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LA MONll SELON PROCLOS

PAR

JEAN TROUILLARD
(Paris)

x.pei:T'C"OV yd:p -rô Èv -r0 npO IZÔ't"oÜ µéve::w -rijç b.i Ë:au-rot:ç
lô'pücrewç.
-r:&IJ rrprxyµ&'t"t'.ilV

« Demeurer dans l'ordre qui lui est antérieur est


meilleur pour une réalité que la position en soi-même )).
In Platonis Theologiam, Portus, III, 17, p. 148.

Selon Proclos toute dérivation est reg1e et toute réalité se constitue sous trois
fois fonctionnelles : µov~, 7<p6oaoç, &mcrTpoqi~. «(Platon) a divisé la substance de
l'âme en une part qui demeure, une autre qui procède, une autre enfin qui se convertit,
'selon la division des genres divins. Car il y a chez les dieux trois genres, ce qui demeure,
ce qui procède, ce qui se convertit. Le premier est cause d'identité, de puissance
immuable et d'essence, le second est le point de départ générateur des processions
. et des multiplications, le troisième est réalisateur de perfection et réduit les dérivés
:;'.à'tlx êtres primordiaux »1 .
· Il me semble que la seconde et la troisième fonctions ont retenu l'attention aux
'l;lépens de la première. Celle-ci a été peu étudiée, et de fait elle est plus énigmatique.
Comment comprendre ce moment non processif de la procession, cette antériorité
e la procession à elle-même?
Les mots grecs qui y correspondent sont difficiles à traduire. J'ai traduit µsvocv
àr « demeurer », mais le mot français est loin de rendre le caractère de fermeté et
. 'intériorité que les néoplatoniciens mettaient dans le terme grec. On peut rendre
6\J~µoç par «immuable », mais cela présente les mêmes inconvénients. Quant à µov~,
Il. ne peut traduire par <1 repos l) réservé à cr-r&cr~c;, ni par «permanence J> qui revient

(1) In Tim., t. II, p. 223, 14-20, Dichl.


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à ÔLocµov~,ni par «quiétude» qui convient mieux à ~crux(oc. Un des sens dérivés de
µov~, c'est résidence» et même« monastère)>. Ne l'oublions pas, car ce terme suggère
<1
bien une retraite abritant dans le silence une vie cachée plus puissante que celle
qui se manifeste. l\1ais puisque c'est un terme technique comme ~v&ç et np6voLo::
je propose de le calquer et de traduire : « manence ». '
La notion elle-même est capitale dans le système de Proclos. 1) La manence
est la condition primordiale de la procession. 2) Elle fonde la communication du
principe à son dérivé. 3) Elle établit différents degrés de communication. 4) Enfin
elle se diversifie en chaque ordre de la procession.

1
Cela commence par un paradoxe. Un principe est d'autant plus efficace qu'il
agit moins. La procession est d'autant plus féconde qu'elle repose sur une immanence
plus rigoureuse du producteur en lui-même. Cette loi est déjà formulée par Plotin.
«Il est évident que, si quelque être subsiste après !'Un, il subsiste parce que
l'Un demeure immuable dans le même état (µévov't'oç Èxe:(vou È\1 -rcf'.l r1J)'r0 ~6sL). Il faut
donc, pour que subsiste quelque autre que lui, que !'Un garde toujours sa quiétude
(~crux(ixv &yzLv) en lui-même. Sinon, ou bien il devra se mouvoir avant de se mouvoir
et penser avant de penser, ou bien son acte premier sera imparfait, se bornant à être
un élan »1 .
«Ce n'est pas parce qu'il a d'abord agi que le Bien a engendré une action. L'action
aurait alors existé avant d'être engendrée. Ce n'est pas davantage parce qu'il a pensé
que le Bien a engendré la pensée. Car il aurait alors déjà pensé avant la génération
de la pensée »2 •
D'après l'auteur des Ennéades, la véritable productivité exclut tout mouvement
ou toute volonté qui ajouteraient à !'Un quelque rapport que ce soit, externe ou
interne, et ainsi le diminueraient'. Une telle façon d'agir se rencontre chez les êtres
dont l'intériorité est impal'faite et qui se cherchent eux-mêmes à travers leurs réali-
sations4. Pour cette raison mêrhe, celles-ci sont inconsistantes, quelque impression
qu'elles fassent. Les œuvres puissantes sortent des êtres parfaits, c'est-à-dire de la
surabondance de leur présence à eux-mêmes.
«Étant parfait parce qu'il ne cherche rien, ne possède rien, n'a besoin de rien,
!'Un pour ainsi dire déborde, et sa surabondance (Tà Ùn<pnÀijp<ç OlÙTou) produit autre
que lui »5 •
Il suffit donc aux êtres supérieurs d'être eux-mêmes sans compromis. Leur
solitude n'est pas un écart sociologique, mais une pureté ou une intransigeanee
métaphysique qui comble leurs dérivés. Aucun exode, aucune entreprise ne fait
écran au rayonnement de leur spontanéité.
«A ces bienheureux il suffit de se tenir immuables en eux-mêmes et d'être ce qu'ils
sont ... Telle est la félicité de cet ordre que sans agir (&v Ti;i f.1.~ noc<•v) il accomplit

(1) Ennéades, V, 3, 12, 33-38.


