, d'une
part parce que les produits des abeilles (miel, cire, propolis)
étaient couramment utilisés au néolithique, mais aussi parce que le
point de fusion de ce matériau étant bas, il n'y avait pas grande
difficulté à reboucher proprement la dent, et enfin parce que la
composition chimique stable de la cire assurait un soin de longue
durée, une fois que celle-ci se serait solidifiée. Quant au second
scénario, il imagine simplement la pose de la cire sur la dent
comme faisant partie d'un rituel funéraire jamais vu ailleurs.
« Même si des analyses ultérieures confirment la validité
de la première hypothèse, cela ne fera pas pour autant de ce cas
slovène le plus vieil exemple de soin dentaire. Dans une étude
publiée en 2006 par Nature, une équipe internationale de
chercheurs mettait en évidence la présence d'un dentiste
préhistorique, il y a 9 000 ans, sur le site pakistanais de
Mehrgarh5. Explorant la nécropole du lieu, ces archéologues
avaient, sur les quelque 4 000 dents passées en revue, découvert
plusieurs cas de perforations sur des dents apparemment malades,
avec l'assurance qu'il ne s'agissait pas d'un rituel post-mortem car
elles avaient de toute évidence continué de servir après. Mesurant
entre 1,3 et 3,2 mm de diamètre, ces perforations étaient
probablement effectuées à l'aide de perçoirs à silex très fins
actionnés par un archet et utilisés d'ordinaire pour forer les perles
retrouvées en abondance sur le site. On imagine difficilement la
douleur que l'opération devait provoquer... »

La communication initiale publiée sur PLo-ONE du 12 septembre


2012 donnait la conclusion suivante :

5
Il s’agit du site de Mehrgarh qui fera l’objet de la partie suivante.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


42

« Plus on en apprend sur les populations préhistoriques et plus on


apprécie leurs manières sophistiquées. ‘’Ils faisaient des choses
tellement intéressantes, aujourd'hui révélées par des observations
minutieuses et des technologies avancées", commente pour sa part
David Frayer de l'université du Kansas, qui a mené une autre
étude sur des dents découvertes dans un cimetière au Pakistan6. »

Penchons-nous sur ces affirmations, sous l’angle clinique


des soins dentaires, pour en voir la valeur. Le rôle de la canine
dans la mastication est de provoquer l’ouverture des maxillaires en
servant de plan de glissement dans les mouvements de latéralité, ce
qui protège les dents postérieures dans ces mouvements. Ce
mouvement peut être perturbé ou entravé pour différentes raisons
et une correction orthodontique peut s’imposer chez un adulte
lorsqu’il entraîne des troubles fonctionnels de l’articulation
temporo-mandibulaire.

Fig. 7 : Pointe des molaires (cuspides dentaires) abrasée (flèches rouge)


avec formation de cupules confirmant l’état d’usure de la canine

Un léger passage en force provoque une usure prématurée


de la pointe de la canine et, les dents postérieures n’étant plus
protégées par un mouvement d’ouverture des mâchoires, une usure
des pointes des prémolaires et molaires s’ensuit.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


43

Dans le cas présent de ce morceau de mâchoire inférieure


gauche, on peut affirmer sans se tromper qu’on est bien dans le cas
de l’explication donnée, d’autant plus que les malpositions des
dents que l’on peut constater en sont la cause.
L’émail des pointes des prémolaires et molaires
(cuspides), en s’usant, aplanit la surface de mastication et les
parties sous-jacentes plus tendres (dentine) se creusent plus vite
que celles protégées par l’émail. C’est ainsi que l’on peut
apercevoir des sortes de cupules sur cette surface de mastication.
Sur la canine, l’émail ne remplissant plus son rôle de
protection et la cupule se creusant, il arrive que celle-ci s’ébrèche,
comme dans le cas présent. Cela se rencontre en clinique chez des
hommes de plus de 60 ans en général. Dans le cas d’un homme
préhistorique dont on pense, à tort, qu’ils ne vivaient que jusqu’à
l’âge de 40 ans, on lui a donc attribué un âge situé entre 24 et 30
ans. Aucune attention n’a été prêtée à ces usures, mais nous avons
tenu à le relever pour éveiller l’attention du lecteur et le préparer
pour la dernière partie, à venir, de notre article.
Pour revenir à notre présent sujet, le plus amusant est
l’explication thérapeutique avancée sur cette couche de cire
d’abeille comme pansement de protection. Cette affirmation
folklorique ne sera pas qualifiée, par charité... De nos jours, malgré
les progrès techniques, aucune restauration n’est en mesure de tenir
sur une canine ainsi usée, même avec les matériaux composites
très durs que les dentistes collent avec des techniques spéciales. Il
n’y a que des reconstitutions métalliques ou en céramique qui
tiennent, à condition de prendre un ancrage dans la racine qui doit
être traitée et préparée spécialement à cet effet. Cela est dû aux
fortes contraintes mécaniques exercées sur la pointe canine lors des
mouvements de latéralité.
S’il est resté de la cire d’abeille dans la cavité de la pointe
canine, c’est tout simplement du fait que la mort est survenue peu
après l’ingestion de cette cire, ne lui laissant pas le temps de partir.
Il n’y a pas d’autres explications possibles.
La présence de la cire d’abeille s’explique facilement.
Nous avons souvent consommé des morceaux d’alvéoles de la
ruche dont le miel n’avait pas été extrait (par centrifugation).
C’était du miel brut (cire + miel) mangé sous cette forme (comme
l’a toujours fait l’humanité avant d’inventer la technique de
séparation), ce qui est loin d’être désagréable.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


44

En Afrique noire, les indigènes décrochent les ruches


sauvages des arbres, les cassant après enfumage et se partageant
les morceaux de miel, immédiatement consommés sur place. Les
ours prédateurs de ruches agissent ainsi, l’enfumage en moins !
Lorsqu’on consomme le miel sous cette forme, immanquablement,
des petits morceaux de cire se nichent dans la moindre
anfractuosité rencontrée dans la bouche, mais l’action de la salive,
alliée à la température buccale qui ramollit la cire7, finit par les
déloger dans les minutes qui suivent. Ils ne résistent donc pas
longtemps et finissent par s’en aller.
Une canine dont la pointe est usée présente toujours une
cupule, car la dentine étant plus molle que l’émail, elle se creuse
plus, favorisant le dépôt des aliments un peu consistants et collants.
Cela explique la présence de la cire dans l’anfractuosité à la pointe
de la canine.
Il ressort de tout cela que le sujet est mort peu après avoir
consommé du miel, probablement dans les minutes qui suivirent
étant donné la présence résiduelle de cire. On pense alors
inévitablement à une question que n’a pas soulevée l’auteur de
l’article : la cause d’une mort aussi rapide après une ingestion de
miel ? La réponse qui vient aussitôt à l’esprit est la suivante : il a
certainement été piqué par un grand nombre d’abeilles et en est
mort. On est donc probablement en présence du cas le plus ancien
d’un homme décédé des suites de piqûres d’abeilles pour avoir
détruit le nid afin d’en manger le miel. En somme, le véritable
scoop aurait été le cas le plus ancien de choc anaphylactique
(allergique), ce qui est moins racoleur. À défaut de savoir si l’on
est dans la vérité, car ce n’est qu’une déduction hypothétique, cette
dernière affirmation possède au moins le mérite de la
vraisemblance.

7
Nous pensons que l’auteur de la communication a dû se renseigner sur la
« cire d’abeille » utilisée en artisanat jusqu’à ces dernières années. Elle fut
depuis très longtemps utilisée comme colle pour assembler temporairement
des morceaux d’objets. Cette cire est une « cire collante d’abeille »,
autrefois fréquemment en usage dans le milieu dentaire. Elle est dure et
commercialisée sous forme de bâtonnets, en particulier pour les prothésistes
dentaires ; on la ramollissait jusqu’à son point de fusion, à la flamme, pour
pouvoir enduire les morceaux à coller. Une fois refroidie, elle reprend sa
dureté en encollant très bien, mais en se brisant facilement. En fait, c’est
une cire à base de cire d’abeille, de talc et de colophane.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


45

3- Toujours mieux !
Le texte précédent a fait allusion par deux fois au site
pakistanais de Mehrgarh, site où les archéologues ont affirmé que
des dents du néolithique avaient reçu des soins dentaires à l’aide
d’outils…. Voici ce qu’il en est.
Ce cimetière ancien remonte à environ 9 000 ans. Les
archéologues ont mis au jour 8 squelettes (3 de sexe féminin, 2 de
sexe masculin, et 3 de sexe inconnu) qui présentaient, dans
certaines dents postérieures, des « cavités visiblement creusées
par des petits outils de pierre ou d’os ». Ces interventions
dentaires remonteraient à quelque 9 000 ans (au néolithique ou
Âge-de-la-pierre-polie).
Ce constat de soins dentaires était en soi une nouveauté
méritant une communication de grande ampleur dans Nature, de
septembre 2006, revue scientifique anglaise internationale, car
« l’usure manifeste des dents opérées confirme que les cavités ont
été creusées bien avant la mort des patients.
Il ne peut s’agir de décorations8 car les soins ont été
pratiqués sur des molaires et des prémolaires, donc tout au fond
de la bouche »… « Les pauvres individus passés entre les mains
des dentistes préhistoriques avaient manifestement des caries ou
des infections de la mâchoire. »
Suivent alors, en illustration, les photos d’une dent
présentant une cavité et la reconstitution totalement imaginée du
type d’instrument qui aurait pu réaliser le soin en question en
reproduisant un archet que les populations primitives utilisaient
pour percer des petites pierres, coquillages etc., afin de pouvoir
réaliser des parures.

L’analyse des faits


Une suspicion naquit dès la lecture de la publication, car
il en ressortait qu’aucune expertise dentaire n’avait été réalisée
par un professionnel spécialisé en paléodentisterie ou en
dentisterie médicolégale, ni même par un simple dentiste, et cela
d’autant plus qu’aucune radiographie des dents n’avait été

8
!!!…??? Envisager simplement cette hypothèse montre déjà l’état d’esprit
coupé de la réalité dans laquelle s’engage la recherche d’une explication.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


46

réalisée9. Dans le cas présent, l’archéologue pensait-il en savoir


suffisamment sur les soins dentaires pour se passer de l’avis d’un
dentiste qui a effectué 6 années d’études ?

Voici des extraits du communiqué du CNRS (lequel a


conduit les recherches archéologiques) :
« Des fouilles réalisées à Mehrgarh, une nécropole du
Pakistan datant de 9 000 ans, ont révélé les prémices d'une
profession encore tout à fait actuelle : celle de dentiste. Ces
travaux ont été réalisés par une équipe internationale conduite par
la mission archéologique française (CNRS, Musées des arts
asiatiques-Guimet). Ils sont publiés dans la revue Nature du 6 avril
2006.
Alors que se mettent en place les débuts d'une économie
agricole fondée sur la culture des céréales et sur l'élevage, la vie
dans les premiers villages sédentaires de la période néolithique a
comporté une détérioration temporaire de l'état de santé général
des habitants, en particulier sur le plan de la nutrition. La santé
bucco-dentaire a empiré.
D'une part, l'emploi de meules pour le traitement des
céréales a très largement favorisé le phénomène d'abrasion de
l'émail, entraînant des risques pour l'intégrité des dents ; d'autre
part, la qualité du nouveau régime alimentaire – plus riche en
sucres – a favorisé les processus d'acidification et le
développement des caries. Ces deux états pathologiques ont été
probablement la cause de nouvelles “typologies de la douleur”.

9
Une radiographie des dents aurait été un élément discriminant indispensable
pour cette communication : elle permettait immédiatement, pour un dentiste,
de constater si effectivement il y avait bien eu un soin.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


47

À Mehrgarh, sur un total de presque 4 000 dents


provenant de 225 sépultures, 11 cas de perforations dentaires
pratiquées in vivo ont été identifiés sur les couronnes de 9 patients
adultes, probablement dans un but thérapeutique ou palliatif. La
présence de perforations uniquement sur les dents postérieures
(molaires supérieures et inférieures) exclut l'intention esthétique
de la pratique. Les marges émoussées des perforations confirment
qu'après les interventions, les surfaces des dents ont repris leur
fonction masticatoire.
Les dentistes préhistoriques utilisaient des techniques
identiques à celles de la fabrication des minuscules perles en os,
coquillages marins, stéatites, calcites, turquoises, lapis-lazulis,
utilisées pour les parures trouvées en abondance sur le site.
L'instrument principal était un perçoir en bois muni d'une petite
pointe en silex, probablement actionné par un archet. Les artisans
de Mehrgarh ont excellé dans ces pratiques de perforation, se
montrant capables de produire des perles de 1 mm de diamètre
percées de trous de quelques dixièmes de mm.
Les analyses au microscope électronique mettent en
évidence qu'après la phase de trépanation, les artisans-dentistes
utilisaient parfois des petites lames en pierre comme bistouris et
scalpels de précision pour « parachever » l'intervention.
Mais qui étaient ces lointains ancêtres des dentistes
d'aujourd'hui ? Dans les premières agglomérations néolithiques,
on pratiquait, pour la première fois de façon simultanée, des
activités très diverses comme celles de cultivateur de céréales, de
pasteur, de potier, de tailleur de pierre, et sans doute de “prêtre”.
Dans le cimetière néolithique de Mehrgarh, la variété des objets et
des offrandes ensevelies avec les défunts témoigne d'activités
comme celles d'éleveur de chèvres, de tailleur de silex. Dans un tel
contexte, il est probable que les mauvaises conditions de santé de
nombreux membres de la communauté aient fait naître le besoin de
“techniciens-thérapeutes”, au moins à temps partiel.
Ce nouveau rôle impose le transfert du séculaire savoir-
faire artisanal vers une “pratique thérapeutique”. Apparemment,
l'expérience fut un succès. »

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


48

Reprenons l’affaire en détail : nous avons une cavité dentaire


sur une dent postérieure (une molaire) dans une mâchoire vieille de
9 000 ans. Voyons comment à partir du communiqué il se dégage
une certitude allant jusqu’à imaginer l’instrument qui aurait servi !

Une cavité dans la dent, pourquoi faire ?


