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De bons mots pour Jouer, grandir, s’épanouir

« Ce livre est un hommage non seulement à son talent, mais aussi à sa forte conviction que
l’intuition concernant la relation et le développement doivent rejoindre ceux qui sont
responsables de l’éducation de nos jeunes… Docteure MacNamara est merveilleusement
positionnée pour raconter cette histoire, vous emmenant de la théorie à la pratique. Vous ne
pourriez pas être en de meilleures mains. »
— Gordon Neufeld, Ph.D., fondateur de l’Institut Neufeld et auteur du livre
à succès Hold On to Your Kids (Retrouver son rôle de parent)

« Le livre de Deborah MacNamara est riche en idées sur la nature de l’enfant et sur la
parentalité positive. Une bénédiction pour les parents et les enseignants, Jouer, grandir,
s’épanouir note la prééminence de la relation d’attachement parent-enfant vers un
développement optimal et affirme avec passion l’importance primordiale du jeu pour le bien-
être et la créativité des enfants. Docteure MacNamara est très à l’écoute des besoins des
enfants et des meilleures pratiques parentales. Lire, réfléchir, partager. »
— Raffi Cavoukian, C.M., auteur, interprète
et fondateur du Centre for Child Honouring

« En basant son approche sur la théorie de l’attachement et le travail révolutionnaire du


docteur Gordon Neufeld, Deborah MacNamara a écrit l’abc essentiel de la façon d’être
parent, en donnant un sens au monde intérieur des enfants. Ce livre, c’est la science
développementale traduite vers l’art de l’amour parental. »
— Gabor Maté, M.D., coauteur de Hold On to Your Kids

« C’est une lecture incontournable pour tout parent d’un enfant de bas âge. Docteure
MacNamara montre clairement les étapes de développement des enfants d’âge préscolaire
afin que les parents comprennent mieux l’état émotionnel de l’enfant. C’est dans cette
optique que l’éducation parentale devient plus simple. Lisez ceci et vous serez vraiment le
meilleur atout de votre enfant. »
— Kristy Pillinger, rédactrice en chef de Nurture Parenting Magazine

« Lire Jouer, grandir, s’épanouir m’a fait pleurer, car ce livre m’a reconfirmé mon intuition en
tant que parent. Docteure MacNamara traduit le langage et la maturité d’un enfant dans un
cadre compréhensible, qui vous apportera, en le lisant, ce moment d’éveil. De plus, elle
vous encadre avec des pratiques afin de gérer les émotions intenses des enfants. Jouer,
grandir, s’épanouir fusionne une science fondée, des témoignages authentiques, de
l’humour, ainsi que des stratégies judicieuses. Deborah a traduit le monde merveilleux et
chaotique d’un enfant d’âge préscolaire. S’il n’y a qu’un seul livre que vous devriez lire en
tant que parent, c’est celui-là. »
— Traci Costa, présidente-directrice générale de Peekaboo Beans

« En tant que pédiatre, je passe la majeure partie de ma journée à écouter les


préoccupations des parents au sujet des imperfections de leurs tout-petits. “Comment puis-
je faire en sorte que mon enfant mange plus, dorme mieux, se comporte plus
raisonnablement, fasse l’apprentissage de la propreté plus rapidement et soit brillant, mais
pas plus brillant que moi ?” Je pense alors à ma chère amie, docteure MacNamara, et je
me demande : “Comment répondrait-elle à cette question ?” Je suis ravi qu’elle ait mis ces
réponses dans ce livre merveilleux, plein de sagesse développementale et de conseils
pratiques sur la vie quotidienne des bambins en plein processus de maturité et de leurs
parents en évolution. Il s’agit d’une feuille de route pour mieux comprendre cet âge
étonnant dans toutes ses imperfections glorieuses. »
— Keyvan Hadad, M.D., directeur médical, Intermediate Nursery, BC Women’s Hospital ;
professeur clinicien associé, University of British Columbia

« Jouer, grandir, s’épanouir se veut un message rafraîchissant qui souligne l’importance de


ralentir et de permettre aux enfants de mûrir à leur propre rythme, sans les entraves des
attentes de la société. Avec compréhension et sensibilité, docteure MacNamara guide les
parents à faire confiance à leur intuition pour fournir les conditions optimales à la croissance
des enfants, plutôt que d’offrir des outils pour changer leurs comportements. Après avoir lu
le livre de Deborah MacNamara, embrasser l’immaturité d’un enfant n’a jamais été aussi
satisfaisant et libérateur. »
— Lori Petro, fondatrice de TEACH through Love

« Le livre magnifiquement écrit de docteure MacNamara favorise l’ouverture d’esprit du


lecteur, en lui procurant une perception différente de l’enfant, ce qui élargit et approfondit sa
compréhension. En apportant de l’envergure aux mots et aux modèles de Gordon Neufeld,
elle incite le lecteur à mettre en pratique une théorie aussi fondamentale auprès de sa
famille. Docteure MacNamara est une auteure talentueuse qui introduit les notions
théoriques aux moments pertinents de sa vie et de sa carrière en tant que chercheuse,
enseignante, conseillère et, évidemment, de parent. »
— Genevieve Simperingham, cofondatrice de l’Institut Peaceful Parent

« Enfin, un livre pour les parents de jeunes enfants qui unit la recherche neuroscientifique à
l’attachement et qui est extrêmement utile ! Je suis certain que Jouer, grandir, s’épanouir
sera un guide pour les parents perplexes et épuisés, qui reçoivent des messages mitigés
de la part des professionnels et de la culture en général, sur la façon d’élever leurs enfants.
Docteure MacNamara démontre que nous avions toujours eu les réponses et les solutions
à notre portée. Ainsi, en tant que parents, nous sommes effectivement les experts au
niveau relationnel en ce qui concerne nos enfants. Je vous assure que Jouer, grandir,
s’épanouir sera l’assise du rôle parental. À la fin de cet ouvrage, vous naviguerez sur le
trajet parental avec une plus grande habileté, confiance et joie ! »
— Sil Reynolds, coauteure de Mothering & Daughtering :
Keeping Your Bond Strong through the Teen Years
Les Éditions au Carré inc.
2100, boul. De Maisonneuve Est, bureau 002
Montréal (Québec) Canada H2K 4S1
Téléphone : 514 316-5450
editeur@editionsaucarre.com
www.editionsaucarre.com

Photo de la couverture : Acik, iStockphoto.com


Conception de la couverture : Gabrielle Tremblay, d’après le concept original de Nayeli Jimenez
Graphisme de la couverture : Ediscript enr.
Photo de l’auteure : Tracy Giesz-Ramsay
Images de l’intérieur : Courtoisie de Gordon Neufeld
Traduction : Lucie Ricard (Ricard Communications)
Adaptation de la traduction : Catherine Korah
Révision linguistique : Marie-Eve Laroche
Correction d’épreuves : Gabrielle Tremblay
Mise en pages : Édiscript enr.
Adaptation numérique : Studio C1C4

L’édition originale de ce livre a été publiée en 2016 par Aona Books (Vancouver, Canada), sous le titre Rest, Play,
Grow.

Nous reconnaissons l’appui financier du gouvernement du Canada.

Les Éditions au Carré désirent remercier tout spécialement la Société de développement des entreprises culturelles
(SODEC) et le Fonds du livre du Canada (FLC) pour leur appui.
Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC

Toute reproduction intégrale ou partielle de cet ouvrage par quelque procédé que ce soit, et notamment par
numérisation, photocopie ou microfilm, est strictement interdite sans une autorisation écrite par l’auteur.

© Les Éditions au Carré inc., 2017

Dépôt légal : 4e trimestre 2017


Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN 978-2-923335-83-4 (version papier)
ISBN 978-2-923335-84-1 (version numérique)
Pour Chris, Hannah et Madeline
« S’il vous plaît, ne pas tourmenter, harceler, inquiéter,
bousculer, chahuter, persécuter, torturer, agacer, intimider,
vexer, irriter, menacer, blesser ou tromper les jeunes enfants. »
(Adapté des lignes directrices pour le traitement éthique
des animaux du Zoo de San Diego.)
Préface

U NE RENCONTRE avec docteure MacNamara n’est pas quelque


chose qu’on oublie facilement. Elle est une véritable dynamo
d’énergie, d’intelligence et d’esprit, saisissant pratiquement toutes
les opportunités avec grand enthousiasme, un peu comme une
tempête, bien que ce soit la tempête la plus calme que vous puissiez
imaginer.
Cette tempête a très certainement un profond effet, bien qu’elle
soit souvent l’image même de la sérénité. J’ai toujours trouvé que
c’était, chez elle, une réalisation remarquable, dont je suis certain
que ses enfants bénéficient largement.
Notre relation a débuté en tant qu’étudiante et enseignant.
Deborah avait rapidement saisi la théorie développementale et avait
réalisé les implications d’une approche parentale basée sur
l’attachement. Aussitôt qu’elle eut compris le pouvoir de ces
perspectives, elle a insisté pour qu’elles soient largement partagées,
et je suis ravi qu’elle ait choisi de prendre ce rôle.
La maîtrise de Deborah concernant l’attachement et la théorie du
développement a été impressionnante. Mais ce qui m’a le plus
impressionné au début de notre relation était son enracinement, sa
connexion avec le matériel dont il était question. Elle semblait avoir
un sens intuitif de la transition de la théorie à la pratique. Tout en
gardant en tête la vue d’ensemble, elle a été capable d’apposer le
matériel à la plus concrète des applications. Tandis que j’étais
encore dans ma tête, elle s’est déplacée vers une multitude
d’applications pratiques. Pourtant, elle ne s’est pas perdue dans les
détails ni ne s’est égarée dans le dédale.
Nos rôles se sont quelque peu inversés depuis ces premiers
jours. La plupart du temps, c’est elle qui prend la tête, décortiquant
la littérature scientifique pour du matériel pertinent et des recherches
de pointe, dirigeant mon regard quand elle croise quelque chose
qu’elle pense que je devrais lire. Deborah sait ce qui est actuel dans
la science développementale et comprend sa responsabilité ultime
envers la poursuite scientifique de la vérité. Un esprit critique et une
inclinaison scientifique sont des outils essentiels lorsqu’on tente de
comprendre les choses, en particulier les phénomènes complexes
tels que l’attachement et l’immaturité.
J’apprécie aussi la théoricienne en Deborah. J’ai posé certains
des fondements de l’approche développementale basée sur
l’attachement, mais elle a démontré sa brillante créativité en
construisant sur ce matériel, en avançant, ouvrant quelques portes
avant moi. Être parent d’un enfant d’âge préscolaire n’est pas une
tâche facile. Comment garder l’attachement à l’esprit, créer un
sentiment de sécurité, maintenir votre position alpha tout en
fournissant un apaisement et en sachant quand tirer la ligne et
inviter les larmes – tout cela dans la même danse ? Beaucoup de
parents dévoués, même lorsqu’équipés de connaissances, errent
trop dans une direction ou l’autre. Certains parents deviennent plutôt
indulgents et perdent leur avance, engendrant des enfants anxieux
de type alpha qui ont besoin d’être en contrôle. Ces parents savent
prendre soin, mais ne peuvent pas tracer les limites séparant les
choses que l’on peut changer de celles que l’on devra accepter,
limites qui sont absolument nécessaires pour qu’un développement
sain se produise. D’autres parents peuvent prendre l’initiative plutôt
bien, en assumant leur rôle d’agents d’adaptation, mais ont de la
difficulté à communiquer leur amour lorsqu’ils se sentent frustrés.
Deborah a trouvé sa voie et c’est, à mon avis, sa qualification la
plus significative pour écrire au sujet des jeunes enfants. Maîtriser la
théorie n’est pas suffisant quand il s’agit d’enseigner aux autres. On
se doit d’avoir incorporé ces connaissances dans le genre de danse
qui permet à la nature de parvenir à ses merveilleuses fins avec nos
enfants.
Deux thèmes imprègnent ce livre. Le premier est l’importance de
la relation – la bonne relation – pour amener les enfants à leur plein
potentiel en tant qu’êtres humains. Nous ne devons jamais oublier
que c’est la relation de l’enfant avec le parent ou l’enseignant qui est
le contexte naturel pour élever cet enfant. Quand la relation connaît
des problèmes, comme la résistance à la proximité ou quand l’enfant
prend les rênes, rien ne pourra très bien fonctionner. Dans le passé,
la culture protégeait les relations à travers des rituels et des
coutumes. Cela, malheureusement, n’est plus le cas, d’où le besoin
de prendre conscience du facteur relationnel. Il s’avère que la
période d’âge préscolaire est absolument essentielle pour le
développement de la capacité de relation. Rien ne pourrait être plus
important que ce facteur dans le développement. Nous devons
toujours garder l’attachement à l’esprit.
Le second thème est l’immaturité. On pourrait croire que le fait
que les enfants d’âge préscolaire soient immatures représente une
évidence. Au contraire, l’immaturité est une des notions les plus
négligées et mal comprises aujourd’hui. Ce que Piaget a découvert –
que l’immaturité rend l’enfant d’âge préscolaire une créature
fondamentalement différente – n’a jamais frappé notre conscience,
du moins pas assez pour faire une différence dans notre danse. Si
nous avions vraiment compris l’immaturité, nous ne nous buterions
pas sans cesse sur nos enfants d’âge préscolaire. Si nous avions
vraiment compris l’immaturité, nous ne penserions pas qu’il s’agit
d’un défaut nécessitant une correction. Si nous avions vraiment
compris l’immaturité, nous ne punirions pas un enfant pour être
immature. Il s’avère qu’il y a une très bonne raison à l’immaturité :
cela fait partie du plan développemental.
Le problème humain fondamental, c’est que nous ne grandissons
pas tous en vieillissant. Ce blocage commence souvent à l’enfance.
Les enfants d’âge préscolaire ont certainement droit à leur
immaturité ; le problème se présente lorsqu’on agit encore comme
un enfant d’âge préscolaire quand on n’a plus du tout cet âge. Plus
on comprend l’immaturité préscolaire – ce qui manque et pourquoi –
plus on est en mesure d’apprécier les conditions qui conduisent à la
vraie maturation, moins on se bute à nos enfants d’âge préscolaire
et plus on est capable d’avoir une relation avec notre propre
immaturité. L’immaturité, c’est l’immaturité, peu importe l’âge qu’on
a.
Cela peut sembler plutôt ironique, mais je crois que les parents
d’aujourd’hui se mettent beaucoup trop de pression quant à la
manière d’élever leurs enfants. On oublie que la maturation est
arrivée bien avant qu’il y ait des livres sur le sujet, bien avant qu’il y
ait des enseignants, bien avant que nous ayons des soupçons à
savoir comment la maturation se produit, bien avant qu’il y ait des
écoles, bien avant qu’il y ait la thérapie. La bonne nouvelle, c’est que
si un parent comprend vraiment le message de ce livre,
l’appréciation du processus développemental saura le mettre à
l’aise. Nous n’avons pas à aller à contre-courant, ce que la plupart
d’entre nous sont tentés de faire. Si l’on sait ce dont la nature a
besoin pour faire son travail et que l’on peut fournir ces conditions,
on peut se permettre de relaxer un peu et d’ensuite célébrer le fruit
spontané qui en résultera.
J’étais tellement heureux quand Deborah m’a annoncé, il y a
quelques années maintenant, ses intentions d’écrire un livre sur la
connaissance de l’enfant d’âge préscolaire. Ses deux fillettes lui
avaient fourni un trésor d’illustrations et d’anecdotes. Mais comment
trouver l’espace et le temps de faire cela ? Son talent en tant que
présentatrice l’avait rendue très populaire comme conférencière lors
de congrès et d’ateliers de perfectionnement professionnel. Son
dévouement en tant que parent signifiait qu’elle n’était pas préparée
à se compromettre dans cette arène. Ce livre est un hommage non
seulement à son talent, mais aussi à sa forte conviction que les
idées sur le rapport entre la relation et le développement doivent
rejoindre ceux qui sont responsables de l’éducation de nos jeunes.
Dans une tentative de créer l’espace pour cela, elle avait déjà quitté
son emploi à l’université. Elle a également réduit le temps consacré
à sa pratique privée. Sans son incroyable motivation et les sacrifices
correspondants qu’elle était disposée à faire, ce livre ne se serait
jamais matérialisé. Deborah est merveilleusement positionnée pour
raconter cette histoire, vous emmenant de la théorie à la pratique.
Vous ne pourriez pas être en de meilleures mains.

Dr GORDON NEUFELD
Introduction

Pourquoi « comprendre » est si important

Afin de comprendre comment un enfant se développe, on doit le regarder jouer ; l’étudier


sous différentes humeurs. On ne peut pas projeter sur lui nos propres préjugés, nos
propres espoirs, ni nos propres peurs, de même qu’on ne peut pas modeler l’enfant pour
qu’il corresponde à nos souhaits. Si l’on juge sans cesse l’enfant en fonction de nos goûts
personnels, il se créera forcément des obstacles et des entraves dans notre relation avec
lui tout autant que dans ses relations avec le monde.
JIDDU KRISHNAMURTI1

I L Y A PLUSIEURS ANNÉES, j’étais invitée à prendre la parole devant un


groupe de nouveaux parents au sujet des jeunes enfants et de
l’attachement. La salle du centre communautaire était remplie à
craquer avec des mères allaitant leurs bébés ou les berçant pour les
endormir ou encore changeant leur couche. Sièges d’auto,
poussettes et sacs à couches s’empilaient les uns sur les autres,
tous avec des couvertures qui s’en échappaient. La coordonnatrice
du groupe de soutien hebdomadaire, Meredith, a invité les parents à
prendre place sur les chaises aménagées en cercle. Elle commença
la session en leur souhaitant chaleureusement la bienvenue et en
s’informant auprès de chacun à savoir comment le quotidien se
déroulait avec bébé. Certains parents répondirent qu’ils
commençaient à sortir de la maison, quelques-uns dirent qu’ils
arrivaient maintenant à prendre une douche et d’autres partagèrent
que l’allaitement se passait de mieux en mieux. Une mère à l’air
fatigué prit la parole et dit : « Mon bébé pleure chaque fois que je la
dépose. Je l’allaite jusqu’à ce qu’elle s’endorme, mais aussitôt que je
la dépose dans sa couchette, elle se réveille. Je suis épuisée. » Il y
eut des soupirs et des signes d’acquiescement pendant que
Meredith répondait : « Oui, c’est difficile. Tout ce que vous voulez,
c’est un peu de repos, mais c’est comme si elle avait toujours besoin
de vous. » Encore plus de hochements de tête se manifestèrent
tandis que Meredith prit une pause avant de poursuivre : « J’imagine
que c’est difficile aussi pour votre bébé. Elle passe de la chaleur et
de la sécurité d’être en vous 24 heures sur 24 où elle était rassurée
par les battements de votre cœur, à ne plus jamais être capable de
ressentir à nouveau cette proximité rassurante. » Pendant un
instant, la pièce devint silencieuse et je me suis rappelé mes
premiers jours en tant que mère. Je me suis mise à fortement
ressentir la fatigue, l’épuisement et l’appréhension des parents
présents.
Puis, Meredith me souhaita officiellement la bienvenue au sein
du groupe et me présenta comme quelqu’un qu’elle avait convié
spécialement pour aborder le sujet de l’attachement. Elle attira
l’attention des mères sur l’importance de la relation humaine et
expliqua que ce processus d’attachement était déjà en cours entre
elles et leurs bébés. Elle m’avait déjà avertie qu’en raison de leur
capacité d’attention limitée, je n’aurais que 15 minutes pour
transmettre mon message. Je regardai les visages tirés et distraits
des mères pendant que j’expliquais à quoi ressemble un bon lien
d’attachement et de quelle façon il est utile au développement de
l’enfant. Les mères étaient pensives et attentives, essayant
d’absorber ce qu’elles pouvaient tout en étant concentrées sur les
besoins de leurs bébés.
Après 15 minutes, j’arrêtai et je demandai s’il y avait des
questions. Une mère avec un bébé collé tout contre elle me regarda
et demanda : « Que devrais-je faire pour le discipliner ? » Je fus
étonnée – qu’est-ce que son bébé avait bien pu faire pour devoir
être discipliné ? J’imagine que mon visage avait trahi ma surprise
parce qu’elle ajouta rapidement : « Ce que je voulais dire, c’est
comment devrai-je le discipliner quand il sera plus vieux ? » En
vérité, sa question n’était pas différente de plusieurs interrogations
que j’avais moi-même eues en tant que nouvelle maman, ou que
celles que j’entendais régulièrement de la part de nouveaux parents.
Les questions commencent généralement toutes de la même façon :
« Qu’est-ce que je devrais faire quand mon enfant fait ________ ? »,
« Qu’est-ce que je devrais faire quand mon enfant n’écoute pas ? »,
« Qu’est-ce que je devrais faire quand mon enfant ne veut pas aller
dormir ? », « Qu’est-ce que je devrais faire quand il frappe son frère
ou sa sœur ? » Pourtant, comme je contemplais cette pièce pleine
de vies nouvelles, j’ai été déstabilisée par la question. Il y avait une
question plus importante que je souhaitais me faire poser. Je voulais
que cette mère me questionne au sujet des secrets qui permettent la
croissance en déverrouillant le potentiel humain. Je souhaitais
partager avec elle les merveilles du développement et le rôle qu’elle
pouvait y jouer, devait y jouer. On ne pouvait répondre à sa question
au sujet de la discipline qu’en étant conscient du jeune âge auquel
l’enfant se développe et s’épanouit. J’aurais voulu prendre du recul
et me concentrer sur ce qu’elle pourrait faire pour créer les
conditions propices à un sain développement plutôt que de me
concentrer sur les gestes disciplinaires à poser. Je voulais insister
sur la maturité comme ultime réponse à l’immaturité et lui dire à quel
point être parent est synonyme de patience, de temps et de bons
soins.
Le message que je voulais transmettre n’en est pas un, de façon
générale, que les nouveaux parents cherchent à entendre. Je
voulais leur révéler que le secret pour élever un enfant, ce n’est pas
d’avoir toutes les réponses, mais bien plutôt d’être la réponse de
l’enfant. J’aurais voulu partager avec ces mères que le fait d’être
parent n’est pas une notion que vous pouvez acquérir dans des
livres, bien que les livres peuvent aider lorsque vous essayez de
trouver du sens au comportement d’un enfant. Je voulais leur
exprimer que d’être parent n’est pas non plus quelque chose que
vous apprenez de vos propres parents, même si les bons parents
sont de merveilleux modèles. J’aurais souhaité leur rappeler que
prendre soin d’un enfant n’a ni genre, ni âge, ni ethnicité. Les
assurer du fait que leur sens des responsabilités, l’impression de
culpabilité, leur sens du danger et leur façon de prendre soin du
bébé sont les fondements instinctifs et émotionnels liés au fait de
devenir le parent dont leur enfant a besoin. Je voulais vraiment leur
expliquer que tout enfant a besoin d’un endroit où se reposer, pour
qu’il puisse jouer et grandir. Cela ne nécessite pas qu’un parent soit
parfait ou sache quoi faire en tout temps. Ce que cela nécessite,
c’est le désir d’être, en tout temps et en toute chose, le meilleur atout
de leur enfant et de travailler à créer les conditions optimales pour
abriter leur développement.

