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Résumé

Accessible, précis et complet, ce livre propose 150 citations extraites de la


Bible. Du premier au dernier livre, elles vous permettront de savourer la
sagesse d’un texte qui aborde tous les sujets de la vie quotidienne. Pour
chacune, vous trouverez :
• le contexte de sa rédaction ;
• ses différentes interprétations ;
• l’actualité de son message.

Un auteur spécialiste Un angle original Une présentation


agréable

Biographie auteur

CHRISTINE PELLISTRANDI est professeur d’histoire et chercheur.


Elle enseigne l’Écriture sainte au collège des Bernardins et elle est déjà
l’auteur de nombreux ouvrages.

www.editions-eyrolles.com
Christine Pellistrandi

CITATIONS
BIBLIQUES
EXPLIQUÉES
Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Mise en pages : Compo Meca Publishing - 64990 Mouguerre

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement


le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre
Français d’Exploitation du Droit de Copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles 2014


ISBN : 978-2-212-55949-1
SOMMAIRE

Introduc on

Par e 1 Ancien Testament


Genèse
Exode
Livre des Nombres
Deutéronome
Prophètes
Livre des Proverbes
Psaumes
Job
Can que des can ques
Livre du Siracide ou Ecclésias que
Livre de la sagesse

Par e 2 Nouveau Testament


Évangiles et Actes des Apôtres
Saint Paul
Le re aux Hébreux
Première Le re de Jean

Glossaire

Bibliographie

Index des noms communs


Index des noms propres
INTRODUCTION

Les courts passages de l’Écriture choisis pour ce livre composent un


florilège qui interroge l’intelligence et pénètre le cœur. Ces scènes de
l’Ancien et du Nouveau Testament ont également inspiré les artistes pour
transmettre, à travers la sculpture et la peinture, le patrimoine de toute la
culture chrétienne.
Les citations de chaque page montrent comment Dieu se sert du langage des
hommes pour se faire connaître à travers leur histoire. En nous familiarisant
avec les personnages de la Bible dans leur ambiguïté ou leur sainteté, nous
sommes confrontés à la réalité humaine à travers laquelle Dieu révèle son
message d’amour : Dieu a besoin des hommes. Si nous refusons d’entrer
dans ces récits tels qu’ils nous ont été transmis par la mémoire des siècles,
nous faisons de Dieu l’idole de nos rêves, l’utopie de nos désirs.
Certaines phrases incisives sont entrées dans la sagesse proverbiale, comme
« Ce qui est écrit est écrit », « Rendez à César ce qui est à César » ou
encore « À chaque jour suffit sa peine ». Nombre de maximes se trouvent
ainsi coupées du contexte qu’il faut leur restituer pour comprendre à quelle
question elles répondent.
De la Création à la Résurrection de Jésus, ce livre parcourt les différentes
étapes qui composent l’ensemble de la Bible. Après l’Évangile, les lettres
de Paul montrent comment cet homme adapte son discours et le message de
sa foi à la culture du monde qu’il rencontre. Sa compréhension de la
contemporanéité devient la nôtre.
Dans leur diversité, toutes ces citations ont quelque chose à nous dire
aujourd’hui : partager ce que j’ai reçu est mon vœu le plus cher.
PARTIE 1

ANCIEN TESTAMENT
« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage… » Peut-on appliquer cette
maxime à l’Écriture de la Bible ? Sans aucun doute, car la transmission des
traditions a commencé par l’oralité avant que ces souvenirs ne soient écrits
sommairement puis sans cesse réécrits, retravaillés, recomposés. Ainsi
s’expliquent à la fois la diversité des livres qui composent le premier
Testament et la difficulté de leur interprétation. Cette réécriture
correspondait à l’approfondissement de ce que Dieu avait voulu dire à
travers les événements que vivait Israël, car la compréhension du message
divin est intimement liée à l’histoire d’Israël. Séparer la recherche de Dieu
de l’histoire des hommes, c’est nier l’élection d’Israël et créer à la place un
Dieu idéal qui serait le reflet de toutes nos utopies.
L’Ancien Testament surprend par l’extrême variété de ses genres littéraires,
qui comprennent entre autres des livres d’histoire (mais une histoire
décryptée à la lumière du message divin), des contes pour tenter d’expliquer
une réalité théologique, comme le livre de Job, des prières, comme les
Psaumes, ou bien encore des règles pour un art de vivre en société, comme
le livre des Proverbes.
L’Ancien Testament se compose de trois grands livres :
• le Pentateuque, qui est le nom grec de la Torah hébraïque ;
• les Prophètes, comprenant les livres de Samuel et des Rois puis les
livres qui portent les noms des prophètes ;
• enfin ce que l’on appelle les Écrits, qui regroupent de nombreux textes
dont les Psaumes, le livre de Job, les Proverbes et le Cantique des
Cantiques.
Les citations choisies dans cet ouvrage correspondent à des « coups de
cœur », des passages hautement signifiants qui peuvent être complétés par
quelques passages du Nouveau Testament, montrant ainsi à quel point la
parole de Dieu forme un tout inséparable.
GENÈSE

Il y eut un soir, il y eut un matin.


Gn 1

Le premier récit de la Création se décline autour d’un refrain qui scande le


temps et qui permet de mémoriser facilement les différentes étapes au cours
desquelles Dieu construit notre environnement. On commence par le soir,
puisque les ténèbres président au commencement. Le récit insiste à juste
titre sur les sept jours qui composent le premier chapitre de la Genèse où
l’on peut lire également un décalogue, puisque Dieu parle dix fois ! Le récit
doit donc avoir comme perspective de nous apprendre à vivre au sein du
cosmos. Loin d’être naïf, il est riche de sens. Ainsi, le jour où la lumière est
créée est, selon le texte hébreu, un jour « unique » et non simplement le
« premier » jour, comme on le traduit habituellement. Ce simple détail de
traduction éveille l’attention du lecteur. Il ne s’agit pas d’un texte qui se
voudrait une description rigoureuse, mais qui donne une clé pour
comprendre le monde dans le projet de Dieu. Dans la Bible, le temps n’est
pas cyclique comme un éternel recommencement, au contraire, il est
linéaire, il est un chemin qui mène vers un accomplissement, à l’image de
toute vie qui va de son commencement à sa fin. Cette limitation du temps
des hommes renvoie à Dieu qui est maître du temps, lui qui vit dans
l’éternité et qui est à la fois l’alpha et l’oméga.
Dieu vit que cela était bon… Dieu vit que cela était très
bon.
Gn 1

Le récit de la Création est mené en faisant intervenir un narrateur


omniscient qui est capable de raconter ce dont n’a pu être témoin aucun
homme : qui peut prétendre que « Dieu vit que cela était bon » ? Une telle
phrase force le lecteur à reconnaître que ce texte représente une distance
absolue par rapport à l’entreprise scientifique qui s’efforce de démonter et
de comprendre le mécanisme de la Création. En revanche, la visée du récit
est de mettre en valeur l’intelligibilité du monde créé par Dieu. C’est par la
parole que le monde est créé. Dieu voit que chaque étape de sa Création est
bonne, c’est comme un encouragement à continuer dans le même sens. Le
sixième jour, qui voit l’avènement de l’homme et de la femme, est même
très bon, une manière d’exprimer la satisfaction de Dieu devant son chef-
d’œuvre, la création du premier couple. C’est dire à la fois la continuité et
la différence entre l’homme et son environnement.
Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez,
emplissez la terre, soumettez-la et dominez sur les poissons
de la mer et sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux
qui rampent sur la terre.
Gn 1, 28

C’est après avoir créé l’homme et la femme dans le premier récit de la


Création que Dieu prononce cette bénédiction. Il leur confie le monde. La
bénédiction de Dieu est exprimée par des verbes à l’impératif, mais ce ne
sont pas tant des commandements que des encouragements pour l’avenir.
Dieu exprime ainsi sa souveraineté sur la Création qu’il vient de sortir du
chaos et du néant, et appelle donc à la vie sous toutes ses formes. Cette
proclamation décrit la responsabilité de l’homme, qui doit soumettre le
monde des animaux pas seulement à son profit immédiat, mais pour
prolonger l’harmonie de ces jours où chaque soir, en contemplant son
œuvre de la journée, Dieu disait que cela était bon. Dans les temps d’exil,
quand Israël se retrouvera asservi, dominé, vaincu, sans descendance, cette
bénédiction sera relue et méditée comme une promesse de vie que Dieu ne
reprend pas.
Le Seigneur modela l’homme avec de la poussière prise du
sol… Le Seigneur dit : Il n’est pas bon que l’homme soit
seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie… Il
fit tomber une torpeur sur l’humain et il s’endormit et il prit
un de ses côtés et il ferma la chair à sa place. Le Seigneur
construisit le côté qu’il avait pris de l’humain en femme et
il la fit venir vers l’humain.
Gn 2, 7-22

D’emblée, il y a une différence entre l’homme qui est modelé avec de la


poussière et la femme qui est construite. Le mot « côté » se retrouve très
précisément dans le côté de l’arche d’Alliance (Ex 25, 12), le côté de la
Tente de la Rencontre (Ex 26, 20) et enfin le côté du Temple (1 R 6, 5).
Toutes ces références renvoient à des images concernant les symboles de la
présence divine au milieu des hommes. L’arche, la Tente de la Rencontre où
Moïse parlait avec Dieu, le Temple où repose la Gloire du Seigneur sont des
signes que Dieu a donnés. Aussi ce simple mot, « côté », rappelle-t-il les
lieux où Dieu manifestait sa présence. C’est donc un indice de la vocation
divine de la femme. Plus encore, quand Dieu dit qu’il n’est pas bon que
l’homme soit seul et qu’il faut lui faire une aide qui lui soit assortie, cette
aide est signifiante du secours divin. Ce mot « aide », que l’on peut traduire
aussi par « secours », est employé ensuite dans la Bible uniquement en se
rapportant à Dieu : c’est le secours que Dieu apporte à l’homme en situation
de détresse, en particulier quand il se voit persécuté, incompris et menacé.
Tu accoucheras dans la douleur.
Gn 3, 19

Le texte hébreu dit précisément : « Multipliez, je multiplierai ta pénibilité et


ta grossesse, avec peine tu enfanteras des fils. » Le langage courant a
simplifié et n’a retenu que la douleur pendant l’accouchement, ce qui
correspondait à une théologie du châtiment : les siècles imposaient à Ève
cette punition parce qu’elle avait saisi le fruit et qu’elle devait en payer les
conséquences. Or, ce verset va beaucoup plus loin que le temps de
l’accouchement, car il pose en réalité le problème de toute relation mère-
enfant, de la possession, de cette forme de convoitise qui est une tentation
humaine. Tant que l’embryon vit dans son sein, il appartient au corps de la
mère, son cœur bat en communion avec elle. À la naissance, il devient une
personne indépendante et dépendante à la fois, dépendante du lait et des
soins de sa mère, mais indépendante, car il va grandir avec sa propre
autonomie. La multiplication de la grossesse dans le temps décrit aussi le
temps de l’apprentissage, pendant lequel la mère découvre qu’elle doit se
détacher de son enfant. Toute l’éducation correspond à un temps
d’enfantement qui dépasse celui de la grossesse biologique. Si la convoitise
s’empare de l’amour maternel et le fait dévier, que se passe-t-il ? Naît alors
un attachement fusionnel qui empêchera de couper le cordon ombilical.
L’authentique bonheur maternel s’oppose à la captation de l’enfant comme
bien propre de la femme. Si la relation dans laquelle l’enfant reste englobé
dans le monde maternel au-delà de la normale dure trop longtemps, alors se
multiplieront larmes et insatisfactions profondes. On touche du doigt une
réalité qui va bien au-delà de la pénibilité de l’accouchement et qui décrit le
malheur qui apparaît quand est refusé à l’enfant l’espace de liberté
nécessaire pour qu’il puisse se construire.
Le Seigneur tourna son regard vers Abel et son offrande
mais il détourna son regard de Caïn et de son offrande.
Gn 4, 4

La Bible, dans le livre de la Genèse, s’ouvre dès le chapitre 4 sur une belle
figure d’innocent : Abel, le frère de Caïn. Abel est pasteur, il fait paître les
moutons. Caïn cultive la terre et Abel mène son troupeau. Lorsque les deux
frères apportent leurs offrandes, le Seigneur regarde celles d’Abel et
détourne son regard de celles que lui apporte Caïn. Pourquoi une telle
injustice ? Du coup, on se sent presque en sympathie avec Caïn qui, à juste
titre, se considère brimé par rapport à son frère. L’histoire de Caïn, c’est
notre histoire avec notre cœur débordant de rancune, de ressentiments, de
remords qui rongent l’âme et l’abîment. Abel, c’est l’innocent par
excellence, et Jésus, dans l’un de ses derniers grands discours à l’adresse
des pharisiens, rappelle l’exemple d’Abel comme l’un des premiers
martyrs : les prophètes, les sages, les scribes, vous allez les persécuter, les
pourchasser de ville en ville, mais leur sang retombera sur vous et vos
enfants, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie que vous
avez assassiné entre le sanctuaire et l’autel (Mt 24, 34). Ce pasteur, Abel
qui offre ses moutons, préfigure le bon pasteur, lui qui est l’innocent par
excellence, c’est-à-dire le Christ.
Suis-je le gardien de mon frère ?
Gn 4, 9

Caïn est jaloux d’Abel et il devient meurtrier à cause de ce sentiment


mortifère qui dévore son cœur. Quand Dieu lui demande où est son frère,
c’est pour lui faire prendre conscience de sa responsabilité. C’est une
manière de lui dire : sais-tu bien qui est ton frère ? Justement, la réponse de
Caïn est un déni, un refus de reconnaître que son frère est né du même sang
que lui. En le frappant cruellement et mortellement, il cherche à abolir ce
lien. Or, la vocation de l’homme est de reconnaître dans l’Autre un frère :
nous sommes responsables les uns des autres. Refuser cette perspective,
c’est entrer dans un cycle infernal de violence au niveau de la famille et de
la parenté, du village, de la nation pour lutter pays contre pays, s’emparer
des biens de l’autre, de son espace vital, quitte à le supprimer pour avoir de
la place ! Mais ce récit ne s’arrête pas là. Caïn reconnaît l’énormité de sa
faute et Dieu, en le marquant d’un signe, le protège de toute vengeance.
Personne ne peut être réduit aux actes qu’il a commis, aussi terribles
soientils. « Le Seigneur mit un signe sur Caïn pour qu’en le rencontrant
personne ne le frappe » (Gn 4, 15).
Rien n’est impossible à Dieu.
Gn 18/Lc 1,37

Trois anges annoncent à Abraham que, lorsqu’ils reviendront, il sera père.


Cette promesse entraîne sarcasmes, et ricanements, de Sarah qui sait bien,
vu son âge avancé, que cela n’est plus possible. Mais la phrase, d’après le
texte hébreu, pourrait se comprendre ainsi : « Est-ce que Dieu sait faire
autre chose que des merveilles ? »
En effet, Dieu « engendre » le ciel et la terre, la fécondité et le
foisonnement sont la marque de sa création, comme le montre le premier
récit de la Création (Gn 1). Dieu donne la vie aux plantes et aux animaux, et
Dieu fait naître des hommes et des femmes créés à son image et à sa
ressemblance. Cette capacité de Dieu à donner la vie est révélée à demi-
mot, comme chuchotée : serait-ce un éternel rêve qui relèverait de la
mythologie ou du fantasme ? C’est la mémoire des merveilles de Dieu qui
aboutit à reconnaître les facettes de son dessein bienveillant à travers
l’histoire.
L’ange de l’annonciation à Marie reprendra la même phrase à l’affirmative
en donnant un signe comparable : Élisabeth la stérile attend un enfant, et
c’est un signe pour Marie afin qu’elle croie à la merveille des merveilles :
elle sera enceinte d’un enfant qui est le Fils de Dieu ! On ne dira jamais
assez combien l’idée même de l’incarnation de Dieu dépasse les idées les
plus folles des hommes.
Vas-tu supprimer le juste avec le pécheur ?
Gn 18

Prenons la figure d’Abraham, dont la prière s’ouvre sur le monde qui


l’entoure. Or, ce monde, c’est Sodome à la réputation sulfureuse. Et voilà
Abraham qui discute pied à pied avec le Seigneur pour sauver Sodome. Que
fait Abraham ? Il se fait avocat et il plaide pour les habitants de Sodome. Il
remplit sa mission et s’ouvre à la réalité du monde tel qu’il est, un monde
de pécheurs qui ont besoin d’être sauvés. En lisant le chapitre 18 de la
Genèse, on a l’impression qu’Abraham fait des reproches à Dieu : quoi, tu
vas supprimer le juste avec le pécheur ? En fait, Abraham, si nous lisons
attentivement le texte, ne demande pas que seuls les justes soient épargnés,
il demande le salut pour toute la ville, autrement dit que les pécheurs eux
aussi soient sauvés. Il marchande pas à pas avec timidité et s’enhardit peu à
peu pour diminuer le nombre de justes qu’il faut trouver pour sauver
Sodome. Sa prière nous fait apparaître une nouvelle idée de la justice, pas
une justice qui se contente de punir le pécheur, mais une justice qui sauve le
pécheur. Si les pécheurs reçoivent le pardon de Dieu et confessent leurs
fautes, alors eux aussi deviendront justes. Une prière qui ouvre sur le
monde, voilà la prière d’Abraham, une prière qui ne se décourage pas et
revient sans cesse à la charge.
Me voici.
Gn 22

Quand Dieu appelle ses prophètes, il commence toujours par les appeler par
leur nom. Il y a donc véritablement dialogue de personne à personne dès le
départ de tout échange. Ainsi Dieu appelle Abraham, et celui-ci, sans savoir
ce que Dieu allait lui demander, répond : Me voici. Et là, surprise
incroyable, Dieu lui demande d’offrir en sacrifice son fils unique. Un peu
plus loin, dans le texte, Isaac, surpris de ne pas voir l’agneau qui doit être
offert en sacrifice, appelle son père, et Abraham répond de nouveau : Me
voici. Ensuite, c’est l’ange qui appelle Abraham, et là encore celui-ci
répond : Me voici. À ce moment précis, l’ange est chargé par Dieu de
retenir le bras d’Abraham qui était prêt à immoler Isaac, scène immortalisée
sur le portail du baptistère de Florence. Dans ce court passage, trois fois
Abraham répond : Me voici. À la lecture de ce texte (Gn 22), notre réaction
est toujours un sentiment de révolte devant cette demande à nos yeux
injuste et cruelle. Seulement, nous ne sommes pas assez attentifs à la
réponse d’Abraham : Dieu saura voir où est l’agneau pour l’holocauste. Au
Moyen Âge, on a établi un rapprochement entre le sacrifice d’Isaac et celui
du Christ en représentant sur les miniatures et les vitraux à la fois Jésus
portant sa croix et montant vers le calvaire et le petit Isaac avec le fagot
destiné à allumer le feu de l’holocauste sur son dos, montrant ainsi qu’Isaac
préfigure le sacrifice du Christ.
Cette même nuit Jacob se leva, prit ses deux femmes et ses
deux servantes, ses onze enfants, et il passa le gué du
Yabboq… Et Jacob resta seul. Un homme se roula avec lui
dans la poussière jusqu’au lever de l’aurore.
Gn 32, 23-32

C’est au cours de ce combat, un corps à corps avec un inconnu, que Jacob


va faire une expérience particulière de la proximité de Dieu. Jacob est un
homme rusé, un malin qui a usurpé la bénédiction de son père aux dépens
de son aîné, et il espère rentrer sur le territoire de son frère en profitant de la
nuit pour ne pas être vu. Le voilà surpris par un inconnu. Le récit de la
Genèse est complexe : des verbes sans sujet explicite mais une description
de deux hommes qui se bagarrent sans que l’on comprenne clairement qui a
le dessus. L’aurore approche : voilà que l’inconnu demande à Jacob son
nom. Dans la mentalité biblique, prononcer le nom de quelqu’un, c’est
d’une certaine manière le connaître, et donc le dominer. Jacob répond, ce
qui est une manière de s’en remettre à cet inconnu. Le nom de Jacob
signifie « l’imposteur », et cela correspond bien à ce qui s’est passé quand il
a trompé son père en se faisant passer pour son frère afin de recevoir sa
bénédiction. Or, voilà que l’inconnu va lui donner un nom nouveau : « On
ne t’appellera plus Jacob mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre
les hommes » (Gn 32, 29). Le nom Israël signifie « Dieu est fort ». Jacob
reçoit par ce nom une nouvelle bénédiction et il devient capable d’un acte
de foi : « J’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve. » L’inconnu de la
nuit était Dieu en personne.
Le mal que vous avez pensé faire, Dieu en a fait un bien.
Gn 50, 20

Joseph, fils de Rachel, était le préféré de son père Jacob, c’est pourquoi ses
frères le jalousaient. Aussi voulurent-ils le faire mourir mais, au dernier
moment, ils hésitèrent et l’abandonnèrent dans le désert. Une caravane qui
passait le recueillit. Grâce à ses dons de divination extraordinaires, il devint
Premier ministre d’Égypte et dut gérer l’économie du pays, qui était alors le
grenier à blé du Moyen Orient. Poussés par la famine, ses frères
descendirent en Égypte et se retrouvèrent devant leur frère sans le
reconnaître. Mais Joseph, lui, n’avait pas oublié. Il organise alors une mise
en scène pour amener ses frères à reconnaître le mal qu’ils lui ont fait jadis.
Le cadet Benjamin est faussement accusé d’un vol, ce qui amène les dix
frères à réfléchir à leur conduite passée, si bien que Juda, le frère aîné qui
avait été l’origine du complot contre Joseph, s’offre en otage à la place de
Benjamin. Alors Joseph se fait reconnaître par ses frères stupéfaits et tous
versent des torrents de larmes ! Il ne reste plus qu’à aller chercher leur père,
Jacob. Devant ce dernier, Joseph prononce ce magnifique acte de foi : Dieu
seul peut, du mal, faire surgir le bien. La réconciliation est une forme de
résurrection. Par toute son histoire, par le pardon donné à ses frères, Joseph
est considéré comme une figure qui annonce le Messie.
EXODE

Je suis celui qui est.


Ex 3,14

L’existence de Dieu n’est pas un problème pour l’homme de la Bible. Non


qu’il en ignore la contestation, avec cette interrogation : « Où est-il, ton
Dieu ? ». Mais ce qui fait la particularité d’Israël est la quête d’une relation
personnelle avec ce Dieu. La caractéristique du Dieu d’Israël est de parler,
et donc d’être intelligible. Dieu se donne à connaître, il donne des signes et
entre en dialogue avec les hommes. Après les Patriarches de la Genèse,
Moïse est le Prophète par excellence, qui témoigne de la rencontre heureuse
avec Dieu. Alors que son peuple est réduit à un esclavage mortel, Moïse
connaît une destinée lumineuse : sauvé de la mort dès le berceau, il est
éduqué par ceux qui persécutent les siens, signe évident de la providence
divine. Berger, il garde les troupeaux de son beau-père. Il va faire un détour
pour observer un phénomène étrange : il voit un buisson couvert d’épines
brûler sans se consumer, image symbolique de Dieu qui partage la condition
de son peuple humilié. Dieu intime à Moïse l’ordre d’aller délivrer son
peuple de la servitude de Pharaon. De la servitude humaine qui aliène à la
rencontre avec Dieu qui libère, voilà le salut qui est proposé à l’homme.
Moïse oppose à Dieu une série d’arguments pour montrer la difficulté de la
mission, ajoutant qu’il ne connaît pas le Nom de celui qui l’envoie. D’où la
réponse, qui est difficile à lire et encore plus à traduire : « Je suis celui qui
suis », « Je suis celui qui est ». La première traduction essaie de coller au
texte hébreu en répétant le verbe initial. La seconde traduit l’interprétation
grecque de la Septante (IIIe siècle av. J.-C.) qui a conduit à des
développements métaphysiques depuis deux mille ans.
Dans le pays d’Égypte, nous mangions du pain à satiété.
Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser
mourir toute cette assemblée.
Ex 16, 2

Justement, c’est sur le manque de pain que se joue l’expérience cruciale dès
la sortie d’Égypte. Par l’intervention miraculeuse de Dieu, les chars de
Pharaon se sont embourbés et les Hébreux ont traversé la mer Rouge à
pieds secs. Les voilà dans le désert, et là, Dieu les met à l’épreuve (Ex 16).
Évidemment, ils manquent de tout dans le désert de Sin ; ils commencent
alors à regretter le pain qu’ils mangeaient en Égypte. Ce n’était pourtant
qu’un pain de misère, puisqu’ils travaillaient comme des esclaves. Mais ce
pain devient mythique : dans le pays d’Égypte, nous mangions du pain à
satiété. Pourquoi nous avoir fait sortir ? Arrive la question cruciale : Dieu
est-il oui ou non au milieu de nous, puisque nous allons mourir de faim ?
Alors le Seigneur va faire un miracle, à la demande de Moïse : « Du haut du
ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous chaque jour, et le peuple sortira
chaque jour pour recueillir la ration suffisante. » Ce pain extraordinaire, ce
pain pétri de la main de Dieu, ce sera la manne. Les Hébreux découvrent
quelque chose de fin, de blanc, qui avait le goût de beignets au miel, et
Moïse leur dit alors : Voici le pain que le Seigneur vous donne.
Dieu est-il oui ou non au milieu de nous ?
Ex 17

La soif : une question de vie ou de mort. C’est sur ce problème de la soif


que se pose pour Israël la question cruciale de la foi. Certes, Dieu a libéré
son peuple des geôles de Pharaon, mais dans le désert, maintenant que le
peuple a soif et qu’il cherche désespérément une source, se pose l’unique
question : Dieu est-il oui ou non au milieu de nous ? Pourquoi nous avoir
fait sortir d’Égypte si c’est pour nous faire mourir de soif dans la sécheresse
implacable du désert ? Au milieu des dunes et des falaises, la soif
représente de tout temps un risque mortel, et de nos jours on ne part pas
pour une marche dans le désert sans un minimum de trois litres d’eau. Oui,
mais quand on erre pendant des années, il faut vraiment un miracle pour
survivre. À Moïse qui l’appelle au secours en le suppliant d’intervenir
d’autant plus vite qu’il risque d’être lapidé, tant le peuple est en colère, à
Moïse donc, Dieu dit : « Je vais me tenir devant toi sur le rocher, tu
frapperas le rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira » (Ex 17). Une
question de vie ou de mort, ce n’est pas seulement survivre, c’est aussi
vivre de la vie éternelle, c’est-à-dire du bonheur que le Christ veut pour
nous et dont il nous donne la possibilité par le baptême. Ce rocher
miraculeux qui vient éteindre toute soif, c’est aussi le Christ sur la croix,
parce que, de son côté percé par la lance du centurion romain, coulèrent du
sang et de l’eau. Saint Paul a le génie d’appliquer à la figure du Christ le
souvenir du rocher miraculeux et il évoque le peuple hébreu dans le désert
buvant à un rocher spirituel (1 Co 10, 4).
Le peuple vit que Moïse tardait à descendre de la
montagne. Le peuple s’assembla près d’Aaron et lui dit :
« Debout. Fais-nous des dieux qui marchent à notre tête. »
Ex 32, 1

Le peuple s’impatiente. On fait une collecte de tous les bijoux en or que


portaient les femmes et les enfants. Avec cet or, Aaron façonne un veau. Le
veau, ou jeune taureau, était compris comme le support de la divinité plutôt
que comme son image. Ce qui est en cause, c’est la conception que l’on se
fait de Dieu. Une idole est rassurante : elle est là et on peut la toucher. C’est
une manière de rejeter le Dieu invisible qui pourtant a fait sortir les
Hébreux d’Égypte. Mais cela, ils semblent l’avoir oublié, parce qu’ils
veulent faire la fête, offrir des holocaustes qui, avec leur côté magique, ont
le don d’apaiser leur angoisse. Et le peuple s’assoit pour boire et manger. La
fabrication du veau d’or entraîne la colère du Seigneur, mais Moïse réussit à
l’apaiser. Quand Moïse descend et qu’il entend les bruits de la fête, c’est lui
qui se met en colère, et il brise les tables de la Loi, pourtant gravées du
doigt de Dieu. Pour punir les coupables d’une telle offense, Moïse prend le
veau, le brûle, l’écrase pour le réduire en une poudre qu’il mélange à de
l’eau. Cette eau, il la donne alors à boire aux fils d’Israël, comme s’ils
devaient digérer le mal qu’ils avaient fait.
Conduis le peuple où je t’ai dit et c’est mon ange qui
marchera devant toi…
Ex 32, 34

Moïse se rend compte qu’en adorant un veau d’or, le peuple a gravement


offensé Dieu, puisqu’il a mis sa confiance dans une idole. Moïse va
intercéder pour le peuple que Dieu veut punir. Alors qu’il est totalement
innocent, il va jusqu’à offrir sa vie en signe de pardon. Dieu refuse car il ne
veut pas qu’un innocent paie à la place des coupables. L’entrée en Terre
promise va continuer, mais il est évident que ce temps de l’adoration du
veau d’or laisse des traces et qu’à chaque génération on retrouvera la même
tentation de se fabriquer des idoles. Dieu redonne courage à Moïse en lui
promettant qu’un ange va le guider, belle expression pour conforter Moïse
dans sa foi alors qu’il va se trouver en permanence exposé aux complots et
aux révoltes qui se multiplient. Les fils d’Israël vont ainsi errer pendant
quarante ans dans le désert, le temps d’enfanter une nouvelle génération.
Toutes ces aventures sont racontées pour expliquer comment entrer dans
une perspective théologique de la connaissance de Dieu, ce qui demande un
long cheminement assumé dans la patience.
C’est moi le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays
d’Égypte, de la maison de servitude…
Ex 20 2-17/Dt 5 6-18

