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Du « repos » de Dieu au 7e Jour

Dominique Tassot

Présentation : Le rythme hebdomadaire (c'est-à-dire basé sur la semaine),


aujourd’hui presque universel dans nos sociétés, a pour fondement le
« repos » du Créateur au septième Jour, lorsqu’Il jugea que son œuvre était
achevée. Cette notion d’un repos divin a toutefois d’autres implications. La
première se tire de la perfection de l’univers, une fois achevé. Le mieux est
l’ennemi du bien, dit le proverbe. L’œuvre divine est d’emblée par-faite, faite
complètement : nul manque, nulle insuffisance qui nécessiterait de la
reprendre pour l’améliorer, comme il en va de nos inventions toujours
perfectibles. Nul être créé auquel il manquât le moindre organe ou en attente
du biotope qui lui convînt. À quoi bon des étoiles que nul poète n’eût pu
contempler ? De plus, cet univers, dès lors régi par des causes secondes,
trouva aussitôt son rythme de fonctionnement grâce aux lois stables du
cosmos : la science est donc possible en raison de la nature pérenne des
choses. Fermé au progrès (qui signerait l’imperfection de l’Ouvrier),
l’univers ne peut – du moins depuis la Chute – que s’appauvrir, se dégrader
sur la pente entropique, perdre de l’information, comme il arrive à chaque
fois qu’une espèce végétale ou animale disparaît. Mais toujours demeure
l’harmonie dans les lois cosmiques et dans la hiérarchie des êtres.

La Genèse nous enseigne qu’au 7e Jour Dieu se reposa. Les


commentateurs s’appuient sur ce verset pour justifier le repos
dominical : après avoir travaillé durant 6 jours, il convient de
suivre l’exemple donné par le Créateur lui-même et de mettre à
part le septième jour, de le sanctifier comme nous y enjoint
d’ailleurs le Décalogue. Cette lecture, qui fonde ainsi le repos
hebdomadaire, est assurément juste et pertinente : si l’Adversaire
s’efforce aujourd’hui de banaliser le dimanche, d’en faire le jour
du sport et, dès que possible, du commerce, il sait très bien ce qu’il
fait. D’une part, il relativise un commandement divin – et le
relativisme est contagieux – d’autre part, il nuit directement à cette
image de Dieu que nous sommes, notre nature ayant été conçue
pour suivre ce rythme septénaire1.

1
Ainsi que ses multiples : 14, 21, etc. ; cf. Dr Laurence DEJARDIN,
« Les rythmes circaseptains », in Le Cep n° 71, p. 86. Il existe aussi
un septénaire d’années : la tradition hellénistique divisait les âges de
la vie humaine en périodes de 7 ans. Ceux qui ont abaissé l’âge de la

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Mais le « repos » de Dieu – Gn 2, 2 et 3 – supporte encore


d’autres lectures, invite à d’autres considérations. Déjà, le verbe
hébreu shabat signifie « cesser, s’arrêter, finir ». Dieu en effet ne
se fatigue pas : il est Tout-Puissant ! Nul besoin pour Lui de se
reposer ! Son œuvre ne lui devient jamais pénible, comme il en va
chez l’homme depuis la Chute. Simplement, au 7e Jour, Dieu cesse
de faire : « Il cessa tout son ouvrage » (Gn 2, 3).
Tel le peintre qui, à un moment donné, repose son pinceau car
tout trait en sus attenterait à l’harmonie de l’œuvre : la surcharge
défigure le tableau achevé, amené à sa perfection. À la fin de
chacun des cinq premiers Jours de la Création (sauf au deuxième :
Gn 1, 8), il est scandé : « Et Élohim vit que cela était bon ». Le mot
hébreu tov, « bon », signifie aussi « beau ». Dieu, Être parfait, ne
produit que des œuvres achevées, auxquelles rien ne manque,
auxquelles rien ne peut être ajouté sans en affecter l’harmonie.
Nous le voyons bien chez les êtres vivants. Qu'ajouter à la
splendide vêture d'un lys ? Que serait le ver de terre s'il lui était
greffé des ailes ? Quel embarras pour la girafe si ses sabots
antérieurs devenaient des mains ! L’œuvre des Jours Un, troisième,
quatrième et cinquième est parfaite, achevée dans son ordre,
impossible donc à perfectionner.
Le mieux est l’ennemi du bien, dit le proverbe. On ne peut
parler d’amélioration, en effet, que là où se trouvent des
déficiences. Si un ouvrage est achevé, il faut passer à autre chose.
À chaque Jour nouveau, Dieu ne reprend donc pas l’œuvre de la
veille pour la parfaire, ce serait impossible ! Non ! Il crée autre
chose. Il incorpore l’œuvre passée dans une nouvelle œuvre d’une
essence différente où va prendre corps un ordre supérieur de
perfection. La vie animale n’ajoute rien à la perfection des
végétaux, mais l’ensemble atteint à une harmonie supérieure,
comme la polyphonie peut ajouter à un chant qui serait déjà par
lui-même d’une expression achevée.

majorité politique à 18 ans n’ont sans doute pas perçu l’ensemble de


la question. Il nous semble paradoxal qu’on ait réduit cet âge au
moment même où, du fait des conditions socio-économiques, la
maturité psychologique et l’autonomie financière furent retardées.

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Enfin, au terme du 6e Jour, avec la création de l’homme, être


conscient, méditant et aimant, est atteinte une harmonie
indépassable. « Et voici, cela était très bon », tov mehod, en
hébreu (Gn 1, 31). Alors, et alors seulement, Dieu cessa de créer.
Cette succession des Jours de la Création n’a rien à voir avec la
mise au point d’un prototype : aucun tâtonnement, aucun délai,
aucun retour en arrière, aucune progression du simple au
complexe. Rien n’est « simple », au demeurant, dans la nature. Le
mythe d’une simplicité primordiale est une illusion due à
l’imperfection des instruments d’observation au XVIIIe siècle. La
complexité d’une « simple » molécule d’eau est – déjà pour ce que
nous en savons aujourd’hui – prodigieuse2. Une « simple » cellule
vivante possède des millions de composants divers, si bien qu’il
n’y a désormais plus aucun sens à dire qu’un éléphant est plus
complexe qu’un brin d’herbe. « Il n’y a pas eu transformation du
simple au complexe. C’est là la révélation de la biologie
moderne. La complexité biochimique d’un microbe n’est pas
inférieure à celle d’une plante ou d’un animal3. » Dieu ne crée
pas par assemblage de composants préexistants ; Il crée des êtres
complets, parfaitement formés, et il faut se défendre contre la
tentation anthropomorphique qui nous fait projeter, sur les actes
divins, les finitudes propres à nos arts et à nos industries humaines.
De plus, chaque acte créateur est instantané4, sans nul besoin de
durée, car Dieu crée ex nihilo. Pour nous autres, du temps est
nécessaire, car nous transformons la matière, retouchons la forme
et progressons en efficacité.

2
Cf. Jean de PONTCHARRA, « L’énigme de l’eau », in Le Cep n°46, p. 48.
On peut y lire : « Plus de dix mille publications, plus de 50 millions de pages
internet par an, le thème de l’eau est inépuisable. La communauté
scientifique internationale dépense des sommes considérables pour
rechercher et expliquer les propriétés surprenantes de l’eau. Les modèles
proposés sont innombrables et se contredisent souvent. Le CNRS avait classé
“les mystères de l’eau” en première place des énigmes scientifiques dans le
cadre de l’année mondiale de la Physique 2005, avant les paradoxes
quantiques, l’absence d’anti-matière ou la masse manquante de l’univers. »
3
G. SERMONTI & R. FONDI, Doppo Darwin, Milan, Rusconi, 1980, p. 26.
4
« Fulgurant », écrit joliment le P. Olivier NGUYEN dans son livre Stabilité
des espèces. L’enquête, Montrouge, Éd. du Jubilé, diffusion Hachette, 2014,
recensé in Le Cep n° 69, p. 36.

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Tel n’est pas le cas de Celui qui produit par sa seule Parole. La
créature sortie de Ses mains est constituée d’emblée selon la
perfection de la pensée divine qu’elle reflète. Ben Sirac, dit
l’Ecclésiastique, s’exclame :
« Celui qui vit éternellement a tout créé ensemble.
[…] On ne peut rien y retrancher ni rien ajouter ;
Impossible de pénétrer les merveilles du Seigneur.
Quand l’homme a fini de chercher,
il n’est qu’au commencement et, quand il s’arrête,
il ne sait que penser » (Si 18, 1 & 6).

On ne saurait mieux décrire la réalité de la recherche


scientifique, recherche dont les progrès ne font qu’augmenter la
conscience de ce que nous ignorons et qu'il nous reste à découvrir.
Un gouffre radical sépare donc la construction humaine, par
assemblages et perfectionnements successifs, d’avec l’œuvre
directement produite par la Pensée divine. Selon la formule
rituellement associée à l’évocation de Dieu chez les Hébreux,
YHWH Élohim est « Celui qui a dit et le monde fut ». Une vérité
de cette nature échappe à notre connaissance, car elle est
radicalement différente de tout ce que nous expérimentons. Aussi
saint Paul en fait un article de notre foi : « C’est par la foi que
nous reconnaissons que les mondes ont été formés par une parole
de Dieu, en sorte que les choses que l’on voit n’ont pas été faites
de choses visibles » (He 11, 3).
Ainsi, au septième Jour, une fois créés l’homme et la femme,
l’ordre de perfection propre à chaque Jour est devenu complétude,
achèvement final, sommet indépassable, symphonie admirable.
Alors, mais alors seulement, l’univers devient kôsmos – mot grec
signifiant « bel ordre, ordonnance harmonieuse » –, un cosmos
dans lequel chaque créature trouve sa place et sa mission. Rien n’y
manque et rien n’y est de trop. Surtout, comme à l’ouverture du
rideau, lorsque tous les personnages sont arrivés, qui sur la scène,
qui dans les coulisses, la pièce peut commencer, l’univers peut se
mettre à fonctionner selon les lois créées qui en régissent les
causes secondes. Ce qui est premier dans l’intention vient en
dernier dans la réalisation.

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Mais ce cosmos achevé, complet, est aussi le seul qui existe


vraiment. L’univers inerte des astrophysiciens, fait de particules
que l’homme ne serait pas là pour contempler, n’est qu’une fiction,
une « science-fiction ». Pas d’étoiles sans poète ! Tout a un sens et
le sens en appelle à une conscience ! Ce que nous nommons « lois
de la nature » sont simplement les règles que Dieu a imposées aux
causes secondes pour opérer.
Ces lois ne peuvent être modifiées, puisque tout changement
dans cette complétude achevée qu’est l’univers signerait une
moindre perfection et rejaillirait sur le fonctionnement de
l’ensemble.
L’écologie, science assez récente, nous en apporte de multiples
preuves. Ainsi, avec les insectes pollinisateurs, elle nous montre
que le règne animal est nécessaire au règne végétal. Le rôle de
l’abeille qui butine est bien connu : en prélevant le nectar, elle
transporte le pollen depuis les étamines jusqu’au pistil et assure
ainsi la fécondation de la plante. Dans le désert, c’est souvent la
chauve-souris qui pollinise les cactus. De même, les oiseaux
fructivores (ou les singes arboricoles) dispersent les graines parfois
très loin de l’arbre et contribuent ainsi à l’extension des forêts.
Ces quelques exemples suffisent à montrer que la thèse de
« l’évolution dans la Création » est un acte de pensée magique.
Terrifiés par la perspective d’un conflit avec l’évolutionnisme
aujourd’hui encore dominant, les théologiens ont fini par dénaturer
le concept de création, oubliant que Dieu avait opéré « au
Commencement », « ex nihilo » et, surtout, avait œuvré Lui seul,
sans faire appel à des causes secondes :
Le Prophète l’affirme sans la moindre ambiguïté :

« Lui seul a déployé les cieux


et foulé le dos de la mer » (Jb 9, 8).
« C’est moi, YHWH, qui ai fait toutes choses,
Moi qui, seul, ai déployé les cieux
Et affermi la terre : et qui m'y aidait ? » (Is 44, 24).

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Et encore, sur la complétude initiale :


« Car ainsi parle YHWH,
Qui a créé les cieux,
Lui, le Dieu qui a formé la terre,
qui l’a achevée et affermie,
qui n’en a pas fait un chaos,
mais l’a formée pour être habitée » (Is 45, 18).

L’œuvre ainsi accomplie n’est pas une sorte de matière


première vouée à d’ultérieures transformations. Ces « cieux » et
cette « terre » – cet univers, dirions-nous aujourd’hui –
comportent dès l’origine tous les êtres destinés à les orner et à les
rendre fonctionnels pour l’habitation de l’homme. Déjà la Genèse
précisait, à la fin du 6e Jour : « Ainsi furent achevés le ciel et la
terre et toute leur armée » (Gn 2, 1). Cette « armée » – en hébreu
tseva'am – est rendue dans la Septante grecque par kôsmos et dans
la Vulgate latine par ornatus . Il ne s’agit donc pas seulement des
chœurs des anges, armée céleste s’il en est, mais de « l’ensemble
des œuvres créées5 ».
Le livre de l’Exode précise encore : « Car c’est en six jours que
YHWH a fait le ciel et la terre, et la mer, et tout ce qui est en eux,
et Il s’est reposé au septième jour » (Ex 20, 11).
L’idée qu’il exista jadis un univers purement inerte, ou un
univers animé par les seuls végétaux, est indéfendable (rappelons
que le règne animal est nécessaire au règne végétal, comme dit
plus haut, page 5). Elle l’est déjà d’un strict point de vue
scientifique : les lois de la nature, que nous découvrons, se
rapportent à l’univers achevé tel que nous l’observons. En
imaginer un autre peut être grisant pour l’esprit, mais il ne s’agit
plus de « science » au sens propre d’une appréhension intellective
du réel tel qu’il nous est donné à connaître. C’est pourquoi le
savant par excellence, Aristote, imaginait ce monde matériel
comme éternel, ayant toujours été tel qu’aujourd’hui, et devant le
demeurer. Dans cette perspective de complétude, et seulement dans
cette perspective, la science est à la fois possible, pertinente et
cohérente.

5
Note de La Sainte Bible polyglotte (F. Vigouroux), 1900.

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Il nous faut donc bien distinguer deux grands moments, ou


deux ordres de choses : l’ordre de la Création ; l’ordre de la
Providence.
À la Création, Dieu agit seul, sans faire appel aux causes
secondes (y compris aux anges, puisque eux-mêmes font partie des
choses créées), sans nul besoin de temps puisqu'Il a créé le temps
en créant le monde et « concréé » la matière associée à chaque
forme créée. Ainsi chaque être que Sa Parole fait exister est
d’emblée achevé, parfait, prêt à jouer son rôle dans l’univers.
Puis Dieu cesse de créer ; entre alors en jeu l’ordre de la
Providence : l’univers au complet, d’une perfection indépassable,
va aussitôt se mettre à fonctionner selon les lois que la Sagesse
avait prévues pour lui de toute éternité, selon des opérations
produites naturellement et dans la durée par les causes secondes6.
La science est dès lors possible, car ces lois cosmiques ne
changent pas et sont les mêmes pour tout l'univers : toute
modification signalerait une imperfection. La science est dès lors
possible, car toutes les parties de l’univers, toutes ses composantes,
toutes les natures si diverses qu’il renferme sont désormais
présentes et interagissent selon leur essence permanente.

6
Ici se manifeste clairement l’opposition entre la vision chrétienne du
monde et l’évolutionnisme théiste. Dans son modeste Comment je crois, le
jésuite mais faux prophète Pierre Teilhard de Chardin écrit péremptoirement :
« Il n’y a pas un moment où Dieu crée, et un moment où les causes secondes
développent. Il n’y a jamais qu’une action créatrice qui soulève
continuellement les créatures vers le mieux-être à la faveur de leur activité
seconde et de leurs perfectionnements antérieurs. » Outre que l’idée d’un
développement par les causes secondes est une affirmation purement gratuite,
qui fait cependant toute la substance de l’évolutionnisme, nous relèverons
aussi cette idée de perfectionnement continuel niant frontalement
l’harmonieuse perfection de la Création initiale. Comme ils voient une source
de progrès dans l’action des causes secondes (l’évolution serait progressive)
et nient par ailleurs la Chute originelle (inverse d’un progrès), les teilhardiens
se condamnent ainsi à faire de Dieu la cause du Mal présent dans le monde.
Quelle que soit la force séductrice des néologismes teilhardiens, avec leur
lyrisme si particulier, il était difficile de s’écarter davantage tant des faits
réels (le grand Livre de la Nature) que de la Révélation (le Livre des
Écritures). Pour plus de détails, se reporter à l'art. « Le teilhardisme : une
“religion de l’Évolution” », in Le Cep n° 32, juillet 2005, p. 1.

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Ainsi – nous le voyons bien à notre petite échelle – l’harmonie


du corps humain suppose l’action de toutes et de chacune de ses
innombrables parties : un seul organe, une seule fonction
physiologique nous manque, et tout est perturbé par la maladie ou
le handicap. À l’échelle de l’univers, cette même harmonie, cette
même complétude signent le « repos » de Dieu et nous invitent à
l’admiration. Ils sont donc « inexcusables » – nous dit saint Paul à
propos des intellectuels païens – parce qu’ayant connu l’œuvre
divine, ils n’ont pas rendu gloire à l’Ouvrier (Rm 1, 20-21).
Combien plus inexcusables les savants d’aujourd’hui qui croient
pouvoir s’enorgueillir des balbutiements de leur science. Nous ne
connaissons vraiment et ne pouvons observer que ce qui relève de
l’ordre de la Providence, de l’univers achevé ; mais comment
prétendre connaître selon sa vérité cet univers, tout en faisant
profession d’ignorer l’Intelligence qui l’a conçu et réalisé ? « La
vérité de la créature – dit saint Bonaventure – est imitation et
expression de la Vérité divine7. »
C’est pourquoi la science contemporaine, qui croit habile de
« faire comme si Dieu n’existait pas », se condamne à demeurer
parcellaire et incertaine. Telle n’était pas la vision du monde de ses
instigateurs, il y a trois siècles. Telle n’est pas non plus la vision du
monde qui rendra, à une science redevenue humble, sa cohérence
et surtout sa vraie mission au service de tous.

*******************************
À noter sur vos tablettes :

Colloque du CEP à Orsay les 22 et 23 septembre

Thème : Qu’est-ce que l’Occident ?


Parmi les conférenciers : Guy Berthault, Bruno Gollnisch,
Maxence Hecquard, Pierre Hillard, Annie Laurent,
Benoît Neiss et Dominique Tassot
(Programme détaillé, renseignements et inscriptions
auprès du Secrétariat ou sur le site le-cep.org )

7
Lexique de saint Bonaventure, Paris, Éd. Franciscaines, 1969, art.
« Veritas », p. 132.

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SCIENCE ET TECHNIQUE
« Les rationalistes fuient le mystère
pour se précipiter dans l’incohérence. »
(Bossuet)

Les processus cicatriciels excluent l’évolution

Dr Jean-Maurice Clercq

Présentation: Dans Le Cep n° 75, la note n° 3, en page 18 d’un article d’Éric


Brucker, attira l’attention de l’auteur du présent article. On y lisait :
« Pensons à l’impact du microscope électronique, qui nous révèle une
complexité et une miniaturisation insoupçonnées dans une “simple” cellule.
Le concept même d’une évolution “progressive” (inspirée jadis par
l’anatomie) s’en trouve presque dénué de sens. » Lorsque Johann Gregor
Mendel (1822, Silésie – 1884, Moravie) découvrit les lois de l’hérédité
biologique, les évolutionnistes cherchèrent d’abord à les étouffer ; en effet, ce
moine autrichien montrait que les caractères qualifiés de
« nouveaux » étaient seulement des caractères restés « récessifs » durant une
ou plusieurs générations, mais dont une combinaison génétique différente
avait finalement permis l’expression. Avec la théorie des mutations, en 1910,
on crut la difficulté écartée (du « nouveau » pourrait donc apparaître et se
transmettre héréditairement) et l’on sut alors « redécouvrir » les travaux de
Mendel. Un siècle a passé et les évolutionnistes ont introduit les notions de
« génétique » et d‘« ADN » dans leur argumentaire, notions destinées à
impressionner le public, mais le plus souvent sans comprendre vraiment ce
qui était en cause et en affirmant, toujours sans démonstration, qu’il y avait
des « sauts évolutifs » dans la transmission héréditaire. Or les techniques se
perfectionnent et font découvrir dans les processus cellulaires une telle
complexité de structures et un tel ordre de coordination que l’idée d’un
hasard organisateur devient insoutenable. Nous ne ferons ici qu‘entrevoir,
avec la cicatrisation d’une banale blessure, ce monde infiniment petit, avec
son autonomie et son extraordinaire organisation, ordonnée à ses fins bien
ciblées grâce à des cascades d'informations circulant dans le sang, à faire
pâlir d'envie un ingénieur informaticien ! Non, nul hasard n’a sa place ici, car
la moindre erreur y serait fatale pour l’organisme entier. Ainsi le concept
d’évolution se trouve-t-il, à ce niveau, entièrement dénué de sens, tant il se
montre simpliste et décalé face à cette complexité et à cette finesse
manifestée dans les processus du vivant.

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Darwin, ses partisans, ses successeurs et compagnie,


n’ont jamais su proposer d’argumentation scientifique crédible
démontrant une évolution progressive. Aussi, à défaut de présenter
des preuves, les partisans de la théorie évolutionniste se contentent
d’affirmations péremptoires, souvent dans un langage destiné à
donner l’idée d’un haut débat scientifique. Aussi de nos jours,
l’introduction de mots et de concepts tirés de l’anatomo-
pathologie et de la génétique enrichit-elle leur répertoire sans pour
autant que soit produit un seul article établissant le bien-fondé de
la thèse.

I. Le processus cicatriciel exclut l’évolution.

Selon la théorie (bien hypothétique), la vie sortit des


océans. Nous n’allons cependant pas analyser la complexité
génétique des algues unicellulaires, qui exclut déjà, dans cette
forme de vie supposée « primitive » , tout hasard évolutif. En vue
de tester l’hypothèse d‘une complexité croissante du vivant, nous
allons nous pencher sur un mammifère terrestre, l’homme, parce
qu’il est le plus étudié et le mieux connu (quoiqu‘encore inconnu
à maints égards !). Chacun est confronté au cours de sa vie, à un
moment où à un autre, à une blessure, peu importe son importance
ou sa cause. La blessure (coupure, traumatisme ou piqûre, etc.)
aura inévitablement provoqué la section de capillaires de plus ou
moins grande taille. C’est-à-dire que le sang va s’écouler d’une
manière plus ou moins discrète ou abondante. C’est un événement
bien banal si le saignement s’arrête, ce à quoi nous sommes
habitués car l’hémostase intervient rapidement. Si tel n’était pas le
cas, le sang continuerait de s’écouler et le corps se viderait,
entraînant la mort. Certains objecteront déjà que ce dernier cas est
théorique, irréaliste. Cependant, des cas de décès suite à de petites
coupures qui n’arrêtaient pas de saigner ont été notés en médecine
légiste1.

