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Vers une ontologie juridique actuelle

Author(s): NICOS POULANTZAS


Source: ARSP: Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie / Archives for Philosophy of Law
and Social Philosophy, Vol. 50, No. 2 (1964), pp. 183-205
Published by: Franz Steiner Verlag
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/23678199
Accessed: 01-04-2019 03:25 UTC

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Social Philosophy

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Vers une ontologie juridique actuelle
PAR NICOS POULANTZAS, PARIS

1. De la phénoménologie à l'existentialisme

L'ontologie, selon la définition classique d'ARISTOTE, est la science de


l'être. On rencontre cette notion dans toute l'histoire de la philosophie,
mais elle ne prend sa signification actuelle qu'à partir de la réaction
contre le kantisme, qui trouve ses sources dans la pensée de HEGEL, de
FEUERBACH, et de MARX, et qui se manifeste pleinement dans la
philosophie phénoménologique et existentialiste.
Pour KANT, en effet, l'être ne peut être conçu, l'expérience de l'être
n'est possible qu'à partir des catégories rationnelles transcendantales de
l'esprit qui lui attribuent son sens. C'est la réaction contre cette pensée
que résume l'adage philosophique de la phénoménologie „zurück zu den
Sachen selbst", retour aux choses mêmes. L'être en général et l'être du
droit en particulier consistera, selon ces mouvements de réaction, non
plus en un contenu matériel informe et à sa structuration formelle par une
raison transcendante, mais en un être «réel» présentant des structures
significatives immanentes, premières et originelles.
Ces structures significatives ne constituent pas, comme c'est le cas pour
la pensée de KANT, des conditions a priori de toute expérience, car ces
conditions sont elles-même fondées sur l'expérience. Les catégories ou
formes rationnelles ne sont pas antérieures à l'expérience de l'être, car
elles présupposent elles mêmes une certitude «ontologique» première qu'il
y a de l'être: elles présupposent une expérience «pré-catégoriale» ou
«ante-prédicative», une position originelle du sujet à l'intérieur d'un
univers naturel, une croyance à la réalité significative de l'être, qui con
stitue bien plus qu'un axiome logique, une condition philosophique de
possibilité, de «genèse de sens», condition qui fonde toute expérience con
crète et particulière de l'être. L'être n'est plus ainsi scindé en phénomène,
domaine de l'être appréhensible par les catégories de la raison, et «être
en soi», „Ding an sich", domaine de l'être imperméable à l'approche
humaine. L'être tout entier se réduit à sa constitution significative par
les sujets humains situés anthropologiquement dans le monde. L'être est,
tout entier, phénomène-pour-nous, nous sommes expériences-vers-lui.
Ainsi, pour la théorie phénoménologique du droit, l'ontologie juridique
signifiera que le droit lui-même constitue un domaine spécifique de l'être:

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l'univers conceptuel du droit «est». Le d


à des éléments psychologiques - volon
matériels - économie, sociologie, etc.
ticulier, il constituera un être parall
phénomène, des autres phénomènes d
que la philosophie phénoménologique co
sentant une dimension ontologique, tou
tionnalité» d'un sujet, qu'il soit réel, da
norme, valeur, etc. ... -, les représentat
complexe des normes juridiques présent
nologues - REINACH, G. HUSSERL, et
COSSIO -, une réalité irréductible. Ces j
être des normes et concepts juridique
géométriques ou mathématiques, un êtr
dant de son contenu psychologique ou de
ront les essences éidétiques a priori des
diques, leurs structures ontologiques. L
de sens: elle n'a plus le sens classique de
nécéssaires et a-temporelles de l'eidos d
structures constitutives du sens de l'ob
tuition intentionelle fondamentale de c
certaine expérience, originaire et fon
toutes les autres. ')
Cependant les efforts des juristes phén
vers une ontologie régionale, selon le
droit, isolant les concepts et normes
sociale, les réduisant entre paranthèses
les décrire phénoménologiquement - la t
elle-même, de ce point de vue, de la pen
sont progressivement coupés de l'expér
historiques et ont fini par hypostasier l
attribuer une existence en soi, qui les rap
platoniciennes. A la suite de REINAC
l'évolution de la pensée de E. HUSSERL
moins, à la tendance la plus discutabl

1) MAX SCHELER, Der Formalismus in der Ethik u


p. 47.
2) E. HUSSERL, Ideen zu einer reinen Phänomenolo
Halle 1922, I, p. 61 et s.

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phénoménologique: celle qui, insistant sur la misse entre parenthèses des


objets de l'expérience, aboutit, d'une part à les hypostasier en essences
indépendantes de cette expérience - tendance platonicienne particulière
ment manifeste chez M. SCHELER-, d'autre part à transformer parallèle
ment le sujet, découpé de ses expériences concrètes vers les objets, en
«sujet pur» ou «Ego transcendantal» - tendance kantienne -. L'ontologie
juridique est ainsi destituée en une métaphysique idéaliste de l'objet
essence.

Or, c'est à l'existentialisme que revient le mérite d'avoir su


ce qu'il y avait de valable et d'original dans la pensée de H
d'être passé d'une ontologie de l'objet à une ontologie de l'ho
anthropologie de l'existence humaine matérielle et pratique,
par là avec la pensée dialectique de HEGEL et de MARX. C
tialisme qui a insisté dans la philosophie moderne sur la prim
l'homme de l'existence, du rapport générateur de sens de l'h
le monde extérieur, sur l'essence, ensemble constant et inva
des propriétés éidétiques des «objets». La phénoménologie rédu
par Yépochè, le met entre paranthèses, tout en le distanciant a
afin de pouvoir étudier la constitution du sens de ce monde à
expériences intentionnelles du sujet. L'existentialisme, par c
sidère que toutes ces expériences intentionnelles «particulièr
possibles qu'en raison d'un certain mode pratique d'être de l'
constitue son être-dans-le-monde: ces expériences présuppos
taine propriété originelle et primordiale de l'homme, son «o
originaire et pratique vers un monde naturel et matériel, so
le-monde, son «déjà-là», son Dasein, avant son entreprise d'e
spécifiques et particulières. C'est précisément pour cette
l'homme ne peut mettre entre parenthèses les objets «mond
les phénomènes juridiques: cette réduction présuppose une in
fondamentale de l'homme envers le monde, une antériorité pr
l'homme par rapport au monde, qu'en fait il ne possède pas. L
peut être ainsi isolé de la situation naturelle du sujet en
l'existence de l'homme concret, fondement de toute expérien
et réalité significative du monde humain, concentre désormai
philosophique.
C'est ainsi que le fondement, l'origine, le sens des phénom
ques ne seront pas recherchés dans l'être-en-soi de l'unive
conceptuel, mais dans leur résidu en tant que créations et ma
de l'existence humaine pratique. La tâche d'une ontologie jur