Il semblerait, pour l’auteur de la communication, que faire un
trou dans une dent soit une panacée thérapeutique. Remarquons
tout de suite que faire un trou dans une dent sans la reboucher
(cas réservé uniquement à faire évacuer le pus après débridement
des canaux dentaires – réalisable seulement avec une
instrumentation spécifique qui n’a pu être créée que grâce aux
aciers spéciaux dont nous disposons depuis la deuxième moitié
du XXe siècle) est une ineptie professionnelle, car cela entraîne
des douleurs importantes compte tenu de la grande sensibilité
dentaire. Cet acte ne soulage ni ne guérit. Forer une cavité est un
moyen, non une fin thérapeutique ; sinon cela ne sert à rien.
Donc faire un trou… Pourquoi ? Si c’est pour soulager
l’inflammation du nerf, il faut noter que c’est un acte absolument
impraticable tant la douleur est insupportable sans anesthésie.
Si la dent est morte et que la douleur est provoquée par un
abcès, ce qui est le stade suivant, l’ouverture de la dent est bien
trop petite pour permettre l’évacuation du pus. D’ailleurs, celui-ci
ne s’évacuera que si le canal dentaire de la racine a été vidé et
nettoyé de ses tissus nécrosés infectés, ce qui suppose des
connaissances anatomiques des dents, une technique rigoureuse à
l’aide d’une instrumentation métallique adaptée et très fine
comme celle utilisée de nos jours, toutes choses que ne possédait
pas l’homme préhistorique. Il a fallu attendre le XIXe siècle pour
enfin arriver à soigner convenablement les caries. Avant la
Renaissance, il ne se pratiquait que des extractions et parfois le
remplacement des dents antérieures et ce, depuis la haute
antiquité, sans jamais creuser de cavités. Creuser une cavité est
un geste inutile en soi qui n’apporte rien.
Si par hasard, il y avait eu un soulagement par décongestion
du nerf, celui-ci se serait nécrosé puis infecté et l’infection se
serait installée, avec, à la longue, le type de dégâts osseux et les
risques de complications évoqués dans le premier cas.

Une cavité dans une dent : avec quel outillage ?

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


49

La dent percée dans le cas en question est identifiable par son


anatomie à une molaire supérieure droite. L’archet proposé pour
réaliser la trépanation de la dent doit alors s’utiliser à l’envers de
son usage normal, ce qui présente une première et sérieuse
complication. Son utilisation pour une dent postérieure présente
une difficulté supplémentaire : le travail de perforation se trouve
bridé d’une part par la limite des commissures des lèvres qui se
situe au niveau de la première prémolaire et d’autre part par la
présence de l’arcade opposée ainsi que d’une ouverture buccale de
3 à 4 cm au niveau de la première molaire. Il y a une difficulté
technique majeure comme on peut d’en rendre compte sur
l’illustration suivante :

Fig. 8 : Exemple montrant la difficulté d’accès pour atteindre


directement une molaire avec le type d’outillage proposé.

Sur un élément de squelette, c’est possible… mais sur un


vivant avec les muqueuses, un espace insuffisant et limité au fond
de la bouche pour réaliser un acte éminemment douloureux,
provoquant des mouvements incontrôlés de la part du souffrant, et
un acte minutieux avec une vision en direct qui ne permet pas de
voir correctement où poser la partie travaillante de l’outil… tout
cela relève d’une interprétation hautement fantaisiste10. Un dentiste
ne pourra réaliser cet acte qu’avec l’aide d’un outillage spécial
fourni par la technologie moderne et sa maîtrise de la métallurgie
(coulée, usinage, aciers spéciaux) qui lui fournit désormais des

10
Dans la première moitié du XIXe siècle, avec l’usinage de forets devenu
possible, on avait créé un archet porteur d’un foret adapté à l’art dentaire.
Mais le dispositif fut vite abandonné, car peu pratique et dangereux.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


50

instruments dentaires adaptés et efficaces11, des outils rotatifs avec


report d’angle, des miroirs, un éclairage approprié (l’éclairage
solaire est éblouissant et provoque des ombres sévères). Il fallut
attendre le XXe siècle pour voir l’essor de la dentisterie grâce aux
progrès techniques et à une connaissance approfondie des
pathologies dentaires.

Fig. 9 : Contre-angle moderne Fig. 10 : Foret préhistorique à


archet12
(320 000 tours/min)

Enfin, un dernier élément qui n’a pas été pris en compte


est la structure de la dent, en particulier l’émail qui se trouve être
extrêmement dur, proche de l’acier. La création d’une cavité ne
peut se réaliser qu’avec des instruments adaptés, diamantés ou en
acier au tungstène avec des angles de coupe précis obtenus par
micro-usinage (et utilisés avec une vitesse de rotation de 3 000
tours/min autrefois et de 25 000 à 425 000 tours/min de nos
jours). Elle ne peut se faire à l’aide d’un morceau de silex ou de
pierre emmanché sur la tige d’un archet. Une vitesse de rotation
trop faible amènerait l’inefficacité du travail et la fracture de la
fine lamelle de silex faisant office d’instrument perforant. Il faut
aussi noter que le plus ancien traité de soins dentaires13 ne fait
aucunement allusion à ce genre de soins.
La reconstitution de cet outil est donc une ineptie
mécanique dans le domaine dentaire.

Quelle explication pour ces « cavités dentaires »


néolithiques ?

11
Les tout premiers instruments dentaires adaptés, en particulier pour la
chirurgie dentaire et les soins de caries ont été créés au XVIIe siècle.
12
Dessin de A. FOURNIER. Ce foret préhistorique a été imaginé pour le
perçage des coquillages. On voit aussitôt la difficulté pour opérer ainsi à
l’intérieur de la bouche.
13
Écrit par Pierre FAUCHARD (1679-1761), dentiste de Louis XIV.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


51

Bien sûr, il existe une explication naturelle pour la


formation de telles cavités, qui dispense d’une telle interprétation
farfelue.
Pour cela, un petit rappel d’anatomie dentaire sera nécessaire :

Fig. 11 : Dents inférieures saines : molaire et incisive.

Dents usées :
Lorsqu’une dent s’use fortement, il se forme les
phénomènes suivants :
Pour se protéger des irritations liées à la perte de protection
de l’émail, la pulpe dentaire va provoquer l’apposition d’une
dentine réactionnelle en regard des zones les plus exposées (cornes
pulpaires). On assiste donc à une rétraction de la pulpe dentaire par
une calcification. C’est un phénomène bien connu des dentistes.
C’est aussi ce que l’on a constaté sur la mâchoire
préhistorique du cas précédent (cf. Fig. 7, ci-dessous)

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


52

Fig. 12 (ci-dessus) : Dent inférieure en début d’abrasion (gauche) et face


triturante d’une molaire en cours d’usure (droite).

Fig. 13 (ci-contre) :
Abrasion importante.

Fig. 14 : Évolution de l’abrasion d’une surface triturante d’une molaire.

Cependant, dans un certain nombre de cas, si l’usure est


relativement rapide, la modification pulpaire ne se fait pas : il n’y a
pas d’apposition de dentine réactionnelle pour protéger la pulpe
dentaire et celle-ci ne recule pas devant l’usure.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


53

Fig. 15 : Destruction de la partie coronaire des dents par abrasion.

La pulpe dentaire se nécrose lentement et l’usure met à jour


la cavité pulpaire en commençant par les parties les plus
saillantes : les cornes pulpaires. On assiste donc à une effraction
pulpaire qui se manifeste par la création d’une cavité ronde sur la
surface d’usure.

Fig. 16 et 17 : Effraction pulpaire ; illustrations cliniques sur des


patients âgés de 60 à 70 ans.

À la lumière de ces explications, on peut s’apercevoir – ce


qui est une évidence pour les dentistes – que les cavités
découvertes sur les molaires néolithiques sont des cornes de la
pulpe dentaire, mise à jour par une abrasion importante de la
surface de mastication de la molaire, et non le produit du travail
d’un dentiste néolithique.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


54

Fig. 18 : Dents usées avec soins suite aux effractions pulpaires.

Fig. 19 : Dents usées. À noter les 2 incisives à droite avec effractions


pulpaires non soignées.

Il ressort une leçon de tout cela : en présentant une


hypothèse aventureuse à des scientifiques non compétents dans
un domaine particulier (ici des préhistoriens sans doute qualifiés,
mais béotiens dans le domaine dentaire), cette hypothèse avancée
comme probable est acceptée sans discernement.
Elle prend bientôt l’aspect d’une certitude à chaque fois
que l’information ou l’idée est reprise d’une manière ou d’une
autre dans une publication. Elle finit alors, à force de se répéter,
par passer pour un acquis scientifique démontré. Et l’ensemble de
ces publications constitueront « les » références scientifiques
destinées à valider l’hypothèse improbable comme acquise.
On est étonné que cette attitude touche le monde
scientifique, qui semble donc capable d’une grande naïveté dans
certains cas. Le domaine de la préhistoire, plus que d’autres, n’y
échappe pas et même y est fortement sensible. C’est pour cela
qu’on trouve tant de fantaisies et d’extravagances, y compris les
plus grotesques, dans les reconstitutions de la préhistoire.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


55

Qu’en penser alors ? Désinformation ? contre-


information ? manipulation de l’opinion ? ou sous-produit de
fiction pseudo-scientifique, c’est-à-dire de la science… fiction ?

****************************
SOCIÉTÉ
« Il a plu à Dieu qu'on ne pût faire aucun bien aux hommes
qu'en les aimant » (P. Léon Le Prévost).

La « normalisation » de l’homosexualité et l’Église1

Dr Gerard van den Aardweg2

Résumé : « Normaliser » l’homosexualité consiste à la considérer comme


normale et à la faire ainsi accepter par toute la société. Or la psychiatrie
classique, jusqu’en 1973, classait l’homosexualité parmi les troubles
psychiques souvent liés à des carences éducatives, donc guérissables par une
thérapie appropriée dans laquelle l’auteur s’est spécialement investi. Puis
une intense propagande a réussi à persuader un large public qu’il ne
s’agissait pas d’une déviance psychique, mais d’une détermination
biologique, échappant de ce fait à la responsabilité des personnes concernées
par ce genre d’attraction. Il est à déplorer que bien des documents publiés
par l’Église catholique, dont le Catéchisme de 1992 (§ 2 357 et 2 358),
divers messages épiscopaux, le rapport intermédiaire du Synode sur la
famille en 2014, etc., sont tombés dans le piège et contribuent ainsi, volens
nolens, à enfermer dans leur mal-être ceux qu’il faudrait aider à en sortir.

1
Communication donnée le 21 mai 2018 à l'Académie Jean-Paul II pour la
vie humaine et la famille, à Rome, dans le cadre d’un symposium traitant de
l’encyclique Humanæ vitæ, sous le titre « The “normalization” of
homosexuality and Humanæ vitæ ». Texte original accessible sur :
https://lifesitenews.com/news/world-renowned-expert-homo-tyranny-is-upon-
us-in-the-catholic-church
Traduction reprise pour l’essentiel sur celle produite par Le Salon beige :
http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2018/06/la-tyrannie-gai-est-sur-
l%C3%A9glise.html#more 2018-06-06 à 9H59.
2
Psychologue et psychanalyste néerlandais, membre de la NARTH,
Association nationale pour la recherche et la thérapie sur l’homosexualité. A
publié : On the Origins and Treatment of Homosexuality. A Psychoanalytic
Reinterpretation (ISBN 9780275902339) (1985), The Battle for Normality.
Self-Therapy for Homosexual Persons (ISBN 0898706149) (1997) et Hungry
Souls (ISBN 9780895558992) (2009).

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


56

L'homosexualité doit être définie en termes d’attraction3.

C'est la condition d'être sexuellement attiré par le même


sexe (couramment ou périodiquement), avec un intérêt
hétérosexuel rudimentaire ou réduit, et ceci après l’adolescence,
disons 18 ans. Selon les meilleures estimations, moins de 2 %
des hommes ont ces attractions, et moins de 1,5 % des
femmes4.

J'utiliserai ici le terme « gai » pour ceux qui choisissent de


déclarer leur tendance homosexuelle comme normale et de la
vivre ; c'est la majorité aujourd'hui ; cependant, environ 20 % ne
veulent pas s'identifier comme homosexuels et vivre ainsi. Ce
groupe n'a pas de voix publique et est discriminé par
l'establishment gai. Il est crucial de savoir si oui ou non une
personne normalise5 ses attractions homosexuelles.