1
Ainsi, par exemple, beaucoup savent que l’aspirine possède des effets
anticoagulants par sa propriété anti-agrégats plaquettaires et qu’utilisée à
petites doses journalières répétées (environ 10 fois moindres que la normale),
elle devient un médicament anticoagulant dans le domaine de la cardiologie.
Il a été noté le cas d’une personne atteinte de spondylarthrite ankylosante qui

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D’autres argumenteront que les poils, et même la peau,


des mammifères sauvages possèdent des propriétés protectrices
telles que ces animaux s’en trouvent protégés, et donc que le
faible nombre des décès par hémorragie n’empêcherait pas la
survie de l’espèce. Mais, sous l’angle évolutionniste, on peut
estimer que l’homme se situe en régression par rapport aux
animaux, puisqu’il aurait manqué ce saut évolutif positif.

Fig. 1 : La trame de vaisseaux sanguins

se soulageait avec des prises assez régulières d’aspirine. Un choc sur la


racine du nez avait provoqué une petite coupure d’un centimètre qu’elle avait
essayé d’arrêter en l’épongeant avec quantité de serviettes éponges pour
finalement décéder totalement exsangue ; cf. Michel SAPANET, Les
Nouvelles Chroniques d’un médecin légiste, Paris, Pocket, 2015, p. 75-77. Je
me souviens d’un jeune patient qui avait un déficit du facteur VII (la
proconvertine, voir tableau ci-après). La chute d’une dent de lait, événement
plus que banal chez l’enfant, était devenue pour lui catastrophique puisque,
la coagulation ne se faisant pas, s’il y avait saignement, cela se continuait par
une petite hémorragie interminable avec passage à l’hôpital pour une
transfusion sanguine.

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Il fut donc nécessaire pour notre survie que, d’emblée,


notre système circulatoire sanguin possédât un système efficace
d’arrêt des saignements et de réparation des tissus lésés.
Ceci ne peut pas se faire progressivement, par étapes
incomplètes, car il s’agit d’un processus indispensable à la vie.
Chez tous les mammifères, la coagulation du sang
s’écoulant de l’organisme repose sur la formation d’un clou
plaquettaire ainsi que sur des composantes protéiques de
coagulation (ou facteurs de coagulation). Sans un tel processus de
« réparation », aucun représentant des espèces possédant un
système circulatoire n'aurait pu survivre car, dès la première
blessure, il se serait vidé de son sang.
Cela dit, pénétrons par la physiologie2 à l'intérieur de
l'organisme pour découvrir quel processus cicatriciel est mis en
œuvre afin d’éviter que l’organisme soit mis en péril. Après avoir
examiné ce processus si banal, si ordinaire, le lecteur pourra se
demander quel hasard aurait pu en être à l’origine.

L'hémostase
Le premier phénomène que l'on constate, lorsqu'il y a
effraction ou lésion du derme, est un saignement. Celui-ci s'arrête
spontanément. C’est le stade de l’hémostase. Quels sont les
phénomènes qui le régissent ? La blessure provoque
immédiatement un spasme vasculaire, phénomène réflexe placé
sous la dépendance du système nerveux autonome : le diamètre
des vaisseaux lésés va se réduire (vasoconstriction), perdant
jusqu'à 40%. Ce premier phénomène dure de 15 à 60 secondes
chez un homme normal. Son but est de réduire l'écoulement. Dans
le cas d‘une blessure par coupure, les lèvres de la plaie se
referment, favorisant et améliorant ainsi l’efficacité du processus
hémostatique. Ces réactions ont pour but de favoriser l'accolement
des lèvres de la blessure et de leurs surfaces endothéliales3 pour la
poursuite du processus cicatriciel.

2
Physiologie : discipline de la biologie dont le rôle est d’étudier le
fonctionnement et les propriétés d’un organe ou d’un tissu chez un être
vivant. Elle sert de fondement à la pratique médicale.
3
Les parois internes des vaisseaux sanguins.

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Le clou plaquettaire
C’est la phase qui se met en place dès l’arrêt du
saignement.
Tout le monde a entendu parler des plaquettes contenues
dans le sang et de leur nombre indispensable, souvent contrôlé par
les analyses. Que sont-elles et à quoi servent-elles ?
Elles se nomment aussi « thrombocytes ». Ce sont des
sortes de petites cellules circulant dans le plasma sanguin. Leur
fonction est de permettre la coagulation du sang et aussi d’éviter
tout saignement à l’intérieur du corps.

Fig. 2 : Plaquettes

Fig. 3 : Mégacaryocyte.

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Les plaquettes ne sont pas des cellules à proprement


parler, puisque dépourvues de noyau, mais des fragments de
cellules provenant de bourgeonnements cellulaires des
mégacaryocytes, sortes de grosses cellules issues de la moelle
osseuse, de la même lignée que les globules rouges et les
leucocytes (globules blancs). Un seul mégacaryocyte peut
produire 1 000 à 8 000 plaquettes, qui font partie des éléments
figurés4 du sang et ont une durée de vie très courte – de 8 à 10
jours –, avant d'être dégradées dans la rate. On estime que 200
milliards de plaquettes sont produites chaque jour, soit une
présence normale de 150 000 à 400 000 plaquettes par µl
(microlitre) de sang. Les plaquettes sont donc un élément
indispensable à l'hémostase primaire.
Dans une situation normale, les plaquettes n'adhèrent pas
à la paroi interne des vaisseaux sanguins (ce qui aurait pour effet
de les obstruer), parce que les cellules du revêtement interne des
vaisseaux (cellules endothéliales, de forme plate) émettent une
prostacycline qui inhibe l'agrégation plaquettaire. Cette
prostacycline est sécrétée grâce à l’enzyme5 prostacycle
synthéotase qui agit sur la prostaglandine H26 (ou PGH2), en fait
un précurseur de prostaglandine dont le rôle est d’augmenter
l’inflammation. Mais, lors d'une lésion vasculaire, les plaquettes
vont entrer en contact avec le collagène des parois de vaisseaux
qui sont mises à nu. Elles vont changer de forme pour libérer des
substances agrégantes (ATP, désérotonine, adrénaline,
noradrénaline et thromboxane A2 ou TXA2), qui viennent
renforcer et prolonger la vasoconstriction des vaisseaux lésés.
Tout ceci va activer l'agrégation des plaquettes grâce à la présence
de molécules de fibrinogène7 et de calcium, qui se fixent sur des

4
Ndlr. On nomme « éléments figurés » du sang les cellules présentes dans le
plasma, principalement les globules rouges et blancs et les plaquettes.
5
Enzyme : protéine qui permet l’activation ou l’accélération d’une réaction
chimique dans l’organisme. Il en existerait environ 15 000 chez l’homme.
6
Prostaglandine H2 : acide gras insaturé présent dans de nombreux organes.
Malgré son nom similaire, elle est un précurseur de la prostaglandine. Il en
existe une vingtaine classée en 9 catégories selon leur structure chimique.
7
Fibrinogène : protéine soluble du plasma sanguin, synthétisée par le foie,
qui participe à la formation du caillot sanguin et module aussi l’activité des
plaquettes. Le taux de fibrinogènes augmente l’état inflammatoire. Sous

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


15

récepteurs situés sur la membrane plaquettaire. Grâce à ces


récepteurs membranaires, les plaquettes vont adhérer au sous-
endothélium et aux parois des vaisseaux. Ce phénomène est très
rapide.
Des molécules d'adhésion (adhésives) vont se créer à la
surface des plaquettes circulant dans le sang. Elles vont se coller
aux plaquettes qui ont commencé à s'agréger. Les plaquettes se
lient au collagène des parois du tissu lésé pour former un amas : le
clou plaquettaire, et leur agrégation stimule l'adhésion des
plaquettes entre elles. L'agrégation des plaquettes s'effectue par
l'intermédiaire du fibrinogène qui va établir des ponts entre les
plaquettes8.
Ce clou plaquettaire crée une barrière provisoire qui
obture les vaisseaux lésés : le saignement s’arrête.

Fig. 4 : Formation du clou plaquettaire.

l’action d’une autre protéine : la thrombine, le fibrinogène se transforme en


fibrine.
8
L'agrégation des plaquettes qui en résulte est normalement réversible, ce
qui serait un facteur défavorable à la poursuite du processus de coagulation
vers la formation du caillot. Heureusement, ce processus va se stabiliser, puis
prendre une forme irréversible sous l'action d'enzymes et du contenu
granulaire libéré par les plaquettes.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


16

La coagulation

L'hémostase ainsi réalisée avec la fin du saignement, la


phase de coagulation du sang va pouvoir intervenir. Une phase
préparatoire s'effectue par le contact d'une protéine plasmatique
(le facteur VI de la coagulation) avec les tissus lésés. La
coagulation va exiger une cascade complexe de facteurs de
coagulation qui transformera, une fois arrivée à son terme, le
fibrinogène (ou facteur 1 de la coagulation) en fibrine polymérisée
qui devient le caillot. Ce processus dure de 3 à 6 minutes après la
rupture de vaisseaux.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


17

Le caillot
Arrivé à ce stade, s'enclenche le processus de formation
du caillot. Il va englober le clou plaquettaire, le renforcer et
colmater les brèches vasculaires.
Il se compose de globules rouges et d'autres cellules
sanguines dans un réseau fortement imprégné de fibrine et de
fibronectine plasmatique9, de throbospondine10 et de
vitronectine11. Le caillot attire et stimule la croissance des cellules
du tissu de soutien de la peau (fibroblastes) et des cellules du
muscle lisse des parois vasculaires. Ainsi le processus de
réparation est en place et la phase de cicatrisation peut
commencer. À terme, il en résultera la dissolution du caillot
(fibrinolyse).
Pour le détail, afin de mieux montrer la complexité
croissante des phénomènes intervenant à ce stade par rapport aux
phases précédentes, voici d'autres précisions qui vont permettre de
comprendre combien ce microcosme sanguin est régi par des lois
extrêmement précises, dont tout dérèglement enraye aussitôt le
processus cicatriciel.
Nous avons vu que la coagulation nécessite la présence
d'un certain nombre d'éléments, dont les cellules endothéliales12,
des monocytes et des fibroblastes13, qui sont capables d'exprimer

9
Fibronectine plasmatique : glycoprotéine présente dans la matrice
extracellulaire (circulation sanguine). Elle joue un rôle essentiel dans
l’adhésion des plaquettes à la matrice extracellulaire. Le gène qui l’exprime
(FN1) se situe sur le chromosome n°2.
10
Throbospondine : sous l’effet de la thrombine, les plaquettes sécrètent une
protéine volumineuse de poids moléculaire élevé, la throbospondine, qui va
jouer un rôle important dans leur agrégation.
11
Vitronectine : possède les mêmes propriétés que la fibronectine, provient
du plasma sanguin débarrassé de ses éléments figurés (cf. note 4). C’est aussi
une glycoprotéine, association d’un sucre avec une protéine.
12
Cellules endothéliales : cellules qui tapissent la paroi interne des vaisseaux
en contact avec le sang circulant. Elles assurent l’intégrité des vaisseaux
sanguins et laissent passer les petites molécules, l’eau pour nourrir les
cellules ainsi que les globules blancs, qui pénètrent entre les cellules
endothéliales en s’étirant.
13
Fibroblastes : gros globules blancs ayant pour rôle de détruire certains
types de bactéries et de virus. Ils sont de la famille des granulocytes qui
évoluent massivement en macrophages, à la demande de l'organisme, en vue

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


18

le facteur tissulaire (en abrégé : FT)14. Sous l'action de diverses


cytokines15, plaquettes et fibroblastes vont sécréter des FT qui
vont amplifier la coagulation.
Ainsi, la production du caillot de fibrine se trouve être le
résultat d'une cascade de réactions, laquelle implique des facteurs
de coagulation du plasma, pour aboutir à la conversion du
fibrinogène soluble en fibrine, une molécule filamenteuse
insoluble. Cette conversion nécessite l'action d'un catalyseur, la
thrombine, enzyme qui est activée sur le site de la blessure. Cette
thrombine est habituellement présente sous une forme inactive : la
prothrombine. L'activation en thrombine s'effectue sous l'action
d'un facteur de coagulation, le facteur X (ou F 10). Ce facteur X
est présent dans le plasma sous une forme inactive, devant donc
elle aussi être activée, etc. Nous sommes en présence d'une
cascade de coagulation, qui exige la présence de 12 facteurs
plasmatiques (précurseurs) pour aboutir à la conversion du
fibrinogène en fibrine grâce à l'action de la thrombine. Les
précurseurs, une fois convertis en forme active, sont tous
transformés en enzymes protéolytiques. La cascade de coagulation
utilise deux voies : la voie intrinsèque (elle dépend du FT et
requiert les facteurs de coagulation dissous dans le sang) qui
déclenche la coagulation dans un vaisseau lésé (elle comporte sept
étapes), et la voie extrinsèque (voie tissulaire) qui aboutit à la
coagulation du sang déversé dans les tissus par la lésion vasculaire
et comportant quatre étapes. Ces deux voies se déroulent
simultanément lors d’une lésion cutanée.
L'élément déclencheur de la coagulation se trouve être
précisément le FT, récepteur membranaire du facteur VII.
Lorsqu’un vaisseau est coupé, le FT, qui s'exprime alors à la

de migrer vers le site de la blessure. Les macrophages sont chargés d'éliminer


les déchets (comme les débris cellulaires) et de détruire les agents
pathogènes ; ils font aussi partie du système immunitaire.
14
Le facteur tissulaire, ou facteur III, est un récepteur transmembranaire qui
se lie au facteur VII pour activer le facteur IX de la coagulation.
15
Cytokines : médiateurs chimiques du système immunitaire. Innombrables
substances de « signalisation » opérant une sorte de langage/dialogue entre
les différentes cellules de l'organisme. Elles sont aussi essentielles que les
hormones et les neuromédiateurs.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


19

surface des cellules de la paroi lésée et des fibroblastes, entre en


contact avec le sang et active le facteur VII grâce à son récepteur.

Mais il arrive que la quantité de FT exprimée soit variable


(en excès ou en défaut), ce qui pourrait avoir de graves
conséquences si un système de régulation, surveillant le bon
déroulement de cette cascade de réactions, n’intervenait pas pour
tout corriger. Si le FT se trouve présent en excès, le facteur VII
activera directement, c’est-à-dire mollement, le facteur X, mais si
le FT est insuffisant, alors le complexe FT/Facteur VII activera le
facteur IX, et ce dernier, en présence de son cofacteur spécifique,
activera d’une manière plus active le facteur X ; aussitôt la
prothrombine se transformera en thrombine quelle que soit la
quantité initiale de FT.
Une fois le caillot formé, les plaquettes agglomérées, qui
y sont emprisonnées, vont induire un phénomène de rétraction du
réseau de fibrine qui le compose, permettant ainsi de rapprocher
les bords de la plaie. Au cours de ce phénomène de rétraction, du
sérum présent en son sein est expulsé ; c'est du plasma, mais sans
ses précurseurs en facteurs de coagulation et sans le fibrinogène
converti pendant la coagulation, sinon le phénomène de
cicatrisation s'arrêterait.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


20

L’inflammation
Dès la blessure, parallèlement aux phénomènes
accompagnant le saignement que nous venons de décrire, va se
créer localement un état inflammatoire. En notes 7 et 8, nous
avons souligné les actions de la prostaglandine H2 et du
fibrinogène dans l’augmentation du processus inflammatoire lors
de la formation du clou plaquettaire. Cette inflammation a pour
but de lutter contre les agressions extérieures, comme les bactéries
et les virus. C’est un processus bénéfique normal et nécessaire,
face à toute atteinte d’un tissu. Il se compose de 3 événements
importants :
- un apport de sang supplémentaire dans la zone affectée ;
- une perméabilité capillaire nettement augmentée ;
- une migration de leucocytes vers la zone enflammée, à
partir des capillaires dilatés, ce qui va contrer les germes
amenés par la blessure.

La situation de stress psychologique


Autrefois, l’on disait que, pour bien guérir, il fallait avoir
envie de guérir, qu’un bon moral facilitait la guérison. Cela était
basé sur l’observation, mais des esprits chagrins, parfois même
des médecins, reléguaient ces observations dans le placard aux
dictons de « bonnes femmes ». « Aujourd’hui il est connu que le
cerveau, les systèmes immunitaire et neuroendocrinien forment un
complexe réseau d’intercommunication, utilisant un langage
commun par le biais de neurotransmetteurs, de cytokines et
d’hormones. On comprend que le cerveau régule, dans une
certaine mesure, le système immunitaire et les autres systèmes.
Les facteurs psychologiques peuvent aussi affecter ces systèmes à
travers le cerveau, et ceux-ci, à leur tour, peuvent influencer notre
comportement… Il n’est plus question d’une division réelle entre
l’esprit et le corps, en raison des interconnexions scientifiquement
établies entre les différents systèmes de notre corps16 ».

16
Helen FLIX, « Psychoneuroimmunologie et Micro-Immunothérapie : des
effets synergiques », Focus n° 6, p. 3, déc. 2014.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


21

Les recherches et les expérimentations ont établi qu’il


existe des relations bidirectionnelles entre le comportement, le
cerveau, le système immunitaire et le système endocrinien.
Les hormones et les neurotransmetteurs, qui sont libérés
au cours des situations stressantes, ainsi que la plupart des
médiateurs, ont des récepteurs dans les cellules immunitaires et
peuvent ainsi influencer défavorablement la réponse immunitaire
en causant des altérations dans les systèmes neuroendocrinien et
immunitaire.

La cicatrisation superficielle
La cicatrisation est la phase de régénération qui répare les
tissus lésés en réunissant et en consolidant les tissus séparés par la
lésion.

Fig. 5 : Cicatrisation de la peau.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


22

Cicatrisation de la peau : elle concerne la partie superficielle de


la lésion. Comme elle présente une destruction cellulaire cutanée,
les cellules nécrosées vont libérer un facteur de croissance
épidermique (hormone protéique).
Sous son influence, les cellules saines de la couche basale
épidermique vont se multiplier et migrer vers la lésion. Ce
mouvement s'arrêtera lorsque la zone lésée sera comblée par de
nouvelles cellules qui, à leur tour, vont se multiplier pour
reconstituer les différentes couches de la peau lésée. Ce
phénomène dure de 24 à 48 heures pour les cas légers.

La cicatrisation en profondeur
Si la blessure a touché une zone profonde, la cicatrisation va
s'effectuer en quatre phases :
1. Phase inflammatoire : elle consiste à éliminer en
quelques jours les corps étrangers, qui y auront été
introduits, ainsi que les tissus nécrosés. La réaction
inflammatoire nécessaire va augmenter la perméabilité
des vaisseaux et stimuler aussi le système immunitaire par
l'augmentation de l'expression d'un récepteur spécifique,
l'EGF. De nouveaux vaisseaux sanguins commencent à se
former par bourgeonnement sur les vaisseaux sectionnés,
afin de pouvoir apporter les nutriments et l'oxygène
indispensables pour nourrir les nouvelles cellules.
2. Phase de migration : le caillot, par prolifération des
filaments de fibrine, va devenir une croûte. C'est un tissu
de renouvellement qui entame le processus d’élaboration
de la cicatrice. Sous la croûte, toutes les nouvelles
cellules du tissu conjonctif migrent vers le centre de la
lésion, tandis que les vaisseaux se réparent.
3. Phase de prolifération : on assiste alors à une
prolifération massive des cellules conjonctives, des
vaisseaux et des fibres. Les fibroblastes17 du tissu

17
Fibroblastes : cellules de soutien, responsables de la formation des fibres
collagènes, très présentes dans le tissu conjonctif (tissu de soutien et de
remplissage de l’organisme). Elles ont pour caractéristiques de posséder une
forme en « fusée » et de se multiplier très facilement et rapidement de
manière à assurer leur prolifération nécessaire à la cicatrisation.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


23

conjonctif vont alors migrer en suivant le réseau de


fibrine. Au niveau des berges de la plaie, se produit une
ré-épithélialisation de la peau.

4. Phase de maturation : c‘est la plus longue (elle peut


s'étendre sur une année, selon la profondeur et la gravité
de la plaie). L'inflammation régresse pour disparaître. La
croûte tombe tout d'abord car la peau retrouve toutes ses
différentes couches cellulaires, le nombre de fibroblastes
diminue ainsi que la quantité de vaisseaux qui va
redevenir normale. La peau reste de couleur blanchâtre
car le taux de mélanocytes (cellule contenant de la
mélanine qui donne la couleur à la peau) ne s'est pas
encore suffisamment reconstitué.
Au bout d'environ 6 mois, en cas de cicatrice profonde, la
peau devra être redevenue souple et indolore.

II. L’évolution exclue par les phénomènes inflammatoires


[L’article reçu comportait ici une seconde partie consacrée à la
réaction immunitaire et aux phénomènes inflammatoires, partie
très technique et comportant des schémas complexes impossibles
à reproduire dans le format de la revue. Les lecteurs intéressés
pourront demander à recevoir cette seconde partie.]

III. Conclusion.
Pour une simple égratignure provoquant un petit
saignement, c’est donc tout un monde en vigilance qui se met en
ordre de bataille pour la préservation de l’organisme. Ce monde
miniature est un microcosme autonome (indépendant de notre
volonté), merveilleusement bien organisé et ordonné en vue d’une
finalité programmée à l'avance : la réparation de la blessure. Le
colmatage de l’écoulement sanguin, la réparation (cicatrisation) de
la zone lésée avec ses caractéristiques tissulaires propres, la lutte à
mort contre les bactéries étrangères introduites, avec l’élimination
des « déchets » par des cellules « poubelles », montrent la
présence d’une « société » cellulaire éminemment fonctionnelle et
efficace.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


24

Chaque cellule y possède un rôle bien précis.


L‘information circule de cellule en cellule avec des ordres
finement détaillés. Nous n’apercevons ici aucune place pour de
l’improvisation.
Tout y est réglé avec une très grande précision selon des
réactions biochimiques en cascades complexes, comme nous
avons pu le voir. Or cet article ne donne qu’un faible aperçu de
l’organisation de nos défenses, d’autant plus que nos
connaissances dans ce domaine voient survenir des
développements fréquents. Ajoutons à cela les fonctions
endocriniennes, métaboliques, hormonales, etc., dont la
complexité est aussi manifeste. La recherche médicale nous fait
apercevoir le déroulement de l’action cellulaire dans cette
organisation, mais elle est incapable de nous dire comment cela a
pu s’organiser et s’ordonner d’emblée selon un plan directeur
permettant une telle efficacité, et, ce, dès le départ, car l’erreur ou
le tâtonnement n’était pas permis, la survie de l’espèce étant en
jeu. Des tâtonnements par ébauches intermédiaires et
perfectionnements progressifs sont ici exclus : tout y
fonctionne à l’encontre du hasard. Tout était en place avec le
système sanguin complet dès le début, organisé pour une
finalité bien précise ; il ne pouvait pas en être autrement.
Redisons-le : la réponse de l’organisme à une
agression se montre d’une telle complexité que la notion même
de hasard n’y trouve aucune place. La théorie de l’évolution,
quelle qu’en soit la variante, n’y trouve pas sa place non plus et
s’invalide d’elle-même de par son concept. Les partisans de
l’évolution se gardent bien d’évoquer en détail ce qui se passe à
l’intérieur du corps pour justifier leur théorie. Certains de leurs
écrits font appel à l’argument « génétique » en général, sans
approfondissement, pour faire apparaître leur thèse comme
résultant des avancées de la science, mais ils sont incapables de
montrer comment cela serait possible, ou alors manifestent une
profonde méconnaissance du sujet.
Comment des phénomènes aussi complexes ont-ils pu se
mettre en place sans tâtonnements et être opérationnels
immédiatement pour la survie de l’espèce ? La main du Créateur
se montre ici avec évidence pour qui veut bien s’interroger.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


25

La théorie de l’évolution est en dehors de la science, car


aucun fait scientifique irréfutable n’a jamais pu démontrer sa
validité, et bien des réalités la contredisent.