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sistera à élucider le rapport premier et


quences qui en découlent pour le droit, d
structures ontologiques "de l'existence hu
l'activité humaine, substrat des règles
relations homme-monde et, plus particuliè
les concepts juridiques «chosifiés», mais
tent, qu'ils transposent en phénomène
dimension ontologique fondamentale du

2. Les théories de la dialectique objecti

Cette structure primordiale de l'existence


tant que dimension ontologique, par l'
premier HEIDEGGER et par SARTRE,
par les théories de la dialectique objec
et MARX. Ces théories répugnaient po
«ontologie», car celui-ci revêtait dans la
structures a-temporelles et transcendant
n'empêche que HEGEL, sutout dans sa
treprit une étude approfondie d'une «ont
de l'homme, que FEUERBACH, dans ses G
Zukunft, et MARX, surtout dans ses Früh
la «remettant sur ses pieds», en une anthr
situé dans un monde matériel et naturel.
Or, selon l'existentialisme, l'homme n'e
propriétés stables, ne présente pas une
déjà constituée avant son entrée en conta
ment intention, ouverture vers le mond
distance perpétuelle avec lui-même, pro-
monde. Cette caractéristique même de l'e
dimension ontologique: toute expérience
lière de l'homme, perception, imaginatio
sentiment participent à ce mode d'être,
qu'est la tension de la conscience vers les n
immanente de cette condition et situatio
En conséquence, la dimension principa
l'homme n' «est» pas, il a à être, son exist
lui et se présente comme tâche à accomp

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peut être3). Ces données s'identifient, en dernière analyse, avec la notion


existentielle de liberté pratique, de liberté de faire: c'est parce que nous
sommes en train de devenir dans nos opération existentielles, parce que
nous nous éloignons continuellement de nous mêmes et que nous nous «dépas
sons» perpétuellement que nous sommes libres. Cette liberté existentielle,
bien différente de la liberté conçue comme libre-arbitre ou pouvoir-faire,
constitue précisément ce que l'existentialisme appelle notre transcendance.
Transcender signifie pour cette théorie sortir de, s'éloigner de, trans
cenderé. L'existence de l'homme est transcendante en ce sens qu'elle a la
faculté, à l'encontre de l'opacité des choses, de sortir d'elle même, de se
trans-cender vers le monde: monde naturel et matériel, pratique, pour
le premier HEIDEGGER et SARTRE, qui se différencient ainsi de
KIERKEGAARD, JASPERS et G. MARCEL. Notre transcendance, c'est
notre mode ontologique d'exister dans le monde, c'est notre liberté. La
liberté existentielle pratique de faire, n'est pas ainsi conçue comme un
élément psychologique particulier de l'homme, elle constitue la dimension
ontologique de toute réalité et manifestation humaine.
Cette notion de liberté que nous tenons plus de SARTRE4) que de
HEIDEGGER, qui n'a pas, lui, insisté sur ce problème, ne peut être encore
parfaitement comprise. On doit pour cela avoir recours à la structure
ontologique existentielle de l'acte humain, - et le lecteur se souviendra ici
de certaines analyses de la théorie de la «finale Handlungslehre» de
WELZEL -. Tout acte, nous dit SARTRE, en tant qu'opération inten
tionnelle vers l'extérieur, a besoin d'un mobile, d'une fin qui incitera
l'homme à l'accomplissement (ou à la tentative) de cet acte. Est-ce à dire
qu'une situation extérieure constitue telle quelle le mobile de mon action?
On négligerait, dans le cas d'une pareille affirmation, le fait que toute
situation extérieure, le monde, ne prend de signification pour moi qu'à
partir de mes propres projets: la haie qui entoure un pré constituera une
barrière pour moi si je pro-jette de la dépasser. C'est pour cela précisément
qu'une situation donnée, qui n'a de signification que par rapport à moi,
ne peut constituer en tant que telle un mobile. Je dois pour cela concevoir
une autre situation idéale qui me permettra d'évaluer la situation donnée
comme non-désirable. Mais cette appréciation de la situation donnée par
une situation idéale présuppose que je puisse concevoir celle-ci en tant

3) HEIDEGGER, Sein und Zeit, Tübingen 1960, p. 117, 133, 298, 314 etc. . . . SARTRE,
L'Etre et le Néant, Paris 1943, p. 119 et s.
4) SARTRE, op. cit., p. 61 et s., 555 et s.

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que pas-encore-réalisée, et que je puis


présente comme désir qu' elle-ne-soit- p
que ma conscience présente une dimens
négation, qui rend possible mon éloigne
monde, qui fait que je puisse néantiser
comme pouvant-ne-plus-être-là à la lum
qui n'est-pas-encore-là, mais que je peux
grâce à mon activité pratique.
C'est ainsi que l'existentialisme athée
et surtout de SARTRE, rejoint les analy
ques de la théorie dialectique de HEG
ontologique de l'homme-dans-le-monde
pour la phénoménologie, dans une vagu
ceptuelle et transcendantale - dans u
l'homme, mais dans leur contact pri
L'existentialisme de SARTRE, attribu
l'adage «faire et en faisant se faire», se
philosophique qui a appliqué dans l'étu
ception hegelienne, selon laquelle la
possibilité de néantisation est immanen
ou étapes de l'être, donc aussi de l'exi
constitue le moteur du devenir et du pr
pour HEGEL5), un être dans le monde,
privation, être souffrant, conscience ma
désir d'un-autre-que-soi, de ce qui lui f
conquérir pour la satisfaction de ses
l'homme, lui est hostile au premier m
humaine, au moment de la pure subje
moment de l'antithèse, s'extériorise e
äußerung, Objektivierung -, il nie le mo
fins: sa conscience «retourne» en elle-mê
la synthèse, enrichie de sa signification
oeuvres et ses actes, se «concilie» avec l
est d'ailleurs appliqué par HEGEL dan
privée, du contrat, etc. -.