Ce rappel de l’action bienveillante de Dieu à l’égard de son peuple introduit


ce que l’on appelle les Dix Commandements. Il interpelle chaque homme
dans son rapport à Dieu et aux autres, les deux étant indissociables. Le
premier commandement porte sur l’exigence absolue de ne rendre aucun
culte à d’autres divinités, ce qui est une grande nouveauté, car c’est
l’affirmation du Dieu unique dans le monde antique polythéiste. La suite
logique s’impose : ne pas adorer des idoles faites de main d’homme. La
première partie concerne donc les rapports de l’homme face à Dieu, la suite
règle les relations entre les hommes. Alors que presque tous les
commandements sont formulés sur le mode défensif, un seul est présenté
positivement : celui d’honorer ses parents. L’ensemble des interdits qui suit
est très concret et s’efforce de couvrir tous les aspects de la vie sociale en
interdisant le meurtre, l’adultère, le rapt (c’est-à-dire le vol), le faux
témoignage, la convoitise. Il s’agit de garantir à travers une communauté
humaine à la fois des droits fondamentaux pour respecter la vie, la
propriété, l’honneur de chacun, mais aussi l’établissement de règles
humaines, d’un code qui puisse régir la vie en société. Ces commandements
sont le signe concret du rapport spécifique du peuple d’Israël à Dieu.
Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent
sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu.
Ex 20, 12

En quoi consiste ce commandement : s’agit-il simplement de piété filiale au


sens où on l’entend d’habitude ? Honorer ses parents, c’est reconnaître que
chaque génération appartient à une histoire sainte et qu’à ce titre elle a reçu
des dons. En effet, ce commandement est éclairé par la seconde partie, dans
laquelle il est question de la Terre promise qui est donnée à Israël. Honorer
ses parents, c’est donc entrer dans le mystère de l’élection d’Israël. Chaque
génération humaine est chargée de transmettre à ses enfants le mystère de
l’élection : Dieu a choisi Israël non pas parce qu’il était le plus beau ou le
plus fort, mais uniquement par amour et par fidélité (Dt 6, 6). Il ne s’agit
donc pas d’honorer ses parents simplement pour être obéissant, mais parce
que chaque génération est à elle seule une histoire à travers laquelle Dieu
révèle son amour aux hommes. Dieu a choisi Israël pour que toutes les
nations reçoivent par lui la même bénédiction. Le Christ offre l’exemple
d’un fils qui donne à la famille une dimension eschatologique en disant :
« Qui sont mes frères, qui est ma mère ? Quiconque fait la volonté de mon
Père qui est aux Cieux, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère » (Mt 12, 50).
Parlant ainsi, il crée comme frères en Dieu les hommes de toute nation,
race, tribu, royaume.
Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : JE SUIS m’a envoyé
vers vous.
Ex 3, 14

Que nous montre cet épisode du Buisson ardent au cours duquel Dieu
révèle à Moïse un nom par lequel les hommes peuvent l’appeler ? Il montre
à la fois que l’identité parfaite de Dieu est bien au-delà de notre
entendement, mais qu’en même temps il révèle quelque chose de vrai et
d’intelligible dans cette parole. Ce double aspect est présent dans la
tradition juive, qui garde la transcription du Nom de Dieu en l’écrivant à
l’aide de quatre consonnes qu’on ne vocalise jamais : YHWH. On prononce
un nom de substitution : LE SEIGNEUR. La tradition chrétienne a suivi
dans ses langues propres : Kurios en grec, Dominus en latin, le Seigneur en
français. C’est seulement durant un demi-siècle (1950-2000) qu’une mode a
essayé d’imposer une vocalisation, Yahweh, dont le Vatican a demandé le
retrait en 2007. Le Nom de Dieu transmis par Moïse assure une relation
personnelle entre Dieu et son peuple. La prière des hommes sanctifie le
Nom de Dieu, c’est-à-dire qu’elle le fait connaître comme saint. Le Nom de
Dieu habite dans son Temple afin d’assurer une présence réelle à ceux qui
s’y rendent.
LIVRE DES NOMBRES

Le peuple passa la nuit à pleurer… Pourquoi le Seigneur


nous mène-t-il dans ce désert ? Nommons un chef et
retournons en Égypte.
Nb 13 et 14

La mer Rouge traversée, Israël est dans le désert, confronté à la faim et à la


soif. Le don de la manne, des cailles, leur montre que Dieu ne les
abandonne pas mais qu’il faut avancer. Aussi Moïse envoie-t-il des
éclaireurs pour découvrir le pays de Canaan. Quand ils reviennent de leur
exploration, ils rapportent que ce pays est ruisselant de lait et de miel, mais
que ses habitants sont très puissants et leurs villes de véritables forteresses.
Au cours de leur rapport, ils font peur aux enfants d’Israël en expliquant
que ce pays dévore ses habitants et que tous les gens qu’ils ont vus sont des
géants ; par conséquent, eux, les enfants d’Israël, ne sont pas plus grands
que des sauterelles à côté d’eux. Ils se mettent à décrier le pays, à en dire du
mal gratuitement, et du coup à faire monter la pression pour augmenter la
peur. Aussi le peuple d’Israël, entendant leur récit, est terrorisé et passe la
nuit à pleurer et à regretter l’Égypte, même s’il y était esclave. Les enfants
d’Israël, voulant se nommer un chef et faire marche arrière, se révoltent
alors contre Moïse.
Cet incident, et ce n’est pas le seul avant l’entrée en Terre promise, montre
comment une série de mensonges entraîne la révolte contre Moïse et, au-
delà de Moïse, contre Dieu. Que révèle cette rumeur ? C’est le refus du
projet de Dieu, qui veut libérer l’homme de toutes ses prisons intérieures, et
la révolte contre lui, qui entraîne le plus grand nombre possible : la rumeur
entraîne la victoire du mal.
DEUTÉRONOME

Quand Dieu le Très-Haut donna aux nations leur héritage,


quand il répartit les fils d’homme, il fixa leurs limites
suivant le nombre des fils d’Israël, mais le lot du Seigneur,
ce fut son peuple, Jacob fut sa part d’héritage.
Dt 32, 8-9

Au milieu des nations, Dieu a choisi son peuple bien-aimé. Moïse, dans son
dernier grand discours, fait appel à la mémoire d’Israël et demande à
chacun d’interroger son père et de remonter de génération en génération
pour se souvenir de ce choix que Dieu a fait. Loin d’être un privilège,
l’élection est une mission, dans la mesure où Israël se doit d’être saint
comme le Seigneur est saint. De quelles qualités Israël pourrait-il se
prévaloir, lui qui était le moindre de tous les peuples ? Aucune, mais si le
Seigneur est intervenu pour lui en le rachetant de la maison de servitude,
c’est que Dieu aimait Israël (Dt 7, 7). Ce choix appelle une réponse : un
amour pour Dieu qui sera témoignage au milieu des autres nations. Au plan
du langage, le Deutéronome apporte une notion nouvelle, qui n’avait pas
encore été formulée aussi explicitement : aimer Dieu. C’est donc un appel à
la responsabilité de chaque personne, « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de
tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir », que le livre du
Lévitique complètera par : « C’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme
toi-même » (Lv 19, 18). Jésus citera ce double commandement à un scribe
venu l’interroger (Mc 12, 29).
L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole
qui sort de la bouche de Dieu.
Dt 8

Le principal enseignement de la marche au désert est donc que « l’homme


ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche de
Dieu ». Le premier sens du mot pain est évidemment le plus immédiat, la
nourriture qui permet de vivre. Cela fait partie de notre dépendance selon
l’ordre de la nature. Il est indispensable, et son manque entraîne une
souffrance mortelle. Mais le pain dans la Bible signifie aussi la Parole que
Dieu adresse à son peuple et qui assure également, en un sens spirituel, la
vie de l’homme. Il s’agit aussi bien de la Loi qui organise les relations
justes avec Dieu que de la Promesse grâce à laquelle Israël progresse en
maturité. Le rapprochement entre pain et parole permet de comprendre
comment cette dernière entre en nous. Loin d’entrer par une oreille et de
ressortir par l’autre, elle pénètre en profondeur et devient une part de nous-
même, comme toute nourriture convenablement absorbée. Entendre la
parole de Dieu aboutit donc à se l’approprier. Cette croissance dans l’ordre
de l’Esprit est aussi vitale que celle de l’ordre de la chair. Ce dernier, qui a
son importance indéniable, n’est pas suffisant ! La vie de l’homme ne se
mesure pas à l’ordre du matériel ou du comptable, source à la fois
d’idolâtrie et de rétrécissement de notre condition. Il faut apprendre à
accepter l’inachèvement de notre vie charnelle et à se rendre disponible à
un surcroît de vie dont Dieu est le garant fidèle.
Écoute Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur,
tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout
ton être et de toute ta force. Les paroles de ce
commandement que je te donne aujourd’hui seront
présentes à ton cœur pour que tu les répètes à tes fils.
Dt 6, 4-7

Écoute Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur, tu aimeras le


Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta force. Les
paroles de ce commandement que je te donne aujourd’hui seront présentes à
ton cœur pour que tu les répètes à tes fils. Extraordinaire profession de foi
qui a traversé des siècles et des siècles pour pouvoir s’adresser à nous
aujourd’hui. Ces paroles qui s’adressent à nous maintenant ont été répétées
de génération en génération pour nous permettre d’adhérer à cet acte de foi
dans le Dieu unique. Fantastique révélation dans laquelle le Dieu d’Israël se
fait connaître comme le Dieu unique dans un monde qui, à l’époque,
regorgeait de divinités païennes et d’idoles en tout genre. Comme nous : ne
sommes-nous pas dans un monde peuplé d’idoles, évidemment pas les
mêmes que celles de l’Antiquité, mais ces idoles, de nos jours, est-ce qu’on
ne leur rend pas aussi un culte ? Et voilà que cette phrase du Deutéronome
(6,4) est là pour nous appeler à une profession de foi si importante afin que
nous puissions à notre tour la transmettre à nos enfants. Dire cette prière,
c’est rejoindre la prière de Jésus qui aura prononcé tant de fois ces mots,
comme tout Juif pieux : c’est aujourd’hui que Dieu me fait la grâce de me
révéler qui il est pour qu’à mon tour je prononce ma profession de foi.
Garde-toi de te laisser prendre au piège en imitant les
nations païennes et garde-toi de chercher leurs dieux en
disant : comment ces nations servaient leurs divinités pour
que j’agisse à leur manière moi aussi.
Dt 12, 30

Le piège n’est pas seulement un terme qui concerne les chasseurs. Le


propre du piège, c’est d’être invisible, insidieux, pour faire tomber ses
victimes par surprise, sans qu’elles se soient méfiées. Les pièges spirituels
sont de la même nature : ils se dressent sur les chemins d’Israël et peuvent
même prendre le visage de la raison juste et nécessaire. Ainsi Dieu avait-il
mis en garde son peuple au moment de l’entrée en Terre promise et lui avait
demandé de ne pas adorer d’autres dieux, mais la situation politique faisait
qu’il était nécessaire pour la survie d’Israël de rechercher des alliances.
Géographiquement, Israël se trouvait entre l’Égypte toute-puissante à
l’Ouest et l’Assyrie puis la Babylonie à l’Est. Comment un petit État
pouvait-il résister à ces superpuissances qui ne cherchaient qu’à
s’agrandir ? Des alliances étaient donc nécessaires, mais une alliance
supposait aussi d’adopter les divinités des nations étrangères dont on
recherchait l’aide. Comment alors rester fidèle au Dieu unique qui avait
aimé, choisi et élu Israël parmi tous les peuples de la terre ?
Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la
mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui
d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de
garder ses commandements, ses lois et ses coutumes…
Dt 30, 15-16

Dieu met Israël devant un choix, la vie et le bonheur ou la mort et le


malheur, la bénédiction ou la malédiction. Bien sûr, tous voudront choisir la
vie et le bonheur, alors Dieu leur explique comment assumer ce choix : « Tu
choisiras la vie, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en
écoutant sa voix et en t’attachant à lui » (Dt 30, 19-20). Aimer, écouter,
s’attacher au Seigneur, cela signifie respecter les clauses de l’alliance qui
engage de manière réciproque Dieu et Israël. En théorie, le choix est clair,
mais la réalité l’est beaucoup moins. C’est cela, le drame d’Israël.
Comment assumer une relation qui demande une fidélité constante alors
que les tentations d’idolâtrie se multiplient sur son chemin ? Pour cela, il
faut puiser sa force dans le souvenir de ce que Dieu a fait pour Israël. Le
souvenir est un acte de foi et d’espérance, car il porte sur les hauts faits de
Dieu, qui appellent à tout moment la réponse de l’homme.
PROPHÈTES

Les hommes voient ce qui leur saute aux yeux mais le


Seigneur voit le cœur.
1 S 16, 7

Sur l’ordre de Dieu, Samuel doit aller chez Jessé, qui habite à Bethléem,
pour choisir un roi parmi ses fils. Tous les enfants de Jessé avaient belle
apparence et beaucoup d’allure, parce qu’ils étaient grands. Aussi Samuel
pensa-t-il tout de suite que le roi qui convenait à Dieu se trouvait parmi eux.
Mais Dieu avait promis à Samuel de lui faire savoir celui qu’il voulait
comme roi. Tous les fils défilent devant Samuel et Dieu ne dit toujours rien.
Alors Samuel demande si Jessé n’a pas d’autre garçon, et ce dernier répond
qu’il y a bien encore un fils plus jeune, qui est occupé à faire paître le
troupeau. On va le chercher et le Seigneur dit à Samuel de lui donner
l’onction afin de le consacrer roi d’Israël. Cette citation est devenue un
précepte de sagesse ordinaire qui veut que l’on ne juge pas sur l’apparence.
Mais il ne faut pas s’arrêter là : Dieu, lui, sait lire dans les cœurs, et c’est
pourquoi il condamne toute forme d’hypocrisie. On ne peut habiller son
cœur de bons sentiments tout en méditant de faire le mal.
Toute la terre saura qu’il y a un Dieu en Israël.
1 S 17,46

Le Nom de Dieu est un mémorial de son action. La prononciation de son


nom engage sa promesse qui est de sauver : Dieu est celui qui sauve de
toutes les tentatives d’anéantissement de son peuple Israël. Nous avons un
bel exemple de son action avec David face à Goliath. Goliath, qui a
l’avantage d’être très grand et donc de dominer, porte l’équipement le plus
perfectionné qui soit : un casque de bronze, une cuirasse, un javelot de
bronze. David, lui, n’a que cinq pierres bien lisses et sa fronde. Il s’avance
ainsi contre le Philistin. Le récit montre comment David, armé au nom du
Seigneur, comme il le dit lui-même, l’emporte sur le Philistin bardé de
bronze et d’orgueil. Le géant philistin méprise le petit pâtre qui vient
l’affronter armé de sa seule fronde, et promet de donner sa chair à manger
aux oiseaux des champs. Mais David relève le défi et, prophétisant sa
victoire, il retourne la situation : c’est lui qui donnera à manger aux oiseaux
des champs la chair du Philistin, et à ce moment-là, toute la terre saura qu’il
y a un Dieu en Israël. La victoire de David signifie plus qu’une simple
victoire : il s’agit de faire connaître aux peuples païens que Dieu a fait
alliance avec Israël et qu’à ce titre, il ne laissera pas périr son peuple. Tous
ceux qui assistent à ce combat sauront que ce n’est pas par l’épée ni la lance
que le Seigneur donne la victoire, mais bien par son Nom très saint. Tout au
long de l’histoire d’Israël, il suscitera des bergers qui auront soin de son
troupeau et veilleront à ne pas le laisser devenir la proie des bêtes sauvages
(Ez 34).
Le loup habitera avec l’agneau…
Is 11, 6-9

Après avoir annoncé que naîtrait au sein de la famille de Jessé un enfant sur
lequel reposerait l’esprit du Seigneur, Isaïe décrit le paradis : les bêtes
féroces vivront ensemble sans se dévorer les unes les autres. Le léopard
n’attaquera pas le chevreau, le veau et le lionceau paîtront dans les mêmes
pâturages et, comble de l’étonnement, le lion se nourrira de foin comme le
bœuf ! L’enfant n’aura plus besoin de faire attention aux serpents qui se
faufilent dans le sable du désert… S’arrêter là serait faire une description à
la Walt Disney, où Bambi ne serait plus jamais en danger et où le roi Lion
règnerait en souverain débonnaire sans craindre la férocité des hyènes
hargneuses. La clé du texte se trouve dans le verset 9 : « Il ne se fera ni mal
ni destruction sur toute ma montagne sainte car le pays sera rempli de la
connaissance du Seigneur comme la mer recouvre le fond des mers. » Mais
qu’est-ce que la connaissance de Dieu ? Dans le langage biblique, le mot
« connaissance » signifie la communion avec celui qui est en face de moi.
Ce n’est pas seulement une compréhension mutuelle ou une sympathie
réciproque, c’est l’acceptation pleine et entière de l’être qui se manifeste à
moi. Justement, ici, il s’agit du Messie, c’est-à-dire du fils que Dieu va
envoyer parmi les hommes pour que ceux-ci puissent se reconnaître en lui.
Alors les hommes, remplis de la connaissance de Dieu, deviendront
capables de débusquer le mensonge, le serpent du jardin de la Genèse, et à
partir de ce moment-là, quand leurs cœurs deviendront transparents les uns
aux autres, la paix pourra effectivement s’établir sur la terre.
Que je chante pour mon ami le chant du bien-aimé et de sa
vigne…
Is 5, 1

Pour récolter de bonnes vendanges et produire de bons vins, il faut d’abord


une belle vigne et un beau cépage. Dans la Bible, le peuple d’Israël est
souvent comparé à une vigne florissante parce que, dans la vie quotidienne
d’un peuple méditerranéen, la vigne est une amie de chaque jour, et un
vigneron soigne sa vigne toute l’année. Il se passe la même chose avec
Dieu : c’est lui qui est le vigneron, il a planté sa vigne avec soin. La vigne,
c’est même sa fiancée et, comme le dit le prophète Isaïe (5, 1-2), Dieu a
choisi de beaux coteaux ensoleillés, autrement dit la Terre promise, pour la
planter. Il a préparé la terre comme tout bon vigneron enlevant les pierres et
retournant la terre. Il en attendait de belles grappes mûrissantes et dorées au
soleil. Il en attendait de beaux raisins, et il n’en récolta que de mauvais, des
raisins acides qui piquent les lèvres et la langue, des grappes pourries et
immangeables. Pourquoi une si vilaine récolte ? Le prophète développe la
comparaison entre le peuple d’Israël et la vigne en expliquant que, de cette
vigne bien-aimée, Dieu attendait la pratique du droit, la pratique de la
justice, la pratique de la sainteté. La Terre promise n’avait-elle pas été
donnée pour devenir ce paradis de bonté où chacun serait respecté et aimé ?
Mais l’homme a refusé la rencontre avec Dieu, préférant ses idoles et le
bonheur qu’il se fabrique à lui-même.
Nous voulons un roi comme les autres nations.
1 S 8, 6

Tous les peuples souhaitent un roi qui serait un homme les faisant rêver,
beau, intelligent, bienveillant, déjouant tous les obstacles d’un coup de
baguette magique, bref, un personnage mythique sur lequel les hommes
projettent tous leurs désirs de bonheur. Cette tentation, le peuple d’Israël la
connaît. Ils viennent trouver le vieux prophète Samuel qui les guidait au
nom de Dieu pour lui dire : Nous voulons un roi comme les autres nations.
Cette demande ayant pour caractéristique d’être « comme les autres
nations » revient comme un leitmotiv. Tout le problème est là, car il faut
préciser que ces rois des autres nations se faisaient adorer comme des dieux.
Or, Israël n’est pas comme les autres nations, puisque Dieu l’a choisi, aimé,
sauvé, et que son roi, c’est Dieu en personne. Un roi choisi parmi les
hommes d’Israël pour être comme les autres… Voilà l’ambition d’Israël,
alors que sa vocation est de ne pas être comme les autres. Samuel les met en
garde, mais il n’y a rien à faire, ils veulent un roi pour être comme les
autres nations et, de guerre lasse, le Seigneur dit à Samuel : Écoute leur
voix et donne-leur un roi… C’est le début de toute une histoire avec,
comme dans toute histoire humaine, des bons et des mauvais rois.
Donne à ton serviteur un cœur qui écoute, qui soit capable
de gouverner ton peuple et qui sache discerner le bien du
mal.
1R3

Des rois, il y en a des bons et des mauvais : c’est tout le déroulement de


l’histoire d’Israël, une histoire humaine comme celle de tous les royaumes,
sinon, ce serait le royaume de l’utopie et du rêve. Or, Dieu est vérité, et on
ne fait pas semblant avec Lui, car Lui seul est capable de percer les secrets
cachés dans les reins et les cœurs. Mais, au début de l’histoire d’Israël, alors
que le règne de Saül se termine mal, David et Salomon apparaissent comme
des rois exemplaires. Après de multiples intrigues, Salomon devient roi et le
Seigneur lui apparaît la nuit en rêve pour lui dire : « Demande ! Que puis-je
te donner ? » (1 R 3, 5). Tous, nous rêverions d’une telle proposition, et
Salomon répond : « Donne à ton serviteur un cœur qui écoute, qui soit
capable de gouverner ton peuple et qui sache discerner le bien du mal. »
Voilà la prière de Salomon que l’on peut résumer en deux mots : écouter et
discerner. Vous me direz que cela ne nous concerne pas directement, mais à
la tête de nos familles, ne sommes-nous pas à la tête d’un petit royaume où
nos sujets sont souvent en rébellion ? Aussi est-ce indispensable de faire à
Dieu la même demande que celle de Salomon, un cœur capable d’écouter
pour devancer les besoins, les attentes et les espoirs de ceux qui nous
entourent. Mais il nous faut aussi un cœur capable de communiquer, pour
aider les habitants de notre royaume à essayer de comprendre ce que Dieu
attend et espère de nous.
J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui
enverrai-je ? Qui donc ira pour nous ? » et je dis : « Me
voici : envoie-moi. »
Is 6, 8

Le prophète Isaïe est gratifié d’une vision extraordinaire où il voit le


Seigneur assis sur un trône très élevé entouré de séraphins, des anges munis
de six ailes qui chantent « Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu tout-
puissant », paroles que nous faisons nôtres à chaque messe. Isaïe, à
l’occasion de cette vision, prend conscience de ce qu’il est : un homme aux
lèvres impures. Mais un ange purifie ses lèvres en les touchant, comme plus
tard Jésus purifiera le lépreux en le touchant. À partir du moment où Isaïe a
été purifié, il entend la voix du Seigneur qui demande : « Qui enverrai-
je ? » Ce détail du récit de la vocation d’Isaïe nous renvoie à notre
condition. Comment pouvons-nous entendre l’appel de Dieu si notre cœur
est encombré de désirs contradictoires, si nos oreilles ne sont capables
d’entendre que les paroles flatteuses qu’elles aiment ? De même, nous
savons que ceux qui ont été purifiés par Jésus, guéris par lui, sont devenus
capables de marcher à sa suite. C’est à cela que sert la pénitence : quitter le
bruit foisonnant, apprendre le silence pour redevenir capables de répondre à
l’appel du Seigneur. Alors, de tout cœur, la nuit de Pâques, les
catéchumènes répondent à l’appel de leur nom pour recevoir le baptême :
me voici, Seigneur, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté.
Me voici.
1S3

C’est un bel exemple de vocation : le petit Samuel est appelé par le


Seigneur pendant la nuit (1 S 3). Samuel entend un appel et il répond
aussitôt : « Me voici. » Mais qui l’avait appelé ? Il pensa que c’était le
vieux prêtre auquel il avait été confié et il courut vers lui disant : « Me voici
puisque tu m’as appelé », mais celui-ci lui dit : « Retourne te coucher, je ne
t’ai pas appelé. » Et le Seigneur recommence, et Samuel pense à chaque
fois que c’est le vieux prêtre. Ce dialogue se répète trois fois : le Seigneur
appelle Samuel, qui répond sans se lasser « Me voici » et se précipite auprès
du vieux prêtre. La réaction de Samuel est tout à fait normale, car la Parole
du Seigneur ne lui avait pas encore été révélée. C’est le vieux prêtre qui
comprend, la troisième fois, que c’est le Seigneur qui appelle Samuel, et
ceci est très éclairant pour nous. Le Seigneur nous appelle, mais encore
faut-il qu’il y ait quelqu’un pour nous aider à comprendre, à décrypter
l’appel du Seigneur. C’est en cela que nous nous rendons compte de la
vérité, de l’authenticité de l’appel du Seigneur. D’où la nécessité du
dialogue avec un intermédiaire entre Dieu et nous, ce que l’on appelle un
père spirituel. Ce récit très ancien est précieux parce qu’il montre que nous
ne pouvons pas décrypter seuls l’appel de Dieu. Seuls, c’est risquer de
prendre ses illusions pour l’appel de Dieu.
Matin après matin, il me fait dresser l’oreille pour que
j’écoute comme les disciples ; le Seigneur Dieu m’a ouvert
l’oreille et moi je ne me suis pas rebellé, je ne me suis pas
dérobé.
Is 50, 4

Dieu nous fait dresser l’oreille pour que nous soyons attentifs, et ensuite, il
nous ouvre l’oreille pour que nous comprenions sa parole. Il s’agit, dans ce
texte du prophète Isaïe, du portrait d’un serviteur qui va accepter sa
mission, mais une mission héroïque qui ne sera pas reçue. En effet, ce
serviteur sera persécuté, exactement comme Jésus quand il entrera à
Jérusalem. Ce serviteur, qui ne protège pas son visage des outrages et des
crachats, évoque le temps des outrages au cours duquel Jésus endurera la
flagellation avant de monter au Calvaire. Dresser l’oreille et ouvrir notre
oreille : il y a deux étapes, la première consiste à entendre et la seconde à
comprendre. Comprendre quoi ? Ce que Dieu demande. C’est lui, lors, qui
ouvre notre oreille. Cette image est destinée à nous faire comprendre que
c’est lui qui nous guérit de notre surdité spirituelle, laquelle fait que nous ne
savons pas ce qu’il attend de nous. On remarquera qu’il faut quelque fois
beaucoup de temps pour devenir capable d’entendre la parole de Dieu, et le
texte d’Isaïe dit bien : matin après matin. Dieu agit comme un pédagogue
patient qui n’hésite pas à répéter à nos oreilles indisciplinées ce qu’il veut
pour notre bonheur.
Si le Seigneur est Dieu, suivez-le ; si c’est Baal, suivez-le.
1 R 18, 21

Ces paroles provocantes sont prononcées par le prophète Élie à un moment


où Israël est une fois de plus tenté par le culte des idoles. Or, Dieu a
demandé à son peuple de ne pas avoir d’autre Dieu que lui (Ex 20, 2). Le
peuple avait pris l’habitude d’offrir aussi des sacrifices aux dieux païens,
pensant se concilier ainsi les divinités de la nature qui leur accorderaient
pluie et fertilité pour de bonnes récoltes. Alors que le peuple s’inquiétait
devant la sécheresse et une famine qui en aurait été la conséquence, Élie
convoque les prophètes de Baal au mont Carmel. Fort de sa foi, il va
organiser l’épreuve de vérité. On prépare deux bûchers pour offrir
successivement deux taureaux, l’un à Baal, l’autre au Dieu d’Israël. Les
adeptes du premier, parce qu’ils sont les plus nombreux, commencent, mais
Baal ne répond pas. Criez plus fort, recommande Élie aux prophètes païens
en se moquant d’eux. Ils ont beau se taillader les veines et être ruisselants
de sang, il n’y a ni voix, ni réaction, ni personne. Élie commence alors par
reconstruire l’autel du Seigneur qui avait été détruit par les partisans des
idoles, puis, à l’heure de l’offrande, il invoque le Seigneur : « Fais que l’on
sache aujourd’hui que c’est toi qui es Dieu en Israël et que je suis ton
serviteur et que c’est par ta parole que j’offre ce sacrifice. » Puis Élie
envoya sept fois de suite son serviteur guetter en direction de la mer jusqu’à
ce que celui-ci annonce qu’un petit nuage pas plus gros que le poing
s’élevait au-dessus de la mer. Dieu avait répondu, mais le cœur des hommes
s’était-il converti ?
Distribuez les pains aux gens et qu’ils mangent ! Ainsi,
parle le Seigneur : On mangera et il y aura des restes.
2 R 4, 43