Croire en l’évolution devient une gageure, un dogme, une


religion que l’on cherche à imposer sous mode d’arguments
autoritaires, sans débat contradictoire ni démonstrations. André
Frossard l’avait très bien compris en écrivant avec humour :
« Toute religion a ses mystères et l’évolutionnisme se distingue
des autres en ceci qu’il nous propose encore plus de miracles. »

__________________________

Bibliographie :
1. HAJISHENGALLIS G., “Periodontitis : from microbial immune
subversion to systemic inflammation”, Nat Rev Immunol,
janv. 2015, 15(1) : 30-44.
2. TEZAL M. et al., “Chronic periodontitis and the incidence of
head and neck squamous cell carcinoma”, Cancer Epidemiol
Biomarkers Prev., sept. 2009, 18(9) : 2 406-12.
3. LEISHMAN S. J., DO H. L. & FORD P. J., “Cardiovascular
disease and the role of oral bacteria”, J. Oral Microbiol., déc.
2010, 21; 2.
4. KOZIEL J., MYDEL P. & POTEMPA J., “The link between
periodontal disease and rheumatoid arthritis : an updated
review”, Curr Rheumatol Rep. mars 2014, 16(3) : 408.
5. LUNDBERG K. et al., “Antibodies to citrullinated alpha-enolase
peptide 1 are specific for rheumatoid arthritis and cross-react
with bacterial enolase”, Arthritis Rheum., oct. 2008, 58(10) :
3009-19.
6. Université de Pennsylvanie, Philadelphie, É-U., Nature Reviews
immunology, vol. 15, janv. 2015, p. 30-45. nature.com/
reviews/immunol
*********************************

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Les EMI sont-elles des signes de la Providence ? (I)

Abbé Régis Gaudin de Saint-Remy

Présentation : Depuis une cinquantaine d'années, nous assistons à une


multiplication de ce qu'on appelle en langue française Expériences de mort
imminente (EMI), ou en langue anglaise Near Death Experiences (NDE). Pour
comprendre de quoi il retourne, nous présenterons, dans une première partie,
ce qu'est une EMI ainsi que la diversité de ses composantes, les réactions de
ses sujets qualifiés du mot d' « expérienceurs », l'explication de cette
soudaine multiplication, enfin les antécédents historiques. Puis, dans un
deuxième temps, nous relèverons les diverses analyses scientifiques des EMI,
les unes purement scientistes, les autres démontant le matérialisme attaché à
ce scientisme, ce qui les rend engageantes. Dans une dernière partie, nous
exposerons les différents apports de l'Église, qu'ils soient théologiques,
pratiques, spirituels ou religieux, sans oublier les rares déclarations actuelles.
En fait, c'est la Révélation qui répond le mieux au phénomène des EMI ou, du
moins, les explique non pas quant aux moyens, mais quant à la cause finale.
Nous terminerons en remarquant avec le lecteur que les trois parties de
l'exposé (EMI - science - Église) sont étroitement imbriquées les unes dans
les autres ; d'où le titre.

Ôtez le surnaturel, il ne reste que ce qui n'est pas naturel.


(G.K. Chesterton)

Avant de commencer notre exposé, avertissons le lecteur


qu'une première approche des EMI s'avère parfois déroutante, tant
le phénomène semble insolite dans notre Occident devenu
matérialiste et rationaliste depuis plusieurs siècles. Même nous
autres, membres de l'Église, par le fait que nous formons une
société vivant en ce monde, en subissons le contrecoup.
Si bien qu'on peut distinguer à l'égard des EMI deux sortes
de réactions négatives, cette fois-ci matérialistes et chrétiennes
confondues : la première consiste à rejeter ce domaine dans les
oubliettes de la superstition ou encore dans celles des tentations
du Malin ; la seconde, éminemment scientiste, prétend justement
que c'est la science qui, tôt ou tard, expliquera ce phénomène des
EMI. Ces deux réactions, l'une par ignorance, l'autre par
déformation, se rejoignent finalement, parfois de manière
inconsciente, soit pour annihiler, soit pour déplacer le problème.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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C'est précisément pour éviter ces écueils que nous


abordons ce domaine des EMI, aujourd'hui très controversé.

I. LES EXPÉRIENCES DE MORT IMMINENTE (EMI)

Quand se déroule une EMI ?

Les EMI, aussi nombreuses que leurs sujets qualifiés


d'« expérienceurs » , manifestent deux caractéristiques : d’abord
elle se déroulent après un traumatisme majeur ou lors d'un coma,
mais plus souvent après un arrêt cardiaque toujours suivi,
quelques secondes plus tard, d'un arrêt de fonctionnement du
cerveau ; ensuite ces EMI, véritables manifestations de la
conscience, possèdent plusieurs phases rapportées comme des
réalités et non comme des impressions. Ces phases se présentent
ainsi : sensation d’une « décorporation » assortie de témoignages
aisément vérifiables, puis traversée d’une sorte de tunnel pour
s’arrêter face à une lumière éblouissante, rencontre d’un être d'une
bienveillance infinie qui provoque un jugement de conscience sur
soi-même, le tout précédant un douloureux « retour sur
terre » suivi de durables changements de vie.
Reprenons ces deux caractéristiques :
Les EMI ont lieu au moment que l'on appelle la mort
imminente, c'est-à-dire après la mort clinique ou assimilée comme
telle si cela n'est pas mesurable. Cette dernière se caractérise par
l'arrêt cardiaque, puis, environ vingt secondes plus tard, par la
« mort cérébrale » ou cessation de toute activité cérébrale,
constatée par un électroencéphalogramme (EEG) plat. Le cortex
n'étant plus irrigué, plus aucune activité sensorielle n'est
concevable. En conséquence, cette disparition des fonctions
neurologiques (pour toutes les cellules nerveuses, donc) après la
mort clinique rend impossible toute anoxie (manque d'oxygène)
cérébrale, tout rêve, toute hallucination et même tout désordre
neuronal ou hormonal, contrairement à ce que voudraient nous
faire croire les pourfendeurs matérialistes des EMI1.

1
Nous reviendrons sur ces réactions scientistes en 2e partie.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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La limite ultime où peut se manifester une EMI est a


priori la mort biologique au-delà de laquelle un patient ne peut
revenir à la vie. Car elle marque le début de la décomposition du
corps, preuve intangible que le corps n'est plus animé.
Irréversible2, c'est une donnée objective constatée au maximum
deux jours après la mort clinique dans un contexte classique, mais
qui varie en fait selon les circonstances, le lieu (froid, chaleur) et
l’état du corps (corps abîmé, présence de bactéries).
Plus précis, Monseigneur Michel Aupetit3 spécifie que la
véritable limite d'une EMI est la mort métaphysique ou
ontologique4, concept ignoré des matérialistes. Il s'agit du moment
effectif où l'âme abandonne définitivement le corps, moment
parfois remarqué par certains mystiques5, voire témoigné de façon
extraordinaire6.
Conséquence de l'existence de l'âme, ce concept de mort
métaphysique est capital pour d'autres raisons. Les très nombreux
témoignages d'EMI, dans le livre, entre autres, de Pierre
Jovanovic7, ancien grand reporter au Quotidien de Paris, nous
apprennent que les observations scientifiques sur la mort clinique
d'un individu, surtout jeune, ont leurs limites.

2
Sauf en cas de miracle manifeste comme dans celui de la résurrection de
Lazare, à propos duquel Marthe précise à son Maître (Jn 11, 39) que « c'est
le quatrième jour » et « qu'il sent déjà ».
3
La Mort, et après ? Un prêtre médecin témoigne et répond aux
interrogations, par Michel AUPETIT, Paris, Éd. Salvator, 2003. Après avoir
été médecin confronté aux EMI, Mgr Aupetit fut ordonné prêtre à Paris, puis
sacré évêque de Nanterre avant de devenir, en ce début de 2018, archevêque
de Paris. Son livre sur les EMI, en sus de résumer l'essentiel, est un véritable
petit traité sur les Fins dernières.
4
On considère celle-ci survenant en moyenne trois heures après la mort
clinique (entre une demi-heure et sept heures selon Marthe Robin).
5
Cf. note précédente.
6
Dr Jean-Jacques CHARBONNIER, Les 7 bonnes raisons de croire à l'au-
delà. Les preuves incontestables d'une vie après la mort, Paris, Éd. J'ai lu,
2016 (livre écrit en 2012), p. 103-105. L'auteur donne ses propres références
et celles du Dr Postel, anesthésiste lui aussi.
7
Pierre JOVANOVIC, Enquête sur l'existence des anges-gardiens. Des êtres
invisibles veillent sur nous, Paris, Ed. J'ai lu, 2016. L'auteur rapporte nombre
de phénomènes mystiques extraordinaires, dont des EMI.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


29

En effet, plusieurs personnes, déclarées mortes à cause


d'un électroencéphalogramme (EEG) plat persistant, puis
finalement revenues à la vie après de nombreuses minutes, ont été
l'objet, durant leur « mort temporaire » , les unes d'une demande
de don d'organe heureusement refusée par la famille, les autres
d'une démarche pour être inhumés, laquelle fut évidemment
interrompue8.
Enfin, à la lumière de ce qui vient d'être dit, insistons sur
le fait que les EMI ne dépendent ni de la volonté propre, ni d'une
quelconque suggestion, que celle-ci soit sensible ou imaginative9.
Les termes de « décorporation », d' « expérienceur » et de « mort
imminente » demandent donc à être bien interprétés. Certains
médecins, tels le Dr Van Lommel10 ou le Dr Charbonnier11,
préfèrent, ce qui prête plus encore à confusion, le vocable
d'« expériences de mort provisoire » ou E.M.P.

Quelles sont les composantes d'une EMI ?

8
D'un côté, c'est le risque de trafic d'organes avec toute l'horreur que cela
implique. Certes, on demande deux EEG plats à quatre heures d'intervalle,
mais, en réalité, une anesthésie générale est pratiquée sinon le corps réagit.
On comprend alors que les dons d'organes soient de moins en moins
nombreux... À l'opposé, si la mort n'est pas réelle, on risque d'enterrer des
personnes vivantes. Jadis, on veillait les morts pour éviter, autant que faire se
peut, ce genre de mauvaise surprise. D'où l'importance capitale des prières
avant la mise en bière, lesquelles invitent l'âme à monter au Ciel.
9
Nous ne sommes ni dans le contexte du New Age, ni dans ceux du
spiritisme, de l'occultisme ou de l'ésotérisme, pratiques idéalistes,
préternaturelles et/ou surnaturelles, qui exigent des démarches et des
procédures précises.
10
Dr Pim VAN LOMMEL, Mort ou pas ? Les dernières découvertes
médicales sur les EMI, Paris, InterÉditions, 2015. L'auteur, de renommée
mondiale, est un spécialiste des EMI. Son livre reste la référence.
11
Dr J.-J. CHARBONNIER, La Conscience intuitive extraneuronale. Un
concept révolutionnaire sur l'après-vie enfin reconnu par la médecine, Paris,
Guy Trédaniel, 2017. Depuis des décennies, ses multiples publications sur le
sujet visent à rompre le tabou du matérialisme scientifique.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Voici maintenant les douze phases classiques d'une EMI


établies par le Dr Moody en 197512, sachant que, depuis, d'autres
classifications ont été proposées :
1) La personne déclare que les mots humains ne peuvent
exprimer ce qu'elle a vécu. Son expérience est ineffable.
2) Elle ressent une paix profonde. La douleur a disparu.
3) La personne entend les gens qui l'entourent (médecins,
famille) la déclarer morte, ce dont elle a réellement conscience.
Cela s'accompagne parfois d'un bruit.
4) La personne a l'impression réelle de sortir de son corps
et de flotter, situation qui est appelée une « décorporation », une
« extracorporéité » (Mgr Aupetit) ou simplement une « sortie hors
du corps ». L'exemple classique est celui du patient qui regarde
son corps inerte depuis le plafond de la salle d'opération. Cela lui
permet alors de voir et d'entendre (sans communication possible)
les gestes et/ou la discussion, vérifiés ensuite, du personnel
médical ou de proches attablés au café voisin. Selon le Dr
Theillier, 45 % des « expérienceurs » font une « décorporation ».
Il précise que ce « nouveau corps » a une sensation de légèreté et
de mobilité, qu'il n'est ni matériel, ni compact, ni passible et qu'il
ignore les contraintes spatiales13.
5) La personne est aspirée dans un endroit obscur,
souvent un tunnel, sans comparaison avec ce qui existe sur terre,
dont la traversée s'effectue souvent à très grande vitesse.

12
MOODY R. A., La Vie après la vie, Paris, Robert Laffont, 1976, trad.
française de Life after life. L'auteur fut le premier à s'intéresser aux EMI. Ses
confrères se présentent tous comme ses successeurs. Les 12 phases sont les
siennes amendées par la lecture du livre du Dr Patrick THEILLIER :
Expériences de mort imminente. Un signe du Ciel qui nous ouvre à la vie
invisible, Paris, Éd. Artège, 2016. Spécialiste des faits surnaturels comme les
miracles, le Dr Theillier fut pendant dix ans médecin permanent du Bureau
médical de Lourdes. Son ouvrage, qui est celui d'un catholique soucieux de
subordonner ses jugements au Magistère de l'Église, s'est fixé pour but de
rechercher les nombreux points communs qui existent entre les EMI et la
Tradition catholique. Il est préfacé par Mgr Aillet, évêque de Bayonne.
13
Le Dr Theillier se demande si la physique quantique ne pourrait pas
expliquer ce phénomène ; cf. la 2e partie de notre exposé.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Au bout de ce tunnel se trouve une petite lumière


éclatante, blanche, irréelle, qui grandit progressivement. Seuls
15 % des « expérienceurs » jugent ce passage effrayant. D'autres,
dans la faible mais mesurable proportion de 1 à 2 %, sont bloqués
dans cet état d'obscurité. Ils sont alors littéralement terrifiés par
ces EMI dites négatives, dont certaines adoptent toutes les
caractéristiques de l'Enfer, que cela soit ou non en rapport avec la
vie morale de l'« expérienceur ».

Ascension des élus : tirée du Diptyque du Paradis


- Venise - par Jérôme Bosch (1455-1516).
Témoignage ou expérience personnelle ?

6) Elle perçoit un monde qui lui semble irréel, lequel est


composé de paysages éclatants, de couleurs superbes, de fleurs
magnifiques, parfois d'anges et de musique.

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7) La personne rencontre son ange-gardien qui le guide


(dans ce cas, la communication se fait par télépathie) et/ou des
personnes décédées, des parents le plus souvent.
8) Elle rencontre aussi une lumière brillante ou un « Être
de lumière » dont l’amour est infini, ineffable, comparable à nul
autre sur terre, et personnalisé pour celui qui le rencontre
(plusieurs « expérienceurs » l'identifient à Jésus-Christ).
9) La personne revit la totalité de sa vie en ressentant sur
elle-même toutes les conséquences de ses actes, bons ou mauvais,
sur les autres. Ce bilan de sa propre vie, un peu comme le
déroulement d'un film, est consécutif à sa rencontre avec l'Être de
lumière. Son profond sentiment de paix n'enlève absolument rien à
la conscience, ni à une profonde lucidité. Le temps et la distance
semblent abolis.
10) Elle se heurte à une sorte de frontière qui demeure
infranchissable, ou alors elle ne peut plus avancer.
11) La personne retrouve effectivement son corps en étant
réanimée ou en sortant du coma. Ce retour, effectué presque à
contre-cœur, est d'autant plus difficile qu'il s'agit de « réintégrer »
un corps malade. C'est donc le moment d'une grande déception
(sauf en cas d'EMI négative).
12) Elle n'a plus peur de la mort car elle est désormais
certaine d'une vie après celle-ci. Cela n'empêche pas forcément
une certaine déstabilisation psychologique, que la personne soit
adulte ou enfant. En tout cas, son existence sera désormais
orientée sur l'amour du prochain ou sur la création artistique. Elle
sera aussi axée sur le détachement des biens, marquée par l'éveil
de la religiosité ou le renforcement de la piété, ainsi que sur une
plus grande acceptation de la vie, car elle sait que celle-ci doit
s'ouvrir sur une autre dont elle est sûre, désormais, de l'existence.

Multiplication des EMI


Deux facteurs ont contribué à la connaissance et au
développement des EMI : l'un indirectement, l'autre directement.
Le facteur indirect fut le coup d'envoi du Dr Moody, en
1975, avec la publication de son livre à succès (best-seller) sur les
EMI, La Vie après la vie qui, pour la première fois, affrontait le
médicalement correct sur son propre terrain.

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Effectivement, la science et la médecine, après avoir


unilatéralement adopté le principe du mécanisme universel de
Newton, puis le scientisme au XIXe siècle, sont devenues
matérialistes dans leur quasi totalité.
Alors, seule la matière, c'est-à-dire un dérèglement des
neurones en ce qui concerne les EMI, peut expliquer un
phénomène médical et surtout paramédical. Le reste n'est
qu'hallucination, superstition ou charlatanisme.
Ce matérialisme de la médecine entraîne deux corollaires
que les EMI remettent en question. Le premier, c'est l'interdiction
de parler de la mort. Dans le milieu médical, on ne parle que de
fin de vie ou de disparition. Tout ce qui a un rapport avec l'au-delà
doit être systématiquement gommé. Le second, lié au premier,
concerne une autre interdiction, celle d'évoquer toute religion (qui
explique justement l'au-delà), interdiction généralisée depuis sa
survenue dans un contexte anticatholique. Scientisme et
matérialisme infestent tellement l'air ambiant actuel que même les
études portant sur les EMI mésestiment le fait religieux14 (mais
non le côté spirituel), lequel apporte pourtant les meilleures
réponses15.
Toujours est-il que le Dr Moody fut à l'origine de ce
développement des études et des recherches de témoignages sur
les EMI, suivi par plusieurs dizaines de médecins de divers pays,
puis relayé par des colloques internationaux, des centres de
recherche, des revues, des sites internet recueillant tous les
témoignages, etc.16

14
Cette assertion sera détaillée dans la 2e partie.
15
Ce qui n'empêche pas de reconnaître que foi et science ont, chacune, leur
objet propre, tout en précisant que la seconde doit être subordonnée à la
première. On peut citer en ce domaine la lettre Ab Æegyptiis argentea de
GRÉGOIRE IX aux théologiens de Paris en 1228, l'encyclique Mirari Vos de
GRÉGOIRE XVI en 1832, le bref Eximiam tuam de PIE IX en 1857, la lettre
Gravissimas Inter de PIE XI à l'archevêque de Cologne en 1862, la lettre Tuas
Libenter de PIE IX à l'archevêque de Munich en 1863, le chap. IV de la
constitution Dei Filius de Vatican I en 1870, l'encyclique Qui pluribus de PIE
IX en 1878, etc.
16
Le Dr THEILLIER donne nombre de références sur ce sujet ; cf. op. cit. en
note 12, p. 75 à 83.

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Le facteur direct eut lieu aussi en 1975, car c'est cette


année-là que le micro-processeur fit son entrée dans les systèmes
de mesure cardiaque, permettant désormais aux médecins de
suivre en temps réel l'activité du cœur.
Dès lors, tout devint une question de temps : en quarante
ans, la multiplication de ces micro-processeurs dans les divers
hôpitaux, leur miniaturisation progressive et leur élargissement à
tout instrument de mesure médical font que, désormais, grâce à la
surveillance médicale à l'aide d'appareils de mesure, (monitoring),
véritable ordinateur composite, on arrive à réagir immédiatement à
toute faiblesse cardiaque, respiratoire ou autre.
Si bien qu'on réanime de plus en plus de patients ayant de
telles faiblesses17, alors qu'il y a cinquante ans une crise cardiaque
s'avérait généralement fatale. Il existe désormais un moment, plus
ou moins long selon chaque patient, durant lequel le cœur est à
l'arrêt, mais où la médecine peut, selon les cas, le faire repartir et
permettre ainsi au patient de revenir à la vie ici-bas. C'est à ce
moment-là que la personne peut faire une EMI, dans la proportion
de 15,3 % de ceux qui ont fait un arrêt cardio-respiratoire, selon
les dires du Dr Charbonnier.

Qu'en est-il des « expérienceurs » ?


Chaque EMI étant une histoire personnelle, on n'y retrouve
pas forcément toutes les caractéristiques d'une EMI classique. Si,
en 1975, le Dr Moody put interroger (et encore, indirectement) à
peine une centaine de personnes, les études se portent dorénavant,
à chaque fois et directement, sur des centaines d'« expérienceurs ».
Presque tous les autres sont recensés. Pour en donner une petite
idée du nombre, un sondage effectué en 1999 par US News and
World Report rapporte que 19,6 millions d'Américains ont fait une
EMI, ce qui équivaudrait, toute proportion gardée, entre 1,4 et 2,5
millions de Français, certitude partagée par le Dr Theillier.
Le Dr Van Lommel, quant à lui, estimait les EMI à 25
millions dans le monde, en 2012.
17
D'après le Dr Van Lommel, les statistiques révèlent que seuls 10 % des
victimes d'arrêts cardiaques hors milieu hospitalier quittent l'hôpital vivants.

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Concert des anges


(par Gaudenzio Ferrari, N.-D. des Miracles, Saronno, 1535)
tel qu'il fut perçu par Bob H. au cours de son EMI en 1979,
cas confié par le Dr Kenneth Ring à Pierre JOVANOVIC
(op. cit., p. 81).

Les diverses études ont révélé des constantes : une EMI


peut se dérouler en deux minutes, même si l'« expérienceur » a
l'impression de vivre une éternité, le record mesuré semblant de
dix-neuf minutes pour Krystel Merzloch, alors en pédiatrie (elle
avait sept ans) à Seattle en 1984 ; on note que les enfants font plus
facilement une EMI que les personnes de plus de soixante ans ; on
sait aussi que les EMI ne correspondent à un aucun type d'individu
particulier quant à sa situation familiale, son âge, son sexe, sa
race, sa religion ou l'absence de religion, son origine dans le
monde, sa position géographique, le contexte socio-culturel dans
lequel il vit, son éducation ou ses connaissances intellectuelles
(notamment sur les EMI).
L'« expérienceur » ne peut ignorer son EMI, car elle est
pour lui comme une révélation divine. Pour celui qui est
matérialistes, elle lui fait découvrir une réalité de l’au-delà devant
laquelle il ne peut que s’incliner.