5) HEGEL, Phénoménologie de l' Esprit, trad. HYPP


p. 18. - Logik, Teil II, p. 256, Enzyklopädie, § 35

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Or, c'est le travail qui constitue précisément pour HEGEL6) la


«médiation» entre l'homme et la nature, l'acte par excellence au moyen
duquel l'homme se fait en se reconnaissant dans ses oeuvres qui visent la
satisfaction de ses besoins et la conquête du monde. Dans sa fameuse
analyse de la relation du Maître et de l'Esclave, c'est l'esclave qui con
quiert sa substance, son existence authentique, car c'est lui qui, par son
travail, s'objective dans la lutte pratique contre la nature. Le travail
revêt ainsi pour HEGEL la signification de la dimension existentielle
fondamentale de l'homme, de l'activité pratique, effective et créatrice qui
constitue l'humanité de l'homme et au moyen de laquelle il dépasse, en
les satisfaisant, les besoins, le manque qui sont la dimension de privation
de la conscience subjective. La liberté humaine est pour HEGEL, une
liberté pratique de faire à partir de la possibilité de négation d'une con
science-manque-besoin.
HEGEL cependant considère l'existence humaine, l'activité pratique
comme une des manifestations de l'Esprit, comme une des étapes du
développement conceptuel de l'Idée absolue vers la prise de conscience
d'elle-même: il voit dans cette existence une voie de réalisation des valeurs
absolues incarnées par l'Idée, et nous connaissons les conséquences de sa
pensée en ce qui concerne sa théorie du droit et de l'Etat. C'est au jeune
MARX que revient le mérite d'avoir, à la suite de FEUERBACH, critiqué
la notion du «travail abstrait", reliée au concept de l'homme en général,
de HEGEL, et d'avoir attribué aux notions de besoin et de travail, à
la notion de pratique qui acquiert le sens de praxis, la dimension existen
tielle anthropologique de' l'homme concret et matériel: il les considère
comme la source unique de toute valeur et signification du monde humain.
L'homme est ainsi pour MARX7) un être naturel, inséré dans un monde
matériel en une situation concrètement socialisée et historicisée. Le rapport
donc de l'être avec l'être autre est donné dans la nature, la société et
l'histoire et éprouvé «existentiellement» par l'homme naturel comme
besoin, extériorité et dépendance. La réalisation de l'être humain ne con
siste pas, comme chez HEGEL, dans le développment du concept de
l'homme dans un monde-Esprit. L'homme, être naturel et humain, lutte
pour la conquête de la nature qui l'entoure et qui le nie, en l'humanisant
par son action et par son travail, il acquiert dans cette lutte matérielle sa
propre existence et libertés concrètes. Le travail revêt ainsi chez MARX

6) HEGEL, Jenenser Realphilosophie, 1928, T. I, p. 197 et s., 220 et s. (éd. LASSON).


7) MARX, Manuscrits de 1844 (éd. sociales) p. 114 et s., Thèses sur L. Feuerbach, thèse 6,
Idéologie allemande, passim.

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une dimension ontologique existentielle


pas le simple travail manuel, mais l'ouv
l'homme vers le monde, le point de leu
effectif, qui reste déterminant pour l'ho
un monde naturel. Le besoin lui-même
GEL, comme un manque en général de l
néant fictif, mais comme une situation
partir des données socialement situées et
tion qui conditionne un certain mode d
travail, d'activité créatrice et pratique,
vité de l'homme constitue la source uniqu
économique - valeur et signification - j
main, car, l'homme se substituant à l'Id
autre - de l'homme, constitue un mode
priation du monde.

3. La dialectique juridique des valeur

I.

En quel sens ces remarques peuvent-elles nous offrir déjà une première es
quisse de l'ontologie juridique?
Remarquons, avant de tenter une réponse, le rapport ontologique struc
tural entre les notions d'acte, d'objectivation, de besoin, de liberté pratique
de faire. Le besoin, ainsi conçu, ne constitue pas simplement une des don
nées psychologiques ou empiriques de l'homme: il s'agit d'une dimension
primordiale qui insère l'homme dans le monde. L'homme est dans un
monde d'objets qui le nient. C'est dans la mesure même où l'homme doit
dépasser cette antithèse naturelle en s'extériorisant, en s'approchant de
l'objet, en s'objectivant, en assumant donc dans son propre être l'antithèse
naturelle, qu'il «ek-siste», qu'il fait son propre mode de vie en produi
sant lui-même les conditions nécessaires de sa propre existence. On re
marque ainsi la relation ontologique entre l'activité pratique, le travail,
l'acte et le besoin. L'acte constitue lui-même l'extériorisation de ce rapport
ontologique de l'homme envers les objets. C'est par son «pro-jet» que
l'homme conçoit le monde extérieur comme possibilité de la satisfaction
de ses besoins, qu'il pose une situation future idéale, une valeur à travers
laquelle la situation présente lui parait comme devant être dépassée par
un acte. La distinction donc entre besoin et acte ne consiste pas dans le
fait que l'acte puisse poser intelligemment des moyens et des fins, tandis

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que le besoin ne serait qu'un appel à la satisfaction immédiate et «aveu


gle». Le besoin et l'acte constituent deux moments du même processus
dialectique d'existence humaine dans le monde.
Les besoins de l'homme ne sont ainsi nullement une limite de sa liberté.
L'homme n' a pas à se «libérer» de ses besoins envers les objets. Les be
soins humains participent eux-mêmes à cette dimension ontologique fon
damentale qui, nous l'avons vu, constitue la liberté pratique de faire de
l'homme, à son «ouverture» à l'intérieur d'une situation naturelle et ma
térielle concrète: ils y participent comme un moment du processus dialec
tique de la réalité humaine. Les besoins de l'homme constituent sa liberté
dans le sens qu'ils sont à la base du mouvement de l'homme vers l'extérieur,
de son dépassement continuel, de son ouverture vers l'avenir, de sa dimen
sion de transcendance, de son activité finale. L'homme assume ses besoins
en les dépassant, il attribue dans ce sens par ses actes une signification
humaine à ses besoins; il a, à l'intérieur d'une situation matérielle, la
possibilité de «choisir» ses besoins ou le mode de leur satisfaction - naturae
non imperatur nisi parendo -, il «crée» ses besoins et se crée par eux, il
se fait exister et se fait libre en s'humanisant, en se faisant par la re
cherche de la satisfaction de ses besoins.
C'est précisément dans cette dimension ontologique existentielle que
l'ont peut, déjà à ce niveau d'analyse, découvrir les fondements et les
origines génétiques de l'univers conceptuel du droit. C'est le besoin et la
liberté pratique de fait qui esquissent ontologiquement une première
structure d'un intérêt individuel, d'une exigence, d'un droit du sujet,
d'un devoir correspondant. C'est cette situation ontologique qui, dans le
monde pratique et matériel des «choses» et des «Autres», semble engen
drer génétiquement une première formation de la valeur juridique. Ces
besoins, «humanisés» par un certain mode de «travail», d'activité de la
liberté pratique de faire de l'homme, concrètement socialisés et spéci
fiquement juridicisés, besoins soit économiques, soit sociologiques, soit
culturels, seront insérés, par la médiation des nombreux plans de struc
turation du passage de l'ontologique au conceptuel, dans une totalité
sociale et historique donnée: ils se cristalliseront en un complexe co
hérent de normes du droit.

