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L’étymologie du terme est double : dans une première acception, religare signifie,
en latin, « relier, attacher ». La religion est ce qui « relie » les hommes à la
dimension du sacré ; dans une seconde acception, religere a le sens de « recueillir de
nouveau, rassembler ». En ce sens, la religion correspond à une pratique
institutionnalisée, à l’exercice d’un culte et renvoie aux cérémonies qui lui sont
liées.
Dans le Traité sur la tolérance (1763), Voltaire veut réhabiliter le protestant Calas,
injustement accusé d’avoir tué son propre fils, et condamné à mort. Sont visés les
catholiques, qui pensent que leur religion est la seule « vraie » religion.
Intérioriser les instincts, dit en substance Nietzsche, ne peut que rendre l’homme
malade, ou décadent. La religion est établie sur les notions de péché, de salut, de
grâce ou de rédemption. Elle encourage en l’homme la faiblesse et la résignation.
La morale judéo-chrétienne, d’une manière générale, s’oppose à l’épanouissement
du corps, à la puissance vitale présente en chaque homme, et à l’acceptation de soi.
La religion est « un monde de fictions pures » (Antéchrist), qui « a sa racine dans la
haine contre le naturel ». Et Nietzsche de conclure :
« La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur,
comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium
du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est
l'exigence que formule son bonheur réel. »
(Contributions à la critique de la philosophie du droit de Hegel, introduction)
Pour Freud (1856-1939), dans L’avenir d’une illusion, la religion est cette « illusion »
qui aide l’homme à supporter les souffrances de l’existence et l’angoisse de la mort.
L’homme est pareil à l’enfant qui désire être aimé et protégé ; Dieu joue le rôle de
ce père aimant et protecteur. En tant que création de l’homme, le stade du
religieux, qui est celui de l’infantilisme, doit donc être dépassé :
La religion
La religion nous demande d’adhérer sans preuves à l’idée d’un être supérieur,
infiniment bon. Il semble qu’on sorte d’emblée par là du champ de la raison,
puisqu’un jugement n’est rationnel que s’il se fonde sur une démonstration ou une
expérience.
Qu’est-ce que l’opium ? Il s’agit d’une drogue, dont l’effet immédiat est
d’endormir celui qui l’absorbe, le plongeant dans un sommeil profond peuplé de
rêves étranges et effrayants.
Comparer la religion à l’opium, ce serait donc affirmer que la religion a pour but
d’endormir le peuple, l’empêchant de se révolter face à une situation sociale
injuste. Il s’agirait d’une ruse des classes dirigeantes, la classe bourgeoise, pour
prévenir toute révolte de la part des prolétaires. Autrement dit : pour empêcher
que ceux qui ne possèdent que la force de travail de leurs bras ne s’approprient les
moyens de production (machines, ateliers) possédés par les bourgeois, qui leur
louent.
La religion incite à ne pas chercher le bonheur dans cette vie, ici et maintenant,
dans notre réalité quotidienne, mais dans une autre réalité, accessible uniquement
après la mort. Le bonheur n’est pas à chercher au présent, il ne se conjugue qu’au
futur.
Une illusion n’est pas simplement une erreur, il s’agit d’une erreur à laquelle on a
tout intérêt de croire. On désire croire en une illusion ; ce qui n’est pas le cas d’une
simple erreur. C’est ce qu’a relevé Freud, qui dans l’Avenir d’une Illusion note : «
Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains ». 2+2=5 est une
erreur, tandis que Christophe Colomb qui croit découvrir l’Amérique est dans
l’illusion : il a envie que sa croyance (fausse) soit juste.
Si la religion est une erreur qui sert les intérêts des classes dirigeantes, en quoi
peut-elle correspondre à un désir des classes inférieures ? En quoi le peuple peut-il
désirer être trompé ainsi ?
Cela vient de ce que la religion lui ôte la responsabilité angoissante de prendre son
destin en main et de lutter pour changer l’ordre des choses. La religion le délivre
de l’angoisse de la liberté.
C’est là un gain à court terme qui correspond à un désir réel et fait de la religion
une illusion. Il est difficile de secouer ses chaînes et de se libérer, ainsi que Marx le
remarque dans la Critique de la Philosophie du droit de Hegel :
Néanmoins, on peut remettre en cause l’idée selon laquelle le concept d’un Dieu, à
savoir d’un être infini et parfait, serait dépourvu de toute rationalité.