Devenir le meilleur atout d’un enfant

LES JEUNES ENFANTS sont parmi les personnes qui reçoivent le plus
d’amour et d’affection de la part de ceux qui les entourent, mais ils
sont également les personnes les plus incomprises. Leurs
personnalités uniques peuvent représenter un sérieux défi pour les
adultes, puisque les enfants défient généralement la logique et le
gros bon sens. Ils peuvent se montrer effrontés, intraitables et
provocateurs un moment pour devenir de vrais anges adorables,
charmants, qui nous font fondre le cœur avec leurs rires contagieux
le moment d’après ! Cette nature imprévisible des jeunes enfants
explique pourquoi les parents souhaitent si ardemment connaître les
techniques et les outils qui permettent de traiter avec leur
comportement immature. Le hic, c’est que des directives, même
précises, n’aident en rien à trouver du sens au comportement d’un
enfant.
Devenir le meilleur atout d’un enfant requiert une compréhension
exhaustive de qui il est. Cela requiert du discernement et non pas
des qualifications. Cela concerne ce que l’on voit lorsqu’on regarde
notre enfant plutôt que ce que l’on fait. C’est être capable de voir le
développement dans son ensemble au lieu de se perdre dans les
détails du quotidien. Autrement dit, tout est question de perspective.
Si l’on voit un enfant en détresse, on peut chercher à le consoler, à
le réconforter, mais si l’on perçoit un jeune enfant comme étant
manipulateur, on peut choisir de s’éloigner. Si l’on a affaire à un
jeune enfant provocateur, on peut vouloir lui donner une punition,
mais en comprenant que les enfants résistent instinctivement, on
peut chercher une façon différente de régler l’impasse. Quand on
considère un jeune enfant comme étant trop émotif, on peut essayer
de le calmer, cependant si l’on comprend qu’il ressent le besoin
d’exprimer de fortes émotions, on peut l’aider à apprendre un
langage affectif, venu du cœur. Et si l’on voit un enfant ayant de la
difficulté à se concentrer comme étant atteint de troubles de
l’apprentissage, on peut choisir de le médicamenter, par contre, si on
le perçoit comme étant immature, on peut lui donner un peu de
temps pour grandir.
Lorsqu’on comprend un enfant – quand on commence à
comprendre les raisons développementales de ses actions – son
agressivité nous semble moins dirigée vers nous, son opposition
nous semble moins provocante et notre focus peut être mis sur la
création de conditions qui encadreront son développement, sa
croissance. Il est difficile de faire progresser un comportement
quand on n’en comprend pas la cause ou quand on laisse nos
propres émotions embrouiller la vue d’ensemble. Charlie, le père de
deux jeunes enfants a dit : « J’étais la personne la plus décontractée
de mon entourage. Demandez à n’importe lequel de mes amis et il
vous dira que de nous tous, j’étais la personne la plus calme et la
plus facile à vivre. Maintenant que j’ai des enfants, je pense que j’ai
un problème de gestion de la colère. » De la même façon,
Samantha, mère de deux jeunes garçons, a écrit : « J’en suis venue
à la conclusion que mes enfants n’essaient pas d’user le dernier de
mes nerfs et c’est à partir de ce moment que j’ai recommencé à
vraiment apprécier leur compagnie et leur présence. » La conclusion
à en tirer, c’est que la façon dont on réagit par rapport aux jeunes
enfants est basée sur ce que l’on voit, ce qui, ultimement, dicte nos
actes. Mais plus important encore, nos actes informent notre enfant
du genre de soins et d’encadrement qu’on lui offrira.
Les jeunes enfants sont le portrait de l’immaturité qui met en
lumière l’origine primitive de notre évolution. Et bien qu’on soit
parfois un témoin horrifié de leur immaturité, il est également
possible qu’on soit béat et émerveillé devant la façon avec laquelle
la vie humaine se renouvelle devant nos yeux. Le secret pour
débloquer les anciens modèles de développement humain réside
dans qui on est pour nos jeunes enfants et non pas dans ce qu’on
leur fait. C’est en nos enfants que réside la promesse d’un futur
mature pour lequel on joue un rôle d’entremetteur – et c’est pour
cela qu’il est si important de comprendre nos enfants.

L’approche Neufeld

JOUER, GRANDIR, S’ÉPANOUIR est fondé sur l’approche


développementale intégrée basée sur l’attachement qui permet de
comprendre les enfants, créée par Gordon Neufeld. De renommée
internationale, Neufeld est un psychologue spécialiste du
développement humain des plus respectés dont l’œuvre a été la
création d’un modèle théorique de développement humain logique,
cohérent et exhaustif. Neufeld a réuni les pièces du casse-tête du
développement grâce à plus de 40 ans de recherches et de pratique.
Il a tiré son modèle théorique de plusieurs disciplines incluant la
neuroscience, la psychologie développementale, la psychologie des
profondeurs, la science de l’attachement et la tradition culturelle. Ce
modèle fournit la feuille de route pour comprendre à quel point la
maturité humaine se déploie depuis la naissance jusqu’à l’âge
adulte, et explique également l’échec de la maturité psychologique.
Les stratégies d’intervention auprès des enfants ne sont ni
étrangères au développement humain naturel ou aux relations
humaines ni déconnectées de ceux-ci. Au cœur de l’approche
Neufeld se trouve la tâche développementale primaire de bien
comprendre les conditions nécessaires à la pleine réalisation du
potentiel humain. L’objectif est de remettre les adultes en contrôle en
comprenant les enfants dans leur entièreté. Autrement dit, le
meilleur atout d’un enfant est un parent spécialiste de cet enfant.
Mon implication avec Gordon Neufeld a commencé il y a plus de
10 ans, résultant des nombreux chapeaux que je portais :
chercheuse, professeure, conseillère et, mon rôle le plus important,
parent. Après des décennies passées à étudier le développement
humain, à enseigner à des étudiants et à conseiller des clients, j’ai
découvert ses travaux lors d’une présentation sur l’adolescence. Dès
la première heure, j’étais captivée par la façon dont il donnait du
sens à ma propre adolescence et dont il expliquait le comportement
d’innombrables étudiants à qui j’ai enseigné ou que j’ai conseillés.
Ses travaux ont métamorphosé ma compréhension du
développement humain, particulièrement en ce qui a trait à la
vulnérabilité, à l’attachement et à la maturation. J’ai réalisé que mon
focus était devenu trop étroit, comme si je considérais le
comportement sans comprendre la croissance de l’être. Je travaillais
auprès de gens ayant reçu un diagnostic de trouble alors que je ne
comprenais pas entièrement la vulnérabilité humaine. Je proposais
des traitements et offrais des conseils pour des problèmes qu’il
m’aurait fallu comprendre à la base. J’étais, sans le savoir, perdue
dans les résultats de recherche et de pratique, sans avoir la capacité
d’introspection et sans pouvoir assortir les pièces du casse-tête les
unes avec les autres. Écouter la présentation de Gordon Neufeld
m’a ramenée au bon sens, et j’ai remis la vision globale et la
compréhension au premier plan.
C’est peu de temps après que je me suis sérieusement plongée
dans l’étude de la maturation humaine, de l’attachement et de la
vulnérabilité via l’Institut Neufeld. Deux ans plus tard, je me
retrouvais, un superbe soir de printemps, assise face à Gordon sur
sa terrasse alors qu’il menait mon entrevue pour l’attribution d’un
stage postdoctoral auprès de lui. Avant notre rencontre, je lui avais
demandé si je devais préparer quelque chose en vue de l’entrevue
et il m’avait répondu : « Non, ce dont j’ai besoin est déjà en toi.
Rends-toi simplement ici. » Ce soir-là, ses questions étaient
décevantes de simplicité, mais cherchaient à comprendre pourquoi
j’aspirais à étudier avec lui. Je lui ai répondu que la théorie qu’il avait
développée m’avait permis de mettre la condition humaine en avant-
plan ; que ça avait fait de moi une conseillère plus efficace à
atteindre la racine des problématiques tout en tissant des liens
relationnels avec mes étudiants ; et que ça avait aussi transformé
mes capacités parentales. Je lui ai partagé que ma mission serait de
m’assurer que son paradigme ne tombe jamais dans l’oubli et que je
souhaitais aider les parents et les professionnels à vraiment
comprendre les enfants. Il avait, de toute évidence, apprécié ma
réponse puisque je suis encore ici, 10 ans plus tard, à écrire à
propos de tout ce que j’ai appris.
Les notions théoriques et les images utilisées dans ce livre le
sont avec l’autorisation de Gordon Neufeld et sont issues du matériel
de classe créé par lui. Ce matériel provient de plus de 14 différentes
classes offertes par l’Institut Neufeld, totalisant plus de 100 heures
d’enseignement. Je lui suis reconnaissante de m’autoriser si
généreusement à utiliser son matériel et à poursuivre son travail de
pionnier en tant que théoricien et professeur. Pour de plus amples
informations au sujet de l’Institut Neufeld et ses cours, référez-vous
à la section du livre « À propos de l’Institut Neufeld ».
Bien que Jouer, grandir, s’épanouir soit basé sur la théorie de
Neufeld, il est également teinté de mes propres expériences, tant
comme parent que comme professionnelle. C’est le livre que j’aurais
souhaité avoir alors que mes enfants étaient plus jeunes et celui que
je souhaite leur offrir quand ils seront eux-mêmes parents. Il est
basé sur des histoires au sujet de jeunes enfants qui m’ont été
partagées par des parents, des enseignants, des éducateurs à la
petite enfance, des enseignants et éducateurs de l’Institut Neufeld et
des professionnels de la santé, en plus d’être basé sur mes propres
expériences en tant que mère. J’ai toujours eu, en tant que
chercheuse et auteure, une approche qualitative, donnant vie à un
phénomène avec de nombreux exemples variés de façon à en
augmenter le savoir et la compréhension. Dans cette optique, je
partage ici le matériel au sujet des jeunes enfants, afin de le rendre
pertinent pour les adultes, de faciliter l’appropriation du savoir et
d’aider à comprendre, vraiment, qui est l’enfant devant nous. Toutes
les informations permettant l’identification d’un sujet ont été
modifiées, rendant toute ressemblance avec une personne réelle
purement fortuite. La seule exception est l’histoire de Gail au
chapitre 3. Gail était, à l’Institut Neufeld, un membre de la faculté fort
apprécié qui adorait enseigner à propos du jeu et des jeunes
enfants.
Qu’est-ce que signifie se reposer, jouer et grandira ?

LE REPOS, LE JEU ET LA CROISSANCE représentent la carte routière du


modèle développemental pour nous aider à mieux comprendre
comment les enfants atteignent leur plein potentiel humain. Ce
potentiel n’a rien à voir avec des succès académiques, un statut
social, un bon comportement ni un talent ou un don spécifiques. La
carte routière indique comment mener un enfant à la maturation, à
devenir un citoyen responsable et à contempler le monde qui
l’entoure via de nombreuses perspectives. C’est comme un plan
pour mener un enfant vers un être distinct, indépendant, qui prend
ses responsabilités pour mener sa vie et pour faire des choix. C’est
une feuille de route pour déployer le potentiel d’un enfant afin qu’il
devienne un être adaptatif, qui a la capacité de surmonter
l’adversité, de persister face aux obstacles et de devenir résilient.
C’est une carte routière vers le potentiel d’un enfant en tant qu’être
social qui partage ses pensées, ses sentiments et ses émotions de
façon responsable ; qui développe le contrôle de son impulsivité, sa
patience et sa considération ; et qui prend en compte l’impact, sur
les autres, de qui il est. C’est un guide pour que les parents, les
enseignants, les professionnels de la petite enfance, les grands-
parents, les oncles et les tantes – tout adulte qui joue un rôle
significatif – le fasse de façon à ce qu’un enfant se développe
comme une personne à part entière. Cette carte routière démontre
de quelle façon les adultes doivent TRAVAILLER pour que les
enfants puissent se REPOSER et donc ainsi JOUER et GRANDIR.
Jouer, grandir, s’épanouir vise à offrir une connaissance et une
compréhension approfondies du jeune enfant tout en soulignant de
quelle façon les adultes peuvent créer les conditions favorables à un
développement sain. Et bien que chaque chapitre ait un objectif
différent, ensemble ils mettent le jeune enfant au premier plan et
révèlent à quel point la croissance est la réponse ultime à son
immaturité sous-jacente. Jouer, grandir, s’épanouir traite de
l’importance critique du jeu dans le développement de l’enfant, de la
façon dont l’attachement fournit le contexte pour abriter, calmer et
élever un enfant, d’à quel point les émotions sont le moteur qui
propulse la croissance, et de comment traiter les problématiques
telles que les larmes, les crises, l’anxiété, la séparation, la
résistance, la défiance et, bien sûr, la discipline. Le chapitre final
démontre de quelle façon les parents grandissent en élevant un
enfant ; j’ose espérer que cela apaisera les préoccupations par
rapport au fait qu’il faille être pleinement mature avant de devenir
parent.
Bien que des stratégies soient proposées pour aider les parents
à trouver leur propre voie basée sur leurs perceptions individuelles,
ce livre n’est pas un recueil de trucs, conseils, instructions, directives
ou mantras. Ce livre confirme les intuitions parentales et le gros bon
sens et réconforte le parent en lui démontrant qu’il n’est pas le seul à
être déconcerté par son jeune enfant. Ce livre apporte de la clarté là
où règne la confusion, de la perspective face à la frustration et de la
patience générée par le fait de savoir qu’il existe bel et bien un plan
développemental naturel, inné, pour élever un enfant. C’est un livre
qui dit de prendre soin des jeunes enfants comme ils sont –
égoïstes, impulsifs, irréfléchis, charmants, adorables, curieux,
joyeux. C’est un livre qui veut faire réaliser aux parents que
l’immaturité des enfants n’est pas une erreur, mais bien plutôt le
modeste commencement où nous débutons tous. Jouer, grandir,
s’épanouir, c’est utiliser notre perception pour comprendre un enfant,
c’est faire confiance à ce que vous percevez et avoir la foi que ce
que vous avez en vous est ce qu’il faut pour prendre soin de lui. Et
bien que ce livre se veuille un guide, une carte routière pour les
parents qui souhaitent devenir le meilleur atout de leur enfant, il est
aussi ce que chaque jeune enfant aimerait que ses parents
comprennent à son sujet.
1

Comment les adultes


élèvent les jeunes enfants

La compréhension est l’autre nom de l’amour. Si vous ne comprenez pas, vous ne pouvez
pas aimer.
THÍCH NHẤT HẠNH1

L E MEILLEUR ENDROIT pour être témoin de la petite enfance, c’est le


terrain de jeux. Les jeunes enfants y éclatent de vie, les petites
jambes courant à toute vitesse, les bras dans les airs, les petits
corps descendant gauchement dans les glissoires. Les petits
scientifiques en herbe sont laissés à eux-mêmes pendant qu’ils
explorent les flaques d’eau et de boue et observent les vers de terre
et autres insectes. Leurs vêtements sont le reflet de leur énergie
intérieure : couleurs vives et motifs qui prennent vie au rythme de
leurs déplacements. Certains parlent une langue différente, une
langue faite de mots perdus et de consonnes oubliées ou modifiées,
allant de « rallons al glissade » à « j’vourrais ketchose à manger ». Il
est impossible de ne pas sourire en regardant aller les tout-petits,
déplaçant leurs corps tout ronds sur leurs courtes jambes en
vacillant, tandis qu’ils font l’apprentissage de la gravité. Les beaux
jours, le terrain de jeux bourdonne d’activité et de vie, envoyant des
ondes d’énergie dans le voisinage. Il y a des collations en
abondance, attentivement surveillées par les corneilles haut
perchées qui n’attendent que ce que les petites mains laisseront
tomber. Les adultes partagent des trucs pour venir à bout des petits
mangeurs difficiles ou de ceux qui ne veulent pas dormir, discutent
d’équilibre travail-famille et de stratégies pour venir à bout des crises
de colère de leurs rejetons. On perçoit le désir ardent des adultes de
comprendre leurs jeunes enfants et de partager une connexion avec
d’autres gens matures.
Tout à coup, le cri perçant d’un enfant transperce l’air ; il proteste
contre la volonté de ses parents de quitter le terrain de jeux :
« Noonnononnn… j’veux pas partiiiiiir ! » Les adultes échangent de
sympathiques regards de compréhension tout en se réjouissant
intérieurement du fait que ce n’est pas leur enfant à eux qui fait cette
crise. Un enfant s’élance, sans intérêt pour les recommandations de
ses parents, pendant qu’un autre assure avec défiance : « Chu
capable ! » Deux garçons se querellent pour un seau, arguant tous
deux à grands coups de « C’est le mien ! » et de « Je le veux ! ».
Soudain, une petite voix désespérée s’écrie : « Il faut que j’aille faire
caca », activant du même coup les réflexes de l’adulte qui l’a sous
ses bons soins. Un parent aux traits tirés s’élance pour aider un
bambin qui a trébuché et qui crie sa frustration.
Ici, dans ce monde clôturé rempli d’installations de jeu rouges,
jaunes et bleues, se trouve un instantané des splendeurs, merveilles
et défis liés à l’éducation des jeunes enfants. Il y a, dans ces petits
corps, un immense potentiel de croissance et la promesse d’un futur
mature. Le fossé entre leur immaturité et leur future maturation
semble gigantesque. Ils sont des petits humains effrontés, impulsifs,
curieux et égocentriques. Les jeunes enfants ne pensent pas de la
même façon que nous, ni ne parlent comme nous ou n’agissent
comme nous, mais nous avons le devoir de prendre soin d’eux.

Le merveilleux monde du développement

ENFANT, je m’émerveillais de voir des graines déposées dans un pot


Mason rempli de papier essuie-tout gorgé d’eau se transformer,
s’ouvrir, pousser, ces légendaires haricots s’étirant vers la lumière,
craquelant leur mince coquille. Comment une graine pouvait-elle
contenir tout le schéma de son propre développement et surgir
comme ça pour révéler une nouvelle forme de vie ?
Mon grand-père m’emmenait souvent visiter son jardin potager,
nourrissant ma curiosité et ma fascination du monde incroyable de la
nature. Passé maître dans l’art du jardinage, il trouvait amusant de
me voir impatiente face à l’attente pour que les plants poussent. Il
m’enseigna l’importance de bien préparer le sol, les conditions
idéales spécifiques à chaque plante et comment demeurer attentive
à l’évolution des choses. Lorsqu’il partageait l’abondance de son
potager, je ressentais une profonde gratitude tacite pour les bons
soins qu’il savait prodiguer. Je sais qu’il se serait régalé de voir mes
enfants creuser pour récolter des pommes de terre comme si c’était
de précieux trésors enfouis.
Aujourd’hui, j’ai tourné mon émerveillement et ma fascination
envers la croissance des jeunes enfants. La transformation qui se
produit au cours des jeunes années est tout simplement magique.
Les enfants arrivent au monde, expulsés de leur monde douillet et
tiède, sans la pleine faculté de voir, de parler ni de bouger. Au fil du
temps, ils apprennent à marcher, à parler et s’aventurent à interagir
avec des gens et des objets. Tout comme de miniscientifiques qui
explorent leur environnement et récoltent des échantillons, ils font
l’expérience de l’ordinaire quotidien sous forme de nouvelles
découvertes. Ils ont un appétit inégalé pour apprendre. Leur désir de
comprendre le monde se fout de tout ce qu’ils ne connaissent pas
encore. Fidèles à leur potentiel de développement, ils grandissent
juste sous notre nez pendant que nous faisons le suivi des marques
de croissance tracées au crayon sur le mur.
Ce que j’aime le plus à propos des jeunes enfants, c’est à quel
point leur immaturité influence leur façon de voir le monde. Ils
manœuvrent sans aucune information et sont incapables de voir la
situation dans son ensemble. J’ai vu un enfant d’âge préscolaire
pointer du doigt les menottes d’un policier et demander : « Est-ce
que ces choses sont pour tenir ton café ? » Un autre enfant voulait
savoir pourquoi un policier utiliserait une matraque pour défoncer
une fenêtre de voiture au lieu de « tout simplement utiliser la
poignée, comme tout le monde ». Les jeunes enfants se retrouvent
au beau milieu d’un monde dont ils tentent d’assembler les pièces
une à la fois, et ce sont leurs questions qui révèlent les parties
récemment dévoilées. Un enfant de quatre ans déclare à sa mère
que « le jambon vient des cochons parce que les deux sont roses ».
Il était aussi tout à fait sûr que « quand les cochons deviennent
vieux, ils marchent et marchent et marchent jusqu’à ce que le
jambon tombe ». Les jeunes enfants voient le monde sans les limites
de la logique adulte.
Par le biais d’activités scientifiques, on essaie de comprendre les
jeunes enfants, du décodage du cerveau et du développement
émotionnel jusqu’à la maîtrise du contrôle de soi. Ces découvertes
sont remarquables, mais je suis fascinée par tout ce que la science
ne peut pas expliquer. Comment mesurer le bonheur d’un enfant ?
Sa frustration ? Son émerveillement à découvrir le monde qui
l’entoure ? J’avais l’habitude de regarder mes enfants être
hypnotisés par les particules de poussière qui scintillaient dans la
lumière du soleil après avoir ouvert les rideaux. Et alors que ma tête
traitait de propreté ménagère, je me demandais comment mes
enfants avaient le pouvoir de rendre la poussière si charmante.
Pendant que nous jouons les guides pour les enfants dans un pays
qui leur est étranger, ils traduisent ce même monde pour nous. Avec
un regard neuf, ils mettent en évidence pour nous des choses que
nous tenons pour acquis ou que nous avions oubliées ou carrément
manquées. De la découverte fascinante d’une coccinelle au goût
délicieux d’une glace, les choses les plus simples deviennent plus
douces encore. Les jeunes enfants vivent dans le moment présent,
et si nous les suivons, ils nous y amènent avec eux.
Les jeunes enfants sont d’extraordinaires et curieux petits êtres,
et il est donc normal que la question de leur éducation puisse
sembler à la fois intimidante et passionnante. Pendant des milliers
d’années, on a élevé les enfants selon les traditions culturelles
ajustées à notre propre contexte. Les familles et les communautés
leur ont donné un ancrage, leur fournissant des réponses aux
questions « Qui suis-je ? », « D’où est-ce que je viens ? », « Où est
ma place ? ». Et tandis que nous assurons la responsabilité de
prendre soin d’eux, nous sommes confrontés au fait de devoir
considérer la façon dont ils se développent au départ. Quelles sont
les conditions nécessaires à un développement sain ?
Les parents découvrent bien vite qu’il n’y a pas de pénurie en
matière de conseils concernant les besoins physiques de leurs
jeunes enfants. Nous sommes attentifs à leur santé, à leur
alimentation et à leur forme physique pendant que leurs membres
s’allongent silencieusement. On mesure leur taille, leur poids, la
température de leur corps et leurs progrès moteurs, question de
savoir si l’on suit la courbe normale de leur croissance. Lorsqu’ils
sont malades, on prend soin d’eux, confiants que leur corps a des
systèmes de défense pour aider leur guérison. On fait
instinctivement confiance aux potentiels développementaux qui ont
guidé la croissance physique durant des siècles, sachant que notre
rôle à nous est de fournir les conditions idéales au bien-être.
Un enfant grandit également psychologiquement, se développant
en une personne qui fonctionne de manière distincte avec des
potentiels intrinsèques innés qui guident aussi ce développement.
De la même façon que pour le développement physique, la
maturation n’est garantie que si les conditions requises ont été
fournies. Les informations et conseils sont facilement accessibles en
ce qui concerne le bien-être émotionnel et social chez l’enfant, mais
ce matériel est souvent écrasant et déconcertant. Les conseils
varient selon l’expert que vous écoutez, avec des bandes sonores et
autres composantes déconnectées de la science développementale.
On a réduit l’importance de l’intuition naturelle et des perceptions du
parent, en faveur de la dépendance accrue envers d’autres
personnes pour fournir les instructions en ce qui concerne
l’éducation d’un enfant.
La littérature en lien avec l’éducation d’enfants
psychologiquement sains est d’autant plus complexe qu’elle est
source de compétition et de perspectives contradictoires d’un
spécialiste à un autre. Le paradigme comportement/apprentissage
qui règne affiche un contraste saisissant avec le modèle
développemental/relationnel. Un important volume de techniques et
de pratiques de parentalité reposent aujourd’hui sur des opinions
comportementales de nature humaine, soutenues par des
spécialistes formés selon cette approche. Au cœur du
comportementalisme, on trouve une croyance sous-jacente qui veut
qu’il ne soit pas nécessaire de comprendre une émotion ou une
intention pour véritablement comprendre le changement de
comportement d’une personne2. B. F. Skinner, un psychologue et
partisan de premier plan de l’approche comportementale, considère
que les émotions sont d’ordre privé et donc inaccessibles aux
autres. Il se concentre sur les comportements, qui peuvent être
contrôlés et mesurés. Les émotions ont été vues comme des
variables nuisibles, des sous-produits de comportement, mais jamais
en tant que raison sous-jacente des comportements3.
Dans l’approche comportement/apprentissage, le comportement
d’un enfant est façonné et la maturation est enseignée. L’hypothèse
tacite est que l’enfant apprend à être mature alors que ses parents
en contrôlent le processus, plutôt que de l’élever vers la maturation
en fournissant les conditions adéquates pour son épanouissement.
John B. Watson, le père du comportementalisme, a dit : « Donnez-
moi une douzaine d’enfants sains, en bonne santé, ainsi que mon
propre univers précis pour les élever et je vous promets de faire de
n’importe lequel d’entre eux un spécialiste de mon choix – médecin,
avocat, artiste, commerçant et, oui, également un mendiant ou
même un voleur, indépendamment de ses talents, ses goûts, ses
capacités, ses inclinaisons, sa vocation ou la race de ses
ancêtres4. » L’héritage laissé par cette déclaration a été la
prolifération de pratiques d’éducation des enfants qui reposent sur
des techniques modèles telles le renforcement positif ou négatif, le
système de récompenses, de conséquences ou de contraintes pour
corriger les signes d’immaturité. Traiter le comportement immature
de l’enfant est le premier objectif, et les habiletés parentales sont
mises à contribution pour modifier les réactions apprises. Avec ces
approches, les émotions sont largement ignorées et sont
considérées comme acceptables une fois que le comportement et la
pensée sont corrigés.
Heureusement, la vision générale du comportementalisme est
remise en question et fait face à un défi croissant étant donné la
preuve neuroscientifique grandissante concernant le rôle primordial
joué par l’attachement humain et les émotions, dans le cadre d’un
développement sain5. Chez plusieurs neuroscientifiques clés, il est
désormais largement reconnu que le cerveau humain est déjà
équipé d’un système motivationnel fait d’impulsions, d’émotions et
d’instincts qui sont innés et non pas appris6. Le but d’élever un
enfant est de diriger ces émotions, impulsions et instincts à l’intérieur
d’un système intentionnel qui pave la voie vers un comportement
civilisé. Les forces innées, ignorées dans l’approche
comportementaliste, sont maintenant au premier plan et sont
considérées comme cruciales dans le développement du cerveau et
du potentiel humain.
Dans l’approche développementale/relationnelle, les parents sont
comme des jardiniers qui cherchent à comprendre quelles sont les
conditions pour que leurs enfants grandissent de la meilleure façon.
Leur objectif est de cultiver une solide relation adulte-enfant qui
fournit la base sur laquelle le développement humain peut
pleinement se construire. Les parents utilisent cette solide relation
afin de protéger et de préserver le bien-être et le fonctionnement
émotionnel d’un enfant. Les développementalistes ne cherchent pas
à sculpter la maturation chez l’enfant, mais plutôt à supplémenter les
conditions pour permettre à l’enfant de croître organiquement. Il y a
un plan naturel de développement qui mène la croissance et ce sont
les parents qui sont les premiers fournisseurs des conditions idéales
pour le déverrouiller. Au même titre que pour la croissance physique,
les enfants naissent avec tout un processus de croissance qui, s’il
est bien soutenu, les propulse vers une meilleure maturité
psychologique et affective. La maturation est spontanée, mais pas
inévitable. Les enfants sont comme des graines : ils ont besoin des
bonnes doses de chaleur, de nourriture et de protection pour croître.
Ce dont les jeunes enfants ont le plus besoin, c’est d’au moins un
adulte qui peut satisfaire leur soif de contacts et de rapprochements.
Urie Bronfenbrenner, fondateur du programme Head Start, a dit :
« Tout enfant a besoin d’au moins un adulte qui est complètement,
irrationnellement fou de lui7. » Le sein de l’identité individuelle est
rationnel. Plus de 60 ans de recherche sur l’attachement, de la
psychologie à la neurologie, ont convergé vers l’importance de la
relation parent-enfant pour l’atteinte d’une croissance et d’un
développement sains8. Tel que l’a mentionné John Bowlby à
Genève, devant l’Organisation mondiale de la Santé : « Ce que l’on
considère essentiel pour la santé mentale d’un enfant c’est que,
bébé et jeune enfant, il puisse faire l’expérience d’une relation
continue avec sa mère (ou la mère substitut permanente), qui soit
chaleureuse et intime et dans laquelle les deux trouvent satisfaction
et plaisir9. »
Quand les enfants sont rassasiés de leurs besoins relationnels,
ils sont alors libérés de leur plus grande faim et donc apaisés, libres
de jouer. C’est par leurs jeux qu’ils grandissent et deviennent les
cuisiniers, ingénieurs, ébénistes, professeurs, médecins ou
astronautes de demain. C’est sur le terrain relationnel que l’on crée
pour eux qu’ils pourront découvrir leur véritable caractère, libre de
toute conséquence qui pourrait les contraindre de façon
permanente. C’est dans nos jardins qu’ils doivent se sentir
complètement libres d’exprimer ce qui anime leur cœur sans
craindre de répercussions sur la relation et c’est là où la personne
qu’ils deviennent prend doucement forme, petit à petit, libre de toute
pression ou de besoin de performance. Un jardin de croissance ne
peut être cultivé qu’en offrant abondamment à l’enfant des relations
et des rapports satisfaisants et épanouissants auxquels il peut
s’ancrer. Il lui faut des racines solides pour pouvoir grandir.
Lorsqu’on prend soin des besoins relationnels de notre enfant et
qu’on s’assure de la douceur de leur cœur, la nature s’occupe du
reste. On ne doit pas travailler à élever les enfants, mais bien plutôt
à cultiver le jardin relationnel dans lequel ils s’épanouissent.
Le développement humain est une chose remarquable et
spectaculaire. À travers nos jeunes enfants, on se voit offrir des
aperçus de la manière dont l’humain croît en un être distinct et des
changements qui s’opèrent le long du processus. La bonne nouvelle,
c’est que la nature a déjà prévu un plan pour la croissance des
enfants non seulement physiquement, mais aussi
psychologiquement. Et tandis que nous assurons les conditions
optimales pour leur croissance, nous jouons à la sage-femme pour
aider à mettre au monde le potentiel développemental qu’ils ont en
eux. Le défi, c’est de laisser notre regard de jardinier se fixer sur ce
qui est requis pour aider la croissance, tout comme mon grand-père
le faisait quand il entretenait le sol et comprenait ce dont chaque
plante avait besoin pour s’épanouir. La nature n’avait pas de
mauvaise intention en nous donnant des petits êtres si impulsifs,
égocentriques et effrontés ; il y avait une méthode dans cette folie,
un plan à déployer. Nous sommes devenus impatients quand il est
question de développement psychologique. Nous sommes devenus
sculpteurs au lieu des maîtres jardiniers que nos jeunes enfants
requièrent. Cela n’a pas germé d’un manque de soins et de
bienveillance pour nos enfants, mais plutôt d’un manque de
compréhension concernant le processus de maturité.