II.

Le problème fondamental qui se pose à ce niveau ontologique pour la


philosophie du droit, est celui du passage de l'être au devoir-être, du besoin
fait à la valeur juridique, du Sein au Sollen.

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Les auteurs allemands qui se sont préo


dans le sens actuel du terme, sont bien
l'ont pas, en tous cas, particulièrement
logique - et nous pensons surtout ici
Leurs remarques, bien que constatant le
dant assez, à notre avis, vers un éclairc
et du Sollen, déjà au niveau ontologique
le passage dialectique du fait ontologiqu
et de la liberté pratique de faire au dro
avec conséquence aux niveaux sociologiq
compte du fondement, de la genèse e
axiologique.
Or, nous pouvons, à partir des donnée
d'exposer, établir que le fait et la valeu
gique, une totalité structurale et dialec
la structure ontologique de l'existence h
de la liberté pratique de faire: pour qu'u
mobile d'un acte à partir d'un certain
doit pouvoir concevoir une autre situat
tant que fin possible de son acte, d'appr
non-encore-réalisée et à travers elle, éva
désir et possibilité qu'elle-ne-soit-plus-l
tion idéale» qui constitue la fin, la valeu
à l'action à partir d'un certain besoin, e
me peut s'éloigner par ses projets de so
parce qu'il est ek-sistence, pro-jet, libert
Ainsi, le besoin-projet est, en tant qu'
le donné, créateur d'un idéal, d'une vale
à la satisfaction du besoin, à la réalisati
existence, le «fait», est en ce sens et par
«valeur»; il l'est, non pas dans le sens
mais dans le sens de la logique dialect
de l'action. Le fait, l'acte pratique à p

FECHNER (Rechtsphilosophie, Soziologie und Meta


note 138): „Audi das Verhältnis von Sein und Solle
weise hin auf die Andeutungen bei Maihofer" et
(p. 122, note 121): „Alles Sollen ist kein Gegensat
des Seins selbst. Nicht in einer „anderen" Welt, ei
sondern im Blick auf die dem Seienden in „dieser" W
gesehen stets zukünftige Eigentlidikeit seines Sei
not-wendig wird durch seine Freiheit von der „na

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Vers une ontologie juridique actuelle 193

«devient» valeur, réalise l'idéal-projet de l'existence, la valeur déjà


réalisée, assumée et dépassée, «devient» fait, donnée du passé. L'existence
humaine s'inscrit dans cette tension dialectique entre deux pôles contra
dictoires - le fait et la valeur - qu'elle totalise en tant qu'elle est liberté
pratique de faire: l'homme existe en tant que sa facticité n'est pas en soi
valeur, mais qu'elle peut l'être en tant que l'homme la fait dans sa ten
sion vers l'avenir. Le besoin humain devient, «est» dialectiquement et
structurellement valeur, en tant que l'homme projette le changement du
monde en vue de sa satisfaction, il l'est en tant qu'il le devient à l'intéri
eur du devenir de la totalité en cours et en acte qui est l'existence hu
maine9).
C'est, croyons nous, à partir de cette dialectique des valeurs et des
besoins que l'ontologie juridique pourra établir l'origine primordiale et
la genèse du sens de l'univers juridique. C'est le résidu vital et existentiel,
substrat de tout phénomène juridique, qui est à l'origine des réalités
primordiales du droit. Ce sont les besoins humains qui, par la médiation
de la liberté pratique de faire, et en faisant se faire, de l'homme, struc
turent le squelette ontologique de l'intérêt, de l'exigence, du droit indi
viduel, du devoir: c'est ce squelette ontologique qui est la base génétique
de toute cristallisation de la valeur juridique en univers conceptuel de
normes du droit, en système de droit positif. La valeur juridique n'est
pas ainsi, à proprement parler, simplement fondée sur le besoin et la
liberté pratique de faire. Ce besoin et cette liberté ne constituent pas un
élément psychologique et empirique, choisi accidentellement pour fonder
la norme, comme c'est le cas pour la volonté selon la théorie du volonta
risme juridique, ou pour le plaisir selon l'utilitarisme de BENTHAM, ou
même pour l'intérêt selon la théorie de la «genetische Interessenjurispru
denz» de HECK: ils ne constituent pas des simples «faits», originellement
distincts et séparés de la valeur juridique, sur lesquels il s'agirait de fonder
a posteriori, cette valeur. Dans ce cas, il existe effectivement un hiatus
irrationalis entre le fait et la valeur juridique, qui aboutit à un décalage
épistémologique essentiel entre ces deux domaines de la réalité du droit.
Selon notre point de vue, le besoin et la liberté en situation constituent
le mode d'existence ontologique de toute réalité humaine possible - donc
de celle du droit -, existence qui totalise structurellement et dialectique
ment le fait et la valeur: ils constituent la «nature des dioses» au niveau
ontologique, le sens immanent au réel humain originaire, la condition

9) Voir, à ce sujet, notre article: «Notes sur la phénoménologie et l'existentialisme juridique»,


Archives de Philosophie du Droit, 1963, p. 213 et s.

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194 Nicos Poulantzas

anthropologique de l'homme, source de t


Ce rapport dialectique entre ontologie et
déjà à ce niveau, certains indices concern
dans l'univers des valeurs juridiques, con
ou du critère axiologique de la valeur jur
ontologique: la forme et le contenu de la
eux-mêmes, déjà au niveau ontologique, e
tique. La valeur juridique doit avoir comm
faire de l'homme, son «humanité» qui con
question continuelle du monde et des do
doit choisir l'existence humaine »authent
de l'homme, son propre substrat ontolog
même, exister en tant que «valeur». L'
«mauvaise foi» chez SARTRE, la conscien
MARX, consiste ainsi dans l'aliénation
dans l'acceptation «passive» de la part d'u
«établies», qu'il considère comme fétic
effort de les assumer à son compte, de les
sociale et historique: cette acceptation
existentielle, une «création» de l'homme
à son humanité et se dégrade en un mécan

4. Le problème juridique du rapport o


I.