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Il en est de même pour ceux qui s’opposaient auparavant


aux EMI pour des raisons scientifiques, comme le célèbre Dr Eben
Alexander, neurochirurgien américain qui, après avoir fait lui-
même une EMI, en est devenu convaincu. Ce fut aussi le cas du
non moins célèbre Dr Melvin Morse, converti par le cas de
Krystel Marzloch.
Même chez un catholique, pour qui la connaissance des
EMI n’ajoute rien au catéchisme, le fait d’en être le sujet est
interprété comme une grâce extraordinaire, qui relève de l’infinie
miséricorde de Dieu. Ainsi de l'abbé Jean Derobert, connu pour la
qualité de ses ouvrages et fils spirituel du Padre Pio à qui il dut sa
« réanimation ». Alors qu'il était aumônier durant la guerre
d’Algérie, il fut fusillé par le FLN avec ses compagnons et, bien
que plusieurs balles eussent traversé ses organes vitaux, ce qui
aurait dû lui être fatal, il en réchappa, précisément après avoir été
sujet d’une EMI.
On peut également citer le cas du père Maniyangat, prêtre
catholique indien, qui fut percuté en vélomoteur par la voiture
d'un chauffard ivrogne. L'accident était tel qu'il fut médicalement
déclaré mort et c'est à ce moment qu'il fit une EMI : son ange-
gardien l'emmena visiter d'abord l'Enfer, puis le Purgatoire, enfin
le Paradis. À son réveil à la morgue, réveil spécialement
douloureux, il se retrouva handicapé moteur. Un authentique
miracle le fit remarcher au bout d'un mois.
Conscients d'avoir vécu quelque chose d'extraordinaire,
les bénéficiaires d’EMI sont soucieux avant tout de faire part de
leur expérience à autrui. Mais voilà : ils connaissent la méfiance
de la médecine à l'égard des phénomènes mystiques. Ils préfèrent
alors internet (surtout depuis que c'est possible) pour révéler leur
EMI à des associations favorables plutôt qu’à leur médecin ou à
leur chirurgien, lesquels, souvent imbus d’une médecine scientiste
pour qui le surnaturel est à proscrire, risquent de les envoyer chez
un psychiatre, de leur infliger une mauvaise réputation et, surtout,
de remettre injustement en cause ce qui apparaît comme véridique
et important à un « expérienceur ». D’autant plus que le sujet est
encore sous le choc et qu’il a besoin, non pas de remarques qui le
déstabilisent plus encore plus, mais d’être écouté et compris.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Certains ont ainsi attendu dix-neuf ans avant de faire


connaître leur EMI...
L'« expérienceur » étant fortement marqué par son EMI,
celle-ci ne peut que se répercuter sur son mode de vie, et cela
conformément au caractère de chacun. Alors que certains sont
presque traumatisés (EMI négative), d’autres sont émerveillés,
expansifs voire prosélytes, tandis que d’autres encore restent
discrets une fois l’EMI révélée, mais en tirent les conséquences
dans leur vie personnelle : telle femme se mettra à avoir plusieurs
enfants, telle personne se lancera dans une activité médicale ou se
mettra au service des autres.

Pesée des âmes de Rogier Van Der Weiden (Hospices de Beaune),


analogue à une EMI recueillie par le Dr RAWLINGS ;
cf. son livre Beyond Death Door, 1979, p. 64.

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Prenons comme exemple le cas du Dr Gloria Polo,


chirurgien-dentiste à Bogota. Foudroyée en même temps que son
neveu – qui mourut sur le coup –, avec un corps suffisamment
calciné pour qu’il fût estimé non viable, son EMI l'emmena en
Enfer, ce qui fut clairement ressenti comme un avertissement
visant sa vie dissolue, avec la conséquence que cela impliquait :
après la mort, arrivera la rétribution éternelle de notre vie sur terre.
Analogue à ce que précise la religion catholique pour le jugement
particulier de chacun, son EMI se basa scrupuleusement sur le
respect des Dix Commandements. Depuis, le Dr Gloria Polo n’a
de cesse de faire connaître son expérience au monde, bien que
cette publicité soit parfois mal perçue18.

Les EMI existaient-elles dans le passé ?

Comme le dit le Dr Van Lommel, « les récits de visions


ou d'expériences mystiques ou religieuses, souvent provoquées
par des situations potentiellement mortelles telles que noyades,
asphyxie, épuisement ou forte fièvre, sont très courants, dans
toutes les époques et toutes les cultures. Ces expériences seraient
aujourd'hui qualifiées d'EMI19 ».
Par exemple, il y a le cas rapporté par Grégoire de Tours
dans le Livre VIII (chap.1) de son Histoire des Francs : enlevé au
Ciel par deux anges alors que son corps était inanimé, un certain
Salvi traversa une vallée très large et très profonde, puis une
prairie remplie d'hommes habillés de blanc où se tenaient de
joyeuses réunions et au bout de laquelle une lumière s'intensifia
peu à peu. Puis il passa « par une porte plus brillante que cette
lumière ineffable » et, là, il vit une foule innombrable20.
Dans son Histoire ecclésiastique des Anglais, Bède le
Vénérable nous fait part de deux EMI. La première est celle du
moine Fursy, mort à Péronne vers 650 et dont « l'âme sortit du
corps, du soir jusqu'au chant du coq ».

18
Comme les deux cas précédents, ceux de l'abbé Derobert et du père
Manyiangat, celui-ci est recensé par le Dr THEILLIER, op. cit. (cf. note 12).
19
Dr VAN LOMMEL, op. cit. (cf. note 10), p. 100.
20
Dr THEILLIER, op. cit. (cf. note 12), p. 73-74.

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La seconde, plus connue et plus détaillée, nommée « la


vision de Drythelm », ressemblant davantage aux EMI actuelles,
est celle d'un père de famille de la région de Cunningham en
Écosse.

Au XIIe siècle, le moine Guibert de Nogent raconte la


vision de sa mère qui sentit « que son âme sortait de son corps »,
« traversait une galerie » puis « voyait son époux », comme dans
une EMI où l'on voit des défunts proches21.
Il est à penser que le chevalier Tondal, Irlandais originaire
de Cashel au XIIe siècle, vécut lui aussi une EMI lors de son coma,
durant lequel il visita l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Une
copie de son récit fut commandée au XVe siècle par Marguerite
d'York, troisième épouse de Charles le Téméraire. Peut-on aussi
rajouter le miracle opéré par Philippe Néri en 1583, lorsqu'il fit
revenir à la vie le jeune prince Paolo Massimo, alors âgé de 14
ans, qui était décédé de maladie et dont le corps était exposé dans
son palais à Rome ? Après son « réveil » par le saint, le prince
préféra repartir vers les splendeurs célestes dont il avait fait la
connaissance lors de sa « première mort ».
Catherine de Sienne, durant ses extases, « ne voulait pas
revenir dans cette prison qu'est le corps ». Un jour, la sainte passa
pour morte (après vérification) auprès de ses compagnes qui la
mirent dans un cercueil. Elle expliqua ensuite : « Mon âme se
trouva séparée de mon corps. Je ne sais combien de temps, mais
les sœurs disent quatre heures. J'ai vu les arcanes de Dieu. Je n'ai
pas vu l'essence divine elle-même, mais j'ai vu la gloire des saints
[en Paradis], les peines des pécheurs en enfer, et celles des âmes
qui se purifient au purgatoire […]. Et puis, je n'ai pas de mots
pour expliquer de telles choses. Ah, quel chagrin d'être revenu ici-
bas22! »

21
Récits rapportés, entre autres, par Mgr AUPETIT, op. cit. (cf. note3),
p. 26 ss.
22
Cité par P. JOVANOVIC, op. cit., p. 267 et note 7. L'auteur donne encore
d'autres exemples.

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Plus proche de nous voici le cas de Mariam Baouardy,


« la petite Arabe », née en 1846 en Galilée, devenue carmélite
sous le nom de sœur Marie de Jésus crucifié, morte en 1879,
béatifiée en 1983 et canonisée en 2015.
Égorgée à l'âge de 13 ans par un musulman qui voulait lui
faire abandonner la foi catholique, son corps fut transporté dans
une grotte par une religieuse « aux vêtements d'azur ». C'est à ce
moment-là qu'elle vécut une EMI. Guidée par la Sainte Vierge, elle
visita le Ciel, l'Enfer et le Purgatoire.
La mystérieuse religieuse vêtue « d'azur » la soigna,
attendit que la plaie fût cicatrisée avant de conduire la sœur chez
un prêtre. Puis elle disparut, Mariam reconnaissant alors cette
même Vierge Marie. Jusqu'à sa mort, à 33 ans, « la petite Arabe »
garda la cicatrice d'une entaille à la gorge, qui faisait 10 cm de
long, ainsi qu'une voix brisée. Après son décès, les médecins
constatèrent effectivement qu'il lui manquait plusieurs anneaux à
la trachée artère. La conclusion revient au père Bruno s.c.j. qui
nous a laissé sa biographie : « Le martyre de la petite Arabe
n'avait pas été un rêve : il restait inscrit dans sa chair23. »
(À suivre)
******************************

Nos membres publient :


Marie à Paris, par Philippe BORNET
Le Dr Philippe Bornet, après nous avoir donné
récemment L‘Évangile selon saint Métro24, fait, avec son dernier
ouvrage, Marie à Paris, un cadeau inestimable à tous les
amoureux de la Médiatrice des grâces divines. Ce livre, qualifié de
« guide » sur la couverture, est bien autre chose qu’un inventaire
commenté de 28 églises ou chapelles consacrées à la Vierge
Marie. Il s’agirait plutôt d’un vademecum fait pour être goûté par
petites gorgées, repris de temps à autre, en particulier lors des
fêtes mariales qu’à chaque étape il se propose d’accompagner.

23
Dr THEILLIER, op. cit. (cf.note 12), p. 211 ss. Sainte Mariam Baouardy est
ainsi devenue, en quelque sorte, la patronne des « expérienceurs » !
24
Ouvrage collectif sous la direction de Philippe BORNET, Paris, Via
Romana, 2015, 406 p., 19 €.

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On y découvre de nombreux détails historiques pleins de


charme. Ainsi, à propos de la crypte des 191 martyrs de 1792 à
Saint-Joseph des Carmes (70 rue de Vaugirard), que la chapelle et
les jardins furent restaurés après la Révolution avec l’aide
d’Alexandre Lenoir, jacobin et franc-maçon (p. 107). Ou encore
que le plan de la basilique de Sainte-Marie majeure, à Rome, fut
dessiné sur le sol par la neige tombée dans la nuit du 4 au 5 août
358 (p. 109). Signalons aussi l’histoire du vœu de Louis XIII, en
1638, avec le rôle décisif qu’y jouèrent le père Joseph, le célèbre
capucin ami de Richelieu, et une religieuse des Filles du Calvaire,
âme mystique, sœur Anne-Marie de Jésus Crucifié (p. 115-125).
Nous apprenons aussi, sur Notre-Dame de Lorette, que la pierre,
choisie pour sa porosité, fut imbibée de peinture en profondeur
afin qu’il soit facile de la restaurer si le vandalisme
révolutionnaire redevenait, un jour, d’actualité [les tags !]
(p. 110). Chacun des 28 chapitres correspond à un sanctuaire mais
aussi à une fête mariale, insérée selon son ordre dans l’année
liturgique et en lien étroit avec le lieu.
Philippe Bornet, ophtalmologiste, nous aide cette fois à
ouvrir les yeux du cœur. Il est aussi journaliste et son talent de
conteur fait beaucoup pour rendre ce livre attachant et suggestif. À
lire l’ouvrage, on se dit que les prophéties annonçant la
destruction de Paris seront, pour partie du moins, heureusement
démenties : ces multiples nœuds de la dévotion populaires forment
comme un filet de protection au-dessus de la capitale. Filet
invisible mais non moins réel, dont les lecteurs patients, soucieux
de profiter de chaque étape, se retrouveront eux-mêmes recouverts
si tant est qu’ils s’associent à la prière finement choisie qui achève
chaque chapitre (on est tenté de dire chaque « mystère » !).
Prières, certaines originales, certaines peu connues mais puisées
dans le riche patrimoine oratoire de la chrétienté.
(Paris, Via Romana, 2018, 170 p, 17€, Préface de Mgr Éric de
Moulins-Beaufort).

******************************

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42

HISTOIRE « Si l'homme est libre de choisir ses idées,


il n'est pas libre d'échapper aux conséquences des idées qu'il a choisies »
(Marcel François).

La « liberté » des Communistes (IIe partie)1


Sylvestre M. et Pierre Z.

Présentation : Après avoir décrit les procédés d’arrestation dans le « paradis


des travailleurs », les auteurs – dont nous ne savons rien si ce n’est que l’un
d’eux était un socialiste polonais – en viennent maintenant à la finalité de ces
arrestations massives, sans aucun lien avec une culpabilité précise comme nous
avons l’habitude de l’attendre de nos tribunaux. Il s’agit en réalité d’un
processus darwinien d’élimination du « moins apte », de celui qui n’est plus en
phase avec la nouvelle société qu'il s’agit d’accoucher au forceps. L’essence de
l’élitisme, en politique, veut que la minorité dirigeante sache mieux que les gens
du peuple ce qui assurera leur bonheur. Par certains côtés, c’est aujourd’hui
l’Occident qui est devenu la proie du filet élitiste, avec le même manque de
considération pour la piétaille électorale. Les mêmes causes produisant les
mêmes effets, il ne sera pas inutile de se remémorer les leçons d’une histoire au
demeurant toute proche, même si le « meilleur des mondes » en gestation saura
faire usage des nouvelles technologies permettant d’influencer et de contrôler
plus subtilement les populations. Mais, dans les deux cas, mutatis mutandis,
donc avec les adaptations qui s’imposent, il est clair que les futurs citoyens de la
Cité céleste possèdent bien des traits permettant aux organes de propagande de
les dénoncer comme autant d’ennemis du « vivre-ensemble ».

Qui est arrêté en URSS et pourquoi ? (p. 144-149)


a) Catégories de délinquants – Anéantissement en masse des
ennemis.
«... Je fus arrêté par les autorités soviétiques à Wilna le 2 août
1940, trois semaines après l’entrée de l’armée soviétique en
Lituanie, Lettonie et Estonie.
À Wilna, les autorités soviétiques se consacrèrent tout
d’abord, durant les premiers jours de leur gouvernement, à
l’organisation et à la remise en ordre des prisons.

1
Rappelons que cet ouvrage, publié à Rome en 1945, en français, a été
réédité par Les Sept Couleurs en 1975, mais en reproduction photographique,
donc en respectant la pagination.

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43

Les beaux édifices de l’État et communaux, les édifices des


chemins de fer furent transformés en prisons ainsi que les écoles ;
cela rendait en même temps inutile toute l’organisation judiciaire.
Qui était arrêté ? Pour quel genre de faute ? Celui qui se pose
ces questions ne possède aucune idée de la réalité soviétique.
Lorsque, une fois confiné, je demandai à un vieux geôlier,
type de citoyen des camps de concentration, en lui montrant une
femme, si c’était une prisonnière politique ou une criminelle, il me
répondit : « Une demande pareille n’a pas de sens en URSS, car
la raison de l’arrestation n’est pas ce délit ou un autre
accompli par une personne, mais plutôt le désir de la
liquider. De quel droit cela est-il fait ? voilà qui a peu
d’importance. »
Après l’arrestation, on s’occupe des raisons de l’arrestation
et de l’auto-accusation. Il arrive ainsi qu’au cours des soi-disant
enquêtes, le texte même de l'accusation soit plusieurs fois modifié.
Les témoins et les preuves matérielles sont choisis seulement après
l’arrestation de l’accusé.
Le désir de liquider tous les gens actifs dans la vie de l’État et
dans l’économie de la Pologne était le motif des arrestations en
territoire polonais2. Citons, par exemple, Wilna : les habitants de
chaque immeuble furent minutieusement examinés au sujet de
l’ensemble de leur passé, et les individus à arrêter et à liquider
furent particulièrement désignés.
Les personnes arrêtées appartenaient aux catégories
suivantes :
1) fonctionnaires de l’État et de la commune, officiers de
tous grades, hommes politiques de tous genres, comités directeurs
de toutes les associations et organisations qui n’avaient rien à voir
avec la politique, chefs et membres actifs des organisations
socialistes et des syndicats professionnels ;

2
Ndlr. Il en alla de même en 1944 lors de la révolte de Varsovie contre
l’occupant allemand. Alors que, le 29 juillet, la radio de Moscou avait incité
les habitants à prendre les armes, l’armée Rouge restera sur la rive droite de
la Vistule jusqu’en janvier 1945, laissant ainsi la Wehrmacht et les SS « faire
le travail ». Cf. Fr. MICHEL de la Trinité, « La Croisade des démocraties », in
Le Cep n°73, déc. 2015, p. 39.

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44

2) personnes de la classe des rentiers, qui avaient et


remplissaient des fonctions plus ou moins importantes dans
l’économie. Le problème marxiste est la reconstruction sociale et
l’expropriation des moyens de production et des propriétés ; les
autorités soviétiques ont simplifié ce problème au point de liquider
biologiquement la classe des rentiers ;
3) personnes de formation professionnelle et d’esprit
contraire à l’idéologie soviétique ; en outre, toutes les personnes
chez lesquelles on remarquait des « symptômes de quelque
individualité ».
À Wilna, j’ai été témoin des faits suivants : Au cours des
premiers mois, les autorités soviétiques ont employé la politique
de la « main tendue » (flirt) avec le monde artistique polonais ;
elles ont donné des subsides aux théâtres, ont offert de somptueux
banquets, ont entouré d’une protection « paternelle » les artistes,
les peintres, et ainsi de suite. Elles s’appropriaient en même temps
certaines personnes très influentes de ce milieu, en inventant
lâchement des accusations. Douze personnes parmi les artistes de
Wilna étaient avec moi à Loukishki : je ne me souviens
malheureusement pas de leurs noms.
Il y eut aussi parmi nous des personnes qui croyaient pouvoir
trouver quelque modus vivendi avec les nouvelles autorités et qui
ont même présenté dans ce sens des propositions concrètes en
toute bonne foi, prouvant ainsi leur pauvreté spirituelle et se
compromettant. En effet, pendant vingt ans, les Soviets n’ont
certainement pas liquidé tout le monde éduqué dans la culture pré-
soviétique, n’ont pas automatisé ni mécanisé l'esprit et
l’intelligence de tous les citoyens faisant d'eux des marionnettes de
la clique gouvernementale, ce qui a permis de laisser, dans les
territoires récemment occupés, des hommes nourris de culture
anti-communiste. Mais sous les Soviets, tout homme capable de
dire « cogito » (« je pense ») est destiné à être liquidé, à être
« arrêté » comme ils disent par euphémisme ;
4) même les activistes communistes. Les autorités
soviétiques emploient à leur égard une tactique et une façon d'agir
toutes particulières. Les chefs communistes étaient certainement
persuadés qu’ils deviendraient les autorités du pays après l’entrée
des Soviets.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


45

En réalité, ces derniers se sont conduits envers eux de la


manière suivante : au début, ils ont profité de toute l’organisation
communiste, se servant d’espions et de provocateurs pour les
arrestations en masse ; dans la suite, les personnes les plus actives
ont été liquidées par des condamnations aux travaux forcés ou de
longs séjours en prison.
À Tcheliabinsk, ayant déjà été remis en liberté, je rencontrai
un fameux agitateur communiste de Wilna qui, après l’entrée des
Soviets, avait été nommé juge-procureur. Heureux de notre
rencontre, il me raconta beaucoup de choses sur la réalité
soviétique, soulignant qu’il l’avait imaginée de façon bien
différente.
Comme conclusion de notre conversation, il me pria
gentiment d’intervenir auprès de notre délégation pour qu’on lui
délivrât un passeport polonais. Tout en étant depuis nombre
d’années communiste et « patriote soviétique », il me dit, d’un ton
parfaitement résigné : « Savez-vous, Monsieur, qu'ici,
pendant toute sa vie, l'homme est menacé par l’épouvantail
de la liquidation indépendamment de ses idées, favorables
ou hostiles. Je suis déjà au seuil de la folie à force de ne
savoir jamais ce qui pourra m’arriver demain. » Et il n’y a
pas de quoi s’étonner : dans le régime soviétique, tout homme qui
pense est de trop.
Dans la « katorga » de Vorcouta (RSS des Komi), je parlai
assez longuement avec un homme de trente ans, un prisonnier
naturellement, fils de L. ex-membre du « Gouvernement
temporaire communiste polonais à Bialystok en 1920 ». Lorsque je
lui demandai : « Frère, qu’en penses-tu donc à présent ? Est-ce
que nous n’avons pas eu raison, nous socialistes, dans nos
jugements sur le communisme ? », il me répondit, d’un ton
d’homme las : « Qui donc pouvait prévoir que cette idée aurait
engendré un monstre pareil ?»
5) criminels. Les Soviets ont élargi la signification de
l'expression « délinquant commun » en le nommant bytovik, ce qui
signifie « de la vie quotidienne ». Ce mot russe englobe tous les
délits communs, à partir du vol de cigarettes jusqu’au brigandage
professionnel.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


46

Il vaut la peine de faire remarquer qu’il n’existe pas d’État où


le vol soit puni aussi sévèrement qu’en Russie soviétique et, en
même temps, qu’il n’existe pas d’État où le vol et les tromperies
soient aussi largement répandus. Mais personne ne s’en étonne :
tant que la société profite de ce vol systématique par l’échange de
choses illégalement appropriées, personne ne réagit. Dans la vie
soviétique, il existe une « espèce d’échange » qui s’appelle le blat ;
ce genre de commerce remplit toutes les cellules de la vie
soviétique, l’argent ne représentant pas une grande valeur et ayant
un faible pouvoir d’achat. La plus grande partie des articles
s’obtient par ce blat, puisque chez les Soviets il y a de tout, mais
pas pour tout le monde.
La classe supérieure privilégiée est composée en Russie des
rangs gouvernementaux qui ont accès aux richesses du pays, et des
rangs de ceux qui exercent cette espèce de blat. Il peut arriver
qu’une personne, pour une raison ou pour une autre, perde ce
droit : « les amis » alors, désirant montrer avec peu d’effort leur
droiture, simulent une affaire et cette personne est liquidée. Les
prisonniers de cette espèce constituent la plus grande partie des
bytovik. À cette catégorie appartiennent aussi des voleurs et des
bandits, qui s’appellent ourki et forment presque une classe fermée
avec leurs idéologies de prisonniers et avec une psychologie qu’on
ne peut trouver qu’auprès des Soviets.
En ce qui concerne les détenus polonais, militaires ou
politiques, nous pouvons résumer comme suit les raisons de leur
emprisonnement.
En 1918, d’après le point de vue bolchevique, la marche
communiste vers le centre de l’Europe a été ralentie par la
résurrection de la Pologne, qui profita de la faiblesse provoquée en
Russie par la guerre civile. L’État polonais est donc une
organisation contre-révolutionnaire ayant pour but la lutte contre la
Russie soviétique.
La Russie soviétique est un état anti-territorial du
prolétariat international ; elle a donc le droit de juger
chaque citoyen de notre pays qui serait contre le
communisme.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


47

Ainsi tous les citoyens polonais qui s’occupaient de questions


sociales, politiques, économiques, ont dû signer, lors de leur
arrestation, un avis par lequel ils étaient informés qu’ils étaient
jugés pour activité contre l’État, et ceci tout en étant des citoyens
d’un autre pays.
J’ai rencontré dans un pénitencier un groupe important de
personnes du Schutzbund autrichien, qui avaient cherché leur salut
dans la Russie soviétique contre la terreur de Dollfuss3. Elles
avaient été reçues par de grands banquets et des comices et, après
avoir été introduites dans les différents clubs de travailleurs, petit à
petit elles furent emprisonnées et condamnées pour espionnage en
faveur de l’hitlérisme. Elles furent tellement maltraitées qu’elles
signèrent à la fin une déclaration par laquelle elles avouaient être
des espions, en qualité de citoyens soviétiques.
Comme la guerre continuait encore, on n’osa pas commencer
le procès contre nos hommes, qui furent toutefois condamnés par
contumace par l’Ossoboie Soviestchanie. Par contre, dans les cas
où ils avaient réussi à avoir des éléments pour les accuser
d’appartenir à quelque organisation fondée déjà pendant
l’occupation, les Russes commencèrent le procès judiciaire dont le
résultat fut une condamnation analogue à celle infligée par l’Osso,
voire encore plus grave.
Les membres de plusieurs organisations secrètes furent battus
sans miséricorde, torturés, affamés et enfermés dans des caves où
il était impossible de ne pas tomber malade. Pour réussir à leur
extorquer les fausses déclarations nécessaires à la sentence, les
autorités soviétiques recouraient à la torture. Les interrogatoires
avaient lieu pendant la nuit, jusqu’à l’épuisement physique et
psychique des interrogés.
[…] Seule une personne qui a passé par les jugements de
l'autorité soviétique peut se rendre compte des déclarations qu’elle
réussit à extorquer aux condamnés.