Les trois processus de maturationb

QUE SIGNIFIE élever un enfant jusqu’à son plein potentiel humain et


comment savoir qu’on y est arrivé ? Les parents ont généralement
tous la même constance par rapport aux caractéristiques qu’ils
souhaitent voir chez les enfants. Quand on les a questionnés à
savoir ce qui, pour eux, était le plus important, 93 pour cent des
parents ont répondu qu’ils souhaitaient voir leurs enfants devenir
indépendants, autonomes et capables de prendre leurs
responsabilités. Se classaient en deuxième les valeurs telles :
travaillant, aidant, compatissant, créatif, tolérant et persévérant10.
Les parents connaissent le but ultime, mais sont incertains de la
façon dont la maturation se concrétise étant donné les débuts moins
civilisés de leur enfant. Quels sont les processus internes de
croissance qui permettent à l’enfant de devenir un individu
socialement et émotionnellement responsable ?
En se basant sur des décennies de recherches
développementales, de théorie et de pratique, Gordon Neufeld a
réuni tous les éléments permettant de former une théorie cohérente
de la maturation humaine. La croissance est motivée par trois
processus internes distincts, dont le développement est spontané,
mais pas inévitable : (1) Le processus émergent qui donne
naissance à la capacité de fonctionner en tant que personne
individuelle et permet de développer un solide sentiment de se
savoir capable d’influencer les événements et les situations. (2) Le
processus adaptatif qui permet à une personne de s’adapter aux
circonstances de la vie et de surmonter des épreuves. (3) Le
processus d’intégration qui aide l’enfant à devenir un être social
capable de s’engager dans une relation sans compromettre son
intégrité ni son identité personnelle. La présence ou l’absence des
processus émergent, adaptatif ou d’intégration sont les mesures ou
« signes vitaux » que l’on peut utiliser pour évaluer le trajet
développemental d’un enfant ainsi que sa maturité en général. C’est
notre potentiel humain que de devenir un être social, séparé et
adapté, mais ce potentiel ne peut être réalisé que lorsque des
adultes jouent un rôle de soutien en cultivant les conditions
optimales de la croissance11.
Le but premier d’un développement sain est la viabilité en tant
qu’être distinct et cela implique un passage graduel de la
dépendance vers l’indépendance et l’autonomie adulte à travers le
processus émergent. Le processus émergent pousse l’enfant vers
l’autonomie et l’exploration de son monde. Le jeu est l’espace
naturel dans lequel l’enfant commence à exprimer son soi émergent,
qui mène à sa croissance en tant qu’individu, mais cela ne peut se
produire que si l’enfant est en paix dans ses relations avec les
adultes qui prennent soin de lui.

Figure 1.1 Tiré du cours de Neufeld Classe intensive 1 : Comprendre les enfants.

Le processus émergent génère beaucoup de fruits, incluant la


capacité de fonctionner, même lorsque détaché de nos
attachements ainsi que la capacité de se forger des intérêts et des
objectifs. L’enfant émergent dégage une merveilleuse vitalité et
s’ennuie rarement. Il y a en lui une effervescence de vie, une facilité
d’émerveillement et une saine curiosité qui mènent à
l’expérimentation, à l’imagination et à la rêverie. C’est à travers ce
processus émergent que naissent les amis imaginaires.
Les enfants émergents sont aussi connus pour leur esprit
d’aventure, qui les rend enthousiastes face aux apprentissages
puisqu’ils veulent à tout prix comprendre le monde. Ils participent
activement à la création de leur histoire et y assument une
importante responsabilité, plutôt que de devenir un personnage dans
la vie de quelqu’un d’autre. Leur désir d’être distinct est si fort que le
plagiat, la copie et l’imitation sont considérés comme des affronts à
leur intégrité. L’hymne du jeune enfant émergent est « Non, moi ! »
ou « Je fais ! ». La façon de traiter avec la résistance naturelle et
l’opposition qui s’installent est un sujet dont traite le chapitre 9.
Figure 1.2 Tiré du cours de Neufeld Classe intensive 1 : Comprendre les enfants.

Le deuxième processus de maturation qui est sous-jacent au


potentiel humain est le processus adaptatif. C’est la base même de
ce qui nous rend résilients, débrouillards et nous permet de
surmonter les épreuves. Il est impossible d’enseigner à un enfant à
devenir adaptatif, et ce processus ne peut se déployer sans la
présence des conditions idéales. Le processus adaptatif aide à doter
l’enfant de résilience, de manière à être capable de gérer ce qui
l’attend et de s’épanouir malgré les obstacles. C’est ce qui permet à
l’enfant d’apprendre de ses erreurs, de tirer profit des corrections et
de s’engager dans les essais et erreurs. Le processus adaptatif fait
partie intégrante de notre capacité à s’adapter aux choses que nous
ne pouvons changer.
Le processus adaptatif est aussi la réponse pour savoir comment
traiter avec les crises et l’agressivité chez les jeunes enfants (plus
sur ce sujet au chapitre 7). Ils sont systématiquement contrariés
quand leurs plans sont contrecarrés, ce qui déclenche leur
frustration et leurs tentatives de négociation pour un compromis plus
à leur goût. Les enfants ne viennent pas au monde préprogrammés
avec un éventail de limites et de restrictions qui les préparent pour la
vie quotidienne. C’est pourquoi ils nous regardent parfois avec
étonnement ayant l’air de dire : « Pourquoi est-ce que je ne peux
pas avoir un autre biscuit ? Mais qu’est-ce que c’est que cet
endroit ? »

Figure 1.3 Tiré du cours de Neufeld Classe intensive 1 : Comprendre les enfants.
Les jeunes enfants sont déterminés à posséder, à être premier et
à avoir ce qu’ils veulent, tout ça en raison de leur nature
égocentrique. Le processus adaptatif les aide à renoncer à leurs
plans et à réaliser qu’ils peuvent survivre même quand les choses
ne se passent pas de la façon qu’ils auraient désirée. Une des
façons les plus rapides pour créer un enfant gâté, c’est en
contournant le processus adaptatif et en empêchant la montée de la
déception de ce qu’il ne peut pas changer. Le personnage de Veruca
Salt dans Willy Wonka and the Chocolate Factory (Charlie et la
chocolaterie) est la quintessence d’un tel enfant. Elle dirige ses
parents sans arrêt : « Je veux ceci, papa, et je le veux maintenant ! »
Les parents vivent dans la crainte de ses colères et passent leur
temps à s’assurer de répondre à ses désirs. Le rôle d’un parent est
d’aider l’enfant à se préparer à vivre dans le monde tel qu’il est, avec
les déceptions et les désagréments qui en font partie. Ce rôle clé du
parent qui soutient son enfant en tant qu’être adaptatif sera traité
plus spécifiquement au chapitre 7.
Le troisième processus de maturation qui fait croître un enfant
est l’intégration. C’est ce processus qui est responsable de
transformer l’enfant en un être social, mature et responsable. Le
processus d’intégration requiert le développement du cerveau ainsi
que la maturité affective. Basée sur les travaux de Jean Piaget,
l’expression « le passage de cinq à sept ans » a été popularisée par
Sheldon White, soulignant un changement significatif dans le
développement cognitif chez le jeune enfant. À ce moment, un
enfant est à même de reconnaître un contexte et considérer plus
d’une perspective à la fois12. Ce passage indique la fin naturelle de
la mentalité préscolaire et dirige l’enfant vers l’âge de raison et de
responsabilisation13. Alors que ce changement se produit, les jeunes
enfants deviennent graduellement tempérés dans l’expression de
leurs pensées et sentiments et ils commencent à démontrer un
contrôle de leur impulsivité face aux fortes émotions. Au lieu de
devenir violents, ils peuvent dire « Présentement, je te déteste à
moitié ! » et « Je veux te frapper ! », mais ils ne le font pas. Ils
démontrent de la patience, malgré la frustration de devoir attendre.
Ils sont capables de partager en raison de considération véritable et
non pas parce qu’on leur dit de le faire. Ils seront capables de
persévérer vers l’atteinte d’un but sans s’effondrer, frustrés. Une
forme civilisée va naturellement s’installer et, du coup, diminuer les
manières immatures que l’on connaît comme « la personnalité
préscolaire » dont on discutera au chapitre 2.

Figure 1.4 Tiré du cours de Neufeld Classe intensive 1 : Comprendre les enfants.
Une des plus importantes résolutions comportementales du
processus d’intégration est la capacité d’être un individu en propre
au milieu de tant d’autres individus. Quand on est capable de tenir
notre bout et de défendre nos opinions tout en considérant les
expériences des autres, cela fournit plus d’ampleur et de profondeur
aux perspectives. Les jeunes enfants ne peuvent opérer que selon
une seule perspective à la fois, qui s’exprime généralement par
« c’est à moi ! ». Une personne mature devrait être capable d’être en
désaccord avec quelqu’un tout en conservant un ton de
camaraderie : « Je peux comprendre ta position, voudrais-tu
entendre la mienne ? » L’intégration devrait également engendrer un
être distinct qui ne succombe pas à la pression des pairs, ni au
clonage ou à la fusion. Comme Kathie, sept ans, disait à son amie
en jouant : « Je ne veux pas être ton bébé lapin, je n’aime pas les
lapins, je veux plutôt être la maman hamster. » Notre destinée ultime
en tant qu’êtres sociaux est de participer pleinement dans nos
communautés et de posséder un niveau de raisonnement moral qui
va au-delà du je-me-moi et qui tient compte des besoins d’un tout. Si
l’on veut que nos enfants deviennent des citoyens du monde et des
agents de la terre, ils doivent devenir des êtres sociaux matures. Et
notre potentiel d’être social est déverrouillé par de saines relations
parent-enfant.
Il y a une solution naturelle, organique à l’immaturité d’un jeune
enfant. Il y a un processus naturel de développement, et les parents
y jouent un rôle crucial. Quand les conditions propices à la
croissance ont été assurées, les processus internes émergent,
adaptatif et d’intégration vont procéder au lancement d’un enfant
vers l’individu qu’il deviendra. L’échec de la maturation fait aussi
partie de la condition humaine, mais c’est là où les adultes doivent
devenir le meilleur atout d’un enfant. L’autonomie ne s’enseigne pas
ni ne se force ; elle doit être nourrie, cultivée et protégée.

Préserver le caractère de l’enfance

UN SOIR, lors d’une présentation à un groupe de parents, j’ai entendu


une mère lire à haute voix le titre du livre de Gordon Neufeld et
Gabor Maté, Retrouver son rôle de parent14 et elle a commenté :
« Retrouver mon rôle de parent ? C’est une blague ? Où est le livre
qui explique comment s’en débarrasser ? » Ce sentiment résume
l’essence de l’urgence qu’on semble avoir de voir nos enfants
grandir et agir avec maturité. On dirait qu’on a perdu patience par
rapport à l’immaturité. Dans les moments de désespoir et de
frustration, on peut même utiliser le très inutile : « Oh ! Grandis
donc ! » Pourtant on ne peut pas accélérer le processus, l’ordonner,
pousser dessus, exiger à l’enfant de grandir, ni ne peut-on acheter
une pilule qui le fera grandir.
Lorsqu’il est question de jeunes enfants, il n’y a pas de
désaccord quant au fait que la maturité est ardemment souhaitée,
mais il y a de nombreuses différences dans les idées qui permettent
de l’atteindre. Est-ce qu’on élève nos enfants ou est-ce qu’on essaie
de contrôler leur développement ? Si l’on est pressé, on poussera.
Si l’on croit que l’enfant doit se voir offrir le temps et l’espace
nécessaires pour grandir, on va créer les conditions pour que le
développement naturel se déploie. On ne peut faire les deux. Le bon
développement requiert de la patience et de la foi. Le hic, quand on
pousse et qu’on veut contrôler le développement, c’est que cela peut
interférer avec ce dont l’enfant a vraiment besoin. Cela peut créer
des environnements stressants où les enfants ressentent que
quelque chose cloche dans leur façon d’être et d’agir. Quand les
jeunes enfants sont poussés trop rapidement vers la maturité, cela
peut les faire s’accrocher à nous en raison de leur insécurité. Quand
on les pousse à maturer plus vite que ce que la nature avait prévu,
on peut affecter grandement le caractère de l’enfance, le diminuer, le
confiner. Mais nous continuons tout de même de pousser, et ce,
malgré des décennies de science développementale qui démontre
que les principes qui encadrent la croissance ne changent pas.
Aujourd’hui, un des plus grands défis pour les parents est de
préserver le caractère unique de l’enfance. Ce caractère, cet esprit
est fondamental à la vitalité des enfants, et à leur propension à
grandir, à se déployer, à s’épanouir et à devenir. Quand on est
obsédé par la maturité de notre enfant à tout prix sans égard pour le
caractère sacré de l’enfance, les résultats peuvent être de courte
durée et superficiels. Il y a une énorme différence entre un enfant qui
agit de façon mature et un enfant à qui on donne le temps de
devenir mature. On est devenu si distraits et confus qu’on confond
performance mature et maturité. On croit qu’on peut contrôler la
croissance au lieu de s’attarder sur la façon dont on peut influencer
les conditions qui permettent à la croissance de se développer.
Oui, on peut entraîner un enfant à faire de nombreuses choses à
un très jeune âge, mais il ne faudrait pas confondre cela avec la
maturité. Le pédiatre T. Berry Brazelton a écrit : « L’enfant humain
est capable de se conformer de façon extraordinaire. Il peut être
entraîné à marcher à neuf mois, à réciter les chiffres à deux ans, à
lire à trois ans et peut même apprendre à vivre avec la pression qui
vient avec tout cela. Mais dans notre culture, les enfants ont besoin
que quelqu’un crie « à quel prix15 ? » Il y a des saisons pour la
croissance et des forces qui la guident. Un pépin de pomme ne
ressemble en rien au fruit qu’il deviendra et encore moins à l’arbre
qui portera des pommes. L’enfant qu’on élève en le pressant paiera
un prix développemental.
Nous voulons que nos enfants deviennent des individus
socialement et émotionnellement responsables, mais notre société
est devenue préoccupée par la performance des soins plutôt que par
les bases qui font éclore les actions de soutien au développement.
Par exemple, on peut apprendre à de jeunes enfants à dire « je
m’excuse » et « merci », mais cela n’assure d’aucune façon qu’ils
ont des regrets ou de la gratitude. Ils ressentent même la non-
sincérité de leurs actions en se disant l’un à l’autre « excuse-toi
comme si tu le pensais ! ». Quand on les force à dire « je
m’excuse » ou « merci », les mots sont détachés de leurs émotions,
ces émotions qui devraient les guider vers ces mots, mais venant
d’eux pour vrai. On ne peut s’attendre à ce qu’un développement
moral sain se déploie s’il est basé sur de fausses fondations. Les
enfants qui se soucient des autres et ont de la compassion sont
élevés en alimentant les racines émotives qui les nourrissent.
Devenir un être social commence en se comprenant soi-même. La
capacité de vivre avec les autres, de démontrer de la considération
et d’assumer les responsabilités de ses actions est le résultat d’un
sain développement. Un enfant peut être scénarisé de façon à avoir
l’air civilisé, mais il ne s’agit que d’une performance privée de toute
profondeur.
Une érosion plus prononcée du caractère de l’enfance tire son
origine du fameux « le plus tôt est le mieux16 ». Cette philosophie
imprègne fortement les attentes tant sur le plan du comportement
que de la performance des toutes premières années de l’enfant.
David Elkind, psychologue développementaliste et auteur de
Miseducation : Preschoolers at Risk, dit que dans les années 1970,
les parents poussaient leurs enfants, que dans les années 1980, ils
voulaient de super enfants et que dans les années 1990, ils
voulaient donner à leurs enfants un avantage compétitif par rapport
aux autres enfants17. Au tournant du 21e siècle, la petite enfance est
encore menacée puisqu’elle est sous réingénierie pour accélérer la
croissance.
Une partie du problème réside dans le fait que de nombreux
parents ont perdu la foi, sont devenus confus et sont à contre-
courant, culturellement, d’une vision développementale de la nature
humaine. Qu’est-il arrivé à notre foi fondamentale qui veut que les
enfants grandissent avec temps, patience et bons soins ? Les
rapides changements sociaux, économiques et technologiques des
100 dernières années ont détruit la sagesse culturelle en ce qui a
trait aux enfants et à la façon dont ils grandissent. Les croyances au
sujet de l’accélération du développement et de la performance
continuent de s’infiltrer et de mettre de la pression sur la petite
enfance. Des siècles de tradition parentale sont maintenant éclatés
et se retrouvent sans ancrage culturel. Nous ne savons même plus
clairement quel avenir nous préparons pour nos enfants18. La
plupart des parents d’aujourd’hui sont des immigrants du numérique,
élevant des enfants qui, eux, sont la première véritable génération
des natifs de l’ère de l’information19.
Le passage de l’ère agricole à l’ère industrielle puis à la société
d’information qui a marqué les 100 dernières années signifie que l’on
se laisse moins gouverner par les rythmes naturels qui ont pourtant
assuré la continuité de la vie pendant des millénaires20. Dans une
ère numérique, on ne vit plus en accord avec les phases de la lune,
du soleil ou des saisons. Les rythmes du monde naturel sont
maintenant remplacés par un emploi du temps qui est global,
24 heures par jour, 7 jours par semaine. Steve Jobs est souvent cité
pour avoir dit qu’il « n’avait jamais aimé mettre des interrupteurs
on/off sur les produits Apple21 ». Même si nos nouveaux outils et
appareils promettent de nous rendre de fiers et continuels services,
une performance améliorée et une connectivité constante, ils sont à
contre-courant des principes de développement qui gouvernent la
vie humaine. Nos nouveaux appareils et la nouvelle technologie
nous séparent du bourdonnement régulier de la vie et de ses
rythmes naturels. Il y a plusieurs choses qu’on peut maintenant faire
plus rapidement, mais élever des enfants ne devrait pas en faire
partie.
La question que nous devons nous poser à nous-mêmes est la
suivante : Quel est notre rôle dans la parentalité d’un enfant et dans
le soutien de son développement ? Un parent est le principal
fournisseur dans la vie d’un enfant et il est essentiel à créer les
conditions optimales pour sa croissance ainsi que pour préserver,
protéger le caractère unique de l’enfance. Nous devons commencer
par nous poser les bonnes questions pour nous guider, les questions
qui concernent le développement de notre enfant : comment il
s’épanouit, comment il devient sa propre personne. La réponse à
l’immaturité est la maturité, qui se développe quand les adultes
deviennent la réponse aux besoins rationnels et affectifs d’un enfant.
Ce sont les parents qui jouent le rôle de sage-femme en donnant vie
à la promesse de potentiel humain qui se trouve à l’intérieur de
chaque enfant. Pour ce faire, nous devons absolument prendre
conscience de notre rôle dans le grand plan de la nature. Nous
sommes fortunés d’avoir la science développementale pour nous
guider, pour nous aider à confirmer, à valider notre intuition
parentale, pour soutenir les traditions culturelles en matière de
développement de l’enfant et pour nous donner des avis et une
direction lorsque nous sommes un peu perdus. Les maîtres
jardiniers utilisent la science et l’intuition pour savoir ce qui est
nécessaire à la croissance de leurs plantes et ils ont foi que le
potentiel se développe après avoir bien pris racine, ce qui ancre
toute vie.
2

