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Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

LA NOTION DE PUISSANCE DANS SON RAPPORT À LA CAUSA SUI CHEZ LES STOÏCIENS ET
DANS LA PHILOSOPHIE DE SPINOZA
Author(s): Jean-Marc NARBONNE
Source: Archives de Philosophie, Vol. 58, No. 1 (JANVIER-MARS 1995), pp. 35-53
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris
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Accessed: 04-11-2016 17:58 UTC

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Archives de Philosophie 58, 1995, 35-53

LA NOTION DE PUISSANCE
DANS SON RAPPORT À LA CAUSA SUI
CHEZ LES STOÏCIENS
ET DANS LA PHILOSOPHIE DE SPINOZA1

par Jean-Marc NARBONNE


Université Laval, Québec

« ... le spinozisme apparaît comme un édifice très


ancien auquel on aurait ajouté un vestibule tout
moderne » V. Brochard, « Le Dieu de Spinoza »,
dans Études de philosophie ancienne et de philoso-
phie moderne , p. 368.

RÉSUMÉ : Développant un concept de puissance similaire, qu'on peut


une puissance active, opposée à la potentialité aristotélicienne, les sto
et Spinoza sont amenés à concevoir leur Dieu selon un schéma d'imm
semblable où le principe premier, en agissant sur lui-même, agit simu
ment sur le monde. Cette action sur soi, improprement nommée causa s
requise dans tous les systèmes immanentistes, et paraît incompatible
causa sui individuelle, c ' est-à-dire avec la liberté humaine.

SUMMARY : The Stoics and Spinoza developing a concept of similar pow


may be called an active power, opposed to Aristotelian potentiality,
to conceive their God according to a similar schema of immanence wher
first principle, by acting on itself, simultaneously acts upon the worl
action on self, improperly called causa sui, is required in all immanentis
tems, and appears to be incompatible with individual causa sui, that is t
with human liberty.

1. L'étude que l'on va lire n'est pas à proprement parler une suite , mais dans u
taine mesure un complément à l'article « Plotin, Descartes et la notion de causa sui
dans cette même revue il y a peu de temps (tome 56, cahier 2, 1993, p. 177-195
avons senti le besoin de poursuivre la réflexion amorcée dans l'essai précédent
élargir la perspective. En soi indépendantes, les deux études s'éclairent toutefo
l'autre et mettent diversement en relief, on pourra le constater, les caractères d'une
matique néanmoins commune.

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36 J. -M. NARBONNE

Le terme « puissance » (en grec ôtivajiiç)


aristotélicien. Il renvoie spontanément dans
l'acte (en grec evepyBia), conçu comme une r
Le Dieu ď Aristote, précisément dans la m
c'est-à-dire où il a épuisé toute indéterminat
de changement, est la réalité en acte par
même est acte », comme l'écrit Aristote2. Pa
sance est l'être inachevé, indéterminé, ou, si
sition. Sa réalité est le devenir. Tout ce qui d
tout ce qui est en puissance devient ou, tout
devenir. A l'opposé, ce qui est en acte, pa
acte, est exclu du devenir3 ; il ne devient pa
hende qu'en tant qu'il est en acte, c'est-à-d
présente un caractère positif. Ce qui devient
insaisissable puisqu'il est indéterminé.
De là découle, par exemple, la célèbre défin
mouvement, comme « l'acte de ce qui est en
en puissance ». C'est une formule limite et h
terminé et insaisissable en lui-même, à savoi
comme l'acte de ce qui, justement du point d
lement en acte, c'est-à-dire quelque chose d'a
ainsi l'acte de ce qui est inachevé, bref l'acte
Dans la pensée stoïcienne, les termes d'ac
sens tout différent. L'être pris comme tel e
puissance et acte, mais l'acte n'est justement
aristotélicienne, comme un achèvement de l
ment, et à chaque instant, manifestation
l'être lui-même est sans cesse à la fois toujou
réalisation ; c'est-à-dire qu'il est une vie in
pure. La puissance de type stoïcien, justemen
en aucun acte, est elle-même acte, et elle est
condition de déploiement de tous les actes à
comme si les stoïciens avaient appliqué à l'êt
Aristote était réservé au seul mouvement
consister dans le fait même de devenir.

l.Mét ., 1071 b 20.


3. Au moins du point de vue où il est considéré en acte
bien être en acte sous un certain rapport, et en puiss
exemple, est grammairien en puissance, mais il n'est jam
4. Comme le remarque E. Bréhier, Chrysippe et l'anc
p. 108 : « pour un stoïcien, les événements sont des ch
de simples effets qui se jouent à la surface de l'être, san
re profonde ».

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 37

L'être est ainsi pour les stoïciens productivité inf


le. Autant dire qu'en dépit de sa diversité et de se
l'être, en tant précisément que vie, que productiv
c'est exactement ce qu'ils soutiennent. Selon le
condition de possibilité du monde, et il est aussi
même, c'est-à-dire tout ensemble le producteur e
le monde n'est rien d'autre que le visage déployé
d'autre que la loi de déploiement du monde, la pu
garde plus rien de l'indétermination qui la caract
aristotélicien. Elle n'est plus à proprement parler p
puissance des contraires, mais productivité , c'
nécessaire. La vie n'est plus ici création et rencont
Dès lors que le mouvement n'était plus conçu, à
cienne, comme l'intermédiaire précaire subsistant
comme l'acte infini d'une seule et même puissanc
fait même la contingence du monde, et avec el
divin, désormais absorbé, et ultimement identifiable, au monde lui-
même. Et aussi, on le comprend sans peine, dès lors que le réel était
identifié à cette vie primordiale qui dispose de tout et détermine toutes
choses, se posaient de manière accrue le problème du statut des indivi-
dus que ne soutenait plus, du point de vue ontologique, aucun acte sin-
gulier, et a fortiori celui des universaux, qui doit en exprimer la
constance et en livrer le noyau intelligible. Dit autrement, l'abandon par
les stoïciens du modèle aristotélicien de la puissance conduisit en droite
ligne à l'immanentisme, au nécessitarisme et au nominalisme. C'est
que, comme le remarque Vuillemin, « le nominalisme interdit l'existen-
ce de tout 44 arrière monde " au-delà du donné. Dès lors le donné
contient les conditions initiales et les lois d'un déroulement inexorable
des événements et l'on ne saurait donner de contenu objectif à l'idée
que ces lois ou ces conditions eussent pu être différentes. Il faut poser
nécessairement la nécessité »5. Dans le stoïcisme, poursuit Vuillemin, la
question « est de savoir non si l'assentiment est déterminé par nos
représentations, mais si la volonté qui donne son assentiment est déter-
minée ou non par une nécessité intérieure. Tout ce que la finesse
logique de Chrysippe produit, c'est donc une intériorisation de la néces-
sité. Ce n'est pas un possible différent du réel, que je pourrais choisir
contre l'ordre qui s'impose à mes pensées même lorsqu'elles lui don-
nent leur acquiescement »6.

