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ARISTOTE ET L’ÉTHIQUE
Éclairage sur l’Éthique à Nicomaque
CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
MAISON DE LA PHILOSOPHIE
29 rue de la digue, 31300 Toulouse
Tél : 05.61.42.14.40
Email : philo@alderan-philo.org
Site : www.alderan-philo.org conférence N°1000-176
ARISTOTE ET L’ÉTHIQUE
Éclairage sur l’Éthique à Nicomaque
L’Éthique à Nicomaque est le grand ouvrage éthique d´Aristote, dont l'influence fut énorme
jusqu’au XVIIIème siècle. Avec les autres écrits connus d'Aristote, il fut repris par la pensée
arabo-musulmane, puis transmis à l'Occident au XIIème siècle. L'éthique à Nicomaque
apparaît comme l’ouvrage d’éthique philosophique par excellence, qui fonde la notion même
d'éthique. À partir de ce livre, nous aborderons la pensée éthique aristotélicienne, ses
principes et son actualité.
I ARISTOTE
II L’ÉTHIQUE À NICOMAQUE
V CONCLUSION
ORA ET LABORA
Pour le joueur de flûte, le statuaire, pour toute espèce d'artisan et en un mot pour tous
ceux qui pratiquent un travail et exercent une activité, le bien et la perfection résident,
semble-t-il, dans le travail même. De toute évidence, il en est de même pour l'homme, s'il
existe quelque acte qui lui soit propre. Faut-il donc admettre que l'artisan et le cordonnier
ont quelque travail et quelque activité particuliers, alors qu'il n'y en aurait pas pour
l'homme et que la nature aurait fait de celui-ci un oisif ? Ou bien, de même que l'œil, la
main, le pied et en un mot toutes les parties du corps ont, de toute évidence, quelque
fonction à remplir, faut-il admettre pour l'homme également quelque activité, en outre de
celle que nous venons d'indiquer ? Quelle pourrait-elle être ? Car, évidemment, la vie est
commune à l'homme ainsi qu'aux plantes ; et nous cherchons ce qui le caractérise
spécialement. Il faut donc mettre à part la nutrition et la croissance. Viendrait ensuite la
vie de sensations, mais, bien sûr, celle-ci appartient également au cheval, au bœuf et à
tout être animé. Reste une vie active propre à l'être doué de raison. Encore y faut-il
distinguer deux parties : l'une obéissant, pour ainsi dire à la raison, l'autre possédant la
raison, et s'employant à penser. Comme elle s'exerce de cette double manière, il faut la
considérer dans son activité épanouie, car c'est alors qu'elle se présente avec plus de
supériorité. Si le propre de l'homme est l'activité de l'âme, en accord complet ou partiel
avec la raison ; si nous affirmons que cette fonction est propre à la nature de l'homme
vertueux, comme lorsqu'on parle du bon citharède et du citharède accompli et qu'il en est
de même en un mot en toutes circonstances, en tenant compte de la supériorité qui,
d'après le mérite, vient couronner l'acte, le citharède jouant de la cithare, le citharède
accompli en jouant bien ; s'il en est ainsi, nous supposons que le propre de l'homme est
un certain genre de vie, que ce genre de vie est l'activité de l'âme, accompagnée
d'actions raisonnables et que chez l'homme accompli tout se fait selon le Bien et le Beau,
chacun de ces actes s'exécutant à la perfection selon la vertu qui lui est propre. À ces
conditions, le bien propre à l'homme est l'activité de l'âme, en conformité avec la vertu ;
et si les vertus sont nombreuses, selon celle qui est la meilleure et la plus accomplie. Il
en va de même dans une vie complète. Car une hirondelle ne fait pas le printemps, non
plus qu'une seule journée de soleil ; de même ce n'est ni un seul jour ni un court
intervalle de temps qui font la félicité et le bonheur.