(2) Ibid., VI, 7, 40, 29-32.
(3) Ibid., V, 1, 6.
(4) Ibid., III, 8, 4.
(5) Ibid., V, 2, 1, 7-9.
LA {( MANENCE )) SELON PROCLOS 231
de grandes choses et qu'en demeurant en lui-même (È:v 'T<{l È:q>' Zau-roü µéve:~v) il produit
des œuvres non négligeables »1 .
On voit que, s'il y a chez Plotin un mépris de l'action, c'est par amour de l'efficacité
et parce qu'il a une idée trop haute de la création. En tout cas, nous tenons déjà
plusieurs caractères de cette expansion immobile dont Proclos va systématiser la
théorie : 1) C'est une illumination substantielle. «Agir sans agir» devient «agir
par l'être même». 2) La causalité transitive se résorbe dans l'immanente. 3) La
productivité du principe est d'abord une communication du principe lui-même.
« Chacun des êtres divins, écrit Proclos, fait partir de lui-même son activité
(ëxacr-rov yàp 'TWv Be:lwv &q/ 811.u'ToÜ &pze:-rcn È:ve:pye:tv). Le dieu cohéreur (cruve:x'T~x6v) se
donne à lui-même la cohésion, le dieu réducteur (&vaywy6v) se réduit lui-même avant
les autres) le dieu générateur (ye:vv1JT~x6v) s'engendre lui-même, et ainsi de suite ... »2 .
Cette règle peut mener très loin. Ouj:Jien la divinité ne produit rien, ce qui pour
Proclos est impensable 3 . Ou bien elle dünne le meilleur, donc elle-même, et cela en
premier lieu4 • Le suressenticl est donc du préessentiel.
Proclos est aussi intransigeant que Plotin au théorème 26 des Éléments de
Théologie.
«Toute cause qui produit autre qu'elle-même produit ses dérivés et ce qui les
suit en demeurant en elle-même ([Ltvov wl~ô trp' tau~oil) ... Par conséquent, les produc-
teurs demeurent nets de tout amoindrissement quand ils produisent leurs dérivés. »
Au théorème suivant (27) Proclos exclut des causes authentiques toute manière
d'agir qui impliquerait une fragmentation, altération, transmutation ou modification
quelconque du producteur. Il pose la seule thèse qui soit conciliable avec la parfaite
immanence du principe en lui-même.
«Tout producteur produit ses dérivés par perfection et surabondance de puissance
(a~a -re:Àe:~6T'YJ'îCY. xcr.l Suv&µe:Cùç 7te:p~oualixv) ».
Plus explicite est le théorème 131 :
«Ni le manque ni la simple plénitude ne sont le propre des dieux. En effet, qui-
conque manque est imparfait, et rendre un autre parfait quand on ne l'est pas soi-même
est impraticable. Mais quiconque possède la plénitude se suffit tout simplement et
n'est pas encore équipé pour se communiquer. Il faut donc que celui qui dispense
aux autres la plénitude et étend sur eux sa libéralité soit plus que plénitude (!msp7tÀijpsç).
Dès lors, si le divin emplit en partant de lui-même tous les êtres des biens qui sont en
lui, chaque dieu est plus que plénitude ».
La causalité par sureffluence excluant tout modification du producteur revient
à ce que Proclos appelle «irradiation par l'être même ou plutôt par l'antériorité à
l'être (aûT<{l 'î<{l z!vix~, [J.iiÀÀov 3è 7tpoe:Z'.1ix1) )). Cette dernière précision concerne les princi-
pes préessentiels 5 .
En effet, ce genre d'efficacité convient à la bonté qui constitue la divinité et qui
ne requiert pas une décision supplémentaire pour être générosité effective. Il est curieux

(1) Ibid., III, 2, 1, 40-45.


(2) In Parmenidem, V, Cousin, 1864, col. 1035, 37-1036, 1.
(3) Cf. ln Tim., t. I, p. 372, 31-373, 7.
(4) Éléments de Théologie, prop. 131.
(5) El. Th., prop. 122.
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de voir Proclos reprendre ici en parlant des twf.azç (c'est-à-dire des puissances primor-
diales de !'Un) ce que Plotin disait de !'Un lui-même 1 .
«Chaque dieu n'est pas quelque chose et puis le bien (ilÀÀo ... zhoc &yoc86v), mais Je
bien seul, de même qu'il n'est pas quelque chose et puis l'un (&no zhoc ~v), mais l'un
seul »2 •
Cela montre bien que les tv'Œzç sont les «manifestations» (txtp&vcrzcç) de !'Un
et non ses créations, comme l'affirme la Théologie platonicienne, III, 9, p. 136. C'est
l'hénade qui est créatrice et cela simplement parce qu'elle est hénade. Proclos lance
une formule qui fera fortune :
«C'est le propre du bien de se communiquer à tout ce qui est capable d'en prendre
sa part». Car le suprême bien n'est pas de recevoir, même le plus grand des biens,
mais de le susciter (TÔ &yoc8oupy6v) 3.
Il serait donc inutile et ruineux pour la divinité de se donner une relation à ses
dérivés. Car elle cesserait d'être la bonté absolue et perdrait le meilleur de sa puissance
de communication.
«Il n'est pas vrai qu'en exerçant l'activité prénoétique les dieux contractent une
relation (crxl:crcv) aux objets de cette activité. Car c'est parce qu'ils sont ce qu'ils sont
qu'ils rendent bonne toute réalité, puisque tout ce qui crée par son être crée sans
contracter de relation (&crxf:-rCùç no~si) )>4 •
(t Agir par son être » signifie donc agir dans une stricte immanence à soi-même.