3
Donc pas en termes de comportement comme le fait la définition d'amateur
dans le Catéchisme de l'Église catholique (§ 2 357 et 2 358). Sa définition
embrouille d'ailleurs les homosexuels, tout comme le désordre sexuel avec des
pratiques homosexuelles qui ne sont pas motivées par l'attraction (comme
certains rites d'initiation dans des tribus sauvages).
4
Office britannique des statistiques nationales, 2010.
5
Ndlr. Normaliser signifie ici définir ou considérer comme « normal » ce qui
était auparavant considéré comme déviant. Cette « normalisation » prend deux
aspects : un aspect subjectif concernant le sujet qui expérimente le trouble ; un

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


57

En normalisant ses attractions, cette personne


supprime sa raison et sa conscience, car la perception
intérieure que les activités homosexuelles sont contra naturam
[« contre nature »] est innée et universelle6.
Commençant ainsi à se mentir, elle doit supprimer sa
conscience de la normalité de l'amour homme-femme et du
mariage normal avec sa fertilité ; elle est forcée de s'accrocher
désespérément à des rationalisations qui justifient son choix de se
considérer comme normale, saine et moralement bonne. Ainsi, elle
s'éloigne de la réalité, s'enferme dans des désirs qu’elle prend pour
des réalités et, ne voulant pas chercher la vérité sur elle-même, elle
veut changer les sentiments naturels et les opinions sur
l'homosexualité de 98 % de l'humanité qu'elle estime lui être
hostile. En réalité, ce n'est pas la société, la culture ou la
religion qui la persécutent, mais sa propre conscience7. La
normalisation gaie inverse les choses du style : « je ne suis pas
fou, mais vous l’êtes ». L'idéologie homosexuelle proclame que
la sexualité gaie, y compris sa polygamie inhérente, est un
instinct naturel, que le mariage non contraceptif et fidèle n'est
pas naturel et elle est ainsi diamétralement opposée à Humanæ
Vitæ. Elle déteste le mariage, par jalousie et par rébellion. Dans
la mesure où elle s'est infiltrée dans l'Église, ce qui est déjà très
avancé, il s'agit d'éliminer son principal obstacle : Humanæ Vitæ.
L'idéologie gaie propage diverses justifications, toutes
des faussetés. Elle se nourrit des dogmes de la causalité biologique
ou d’« être né comme ça » et de l'immutabilité de ce désordre. En
fait, la théorie biologique n'a jamais été prouvée.

aspect objectif amenant la collectivité à modifier sa perception et son


appréciation, ce qui implique une vaste opération « d’ingénierie sociale »,
requérant des moyens multiples sur de nombreuses années.
6
Cf. FLACELIÈRE R., Amour en Grèce, Paris, Hachette, 1960. Historien des
coutumes sexuelles, Karlen déclare : « Nulle part l'homosexualité ou la
bisexualité n'est une fin en soi. Nulle part les parents ne disent : “Cela m'est
égal si mon enfant est hétérosexuel ou homosexuel” » (KARLEN, A. cité
dans : SOCARIDES, Ch. W., « Beyond sexual freedom : Clinical Fallout »,
American Journal of Psychotherapy, 1976, XXX, 385-397).
7
Une excellente analyse : REILLY, RR., Making gay ok. Comment
rationaliser le comportement homosexuel change tout, San Francisco,
Ignatius Press, 2014.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


58

Depuis que l'idéologie homosexuelle a commencé à


tyranniser l'establishment scientifique après le putsch gai en
1973, lorsque les associations psychiatriques et psychologiques
américaines ont renoncé à leur intégrité scientifique8, de
nouveaux efforts ont été faits, principalement par des activistes
gais, pour finalement détecter une cause biologique. Mais, fait
intéressant : c’est précisément le résultat inverse qui a été
obtenu. Le mythe biologique a explosé. Les homosexuels ont des
hormones, des gènes et des cerveaux normaux9. Même le pro-gai
britannique Royal College of Psychiatrists a déclaré en 2014
que l'homosexualité n'était pas une variante innée de la
sexualité10. Mais cette réalité pénètre à peine.
De même, le dogme de l'immuabilité est fermement
défendu, car la possibilité de changement menace non seulement
un argument clé des normalisateurs, mais c’est aussi un argument
nécessaire pour que plusieurs justifient leur style de vie
personnelle. En raison de l'avancée politique et sociale de
l'idéologie homosexuelle, le traitement de l'homosexualité et les
conseils orientés vers un changement sont devenus de plus en
plus « tabous ». Pourtant, les conseils psychologiques et les
initiatives chrétiennes d'entraide en dehors du courant dominant
ont continué et ont démontré la viabilité de telles approches. Juste
une petite note : surmonter ces tendances est principalement une
bataille avec soi-même11 mais un changement majeur, voire radical

8
Ndlr. En clair : ont retiré l’homosexualité de la liste des troubles mentaux.
9
Pour les enquêtes sur les données : VAN den AARDWEG, GJM.,
« Homosexualité et facteurs biologiques : preuve réelle ? aucune ;
interprétations trompeuses : beaucoup », bulletin NARTH, 2005, 13, 3, 19-
28 ; WHITEHEAD, NE & WHITEHEAD, BK., Mes Gènes m'ont incité à le
faire ! L'homosexualité et les preuves scientifiques, Belmont, Lower Hutt,
Nouvelle-Zélande, Whitehead Associates, 2010 ; MAYER, LS. &
McHUGH, PR., « Sexualité et genre », The New Atlantis, 2016, Nr. 50, 1-
143.
10
Thème en discussion (position paper).
11
Van den AARDWEG, GJM., La Bataille pour la normalité, San
Francisco, Ignatius Press, 1997.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


59

et durable, a aussi eu lieu dans de nombreux cas12, principalement


avec le soutien d'une vie intérieure religieuse soutenue13.
L'establishment politique homosexuel tente d'éradiquer
ces activités et ces publications. D'où, par exemple, la présente
loi sur la prohibition du traitement de l'homosexualité en
Irlande. Sûrement, une homo-tyrannie est sur nous. En 2003, le
professeur Robert Spitzer de l'Université Columbia – ce même
psychiatre qui avait géré la capitulation des associations
psychiatriques et psychologiques américaines au profit du lobby
homosexuel militant – a publié son étude sur les effets d’une
consultation compétente et saine auprès de 200 homosexuels,
hommes et femmes. Une minorité a profondément changé, la
plupart des autres se sont améliorés, à la fois en ce qui concerne
l'orientation sexuelle et l'équilibre émotionnel global. Il n’y eut
aucun signe de nuisance à la santé mentale ou physique, mais une
diminution notable des dépressions14. Un ouragan de haine de
l'establishment gai est tombé sur le professeur Spitzer avec une
telle violence, qu'il s’est senti un homme brisé et, quelques mois
plus tard, m'a assuré qu'il ne s'engagerait jamais plus sur ce
terrible sujet de l’homosexualité15.
Une rationalisation classique est l'idéalisation de l'amour
homosexuel comme supérieur à l'hétéro-amour « vulgaire » : il
serait plus tendre, raffiné, noble, créatif, progressiste, etc. Cela
trahit la naïveté enfantine de ces personnes, émotionnellement
attachées à leur adolescence, quand l'amour sexuel normal entre
des adultes est encore hors de portée de la jeunesse.
12
Pour une publication italienne : MARCHESINI, R., Omosessualità, pro
Manuscrito, 2016. Première édition : Omossesualità maschile, Rome,
Ateneo Pontifìcio Regina Apostolorum, 2011.
13
Cela signifie, la persévérance dans la prière et les petites mortifications
régulières, la réception des sacrements (pour les catholiques), et dans la
lutte quotidienne contre les défauts et les vices de son caractère et pour le
renforcement de ses vertus.
14
SPITZER, RL., « Certains gais et lesbiennes peuvent-ils changer
d'orientation sexuelle ? », Archives of Sexual Behaviour, 2003, 32, 403-417.
15
Ndlr. Exemple significatif de « scientifiquement correct ». Conserver son
intégrité intellectuelle, ne pas céder à la « pensée dominante », peut devenir
un véritable combat moral et existentiel. On n’en est peut-être pas encore à
enfermer les dissidents en hôpital psychiatrique avec des traitements
neurologiques pour détruire leur personnalité, comme cela s’est vu en
URSS, mais les outils juridiques pour le permettre existent déjà.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


60

De leur côté, les pédophiles homosexuels, tous aussi


enfantins, idéalisent l'amour homme-garçon16. Les sentiments
sexuels de même sexe sont pubertaires : 40 % des homosexuels
masculins sont attirés (exclusivement ou non) par des
adolescents, et pour les deux tiers des hommes homosexuels, le
partenaire idéal serait âgé de moins de 21 ans17. Ainsi la
pédérastie, le contact avec les mineurs, a toujours été l'une des
expressions les plus courantes de l'homosexualité. En passant,
les scandales des prêtres concernent essentiellement la pédérastie,
ces prêtres sont des homosexuels ordinaires18.
Maintenant, pour vous donner une idée générale de ce qui
suit, je veux avancer quelques faits et quelques idées
psychologiques clés. Je dois me limiter à l'homosexualité
masculine, mais la plupart s'appliquent également au lesbianisme,
avec cette différence que le terme « père » devra être remplacé par
le terme « mère », le terme « garçon » par le terme « fille ».
Les sentiments pré-homosexuels se manifestent
habituellement à l'adolescence, chez les garçons en déficit de
masculinité ou de virilité, plus particulièrement en matière d'esprit
audacieux et combatif. Ils manquent de fermeté et ont tendance à
être trop doux pour eux-mêmes. Ce trait de caractère qui, sous une
forme prononcée, les qualifie comme « femmelette » ou efféminé,
les fait se sentir mal à l'aise parmi leurs compagnons de même sexe
et inférieurs quant à leur virilité.

16
Cf. l'auto-justification d'André GIDE dans Corydon, Paris, NRF Gallimard,
1924.
17
GIESE, H., Der homosexuelle Mann in der Welt, Stuttgart, Enke, 1958 ;
FREUND, K., Die Homosexualität beim Mann, Leipzig, Hirzel, 1963 ;
ZEBULON, A. et al., « La préférence d'âge des partenaires sexuels des
hommes et des femmes homosexuels et des hétérosexuels », Archives of
Sexual Behaviour, 2000, 29, 67-76.
18
Cf. CAMERON, P., « Molestation homosexuelle des enfants. Interaction
sexuelle de l'enseignant et de l'élève », Rapports psychologiques, 1985, 57, p.
1 227-1 236 ; CAMERON, P., « Sexe enseignant-élève, à quel point est-ce
homosexuel ? », Journal empirique du comportement sexuel homosexuel,
2007, 1, 1-19 (en ligne) ; FITZGIBBONS R. & O'LEARY, D., « Abus sexuel de
mineurs par le clergé catholique », The Linacre Quarterly, 2011, 78, 3, 252 à
273 ; Van den AARDWEG, GJM., « Abus de prêtres, homosexualité, Humanæ
Vitæ, et la crise de la masculinité dans l'Église », The Linacre Quarterly,
2011, 78, 3, 274-293.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


61

Ce trait n'est pas inné, mais provient de l'effet de


l'éducation, des interactions parent-enfant et de la formation
des habitudes. En un mot : fréquemment, la masculinité sous-
développée ou réprimée du garçon pré-homosexuel résulte
d'une combinaison d'une mère qui dominait excessivement sa
vie affective, d'une manière ou d'une autre, alors que
l'influence encourageante du père était insignifiante ou
négative. Des variations de ce modèle se produisent dans au
moins 60 % des cas d'homosexualité masculine. (D'autres
facteurs importants peuvent être des défauts physiques ou des
handicaps, des parents exceptionnellement jeunes ou vieux, une
éducation par les grands-parents, les relations fraternelles.) Très
souvent, le garçon n’était pas sainement attaché à sa mère et
dépendait de celle-ci, alors que le lien avec son père était déficient.
Il a peut-être été surprotégé, choyé, adoré comme le préféré de la
mère, trop complaisante envers lui ; ou trop « domestiqué », traité
avec trop d'interférence coercitive maternelle, mais pas comme
« un vrai garçon », parfois d'une manière féminisée. Il ne fait
aucun doute que ces facteurs d'interactions parent-enfant sont bien
établis.
Cependant, le facteur le plus en corrélation avec les
attractions homosexuelles ultérieures est leur inadaptation au
monde de même sexe lors de l'enfance et de l'adolescence. On
pourrait l’appeler le facteur d'« isolement parmi les pairs », qui est
plus étroitement lié aux attraits homosexuels ultérieurs. Se sentir
étranger, inférieur dans sa virilité, est traumatisant. Ce sentiment
de non-appartenance peut animer des aspirations passionnées pour
l'amitié et l'idolâtrie de jeunes qui, aux yeux du garçon, possèdent
le genre de virilité qu'il ne ressent pas.
Pendant la puberté, de tels désirs peuvent engendrer des
fantasmes érotiques sur l'affection physique d'un camarade aimé
mais inaccessible. De telles rêveries sont pathétiques ; elles
naissent de l'apitoiement sur soi ou de la dramatisation qu’il se crée
à propos de la solitude, de l'absence d'amis, du fait de ne pas être
« l'un des autres garçons ». Surtout lorsqu'elles sont accompagnées
d'une masturbation habituelle, elles renforcent les aspirations du
garçon et nourrissent son apitoiement sur soi-même et son
sentiment d’être un étranger tragique. Ces sentiments sont
addictifs.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


62

Bref, la recherche de partenaires homosexuels est une


quête anxieuse d'illusions pubertaires impossibles. Elle est toute
égocentrique : l'autre est totalement mérité, il doit être totalement
pour MOI ; c'est mendier de l'amour, demander de l'amour, mais
ne pas aimer. Lorsque cet engouement ne disparaît pas avant
l'âge adulte, il peut prendre le contrôle de l'esprit de la
personne jusqu’à devenir une pulsion autonome. En
conséquence, il reste en partie ou même en grande partie
émotionnellement adolescent dans beaucoup de ses pensées et
de ses sentiments, ses habitudes de personnalité, ses relations
avec ses parents et autres, ses sentiments par rapport à son
propre sexe et au sexe opposé. Il ne devient jamais mature ; il est
dominé par un amour-propre immature, un égocentrisme excessif,
en particulier dans ses désirs insatiables de même sexe.
Le cinéaste Pasolini fut l'un des nombreux exemples ; de
lui-même, il a dit qu'il avait « une faim infinie pour l'amour des
corps sans âmes ». Un Allemand créateur de mode gai a appelé
cela un asservissement à boire de l'eau salée : plus vous buvez,
plus vous avez soif. Quoi qu'il en soit, les relations homosexuelles
sont des exercices d’« égocentrisme ». « J'ai vécu avec une
succession de colocataires, dont certains prétendaient aimer », a
déclaré un homosexuel d'âge moyen. « Ils ont juré qu'ils
m'aimaient. Mais les liens homosexuels commencent et finissent
avec le sexe. [...] Après la première aventure passionnée, le sexe
devient de moins en moins fréquent. Les partenaires deviennent
nerveux, veulent de nouvelles sensations, commencent à se
tromper. »
Son résumé de la vie du gai ordinaire donne à réfléchir,
cette vérité réaliste dépourvue d'idéalisations pubertaires et de
mensonges de propagande : « La vie gai [...] est un monde rude, je
ne la souhaiterais pas à mon pire ennemi19. » Ne croyez pas la
propagande pour le « mariage » gai noble, fidèle et aimant des
dévots catholiques. C'est une astuce pour vendre l'acceptation
du sexe gai20.

19
HANSON, D., Homosexualité. La maladie internationale, New York, LS
Publications, 1965, p. 41.
20
Van den AARDWEG, GJM., La Science dit non. La tromperie du « ma-
riage » gay, Castlemitchell Sud, Athy, Co. Kildare, Eire, Voix Catholique,
2015. Trad. italienne : La Scienza dice No, Chieti, Ed. Solfanelli, 2016.