La personnalité de l’enfant d’âge


préscolaire : mi-beauté, mi-bête

Je pourrais vous envier


Parce que vous ignorez tout de ces troubles :
La vie la plus heureuse c’est l’ignorance,
Avant que vous appreniez à pleurer et à vous réjouir.
SOPHOCLE1

L ES JEUNES ENFANTS ne font pas plusieurs choses en même temps,


ne réfléchissent pas deux fois avant d’agir et ne disent pas des
choses telles que : « Une partie de moi voudrait te lancer un train
par la tête tandis que l’autre me dit d’utiliser mes mots. » Ils
n’envisagent pas leurs émotions ; ils les incarnent et sont sujets à
attaquer ou à réagir de façon impulsive. Ils sont tout sauf prévisibles,
avec des émotions, des pensées, des comportements qui changent
à la vitesse grand V. Ils découvrent le monde de façon particulière,
une pensée ou une émotion à la fois, ce qui fait que tout est
important, très important pour eux. Ils seront heureux ou tristes,
actifs ou au repos, bons ou mauvais, ils auront chaud ou froid, mais
jamais entre les deux. Pas de zones grises, avec eux c’est blanc ou
noir. Les jeunes enfants ne sont pas reconnus pour être modérés, ni
justes, ni raisonnables, attentionnés ou attentifs. Ils comprennent
beaucoup plus que ce que démontre leur comportement, et leurs
bonnes intentions semblent toujours de courte durée.
Les jeunes enfants n’ont pas la capacité de prendre en
considération plus d’un point de vue à la fois parce que leur cerveau
est encore en développement ; ils sont soit Beauté, soit Bête, ce qui
ne les ennuie pas du tout, puisque leur conscience n’est pas encore
développée et qu’ils ne subissent pas les tortures du conflit intérieur.
Les jeunes enfants ont une capacité inégalée de défier la logique et
de déconcerter les adultes comme en fait foi la conversation qui suit
entre un parent qui a un enfant d’âge préscolaire et moi :

La mère : Mon fils de trois ans faisait une crise, hurlant, pleurant, se jetant de tous
côtés, donnant des coups de pieds et nous repoussant à chaque tentative
d’approche. Il effrayait vraiment sa petite sœur… et nous aussi. Je n’avais jamais
vu une telle chose. On essayait de le rassurer et de le calmer, mais rien ne
fonctionnait. Mon mari lui a tendu sa couverture et dès que le petit l’a eue entre les
mains, il l’a serrée contre lui, a commencé à chanter et était heureux ! Mon époux
et moi sommes inquiets. Croyez-vous qu’il puisse avoir des problèmes de santé
mentale ? Qu’est-ce qui se passe chez lui ?
Moi : Votre fils fonctionne selon une personnalité d’enfant d’âge préscolaire, ce qui
est normal puisqu’il n’a que trois ans. Il ne peut assurer et vivre qu’une seule
émotion ou pensée à la fois ; alors quand vous lui avez tendu sa couverture, sa
frustration a été éclipsée par la joie. Il n’a pas de trouble de santé mentale. Votre
fils est tout simplement immature. En fait, si vous souhaitiez étudier les émotions
humaines, les jeunes enfants sont les meilleurs sujets puisqu’ils vivent les émotions
dans la forme la plus pure, sans qu’elles soient teintées par aucune autre
expérience ou contrôle.
La mère : Qu’est-ce que je suis censée faire, alors ? Est-ce que je suis censée
l’élever comme ça ?
Moi : Amour, patience, temps et bons soins de vous et de votre mari. Même en
pleine crise et devant ces manifestations émotives vous devez à tout prix préserver
votre relation avec lui et l’aider, l’encourager à exprimer et à nommer ses
sentiments chaque fois que c’est possible. Éventuellement, les coups deviendront
des mots de frustration, et vers l’âge de cinq à sept ans, il montrera naturellement,
si tout se développe normalement, des signes de modération, de maîtrise de soi et
de considération.
La mère (souffle coupé) : Sérieusement ? Il va nous falloir attendre aussi
longtemps ? Pourquoi est-ce que personne ne nous a dit cela ? Qu’est-ce que je
vais dire à mon mari ?
Moi : Vous lui direz que votre fillette d’un an a la même chose et qu’il n’y a rien
comme la force d’un enfant immature pour tester le niveau de maturité d’un parent.

Le cerveau d’un enfant d’âge préscolaire

CHEZ L’ENFANT D’ÂGE PRÉSCOLAIRE, la personnalité germe de


l’immaturité du cerveau et se caractérise par un comportement
obsessif, attachant, impulsif, anxieux, charmant, irréfléchi, généreux,
instable, agressif, résistant, compulsif ; bref, tout sauf prévisible2.
Les jeunes enfants expérimentent un déluge de pensées,
d’émotions, d’impulsions et de préférences, mais ne peuvent pas les
assembler pour en tirer une image claire. Ce « désordre », chez
l’enfant d’âge préscolaire, n’est pas intentionnel, mais
développemental. Le rôle des adultes est de créer, de mettre en
place les conditions optimales qui permettront le développement
naturel du cerveau et non pas de combattre les symptômes de la
personnalité de leur jeune enfant.
Les avancées dans le domaine de la neuroscience continuent de
tracer la façon selon laquelle se fait le développement du cerveau
chez les tout-petits et à quel point les jeunes enfants sont vraiment
immatures3. À la naissance, le cerveau est la partie du corps humain
la plus indifférenciée, ce qui signifie que ses cellules sont marquées
par l’absence d’un fonctionnement spécifique et qu’elles sont donc
susceptibles d’être façonnées par l’environnement dans lequel
l’enfant est élevé. Pour croître, le développement s’appuie sur les
contacts et la proximité avec la figure adulte d’attachement4. Les
trois premières années de vie revendiquent la plus grande activité
neurale5. Selon Daniel Siegel, psychiatre, le chemin neural se
développe rapidement, permettant aux neurones de communiquer
entre elles de plus en plus rapidement, efficacement et de façon de
plus en plus sophistiquée. L’interaction avec d’autres personnes et
les expériences qui en découlent vont créer, activer ou renforcer les
chaînes neuroniques. Le cerveau est un système vivant et la plus
sophistiquée de toutes les structures, tant naturelles qu’artificielles,
sur terre. Il possède la capacité inhérente de se réorganiser lui-
même et de s’adapter en fonction de son environnement6.
Le cerveau des jeunes enfants nécessite, en moyenne, de cinq à
sept ans de développement sain pour se réaliser pleinement, du
moins pour les parties du cerveau qui interagissent et communiquent
entre elles. L’intégration du cerveau est un événement global qui
connecte ensemble les diverses couches de circulation neurale tant
verticalement, en commençant par la base du cerveau en montant
vers le haut, que bilatéralement, avec les hémisphères droit et
gauche se connectant l’un à l’autre au fil du temps7. L’intégration des
hémisphères droit et gauche dans le cortex préfrontal est essentiel
au développement des fonctions exécutives, mais demande plus de
temps que les autres parties du cerveau8. Les fonctions exécutives
comprennent la capacité de formuler un jugement, la pensée
flexible, la planification, l’organisation et la maîtrise de soi. Elles
renforcent la capacité de vision, d’imagination, de créativité, de
résolution de problème, de communication, d’empathie, de moralité
et de sagesse. Jusqu’à ce que son cortex préfrontal soit
suffisamment intégré, le jeune enfant demeurera impulsif, et
intempestif9. Le développement du cerveau se poursuit jusqu’à
l’adolescence et au-delà, mais les changements les plus significatifs
se produisent entre les âges de cinq et sept ans10.
À la base de la personnalité préscolaire, il y a un cerveau
immature qui ne peut comprendre ni traiter les stimulations
sensorielles ou les signaux qu’il reçoit. Les hémisphères droit et
gauche du cerveau se développent de façon distincte avant de
pouvoir communiquer entre eux de manière efficace. De ce fait, un
jeune enfant ne peut s’occuper que d’un groupe de signaux à la fois.
Volontairement, le cerveau émet un moratoire concernant les
signaux concurrents et opposés afin de permettre à l’enfant de
comprendre une chose à la fois.
Lorsque les jeunes enfants sont passionnés par quelque chose,
ils deviennent insensibles au reste du monde. C’est là la fantastique
capacité du cerveau de se déconnecter des stimulations
concurrentes de façon à se connecter sur une seule chose. Un jour,
à la plage, je regardais un jeune enfant fasciné par un coquillage.
Son cerveau travaillait fort pour faire abstraction des stimulations
concurrentes pour qu’il puisse se concentrer sur la forme, la taille, la
texture et le son du coquillage. Il a été surpris et fâché quand une
vague est venue l’éclabousser, comme si elle était venue le
surprendre volontairement de manière insidieuse. Son manque
d’attention à l’environnement n’était ni une erreur ni un signe de
trouble de l’attention, mais bien une chose voulue et intentionnée de
façon stratégique. Comme le font les œillères pour les yeux d’un
cheval, son cerveau bloquait les stimulations extérieures pour qu’il
puisse se concentrer sur sa trouvaille et donc, apprendre au sujet
d’un coquillage, au milieu de nombreuses distractions.
Lorsqu’un enfant devient capable de suffisamment différencier
les signaux les uns des autres, le cerveau intègre ces signaux dans
le cortex préfrontal avec l’aide du corps calleux, large bande de
substance blanche constituée de fibres nerveuses, qui relie les deux
hémisphères cérébraux11. En d’autres termes, les œillères se
retirent et révèlent le monde en deux dimensions puisque l’appareil
cognitif est en place pour décoder et traiter les signaux concurrents.

Figure 2.1 Adapté du cours de Neufeld Classe intensive 1 : Comprendre les enfants.

Lorsque les hémisphères droit et gauche sont suffisamment


développés, le cortex préfrontal se transforme en un creuset pour les
émotions, pensées et impulsions contradictoires. Cela se produit en
général entre les âges de cinq et sept ans. L’enfant commencera à
faire l’expérience de dissonance interne et sa conscience naîtra. Par
exemple, alors qu’un enfant se prépare à lancer un objet pour
exprimer sa frustration, il peut y avoir une pulsion contradictoire ou
concurrente qui lui suggère : « Ne lance pas cet objet, tu pourrais
blesser quelqu’un. » Au lieu de vous dire que sa journée a été
« bonne » ou « mauvaise », il peut vous dire que ça a été un peu
des deux. Il peut vous raconter qu’il a voulu prendre une chose qui
n’était pas à lui, mais qu’il ne l’a pas fait parce qu’il savait que c’était
mal. En entrant dans la période de cinq à sept ans, l’enfant est
capable de prendre en considération, en même temps, deux aspects
d’un même phénomène et de coordonner deux réflexions
distinctes12.
C’est le mélange des émotions et des pensées dans le cortex
préfrontal qui, ultimement, fait cesser les agissements non tempérés
et fournit la maîtrise de soi. Les pulsions et émotions fortes trouvent
leur antidote en faisant compétition à d’autres pulsions et émotions
fortes – quand elles sont mises ensemble, elles ont un effet
paralysant. Le conflit intérieur créé par les émotions et pensées
dissonantes amène l’énergie émotionnelle à l’arrêt. Par exemple, la
réponse à la peur est le désir, ce qui donne lieu au courage. La
réponse à la frustration est la bienveillance, ce qui donne lieu à la
patience. Quand les émotions et les pensées ont suffisamment
d’espace et qu’elles sont encouragées vers le conflit, un match de
lutte s’ensuit. Le but est de tisser émotions et pensées ensemble,
menant ainsi à un tempérament plus mature.
Lorsque le cortex préfrontal mature avec l’intégration
hémisphérique, le jeune enfant se transforme en un individu et la
personnalité préscolaire disparaît doucement. On ne peut trop
insister sur l’importance de la période de cinq à sept ans en tant que
jalon développemental. C’est la réponse ultime à la personnalité
préscolaire et l’origine de l’intégration tant personnelle que sociale.
Grâce à l’intégration personnelle, le jeune enfant sera capable
d’œuvrer à atteindre un but, de réfléchir avant de parler et de se
contrôler lui-même quand il est frustré. Il semblera plus rationnel et
raisonnable, avec une logique de pensée plus complexe. Une
histoire cohérente peut maintenant se former et assurer à l’enfant
une représentation de lui-même, stable et constante13. Un soi plus
cohérent permettra à l’enfant d’être en compagnie d’autres
personnes sans perdre de vue qui il est. Au niveau du
développement, l’enfant fera un bond vers l’avant grâce à
l’apparition de la conscience de soi, du contrôle et de l’attention
soutenue14. Son impulsivité devrait se calmer et céder la place à un
être plus modéré, moins impulsif. Les parents devraient se réjouir
devant les signes de maîtrise de soi de leur enfant, puisque c’est un
des repères développementaux les plus importants de la petite
enfance.
Figure 2.2 Adapté du cours de Neufeld Classe intensive 1 : Comprendre les enfants.

En termes d’intégration sociale, la capacité de contrôler ses


pulsions va aider le jeune enfant à s’intégrer dans les contextes
sociaux où la perspective, la considération et la notion d’attendre
son tour sont requises. Il sera alors mieux en mesure de se
mélanger à d’autres enfants et d’apprendre à décoder les indices
pour une meilleure intégration sociale. Historiquement, la période de
cinq à sept ans a été utilisée dans la plupart des systèmes éducatifs
afin de déterminer quand un enfant est prêt pour le travail scolaire15.
Par ailleurs, des études sur les pratiques culturelles globales
démontrent que les enfants de ce groupe d’âge se voient donner
plus de responsabilités et de tâches domestiques à la maison16.
Le développement du cerveau est spontané, mais pas inévitable.
Un développement sain repose sur la disponibilité de figures
d’attachement humain et de comment est-ce que ces figures
deviennent les personnes qui prennent soin du système émotionnel
de l’enfant17. La maturation du cerveau fournit une solution
biologique à l’enfant d’âge préscolaire, mais ne peut ni être forcée ni
être apprise. Les enfants croissent lorsque les adultes créent pour
eux des jardins relationnels où ils peuvent jouer et s’épanouir.

L’enfant sensible ou « enfant-orchidée » et l’intégration cérébrale

APPROXIMATIVEMENT un enfant sur cinq se démarque comme étant


plus affecté par son environnement que ses pairs18. Ces enfants ont
l’air plus facilement bouleversés, alarmés, intenses, sensibles,
irritables dans leurs réponses, passionnés dans leur tempérament.
On appelle « enfants-orchidée » les enfants qui sont plus sensibles
comparés aux enfants qui croissent facilement, comme des
pissenlits.
Les enfants sensibles démontrent une plus grande réceptivité et
une meilleure capacité à capter leur environnement à travers les
sens. C’est un peu comme s’ils avaient des antennes radio réglées
sur la réceptivité maximum de façon à ne rater aucun signal. Bien
que ce type et ce niveau de réceptivité diffèrent d’un enfant à l’autre,
ils vont tous afficher des réactions sensorielles accrues au niveau
visuel, auditif, tactile, olfactif, kinesthésique/proprioceptif (en lien
avec la tension physique ou les conditions chimiques à l’intérieur du
corps) et au niveau émotif/perceptif. Les combinaisons sont infinies
et chaque enfant présente un continuum de réceptivité avec chaque
sens.
Les enfants sensibles peuvent se plaindre que les étiquettes de
leurs vêtements les démangent, que les sons sont trop forts, que les
odeurs sont trop puissantes ou que certains aliments ont vraiment
très mauvais goût. Il peut être difficile d’obtenir leur attention parce
qu’ils sont bombardés d’informations sensorielles et sont dépassés.
Comparés aux autres enfants, ils semblent aussi posséder un
certain éclat d’intelligence naturelle en raison de leur réceptivité
accrue à l’information et à la stimulation. Les adultes peuvent les
percevoir comme étant exagérément dramatiques ou réactifs, mais
ils sont seulement fidèles à l’énorme monde qui les habite. La mère
d’un garçon de cinq ans a été surprise par la réaction de son fils
quand le lieu de ses leçons de musique a été changé, et elle a
partagé ce qui suit :

Jacob aimait tant son professeur de musique que lorsqu’elle a dû changer d’endroit
pour donner ses cours, nous l’avons suivie de la classe tout ensoleillée qui était
près de notre maison, jusqu’au sombre sous-sol de l’académie de musique où elle
enseignait. Lors du premier cours, Jacob ne pouvait pas rester tranquille et passait
son temps à sortir. Durant le second cours, il devint si agité qu’en sautant partout, il
atterrit sur son enseignante. Un jour plus tard, alors qu’il était calme, je lui ai
demandé s’il y avait quelque chose qu’il n’aimait pas au sujet de la nouvelle salle
de classe. « Les lumières bourdonnent » dit-il. « Je ne peux rien entendre à cause
des lumières. »
L’enfant-orchidée est plus sensible aux méthodes d’éducation. Il
va se flétrir ou s’épanouir dépendant de son environnement19. S’il
est élevé dans un environnement stressant, il en est plus affecté que
l’enfant pissenlit. Il est plus susceptible de souffrir de troubles de
santé mentale, de dépendances et de délinquance en lien avec les
conditions stressantes de son environnement20. Cependant, lorsqu’il
est élevé dans des conditions idéales avec des parents bienveillants,
le développement de l’enfant sensible peut surpasser celui de
l’enfant pissenlit : « Un enfant-orchidée devient une fleur d’une
inhabituelle beauté et délicatesse21. » C’est leur environnement
relationnel qui crée leur différence développementale.
La réceptivité accrue de l’enfant sensible à son environnement
peut prolonger l’intégration cérébrale jusqu’à deux ans. Au lieu de la
période de cinq à sept ans, il peut avoir besoin d’une ou deux
années additionnelles pour atteindre la maturation, tout dépendant
de son niveau de sensibilité et de son environnement. Ce temps
additionnel contribue à créer et à intégrer des routes neurales
supplémentaires pour accommoder sa réceptivité sensorielle
accrue22. L’objectif est de pourvoir l’enfant-orchidée de conditions
telles qu’il peut être complètement apaisé sous les bons soins et la
supervision des adultes qui s’en occupent, de lui assurer
suffisamment d’espace pour jouer et de protéger sa vulnérabilité
émotive face aux tourments et à la détresse.
Une des erreurs les plus communes commises auprès des
enfants sensibles est de leur donner plus d’informations sensorielles
en raison de leur intelligence naturelle. Dans ce cas précis, plus ne
veut pas dire meilleur et peut même déclencher des mécanismes de
défense qui fermeront l’accès à l’information sensorielle. Pour
assimiler toutes les stimulations qu’ils expérimentent, ils ont besoin
de temps, d’espace et de beaucoup de place pour jouer.

Les jeunes enfants en action : une pensée ou une émotion à la fois

BIEN QUE NOUS COMPRENIONS que les cerveaux des jeunes enfants
sont en développement, cela ne nous empêche pas d’avoir des
attentes concernant leurs comportements, qui ne sont pas en
synchronicité avec leur capacité. Leur nature de type mi-beauté, mi-
bête se manifeste régulièrement et a des répercussions sur la façon
dont on prend soin d’eux, dont on les élève. Les six thèmes suivants
découlent d’un manque d’intégration personnelle et sociale chez un
jeune enfant.

1. Les jeunes enfants « comblent les espaces » quand ils cherchent à comprendre
leur monde
Les jeunes enfants sont incapables d’évaluer un contexte ou de
prendre en considération plus d’un élément pour résoudre un
problème. Ils voient le monde une partie à la fois, ce qui les rend
aveugles à de nombreux indices contextuels et données que les
adultes tiennent pour acquis. Ils ne peuvent voir un contexte parce
qu’ils ne peuvent pas se référer à plusieurs perspectives à la fois.
Par exemple, une mère enceinte se présente à son rendez-vous
d’échographie avec son enfant de trois ans pour voir son petit frère
pour la première fois. En regardant le bébé se déplacer sur l’écran, il
s’est mis à pleurer de façon incontrôlable. Tandis que sa mère tentait
de le calmer en lui disant que tout allait bien, que le bébé était
correct, il a hurlé : « Non, maman, non ! Mais pourquoi as-tu mangé
le bébé ? » Parents et jeunes enfants ne partagent pas très souvent
la même vision du monde, ce qui peut mener à plusieurs
malentendus.
Les jeunes enfants ne s’arrêtent pas aux détails avant de
procéder. Ils sont célèbres pour tirer des conclusions spontanées
afin de combler les espaces quand ils en ont besoin. Par exemple,
lorsqu’une mère demande à son fils de cinq ans, Alex, au retour de
son cours d’éducation sexuelle à la garderie, comment on fait les
bébés, elle a été surprise d’entendre que « le papa met une poule
dans la maman et elle pond des œufs ». Les jeunes enfants ne sont
pas embarrassés par leur propre ignorance parce qu’ils ne voient
pas les fossés dans la route de leur compréhension. Un père a dit à
son fils de trois ans : « Cesse de ronger tes ongles, sinon tous les
petits insectes sales vont se retrouver dans ta bouche et te rendre
malade. » Et l’enfant de répondre : « C’est correct, papa, j’ai juste à
recracher les insectes quand je ronge mes ongles. » Les jeunes
enfants sont directs et textuels quand ils traduisent le monde qui les
entoure, ce qui est souvent aussi rafraîchissant qu’amusant. Comme
cet enfant qui disait à sa mère : « Quand j’étais petit, je croyais que
les vaches jersey portaient des chandails de hockey (des jerseys).
J’ai été vraiment surpris quand j’ai réalisé que ce n’était pas le cas. »