Mais cette immanence est d'autant moins nature et d'autant plus présence à soi ou
spontanéité que le principe est plus universel et plus radicalement efficace. Aussi
est-ce un contresens que d'opposer !'agir par l'être à !'agir par action comme la nature
à la liberté.
L'agir par l'être s'oppose certes à !'agir par libre arbitre ou calcul discursif, mais
comme la spontanéité créatrice se distingue de ses dégradations. Ni Plotin ni Proclos
n'admettent que l'activité artisanale ou psychologique soit le modèle de la liberté.
Pour eux, la liberté doit créer ses possibles, ses normes, ses instruments et ses maté-
riaux. Elle procède du centre à la périphérie et du tout aux parties, selon la formule
chère à Bergson. La vraie liberté ne sort pas d'une nature ou d'une substance préalable,
pour la modifier dans le seul ordre accidentel. Elle est « l'autoconstitution » de cette
substance, pour reprendre le terme de Proclos : oùcr~ix o-;Ù6un6crrccroç 5 •
Bien sûr, !'Un lui-même n'est ni libre ni autoconstituant, ce qui le ferait double'.
Mais il est encore moins nature ou privation de liberté. La théologie négative n'est
nullement une théologie privative'. L'Un n'est à proprement parler ni un ni bien,

(1) Cf. Enn., Il, 9, 1, 4; V, 4, 1, 8.


(2) El, Th., prop. 119. J'ai tenu compte, dans la traduction de ce texte, des remarques de Jacques
BRUNSCHWIG, Revue de Aiétaphysique et de iVIorale, juillet-septembre 1968, p. 372.
(3) El. Th., prop. 122.
(4) Jb;d., 122.
(5) El. Th., prop. 190.
(6) In Parmenid., VIT, col. 1150.
(7) Il y a trois sortes de négation chez Platon: 1) celle du Sophiste qui nie telle déLermination; 2) celle
du Philèbe qui nie toute détermination; 3) celle du Pannénide qui nie l'indétermination elle-même. Les erreurs
concernant la théologie négative viennent souvent de ce que l'on retombe de cette troisième négation dans
l'une des deux autres.
LA « MANENCE » SELON PROCLOS 233

comme l'exige l'argumentation du Parménide: µ-lrrs Ovoµe<cr't'ÔV a~oc 't'OÜ-ro 't'O e<pp"f')'t'OV
07tOÀcX01Jç'. Il est ce par quoi il y a dans ses dérivés liberté, unité et bonté. Et cela au-delà
de la nécessité (puisqu'il crée les normes nécessitantes) et de la contingence (puisqu'il
suscite les possibles exigés par la contingence).
«Agir par son être » signifie donc que chaque ordre de principes est un mode
d'efficacité identique à son initiative interne. Ce qu'il donne est le caractère même
qu'il se donne.
«Chaque dieu inaugure son activité distinctive en partant de lui-même »2 •
D'ailleurs pour un esprit, agir par son être c'est agir voop&ç 3 , par la pensée qui
est sa substance. C'est agir par intériorité, et nullement par automatisme aveugle.

2
Si la procession exige la manence du principe en lui-même, elle requiert également
une manence du dérivé dans le principe. Et elle est d'autant plus puissante que cette
présence est plus parfaite. Pourquoi la procession s'accomplit-elle par une conversion
qui, loin de l'annuler, la sauve de la perte dans l'océan de la dissemblance? C'est
que procession et conversion se fondent sur un point de coïncidence indissoluble
entre le générateur et I' engendré.
«Tout effet à la fois demeure dans sa cause, procède d'elle et se convertit vers
elle ... S'il procédait et se convertissait sans demeurer dans sa cause, comment un être
qui s'est écarté de sa cause chercherait-il à coïncider avec elle, alors qu'il n'avait aucun
point de coïncidence antérieur à cet écart? Car, s'il avait un point de coïncidence,
assurément il demeurerait dans son principe »4 •
La µov~ est la présence inamissible de l'origine, à partir de quoi le dérivé se fait
à la fois autre et identique. Elle est la racine nourricière de l'expansion processive
et la communication fondamentale qui permet d'en surmonter l'écart pour une
assimilation. Grâce à elle, la conversion du dérivé vers le principe est en même temps
conversion du dérivé vers soi-même, puisque ce retour tend à ressaisir l'indivision
originelle. Coïncider avec son centre générateur, c'est coïncider avec le centre universel.
Nous ne pouvons nous rejoindre sans traverser la divinité.
Cela revient à dire que la première dérivation est toujours la communication
intégrale du principe lui-même.
«Tout dispensateur qui agit par son être est lui-même de façon primordiale ce
qu'il communique aux bénéficiaires de ses dispensations »5 .
N'est-ce pas inévitable, puisqu'un dieu ne peut engendrer qu'à partir de l'opéra-
tion par laquelle il se constitue dieu et tel dieu? Il faudrait relire ici le commentaire
de la ronde initiatique du Phèdre (246 a- 256 e) que développe Proclos dans les 26 pre-
miers chapitres du livre IV de la Théologie platonicienne. Les dieux nous font participer
à leurs propres initiations.