3
Ndlr. Dollfuss ayant fait arrêter les députés sociaux-démocrates, il est
compréhensible que l’auteur qualifie la dictature du chancelier de « terreur ».

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48

Quelques exemples :
1) Je demandai au médecin-en-chef du pénitencier
(prisonnier lui aussi) pourquoi il avait été condamné ; il me
répondit tranquillement : « Parce que je suis un espion. »
Comme je m’étonnais et le priais de ne pas se moquer de
moi, il me dit « qu’il avait signé lui aussi cette déclaration », en
ajoutant : « J’ai essayé de ne pas la signer, mais ils ont torturé ma
femme pendant si longtemps qu’ils lui ont cassé l’épine dorsale et
elle a signé la déclaration comme quoi j’étais un espion allemand ;
moi-même, j’ai été tellement battu sur la nuque avec les revolvers
que tout ce qui arrivait m’était indifférent. »

2) Le deuxième médecin du camp (un Juif allemand, qui


avait cherché asile dans le paradis soviétique) fut arrêté à Moscou
au temps où Iejov était commissaire pour les Affaires intérieures.
Il fut moins battu parce qu’il avait déjà su en prison que tout
étranger devait signer la déclaration d’être un espion et que, s’il
refusait cette signature, il serait tué au cours du procès.
Il vaut la peine de souligner à ce propos que rarement, en
Russie, on mettait en liberté un étranger ; les réfugiés, dans le
meilleur des cas, étaient naturellement envoyés dans le Nord, pour
posielenie, c'est-à-dire en « exil ».

3) Un professeur de l’école polytechnique de Moscou au


temps des tsars, homme de 62 ans, spécialiste en expériences sur
le charbon, fut condamné à 25 ans de prison parce que, soi-disant,
il avait vendu les secrets des expériences scientifiques aux
industriels des États-Unis, et il dut signer lui-même cette
déclaration. À la suite des tortures subies pendant le procès, il était
arrivé à un tel point d’épuisement qu’il dit au juge : « Je signerai
tout ce que vous voudrez ! »
4) Le médecin-chef d’un autre camp avait reçu, en 1933, le
1er prix pour l’organisation de l’hygiène scolaire. Arrêté quelques
jours plus tard, il signa la déclaration suivante : « Le travail
exécuté par moi, et qui a été récompensé par le 1er prix, a servi à
cacher mon activité trotskiste. »

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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La masse ne fait pas grand cas, en Russie soviétique, des


déclarations et ne fait pas de différence entre les condamnations à
cinq ou à trente ans. Tout dépend du jugement par lequel on envoie
les gens en prison. Un bytovik, c’est-à-dire un « criminel de droit
commun », garde encore l’espoir de revoir le monde hors de la
prison, tandis qu’un condamné politique suivant l’article 58 ne
réussira plus à retourner dans le monde, même s’il n’a écopé
que d’une sentence de trois ans.
Voici un exemple caractéristique. Un Russe, remplissant ma
fiche (lors de mon arrivée au pénitencier), me dit : « Quel
dommage que vous ne soyez pas un criminel ! Vous auriez
pu faire ici une bonne carrière, mais avec l'art. 58 vous
n'irez pas très loin. »
Tout cela démontre clairement combien les autorités
soviétiques tiennent à l’anéantissement de toute la génération
éduquée, qui a consciencieusement commencé sa vie avant la
révolution bolchevique.

Nombre de prisonniers
pourcentage des
prisonniers
POPULATION hommes femmes Total rapporté à
la population

ITALIE (1938)
43.979 000 52 018 5 553 57 571 0,13
SUISSE (31-12-1938)
4.186.000 1 953 382 2 335 0.05
FRANCE (1931)
40.835.000 17 699 2 708 20 406 0,05
POLOGNE (1938)
34.500.000 62 367 5 641 68 008 0,19
URSS
194.000 000 15 000 000 7,73

(Comparaison de la population carcérale de quelques pays)

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


50

Sans doute beaucoup plus de quinze millions de


personnes sont en prison, en Russie soviétique, et ou bien elles
sont tuées, ou bien elles finissent leur vie comme des esclaves
employés pour coloniser des terrains inhabitables, pour construire
des canaux et des chemins de fer. En raison des conditions
climatiques très mauvaises, tôt ou tard elles finissent par mourir.
En URSS, chacun connaît un prisonnier dans son
entourage proche. Une comparaison avec les statistiques des pays
« bourgeois » de l’Europe le montre (cf. tableau ci-dessus)
(p.128).

Le niveau de préparation et d’intelligence des juges eux-


mêmes est très bas. Ils n’ont qu’un seul schéma pour chaque
projet de loi, toujours identique : les mêmes questions, les mêmes
remarques et les mêmes invectives désagréables. Mais ce qui est
encore plus important, on ne sent même pas en eux la conviction
profonde de ce qu’ils font. Pendant un de mes interrogatoires,
ayant déjà remarqué l’indifférence complète du juge
d’instruction, je lui demandai : « Dites-moi sincèrement : croyez-
vous qu’un officier, remplissant ses devoirs de citoyen, soit un
contre-révolutionnaire, et que les accusations qui me sont
adressées soient fondées sur la vérité ? »
Je reçus la réponse suivante : « Si j’étais une personne privée,
je traiterais autrement cette question, mais à présent vous êtes un
prisonnier et je suis le juge. » (1 636 - L. J., 48 ans. médecin
dentiste).
« ... Je rencontrai à Arkhangelsk, pour la première fois, des
prisonniers russes et je vis parmi eux plusieurs Juifs, surtout des
personnes âgées et cultivées, recrutées parmi les professionnels
rappelant, par leur piété et leur formation, les vieux temps pré-
soviétiques. Ils avaient tous été condamnés pour contre-révolution.
Les raisons suivant lesquelles les gens sont arrêtés sont
absolument ridicules et ingénues, ainsi que le démontre le fait
suivant : dans un camp de travail, je rencontrai une femme qui
avait été condamnée à 10 ans parce qu’en cousant elle avait dit :
« Quel fil horrible ! » Cela avait suffi pour qualifier son
comportement comme contre-révolutionnaire » (10 586 -
G.H., Juif, né en 1918).

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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La justice soviétique entre en Europe (p. 129-133)


De nos jours, le nombre des prisonniers s’est certainement
accru du fait que la Russie a agrandi son territoire en
« libérant » plusieurs contrées de la domination hitlérienne et a
soumis ces populations à l’arrestation en masse et à la déportation.
La machine écrasante de la justice soviétique s’est déplacée vers
l’occident sur la ligne Elbe-Trieste.
Le système des arrestations et le plan de « reconstruction
sociale » des pays occupés par l’armée rouge sont invariables.
Les propriétaires terriens sont arrêtés ainsi que les capitalistes,
les activistes politiques, les fonctionnaires et les travailleurs de
l’État et autonomes, le clergé et la classe intellectuelle, les
activistes des syndicats, les socialistes et les communistes (ces
derniers sous l’accusation de trotskisme), tous ceux enfin, à
l’aveuglette, qui pour une raison ou autre sont considérés, par le
NKVD, comme des éléments « socialement dangereux ». Des
centaines de trains de prisonniers transportent dans le centre de la
Russie aux prisons, aux camps et à l’exil des centaines de milliers
d'« ennemis du peuple ». Des agitateurs bolcheviques venant de
l’URSS prennent leur place, ainsi que des familles d’officiers de
l’armée rouge ; la jeunesse du Komsomol, qui ne connaît pas la
langue du pays occupé, n’a pas de préparation professionnelle, est
toutefois désignée pour occuper des postes de direction et des
positions clefs dans la vie d’une société soviétisée.
La soviétisation dirigée suivant les plans est exécutée sans
pitié dans les territoires occupés. La première étape en est la
révolution, non spontanée cependant, non semblable à la
Commune parisienne ni à l’Octobre russe, mais une révolution
imposée par l’occupant, une révolution administrée. Il appartient à
la justice soviétique, dont le NKVD est la véritable et essentielle
expression, de la réaliser.
Les noms seuls sont changés. La presse et la radio soviétiques
n’emploient pas à l’égard des pays occupés les expressions
« contre-révolution » ou « contre-révolutionnaire ». Ceci
démasquerait les véritables intentions de la Russie vis-à-vis de ces
pays, dans lesquels elle pense garder les apparences de la
démocratie.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


52

Ils deviendront partie intégrale de l’Union Soviétique après la


« reconstruction sociale », après la « révolution administrée ». Au
moment politiquement opportun, les « parlements » de ces pays
demanderont au Conseil Suprême de l’URSS à être reçus dans
l’assemblée des Républiques soviétiques. Mais ceci est prévu
comme étape future. Voilà pourquoi on parle aujourd’hui des
fascistes, du fascisme et de la « défascisation ».
Le concept de fasciste, dans l’interprétation faite pas la justice
soviétique, est très élastique. Ce concept comprend maintenant non
seulement les membres des partis fasciste et nazi et leurs partisans,
mais aussi ceux qui s’opposent au programme bolchevique. La
presse soviétique et communiste affirme aujourd’hui à l’unanimité
que l’anti-communisme est du fascisme. Il faut donc arrêter et
anéantir les « fascistes ». Nous écrivons le mot « fasciste » entre
guillemets afin d’éviter les équivoques. Nous ne nous
attendrissons pas sur le sort des vrais fascistes, délinquants de
guerre, et de leurs partisans ; nous ne pouvons toutefois pas
approuver l'extension du concept de fasciste à tous ceux qui ne
sont pas enthousiastes à la pensée de la soviétisation de l’Europe.
Chaque personne peut malheureusement devenir fasciste selon
l’interprétation des tribunaux soviétiques.
L’affirmation de nombreux citoyens polonais et des pays
baltes, « libérés » en 1939, nous semble juste : quiconque se
trouve dans le rayon d’action du NKVD, disent-ils, doit s’attendre
à tout moment à être arrêté.
Et elle n’a rien de plaisant cette recommandation : chaque
personne, même jouissant encore de la liberté, doit avoir avec elle
une petite valise (sans serrure de fer) contenant les accessoires de
toilette, du linge de rechange et une couverture. De fait, nul n’est
certain que son arrestation ne puisse se produire quand il est au
restaurant ou au théâtre, aussi cette recommandation concerne-t-
elle tous ceux qui habitent les territoires « délivrés » par l’Union
Soviétique.
Si ceux qui, aujourd’hui, adhèrent au parti communiste dans
les divers pays d’Europe, croient qu’ils pourront gouverner, ils se
trompent. Après une ivresse momentanée, ils iront en prison et
dans les camps de travail, comme cela est arrivé aux communistes
polonais, lituaniens, estoniens et roumains.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


53

La dogmatique bolchevique, bien qu’elle ait recours à des


tactiques fort diverses, à propos de nombreuses questions, reste ici
inflexible. La répulsion à l’égard de ce qui a quelque relation avec
l’Occident est trop forte, dans toute la société russe et plus encore
parmi les éléments gouvernementaux, pour que le NKVD puisse
faire une exception à la règle en faveur des communistes de
l’Europe occidentale.
Seuls les chefs des partis communistes des différents pays,
précédemment instruits à Moscou et que cette ville a conquis à sa
cause, peuvent compter sur quelques égards momentanés :
membres du comité exécutif de la IIIe Internationale, du
« Politbureau » et d’autres organes suprêmes de la révolution
bolchevique.
L’éthique bolchevique est différente de celle des communistes
non-russes, et c’est justement là-dessus que se fondent les
malentendus, qui deviennent cause de l’éloignement de la tactique
bolchevique loyale, accusation ayant toujours pour terme
l’emprisonnement. Une personne, communiste par ses idées, est
incapable d’éviter de semblables déviations à moins d’adapter une
manière de penser cent pour cent bolchevique ; il lui faudrait, en
ce cas, renoncer au rêve de la dictature du prolétariat et à tous les
attributs nécessaires à un régime communiste. Pour en arriver là,
elle devrait auparavant s’être bien avilie.

Le procès de la préparation de la société à la révolution, à 1a


lutte en général contre les ennemis du communisme, se fait en
même temps dans les pays de l’Europe occidentale. Le concept de
« fasciste » est déjà défini, la manière pour anéantir le
« fascisme » déjà indiquée. Les définitions juridiques de la justice
soviétique pénètrent dans la conscience des peuples de l’Europe
non encore occupée matériellement. La presse et la radio des pays
de 1’Occident se sont habituées à la terminologie bolchevique
employant toujours plus largement les expressions : « élément
socialement dangereux », « tribunal du peuple », « épuration »,
etc. Le procès de l’intimidation des personnes contraires au
communisme dure et se renforce. Tout essai de défense de la
démocratie et de la liberté humaine est condamné ainsi que toute
critique défavorable au totalitarisme russe.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


54

Celui qui s'y risque est nommé fasciste et est excommunié


dans l’opinion, non seulement des bolcheviques et des
communistes, mais aussi de la société tout entière. Même si
quelqu’un s’aperçoit que le bolchevisme est le système de
gouvernement le plus totalitaire au monde, qui ne respecte ni
l’idée de liberté ni celle de dignité humaine, il craint de le déclarer
publiquement, afin de ne pas être accusé de fasciste par ceux qui
auraient mérité de l'être en premier.
Cet élément particulier et essentiel de la terreur et de
l’intimidation paralyse la volonté des peuples, en train d’observer
passivement les phénomènes nouveaux, incompris et inquiétants.
C’est pour cela donc que tous ceux qui, sincèrement, désirent
que les libertés démocratiques règnent dans le monde, doivent en
premier lieu se libérer de cette crainte, briser cette terreur morale
et, avec pleine conscience et compréhension de l’essence de la
catastrophe nouvelle qui menace l’humanité, s’opposer au
totalitarisme rouge avec la même force avec laquelle ils se sont
opposés à la puissance du fascisme et du nazisme.

Transports vers les camps sibériens (p. 93-98)


Le prisonnier fait les trajets suivants, selon les circonstances,
en chemin de fer (souvent sur des plates-formes ouvertes), dans
des autocars, à bord de chalands, de bateaux ou bien à pied.

Particulièrement fatigants sont les trajets :


Kotlas - Vorkouta ;
Krasnoiarsk - Doudinka;
Kharkov - Vladivostok ;
Boukhta-Nakokodka - Kolima.

Kotlas se trouve à la confluence du Vicegda avec la Dvina


septentrionale. C’est un gigantesque centre de distribution, qui
dessert plusieurs systèmes de camps placés entre la Dvina et les
Duraïs ; le plus oriental de ceux-ci, situé dans la partie orientale de
la Russie, est Vorkoutstroï, avec son centre houiller de Vorkouta.
Le trajet de Kotlas à Vorkouta se fait soit par voie terrestre, soit le
long du fleuve Vicegda, puis en traversant le Pechora le long de

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


55

l’Oussa jusqu’aux sources, ou bien par voie fluviale par la Dvina


jusqu’à Arkhangelsk et, de là, sur un bateau traversant la mer de
Barents jusqu’au port de Narian Mar, qui se trouve à
l’embouchure de la Petchora, et en remontant en barque la
Petchora et l’Oussa.
En cas de transport par voie terrestre, les prisonniers vont sur
les trains de marchandises, dans des wagons fermés ou sur des
plates-formes ouvertes, par la ligne de chemin de fer récemment
construite qui conduit à Vorkouta, ligne terminée durant avril
1943. Avant cette date, par la force des choses, le transport était
combiné.
Suivant les progrès dans la construction des étapes du chemin
de fer, on arrive toujours à des localités plus lointaines en
direction nord-orientale, puis le voyage continue à pied, ou par
voie fluviale à bord de chalands. Il faut préciser que le transport
des prisonniers a lieu sans tenir compte de la saison, si bien que
les cas de congélation grave, et même mortelle, sont assez
fréquents. Plus d’une fois, une tourmente de neige a recouvert tous
les membres d’un groupe de prisonniers, soit plus de 1 000
personnes, y compris les surveillants. Suivant le règlement, les
autorités des camps devraient fournir, aux prisonniers qui
dépassent le cercle polaire, des vêtements de protection.
Cependant, en pratique, ils les font voyager avec les vêtements
personnels qu’ils portaient lors de leur arrestation et qui ont déjà
été abîmés par leur séjour en prison.
Ainsi donc la mort blanche est leur camarade fidèle, et chaque
transport laisse sa trace de cadavres serrés et disséminés çà et là,
qui ne sont pas ensevelis parce que le long hiver en empêche la
décomposition. Au moment du dégel, ils seront transportés jusqu’à
la mer par quelque cours d’eau.
La voie fluviale Kotlas-Vorkouta est bien pire que la voie
terrestre. Un chaland contient en moyenne de 1 000 à 2 000
prisonniers qui sont pressés dans la cale et ne peuvent se rendre
sur le pont que pendant le jour pour leurs besoins, si le surveillant
le permet. La quantité insuffisante de cabinets provoque, durant
des jours entiers, des queues de prisonniers désirant y aller et
attendant dans l’escalier montant de la cale.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


56

L’on observe ce phénomène même la nuit, lorsque les plus


prudents prennent place dans la queue.
Ceux qui souffrent de l’estomac ou ceux qui ne se soucient
guère des règles d’hygiène, satisfont leurs besoins dans la cale, ce
qui augmente la puanteur créée par la masse des corps humains
non lavés et couverts de sueur. Durant la nuit, des bandes de
malfaiteurs dépouillent complètement les camarades plus
tranquilles, tuant ceux qui résistent ou commettant sur eux des
violences sexuelles... Les surveillants ne réagissent pas aux vols ni
aux crimes ; parfois, pour monnayer leur indulgence envers les
bandits, ils se font donner une partie du butin.
Pour arriver à croire une chose pareille, il faut se rendre
compte du manque énorme de tissus en toile et pour vêtements en
URSS, de la valeur d’une chemise même réduite en lambeaux ou
d'une paire de chaussures abîmées.
Un prisonnier russe, et surtout un étranger suffisamment vêtu,
ne peut compter sur la compassion des criminels et des
malfaiteurs, pas même sur celle de l'administration des prisons et
du camp !
Outre le fléau des voleurs qui dépouillent les prisonniers, se
font sentir aussi dans les chalands : la famine, la soif, les maladies
et la température infernale de la cale.
Il semble paradoxal, mais cela est pourtant bien vrai, que sur
les fleuves du nord, sur les eaux de l’océan glacial Arctique, les
prisonniers meurent dans les chalands et sur les bateaux à cause de
la soif et... de la chaleur !
La ligne fluviale Kotlas-Vorkouta, en tenant compte des arrêts
aux lieux de débarquement, Arkhangelsk et Nurian-Mar, dure
quelques mois. Quelques semaines d'arrêt sur la Petchora
s’ajoutent souvent à ce délai au cas où le fleuve est gelé. Dans ce
cas, la crainte de mourir de faim, s’il est impossible de prendre
contact avec le lieu le plus proche de ravitaillement, oblige les
surveillants à réduire aux prisonniers leurs rations déjà tellement
maigres. Les délinquants déchaînés arrivent alors au paroxysme,
enlevant les vivres à leurs camarades qui meurent de faim. Les
cadavres sont jetés dans le fleuve.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Le transport par mer d'Arkhangelsk à Narian-Mar ne se


présente pas mieux : la différence consiste uniquement dans un
nombre plus grand de prisonniers. Plus d’une embarcation coule
soit par suite d’une tempête, soit pour s‘être heurtée à une
banquise.
Le trajet Krasnoiarsk-Doudinka présente le même tableau de
l’embarcation et du bateau ; cette fois-ci, sur le fleuve Ienisseï, sa
longueur atteint plus de 2 000 kilomètres.
Le transport des prisonniers de Kharkow (ou Kiev) à
Vladivostok a lieu par chemin de fer dans les conditions que nous
avons décrites par ailleurs. Le voyage dure cinq ou six semaines
avec de courts arrêts dans les prisons situées le long du chemin de
fer (par exemple, Sisran, Novosibirsk, Irkoutsk) ou bien sans
intervalles.
Dans le premier cas, le prisonnier s’arrête deux ou trois fois
pas plus que trois jours dans les lieux déterminés et reçoit dans les
prisons une gamelle chaude ; dans le second cas, si le voyage a
lieu sans arrêts, on donne au prisonnier un repas cuisiné une ou
deux fois au cours de tout le trajet. Durant les années 1940 et
1941, une série de convois alla de la Russie d’Europe à
Vladivostok et les prisonniers ne reçurent pas une seule fois un
repas chaud ; on ne leur fit même pas prendre un bain et on ne leur
désinfecta pas les vêtements.
Boukhta Nakhodka (près de Vladivostok) est, ainsi que
Kotlas, un énorme centre de distribution, qui dessert les systèmes
des camps situés entre l’Amour, le Kolima, le Kamtchatka,
Sakhaline, dans la région de Iakoutsk, de Verkhoïansk, et sur la
péninsule de Tchouktchi.
Un certain nombre de navires sont réservés au transport des
prisonniers et font un service régulier sur les divers trajets
maritimes, desquels deux restent particulièrement gravés dans les
mémoires : le trajet Boukhta-Nakhodka - Magadan (au bord de la
mer d’Okhotsk) et Boukhta-Nakhodka - détroit de Behring - océan
glacial Arctique - péninsule de Tchouktchi ou Nijne Kolimsk.
Après Boukhta-Nakhodka, Magadan est le deuxième centre de
distribution d’Extrême-Orient et constitue la porte de l’énorme
zone des camps de travail placés très serrés dans le bassin du
fleuve Kolima.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Étant donné les caractéristiques du climat (Verkhoiansk est la


ville la plus froide), on envoie là-bas les délinquants
particulièrement dangereux, vis-à-vis desquels l’intention de la
justice soviétique équivaut à une sentence de mort. Les détenus
font le trajet depuis Boukhta-Nakhodka par bateaux, en traversant
les mers du Japon et d’Okhotsk. Au cours du passage du détroit de
La Pérouse, des centaines de prisonniers meurent chaque fois, par
étouffement. Ce détroit se trouve, en effet, entre la partie
méridionale de Sakhaline (en possession des Japonais4) et l’île
d'Hokkaïdo ; le service de renseignements japonais a, ainsi, la
possibilité de photographier les navires des détenus soviétiques,
étant d’ailleurs bien informé au sujet de leur nombre et de leur
destination ; par contre, les autorités du NKVD ont tout intérêt à
garder le plus grand secret sur la politique de massacre biologique
des « éléments contre-révolutionnaires ».
Avant de rentrer dans les eaux du détroit, on ferme donc
hermétiquement toutes les issues sur le pont et toutes les fenêtres,
cherchant de cette manière à cacher le caractère du transport et à
empêcher une fuite éventuelle des prisonniers. En effet, les
prisonniers emmenés aux cabinets sur le pont, voyant le rivage
japonais proche, se jetaient parfois à la mer, où ils étaient
consciencieusement repêchés par les bateaux-pêcheurs japonais,
chose qui n’était absolument pas dans les intentions du NKVD.
À cause de cela, des mesures de précaution furent prises qui,
en vérité, coûtent cher en vies humaines, mais empêchent, en
même temps, que des nouvelles défavorables à la Russie
Soviétique ne franchissent les frontières.
Le reste du trajet de Magadan au fleuve Kolima se fait sur des
voitures le long d’un itinéraire de 300-700 kilomètres. Les
prisonniers sont entassés sur les plates-formes des autocars et
obligés de faire tout le voyage assis. Il ne leur est permis ni de
parler ni de bouger. La moindre infraction aux dispositions
pénales est immédiatement punie de la peine de mort, exécutée
par le surveillant. Le sévère « droit du Kolima », en effet, déjà en
vigueur dans ce territoire, admet une réaction immédiate de la part
des surveillants, lesquels ne connaissent pas d’autre moyen pour
4
Ndlr. Après la défaite du Japon en 1945, le sud de l’île sera annexé par
l’URSS.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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obliger les condamnés à obéir que celui de tirer ; et ils touchent au


but. Il est inutile d’ajouter que le voyage, dans ce climat et en de
telles conditions, se termine souvent par de graves congélations et
même par la mort. Une fois arrivés au fleuve Kolima, les détenus
sont transportés en chalands, pendant l’été, ou à pied, pendant
l'hiver qui, dans ces régions-là, dure neuf mois.
Le transport de Boukhta-Nakhodka à la péninsule de
Tchouktchi ou au Nijne Kolimsk diffère par la longueur de
l’étendue de mer (les bateaux passent, en effet, le détroit de
Behring et pénètrent au milieu des glaces de l’océan glacial
Arctique) et par le manque de route intérieure pour les voitures.
Les prisonniers font à pied et par étapes le voyage des ports à
l’intérieur de la région, souvent quelques centaines de kilomètres.
Comme d’habitude, le chemin à parcourir est semé de cadavres.