Le prophète Élisée est confronté au drame qu’engendre une famine terrible


(2 R 4, 42-44). On ramassait des herbes sauvages et des concombres et on
faisait bouillir le tout, mais c’était immangeable, alors le prophète dit :
« Mettez de la farine dedans », et alors on put servir tout le monde et c’était
mangeable. Hélas, le bouillon ne nourrit pas, le pain est nécessaire, et voici
qu’un homme arrive auprès du prophète et lui offre vingt pains d’orge et du
blé nouveau. Élisée lui dit : « Distribue-le » exactement comme Jésus dira
aux apôtres de le faire pour toute la foule (Mt 15, 32-38). Détail
significatif : à chaque multiplication des pains, que ce soit celle faite par
Jésus au bord du lac de Tibériade ou celle faite par Élisée près du mont
Garizim, il y a des restes qui sont précieusement ramassés. Des restes ?
Quelle importance, dans une société habituée à l’abondance ? Justement,
c’est si important qu’en deux lignes, le mot est répété plusieurs fois. En
effet, ces restes veulent exprimer que la bonté de Dieu va bien au-delà de ce
que nous attendons. Ces restes sont tout simplement la preuve de la
générosité de Dieu, une générosité qu’on ne peut pas mesurer.
Nathan raconte à David la parabole suivante : « Il y avait
deux hommes dans une ville, l’un riche et l’autre pauvre. Le
riche avait beaucoup de moutons et de bœufs. Le pauvre
n’avait rien sauf une agnelle toute petite qu’il avait
achetée. Il la nourrissait et elle grandissait chez lui en
même temps que ses enfants. Elle mangeait de sa pitance et
buvait à même son bol, elle couchait dans ses bras et elle
était pour lui comme une fille. Un hôte arriva chez le riche
et celui-ci n’eut pas le cœur de prendre parmi son troupeau
une brebis pour apprêter le repas du voyageur qui était
arrivé. Il prit l’agnelle du pauvre et la fit rôtir pour
l’homme qui était arrivé chez lui. » David entra dans une
violente colère contre cet homme et il dit à Nathan : « Par
la vie du Seigneur, il mérite la mort, l’homme qui a fait
cela. Et de l’agnelle qu’il donne le quadruple en
compensation pour avoir ainsi manqué de cœur. » Nathan
dit à David : « Cet homme, c’est toi… »
2 S 12, 1-14

David reconnut qu’il avait péché en appelant auprès de lui Bethsabée qu’il
avait vue et regardée avec plaisir pendant qu’elle se baignait. Il s’était laissé
séduire par sa beauté. Or, cette femme était mariée à un officier de David,
mais celui-ci recommanda à son chef d’état-major Joab de placer Urie, le
mari de Bethsabée, en première ligne, afin qu’il soit tué dès le début de
l’engagement, ce qui se passa effectivement. Un adultère et un meurtre, tel
est le double péché de David. La tradition juive accorde une grande place
au repentir de David, qui a demandé pardon avec force larmes et lourde
pénitence. Quant à Bethsabée, elle fait partie des femmes qui entrent dans la
généalogie de Jésus, mais ici, Matthieu ne garde d’elle que la partie
vertueuse de sa vie, puisqu’il la nomme uniquement comme la femme
d’Urie (Mt 1, 6).
Quand Israël était jeune, je l’ai aimé et d’Égypte j’ai
appelé mon fils. Mais plus je les appelais, plus ils
s’écartaient de moi ; aux Baals ils sacrifiaient, aux idoles
ils brûlaient de l’encens.
Os 11, 1-2

Osée est le premier prophète à introduire le symbole de l’amour conjugal


pour décrire les relations entre Dieu et Israël. Qui dit amour conjugal dit
également famille et enfants : Dieu se présente ici comme le père, puisqu’il
appelle Israël mon fils. Il l’a appelé d’Égypte, c’est une allusion à la
libération des geôles de Pharaon et à la traversée de la mer Rouge pour
entrer en Terre promise. D’où l’immense déception de Dieu : plus il appelle
son peuple, désigné ici par le pronom ils au pluriel, marquant ainsi la
multiplicité des personnes qui le composent, plus ils se détournent de lui
pour adopter les dieux étrangers. Le prophète explicite la relation d’amour
qui existe entre Dieu et ses enfants lorsqu’il dit, un peu plus loin dans le
texte d’Osée, que c’est lui qui a appris à marcher à son fils en le tenant par
les bras mais qu’ils n’ont pas reconnu que c’était lui, Dieu en personne, qui
prenait soin d’eux. Au-delà d’une image affectueuse, il faut reconnaître que
Dieu a comblé son peuple de biens en lui donnant la Terre promise, une
terre ruisselante de lait et de miel. Mais, sans doute pour répondre à une
angoisse plus ou moins secrète, on essayait aussi de se protéger en
recherchant les bienfaits des dieux étrangers : après tout, ce serait trop bête
de les contrarier, peut-être sont-ils eux aussi efficaces ? C’est cela,
l’infidélité d’Israël, c’est cela, le péché d’Israël aux yeux de Dieu.
Je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis
saint.
Os 11,9

Dieu parle la langue des hommes et cherche à se faire comprendre en toute


occasion, si bien que de nombreuses imperfections naissent du langage
simple employé par les auteurs de la Bible. De nombreux
anthropomorphismes s’y trouvent, qui risquent de dégrader la
transcendance incompréhensible de Dieu. Comment dire en effet à la fois la
grandeur de Dieu et sa présence dans notre histoire ? « Quelle est la grande
nation qui ait des dieux aussi proches d’elle qu’est le Seigneur notre Dieu,
chaque fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation qui ait des
décrets aussi justes que toute cette loi que je place devant vous
aujourd’hui ? » (Dt 4,8).
Grande est la tentation de projeter sur Dieu les idées simplificatrices des
hommes. Le discours biblique n’étant pas une synthèse sur Dieu, les récits
se juxtaposent sans nécessairement faire le lien entre eux. Osée révèle un
autre aspect de la justice de Dieu, au-delà de ce que nous pouvons
concevoir : Dieu juste peut rendre juste en pardonnant, mieux encore, en
prenant sur lui notre péché. Alors que Dieu avait bouleversé Sodome, c’est
le cœur de Dieu qui est maintenant bouleversé ! Osée en reste à des
négations : « Je ne viendrai pas pour détruire » (11,9). Il faudra attendre
l’Évangile pour croire comment Dieu, en Jésus, vient enlever le péché du
monde en le prenant sur lui, montrant à la fois l’absurdité du péché, qui
punit l’innocent en le crucifiant, et la destruction du péché – et non plus du
pécheur – par un amour si grand des hommes qu’il les guérit de leur
infidélité.
De la plante des pieds à la tête, rien d’intact : vos
blessures, vos plaies, vos écorchures ne sont ni nettoyées ni
bandées, même pas adoucies avec de l’huile.
Is 1, 6

Dans la Bible, l’huile sert aussi à nettoyer les blessures, une image
tellement courante que le prophète Isaïe l’utilise pour décrire l’état moral
d’Israël. Les violences, les injustices sociales, les manquements à la Loi
font de la communauté des fils d’Israël un corps tout abîmé, un corps dont
les blessures qui n’ont pas été soignées vont se transformer en gangrène et
entraîner la mort. La comparaison est donc très violente et fait penser
immédiatement à ce voyageur qui avait été attaqué par des bandits et laissé
pour mort sur le bord de la route. Un Samaritain pris de pitié s’approcha de
lui et nettoya ses plaies en y versant de l’huile et du vin. Le vin désinfecte et
l’huile apaise. Le bon Samaritain mit le blessé sur son âne et le déposa à
l’auberge en demandant que l’on prenne soin de cet homme pour lequel il
paya d’avance avec deux pièces d’argent (Lc 11, 29-37). Celui qui soigne,
nettoie et bande les plaies, c’est Jésus qui verse sur les plaies de nos cœurs
déchirés l’huile de son amour.
Je te rappelle l’affection de ta jeunesse, l’amour de tes
fiançailles alors que tu marchais derrière moi au désert
dans une terre qui n’est pas ensemencée.
Jr 2, 2

Le prophète Jérémie parle lui aussi des sentiments de Dieu à l’égard de son
peuple. Jérémie reprend les mêmes expressions que le prophète Osée. Ce
temps du désert, une terre qui n’est pas ensemencée, est présenté comme un
souvenir heureux, alors que les révoltes contre Moïse ont été nombreuses.
Mais au temps de Jérémie, où le pays est en danger en raison des ambitions
de la Babylonie, les années pendant lesquelles les Hébreux sont sortis de la
prison égyptienne pour entrer en Terre promise apparaissent dans la
mémoire collective comme un moment béni, parce que Dieu s’était
manifesté. Aux jours d’angoisse, la mémoire permet de revivre par le
souvenir le temps où Dieu avait agi pour son peuple, ce que Jérémie traduit
en termes d’affection conjugale pour Jérusalem. Superposant en une même
identité celle de Jérusalem, celle des Hébreux du désert et toute la
population d’Israël, Jérémie crée une image féminine qui regroupe une
multitude de libertés individuelles. Voilà qui est paradoxal, car cette
fiancée, c’est Israël, c’est tout le peuple dans sa totalité. Jérémie insiste sur
l’obstination de Dieu qui veut parler à son cœur. Au nom de cet amour, le
prophète rappelle les bienfaits de Dieu et demande les raisons de ce refus
constant d’écouter la parole de Dieu. Toutes les comparaisons sont bonnes
pour exprimer l’inexprimable amour de Dieu envers son peuple, y compris
celles de la vie quotidienne : « En quoi vos pères m’ont-ils trouvé en
défaut ? Pourquoi ont-ils creusé des citernes qui se sont lézardées et qui ne
retiennent pas l’eau alors que je suis pour eux la source d’eau vive ? » (Jr 2,
13).
Comment pouvez-vous dire : « Nous avons la sagesse car la
Loi du Seigneur est à notre disposition » ? Oui, mais elle
est devenue une loi de mensonge sous le burin menteur des
scribes.
Jr 8, 8

Cette observation est d’une extraordinaire actualité. Jérémie reproche à ses


compatriotes d’avoir détourné la Loi que Dieu a donnée en absolu à leur
profit. Il y a eu la révélation faite à Moïse, puis il y a eu les commentaires
des scribes qui ont joué les exégètes. Jérémie est très sévère parce qu’il
reproche à ces hommes qui servaient au Temple de Jérusalem d’avoir fait de
cette loi une loi de mensonge, et ce n’est pas pour rien que le mot
« mensonge » est employé deux fois de suite, sachant le poids qu’il a dans
le vocabulaire biblique. Les hommes ont voulu posséder la Loi, c’est-à-dire
s’en rendre les propriétaires et les maîtres. Les conséquences sont très
graves, car la Loi telle que Dieu l’avait proposée est bafouée. Sous couvert
de dicter la vérité, les scribes empêchent le peuple de distinguer le vrai du
faux, si bien qu’il vit dans le mensonge. Aussi ne faut-il pas s’étonner de
voir les notables exploiter le petit peuple tout en ayant bonne conscience
(14, 3). Certains deviennent gras et riches, reluisant du luxe de leurs
rapines, pendant que les pauvres, les orphelins et les veuves sont
abandonnés à leur sort, acculés au désespoir, victimes d’une société qui a
choisi l’argent pour idole au nom du mensonge.
Pouvez-vous donc commettre le vol, le meurtre, l’adultère,
prêter de faux serments, brûler des offrandes à Baal et
venir vous présenter dans cette maison sur laquelle mon
nom a été proclamé et dire : nous sommes sauvés ?
Jr 7, 9-10

Cette phrase illustre bien l’utilisation de la religion à des fins


superstitieuses. Dieu a donné sa Loi à Moïse, laquelle proposait à la fois
l’adoration du Dieu unique qui avait sauvé les Hébreux de la prison
égyptienne et une éthique de vie dans les rapports entre les hommes.
Jérémie démonte la fausse religion qui a existé quels que soient les siècles :
mener la vie que l’on a envie de mener sans s’occuper d’aucune règle
envers les autres, et en même temps accomplir des rites dans le but de se
rassurer soi-même. Jérémie dénonce cette hypocrisie avec des mots très
forts que Jésus reprendra lorsqu’il chassera les marchands du Temple :
« Cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, la prenez-vous pour
une caverne de bandits ? » (Mt 21, 13). Jérémie montre que le culte n’a
aucun sens s’il n’est pas accompagné d’une attitude morale. La substitution
du culte à la morale fait de tout l’appareil liturgique une énorme
supercherie.
Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien, recherchez
la justice, apprenez à faire le bien, recherchez le droit,
secourez la veuve et l’orphelin.
Is 1, 16-17

N’est-ce pas l’idéal de tout homme de bonne volonté ? Mais cela est-il à
notre portée ? Saint Paul résume bien cette impossibilité de l’homme d’être
bon naturellement quand il dit : « Le bien que je veux je ne le fais pas, mais
le mal que je ne veux pas je le fais » (Rm 7, 19). Toute la prédication des
prophètes, en particulier Isaïe, Jérémie et Ézéchiel, est de dire que ce rêve
de bonté est impossible à l’homme par sa seule force, sa seule volonté, son
seul désir de bien faire. Cette transformation du cœur de l’homme, Dieu
seul propose de l’accorder. Comment ? En donnant à l’homme un cœur
nouveau. Il s’agit donc d’une recréation, mais on tombe éternellement sur le
même problème : comment concilier la liberté de l’homme et la sainteté que
Dieu lui propose ?
Ces idoles sont comme un épouvantail dans un champ de
concombres ; elles ne parlent pas, il faut bien les porter car
elles ne peuvent marcher. N’en ayez aucune crainte, elles ne
sont pas nuisibles mais elles ne peuvent pas davantage vous
être utiles. Comme toi, Seigneur, il n’y a personne !
Jr 10, 5-6

Au-delà des idoles dans un champ de concombres qui appartiennent à un


temps révolu, de tout temps de nouveaux dieux habitent le cœur de
l’homme. Ce sont des idoles insaisissables aux conséquences matérielles
multiples. Elles ont pour nom Argent, Luxe, Pouvoir. Mais il y a aussi des
idoles spirituelles, ce sont celles que l’on se fabrique en s’appropriant Dieu
et sa révélation pour en faire sa religion personnelle qui permet de choisir
ici et là ce qui nous plaît et de rejeter ce qui nous paraît trop contraignant.
La grande tentation est de se forger une idée de Dieu qui convienne à la
liberté capricieuse de chacun. Pour se dépouiller de ses idoles, il faut payer
le prix d’un long exode où l’on abandonne ses illusions. Être capable
d’affirmer que Dieu est le seul, l’unique, comme le dit le prophète,
demande un grand dépouillement, une dépossession de soi et une
conversion du cœur : un séjour dans un désert spirituel pour y chercher
Dieu.
Moi je me souviendrai de mon alliance avec toi aux jours
de ta jeunesse : j’établirai avec toi une alliance éternelle.
Ez 16, 60

Cette promesse arrive en conclusion d’un chapitre où Ézéchiel décrit le


sauvetage par Dieu lui-même d’une enfant abandonnée, seule dans un
champ, sans que nul n’ait pris en pitié ce nouveau-né. Alors Dieu lui dit :
« Vis. » Cette petite fille représente Jérusalem ; il y a une magnifique
description des soins que Dieu donne à ce petit être qui, à sa naissance, n’a
été ni lavé, ni frotté de sel, ni enveloppé de langes. Dieu va veiller à
l’éducation de l’adolescente et lui donner vêtements, bijoux et parfums. Il
anticipe tous les souhaits que la jeune fille pourrait exprimer en lui offrant
ce qu’il y a de plus beau et de plus luxueux. Il la nourrit de froment et de
miel, et le renom de sa beauté se répand parmi les nations. Devenue grande,
la jeune fille déclare que tous ces présents somptueux sont à elle, et s’en
sert pour se prostituer auprès des idoles. Par le biais de l’allégorie, le
prophète dresse un violent réquisitoire. Honorée et chérie, Jérusalem
méprise celui qui l’aime en vérité : elle utilise tout ce qu’elle a reçu de lui
pour séduire les étrangers. Son péché, c’est de confondre la foi et la
mythologie, le don révélé par le Seigneur et les cultes idolâtres surgis de
l’imaginaire des hommes.
Des jours viennent… je mettrai ma Loi au milieu d’eux et je
l’écrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu et eux seront mon
peuple… Ils me connaîtront tous, petits et grands. Je
pardonne leur crime, leur faute je n’en parle plus.
Jr 31, 33

La Loi sera inscrite dans le plus intime de l’homme. Le cœur au sens


biblique est le lieu non pas des sentiments, mais de la volonté et de la prise
décision. Le cœur reçoit donc une capacité nouvelle qui doit permettre à
chacun de savoir comment servir Dieu. En effet, la connaissance est
donnée, une connaissance qui permet une communion intime avec le
Seigneur. Mais il est évident que cela relève du rêve si Dieu n’intervient pas
d’abord. Jérémie avait bien dit que la blessure du péché était incurable et
que la plaie en était inguérissable. Il faut donc que Dieu fasse quelque
chose, car l’homme ne peut pas guérir lui-même du mal qui est en lui.
L’intervention de Dieu, c’est son pardon, car Israël s’était conduit de
manière idolâtre et avait en cela été infidèle à la première Loi, désobéissant
à ce commandement : « Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi, tu ne te
feras pas d’idole » (Ex 20, 2). Cet oracle de Jérémie répond de manière
positive au pessimisme anthropologique qui se dégage de la lecture des
oracles, dans lesquels le prophète insiste sur le cœur dévoyé de l’homme.
Le roi était assis au salon d’hiver et le feu d’un brasero
brûlait devant lui. Chaque fois que son secrétaire avait, lui,
trois ou quatre colonnes, le roi les découpait avec un canif
de scribe et les jetait au feu du brasero, si bien que tout le
rouleau finit par disparaître dans le feu.
Jr 36, 22

La destruction du rouleau sur lequel Jérémie avait écrit la parole de Dieu


illustre bien le refus du roi d’écouter cette parole, qui invitait chacun à se
convertir en renonçant à une conduite infidèle afin d’être pardonné. Le roi
lacère le rouleau de papyrus et en jette les lambeaux au feu, une manière de
célébrer à sa façon la victoire de l’homme sur Dieu. Ce passage est d’autant
plus important qu’il fait surgir à la mémoire l’épisode au cours duquel,
quelques années plus tôt, le roi Josias se fit faire la lecture d’un rouleau qui
avait été découvert dans le Temple à l’occasion de travaux. Josias, en
entendant les paroles contenues dans le rouleau de la Loi, déchira ses
vêtements, conscient que la fureur du Seigneur était grande devant le péché
de son peuple. À la suite de la découverte de ce rouleau, le roi Josias prit la
décision de faire disparaître tous les lieux où était célébré le culte des
idoles, il balaya également les nécromanciens, les devins, tous ceux qui
servaient les idoles. Deux figures royales s’opposent ainsi autour d’un
rouleau sur lequel sont consignées les paroles de Dieu. L’un est le symbole
de l’orgueil humain plus fort que Dieu : il réduit sa parole en cendres.
L’autre revint au Seigneur de tout son cœur, de tout son être et de toute sa
force, entraînant son peuple dans un même élan de repentance (2 R 23, 25).
Cependant Seigneur notre Père c’est toi ; c’est nous l’argile
et c’est toi qui nous façonnes, nous sommes l’ouvrage de ta
main.
Is 64, 7

Un petit reste de fidèles avait décidé de quitter la Babylonie pour revenir en


Israël, sa Terre promise. Ces mots sont prononcés au retour d’exil au
moment où Israël est confronté à des difficultés auxquelles il ne s’attendait
pas. C’est une belle prière de supplication. Israël invoque Dieu en utilisant
cet argument qu’un père ne peut pas abandonner ses enfants. Israël
commence par avouer et reconnaître son manque de foi, puis il supplie Dieu
qui est Père de pardonner ses enfants et de leur manifester son amour. Plus
précisément, Israël demande à Dieu de leur ouvrir les yeux pour pouvoir
reconnaître et identifier les marques de son amour. Oui, bien sûr, dit le petit
reste encore fidèle, dans cette prière, nous avons été loin de ta parole, de ta
volonté, mais puisque tu es notre Père, comment nous abandonnerais-tu ?
C’est toi Seigneur qui es notre Père. « Nous sommes l’ouvrage de ta
main », belle affirmation de foi que reprend le psaume qui disait : « Tes
mains m’ont fait, tu m’as pensé, tu m’as créé, tu m’as voulu » (Ps 119, 73).
Du coup, ce mot de « père », rarement employé dans l’Ancien Testament
pour désigner Dieu dans son rapport à Israël, n’en a que plus de valeur,
comme si Israël voulait rappeler à Dieu la responsabilité qu’il porte en
l’ayant créé et choisi pour être le peuple de l’Alliance.
Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un
esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et
je vous donnerai un cœur de chair.
Ez 36, 26

Il s’agit d’une nouvelle création de l’homme. Dieu veut, à travers le peuple


qu’il a choisi, montrer aux yeux des nations sa sainteté. Pour cela, il
purifiera ces hommes pleins de péchés en faisant sur eux une aspersion
d’eau pure pour nettoyer leur cœur qui s’est tourné vers les idoles païennes.
Dieu donne une nouvelle chance à son peuple au moment où il va revenir
d’exil. Que fait Dieu en donnant un cœur de chair ? Il donne aux hommes
un cœur capable de compatir aux souffrances des uns et des autres, un cœur
qui est, comme le sien, sans cesse miséricordieux. Sous une autre forme,
c’est de nouveau un appel à la sainteté, à la bienveillance, à la charité les
uns envers les autres. Israël, qui est destiné à être un peuple saint au milieu
des nations pour témoigner en tant que peuple de l’Alliance, ne peut le faire
seul. Tous les hommes savent bien qu’ils sont habités de ressentiments, de
convoitises, de mensonge, et que ce n’est pas à force de bonnes résolutions
ou de bonne volonté qu’ils domineront leurs pulsions mauvaises. C’est
pourquoi Dieu leur promet de leur donner un cœur différent, capable
d’aimer, de pardonner sans cesse, un cœur divin. Jésus sera l’image de ce
cœur de chair.
LIVRE DES PROVERBES

Qui sème le vent récolte la tempête, le fou deviendra


esclave du sage.
Pr 11, 29

La première proposition de ce verset fait partie des dictons que la sagesse


populaire a adoptés. Dans le même sens, on répète volontiers qu’il ne faut
pas mettre de l’huile sur le feu. Le fou, c’est-à-dire l’inconscient, celui qui
ne sait pas mesurer son action, qui ne réfléchit pas en pesant le pour et le
contre, devient l’esclave du sage. Le sage représente ici l’homme réfléchi,
celui qui prévoit et calcule ses affaires, si bien qu’il est synonyme de riche
et de puissant. On voit bien la métaphore : celui qui suit son emballement et
qui n’est plus capable de refréner ses ardeurs devient esclave. On pourrait
parfaitement adapter la seconde partie de ce proverbe à ceux qui sont addict
de l’argent et qui jouent en Bourse jusqu’à l’écroulement de leurs
spéculations, ou bien ceux qui sont prisonniers de la drogue et en viennent à
mourir. Au-delà, on voit aussi à travers ces quelques mots comment le sage
ou le puissant et le riche peuvent réduire en esclavage ceux qui s’endettent
et deviennent dépendants de leur bonne volonté.
Paume indolente appauvrit, main diligente enrichit. Qui
recueille en été est un homme avisé, qui dort à la moisson
est méprisable.
Pr 10, 4-5

Le livre des Proverbes offre une belle collection de petites morales que l’on
s’attendrait à lire en conclusion de fables. C’est un appel au bon sens
élémentaire qui habite les hommes de bonne volonté et que nulle sagesse
populaire ne saurait renier. La main qui refuse de travailler parce qu’elle est
engourdie par la paresse laissera un champ en mauvais état, tandis qu’un
laboureur courageux creusera sans relâche des sillons pour aérer sa terre,
quitte à avoir des mains calleuses et abîmées à force d’efforts. La Fontaine a
magnifiquement illustré ce trésor caché dans le champ qui se révélera à
force de labours ! Au-delà, c’est évidemment l’éloge du travail qui enrichit
la Création confiée aux bons soins de l’homme. De même, celui qui dort
sous la chaleur de l’été et néglige sa moisson est un homme qui refuse
d’accueillir le don de Dieu en laissant sa récolte pourrir sur place. Ce
paresseux ne participera pas à la fête des Tentes, qui avait lieu une fois la
moisson rentrée. Tout le peuple se réunissait pour célébrer les dons du
Seigneur : on reconnaissait les dons de Dieu à travers les épis gonflés de
soleil et les grappes pleines de suc, et on lui rendait grâces au cours de
grandes réjouissances. Ces fêtes chantaient l’attente du Messie qui
viendrait… en son temps.
Le fou laisse éclater sur l’heure sa colère, mais l’homme
prudent avale l’injure.
Pr 12, 16

Une réponse douce fait rentrer la colère mais une parole


blessante fait monter l’irritation.
Pr 15, 1

Si l’on transposait ce proverbe dans la langue de tous les jours, on pourrait


dire que devant la colère de l’insensé qui débite des injures, qui blesse son
interlocuteur, l’homme avisé, sage et prudent se tait, autrement dit, il avale
des couleuvres ! Le texte hébreu dit précisément que l’homme prudent
« couvre », au sens où il recouvre, cache l’injure en ne la répétant pas. En
mettant un voile sur des paroles méchantes et blessantes, l’homme avisé
éteint la rumeur qui aurait commencé à poindre. Mais dans la perspective
biblique, cela va beaucoup plus loin : l’homme avisé et prudent prend sur
lui l’injure, il en porte secrètement les conséquences et souffre en silence.
C’est ce que fera le Serviteur, décrit par Isaïe : « Or, c’étaient nos
souffrances qu’il portait et nos péchés dont il était chargé » (Is 53, 5).
Parler avec douceur pour apaiser la colère, voilà un conseil de bon sens, un
conseil universel. Seulement l’homme ne supporte pas l’agression, et en lui,
un instinct animal fait immédiatement qu’il cherche à se protéger en
attaquant à son tour. Alors à quoi bon un conseil impossible à suivre ? Il
faut regarder celui qui effectivement, face aux invectives, s’est conduit
comme il le disait : « Je suis doux et humble de cœur », dit Jésus qui, au
moment de son procès, mettra cette devise en application : devant les
accusations de Caïphe et de Pilate, il restera silencieux.
Un cœur joyeux favorise la guérison, un esprit attristé
dessèche les membres.
Pr 17, 22

Le cœur n’est pas le lieu où règne la nostalgie, où les sentiments et les états
d’âme occupent toute l’imagination. Au contraire, pour la Bible, le cœur est
le lieu de la volonté, de la prise de décision, le lieu de la raison raisonnante,
qui agit. On comprend alors le sens de cette proposition. Le désir de vivre
est un facteur de guérison : peut-on parler du rôle psychosomatique du
corps ? Celui qui veut guérir aura le courage de répéter sans cesse les gestes
de rééducation nécessaires pour que ses membres brisés après un accident
retrouvent leur fonction, qui est de porter le corps. Des membres desséchés
représentent des muscles atrophiés et des nerfs qui n’exercent plus leur rôle,
le contraire d’un corps plein de vie. Celui qui a un caractère pessimiste, qui
s’enferme dans sa décrépitude en critiquant tout, se ratatine et confit dans
son vinaigre en répétant sans cesse : À quoi bon ! Certes, les personnes qui
ont un caractère enjoué jouissent d’un meilleur confort de vie, mais surtout,
elles portent une responsabilité à l’égard des autres. La lumière qui brille
dans leurs yeux aide ceux qui croisent leur chemin et elles deviennent pour
les autres un encouragement à se réjouir du don de la vie. Tous ceux qui ont
fait l’expérience de voir leur vie en danger savent le prix des heures de
chaque jour.
Deux poids, deux mesures sont l’un et l’autre en horreur au
Seigneur.
Pr 20, 10

Une balance faussée est en horreur au Seigneur mais un


poids exact a sa faveur.
Pr 11, 1

La sagesse populaire a retenu l’injustice que représentent deux poids et


deux mesures. Une balance fausse est aussi le symbole des exactions que
les marchands peuvent exercer auprès de ceux qui leur achètent des
marchandises et paient un prix qui ne correspond pas au poids exact. De ce
dicton ressort aussi le double jugement fait avec bienveillance pour les uns
et au contraire une sévérité accrue pour les autres : où est la justice ?,
s’exclament ceux qui sont les victimes d’un jugement défavorable. Mais
dans le vocabulaire biblique, une balance mal équilibrée fait horreur au
Seigneur parce qu’elle symbolise le mensonge, le mensonge étant le péché
par excellence. Satan ment à Ève en travestissant les paroles de Dieu. Satan
ment à Jésus quand, au cours de la tentation dans le désert, il utilise la
parole de Dieu pour en dévier le sens. Les faux témoins mentent pendant le
procès de Jésus. Ainsi, ces deux proverbes, à partir d’un fait de la vie
courante, mettent en évidence le mensonge qui s’oppose à la vérité.
L’Apocalypse reprendra cette image avec l’exemple d’un cavalier qui porte
une balance fausse pour exprimer les désordres économiques qui ravagent
le monde (Ap 6, 5).
Mieux vaut un plat de légumes là où il y a de l’amour qu’un
bœuf gras assaisonné de haine.
Pr 15, 17