5. Nécessité ou contingence, l'aporie de Diodore et les systèmes philosophiques,


Minuit, Paris, 1984, p. 388.
6. Ibid. , p. 386-387.

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38 J. -M. NARBONNE

Or la puissance ou la « vie » entendue com


donnée également comme la clé du systèm
rise lui aussi par son rejet de toute transce
contingence et de la réalité des idées gén
en effet Zac, « l'idée de 44 puissance " est
l'idée de 44 vie " »8. Or, lorsqu'à l'instar de
fie 44 puissance "et 44 existence ", il ne pr
comme synonyme de 44 virtualité " ou de
tualité "ou 44 possibilité ", dit 44 conti
contingence est liée, selon Spinoza, à une f
due à l'ignorance des hommes. Il n'y a d
en Dieu, ni dans la nature des êtres finis »9
chez Spinoza, est soumis à la nécessité10
peine que « la puissance de Dieu a été en
demeurera dans l'éternité dans la même ac
pure et inconditionnée, la puissance spinoz
comme la possibilité à l'effectivité, puis
nécessairement réalisée. Bref, l'acte n'es
puissance, comme dans le modèle aristot
tion d'une essence, qui en l'occurrence est
Le parallélisme entre le système de Spi
repérable au niveau de la conception de l
ailleurs sur de nombreux points. Dieu est c
tème comme une cause à la fois efficiente
stoïciens « l'architecte de tout et comm
parce qu'il est ce par quoi tout est fait, ou
est la cause de la vie ou parce qu'il est intim
(...). Zénon dit que la substance de Dieu c
du ciel »13 ; alors qu'il est semblableme

7. S. Zac, L'idée de vie dans la philosophie de Spino


peut centrer tous les thèmes spinozistes autour de la n
l'étendue, attribut de Dieu, constitue un dynamisme
Dieu et sont animées à des degrés différents » ; p. 20
c'est-à-dire persévèrent dans l'existence, c'est uniqu
ou plus précisément parce qu'elles expriment la vie de
8. Ibid., p. 38.
9. Ibid ., p. 38-39.
10. Éthique , I, pr. xxix : « Il n'est rien donné de contingent dans la nature, mais tout y
est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister et à produire quelque effet
d'une certaine manière » (trad. Appuhn).
11. Ibid. y I, pr. XVII, scolie.
12. Ibid., I, pr. XV, scolie : « tout ce qui arrive, arrive par les seules lois de la nature
infinie de Dieu et suit de la nécessité de son essence » (trad. Appuhn).
13. Diogène Laërce, VII, 147-148, trad. Brun (Stoirorum veterum fragmenta [S.V.F.],
II, 1021 et 1022).

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 39

cause des choses »14 en tant que cause non pas tra
nente »15, doctrine que Zac interprète à tort com
noziste16.

La métaphore de 1'« architecte » utilisée plus haut pour décrire le


Dieu stoïcien ne doit d'ailleurs pas faire illusion. Il n'est pas question
dans ce contexte de quelque Démiurge détaché de la matière agissant de
manière transcendante, mais d'un principe inhérent aux choses, qui est à
la fois la raison ordonnatrice et le résultat ordonné lui-même17, puisque,
comme le déclare Marc Aurèle, « il n'y a qu'une vie unique, bien
qu'elle se partage entre une infinité de natures et de corps limités »,8.
Le couple spinoziste Natura naturans/ Natura naturata 19, on le com-
prend sans peine à partir de là, fait ainsi écho à la conception stoïcienne
de la nature comme « disposition qui se meut soi-même [Nature natu-
rante] et qui, selon une raison séminale, achève et soutient les choses
qui résultent d'elle [Nature naturée] »20.

Par ailleurs, le monde est conçu dans l'un et l'autre système21 comme
un « individu », plus exactement comme un système d'individus for-
mant une totalité organique. Dans le stoïcisme en effet, chaque chose a
son caractère propre, et néanmoins, « toutes choses sont liées entre
elles, et d'un nœud sacré (...). Tous les êtres sont coordonnés ensemble,
tous concourent à l'harmonie du même monde ; il n'y a qu'un seul
monde, qui comprend tout, un seul Dieu, qui est dans tout »22. Or ce
Dieu-Monde est lui même un individu, un « vivant immortel »23 qui
embrasse tout, comme chez Spinoza : « la Nature entière est un individu
dont les parties, c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de
manières, sans aucun changement de l'Individu total »24.

14. Éthique , I, pr. xvii, scolie.


15. Ibid., I, pr. XVIII.
16. Cf. Zac, op. cit., p. 28.
17. Cf. par exemple le commentaire de A.A. Long et D.N. Sedley, The Hellenistic
Philosophers , vol. 1, Cambridge, 1987, p. 277 : « As an actual constituent of the world,
the Stoic god is not a detached Craftsman such as Plato as described (...). The idea is not
that god "seeds" the world, and then leaves its maturation to develop independently. He
is in his own identity the causal chain of fate. His own life is coextensive with that of the
world which he creates ».
18. Pensées , XII, 30, trad. Brun.
19. Ethique , I, pr. xxix, scolie.
20. D.L., VII, 148 (S.V.F., II, 1132).
21. Le choix du mot « système » n'a ici rien d'arbitraire, puisque les stoïciens ont jus-
tement été les premiers à l'appliquer à la notion même de philosophie (cf. Long/Sedley,
op. cit., p. 160).
22. Pensées , VII, 9
23. D. L., VII, 147 (S.V. F., II, 1021),
24. Éthique , II, pr. xiii, lemme VII, scolie.

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40 J. -M. NARBONNE

Le concept central de conatus chez Spino


chaque individu pour persévérer dans son
de la conception stoïcienne de la tendan
première est l'oÍK8Ícoaiç, c'est-à-dire «
laquelle le vivant s'appartient, prenant i
lui-même et reconnaissant son être comm
ciens font dériver toute la morale de cette
prier son être propre27, qui est l'unique so
chez Spinoza lui-même, « l'effort pour se
unique origine de la vertu. Car on ne peut
pe antérieur à celui-là, et sans lui nulle ver
On pourrait poursuivre sur d'autres p
entre ces deux philosophies dont la parent
Dilthey à soutenir que toute l'éthique de
dans le détail, sur la pensée stoïcienne30, le
que, de part et d'autre des systèmes, la co
n'existent que dans l'ordre de la représent
des choses31.