Ces analyses étaient nécessaires avant d'aborder le fondement ontologique


du caractère social du droit. Le fait qui va désormais orienter nos analyses,
l'univers dans lequel nous devrons transposer les données ontologiques
déjà établies, c'est celui qui se structure par le surgissement ontologique
d'Autrui, des autres hommes. C'est ainsi que nous pourrons expliciter les
résultats d'une étude ontologique du droit, phénomène social par excel
lence. De même que les structures ontologiques de l'existence humaine
sont présupposées par tout besoin et valeur juridique particuliers, en
tant qu'ils ne «sont» qu'en participant à la dimension ontologique de
cette existence, de même les rapports juridiques ontologiques, particuliers
et concrets, entre sujets humains, n'existent sur le mode social qu'en
participant à la dimension de la socialité originaire: celle-ci est constituée
par le rapport ontologique du Moi à Autrui, substrat ontologique du
niveau sociologique du droit.

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Vers une ontologie juridique actuelle 195

Le problème ontologique de la socialité originaire, du rapport Moi


Autrui, consiste à nous rendre compte que notre conscience de nous
mêmes, notre univers de sens, n' est pas «déjà» constitué, nous ne sommes
pas des «Je» déjà donnés qui, par la suite, entreprendront des relations
avec les autres. Les autres nous atteignent au centre même, au noyau
significatif et profond de la constitution même de notre humanité, de
notre existence, ouverture pratique vers le monde extérieur. Toute réalité
ontologique du moi est déjà inscrite dans l'univers de l'existence d'
autrui.
HUSSERL10) s'est bien posé ce problème qui, cependant, malgré ses
efforts, est insoluble pour l'idéalisme kantien auquel il aboutit. Cet
idéalisme est condamné - rappelons les «apories» du passage diez KANT
de la raison théorique à la raison pratique, au droit - à un solipsisme
foncier, à une incommunicabilité ontologique entre sujets «noumènes»
ou «Ego transcendantaux», saisissant les autres dans leur être empirique
et leur manifestation pratique en tant qu' objets de connaissance, mais
ne pouvant les atteindre dans le centre même de la constitution de leurs
significations et valeurs, dans leur être nouménal ou transcendantal; cet
être est, pour l'idéalisme, originellement situé en dehors et au delà de tout
contact pratique avec Autrui.
C'est à HEGEL n) que nous devons, en effet, remonter pour découvrir
la possibilité épistémologique d'une relation ontologique entre le Moi et
les Autres car l'activité pratique, le besoin et l'acte, le «faire», constitue
selon lui une étape dialectiquement, donc «onto-logiquement», néces
saire de la constitution de l'essence humaine: l'homme devient dans son
objectivation et extériorisation pratique et empirique. Je ne suis moi
même, je ne constitue mon univers de significations et valeurs, qu'à par
tir du moment où je suis pour-un-autre, un être-pour-l'autre. Il insiste
sur la «reconnaissance» ontologique mutuelle des uns par les autres, sur
cette «réciprocité» ontologique en fonction de laquelle je ne suis qu'en
tant que reconnu, que de la façon dont je suis reconnu par autrui. C'est
là que réside précisément le fondement de la relation Maitre-Esclave.
Cependant HEGEL, et ceci est d'une importance capitale pour l'onto
logie du droit, n'a point fondé - car les prémisses de son système ont leur
source dans la dialectique interne des «concepts» et le devenir de l'Idée
absolue - le rôle, dans cette relation ontologique, de la liberté pratique

10) E. HUSSERL, 5e Méditation cartésienne, Ideen II, Abt. II, Kap. IV, Ideen III, Vorwort.
11) HEGEL, Phénoménologie . . . (op. cit.) T. I, p. 145 et s., T. II, p. 55 et s.

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196 Nicos Poulantzas

de faire de l'homme concret, du choix


térielle de l'homme - «sujet humain». Il
objet, objet constituant un simple miroi
un autre dont la liberté de constitution
d'un autre dont on forcerait la main,
afin d' accéder à sa reconnaissance (M
l'autre me renvoie constitue ainsi un
objet ne peut me reconnaitre moi-m
sonnes humaines, chez HEGEL, parais
entrechocs mécaniques, par des rapports
de «réification» totale. La conséquenc
HEGEL est que tout rapport avec aut
«aliénation» du sujet, une accession à la
perte de son essence dans les autres: le
lité originaire consiste finalement, pou
traire absolu, du droit du plus fort, de
fait accompli.
Quant à l'existentialisme, étant donné l'importance que revêt pour lui
l'être-dans-le-monde, il a attribué une importance fondamentale à la
relation Moi-Autrui, à l'être-pour ou avec-les-autres: il a ainsi «radi
calisé» le problème d'Autrui en lui attribuant une dimension ontologique
dans le sens actuel du terme. HEIDEGGER12) cependant, bien qu'ayant
parlé du Mitsein, du Miteinandersein, insiste plus sur la condition de
facticité dégradée de l'homme que sur les possibilités positives de sa liberté:
il conçoit finalement l'univers fondé sur la socialité originaire - donc le
droit -, comme constituant nécessairement un mode d'existence inauthen
tique, une aliénation de l'individu par sa fusion dans le «On», le «Man»
impersonnel. C'est à l'existentialisme français que, avec SARTRE13) et
MERLEAU-PONTY14), revient le mérite d'avoir découvert les possi
bilités d'une authenticité ontologique de l'être social. SARTRE, dans le
début de son oeuvre, bien qu'ayant ouvert les perspectives de la
liberté existentielle, concevait la relation Moi-Autrui comme un rap
port de conflit: dans ce rapport tout sujet reconnaîtrait bien dans
l'autre un «sujet» libre en situation, mais, pour cela, tenterait de le

12) HEIDEGGER, op. cit., p. 118 et s. etc. . . .


13) Cet aspect de la pensée de Sartre, a ses sources dans son oeuvre littéraire (Les chemains de la
liberté, Le diable et le bon dieu etc. . . .) et se systématise dans la «Critique de la raison
dialectique».
14) MERLEAU PONTY, Phénoménologie de la perception, Paris 1945, p. 488 et s.

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Vers une ontologie juridique actuelle 197

réduire en «objet» afin d'eliminer le danger et la «honte» que représen


terait pour lui sa considération de la part d'un Autre-sujet libre. Cepen
dant, dans la suite de son oeuvre, il évolue vers une conception de la
possibilité d'un être-avec positif envers les autres, en rejoignant par là,
tout en insistant sur leur dimension ontologique, les conceptions de
FEUERBACH15) et de MARX16) d'un «Homo homini deus», d'un être
avec les autres dans l'amour et dans l'aventure commune des hommes
pour la conquête et appropriation du monde, pour la création de leur
propre humanité.

II.