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63

Autrement dit, l'homosexuel cité ci-dessus illustre le fait


que le traitement, ou l'auto-éducation, doit sans aucun doute lutter
contre la dépendance sexuelle, mais surtout contre la recherche
personnelle infantile généralisée, l'amour-propre et
l'apitoiement sur soi. Combattre les vices, exercer les vertus ;
et au-dessus de toutes : les vertus de sincérité, de générosité, de
responsabilité et de force de caractère. Le sexe homosexuel est
un sexe névrosé. L'homosexualité, et l'homosexualité
pédophile, est une névrose sexuelle, mais aussi une maladie de
l'âme.
Je reviens au thème principal. Le plaidoyer pour la
normalisation de l'homosexualité a commencé dans la seconde
moitié du XIXe siècle, lorsque le sexe contraceptif est devenu
acceptable grâce à la propagande pour l'amour libre, la
réforme sexuelle et le divorce. Il était parrainé par tous les
mouvements malthusiens : les socialistes, les marxistes, les
libres penseurs, les humanistes et les féministes. En 1897, le
médecin marxiste Magnus Hirschfeld fonda le Comité humanitaire
scientifique et, en 1917, le premier Institut de sexologie à Berlin.
La devise de son entreprise était per scientiam ad justitiam [« à
travers la science, la justice »], ce qui exprimait les éternels
mensonges de l'idéologie de la normalisation gai ; il en allait
déjà alors comme aujourd’hui, à savoir que la vision de la
normalité est basée sur la science et que les homosexuels
seraient ainsi privés de leurs droits sexuels naturels ; pour eux,
la société et la religion doivent changer leurs attitudes. Les
activistes homosexuels ont joué un rôle clé dans le mouvement
de la réforme sexuelle, parce qu'ils sont animés par des
sentiments anti-mariage profonds. Les organisations
homosexuelles ont toujours été résolument pro-avortement, pro-
stérilisation et pro-contraception ; il n’y a aucune manifestation
pro-vie qu’une horde de gais hurlants et provocateurs n'essaye de
perturber.
C'est l'une des raisons pour lesquelles Planned
Parenthood (« le Planning familial ») et le Population Movement
« encouragent l'augmentation de l'homosexualité21», et que

21
Voir, par exemple, le « Mémorandum à Bernard Berelson » de FS. JAFFE,
dans : ELLIOTT, R. et al., « Croissance démographique des États-Unis et

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


64

l'hostilité de la Franc-maçonnerie envers le mariage normal a


puissamment contribué à la légalisation de la contraception et
du « mariage » homosexuel22. Ainsi, nous voyons Hirschfeld, un
homosexuel efféminé, très polygame, agir comme le responsable
du Congrès international pour la réforme sexuelle à Vienne en
1930, où il s'est exclamé pathétiquement : « Mieux vaut un amour
sans mariage, qu'un mariage sans amour ! » (Lieber eine Liebe
ohne Ehe, als eine Ehe ohne Liebe !)23. Il était tout à fait conscient
que « l'amour libre » implique la contraception et que les
habitudes contraceptives érodent la résistance à
l'homosexualité. Le réformateur sexuel de loin le plus influent
après la guerre, le « père » de la révolution sexuelle des années
50 et 60, était aussi un homosexuel asservi (probablement
pédophile) : Alfred Kinsey, le fondateur de l'Institut de
sexologie qui a pris son nom et le cerveau derrière l'éducation
sexuelle déshumanisante d'aujourd'hui. Comme Hirschfeld, il
était obsédé par le désir d'abolir les normes morales de la
société fondées sur le mariage normal, ainsi que de normaliser
l'homosexualité, la pédophilie et l'inceste.
Pour lui, le mariage fidèle était contre-nature ;
l'homosexualité et toutes les anomalies sexuelles devaient être
légalisées ; l'avortement devait être légalisé ; alors que la
masturbation, le sexe contraceptif, l'adultère et la prostitution
étaient « sains ».
En outre, Kinsey se présentait comme un grand
scientifique, alors que ses livres si largement diffusés étaient de
la propagande gaie basée sur des recherches frauduleuses24.

planification familiale. Revue de la littérature », Perspectives de la


planification familiale, 1970, 2, 4, II-XVI.
22
SIMON, P., De la vie avant toute chose, Paris, Mazarine, 1979 ; ABAD-
GALLARDO, S., J'ai frappé à la porte du Temple, Paris, Téqui, 2014.
23
Fr. SCHMIDT, W., Liebe, Ehe, Familie, Innsbruck/ Vienne / Munich,
Tyrolia, 1931, p. 21.
24
KINSEY, AC., Comportement sexuel chez le mâle humain, Philadelphie,
Saunders, 1948 ; KINSEY, AC et al., Comportement sexuel chez la femme
humaine, Philadelphie, Saunders, 1953 ; REISMAN, J., Kinsey : Crimes et
conséquences, Arlington VA, Institut pour l'éducation aux médias, 1998.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


65

Un troisième exemple : Simone de Beauvoir, compagne


de Jean-Paul Sartre, la « mère » du féminisme radical et de la
théorie du genre. Son influence en France a directement mené à la
création du Ministère des droits de la femme et de la Commission
Beauvoir sur les femmes. Son livre Le Deuxième sexe25, vantant le
slogan puéril selon lequel « on ne naît pas femme, mais on le
devient » par contrainte culturelle et familiale : « La bible du
mouvement des femmes a mis en marche un train imparable26. »
C’était une lesbienne qui – cas fréquent chez les
lesbiennes – « n'avait jamais ressenti le désir d'avoir un enfant
[et] ne pouvait imaginer ce qui poussait un homme et une
femme à le souhaiter27 ». Elle était animée par « le dégoût, la
peur, la haine de la maternité28 ». « Les bébés m'ont rempli
d'horreur » a-t-elle dit. « La vue d'une mère avec un enfant
suçant la vie de sa poitrine [...] ça m'a tout remplie de
dégoût29. » La féminité perturbée sous-jacente à son lesbianisme
fit d'elle une rebelle passionnée contre le mariage et la
maternité, une propagandiste féroce du sexe contraceptif et de
l'avortement, avec un impact destructeur.
Les homosexuels et les lesbiennes militants, bien qu'ils ne
représentent certainement pas les 2 % de la population ayant des
tendances homosexuelles, ont énormément contribué à la
mentalité et aux habitudes contraceptives actuelles par leur
influence dans la réforme sexuelle et les mouvements féministes.
Et tout autant grâce à la normalisation réussie de leur propre style
de vie. Ce succès a encore obscurci la perception de plusieurs,
en particulier chez les jeunes générations, de la dégénérescence
morale et psychologique des relations contraceptives par
opposition à la beauté de l'amour conjugal fidèle et dirigé vers
l'enfant.

25
BEAUVOIR, S. de, Le Deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949.
26
SEYMOUR-JONES, C., Une Liaison dangereuse : Simone de Beauvoir et
Jean-Paul Sartre, Londres, Century, 2008, p. XIII.
27
LAMBLIN, B., Mémoires d'une jeune fille dérangée, Paris, Éd. Balland,
1993, p. 166.
28
Ibidem, p. 167. Bianca L. était une amie de longue date qui, adolescente,
avait été séduite par son professeur Simone de Beauvoir.
29
BAIR, D., Simone de Beauvoir. Une biographie, Londres, Jonathan Cape,
1990, p. 170.

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66

Car, si les rapports sexuels impliquant les contacts


génitaux répugnants entre deux hommes ou deux femmes sont
officiellement célébrés et que ces liaisons, qui ne sont même pas
monogames et pour la plupart névrotiques par nature, ont le statut
de « mariage », toute relation hétérosexuelle stérile devient
normale par comparaison. Une étude sur les effets du
« mariage » gai en Scandinavie a conclu qu'on avait « fait
passer le message que le mariage lui-même est dépassé et que
pratiquement toute forme de famille [...] est acceptable30 ».
Cela signifie nécessairement une augmentation de la contraception.
En somme, toute approbation ou suggestion d'approbation
des faussetés de l'idéologie gaie mine les enseignements
d’Humanæ Vitæ. Pourtant, depuis environ un demi-siècle, de telles
suggestions se trouvent dans des documents importants de l'Église
catholique. Voyons-les. En 1975, la Déclaration sur certaines
questions d'éthique sexuelle de la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi écrivait : « Ils font une distinction — et, semble-t-il, avec
raison — entre les homosexuels dont la tendance [...] est transitoire
ou du moins non incurable, et les homosexuels qui sont
définitivement tels par une sorte d’instinct inné [...] jugé
incurable ». À l'époque, la distinction entre l'homosexualité dite
« nucléaire » et celle superficielle était la prétention pseudo-
scientifique favorite parmi les normalisateurs gais dans les cercles
professionnels. C'était peu de temps après que le lobby gai de
l'American Psychiatric Association eut « normalisé » la
définition de l'homosexualité passant de « trouble » à la notion
de « condition ». La Déclaration du Vatican donnait sans réserve
l'autorité aux dogmes homosexuels « nés de cette façon » et
« immuables ». C’est peut-être dû à la pure naïveté, mais, en tout
cas, c’est certainement dû à de l'ignorance blâmable et à de
l'incompétence.

30
KURTZ, S., « La fin du mariage en Scandinavie », The Weekly Standard,
2004, 2, 26 et 33 février. L'effet dévastateur de l'augmentation de
l'homosexualité sur le mariage est connu depuis le début. Les nazis
comptaient avec cela dans leur programme pour exterminer les Polonais
slaves. L'une des premières étapes a consisté à légaliser l'homosexualité ;
HABIGER, M., « D’Auschwitz au Caire : leçons sur la gestion de la
population », HLI Reports, 1994, sept. 4-7.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


67

La déclaration « né comme ça » a été suivie dans


plusieurs documents de l'Église31 et avec de graves
conséquences. Au lieu de s'opposer à la propagande
homosexuelle fataliste du monde séculier selon laquelle les
penchants homosexuels devaient être acceptés comme un fait
de la nature, l'autorité de l'Église versait encore plus d'huile
sur le feu. Au lieu d'aider les parents à prévenir l'orientation
homosexuelle de leurs enfants, d'enseigner aux parents la sagesse
de la féminité et de la masculinité naturelles dans leurs relations
conjugales et dans leurs rôles éducatifs, ils sont venus avec le
message d'acceptation passif et sans espoir : « Rien ne peut être
fait à ce sujet32. » Mais en fait, aussi en 1975, la théorie
biologique ne pouvait rien présenter à son appui, car il n'y
avait pas un seul élément de preuve solide tandis qu'il y avait
de nombreuses preuves de la causalité psychologique.
Vraiment troublantes sont les déclarations sur l'homosexualité
dans les numéros 2 357 et 2 358 du Catéchisme de l'Église
catholique de 1992. Ils créent la fausse impression de
l'homosexualité comme un mystère complexe et profond de la
nature, ce qui est l'un des atouts des normalisateurs gais. Le
côté mystérieux est souligné par cette affirmation énigmatique :
« Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. » Est-ce
destiné à soutenir le mythe d’une cause biologique ? En tout cas, il
est conforme à la politique homosexuelle d'ignorer totalement
l'approche psychologique, la considérant comme non
scientifique et insignifiante.

31
La Civiltà Cattolica, le magazine jésuite faisant autorité dans les milieux
ecclésiastiques, contribue au mythe biologique avec un article trompeur et
incompétent de la part du père SERRA, professeur émérite de génétique à
l'Université Grégorienne. De sa compréhension erronée de certains rapports
de recherche, il a soutenu qu'il y aurait « un ensemble cohérent d'observations
indiquant avec une force suffisante que... une composante biologique causale
ne peut pas être exclue et qui suggère même que cela a un poids appréciable ».
Curieusement, le périodique a refusé la discussion de cette information
trompeuse. SERRA, A., « Sessualità : Scienza, sapienza, società », La Civiltà
Cattolica, 2004, 155, I, 220-234.
32
Par exemple, le document sur l'éducation sexuelle du Conseil Pontifical
pour la Famille en 1995, et le message semi-gay des évêques américains
concernant « les enfants homosexuels », en 1997.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


68

C'est très trompeur et incorrect. Un texte sérieux aurait


exposé que la causalité psychologique avait les arguments les plus
convaincants et scientifiquement les meilleurs. En revanche, en
affirmant que l’approche psychologique est « largement
inexpliquée », le texte porte un (mauvais) jugement qui sort du
domaine de compétence des théologiens ; il appartient à celui des
sciences humaines. (Rappelez-vous la leçon de Galilée). En vérité,
toutes les déclarations sur l'homosexualité qui sortent des
questions proprement morales doivent être retirées du
Catéchisme. Comme dans la parabole, ce sont de mauvaises
herbes, semées parmi le blé de la saine Doctrine quand
certaines personnes dormaient.
Une autre déclaration douteuse parle du « nombre non
négligeable d'hommes et de femmes qui présentent des
tendances homosexuelles foncières ». En 1992, c'était un soutien
à la propagande de Kinsey que 10 % de la population masculine
était homosexuelle, ce qui indiquerait qu'elle était « normale ». Et
puis nous lisons cette demi-vérité : « Ils ne choisissent pas leur
condition [...] ce qui est une épreuve pour la plupart d'entre eux. »
Plus douteuse encore, cette représentation mélodramatique des
homosexuels comme d’innocentes victimes de discrimination,
comme le suggère l'admonition suivante : « [...] Ils doivent être
accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur
égard toute marque de discrimination injuste. » Cette sur-
dramatisation est une affaire de propagande homosexuelle.
Précisément, l'endoctrinement public massif avec l'image de
l'homosexuel victime de l'oppression sociale, en combinaison
avec l'illusion du « né comme ça », a été d'une efficacité
dévastatrice pour vaincre la résistance publique aux
revendications homosexuelles à des « droits égaux » pour leur
sexualité. Pourquoi pas un rappel sobre du devoir normal de la
charité ? Quoi qu'il en soit, la rhétorique de la compassion et du
mélodrame a été pleinement développée dans les documents de
l'Église pour créer une atmosphère où l'objection aux pratiques
homosexuelles commence à se sentir non chrétienne. Un exemple
typique est le « message » des évêques américains aux parents
d'enfants (prétendument) homosexuels dans leur document
Always Our Children (1997). Ce n'est que de l'onction pastorale,
de la dramatisation et du bavardage sur le fait « d’accepter et aimer
votre enfant comme un don de Dieu » :