L’image du repas, l’un pauvre mais chaleureux, l’autre riche mais plein de
pièges, est significative et va bien au-delà de la simple anecdote. Jésus a
connu un repas où l’on épiait ses réactions. C’était chez Simon le pharisien.
Survint une femme qui versa du parfum sur ses pieds et Simon se dit que, si
Jésus était vraiment un prophète, il saurait que cette femme menait une vie
indigne (Lc 7, 36-48). Transposons cette maxime à l’époque
contemporaine. Elle fait penser à des familles chaleureuses où il n’y a pas
beaucoup de moyens mais où l’on vit ensemble en témoignant chaque jour
aux uns et aux autres une affection précieuse qui ne s’achète pas. Au
contraire, le bœuf gras représente l’argent avec lequel on se débarrasse de
ceux qui nous encombrent parce que nous voulons être libres de faire ce qui
nous plaît au bon moment. Alors on paie pour que d’autres s’occupent des
enfants ou des personnes âgées : tant pis s’ils cherchent en vain quelque
regard compatissant et s’ils quêtent un geste affectueux qui n’a pas de prix !
Ils auront compris que le bœuf gras n’est pas forcément signe de bonheur.
PSAUMES

C’est l’héritage du Seigneur que des fils, récompense que le


fruit des entrailles, heureux qui en a rempli son carquois.
Ps 127, 3-5

Avoir une famille nombreuse représentait, jusqu’à une époque relativement


récente où la mortalité infantile était élevée, une vraie bénédiction. Cette
béatitude est l’écho de la promesse reçue par Abraham : il aurait une
descendance innombrable comme les étoiles du ciel et les grains de sable du
bord de la mer (Gn 22, 17). Comparer des fils avec des flèches dans son
carquois pour se défendre est hardi, mais il est vrai qu’en ces temps anciens
d’insécurité, la maisonnée était le principal secours. Seulement, il ne faut
pas s’arrêter là, et se demander le sens d’une telle prière pour notre temps.
Avoir un carquois bien rempli, c’est appartenir à la maison de Dieu et
profiter des biens qu’il veut donner à sa famille afin que chacun, chaque vie
humaine, soit une bénédiction qui annonce la venue du Royaume des Cieux.
Ma vie s’achève dans la tristesse, mes années dans les
gémissements. Pour avoir péché je perds mes forces et j’ai
les os rongés.
Ps 31, 11

Les psaumes attachent beaucoup d’importance au corps dans l’expression


de la souffrance morale. C’est le même verbe qui est employé pour décrire
la souffrance des yeux, de la gorge, du ventre et des os. L’idée est celle d’un
affaiblissement, d’un dépérissement, d’une décomposition. Les os sont
souvent cités car ils sont l’image de quelqu’un qui tient debout, qui est
solide, le contraire d’une personne vacillante et tremblante qu’un souffle de
vent ferait tomber. Or, ce verbe « tenir debout » signifie aussi en hébreu
« ressusciter ». Donc, les os sont une image à double sens : un os rongé est
une image de mort, un os bien assemblé avec tous les autres dans le
squelette est une image de résurrection. Des os rongés, ce sont des os qui
ont été abîmés par l’habitude sournoise du péché, dont quelquefois on n’a
même plus conscience. L’image est très parlante, car on voit bien la lente
usure que provoque en nous le fait de nous détourner de Dieu sans même
nous en rendre compte.
Fracture dans mes os, ils m’injurient, mes adversaires,
quand ils me disent tous les jours : où est-il, ton Dieu ?
Ps 42, 11

L’assemblement des os constitue le squelette qui permet de se tenir debout


et donc d’être. Être debout et être ressuscité : c’est le même verbe en
hébreu. Les os expriment la vitalité. Intègres, ils s’articulent dans un
agencement harmonieux qui est la marque de la bénédiction, alors que
rabougris et usés, ils provoquent la déchéance en empêchant de se lever et
donc d’exister, si bien qu’ils décrivent avec force les conséquences du
péché, de la rupture avec Dieu.
Comme un poinçon déchire la chair vulnérable, la question sur laquelle la
foi est construite ouvre la plaie béante qui torture le cœur : où est-il, ton
Dieu ? Oui, persécution que cette interrogation répétée de génération en
génération pour mieux mettre à jour l’inutilité d’une foi vaine aux yeux du
monde ! Les sarcasmes et les injures ébranlent tout croyant, répétant avec
insistance cet unique refrain : que ton Dieu nous montre ce qu’il est capable
de faire et c’est nous qui jugerons s’il est digne d’appartenir à la catégorie
des dieux. Jésus se heurte constamment à cette question dès les tentations
au désert, quand le diable le met en demeure de prouver sa nature divine, ou
bien quand les foules demandent un signe, alors qu’en fait de signe, Jésus
répond que le peuple n’en recevra pas d’autre que le signe de Jonas (Lc 11,
29). À lui de l’interpréter, mais en est-il capable ?
Seigneur, écoute ma prière, prête l’oreille à ma
supplication, par ta fidélité et ta justice réponds-moi.
Ps 143, 1

Si Dieu était fidèle et juste, il écouterait toute prière, voilà ce que nous
pensons au fond de nous. Mais est-ce bien cela dont il s’agit ? Dire à Dieu
qu’il prenne la peine d’écouter, est-ce nécessaire, alors qu’il sait très bien
pourquoi nous l’appelons au secours ? Jésus dit bien : « Et quand tu pries,
rentre dans ta chambre et ton Père qui voit dans le secret sait ce dont tu as
besoin » (Mt 6, 6). Non, ce verbe « écouter » a une autre fonction, celle de
faire entrer le fidèle dans une perspective non plus de revendication, mais
de foi, en retrouvant le fondement de la foi d’Israël : « Écoute Israël, le
Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta force » (Dt 5, 1). Ce simple
verbe « écouter » et le souvenir qu’il porte dans l’écho de ses lettres
rappellent au fidèle l’alliance avec le Dieu unique : Dieu a choisi Israël et
l’a aimé. Même si la prière est supplication et demande, elle est d’abord
acte de foi et souvenir. Dieu doit se souvenir de son alliance, mais celui qui
prie aussi. Prête l’oreille : pourquoi donner à Dieu des qualificatifs humains
alors que Dieu, personne ne l’a jamais vu ? C’est pour mieux le différencier
des idoles qui, elles, ont des oreilles mais n’entendent pas : les statues que
l’on adore et auxquelles on offre des sacrifices ont des oreilles, mais des
oreilles aussi inertes que le bois ou la pierre avec lesquels elles ont été
fabriquées.
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Loin
de mon salut, les paroles de mon rugissement.
Ps 22, 2

Les évangélistes ont utilisé des versets de ce psaume pour décrire la Passion
du Christ. Ils mettent dans la bouche du Christ agonisant les premières
paroles du psaume, signifiant ainsi que tout le psaume renvoie au mystère
du Christ.
C’est le seul endroit dans le psautier où Dieu est invoqué avec le pronom
possessif à la première personne du singulier : mon Dieu, deux mots
devenus si ordinaires que leur sens premier a été effacé pour faire place à
une interjection employée à tort et à travers. Pour redonner à ces deux mots
tout leur poids, il faut avoir à l’esprit le souvenir des hauts faits de Dieu
qu’ils évoquent et leur restituer ainsi toute leur signification mémorielle.
Cette interpellation de Dieu lancée deux fois correspond à une double
réponse qui a déjà eu lieu dans le passé. Dieu a répondu une première fois
pour sauver son peuple au moment de la traversée de la mer Rouge et une
seconde fois quand il a donné à Moïse les tables de la Loi. Le contraste
entre ce que Dieu a fait hier et son silence dans l’aujourd’hui de celui qui
prie, et donc dans nos prières maintenant, est bien l’objet de la question :
pourquoi m’as-tu abandonné ? Dieu est ici mis en accusation, puisqu’il ne
répond pas aux sanglots secrets de nos rugissements. Or, Dieu a promis de
ne jamais renier son alliance même si Israël se rend coupable. Cette mise en
demeure de Dieu est d’autant plus grave que nulle part dans ce psaume le
psalmiste ne s’accuse d’un péché.
Sauve-moi de la gueule du lion et de la corne des buffles, tu
m’as répondu.
Ps 22, 22

Alors que le Psaume décrit les souffrances d’un homme à l’agonie, voici les
mots : « Tu m’as répondu. » Quelle est la cohérence de ce texte ? Dans cette
brutale rupture du vocabulaire, qui passe sans nuance d’un appel au secours
à la réponse, se cache le fondement de toute démarche de foi : continuer à
prier. C’est cela seul qui compte. C’est une expérience spirituelle précieuse
dans l’adversité. Nous avons trop le réflexe de nous faire juge de notre
propre foi ou bien de nous laisser aller à un scepticisme qui peu à peu
envahit notre pensée : à quoi bon ? Le seul remède est livré par le
psalmiste : continuer à prier, même si nous avons l’impression de réciter
mécaniquement des suites de mots ou des phrases inarticulées auxquelles
nous ne prêtons plus attention. Cette prière-là, que nous en ayons
conscience ou non, sculpte en nous un bouclier intérieur qui protège notre
cœur et notre être profond, que Dieu connaît mieux que nous ne le
connaissons nous-même. Alors que tout le monde se moquait de l’homme
condamné dont on allait voir si, oui ou non, Dieu allait le délivrer, celui-ci
persévérait avec acharnement à supplier Dieu de se hâter. Pécher, c’est
croire au pouvoir de la mort. Si nous avons assez de lucidité pour nous en
rendre compte, alors nous comprenons que Dieu, qui n’a pas créé la mort,
qui n’a pas voulu le mal mais qui a laissé l’homme libre de choisir, continue
dans l’adversité à nous tendre la main, sa paume ouverte et ruisselante
d’amour. Mais ce n’est pas un message lisible d’emblée : comment
découvrir dans la confusion du monde, dans le lent déroulement des jours et
des heures, dans le désordre du vécu ordinaire, les sillons par lesquels Dieu
mène chaque homme ?
Mais tu aimes la vérité au fond de l’être, dans le secret tu
m’enseignes la sagesse.
Ps 51, 8

Au fond de l’être : dans la profondeur de l’intime de l’homme, c’est ce qui


est recouvert, ce qui est caché. On touche du doigt l’écart infini entre le
projet de Dieu sur l’homme et son refus. Nous savons bien que nous
n’arrivons jamais à voir clair en nous-même, que la vérité nous échappe et
que notre conscience est toujours encombrée de remords, et même qu’elle
souffre de sentiments que nous avons tenté d’oublier et que nous avons
enfouis au plus profond de nous-même. Cet écart infini entre la vérité
divine et la confusion de nos sentiments sur nous-même pourrait nous
donner le vertige et nous enfermer dans le désespoir. Ce serait oublier cette
parole de Jésus : « Quand tu pries, enferme-toi dans ta chambre et ton Père
qui voit dans le secret sait ce dont tu as besoin » (Mt 6, 6). Nous avons
toujours un réflexe de peur et nous oublions le regard bienveillant que Dieu
porte sur nous, semblable à ce regard de Jésus sur tous les malades et
estropiés qu’il guérissait sans compter.
La séparation entre ce que l’homme est à partir de Dieu et ce qu’il est en
lui-même, la contradiction entre le vouloir du créateur et l’être empirique de
l’homme, c’est cela le péché originel, ce fossé entre la masse confuse de
notre pâte pétrie d’argile pour former une chair, des os et des sentiments, et
une pensée sans cesse tiraillée entre tout et son contraire. « Tu m’enseignes
la sagesse » est un appel à entrer dans la vision de Dieu et à porter sur soi-
même un regard à la fois transcendant et miséricordieux.
Si des méchants s’avancent contre moi pour dévorer ma
chair, ce sont eux mes ennemis, mes adversaires qui perdent
pied et succombent.
Ps 26, 2

Manger, dévorer, ce verbe porte en écho l’ombre du serpent qui propose à


Ève de manger du fruit de l’arbre. Le serpent est donc l’allié des méchants.
La chair renvoie au corps qui, pour l’homme biblique, est l’expression de
son être-au-monde ; ce n’est jamais une réalité extérieure à lui sur laquelle
il aurait une emprise totale. Le corps exprime l’unité psychosomatique de la
personne, et c’est en cela que réside la richesse des Psaumes, qui montrent
comment la chair participe à la vie spirituelle du corps. Comment prier
quand la douleur torture le corps ? Répéter des mots sans y faire attention ?
C’est alors que l’on réalise la pauvreté de la personne qui s’illusionne
quand elle croit dominer sa chair. « Dévorer ma chair », l’expression est très
bien choisie car il s’agit d’un combat essentiel entre la vie et la mort, entre
mon être voulu et aimé par Dieu et Satan : c’est cela une véritable agonie,
un combat décisif au sens étymologique.
Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas
votre cœur.
Ps 95, 7

Dieu s’adresse directement à nous : aujourd’hui, si vous entendez sa voix,


n’endurcissez pas votre cœur. L’expression a pour fonction de conjuguer les
récits non pas seulement au passé, mais au présent. La maîtrise de Dieu sur
le temps permet au croyant de devenir contemporain des événements du
passé parce que Dieu, qui les provoque, domine notre temps humain
toujours fluide, qui s’écoule sous nos yeux. C’est ainsi que ce verset de
psaume (95, 7) s’adresse à nous maintenant ; il décrit bien la situation dans
laquelle nous sommes. Si nous avons un cœur de pierre, un cœur dur, fermé
à toutes les compassions, indifférent à toutes les misères du monde,
comment pourrions-nous entendre la voix du Seigneur qui nous parle
aujourd’hui ? Comme c’est curieux, cette pédagogie divine qui évoque les
révoltes des Hébreux dans le désert ! Ils avaient soif et ils regrettaient
d’avoir quitté l’Égypte : « N’endurcissez pas votre cœur comme à Massa et
Mériba, où vos pères m’ont mis à l’épreuve. » En quoi cela nous concerne-
t-il ? Eh bien, ces révoltes-là ne seraient-elles pas les nôtres aujourd’hui ?
Révolte contre Dieu qui est trop exigeant et dont on ne comprend pas
toujours les motivations face à ce qui nous arrive. Aujourd’hui, il nous
demande d’ouvrir notre cœur, mais à notre tour, nous pouvons lui adresser
cette prière en lui demandant de nous donner un cœur de chair, un cœur qui
vibre à son amour et à celui des autres.
JOB

Est-ce pour rien que Job craint Dieu ?


Jb 1, 9

Ta piété ne tenait-elle qu’à ton confort ?


Jb 4, 6

La vraie question est posée. Quels avantages le culte et la religion doivent-


ils m’apporter ? Quels bénéfices suis-je en droit de réclamer ? Dans ce récit,
Satan provoque Dieu. Oui, Job est un bon serviteur du Seigneur tant que
tout va bien. Mais s’il lui arrive de grands malheurs, je suis sûr, dit Satan,
qu’il finira bien par maudire Dieu. Satan se sert de Job pour démontrer que
la piété et la foi sont des sentiments intéressés. Dieu laisse Satan libre de
procéder à sa démonstration en permettant que Job soit mis à l’épreuve avec
une gradation, ses troupeaux d’abord, puis ce qu’il a de plus cher, avec la
maladie et le deuil de ses enfants. Les souffrances de Job vont au contraire,
avec des accents dramatiques profondément humains, montrer une foi à
toute épreuve qui refuse de reconnaître Dieu comme l’auteur du mal. Car
tout l’enjeu est là : dans l’Antiquité, tout mal est conséquence d’un péché,
quelle que soit la génération responsable. Dans des termes magnifiques, Job
crie à Dieu sa révolte et sa souffrance, mais il s’oppose à une théologie qui
veut voir dans les épreuves qu’il endure les conséquences d’un mal, d’un
péché qu’il aurait commis, lui ou ses parents. L’auteur du livre de Job
démontre avec force que Dieu souffre du mal dont souffre l’homme, c’est
pourquoi il enverra son propre Fils pour apporter à l’homme la Rédemption
– à condition que celui-ci accepte de mener jusqu’au bout avec le Christ le
combat contre Satan.
CANTIQUE DES CANTIQUES

Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui.


Ct 2,16

L’amour est fort comme la mort.


Ct 8,6

Le Cantique se présente comme un dialogue entre deux amants. Chacun


exprime son amour à l’autre puis en parle à un chœur qui est témoin et qui
encourage cette parole. En même temps, le choix des mots est convenu et
oriente littéralement le lecteur vers l’amour de Dieu et d’Israël, vécu et
exprimé durant de longs siècles. L’alliance qui s’énonce en ces termes dans
le livre de l’Exode, « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » devient
dans le Cantique : « Mon bienaimé est à moi et je suis à lui ». On est passé
d’un vocabulaire juridique à celui de l’amour. La chambre des amants
évoque le Temple de Jérusalem, construit de cèdre et de cyprès, et les
odeurs rappellent la liturgie des sacrifices. Le portrait de la femme est celui
de la Terre sainte, dont le nombril est Jérusalem. Le Cantique est donc un
texte symbolique d’une richesse inépuisable pour croire à l’amour de Dieu
et lui répondre du fond du cœur, en toute vérité. Ce texte de sagesse est lu à
la Synagogue dans la lumière de la Pâque, les chrétiens le lisent dans la
semaine qui suit Noël : à la lumière des signes donnés par Dieu en ces
moments intenses, on comprend qu’ils sont tous orientés vers l’amour. On
pense aussi à la figure de Marie de Magdala dont les sentiments face à Jésus
ressuscité sont empruntés aux traits de la bien-aimée : « Sur ma couche, la
nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime ; je l’ai cherché et ne l’ai point
trouvé… Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? Je l’ai trouvé, je l’ai
saisi, et ne le lâcherai pas… » (Ct 3,2-4 et Jn 20). La théologie et la
mystique chrétiennes se sont toujours attachées à ce texte pour développer
la quête de Dieu et sonder les profondeurs de l’âme humaine qui cherche à
se connaître au moment même où elle s’abîme dans l’amour divin.
LIVRE DU SIRACIDE OU
ECCLÉSIASTIQUE

Mon fils, prends soin de ton père dans sa vieillesse et ne


l’afflige pas durant sa vie. Même s’il perd la raison, sois
indulgent et ne l’insulte pas parce que tu es en pleine force.
Si 3, 12-13

Ce conseil est d’une actualité redoutable quand on pense aux drames causés
par la maladie d’Alzheimer, par exemple, décrite ici à travers ces simples
mots : « s’il perd la raison ». C’est aussi une belle illustration du
commandement : « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se
prolongent sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu » (Ex 20, 12). À
ce sujet, Jésus reprochera vivement aux pharisiens d’abandonner leurs
parents sous le prétexte fallacieux qu’ils ont remis au trésor du Temple une
partie de leurs biens. Au lieu de payer ce qui était nécessaire pour subvenir
aux besoins de leurs parents âgés, ils se présentent la conscience tranquille,
annulant ainsi la parole de Dieu concernant la responsabilité des fils envers
leur père. Jésus démasque l’hypocrisie qui consiste à s’abriter derrière un
précepte religieux pour éviter d’affronter la réalité si bien décrite ici. Ne pas
insulter ses parents quand ils vous agacent parce qu’ils rabâchent toujours la
même histoire ou parce qu’ils exigent tout le temps que l’on fasse attention
à eux, voilà une constante qui décrit bien les relations entre les générations,
quels que soient les siècles !
Venez à moi, gens sans instruction, installez-vous à mon
école. Pourquoi en rester dépourvus plus longtemps alors
que vos âmes sont ardemment assoiffées ? Grâce à
l’instruction, vous acquerrez beaucoup d’or.
Si 51, 23-24

La soif de connaître et d’apprendre, tout homme en fait l’expérience. Ici, le


sage qui s’exprime explique qu’il a reçu du Seigneur une intelligence qu’il
qualifie de bonne acquisition. Aussi ne veut-il pas garder ce don pour lui
tout seul, mais le partager, et il emploie une image très forte : soumettez
votre nuque à son joug et que votre âme reçoive l’instruction. Mais quel
sens donne-t-il à ce mot d’« instruction » ? Loin d’engranger une
connaissance encyclopédique, il s’agit d’acquérir beaucoup d’or, autrement
dit un trésor inaltérable qui est la connaissance de Dieu. Cette connaissance
ne s’acquiert pas n’importe comment : il faut accepter de porter le joug, une
contrainte pour marcher droit dans les sillons, une image qui décrit les
exigences de la Torah. Il faut concilier la raison et la foi à travers le don de
la Révélation. Cette image, Jésus la reprendra en appelant ceux qui peinent
à porter son joug, car il est léger, et son fardeau facile à endosser (Mt 11,
30).
LIVRE DE LA SAGESSE

Oui, le monde entier est devant toi comme le poids infime


qui déséquilibrerait une balance, comme la goutte de rosée
matinale qui descend vers le sol. Mais tu as pitié de tous
parce que tu peux tout et tu détournes les yeux des péchés
des hommes pour les amener au repentir. Tu aimes tous les
êtres et ne détestes aucune de tes œuvres. Ton souffle de vie
incorruptible est dans tous les êtres.
Sg 11, 22-12, 1

Le livre de la Sagesse est le plus tardif de l’Ancien Testament chrétien et


n’est pas lu à la Synagogue car bien que juif, il est rédigé en grec. Il reprend
les traditions anciennes d’Israël surtout à partir du chapitre 10, qui
déroulent le récit de la Création jusqu’à la célébration de l’Alliance. Le
changement de ton et de point de vue sur ces sujets par rapport aux livres de
la Torah vient de ce que son auteur est très lié à la culture grecque, qui
pénètre les traditions juives depuis la conquête d’Alexandre. Dans son récit
de la Création, l’auteur présente notre environnement. Ce n’est pas
simplement un décor de scène, ni une réserve inépuisable de ressources,
mais le berceau où nous sommes nés et dont nous sommes solidaires. La
terre n’est pas seulement un domaine que l’homme doit explorer et
maîtriser, elle est un miroir de la beauté du Créateur que l’homme pourrait
lire comme un livre ouvert si le péché n’avait aveuglé son cœur et son
intelligence. Mais quel que soit le péché de l’homme, Dieu ne regrette pas
de l’avoir créé, puisqu’il aime tous les êtres et ne déteste aucune de ses
œuvres. C’est donc un magnifique message d’optimisme.
PARTIE 2

NOUVEAU TESTAMENT
Le Nouveau Testament est composé des quatre Évangiles, des Actes des
Apôtres et des Lettres apostoliques, et se termine par le livre de
l’Apocalypse. Il est témoin d’une mémoire vivante qui repose sur la
transmission qu’ont laissée les apôtres de ce qu’ils ont vécu avec Jésus, de
la manière dont ils ont compris tous les événements auxquels ils étaient
associés. En cela, il y a une dimension humaine qui rend ce livre si
attachant, mais nous y lisons aussi l’accomplissement des promesses de
l’Ancien Testament en suivant la pédagogie vivante et intelligente de tous
ces hommes qui ont répondu à l’appel de Jésus.
ÉVANGILES ET ACTES DES APÔTRES

Je te salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec toi.


Lc 1, 28

Ces mots sans cesse répétés nous sont familiers parce que c’est la prière du
chapelet. Mais le verbe employé en grec, qui est la langue originale dans
laquelle sont écrits les Évangiles, est celui de la salutation du langage
quotidien utilisé dans toute rencontre. Il signifie « se réjouir », si bien
qu’une traduction plus rigoureuse dirait : « Réjouis-toi Marie ». C’est en ces
termes de joie que l’ange annonce à Marie qu’elle sera la mère du Sauveur.
On rejoint ainsi les promesses de l’Ancien Testament reprenant les paroles
du prophète Sophonie : « Réjouis-toi fille de Sion car le Seigneur est dans
ton sein » (So 3, 15-17). Marie exprime son étonnement, parce qu’elle ne
connaît pas d’homme, mais l’ange lui dit que l’Esprit saint la couvrira de
son ombre. Cette ombre rappelle la nuée sacrée, signe visible de la présence
de Dieu qui reposait sur la Tente de la Rencontre à chaque fois que Moïse
parlait en tête à tête avec Dieu (Ex 33, 9), nuée qui descendit ensuite sur le
Temple de Jérusalem (1 R 8, 10). Marie est donc la Tente vivante dans
laquelle, d’une manière nouvelle, Dieu vient habiter au milieu des hommes.
Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et sur la terre paix
aux hommes qu’il aime.
Lc 2,14

Des bergers, qui faisaient paître leurs troupeaux aux environs de Bethléem,
en Judée, reçoivent l’annonce qu’un Sauveur leur est né. Les anges chantent
un message destiné au cosmos tout entier. Cette acclamation majestueuse et
divine exprime le paradoxe de la foi : la venue d’un Sauveur pour les
hommes annoncée par les anges et la découverte d’un nouveau-né couché
dans une mangeoire. Dieu n’agit décidément pas comme on le voudrait ou
comme on s’y attendrait. Ce paradoxe, l’évangéliste Luc le reprendra avec
les mêmes mots à un autre moment clé de l’Évangile, l’entrée royale de
Jésus à Jérusalem. Or, le roi-messie, fils de David, que les siècles
attendaient, entre dans la ville sainte monté sur un âne, qui est l’animal des
serviteurs. L’enfant pauvre dans une étable et le roi qui se fait serviteur sont
deux images difficiles à comprendre, au point que les disciples d’Emmaüs
diront au compagnon inconnu qui les a rejoints sur la route, à propos de
celui qui avait été crucifié à Jérusalem : « on espérait qu’il allait délivrer
Israël ». Et Jésus ressuscité qui marche à côté d’eux de leur répondre :
« Esprits sans intelligence et cœurs lents à croire ce que les prophètes
avaient annoncé ! » (Lc 24, 25).
L’Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit :
« Prends avec toi l’enfant et sa mère (…) restesy jusqu’à
nouvel ordre car Hérode va rechercher l’enfant pour le
faire périr… » Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode pour que
s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète :
« D’Égypte j’ai appelé mon fils ».
Mt 2, 13-15

La fuite en Égypte prend de nos jours un relief d’une rare actualité :


pensons à toutes ces familles chargées d’enfants et de nouveau-nés qui
fuient les pays en guerre pour essayer de se réfugier chez qui voudra bien
les accueillir. Jésus est donc en danger de mort, comme l’enfant Moïse
l’avait été en raison de nouvelles lois imposées par un Pharaon cruel qui
ordonnait de supprimer les enfants mâles des Hébreux (Ex 1, 15-22). Moïse
et Jésus sont tous les deux des rescapés. Matthieu présente Jésus menacé
dès sa naissance par la jalousie d’un souverain cruel, Hérode, qui, entendant
parler par les mages de la naissance du roi des Juifs, fait tuer les enfants de
moins de deux ans. C’est ce que la tradition nomme le massacre des saints
innocents. Mais l’ange qui veillait conduisit la sainte famille en exode. À la
mort d’Hérode, de nouveau l’ange avertit Joseph, qui rentra dans la terre
d’Israël. En rappelant les paroles du prophète Osée, « D’Égypte j’ai appelé
mon fils » (Os 11, 1), Matthieu montre que ce retour de la sainte famille
doit être compris comme l’accomplissement de la promesse de Dieu d’être
au milieu de son peuple. Plus encore, la mention du nom de l’Égypte,
symbole des nations païennes, démontre que la venue du Messie est
destinée à tous sans exception. Cet enfant innocent qui revient d’Égypte est
la figure de la Rédemption offerte à tout homme.
« Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ton père
et moi nous te cherchons tout angoissés. » Jésus leur dit :
« Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviezvous pas qu’il me
faut être chez mon père ? »
Lc 2, 48-49

Jésus n’a pas rejoint sa famille qui regagnait Nazareth après avoir célébré la
fête de la Pâque à Jérusalem. Pensant qu’il cheminait avec d’autres
compagnons de route, ses parents ne se sont pas inquiétés puis, ne le
trouvant pas, ils ont rebroussé chemin et sont même revenus jusqu’à
Jérusalem. C’est au Temple qu’ils le retrouvent : là, il discute avec des
docteurs de la Loi, alors qu’il a seulement douze ans ! À ses parents qui lui
demandent ce qu’il fait là, voilà qu’il répond qu’il doit être ailleurs, aux
affaires de son père. À juste titre, l’évangéliste note que Marie et Joseph ne
comprirent pas ce que Jésus avait voulu dire. Ils vont devoir apprendre à se
déposséder de l’enfant qu’ils élèvent pour le laisser accomplir en temps
voulu son ministère. Cet incident illustre bien la double nature de Jésus, sa
nature humaine avec ses parents Joseph et Marie, mais aussi sa nature
divine qui lui permet d’appeler Dieu « son père ». En répondant ainsi à ses
parents, Jésus vit ce que disait déjà le psaume qui proclame : « Heureux
l’invité que Dieu a choisi pour se rassasier des biens de sa maison, des
choses saintes de son Temple » (Ps 65, 5). C’est en même temps une belle
leçon d’éducation : les enfants n’appartiennent pas à leurs parents.
Marie gardait tous ces événements dans son cœur.
Lc 2, 51

Luc emploie un verbe plein de nuances pour décrire le travail de mémoire


qu’accomplit Marie. Enregistrer chaque événement particulier, chaque
parole, chaque fait à l’intérieur d’un ensemble pour le méditer est une
manière de construire sa foi peu à peu, en découvrant après coup le sens des
événements qu’on ne comprend pas surle-champ. Il faut du temps pour
reconnaître que tout provient de la volonté de Dieu et, à ce titre, accepter à
l’avance ce qui arrivera. Marie ne s’arrête pas à une première
compréhension superficielle de ce qui se passe dans sa vie. Au contraire,
elle accepte de se laisser interpeller par les événements, elle les élabore, les
discerne, et acquiert cette compréhension que seule la foi peut garantir.
Accueillir ce que nous ne comprenons pas : l’homme orgueilleux, au nom
de sa raison triomphante, se révolte. Justement, c’est bien en cela que Marie
est un grand modèle d’humilité, elle montre d’emblée, en acceptant ce
qu’elle ne comprend pas, que la foi se reçoit petit à petit, comme une grâce.
Le tentateur s’approcha de Jésus et lui dit : « Si tu es le Fils
de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais il répliqua : « L’homme ne vit pas seulement de pain
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Mt 4, 4