25. Ibid., III, pr. vi. Notons tout de suite que chez Sp
liberté particulière de l'agent, puisqu'il est comma
« L'effort par lequel chaque chose s'efforce de pe
dehors de l'essence actuelle de cette chose » (ibid., I
p. 183 : « C'est un problème de savoir comment Spi
pective qui est la sienne, de l'effort qu'il fait lui-mêm
de parvenir à la sagesse. Cet effort - il faut sans dou
dé, selon lui, par la richesse et la complexité de notre
26. A.-J. Voelke, L'idée de volonté dans le stoïcism
27. Cf. Voelke, ibid., p. 51 et 66.
28. Cicerón, De finibus, III, 5, 16 : « [Les stoïciens]
où un animal est né... il est ordonné à lui-même et a
sa nature et tout ce qui est capable de la conserver,
de tout ce qui pourrait concourir à sa destruction (
de soi-même a été le premier principe » ; 6, 20 : «
dans sa constitution naturelle, puis de se tenir aux ch
de fuir celles qui lui sont contraires » ; 7, 23 : « Com
départ les premières tendances de la nature, la sage
ces premières tendances » (trad. Brun).
29. Op. cit., IV, pr. xxn, corollaire.
30. Gesammelte Schriften, Bd. II : Weltanschauung
Renaissance und Reformation, Göttigen et Stuttgar
liche Ethik Spinozas, das Ziel seines Werkes auf die S
chen Uebereinstimmungen im einzelnen, dass die B
gelesenen, die antike Tradition verarbeitenden nieder
Z.B. Lipsius de constantia anzunehmen unvermeidlich
31. Pour les stoïciens, « ce qui est sans cause et c
ment pas » (S.V.F., II, 973), le hasard lui-même n'ét
humaine (S.V. F., II, 965-972). Comparer Éthique, I,
cause maintenant une chose n'est dite contingen
connaissance en nous ».

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 41

Philosophiquement parlant, ces systèmes de pens


tout par leur nostalgie de l'éléatisme. Il s'agit en fai
cas, de surmonter l'altérité partout où elle se prés
l'unité parménidienne. C'est donc une pensée, com
pos de Spinoza - mais la remarque vaut également
« qui ne peut se décoller de l'être »32, c'est-à-d
résoudre à admettre la différence. D'où l'apori
s'efforçant de tout conjuguer avec l'unité indi
jusqu'au point de rendre insignifiant le discours m
sur cet être, dans la mesure où, à travers elles, c'es
seul existe et qui détermine toutes choses, qui s
qui est à la fois le sujet et l'objet du discours33.
E. Gilson34 interprétait comme une essentialisatio
prise philosophique consistant à vouloir réduire l'ê
de ses modes et y voyait comme une sorte d'« o
lui-même, au moins de la philosophie qui a le plus f
la multiplicité originelle, à savoir celle d'Aristote3
tion de l'être est particulièrement marquée, selon
sophies qui, s' interrogeant d'abord sur les conditi
l'existence de l'être proprement dit, finissent par
elles-mêmes pour plus réelles que l'être à expliquer
ce, dont la possibilité a été analysée, qui existe dav
ce, dont la présence a été préalablement perçue et
bas37. Mais ce phénomène ď essentialisation de l'êt
fois qu'on oublie, comme le souligne Gilson, qu
jours celle d'un être que le concept de l'essence
tout entier »38, chaque fois, en d'autres termes, qu

32. Op. cit., p. 148.


33. C'est ce que remarque Plotin, Ennèade VI, 1 [42], 29,
ciens : « [pour les stoïciens], le seul être, c'est donc la mat
n'est pas la matière elle-même ; si ce n'est pas elle, c'est l'i
l'intelligence est une manière d'être (...) de la matière. C'est
et le perçoit ».
34. L'être et l'essence , 2e éd., Vrin, Paris, 1981.
35. Ibid., p. 144.
36. Ibid., p. 315 : « Aristote (...) a dénoncé l'erreur la plus gr
de mettre la philosophie première en péril : substituer à l'être e
de la métaphysique, l'une quelconque des formes de l'être. Cet
entendu ».
37. Ibid., p. 307 : « La source de ces difficultés est donc toujours la même ; c'est la
pente naturelle de l'entendement à méconnaître la transcendance de l'acte d'exister.
L'essentialisme, auquel la connaissance intellectuelle ne cède que trop volontiers, a dès
longtemps favorisé la curieuse illusion si parfaitement illustrée par la doctrine de Wolff,
que si, pour pouvoir exister, il faut que l'être soit d'abord possible, la racine même de
l'être se trouve dans sa possibilité ».
38. Ibid., p. 290.

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42 J. -M. NARBONNE

n'y a connaissance que d'un objet à conn


d'un ontos . Cet objet, ce quelque chose de
l'essence seule est incapable de livrer, c'est
ressort, comme le souligne Gilson, l'altér
nécessairement l'accompagne »39.
Or il nous semble que, de cette occultatio
ce de l'altérité, les stoïciens et Spinoza prése
Plutôt que d'une essentialisation de l'être o
tion de V existence, nous parlerions volont
tentialisation de l'essence. Ce n'est pas l'exi
à l'essence comme à sa formule primordi
qui se déploie et qui finalement s'identi
dite. Le possible, comme origine, ne se tien
port au donné, mais il se confond au contr
partir de là tous les caractères de la néce
refuser le primat de l'existence sur l'essen
diagnostiquée par Gilson, de nier la réali
concevoir l'existence elle-même comme un
une seconde, plus radicale encore40.

I. Causa sui stoïcienne et spinoziste

C'est sur cet arrière-fond philosophique trop rapidement esquissé que


nous voudrions maintenant interroger le recours, commun au stoïcisme
et au spinozisme, à la notion de causa sui.
Au sens strict, comme nous nous sommes efforcé de le montrer
ailleurs41, l' auto-causalité ne se rencontre en réalité nulle part, puisque
c'est une notion en soi contradictoire. Elle suppose en effet, au même
moment et du même point de vue, l'existence et l'inexistence de la
chose considérée, puisqu'il faut, pour avoir à se donner l'être, ne pas
être encore, et être déjà, pour pouvoir se le donner. Or, comme l'énonce
Aristote, « chaque être est indivisible par rapport à lui-même »42. En
rigueur de termes, l' auto-causalité se réduit donc toujours à une autodé-
termination, c'est-à-dire au fond à une modification de soi , où la causa-
lité exercée par l'agent sur lui-même ne présuppose pas sa propre

39. Ibid. , p. 321.


40. C'est en ce sens, croyons-nous, qu'il faut entendre la remarque de V. Brochard,
« Le Dieu de Spinoza », Revue de Métaphysique et de Morale, 1896 [repris dans Études
de philosophie ancienne et de philosophie moderne , Vrin, Paris, 4e éd., 1974, p. 355],
selon laquelle « Spinoza est peut-être le plus dogmatique des philosophes ».
41. « Plotm, Descartes et la notion de causa sui », Archives de philosophie , tome 56,
1993, p. 177-195 (spécialement p. 191-192).
42. Mét., 1041 a 19.