Comment se pose-t-il à partir de ces remarques le problème de l'onto


logie juridique?
Nous avions constaté que ce sont les besoins qui, par la médiation de la
liberté de faire - du »travail« - de l'homme et de la totalité structurale
et dialectique du fait et de la valeur, constituent l'origine génétique, le
résidu ontologique des premières valeurs juridiques. Les besoins cependant
de l'homme, même les plus »naturels«, se présentent, soit dans leur exis
tence, soit dans leur mode de satisfaction, comme déjà socialisés. J'ai
souvent besoin d'une voiture parce que mon voisin en a une, je ne con
somme pas la viande défendue par ma religion. Les «objets», les «choses»,
se présentent à mes projets et besoins comme une sédimentation du sens
que leur a attribué l'univers humain social. D'autre part, dans mon effort
pour la satisfaction de mes besoins, j'entre en contact juridique avec Au
trui, soit par exemple en contact immédiat - lien personnel d'obligation -,
soit en contact médiatisé - lien réel du droit des biens, où j'entre en con
tact juridique avec Autrui par la médiation de la chose elle-même -. Dans
ce contact, je vise à la fois, dans le rapport de «réciprocité» ontologique
avec Autrui - sujet de droit, ma reconnaissance par les autres en tant que
sujet humain libre, et la satisfaction de mon besoin par une certaine appro
priation du monde des choses. Je vise la satisfaction à la fois de mon
besoin de la chose, de mon besoin des autres et de mon besoin d'acquérir
par le «travail» la conscience de moi-même en tant qu'homme.

15) FEUERBACH, Grundsätze der Philosophie der Zukunft, Leipzig 1846, Vorwort, et aussi pp.
54 et 63.

16) Op. cit., et aussi dans nombreux passages des Friihsdiriften, notamment de la «Critique de
la philosophie de l'Etat de Hegel».

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198 Nicos Poulantzas

C'est précisément ma rencontre juridiqu


aire, visant, lui aussi, les mêmes objectif
ment les valeurs juridiques. Un certain «
la totalité du fait et de la valeur déjà
moment où Autrui le «reconnait» en tan
quement», vu qu'il a lui-même besoin
relation spécifique et concrète, son prop
giquement corrélatifs à mon droit.
Nous avons cependant constaté que si m
-les-autres sont à la base de la naissanc
fonction de ma liberté pratique de faire
le plan ontologique, structurellement
Sollen, érige le fait en valeur, le besoin
Ce devenir dialectique passe ontologiquem
la totalité du fait et de la valeur doit do
de la socialité originaire. Nous avons vu
fourni par cette totalité, je dois moi-mê
valeur juridique, dans la satisfaction de
pratique de faire, ne pas aliéner mon hu
ce n'est qu'un Autre-sujet, qu'un autre-lib
qui peut me reconnaître, moi, comme su
valeurs et significations juridiques. Je d
ontologique avec Autrui, reconnaître l'au
main, afin que je puisse, moi, être recon
humaine qui se trouve en face de moi.
Ce n'est donc que le rapport ontologi
(dans le sens que nous avons exposé de ce
thropologiquement» les besoins, les intér
deux partenaires, attitudes correspondan
voirs, créances, obligations, car c'est cet
de l'existence humaine, qui constitue le «
la valeur juridique. Toute relation juridiq
pas dans le rapport de sujets-besoins-li
mainement digne, de fonder des valeurs
fondée sur l'^mor fati, sur un pur fait «
manifestation du droit du plus fort, d'u
jets (Maître-Esclave).
Toute relation juridique ontologique com
une «nature des choses» au niveau ontolo

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Vers une ontologie juridique actuelle 199

sujets-besoin-libertés, sources de significations, «existent» concrètement,


juridiquement, dans des conduites pratiques et objectivantes, corrélatives
et réciproques, à l'intérieur d'un «champ» d'action, matériel et objectif
commun. Ces conduites s'inscrivent dans l'ordre pratique, ontologique et
axiologique, de fin à moyen, le besoin de l'un correspond dialectiquement,
selon la logique normative de l'action, au besoin de l'autre, l'acte de l'un
à l'acte de l'autre, l'attitude «fonctionnelle» et «valorisatrice» de l'un à
celle de l'autre, les deux sujets «font» mutuellement leur propre huma
nité dans ce domaine spécifique dç l'existence qui est une relation concrète
ment juridicisée. Tout droit s'accompagne, aussi bien chez le sujet que
chez Autrui, d'un devoir, la notion de situation juridique, complexe d'
entrecroisement, à base ontologique, de droits et de devoirs, se substitue à
celle de droit subjectif.
Ce même substrat ontologique du droit, se retrouve, avec des parti
cularités certaines, mutatis mutandis, dans toute situation juridique con
crète. Les droits réels du droit des biens, par exemple, consistant en une
relation avec autrui médiatisée par le rapport d'un sujet à une chose,
ont ainsi comme substrat ontologique un besoin humain, concrètement
socialisé et historicisé, érigé par un choix-liberté des sujets, à la fois du
Moi et des Autres, en valeur. Mais tandis que, pour un droit personnel, par
exemple un contrat, le substrat ontologique réside dans les besoins, acti
vités et choix respectifs de deux ou plusieurs parties engagées, pour un
droit réel, se manifestant, dans sa considération comme relation entre
sujets juridiques, envers tout Autre, son substrat ontologique réside dans
une reconnaissance d'une relation pratique et concrète d'un sujet à un
objet par tous les Autres à l'égard desquels se manifeste le droit réel cor
respondant. Le caractère mutuel et corrélatif de cette dernière reconnais
sance réside dans le fait que nous reconnaissons nous-mêmes la relation
besoin des autres à un objet, relation identique à celle qu'ils nous recon
naissent: par exemple, reconnaissance mutuelle des «propriétaires». Ces
analyses peuvent d'ailleurs être appliquées aussi dans le domaine du droit
public, dans les relations du fonctionnaire, du parlementaire ou des gou
vernants, et des sujets - problème, par exemple, du fondement ontolo
gique de la «souveraineté» - etc. . .

III.