Jésus a jeûné dans le désert et il a faim. C’est à ce moment-là que le diable


s’approche de lui en lui proposant de faire un miracle qui réponde à
l’attente des hommes. Cette tentation, c’est la nôtre, avec la question qui
taraude le monde à travers les siècles : pourquoi Jésus, qui s’annonce
comme le Messie, ne supprime-t-il pas tout de suite la famine en
transformant des pierres en pains pour nourrir les hommes ? La voix du
tentateur qui provoque Jésus, c’est celle de l’instinct, de la chair de
l’homme qui veut étouffer la voix de Dieu et prendre sa place. Mais
l’homme n’est pas seulement une masse de muscles et de nerfs, un squelette
qui le fait tenir debout, il a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Aussi existe-t-il en lui une dimension spirituelle, une vocation divine, une
âme. En rappelant au tentateur cette ressemblance avec son créateur, Jésus
refuse de faire de Dieu le magicien qui obéirait aux désirs de l’homme.
Jésus situe son enseignement dans la grande tradition juive et montre
comment il se révèle à lui seul, le fils fidèle. Justement, ce qui est
douloureux pour Jésus dans cette tentation, c’est la remise en cause de son
identité : Si tu es le Fils de Dieu… On retrouvera cette même provocation
au Calvaire : Si tu es le Fils de Dieu, descends de la Croix et donne-nous un
vrai signe de ta divinité.
Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux
frères, Simon appelé Pierre et André son frère, en train de
jeter le filet dans la mer : c’étaient des pêcheurs. Il leur
dit : « Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs
d’hommes. »
Mt 4, 18-19

On peut être surpris de constater que, sur une simple invitation à suivre
Jésus, Pierre et André quittent leurs filets sans hésitation. Ils ne posent pas
la moindre question, ils ne demandent pas ce qu’ils vont faire, et sans doute
ils ne comprennent pas plus que nous la phrase de Jésus. Mais les premiers
lecteurs de l’Évangile de Matthieu sont des Juifs qui connaissent bien
l’Écriture sainte. Ils font le rapport avec l’épisode au cours duquel le
prophète Élie, avec la même soudaineté que Jésus, invita le laboureur Élisée
à quitter ses bœufs pour être associé à sa mission (1 R 19, 20-21). Pierre et
André deviendront pêcheurs d’hommes. Par cette parole sibylline, Jésus
leur annonce que leur condition ordinaire sera transfigurée parce qu’ils
seront associés à son ministère. Ils seront pêcheurs d’hommes tels qu’ils
sont : ils ne deviendront pas pour autant des surhommes. Avec leurs
difficultés, leurs hésitations, leurs incompréhensions que l’on retrouve tout
au long de l’Évangile, ils montreront comment des hommes ordinaires
deviendront des apôtres capables d’affronter le monde et ses contradictions
pour annoncer la Bonne Nouvelle.
Il guérissait tous les malades qu’on lui amenait, alors de
grandes foules le suivirent.
Mt 4, 25

À peine a-t-il été baptisé, à peine a-t-il affronté Satan dans le désert, voilà
Jésus parcourant la Galilée, enseignant dans les synagogues pour annoncer
la bonne nouvelle du Royaume. Jésus fait du bien, et du coup, il rassemble à
sa suite des foules qui viennent de partout, la Galilée, la Décapole,
Jérusalem, la Judée et même au-delà du Jourdain. Jésus fait du bien. Ici,
Matthieu ne cite aucun discours, il montre simplement Jésus qui guérit toute
infirmité. Or, nous savons qu’à cette époque, les infirmes étaient des exclus,
parce que l’on pensait que le mal qui les frappait était sûrement la marque
d’un péché. On associait la maladie au mal, conséquence de toute faute, que
l’on en ait conscience ou non. Jésus, en guérissant, rassemble des gens qui
viennent de partout. Il ne demande rien, il ne demande pas si ces malades
qu’on lui présente et leurs familles sont pratiquants ou pas, s’ils font du
bien, s’ils récitent chaque jour leurs prières ou non. Jésus rassemble et Jésus
guérit : alors ces foules s’en vont et retournent chez elles, non plus avec des
promesses, mais avec des guérisons, c’est-à-dire des signes de résurrection.
Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à
eux.
Mt 5, 1

Qu’est-ce qu’un pauvre de cœur ? Ce n’est pas un homme qui s’apitoie


généreusement sur la misère humaine, ni un homme pétri d’orgueil qui
aurait appris la vertu de l’humilité. C’est celui qui a conscience de sa propre
finitude face à Dieu. Le pauvre de cœur n’est pas l’homme qui veut se
mettre à la place de Dieu, mais celui qui reconnaît son état de créature. Il est
pauvre par rapport à Dieu qui lui propose d’entrer dans son alliance, comme
le révèlent tous les textes de l’Ancien Testament. Ici, c’est Jésus qui parle :
justement, il inaugure son premier grand discours, que l’on appelle les
Béatitudes, en reprenant toutes les promesses que Dieu avait faites à son
peuple. Le pauvre de cœur est amené à entrer en communion avec Dieu,
c’est-à-dire à le connaître avec son cœur. Le cœur, dans le langage biblique,
ne désigne pas le lieu des sentiments mais au contraire celui de la volonté,
de la prise de décision et donc de la liberté. Si l’homme répond oui à Dieu,
il possède déjà le Royaume des Cieux. Le verbe est au présent pour
signifier que l’homme qui écoute la parole que Jésus prononce et y adhère
vit d’emblée en pleine communion avec le Seigneur.
Vous, vous êtes le sel de la terre.
Mt 5, 13

Le sel a la propriété de garder sa saveur et celle des aliments qu’il conserve.


Symboliquement, il représente la pérennité d’un contrat, en particulier, il
évoque le caractère inaltérable de l’alliance avec Dieu. Cette phrase est
adressée aux auditeurs de Jésus en conclusion de son premier grand
discours, appelé les Béatitudes parce qu’en huit propositions, Jésus y
décline les qualités de ceux qui entreront dans le Royaume des Cieux : ils
auront un cœur de pauvre, ils seront doux, ils s’affligeront de leur misère,
ils auront faim et soif de justice, ils seront miséricordieux, ils auront le cœur
pur, ils feront la paix. Ceux qui vivront ainsi donneront au monde goût et
force, comme le sel excite la nourriture. D’emblée est tracé un programme
de vie destiné à sanctifier le monde. En fait, ce ne sont pas des traits de
caractère ordinaires, mais chaque terme renvoie à ce que Jésus lui-même va
vivre : fils de Dieu, il se fait pauvre, il est doux et humble de cœur et ne
revendique aucune supériorité, il va même jusqu’à laver lui-même les pieds
de ses apôtres. À tous ceux qui ont faim et soif de justice, il répond en leur
montrant la voie à suivre, il fait miséricorde car il pardonne tous ceux qui
viennent vers lui, il est pur, sans péché, et à tous ceux qui l’écoutent, il
propose sans demander ni comptes ni justifications la paix de Dieu.
Œil pour œil dent pour dent, et moi je vous dis de ne pas
riposter au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur
la joue droite, tends-lui aussi l’autre… À qui te demande,
donne.
Mt 5, 38-42

Voilà un précepte qui réforme complètement les rapports sociaux. La loi du


talion se trouvait déjà dans le code d’Hammurabi, et l’Ancien Testament
précisait : « Pas d’attendrissement : vie pour vie, œil pour œil… » (Dt 19,
21). Attitude irréaliste, ce que propose Jésus dans une société où la violence
règne ? Lui-même, au cours de sa Passion, recevra une gifle pour avoir mal
parlé au grand prêtre, et il ne répliquera pas (Jn 18, 22). Quand est rédigé
cet Évangile, les premiers judéo-chrétiens savent très bien ce que signifie
une telle parole, parce qu’ils la vivent en étant persécutés eux-mêmes. Ils ne
répondent pas à la violence par la violence, ils refusent cet engrenage.
Après avoir été battus de verges, les apôtres sortent tout heureux du
Sanhédrin parce qu’ils ont subi des outrages pour avoir prononcé le nom de
Jésus (Ac 5, 41). Donner à celui qui demande, c’est imiter Dieu dans sa
générosité : « Demandez et il vous sera donné… Si vous qui êtes méchants
savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui
est dans les Cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui lui demandent »
(Mt 7, 11). Jésus propose une manière de vivre différente où les chrétiens
doivent, dans leur attitude quotidienne, refléter la bonté de Dieu, qui ne
connaît aucune limite. Attitude irréaliste ou sanctification du monde ?
Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent…
Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.
Mt 5, 44-48

Ce précepte n’a rien d’étonnant pour les Juifs auxquels Jésus s’adresse, car
la Loi dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, je suis le
Seigneur » (Lv 19, 18). Le mot « prochain » en hébreu est ambigu car ses
consonnes peuvent signifier aussi « le méchant », si bien que les rabbins
enseignent qu’il faut aimer aussi son prochain même s’il nous fait du mal.
Mais Jésus introduit une raison fondamentale pour aimer son prochain :
tous les enfants sont fils du même Père. Il y a là une cohérence avec la
prière que Jésus enseigne à la demande des apôtres, qui commence par ces
mots : Notre Père. Il s’agit de reconnaître en tout homme la filiation divine,
voir derrière son visage la flamme de vie que Dieu y a déposée en rappelant
ainsi que toute vie est sacrée. Aimer ses ennemis, c’est participer à l’œuvre
créatrice du Père en devenant ses collaborateurs pour protéger toute vie. Le
mot que l’on traduit en français par l’adjectif « parfait » exprime dans
l’Ancien Testament l’intégrité de la personne, dans le sens où rien de ce que
je suis physiquement et moralement ne doit être abîmé, diminué, rogné, car
les deux forment un tout. Par exemple, des os rongés sont l’image du péché
qui grignote l’être et détruit en lui toutes ses capacités à petit feu, sans
même qu’il en ait grande clairvoyance.
Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des
pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux.
Mt 5, 20

La justice serait donc la condition première pour entrer dans le Royaume


des Cieux. Mais que recouvre ce mot de « justice » ? Il ne s’agit pas là d’un
idéal humain d’équité, du respect d’un code de lois pour garantir l’ordre et
la paix sociale. La justice au sens biblique, c’est une conformation de
l’homme à Dieu. La justice de Dieu, c’est une autre manière d’évoquer sa
sainteté et sa perfection. Les scribes et les pharisiens appliquent
rigoureusement un ensemble de lois et de préceptes. Ils sont tout le temps
en train de se référer à l’autorité de Moïse, mais Jésus propose d’aller plus
loin et fait écho en cela à l’exigence exprimée dans le Lévitique : « Soyez
saint parce que je suis saint » (Lv 19, 2). Comment l’homme peut-il devenir
saint et juste ? Comme Abraham est devenu juste par sa foi dans le Dieu de
l’Alliance, nous aussi, nous devenons justes par la foi en Christ ressuscité.
Cette justice à laquelle Jésus appelle ses disciples, c’est donc de partager le
combat du Christ et de porter son témoignage. Jésus apporte un meilleur
contact avec Dieu parce qu’il en est le Fils depuis toujours, ce qui le rend
crédible, et parce qu’il est vraiment homme, ce qui lui permet de
communiquer avec précision et miséricorde. Ce contact crée une proximité
avec Dieu pour ceux qui écoutent sa parole et apporte une puissance
incomparable pour la mettre en pratique.
Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende.
Mt 11, 15

Au cours de la scène où il prononce ces paroles, Jésus est visiblement agacé


par les contradictions de ses interlocuteurs qui n’ont pas voulu reconnaître
en Jean-Baptiste un prophète. Explicitant l’image des oreilles pour
entendre, Jésus dit aussi à la foule à propos de Jean-Baptiste : vous n’avez
pas voulu comprendre. Comprendre et entendre, les deux vont de pair, mais
ceux qui sont devant Jésus refusent tout message : ils ressemblent à des
enfants capricieux qui ont refusé de danser au son de la flûte ou qui n’ont
pas pleuré en entendant un chant funèbre. Des oreilles pour entendre, cela
signifie se souvenir de ce que Dieu a promis par ses prophètes pour
comprendre ce que fait Jésus et bien interpréter ses actions. Mais si l’on
regarde au premier degré, si l’on juge seulement ce que l’on voit, on se dit
de Jean-Baptiste, avec ses jeûnes répétés, qu’il a perdu la tête, et de Jésus
qu’il est un glouton et un ivrogne parce qu’il prend ses repas avec tous ceux
qui l’invitent, y compris des pécheurs et des collecteurs d’impôts. Les mots
que Matthieu emploie sont très violents mais décrivent bien ce jugement
primaire porté par ceux qui ont des oreilles mais qui ne veulent pas entendre
parce qu’ils disent non à la parole de Dieu.
Venez à moi vous tous qui peinez et qui êtes sous le fardeau
et moi je vous ferai reposer. Prenez mon joug sur vous et
mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de cœur
et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui mon joug est
facile à porter et mon fardeau léger.
Mt 11, 28-30

Il ne s’agit pas d’une proposition paradoxale : tout le monde sait que l’on ne
porte pas d’emblée le joug proposé par le Christ et que son fardeau n’est
pas léger. Alors qu’a-t-il voulu dire ? Ce joug n’est pas un carcan mais la
découverte de l’intimité avec Dieu le Père comme Jésus la vit lui-même.
Dans ce même chapitre de l’Évangile de Matthieu, Jésus souligne les
incohérences de la foule. Jean-Baptiste est venu, mais on a contesté son
message comme des enfants boudeurs qui n’ont pas voulu danser au son de
la flûte. Jésus vient et accepte des invitations pour partager un repas, alors
on dit de lui qu’il est un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs
d’impôts. Comment comprendre de tels comportements ? Jésus explique
que son intimité avec Dieu le Père est une révélation qui est cachée aux
sages et aux intelligents, aux gens qui se croient forts et qui veulent trouver
Dieu par eux-mêmes. Aussi il montre par sa vie concrète qu’il est un
pauvre, un petit, un homme humble et doux, deux qualités nécessaires pour
partager avec Jésus le trésor de la connaissance du Père. Un joug facile à
porter et un fardeau léger, oui, à condition de transformer son cœur, de se
faire pauvre comme Jésus qui n’a pas retenu jalousement le rang qui
l’égalait à Dieu mais qui a pris condition d’esclave, selon les mots de saint
Paul.
Qui n’est pas avec moi est contre moi et qui n’assemble pas
avec moi dissipe.
Mt 12, 30

Ce verset, qui peut paraître exigeant si on le retire de son contexte, est


extrait d’une longue controverse entre Jésus et les pharisiens. Jésus vient de
guérir un démoniaque aveugle et sourd-muet. Les pharisiens l’accusent
d’avoir fait ce miracle en invoquant l’autorité de Béelzeboul, le chef des
démons. La manière dont on se représente le Messie peut être démoniaque
si l’on refuse la puissance de l’Esprit à l’œuvre dans le Christ. La maladie
était considérée comme une possession. Quand Jésus guérit tant et tant de
malades, faut-il reconnaître à travers lui le Royaume de Satan ou le
Royaume de Dieu qui s’est approché ? On comprend alors qu’il n’y a pas
de demi-réponse, que l’on ne peut pas à la fois suivre Jésus et servir Satan.
Jésus place ses interlocuteurs devant un choix qui rejoint celui déjà proposé
dans le Deutéronome : « Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le
bonheur, la mort et le malheur… » (Dt 30, 15). La question du discernement
est posée à travers la présence de Jésus au milieu des hommes, lui qui vient
concrètement accomplir le bien à chaque fois qu’il guérit et qu’il montre
ainsi la bonté de Dieu agissant à travers lui. Loin d’être un slogan efficace
pour rassembler des manifestants, ce verset au contraire place chacun
devant la responsabilité de la réponse qu’il donne à la venue du Messie.
Hypocrite, ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est
loin de moi.
Mt 15, 8

C’est à propos d’une question de rites non observés par les disciples de
Jésus que les pharisiens s’attirent cette réponse cinglante de Jésus. Les
disciples ne se sont pas lavé les mains avant de manger du pain comme
l’exige la Loi. À son tour, Jésus fait remarquer aux scribes et aux pharisiens
qu’ils transgressent le commandement selon lequel ils doivent honorer leur
père et leur mère, ce qu’ils ne font pas quand ils refusent de subvenir à leurs
besoins, cela en toute bonne conscience parce qu’ils se justifient en disant
qu’ils ont donné de l’argent pour des bonnes œuvres. Que signifie
l’observance des rites si l’essentiel est négligé ? Dire et ne point faire est
une habitude humaine, d’où cette opposition entre le cœur et les lèvres. Les
lèvres, c’est le bavardage superficiel, alors que le cœur, c’est le lieu du
choix, de la prise de décision. Oui, je vais m’occuper de mon père et de ma
mère avant toute chose, sinon effectivement, je suis infidèle à la Loi de
Dieu. Les lèvres représentent le babillage des hommes, tandis que le cœur,
c’est le lieu où Dieu se fait connaître en révélant son amour et sa tendresse.
L’amour authentique se situe dans un cœur fervent et ardent et non dans les
discours intarissables de nos justifications.
Cette génération est mauvaise : elle demande un signe.
Mais en fait de signe elle n’en recevra pas d’autre que le
signe de Jonas.
Lc 11, 29

Qu’est-ce que le signe de Jonas ? Jonas a été envoyé par Dieu à Ninive mais
il recule devant sa mission et monte sur le premier bateau qu’il trouve pour
s’en aller le plus loin possible. Une tempête terrifiante éclate et
l’embarcation risque de sombrer. Les marins, soupçonnant qu’elle est due à
l’infidélité de Jonas, le jettent à la mer, et immédiatement les flots
s’apaisent. Alors le Seigneur fait venir un gros poisson qui engloutit Jonas.
Il demeure dans ses entrailles trois jours et trois nuits avant que le poisson
ne le recrache sur la côte. Jésus va se servir de cette image pour annoncer
énigmatiquement sa descente dans la mort précédant sa résurrection. Les
sadducéens et les pharisiens, deux partis rivaux, vont ensemble trouver
Jésus. Ils lui demandent un signe bien visible, compréhensible tout de suite,
afin qu’ils puissent eux-mêmes juger de la crédibilité de sa mission. De
même que la couleur du ciel est un indice pour deviner le temps qu’il fera,
de même le signe de Jonas, son séjour de trois jours dans le ventre du
poisson et son arrivée sain et sauf sur une plage est un indice pour
comprendre les événements qui vont se passer au Calvaire. Jésus annonce
de façon énigmatique sa descente dans la mort précédant sa résurrection.
C’est une manière pour lui d’annoncer que les temps messianiques qu’Israël
attend vont s’accomplir sous leurs yeux.
Si quelqu’un veut venir derrière moi, qu’il prenne sa croix
et qu’il me suive. En effet quiconque veut sauver son âme la
perdra mais quiconque perd son âme à cause de moi
l’assurera.
Mt 16, 24-28

S’engager à la suite du Christ n’est pas comparable à un choix politique. Il


s’agit d’un choix existentiel puisqu’il s’agit de mon âme, de ma vie, de ma
personne. En fait, Jésus appelle à suivre le même chemin que lui : passer à
travers la mort pour accéder à la résurrection en trouvant la vie. Faire le
même chemin que Jésus, c’est accepter de recevoir une vie nouvelle, une
résurrection donnée par le Père. À travers cette simple phrase, c’est un bel
acte de foi qui est proposé : à cause de Jésus, il faut accepter de se
déposséder de notre vie pour la recevoir du Père, une vie éternelle qui ne
sera pas détruite par la mort physique. Suivre le Christ, c’est être assuré de
partager avec lui la béatitude éternelle. Réfléchissons à la portée d’une telle
phrase écrite dans une période de persécutions et nous comprendrons
comment les martyrs portés par leur foi, quelles que soient les époques, ont
eu le sentiment de rejoindre le Christ au moment où ils acceptaient de
donner leur vie en témoignage.
Je vous le déclare encore, si deux d’entre vous sur la terre
se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela
leur sera accordé par mon Père qui est aux Cieux. Car là
où deux ou trois sont réunis en mon nom je suis au milieu
d’eux.
Mt 18, 19-20

Il s’agit de prendre conscience de la présence du Christ dans l’Église. Dans


le Royaume inauguré par le Christ, la présence divine n’est plus liée au
Temple, comme dans le judaïsme, mais à la personne même de Jésus. Être
réunis au nom du Christ est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît, parce
qu’il s’agit de s’effacer derrière la personne du Christ, de communier à sa
personne pour devenir capable de faire une prière qui soit la sienne c’est-à-
dire qui corresponde à ce que lui-même demanderait. C’est seulement à
cette condition que l’on devient capable de dire au Père la prière que le
Christ aurait lui-même prononcée. On retrouve ainsi à travers cette
proposition cette autre phrase de Jésus : « Tout ce que vous demanderez à
mon Père en mon nom il vous l’accordera » (Jn 15, 16). La prière au nom
de Jésus montre ce qu’est l’Église, une communauté qui s’efforce de faire
ce que Jésus demande, qui réalise sa mission apostolique par la communion
au Christ. Il ne s’agit pas de former simplement des petits groupes
sympathiques mais, au-delà, de retrouver ensemble la parole de Jésus pour
prendre conscience des tâches qu’il confie à ses disciples.
Alors Pierre s’approcha et lui dit : Seigneur, quand mon
frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui
pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? Jésus lui dit : Je ne te
dis pas sept fois mais jusqu’à soixante-dix-sept fois sept
fois.
Mt 18, 21-22

À la même époque, les rabbins aussi discutaient entre eux de cette question.
En disant sept fois, Pierre croit être d’une infinie générosité. Mais voilà que
la réponse de Jésus apparaît bien déconcertante aux yeux de Pierre. En effet,
en proposant de pardonner soixante-dix-sept fois sept fois, Jésus signifie
tout simplement qu’il faut pardonner à l’infini, sans se lasser, exactement
comme le fait Dieu le Père. Mais Jésus ne se borne pas à donner une telle
réponse, il l’illustre avec une parabole qui met en scène un roi et ses
serviteurs, tous débiteurs insolvables. Le roi, ému jusqu’aux entrailles,
remet la lourde dette du premier serviteur, mais celui-ci, au lieu d’imiter la
mansuétude du roi à son égard, se précipite sur l’un de ses compagnons qui
lui devait une petite somme d’argent. Il reste sourd aux supplications de ce
dernier et le fait jeter en prison. Alors le roi fait venir celui dont il avait
effacé la lourde dette et lui dit : « Ne devais-tu pas toi aussi avoir pitié de
ton compagnon comme moi-même j’ai eu pitié de toi ? » La bienveillance
du roi transcende tous nos calculs pour savoir combien de fois pardonner.
Le seul pardon possible s’exerce par la pitié et la miséricorde, et qui peut
changer notre cœur pour qu’il devienne capable d’exercer une telle bonté ?
Dieu seul. Jésus sur la croix est l’exemple du pardon : « Père pardonne-leur,
ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).
Est-il permis oui ou non de payer l’impôt à César ? Rendez
à César ce qui est à César.
Mt 23, 15

À la question centrale concernant l’impôt qu’il fallait payer à César, Jésus


répond par un réalisme politique surprenant, lié au théocentrisme de la
tradition prophétique. L’impôt à César doit être payé, car l’effigie sur la
pièce de monnaie est la sienne ; mais l’homme, chaque homme, porte en lui
une autre image, celle de Dieu, et c’est donc à lui et à lui seul que chacun
doit sa propre existence. Les pères de l’Église, en partant du fait que Jésus
se réfère à l’image de l’empereur frappée sur la pièce de monnaie de
l’impôt, ont interprété ce passage à la lumière du concept fondamental
d’homme image de Dieu, contenu dans le premier chapitre du livre de la
Genèse. L’effigie de Dieu n’est pas frappée sur l’or, mais sur le genre
humain. La monnaie de César est l’or, celle de Dieu est l’humanité dans sa
diversité. Il faut donner la richesse matérielle à César et réserver à Dieu
l’innocence unique de sa conscience, ce trésor intime où Dieu est
contemplé. Alors que César a exigé que son effigie apparaisse sur chaque
pièce, Dieu a choisi l’homme, qu’il a créé, pour refléter sa gloire. C’est
pourquoi un visage plein de grâce et d’amour est la plus belle empreinte de
l’effigie divine.
Je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer
par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le
Royaume des Cieux.
Mt 19, 24

Dans quelles circonstances Jésus prononce-t-il cette phrase ? C’est à l’issue


d’une discussion avec un jeune homme riche qui lui demandait ce qu’il
devait faire de bon pour avoir la vie éternelle. Regardons la question : le
Bon, c’est une autre manière de dire Dieu. Le jeune homme demande ce
qu’il doit faire pour vivre en communion avec Dieu. Jésus cite la Loi et le
jeune homme de répondre que tous ces commandements, il les observe.
Alors Jésus va plus loin et lui demande s’il veut être parfait, cette perfection
signifiant l’accomplissement de la fidélité à la Loi. Qui est parfaitement
fidèle à la Loi, qui va accomplir la Loi ? Jésus en personne. Pour le suivre,
il faut se déposséder de ce que l’on a pour tout recevoir de Jésus. Le jeune
homme s’en alla tout triste car il avait de grands biens. La réponse de Jésus
montre la liberté qui est laissée à l’homme : à lui de choisir, mais pour
suivre Jésus, les conditions sont posées. Prendre sa croix comme cela a été
dit à un autre moment de l’Évangile et prendre sa croix vu d’une manière
humaine, c’est aussi impossible et héroïque que l’image du chameau. La
démesure de cette comparaison montre que l’homme n’arrivera jamais à
accomplir cet exploit avec sa seule bonne volonté. Dans sa réponse aux
disciples, Jésus renverse la perspective : il faut laisser tout ce qui nous
appartient pour tout recevoir du Tout-Autre qui est Dieu.
Qui donc peut être sauvé ? Fixant son regard sur eux, Jésus
leur dit : Aux hommes c’est impossible mais tout est
possible à Dieu.
Lc 1, 37 et Mt 19, 26

Les apôtres ont de quoi être découragés et peuvent s’interroger à juste titre
sur le sens de leur engagement. Ils ont le sentiment d’avoir vraiment
répondu à l’appel de Jésus. Ils ont laissé leurs filets de pêche et ils le
suivent chaque jour. Ils écoutent Jésus, et quelquefois, ils ont tant de mal à
comprendre le sens des paraboles qu’ils demandent à Jésus de leur
expliquer davantage, ce que Jésus fait avec patience, en leur donnant une
leçon particulière. Examinons la réponse de Jésus. Il les regarde
attentivement – ce détail est très important car chacun a du prix à ses yeux.
De la même manière, quand Pierre aura renié Jésus, celui-ci posera son
regard sur lui, alors Pierre se mettra à pleurer (Lc 22, 61). On a le sentiment
légitime que ce que demande Jésus dépasse nos forces. Pourtant, ce n’est
pas impossible, parce que Jésus a rétabli pour nous la communion avec le
Père. Jésus nous rend capables de le suivre et donc d’aimer son Père comme
lui le fait. Nous voilà confrontés au mystère de l’amour de Dieu offert à
chacun. Si nous l’acceptons, nous devenons capables d’agir comme Jésus et
donc de soulever des montagnes. C’est cela, l’espérance chrétienne.
Les derniers seront les premiers et les premiers seront les
derniers.
Mt 20, 16

Une phrase comme celle-ci heurte notre logique, notre bon sens et notre
sensibilité. Elle nous donne le sentiment d’un arbitraire immérité. Mais il
faut replacer cette phrase dans son contexte. Elle est la conclusion d’une
parabole où Jésus met en scène le propriétaire d’une vigne qui engage des
ouvriers pour les vendanges, tout au long de la journée. Qui est le
propriétaire de la vigne ? Les disciples comprennent tout de suite qu’il
s’agit de Dieu et que la vigne représente Israël, son peuple bien-aimé (Is 5).
À la fin de la journée, tous les ouvriers reçoivent le même salaire, ce qui
bouscule notre vision d’une rétribution calculée sur les heures de travail et
sa pénibilité. En transposant nos normes sociales sur le travail de la vigne,
nous faisons fausse route, car il ne s’agit pas d’évaluer nos mérites. Être
appelés à travailler à la vigne du Seigneur, c’est répondre à son appel pour
découvrir la mesure infinie de l’amour de Dieu. Le même salaire donné à
tous est une image de la gratuité de l’amour divin. Il n’y a pas de premiers
ou de derniers au sens humain, mais des hommes que Dieu aime et qu’Il
appelle : chacun répond en son temps. Cette parabole est illustrée par
l’action de Jésus qui accueille les prostituées et les publicains, les exclus
déformés par la maladie et les païens qui, eux aussi, entreront dans le
Royaume qui n’est plus la possession exclusive d’Israël.
Ma maison sera appelée maison de prière et vous en avez
fait une caverne de bandits.
Mt 21, 13