* *

À noter sur vos tablettes :

Colloque du CEP à Orsay les 22 et 23 septembre

Thème : Qu’est-ce que l’Occident ?


Parmi les conférenciers : Guy Berthault, Bruno Gollnisch,
Maxence Hecquard, Pierre Hillard, Annie Laurent,
Benoît Neiss et Dominique Tassot
(Programme détaillé, renseignements et inscriptions
auprès du Secrétariat ou sur le site le-cep.org )

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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SOCIÉTÉ
« Il a plu à Dieu qu'on ne pût faire aucun bien aux hommes
qu'en les aimant » (P. Léon Le Prévost).

De l’Internet au festival du Burning Man1

Stéphane B.2

Présentation : On s’habitue peu à peu à l’omniprésence de l’Internet, à faire


dépendre chacune de nos activités d’un accès à la « toile », à entrevoir les
multiples fonctions qui pourront à l’avenir lui être demandées. Il importe
donc de comprendre qu’Internet n’est pas un simple outil, un simple
prolongement de notre cerveau, mais l’annonce de transformations sociales
dont le festival du Burning Man, lancé en 1986 par le cofondateur de Google,
Larry Page, pourrait donner un avant-goût. Environ 50 000 passionnés venus
du monde entier dans le désert du Névada, durant 15 jours, pour vivre des
expériences où la dimension de fête païenne est bien visible, voilà un fait de
société qui méritait considération !

Introduction
Contrairement aux apparences, l’Internet est le produit de
lourds investissements matériels. Il s’agit d’un agrégat de
machines plus ou moins volumineuses qui communiquent entre
elles par une suite de protocoles appelés TCP/IP.

Fig. 1a : Centre de données (Data Center)

1
Cet article vient enrichir et compléter un chapitre du livre De la gnose au
transhumanisme intitulé « Tout ce que vous devez savoir sur la fête païenne
Burning Man » (p. 111 à 118). Ouvrage diffusé sur Amazon. Des extraits
peuvent être consultés sur https://lafrancechrétienne.wordpress.com.
2
Informaticien, spécialisé dans le domaine des logiciels libres.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


61

Un protocole est un programme informatique chargé de


régir les échanges de données entre les machines, grâce à une
série de règles de fonctionnement établie à travers des normes
techniques appelées RFC.

Ces programmes nécessitent de l’électricité puisqu’ils


fonctionnent essentiellement sur les ordinateurs personnels et les
serveurs. Le parc informatique mondial requiert énormément
d’énergie3, surtout depuis l’avènement du Cloud computing ou
« informatique en nuage », puisque les multinationales possèdent
d’immenses fermes de Data Center ou « centre de données », qui
peuvent être de la taille d’un village ou même d’une petite ville.
Ce sont des bâtiments qui hébergent de nombreux serveurs
informatiques placés dans des baies spéciales. Ces lieux dédiés
assurent la sécurité des machines qu’ils hébergent grâce à un
système électrique adapté, des éléments anti-incendie, des alarmes
anti-intrusion, des refroidisseurs, des onduleurs, des systèmes de
surveillance, un personnel dédié, etc.

Fig. 1b: Centre de données (Data Center)

3
En 2017, l’Internet représentait environ 7 % de la consommation mondiale
d’électricité. La pollution engendrée par l’industrie de la Toile serait
équivalente à celle du secteur de l’aviation. Visiter le site internet :
https://greenpeace.fr/il-est-temps-de-renouveler-internet/

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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L’évolution rapide de l’Internet requiert, par conséquent,


de plus en plus d’énergie pour fonctionner ainsi que des
infrastructures de plus en plus complexes. Par exemple, les
données transitent, entre les continents, au moyen d’immenses
câbles plongés au fond des océans, à travers un ensemble
d’éléments actifs tels que des commutateurs ou des routeurs.

Fig. 2a : Câble sous-marin (structure)

Fig. 2b : Câble sous-marin (position)

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Ces millions de machines produisent de la chaleur et des


rayonnements polluants. Certains Data Center recyclent la chaleur
dégagée par les machines, mais il est évident que ce processus est
comparable à une main qui se contenterait de caresser un malade
au lieu de le soigner…

Fig. 2c : Carte mondiale du réseau sous-marin d‘Internet.

Dérive écologique

Le parc informatique international épuise certaines


ressources, puisque chaque ordinateur est composé, en grande
quantité, de 9 substances : aluminium, cuivre, étain, fer, nickel,
plastique, plomb, silice, zinc et, en petite quantité, de 27 minerais :
antimoine, argent, arsenic, baryum, béryllium, bismuth, cadmium,
chrome, cobalt, europium, gallium, germanium, indium,
manganèse, mercure, niobium, or, palladium, platine, rhodium,
ruthénium, sélénium, tantale, terbium, titane, vanadium, yttrium.

L’extraction des minerais pose de graves problèmes


écologiques, puisque les terres rares4, qui composent les appareils
technologiques, doivent être épurées grâce à des processus
complexes impliquant des rejets polluants et radioactifs.4

4
https://ecoinfo.cnrs.fr/2010/08/06/4-quels-impacts/ et
https://legrandcontinent.eu/2018/01/13/lempire-des-metaux-rares/

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Sans compter que l’extraction des minerais5 nécessite au


préalable la destruction de la végétation et entraîne par la suite une
dégradation importante et irréversible des sols. Cette pollution
sournoise reste invisible aux Occidentaux, puisque l’exploitation
des minerais rares a lieu essentiellement en Chine.6

Fig. 3 : Dominance de la Chine dans la production des terres rares.

Le phénomène de consommation est couplé à une


obsolescence programmée, ce qui engendre une effarante quantité
de déchets envoyés à l’étranger, notamment en Afrique et en Asie.

Fig. 4a

5
Sur ce sujet, on consultera : Guillaume PITRON, La guerre des métaux
rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Paris, Éd.
Les Liens qui libèrent, 2018, Préface d’Hubert Védrine.
6
https://20minutes.fr/planete/715885-20110501-planete-les-ravages-terres-
rares-chine

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Fig. 4a et 4b : Accumulation de déchets à ciel ouvert en Afrique.

Fig. 4b.

L’Occident se débarrasse de ce qu’il ne saurait voir7.


Finalement, l’activité des multinationales engendre une pollution
internationale qui augure de décennies très difficiles pour
l’humanité.

Dérive libertaire

Jusqu’à présent, les opérateurs télécom devaient donner


un accès total à l’Internet à tous les utilisateurs, grâce à la
neutralité de la Toile, du net8. Or, ce principe est en cours
d‘abandon9, notamment depuis l’élection de Donald Trump.
Quelles seraient les conséquences10 de cet abandon de la neutralité
de la Toile ? Un industriel souhaitant passer un accord avec un
opérateur pourrait favoriser sa plateforme, c’est-à-dire un
ensemble de sites internet, au détriment des abonnés, qui seraient
alors obligés de payer plus cher pour avoir accès aux services
concernés.

7
http://geopolis.francetvinfo.fr/l-afrique-reste-desarmee-face-aux-dechets-
electroniques-qui-s-accumulent-150743
8
https://laquadrature.net/fr/neutralite_du_Net
9
https://laquadrature.net/fr/tribune_neutralite_du_net_Liberation
10
http://lemonde.fr/pixels/article/2017/12/13/pourquoi-la-fin-de-la-
neutralite-du-net-fait-peur_5228781_4408996.html

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Ceci aurait plusieurs effets majeurs :


1) Les petites entreprises n’auraient plus les moyens financiers de
payer pour que leur plateforme virtuelle soit visible. La
concurrence et l’innovation ne seraient plus accessibles aux jeunes
entrepreneurs.
2) Les particuliers, qui ne pourraient pas payer pour accéder aux
plateformes virtuelles, devraient subir une lenteur liée à la
limitation du débit, ce qui leur rendrait difficile l‘utilisation de
l’Internet.
3) Les fournisseurs d’accès internet pourraient bloquer l’accès à
certains sites, jugés pas assez rentables, et facturer l’accès à
d’autres sites afin d’engranger davantage de profits financiers.

Dérive spirituelle
Les données qui transitent sur l’Internet sont à l’image de
la civilisation occidentale contemporaine : le vrai et le faux s‘y
mêlent dans un brouhaha numérique incessant.
Depuis l’apparition des réseaux sociaux, les avis
personnels ont explosé. La pureté de l’information tend à se noyer
au milieu de flots de données émanant d’individus aux avis
foncièrement différents. Là où l’Église cherchait à conserver la
Vérité provenant des enseignements de Jésus-Christ, des Docteurs
et des saints, l’Internet est devenu une sorte de bourse de
l’information dans laquelle les cris des internautes empêchent
toute méditation saine.
Par conséquent, le surplus d’information empêche les
utilisateurs non avertis d’accéder à des connaissances pertinentes,
vu qu’il est nécessaire d’apprendre à chercher sur l’Internet pour
trouver la bonne donnée. Cette technique devient rapidement
chronophage et peut être addictive si l’on n’y prend garde.
Nous pouvons rapidement conclure que l’Internet
participe à la grave dérive spirituelle11 de l’Occident, puisque
n’importe qui peut y trouver n’importe quoi.

11
Écouter la conférence donnée par Claude POLIN à la Journée du CEP en
2014 : “ La technique peut-elle libérer l’homme ? ” Accessible en vidéo sur :
https://youtube.com/watch?v=lxD3BPFqKsk

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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À propos de Google
Intéressons-nous maintenant à la multinationale Google
dont le siège est basé à Mountain View. Cette entreprise s’est
positionnée, à la base, sur le secteur du moteur de recherche, mais
elle tend à se diversifier de manière beaucoup plus large. Google
vise à développer l’intelligence artificielle, la singularité, la
robotique, le transhumanisme ainsi que de nombreux projets
innovants qui risqueraient de modifier en profondeur notre
civilisation. Google dévoile très peu ses inventions au grand
public. Le seul indice qui permette d’en savoir davantage est de
s’intéresser à ses brevets industriels et à ses rachats d’entreprises.
L’entreprise a été fondée par Larry Page et Sergeï Brin le
4 septembre 1998, dans un garage situé à Menlo Park, dans la
Silicon Valley. L’entreprise devient vite prospère et se développe
rapidement. Dix années plus tard, Google valait déjà 210 milliards
de dollars.
Actuellement, la société est devenue un véritable empire.
Elle s’est officiellement spécialisée dans de nombreux domaines,
comme la messagerie électronique, les systèmes d’exploitation, les
réseaux sociaux, le partage de données, les navigateurs internet ou
encore le travail collaboratif. L’entreprise possédait, en 2014, un
immense parc informatique composé de plus de deux millions de
serveurs, ce qui en faisait le parc le plus imposant au monde.
Cependant, Google refuse de donner les nouveaux chiffres et nous
n’en savons pas plus en 2018, mais il est certain que son parc
informatique croît d’année en année. Sergueï Brin est
actuellement, en 2018, le président de la société Alphabet, après
avoir été le directeur technique de Google.
Sa fortune personnelle est estimée à 19 milliards de
dollars. Sergueï a épousé Anne Wojcicki en 2007. Elle est
cofondatrice de 23andme.com, société de biotechnologie qui
propose à ses clients une analyse de leur code génétique. Sergueï a
financé des recherches sur la maladie de Parkinson, maladie dont
il serait lui-même atteint.
Pichai Sundararajan, plus connu sous le nom de Sundar
Pichai, est président directeur général de Google depuis le
2 octobre 2015, ayant succédé à Larry Page.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Larry Page est un homme introverti, mystérieux,


intransigeant et surtout très ambitieux. Il reste loin des médias,
déteste les apparitions en public ainsi que les conférences de
presse. Larry est passionné de kitesurf, de randonnées en Alaska; il
est véritablement fanatique du festival Burning Man, qui est
symbolisé par une idole de bois en proie aux flammes. Ce festival
est très révélateur de l’état d’esprit de Larry et, plus généralement,
des passionnés de technologie, ceux que l’on nomme
habituellement des geeks.
Larry Page, en octobre 2000, avait prononcé un discours,
qui n’est pas à prendre à la légère, sur l’intelligence artificielle.
Apparaît progressivement aujourd’hui ce qu’il avait annoncé à
l’époque : « Je pense que Google est génial parce qu’en fait,
l’intelligence artificielle sera la version ultime de Google. Pour
avoir un moteur de recherche parfait, il faudrait qu’il comprenne
tout sur le web. Il faudrait qu’il comprenne exactement ce que
vous voulez et vous amène la bonne information.
Répondre à n’importe quelle question, c’est évidemment
construire une intelligence artificielle, parce que presque tout est
sur internet, n’est-ce pas ? Nous sommes très loin d’avoir atteint
cet objectif à l’heure actuelle. Cependant, nous nous en
rapprochons de manière incrémentale ; c’est ce sur quoi nous
travaillons. Et c’est extrêmement intéressant d’un point de vue
intellectuel12. »
Google X Lab et Alphabet
Google a créé Alphabet13 en 2015 : il s’agit d’un
conglomérat de sociétés qui appartenaient déjà à Google. Selon
l’entreprise, Alphabet permet de répartir les risques au sein de
plusieurs filiales en s’appuyant sur de nombreux dirigeants.
Alphabet englobe de multiples entreprises techniques, dont le
complexe secret Google X Lab14. Celui-ci travaillerait sur une
centaine de projets futuristes mais, actuellement, nous n’en
connaissons officiellement que douze. Le laboratoire tente de
créer des lentilles permettant de détecter le taux de glucose chez
les diabétiques.
12
https://fr.wikipedia.org/wiki/X_(entreprise)
13
http://zonebourse.com/ALPHABET-24203373/societe/
14
https://fr.wikipedia.org/wiki/X_(entreprise)

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Il est en train de développer un implant cérébral


permettant de répondre instantanément aux questions grâce aux
informations issues de l’Internet. Les célèbres lunettes Google
Glass15 proviennent de ce même laboratoire. Ce n’est pas tout :
l’entreprise travaille sur le décodage génétique, sur la création de
robots divers et variés, sur des turbines volantes, des capsules
spatiales de récupération de météorites, des voitures sans
chauffeur, de la viande artificielle, des ballons stratosphériques
connectés à l’Internet.
Google se penche également sur la lutte contre le
vieillissement et les maladies dégénératives. Enfin, le laboratoire
œuvrait sur une division robotique en lien avec le Pentagone et le
DARPA ; cependant les robots de Boston Dynamics ont été
revendus, en 2017, au conglomérat japonais SoftBank. Google
n’est plus seulement une entreprise informatique classique, c’est
également une firme spécialisée dans les projets futuristes de
pointe. Google devient, au fil du temps, une gigantesque
entreprise possédant un immense savoir-faire. Nos sociétés
s’imprègnent de son influence grandissante.
Les travaux effectués dans les laboratoires d’Alphabet
annoncent un changement sociétal majeur par la technologie,
Burning Man en étant l’exutoire en quelque sorte. Il est bon de
noter que Google a racheté au moins 224 entreprises16 en 17 ans.
On constate que Google investit dans toutes sortes d’entreprises
spécialisées dans l’intelligence artificielle17, la robotique, le
commerce en ligne (e-commerce), le cloud computing18, la
sécurité informatique, les applications mobiles, la reconnaissance
vocale, la voix sur IP, la compression vidéo, la publicité, l’analyse
de trafic, l’analyse de carte, les réseaux sociaux, la reconnaissance
faciale, le GPS, etc.

15
Le projet Google Glass, ou Project Glass (littéralement “Projet lunettes”),
était un programme de recherche et développement lancé par Google sur la
création d’une paire de lunettes avec une réalité augmentée. Visiter le site
internet https://objetconnecte.com/google-glass-2-enterprise-edition/
16
https://webmarketing-conseil.fr/liste-entreprises-rachetees-google/
17
http://zonebourse.com/ALPHABET-24203373/actualite/Alphabet-Google-
va-investir-dans-l-intelligence-artificielle-en-France-25850620/
18
Accès en tout lieu, par internet, à ses outils de travail et à ses données.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Waymo, une filiale d’Alphabet, a lancé en fin 2017 un


service de taxi19 dans la ville de Phoenix, assuré par ses voitures
sans chauffeurs. L’expérimentation sera bientôt ouverte au grand
public avant d’être déployée dans plusieurs États américains.
Google essaye d’intégrer une intelligence artificielle à l’intérieur
de ses véhicules afin de les rendre, à terme, totalement autonomes.
Pour l’instant, un employé de l’entreprise reste à l’intérieur du
véhicule pendant le trajet. Dans le futur, l’entreprise américaine
souhaiterait diffuser de la publicité pendant le transport de ses
usagers. Les spots publicitaires seraient projetés sur le pare-brise
de ces voitures automatisées, selon un courrier que l’entreprise
aurait adressé à la Securities and Exchange Commission. Les
frigidaires, thermostats, lunettes et montres seraient également les
sujets de ce penchant publicitaire.
L’homme façonné selon Google deviendrait un
consommateur passif, qui se laisserait guider par les machines en
regardant des spots publicitaires. Cela fait un peu penser à
l’univers du film Demolition Man, dans lequel les citoyens
chantonnent gaiement des airs de publicités naïves.
Sur le long terme, de tels individus assistés seraient
incapables de travailler. Il semble plutôt évident que les anciens
milliardaires, dans un tel monde, deviendraient des maîtres de
cérémonie20. Ils pourraient mettre à exécution leur mégalomanie
pendant que les spectateurs-citoyens deviendraient les esclaves
des temps nouveaux21, société issue des ruines de l’ancienne
société de consommation.
Le festival Burning Man
Nous allons maintenant aborder le thème du festival
favori du PDG de Google. Le concept du « Burning Man » fut
réinventé par Larry Harvey en 1986. Celui-ci propose de brûler un
mannequin géant sur la plage de Baker Beach, à San Francisco.
Selon Wikipedia, le « festival, qui a les traits d’une utopie
temporaire mais aussi d’une fête païenne s’achevant en apothéose
par le bûcher d’une grande effigie humaine, est sous-tendu
19
https://futura-sciences.com/tech/actualites/voiture-voiture-autonome-
google-tente-premiere-mondiale-58290/
20
Cf. Stéphane B., De la gnose au transhumanisme, p. 126 à 130.
21
Id., p. 154 à 157.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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néanmoins par une philosophie passablement élaborée, que les


organisateurs ont tenté de structurer par l’énoncé de dix
préceptes ».
Le thème du Burning Man de l’année 201822 semble
annoncer ce que nous craignons et dénonçons depuis quelque
temps déjà : « Du dimanche 26 août au lundi 3 septembre, Le
Burning Man reprend place dans le désert du Nevada ! Le
festival vient d’annoncer son prochain thème, I Robots23 ! Le
recueil de neuf nouvelles de science-fiction écrit par Isaac
Asimov en 1950 est toujours d’actualité. Dans notre monde
connecté à la frontière d’un futur transhumaniste, le thème
interroge les nombreuses formes d’intelligence artificielle, avec
consentement ou contre notre gré, dans nos vies. Sommes-nous en
train d’entrer dans un âge d’or qui nous libérera tous du travail ?
Tout dépend, semble-t-il, de l’interface homme-machine.
Dans un monde de plus en plus contrôlé par des machines
intelligentes, qui sera le maître et qui sera l’esclave ? »
En 1990, la fête se déroulait dans une ville temporaire
située en plein désert du Nevada, elle fut baptisée Black Rock
City. Le festival attire, en toute logique, des Américains, des
Européens ainsi que des Asiatiques plutôt fortunés. Il paraît
évident qu’il est indispensable d’avoir un certain confort de vie
pour être en mesure de se rendre dans un tel endroit. À moins
d’économiser pendant quelques années, ce n’est pas un salarié
moyen, avec ses charges familiales, qui est en mesure d’y faire la
fête. Cet immense festival se déroule dans un esprit de créativité et
une ambiance étrange, dans laquelle la surenchère est une
composante importante. Ses dix lois s’annoncent comme un
décalogue qui se moque ouvertement des lois de Moïse…

1) Radical inclusion24 : Tout le monde, sans exception, est


accepté.

22
https://opnminded.com/2018/03/05/theme-2018-burning-man-devoile-
festival-black-rock-nevada.html
23
En lien avec le film « Moi, Robot ». Cf. le site :
https://fr.wikipedia.org/wiki/I,_Robot_(film)
24
Nous avons préféré laisser les termes anglais, car ces locutions sont
difficiles à traduire exactement en français.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


72

2) Gifting : Le don, sans attente de retour, est essentiel. Il peut être


matériel (argent, objet, etc.) ou virtuel (service, poème, soin, etc.).
3) Decommodification : Le commerce est exclu, l’argent ne sert
qu’à acheter de la glace ou du café.
4) Radical Self-Reliance : Chaque individu est invité à s’exprimer
en utilisant ses ressources intérieures sans toutefois compter sur
les autres, sauf, bien évidemment, en cas de problème.
5) Radical Self-Expression : La liberté d’expression est totale et
chacun est invité à s’exprimer de la manière qu’il le souhaite.
6) Communal Effort : La collaboration, le bénévolat, l’entraide
sont vivement encouragés afin que la ville du festival soit
entretenue.
7) Civic Responsibility : Le comportement de chacun doit être
respectueux envers les uns et les autres.
8) Leave no trace : Il ne doit rester aucune trace, aucun déchet, du
passage du festival. Chacun doit apporter avec lui ses affaires et
ses aliments.
9) Participation : Les individus ne doivent pas être spectateurs,
mais véritablement acteurs pendant la durée du festival.
10) Immediacy : L’expérience immédiate dans la plus pure
expression est encouragée.