2. Les jeunes enfants disent les choses telles qu’elles sont et en savent beaucoup
plus que ce que leur comportement démontre
Les jeunes enfants sont non tempérés tant en expression qu’en
expérience et n’ont pas de maîtrise de soi. Ils ne prennent pas le
temps de réfléchir avant d’agir ; ils ne font qu’avancer selon leur
instinct et l’émotion du moment. La rectitude politique ou sociale
n’existe pas pour eux et ils partagent leurs idées librement,
spontanément. À la garderie, l’éducatrice a demandé à un enfant de
dessiner sa plus grande réussite. Elle lui a demandé de l’expliquer et
il a répondu : « Ça, c’est moi survivant à ma naissance. Ça, c’est le
“bagin” de ma maman et ma tête en train de sortir. » Les jeunes
enfants sont notoires pour révéler des détails sur leur famille tels
« ma grand-mère a de petites jambes » ou « il faut que je fasse une
sieste parce que ma mère a besoin d’une pause pour sa santé
mentale ». Même avec des visiteurs à la maison, les jeunes enfants
ne se retiendront pas de crier : « Quelqu’un ! Venez m’essuyer les
fesses ! » ou de dire au visiteur : « Je n’aime pas ton cadeau. » La
brutale honnêteté d’un jeune enfant est aussi réconfortante
qu’embarrassante. Après avoir jeté un œil à sa mère qui était en
train de préparer le repas, un jeune enfant lui a demandé :
« Pourquoi tu fais toujours des repas qu’on n’aimera pas ? »
Le défi est de préserver l’intégrité des jeunes enfants et de ne
pas réagir exagérément ni de les embarrasser parce qu’ils sont
fidèles à eux-mêmes et à ce qu’ils sont. Si nous sommes là pour
inviter les enfants à comprendre leur monde, nous devons adopter
leur tendance à faire des déclarations sur ce qu’ils constatent. Avec
un développement idéal, le jeune enfant, éventuellement, réfléchira
à deux fois avant de parler. Mais jusqu’à ce moment-là, ils ont
besoin d’espace pour comprendre le monde tel qu’il se présente à
eux, bien qu’on puisse les encourager à le faire parfois en privé avec
nous.
Les jeunes enfants ne sont pas doués pour garder un secret.
Cela vient de leur incapacité à s’occuper de plus d’une pensée à la
fois. Malgré toutes leurs bonnes intentions de garder quelque chose
privé ou secret, ils oublient parfois, dans le feu de l’action, en raison
d’un trop-plein d’excitation. De la même façon, les jeunes enfants
sont incapables de faire un vrai mensonge, puisqu’ils ne peuvent
pas retenir la vérité et exprimer la fausseté en même temps. Sans
arrière-pensée ni conflit intérieur, ils croient fermement et
honnêtement à ce qu’ils vous racontent. La mère d’une enfant de
trois ans disait : « Un jour, j’ai demandé à Eva si elle savait d’où
venaient les traces de doigts sur mes brownies frais sortis du four et,
avec toute l’innocence du monde dans les yeux, elle m’a répondu “je
ne sais pas”, malgré le fait que nous étions toutes les deux seules à
la maison. J’ai attendu cinq minutes et lui ai demandé : “Est-ce que
les brownies étaient bons ?” Eva m’a regardée et a dit : “Oh maman,
ils étaient délicieux !” » Il est ironique de constater que le mensonge
consiste en un pas de plus vers la maturité, mais il y a un certain
degré de sophistication dans le fait d’être capable de détourner les
gens de ce que l’on ne veut pas qu’ils voient. Cela requiert la
capacité de réfléchir à deux fois, d’avoir de la perspective et de
pouvoir tenir compte d’un contexte.
Les jeunes enfants ne peuvent s’empêcher d’agir impulsivement,
en répondant à leurs instincts et émotions. Ils promettent de ne plus
frapper seulement pour répéter le même geste dans les minutes qui
suivent. Les jeunes enfants voient leurs pulsions et actions comme
leur étant étrangères et hors de leur contrôle. Ils peuvent être
honnêtement surpris quand leurs membres frappent ou que leurs
dents mordent. Matthias, un garçon de quatre ans, disait à sa mère :
« Comment est-ce que mes bras peuvent frapper quelqu’un que
j’aime ? » Ils se retrouvent souvent dans des querelles avec d’autres
jeunes enfants, avec des chicanes pour la possession d’un objet ou
l’occupation d’un secteur. Leur frustration augmente souvent en
fonction de leur propre forme d’expression, les bonnes intentions
éclipsées par les émotions fortes. Les jeunes enfants ne
réfléchissent pas, ils réagissent, attaquent et sont impulsifs ; c’est là
le jeune enfant en action. Leur limite d’une seule pensée ou émotion
à la fois crée ces éclats de frustration et d’agressivité.
Les jeunes enfants ne disposent pas du conflit interne, ce qui
contribue non seulement à l’éruption de la frustration, mais provoque
également l’escalade de leur plaisir. Si une petite éclaboussure était
drôle, une grosse éclaboussure sera encore plus drôle. La joie pure
est la raison pour laquelle les câlins de jeunes enfants possèdent
des propriétés thérapeutiques et que leurs ricanements sont si
contagieux. La personne qui arrive à conquérir leur cœur sera
purement adorée, puisque leur plaisir ne contient ni agenda caché ni
affaires à régler. Leur cœur ne contient pas d’amertume, pas
d’espoirs déçus et aucun ressentiment. Leur amour se donne dans
la plus pure expression. Une mère racontait que « vers la fin de la
vie d’arrière-grand-papa, il devenait de plus en plus frustré par son
corps qui le lâchait et les nombreux voyages à l’hôpital. Un de ses
derniers vrais bonheurs était de passer du temps avec les plus
jeunes de ses arrière-petits-enfants. Leur innocente façon d’être et
d’agir était le remède dont il avait besoin. Leurs câlins étaient
magiques et amélioraient ses signes vitaux ». L’expérience du
bonheur n’est pas entachée par la possibilité d’une perte.
L’ignorance peut vraiment être une bénédiction.

3. Il n’y a pas de demi-mesure et tout est un drame


Les jeunes enfants sont susceptibles d’avoir des réactions intenses
ou déplacées et vont se balancer d’une expérience et d’une émotion
à une autre. Il n’y a pas de modération ni de demi-mesure, et l’équité
se résume à obtenir ce qu’ils veulent. Ils peuvent être
accommodants une minute seulement pour changer du tout au tout
et se cantonner dans une profonde défiance la minute suivante. Leur
vision du monde est soit noire, soit blanche avec une nette absence
de tons de gris. Non seulement se balancent-ils d’une émotion à
l’autre, mais ils prennent leurs parents avec eux. Lors d’une étude
au sujet de la satisfaction de la vie parentale, les adultes ayant de
jeunes enfants manifestaient davantage, et de façon plus marquée,
des sautes d’humeur de la joie à la frustration comparativement aux
adultes sans enfants23.
Puisque les jeunes enfants ne vivent qu’une émotion à la fois, un
sentiment peut en remplacer un autre rapidement, créant ainsi la
confusion chez ceux qui en prennent soin. Par exemple, j’ai regardé
un garçon de quatre ans se fâcher contre sa mère quand elle lui a dit
qu’ils quittaient la plage. Alors que sa mère s’avançait pour le
calmer, il l’a frappée. Elle a reculé et a dit : « Non Félix, on ne frappe
pas. » Voyant sa mère en colère et en retrait, sa frustration a
rapidement fait place à la peur. Alarmé, il a pleuré en criant :
« Maman, maman, maman ! » En voyant l’angoisse de Félix, la mère
est rapidement retournée à ses côtés. Comme la reconnexion se
faisait, sa panique l’a quitté et a vite été remplacée par le reste de
frustration qui l’habitait de devoir quitter la plage. Il l’a frappée une
seconde fois. Elle se mit en retrait et dit : « Non Félix ! Je t’ai dit de
ne pas frapper. Je ne vais pas t’aider si tu continues de me
frapper. » Comme la menace d’une séparation planait au-dessus de
lui à nouveau, sa panique revint elle aussi. Et il pleura vers sa mère.
Tandis qu’elle s’approchait pour le consoler, je retenais mon souffle,
attendant de voir l’inévitable se produire et, de fait, alors que
l’angoisse de Félix se calmait, il ferma le poing et frappa sa mère de
nouveau. Je les ai regardés passer d’une émotion à l’autre comme
s’ils étaient coincés à l’intérieur d’une roue à hamster faite
d’émotions déplacées. Ce dont Félix avait besoin, c’était d’aide pour
se sortir de sa frustration et de ses larmes de tristesse, ce qui sera
traité au chapitre 7.

4. Une seule chose peut être vue, comme pour un cheval avec des œillères
Les jeunes enfants sont incapables de fonctionner selon deux points
de référence à la fois, c’est ce qui explique que la magie et
l’imagination fassent partie du monde des enfants. L’absence de
toute logique derrière la capacité du père Noël d’apporter les
cadeaux à tous les enfants du monde en même temps, de la fée des
dents d’échanger des dents contre de l’argent ou du lapin de Pâques
de pondre des œufs en chocolat ne les dérange pas du tout. Ils ne
peuvent pas percevoir les trous dans la logique des histoires
magiques. Leur incapacité à coordonner deux pensées intensifie leur
innocence et leur foi dans tout ce qu’on leur raconte. Cette période
magique arrivera à terme lorsqu’ils seront capables de voir deux
côtés à chaque histoire. Je me souviens de mon ébahissement, une
année, quand j’ai regardé le père Noël et vu que c’était mon grand-
père. J’étais frappée par un type de double vision que je n’avais
jamais expérimentée avant, et bien que les adultes protestaient et
niaient la vérité de mon observation, je ne suis pas revenue sur mon
opinion. Malgré que j’aie perdu le père Noël ce soir-là et la plupart
de tout ce qui était magique vers l’âge de sept ans, j’avais acquis de
la perspective, une capacité à évaluer un contexte et la possibilité de
comprendre le monde d’une manière plus complexe.
Les jeunes enfants luttent pour s’intéresser à plus d’une
personne à la fois. Ils peuvent professer ouvertement leur amour
pour papa un moment pour ensuite déclarer « je ne t’aime plus, je
veux maman ». Les parents peuvent parfois se sentir rejetés, mais
en général, cela n’a rien à voir avec le parent, mais plutôt avec
l’incapacité du jeune enfant de s’occuper de plus d’une personne à
la fois. Aller les chercher à la garderie tout en placotant avec
l’éducatrice peut générer une frustration ou une crise chez l’enfant.
L’enfant ne sait plus vers quel adulte se tourner à ce moment-là ;
c’est comme jouer à la personne musicale au lieu de jouer à la
chaise musicale.
L’incapacité d’un jeune enfant à fonctionner avec deux points de
référence à la fois signifie que lorsqu’il est engagé dans quelque
chose, il est habituellement inattentif à toute autre chose autour de
lui, comme être appelé pour le souper pendant qu’il joue. Jusqu’à la
période de cinq à sept ans (sept à neuf pour les enfants plus
sensibles), leur système d’attention est encore en développement et
ils peuvent avoir l’air de ne pas écouter quand on leur parle, faire
des erreurs d’inattention, facilement se déconcentrer de ce qu’ils
sont en train de faire, perdre rapidement de l’intérêt pour un jeu,
avoir de la difficulté à organiser une activité, perdre leurs choses et
avoir l’air perdus.
L’immaturité du système d’attention des jeunes enfants et leur
incapacité à s’occuper de plus d’une chose à la fois sont très
importantes à considérer lorsque vient le temps de poser un
diagnostic de trouble de l’attention. Les jeunes enfants apparaissent
naturellement inattentifs, impulsifs et hyperactifs, répondant ainsi à
plusieurs critères utilisés pour confirmer des troubles d’attention. Les
diagnostics de trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH)
ont augmenté d’un fulgurant 500 pour cent entre 1980 et 200024, en
faisant le trouble psychiatrique le plus communément diagnostiqué
chez les enfants25. Au Canada, les prescriptions de Ritalin, un
médicament populaire utilisé pour traiter les TDAH, ont augmenté de
55 pour cent chez les enfants de moins de 17 ans en moins de
4 ans26. Les lignes directrices de l’American Academy of Pediatrics
en matière de diagnostic de TDAH permet de considérer ces
troubles chez des enfants aussi jeunes que quatre ans27, malgré le
fait que l’âge typique pour l’intégration du cerveau soit de cinq à sept
ans ou de sept à neuf ans pour les enfants sensibles. De ce fait, il y
a maintenant de plus grands risques qu’on diagnostique des
problèmes d’attention chez les enfants dont le système d’attention
est encore naturellement immature plutôt que de présenter des
troubles cérébraux28. Chez les jeunes enfants, les mauvais
diagnostics de troubles de l’attention confondus avec l’immaturité
cérébrale sont bien réels, tel que l’ont conclu de nombreuses études
auprès d’enfants en centre de la petite enfance au Canada et aux
États-Unis. Soixante pour cent des enfants le plus à risque d’être
diagnostiqués avec un TDAH avaient en commun le fait d’être les
plus jeunes de leur groupe29.

5. C’est une question de jeu, pas de travail


Les jeunes enfants sont incapables de comprendre le concept de
travail ou de démontrer des comportements axés sur des objectifs
qui requièrent des sacrifices. Cela a tendance à inquiéter plusieurs
parents qui considèrent la persévérance et les sacrifices comme
étant au sein des succès dans la vie, que ce soit au travail, dans les
études, dans les sports ou même dans les loisirs. Ils sont exaspérés
par le manque de perspicacité et par la motivation déficiente de leur
jeune enfant, ainsi que par leur abandon spontané à la suite d’un
obstacle moindrement perçu comme étant trop difficile. La notion de
travail ne résonne pas chez les jeunes enfants en raison du fait que
sans sentiments ou pensées mitigés, ils sont incapables d’attendre
pour la récompense qui vient à la fin d’un effort. Pour travailler, il faut
pouvoir entrevoir la satisfaction, la gratification, et persévérer pour
passer à travers l’effort demandé, malgré la frustration qui peut
surgir.
Le père d’un enfant de quatre ans partageait ceci :

J’ai emmené mon fils jouer au golf. Il s’amusait bien jusqu’à ce qu’il devienne
frustré parce que sa balle n’allait pas là où il voulait l’envoyer. Je lui disais d’être
patient, mais il se fâchait encore plus. Il a même lancé ses bâtons, en colère et en
disant qu’il abandonnait. Je lui ai dit de continuer d’essayer et de travailler sur ses
coups, mais il s’est mis à crier et à hurler. Qu’est-ce que je suis censé faire quand il
fait cela ? Est-il paresseux ? Il ne fait aucun effort et ne fait qu’abandonner quand
ça devient trop difficile. Ce n’est pas ce que j’attends de lui.

En comprenant que son fils, en raison de son jeune âge et du


développement de son cerveau, était incapable de persévérer ou de
travailler en fonction d’un objectif, il a adouci ses attentes envers lui.
Le meilleur moyen d’aider les jeunes enfants à persévérer avec
une tâche, c’est à travers le jeu, l’antithèse du travail. Les pousser à
l’effort trop tôt va se retourner contre nous et générer de la
frustration et de la résistance.

6. C’est toujours « moi » ou « toi », mais jamais « nous »


Les jeunes enfants ne peuvent s’occuper que d’une seule personne
à la fois et c’est généralement d’eux-mêmes. Leur attention sera soit
sur eux-mêmes, soit sur une autre personne, ce qui les fait paraître
comme étant soit terriblement égocentriques, soit d’avides suiveurs
d’autres personnes. Avec, dans leur esprit, de l’espace pour une
seule personne, ils ne peuvent pas penser en fonction d’un
ensemble sans y perdre la notion d’être une personne distincte. Les
jeunes enfants ne passent pas du « moi » au « nous », ils passent
de « moi » à « toi ».
Un jeune enfant commence à avoir conscience plus clairement
de sa propre identité vers l’âge de deux ans, et ne voit pas le
monde, avant cela, comme étant séparé de lui30. Un des objectifs de
la petite enfance est de cultiver cette identité naissante et de la
solidifier. Les enfants ont besoin d’espace, de temps et de soutien
pour comprendre qui ils sont au lieu d’être interrompus dans le
développement de cette identité en raison des besoins ou des désirs
d’autres personnes. L’intégration et l’individualité d’un enfant d’âge
préscolaire sont des prérequis pour devenir un adulte capable de
vivre en communauté.
Les jeunes enfants peuvent parfois paraître impolis quand ils
agissent en fonction de leurs propres besoins. Ils ne pensent pas
avant de demander à quelqu’un « prends-moi », malgré le fait que
cette personne ait les bras chargés de sacs d’épicerie ou d’un autre
enfant. Ils peuvent également démontrer un vif souci de l’autre et lui
donner leurs possessions, pour demander quelques minutes après à
les ravoir. Le courant actuel qui met l’accent sur le fait que les jeunes
enfants doivent s’entendre entre eux et partager en considérant les
besoins des autres éclipse l’objectif développemental le plus
important. Les jeunes enfants doivent d’abord et avant tout découvrir
qui ils sont, eux. L’intégration personnelle et la culture du soi doivent
passer avant l’intégration sociale et l’interdépendance.

Stratégies pour transiger avec l’immaturité


LA NATURE DU JEUNE ENFANT est mi-beauté, mi-bête, donnant aux
parents un désir profond de voir arriver le développement de la
maîtrise de soi, de la patience et de la considération chez leurs
petits. Bien que le développement cérébral ne puisse être poussé, il
existe des stratégies qui permettent de transiger avec l’immaturité
tout en encourageant la croissance et en gagnant du temps jusqu’à
ce que la maturation fournisse, ultimement, la solution naturelle aux
comportements impulsifs, irréfléchis et égocentriques.

1. La supervision est l’antidote à l’immaturité


Il est possible pour les adultes de compenser l’immaturité des jeunes
enfants en prenant la responsabilité de leur éviter les ennuis en
anticipant les problèmes avant qu’ils ne se produisent. Adopter un
regard bienveillant au lieu d’un air punitif est une des clés pour gérer
l’immaturité. Les jeunes enfants ne réussissent pas très bien des
jeux non supervisés avec d’autres enfants, ni n’aiment partager leur
jouet favori ou n’arrivent à comprendre d’eux-mêmes les règles d’un
parc de jeu. Ils ont besoin de la supervision et des directives d’un
adulte quand ils interagissent avec d’autres jeunes enfants. Mieux le
parent comprend le jeune enfant, mieux il sera à même de prédire
quand l’enfant se mettra les pieds dans les plats et il pourra y voir
avant que cela ne dégénère.
Quand les problèmes se manifestent, une des premières
questions à se poser est si l’enfant a été placé dans une situation qui
était « trop » pour lui à cette étape de son développement et si les
attentes qu’on avait envers son comportement étaient réalistes.
Alors que les parents se penchent sur des incidents déjà encourus,
l’enfant pourrait se révéler d’une façon inattendue, tel qu’une mère le
partageait : « J’avais emmené mon enfant à un centre de jeux
intérieur, mais il a commencé à faire une crise au bout d’une heure.
Avec le recul, je pense que c’était, en fait, trop long pour lui. Une
demi-heure aurait été mieux. »

2. Utiliser la structure et la routine pour orchestrer le comportement


La structure et la routine peuvent compenser pour le manque
d’habiletés organisationnelles et sociales de l’enfant. Quand un
jeune enfant devient habitué à une routine, il a besoin de moins de
directives précises en plus de laisser moins de place à
l’improvisation. La structure et la routine fournissent les lignes
directrices des attentes et du comportement, ce qui aide le jeune
enfant à paraître plus mature qu’il ne l’est. En raison du fait que les
jeunes enfants fonctionnent sans perspective et avec des
informations incomplètes, la structure et les rituels viennent
compenser les manques dans leur compréhension. Les routines
peuvent faire partie des événements de tous les jours tels que le
lever, les repas, le coucher. Celles-ci assurent que les choses
tournent plus rondement, puisque l’enfant sait à quoi s’en tenir à la
même heure chaque jour, en plus de le sécuriser. Comme une
responsable de garderie disait : « Nous prenons habituellement le
repas du midi à la cuisine, mais un jour, pour faire changement, j’ai
emmené les enfants en pique-nique dans la cour arrière. De retour à
l’intérieur, ils se sont tous installés à la table de la cuisine et
attendaient pour manger leur lunch, comme s’ils ne pouvaient pas
continuer leur journée sans passer à travers toutes les étapes de la
routine habituelle. »

3. Scénariser les actions de l’immature


Les jeunes enfants ne peuvent pas lire tous les indices sociaux ni ne
peuvent pleinement comprendre ce qu’on attend d’eux dans
plusieurs situations. En « scénarisant » le jeune enfant, l’adulte lui
donne volontairement des indices ou des instructions dans des
situations où l’enfant pourrait être confus ou quand il doit paraître
plus « mature » qu’il ne l’est. Par exemple, un parent peut écrire le
scénario, pour son enfant, de la façon dont on accueille quelqu’un :
« Un câlin, c’est une bonne idée, mais pas un bisou sur la bouche. »
Vous pouvez même prendre de l’avance : « À la maternelle, tu vas
devoir t’asseoir en cercle avec les autres et lever la main pour
parler. » Si les adultes peuvent anticiper ce qu’une nouvelle situation
signifie pour l’enfant, ils deviennent meilleurs à leur donner d’avance
des instructions pour un comportement approprié. Si l’enfant n’est
pas attaché à l’adulte qui lui donne son « scénario », il sera peut-être
résistant à le suivre. Seules les relations solides activent le désir du
jeune enfant de suivre des directives.

4. Maintenir une position alpha et éviter de substituer les émotions chez l’enfant
Lorsque les émotions d’un jeune enfant éclatent ou qu’il se met à
agir de façon immature, les adultes doivent prendre en charge la
situation en tant que responsables du bien de l’enfant. C’est le cas
au terrain de jeux tout autant qu’à la maison avec les conflits entre
frères et sœurs. Dans ces situations, il est primordial de conserver
intacte votre relation avec l’enfant et de ne pas substituer une
émotion pour une autre, chez lui. Par exemple, lorsqu’un jeune
enfant est frustré et devient violent, l’adulte peut réagir en lui criant
d’arrêter ou en le menaçant pour qu’il cesse. La frustration de
l’enfant peut alors être remplacée par la peur, ce qui peut attiser un
choc émotif. De plus, quand un parent substitue l’émotion originale
de l’enfant par une autre, le moment qui lui aurait permis de
comprendre ce qui avait causé sa frustration est malheureusement
passé.
La plupart des problématiques comportementales chez l’enfant
sont produites par la frustration ou par l’alarme et pour pouvoir
enseigner aux enfants les mots qui remplacent les coups et les cris,
nous avons besoin de circonstances opportunes pour connecter les
pulsions avec des mots « d’émotions ressenties ». Cela peut se faire
en reconnaissant les sentiments de l’enfant et en mettant des mots
sur leurs pulsions. Quand on alarme un enfant dans le but de le faire
collaborer, cela contrecarrera probablement toute possibilité de
comprendre l’émotion qu’il ressentait originellement. Des émotions
déplacées peuvent se déchaîner sur d’autres enfants, animaux ou
jouets. Le chapitre 6 traite des émotions chez l’enfant et le chapitre 7
se concentre spécifiquement sur la frustration et l’agressivité.

5. Soutenir le conflit et la dissonance


Les adultes peuvent, en quelque sorte, préparer l’enfant à la façon
dont le cerveau intégrera naturellement les sentiments et les
pensées contradictoires, avec des phrases telles que « Une partie
de moi se sent comme ci et une autre partie de moi se sent comme
ça » ou « D’un autre côté… » ou encore « J’ai des sentiments
mélangés à ce sujet… ». Lorsque les adultes font savoir que c’est
correct d’exprimer le conflit intérieur et la dissonance, l’enfant
commence à comprendre le message qu’il y a du bon à considérer
de multiples perspectives et sentiments lors de la prise de décision.

L’apparition des pensées et des sentiments mitigés


LES PARENTS se demandent systématiquement à quel moment ils
peuvent espérer voir apparaître les signes de l’intégration dans les
sentiments et les pensées de leur enfant et à quoi cela
ressemblerait. Bien que le moment exact soit différent d’un enfant à
l’autre, il y a un ensemble de signes communs qui font leur
apparition dès l’âge de quatre ans et dont la fréquence s’accroît à
l’approche de l’âge de cinq ans, lorsque le développement se fait
bien.
La réflexion est un des signes que le cortex préfrontal d’un jeune
enfant est en train de se transformer en un creuset pour mélanger
les pensées et les émotions. Je demandais à un père s’il avait vu,
chez sa fille de quatre ans et demi, Maeve, quelque signe de
contemplation que ce soit et il m’a répondu : « C’est drôle que tu me
demandes cela, parce que je me souviens, l’autre soir, quand la
serveuse lui a demandé si elle avait terminé son repas, Maeve l’a
regardée, a pris une pause et a répondu “peut-être”. Elle a ensuite
regardé de tous les côtés comme si elle cherchait à trouver la
réponse dans sa tête. Elle s’est finalement retournée vers la
serveuse et lui a dit “Oui, mon bedon dit qu’il est bien plein”. » Des
signes de réflexion peuvent apparaître aussi subtilement que cela,
une pause avant d’agir ou un moment de silence avant de parler. La
contemplation spontanée peut commencer vers l’âge de quatre ans,
apparaissant et disparaissant rapidement. Les adultes peuvent
commencer, dès cet âge, à préparer un enfant en lui demandant ce
à quoi il est en train de penser, mais sans mettre de pression ou en
faire le projet du jour. Les parents doivent simplement se réjouir de
l’apparition des signes de maturité.
Tandis que le cortex préfrontal évolue en un creuset, les pensées
contradictoires vont apparaître avant les sentiments mitigés. Les
émotions étant des signaux intenses plus difficiles à mélanger.
Comme ses pensées commencent à se combiner, un jeune enfant
peut affirmer des choses telles que : « Une partie de moi veut aller
au parc, mais l’autre voudrait rester ici. » Ces affirmations
contradictoires indiquent que l’enfant peut retenir deux pensées
conflictuelles à la fois. C’est aussi là qu’ils vont commencer à
montrer de l’amusement envers certaines blagues ou à certains jeux
de mots.
Le parent d’une enfant fréquentant la maternelle m’a raconté ce
qui suit, qui démontre bien le déploiement des sentiments mitigés :

Mère (conduisant les enfants à l’école) : Qu’est-ce que tu vas dire aux autres au
sujet de ton capteur de rêves lors de ta présentation, ce matin ?
Tabitha : Je ne vais pas leur montrer.
Mère : Voyons ! À la maison, tu étais tout excitée à l’idée de parler aux autres
enfants de ton capteur de rêves. As-tu peur ? Y a-t-il un côté de toi qui est excité de
le montrer et un autre qui a un peu peur ?
Tabitha : Maman, il n’y a aucun côté de moi qui veut montrer mon capteur de rêves
aux autres enfants !