(1) In Platonis Theologiam, II, 4, p. 95, Portus.


{2) El. Th., prop. 131.
(3) Cf. ln Pl. Th., III, 1, p. 121 ; ln Tim., t. I, p. 352, 8; El. Th., prop. 174.
(4) El. Th., prop. 35; cf. ibid., prop. 30.
(5) Ibid., prop. 18; cf. In Tim., t. I, p. 390, 18-21; ln Parmenid., II, col. 762, 21-24.
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En voici un corollaire. :
«Tout ce qui naît d'une cause immobile détient une subsistence immuable.
Au contraire tout ce qui naît d'une cause mobile a une subsistence sujette au change-
ment »1 .
Cet axiome de Proclos est bien connu. La justification qu'il en donne mérite
l'attention.
«Puisque celui qui crée est totalement immobile, ce n'est pas par un mouvement ,
mais par son être même qu'il produit son dérivé à partir de lui-même. Et s'il en est
ainsi, il fait concourir avec son être propre l'être de son effet (crüvôpoµov gxz~ -rc{.l Eccu'!oU
zivœ~ -rO &rc' oclvroü). Et s'il en est ainsi, tant que le créateur existe, il produit. Or il
existe toujours. Donc il pose toujours son dérivé. Si bien que ce dernier ne cesse de
surgir de lui et que l'être ne lui fait jamais défaut, parce qu'il tient conjointe la perpé-
tuité de sa procession à la perpétuité d'opération de sa cause »2 .
En somme, la cause ne pose pas hors d'elle-même un effet passif. Mais elle le
retient pour une part en elle-même, lui donne de se constituer lui-même, et elle unit
cette réalisation de l'effet à son autoréalisation de cause. Il y a manence dans l'acte
commun de substantialisation.
«Ce qui surgit d'un être immobile est exempt de devenir (ocysv~Tov), parce qu'il
est éternel, et subsiste conjoint à l'être de son principe (&µix -rc{.l Eivcu èx.s.(vou cruvu7tocr-r&:v).
qui, étant lui-même immobile, doit être parfaitement exempt de devenir i> 3 •
Puisque chaque dieu n'a d'autre opération que sa propre constitution, il doit
résoudre en elle son irradiation. Toute communication est d'abord une communication
de soi'. Dès lors, un dieu ne peut produire immédiatement que des dieux, !'Un que
des unités. C'est d'ailleurs la même chose, puisque déifier, c'est unifier. Proclos inter-
prète en ce sens le mot du Démiurge aux jeunes dieux dans le Timée 41 c:
«Si c'est par moi que ces espèces viennent à l'existence et ont part à la vie, elles
vont s'égaler aux dieux».
Pour fabriquer du mortel, la divinité doit donc recourir à des médiations, c'est-à-
dire à des modes d'unité dégressifs. L'un dérive en être, l'être en vie, la vie en pensée,
la pensée en automotricité psychique, l'âme en corps. Ce qui signifie que l'unité
s'exprime en se réalisant, que la réalisation s'épanche en se vivifiant, que la vie
trouve son verbe dans la pensée, que la pensée se diffuse en animant un discours et
une organisation.
Entre l'immuable et le devenir, l'âme est la médiation par excellence. Elle récapi-
tule toutes les précédentes, puisqu'elle est substance, vie et pensée et intègre le nombre
séminal du devenir, c'est-à-dire le temps. L'âme est la médiation de l'indivisible et
du divisé'. Elle a une substance éternelle et une activité temporelle'. En tant que
dianoétique, elle ordonne le flux des impressions sous la loi des universels générateurs'.

(!) El. Th., prop. 76.


(2) Ibid.
(3) In Rempublicam, L. II, p. 10, 17-18, Kroll.
(4) Cf. In Parmenid., II, col. 762, 22-25.
(5) Cf. El. Th., prop. 190; In Tim., t. III, p. 254, 14.
(6) Cf. El. Th., prop. 191.
(7) Cf. In Parmenid., IV, col. 895, 30-36.
LA (( MANENCE )} SELON PROCLOS 235

Étant à la fois immobile et mobile, c'est-à-dire automotrice, unité et nombre, ou


encore nombre divisible en monades indivisibles ou parties totales', l'âme est le
premier principe qui puisse produire des êtres entièrement changeants. Et il faut que
la divinité passe par elle pour engendrer du devenir. La divinité soutient la procession
entière, mais ne peut engendrer les choses visibles que par l'intermédiaire des
invisibles 2 •
«L'âme est à la fois unité et multiplicité, raison unique et nombre rassemblant
toutes sortes de formes, elle imite la totalité démiurgique et la division des puissances
paternelles. Représentons-nous d'abord ce qu'elle est en elle-même dans sa totalité,
demeurant (µÉvoucrixv) procédant en elle-même (npo·~oücrixv È.v ~ixuT?J), se convertissant,
1

et en outre exerçant l'activité prénoétique en la diversifiant selon qu'il s'agit de formes


cosmiques immatérielles et pures ou de l'ensemble des corps et de l'être divisé. Et
dans cette perspective, disons que par sa première puissance elle demeure immuable
(µéve:~v), que par sa seconde elle procède d'une procession divine et non d'une proces-
1

sion conçue comme passive et indéterminée, que par sa troisième puissance elle se
convertit, et que, parce qu'elle possède l'intégrité, est établie parmi les intelligibles et
demeure dans l'esprit, elle exerce éternellement son activité prénoétique sur ses
dérivés ... )> 3 •