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 43

« inexistence », mais plus simplement l'existence


état déterminé, cause de l'état suivant.
C'est d'ailleurs sous ce mode que l'on rencontre l
la pensée stoïcienne. Quand, par exemple, Sénèq
s'est fait lui-même ( deus ipse se fecit) »43, il ne
entendre cette phrase comme signifiant que Di
même à partir de sa propre « in-existence », de so
mais plus modestement, qu'il s'est « fait » lui
connaît maintenant à l'état de monde déployé, en
mule de Chrysippe selon laquelle Zeus est « le pèr
dire à la fois le principe des êtres et la « totalité de
C'est ce qu'exprime excellemment la définition s
plus haut selon laquelle la nature (qui est un des m
lui-même45) est une « disposition (fe^iç) qui se me
selon une raison séminale, achève et soutient le
d'elle »*. C'est dans ce contexte qu'un commen
écrire : « self-generation is a logical requirement
one identifies creator with creation , then necess
created creates himself»41.
Nous venons de voir qu'on ne peut, au sens stric
ration que par un abus de langage. Ce que le panth
me cependant sans aucun doute, comme le confirm
taker, c'est la possibilité pour Dieu de se modi
seules ressources. Or cette « possibilité », ce « pou
plusieurs traits particuliers.
En premier lieu, il va de soi que dans une telle p
pas en acte selon le modèle aristotélicien de l'ac
n'est pas d'emblée arrêtée, fixée, comme c'est l
Moteur, mais qu'elle connaît au contraire plusieur
qui sont celles-là mêmes que l'on observe dans le m
Ensuite, puissance active de ce qui doit venir
pour se transformer lui-même de l'interventio
antérieure à lui-même, comme c'est au contraire
Enfin, la puissance active de Dieu n'est plus l'int
qui se donne tout entier dans l'acte à venir, mais
universelle de tous les actes à survenir, ou si l'on
actes à se manifester.

43. Fr. 15 Haase (= Lactantius, Inst. I 7, dans PL VI 152 sq.).


44. Cité par Philodème, De pietāte 13 (p. 80 Gomprez = S.V.F. II, 1078).
45. S.V.F., II, 937 A ; 945 A ; 1024 ; 1076.
46. Cf. supra , note 20.
47. J. Whittaker, « The Historical Background of Proclus' Doctrine of the Ad0D71O-
crcaTa », dans De Jamblique à Proclus (Entretiens sur l'Antiquité classique, tome XXI),
Vandœuvres, Genève, 1975, p. 197.

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44 J. -M. NARBONNE

Un des véhicules privilégiés de cette puiss


la disposition, rëi;iç, entendue non pas
d'être, mais comme un principe spécificate
peut dire que l'ë^iç stoïcienne « n'est pas, c
totélicien, une qualité accidentelle, elle est
son être propre, le principe de son activ
nature, Dieu est ainsi une « disposition qui
dire une puissance qui, de sa propre initiat
ment, produit toutes choses et les maintie
où elles se trouvent. C'est donc par le biais
ou « hectique » que Dieu peut être pensé à
produit, en d'autres termes à la fois comm
naturée49.
Dans le stoïcisme, ce pouvoir hectique est lié à la doctrine du mouve-
ment tonique, mouvement interne grâce auquel l'être a la double possi-
bilité de se contracter et de se dilater, produisant dans un cas la substan-
ce et l'unité, dans l'autre la grandeur et les qualités50. C'est donc par

48. Ainsi P. Hadot, Porphyre et Victorinus , tome I, Etudes augustiniennes, Paris,


1968, p. 230.
49. H. Siebeck (« Über die Entstehung der Termini natura naturans und natura natu-
rata », Archiv für Geschichte der Philosophie , 3, 1890, p. 370-378) fait remonter l'origine
de ces expressions, en ce qui concerne d'abord leur forme même, à la version latine (pre-
mière moitié du xin* siècle) du commentaire d'Averroès de la Physique ď Alistóte, et en
ce qui concerne leur contenu proprement dit, au couple proclinien Tcapayov/ Tiapayó-
¿i£')OD ( El. Theol. , prop. 7, 27, 56, 65). Or il est manifeste qu'en ce qui concerne le conte-
nu de la notion tel que défini par Siebeck lui-même (« eine Unterscheidung innerhalb der
Auffassung Gottes, der zufolge derselbe sowohl als schöpferisches Prinzip, wie auch als
das von diesem Bedingte und Bewirkte zugleich und zumal sich erweisen soll, sodass das
nothwendige Dasein und der Inhalt der Welt einen im Wesen Gottes oder der Substanz
selbst bereits mit Nothwendigkeit gesetzten Inhalt ausmacht » p. 371), l'idée remonte au
moins jusqu'aux stoïciens (cf. n. 20), et plus avant encore à Aristote ( Phys ., 193 b 12-13),
décrivant la nature comme une réalité en cheminement vers soi-même (f) qnxnÇ fj À£"yo-
|X£VT| caÇ yEveoiÇ Ò5ÓÇ ecrtiv eiÇ (púaiv). Par ailleurs, Siebeck souligne (p. 372) très
finement que le couple napáyov/ mpaTÓp-evov manifeste déjà chez Proclus (cf. El.
Theol., prop. 41, 49), comme plus tard le couple natura naturans/ natura naturata chez
Spinoza, sa parenté immédiate avec le concept de causa sui. A partir de là, P. O. Kristeller
(« Stoic and Neoplatonic Sources of Spinoza's Ethics », History of Europeans Ideas ,
vol. 5, n° 1, p. 1-15) a cru à tort pouvoir conclure que la notion de causa sui était « ultima-
tely traceable to Proclus » (p. 7), alors qu'on la retrouve au-delà chez Plotin (cf. Ennèade
VI, 8 [39], 14, 41, à propos de l'Un ai'xiov eauTOÛ), chez les stoïciens, de même que
dans le néopythagorisme et l'hermétisme. Sur ceci, voir notre « Plotin, Descartes et la
notion de causa sui » déjà cité.
50. Simplicius, In Categ.y p. 269, 14-16, Kalbfleisch : « Les stoïciens considèrent
comme une puissance ou plutôt comme un mouvement la raréfaction et la condensation,
l'une allant vers l'intérieur, l'autre vers l'extérieur, et ils pensent que l'une est cause de
l'être, et l'autre du fait d'être qualifiée » ; Némésius, De nat. hom. (S.V.F. II, 451) : « Il y
a dans les corps une sorte de mouvement tonique allant en même temps vers l'intérieur et
vers l'extérieur ; le mouvement vers l'extérieur produit les grandeurs et les qualités, et le
mouvement vers l'intérieur produit l'unité et la substance ».