Bien que la mère était déçue que la peur et le désir ne puissent


pas se mélanger chez sa fille, elle était ravie de savoir que Tabitha
avait plus d’un côté. La peur et le désir sont deux des émotions les
plus difficiles à mélanger en raison de leur intensité. Quand peur et
désir peuvent être ressentis en même temps, il en résulte du
courage qui, lui, entraîne la capacité d’aller de l’avant vers son désir.
Le courage n’est pas l’absence de peur, c’est la peur équilibrée par
le désir.
Lorsque les pensées et pulsions commencent à s’intégrer, les
jeunes enfants peuvent se mettre à tressaillir, à grelotter ou à grincer
des dents de façon spontanée, ou à manifester tout autre
comportement physique exprimant leur conflit interne. Un côté d’eux
peut vouloir s’éloigner tandis que l’autre veut aller de l’avant ; leur
tension intérieure est palpable. La mère d’une fillette de cinq ans et
demi décrivait ainsi cette tension perçue chez son enfant : « L’autre
jour, Amanda était frustrée et voulait lancer un train à la tête de son
frère. J’étais surprise quand j’ai vu qu’elle ne le lançait pas, mais
qu’elle s’y accrochait alors que ses bras se balançaient au-dessus
de sa tête et de côté, comme si l’une de ses mains voulait lancer le
train, mais que l’autre ne voulait pas. Il lui arrive maintenant de
s’empêcher elle-même de faire quelque chose. Elle est en train de
changer. »
Les sentiments contradictoires qui commencent à se mélanger
peuvent apparaître avec des expressions telles que « Je te déteste à
moitié, présentement ! », « Je t’aime à moitié, présentement ! » ou
« Je voudrais te frapper, mais je ne le ferai pas ».
La mère d’un garçon de quatre ans et demi racontait :

La semaine dernière nous étions au terrain de jeux, et Zach était entouré de plus
jeunes enfants. Un des tout-petits l’a poussé. J’ai commencé à courir vers eux,
mais Zach n’a pas bougé. Il n’a fait que regarder le petit. Ce soir-là, à l’heure du
coucher, j’en ai discuté avec lui.
Mère : J’ai remarqué qu’un petit t’a poussé, aujourd’hui, au parc. Tu ne l’as pas
poussé en retour. Qu’est-ce qui se passait en toi ?
Zach : Quand il m’a poussé, tout ce que j’ai ressenti, c’est mon besoin de prendre
soin de lui.
Mère : Prendre soin de lui ? Tu n’avais pas de poussée en toi ?
Zach : Non. Pas de poussée. Mais j’avais un câlin pour lui en moi.
Mère : Un câlin ? D’où est-ce qu’il venait, ce câlin ?
Zach : Oh, maman ! Ce petit garçon vivait un mauvais moment, il avait besoin d’un
câlin.
Mère : Et pourquoi tu ne le lui as pas donné, ce câlin ?
Zach : J’ai pensé que si j’avançais pour lui faire un câlin, il allait encore me pousser.

En réfléchissant sur le comportement de Zach ce jour-là, la mère


ajouta : « Je ne crois pas que j’aurais pu reconnaître à quel point
notre conversation était significative sans bien comprendre la notion
de sentiments mitigés. Malgré ce que je savais, je n’arrivais pas à
comprendre, au début, sa “paralysie”, pourquoi ne bougeait-il pas ?
Je crois maintenant qu’il était coincé dans le dilemme “fais-lui un
câlin, ne lui fais pas de câlin”. Ce n’est qu’un petit pas, mais pour
moi, c’est très important. »
Plus les systèmes cognitifs et émotionnels des jeunes enfants
s’intègrent, plus leurs comportements en dents de scie et leurs
sautes d’humeur diminuent. Ils vont commencer à voir deux côtés à
chaque histoire et devenir de plus en plus civilisés dans leurs
interactions avec les autres. Et bien que les parents se réjouissent,
avec raison, du calme que cela entraîne, il y a à faire le deuil d’un
enfant qui ne sera plus jamais pur et tout seul dans ses pensées.
Comme la mère d’Anna, cinq ans et demi, disait :

Quand elles ont commencé à se manifester, les pensées et émotions


contradictoires d’Anna la tourmentaient. Un soir, elle essayait de s’endormir et se
plaignait du fait que sa jeune sœur semblait réussir plus facilement qu’elle. En
colère, Anna me regarda et dit : « Je ne peux pas dormir, tout ce que ma tête veut,
c’est penser, penser et penser. Comment est-ce que je peux la calmer ? » J’ai
réussi à contenir mon excitation et je lui ai expliqué qu’elle était en train de recevoir
son cerveau de grande fille et qu’il était plus occupé. Anna me regarda, fâchée et
dit : « Je ne veux pas un cerveau de grande fille, je veux juste dormir, comme ma
sœur ! »
Dans notre empressement à célébrer une forme plus civilisée du
jeune enfant, on peut perdre de vue ce qui sera perdu. La pureté et
l’innocence qui accompagnent le fait d’expérimenter le monde une
pensée ou une émotion à la fois disparaîtront à tout jamais. Sa vie
ne lui semblera plus jamais simple et sans entrave juste parce qu’il
en avait décidé ainsi. Pourquoi un enfant serait-il ravi d’apprendre
qu’il a maintenant une conscience qui lui parle régulièrement et qui
lui occasionnera des pensées et des émotions contradictoires ?
Lorsque le cortex préfrontal devient un creuset, la réponse
biologique à l’immaturité apparaît spontanément, mais du coup,
l’univers intérieur de cet enfant ne sera plus jamais aussi paisible et
tranquille qu’il était. On retire cependant d’importants gains de
l’intégration ; comme ce père le dit : « J’ai su que mon fils n’avait
plus un cerveau préscolaire quand il est venu vers moi avec le poing
fermé en disant fièrement : “Regarde papa ! Regarde ce que je viens
de faire ! J’ai tenu mon poing au-dessus de la tête de Sara et je
voulais lui donner un coup, mais je ne l’ai pas fait !” La fierté dans
son regard était magnifique, c’était comme s’il disait : “Je ne peux
pas croire que je suis capable de contrôler mon corps quand je suis
frustré.” » Pendant que ce père partageait son récit, j’ai clairement
compris comment un enfant fera l’expérience de cette digne fierté au
fur et à mesure qu’il réalisera son potentiel humain en tant qu’être
tempéré, capable de se contrôler.
3

Préserver le jeu :
à la défense de l’enfance à l’ère numérique

C’est ce qu’on a à l’intérieur de nous qui fait ce que nous sommes, qui nous permet de
rêver, de nous émerveiller et d’être attentifs aux autres. C’est là l’essentiel. C’est ce qui fera
toujours une vraie différence dans le monde.
FRED ROGERS1

E NFANT, Gail rêvait de posséder des ciseaux magiques qui


pourraient transformer ses dessins en objets bien réels. Son
père lui faisait souvent la remarque que sa chambre était toujours
remplie de découpes de papier et qu’on marchait dedans jusqu’à
hauteur de genoux. Après que Gail et sa sœur eurent regardé le film
Oklahoma !, les ciseaux de Gail donnèrent naissance à des
cowboys, des cowgirls, un ranch complet avec des chevaux et des
enclos… et sa sœur et elle plongeaient dans le monde fantastique
que Gail avait fabriqué. La fillette ne se souvient pas de la teneur
exacte de leurs aventures, mais pour elle, la signification de ces jeux
est limpide. Soixante ans plus tard, la création de ces dessins
raconte en partie l’histoire de qui Gail est devenue et la carrière avec
laquelle elle a choisi d’occuper sa vie.
Les images ont joué un rôle très spécial dans la vie de Gail et
dans sa vocation d’artiste. Elles étaient vitales à son bien-être, et
c’est de façon intuitive qu’elle s’exprimait à travers elles. Gail a
toujours mieux appris via l’aspect visuel des choses ; à l’école, les
histoires et les textes l’ennuyaient au plus haut point. Quant aux
peintures et aux dessins, elle avait le sentiment qu’ils étaient tenus
captifs et qu’ils rêvaient d’être libérés et compris. Elle voyait son
monde en une matrice d’images et elle les séparait toutes les unes
des autres pour les faire vivre. Ses dessins, découpages, collages et
autres sculptures enveloppaient chaque image d’une signification
plus profonde.
Adulte, elle a suivi l’appel de sa passion en étudiant la céramique
à l’université. Gail a dédié la majorité de sa vie à son art, travaillant à
l’Emily Carr Institute of Art and Design (devenu aujourd’hui l’Emily
Carr University) jusqu’à ce qu’elle prenne sa retraite. On l’a honorée
pour son importante contribution au sein de la communauté de la
céramique et, tout particulièrement, à l’enseignement de la
céramique2. Et bien que les ciseaux magiques dont Gail rêvait ne se
soient jamais matérialisés, ils ont aidé à déployer, sur toute une vie,
une passion pour les images. Ça a été cet instrument tout simple,
jumelé à suffisamment d’espace, de temps et de liberté pour jouer,
qui ont permis à Gail de découvrir et de laisser croître l’artiste en
elle.
On peut se demander ce que Gail serait devenue si elle avait été
élevée à l’époque d’aujourd’hui, où l’instruction, les activités
structurées, les appareils numériques et les interactions avec les
pairs sont de plus en plus valorisés aux dépens des « heures vides »
de jeux infinis. Tel que l’affirme le psychologue et partisan du jeu
libre, David Elkind : « Le déclin, chez les enfants, du jeu libre et
autonome inspiré par eux seuls est le résultat d’une parfaite tempête
faite d’innovations technologiques, de rapides changements sociaux
et de mondialisation économique3. » Le genre de jeu dont les jeunes
enfants ont besoin est en danger d’extinction à l’intérieur de notre
monde numérique. Cela devrait être l’une de nos plus grandes
préoccupations et devrait éclipser tous nos soucis avec le
comportement ou la discipline chez nos enfants d’âge préscolaire.
Les jeunes enfants ne peuvent pas s’épanouir dans un monde sans
jeu puisque l’essence même de qui ils sont sera définie par le jeu.

Le jeu est en voie de disparition chez ceux qui en ont le plus besoin

LE JEU devrait être ajouté à la liste des espèces menacées


d’extinction, malgré le fait que, depuis plus de 75 ans, la science
développementale démontre l’évidence de l’importance critique du
jeu pour une saine croissance des jeunes enfants4. Les experts du
développement continuent de sonner l’alarme au sujet de la perte du
jeu, mais leurs voix ont de la difficulté à s’élever contre les pressions
parentales, éducationnelles, gouvernementales et culturelles qui
poussent dans la direction opposée5. Le jeu est de plus en plus
relégué au rang de quelque chose que l’enfant fait quand il a un peu
de temps libre au lieu d’être le centre de l’enfance. Bien qu’il existe
un accord tacite au sujet de l’importance du jeu, plusieurs parents ne
veulent pas « prendre le risque » d’appliquer cette leçon à leurs
propres enfants, par peur qu’ils soient laissés derrière par rapport
aux autres6. La croissance qui se produit par le jeu n’est ni
immédiate ni applicable à l’enseignement ou aux tests. Les
avancées et gains apportés par le jeu sont, en majorité, invisibles,
puisque l’individualité et le développement se déploient
silencieusement.
Le genre de jeu dont ont besoin les jeunes enfants se fait éroder,
écraser et redéfinir par l’avalanche d’appareils numériques et les
enseignements précoces7. Les responsables de centres de la petite
enfance et les enseignants de maternelle font constamment face à
une pression des parents pour qu’ils enseignent aux enfants la
lecture, les mathématiques et l’usage d’appareils technologiques.
Une éducatrice à la petite enfance dit :

Je vois des familles qui remplissent l’agenda quotidien de leur enfant en faisant
plusieurs activités chaque semaine, et leur raisonnement est que ce faisant, ils
fournissent à leur enfant des habiletés pour prendre de l’avance sur les années
d’école. Je crois sincèrement que les enfants qui vivent leurs premières années
avec des vies actives, remplies, ne comprennent pas le sens du mot « pause » et
ressentent le besoin de remplir leur espace avec du bruit blanc, n’ayant ainsi jamais
de véritable occasion de se reposer et d’être pleinement des enfants.

Le rôle du jeu dans la vie d’un jeune enfant est malheureusement


sous-évalué, sous-estimé et sous-protégé quand des parents
veulent, à tout prix, des résultats. Le jeu finit par suffoquer sous la
quête égocentrique des adultes pour un développement accéléré,
malgré le fait que la recherche démontre clairement que le cerveau
d’un enfant atteint les mêmes repères cognitifs aujourd’hui, qu’il y a
100 ans8.
Un autre défi est l’influence du jeu sur appareils numériques.
Avec l’augmentation des écrans disponibles et la programmation
éducative, les jeunes enfants peuvent se tenir occupés tout seuls
comme jamais auparavant. Le besoin d’un enfant de comprendre
quelque chose par lui-même est supplanté par le rapide accès à
l’information ainsi que par les enseignements qui détournent l’enfant
de la découverte qu’il ferait, autrement, par lui-même de son monde.
Les enfants, aujourd’hui, sont secourus par des boutons de
réinitialisation, des codes de triche et d’abondantes vies
additionnelles dès qu’ils font face à un échec ou à un défi. Il y a
moins de temps et d’espace pour que l’enfant s’ennuie, ce qui donne
pourtant habituellement naissance à des aventures imprévues, une
chose dont les générations précédentes se souviennent bien et
qu’avec du recul, elles chérissent.
Dans l’éducation des jeunes enfants d’aujourd’hui, il n’y a pas de
tâche plus importante que de créer les conditions qui feront en sorte
que leurs temps et espace pour jouer soient préservés. Cela signifie
de résister à la vague culturelle actuelle qui considère le jeu comme
étant improductif et frivole au lieu de le voir comme la fondation à
partir de laquelle nos enfants réalisent leur potentiel humain complet.
Sans une bonne compréhension de la façon dont le jeu sert le
développement, il peut être difficile pour les adultes de résister à la
pression de pousser l’enfant, ce qui lui enlèverait ce dont il a
réellement besoin pour croître et se développer.

Qu’est-ce que le jeu ?

LE JEU est le lieu de naissance de l’identité individuelle, c’est la façon


dont se développe psychologiquement le soi9. Jouer, ce n’est pas
mettre de l’information dans la tête de l’enfant, mais plutôt faire sortir
les idées de l’enfant, ses souhaits, ses aspirations, ses préférences,
ses désirs et ses rêves. Le jeu permet aux enfants de s’exprimer
malgré leur manque de mots et de compréhension. C’est par le jeu
qu’un jeune enfant entend résonner en lui l’écho de ce qui l’entoure
dans son monde à lui. Les jeunes enfants sont des apprenants
naturels, conduits par le désir de comprendre le monde qui les
entoure et leur rôle à eux dans cet environnement. Ils ont besoin de
sortir de la petite enfance avec un sentiment du soi qui a été forgé
par des heures et des heures de jeu. Le jeu favorise le
développement d’un être distinct, viable alors qu’il explore les
intérêts de l’enfant, ses désirs et ses objectifs. Il détourne l’enfant de
sa dépendance aux adultes et ouvre la porte au désir d’aller plus
loin, de découvrir et de comprendre ses expériences. Le jeu, c’est là
où cet esprit sous-jacent de la croissance se révèle. En bref, le jeu,
c’est l’acte de l’autocréation.
Le genre de jeu dont les jeunes enfants ont besoin doit être
caractérisé par la liberté, le plaisir et un saut dans l’univers qui les
entoure, pour l’explorer. Ils ont besoin d’espaces délimités à
l’intérieur desquels ils peuvent se déplacer librement et dont les
périmètres sont formés d’adultes qui veillent sur eux. Le jeu est un
acte spontané qui émerge d’un état d’esprit particulier ; on ne peut
enseigner ou ordonner à un enfant de jouer. Il y a trois
caractéristiques essentielles au jeu : ce n’est 1) pas du travail, 2) pas
la réalité et 3) c’est expressif et exploratoire. Cette définition en trois
parties peut être utilisée pour évaluer quelles activités établissent les
conditions idéales pour jouer.
Figure 3.1 Adapté du cours de Neufeld Comprendre le jeu chez l’enfant.

1. Le jeu, ce n’est pas du travail


Les jeunes enfants sont faits pour le jeu et sont peu adaptés pour le
travail. Objectifs, performance, fiches d’exercices et attentes sont
des termes de travail, alors que liberté, imagination, plaisir et
découvertes sont les termes associés au jeu. Lorsqu’un enfant joue,
il devrait être concentré sur l’activité elle-même plutôt que sur tout
résultat spécifique à venir, déterminé par un adulte ou un autre
enfant. Les adultes sont capables de prendre n’importe quelle
activité et d’en faire du travail en changeant ce qui engage l’attention
de l’enfant. Par exemple, jouer d’un instrument de musique pour le
plaisir est différent d’avoir à pratiquer pour un récital. Si un enfant
dessine et qu’un adulte suggère de faire les choses d’une certaine
façon ou encore que ce dessin pourrait être offert comme cadeau à
quelqu’un, il fait déplacer l’attention de l’enfant vers le résultat plutôt
que sur le moment présent. Cela se produit fréquemment aux repas
lorsqu’un parent est plus concentré à faire manger l’enfant, à
littéralement s’assurer que la nourriture aille dans sa bouche, plutôt
que de faire du temps des repas un moment plaisant et intéressant
pour l’enfant.
Le jeu, c’est là où le plaisir arrive. Par opposition, lorsque
quelqu’un travaille à quelque chose, les « fruits de son labeur »
arrivent une fois que la tâche est terminée. Par exemple, ma nièce et
mon neveu adoraient jouer avec du ruban adhésif. Leur mère leur a
donné des ciseaux et une variété de rubans adhésifs aux couleurs et
aux motifs variés. Elle leur a aussi donné quelques règles, question
de créer un espace de jeu délimité, telles que ne pas se mettre de
ruban gommé l’un sur l’autre, sur les animaux ou sur les objets de la
maison. Ils ont joué gaiement pendant des heures, fabricant des
sacs, des portefeuilles, des signets. Ils ont même fabriqué une
devanture de magasin appelé « Les Délices du Duct Tape ». Au fur
et à mesure que des amis et la parenté visitaient la famille, les
commandes pour des portefeuilles à motif de camouflage ou des
sacs à motifs de cornichons ou encore des signets à gros pois
augmentaient. Leurs « clients » leur dirent qu’ils devraient vendre
leurs créations pour faire de l’argent. Mais Taylor et Jamie se mirent
à ressentir la pression de remplir des commandes et de se
concentrer sur l’objectif final, et le plaisir et la joie de ce jeu
diminuèrent de beaucoup.
Quand les enfants jouent, ils sont concentrés, engagés et ils ont
du plaisir à expérimenter l’activité. Lorsqu’on les pousse en vue
d’obtenir des résultats, ou lorsqu’on a des objectifs et des attentes
prédéterminés, on transforme leur jeu en travail. Tel que Mark Twain
l’a dit : « Le travail consiste en tout ce qu’un corps est obligé de
faire. Le jeu consiste en tout ce qu’un corps n’est pas obligé de
faire10. »

2. Le jeu, ce n’est pas la réalité


Le jeu est censé se produire hors des réalités de la vie quotidienne.
Il est censé être libre de risques et de conséquences afin qu’un
enfant puisse jouer librement sans avoir à se concentrer sur aucun
résultat précis. Pendant qu’ils jouent, les enfants utilisent leur
univers intérieur pour créer un nouveau décor, à travers l’imagination
et la fantaisie. Comme une mère l’écrivait : « Je regarde ma fille
devenir chef, designer, professeure et danseuse, se
métamorphosant devant mes yeux. » Le jeu, c’est là où la pratique
générale de la vie se déroule, et ça ne devrait jamais être jugé
comme étant bon ou mauvais. C’est là où un enfant peut se marier
et se séparer aussi souvent qu’il le souhaite sans avoir à faire face à
la ruine financière ou au cœur brisé. C’est là où il peut évacuer ses
émotions sans toutefois expérimenter beaucoup de répercussions.
Par exemple, une mère disait : « Mes enfants hurlaient et se criaient
par la tête, alors j’ai crié pour les faire cesser et demandé ce qui se
passait. Ils m’ont regardée avec surprise et ont dit : “Mais maman,
on fait juste jouer à se chicaner.” » Quand un enfant joue, ce ne
devrait pas être pris pour autre chose que ce que cela signifie pour
lui.
3. Le jeu est expressif et exploratoire
Le jeu n’est pas une expérience passive dans laquelle l’enfant est
destiné à n’être qu’un observateur. Par le jeu, l’enfant met la main
sur le volant qui dirige sa propre vie et il en devient un agent actif en
explorant et en découvrant. Les enfants, lorsqu’ils jouent, devraient
s’exprimer en utilisant des objets, des gens ou des lieux, plutôt que
d’être menés par les lignes de coloriage ou les algorithmes de
quelqu’un d’autre. Le jeu implique une bouffée d’énergie chez
l’enfant, à l’antithèse de l’ennui, où rien ne bouge en lui. Un enfant
devrait naturellement jouer avec les nombres, les lignes, les sons,
les mots et les idées. Lorsqu’un enfant reçoit des instructions
précises, participe à une activité structurée ou affronte un appareil
numérique, il a très peu de liberté pour extirper son expression et
pour explorer librement. Tel qu’une mère l’expliquait :

J’adore regarder mes enfants quand ils sont plongés dans le jeu, habillés de
costumes incroyablement créatifs et expressifs. Les meilleurs semblent être quand
ils utilisent de simples éléments : foulards, pièces de vêtements et accessoires.
Récemment, mon fils jouait au pirate sur notre terrasse, devenue son bateau. Il
était seul, mais il y avait plein de sons et d’action comme dans une vraie bataille de
pirates. Le bruit de ses coups de pieds, de ses coups de poings et de ses cris de
bataille était si réel, je pouvais presque sentir la terrasse rouler sur les vagues !

Les enfants ont besoin de découvrir leur propre histoire dans le jeu
plutôt que d’être ensevelis par les histoires de tout le monde.
On dit souvent que les enfants jouent, même lorsqu’il y a des
objectifs externes imposés sur le temps de jeu et des conséquences
en matière de performance, deux choses qui ne font que diminuer
l’exploration et l’expression chez l’enfant. Pour créer de véritables
opportunités de jeu chez l’enfant, on doit s’assurer que leur
engagement dans une activité n’inclut pas le fait de se concentrer
sur un résultat, n’est pas limité par la peur de conséquences dans la
vraie vie et n’en fait pas de simples récepteurs passifs pour des
informations ou des instructions.

Quel est le but du jeu ?

G. STANLEY HALL, un auteur pionnier sur le sujet de l’adolescence,


écrivait : « Les hommes deviennent vieux parce qu’ils cessent de
jouer et non l’inverse11. » Le jeu est essentiel à un fonctionnement
humain sain pendant toute la vie, mais d’une importance critique
pour le développement dans la petite enfance parce que c’est 1) là
où le soi s’exprime vraiment, 2) là où prennent place la croissance et
le développement et 3) là où la santé psychologique et le bien-être
sont préservés.