À peine entré à Jérusalem, Jésus va directement au Temple et chasse les


marchands qui en occupaient le parvis. Matthieu met dans la bouche de
Jésus les paroles prononcées en leur temps par les prophètes qui
dénonçaient l’utilisation superstitieuse du culte et l’hypocrisie de ceux qui
pratiquaient leur religion sans en tirer les conséquences sociales, comme
l’accueil des plus défavorisés. On se souvient aussi des dernières paroles du
prophète Zacharie qui aspire à un Temple purifié dans lequel, aux temps
messianiques, il n’y aura plus de marchands (Za 14, 21). Ce temps est
arrivé car, à peine les marchands chassés, arrivent ceux qui en étaient
exclus : les boiteux qui claudiquent, les aveugles qui tâtonnent, les infirmes
dont le handicap fait fuir les regards. Les enfants les accompagnent cette
fois, en reprenant les paroles avec lesquelles la foule avait acclamé Jésus
entrant dans Jérusalem : Hosanna au Fils de David. Cette acclamation sort
de la bouche des pauvres, ceux auxquels est destinée la Terre promise dont
le Temple est un beau symbole.
Je suis innocent de ce sang. C’est votre affaire…
Mt 27, 24

Innocent, le mot serait-il galvaudé, employé à tort et à travers ? Qualifierait-


on d’innocent un malfaiteur ou bien ferait-on condamner un homme dont on
sait qu’il est innocent ? C’est exactement ce qui se passe dans notre histoire,
dans notre monde, dans l’Évangile. En effet, Pilate emploie ce mot quand il
dit en se lavant les mains : « Je suis innocent de ce sang. C’est votre
affaire… » (Mt 27, 24). Pilate est le représentant de l’empereur, il est
responsable de l’autorité de l’empire qui se veut l’incarnation de la justice,
la prétention à la justice universelle selon la raison, le garant du respect de
l’ordre mondial de l’époque. Le droit romain règne sur le monde et voilà
que la justice de Rome prononce le mot d’innocent tout en livrant cet
innocent à la foule des tueurs. La justice de Rome, en livrant l’innocent, se
transforme en déni de justice, en refus de juger, en exemple majeur
d’irresponsabilité. La justice de Rome devient une caricature d’elle-même.
Peut-être nous montre-t-elle que les hommes, par leurs moyens humains,
par leur cœur tourmenté et plein de haine, ne sont pas capables de discerner
ce qu’est l’innocence ! Se mettre à genoux et contempler l’Innocent par
excellence, celui qui est sur nos crucifix et qui par amour pour nous ne se
révolte pas devant une sentence si injuste, est nécessaire pour comprendre
ce qu’est le mystère du mal triomphant.
Jésus, sachant qu’on allait venir l’enlever pour le faire roi,
se retira dans la montagne.
Jn 6, 15

Souvent, on voit dans l’Évangile, après un miracle de grande envergure, la


tentation de s’emparer de Jésus pour le faire roi. Par exemple après la
multiplication des pains. Non, ce n’était pas encore le moment. Quand il
entrera à Jérusalem sur un âne, l’animal des serviteurs, toute la ville
tremblera en se demandant qui est ce personnage que l’on acclame avec des
palmes à la main. Et la foule de répondre : c’est le prophète Jésus de
Nazareth en Galilée. C’est tout ce qu’ils disent, montrant à la fois qu’ils ont
oublié les miracles qu’il a faits et qu’ils n’ont pas reconnu en lui le roi-
messie, le roi-serviteur qui a choisi d’entrer dans la ville non pas
triomphalement, comme les rois victorieux, mais pauvre et humble.
Pourtant, ce roi commence par faire un miracle : il chasse les marchands du
Temple et à ce moment-là, les pauvres, les boiteux, les estropiés, les
aveugles, tous les infirmes de la vie qui portaient sur leur corps une
anomalie comme si c’était la marque d’un péché, peuvent entrer dans le
Temple avec les enfants, les innocents, et chanter en chœur « Hosannah au
Fils de David, Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ».
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
Mt 6, 11

Cette demande, concernant le pain pour aujourd’hui seulement, évoque tout


de suite le souvenir des quarante années de marche dans le désert. Chacun
se nourrissait de la manne que le Seigneur envoyait du ciel. On recueillait
juste ce qui était nécessaire pour chaque jour ; on n’avait le droit de
recueillir double portion que le sixième jour, afin de respecter le repos du
sabbat. Ce pain est d’abord celui qui est fait de froment et qui assure notre
subsistance, même s’il préfigure déjà le pain eucharistique. Mais le fait que
Dieu le donne « aujourd’hui » indique sa dimension verticale, surnaturelle,
en ce qu’il confesse qu’il ne saurait nous satisfaire entièrement. L’espérance
est source de désir et d’ambition, elle replace l’homme dans la vérité de sa
condition créée à l’image de Dieu et à sa ressemblance (Gn 1, 26-27).
Il y a un deuxième aspect dans cette prière. Il ne s’agit pas d’un pain
ordinaire, mais de « notre » pain, ce qui nous renvoie à la communauté
humaine tout entière. Nous demandons du pain aussi pour les autres, et
nous voilà confrontés au problème de la faim dans le monde et de notre
responsabilité face au partage des richesses de la planète.
Notre Père qui es aux Cieux… Donne-nous aujourd’hui
notre pain de ce jour.
Lc 11, 1

Cette prière, c’est Jésus qui nous l’a apprise quand ses apôtres lui ont
demandé de leur apprendre à prier. De la même manière que nous disons
« Notre Père » au début de cette prière en pensant que tous les hommes sont
frères, nous demandons notre pain en pensant à toute la communauté, et
nous demandons donc du pain pour les autres. En demandant à Dieu qu’il
nous donne notre pain, nous lui demandons en même temps de se souvenir
de ce qui s’est passé au désert où il envoyait chaque jour la quantité de
nourriture suffisante pour nourrir son peuple, avec la manne. Il fallait faire
confiance et ne prendre que la quantité d’un jour ; ceux qui voulaient en
prendre plus parce qu’ils avaient peur de manquer ne trouvaient le
lendemain que de la nourriture pourrie. La manne, c’était la préfiguration de
l’eucharistie, et nous pouvons, au-delà du pain quotidien nécessaire à notre
survie, demander à Dieu qu’il nous assure aussi le pain eucharistique pour
nourrir notre âme.
Tous les participants avaient les yeux fixés sur lui quand
Jésus dit : « Aujourd’hui cette Écriture est accomplie pour
vous qui l’entendez. »
Lc 4, 16

Annoncer aux pauvres la bonne nouvelle, telle est la mission de Jésus. Les
pauvres, ce sont ceux qui ne se gonflent pas d’un orgueil vain, ceux qui ont
un cœur humble. Comment Jésus lui-même comprend-il ce mot
d’« aujourd’hui » dont il est familier, puisqu’il fait partie de sa prière
quotidienne ? À Nazareth, le village où il a passé toute sa jeunesse, il y a
une synagogue et Jésus participe aux offices, il fait même la lecture, ce que
rapporte Luc. Justement ce jour-là, il lit un texte du prophète Isaïe (61).
Jésus actualise ces paroles du prophète : cette promesse de Dieu n’a pas eu
lieu il y a plusieurs siècles, c’est maintenant devant vous que les aveugles
vont retrouver la vue, que les prisonniers seront libérés. C’est effectivement
ce qui se passera quand Jésus guérira des aveugles pour expliquer notre
cécité spirituelle, qui nous empêche de le reconnaître comme Messie.
Aujourd’hui chez nous comme à Nazareth autrefois, la figure de Jésus peut
susciter l’hostilité, car les habitants de Nazareth refusent son message et
prennent Jésus pour un imposteur. Aujourd’hui, nous dit Jésus, il vient pour
accomplir pour nous ce qui était promis, nous délivrer de notre aveuglement
afin que nous puissions le reconnaître et l’aimer.
Descends de ton arbre, il me faut aujourd’hui demeurer
dans ta maison.
Lc 19, 1-10

Zachée était un collecteur d’impôts, donc un homme qui n’était pas très
bien considéré, parce que l’on pensait que sa fortune personnelle avait bien
profité des sommes d’argent qu’il avait ramassées au détriment de la
population. Il avait entendu parler des miracles que Jésus faisait et avait
envie de le voir, mais il était petit et la foule était très dense. Alors il eut
l’idée de grimper sur un arbre. Jésus s’arrêta devant lui et lui fit part de son
désir de demeurer chez lui. C’est ce que Jésus dit à chacun de nous : laisse
de côté tout ce que tu as à faire. Aujourd’hui, je viens dans ta maison, c’est-
à-dire dans ton cœur. Comme Zachée, cette demande nous remplit de joie.
Zachée prit ce jour-là la résolution de donner une partie de ses biens aux
pauvres et se soucia de réparer le tort qu’il avait fait. Nous ne sommes pas
collecteurs d’impôts mais nous avons fait du tort aux uns ou aux autres,
c’est sûr : une parole maladroite, blessante, un geste manqué qui a fait de la
peine font trop souvent partie de notre quotidien. Si Jésus vient aujourd’hui
nous visiter, à nous de réparer humblement, sans que personne ne s’en
rende bien compte ; nous saurons que Jésus pourra nous dire, comme il l’a
dit à Zachée : aujourd’hui, le salut est venu dans cette maison.
Donne-moi à boire.
Jn 4, 7

C’est la demande de Jésus à la Samaritaine. Jésus, fatigué, s’était assis au


bord du puits pendant que ses disciples étaient allés au village voisin faire
les courses. Il était midi. Arrive une femme qui vient pour puiser à une
heure tout à fait anormale, parce qu’il fait trop chaud : sans doute ne
voulait-elle pas être vue. Jésus lui demande simplement à boire, prétexte
pour entamer la conversation. Pas une conversation ordinaire mais une vraie
catéchèse, au cours de laquelle Jésus lui révèle le don de l’eau vive. Il lui
explique ensuite à elle, une femme étrangère et aux hommes trop nombreux
pour mener une honnête vie, qu’il est le Messie. C’est l’extraordinaire de
cette scène où la demande est retournée. Jésus demande à boire et c’est lui
qui donne l’eau vive, cette eau parlante qui s’est approchée des lèvres de
cette femme pour qu’elle boive à la source du Seigneur. Comment ne pas
évoquer alors l’eau du baptême, le vin de l’eucharistie et dire à Jésus :
Seigneur, donne-moi faim et soif de toi.
Comprenez-vous ce que je vous ai fait ?
Jn 13, 12

Avant le dernier repas qu’il partagea avec eux, Jésus se fit serviteur : il se
mit à genoux devant ses apôtres pour leur laver les pieds. On nous précise
même qu’il enleva son manteau et mit son tablier (Jn 13, 4). Mais ce qui est
important, c’est justement la question qu’il pose ensuite à ses disciples :
comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Et Jésus explique ce que c’est que
d’être le Maître et le Seigneur. Ce n’est pas ce que nous imaginons, une
situation de pouvoir où la volonté du Maître et du Seigneur serait toute-
puissante. Il s’agit justement de se mettre à genoux devant l’autre pour lui
laver les pieds, un rôle qui était réservé aux serviteurs. Le Maître et
Seigneur n’est pas celui qui impose sa volonté, mais celui qui est au service
des autres, et les apôtres, comme nous, ont beaucoup de mal à comprendre,
parce que se mettre à genoux devant l’autre n’est pas une attitude courante.
Elle ne peut être comprise que dans la prière et dans la transfiguration de la
figure de l’autre si nous acceptons de reconnaître en lui, quels que soient
ses traits déformés par la médisance et les impostures, le visage du Christ.
Que veux-tu que je fasse pour toi ?
Mc 10, 46-52

Cette question, Jésus la pose à Bartimée, fils de Timée, un aveugle assis le


long du chemin près duquel il passait. Il avait quitté Jéricho et montait vers
Jérusalem. L’aveugle est le symbole de tout homme qui cherche la vérité et
se met en quête de la lumière de Dieu. Bartimée appelait Jésus en ces
termes : « Fils de David, aie pitié de moi. » Ses paroles rejoignaient celles
que prononçait le publicain priant dans le Temple et demandant à Dieu
d’avoir pitié du pécheur qu’il était. Plus on cherchait à faire taire Bartimée,
plus il criait fort, si bien que Jésus s’arrêta et lui demanda ce qu’il voulait. Il
répondit : « Rabbouni, que je voie ». Il était capable de nommer son mal,
confiant d’être exaucé. Effectivement, Jésus répondit à sa requête et le
guérit. Alors l’homme put se remettre debout et prendre la route à la suite
de Jésus. Très curieusement, cette guérison est la dernière que Jésus
accomplit avant sa Passion : il rendit la vue à quelqu’un qui ne voyait plus.
Bartimée était devenu un mendiant. Il est l’image de ceux qui, dans leur
aveuglement, mendient un sens à leur existence. Marc, en une scène très
courte, a présenté le vrai disciple : celui qui est illuminé par le Christ et qui,
voyant bien sa route, devient capable de se mettre en marche à sa suite.
Venez à moi car je suis doux et humble de cœur.
Mt 11, 29

On fait souvent des contresens sur la signification du mot « doux » en


attribuant à cet adjectif un sentiment de faiblesse ou même de mollesse. Or,
l’Évangile montre que Jésus n’est pas un doux au sens ordinaire, car il sait
très bien se mettre en colère, par exemple quand il chasse les marchands du
Temple ou quand il s’en prend à l’hypocrisie des pharisiens. Au sens
biblique, l’homme doux est le nom donné aux croyants qui sont restés
fidèles au milieu des persécutions, des déportations en Babylonie, et qui
appartiennent à ce petit reste cité par Isaïe : un tout petit groupe d’hommes
et de femmes qui, au milieu des tentations de l’idolâtrie, alors qu’ils
n’avaient plus de Temple et que leur cité avait été détruite, ont continué à
professer la foi en un Dieu Unique. Être doux, c’est refuser la violence
gratuite qui blesse sans raison. En ce sens, ceux qui suivent Jésus ne
répondront pas par les armes mais accepteront d’être arrêtés comme Jésus
l’a été. L’humilité donne la liberté d’être en opposition avec la pensée des
autres, avec le courant dominant. L’humilité donne la liberté de dire la
vérité. Humilité et douceur sont deux qualités essentielles de Jésus.
(…) Un homme couvert de lèpre se trouvait là. À la vue de
Jésus il tomba face contre terre et lui adressa cette prière :
« Seigneur, si tu le veux tu peux me guérir. » Jésus étendit la
main, le toucha et dit : « Je le veux, sois purifié. » À
l’instant la lèpre le quitta.
Lc 5, 12-15

Dans l’Antiquité et même dans les siècles qui suivirent, le lépreux est
l’homme maudit, sa lèpre ne pouvant être que le résultat d’une offense à
Dieu. Il se trouve dans la même condition que Job. Même si ce n’est pas lui
le coupable, ce sont ses parents ou quelqu’un de sa parentèle : son corps est
la marque vivante d’un péché, puisque la maladie est considérée comme
une punition de Dieu. De plus, il est contagieux, et il faut donc
impérativement le fuir. Le lépreux est un homme qui n’a plus aucune vie
sociale tant son corps porte le visage de la mort. Or, Jésus ne fuit pas, mais
il étend la main et le touche. Il ne s’agit pas d’un geste magique ni d’un
toucher de guérisseur. Le geste de Jésus, celui de toucher, est chargé d’une
signification religieuse et missionnaire. En touchant le malade, il accepte de
prendre sur lui sa contagion, d’assumer sa lèpre, de porter son péché. Quand
Jésus agit ainsi, il accomplit magnifiquement sa mission de serviteur telle
qu’elle est décrite chez le prophète Isaïe : « En fait ce sont nos souffrances
qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées… et dans ses plaies
se trouvait notre guérison » (Is 53, 4-5).
Père, j’ai péché contre le Ciel et contre toi, je ne mérite
plus d’être appelé ton fils.
Lc 15, 11-24

C’est l’histoire d’un jeune qui a tout pour être heureux chez lui mais qui
rêve d’une liberté à sa façon. Il demande sa part d’héritage et s’en va vivre
ailleurs : là, les tentations s’enchaînent, au point qu’il dépense tout ce qu’il
avait et qu’il se retrouve sans rien. C’est seulement à ce moment-là qu’il se
souvient et qu’il éprouve la nostalgie du foyer paternel. Alors il réfléchit à
ce qu’il pourrait dire à son père et, en son cœur, il compose d’avance la
prière de pardon qu’il prononcera. Et son père est son père, un père qui
n’avait cessé de l’aimer et qui attendait malgré tout, chaque jour, son retour.
C’est son père qui l’aperçoit de loin, qui court à sa rencontre et qui le presse
sur son cœur ; Rembrandt l’a immortalisé dans son grand tableau intitulé Le
Retour de l’enfant prodigue, où l’on voit le fils comme un pauvre sans
couleurs accueilli entre les bras du père dont le visage exprime une
tendresse infinie. Que cherche Jésus en racontant cette belle histoire ? Il
veut montrer par cet exemple ce qu’est la miséricorde de Dieu, qui
pardonne sans demander la moindre explication. Cette parabole illustre le
dialogue qui existe entre nos faiblesses et l’infinie patience de Dieu qui
attend chaque jour notre retour. Dieu répond par sa patience à notre
mesquinerie qui fait des comptes, notre jouissance qui exalte le plaisir, notre
gaspillage de la vie ; c’est la raison de toute espérance.
Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue un jour
de sabbat, et là, il y avait une femme ayant un esprit qui la
rendait infirme depuis dix-huit ans, et elle était toute
courbée et elle n’avait pas la puissance pour se redresser
complètement.
Lc 13 10-17

La position debout distingue l’homme de l’animal et le rapproche des


anges. Cette femme est donc privée d’une part d’humanité et d’un contact
avec la divinité. Au sentiment d’incurabilité s’ajoute la dégradation
personnelle, l’humiliation permanente, sans parler de la douleur physique.
Elle symbolise la créature marquée par la chute. Luc insiste sur le fait
qu’elle est courbée et ne peut se redresser : elle n’a pas la puissance. Jésus
la voit et lui parle : il l’appelle. Il faut noter l’importance du geste de
l’imposition des mains pour que la faiblesse devienne force et que la
servitude devienne délivrance heureuse, car ce miracle explicite la
puissance de Dieu en action. C’est pour exprimer cette irruption de la force
divine, qui fera de cette délivrance une régénération, que Luc reprend ce
geste liturgique associé au ministère de guérison ou de don de l’Esprit :
Jésus impose les mains. Là encore, le redressement est instantané. Le verbe
employé signifie précisément « se redresser ». En redressant cette femme,
Jésus observe le sabbat, puisqu’il offre vie et repos à cette femme. Dieu
achève la Création au septième jour : il se réjouit de la création de l’homme
et l’invite à entrer dans sa propre vie par le commandement de se reposer
avec lui, et donc de participer à la joie de la Création (Gn 2, 2). La femme
n’est plus dominée par le temps des hommes, elle va pouvoir entrer dans la
louange, qui est le sens du sabbat, ce qu’elle fait immédiatement. Le Fils
rétablit la créature dans son intégrité initiale.
Or, le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée et
la mère de Jésus était là. Jésus lui aussi fut invité ainsi que
ses disciples. Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui
dit : « Ils n’ont plus de vin ». Mais Jésus lui répondit :
« Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore
venue. » Sa mère dit aux servants : « Quoiqu’il vous dise,
faites-le. »
Jn 2, 1-5

À première vue, c’est une conversation « humaine ». Marie ne demande


rien à Jésus, elle lui dit simplement : ils n’ont plus de vin. Les festivités du
mariage duraient facilement une semaine et on comprend très bien que les
réserves s’épuisent ! « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas
encore venue », répond Jésus, et devant cette réponse si sèche, nous
voudrions objecter que Marie lui a donné chair et sang, qu’elle l’a porté
dans son sein et qu’elle est sa mère. Pour comprendre en vérité ce dialogue,
il faut se reporter au récit de l’Annonciation, quand Marie répond à l’ange :
« Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit » (Lc 1, 38). Marie dit de la
même manière aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Il y a entre
Marie et Jésus une unité profonde qui fait qu’ensemble, ils ne recherchent
qu’une chose, être fidèles à la volonté de Dieu. La foi de Marie exprimée à
travers ces paroles – faites tout ce qu’il vous dira – et le signe qui va être
donné, celui du vin le meilleur qui soit, seront le symbole des noces
annoncées par les prophètes entre Dieu et son peuple, une autre manière de
décrire l’accomplissement de l’Alliance. Pourquoi Jésus emploie-t-il ce mot
de « femme » ? « Femme » recouvre un double sens, l’un dans le passé et
l’autre pour le futur. L’un renvoie à la figure d’Ève, mais Marie représente
aussi la femme par excellence, celle qui sera au pied de la croix quand Jésus
dira à Jean : « Voici ta mère » (Jn 19, 27).
Pilate demanda donc à la foule qui était rassemblée : « Qui
voulez-vous que je vous relâche, Barabbas ou Jésus qu’on
appelle le Messie ? »
Mt 27, 17

La foule, qui est anonyme par nature, est bien présente dans l’Évangile et y
joue un très grand rôle. Combien y a-t-il de malades que Jésus a guéris qui
sont dispersés dans la foule ? Mais aujourd’hui, la question n’est plus là. En
effet, c’est à cette foule-là que Pilate s’adresse pour savoir qui il devrait
relâcher : Jésus ou un prisonnier nommé Barabbas. Le gouverneur avait
l’habitude de gracier un condamné à l’occasion de la fête de la Pâque. Pilate
interroge la foule, et celle-ci répond : Barabbas. C’est toujours devant la
foule, nous dit l’Évangile de Matthieu (27, 17), que Pilate prit de l’eau et se
lava les mains (« en présence de la foule », 27, 24). La foule a répondu, la
foule est témoin, la foule se fait procureur. Mais, au-delà de ce qui se passe
et que, dans un jugement rapide, nous pouvons attribuer à la versatilité des
foules à laquelle l’histoire nous a habitués, nous devons dégager le sens de
cette réponse. Le Christ est l’Innocent par excellence ; en étant livré aux
grands prêtres, à la foule, à Pilate l’occupant romain, il dévoile par son
innocence même et son obéissance à Dieu la volonté homicide qui habite le
cœur de tous les hommes. Il le fait en acceptant d’être leur victime. La foule
est le miroir de ce que nous sommes : dans la trahison et la livraison de
Jésus, tous ceux qui crient découvrent leur péché, leur cruauté et leur
lâcheté. La foule, c’est l’image des hommes qui disent non à Dieu.
Ce que j’ai écrit je l’ai écrit.
Jn 19, 22

La coutume voulait que l’on inscrive sur les croix des suppliciés le motif de
leur condamnation. Pilate avait fait rédiger un écriteau en hébreu, en latin et
en grec portant cette inscription : « Jésus le Nazôréen roi des Juifs », ce que
rapportent les quatre évangélistes. Les grands prêtres veulent une
rectification et viennent trouver Pilate pour lui dire ce qu’il fallait écrire :
« Cet individu a prétendu qu’il était le roi des Juifs ». Pilate refuse, car il ne
veut pas revenir sur ce qui est écrit. De manière paradoxale, c’est Pilate, le
gouverneur romain, donc le païen, qui désigne Jésus comme roi des Juifs,
ce qu’il est en vérité. Mais la rédaction de l’écriteau, en nommant Jésus roi
des Juifs et non roi d’Israël, souligne l’aspect le plus ethnique, le plus
méprisable et le plus réducteur aux yeux des Romains. Les disciples ont
acclamé en lui le Messie, le vrai roi d’Israël que les siècles attendaient, et
aux yeux du monde, au calvaire, il n’est que le roi des Juifs, un homme
condamné pour désordre et révolte contre l’autorité suprême de l’ordre
romain. Or, cet écriteau est écrit en hébreu, en grec et en latin, c’est-à-dire
dans les trois langues de l’univers civilisé d’alors, pour que le monde entier
de l’époque sache qui il est, ce pauvre roi de dérision. Rome, représentante
de la justice, de la civilisation, garante de l’ordre, donne l’exemple d’une
justice faussée par la haine et la corruption, la lâcheté et l’ambition d’un
gouverneur de province, qui veut le calme dans sa cité à n’importe quel prix
pour mieux assurer la promotion de sa carrière.
Les foules qui marchaient devant lui et celles qui le
suivaient criaient : « Hosanna au Fils de David. Béni soit
celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut
des Cieux. »
Mt 21, 9

L’accueil de Jésus par la foule se déroule dans l’atmosphère de la fête des


Tentes. Cette fête, célébrée chaque année au moment où les récoltes étaient
rentrées, rappelait les marches dans le désert au temps de la conquête de la
Terre promise. Elle durait une semaine ; le dernier jour, on célébrait la
royauté universelle du Dieu d’Israël et en même temps l’espérance de la
venue du Messie. Nous en avons pour preuve les palmes que les foules
brandissent en chantant un verset du psaume 118. Le titre attribué à Jésus,
« Fils de David », rappelle la promesse faite à David par le prophète Nathan
et reprise par Isaïe. L’acclamation est un hymne d’allégresse qui exprime la
conviction qu’en Jésus, Dieu a visité son peuple. C’est un acte de foi dans
la reconnaissance du Messie. Or, cette foule-là sera la même qui, quelques
jours plus tard, prononcera la condamnation de Jésus en répondant à Pilate :
crucifie-le. Car la question est celle-ci : tous ceux qui acclamèrent Jésus
quand il entra à Jérusalem avaient bien une idée personnelle de ce que
devait faire le Messie… et leur déception se transforma en condamnation,
parce que tout ce que Jésus a fait, toutes les guérisons, tous les miracles, ne
correspondaient pas à la vision politique que les habitants de Jérusalem,
excités et manipulés par les grands prêtres, avaient du Messie.
Votre père c’est le diable, et vous avez la volonté de réaliser
les désirs de votre père. Lorsqu’il profère le mensonge, il
puise dans son propre bien parce qu’il est menteur et père
du mensonge.
Jn 8, 44

Jésus est en butte aux mensonges des hommes et il le dit de manière très
forte, presque violente, au cours d’une grande discussion qu’il a avec les
Juifs. Face à l’enseignement de Jésus, les Juifs rétorquent : nous avons pour
père Abraham, comme si cette affirmation était le garant de leur bonne
conscience. Or, Jésus leur répond que leur père, c’est le diable qui, dès les
commencements, s’est attaché à faire mourir l’homme. C’est une allusion
au récit de la Genèse, et Jésus explique que le diable est mensonge et père
du mensonge. Il essaie de faire comprendre que la tentation du mal, les
tendances de l’homme vers le péché, ses pulsions plus fortes que sa volonté
sont l’œuvre du diable, et qu’il ne faut jamais se fier à ses discours
enjôleurs car ils ne sont que fausseté et parodie. Il s’agit là du mensonge le
plus grave, parce qu’il concerne Dieu et Jésus. Nous voyons alors, dans
cette longue discussion du chapitre 8 de Jean, cette opposition irréductible
entre les uns qui s’enferment dans le mensonge et Jésus qui essaie
d’expliquer aux Juifs que, si véritablement ils ont pour père Abraham, ils le
reconnaîtraient, lui Jésus, dans l’authenticité de sa mission. C’est bien cela,
le mensonge qui aveugle les yeux des hommes et endurcit leurs oreilles,
empêchant l’amour de triompher afin de reconnaître la parole de Dieu à
l’œuvre en ce monde.
Le malfaiteur disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu
viendras comme roi. » Jésus lui répondit : « En vérité je te
le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »
Lc 23, 42-43

« Tu seras avec moi » : c’est la promesse de Jésus au bon larron. Jésus est
crucifié avec des malfaiteurs, car lui aussi est considéré comme un malfrat.
L’un de ces malfaiteurs l’injurie et joint sa voix à la horde de ceux qui se
moquent de Jésus. Il joint sa voix à la foule qui répète, étonnée : Il a dit
qu’il était le Fils de Dieu mais si c’était vrai, il serait capable de se délivrer
lui-même. Tous pensent qu’un fils de Dieu possède naturellement un
pouvoir magique, sinon il n’est pas un vrai Dieu. Hélas, ils n’ont pas
compris que Dieu a envoyé son fils pour qu’il prenne sur lui tous nos
péchés et tous nos crimes et se fasse malfaiteur à notre place. L’autre
malfaiteur, qui reconnaissait sa faute, demandait pardon comme le publicain
qui priait humblement dans le Temple en demandant à Dieu de le prendre
en pitié. Sa prière est admirable parce qu’elle commence par un acte de
contrition : « nous avons péché », comme s’il parlait aussi au nom de son
camarade d’infortune en révolte. Elle continue avec un acte de foi
reconnaissant que Jésus est juste, puisqu’il n’a rien fait de mal, et elle se
termine avec un acte d’espérance : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu
viendras dans ta royauté ». Alors Jésus lui répond : « Je te le promets,
aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis ». Être avec Jésus dans
le paradis, cela a-t-il un sens pour nous ? Oui, cela a un sens, mais dans le
mystère de la foi.
Jésus s’en alla avec ses disciples au-delà du torrent du
Cédron, il y avait là un jardin où il entra avec ses disciples.
Jn 18, 1

À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et


dans ce jardin un tombeau tout neuf où personne n’avait
jamais été déposé.
Jn 19,41