3
Il n'est pas surprenant que les degrés de la manence déterminent les degrés de
la procession. En chaque série, il y a une double expansion. L'une demeure encore
cachée dans son origine, l'autre est déployée et manifeste. Cela est vrai des dieux,
puisqu'il y a une divinité invisible (qui déjà procède) et des dieux visibles'. C'est
ainsi que Proclos interprète le Be:ol Be:&v du Timée, 41 a : Wç cruµne:7tÀe:yµÉvov ~zov-re:ç -ré)l
&cpave:î: T٠ȵqiixvÈ:ç xcd -r~ Ü7te:pxocrµ(cp -rà Èyx6crµ~ov 5 • Cela s'applique au temps, puisqu'il
y a le temps hypercosmique qui est un nombre non manifeste et le temps cosmique
qui en est la participation apparente, d'abord intégrale, puis fragmentée en périodes
partielles'. A ce sujet Proclos affirme :
«Du moins tout ce qui vient à l'être est invisiblement établi dans sa propre
cause antérieurement à sa venue à l'être »7 •
Nous en trouvons la confirmation dans la Théologie platonicienne:
(<Un tout qui procède d'un tout participe indivisiblement à son père. Car il
demeure dans l'intégralité de son pouvoir (µÉve:~ yOCp Èv Tfl nixv-r6T·~-r~ -r~ç È.xe:[vou ôu-
v&µEwç), et il imite son caractère unitif et non multipliable (s'il est permis de parler
ainsi), parce qu'il est monadique, total, identique et père des premiers, des moyens
et des derniers membres de la série )> 8 •

(1) Cf. ln Tim., t. II, p. 138, 164-165.


(2) Cf. ln Tim., t. III, p. 222.
(3) ln Tim., t. II, p. 218, 26-219, 10.
(4) Cf. ln Tim., t. III, p. 204, 11-12.
(5) Ibid., 29-31.
(6) Cf. ln Parmenid. VII, col. 1217, 16-21.
(7) ln Tim., t. III, p. 55, 5-7.
(8) ln Pl. Th., VI, 8, p. 361.
236 JEAN TROUILLARD

La procession va donc gagner en multiplicité, mais perdre en puissance dans la


mesure où la manence se relâchera.
« Les énergies et puissances des dieux sont doubles. Les unes demeurent en eux
(Sv cx.lYro'i.'.ç µÉ:voucr~}, agissent en eux et ont pour fin d unir leur unique subsistence à la
1

substance divine. Les autres procèdent des dieux (&11:' cz(Hwv 11:poioucrczc) et manifestent
leur puissance efficace dans leurs dérivés ... Car il faut que partout les énergies qui
procèdent au dehors soient les figures de celles du dedans, qu'elles déroulent leur
densité indivise, multiplient leur unité et divisent leur indivision 1) 1 .
Il y a pareillement deux sortes de générations divines. Les unes se résolvent
dans la totalité intelligible et demeurent en elle, les autres se divisent et procèdent
d'elle, mues par la fécondité des dieux noétiques'.
Il est évident que les différences de procession, commandées par des différences
de manence, sont aussi des différences de participation :
«Toute monade principe suscite deux sortes de nombres, celui des subsistences
intrinsèquement parfaites (cx.ùTo-rzÀ&v Unocr-r&crzNv) et celui des illu1ninations qui ne
peuvent subsister que dans des sujets extrinsèques 1)3 •
La première participation est intégrale parce que, nous l'avons vu, elle demeure
à l'intérieur de l'opération constitutive du donateur. Elle est substantielle, car «elle
se fonde sur elle-même 1). La seconde participation ajoute à un sujet autrement défini
une meilleure perfection.
«C'est ainsi que toute unité (~vOJcrcç) n'est pas dieu, mais seulement l'hénade
intrinsèquement parfaite, que tout caractère spirituel n'est point esprit, mais seul
celui qui est substantiel, enfin que toute illumination psychique n'est point âme,
mais qu'il y a des reflets psychiques 1)4 •
La première sorte de comn1unication ne survient pas à un sujet qui la limite, c'est
au contraire une perfection qui se donne à elle-même sa modalisation. Elle n'est donc
pas de l'ordre de l'activité, mais de celui de la substance. Or il faut prendre garde
que chez Proclos chaque substance véritable, c'est-à-dire autoconstituante, récapitule
de façon intrinsèque et selon son mode propre tous les niveaux qui la précèdent,
puisqu'elle procède d'elle-même. C'est ainsi que l'âme n'est pas seulement substance
comme être, ·vie comme puissance et esprit comme activité, mais qu'elle est déjà
tout cela dans sa substance même : Ë.v -r?j oùcr[~ ~ ~0~ xixl ~ yv&cr~c,5.
«La substance de l'âme demeure (3caru\v$c) intégralement la même, et en tant
qu'elle est substance et en tant qu'elle est vivante et en tant qu'elle est noétique 1) 6•
Si nous en croyons Proclos, il y a chez Platon deux sortes de manence correspon-
dant à deux façons de construire l'univers. Tantôt il met l'esprit dans l'âme et l'âme
dans le corps, c'est le point de vue de la procession qui nous oriente vers une partici-
pation extrinsèque, parce que la cause demeure dans l'effet et s'y limite. Tantôt il
met le corps dans l'âme et l'âme dans l'esprit (et l'esprit dans l'Un), c'est le point de