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69

« L'identité sexuelle aide à définir la personne unique que


nous sommes » ; « La chasteté signifie [...] intégrer ses pensées [...]
d'une manière qui valorise et respecte sa dignité et celle des
autres » ; « Toutes les personnes homosexuelles ont le droit d'être
accueillies dans la communauté »; « Un nombre choquant de
jeunes homosexuels finissent dans la rue à cause du rejet par leurs
familles [...] », « Acceptez-vous et aimez-vous comme parents [...]
ne vous blâmez pas pour une orientation sexuelle ». Le rapport
intermédiaire du Synode sur la Famille du Vatican en 2014
continue dans le même style geignard, typique de la
propagande homosexuelle sur la victimisation de l'homosexuel
répudié, mais ici son intention de légaliser les relations
homosexuelles et de bricoler Humanæ Vitæ se fait plus visible.
« Les homosexuels – est-il écrit en incluant clairement ceux qui
pratiquent activement l’homosexualité et son auto-
normalisation – ont des dons et des qualités à offrir à la
communauté chrétienne » ; les fidèles doivent « leur garantir
un espace de fraternité dans nos communautés parce qu'ils
souhaitent souvent rencontrer une Église qui soit une maison
accueillante ». Ce sont donc de pauvres parias ; mais avec le droit
d'être chaleureusement acceptés dans l'Église. Ainsi, ce sont les
fidèles qui devraient être éduqués et instruits de leur manque
de miséricorde, pas ceux qui vivent immoralement. « Nos
communautés sont-elles capables d’accepter et de valoriser
l’orientation sexuelle de ces personnes ? » L'union gaie est donc
présentée comme un amour respectable : « [...] il existe des cas
où le soutien réciproque jusqu’au sacrifice constitue une aide
précieuse pour la vie des partenaires. »
Pour conclure, il n'est pas étonnant que tant de
propagande gaie très subtile et, parfois, moins subtile soit
reprise dans les documents de l'Église. Depuis les scandales des
prêtres, la réalité selon laquelle, au moins depuis les années 50, un
pourcentage disproportionné de séminaristes et de prêtres sont
homosexuels, est venue au jour. Beaucoup d'entre eux ont dû
« normaliser » leurs sentiments pour eux-mêmes.
Et beaucoup d'entre eux doivent être arrivés aux échelons
supérieurs de l'Église, parce que beaucoup de prêtres homosexuels
tendent à aspirer ambitieusement aux carrières ecclésiastiques et y

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


70

réussissent33. Il y a eu des réseaux homosexuels subversifs au


sein de l'Église, même à des niveaux élevés, pour normaliser
l'homosexualité. Les théologiens moraux fournissent des
arguments, certains ouvertement comme Charles Curran :
« L'Église devrait accepter la valeur normale et la bonté des
relations homosexuelles. »
En général, les prêtres homosexuels ou pro-
homosexuels s'opposent à Humanæ Vitæ et inversement,
beaucoup d’opposants à Humanæ Vitæ sont pro-gai, bien qu'ils
ne montrent pas la couleur. En fait, d'après ce qui s'est passé
dans le monde, nous pouvons conclure que la promotion du sexe
contraceptif a été en grande partie le fait de personnes
motivées par le désir de normaliser leur propre anomalie et
d'imposer leur immoralité à la société dans son ensemble.
Maintenant, il est assez probable que les tentatives existant au
sein de l'Église pour amender la doctrine d’Humanæ Vitæ sont
également fortement motivées et orchestrées par des prêtres
homosexuels. Non par compassion envers les parents pour qui
observer Humanæ Vitæ serait trop difficile, mais parce que les
hommes gais, ayant peu d'affinité et de compréhension pour
l'amour conjugal adulte, sont motivés dans cette question par des
sentiments plus centrés sur l'ego : Humanæ Vitæ fait obstacle à
leurs propres idéaux douteux.

*************************

33
Cf. NASINI, G., Um Espinho na carne, Aparecida SP, Editora Santuário,
1998.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


71

BIBLE
« Le ciel et la terre passeront ; mes paroles ne passeront pas » (Mt 24, 35).

L’Église et la science1
Dominique Tassot

Résumé : Il est courant – c’est même un thème de propagande constant


chez les « humanistes » comme chez les marxistes – d’opposer la science à
l’Église, l’ouverture d’esprit nécessaire à l’innovation et la fermeture d’une
pensée contrainte par le dogme. L’histoire de la science européenne
démontre exactement l’inverse. La chrétienté médiévale si souvent décriée a
développé une foule d’inventions techniques devenues si banales (le bouton
ou la cheminée, par exemple) que nous ne mesurons plus les apports
gigantesques qui firent de la civilisation européenne un phare pour les
autres continents. Il en fut de même pour les outils intellectuels de la pensée
scientifique. Une confirmation a contrario nous est fournie par les deux
grands adversaires contemporains du christianisme, les deux grands
persécuteurs : la société marxiste et la société islamique. Toutes deux se
sont condamnées à importer le progrès technique.

Bien des jeunes âmes (et des moins jeunes), hypnotisées


par le progrès technique, associant ce progrès à la modernité
laïcisée, aperçoivent mal la place de l’Église dans un univers qui
semble désormais se construire sans cette dernière, réduite au
statut d’une ONG internationale. On veut bien reconnaître à
l’Église sa place dans les grandes opérations humanitaires (les
camps de réfugiés, les dispensaires, etc.), son utilité
d’intermédiaire diplomatique pour régler certains conflits (entre
le Chili et l’Argentine en 1978, par exemple), et – bien sûr – son
rôle de « psy » : donner aux esprits faibles qui en ressentent le
besoin un peu de paix intérieure pour affronter les émois intimes
de leur existence. Mais, dans le domaine de la pensée, quand il
s’agit de connaître la vérité objective sur les choses ou les êtres,
c’est désormais à la science que l’on s’adresse.

1
Une version abrégée de cet article a été publiée dans la revue Civitas n°66,
décembre 2017.

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Sur quelque sujet que ce soit, le reporter ira interroger le


spécialiste concerné et, s’il s’agit d’un prix Nobel, ses mots
seront recueillis avec dévotion et reconnaissance, comme jadis
ceux de la pythie de Delphes au sortir d’une transe.
L’autorité intellectuelle a bien changé de mains et, à qui
en douterait, on rappellera gentiment l’affaire Galilée, ce fâcheux
épisode où l’Église – mal lui en prit ! – s’était encore permis
d’interférer dans une question scientifique. Galilée lui-même
avait d’ailleurs pris le soin d’expliquer dans un écrit dit Lettre à
la Grande-Duchesse Christine de Lorraine, « la différence qui
existe entre les doctrines opinables et les doctrines
démonstratives », en clair : entre les raisonnements juridiques ou
théologiques et les affirmations de la nouvelle science
mathématisée. « Il faut bien apercevoir – écrit-il – toute la
différence qui existe entre commander à un mathématicien ou à
un philosophe2, et donner des instructions à un marchand ou à
un légiste. On ne peut changer les conclusions démontrées,
concernant les choses de la nature et du ciel, avec la même
facilité que les opinions relatives à ce qui est permis ou non
dans un contrat, dans l’évolution fiscale de la valeur d’un bien
ou dans une opération de change. »
Galilée ne contestait donc pas le rôle des hommes
d’Église dans l’organisation de la vie sociale3, mais il
revendiquait pour la science en général et pour sa théorie en
particulier une qualité de certitude qui était jusqu’alors réservée
aux mathématiques. Dès lors, donc, que l’homme de science ne
fait que relever des chiffres sur un cadran et opérer des calculs,
on voit mal en effet ce que l’Église aurait à redire sur ses
conclusions. Telle est bien l’opinion courante à ce sujet chez nos
contemporains : hommes d’Église et scientifiques agissent dans
des domaines bien distincts et, ne se rencontrant jamais, n’ont
aucune raison de se contredire4.
2
C’est-à-dire à un savant, dans le langage de l’époque.
3
Sa fille était religieuse. C’est d’ailleurs elle qui fut chargée d’exécuter
l’effroyable peine à laquelle il avait été condamné : lire une fois par
semaine les sept Psaumes de la pénitence !
4
C’est ce que le célèbre paléontologiste américain Stephen Jay Gould a
théorisé en 1997 comme constituant le « principe des NOMA », de l’anglais
« Non Overlapping Magisteria » : « pas de recouvrement entre le magistère
de la science et le magistère de la religion. »

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Ceux qui tiennent un tel langage démontrent qu’ils


ignorent l’origine de la science européenne, la contribution
majeure que l’Église et les croyants ont apportée aux
découvertes, et aussi les freins que constituent les idéologies
antichrétiennes.

I. Aux origines de la science

Quand nous prononçons le mot « science », quand nous


disons La science (comme s’il n’en existait qu’une), nous avons
en vue la science européenne, édifice toujours inachevé qui s’est
construit ici et non ailleurs, alors que de grandes intelligences et
des tempéraments spéculatifs fleurissaient aux mêmes moments
dans bien d’autres sociétés. La raison en est la convergence
unique de deux apports majeurs : la logique grecque et la notion
biblique de création.
Le principe du tiers exclu, hérité de Parménide, permet
d’atteindre très vite (trop vite, parfois) des conclusions certaines.
Il affirme que si une proposition est vraie, sa négation est
fausse : c’est un outil décisif d’assurance intellectuelle et de
productivité de la pensée.
La notion biblique de Création apporte, quant à elle, l’idée
qu’il existe des « lois » de la nature. Chez les Anciens, le
concept de loi n’était que juridique et concernait la Cité. Mais
Y H W H – nous dit en maints lieux la Bible – a créé « le ciel et la
Terre et tout ce qu’ils contiennent » (Ex 20, 11, etc.). En
considérant tous les êtres, du plus grand au plus petit, du ciel
étoilé au vermisseau, comme autant de créatures divines, posées
par une Pensée intelligente, donc munies d’une raison d’être, la
Bible enseigne que le monde est intelligible. D’où l’extension du
concept de « loi » au-delà du Droit : « C’est Dieu qui a établi ces
lis en la nature, ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume »,
écrit Descartes au père Mersenne le 15 avril 1630. Et l’homme,
créé à l’image de Dieu, peut donc – fût-ce analogiquement et
partiellement – découvrir par son intelligence ces lois existant
depuis la Création.
Le grand spécialiste de la science chinoise, Joseph
Needham, explique ainsi le retard de la Chine : « L’idée d’une
puissance créatrice fit si nettement défaut que cela rendit

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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impossible le développement d’une doctrine des lois données dès


le commencement par un législateur céleste, et s’appliquant à la
nature non humaine5. » En revanche, Kepler écrit : « La
géométrie est co-éternelle avec l’esprit de Dieu. […] Elle fut
implantée en l’homme en même temps que la ressemblance de
Dieu6. »

II. Une science et une technologie chrétiennes ?

On serait donc en droit de parler d’une science


chrétienne, ce que confirme un trait qui distingue clairement le
savoir technico-scientifique européen : le souci d’atténuer la
pénibilité physique du travail et de faciliter la vie matérielle de
tous. Ce n’était pas une motivation forte pour la société antique :
les dirigeants s’y entouraient d’esclaves. Or comment est-on
passé d’une société à l’autre ? Par l’activité inventive de ce
Moyen Âge si méconnu, activité largement due aux monastères.
Les moines, astreints chaque jour à la récitation des
offices, ne disposaient que de peu de temps pour leur travail
journalier. Tout ce qui augmentait la productivité fut dès lors
accueilli avec ferveur. Si les moulins hydrauliques étaient
connus dès l’Antiquité, ils demeuraient très rares. Les fouilles de
Venafro, à l’Est du Mont Cassin, ont mis au jour un moulin
romain dont la meule mesurait 2,1 m de diamètre. À raison de 46
tours par minute, ce moulin pouvait écraser 150 kg de blé à
l’heure, tandis que deux esclaves, dans le même temps, avec un
moulin à bras, n’en écrasaient que 7 kg ! Mais le moulin
hydraulique coûtait fort cher et demandait une source d’énergie,
tandis que les esclaves ne prélevaient, pour leur nourriture, que
20 % de la farine produite (soit l’équivalent de notre moderne
TVA).
Les abbayes s’équipèrent de moulins à eau, non
seulement pour moudre, mais aussi pour broyer, scier, tamiser,
fouler, tanner, façonner et pomper.

5
J. NEEDHAM, La Science chinoise et l’Occident. Misères et succès de la
tradition scientifique chinoise, Paris, Seuil, 1973, p. 37.
6
Cité par A. KŒSTLER, Les Somnambules. Essai sur l’histoire des
conceptions de l’univers, Paris, Calmann-Lévy, 1960, cité dans la rééd.
1985, p. 276.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Sur les seules terres de l’abbaye de Saint-Germain-des-


Prés, à Paris (détruite à la Révolution), on comptait au IXe siècle
59 moulins !7 Les inventions médiévales furent très nombreuses.
Leur seule énumération fait immédiatement comprendre les
bienfaits qui en résultèrent sur toute la société. En voici
quelques-unes :

-VIIIe s. : Étrier (en Europe), assolement triennal, collier


d’épaule à monture rigide.
-IXe s. : Ferrure à clous, tour à aiguiser.
-Xe s. : Arbre à cames, charrue à avant-train.
-XIe s. : Premier vol aérien, système des neumes sur portée à
lignes et notes de la gamme (ut, ré, mi, etc.), herse, cheval dans
l’agriculture, cheminée adossée au mur.
-XIIe s. : Alcool à 60° (par distillation), moulin-à-vent, acide
nitrique, moulins sous les ponts, barrages sur les rivières, arc-
boutant, pain de savon dur, fermes modèles (cisterciennes).
-XIIIe s. : Boutons, tour à poulie à 2 pédales, scie hydraulique
avec avance automatique de la pièce à scier, vérin, gouvernail
d’étambot, brouette, écluse à sas, lunettes à lentilles
convergentes pour presbytes, impression à la planche, emploi du
charbon dans l’industrie, emploi du verre dans l’appareillage
scientifique, miroirs de verre.
-XIVe s. : Soufflets hydrauliques, ponts préfabriqués et
articulés, aiguilles en fer, rouet à pédales, fonte, avant-train
mobile, sablier, fourchette.