Ce n'est ainsi, selon nous, qu'un examen ontologique de la notion du


besoin et de la négativité, ayant ses sources dans la pensée dialectique, qui
peut poser d'une façon complète et conséquente le problème de l'ontolo

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200 Nicos Poulantzas

gie juridique. Si l'on se limite par con


du rapport Moi-Autrui, si l'on essaie de
quement, ou même surtout, sur les attit
l'intérieur d'une relation juridique consid
en tant que mode spécifique de satisfact
cialisés et historicisés, on aboutit à une
droit, à une simple psychologie sociale: l
se réduirait finalement au «sentiment» o
une façon idéaliste -, du droit. Ce n'est q
dialectique des valeurs et des besoins qui
en ce qui concerne le droit, du plan onto
historique, fournir les bases originaires d
l'économie, du droit et de la sociologie
venir génétique du droit dans l'expérien
Ce n'est, par la suite, que par cette anal
vons découvrir et fonder le rapport de t
du fait et de la valeur sur la liberté prati
fonder la relation ontologique Moi-Autr
de sujets-libertés. Si l'on néglige par con
HEIDEGGER, cette dimension ontologi
situation matérielle, on aboutit à fond
«fait» originellement séparé de celles-ci,
à ce que l'autre ait une certaine «attitu
juridique donnée. Peut-on cependant adm
mainement, l'attitude du Maître, 1' at
l'Esclave accomplisse le rôle qui lui est as
de Maitre-Esclave fonde telle quelle, un
ment, une devoir de l'Esclave? Peut-o
Esclave est injuste, parce que, précisém
dans l'obéissance?
Nous pouvons ainsi, à ce stade d'analyse, concevoir un principe d'
universalité, déjà au niveau ontologique, des valeurs juridiques, un pas
sage dans l'univers du droit de l'éthique individuelle à l'éthique sociale
«objective». SARTRE lui-même, en raison du caractère antagoniste qu'il

17) Ces remarques s'addressent aussi, en un sens, à la première partie de l'oeuvre bien
connue de W. MAIHOFER. Par la suite cependant, cet auteur (voir surtout „Konkrete
Existenz, Versuch über die philosophische Anthropologie L. Feuerbachs" in Festschrift
für E. Wolf, Frankfurt a. M. 1962, p. 246 et s.), avec une conséquence remarquable avec sa
propre pensée, s'inspire de Feuerbach, et son oeuvre parait dépasser progressivement ces ob
jections.

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Vers une ontologie juridique actuelle 201

attribue, dans la première partie de son oeuvre, à la relation Moi-Autrui,


n'a pu fonder sur le niveau ontologique l'universalisation de la valeur
qu'il préconise en soutenant que l'homme ne peut choisir sa liberté sans
choisir la liberté universelle, que l'homme est responsable de tous les
hommes: cette universalisation qui se rapproche des positions kantiennes,
parait gratuite chez lui, et MAIHOFER et WELZEL l'ont bien remar
qué 18h
Or, l'universalisation de la valeur-liberté, une limitation structurale
de la liberté pratique de faire de l'individu en faveur d'Autrui, ne peut
être admise, dans le cadre ontologique que nous avons exposé, que si elle
repose sur les données ontologiques d'une existence concrète et pratique
dans-le-monde et avec-les-autres. L'homme ne peut accéder à l'existence
que par rapport à un sujet qui lui renvoie, par sa reconnaissance, sa propre
image. S'il le fait, s'il peut le faire, c'est en tant qu'il n'est pas objet
dans un monde de choses, mais sujet incarnant sa propre liberté. Dans
l'attitude de «mauvaise foi» de «réification»-V erdinglichung ou Versach
lichung -, je cherche à «chosifiier» l'autre, à annihiler sa liberté afin de lui
arracher la possibilité de me mettre en question. De ce fait même cepen
dant, j'annihile mes propres possibilités d'existence comme sujet humain.
Ce qui revient à dire que je dois respecter la liberté juridicisée de l'autre
parce que ce n'est que cette liberté qui me fait juridiquement exister.
Reprenons toute la suite d'un raisonnement dialectique sur la totalité du
fait et de la valeur: l'existence est besoin, projet, liberté, valeur, elle est
inscrite dans un contexte d'insertion de l'homme dans un monde ma
tériel et naturel; cette valeur doit choisir comme contenu ce par quoi elle
est, le besoin, l'existence, la liberté. Cette liberté, notre propre existence
besoin, ne peut exister que vis-à-vis de la liberté, de l'existence-besoin
d'un autre. Choisir donc mon existence, ma liberté-besoin, c'est choisir
en corrélation absolue, l'existence authentique de l'autre, sa liberté-besoin,
car c'est elle qui me fait exister. L'exigence axiologique d'universalité, d'
un respect de la liberté de l'autre, n'est pas ainsi fondée sur une quelcon
que essence commune supra-individuelle des hommes: elle est fondée uni
quement au niveau de leur rencontre ontologique dans le champ de leurs
activités «objectivantes» empiriques et pratiques, à l'intérieur de leurs situ
ations «mondaines», matérielles et concrètes et, dans ce sens, «objectives».
Mon choix juridique universalisé doit se matérialiser et se concrétiser en

18) MAIHOFER, Recht und Sein, Frankfurt a. M. 1954, p. 24 et s.


WELZEL, Naturrecht und materiale Gerechtigkeit. Göttingen 1951, p. 192 et s.

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202 Nicos Poulantzas

ayant comme indice le «champ» concret,


de l'autre, les possibilités de son besoin-li
naturelle, concrètement socialisée et his
avec mon propre champ d'activité, bref
mutuelles de réalisation de notre être gé
manité.

5. Les perspectives sociologiques et

Cette recherche de la liberté-besoin «u


encore, à ce niveau ontologique, un car
permet pas de fournir à notre conduite j
juridiques en général, des indices axiol
cret. La «matérialisation» et «concrétisat
pratique de faire-en-situation-matérielle
passage du plan ontologique au plan so
problème consiste donc dans la transpos
derniers plans des données anthropolo
logique.
Ce problème est extrêmement vaste: nous ne pouvons même pas, dans
le cadre de cet essai, le poser. Fournissons cependant quelques simples
indications qui préciseront notre pensée. Un champ pratique de ren
contre juridique ontologique des besoins et des libertés-en-situation-ma
térielle des sujets, n'existe pas isolé dans un vacuum mais dans un con
texte social et historique donné. Ce champ constitue une totalité concrète
qui ne revêt de sens qu'intégrée, en tant que partie structurale et à travers
plusieurs médiations, dans la totalité en cours et en acte que constitue une
société en un moment de l'histoire de l'humanité. Les relations-besoins
juridiques ontologiques entre sujets humains ne s'identifient pas ainsi avec
le domaine sociologique mais constituent son substrat premier: ces relations
constituent ce par quoi il y a société et histoire et n'existent elles-mêmes
qu'en tant que concrètement socialisées et historicisées, selon la signifi
cation juridique «structurée» et «typéfiée» qu'elles revêtent en tant que
localisées dans le temps et dans l'espace. Choisir ma liberté pratique de
faire et celle d'autrui, c'est les choisir dans et par les conditions, valeurs et
significations sociales et historiques à l'intérieur et moyen desquelles elles
existent en tant que dimension ontologique.