(1) In Pl. Th., V, 18, p. 283; Cf. Ibid., VI, 14, p. 386; VI, 24, p. 412.
(2) Cf. Jb;d., V, 37, p. 329.
(3) El. Th., prop. 64.
(4) Ib;d.
(5) El. Th., prop. 197.
(6) In Tim., t. III, p. 335, 24-26.
LA {< lVIANENCE » SELON PROCLOS 237
vue de la conversion qui nous suggère une participation intrinsèque, parce que l'effet
demeure dans la cause et s'enracine dans sa perfection. Platon emploie les deux
démarches dans le Timée, et elles sont légitimes toutes les deux, parce que complé-
mentaires, mais la seconde définit des constitutions, alors que la première n'atteint
que des propriétés'. C'est donc la se-conde qui fonde la première. L âme ne peul recevoir
dans ses puissances el son activité que les illuminations dont elle détient les foyers dans
sa substance: yv&rnv 't~v oùcru:0a·IJ 7tpoÜ&ÀÀe~v 2 • Elle s'illumine elle-même et elle est
illuminée. Tout son effort vise à exprimer ou à ressaisir dans son activité ce qu'elle
possède dans sa substance (à actualiser pleinement sa substance et à rendre substan-
tielle son activité).

4
Puisque les ordres s'emboîtent les uns dans les autres, la µov~ se diversifie à
chaque jointure.
La plus fondamentale est celle de !'Un. L'unité est ce qu'il y a de plus radical
en chaque être, parce qu'elle est plus originelle que son être même. Car n'importe
quelle participation est précédée, soutenue et prolongée par l'infusion de l'unité,
qui est en quelque sorte substantialisante, et toute causalité joue à l'intérieur du
processus d'unification en le modalisant3 • C'est ce qu'exprime la théorie des tvci.3Eç,
qui est moins une solution qu'un problème inévitable, déjà soulevé par Plotin. Il
s'agit de montrer que le centre de chaque esprit n'est autre que le centre universel.
Après celle de !'Un, la manence la plus profonde est celle de l'être. Car, pour
Proclos comme pour Porphyre, mais sans confusion avec l'Un, ainsi que l'a montré
Pierre Hadot, l'être représente l'immutabilité initiale et génératrice, «la monade
aux multiples puissances », alors que la vie exprime la procession, et la pensée la
conversion'. L'activité parfaite est celle qui s'identifie à la démiurgie sous le mode
d'exemplaire (a"l)µwupyocv 7tocpoc3Ecyµoc-.cxwç), à la pensée sous le mode d'intelligible
('t'Ô voe:Lv VO'l)TWc;) 5 , à l'agir sous le mode de substance (~ Svtpye~a oùcr~c0a'l)::;) 6 , qui sont bien
supérieurs à la substance sous le mode d'activité ou de pensée.
Mais pour l'âme, le voliç est la manence la plus proche, parce qu'il lui communique
l'indivisibilité et l'immutabilité de l'intelligible sur quoi elle appuie son automotricité.
«De l'esprit comme d'un sanctuaire surgit son expression qui est l'âme, manifes-
tant l'indivision de !'esprit et proclamant son unité silencieuse et ineffable »7 •
Quant à l'âme elle-même, puisqu'elle est le milieu de l'indivisible et du divisible,
elle est l'équation de la manence et de la procession (conçue comme écart). Tandis que
dans l'esprit prédominent le 7tépaç, la cr't'&cr~ç et la 'Te<ÙT6't'1JÇ, que dans les corps 1'&7te~pov,
la x~v1Jcnç et l'E:-repÔ't'1JÇ l'emportent, l'âme est l'équilibre de ces extrêmes, non à
titre de simple résultat, n1ais comme une loi qui impose l'har1nonie à ses éléments 8 •

(1) Cf. In Tim., L. I, p. 407.


(2) In Euclidem, p. 46, 12, Friedlein.
(3) Cf. El., Th., prop. 70-72.
(4) Cf. In Pl. Th., Ill, 9, p. 135 et 137, PorLus.
(5) In Tim., t. 1, p. 335, 28-31.
(6) ln Alcibiadem, 278, 12, "\Vesterink.
(7) ln Tim., t. II, p. 243, 6-9.
(8) Cf, In Tim., t. II, p. 137, 27.30.32; 204, 16; 208, 25; In Tim., t. III, p. 336, 19-20; In Alcibiad., 321.
238 JEAN TROUILLARD