La part des moines dans ces inventions fut déterminante, car


la même personne pouvait cumuler intelligence spéculative,
habileté opératoire et motivation de celui qui va profiter
immédiatement de la découverte. On pourrait objecter à cette
idée d’une science et d’une technique « chrétiennes » que tous
étant alors chrétiens, il était naturel que les inventeurs le fussent :
savants donc, certes, mais « bien que chrétiens » et non « parce
que chrétiens » ! Le prodigieux développement du savoir au XIXe
siècle va nous donner la réponse.

7
Toutes ces indications historiques sont tirées de J. GUIMPEL, La
Révolution industrielle du Moyen Âge, Paris, Seuil, 1975, p. 13 sq.

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III. La contribution des croyants aux découvertes


scientifiques.
Ce que nous appelons « enseignement supérieur » naquit à
l’ombre de l’Église. Le IIIe concile du Latran (1179) demandait à
chaque église cathédrale d’entretenir un maître chargé d’instruire
gratis les clercs de l’église et les écoliers pauvres.
Puis se forma à Paris l’Universitas, divisée en 4 facultés
(théologie, droit, médecine et arts libéraux), ouverte à toutes les
nations. Elle fut bientôt imitée dans toute l’Europe et même à
Beyrouth. Les savants sont alors soit des clercs, soit des hommes
fortunés qui se forment eux-mêmes. Les sciences étaient
enseignées dans les écoles professionnelles, et il faudra attendre
le XIXe siècle pour qu’apparaisse en France une faculté des
sciences. À cette époque, l’Église se remet à peine de la
tourmente révolutionnaire ; les esprits forts, à la Voltaire,
tiennent le haut du pavé et la Franc-maçonnerie, déçue par la
résistance des hommes pieux et du clergé non-jureur devant ses
idéaux, comprend que les abbés de Cour qui fréquentaient les
loges avant 1789 n’étaient pas représentatifs : elle devient
clairement anticléricale.
Ainsi, au XIXe siècle, époque de progrès scientifiques
décisifs dans tous les domaines, l’incroyance est à la mode et les
hommes, alors seuls adonnés aux sciences, y résistent beaucoup
moins que les femmes.
Vers 1915, Antonin Eymieu s’est livré à une étude
statistique détaillée portant sur les croyances des savants8. Son
enquête, classée par grandes disciplines, portait sur 432 noms qui
ont illustré les sciences exactes et les sciences de la nature. Outre
34 dont l’attitude religieuse reste inconnue, il en reste 398 qui se
répartissent ainsi : 15 indifférents ou agnostiques, 16 athées et
367 croyants (92 %). Et si l’on restreint l’étude aux initiateurs, à
ceux qui ont produit les innovations essentielles, la proportion
augmente encore. Eymieu en retient un total de 150 se partageant
ainsi : 13 dont les sentiments religieux sont inconnus, 9
indifférents ou agnostiques ; et sur les 128 qui ont pris position,
5 seulement (soit 4%) sont athées et 123 croyants (soit 96%).

8
A. EYMIEU, La Part des croyants dans les progrès de la science au XIXe
siècle, Paris, Perrin, 1920, t. II, p. 274-279.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Quand Eymieu évoque ici la “croyance religieuse”, il


s’agit sans aucune exception du christianisme, c’est-à-dire de
la religion de la Révélation biblique complète, achevée, et qui
reçoit l’Ancien et le Nouveau Testament comme Parole de Dieu.
Il est donc difficile de nier que les grands scientifiques
de ce XIXe siècle ont été, de beaucoup, plus chrétiens que la
moyenne de leurs contemporains, qu’ils ont mieux résisté à la
pression sociale, et donc que la vision biblique du monde qui
orientait leurs convictions et leurs personnes eut un effet positif
sur les progrès de la science.
La contribution des chrétiens, et parmi eux des chrétiens
convaincus, aux progrès décisifs et fondateurs dans les sciences,
est massive. Qui plus est, elle porte sur des découvertes dotées
d’applications immédiates, qui se révèlent ainsi, a posteriori,
comme les plus utiles à l’humanité. Ainsi les techniques du XXe
siècle, dont l’ordinateur, ont surtout consisté à développer trois
grandes découvertes du siècle précédent : l’électromagnétisme,
les ondes radio et la cinématographie. Toutes trois sont dues à
des chrétiens qui eurent à s’imposer malgré le climat anticlérical
dominant l’Université et les sociétés savantes : Ampère, Branly
et les frères Lumière.

André-Marie Ampère (1775-1836), autodidacte comme


le sera Edison, connut des débuts difficiles, son père étant mort
sur l’échafaud en 1793. Il réussit à se faire remarquer par des
travaux de mathématique probabiliste et devint enseignant. Sa
fécondité inventive est prodigieuse. Il produit la théorie de
l’électromagnétisme (1820), invente le galvanomètre, le
télégraphe électrique et (avec le républicain Arago) l’électro-
aimant. Mais on sait moins son influence sur Frédéric Ozanam,
lorsqu’il logea chez lui le jeune futur bienheureux lyonnais
monté à Paris en 1831 pour étudier à la Sorbonne. Le simple fait
de voir la piété personnelle du grand savant, sa rectitude de vie,
aidèrent Ozanam à résister aux esprits forts qui agitaient
l’Université française.

Édouard Branly (1844-1940), ancien major de l’École


Normale Supérieure, dut longtemps se battre pour abriter son
laboratoire dans les murs de l’Institut catholique de Paris ; il y
fut aidé par Albert de Mun.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


78

Il y avait là tout un symbole : la simple existence de ce


petit local démentait la propagande cherchant à lier, dans l'esprit
des contemporains, la science avec l’athéisme. C’est là qu’eut
lieu, en 1890, entre deux dispositifs séparés par trois salles, la
première expérience d’action radio à distance (à l’origine de la
T.S.F.). Branly inventera par la suite la télémécanique et la
télécommande (1905). Il fut enterré au cimetière du Père-
Lachaise à Paris ; on y remarque sur sa tombe, au sommet de la
stèle, un symbole sans équivoque : le globe terrestre surmonté
d’une croix.

Les frères Auguste et Louis Lumière, fabricants de


plaques photographiques, sont, eux, les inventeurs du cinéma. En
1895, Louis Lumière (1864-1948) rêve d’une machine à coudre
et va en adapter le système pour fabriquer la première caméra.
Notons que l’ingénieux dispositif permettant de faire avancer la
bobine par saccades, ce qui lui laisse le temps d’être
impressionnée, sera nommé par lui “croix de Malte”, en raison
de sa forme. Auguste Lumière (1862-1954) étudiera la biologie
des colloïdes, avançant des idées qui en font un précurseur de
l’immunologie. Il inventera le tulle gras pour soigner les brûlés.
Ces deux frères, acculés un jour au fond d’une grotte à
marée montante, avaient fait le vœu, s’ils survivaient, de rester
ensemble dans tout ce qu’ils feraient. Ils déposèrent – toujours
sous leurs deux noms – près de deux cents brevets.

On notera que tous ces chrétiens ont fait des


découvertes fondamentales mais immédiatement utiles,
grosses d’applications pratiques, bien différentes de ces pures
théories mathématisées qui, de nos jours, établissent la réputation
des savants, la Relativité en est un exemple. Faudrait-il
distinguer une science chrétienne, discrète tout en aidant à
soulager le labeur des humbles, d’avec une science théorique
mue par l’orgueil humain et l’esprit de domination, dont le XXe
siècle nous a offert plusieurs exemples ?

IV. Le contre-exemple donné par les adversaires de


l’Église.
Les grandes religions et philosophies nées avant Jésus-
Christ, ne sont pas antichrétiennes par nature.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


79

Tandis que l’islam et l’athéisme bolchévique, courants


postchrétiens, sont officiellement antichrétiens.
L’Union soviétique, malgré les hautes qualifications des
élites intellectuelles russes, n’a pu l’emporter dans la course au
développement industriel. Nonobstant quelques Prix Nobel,
l’empire ne retrouva qu’en 1953 sa production de 1917 et son
retard technologique fut flagrant malgré tout l’espionnage
industriel. Encore faut-il ajouter que les savants bénéficiaient de
conditions de vie spéciales, ce qui prouve – si la chose était
nécessaire ! – que la liberté intellectuelle et la liberté civile vont
de pair.
L’affaire Lyssenko en donne l’exemple type : la biologie
soviétique s’est trouvée bloquée par la contradiction entre l’idée
évolutionniste d’un « progrès » dans la Nature et les lois de la
génétique : il fallait que l’Homo sovieticus pût devenir un
surhomme ! Certes, Lyssenko fit emprisonner son opposant
Vavilov et déporter ses collaborateurs, mais ce fut la meilleure
manière de paralyser la recherche.
L’esprit de soumission, constitutif de l’islam (c’est
l’étymologie du mot), avait eu les mêmes effets stérilisants, à la
longue, sur les populations conquises par les Arabes, puis par les
Turcs. En 1377, Ibn Khaldoun écrit dans sa Muqqadima :
« Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le
Maghreb et l’Andalous9, et que le déclin de la civilisation
entraîna celui des sciences, les sciences rationnelles disparurent,
à l’exception de quelques vestiges qu’on peut rencontrer encore
chez un petit nombre de personnes isolées, soumises à la
surveillance des autorités de la Sunna10. »
Un universitaire algérien, Nadji Safir, chargé de cours de
sociologie, s’est appuyé sur la dernière édition du Rapport de
l’Unesco sur la Science, Vers 2030, pour produire des
statistiques comparant les pays de l’OCI (organisation de la
Coopération Islamique) avec le reste du monde11.

9
En clair : lorsque le reflux des Sarrazins ne leur permit plus d’avoir à leur
disposition les peuples chrétiens, leurs connaissances et leurs savoir-faire…
10
I. KHALDOUN, Le Livre des exemples. Autobiographie, Muqqadima,
Paris, coll. « La Pléiade », Gallimard, t. Ier, p. 2 002.
11
N. SAFIR, « La science en marge des sociétés musulmanes », in Le Cep
n°78, mars 2017, p. 24-27.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


80

Les pays de l’OCI regroupaient en 2014 1,677 milliards


d’habitants, soit plus du quart de la population mondiale. Ils
bénéficient de la manne pétrolière depuis plus d’un demi-siècle.
Sur l’année 2014, les 57 pays membres de l’OCI ont
produit un peu plus de publications scientifiques que
l’Allemagne (et le tiers de la production américaine). Encore ne
parle-t-on ici que du nombre des publications et non de leur
qualité (on sait que seulement 10% des articles scientifiques sont
cités par d’autres, c’est-à-dire ont vraiment apporté à la science
plus qu’une ligne sur le CV des auteurs). Plus significatif est
donc le nombre des brevets déposés entre 1977 et 2014. Pour
l’OCI, on en compte 6 084. Ce nombre est inférieur à celui de
8 097 pour la seule Norvège ou de 8 996 pour Singapour et très
éloigné des 1 014 977 pour le Japon et de 146 153 pour la Corée
du Sud (51 millions d’habitants).

Dans le classement dit de Shanghaï des Universités, on en


trouve 10 de pays membres de l’OCI, la première apparaissant à
la 150e place, alors qu’on y trouve 12 Universités sud-coréennes
et 11 suédoises (dont 3 parmi les 100 premières). L’étouffoir
bolchévique n’a pesé que 72 ans sur les savants russes, tandis
que l’islam règne depuis des siècles sur les pays de l’OCI. Or, au
début du Moyen Âge, les pays du Proche-Orient étaient plus
développés que ceux d’Europe. Byzance, Antioche ou
Alexandrie furent des phares de la pensée : les Pères grecs sont
là pour en témoigner.

Si donc l’islam était par lui-même un facteur favorisant la


connaissance en général et la science en particulier, ces pays
auraient connu un développement « musulman » parallèle au
développement « chrétien » survenu en Europe avec la
participation directe des hommes d’Église et indirecte des
institutions politiques inspirées par l’Église. Il n’en fut rien : les
canons qui abattirent les murs de Constantinople, en 1453,
étaient coulés, construits et servis par des chrétiens, comme
aujourd’hui les personnels techniques dans les émirats sont
souvent étrangers.

______________________________

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


81

On peut donc conclure, armé du diagnostic de l’Histoire.


Ce que l’on nomme aujourd’hui la science est la diffusion
universelle d’une science née en Europe par héritage du logos
grec et par décantation de la vision biblique du monde diffusée
par les évangélisateurs envoyés par l’Église. Jusqu’au XVIIe
siècle, presque tous les savants et inventeurs furent des clercs.
Puis surgissent à leurs côtés des hommes de science laïcs :
mais, au moins jusqu’en 1900, très largement chrétiens.
Rappelons que c’est par ses qualités d’astronome que Matteo
Ricci se fit accepter parmi les mandarins à la Cour de Pékin.
Rappelons que l’Église, ne jouissant pourtant plus des États
pontificaux, continue d’entretenir une Académie Pontificale des
Sciences qui est, au monde, celle qui comporte le plus grand
nombre de prix Nobel.
Certes, la majorité des membres y sont aujourd’hui des
incroyants, mais ce fait déplorable n’en démontre que mieux la
considération pour la science elle-même des Papes qui se sont
succédés depuis Pie IX12. Une question demeure toutefois : cette
science contemporaine, désormais portée par des esprits
religieusement souvent incultes, parfois mus par des
considérations de vanité et d’influence, dépendant pour leurs
recherches de financiers intéressés, cette science donc continue-
t-elle d’apporter les mêmes fruits libérateurs au service des
humbles ?

* *

12
Par comparaison, on notera que sur le site officiel de l’OCI, « La voix
collective du monde musulman », apparaît un « Département des Sciences
et de la Technologie (y compris l’Environnement, la Santé et
l’Enseignement supérieur) ». Mais, pour ce Département, le site n’offre que
la mention : « Aucune activité encore publiée » (consulté le 7/3/17 puis le
28/7/18).

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


82

REGARD SUR LA CRÉATION


« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu,
sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l'œil nu
quand on Le considère dans ses ouvrages » (Rm 1, 20).