Peut-être n’avons-nous jamais remarqué le fait que Jean soit le seul


évangéliste aussi soucieux d’encadrer son récit de la Passion par le mot
« jardin ». En effet, après le grand moment de confidence que constitue la
prière sacerdotale (Jn 17), Jésus partit avec ses disciples au-delà du torrent
du Cédron ; il y avait là un jardin où il entra avec ses disciples. C’est là
qu’il est arrêté sur dénonciation de Judas. Après la mort de Jésus, il y a un
jardin là où il a été crucifié, et dans ce jardin (le mot est répété deux fois) se
trouve un tombeau tout neuf. Il est évident que Jean donne au mot « jardin »
une valeur théologique dans ce contexte de l’Évangile. C’est dans le jardin
qu’a lieu la trahison, mais c’est aussi dans un jardin qu’a lieu la
résurrection ; ainsi, ce mot porte l’évocation du péché d’Adam et d’Ève
dans le jardin d’Éden, lorsqu’ils sont tentés par le serpent, mais le jardin
évoque aussi la rédemption, puisqu’avec la résurrection, il devient image du
paradis retrouvé. Dans le jardin, Jésus a accepté jusqu’au bout la volonté du
Père, il a donné sa vie et a renversé l’histoire, puisqu’il ouvre le Paradis tout
d’abord au bon larron qui est crucifié en même temps que lui.
Pendant quarante jours il leur était apparu et les avait
entretenus du Royaume de Dieu. Alors, au cours d’un
repas, en mangeant le sel avec eux, il leur enjoignit de ne
pas quitter Jérusalem mais d’y attendre la promesse du
Père.
Ac 1, 3-4

Pour rendre le texte plus accessible, les traductions remplacent les mots
« manger le sel » par « partager le repas ». Mais il faut restituer toute la
force du verbe qui est utilisé en grec et qui signifie précisément « manger le
sel ». Quand Jésus mange du sel avec ses apôtres après la résurrection, il
accomplit un geste d’alliance. En effet, le sel représente dans l’Ancien
Testament une réalité inaltérable. « Sur toute offrande que tu présenteras tu
mettras du sel » (Lv 2, 13). L’alliance entre Dieu et Israël est une alliance
consacrée par le sel et elle est immuable aux yeux du Seigneur (Nb 18, 19).
Le sel est une image, un signe pour dire que cette alliance est imputrescible,
que rien ne pourra la détruire. Effectivement, il permet de conserver les
aliments et les empêche de pourrir. On comprend alors pourquoi Luc a
employé ce verbe très précis. Au cours de la dernière Cène, Jésus a institué
la nouvelle alliance, et maintenant, après sa résurrection, en partageant le
repas et en mangeant le sel avec ses apôtres, il exprime le lien qui existe
entre le banquet qui précède la Passion et cette nouvelle communion
conviviale du Ressuscité : il se donne aux siens comme nourriture et les fait
participer ainsi à sa vie qui est la Vie même.
Marie de Magdala était restée près du tombeau et elle
pleurait (…) Elle vit Jésus qui se tenait là mais elle ne
savait pas que c’était lui. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi
pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Mais elle, croyant qu’elle
avait affaire au jardinier, lui dit : « Seigneur, si c’est toi qui
l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis et j’irai le prendre. »
Jn 20, 14-15

Marie de Magdala pense que tout est fini puisqu’elle se soucie des soins
entourant un cadavre. Mais c’est seulement quand Jésus l’appellera par son
nom qu’elle le reconnaîtra. Le Christ jardinier est une belle image pour
signifier que Jésus reprend la tâche de veiller sur la Création qui avait été
confiée à Adam. Hippolyte de Rome, qui vécut au IIe siècle après Jésus-
Christ, propose une interprétation théologique de ce jardin de la
résurrection, qui symbolise désormais l’endroit où vivent les baptisés.
Justement, il compare tous ceux qui viennent de recevoir le baptême à des
plantes arrosées par le Christ et à des boutures vivant sur l’arbre de Vie :
« Voici l’Éden qui est un jardin de délices, planté de bons arbres qui sont
l’assemblée des justes. Il coule dans ce jardin un fleuve intarissable, c’est le
Christ. Il est l’arbre de Vie. Par ses racines, moi aussi je m’enracine, par ses
branches moi aussi je m’étends. Sa rosée me réjouit et son esprit comme un
vent délicieux fait de moi une terre fertile. À son ombre j’ai dressé ma
tente, là je fuis les grandes chaleurs et je trouve un abri plein de rosée. Ses
feuilles sont ma frondaison, ses fruits font mes délices et désormais je jouis
des fruits qui m’étaient réservés dès l’origine. »
[Quand Paul arriva à Athènes], son esprit s’échauffa en lui
au spectacle de cette ville remplie d’idoles… Il prit la
parole au milieu de l’Aréopage : « Quand je parcours vos
rues, mon regard se porte sur vos monuments sacrés et j’ai
découvert entre autres un autel qui porte cette inscription :
Au dieu inconnu. Ce que vous vénérez sans le connaître, je
viens vous l’annoncer. »
Ac 17, 16

Plein de courage, Paul commence à prêcher et à annoncer le mystère de


Jésus et de sa résurrection devant tous ces maîtres en philosophie, devant
tous ces beaux esprits capables de construire les raisonnements les plus
subtils, des épicuriens et des stoïciens, des platoniciens et des
aristotéliciens, bref la fine fleur de la pensée. Ce qui devait arriver arriva :
comment tous ces artistes de la raison triomphante, comment tous ces
professeurs maîtres de la culture la plus raffinée et la plus élaborée qui soit,
comment pouvaient-ils entendre le discours de saint Paul annonçant la
résurrection des morts, promise à tous ceux qui reçoivent la parole de
Dieu ? Saint Paul affronta l’ironie, le mépris, la moquerie : on le traita de
ramasseur de graines, autrement dit d’oiseau jacasseur. Le mystère était trop
difficile à entendre. Mais au milieu de cette foule hostile, méprisante et
cynique, un homme, Denys l’Aréopagite, fut touché par son discours et se
convertit, ainsi qu’une femme et d’autres encore, nous précisent les Actes
des Apôtres. Le discours de Paul a donc été fécond.
Or il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet
homme était juste et pieux, il attendait la consolation
d’Israël et l’Esprit saint était sur lui.
Lc 2, 25

Alors survint un homme du nom de Joseph, membre du


conseil, homme bon et juste : il n’avait donné son accord ni
à leur dessein ni à leurs actes. Originaire d’Arimathie, ville
juive, il attendait le règne de Dieu.
Lc 23, 50

Comme s’il avait voulu ouvrir et conclure son livre avec deux figures
d’hommes justes et pieux qui attendaient la venue du Messie et le règne de
Dieu, Luc emploie justement pour présenter ces deux hommes ce verbe
« attendre » qui les caractérise. Le premier, c’est Syméon, dont il nous dit
qu’il était un homme juste et pieux, qu’il attendait la consolation d’Israël et
que l’Esprit saint reposait sur lui. « La consolation d’Israël » désigne en
termes bibliques l’arrivée du Messie. Or, justement poussé par l’Esprit qui
lui avait dit qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Messie du
Seigneur, il vint au Temple de Jérusalem quand les parents de Jésus
arrivèrent avec l’enfant pour accomplir les rites de purification. Luc
mentionne deux qualités spirituelles pour entrer dans cette attente : un
homme juste, c’est un homme saint, un homme pieux, c’est celui qui prie
sincèrement, non pas comme ceux qui veulent se faire voir et qui occupent
les premiers rangs, ou bien qui vantent ses mérites dans sa prière, comme
Jésus le dit dans son enseignement. Le deuxième homme qui attend, lui
aussi, c’est Joseph d’Arimathie. Cet homme était membre du conseil, c’était
donc un notable, et il eut le courage d’aller voir Pilate pour lui demander le
corps de Jésus.
Après ces événements, Joseph d’Arimathie, qui était un
disciple de Jésus mais qui s’en cachait par peur des Juifs,
demanda à Pilate l’autorisation d’enlever le corps de Jésus.
Jn 19, 38

Justement, cet homme bon et juste n’avait pas donné son accord à ce qui
s’était passé, et c’est lui qui a eu le courage d’aller trouver Pilate pour lui
demander le corps de Jésus. Il y a toute une logique dans la conduite de
Joseph d’Arimathie : il a bien affirmé son désaccord au moment où les Juifs
veulent mettre à mort Jésus. Il assume la responsabilité de demander une
audience à Pilate pour obtenir que le corps de Jésus ne pourrisse pas sur la
croix, comme les Romains avaient l’habitude de traiter le corps des
condamnés. Conformément à la loi juive, il demande que le corps de Jésus
soit mis dans le tombeau tout neuf qu’il possédait. Il attendait le règne de
Dieu et, comble du paradoxe, il reçoit dans ses bras le cadavre de Jésus. Sa
foi est-elle violentée ou réconfortée ? Les deux sentiments composent le
mystère du secret de son cœur. Son attente du règne de Dieu trouva sa
récompense quand les apôtres commencèrent leur prédication à Jérusalem
en annonçant le Christ ressuscité.
Le lendemain, Jean-Baptiste voit Jésus qui vient vers lui et
il dit : Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du
monde.
Jn 1, 29

Comment comprendre cette parole que Jean prononce au moment où il voit


Jésus venir à lui ? Il faut, pour que le sens soit parfaitement clair, se reporter
à la fin de l’Évangile, et donc à ce qui se passe une fois que Jésus a été
crucifié et qu’il est mort sur la croix. Alors que les Romains laissaient
pourrir les cadavres sur la croix de leur supplice, la loi juive obligeait à
enlever le corps du supplicié le jour même. C’est pourquoi on brisait les
jambes des condamnés pour hâter la mort. Les deux brigands ont les jambes
brisées, mais quand les soldats arrivent à Jésus, ils constatent qu’il est déjà
mort et percent son côté d’un coup de lance d’où il sort du sang et de l’eau.
Mais, ce qui est remarquable dans l’Évangile de Jean, c’est qu’à la même
heure, au Temple de Jérusalem, on abat les agneaux pour célébrer la fête de
la Pâque. Comment ne pas faire le rapprochement entre l’agneau pascal et
le corps de Jésus ? En effet, les deux ont en commun de ne pas avoir eu les
os brisés, selon la prescription de l’Exode (12,46). Jésus apparaît alors
comme l’unique sacrifice pascal, lui l’agneau véritable qui porte dans ses
plaies tous les péchés du monde pour les pardonner.
Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le
sabbat, de sorte que le Fils de l’homme est maître même du
sabbat.
Mc 2, 27

Dans quel cadre trouve-t-on cette affirmation de Jésus ? Précisément un


jour de sabbat. Jésus et ses disciples traversent des champs de blé. Les
disciples ont faim, ils arrachent des épis, et les pharisiens qui les voient leur
reprochent de faire ce qui n’est pas permis. Devant leur accusation, Jésus
répond à la manière des rabbins et il invoque un cas d’urgence : David reçut
un jour du prêtre Abiathar les pains de proposition, qui étaient
exclusivement réservés aux prêtres. Pourquoi cette phrase est-elle si
importante ? Si le roi David a enfreint légitimement la Loi, combien plus le
Messie, qui est héritier de David, peut-il ouvrir une voie nouvelle ! Jésus
récuse la conception pharisienne trop étroite de l’institution du sabbat pour
la mettre au service de tout homme. Aussitôt après cette discussion, Jésus
guérit un infirme précisément le jour du sabbat. En agissant ainsi et en
s’affirmant comme le Messie, maître du sabbat, Jésus signe son arrêt de
mort : les pharisiens décidèrent alors de tenir conseil sur les moyens de le
faire périr (Mc 3, 6). Les hommes refusent de voir remettre en cause un
système de rites qu’ils ont savamment construit en le vidant de son sens
premier. Qu’est-ce que le sabbat sinon la louange adressée à Dieu ?
« Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Étendant la
main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes
frères ; quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux
Cieux, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère. »
Mt 12, 48-50

La mère et les frères de Jésus (il faut entendre les cousins) cherchent à lui
parler. C’est l’occasion pour Jésus de faire un pas de plus pour expliquer la
rupture que signifie le Royaume des Cieux par rapport aux membres de la
famille, qui ont des réflexes bien humains de possession. On n’a pas de
droit les uns sur les autres, Jésus n’appartient pas exclusivement à sa
famille. Jésus explique qui il est, c’est-à-dire le Fils du Père qui est aux
Cieux et donc le Fils de Dieu. À ce titre, il crée une relation nouvelle entre
les hommes qui se trouvent réunis dans une même communion, une même
famille, en faisant la volonté du Père qui est aux Cieux. Cette expression
« il est aux Cieux » rejoint une manière de nommer Dieu dans l’Ancien
Testament. Jésus peut appeler tous les hommes de bonne volonté à le suivre,
mais à une condition : faire la volonté de Dieu. Cela renvoie à
l’accomplissement de la Torah et en particulier des Dix Commandements
qui, entre autres, organisent les relations entre les personnes.
« Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissée
seule à faire le service ? Dis-lui donc de m’aider… » Le
Seigneur répondit à Marthe : « Une seule chose est
nécessaire, c’est bien Marie qui a choisi la meilleure part. »
Lc 10, 42

Marthe et Marie sont deux sœurs qui vont accueillir Jésus pour le déjeuner.
Marie écoute Jésus, assise à ses pieds, tandis que Marthe s’affaire et
commence à s’agacer de voir sa sœur immobile, attendant que tout soit prêt.
Alors elle prend Jésus à témoin et cherche à en faire son allié. Marthe
trouve injuste d’être seule à tout faire. Donc, elle demande à Jésus
d’intervenir, pas seulement pour que sa sœur vienne lui donner un coup de
main, mais pour qu’il lui fasse des reproches qui, aux yeux de Marthe, sont
tout à fait justifiés. « Cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissée seule à
faire le service ? » Par ces paroles, elle révèle le fond de son cœur : en fait,
elle voudrait que Jésus ait une vue humaine des choses, comme elle. Jésus
répond : « Marie a choisi la meilleure part. » Cette petite scène est très
importante parce qu’elle montre que nous ne pouvons pas juger à l’aune de
nos choix ordinaires. Il y a une dimension spirituelle dans notre relation à
Jésus : ce n’est pas choisir entre ceci et entre cela, c’est accepter à certains
moments une autre dimension, qui justement est celle de la grâce, pour
imaginer au nom du Christ une relation nouvelle avec ceux qui nous
entourent.
S’ils n’écoutent pas Moïse ni les prophètes, même si
quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas
convaincus.
Lc 16, 31

Quelle tentation à tous les niveaux que la quête de la richesse à tout prix !
Jésus, par une parabole d’une extraordinaire actualité, décrit le luxe et le
confort qu’engendre la richesse (Lc 16, 19-30). Il met en scène un homme
qui a consacré sa vie à sa fortune, si bien qu’il est habillé de vêtements en
lin très fin et de pourpre et qu’il fait chaque jour des repas somptueux. À sa
porte gît un pauvre, le corps malade, un pauvre ou plus exactement un SDF,
puisqu’il est dehors et qu’il aimerait bien avoir les restes de ces repas que
trop souvent on jette à la poubelle. Le pauvre meurt et est emporté par les
anges au Ciel. Le riche aussi meurt, mais lui, il va dans un séjour de
souffrance. Il supplie alors son père Abraham d’envoyer des messagers
auprès de ses frères pour qu’ils comprennent qu’ils doivent changer de style
de vie et se convertir, mais Abraham lui répond : est-ce qu’ils n’ont pas
écouté les prophètes ? Le riche insiste : il faut un miracle bien visible,
quelqu’un qui ressuscite, par exemple. Abraham répondit que, même dans
ce cas, ils ne seront pas convaincus. C’est bien ce qui s’est passé : Jésus est
ressuscité. Est-ce pour autant que le monde s’est converti ? Seul un petit
nombre qui marchent pauvres à la suite de Jésus pauvre… et ces pauvres-là
ont le cœur plein d’une richesse inaliénable.
Lorsque les soldats eurent achevé de crucifier Jésus, ils
prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour
chacun. Restait la tunique ; elle était sans couture, tissée
d’une seule pièce depuis le haut. Les soldats se dirent entre
eux : ne la déchirons pas mais tirons-la au sort.
Jn 19, 22-23

Matthieu, Marc et Luc rapportent que les soldats se partagent les vêtements
de Jésus, ce qui correspondait à la coutume romaine qui voulait que les
bourreaux reçoivent en prime les vêtements des condamnés. Les trois
évangélistes font immédiatement le rapport avec le psaume 22 : « Ils ont
tiré au sort mes vêtements. » Mais pourquoi Jean ajoute-t-il une phrase qui
concerne la tunique ? Précisément tissée d’une seule pièce, elle rappelle la
tunique du grand prêtre (Ex 28, 39-43). C’est une manière de reconnaître la
dignité de Jésus comme grand prêtre, qui offre l’unique sacrifice en
demande de pardon pour tous les hommes. De plus, cette tunique sans
couture est aussi une façon d’exprimer l’unité que Jésus avait demandée au
cours de sa dernière prière : « Père saint, garde-les en ton nom que tu m’as
donné pour qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17, 11). De
même que Jésus a été couronné d’épines comme un roi de dérision, de
même c’est dans le dénuement extrême qu’il accomplit sa mission de grand
prêtre.
Pas lui, Barabbas !
Jn 18, 40

La coutume voulait qu’à l’occasion de la fête de la Pâque, le gouverneur


romain libère un condamné. Un seul cri répond à la proposition de Pilate de
libérer Jésus. Qui est ce Barabbas ? L’évangile de Jean le désigne comme
un brigand, ce qui signifie dans le vocabulaire politique de l’époque qu’il
était un agitateur, un résistant. Matthieu précise un « prisonnier fameux »
(27, 16), autrement dit un meneur d’hommes qui avait sans doute organisé
des actions terroristes contre les Romains dans le but politique de délivrer
Israël de l’occupation romaine. Mais il y a plus : il faut décrypter ce nom de
Barabbas, qui signifie en hébreu « le fils du père », comme s’il représentait
une sorte de double de Jésus. Le choix proposé à la foule entre Jésus et
Barabbas n’est pas fortuit : ce sont deux figures messianiques qui
s’opposent. L’un veut une action immédiate et violente au nom de la liberté
et de l’indépendance d’Israël, l’autre propose le don de soi comme chemin
qui mène à la vie. Pilate, voyant que les cris de la foule redoublaient, et
tremblant à l’idée que cette manifestation dégénère en véritable révolte,
décida de faire libérer le prisonnier Barabbas, condamné pour émeute et
meurtre (Lc 23, 25), et de livrer l’innocent Jésus aux bourreaux.
Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu.
Jn 20, 29

Thomas n’était pas avec les apôtres quand Jésus leur apparut après la
résurrection. À ceux qui étaient tout heureux d’avoir vu Jésus, il dit avec
véhémence que, s’il n’enfonçait pas son doigt dans les blessures du crucifié,
il ne croirait pas. Il veut voir lui-même, avoir une preuve, vérifier ce qui est
incroyable. En cela, il exprime un réflexe bien humain. Une semaine plus
tard, Jésus le prend au mot : il lui offre de mettre son doigt dans les traces
des clous qui ont percé ses mains et d’enfoncer sa main dans son côté. Jésus
a attendu, il lui a laissé le temps nécessaire. Jésus offre son corps à celui qui
a exprimé haut et fort son incrédulité. Mais plus encore, en montrant ses
plaies, Jésus offre à Thomas le souvenir de son abandon et d’une certaine
manière de sa trahison, puisqu’il n’est pas resté au pied de la croix, partant
avec les autres apôtres. Mais cette trahison est pardonnée, puisque Jésus est
devant lui et l’appelle. Thomas s’exécute, met ses mains dans les plaies et
prononce un bel acte de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28). Ce
sont les mots essentiels qui résument à la fois la lente révélation du Dieu
unique annoncé à Israël et la découverte de son Messie qui a vaincu la mort.
À travers ces mots, Thomas comprend et fait siennes les paroles que Jésus
avait dites peu de temps avant son arrestation : « Celui qui m’a vu a vu le
Père… Croyez-moi, je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14, 9-
11). Cette scène montre que la foi est bien un don de Dieu : Jésus s’est
offert à l’incroyance de Thomas.
Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
Ac 5, 29

Cette parole inaugure une nouvelle histoire de liberté dans le monde. Saint
Pierre se trouve devant le Sanhédrin, l’institution religieuse juive suprême.
Il est convoqué pour avoir enseigné le nom de Jésus dans le Temple alors
que prononcer ce nom était interdit depuis les événements de la crucifixion.
La réponse de Pierre au Sanhédrin est presque identique à la réponse de
Socrate au juge du tribunal d’Athènes. Le tribunal lui offre la liberté à
condition qu’il ne s’obstine pas dans cette quête de Dieu. Mais une liberté
achetée en renonçant au chemin vers Dieu ne serait plus une liberté. Il doit
donc obéir non pas à ces juges – il ne doit pas acheter sa vie en se perdant
lui-même –, mais il doit obéir à Dieu. L’obéissance à Dieu a la primauté.
C’est en connaissant Dieu par la lecture de la Bible que l’on apprend la
véritable obéissance, qui est le fondement de la liberté humaine. Exerçant
cette liberté, Pierre affirme devant ce tribunal les raisons de sa démarche :
« Le Dieu de nos Pères a ressuscité Jésus que vous aviez exécuté en le
pendant au bois. C’est lui que Dieu a exalté par sa droite comme Prince et
Sauveur pour donner à Israël la conversion et le pardon des péchés » (Ac 5,
30).
Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous pendant qu’il
nous parlait en chemin quand il nous expliquait les
Écritures.
Lc 24, 32

Deux disciples reviennent de Jérusalem vers Emmaüs. Ils parlent de Jésus,


mais leurs visages sombres expriment leurs espérances déçues. Ils avaient
quitté leur village pour suivre Jésus avec ses amis et avaient découvert une
nouvelle réalité, dans laquelle le pardon et l’amour n’étaient plus seulement
des paroles mais touchaient concrètement l’existence. Jésus de Nazareth
avait transformé leur vie. Mais à présent, il était mort et tout semblait fini.
Or voilà que, sans qu’ils le reconnaissent, Jésus s’approche d’eux et les
interroge, si bien qu’ils expriment librement leur déception : « Nous
espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël » (Lc 24, 21). Alors Jésus,
avec patience, « en partant de Moïse et de tous les Prophètes, leur expliqua,
dans toute l’Écriture, ce qui le concernait » (v 27). Le Ressuscité leur offre
une clé de lecture, c’est-à-dire lui-même et son mystère pascal : les
Écritures lui rendent témoignage (Jn 5, 39-47). Le sens de la Loi, les
prophètes et les psaumes deviennent clairs et lumineux à leurs yeux. Jésus
avait ouvert leur esprit à l’intelligence des Écritures (Lc 24, 45). Arrivé au
village, l’étranger en voyage fait semblant d’aller plus loin, mais à leur
demande, il reste avec eux. « Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit
la bénédiction, le rompit et le leur donna » (v 30). Le rappel des gestes
accomplis par Jésus lors de la dernière Cène est évident. « Alors leurs yeux
s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (v 31). La présence de Jésus, tout d’abord
à travers les paroles, puis avec le geste de la fraction du pain, permet aux
disciples de le reconnaître. Il y a deux lieux privilégiés pour rencontrer le
Ressuscité : l’écoute de la Parole en communion avec le Christ, et la
fraction du Pain. Ils ont été transformés : en eux renaissent l’enthousiasme
de la foi, l’amour pour la communauté, le besoin de communiquer la bonne
nouvelle. Le Maître est ressuscité et avec lui toute la vie renaît, si bien que
témoigner de cet événement devient leur vocation.
Venez les bénis de mon Père… car j’ai eu faim et vous
m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à
boire, j’étais un étranger et vous m’avez recueilli, nu et
vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, en prison et
vous êtes venus à moi. Alors les justes lui diront : Quand
Seigneur t’avons-nous vu… ?
Mt 25, 31-46

La grande question est : comment reconnaître et identifier les bénis de mon


Père ? Quand avons-nous vu le Seigneur nu, malade, affamé, emprisonné,
étranger rejeté et méprisé ? Ce sont à la fois tous ceux que nous rencontrons
dans la vie courante, mais aussi les humbles et les petits qui ont accepté de
s’occuper des pauvres et qui forment l’invisible procession de ceux qui
suivent Jésus. À ce titre, ceux-là, au nom de leur foi, ont été mis en prison
(les Évangiles ont été écrits en période de persécution), ils ont eu faim et
soif comme Jésus, ils ont été dépouillés de leur vêtement comme le Christ
au moment de la Passion. Tous ces hommes, dont l’histoire répétitive
traverse les siècles, sauvent le monde par leur compassion avec le Christ en
partageant les souffrances de sa Passion. Ils sont les membres du Christ
souffrant, enfouis dans le monde, vivant héroïquement la parole de saint
Paul : « Désormais votre vie est enfouie avec le Christ » (Col 2, 12). Ils
rappellent les bénédictions énumérées dans les Béatitudes. Chacun, vivant
sa « passion » là où il se trouve, travaille avec le Christ à la rédemption du
monde.
Demandez et il vous sera donné, cherchez et vous trouverez,
frappez et il vous sera ouvert.
Mt 7, 7

Pourquoi Jésus répète-t-il avec insistance qu’il faut demander, en prenant


l’exemple d’un homme qui ne donnera jamais une pierre à son fils qui lui
demande du pain ou un serpent en guise de poisson ? Il s’adresse ensuite à
ceux qui l’écoutent et n’hésite pas à les interpeller comme des méchants
qui, malgré tout, sont capables d’être bons avec leurs enfants et de leur faire
de beaux cadeaux. Pourquoi donc faut-il demander avec obstination,
insistance et patience en étant sûr qu’il y aura en fin de compte une bonne
réponse ? En prenant exemple sur la paternité humaine qui, malgré ses
faiblesses, aime ses fils, Jésus veut replacer son auditoire dans une relation
filiale face à Dieu. Demander nous remet dans une relation vraie face à
celui qui est notre Père, mais pour cela, il faut faire d’abord cet acte de foi :
qui est Dieu pour nous ? Ensuite, il décrit la réponse qui ne se fait jamais
tout de suite comme nous l’attendons et la désirons : il faut chercher, il faut
frapper. Mais il y a quelqu’un qui peut frapper pour nous : c’est Jésus en
personne. Il se fait alors celui qui intercède auprès de son Père pour nous.
Mais il ne pourra nous donner la réponse qu’à condition que nous lui
ouvrions la porte de notre cœur : « Voici que je me tiens et je frappe… »
(Ap 3, 20).
SAINT PAUL

Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?