«Parce qu'elle est la médiation de l'esprit et des corps, l'âme est à la fois monade
et dyade; et la raison en est qu'elle participe en quelque sorte de façon égale (Èi; 'lo-ou)
au déterminant et à l'infinité »1 .
Puisque dans le déroulement processif ne doit subsister aucun vide (µ.~" xovôv
fo~w µ."1)3tv) 2 , un ordre supérieur est d'autant plus immanent aux degrés de la série
immédiatement inférieure que ceux-ci sont plus élevés.
« Car parmi les corps le tout premier est le plus pénétré de vie grâce à la proximité
de l'âme, parmi les âmes la pr:emière est semblable à l'esprit, et l'esprit tout premier
est dieu. En sorte que parmi les nombres le tout premier est semblable à l'un, hénadique
et suressentiel comn1e l'un »3.
Nous savons quel usage fera le Pseudo-Denys de ce principe de Proclos : «Les
cimes des seconds sont nécessairement jointes aux dernières li1nites des premiers ».i,.
Selon Proclos, l'effusion est à la fois immédiate et hiérarchique. Non content
de communiquer directement avec tous ses principes, chaque dérivé reçoit participa-
tion des plus élevés par la médiation des plus proches.
«Chaque être est divinisé par celui qui lui est immédiatement antérieur, le monde
corporel par l'âme, l'âme par l'esprit ... l'esprit par !'Un »5 •
Enfin, la manence de !'Un à ses dérivés pose un problème particulier.
D'une part, Proclos nous dit que la µ.ov~ assimile les dérivés à leurs principes. Car
elle signifie d'abord communication intégrale', coïncidence radicale et unitive. En
outre, la procession exige la similitude avant la dissimilitude 7 •
D'autre part, Proclos enseigne après Plotin que le principe ne doit être rien de
ses dérivés pour les produire : n&v'C'WV yàp av ix'(nov, oûaév èaTL -r&v n&v-rNv 8. L'Un est
imparticipable 9 . Sans doute !'Un communique l'unité, mais, selon le Parménide, !'Un
n'est pas un 10 .
Devant ces exigences opposées, il ne suffit pas d'alléguer que les dérivés peuvent
ressembler à leur principe sans que celui-ci leur ressemble. Car il n'est rien de partici-
pable dans un principe qui refuse attribution et privation. Mais, au-delà de toute
participation, !'Un peut se communiquer comme présence ineffable, et, par cette
ineffabilité même, rayonner un pouvoir de négation et de conversion sans inode.
Proclos fait remarquer que la communauté des procédants et de leur principe ne se
réalise pas dans la ressemblance (St' oµ.ot6~'l"oç), mais dans l'unité (St' tvciio-owç) 11 •
L'unité est, en effet, la motion propre du Bienu Car la souveraine valeur pour un
être, c'est de se rejoindre parfaitement en coïncidant avec son origine. Et si la µ.ov~
donne ce pouvoir de retrouver dans la fin le point de départ, elle n'amène pas à
construire une imitation, mais plutôt à nous en affranchir.

(1) In Tim., t. II, p. 197, 2-4.


(2) In Tim., t. I, p. 373, 7.
(3) In Parm., VI, col. 1051, 26-31.
(4) El. Th., prop. 147; cf. ibid., prop. 112.
(5) In Tim., t. II, p. 113, 5-9.
(6) Cf. El. Th., prop. 18.
(7) Cf. ibid., prop. 28-29.
(8) ln Parmenid., VI, col. 1108, 25.
(9) Cf. El. Th., prop. 116.
(10) Cf. In Parmenid., VI, col. 1088, 33; 1095, 23; In Pl. Th., II, 4, p. 95.
{11) In Parmenid., VII, col. 1200, 5-6.
(IZ) Cf. El. Th., prop. 13.
DISCUSSION DE LA CONFÉRENCE DE M. TROUILLARD