Aristote
Éthique à Nicomaque, L.1
La justice est une disposition d’après laquelle l’homme juste se définit celui qui est apte à
accomplir, par choix délibéré, ce qui est juste, celui qui, dans une répartition à effectuer
soit entre lui-même et un autre, soit entre deux autres personnes, n’est pas homme à
s’attribuer à lui-même, dans le bien désiré, une part trop forte et à son voisin une part trop
faible (ou l’inverse, s’il s’agit d’un dommage à partager), mais donne à chacun la part
proportionnellement égale qui lui revient, et qui agit de la même façon quand la
répartition se fait entre des tiers. L’injustice, en sens opposé, a pareillement rapport à ce
qui est injuste, et qui consiste dans un excès ou un défaut disproportionné de ce qui est
avantageux ou dommageable. C’est pourquoi l’injustice est un excès et un défaut en ce
sens qu’elle est génératrice d’excès de ce qui est avantageux en soi et à un défaut de ce
qui est dommageable ; s’agit-il d’une distribution entre des tiers, le résultat dans son
ensemble est bien le même que dans le cas précédent, mais la production peut être
dépassée indifféremment dans un sens ou dans l’autre. Et l’acte injuste a deux faces : du
côté du trop peu, il y a injustice subie, et du côté du trop, injustice commise.
Aristote
Éthique à Nicomaque, L.5
On discute également, au sujet de l'homme heureux, s'il aura ou non besoin d'amis.
On prétend que ceux qui sont parfaitement heureux et se suffisent à eux-mêmes n'ont
aucun besoin d'amis : ils sont déjà en possession des biens de la vie, et par suite se
suffisant à eux-mêmes n'ont besoin de rien de plus ; or l'ami, qui est un autre soi-même,
a pour rôle de fournir ce qu'on est incapable de se procurer par soi-même. D'où l'adage :
Pourtant il semble étrange qu'en attribuant tous les biens à l'homme heureux on ne lui
assigne pas des amis, dont la possession est considérée d'ordinaire comme le plus
grand des biens extérieurs. De plus, si le propre d'un ami est plutôt de faire du bien que
d'en recevoir, et le propre de l'homme de bien et de la vertu de répandre des bienfaits, et
si enfin il vaut mieux faire du bien à des amis qu'à des étrangers, l'homme vertueux aura
besoin d'amis qui recevront de lui des témoignages de sa bienfaisance. Et c'est pour
cette raison qu'on se pose encore la question de savoir si le besoin d'amis se fait sentir
davantage dans la prospérité ou dans l'adversité, attendu que si le malheureux a besoin
de gens qui lui rendront des services, les hommes dont le sort est heureux ont besoin
eux-mêmes des gens auxquels s'adresseront leurs bienfaits. - Et sans doute est-il
étrange aussi de faire de l'homme parfaitement heureux un solitaire : personne, en effet,
ne choisirait de posséder tous les biens de ce monde pour en jouir seul, car l'homme est
un être politique et naturellement fait pour vivre en société. Par suite, même à l'homme
heureux cette caractéristique appartient, puisqu'il est en possession des avantages qui
sont bons par nature. Et il est évidemment préférable de passer son temps avec des
amis et des hommes de bien qu'avec des étrangers ou des compagnons de hasard. Il
faut donc à l'homme heureux des amis.
(...)
Est-ce dans la prospérité que nous avons davantage besoin d'amis, ou dans l'adversité ?
Dans un cas comme dans l'autre, en effet, on est à leur recherche : d'une part, les
hommes défavorisés par le sort ont besoin d'assistance, et, d'autre part, ceux à qui la
fortune sourit ont besoin de compagnons et de gens auxquels ils feront du bien, puisqu'ils
souhaitent pratiquer la bienfaisance. L'amitié, par suite, est une chose plus nécessaire
dans la mauvaise fortune, et c'est pourquoi on a besoin d'amis utiles dans cette
circonstance, mais l'amitié est une chose plus belle dans la prospérité, et c'est pourquoi
alors on recherche aussi les gens de bien, puisqu'il est préférable de pratiquer la
bienfaisance envers eux et de vivre en leur compagnie.
Aristote
Éthique à Nicomaque, L.9
- La philosophie d’Aristote, Collectif : A. Jaulin, M.-H. Gauthier-Mullec, F. Wolff, R. Bodéüs, PUF, 2003
- La Naissance de la raison en Grèce, sous la dir. de J.-F. Mattei, PUF, 1990
- La Prudence chez Aristote, Pierre Aubenque, PUF, 1986
- Les origines de la pensée grecque, Jean-Pierre Vernant, PUF, 1983
- Le plaisir, Aristote, Festugiere, Vrin, 1960.
- La Morale d'Aristote, R.-A. Gautier , PUF, 1957