Sur la bonté ou générosité de Dieu1

Thomas Dick, LLD2

Présentation : Le livre du révérend Thomas Dick dont ce passage est tiré montre
que les dispositions et l’ordre harmonieux de la Nature ne manifestent pas
seulement la sagesse et l’intelligence du Créateur, mais sa bienveillance et sa
générosité, en particulier à notre égard. Il existe donc une harmonie profonde
entre « le système de la Nature et le système de la Révélation » (selon les mots de
Dick dans sa préface) : la considération de l’univers et de ses commodités envers
ses habitants devrait élever notre âme autant qu’inspirer notre intelligence. À lire
les lignes qui suivent, écrites il y a deux siècles, on comprend tout ce que la
vision exclusivement utilitaire de la nature, issue de la révolution darwinienne, a
fait perdre à notre civilisation : une régression qui s’est aussi portée sur l’homme
lui-même, non seulement en le considérant comme un animal, mais encore en
rétrécissant notre perception des êtres vivants et de leur place dans l’univers. Ces
pages rafraîchissantes nous permettent de mesurer le charme de l’existence dont
le darwinisme nous a privés en cherchant à éteindre notre sentiment de
reconnaissance envers l’Auteur de tous ces biens.

La générosité de Dieu est cette perfection de sa nature par


laquelle il communique le bonheur aux divers degrés de l'existence
sensible et intelligente.

1
Extrait de The Christian Philosopher, or The connection of Science and
Philosophy with Religion (10th Edition, 1846, vol Ier, p. 128-134). Ce passage
est tiré d'une édition "revue et très augmentée" de 645 pages ; la princeps
datant de 1823. Les commentaires en note sont d’Antony NEVARD, qui a
reproduit ce texte dans la revue Daylight (n°56, février 2017). Aimablement
traduit par Claude Eon.
2
Le Révérend Thomas DICK (1774-1857), docteur en Droit, fut un pasteur de
l'Église presbytérienne d'Écosse, professeur de science et écrivain, connu pour
ses travaux en astronomie et en philosophie pratique, combinant science et
christianisme et plaidant pour une harmonie entre les deux. Ses œuvres furent
très lues et il influença notamment David Livingstone, en tant
qu'"abolitionniste" (de l'esclavage).

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


83

L'organisation de la nature, dans toutes ses parties, montre


une manifestation illimitée de cet attribut de l'Esprit divin tant à
l'égard de l'homme que des espèces vivantes inférieures. À l'égard
de l'homme : la splendeur et la gloire des cieux ; le panaché de
couleurs répandu sur la scène de la nature : les magnifiques fleurs,
arbustes et arbres qui ornent la terre et qui non seulement
réjouissent l'œil, mais parfument l'air de leurs délicieuses odeurs ;
les diverses espèces de sons agréables qui charment les oreilles : la
musique des oiseaux chanteurs qui emplissent les bosquets de leurs
mélodies ; les milliers d'images attrayantes qui enchantent les yeux
dans les embellissements naturels de la création ; les sensations
agréables que produit le contact avec presque tout ce que nous
avons l'occasion de toucher ; le plaisir associé au manger, au boire,
au mouvement musculaire et à l'activité : la luxuriante profusion et
la riche variété des aliments que la terre prodigue ; les échanges de
pensée et d'affection ; tout cela proclame la générosité de notre
tout-puissant Créateur et montre que la communication du bonheur
est le grand objet de toutes ses dispositions.
Car, toutes ces circonstances ne sont pas essentiellement
requises par notre existence. Nous aurions pu vivre, respirer et
marcher bien que chaque chose que nous touchions eût été
douloureuse ; que ce que nous mangions et buvions eût été amer ;
que tout mouvement de nos mains et de nos pieds eût été
accompagné de malaise et de fatigue ; que tout son eût été aussi
strident que la scie du charpentier ; qu'aucun oiseau ne roucoulât
dans les bosquets ; qu'aucune fleur ne parât les champs ni ne
remplît l'air de son parfum ; qu'une monotone scène de triste
uniformité l'eût emporté et que la beauté et la sublimité eussent été
balayées de la face de la nature ; que la terre eût été couverte d'un
manteau noir et qu'aucune sphère lumineuse n'apparût dans notre
ciel nocturne.
Quel misérable monde aurions-nous alors habité, comparé
à celui que nous possédons maintenant !

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


84

La vie serait passée sans joie et la douleur l'aurait emporté


sur les plaisirs de l'existence. Tandis que, dans l'agencement actuel
des choses, tous les objets autour de nous, selon chaque sensation
que nous en éprouvons lorsqu'elle est conservée dans sa vigueur
naturelle, inclinent spontanément à produire des impressions
agréables et contribuent à notre plaisir. C'est surtout lorsque nous
nous adonnons à nos passions stupides et dépravées et que nous
commettons des actes immoraux, que les intentions généreuses de
Dieu sont frustrées et que douleur et misère surviennent.
Si le Créateur du monde avait été un être malveillant
possédant pouvoir et intelligence infinis, toute l'ordonnance de la
nature aurait été presque l'opposé de ce que nous avons
maintenant3. La production du mal et de la douleur chez les êtres
sensibles aurait été le but de l'auteur dans tous ses actes et
ordonnances. Tout le dessein dans la structure de l'univers, toute
cette sagesse et intelligence que nous admirons maintenant dans
l'adaptation des parties et des fonctions des animaux à leurs
nécessités et à leur environnement ; nous les aurions redoutés
comme autant de moyens de produire des sensations douloureuses
et de les rendre aiguës et permanentes. Au lieu du bonheur, du
plaisir et de la joie dans l'exercice de nos fonctions et facultés,
l'état ordinaire des animaux et des êtres humains aurait été un état
de trouble, de maladie, de découragement et d'angoisse. Chaque
souffle d'air aurait pu nous entailler comme la pointe d'une dague,
ou produire une douleur comme celle d'avaler de l'eau-forte ou de
l'acide sulfurique. Chaque toucher pourrait avoir été ressenti
comme la piqûre d'une ortie ou comme le frottement du sel sur une
plaie purulente.
3
L'auteur développe ici un argument qui résulte logiquement de la vision
d'athées comme Richard DAWKINS, décrivant le Dieu de l'Ancien Testament
comme un "tyran malveillant" (et de nombreuses autres épithètes) dans son
livre The God Delusion [Londres, Black Swan, 2007, p. 51]. DAWKINS
reconnaît bien "l'apparence de dessein" dans la nature, mais il l'attribue au
hasard et à la sélection naturelle. Bien que ces processus se produisent, ils ne
peuvent pas expliquer l'existence et l'architecture du monde ; un Créateur
existe et Il doit être bon.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


85

Chaque goût aurait été amer comme la bile et l'armoise, et


chaque son aigu et dissonant, ou comme un affreux hurlement.
Tous nos sens, au lieu d'être les sources du plaisir, comme ils le
sont maintenant, auraient été des instruments de douleur et de
torture. Les animaux, au lieu de pourvoir à nos bonheur et besoins,
auraient été programmés pour nous tourmenter, nous harasser et
nous importuner. La vache et la chèvre ne nous donneraient pas de
lait, ni l'abeille son miel et les oiseaux du ciel ne nous charmeraient
pas de leur musique. Des objets mornes et farouches auraient été
dispersés sur toute la surface de la création et tout ne serait apparu
que triste mélancolie, sans beauté ni diversité. Les champs auraient
manqué de leur charmante verdure, de leur aspect diversifié et des
magnifiques fleurs qui les ornent aujourd'hui. Le feu aurait pu nous
brûler sans nous réchauffer et l'eau, au lieu de nous rafraîchir,
aurait pu nous infliger une douleur intolérable. La lumière aurait
pu être sans couleur ; elle aurait pu nous éblouir au lieu de nous
réconforter, et empêcher la perception des objets lointains. Nos
globes oculaires auraient pu être privés des muscles qui maintenant
leur permettent de se mouvoir facilement dans toutes les directions,
et tout rayon de lumière aurait pu être douloureux. Le sol aurait pu
être si souple et mou qu'à chaque pas nous nous serions enfoncés
comme des personnes marchant dans un bourbier. En résumé, nos
imaginations dans un tel cas ne nous auraient guère présenté que
des fantômes effrayants et des objets de terreur et d'alarme, et nos
esprits auraient été emplis de noirs pressentiments et d'horribles
perspectives. Mais toute l'ordonnance du système de la nature, tel
qu'il est constitué, est exactement le contraire de ce que nous
venons de supposer. Cette réflexion démontre que le grand
Créateur de l'univers est le Dieu d'amour, dont la miséricorde et la
bienveillance sont manifestes envers chaque classe d'êtres
sensibles et intelligents, et ces attributs, nous en sommes sûrs, ne
cesseront jamais d'agir aussi longtemps que l'univers subsistera.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


86

Si nous considérons, en outre, que la bonté inépuisable du


Créateur et que les nombreux plaisirs dont nous jouissons, sont
accordés à une race d'hommes coupables, la bienveillance de Dieu
apparaîtra d'une façon encore plus frappante. L'homme a osé se
rebeller contre son Créateur ; c'est une créature dépravée et ingrate.
La grande majorité de notre race a banni Dieu de ses pensées,
piétiné ses lois, négligé de contempler ses œuvres, refusé de lui
payer le tribut de révérence et d'adoration que ses perfections
demandent, a été ingrate pour ses faveurs, a blasphémé son nom et
accordé "aux bêtes à quatre pattes et aux choses rampantes"
l'hommage qui n'est dû qu'à Lui seul. Cela fut la principale partie
de l’activité des hommes, à toutes les époques, de contrarier les
effets de Sa bienveillance en infligeant injustice, oppression et
torture à autrui ; en mutilant le corps humain, en brûlant cités et
villages, en transformant en désert des champs fertiles et en
apportant mort et destruction à travers le monde par toutes sortes
d’actes de violence.
Et si l'eau, l'air et la lumière du ciel avaient été en leur
pouvoir, il est plus que probable que les hommes auraient
occasionnellement privé des nations entières de ces éléments si
essentiels pour la vie humaine4. Pourtant, malgré la fréquence de
ces inclinations dépravées, les flots de la bienveillance divine
envers notre race apostate n'ont jamais cessé de couler. La terre ne
s'est jamais arrêtée dans sa course pour jeter la confusion dans la
nature ; la lumière des cieux n'a jamais cessé d'illuminer le monde ;
les sources de l'eau ne se sont jamais asséchées ; pas plus que le sol
fertile n'a cessé d'enrichir les plaines de récoltes merveilleuses.
Dieu "n'est jamais resté sans témoin" de sa bienfaisance, à toute
époque, accordant sans cesse aux habitants du monde "la pluie du
ciel et les saisons fertiles, emplissant leurs cœurs de nourriture et
de joie".

4
Ndlr. N’est-ce pas ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec les épineuses
questions du partage des eaux de l’Euphrate, du Jourdain ou du Nil ?

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


87

Ceci est un des traits divins constituant le plus parfait


contraste avec les inclinations égoïstes et vengeresses de l'homme,
et qui transcende la bienveillance humaine autant que les cieux
surpassent en étendue la terre ; un trait calculé pour exciter notre
amour et notre admiration les plus nobles et que les textes sacrés
nous invitent à imiter et vénérer au plus haut degré : "Soyez
miséricordieux comme votre Père qui est dans les cieux est
miséricordieux ; car il fait lever le soleil sur les méchants et sur les
bons, et il envoie la pluie sur le juste et sur l'injuste." "Puissent les
hommes louer le Seigneur pour sa bonté et pour ses merveilleuses
œuvres en faveur des enfants des hommes5.’’
Par de telles considérations, même par le fonctionnement
de la nature, nous apprenons que la miséricorde est un attribut de
Dieu ; car sa miséricorde consiste à accorder ses faveurs à ceux qui
en sont indignes, ou qui méritent châtiment, les plus grands
pécheurs de tous les temps en ont bénéficié, et chaque individu de
la race humaine en vie actuellement jouit d'une certaine partie de
ces réconforts qui s’écoulent des dispositions bienveillantes
instaurées par le Créateur : "Il fait que le soleil se lève sur les
méchants et sur les bons."
Bien que les nations de l'ancien temps aussi bien que
celles d’aujour’hui "aient suivi leurs propres voies", se livrant à
l'impiété, au mensonge, à la lubricité, à la guerre, aux dévastations,
à la vengeance, à d'abominables idolâtries, à toutes sortes de
violations de sa loi, Il soutint pourtant la condition de leurs
animaux, fit que les influences du soleil, de la pluie et de la rosée
descendissent sur leurs champs pour qu'ils puissent être rafraichis

5
Le problème du mal dans le monde n'est pas un problème secondaire, mais le
christianisme lui apporte une réponse. Cela dépend de l'acceptation du Péché
originel, mais les évolutionnistes rejettent la création d'Adam et Ève. Dick
traite longuement cette question et la résume comme suit : « La circonstance
que l'homme est une créature déchue semble être le seul indice pour nous
guider dans l'explication des mystères de la Providence et pour nous permettre
de voir l'harmonie et la cohérence des actes divins dans le système de la
nature ; aucune autre considération n'expliquera complètement les désordres
existant dans l'économie présente de notre monde » (ibid., vol. II, p. 263).

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


88

par sa bonté et remplis de "nourriture et de joie". Si la miséricorde


n'était pas un attribut essentiel de Dieu, il les aurait abattus pendant
leur première transgression, mettant en pièces le globe sur lequel
ils habitaient et les aurait enterrés dans un éternel oubli. Mais
savoir si la miséricorde divine s'appliquera au pardon final du
péché et si de tels êtres participeront au bonheur éternel, ne peut
être connu que par les découvertes de la Révélation.
Concernant les animaux inférieurs, l'immense multitude
des créatures vivantes qui remplissent la terre est une preuve
frappante de l'énorme profusion de la bienveillance du Tout-
Puissant. Plus de 100 000 espèces d'êtres animés sont dispersées
dans les différentes parties de l'air, de la mer et de la terre, en plus
des myriades qui sont invisibles à l'œil nu. L'estimation du nombre
d'individus appartenant à une seule espèce dépasse le pouvoir de
l'homme. Combien d'innombrables myriades de harengs, par
exemple, sont contenues dans un seul banc qui fait fréquemment
plus de 9 km de long et 4,5 km de large !