1 Co 4, 7

Voilà la bonne question pour apprendre à ne pas s’enfler d’orgueil. De quel


orgueil ? Un contentement de soi qui fait que l’homme veut se justifier lui-
même, exactement comme le pharisien qui monte au Temple de Jérusalem
pour faire sa prière (Lc 18, 11). Là, il énumère tout ce qu’il fait de bien, le
jeûne et le paiement de l’impôt, puis il se glorifie lui-même en remerciant
Dieu de ne pas être comme les autres hommes qui sont voleurs et menteurs.
Saint Paul, par la question qu’il pose, refuse cette attitude, parce que
l’homme se place ainsi au centre sans reconnaître que l’origine de la bonté,
c’est Dieu en personne. Celui qui agit ainsi en refusant de reconnaître que
toutes ses qualités, sa charité envers les autres, sa capacité d’attention, sa
bienveillance, sont des dons de Dieu, s’enferme dans son propre égoïsme.
Son intelligence, sa faculté de raisonnement, ses talents d’artiste sont aussi
des dons de Dieu. Celui qui se sourit à lui-même en contemplant sa réussite
ressemble à un arbre qui se dessèche, privé de ses racines, car il a exclu
Dieu de sa vie. Sa réussite, c’est lui et lui seul, alors que le salut par la foi
demande beaucoup d’humilité, car il s’agit de reconnaître les dons de Dieu
qui conduisent l’homme à vivre saintement pour devenir un arbre qui porte
de bons fruits.
Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Car
ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de
Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi.
Ga 2, 20

Qu’est-ce que la foi, sinon la reconnaissance qu’il y a une véritable


communion avec le Christ qui est le Fils de Dieu, enraciné dans le Père ?
C’est pourquoi, par ce titre de Fils, le Christ a pu vaincre la mort et faire
éclater la plénitude de la vie. En s’efforçant de laisser le Christ habiter notre
cœur, nous devenons capable de partager son regard pour rencontrer les
autres. Notre existence prend une tout autre dimension si nous adoptons les
yeux de Jésus. C’est à ce prix que l’on peut éprouver des sentiments de
compassion et donner un autre sens à notre vie. Effectivement, appliquant la
parole de saint Paul, nous ne vivons plus pour la satisfaction de nos désirs,
pour la course à la promotion mais, en nous laissant guider par le Christ,
nous devenons capable de faire ce qu’il a fait par l’offrande de notre vie, en
union avec ce qu’il a lui-même vécu. En prononçant cet acte de foi, nous
sommes participant de l’amour du Christ, recevant par son sacrifice les
dons de l’Esprit. Le Christ est le miroir de la lumière divine et il transfigure
mon existence.
En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que
j’endure pour vous et je complète en ma chair ce qui
manque aux épreuves du Christ pour son Corps qui est
l’Église.
Col 1, 24

La grandeur de l’amour du Christ suppose qu’il ne nous laisse pas recevoir


passivement les dons qu’il a promis, mais qu’il nous associe à l’édification
de son Royaume. Tous ceux qui transmettent en héritage une souffrance
dépassée et assumée, une sérénité rassurante et bienveillante, une vérité
lucide et lumineuse, deviennent capables de porter secrètement, en union
avec le Christ, ceux qui peinent et qui pleurent. Tous ceux qui offrent leur
vie en union au Christ assument par procuration et par substitution la vie
des autres. Nous avons dans la citation de Paul un magnifique résumé de la
communion des saints. Tout vient du Christ : c’est lui qui nous donne la
grâce de porter derrière lui son fardeau, c’est-à-dire sa croix lumineuse dans
la nuit de nos existences.
Accordez votre vie à l’appel que vous avez reçu, en toute
humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns
les autres avec charité. Appliquez-vous à garder l’unité de
l’esprit par le lien de la paix.
Ep 4, 2

La confrontation avec l’altérité d’un interlocuteur engendre toujours des


difficultés. Or, la variété des uns et des autres contribue à la construction du
corps du Christ, qui est fait des talents des uns et des autres. Cette
reconnaissance de l’autre demande beaucoup d’humilité, c’est le contraire
de l’orgueil et de l’arrogance. En fait, saint Paul, à travers cette
recommandation, appelle tout simplement à imiter le Christ, qui est doux et
humble de cœur (Mt 11, 29) et qui pardonne avec charité les pécheurs que
les bien-pensants veulent condamner sans jugement, comme ceux qui
amènent la femme adultère devant Jésus (Jn 8). Ce que Paul propose n’est
pas un simple programme de bonne entente avec un peu de patience et de
bienveillance : c’est conformer sa vie à celle du Christ, parce
qu’humainement, c’est une tâche impossible. Supporter les autres, c’est
construire ici sur terre le corps du Christ, donc l’unité ecclésiale, et pour
cela tous les caractères, tous les charismes, toutes les compétences sont
nécessaires. À ce titre, toutes les existences ont du prix.
C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade et
par nous c’est Dieu lui-même qui en fait vous adresse un
appel : Au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec
Dieu.
2 Co 5, 20

Se laisser réconcilier suppose que l’on reconnaisse d’abord sa rupture avec


Dieu. Toutes les brouilles ordinaires, qui vont des petites disputes aux
querelles si blessantes qu’elles finissent par tuer, tout ce lot de discordes
appartient à la nature humaine. Mais comment changer ? Cela ne relève-t-il
pas de l’utopie ? Il faut déjà apprendre à se réconcilier avec Dieu afin de
pouvoir se réconcilier avec soi-même. En ressassant sans cesse les mêmes
regrets et les mêmes déceptions, celui qui est habité par le remords se fait
mourir à petit feu. Le remords ronge l’âme et le corps alors que le pardon
de Jésus ressuscite l’homme dans sa nature première. Par l’intermédiaire du
Christ, l’homme devient capable de faire œuvre de paix autour de lui parce
qu’il est désormais conformé au Christ, et du coup, il est capable de faire ce
que Jésus a fait : réconcilier les uns et les autres.
Car je vous le déclare, frères, cet Évangile que je vous ai
annoncé n’est pas d’inspiration humaine et d’ailleurs ce
n’est pas par un homme qu’il m’a été transmis ni enseigné
mais par une révélation de Jésus-Christ.
Ga 1, 11

Paul insiste pour faire comprendre à son auditoire qu’il a reçu sa mission du
Christ lui-même. C’est pourquoi sa mission s’adresse au monde. Il lui faut
parcourir le monde païen pour y faire connaître l’Évangile et construire
l’Église. Mais il est conscient que pour accomplir cette mission, il a besoin
de l’aide de ceux qui étaient apôtres avant lui, sans quoi il risque, comme il
le dit lui-même, de courir pour rien. Ensuite, nous voyons l’apôtre parcourir
le monde méditerranéen et visiter toutes les grandes villes de l’Asie
Mineure et de la Grèce avant d’arriver à Rome. Il constate au cours de ces
voyages toutes les difficultés des premières communautés, qui sont
également rapportées dans les chapitres 2 et 3 de l’Apocalypse, avec les
lettres pastorales aux sept églises. Les discordes, la corruption, le manque
de zèle apostolique, toutes ces lenteurs humaines avec tant de paroles
inutiles habitent les communautés quels que soient les siècles. Paul affirme
ici la primauté de la révélation par l’Esprit sans espérer en voir le résultat
ici bas. Simplement, il fait confiance, en sachant que rien de ce qu’il aura
fait n’aura été aux yeux de Dieu un temps gaspillé et inutile.
La nuit est avancée, le jour est proche. Rejetons les œuvres
des ténèbres et revêtons les armes de lumière.
Ro 13, 12

À sa façon, Paul emploie les mêmes images que Jean : « Celui qui marche à
ma suite ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière qui conduit à
la vie » (Jn 8, 12). Mais Paul est plus explicite, dans la mesure où il
explique ce que signifie rejeter les ténèbres : pas de beuveries, de fêtes
indécentes ni de débauches, pas de querelles ni de jalousie. Il ne faut pas se
laisser saisir par les désirs de la chair et toutes sortes de convoitises. Il agit
là en pasteur et retrouve les accents des prophètes de l’Ancien Testament,
qui prêchaient sans cesse la sincérité, une conduite conforme aux
commandements de Dieu. Il était incompatible de prier le Dieu d’Israël en
ne pensant qu’à son plaisir si bien que l’on écrasait les pauvres autour de
soi. Mais il va plus loin, car il montre que le baptisé plongé dans la mort et
la résurrection du Christ devient un autre homme, puisqu’il revêt le Christ.
Alors sa responsabilité est engagée, car il doit devenir lumière pour les
autres.
Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle
des anges, s’il me manque l’amour je serai un métal qui
sonne une cymbale retentissante. Quand j’aurais le don de
prophétie, la connaissance de tous les mystères et de toute
la science, quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui
transporte les montagnes, s’il me manque l’amour je ne
serai rien. Quand je distribuerais tous mes biens aux
affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s’il me
manque l’amour je n’y gagnerai rien.
L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse
pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne
fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite
pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de
l’injustice mais il trouve sa joie dans la vérité.
Il couvre tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.
L’amour ne disparaît jamais.
1 Co 13, 1-8

Cet hymne à la charité, loin d’être un simple traité de bonne conduite ou de


morale, dessine de manière magistrale non pas le portrait d’un homme
idéal, mais explique en détail ce qu’est l’amour de Dieu. On peut le lire à
deux niveaux en y retrouvant d’abord le visage de Dieu dans l’Ancien
Testament, « lui qui prend patience, qui ne s’irrite pas et n’éprouve pas de
rancune envers son peuple infidèle » (Ps 103, 8-10). On y retrouve
également, comme en un résumé, toute l’action du Christ dans les
Évangiles, « lui qui trouve sa joie dans la vérité » puisqu’il est le chemin, la
vie, la vérité. Enfin, on peut aussi y découvrir le visage du chrétien lorsqu’il
agit et vit en se laissant conduire par l’Esprit saint, pour accomplir toutes
ces manières d’être qui se résument en une seule : aimer jusqu’au bout
comme le Christ l’a fait lui-même. Mais aimer jusqu’au bout, cela signifie
accepter d’offrir sa vie et de mourir sur la croix pour sauver tous les
hommes.
La Création tout entière gémit dans les douleurs de
l’enfantement.
Rm 8,22

Dans la lettre aux Romains, Paul explique la Création avec les accents de la
culture grecque. Le langage de la Genèse montre de manière très discrète
que la Création tout entière est victime de la violence des hommes, car les
épines et les chardons apparaissent après le péché d’Adam et Ève (Gn 3).
On connaît trop bien aujourd’hui les conséquences dramatiques de l’activité
débridée des hommes, qui compromet leur environnement et les chances
des générations à venir. Mais avant tout, il y a une valeur d’exemplarité
dans le récit biblique. Les drames naturels sont le signe criant du
dérèglement des actes humains. Comprenons qu’une épidémie n’est pas le
châtiment envoyé par Dieu, mais l’avertissement d’une faille grave dans
notre manière de vivre. L’avantage de l’appel au cycle de la nature est de
s’observer de manière durable. Il faut des années pour réparer les dégâts
d’un tremblement de terre. De même le pardon s’inscrit donc dans la durée,
car il faut cicatriser des plaies du corps et de l’âme. « Malheureux homme
que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? » (7,
24). Paul emprunte ces mots à Médée dans la tragédie d’Euripide.
L’espérance ne déçoit pas.
Rm 5,5

Paul a déjà affirmé au début de la lettre aux Romains qu’il ne rougit pas de
l’Évangile, ce qui suppose un grand courage pour annoncer le Christ dans
un monde complètement païen. Le raisonnement de Paul est le suivant :
alors que l’injustice règne dans le monde et que celui-ci mériterait un
jugement de condamnation, qu’on soit juif ou païen, Dieu révèle que sa
justice, au lieu de condamner, pardonne, ce qui signifie « rendre juste », et
cela gratuitement grâce à la délivrance opérée par Jésus (3,21-24). La
situation historique, tant de Paul que des autres disciples de son temps ou
du nôtre, est marquée par la détresse et l’épreuve, en tout cas la faiblesse.
Mais Paul tient bon car il s’appuie forcément sur ce que Jésus a vécu, lui
qui a connu à la fois la gloire de la Transfiguration et l’humiliation du
Serviteur souffrant. Le disciple n’est pas au-dessus du Maître. Le secret est
le suivant : la grandeur et la puissance de Jésus ne se manifestent pas après
sa souffrance et sa mort, mais pendant celles-ci ! La perfection ne se
manifeste pas par des conditions de vie faciles ou parfaites, mais par la
conviction que l’amour de Dieu est plus puissant que les limites et les
faillites de notre vie. L’espérance de continuer à aimer, à progresser, à
pardonner est fondée sur les signes en Jésus de l’amour de Dieu qui prend
l’initiative du pardon.
Le Dieu qui a dit : que la lumière brille au milieu des
ténèbres, c’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour
faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne
sur le visage du Christ.
2 Co 4, 6

On allume au cours de la nuit pascale le feu nouveau symbolisant cette


connaissance de Dieu, celle que saint Paul compare à la lumière qui brille
dans les ténèbres en faisant allusion au récit de la Création. La liturgie veut
que chaque fidèle tende son cierge à son voisin pour l’allumer et qu’ainsi, la
lumière se propage dans la nef de l’église alors illuminée de ces mille
petites flammes. Jésus a dit « Je suis la lumière du monde », et voilà que sa
lumière se reflète sur les visages des chrétiens comme dans un miroir. Nos
pauvres corps d’argile sont destinés à porter cette lumière pour transmettre
la foi à travers toutes les générations. Ainsi nous est rappelée la
responsabilité que nous portons les uns vis-à-vis des autres pour faire
connaître le Christ et son enseignement à travers les Écritures. Le cierge
que l’on allume à celui de son voisin symbolise le passage du témoin
comme dans une course de relais. Nous avons reçu, à notre tour de
transmettre le trésor de la foi. Mais cela n’est possible que si nous
participons à une mémoire plus vaste, qui est le passé de la foi avec toute
son histoire traversant les siècles.
Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur.
Car le mari est le chef de la femme tout comme le Christ est
le chef de l’Église, lui le Sauveur de son corps.
Ep 5, 21-23

Curieusement, le verset s’adressant aux femmes a traversé les siècles, et on


a oublié le verset parallèle qui dit aux hommes d’aimer leur femme comme
le Christ a aimé l’Église. Le mot « soumission » a mauvaise presse car il
suppose, si on le prend au premier degré, que la femme doit fondre son
existence dans celle du mari, renonçant à toute indépendance, non
seulement matérielle mais aussi spirituelle, comme s’il n’y avait dans le
couple qu’une seule tête. Mais il faut restituer à ce verbe « soumettre » son
sens biblique, qui est l’écoute et l’obéissance à la parole de Dieu. Il est
nécessaire de replacer ces versets dans le contexte de cette lettre de Paul : il
propose d’imiter Dieu et de vivre dans l’amour comme le Christ nous a
aimés (Ep 5, 1). Ensuite, il décrit le milieu « normal » de toute société
antique avec des débauchés, des accapareurs, des rebelles, des hommes
grossiers aux propos scabreux, et il demande de ne pas être leurs complices
mais au contraire de vivre en enfants de lumière : « Ne vous associez pas
aux œuvres stériles des ténèbres, démasquez-les. Ce que ces gens font en
secret, on a honte même d’en parler » (5, 12). C’est l’actualisation de la
société dans laquelle nous vivons. Et là, saint Paul donne l’unique raison
pour laquelle nous avons à vivre autre chose : « Éveille-toi, ô toi qui dors,
lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera » (5, 14). En effet, il
existe pour nous une relation particulière avec le Christ qui nous ressuscite
et qui nous illumine, si bien que les rapports des uns avec les autres s’en
trouvent transfigurés par son amour.
Car vous tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu en Jésus-
Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec ; il n’y a plus ni esclave
ni homme libre ; il n’y a plus ni mâle ni femelle ; car tous
vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ.
Ga 3, 26-28

Une telle traduction fait sursauter, si bien qu’en général, les bibles
édulcorent en remplaçant les mots « mâle » et « femelle » par « homme » et
« femme ». Pourtant, ce sont bien deux mots spécifiques du vocabulaire
grec que Paul a choisis. Mais dans ces deux versets, le terme de loin le plus
important, celui sur lequel Paul bâtit son raisonnement, est le pronom tous,
qui est répété plusieurs fois et qui décrit l’universalité du salut. « Juif » et
« Grec » renvoient à l’histoire du salut, qui passe par Israël avant
d’atteindre les nations païennes. « Homme libre » et « esclave » est la
description des hiérarchies engendrées par les relations dans les sociétés, la
force se faisant la norme du droit (Sg 2). En choisissant les mots « mâle » et
« femelle », Paul fait explicitement référence au chapitre 3 de la Genèse.
L’homme et la femme se disputent en se rejetant mutuellement la faute.
Paul annonce que Dieu, dans le Christ, efface cette hostilité entre les sexes,
conséquence du péché originel, mais qu’il rétablit l’unité profonde de
l’humanité. Il faut donc comprendre qu’il y a désormais l’homme et la
femme reconstruits dans leur diversité et leur richesse respectives.
Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères, je ne suis
pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige
de la parole ou de la sagesse. Non, je n’ai rien voulu savoir
parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.
1 Co 2, 1-2

Paul ne vient pas annoncer une nouvelle philosophie ou une culture, à la


mode qui rencontrerait d’emblée l’aura des médias. Au contraire, il
témoigne de son expérience personnelle, ou comment Dieu est entré dans sa
vie et l’a bouleversée. Il parle du Christ crucifié et ressuscité au risque de ne
pas être compris si bien qu’on se moque de lui, ce qui arrivera à Athènes.
Transmettre la foi, pour saint Paul, c’est témoigner d’une rencontre, d’une
expérience spirituelle, d’une révélation approfondie dans le silence et la
prière. Ensuite, c’est dire ouvertement et publiquement ce que l’on a reçu
avec le Christ. Par sa prédication, Paul entraîne avec lui tous ceux qui ont
fait l’expérience de cette rencontre et qui voient leur existence transformée.
Ils partagent le désir de faire connaître Jésus, devenu la véritable orientation
de leur vie. Ils veulent faire comprendre à tous ceux qu’ils rencontrent que
cette découverte du Christ est décisive pour la liberté de tout homme et pour
l’épanouissement de chacun. Parler de Dieu signifie alors sortir de son
propre moi en l’offrant au Christ, dans la conscience que nous ne sommes
pas capables de gagner les autres à Dieu. Pour parler de Dieu, les apôtres
font avec confiance l’expérience que c’est le Christ qui agit dans leur
faiblesse.
LETTRE AUX HÉBREUX

Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à


nos faiblesses ; il a été éprouvé en tout point à notre
ressemblance mais sans pécher. Avançons-nous donc vers le
trône de la grâce afin d’obtenir miséricorde et d’être aidés
en temps voulu.
He 4, 14-16

Dans l’Ancien Testament, le grand prêtre présentait une fois par an le


sacrifice du grand pardon, au cours duquel les fidèles recevaient le rite
d’absolution qui les purifiait (Ex 16, 29). Désormais, c’est le Christ qui est
l’unique grand prêtre, lui qui s’est offert en sacrifice une fois pour toutes, en
portant sur lui tous les péchés des hommes lorsqu’il a affronté le supplice
de la Passion et du Calvaire. Loin d’être un personnage mythique sorti de
l’imagination des hommes, il a vécu comme l’un d’entre nous, exposé à
toutes les menaces et les épreuves qu’implique la condition humaine. Au
cours de sa vie terrestre, il a donc connu la tentation, aussi bien au désert
avec Satan comme interlocuteur que pendant son agonie au jardin des
Oliviers. Il a lutté pied à pied pour que sa mission terrestre ne soit pas
transformée ou déviée en une course vers le pouvoir ou bien en une
mainmise séduisante sur les personnes, ce qui les aurait privées de leur
liberté. L’Apocalypse, dans son dernier chapitre, illustre magnifiquement ce
qu’est le trône de la grâce, ce trône que l’agneau vainqueur partage avec
Dieu et duquel coule l’eau vive qui apporte la vie partout où elle passe (Ap
22, 1).
PREMIÈRE LETTRE DE JEAN

Car si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que
notre cœur.
1 Jn 3, 20

Le cœur de l’homme ressemble à un grenier dans lequel on entasse ce que


l’on ne veut plus voir, ce qui est devenu tout gris à force de poussière
accumulée. Si ce n’était que cela : un grenier, on n’est pas forcé d’aller le
visiter ! Alors disons que le cœur enferme toute l’amertume de souvenirs
blessants qui, à force d’être ressassés, distillent un douloureux poison qui
tue à petit feu. Trop souvent, le cœur s’érige en arbitre de notre foi mal
assurée, de notre prière trop distraite, de notre comportement trop étriqué, et
nous fait oublier que Dieu ouvre les bras de sa miséricorde et qu’il se tient
sur le seuil pour guetter le retour du fils prodigue et aller au-devant de lui
pour le serrer dans ses bras. La parabole de l’enfant prodigue de Luc décrit
d’une manière plus concrète cette phrase de Jean. L’homme a toujours la
tentation de se mettre à la place de Dieu, de se faire son propre juge et donc
d’occulter la miséricorde infinie qui déborde les frontières de notre cœur.
GLOSSAIRE

Pentateuque
Ce mot grec dont la racine correspond à l’adjectif numéral cinq désigne les
cinq livres qui forment la Torah pour les Juifs, autrement dit l’ensemble de
la Loi : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome.

Genèse
Ce mot grec signifie le commencement. Ce livre décrit l’histoire de la
Création ainsi que l’intervention de Dieu dans l’histoire humaine à travers
l’appel d’Abraham. On y lit les aventures des patriarches et des matriarches
confrontés à la réalité de leur condition humaine face à l’appel du Dieu
transcendant et bienveillant.

Exode
Ce livre décrit l’événement fondateur d’Israël : la libération du peuple
prisonnier en Égypte pour franchir la mer Rouge et entrer en Terre promise
sous la conduite de Moïse. Ce moment unique est commémoré de siècle en
siècle à travers les célébrations de la fête de la Pâque.

Lévitique
Livre difficile qui décrit avec minutie tous les rites concernant le culte, les
sacrifices, les prières. Il présente en détails la liturgie du Yom Kippour, jour
du Grand Pardon. Il édicte aussi les règles de pureté et d’impureté
concernant aussi bien la nourriture que les relations sexuelles.

Livre des Nombres


Le livre des Nombres décrit, sans souci de chronologie, à la fois des
recensements, des révoltes contre Moïse, des pratiques rituelles. Il révèle
une image contrastée d’un peuple en transit qui doit s’organiser pour
survivre dans des conditions difficiles et qui doute de la parole de Dieu.
Deutéronome
Le nom de ce livre signifie la deuxième Loi. Il présente une magnifique
synthèse de la révélation de Dieu à Israël, et de son élection. Ce peuple est
aimé par Dieu et il est choisi pour être en ce monde, au milieu des nations,
le reflet de la sainteté divine. Ce projet est-il à la mesure des hommes ?
Dieu pourra-t-il convaincre Israël que son bonheur se trouve dans ce
dialogue permanent avec le divin ?

Prophètes
Ce terme générique recouvre des livres dits historiques, les livres de Samuel
et des Rois et les livres attribués aux prophètes. Ils décrivent, à travers les
péripéties de l’installation d’Israël en Terre promise, les grandes difficultés
rencontrées par Israël pour survivre entre des grandes puissances qui
cherchent à l’éliminer pour s’emparer de sa terre. L’alliance promise par
Dieu pour soutenir Israël est-elle réaliste ? C’est tout le combat entre la
révélation, la fidélité au Dieu unique et transcendant, et la tentation des
idoles. Est en même temps posé le problème de la sincérité du culte et des
règles de la vie sociale.

Psaumes
Ces prières dont on ne connaît pas les auteurs ont été sans cesse reprises,
recomposées, réécrites et enrichies de toutes les expériences spirituelles,
personnelles et collectives, si bien qu’elles forment un trésor que la liturgie
monastique chante à travers les siècles. Croyant ou incroyant, tout homme y
trouve l’expression de ses contradictions intimes qu’il se sent impuissant à
exprimer. Lire les Psaumes, c’est se laisser porter par leurs mots pour faire
sienne une prière divine.

Job
On pourrait qualifier ce récit de conte théologique écrit avec un art
consommé de la dramaturgie.

Livre des Proverbes


Un art de vivre que l’on appelle sagesse, voilà qui définit cet ensemble de
maximes qui souvent font penser aux morales des fables de notre littérature.
Ces Proverbes concilient bon sens et fidélité au Dieu d’Israël. On sourit, on
approuve, tant ces règles de vie décrivent avec perspicacité la vie en
société.

Cantique des cantiques


Chant d’amour passionné entre un homme et une femme avec un caractère
érotique inattendu. On en a fait une lecture allégorique de l’amour de Dieu
pour son peuple, puis de l’amour du Christ pour son Église.

Livre du Siracide ou Ecclésiastique


Ce livre se rattache à la littérature de sagesse, mais il ne fait pas partie de la
Bible hébraïque. Le texte hébreu original a été perdu et retrouvé seulement
en partie, si bien qu’il est traduit d’après les manuscrits grecs.

Évangiles
Transcrit du grec, le mot « Évangile » signifie littéralement « la bonne
nouvelle ». Il y a quatre Évangiles, ceux de Matthieu, Marc, Luc et Jean.
Les trois premiers utilisent les mêmes sources, mais chacun les présente
avec leurs caractères propres : on les appelle les synoptiques, car ils ont la
même vision. Le quatrième est l’Évangile de Jean, qui choisit un style
différent. Il présente en effet sept miracles de Jésus, qu’il appelle des signes
et qui sont accompagnés de longs et magnifiques enseignements.

Saint Paul
Paul a reçu une double formation : par sa naissance, il baigne dans la
tradition juive pharisienne, puis par sa vocation missionnaire, il est
confronté à la culture gréco-latine, dont il doit employer le langage pour se
faire comprendre des païens auxquels il s’adresse. Ses lettres sont
passionnantes car il y montre comment un homme de foi est confronté aux
réalités d’une société difficile, brutale et injuste. Comme l’avaient fait les
prophètes avant lui, il combat l’hypocrisie et ne cesse de prêcher l’amour et
la sincérité du cœur.

Lettre aux Hébreux


On n’en connaît pas l’auteur, bien qu’elle fût pendant longtemps attribuée à
saint Paul. Cette lettre est magnifique parce qu’elle montre en Jésus la
figure du grand prêtre qui, par sa mort, accomplit une fois pour toutes
l’unique sacrifice, remplaçant ainsi tous les sacrifices anciens.

Première Lettre de Jean


Ce texte, vraisemblablement influencé par les écrits de Qumrân, révèle une
grande tendresse qui décrit la communion avec Dieu en termes de filiation.
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INDEX DES NOMS COMMUNS

A
Amour 7, 17, 31, 35, 53-56, 64, 72, 78, 81, 85, 86, 111, 116, 118, 119, 121, 138, 155, 160-161, 166,
168, 170
Apôtres 51, 93, 101, 104-106, 118, 124, 128, 141, 145, 153, 164, 172
Arbre 80, 126, 142, 159
Aveugle 110, 129, 138

B
Bénédiction 15, 23, 31, 39, 73, 75, 155
Bonheur 17, 27, 39, 44, 45, 49, 72, 110, 178

C
Charité 65, 159, 162, 166
Ciel 15, 20, 26, 73, 112, 123
Cœur 7, 17-19, 35, 37, 41, 46, 47, 50, 52, 54, 56, 59, 60, 62, 63, 65, 69, 70, 75, 76, 78, 81, 85, 86, 89,
99, 103, 104, 109, 111, 115, 121, 126, 130, 132, 135, 145, 149, 150, 155, 157, 160, 162, 175
Croix 22, 27, 113, 115, 117, 134, 136, 145, 146, 153, 161, 166

D
Disciples 49, 96, 107, 111, 114, 117, 119, 127-129, 134, 136, 140, 145, 147, 148, 155, 168

E
Eau 27, 28, 56, 65, 127, 135, 146, 173
Eucharistie 124, 127

G
Grand prêtre 105, 151, 173

I
Idoles 7, 28-30, 37, 44, 50, 53, 57, 60-63, 65, 76, 143, 178

J
Justice 21, 44, 54, 59, 71, 76, 104, 107, 121, 136, 168
L
Lépreux 47, 131
Loi 28, 36, 55, 57, 58, 62, 63, 77, 98, 106, 111, 117, 147, 155, 177, 178

M
Mains 64, 68, 111, 121, 133, 135, 153
Manne 26, 33, 123, 124

P
Pain 26, 36, 51, 100, 111, 123, 124, 155, 157
Père 20, 22- 25, 31, 35, 48, 53, 64, 87, 98, 111, 132, 138, 150, 152
Psaume 64, 77, 81, 98, 137, 151

R
Réconcilier 163
Roi 41, 43, 45, 46, 63, 96, 97, 115, 122, 136, 139, 147, 151

S
Sabbat 123, 133, 147
Serpent 43, 80, 140, 157
Serviteur 69, 168

T
Tendresse 111, 132
Ténèbres 13, 165, 169, 170
Tente 95

V
Vigne 44, 119
Vin 55, 127, 134
INDEX DES NOMS PROPRES

A
Abel 18, 19
Abraham 20-22, 73, 107, 138, 150, 177
André 101

B
Baal 50, 58
Babylonie 38, 56, 64, 130
Barabbas 135, 152
Bartimée 129
Béatitudes 103, 104, 156
Bethléem 41, 96
Bethsabée 52

C
Caïn 18, 19
Cana 134
Canaan 33
César 7, 116
Christ 18, 22, 27, 31, 77, 83, 107, 109, 110, 113, 114, 128, 129, 135, 142, 145, 149, 155, 156, 160-
166, 168-173

D
David 42, 46, 52, 96, 120, 122, 129, 137, 147

E
Égypte 24, 26-28, 30, 33, 38, 53, 81, 97, 177
Élie 50, 101
Élisée 51, 101
Emmaüs 96, 155
Ève 17, 71, 80, 134, 140, 167
Ézéchiel 59, 61

G
Galilée 101, 102, 122, 134
Genèse 13, 18, 21, 23, 25, 43, 116, 138, 167, 171, 177
Goliath 42

H
Hérode (roi, auteur du massacre des saints innocents) 97

I
Isaac 22
Isaïe 43, 44, 47, 49, 55, 59, 69, 125, 130, 131, 137
Israël 15, 23, 25, 27-33, 35-39, 41, 42, 44-46, 50, 53, 55, 56, 62, 64, 65, 76, 77, 85, 89, 96, 97, 112,
119, 136, 137, 141, 144, 152-155, 165, 171, 177, 178

J
Jacob 23, 24, 35
Jean 134, 138, 140, 146, 151, 152, 165, 175
Jean-Baptiste 108, 109, 146
Jérémie 56-59, 62, 63
Jérusalem 49, 56, 61, 85, 96, 98, 102, 120, 122, 129, 137, 141, 144, 145, 155
Jessé 41, 43
Jésus 7, 18, 22, 35, 37, 47, 49, 51, 52, 54, 55, 58, 65, 69, 71, 72, 75, 76, 79, 85, 87, 88, 93, 96-98,
100-120, 122, 124-157, 160, 162, 163, 164, 168, 169, 171, 172
Job 83, 131, 178
Jonas 75, 112
Joseph d’Arimathie 144, 145
Joseph (époux de Marie) 97, 98
Joseph (fils de Jacob) 24
Josias 63
Judas 140

M
Marie 20, 95, 98, 99, 134, 142, 149
Marie de Magdala 85, 142
Messie 24, 43, 68, 97, 100, 110, 125, 127, 135-137, 144, 147, 153
Moïse 16, 25-29, 32, 33, 35, 56-58, 77, 95, 97, 107, 150, 155, 177

N
Nathan 52, 137
Nazareth 98, 122, 125, 155

O
Osée 53, 54, 56, 97

P
Pharaon 25-27, 53, 97
Pilate 69, 121, 135-137, 144, 145, 152

S
Salomon 46
Samuel 41, 45, 48, 178
Satan 71, 80, 83, 102, 110, 173
Saül 46
Simon appelé Pierre 101
Sodome 21, 54
Syméon 144

T
Temple de Jérusalem 57, 85, 95, 144, 146, 159
Tente de la Rencontre 16, 95
Tibériade (lac de) 51

Z
Zacharie 18, 120
Zachée 126
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