Il faut compter au moins 1 500 €, pour quinze jours, par


couple, si l’on y inclut la voiture de location. Il faut avoir un
minimum de budget, être disponible pendant deux semaines
complètes, ne pas être accompagné d’enfants et apporter avec soi
les accessoires suivants : un vélo par personne, des tenues
vestimentaires nombreuses et variées pour être en mesure de se
changer le jour et la nuit, une grande tente, des glacières et de la
glace, du matériel de cuisine, des sacs de congélation, des
chaussures fermées, des lampes, des piles, des batteries, un
chapeau, des lunettes de soleil, de la crème solaire et de la biafine,
des gourdes, des lunettes étanches au sable également appelées
goggles, une ceinture fourre-tout, du scotch épais, des colliers en
plastique, des lingettes pour bébé, de nombreux outils divers et
variés, un appareil photo, une caméra, des talkies-walkies, un
lecteur mp3, une trousse à pharmacie bien remplie, du mobilier de
camping, de nombreux cadeaux à offrir, le nécessaire pour la

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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douche, des habits chauds, un sac d’affaires pour le retour, des


bâtons lumineux ainsi que de la peinture Fardel pour le corps.
Ces affaires demandent un investissement plutôt
conséquent de l’ordre de 5 000 € à 80 000 €. Un budget minimal
de 7 000 € pour la première année, si l’on doit acquérir cet
équipement, ne semble pas du luxe ! Les personnes défavorisées,
les travailleurs pauvres, les classes moyennes sont implicitement
écartés de ce festival. Cela dénote un certain élitisme déguisé,
malgré la première loi appelée Radical Inclusion.
Pour mettre en valeur l’importance que représente, pour
Larry Page, ce festival, il est nécessaire de citer une partie du
discours qu’il a prononcé en 2013, à la conférence annuelle
Google I/O25: « Peut-être pourrions-nous mettre de côté une
partie du monde. J’aime aller à Burning Man. En tant que
technologue, j’estime que nous avons peut-être besoin de quelques
endroits sûrs où nous pouvons essayer des choses nouvelles sans
avoir à les déployer face au monde entier. »
Il faut savoir que le festival attire de plus en plus de geeks
et autres passionnés de nouvelles technologies. Ce festival ne
ressemble pourtant pas à ses ancêtres. Au départ, tout est issu du
Suicide Club, inventé par Gary Warne et quelques amis, en 1977.
Le but du groupe était de visiter des lieux urbains pour vivre des
expériences fortes à travers des actions spectaculaires. Le club est
arrêté en 1982 parce qu’il était devenu plutôt sectaire et ne
correspondait plus à l’esprit de Gary. Suite à plusieurs années
d’ennui26, les ex-membres du groupe décident de créer la
Cacophony Society en 1986. Ce mouvement était beaucoup plus
fédérateur que son prédécesseur parce qu’il s’ouvrait à toutes
sortes d’initiatives loufoques, déjantées, anarchistes,
spectaculaires, étranges, etc.
Une réalité alternative en découlait, un nouveau monde
temporaire était créé pendant le temps de l’événement.

25
Input/Output, pour les non-informaticiens. Ce que l’on peut traduire par
échanges d’informations.
26
Les membres du Club s’ennuyaient littéralement. Visiter le site internet
http://next.liberation.fr/arts/2013/06/21/the-cacophony-society-total-
chaos_912823

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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Le film Fight Club s’est d’ailleurs inspiré de cette étrange


mouvance. C’est après cela que Burning Man est né, mais, au fil
des années, le mouvement s’est transformé en un rassemblement
New Age, éclectique, technologique et capitaliste, et ce, même si
le commerce y est interdit sur place. C’est ce que confirme
d’ailleurs John Law, l’un des cofondateurs de la Cacophony
Society et du Burning Man, par ces propos:
« Ça s’est professionnalisé, avec le contrôle renforcé
qu’implique toute bureaucratie. C’est devenu un lieu de vacances
pour les informaticiens. Beaucoup parlent de Burning Man
comme d’une utopie, mais l’hédonisme ne me semble pas une
bonne pierre d’angle pour édifier un mouvement. » « Agrandir
une image centrale, même s’il n’y a pas de mauvaise intention
derrière, je trouve ça répréhensible. Burning Man est devenu ce
qu’il est parce que les gens ont réalisé qu’ils pouvaient faire leur
propre création dans cet endroit extraterrestre ; et parce que
l’environnement générait un nouveau genre de communauté, mais
une communauté de marginaux. Je ne veux pas que tout le monde
ait la même idée, ça deviendrait ennuyeux. »
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le festival Burning
Man a été instrumentalisé. Si, au départ, son esprit était déjanté, il
est devenu, aujourd’hui, plus conformiste et sert une cause
foncièrement différente. Un certain techno-centrisme élitiste y
règne. Dans quel but ? Nous allons essayer de comprendre ce qu’il
en est.
Ce festival est New Age parce qu’il a un côté spirituel
prononcé, issu d’un syncrétisme religieux. Par exemple, un temple
temporaire, contenant un autel, est construit puis détruit par les
flammes à la fin du séjour. On peut venir y prier comme dans un
temple bouddhiste et laisser des lettres aux défunts. Dans ce
festival, on se recueille et l’on se recentre sur soi-même. Sans
rentrer dans les détails, ces actes sont typiques de la méditation.
Cette volonté de se détendre dans une ambiance sans règle et sans
religion, comme le dit Yann Arthus Bertrand27, montre bien que la
spiritualité est nouvelle.
27
Yann Arthus Bertrand a découvert le temple de David Best au festival du
Burning Man en 2015, lors du tournage de son film Human. Visiter le site
internet https://goodplanet.org/fr/domaine/temple-de-david-best/

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Par conséquent, elle découle directement de cette étrange


atmosphère typique du New Age, loin des règles religieuses, mais
basée sur l’expérience individuelle et directe si chère à la gnose
universelle. En réalité, cette spiritualité n’est pas nouvelle, elle est
même très ancienne. Les gnostiques revendiquent leur existence
depuis la nuit des temps. La mouvance New Age n’est finalement
qu’une renaissance de l’antique gnose.
Ce festival est éclectique parce qu’on y rencontre toutes
sortes de personnes ou de groupes comme en témoignait Matt
Wray en 1995: « Toutes sortes d’espèces coexistent ici, une
encyclopédie vivante de sous-culture : des survivants du désert,
des primitifs urbains, des artistes, des rocketeers28, des hippies,
des deadheads29, des queers30, des pyromanes, des cybernautes,
des musiciens, des harangueurs, des frappés de l’écologie, des
têtes d’acide31, des éleveurs32, des punks, des amoureux des
armes, des danseurs, des amateurs de sado-masochisme, des
nudistes, des réfugiés du mouvement des hommes33, des
anarchistes, des raveurs34, des transgenres35 et des spiritualistes
New Age. »
Ce festival est technologique comme en témoigna, en
1996, Bruce Sterling dans Wired Magazine, affirmant que Black
Rock City ressemblait à une « version physique d’Internet ».

28
Fans de la bande dessinée des années 1930.
29
Fans du groupe de rock Grateful Dead.
30
Personnes étranges liées aux mouvements LGBT.
31
Des drogués aux LSD.
32
Le Névada, État de l’ouest américain, est encerclé par des déserts brûlants
et des chaînes de montagnes massives. La nature n’y tolère aucun
compromis. Sur cette terre rugueuse, les rêves des hommes au tempérament
bien trempé deviennent souvent possibles. Chaque année, s’y tient le festival
de musique et d’art contemporain « Burning man », un espace utopiste de
créations éphémères et de fêtes en plein désert. La tradition cowboy, toujours
vivace, vibre dans le cœur de cet État, à l’ambiance « Far West ». Voir
l’épisode 6 de la saison 3 de « Vu sur Terre ».
33
Autrement dit, des migrants.
34
Amateurs de rave-party.
35
Individus qui se sont fait opérer pour, soi-disant, changer de sexe.

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Très rapidement, Burning Man devint le lieu de


prédilection des élites de l’informatique. Cela s’explique par le
fait que la cyber-culture est née de la contre-culture de la fin des
années 1970. Le festival est un sujet de discussion sur la
communauté virtuelle The Well, créée par Stewart Brand, dès
1994. L’Internet permet à la communauté Burning Man de rester
en contact toute l’année grâce, notamment, aux listes de diffusion.
Ce lieu est idéal pour Larry Page parce que, comme il le dit lui-
même, il peut tester les dernières trouvailles de Google en toute
liberté dans cette fête extravagante, hors du commun et hors du
temps. Dans ce lieu à l’atmosphère résolument païenne, les
équipes de Google sont invisibles parce qu’elles sont noyées
parmi les 58 000 participants excentriques du festival. Ce lieu est
apprécié pour sa technologie, son esprit festif ainsi que son
individualisme exacerbé.
Ce festival est capitaliste, malgré ce refus de commercer
sur place, parce que les places se monnaient. En 2013, un billet
coûtait 380 dollars. Le cofondateur du Burning Man, Larry
Harvey, annonce qu’il ne croit pas en l’amour mais au commerce.
Il est le président du festival Burning Man et de l’entreprise Black
Rock City LLC qui avait réalisé 22 millions de dollars de chiffre
d’affaires en 2013, grâce à ses 58 000 billets vendus. Sur place,
chaque membre doit travailler bénévolement pour le bon
fonctionnement du festival. Il est évident que, dans ces conditions,
les bénéfices sont importants et doivent très certainement financer
des projets que nous ne connaissons évidemment pas. Il y a une
contradiction évidente entre le bénévolat pratiqué sur place et la
vente des billets permettant de rejoindre le festival. L’argent
supervise le festival même s’il ne se trouve pas à l’intérieur de
celui-ci.
Larry Harvey souhaite que les gens changent grâce à
l’« effet Burning ». Comme il le dit lui-même, « ce qui se passe
après, c’est cela le plus intéressant. On s’en est rendu compte
avec le temps. Les gens rentrent chez eux. Ils changent leur
manière de vivre. Ils changent leur relation à l’autre. Ils vont
parler avec leur voisin comme ils n’auraient jamais pu le faire
auparavant. Chez nous, on pense que quand on atteint une
certaine échelle au niveau global, que les comportements

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imprègnent tous les recoins de la société, alors c’est à ce moment-


là que vous commencez à changer le monde ».
Ce festival a une forte influence sur les mentalités,
comme on a pu le voir. Il attire toujours plus de nouveaux adeptes
provenant du monde entier. Le fait que les participants et les
médias en parlent crée un effet boule de neige. Cela pourrait
probablement avoir pour conséquence, sur le long terme, de
préparer la civilisation occidentale à cette « nouvelle religion ».
Même si les fidèles du festival se rassemblent dans un cadre
spirituel sans rapport à l’argent, ce dernier est toujours utilisé pour
financer Burning Man. Par conséquent, d’un point de vue
financier, ce sont les dirigeants de celui-ci qui sont les grands
gagnants. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si Larry Page, le PDG
actuel de Google, annonce que « si on était vraiment motivé
uniquement par l’argent, cela ferait longtemps qu’on aurait
revendu la société et que l’on serait sur la plage », et que « si
vous ne faites pas des choses folles, c’est que vous ne faites pas ce
qu’il faudrait faire ». Il est bon de noter que Larry Page possède
une fortune personnelle estimée à 28 milliards de dollars, ce qui
est considérable.
Dans ce festival, les gens redeviennent sauvages. Ils
laissent librement s‘exprimer leurs émotions, que ce soit de la
violence, du sexe, des larmes ou autre chose. Dans la société
traditionnelle, les caractéristiques de l’individu sont normalement
plus ou moins refoulées afin que l’ensemble des gens ne craignent
pas l’excès émotionnel d’un tiers ou d’un groupe de tiers. Dans
une société sans refoulement, le danger est grand de voir un
groupe d’individus s’exprimer sans retenue. Au départ, ce qui
semblait sympathique, jovial et surtout innocent se transforme peu
à peu en monstruosité, cela jusqu’au point de rupture final. C’est
ainsi que le mieux devient l’ennemi du bien. Ce qu’il faut
comprendre, c’est que dans une telle société, il n’y a plus de lois
appliquées à l’ensemble de la civilisation puisque les règles
s’établissent au niveau de l’individu.
Lorsque l’égoïsme surpasse le bien commun, on peut
s’attendre à de très graves événements. Cependant, ces nouvelles
tendances n’apparaissent pas comme par enchantement, ce sont
des élites qui les établissent et les mettent en pratique.

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Ces dirigeants souhaitent devenir les maîtres36 d’une


société qu’ils ont eux-mêmes engendrée. C’est ce que l’on
constate d’ailleurs avec le festival Burning Man organisé par
Larry Harvey. Celui-ci l’encadre financièrement, mais il ne subit
pas ses règles puisque son argent le place au-dessus du lot.

Les dangers d’une civilisation technologique


L’Internet n’est pas anodin, car la virtualité engendre dans
le monde physique un appauvrissement des ressources naturelles
proportionnel à son développement. La réalité virtuelle et la
robotisation, qui constituent la pieuvre du transhumanisme, vont
demander davantage d’exploitation de minerais et d’usines de
fabrication de marchandises technologiques et, par conséquent,
vont aggraver la pollution.
En fabricant ces produits, les entreprises, qui contribuent
à l’endoctrinement numérique de centaines de millions de
personnes à travers le monde, épuisent littéralement les ressources
mondiales : le monde numérique est comparable au Léviathan ou
à Gargantua. Les chimères virtuelles, qui endorment les
consciences, se nourrissent finalement de la destruction de la
planète. La folie numérique ne semble pourtant pas frapper les
esprits…
Les doctrines gauchistes, écologistes et véganes37 font
partie de l’illusion matérialiste, puisqu’elles n’essayent pas
d’enrayer cette auto-destruction programmée. Nous pouvons
constater que la complexité croissante de la technologie s’oppose
radicalement à la bénignité, c’est-à-dire à la vertu.

36
Cf. De la gnose au transhumanisme, op. cit., p. 126 à 130.
37
Ndlr. Le végan exclut tout produit animal ou toute utilisation d’animaux,
tant dans l’alimentation que dans l’habillement ou les loisirs. Le véganisme
revient à nier que Dieu a créé des animaux « domestiques », dont la finalité
spécifique est le service de l’homme (Gn 2, 20). Comme les évolutionnistes
imaginent une continuité entre le règne végétal et le règne animal, on se
demande pourquoi les végans s’autorisent à faire « mourir » et à « exploiter »
des végétaux pour se nourrir et se vêtir ! Ne risqueraient-ils pas même, en
respirant, « d’emprisonner » des bactéries qui ne l’ont pas demandé ? Bel
exemple des paradoxes [le mot est bienveillant] où conduit l’oubli de la
vision biblique du monde…

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Les multinationales imposent leurs règles iniques à


travers le monde afin de dégager des bénéfices au détriment de
l’humanité.
Il leur faut donc enrôler des hommes capables de détruire
l’œuvre divine, c’est pourquoi des mercenaires, sans foi ni loi,
habillés en costume-cravate doivent alimenter la machine
infernale. L’homme superficiel à l’apparence sophistiquée est un
ennemi du bien et de la vérité. Autrement dit, l’être qui cultive des
valeurs mortifères est un loup pour l’homme, puisqu’il devient
foncièrement méchant. Ce capitalisme s’oppose radicalement au
christianisme qui est vecteur d’une authentique charité. Les écrits
de saint Augustin s’avèrent plus que jamais d’actualité. Deux
mondes s’affrontent jusqu’à la mort : la cité de Dieu, dans laquelle
les hommes pratiquent les vertus divines ; face à la cité terrestre,
dans laquelle les individus cherchent leur confort matériel.
Pour le quidam, l’Internet est un monde virtuel qui
semble exister indépendamment de la réalité, afin de l’abreuver
d’informations audio-visuelles plus ou moins immorales. À
l’origine, nous aurions pu croire que l’Internet était censé
participer au bien commun. Cependant, la volonté matérialiste38
étant plus forte que la recherche spirituelle de la vertu39, l’Internet
est devenu une machine infernale alimentée par les
multinationales.
L’Internet actuel est la colonne vertébrale du
transhumanisme puisque la Bête ne pourrait pas vivre sans
engrais, c’est-à-dire sans un monde virtuel40 nécessaire à sa
croissance. Or un univers virtuel dépeuplé ne servirait pas à
grand-chose, il lui faut donc des adeptes plus ou moins
endoctrinés. Se rencontrent ainsi, d’un côté, les maîtres de
cérémonie et leurs complices, de l’autre, des consommateurs
serviles.
Le drame de l’humanité est de ne pas prendre conscience
de la décadence généralisée. Dieu avait créé un monde parfait,
monde qui est aujourd’hui détruit par des enfants ayant oublié Son
38
Découlant des doctrines favorisant l’intérêt individuel : la Renaissance, la
philosophie des Lumières, Emmanuel Kant, Karl Marx, etc.).
39
Constructrice d’une civilisation ordonnée, fondée sur le bien commun.
40
Dans sa considération dystopique.

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existence pour se consacrer à leur propre confort41. L’humanité


contemporaine est à l’image d’un dieu païen, fainéant et
orgueilleux. Le progrès indéfini semble comparable à une hache
qui couperait le bois dans lequel elle aurait été taillée. Une
civilisation, qui ne sait plus d’où elle vient et qui ne connaît pas la
vertu, risque fortement de retourner à la barbarie.

Conclusion
Or, qui a mis un terme à la déchéance de l’humanité si ce
n’est Jésus-Christ ! Dans un passé devenu lointain, le
christocentrisme, c’est-à-dire la volonté d’imiter Jésus-Christ afin
de façonner la civilisation, avait peu à peu engendré une société
soucieuse de vertu et soigneusement organisée. Pourtant, de nos
jours, l’homme occidental, qui se laisserait porter par le courant
du siècle, serait l’antonyme du Christ, puisque l’orgueil
destructeur est considéré comme l’un des principaux facteurs de la
Liberté42. Cela est dû au fait que le relativisme a expurgé les
notions chrétiennes de bien et de mal43.
Allons même plus loin: sans l’apparition du christianisme,
l’humanité n’aurait pas été capable de procéder aux grandes
découvertes scientifiques vu que celles-ci sont le produit d’une
société vertueuse, organisée et libre. Autrement dit, une doctrine
maléfique engendre des civilisations barbares bien incapables de
développer des techniques issues d’une science de l’esprit.
Or, nous nous apercevons que des découvertes
scientifiques conduisent désormais à l’asservissement de la
civilisation et non à son épanouissement44. Ces découvertes
semblent donc se retourner contre l’humanité45. Il ne faut donc pas
jouer avec les lois divines; seule la recherche des vertus
théologales (foi, espérance, charité) permettra de redonner vie à
une civilisation parfaitement ordonnée.
******************************

41
Vous serez comme des dieux (Gn 3, 5).
42
Notion essentielle qui a été subvertie à partir de la Renaissance.
43
Cf. De la gnose au transhumanisme, op. cit., p. 221 à 228.
44
Puisque l’égoïsme a surpassé le bien commun.
45
Comme le dit Claude Polin, la science contemporaine est un produit qui,
tout en étant issu du christianisme, s’oppose au christianisme.

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Soph-IA1

Bernard Guéry2

Présentation : Le 11 mai 1997, l’ordinateur Deep Blue3 battait le champion du


monde d’échecs Garry Kasparov, alors que le champion l'avait emporté l’année
précédente. Même s’il fallait 20 personnes pour faire fonctionner l’ordinateur et
si la partie gagnée en 19 coups, ce qui a déstabilisé Kasparov, aurait été due à
un bug, il n’en demeure pas moins qu’une forme d’intelligence – de capacité de
réponse par confrontation avec des informations mises en mémoire – est
désormais l’attribut de machines de plus en plus nombreuses autour de nous et
de plus en plus puissantes. Mieux encore, le robot d’apparence humaine nous
revient et, cette fois, il ne s’agit plus de science-fiction, mais de prototypes
autonomes, capables de marcher, de sauter au-dessus d’un obstacle et de
prendre un objet. Le robot appelé « Sophia » parle et répond à certaines
questions. On peut donc se demander si cette Intelligence Artificielle (IA)
embarquée n’est pas en mesure de remplacer l’homme, de nous rendre, en
quelque sorte, inutiles dans l’univers. Outre que l’autonomie de Sophia est toute
relative, il faut surtout bien comprendre que son « intelligence » exécute des
programmes et ne « pense » pas au sens propre du mot. Il revenait à un
philosophe de bien établir cette distinction.

Sophia4 ne nous laisse pas indifférents. Avouons-le. Se


déplacer à la manière d'un humain, exprimer des émotions sur
son visage, chercher le regard des autres, ne sont pas les
compétences les plus impressionnantes de Sophia.

1
Reproduction aimablement autorisée de la Lettre aux Amis de l’IPC (Institut
de Philosophie comparée), n° 38, mai 2018, Éditorial. Annoté et illustré par
nos soins.
2
Enseignant-chercheur en philosophie.
3
En réalité, ce supercalculateur pesant 1,4 tonnes était un assemblage
momentané de multiples processeurs fonctionnant en parallèle. Kasparov a
contesté le résultat car il n’avait pas eu accès aux parties jouées
antérieurement par Deep Blue, alors que 4 grands maîtres d’échecs avaient
nourri l’ordinateur de nombreuses parties connues, dont celles de Kasparov.
4
Selon le constructeur, la société Hanson Robotics, installée à Hong-Kong,
Sophia utilise l’intelligence artificielle, le traitement des données visuelles et
la reconnaissance faciale. Sophia imite également les gestes humains et les
expressions faciales ; elle est capable de répondre à certaines questions, mais
aussi de tenir des conversations simples à partir de sujets prédéfinis, comme
la météo. Le robot exploite la technologie de reconnaissance vocale
d’Alphabet (société de la nébuleuse Google).

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Ce robot, conçu par la société Hanson Robotics, nous étonne


davantage par sa capacité à soutenir une conversation de façon
quasi plausible. Comme pour couronner ce réalisme prometteur,
le 25 octobre 2017, Sophia a reçu la nationalité saoudienne.

Fig. 1 : Sophia.
Crédit ITU Pictures
(Genève)5

Mais l'étymologie du
mot « nationalité » nous
renvoie à l'idée de
naissance. Or, Sophia
n'est pas venue au
monde.
Il y a donc quelque
chose qui cloche. En
effet, la frontière semble
s'estomper entre
l'intelligence artificielle
(IA) embarquée, et notre
intelligence naturelle
Et en même temps, nous sentons bien que nous avons une
différence irréductible, même si nous n'avons pas toujours les
mots pour l'exprimer.
Alors pourquoi ne pas se saisir de la question que nous
adresse Sophia ? En effet, lors d'un entretien filmé avec un
journaliste de CNBC, « elle » interrogea ainsi son interlocuteur :
« How do you know you are human ? », « Comment savez-vous
que vous êtes humain ? »
Sophia porte bien son nom : la question est d'une sagesse
insoupçonnée. En effet, en fonction de la réponse, on pourra
comprendre, ou non, la différence spécifique entre Sophia et son
interlocuteur.