1. Le jeu, c’est là où le soi s’exprime véritablement


À l’âge de quatre ans, Nolan a dit à sa maman qu’il voulait devenir,
plus tard, chauffeur de taxi. Il aimait chanter en faisant rouler ses
petites voitures du haut au bas des marches, dedans et hors de la
baignoire ou dans le jardin. La mère de Nolan était atterrée et lui dit :
« Tu ne veux pas être un chauffeur de taxi. Ce n’est pas un bon
emploi et tu ne feras pas beaucoup d’argent. » Nolan continua de
conduire ses petites voitures et, des semaines plus tard, il dit à sa
mère : « Je veux devenir un chanteur, plus tard. » Encore une fois,
sa mère était consternée et lui dit que c’était un autre mauvais choix
de carrière et qu’il devait plutôt choisir une profession pour laquelle il
devrait aller à l’université. Ce que la mère n’a pas vu, c’était le
« soi » de son fils qui se pointait le bout du nez à travers le fait qu’il
parle de son futur. Il venait de commencer à expérimenter, à tenir le
volant de sa propre vie et à le diriger dans une direction qu’il avait
lui-même choisie. La réponse qu’il a obtenue est que sa vision était
décevante et inacceptable. Ce dont Nolan avait besoin, c’était d’un
environnement libre de honte dans lequel il aurait pu apprendre,
exprimer et créer. Il avait besoin que l’esprit qui le conduisait à
devenir sa propre personne soit souligné, célébré, peu importe la
forme choisie. À quatre ans, il avait besoin que les adultes qui
l’entourent comprennent que ses expérimentations avec la forme
n’étaient pas aussi importantes que le fait que son soi commençait à
émerger.
L’histoire de Nolan souligne un thème récurrent et crève-cœur
pour les jeunes enfants d’aujourd’hui. Nous sommes devenus
préoccupés par la forme que l’enfant choisi de prendre, en tant
qu’élève, en tant qu’ami, dans son comportement ou sa conduite,
ainsi que par la façon dont il répond aux attentes des adultes.
L’exploit développemental que constitue le fait de devenir une
personne à part entière, un individu en devenir, est perdu, remplacé
par des fixations sur le fait que l’enfant est comparable aux autres,
ou pas, et en voie de réussir, ou pas. Le jeu est l’endroit où l’enfant
exprime son véritable soi et où il se présente comme un être distinct.
C’est pourquoi l’accent, dans le jeu, doit être mis sur leurs désirs,
leurs souhaits, leur curiosité, leurs intentions, leurs initiatives, leurs
aspirations, leurs expressions et leurs significations personnelles. Si
les adultes leur font des demandes à l’intérieur de leurs jeux, leur
donnent des instructions ou se concentrent sur le comportement, ils
brisent le soi qui commence à se manifester. Si nous voulons
préserver l’esprit de l’enfance à travers le jeu, nous ne devons pas
demander à nos enfants de se surpasser pour nous, en nous basant
sur nos propres désirs et besoins.
POURQUOI LES ENFANTS ONT BESOIN DE JOUER

Pour croître et atteindre leur plein potentiel


Pour trouver et exprimer leur soi véritable
Pour programmer leur cerveau en vue de la résolution de problèmes
Pour préserver leur santé psychologique et leur bien-être
Pour trouver leur créativité et leur sens des responsabilités
Pour pratiquer la vie dans un espace libre de conséquences

Figure 3.2 Adapté du cours de Neufeld Comprendre le jeu chez l’enfant.

La route pour devenir son propre soi est bien capturée dans cette
affirmation que le jeune Aiden, trois ans, a faite à sa mère. Elle l’a
interrompu pendant qu’il jouait, en lui disant « viens mon poussin,
nous devons aller au magasin ». Aiden s’est retourné avec les mains
sur les hanches et a fièrement déclaré : « Ne m’appelle pas ton
poussin, je ne suis pas ton poussin, je suis Aiden ! » Je pense
souvent au fait que si nous devons préserver l’esprit de l’enfance,
nous devons donner à chaque enfant de deux ou trois ans une petite
célébration bien spéciale pour souligner leur arrivée psychologique
dans l’individualité à grands coups de « Moi je fais » ou « Moi
capable tout seul ». Cela nous aiderait à nous arrêter suffisamment
longtemps pour prendre conscience que les mots « Je suis » ne sont
rien de moins qu’un miracle développemental.

2. Le jeu, c’est là où la croissance cérébrale et le développement prennent place


Jean Piaget, le psychologue développemental suisse, a demandé un
jour : « Est-ce que nous formons seulement des enfants qui sont
capables d’apprendre ce qui est déjà su ? Ou devrions-nous laisser
se développer des esprits créatifs et innovateurs, capables de
découvertes à partir de l’âge préscolaire et tout le long de leur
vie12 ? » Si l’apprentissage continu, la créativité et l’innovation sont
souhaités dans l’économie mondiale basée sur le savoir, alors le jeu
est très certainement la solution. Les jeunes enfants sains sont
créatifs, remplis de questions et résolvent des problèmes en jouant.
Comme une grand-maman le disait : « Mon petit-fils a deux ans et il
est toujours en train de me demander “Pourquoi ?” et si je lui
réponds, il me pose simplement encore une question…
“Pourquoi ?” ».
Quand les enfants jouent, leur cerveau est sculpté par leurs
interactions avec leur environnement13. Stuart Brown, psychiatre et
fondateur de l’Institut national pour le jeu, affirme que la complexité
du cerveau est surtout améliorée par les heures passées à jouer, le
jeu étant la réponse de la nature à la croissance. Lorsque les
neurones se déclenchent ensemble, elles forment des chemins plus
solides parce que le cerveau fonctionne sur un système du type
« utilise-les ou perds-les14 ». Les parties du cerveau tant motrice
que perceptuelle, cognitive, sociale ou émotionnelle s’intègrent ou
s’allument lorsque l’enfant joue. Des réseaux systémiques
complexes se construisent et deviennent la base pour la résolution
de problèmes utilisée à l’école et dans la vie adulte15.
Lorsque les enfants jouent, ils s’engagent dans des essais et
erreurs et forment ainsi de nouvelles relations entre les objets16. La
pensée critique, la communication, le langage, l’autoexpression et
les habiletés cognitives se développent tous à travers le jeu. Comme
les enfants touchent et explorent les objets avec leurs mains, ils sont
capables d’attacher des idées abstraites dans un monde concret17.
Les déficiences de développement cognitif, langagier, émotionnel et
physique ont toutes été liées à un déficit de jeu18.
Le jeu, c’est aussi là où la créativité est le plus susceptible de
s’exprimer. Par exemple, un père disait : « Mon fils voulait jouer en
même temps avec ses grosses voitures et son petit train, mais était
déconcerté par la différence de tailles. Il a finalement décidé que les
voitures étaient fabriquées par des géants et que de petites
personnes prenaient le train. » Un autre parent disait : « Je suis
entré dans la chambre de ma fille et j’ai vu qu’elle avait pris de la
gommette bleue dans ma commode et avait collé des bonbons sur le
mur. Elle m’a dit que c’était son mur de bonbons et que de cette
façon, ils étaient tout près quand elle en voulait un. » Un autre enfant
a dit à son père : « J’ai croqué mon bretzel en forme de P pour papa
et je l’ai laissé sous ton oreiller. » Une enfant de cinq ans qui
planifiait la fête d’anniversaire de son hamster a dit : « Je veux que
la fête ait une allure de cage, alors on va devoir la faire sous la table
et recouvrir la table d’une couverture. »
Les enfants sont parmi les personnes les plus créatives et
curieuses au monde. Quand les enfants ont leurs propres idées et
questions, nous pouvons leur enseigner plusieurs choses. Nous ne
pouvons pas, cependant, enseigner à un enfant à être créatif et
curieux. Cela se cultive en jouant, là où un sentiment de
responsabilité et de pouvoir se forge dans un environnement sans
conséquence.

3. Le jeu préserve la santé psychologique et le bien-être


Le jeu est thérapeutique pour les jeunes enfants parce qu’il leur
permet d’exprimer sans danger leurs émotions les plus profondes.
Dans les mondes de fantaisie et les endroits simulés, il ne devrait y
avoir que très peu de répercussions à exprimer de la frustration, de
la peur, de la tristesse, de la déception ou de la jalousie. Dans le jeu,
le cerveau d’un jeune enfant travaille à libérer son contenu
émotionnel et à le comprendre. Cela est utile pour équilibrer le
système émotionnel qui est régulièrement mélangé au long de la
journée.
Le jeu sert également au développement émotionnel en aidant
l’enfant à comprendre son univers intérieur en le rendant visible.
Selon Joe L. Frost, un professeur et fervent défenseur du jeu depuis
plus de 50 ans, le jeu permet à l’enfant de transformer ce qu’il ne
comprend pas en quelque chose de maniable. Pendant que les
enfants jouent, leurs émotions, les images et les pulsions émergent
à distance, malgré le manque de mots ou de conscience
consciente19.
Le neuroscientifique Jaak Panksepp affirme que nous devons
favoriser des sanctuaires de jeu pour les jeunes enfants en tant que
façons de promouvoir la santé mentale et émotionnelle20. Il dit que le
désir ardent de jouer des jeunes enfants est construit dans le centre
émotionnel du cerveau et pourrait bien être la moins utilisée des
ressources pour traiter avec leurs émotions. En fait, jouer préserve
le fonctionnement émotif chez toutes les espèces de mammifères et
aide à réduire le stress et l’ennui tout en cultivant la résilience21. Des
experts en développement de l’enfant ont lié la déficience de jeu
avec l’anxiété, les problèmes d’attention et la dépression chez les
jeunes enfants22. Un manque de jeu dans les années préscolaires a
aussi été lié avec des problèmes émotionnels et sociaux à l’âge
adulte23.
Les parents commentent souvent les histoires qui émergent des
jeux de leurs enfants, des expériences mondaines aux révélations
de conflits intérieurs. Une mère disait : « C’était un peu comme une
blague entre mon mari et moi, que nous pouvions prédire quelle
tournure le jeu allait prendre, en fonction de ce que nous avions fait
en famille. Après que nous soyons revenus d’une visite au zoo, notre
sous-sol devenait le zoo. Après que nous soyons revenus du
magasin, le sous-sol devenait le magasin. » Un autre parent disait
que lorsque sa fille a commencé la maternelle, elle jouait au
professeur, alignant ses poupées et ses toutous dont quelques-uns
étaient même punis, pendant que les autres écoutaient patiemment
alors qu’elle inventait des histoires pour eux.
Quand un enfant est perturbé, son jeu peut refléter les thèmes
avec lesquels il a de la difficulté. Les parents d’enfants alpha (voir le
chapitre 5) remarquent souvent que le jeu contient des sous-
courants de dominance et de dépendance, qui sont tout de même
caractéristiques chez l’enfant de cinq ans. Un père était confus par
l’obsession de son fils avec un jeu dans lequel il s’excluait
systématiquement lui-même du reste de la famille. Il me dit : « Max
crée une île au milieu du salon et installe une structure comme une
tente. Il prend tout ce dont il a besoin pour vivre là par lui-même,
comme de la nourriture, son oreiller et sa couverture, ses jouets, ses
livres. Il ne laisse personne venir sur son île. C’est comme s’il se
cachait ou se sauvait là. » Lorsque le parent a compris que cet
isolement était un geste fait par désespoir, il a été à même de
commencer à répondre aux besoins émotionnels sous-jacents. Bien
que le jeu puisse sembler léger, ses thèmes émotionnels sous-
jacents sont sérieux.
Dans le jeu, les images sont dessinées, les structures sont bâties
et les actions sont faites pour permettre aux émotions de sortir d’en
dessous des défenses naturelles sans que ce soit associé à une trop
grande vulnérabilité. Clayton, cinq ans, avait de la difficulté à vivre la
séparation d’avec sa mère, qui devait aller à ses traitements contre
le cancer. Son père avait remarqué que Clayton voulait toujours
jouer à un jeu de combat de chiens avec lui. Il a commencé à jouer
avec lui chaque soir et était surpris de voir que cela semblait aider
son fils avec sa frustration, son anxiété et ses troubles de sommeil.

Chaque soir nous jouons ce jeu où je suis le papa chien et il est le chiot grognon. Il
grogne et m’attaque pendant près de 45 minutes. Il grogne, montre les dents et
tente de me mordre, mais ne me fait jamais mal. Je le tiens au sol et il lutte pour se
libérer. On fait cela encore et encore jusqu’à ce qu’il soit exténué. Je sais qu’il a fini
quand il vient se rouler en boule sur moi en gémissant comme un chiot blessé. Je
le tiens et le flatte jusqu’à ce qu’il ait fini, lui répétant que papa chien est là pour
prendre soin de lui.

Ce père semblait embarrassé que ce simple jeu soit la solution pour


calmer le chaos intérieur de son fils, mais il avait instinctivement
découvert à quel point le jeu est la parfaite façon sécuritaire de
permettre à un enfant de gérer son monde émotionnel troublé.

Encourager les libertés nécessaires au jeu

LE JEU est une chose que les jeunes enfants devraient vraiment bien
savoir comment faire, mais ils doivent disposer des libertés
nécessaires pour que le jeu se produise. Les estimations actuelles
démontrent un déclin du temps de jeu, étouffé par un tas d’activités
concurrentes en plus des enseignements. Les sociologues Sandra
Hofferth et John Sandberg ont découvert qu’entre 1981 et 1997, il y
avait une réduction de 25 pour cent dans le temps que les enfants
passaient à jouer24. Ils ont également mesuré une diminution de 55
pour cent dans le temps passé à converser, à la maison, 19 pour
cent de moins d’heures passées à regarder la télévision, une
augmentation de 18 pour cent du temps passé à l’école, 145 pour
cent d’augmentation du temps passé sur du travail scolaire à la
maison et 168 pour cent d’augmentation du temps passé à
magasiner avec leurs parents. Le jeu est en compétition avec des
enseignements académiques accrus, des activités structurées et des
activités axées sur la consommation.
Pour qu’un enfant puisse vraiment jouer, il doit bénéficier de
certaines libertés. Celles-ci incluent que ses besoins de base soient
comblés, afin qu’il soit, par exemple, rassasié, bien au chaud, sans
douleur ni fatigue. Il a également besoin de liberté par rapport aux
enseignements et apprentissages. Plusieurs parents ne veulent pas
pousser leur enfant, académiquement, mais craignent qu’il ne puisse
alors pas se mesurer aux autres en classe s’ils ne le font pas. Une
mère me disait : « Quand ma fille était en maternelle, j’ai réalisé
qu’elle était une des dernières à savoir lire. J’ai commencé à
m’inquiéter parce que je ne l’avais jamais poussée à lire, mais plutôt
à aimer les livres. Je m’inquiétais qu’elle puisse se retrouver à la
traîne, mais je ne pouvais pas me faire à l’idée de la forcer à lire. Je
suis reconnaissante de ne pas l’avoir fait parce qu’en quatrième
année, elle m’a dit qu’elle était une des seules de sa classe qui
aimait lire. » Les parents ne sont pas les seuls à ressentir la
pression de forcer les matières académiques chez leurs enfants dès
la petite enfance, les professeurs la ressentent aussi, tel que me
l’expliquait cette enseignante :
Les enfants ont besoin de temps où ils peuvent n’être que des enfants, mais il y a,
dans certaines prématernelles et maternelles, une emphase exagérée mise sur le
fait que les enfants doivent lire ou apprendre les mathématiques aussitôt que
possible. La directrice de mon école s’attend à ce que les petits fassent des
apprentissages académiques à la maternelle, malgré le fait que d’être là toute la
journée représente déjà un assez grand défi pour eux. C’est stressant également
parce que les parents, eux aussi, s’attendent à la même chose.

La préparation développementale nécessaire à la scolarité doit être


prise en considération avant que l’enfant soit exposé à l’instruction et
aux apprentissages académiques.
Les jeunes enfants ont besoin d’être libérés des activités
structurées dans lesquelles c’est une force extérieure qui dicte leurs
actions et empiète sur leur choix d’expression. Le pédiatre Kenneth
Ginsburg soutient que les activités structurées enrichies sont des
investissements qui font bien peu pour alimenter la relation enfant-
adulte25. Les horaires surchargés mènent au stress, à l’anxiété et à
une diminution de la créativité. Un style de vie pressé ne favorise
pas les conditions qui donnent de la place au jeu, ce qui demande
aux parents de tenir compte de l’équilibre quand il est question
d’activités structurées.
Selon un rapport produit conjointement par la Campagne pour
une enfance sans publicité et l’Alliance pour l’enfance (Campaign for
a Commercial Free Childhood and the Alliance for Childhood), les
enfants sont maintenant mis en contact avec les écrans alors qu’ils
sont bébés26. Près de 30 pour cent des enfants de moins d’un an
regardent la télévision ou des vidéos approximativement 90 minutes
par jour. Plus de 60 pour cent des enfants entre un et deux ans
regardent la télé ou des vidéos deux heures par jour. Des
estimations conservatrices concernant le temps d’écran font état,
chez les enfants de deux à cinq ans, de plus de deux heures chaque
jour alors que d’autres recherches n’hésitent pas à parler de quatre
heures et demie par jour. Cela persiste malgré les lignes directrices
de l’American Academy of Pediatrics qui recommande de ne pas
exposer les enfants de moins de deux ans aux écrans et de limiter le
temps chez les plus de deux ans à moins de deux heures par jour27.
C’est l’inquiétude au sujet des effets du temps passé devant les
écrans sur la croissance des premières années du cerveau et le
développement social et émotionnel ainsi que sur les habiletés
cognitives, qui est derrière les recommandations de réduire et de
limiter ce temps.
Le temps d’écran additionnel auquel sont exposés les jeunes
enfants interfère avec leurs besoins de base comme le sommeil, est
lié à l’obésité, et nuit à l’attention, à l’apprentissage et à l’adaptation
sociale. Le temps passé à regarder la télévision n’a pas diminué
chez les jeunes enfants malgré l’utilisation d’autres écrans et
appareils28. Lorsqu’un enfant est devant un écran, il n’est pas en
relation avec un parent ou toute autre personne. Le déficit de nature
abordé par Richard Louv dans son livre Last Child in the Woods relie
le manque de jeu extérieur spécifiquement avec une augmentation
de l’usage d’appareils électroniques29. Sur une période de six ans,
de 1997 à 2003, le temps de jeu à l’extérieur d’un enfant a diminué
de 50 pour cent30. Un effort de redressement est enclenché,
encourageant les parents nord-américains à envoyer leurs enfants
jouer dehors et faire l’expérience de la nature31.

LA LIBERTÉ DE JOUER
être suffisamment libre de douleur, de faim et de fatigue
être suffisamment libre d’enseignement et de scolarité
être suffisamment libre d’activités structurées
être suffisamment libre d’écrans et de divertissement/distraction
être suffisamment libre de pairs et de frères et sœurs
être suffisamment libre des conséquences et du travail d’attachement

Figure 3.3 Adapté du cours de Neufeld Comprendre le jeu chez l’enfant.

Une recherche sur des parents ayant grandi en étant exposés


aux appareils technologiques et numériques démontre qu’ils sont
plus susceptibles de laisser leurs jeunes enfants jouer avec leur
appareil mobile, ce qui leur permet de faire les tâches ménagères,
les courses ou de s’assurer que leur enfant reste calme en public et
même de les aider à s’endormir32. Une éducatrice à la petite
enfance a dit : « Dans le groupe préscolaire dont je m’occupe, je
vois des enfants devenir frustrés, comme il arrive souvent à cet âge.
Les parents sortent rapidement leur téléphone intelligent et le
donnent à leur enfant. Je me demande combien de temps d’écran
additionnel cela représente et qu’est-ce qui se passe quand un
parent ne peut gérer la crise de son enfant d’aucune autre façon ? »
L’émergence de l’utilisation des appareils électroniques pour
distraire les enfants en fait des récepteurs passifs, puisqu’ils
manquent ainsi régulièrement une occasion de faire de l’exploration
ouverte33. En bref, le temps d’écran devrait être mis en perspective
par rapport au développement de l’enfant : les jeunes enfants ont
besoin d’expérimenter la vraie vie de plusieurs façons avec de vraies
personnes, ce qui fait de leurs parents les meilleurs appareils à leur
portée.
Le genre de jeu dont les jeunes enfants ont besoin est souvent
celui qu’ils font seuls, sans parents ou amis. Lorsque des enfants
jouent ensemble, il y en a habituellement un qui prend la
responsabilité du jeu et qui mène les autres, qui deviennent alors
des récepteurs passifs d’idées et d’instructions. Aux fins
d’exploration et d’expression, un jeune enfant a besoin de disposer
de temps où il peut jouer seul et devenir immergé dans son propre
univers. Les parents croient souvent qu’ils doivent jouer avec leur
enfant et bien que cela ne soit pas nuisible, cela sert habituellement
plutôt les besoins relationnels de leur enfant. Il est important de
garder à l’esprit que les jeunes enfants de moins de trois ans ont
une faible capacité à jouer par eux-mêmes en raison de leur intense
besoin relationnel. Un peu comme un élastique qui ne peut s’étirer
que jusqu’à un certain point, ils doivent constamment retourner à
leur base d’attachement pour faire le plein de contacts et de
rapprochements avant de s’aventurer à nouveau vers leur jeu.
Lorsqu’un enfant devient plus profondément attaché et qu’il se
développe en tant que personne distincte, il devrait pouvoir jouer
seul pour des périodes de plus en plus longues.
La plus grande source de liberté dont a besoin le jeune enfant est
le cadeau d’une profonde relation avec ses parents ou les adultes
qui prennent soin de lui. Dans la hiérarchie des besoins de l’enfant,
l’attachement est la plus importante et la plus essentielle source de
liberté pour que le vrai jeu puisse se déployer. Un enfant a besoin
d’être satisfait dans ses relations pour que sa faim de contacts et de
rapprochements soit apaisée. Il a besoin de suffisamment d’amour
pour être rassasié et d’assez de liens significatifs pour se sentir
important. Cultiver ce type de relations qui mènent à l’apaisement
est exploré plus en profondeur aux chapitres 4 et 5, mais est traité
dans l’ensemble de ce livre.

Stratégies pour promouvoir les conditions idéales pour faire place au jeu

SI LE « JEU SPONTANÉ est la délicate danse de l’enfance qui fortifie


l’esprit et le corps 34 », alors comment peut-on encourager un enfant
à passer son temps à jouer ? Voici quatre stratégies clés qui aident à
préparer le développement du jeu véritable.

1. Rassasier leur appétit pour la proximité et les contacts


Le temps de jeu doit d’abord être précédé de contacts et de
rapprochements pour ancrer la relation d’attachement de telle façon
que les besoins relationnels du jeune enfant soient rassasiés. Cela
aide de voir l’enfant comme s’il avait un réservoir à attachement qui
a besoin d’être rempli au maximum de sa capacité avant que le jeu
puisse se produire. Son réservoir à attachement peut rapidement se
vider, spécialement à l’âge de deux ou trois ans et chez les enfants
plus sensibles. Lorsque le parent remplit ce réservoir, il peut attendre
jusqu’à ce que l’enfant le repousse, suggérant ainsi que le réservoir
est bien plein. Une mère expliquait cela de cette façon :

Après quelques jours passés à essayer différentes choses, j’ai appris comment
mon fils de deux ans et demi, Olivier, fait l’expérience du vrai jeu. Quand il était
reposé, nourri et qu’il avait reçu beaucoup d’attention de ma part, je le câlinais
jusqu’à ce qu’il me donne l’impression de vouloir me repousser. Je lui demandais
ensuite s’il voulait jouer et je le mettais sur le sol. J’ai compris que je devais rester
dans la même pièce que lui puisqu’il me surveillait de temps en temps, et je ne
pouvais rien faire d’intéressant ni le regarder directement, parce que ça aurait
détourné son attention. Quand il avait assez joué, il se traînait jusqu’à moi pour une
nouvelle dose d’attention et de câlins ; je lui lisais alors un livre ou nous faisions
quelque chose d’autre ensemble et, ensuite, il me repoussait de nouveau. J’étais
estomaquée de voir à quel point il jouait bien par lui-même quand je ne faisais que
lui donner ce dont il avait besoin et attendre qu’il se détache.

2. Créer des vides à remplir


Un des prérequis pour que le jeu se produise est de disposer
d’espace et de temps où les activités concurrentes n’existent pas et
où le contact avec d’autres enfants est limité. Le jeu exploratoire et
expressif est souvent fait par l’enfant quand il est seul et que son
propre agenda peut prendre les devants. Les enfants ont besoin
d’avoir accès à du matériel pour jouer, de l’espace pour explorer et
s’exprimer. Cela peut être aussi simple que d’avoir à sa disposition
du papier, des blocs, des petites voitures ou une cour arrière avec
des branches et de la boue. L’adulte devra faire de la place pour les
initiatives de l’enfant, sa créativité et son originalité, le laissant
maître du jeu aussi souvent que possible. Un père racontait : « Je
lisais le journal pendant que mes enfants jouaient dans le jardin. Ma
femme leur avait attribué un secteur du jardin et leur avait dit d’en
faire ce qu’ils voulaient. Ils avaient l’air suffisamment heureux, alors
j’ai continué à lire. Quand j’ai relevé les yeux, j’ai vu qu’ils avaient
pris plusieurs fleurs dans le reste du jardin de ma femme et les
avaient mis dans leur carré de terre à eux. » Le père a raconté qu’il
s’était questionné pendant un certain temps à savoir comment il
allait expliquer à son épouse que la négligence bénigne était
vraiment bienfaisante pour le développement de ses enfants.
Par ailleurs, les intérêts d’un enfant devraient être en tête de liste
lors du jeu, par opposition à l’agenda des parents. Une mère a dit :

Mon mari est passionné de vélo de montagne et était impatient d’enseigner à notre
fille comment rouler à bicyclette. Lorsqu’elle reçut son premier vélo, il essaya de lui
enseigner à le monter, mais elle ne voulait que jouer avec les serpentins du guidon
et le laver. Éventuellement, elle dit à son père qu’elle voulait faire le tour de la rue
en marchant avec son vélo, et alors qu’ils marchaient, elle arrêtait à chaque 10 pas
pour prendre une gorgée de sa bouteille d’eau et la remettre soigneusement en
place dans son support. Elle a vraiment adoré jouer avec sa bicyclette, mais mon
mari était totalement consterné.