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Vers une ontologie juridique actuelle 203

Si cependant ceci est possible, c'est parce que ces libertés-besoins des
individus et ces conditions et significations sociales et historiques ne sont
pas, malgré le cas de leur conflit éventuel, ontologiquement, anthropolo
giquement antinomiques: bien au contraire, ces conditions et significations
sociologiques et historiques constituent une totalité structurée sur la base
de la liberté-besoin ontologique qui définit l'homme en tant qu'homme.
Ce sont les hommes concrets qui créent dans le monde leur propre société
et histoire, ils sont le «sujet» du devenir humain, les conditions, valeurs et
significations sociales sont la résultante du «travail», de la praxis his
torique des hommes. Ce sont les hommes qui, par leur activité signifiante
à l'intérieur d'un monde matériel et pratique, dans leur lutte pour l'huma
nisation de la nature et la création des conditions propices à l'épanouisse
ment de leur humanité, se «font» dans un univers de «conditions-praxis»
en évolution perpétuelle, en conquérant cette nature pour la satisfaction
de leurs besoins. La réalité humaine se présente ainsi, dans ses perspectives
sociales et historique, comme une transposition de la liberté-besoins an
thropologique du niveau ontologique. Cette réalité humaine constitue une
totalité de fait et de valeur, elle se présente comme une «donnée» qui
engendre structurellement et dialectiquement une «tâche»: l'homme a à
se faire en réalisant pratiquement, à travers les conditions qui rendent
cette réalisation possible, ce qu'il est déjà au départ de l'histoire humaine,
un homme, un sujet-besoin-liberté pratique de faire. La notion même de
«nature des choses» nous parait finalement, dans ses perspectives histori
ques et en tant que praxis signifiante humaine, facteur de totalisation con
tinue du fait et de la valeur, revêtir le sens de «nature du devenir».
C'est ainsi que nous pouvons découvrir une nouvelle notion du «droit
naturel», critère axiologique du droit positif et voie d'action juridique:
un univers ou une donnée juridiques sont, dans ce sens, «valables», un
système économique et social acquiert une signification axiologique posi
tive dans le fondement des valeurs juridiques, dans la mesure où il con
stitue, historiquement, un pas de la lutte humaine contre les donnéés
qui «aliènent» et «réifient» l'homme vers la création d'un univers «hu
main», où l'homme pourra créer sa propre dignité et réaliser son être
générique; en fonction corrélative absolue avec le degré d'abolissement
historiquement «possible», en un moment concrètement situé et dans les
perspectives de l'avenir de l'homme, d'un univers d'aliénation et de réifi
cation; dans la mesure donc où il constitue une étape de la conquête
par l'homme, à travers les conditions et le sens de l'univers économique et

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204 Nicos Poiilantzas

sociologique, en premier lieu, culturel,


manité. 19)
Nous sommes bien conscients, et que le lecteur nous en excuse, que ces
considérations sont encore vagues et générales: c'est que, le but de cet
essai étant une étude de l'ontologie juridique, nous nous sommes limités
à considérer le sens du substrat anthropologique du droit et à indiquer
que l'ontologie débouche dans, est une «ouverture» vers la sociologie et
l'histoire qui s'inscrivent dans ses perspectives.

NICOS POULANTZAS

Zu einer aktuellen juridischen Ontologie


Zusammenfassung

Der aktuelle Begriff der „Ontologie", der seine Quellen bei HEGEL,
FEUERBACH und MARX hat, zeigt sich voll und ganz in der phänome
nologischen und existentialistischen Philosophie. Dabei war die Phänome
nologie letzten Endes nach einem „Idealismus" ausgerichtet und darauf aus,
auf dem Felde des Rechts die ontologischen Strukturen der rechtlichen Phä
nomene in „eidetischen" apriorischen Wesenheiten zu suchen. Hingegen
wendet sich der Existentialismus des ersten Teils von HEIDEGGERS
Werk und hauptsächlich der von SARTRE zur materiellen, praktischen
und konkreten Aktivität des Menschen. Ein Gedankengang, der also die
Theorien der „objektiven Dialektik" vereinigt, denn er besteht darauf,
daß der Mensch der Welt gegenüber durch eine praktische Offenheit aus
gezeichnet ist: Die Bedürfnisse, die Macht der Negativität, die Vergegen
ständlichung, das „Tun", die „Arbeit", die praktische Freiheit des Tuns,
die Praxis, bestimmen bei alledem die Menschlichkeit des Menschen.
Am Anfang dieses Verständnisses der ersten Rechtswirklichkeiten steht
immer schon eine Dialektik der konkret sozialisierten und historisierten
Werte und Bedürfnisse. Sein und Sollen zeigen sich im Recht bereits auf
ontologischer Ebene als eine strukturelle und dialektische Ganzheit, und

19) On trouve cette notion d'un, disons avec FECHNER, „werdendes Naturrecht", chez FECH
NER op. cit., p. 260 et s., VILLEY, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, 2.Aufl.,
Paris 1962, p. 89, 95, 123, 134 et s. BATIFFOL, La philosophie du droit. Paris 1960, p. 38
et s., 68 et s., 75 et s., etc. . . . Notre conception se rapproche cependant plus de celle de
MAIHOFER, dans la deuxième partie de son oeuvre: op. cit., et «Le droit naturel comme
dépassement du droit positif*, in Archives de phil. du droit, 1963, p. 176 et s. - et de
certaines analyses de E. BLOCH, Naturrecht und menschliche Würde, Frankfurt a. M. 1961.

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Vers une ontologie juridique actuelle 205

diese Ganzheit ist nichts anderes als menschliche Existenz, die sich mit
Hilfe von „Mediationen" in die Gesamtheit der ontologischen Beziehungen
zwischen dem Ich und dem Anderen umsetzt und das erste Substrat des
rechtlich sozialen Phänomens konstituiert.
Man kann also Hinweise auf den Inhalt der rechtlichen Werte auf
decken. Die Materialisierung und Konkretisierung dieser Werte findet im
Recht mittels einer „objektiven" Universalität des Wertes statt, der das
praktische Freiheitsbedürfnis der Menschen in einer materiellen Situation
darstellt und zur Eroberung ihrer eigenen Menschlichkeit führt. Diese
praktische Handlungsfreiheit der Menschen zeigt sich auf der soziolo
gischen und historischen Ebene in der „Natur der Sachen", im immanenten
Verständnis der menschlichen Wirklichkeit und insbesondere in der recht
lichen Wirklichkeit. Sie umfaßt auch das Verständnis der als menschliche
Praxis begriffenen „Natur des Werdens".

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