M. THILLET : Vous nous avez dit que, pour Proclus, il y avait une certaine transposition
d'une formule de Plotin et que Proclus a dit que l'expansion de la procession, c'est l'action
de l'être par lui-même. Est-ce que cette formule n'était pas déjà chez Porphyre?
lVI. TROUILLARD : .Je n'en sais rien.
l\'I. LLOYD : Mais certainement. On le trouve cité dans le comm.entaire de Proclus sur le
Timée (t. I, pp. 395-396). Porphyre y est cité à propos de la création par l'être lui-même, qu'il
identifie 1 je crois aussi dans les Sentences, à la création par la pensée pensante. Pour lui, c'est
la même chose.
l\'l. THILLET : Dans la Théologie d'Aristote, il est souvent fait allusion à cette création par
l'être même (ainsi Ep. de Sc. Div., § 107, p. 321 G. L.; Théol. Ar., § 175, p. 391 G. L., § 191,
p. 395 G. L., etc.). En bien des endroits, il me semble qu'il y a une petite distance avec le texte
de Plotin qui est paraphrasé. Comme j'ai beaucoup de raisons d'attribuer la Théologie d'Aristote
à Porphyre, je pensais que cela pouvait venir de Porphyre.
lVI. TROUILLARD : Les textes de Plotin que j'ai cités me semblent déjà proposer la doctrine
de la création par l'être même.
Mme CHARLES : Vous accordez une supériorité à la µov~ en disant qu'elle est au-delà de la
contingence, au-delà de la nécessité, que son mouvement, le mouvement qu'elle engendre,
est au-delà de toute contingence, au-delà de toute nécessité. lVIais ce qui me frappe dans cette
thématisation de la notion, c'est que, étant elle-même au-delà de la nécessité et de la possibilité,
elle fait que tout ce qui vient après elle, est pris dans la nécessité, dans la possibilité. Donc,
tout ce qui est accordé là à la µov~ comme liberté, et comme dépassement de la possibilité,
est refusé à chaque être qui ensuite vient après elle. lVIais si celui-ci est pris dans la possibilité
d'être, dans la nécessité de se convertir, n'y a-t-il pas ainsi un préalable du possible ? Affirmer
la µov~, c'est affirmer à l'avance que tout est possible et nécessaire : l'être, la conversion. C'est
affirmer que le désir sera désir du Bien et, en un certain sens, que toute puissance négative
sera parfaitement résorbée. En donnant justement cette prééminence à la subsistence en soi,
en faisant émaner toute activité de la subsistence ou de la manence, on pose que toute activité
est déjà nécessairement liée et orientée à cette première permanence; en sorte qu'il n'y a pour
elle qu'un mouvement d'expansion et de réintégration. 1'.1ais tout est déjà là, tout est déjà rendu
possible. Ce qui me frappe, en ce qui concerne l'âme elle-n1ême, c'est la manière dont Proclus
pense les hésitations de l'âme, l'incertitude de l'âme dans son être même ou dans ses opérations.
11 ne peut envisager qu'une forme d'hésitation et d'oscillation, il ne peut jamais accorder le
privilège d'une recherche véritable à l'âme ; l'âme peut seulement osciller de-ci de-là ; comme
elle n'est pas pleinement réalisée ou pleinement irréelle, elle est seulement oscillante, hésitante.
Peut-être l'affirmation préalable, par la µov~ d'une positivité solide en elle-même, entraîne-t-elle
une difficulté dans la compréhension du statut de l'âme : il s'agit d'un statut oscillant, mais
dont les règles sont déjà jouées.
M. TROUILLARD : Dans la mesure où l'âme peut se convertir et revenir à sa racine, dans
cette mesure, elle revient à une spont<inéité absolue et alors elle est supérieure au possible et
au nécessaire. Cela n'est pas accord~ à toutes les âmes.
Nime CHARLES : Ce retour est déjà accompli dans la cause qui l'enveloppe.
lVI. TROUILLARD : Il ne faut pas concevoir Proclus dans la catégorie de l'extériorité. La
µov~ est intérieure à nous-même.
IVfme CHARLES : Elle n'est cette possibilité constante que parce que nous sommes déjà
ce vers quoi nous voulons aller. Il y a un déjà-là.
240 JEAN TROUILLARD

M. TROUILLARD : Le déjà-là n'a pas un sens temporel. Ce n'est pas un passé qui commande
notre présent et notre avenir. Nous sommes dans l'éternel et il n'y a pas là une fatalité qui
s'impose à nous. Il s'agit simplement d'arriver à une spontanéité éternelle.
Mme CHARLES : Qui, elle, est la synthèse de l'immobilité et de la mobilité.
M. TROUILLAHD : Oui, c'est beaucoup plus près de la liberté que d'un automatisme aveugle.
M. SAFFREY : M. Trouillard pourrait-il nous dire en quelques mots ce que la doctrine
proclienne de la µo\I~ ajoute à la doctrine plotinienne du µévzw?
M. TnourLLARD : J'ai trouvé chez Plotin moins de précisions que chez Proclus parce que
Plotin systématise peu. Il me semble que Proclus a systématisé sa doctrine de la µov'fi dans un
sens plotinien.
M. BEIER\VALTES : Bei Plotin gibt es m.W. Z\vei Stellen, die µov'fi als A. ussage über den
Seins >>-Modus des ~v verstehen lassen : VI, 8, 16, 26 u. I, 7, 1, 18, an letzterer Stello allerdings
1<

nur dann, wenn man sich mit der Editio minor Henrys und Schwyzers cxô'C""fi liest. Danach ist
das Gute (oder Eine) weder durch eine nach aussen \Virkende itvé:pyetcx, noch durch ein es
selbst differenzierendes Denken gut, sondern allein oder gerade (cxû'C""fi) durch Innebleiben,
Bestehen in ihm selbst. Ich meine, man müsste diese Emendation akzeptieren (Creuzer las
schon cxô'C""fi <'C""fi> µov?J). Nachdem Plotin np6o8oç und itrr~cr'C"pocp'fi als dia-Iektisch aufeinander
bezogene Akte versteht, ergeben die beiden genannten Stellen zumindest den Ansatzpunkt
für die spater klar formulierte Trias : µov'fi, r.p6o3oç,- it1ncr'C"porp'fi. Bei Plotin also ist dieser Gedanke
nicht {( systematisiert l>, aber konzipiert. - Dass die überwiegende Zahl der Stellen das den
Akt betonende µé:vew haben, hat Herr Trouillard gezeigt.
]\iJ:me VINCE~T : Tl existe dans le commentaire de Proclus sur le Timée un passage où Proclus
félicite Jamblique de distinguer l'âme dans sa manence, dans sa procession et dans sa conversion.
Est-ce que Jamblique ne serait pas l'intermédiaire qui a systématisé la doctrine de Plotin sur
ce point ?
J\iJ:me GALPERINE : Damascius et Proclus ne cessent d'utiliser les systématisations de
Jamblique.

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