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 45

cette action tonique que peut être expliquée, dans


stoïcienne, la faculté d'agir sur soi-même, c'est
d'être à la fois la cause et la chose causée elle-même. Comme le note
P. Hadot, « l'être dans l'ontologie stoïcienne se différencie par lui-
même , c'est-à-dire par son propre mouvement. Cette différenciation
intérieure et spontanée, c'est la qualité (Tcoióxrjç), principe d'autodéter-
mination intérieur à la matière. Il en résulte que la qualité est à la fois le
mouvement et ce qui résulte du mouvement, elle est à la fois le mouve-
ment tonique - se tournant vers l'extérieur - et le résultat de ce mouve-
ment : la forme du corps ; elle est à la fois cause et effet d'elle-même »51.
Lorsqu'on examine maintenant l'argument causa sui chez Spinoza,
on s'aperçoit qu'il ne renvoie d'aucune manière à une quelconque auto-
production absolue ou originelle du divin, comme si Y auto-causalité
affirmée de Dieu pouvait s'interpréter comme une thèse rivale de celle,
traditionnelle, de son a-causalité. L'auto-causé, en d'autres termes, ne
s'oppose pas dans l'esprit de Spinoza à ce qui est sans cause, mais très
exactement à ce qui a sa cause hors de soi , comme il appert de ce passa-
ge du Traité de la réforme de l'entendement où l'on peut lire : « si une
chose est en soi ou, comme on dit communément, cause de soi, elle
devra alors être entendue à travers sa seule essence ; mais, si la chose
n'est pas en soi, mais requiert une cause pour exister, alors elle doit être
entendue à travers sa cause prochaine : car la connaissance de l'effet
n'est, en vérité, rien d'autre que le fait d'acquérir une connaissance plus
parfaite de la cause »52.
Ce qui est en soi (in se)> et communément appelé - ou plutôt impro-
prement nommé - cause de soi, est non pas - si tant est que cette notion
ait un sens - ce qui s'engendre soi-même à partir de rien, ex nihilo , mais
bien ce qui ne requiert pas une cause pour exister et ne doit pas être
entendu à travers sa cause prochaine.
L' Éthique ne modifie en rien ce point de vue. Il suit en effet de la
première définition du maître-ouvrage de Spinoza qu'est cause de soi
« ce dont l'essence enveloppe l'existence », signifiant par là qu'en tant
que causa sui , Dieu « a de lui-même une puissance infinie d'exister »,
la puissance de Dieu n'étant rien d'autre que « l'essence active de
Dieu ». Or avoir de soi-même une puissance infinie d'exister ne signifie
rien de plus - ni de moins -, dans l'esprit de Spinoza, que d'exister
« par la seule nécessité de sa nature ». En d'autres termes, étant ce qu'il
est - or il est une essence active -, ayant ce qu'il a - or il a une puissan-
ce infinie -, Dieu existe par lui-même, c'est-à-dire par le moyen de sa

51. Porphyre et Victorinus , 1. 1, Paris, 1968, p. 231. Nous soulignons.


52. Traité de la réforme de l'entendement , B 92, traduction B. Rousset, Vrin, Paris,
1992, p. 115.

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46 J. -M. NARBONNE

propre nature et non par la nature d'un aut


cause de lui-même. Dit autrement encor
auto-causalité divine découle toujours, chez
sèque de Dieu, plutôt que celle-ci ne découl
là.
Par un mirage similaire, l'on eût pu penser qu'en affirmant que l'Un
est cause de lui-même (aixiov éa'>xo')) et qu'il « s'est porté lui-même
à l'existence » (ooJxòç ... V7C£OTrļa£V orotòv)53, Plotin entendait l'idée
d'auto-causalité en un sens littéral et premier, comme si l'Un s'était
pour ainsi dire arraché au néant pour s'amener lui-même à l'être. Mais
comme Plotin le signale expressément il s'agit là d'un procédé en
quelque sorte rhétorique, destiné à faire comprendre l'immensité de la
puissance de l'Un : « il est impossible qu'une chose se fasse elle-même
et se porte à l'existence ; néanmoins la pensée désire se représenter
lequel parmi les êtres est esclave des autres, lequel possède la libre
détermination, lequel ne dépend d'aucun autre, mais est lui-même
maître de son acte »54. Il est donc bien compréhensible, selon Plotin, que
l'on veuille connaître la cause de tout être, mais ce désir doit céder le
pas devant la totalité des choses, dont il est évidemment contradictoire
de chercher ce dont elle dépend : « Le pourquoi cherche un principe dif-
férent, mais du principe de toute chose, il n'y a pas de principe »55.
Un commentateur relativement ancien de Spinoza a reconnu et expli-
cité en des termes similaires à ceux de Plotin la contradiction intrin-
sèque à la notion de causa sui : « At present , it suffices to remark that it
[i.e. la causa sui] is rendered possible only by the assumption that Cau-
sality is a universal category ; that all being must have a cause ; so that
if there be nothing else to originate it, it must be self-originated. This
assumption , however , is entirely groundless. Being, as such , requires no
cause : it is the coming into being, and the going out of being, which
alone the intellect insists on treating as an effect, and the moment you
designate any existence as " Substance ", or " in se ", you disqualify it
for being causatum, whether by itself or by anything else. The phrase
" Causa sui " is a misleading substitute for the " Self-existent " »^. En
note, Martineau signale que dans le Court traité (II, xvii), Spinoza lui-
même insiste sur l'incongruité d'une telle notion : « Quand donc nous
disons que le désir est libre, mieux vaudrait dire que tel ou tel désir est
cause de soi, c'est-à-dire, qu'avant d'être il s'est fait être, ce qui est
totalement absurde et impossible ».

53. Ennèade VI, 8 [39], 14, 41 et 16, 29.


54. Ibid., 7, 25-28.
55 .Ibid., 11,9-10.
56. J. Martineau, A Study of Spinoza, 1895, 3e éd. 1971, New-York, p. 1 17-1 18.