5
https://flickr.com/photos/itupictures/27254369347/, CC BY 2.0,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=69218227.

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Deux réponses possibles à la question de Sophia. La science


lève le doigt et répond en bon élève : « Je sais que je suis humain,
car je m'appuie sur des données mesurées par des instruments. »
En admettant ce point de départ-là, c'est-à-dire une expérience
externe, toute réflexion aboutit à gommer, à terme, la frontière
entre l’homme et l'intelligence artificielle embarquée. Mais une
autre réponse, rationnelle, quoique non scientifique, est possible :
« Je sais que je suis un homme, parce que je sens que je sens, et
je sais que je pense ». En partant de cette expérience interne
comme point de départ rationnel, on peut aboutir à une différence
spécifique entre Sophia et son interlocuteur. Et, ainsi, mettre des
mots sur la certitude d'avoir quelque chose d'irréductible.
En effet, le robot saoudien, intelligence artificielle (IA)
embarquée, est un système de traitement de l’information intégré
à un dispositif mécanique. Traiter une information, c’est recevoir
des données (input), opérer (ou computer) en fonction d'un
algorithme, pour transmettre un résultat (output). Nul besoin
d'expérience interne pour traiter des informations et simuler leur
expression à la manière des humains. Nul besoin, pour l’IA, de
savoir qu’elle traite des informations, pour les traiter beaucoup
mieux que nous, des centaines de milliers de fois mieux que
nous. Sophia n'en est qu'à ses débuts. Ce n’est qu’une question de
temps.
Notre différence n'est pas du tout un avantage concurrentiel
pour traiter les informations. Nous savons que nous savons.
C'est tout. C'est gratuit. Mais nous seuls pouvons le faire. Sophia
est par rapport à nous comme un aveugle-né surdiplômé, qui
étudierait scientifiquement les couleurs, par rapport à un enfant
regardant du rouge. L'enfant sait qu'il voit du rouge, et il se sait
voyant du rouge. C'est tout, c'est gratuit.
Quelles conclusions tirer de cela ? Eh bien, peut-être,
émerveillons-nous devant le prodige de l'intelligence artificielle,
signe de la merveille de notre intelligence naturelle qui l'a conçue.
Émerveillons-nous, c'est-à-dire cultivons ce que nous avons en
propre, et que n'aura jamais l'intelligence artificielle, même si elle
saura peut-être un jour simuler l'émerveillement beaucoup mieux
que n'importe quel acteur de cinéma. Émerveillons-nous, c'est le
signe de notre vie intérieure, de l'union intime de notre

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


84

intelligence avec l'être dans les choses. Émerveillons-nous, c'est


l'origine de toute connaissance. Car il faut connaître. Connaître
pour maîtriser, pour réguler, pour empêcher les dérives, pour
prévoir les conséquences, pour prévenir les dangers. Car il y en a.

* *

Nos correspondants publient :

Le Bon Travail, par l’abbé Philbert RIGAULT

Il est des ouvrages qui restituent en bon ordre toutes sortes de


connaissances grapillées de part et d’autre, et l’on remercie
l’auteur de nous permettre ainsi d’assimiler en quelques pages ce
qui lui aura coûté parfois plusieurs années d’étude. Le Bon Travail
est tout autre chose. L’éditeur, Chiré, signale en couverture :
« précédé de “testament d’inventeur”». Et, certes, les 30 premières
pages, datées des 35 ans de l’auteur, nous introduisent dans cet
émerveillement devant l’invention technique qui fut celui d’un
enfant bricoleur devenu dessinateur industriel, sachant imaginer et
mettre au point des machines originales destinées à soulager la
peine des hommes. Puis le jeune constructeur entendit l’appel du
Constructeur et quitta sa vie rurale, pour paître un troupeau
largement urbain et souvent coupé de nombre de ces vérités que
saint Benoît voulait faire découvrir et assimiler avec sa noble
devise : ora et labora. Le labeur, certes, nous rappelle que
l’homme fut condamné à « gagner son pain à la sueur de son
front », mais – écrit l’abbé Rigault – celà « doit être regardé
comme un décret de la Miséricorde plutôt qu’un acte de Justice »

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85

(p. 70).
De fait, alors que l’Antiquité païenne avait « déplacé la
loi de la peine sur la multitude des esclaves […], la chrétienté
avait redonné au travail pénible sa dignité. L’effort contribuait à
la louange de Dieu » (p. 71). De là ce titre : Le Bon Travail. Tel
peut être qualifié en effet ce travail qui unit la vie matérielle et la
vie morale, qui permet à l’homme d’accomplir sa mission divine –
et de le faire chaque jour – en même temps qu’il satisfait à ses
besoins immédiats, au lieu d’attendre d’un futur indéfini une
satisfaction purement temporelle qui n’arrive jamais sans
contreparties. Le livre ouvre ainsi une page profondément critique
de notre société, société hédoniste où alternent souvent un temps
de pure pénibilité et un temps d’accomplissement de soi dans le
pur loisir.
Bien des leçons de vie surgissent ainsi au hasard des
pages, ainsi peut-être la clé de la non-tranmission du sens de
l’effort dont furent victimes les nouvelles générations : « Tout ne
s’enseigne pas en paroles et en écritures ! La vie quotidienne : la
soupe qui mijote dans la marmite, l’eau qu’on tire au tourniquet
du puits, le fagot qu’on jette dans le four à pain, la fourche sur le
tas de foin et l’aiguille sur la chaussette… La vie quotidienne est
un enseignement, le langage d’un trésor caché ! Langage que les
générations des années 1950 n’ont pas voulu transmettre,
aveuglées qu’elles étaient par le mythe du progrès ! Et les enfants,
retournés à la barbarie, cherchent à tâtons le chemin de la
lumière ! » Nous pourrions commenter longuement ce thème et de
multiples autres dont ce petit livre se fait une mine où piocher.
Le bon travail nous enseigne surtout à bien vivre.
(Éd. de Chiré, 2017, 130 p., 14 €)

* *

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REGARD SUR LA CRÉATION


« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu,
sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l'œil nu
quand on Le considère dans ses ouvrages » (Rm 1, 20).

Sociabilité et commensalisme des animaux1

Dr Louis Murat

Résumé : Bien qu’Aristote ait qualifié l’homme comme un « vivant en cités »


(zoôn politikôn), les animaux vivent, eux aussi, en sociétés hiérarchisées où
certains se voient affecter à des missions bien spécifiques : guide, sentinelle,
chef « appeleur », etc. Il y a aussi les commensaux, tel le Pluvian d’Égypte qui
cure les dents du crocodile en y puisant sa nourriture. Il y a surtout les familiers
de l’homme, soit domestiqués comme le chien ou le cheval, soit simplement
apprivoisés comme le chat. Mais toujours un instinct infaillible règle tant les
travaux que les jeux des animaux.

L’instinct de sociabilité, qui a rendu possible la civilisation


humaine et ses progrès, se rencontre aussi dans de nombreuses
espèces animales2.
Si beaucoup d’animaux vivent simplement par couples isolés, il
en est d’autres qui passent leur existence en troupes, en bandes, en
colonies.
Chez les mammifères, on peut citer les troupeaux d’animaux
domestiques et, à l’état sauvage ou libre, les associations à forme
patriarcale des singes, buffles, éléphants, chevaux, antilopes,
chiens des prairies, castors, etc.
Chez les oiseaux, les bandes ou compagnies de perdreaux,
d’oies, canards, alouettes, martinets, étourneaux, corbeaux, freux,
grues, oiseaux de paradis, albatros, pingouins, etc.
Chez les poissons, les troupes et bandes de marsouins, thons,
morues, harengs, sardines, etc.
Chez les insectes, les collectivités d’abeilles3, fourmis,
termites4, etc.
1
Repris des Merveilles du monde animal, Paris, Téqui, 1914, p. 335-346.
2
Voir ESPINAS, Les Sociétés animales ; E. PERRIER, Les Colonies
animales ; LÉVY-BRUHL, Les Fonctions mentales dans les sociétés
inférieures.

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Chez les animaux marins inférieurs, des colonies diverses :


polypiers, siphonophores, etc.
La vie isolée, par couples dispersés, et la vie en commun des
êtres ont chacune, du reste, leur harmonie et leur poésie dans
l’économie de la nature.
Citons, comme exemple de l’une et de l’autre, l’existence du
Rouge-gorge et celle des Canards sauvages. On connaît les
belles pages de Michelet et de Chateaubriand à ce sujet :

« Quand, par les premières brumes d’octobre, un peu avant


l’hiver, le pauvre prolétaire vient chercher dans la forêt sa chétive
provision de bois mort, un petit oiseau s’approche de lui, attiré
par le bruit de la cognée ; il circule à ses côtés et s’ingénie à lui
faire fête en lui chantant tout bas ses plus douces chansonnettes.
C’est le rouge-gorge, qu’une fée charitable a député vers le
travailleur solitaire pour lui dire qu’il y a encore quelqu’un dans
la nature qui s’intéresse à lui.
« ... Quand la nature s’endort et s’enveloppe de son manteau de
neige, quand on n’entend plus d’autre voix que celle des oiseaux
du nord qui dessinent dans l’air leurs triangles rapides, ou celle
de la bise qui mugit et s’engouffre au chaume des cabanes, un
petit chant flûté, modulé à voix basse, vient protester encore au
nom du travail créateur contre l’atonie universelle, le deuil et le
chômage5. »
« À peine les hirondelles ont-elles disparu, qu’on voit s’avancer
sur les vents du nord une colonie qui vient remplacer les
voyageurs du midi, afin qu’il ne reste aucun vide dans nos
campagnes. Par un temps grisâtre d’automne, lorsque la bise
souffle sur les champs, que les bois perdent leurs dernières
feuilles, une troupe de canards sauvages, tous rangés à la file,
traversent en silence un ciel mélancolique. S’ils aperçoivent du
haut des airs quelque manoir gothique environné d’étangs et de
forêts, c'est là qu’ils se préparent à descendre ; ils attendent la
nuit et font des évolutions au-dessus des bois.

3
Cf. P. A. BOULET, « Ce que nous disent les abeilles », Le Cep n° 5, p. 63.
4
Cf. Dr L. MURAT, « La Cité termite », Le Cep n° 74, p. 79.
5
MICHELET, L’Oiseau, Le rouge-gorge, Hachette.

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« Aussitôt que la vapeur du soir enveloppe la vallée, le cou


tendu et l’aile sifflante, ils s’abattent tout à coup sur les eaux, qui
retentissent. Un cri général, suivi d’un profond silence, s’élève
dans les marais. Guidés par une petite lumière, qui peut-être brille
à l’étroite fenêtre d’une tour, les voyageurs s’approchent des murs
à la faveur des roseaux et des ombres ; là, battant des ailes et
poussant des cris par intervalles, au milieu du murmure des vents
et des pluies, ils saluent l’habitation de l’homme6. »

Chateaubriand, parlant plus loin des sentinelles qu’ont toujours


les bandes de Corbeaux ou de Corneilles, nous dit : « Souvent
une corneille centenaire, antique sibylle du désert, se tient seule
perchée sur un chêne avec lequel elle a vieilli. Là, tandis que ses
sœurs font silence, immobile et calme, pleine de pensées, elle
abandonne aux vents des monosyllabes prophétiques7. »

Citons encore quelques autres exemples de l’instinct de


sociabilité chez les animaux.
Chaque bande de Pluviers a un chef ou « appeleur » qui la
réunit le matin par ses cris au moment du départ.
Les immenses assemblées d’oiseaux de rivage, albatros,
pingouins, mouettes, etc., offrent de curieux spectacles8.
À la station ornithologique de Rossitten, sur les bords de la
Baltique, on a constaté que les mouettes qui, l’été, vivent en grand
nombre dans cette région, gagnent en automne le nord de l’Afrique
en deux bandes, dont l’une passe par Vienne et par l’Adriatique et
l’autre par la mer du Nord, le Rhin et le Rhône. Sur cent mouettes
marquées, il y en a eu 12 à 17 de reprises qui ont permis de vérifier
les deux itinéraires précédents.
Les bandes de Phénicoptères (flamants) et de Grues ont
constamment un veilleur, et plusieurs pendant la nuit. Si le veilleur
découvre ou soupçonne quelque danger, il pousse un cri et
s’envole. C’est le signal de la fuite générale.

6
CHATEAUBRIAND, Le Génie du christianisme, Ire part., Liv. V, ch. VII.
7
Ibid.
8
BASIL, Les Oiseaux d’eau, de rivage et de marais, in-8°, 1914.

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Les grues admettent dans leur compagnie des espèces voisines,


par exemple, dans l’Inde, des grues Antigones ; en Afrique, la
Demoiselle de Numidie, etc.
Les grues forment des couples d'une fidélité remarquable. Elles
sont très familières avec l’homme.
Elles possèdent d’étranges talents chorégraphiques. Elles
gambadent avec légèreté, s’avancent l’une vers l’autre, font des
salutations, des sauts, etc.
Les Tétras mâles se livrent, de même, sous les yeux des
femelles, à des exercices désignés sous le nom de « danses de
perdrix ». Le rupicole orangé est également connu pour son
habitude de sautiller en cadence.
Pour faire leur cour, les paons et dindons font la roue : les
jeunes rossignols chantent et s'efforcent de couvrir la voix de tout
rival ; les tourterelles roucoulent des journées entières ; les
Combattants, oiseaux belliqueux quoique mal armés, se livrent à
de longs duels, à certaines époques, devant leurs compagnes. Ils se
battent jusqu’à ce qu’ils soient exténués. On les voit, le corps en
avant, la collerette hérissée, le bec en arrêt, se précipiter l’un sur
l’autre, rouler sur le sable, se relever, s’attaquer de nouveau avec
fureur et ne cesser le combat que lorsque l’un d’eux se reconnaît
vaincu et abandonne le champ de bataille à son rival.
Parmi les curieuses particularités biologiques de certains
animaux sociaux, citons encore les danses des Moucherons.
On connaît à ce sujet la belle page de Bernardin de Saint-
Pierre :
« Je me suis arrêté quelquefois avec plaisir à voir des
moucherons, après la pluie, danser en rond des espèces de ballets.
Ils se divisent en quadrilles qui s’élèvent, s’abaissent, circulent et
s’entrelacent sans se confondre. Les chœurs de danse de nos
opéras n’ont rien de plus compliqué ni de plus gracieux. Il semble
que ces enfants de l’air sont nés pour danser ; ils font aussi
entendre, au milieu de leur bal, des espèces de chant. Leurs
gosiers ne sont pas résonants comme ceux des oiseaux, mais leurs
corselets le sont, et leurs ailes, ainsi que des archets, frappent
l’air et en tirent des murmures agréables.
« Une vapeur qui sort de la terre est le foyer ordinaire de leur
plaisir ; mais, souvent, une sombre hirondelle traverse tout à coup
leur troupe légère et avale à la fois des groupes entiers de
danseurs.

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Cependant, leur fête n’en n’est pas interrompue. Les coryphées


distribuent les postes à ceux qui restent, et tous continuent à
danser et à chanter. Leur vie, après tout, est une image de la nôtre.
Les hommes se bercent de vaines illusions autour de quelques
vapeurs qui s’élèvent autour de la terre, tandis que la mort,
comme un oiseau de proie, passe au milieu d’eux et les engloutit
tour à tour sans interrompre la foule qui cherche le plaisir. »

Même en hiver, lorsque la neige recouvre le sol, on peut voir


certaines espèces de moucherons, notamment le Trichocera
hiemalis, continuer leurs danses aux rayons du soleil.
Rapprochons de ces instincts chorégraphiques celui des Souris
dansantes japonaises.
Ces souris, qui restent au repos le jour, commencent à danser
vers 5 ou 6 heures du soir et continuent parfois jusqu’au lendemain
matin. Par des mouvements volontaires et qui n’ont rien
d’épileptique, elles tournent sur elles-mêmes avec une rapidité qui
finit par donner le vertige à l’observateur. Elles font deux à trois
tours par seconde, et cela peut durer presque toute la nuit.
Elles s’arrêtent quand elles veulent, vont à l’écuelle, prennent
un peu de nourriture, puis retournent à leur place et recommencent
à danser.
D’après le physiologiste E. de Cyon, qui les a particulièrement
étudiées, ces habitudes seraient peut-être liées à une conformation
spéciale du labyrinthe de ces souris9 .
Parmi les animaux commensaux ou mutualistes, bornons-nous à
relater ici quelques exemples d’associations : pluvian et crocodile,
pilote et requin, etc.

Fig.1 : Pluvian
d’Égypte

9
E. DE CYON, L’Oreille, Paris, Alcan, 1911, in-8°, p. 137.

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Le Pluvian d’Égypte est un oiseau avertisseur. Il réveille le


crocodile, disent Pline, Brehm, etc., en lui becquetant et mordillant
le museau. Le pluvian cherche sa nourriture dans et entre les dents
du crocodile. Il cure celles-ci et le crocodile semble se laisser faire
avec satisfaction.
Le Pilote est un poisson que l’on voit souvent précéder le
requin. Ce dernier paraît suivre son sillage intentionnellement. Le
pilote va chercher, dit-on, le requin pour le conduire là où est la
proie dont il profite toujours quelque peu.
De petits poissons (Trachicthys funicatus) vivent avec une
actinie, entre les filaments urticants, dans laquelle ils se tiennent à
l'abri. Sans cela, ils risqueraient fort d’être mangés par les
poissons carnassiers.
On voit de même un Trachurus être protégé par une méduse et
de petits maquereaux vivre en sécurité entre les tentacules des
galères. On trouve dans les moules un minuscule crabe, le
pinotère, qui s’abrite de tout danger en vivant dans la coquille de
ces mollusques. Citons également l’association des pagures et des
anémones de mer.

Il nous reste à signaler la sociabilité et le commensalisme de


certains animaux avec l'homme.
Depuis les temps préhistoriques, le Chien a été associé par
l’homme à sa chasse. « Un chien restera paisiblement pendant des
heures dans une chambre avec son maître, sans attirer l’attention,
tandis que, laissé seul peu de temps, il se met à aboyer ou à hurler
tristement » (De BONNIOT).
Le Chat est très apprivoisé, mais non domestiqué.
Le Cheval et les autres animaux domestiques : bœufs, moutons,
ânes, chameaux, oiseaux de basse-cour, vivent dans la compagnie
de l’homme et ne cherchent nullement à fuir sa présence.
Les moutons, disent certains naturalistes, pensent que l’homme
est de leur assemblée, de la compagnie. Ils prennent le berger pour
l'un des leurs, pour un grand frère.
Relativement au cheval, on connaît la page célèbre de Buffon :
« La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle
de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de
la guerre et la gloire des combats.

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Aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et


l’affronte... Il partage aussi ses plaisirs, à la chasse, au tournoi, à
la course. Non seulement il fléchit sous la main de celui qui le
guide, mais il semble consulter ses désirs ; obéissant toujours aux
impressions qu’il en reçoit, il se précipite, se modère ou s’arrête,
et n’agit que pour y satisfaire. »

Le dindon est un des rares oiseaux de nos basses-cours dont la


domestication soit récente.
Aux Indes [au Sahel aussi...], le garde-bœuf Ibis surveille
attentivement les troupeaux de bovins.
Un échassier de grande taille, le Kamichi fidèle, rend de
grands services dans certains pays en gardant la volaille. Il
l’emmène en troupe le matin et la ramène avant la nuit.
Les petits chats veulent jouer avec l’homme comme ils aiment à
jouer avec la pelote. Le même instinct de jeu10 s’observe dans leur
jeune âge chez les chiots, poulains, écureuils, singes, renardeaux,
louveteaux, phoques, fourmis et divers oiseaux.
Certains animaux timides deviennent très familiers et confiants à
l’égard de l’homme.
Nous avons vu des rats blancs de Sibérie, des singes de
Madagascar, apprivoisés et craintifs, ne pas vouloir quitter les
bras, épaules, poches de leur propriétaire et protecteur, et se hâter
de s’y réfugier toujours, avec de petits cris de crainte et comme
d’imploration, lorsque, dans le voisinage, quelque danger les
menaçait.
Beaucoup d’insectes ignorent l’homme. Les fourmis, pense-t-
on, ne nous voient pas. Disproportionné à leur intimité, l’homme
leur est caché par l’immensité relative de son corps. Les abeilles
voient bien l’homme, acceptent sa présence en général et même se
laissent rançonner par lui, mais elles savent aussi fondre sur lui
dans certains cas. D’autre part, elles ne paraissent pas percevoir
les bruits. Des coups de fusil répétés les laissent indifférentes.
Elles ne bougent pas. Elles ne craignent que la fumée.

***********************

10
Se reporter à Thomas BRIAN, « Pourquoi les animaux jouent-ils ?, in Le
Cep n°51, mai 2010, p. 85.

Le Cep n°83. 2e trimestre 2018


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COURRIER DES LECTEURS

De Mme C. C. (Paris)

Vos revues sont „formidables” pour “remettre les


pendules à l’heure” dans ce pays qui marche sur la tête… Un
grand merci !
__________________________

De Monsieur J. C. (Alpes).
Dans le numéro 81, vous avez parlé du « scientifiquement
correct ». En voici encore un exemple. Je lis dans une recension
écrite par Francis Bergeron que Jean-Claude Pont, docteur en
mathématiques, et qui a dirigé la chaire d’histoire et de
philosophie des sciences de l’Université de Genève, dans son
récent livre (novembre 2017) Le vrai, le faux et l’incertain dans
les thèses du réchauffement climatique (Librairie La Liseuse, rue
des Vergers 14, 1950 Sion, Suisse), évoque les persécutions que
rencontrent les climato-sceptiques, et même les climato-réalistes.
« Une doxa a été posée, et s’en éloigner expose le scientifique à
un risque de marginalisation, voire à une interdiction
professionnelle, ce qui, pour le moins, n’est pas non plus une
approche scientifique sérieuse ! » Mais Jean-Claude Pont est bien
obligé de relever « l’assourdissant silence de scientifiques au fait
des problèmes, mais renonçant à intervenir par crainte, pour
certains, de perdre leur place, pour d’autres encore de voir
disparaître des subsides de recherche, pour d’autres, enfin, de
heurter l’opinion publique ». Les portraits de certains
scientifiques climato-réalistes n’ont-ils pas été affichés dans les
rues, précédés de la mention « wanted », comme si l’on parlait de
criminels ?
____________________________

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94

Cires perdues

Michel Vienne

Nous sommes la cire perdue du divin Orfèvre


Pour un joyau pensé de toute éternité.
Il enrobe son œuvre temporelle
Du revêtement de son pur amour
Mêlé à l'eau de sa miséricorde.

Advient le moment de la chair perdue,


Consumée par le feu de l'Esprit
Dans la nuit de la mort.
Dans le creux du revêtement d'amour
Il déverse la lumière en fusion
De la chair de gloire, éternelle.
Il brise le moule et dégage le joyau,
L'absence d'impuretés le réjouit
Il le nettoie, le retouche et polit.

Il place son œuvre en un lieu choisi


Dans la demeure de Sa Joie Éternelle.

(Le Touquet, le 22 mars 2018)

* *

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