En fait nombreux sont les arguments rationnels qui peuvent prouver l’existence
d’un Dieu. En ce sens, raison et foi seraient conciliables, et la religion ne serait pas
l’illusion que dénonce Marx.
La métaphysique est la discipline qui prend pour objet ce qui dépasse l’expérience
du monde sensible, ce qui est « au-delà (meta) du physique ». Dieu, l’âme, l’infini,
en font partie.
-l’argument cosmologique : tout a une cause. Mais si tel effet a une cause qui elle-
même a une cause, qui elle-même a une cause, etc., alors pour éviter une régression
à l’infini, il faut bien parvenir à une cause première : Dieu.
Non : on peut imaginer un certain type de rationalité, le calcul, qui nous amène à
croire en Dieu. Telle est le sens du célèbre pari de Pascal.
Le pari de Pascal
Comment convaincre les athées de se tourner vers Dieu ? Pascal essaie de se placer
sur leur terrain. Il se fie à une sorte de « portrait général » de l’incrédule. En
général, ceux-ci ont plus confiance en leur raison qu’en leur foi. D’autre part, les
sceptiques pensent à leur propre intérêt égoïste. Enfin, ils aiment se divertir, par
exemple jouer aux cartes.
En effet, le gain est infini s’il existe, car cela signifie qu’il y aura une vie après la
mort, et non le néant. Et d’autre part, il n’y a rien à perdre. Supposons qu’il n’existe
pas, nous n’aurions perdu si nous avons parié, car notre sort après la mort sera le
même que celui qui n’a pas parié (le néant).
Or il est absurde de ne pas parier dans un jeu si le gain est infini, et s’il n’y a rien à
perdre. Donc parions que Dieu existe et vivons en conséquence.
Examinons donc ce point, et disons : "Dieu est, ou il n’est pas." Mais de quel côté
pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui
nous sépare. Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera
croix ou pile. Que gagerez-vous ?
Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez
défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ;
car vous n’en savez rien.
- "Non ; mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore
que celui qui prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en
faute : le juste est de ne point parier."
- Oui ; mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel
prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse
le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à
engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et
votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère.
Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut
nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain
et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez,
vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans
hésiter.
- "Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop."
Il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre
un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti
: partout où est l’infini, et où il n’y a pas infinité de hasards de perte contre celui du
gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner. [...]
Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder
à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. Cela est
démonstratif ; et si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l’est ».
On voit qu’il existe donc un type de rationalité bien spécifique qui amène à se
tourner vers Dieu. Il ne s’agit pas d’une raison purement logique, démontrant
l’existence de Dieu, mais une rationalité utilitaire, calculant les moyens pour
arriver au bonheur. Il faut croire en Dieu non pas parce qu’il existe, mais parce que
c’est s’exposer à un bonheur infini s’il existe.
Conclusion
La religion n’apparaît par conséquent pas comme une simple illusion. Certes, elle
peut être mise au service des classes dirigeantes comme le relève Marx. Mais, si
tout argument métaphysique prouvant l’existence de Dieu est à rejeter, nous avons
de fortes raisons de croire en l’existence de Dieu : notre bonheur futur en dépend.
"Si les hommes pouvaient régler toutes leurs affaires suivant un dessein arrêté, ou
encore si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais prisonniers
de la superstition.
Mais souvent réduits à une extrémité telle qu'ils ne savent que résoudre, et
condamnés, par leur désir sans mesure de biens incertains, à flotter presque sans
répit, entre l'espérance et la crainte, ils ont l'âme encline à la plus extrême crédulité.
(...)
En effet, si, pendant qu'ils sont dans un état de crainte, il se produit un incident qui
leur rappelle un bien ou un mal passés, ils pensent que c'est l'annonce d'une issue
heureuse ou malheureuse et pour cette raison, bien que cent fois trompés,
l'appellent un présage favorable ou funeste.(...)
De la sorte, ils forgent d'innombrables fictions et, quand ils interprètent la Nature y
découvrent partout le miracle, comme si elle délirait avec eux." (Traité Théologico-
politique)
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– L’homme est-il par nature un être religieux ?
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