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 47

P. Lachièze-Rey traduit tout à fait notre sen


avoir rappelé qu'« on s'accorde généralement à
[causa sui] doit être entendu en un sens positif »
« les avis ne sont pas absolument unanimes » s
que « la causalité immanente devait logiquem
considérer Dieu ou la nature comme causa sui ». Comme dans le stoï-
cisme, en effet, le Dieu de Spinoza doit logiquement se créer lui-même
dès lors qu'il est conçu simultanément comme Natura naturans et Natu-
ra naturata. Mais comme nous l'avons vu pour la Stoa et comme
Lachièze-Rey l'observe aussi pour Spinoza, il n'est alors nullement
question d'une véritable auto-causalité : « à la lumière de cette théorie
[i.e. la causalité immanente], nous voyons immédiatement que le terme
en question [causa sui] ne pouvait avoir une signification univoque et
devait au contraire recevoir une double acception. Il est certain, en effet,
que l'on peut et que l'on doit se demander de Dieu pourquoi il est (...),
mais il s'agit alors de Dieu envisagé comme naturé, comme réalisé ; on
ne saurait, au contraire, se demander dans le même sens le pourquoi du
Dieu réalisant, du Dieu naturant, sous peine d'être engagé dans une
régression à l'infini ; il faudra donc bien en arriver à une aséité négative
puisqu'il est impossible de concevoir au-delà de la puissance posante et
première une autre puissance qui serait encore nécessaire pour la poser ;
ce n'est donc, en toute rigueur, que dans les rapports du Naturant au
Naturé que l'on pourra parler sans restriction de causa sui ».
Le commentaire de Lachièze-Rey met clairement en relief le lien
étroit existant entre l'auto-causalité et la perspective immanentiste
adoptée par Spinoza. L'examen de la doctrine stoïcienne nous avait
conduit à la même conclusion. L'on en vient ainsi à penser que l' impro-
prement nommée causa sui - qui techniquement se réduit à une trans-
formado sui - est en réalité le véhicule privilégié, sinon même obligé,
de la divinité dans les philosophies de type immanentiste et panthéiste,
et que réciproquement, c'est seulement dans de tels systèmes qu'on est
susceptible de la retrouver57. Étant entendu qu'une véritable auto-causa-
lité est inconcevable, que la recherche infinie d'une cause est impos-
sible à mener, et que le diktat de la raison nous enjoignant de découvrir
57. Le cas de Plotin ne constitue de ce point de vue qu'une exception apparente, dès
lors qu'on constate que tout le néoplatonisme lui-même, comme l'a bien vu Ivánka {Plato
christianus. La réception critique du platonisme chez les Pères de l'Eglise , PUF, Paris,
1990), « n'est en fait que le remplissement du schéma ontologique stoïcien (à l'origine
matérialiste) par un contenu platonicien (spiritualiste) » (p. 70). C'est en effet le même
type de puissance anti-aristotélicien que celui que nous avons reconnu dans le stoïcisme et
dans le spinozisme qui permet à l'Un transcendant chez Plotin de produire d'abord, et
d'investir de son pouvoir ensuite, l'ensemble des réalités inférieures. Partout présent sans
être nulle part, à la fois lié et séparé, l'Un plotinien présente un cas singulier de transcen-
dance-immanente , amalgamant les développements du stoïcisme aux acquis plus anciens
du platonisme et de l'aristotélisme.

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48 J. -M. NARBONNE

une cause pour tout ce qui existe devien


devant la chose dont on affirme expres
dépend, le rapport du principe à ce qu'il or
est par définition un rapport, dans le sens r
causalité.
Plus encore, la puissance du principe requise dans de tels systèmes
doit présenter les différents aspects que nous avons rencontrés dans
l'univers stoïcien : c'est une puissance tout d'abord mobile (par opposi-
tion à la fixité de l'acte aristotélicien), ensuite par elle-même essentiel-
lement active (c'est-à-dire qui ne nécessite pas l'intervention adventice
d'un tiers pour opérer), et enfin, continue (c'est-à-dire qui ne s'achève
en aucun acte singulier mais demeure la même en acte par-delà toutes
les modifications qu'elle subit)58.
P. Hadot parle d'un « agir pur » pour désigner cette puissance hec-
tique auto-déterminante grâce à laquelle l'être, dans l'ontologie stoï-
cienne, se différencie par lui-même59 ; Plotin, qui reprend ce schéma
ontologique stoïcien au profit de l'Un transcendant, ouvre la voie à la
représentation d'un acte premier sans substance 60 , c'est-à-dire à la
représentation de quelque chose dont la réalité même dépend d'un agir
pur, d'une puissance-productive-active originelle ; Spinoza conçoit
Dieu comme ce qui a de soi-même une puissance absolument infinie
d'exister, c'est-à-dire comme une essence active61, la puissance de Dieu
constituant l'essence même du divin62 et le déterminant pour ainsi dire à
être63, à la manière de l'Un plotinien qui, en vertu de sa seule puissance,
se porte pour ainsi dire lui-même à l'existence. Agir pur, puissance sans
substance ou essence active, il s'agit donc chaque fois d'une même
représentation de la force et de la vie, de la vie comprise elle-même
comme force auto-déterminante, à la fois producteur et produit, com-
mencement et fin.

58. Cf. V uillemin, op. cit., p. 387 : « Percussions, oscillations, ondes fournissent au
nominalisme ses modèles de mouvement. L'adéquation dans l'expression de l'universel
ou sa dissolution dans la circonstance ont pour conséquence d'exclure du mouvement la
présence d'une puissance actualisée : le mouvement est en acte ». On a vu qu'on pouvait
parler dans le stoïcisme d'un mouvement-qualité, c'est-à-dire de la qualité conçue comme
un rapport de mouvements. Spinoza, il est intéressant de le remarquer, ne pense pas autre-
ment, pour qui « chaque chose corporelle n'est rien d'autre qu'une quantité déterminée de
mouvement et de repos » ( Court traité, II, Appendice, Ap. T.l, p. 165).
59. Porphyre et Victorinus , tome I, Paris, 1968, p. 227 sq.
60. Ennèade , VI, 8 [39], 20, 9-11.
61. Ethique , II, pr. m, scolie : « la puissance de Dieu n'est rien d'autre que l'essence
active de Dieu ».
62. Ibid., I, pr. xxxiv : « La puissance de Dieu est son essence même ».
63. Ibid., I, pr. xi, scolie : « Dieu a de lui-même une puissance absolument infinie
d'exister et, par suite, il existe absolument ».

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 49

Pour le dire en un mot, l'argument causa sui n


Spinoza, comme du reste chez Plotin, que celui que
sance hectique marquée par l'ontologie stoïcienne.
Plotin, comme le déclarait V. Brochard64, qu'il faut
pation dans la pensée grecque du Dieu spinozist
d'un Plotin pour l'essentiel stoïcien.

II. Pourquoi, aujourd'hui, la causa sui ?

Nous avons indiqué plus haut pourquoi, stricto sensu , la causa sui
n'existait pas, pourquoi elle était « improprement nommée » causa sui
et se réduisait toujours, en définitive, à une transformado sui.
Dans la confrontation qu'il mène entre la métaphysique de Descartes
et la compréhension « onto-théo-logique » de la métaphysique diagnos-
tiquée par Heidegger comme la figure essentielle de toute métaphy-
sique, J.-L. Marion cite ce dernier qui met en avant, comme Descartes
lui-même, l'idée d'un Dieu auto-causateur : « L'être de l'étant, au sens
du fondement ( Grund) ne peut fondamentalement se représenter que
comme causa sui. Ainsi est appelé le concept métaphysique de Dieu ».
Autrement dit, « ... la conciliation ( Austrag ) montre et dispense l'être
comme fondement qui apporte et présente, lequel fondement requiert
lui-même une fondation à sa mesure à partir de ce qui se fonde en lui, à
savoir une causation par la plus originelle des choses. Cette chose est la
cause comme causa sui. Ainsi se formule le nom approprié pour le nom
de Dieu dans la philosophie »65.
Que le Dieu de la philosophie soit le Dieu causa sui , voilà ce qui
étonne, au regard justement des traditions philosophique et théologique
qui, sinon continûment, du moins prioritairement, ont défendu la thèse
inverse de l'a-causalité divine (que l'on songe un instant à Platon, Aris-
tote, saint Augustin, saint Thomas, etc.). Heidegger, comme nous