Fig. 1 : Banc de
harengs.

Estimer le nombre d'individus dans toutes les différentes


espèces, serait aussi impossible que de compter les grains de sable
des déserts de l'Arabie. Il n'y a aucun endroit dans aucune région
du globe qui ne fourmille d'êtres vivants. Pourtant, tout ce vaste
ensemble de vies sensibles est généreusement entretenu par le
bienfaisant Créateur.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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"Ceux-ci dépendent tous de Lui, et Il leur donne leur


nourriture au bon moment." Ils jouissent non seulement de la vie,
mais aussi d'une existence heureuse. Les mouvements sportifs et
gesticulations de toutes les espèces animales : les oiseaux filant
dans l'air, roucoulant dans les bosquets, se perchant sur les arbres ;
les bêtes des champs bondissant dans les forêts et à travers les
prairies ; les poissons batifolant dans l'eau ; les reptiles se tortillant
dans la poussière ; et les insectes ailés par un millier de dédales
capricieux ; tous déclarent qu'ils sont heureux de vivre et d'exercer
les pouvoirs que le Créateur leur a donnés. Ainsi, où que nous
tournions notre regard, nous voyons évidemment que "la terre est
remplie de la bonté du Seigneur" et que "ses miséricordes pleines
de tendresse couvrent toutes ses œuvres".
Ce sujet est illimité, mais il sortirait du cadre de ce livre
d'entrer dans des détails particuliers. Et c'est d'autant moins
nécessaire lorsque nous considérons que chaque exemple de
sagesse divine est en même temps un exemple de bienveillance.
Car c'est le but ultime de toutes les sages dispositions du plan de la
nature, que le bonheur puisse être communiqué aux divers degrés
des êtres sensibles et intelligents. La Bonté choisit la fin et la
Sagesse choisit les moyens les plus aptes à sa réalisation, si bien
que ces deux attributs doivent toujours être considérés comme des
illustrations de la bienveillance divine. Je conclurai donc ce sujet
avec la citation suivante du Dr Paley6 :

6
NdT : Paley regardait Dieu comme la source de la téléologie qui existe dans
le monde naturel. Mais, à la différence d'Aristote et de saint Thomas, il ne
voyait pas les causes finales comme immanentes ou intrinsèques au monde,
mais plutôt comme entièrement extrinsèques. Pour Paley, ce n'est pas qua
naturalis (« par sa nature même ») qu'un objet naturel manifeste la téléologie.
Ce sont seulement les objets dont la complexité est si grande (une montre)
qu'il est peu probable qu'ils aient pu venir au monde sans l'intervention d'une
intelligence comme la nôtre, et même là encore plutôt comme probabilité que
par nécessité métaphysique. La source est chez Ockham, qui niait que l'on pût
démontrer par la raison que les causes finales existent dans les objets naturels
non-rationnels.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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« L'organisation prouve le dessein ; et le trait


prédominant de l'organisation indique l'intention de l'auteur. Le
monde abonde en systèmes et tous les systèmes qui nous sont
familiers ont un but bénéfique. Le mal, sans aucun doute, existe ;
mais nous ne pouvons jamais y voir l'objet d'une machination. Les
dents sont prévues pour manger, pas pour avoir mal ; qu'elles
fassent mal de temps en temps est collatéral à leur organisation,
peut-être en sont-elles inséparables. Ou même, si vous voulez,
appelons cela un défaut de construction, mais il n'en est pas
l'objet. Ceci est une distinction qui mérite l'attention. En décrivant
des instruments agricoles, vous ne diriez sans doute pas que la
faucille est faite pour couper les doigts du moissonneur, bien que
par la construction de l'instrument et la manière de s'en servir cet
accident arrive souvent. Mais si vous aviez l'occasion de décrire
des instruments de torture ou d'exécution, ceci diriez-vous était fait
pour étirer les muscles, ceci pour disloquer les articulations, ceci
pour briser les os, ceci pour roussir la plante des pieds. Ici la
peine et la douleur sont l'objet même du dispositif. Évidemment,
rien de cela ne se trouve dans les œuvres de la nature. Nous ne
découvrons jamais un ensemble de dispositions pour produire un
dessein mauvais. Aucun anatomiste n'a jamais découvert un
programme calculé pour produire douleur et maladie ; ou, en
expliquant les parties du corps humain, jamais dit, ceci est pour
irriter, ceci pour produire une inflammation, ce canal pour
convoyer les calculs aux reins, cette glande pour secréter l'humeur
qui donne la goutte. Si, par hasard il trouve un organe dont il ne
connait pas l'utilité, le plus qu'il puisse en dire est qu'il est inutile ;
personne ne peut soupçonner qu'il est là pour incommoder,
contrarier ou tourmenter. Alors, puisque Dieu a demandé à sa
sagesse parfaite de pourvoir à notre bonheur, et le monde semble
bien avoir été organisé d'abord dans ce but, tant qu'il entretient
cette organisation, nous devons par raison supposer que la même
organisation perdurera7. »

7
William PALEY (1743-1805), Moral Philosophy, Livre II, chap. V.

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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J'ai essayé, dans cette section et dans la précédente, de


montrer quelques exemples de la sagesse et de la bonté de Dieu
dans l'organisation de la nature. Ils auraient pu être multipliés à
l'infini, mais les exemples cités, je présume, sont suffisants pour
montrer que l'économie du monde matériel n'est pas vraiment un
sujet dénué d'intérêt pour un esprit pieux et contemplatif. Chaque
être intelligent croyant en la Révélation admettra facilement que ce
serait un objectif très désirable d'amener la masse des chrétiens à
une habitude de pieuse attention envers les œuvres visibles de la
Création telle qu'elle les conduirait, dans leurs promenades
solitaires ou accompagnées, à reconnaître l'œuvre de Dieu dans
tout objet qu'ils tiennent en main ; à élever leurs pensées vers lui,
la grande première Cause ; et à dilater leur cœur avec des
sentiments de gratitude. Que de différences entre les sentiments et
la piété de l'homme qui regarde la scène de sagesse et de splendeur
autour de lui avec un "indifférent coup d'œil inconscient" comme
le font des milliers de chrétiens déclarés, et les émotions
reconnaissantes et pieuses de celui qui reconnaît l'œuvre
bienveillante de Dieu dans les mouvements de ses doigts et de ses
yeux, dans les pulsations de son cœur, dans l'image des objets
extérieurs formée à chaque instant sur sa rétine, dans la réflexion
des rayons de lumière et la diversité des couleurs qu'ils produisent,
dans le séchage de ses vêtements, dans la constitution de
l'atmosphère, dans la beauté et la magnificence de la terre et des
cieux et dans tout objet que ses yeux rencontrent sur toute l'étendue
de la nature ! Les innombrables cas étonnants d'agencement divin
qui se présentent à nos yeux tout autour de nous semblent
évidemment destinés à retenir l'esprit dans la considération d'une
"divinité partout présente". Et je n'envie pas les sentiments ou les
sensations de cet homme qui s'imagine qu'il n'a pas besoin de tels
intermédiaires sensibles pour imprimer dans son esprit le sens de
l’attention bienveillante et de l'omniprésence de Dieu.
*******************

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


92

COURRIER DES LECTEURS

De Mgr D. Rey (Côte-d’Azur) à Jean-François Péroteau

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt [dans Le Cep n°85]


votre étude sur le développement cellulaire, que vous comparez
singulièrement à la réalisation d’un chantier immobilier. Cet
étonnant parallèle a pourtant le mérite de faire ressortir
l’évidente intelligence qui préside à toute organisation. Votre
étude nous fait donc adhérer tout à fait aux propos d’un
scientifique que vous citez : « On ne peut qu’être émerveillé par
cette orchestration si complexe et précise ».
La comparaison très parlante que vous décrivez
coïncide en effet d’une manière surprenante, et aide le lecteur à
mieux comprendre l’interaction de chaque gène dans cette
minutieuse et rigoureuse coordination. Cet exposé offre donc le
double intérêt de manifester le « travail » toujours à l’œuvre du
corps humain, et ensuite, sur un plan supérieur, de remonter au
Créateur d’une telle merveille.
Je vous félicite donc d’illustrer d’une manière aussi
originale et convaincante la fameuse 5e voie de saint Thomas
d’Aquin pour démontrer l’existence de Dieu, tirée de l’ordre qui
s’observe dans les choses naturelles. À leur manière, les
Philosophes des Lumières ne voyaient-ils pas Dieu comme le
« Grand Architecte de l’Univers » ?
Aujourd’hui, face aux prouesses techniques et à l’écran
omniprésent, il est urgent que l’homme apprenne à nouveau à
s’émerveiller devant la Création : c’est en effet particulièrement
à travers la complexité du corps humain que se révèlent
l’intelligence et la puissance de Dieu. Avez-vous prévu de faire
publier votre travail dans une revue spécialisée ? Dans ce cas,
j’espère qu’il fera naître l’admiration, indispensable à toute
conversion.
__________________________

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Du Dr J. N. (Aquitaine)

Il n’y a pas meilleur exemple à donner sur la formation


de la cellule que celle du chantier de construction ! En effet, tout
devient clair quand on voit le « noyau » être en fait le lieu dans
les plans de l’architecte à partir duquel tout « explose ». On
pourrait aussi, mais de loin cependant, le comparer à un chef
d’orchestre donnant des ordres avec sa baguette pour que tous
les instruments s’ordonnent en une musique harmonieuse. Il se
passe dans l’infiniment petit ce qu’on trouve aussi dans
l’infiniment grand, et nul doute qu’on ne peut nier le maître
d’œuvre. Merci pour toutes ces précisions scientifiques
irréfutables peu connues du grand public, et souvent
volontairement tenues sous silence, qui s’ajoutent aux arguments
en faveur de la dignité humaine.

__________________________

De Monsieur B. P. (Champagne)

Suite à l'article sur les rats démineurs dans Le Cep n°


85, je lis dans la revue d'une mutuelle ce qui suit : « Grâce à leur
odorat, les chiens pourraient détecter le cancer du sein. Le projet
KDOG, lancé par Isabelle Fromentin, infirmière et chercheur à
l'Institut Curie, espère bien le prouver cliniquement dans les
prochaines années. Entre fin 2016 et début 2017 des tests ont été
réalisés auprès de 130 patientes. Deux chiens bergers belges
malinois étaient chargés de discriminer un échantillon de
patientes positif au cancer parmi des échantillons négatifs : ils
ont eu plus de 90 % de réussite. Le concept est simple. La
patiente porte une lingette sur le sein toute une nuit, après s'être
lavée avec un savon sans odeur. Le lendemain matin, elle met la
lingette dans un bocal qu'elle dépose à l’Institut Curie. Le tout
est envoyé au centre où se trouvent les chiens formés qui vont
renifler la lingette dans le bocal. Le chien donne l'alerte mais ne
pose pas de diagnostic. Tout doit être confirmé par une
mammographie1, voire une biopsie.
1
Ndlr. Sur les divers risques liés à la mammographie, se reporter à Sylvie
SIMON, « Mammographie et cancer », Le Cep n°48, p. 30. Selon cet article

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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“ Si l'étude démontre que le chien est fiable dans au


moins 80 % des cas, ce serait une réussite ”, explique Pierre
Bauër, chef du projet KDOG à l'Institut Curie. L'idée serait de
développer ce dépistage en France, mais également dans les pays
à faible accès aux soins, notamment pour raisons économiques.
Dans ces pays beaucoup de femmes meurent d'un cancer du sein,
car elles n'ont pas été diagnostiquées à temps. Si ce dépistage
fonctionne il pourrait leur être proposé. Dans un second temps,
ce dépistage pourrait être envisagé aussi pour le cancer du col de
l'utérus (Essentiel Santé Magazine, décembre 2018). »

__________________________

Avis aux lecteurs : toute reproduction ou diffusion


des articles du Cep est autorisée
sous la simple condition de mentionner la source

entièrement fondé sur des publications officielles, 70% des tumeurs


détectées n’en sont pas, 30% des cancers ne sont pas détectés et les
radiations sont si dangereuses que la mammographie augmente le risque de
cancer. En outre, la pression exercée peut amener la propagation des
cellules cancéreuses par le sang. En conséquence, malgré (ou en raison de)
toutes les campagnes de dépistage, le mensuel La Recherche (n°395, mars
2006) écrivait : « La mortalité par cancer du sein a très peu diminué depuis
vingt ans » alors que « les cas diagnostiqués, eux, explosent. » Certains
experts dénoncent les effets pervers du dépistage qui « conduirait à détecter
et à traiter des tumeurs mammaires qui n’auraient pas mis la vie de la
patiente en danger ».

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


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Végan… ou bourreau ?

François Thouvenin

Le vivant est un tout, et nulle hiérarchie


Ne devrait structurer son aimable anarchie.
Partageons en pensée le sort épouvantable
Du chou-fleur, de la pomme ou du raisin de table
Arrachés à la terre, au cep ou à la branche,
Et évitons qu’un jour, notre empathie ne flanche.
Songeons un peu, lecteur, aux horribles souffrances
De la tendre laitue, modèle d’innocence,
Ressentant les brûlures du vinaigre et du sel
À peine détachée du terreau maternel.
Imaginons aussi la douleur fulgurante
Que ressent la carotte plongée dans l’eau bouillante
Avec ses compagnons, le navet, le poireau,
Mis dans le même bain par leurs communs
bourreaux.
Qui dira les tourments de la pomme de terre
Broyée, rôtie ou frite, vraie damnée de la terre ?
Qui saura évoquer les horribles supplices
Qu’endure, dans la poêle, un épi de maïs ?
Tyran de ses semblables, des bêtes et des plantes,
L’être humain parasite, espèce envahissante,
Violente sans vergogne la Déesse Gaïa
Et l’encombre de lui jusqu’à Ushuaïa.
Ah, qu’elle serait belle, notre Mère Nature
Si en disparaissait l’humaine pourriture !
Que vienne enfin le jour où, pleins de repentance,
Nous laisserons la Terre tirer de nous vengeance !

* *

Le Cep n°86. 1er trimestre 2019


96

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