64. Op. cit., p. 363 : « Plotin paraît bien être le premier penseur qui ait introduit cette
conception [Dieu comme force et comme puissance infinie] dans la philosophie
grecque ». S'il méconnaît l'empreinte stoïcienne de cette puissance divine plotinienne,
Brochard aperçoit cependant tout de suite ce que celle-ci comporte d'anti-
aristotélicien : « A la vérité, Plotin se flatte de rester fidèle à l'esprit grec et de continuer
la tradition des Platon et des Aristote ; mais malgré les efforts qu'il fait pour conserver la
terminologie de ses devanciers, il est aisé de voir qu'il se fait illusion à lui-même. [...] le
mot puissance ne désigne plus seulement chez lui comme chez Aristote une simple possi-
bilité, mais au sens positif une force active, une énergie toujours agissante. [...] le mot par
lequel il la [5C. sa cause première, efficiente et antécédente] désigne le plus souvent est
celui d'énergie ou d'acte, et ces mots n'ont plus pour lui le sens qu'ils avaient dans la phi-
losophie ď Aristote » (p. 363-364).
65. Heidegger, Identität und Differenz, Pfülligen, 1957, p. 70 ; trad, franç. in Ques-
tions I, Gallimard, Paris, 1968, p. 306. Cf. J.-L. Marion, Sur le prisme métaphysique de
Descartes , PUF, Paris, 1986, p. 95-96, dont nous reprenons la traduction.

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50 J. -M. NARBONNE

l'avons déjà souligné66 et comme le confirm


B. Casper67, a l'essentiel de la tradition con
On trouve bien ici et là dans la tradition certaines affirmations allant
dans le sens contraire68, mais ce courant de pensée reste néanmoins
mineur au regard à la fois de la philosophie grecque et de la théologie
chrétienne dominante.
S 'interrogeant sur cette déclaration de Heidegger, au surplus contem-
poraine de celle de Sartre lui-même, parlant de 1'« ens causa sui que les
religions nomment Dieu »69, Casper arrive à la conclusion que cette
assimilation soudaine du Dieu de la tradition à l'être causa sui
s'explique avant tout par l'influence de Descartes, repérable ensu
chez Leibniz puis surtout chez Spinoza - qui porte du reste la notion
cause de soi à sa plus haute expression -, chez Wolff et enfin Heg
grand admirateur de Spinoza - pour qui la causa sui , comme le soulig
Casper, « ist das wahrhaft Vernünftige , nämlich das Eine , das s
selbst trägt und das sich widersprechende Viele und Endliche in
enthält und aufhebt »70.
A la suite de K. Lowith71, Casper lie le recours de plus en plus pres
sant à la notion de causa sui à l'avènement de Y athéisme cosmologiqu
moderne, déjà en germe chez Descartes, mais surtout mis en avant p
Spinoza et développé par Hegel et ensuite, sur d'autres bases, p
Feuerbach et par Marx72.
Le Dieu causa sui , comme l'écrivait Heidegger, « l'homme ne pe
ni le prier, ni lui offrir de sacrifice »73. Nous avons déjà insisté sur
lien existant d'une part entre auto-causalité et doctrine de l'immanen
d'autre part entre immanentisme et nécessitarisme. Les systèmes
l'immanence sont par excellence des systèmes de la nécessité, et
définition des régimes d'auto-causalité. On peut ainsi se demand
comme Casper le fait à propos de Hegel, si la causa sui divine n

66. « Plotin, Descartes, et la notion de causa sui », op. cit., p. 193.


67. « Der Gottesbegriff " ens causa sui " », Philosophisches Jahrbuch , vol. 76, 19
1969, p. 315-331.
68. Casper, op. cit., fait référence par exemple à Lactance (PL, 6, 152 A), Jérô
(PL, 26, 489 A), Anselme de Cantorbéry ( Monologion , I, 4).
69. L'être et le néant, Paris, 1943, p. 708.
70. Op. cit., p. 324 ; cf. Hegel, Werke (Glockner) 1, 231 sq, 253-4 ; 8, 439 ; 16, 510
71. Gott, Mensch und Welt in der Metaphysik von Descartes bis Nietzsche , Göttinge
1967.
72. Casper, op. cit., p. 323 : « Im Grunde ist hier, int Denken Spinozas, wie Karl Löwi-
th festgestellt hat, der kosmologische Atheismus bereits hergestellt ; und zwar gerade auf-
grund des Titels der causa sui , unter dem Descartes die Idee Gottes begriffen hatte » ; p.
326 : « In der Tat muss man sagen, dass, wie Descartes' causa sui more geometrico
concepta die Keime des kosmologischen Atheismus in sich trug, so Hegels sich als causa
sui darstellende Geistphilosophie das soziologisch-historischen Atheismus ermöglichte,
wie sich denn ja in Feuerbach und Marx zeigen sollte ».
73. Heidegger, op. cit., p. 70 ; trad, franç., p. 306.

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 51

s'oppose pas essentiellement et par principe à la ca


ne et thomasienne, c'est-à-dire plus largement à l
viduelle et humaine, et si par là ce n'est pas elle q
athéisme74.
Le Dieu causa sui serait-il par définition le D
comme l'affirme Casper75 et comme en témo
d'impiété traditionnellement formulée contre les
noza, Hegel, etc. ? Le « dieu-qui-vient », pour r
ouvrage récent76, n'est-il pas commandé à devenir
raît », à proportion, justement, de l'effacement de
humaines qu'il ordonne ? A moins qu'on ne préfèr
plus croire en Dieu précisément en raison de l'exis
inaliénable des affaires humaines, le dieu causa
demment alors, dans le mesure où il est celui qui
calement à toute possibilité d'initiative humain
plus facile à combattre77 ? Athéisme « cosmol
« subjectiviste » dans l'autre, la notion de causa su
tablement à chaque fois, quoique de manière diver
chain de Dieu.
Ces hypothèses quoi qu'il en soit - et c'est à ce titre qu'elles retien-
nent avant tout notre attention - apportent une lumière nouvelle au pro-
blème ancien de la différence, voire de l'opposition, des philosophies de
la transcendance et de l'immanence, et contribuent de cette manière à ce
qu'on pourrait appeler l'éclairage typologique des systèmes philoso-
phiques.
Nous avons lié à plusieurs reprises jusqu'à présent l'idée d'auto-cau-
salité à celles de l'immanence et de la nécessité, et opposé ensuite la
causa sui divine à la causa sui anthropologique ou individuelle. Or,
quand on s'efforce de saisir ce qui distingue essentiellement, au-delà
des formules et des intentions, la transcendance et l'immanence, on ne
découvre rien d'autre, justement, que cette opposition fondamentale de
la nécessité et de la contingence.

74. Casper, op. cit., p. 325-326 : « Stellt die Aufgipfelung der idee der causa sui zur
Idee des sich selbst im All produzierenden Geistes nicht im Grunde die höchste Tyrannie
dar ? Und ist der Gott, der sich so als die Notwendigkeit der sich selbst vermittelnden
absoluten Person zeigt, nicht gerade der Vernichter jedes wirklichen endlichen Selbst-
seins und seiner Freiheit ? »
75. Ibid., p. 328 : « Aber ein solches Fassen Gottes aus der Vollmacht des Denkens,
wie es unter dem Titel der causa sui verbirgt, bedeutet, das zeigt nicht nur die Geschichte,
in Wirklichkeit die Eliminierung Gottes ».
76. Cf. Manfred Frank, Der kommende Gott , Teil I et II, Frankfurt, Suhrkamp, 1982 et
1988.
77. Casper, op. cit., p. 328.

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52 J. -M. NARBONNE

Que veut dire en effet être « séparé », c'e


principe divin stoïcien ou encore spinozist
de la réalité qu'il ordonne (dans la mesure
elle au point d'être indiscernable d'elle, san
demeurer le principe, agir en elle ou sur e
tincte, l'unité absolue rendant impossibl
action, fût-ce en soi-même) que ne l'est au
la Forme aristotélicienne. Il n'est que de fa
tonico-aristotélicien sur la « séparation »,
p,oç, pour le faire voir.
La Forme aristotélicienne, immuable et
« séparée » de la matière qu'elle ordonn
inhère, que la Forme platonicienne qui,
éternelle, rend possible par participation l
blables78. S'il y a un « monde intelligible »
une « structure intelligible du monde »
Aristote, qui, pour immanente qu'elle soit
rée » du devenir que l'est sa congénère dite
nir se produisant, pour Aristote comme po
et non la forme en vue du devenir80. En dé
te demeure donc un partisan de l'Idée plato
de la théorie du xcopia^ióç.
La même obscurité règne, dans le stoïc
façon dont le logos divin occupe la matiè
immanente. Inhérent au monde et don
manière au monde lui-même, le princip
« séparé », non seulement par la notion,
« faire », par 1'« agir » concret, puisqu'il e
sant » du déploiement du monde. Il y a ici
tous les systèmes immanentistes dans
employer le vocabulaire duel du principe e

78. Cf. I. Düring, Aristoteles. Darstellung und Inte


berg, 1966, p. 275 : « Quoiqu' Aristote ne voudra jamai
lité l'existence de Formes immatérielles, statiques et
platoniciennes sont " séparées " ».
79. L'image d'un treillis, dans un cas élevé au-dess
traditionnelle de la matière, de l'infini sensible), dans
de la différence des perspectives platonicienne et ar
l'eau, le treillis n'en reste pas moins « distinct », « sép
fonction, de ce dans quoi on soutient qu'il « est »
jamais bien pu faire comprendre ce qu'ils entendaie
forme, par contraste avec l'Idée, est « dans » la matièr
80. De Generatione animalium , 778 b 5-6 : « La
chose et elle est en vue de cette essence ; ce n'est
genèse ».

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PUISSANCE ET CAUSA SUI 53

mière et de la cause seconde, de l'infini et du fini, de Dieu et de


l'homme, tout en arguant en faveur de Y indifférenciation du tout. Il n'y
a plus personne en effet à prier, ni à qui sacrifier, à proportion que
s'estompe, dans l' indistinction du tout, la légitimité même du « rapport
à », nécessairement duel.
C'est pourquoi en réalité il n'y a pas à proprement parler de système
« immanentiste », en tout cas à l'état pur. Un système immanentiste est
une gageure, comme en témoigne l'ambiguïté dont nous parlions à
l'instant. On n'a pour le confirmer qu'à songer à l'idée stoïcienne ou
spinoziste d'Individu total dont toutes les parties varient d'une infinité
de manières, expression du divin dans son rapport aux êtres finis.
Qu'est-ce que cet Individu, qu'est-il en lui-même si, comme on le sou-
tient, il est causa sui , c'est-à-dire transformatio sui , si donc les modifi-
cations des parties sont ses modifications, non pas au sens de celles
qu'il provoquerait tout en restant, lui, distinct d'elles et identique à lui-
même, mais au sens où lui-même serait elles sans restriction ? S'il fait
encore sens, dans le stoïcisme ou dans le spinozisme, de parler de Dieu,
d'appeler chacun à se conformer à, c'est précisément en raison d'un
résidu de transcendance, de distance et de séparation, inhérent à ces sys-
tèmes comme à tout système philosophique81.
S'il faut donc chercher ce qui distingue fondamentalement les philo-
sophies de la transcendance et de l'immanence, étant entendu que ces
dernières conservent toujours quelque chose du %copia(ióç platonicien,
nécessaire à toute pensée, c'est encore une fois du côté de la contingen-
ce, affirmée par les unes et anéantie par les autres, qu'il faut se tourner.
La causa sui divine et la causa sui personnelle se révèlent ainsi tout
aussi antithétiques l'une par rapport à l'autre que le sont les types de
puissance qui chacune les sous-tendent.

81. Comparer Brochard, op. cit., p. 354 : « Les stoïciens soutenaient aussi que Dieu et
le monde ne font qu'un, et ils allaient même bien plus loin que Spinoza, puisqu'ils décla-
raient que Dieu et le monde sont un corps visible et tangible ; cette théorie ne les empê-
chait pas d'affirmer que Dieu ou la cause immanente du monde, prend conscience de lui-
même, qu'il se distingue de l'univers en un certain sens .[...] Il semble bien que Spinoza
se soit arrêté à une conception analogue : bien qu'identique au monde, Dieu se distingue
de lui comme la cause de ses effets et la substance de ses modes. Il prend conscience de
lui. Il y a une différence entre la nature naturante et la nature naturée ». C'est justement en
vertu de cette différence qu'on peut encore parler, comme le remarque V. Delbos (Le Spi-
nozisme, , Vrin, Paris, 1993), d'un résidu de finalisme dans la doctrine spinoziste : « Spino-
za rejette expressément les causes finales ; mais il explique l'univers par une essence
suprême et par des essences particulières. Or cette notion d'essence, en supposant l'anté-
riorité d'une nature intelligible par rapport à ce qui doit se manifester et se produire, n'est-
elle pas le substitut de l'idée d'une préordination par des fins ? » (p. 175).

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