Alors que le père était appelé à constater que l’intérêt de sa fille pour
le jeu était plus important que son programme, il a été capable de
laisser aller ses attentes et de se réjouir du plaisir de celle-ci.

3. Créer de la structure, des rituels et des routines pour protéger le jeu


Puisque le jeu n’est pas une activité urgente, il se perd facilement au
travers des autres activités de la vie quotidienne. Afin de protéger et
de préserver le temps et l’espace requis pour le jeu, il faut utiliser
des routines ou des rituels. Par exemple, un parent peut décider du
nombre (ou de l’absence) de rencontres avec des amis qui devraient
avoir lieu dans une semaine. Un parent peut créer une routine
quotidienne qui équilibre les activités structurées avec le temps de
jeu, s’assurant ainsi que le jeu n’est pas mis de côté. En ce qui
concerne l’utilisation des appareils électroniques, de simples rituels
dirigeant les où, quand, comment, pour combien de temps et pour
quelles raisons ils sont utilisés peut aider à limiter l’usage et à
prévenir les éventuels problèmes. Ces appareils devraient être
laissés hors de la chambre de l’enfant et ne devraient jamais être
utilisés aux fins de récompense ou de punition. S’ils sont hors de la
vue des petits, ils seront aussi hors de leur esprit.

4. Ne pas tenter d’encourager le jeu par l’éloge ou la récompense


Plus un adulte tente de renforcer le jeu par des éloges et des
récompenses, plus il risque d’empêcher le jeu de se déployer.
Quand un parent dit à son enfant à quel point il est ravi ou fier du jeu
de l’enfant, il pourrait détourner le jeu et en faire un moyen
d’attachement. On peut facilement remédier à cela en reconnaissant
combien un enfant doit être fier de son propre accomplissement ou à
quel point un enfant doit être heureux d’avoir fait quelque chose pour
lui-même. La clé est de ne pas utiliser l’éloge ou les récompenses
pour manipuler le comportement de l’enfant et de se rappeler que le
jeu véritable a besoin d’espace pour prendre vie. Pendant qu’un
enfant est complètement absorbé par le jeu, la négligence sans
conséquence peut parfois être la meilleure approche, tel que ce
parent en donnait l’exemple avec l’histoire qui suit :

Mon fils avait l’habitude de s’asseoir au piano avec sa sœur et de lui demander
quelle chanson elle aimerait qu’il lui joue. Un jour, il lui a donné deux choix, « Puff,
the magic dragon » ou une chanson à propos d’un endroit nommé Agatera. Skylar
lui dit qu’elle voulait entendre la chanson Agatera. Mon fils approuva, et bien qu’il
n’ait jamais pris de leçons de piano, il inventa une chanson au sujet d’un endroit
nommé Agatera sur l’air de « Puff, the magic dragon ». J’étais sur le point de partir
à rire tout autant que de le louanger pour être si créatif. Je n’ai finalement rien dit,
parce que j’ai eu peur de l’interrompre au milieu de leur jeu et de risquer de les voir
tout arrêter.

Le jeu peut être encouragé quand les adultes lui accordent de la


valeur et le considèrent comme un des besoins de base de l’enfant.
Le jeu n’est pas considéré urgent et peut donc se perdre dans les
préoccupations concernant la performance, les résultats instantanés
et le besoin de prendre les devants par rapport aux autres. Les
adultes doivent servir de coussin de protection contre les innovations
technologiques, les rapides changements sociaux, l’économie
mondiale et contre leur propre anxiété au sujet de la réussite de leur
enfant qui menacent d’étouffer le jeu. Les enfants doivent apprendre
à s’aimer à travers le jeu avant de pouvoir découvrir qui ils sont.
Quelles sont les conséquences du « travail » et de l’éducation formelle dans la petite
enfance ?

ÉTANT DONNÉ LE BESOIN de jouer pendant la petite enfance, la question


est souvent posée, à savoir quand est-ce qu’un jeune enfant est prêt
pour le mode « travail » et la scolarisation ? La réponse est simple :
quand son cerveau est suffisamment développé, généralement entre
les âges de cinq et sept ans. Lorsque l’enfant sera capable
d’émotions et de pensées mitigées, il aura alors le contrôle
nécessaire sur ses pulsions pour participer avec succès à des
tâches qui demandent de la patience, de la considération et de
l’attention soutenue (voir le chapitre 2). Être capable de travailler
demande, chez l’enfant, d’être capable de retarder la gratification, de
faire des sacrifices et, plus encore, d’être capable d’avoir du plaisir à
se concentrer sur un résultat à venir. Par exemple, cet enfant de six
ans qui a dit à sa mère : « Je n’aime pas la première année parce
qu’il y a des pupitres et que je dois m’asseoir et travailler. Je veux
jouer et sauter, mais je dois m’asseoir, sinon mon enseignant va se
fâcher contre moi. » De toute évidence, il était prêt à aller en classe
puisqu’il pouvait ressentir et exprimer ses sentiments mitigés.
Les recherches se sont penchées sur l’efficacité de commencer
l’éducation formelle à l’âge de sept ans. Aux États-Unis et au
Danemark, étirer la maternelle jusqu’à sept ans a prouvé avoir réduit
de façon dramatique le nombre d’élèves susceptibles de démontrer
des troubles de l’attention ou d’hyperactivité, augmentant du coup
leurs succès académiques35. Le délai avant l’éducation formelle
permet au cerveau du jeune enfant de s’intégrer dans la région
préfrontale, créant ainsi la capacité de l’attention concentrée et du
contrôle des pulsions. En d’autres termes, c’est la maturité et non
pas l’instruction académique précoce, qui est la réponse au succès
scolaire.
Jusqu’à ce qu’un enfant atteigne « l’âge de raison », on ferait
bien d’injecter du plaisir dans toute activité qui pourrait être
interprétée comme du travail, que ce soit ramasser les jouets,
nettoyer, devenir propre, réaliser les tâches d’hygiène ou apprendre
les nombres et les lettres. Par exemple, une mère explique : « J’ai
utilisé du colorant alimentaire pour rendre l’entraînement à la
propreté plus amusante pour mon fils. Je lui faisais choisir la couleur,
ensuite je lui en faisais verser quelques gouttes dans la cuvette et il
urinait dessus, puis l’eau changeait de couleur. C’était très amusant
et ça a démoli toute la résistance qu’il avait montrée à
l’apprentissage de la propreté. »
Un des principaux problèmes en éducation, de nos jours, est la
protection du jeu en prématernelle et en maternelle. Une éducation
basée sur le jeu devrait être l’objectif pour les enfants d’âge
préscolaire, plutôt que l’enseignement et les sujets académiques ;
cependant, cet objectif est de plus en plus menacé. Le besoin de
défendre la petite enfance contre l’enseignement et les sujets
académiques est devenu un problème mondial, des États-Unis à la
Nouvelle-Zélande. Certains pays ont rapidement introduit
l’enseignement précoce et l’éducation, si bien que des enfants de
trois et quatre ans y apprennent les mathématiques ou la grammaire
par un enseignement formel. Peter Gray, psychologue et auteur du
livre Free to Learn, affirme que les garderies et maternelles sont
devenues les ultimes champs de bataille pour la protection de la
petite enfance36.
L’Association nationale pour l’éducation des jeunes enfants
affirme que l’approche de normes communes des États-Unis a fait
croire que les lieux d’enseignement précoce faisaient de l’enfant un
candidat prêt pour le travail ou l’université37. Au Royaume-Uni,
l’Association professionnelle pour le bien de l’enfant et la petite
enfance insiste sur le fait que l’enseignement d’acquis ne devrait pas
être l’objectif des années préscolaires ; au contraire, la petite
enfance devrait être une période pour faire place à la créativité,
encourager le désir d’apprendre et aider un enfant à devenir de plus
en plus indépendant et autonome38. En Nouvelle-Zélande, le
programme pédagogique appelé Te Whariki a été développé à partir
de la vision du peuple Maori, qui voit l’enfance comme un temps de
vie au lieu d’un temps de préparation pour la vie39. Même des pays
comme l’Islande ou la Suède, connus pour leur vision commune de
l’importance du jeu dans la petite enfance, font maintenant face à la
pression d’introduire des sujets académiques dans les programmes
préscolaires40. Heureusement, des pays tels le Danemark, la
Finlande ainsi que le Canada demeurent de puissants partisans du
jeu comme étant le meilleur environnement de croissance pour les
enfants âgés de moins de six ou sept ans. La Finlande a été le
centre d’attention grâce à son impressionnante performance au
palmarès des meilleurs pays établi par le Programme international
de suivi des acquis (PISA), de l’Organisation pour le développement
de la petite enfance, qui mesure les systèmes d’éducation autour du
monde41. Pourtant, les enfants finlandais ont une base
d’apprentissage très solidement fondée sur le jeu et où les sujets
académiques ne sont introduits qu’après l’âge de six ans42.
Le Canada a lui aussi obtenu un classement élevé dans les
mesures du PISA des programmes d’enseignement internationaux,
à l’époque où l’éducation basée sur le jeu était la norme et avant que
le programme de maternelle toute la journée ne soit implanté43. Le
passage à la maternelle toute la journée a été présenté comme une
façon de donner aux jeunes enfants un avantage académique, mais
n’a pas produit les résultats escomptés en ce sens. Lors des
évaluations du programme ontarien d’enseignement précoce en
maternelle à temps plein, on a constaté que les améliorations
académiques étaient mineures et sans répercussion, et que les
résultats étaient souvent en faveur des maternelles à demi-temps44.
Ces résultats soutiennent ce que les chercheurs de l’Université de
Duke en Caroline du Nord ont constaté lors de leur méta-analyse qui
portait sur les programmes de maternelles à temps complet : il n’y a
aucun avantage académique à long terme démontré en troisième
année pour tous les programmes de maternelle à temps complet. Ils
ont conclu que ces programmes de maternelle à temps plein
pouvaient être disponibles pour les enfants, mais pas requis pour
tous de façon obligatoire45. Les recherches soutiennent le fait que
l’éducation précoce et la maternelle à temps complet répondent
mieux aux besoins des enfants dont les parents sont incapables de
fournir les conditions pour le jeu véritable46.
Les recherches sur l’efficacité de l’enseignement précoce pour
les jeunes enfants n’ont jamais été concluantes. Malgré des
programmes d’alphabétisation préscolaire au Royaume-Uni, les
habiletés de lecture de ces enfants sont parmi les plus basses
d’Europe, plus basses que des pays où les enfants commencent
l’alphabétisation à un âge beaucoup plus tardif47. Il n’y a,
globalement, aucune évidence qui suggère que de savoir lire dès
cinq ans mène à de meilleurs résultats scolaires48. Par ailleurs,
recourir à l’enseignement de façon précoce peut avoir un effet
important sur les dispositions et la motivation d’un enfant pour les
apprentissages enseignés49. Faire lire un enfant à cinq ans crée un
stress et peut être vécu, par l’enfant, comme une mesure de
coercition. La nature même de l’enfant, qui est de vouloir
comprendre son monde, devient alors étouffée par les devoirs, les
salles de classe et les feuilles d’exercices, laissant trop peu de place
pour l’exploration et l’expression. L’enseignement précoce a été lié à
une baisse de la curiosité et de la créativité, victimes de
l’empressement à vouloir que l’enfant apprenne et sache des
choses50. Les jeunes enfants ayant fréquenté des lieux
d’enseignement à l’âge préscolaire ont démontré plus d’anxiété liée
aux tests, moins de créativité et voyaient l’école de manière plus
négative que les enfants qui n’avaient fréquenté que des lieux
préscolaires basés sur le jeu51.
Il y a une tendance alarmante et constante de vouloir pousser les
jeunes enfants vers des enseignements, en faisant fi des
affirmations venues de la science développementale qui soutient
qu’à cet âge, les enseignements dirigés sont beaucoup trop tôt et
trop nombreux, et qu’ils affaiblissent une croissance saine. On peut
aider les jeunes enfants à atteindre leur potentiel humain complet
comme élèves, mais ce sera à travers le jeu, et non pas à ses
dépens. Comme l’affirme Nancy Carlsson-Paige, experte en
développement de l’enfant : « Je n’aurais jamais imaginé, même
dans mes rêves les plus fous, qu’on aurait un jour à défendre le droit
de jouer des enfants52. »
4

Affamé de connexion :
l’importance de la relation

Il n’y a pas de sécurité dans cet investissement. Le seul fait d’aimer, c’est se rendre
vulnérable. Aimez n’importe quoi et votre cœur sera certainement tordu et possiblement
brisé. Si vous voulez être certain de le garder intact, vous ne devez donner votre cœur à
personne, pas même à un animal. Enveloppez-le soigneusement et entourez-le de loisirs et
de petits luxes ; évitez les enchevêtrements ; verrouillez-le bien en sécurité dans le cercueil
de votre égoïsme. Mais dans ce cercueil, sécuritaire, sombre, sans air ni mouvement, il va
changer. Il ne sera pas brisé ; il deviendra incassable, impénétrable, irrécupérable.
C. S. LEWIS1

P ÉNÉLOPE avait trois ans quand je l’ai rencontrée en jouant au


parc avec mes enfants, un jour. Après que nous ayons joué aux
billes ensemble, il était clair qu’elle avait l’intention de nous suivre,
peu importe où nous allions. Quand je lui ai demandé qui était la
personne qui prenait soin d’elle, elle a pointé un doigt en direction de
l’extrémité du parc, vers une femme qui était en pleine conversation
avec un autre adulte. Un peu plus tard, j’ai dit à Pénélope qu’elle
devait retourner auprès de l’adulte qui était venue au parc avec elle.
Elle m’a regardée avec défiance, mais après un peu d’insistance de
ma part, je l’ai gentiment poussée en direction de la femme. J’ai
retourné mon attention sur mes propres enfants, pour soudainement
sentir une petite main qui attrapait la mienne. Étonnée, j’ai regardé
et je l’ai vue qui se tenait là, encore. Elle m’a dit qu’elle voulait venir
avec moi. Je lui ai de nouveau dit qu’elle devait aller retrouver
l’adulte qui l’accompagnait et j’ai agité la main pour attirer l’attention
de la femme. Dix minutes plus tard, Pénélope me trouvait de
nouveau, mais cette fois, elle pleurait « balançoire, balançoire,
balançoire ». J’ai pris la fillette et me suis approchée de la femme
qui en avait soin, j’ai interrompu sa conversation et lui ai dit que
Pénélope était triste, parce qu’elle voulait aller sur la balançoire. Elle
me regarda platement et me dit : « Oui, elle est triste parce qu’elle
veut que vous la poussiez sur la balançoire. » Stupéfaite, furieuse et
troublée, je n’en croyais pas mes oreilles. J’étais une étrangère pour
cette enfant et il n’y avait rien de sain dans sa poursuite envers moi.
J’ai dit à Pénélope que l’adulte qui était avec elle allait la pousser sur
la balançoire, car je devais retourner auprès de mes enfants. Je me
suis éloignée, triste d’entendre Pénélope pleurer, furieuse contre
cette femme à qui il manquait clairement le désir d’être responsable
de la petite.
Le comportement de Pénélope était alimenté par une grande
faim de contacts et de rapprochements. Elle était affamée au niveau
relationnel et prête à suivre n’importe quel étranger qui lui offrait une
possibilité de chaleur et de connexion. Bien qu’une partie de moi
avait très envie de s’occuper d’elle, je savais que je ne pourrais pas
l’aider, puisque ça ne la servirait pas, en fin de compte. Ce n’était
pas la faute de la petite ; elle était seulement fidèle à son instinct de
trouver une personne auprès de qui elle se sentirait « chez soi ».
Ironiquement, Pénélope n’était de toute évidence pas sans confort à
la maison. Elle était bien habillée, elle avait un joli chariot, elle était
dans un beau parc situé dans un voisinage sécuritaire où elle
pouvait jouer. La plupart des gens la regarderaient en se disant
qu’elle allait bien et qu’elle avait tout ce dont elle avait besoin pour
grandir. La réalité, c’est que Pénélope n’allait pas bien et qu’elle était
affamée.
L’histoire de Pénélope démontre bien le défi de l’attachement : sa
nature pratiquement toujours invisible n’est révélée que lorsqu’une
personne a des yeux pour la voir ou est suffisamment touchée en
raison de son instinct d’empathie, pour y répondre. Son histoire met
aussi en lumière jusqu’à quel point les enfants vont travailler pour
répondre à leur besoin d’attachement lorsque la personne qui
s’occupe d’eux ne prend pas cette responsabilité. Les enfants ne
sont pas faits pour travailler en échange de l’amour. Ils sont faits
pour se reposer sous les soins affectueux de quelqu’un afin qu’ils
puissent jouer et grandir ; c’est pourquoi les relations ont tant
d’importance.

La faim de connexion et l’invitation au repos

T. S. ELIOT a écrit : « Le sentiment de « chez-soi » est le point de


départ de l’individu2 », mais qu’est-ce qui fait qu’un enfant se sent
« chez soi » en premier lieu ? Les enfants ne se sentent pas ainsi
simplement là où on les plante, ils doivent s’ancrer par les racines de
l’attachement. Se sentir chez soi est plus qu’une simple référence
géographique, ou une location physique ; c’est un endroit émotionnel
où l’enfant trouve le repos de sa quête de connexion. Les enfants
ont besoin de foyers relationnels, mais nous ne pouvons pas les
forcer, ces foyers ; ni les enfants à y entrer ; nous devons les y
inviter à travers notre relation et les inciter à venir s’y reposer, sous
nos soins. Nous ne pouvons pas donner d’instructions spécifiques à
savoir comment prendre soin d’une autre personne ou comment
l’aimer, mais nous pouvons soutenir l’idée que d’être attaché est la
réponse à notre plus grande faim en tant qu’être humain.
Plus de 60 ans de recherches sur l’attachement ont démontré
que ce dont chaque enfant a besoin est d’au moins un adulte fort,
solide et bienveillant pour s’y attacher. L’attachement est défini
comme étant l’instinct ou la relation caractérisée par la poursuite et
la préservation de la proximité3. On cherche à demeurer proche des
choses ou des gens à qui on est attaché. Pour qu’un développement
sain se déploie, les jeunes enfants ont besoin de cet attachement à
la personne qui veille sur eux, mais ils peuvent aussi s’attacher à
des objets ou à d’autres personnes, de l’ourson en peluche aux
grands-parents. Ce n’est pas une question d’être trop attaché, mais
plutôt de ne pas être assez profondément attaché. L’instinct
d’attachement est alimenté par le système limbique, aussi appelé le
centre émotionnel du cerveau4. Les traces chimiques de
l’attachement comprennent l’ocytocine et la vasopressine, qu’on
considère comme la colle extra forte qui nous attache les uns aux
autres5.
L’attachement est le besoin prééminent du jeune enfant. Son
instinct de quête inné le fait chercher la ou les personnes qui sont la
réponse à la question : Qui prendra soin de moi6 ? L’instinct de
quête propulse un enfant vers la formation d’attachements solides
qui vont nourrir sa faim relationnelle et lui procurer une base
rassurante où il se sentira « chez soi7 ». Ce n’est pas l’amour d’un
parent pour un enfant qui l’habilite dans son rôle de la personne qui
prend soin de l’enfant, mais plutôt l’attachement de l’enfant envers
son parent. Simone, cinq ans, l’a bien décrit lors d’un pique-nique
avec sa mère :

Simone : Je suis si heureuse que tu sois en vie, maman.


Mère : Moi aussi. Pourquoi est-ce que tu te sens comme cela ?
Simone : Parce que je t’ai.
Mère : Je comprends exactement ce que tu veux dire.

Un parent doit travailler à l’attachement pour qu’un enfant puisse


tenir pour acquise l’invitation à se reposer.
Chaque fois qu’un enfant est blessé ou effrayé, c’est son foyer
relationnel qu’il devrait chercher, comme l’a expliqué la mère de la
petite Chloé, quatre ans : « Chaque fois que Chloé est vraiment
fâchée, elle pleure en hurlant “Je veux aller à la maison… je veux
aller à la maison…” La première fois, j’étais vraiment déboussolée et
je lui ai fait remarquer qu’elle était à la maison, mais elle n’a fait que
pleurer plus fort en disant “Je veux aller chez maman à la maison.”
Dans ces moments-là, elle semble perdue et ne veut que le
réconfort de mes bras. »
Ce n’est pas non plus par accident que les jeunes enfants ont,
d’origine, un détecteur de foyer qui les avertit quand ils sont loin de
l’adulte qui s’occupe d’eux et ont besoin d’attention. La mère de
deux jeunes garçons disait : « Chaque fois que je suis au téléphone,
mes fils commencent à rôder autour de moi comme des requins. Ils
tirent mes bras, mes vêtements, ils se chicanent et ils crient jusqu’à
ce que je raccroche et leur donne mon attention. Je ne peux pas
avoir une seule minute à moi. » Les jeunes enfants sont des
créatures d’attachement, et ne pas en tenir compte éclipserait la
compréhension de ce qui alimente tant de leurs comportements.
La poursuite effrénée, constante, affamée du jeune enfant pour la
personne qui prend soin de lui n’est rien de nouveau. En 1958, John
Bowlby, le psychiatre britannique qui a été le premier à utiliser le
terme « attachement », disait aux parents : « Le jeune enfant est
affamé pour l’amour et la présence de sa mère tout autant qu’il peut
être affamé de nourriture8. » Il disait de s’attendre au fait que les
jeunes enfants fassent des demandes incessantes à leurs parents,
spécialement s’ils sont effrayés ou perturbés. Bowlby alléguait que
cela était un processus naturel et que bien que les parents puissent
parfois se sentir dépassés et fatigués, les demandes de l’enfant vont
finir par diminuer avec un développement sain et un enfant plus
sécurisé devrait émerger. Quand on réalise à quel point le besoin
d’attachement de l’enfant est grand, on réalise l’immense générosité
qui est requise d’un parent.
Dorothy Briggs a écrit, dans son livre Your Child’s Self-Esteem
(Comment épanouir votre enfant) : « On nourrit à partir de ses
débordements, pas de ses vides9. » C’est le débordement qui
importe le plus quand il est question de rassasier la faim
d’attachement. C’est grâce à de généreuses provisions de
bienveillance affectueuse qu’on invite nos enfants à entrer en
relation avec nous et qu’on leur procure ce dont ils ont besoin. C’est
en raison de l’abondance qu’un enfant est libre de se reposer sous
nos soins et de nous tenir pour acquis. Notre générosité est la
réponse parfaite à leur faim de contacts et de proximité, et c’est ce
qui les fait orbiter autour de nous. Sofia, une petite fille de cinq ans,
a communiqué à sa mère la façon dont elle expérimente la
générosité de ses soins et son effet sur elle :

Des fois je rêve que quand je me réveille, j’ai une balance à amour et toi aussi. La
tienne mesure toujours plus d’amour que la mienne, alors je pèse vraiment fort pour
qu’elle rejoigne la tienne. Chaque fois que j’y arrive presque, la tienne en pèse
encore plus. Je ne peux pas rattraper ton amour, maman !

Pendant qu’elle écoutait, la mère a réalisé que son invitation à une


relation l’emportait sur la quête de connexion de sa fille.
La forme et l’expression d’une généreuse invitation à
l’attachement changent en fonction de chaque situation. Par
exemple, si un jeune enfant demande un câlin, un parent peut lui en
donner cinq, mais quand l’enfant est contrarié par le « non » d’un
parent, la générosité peut vouloir dire faire de la place aux larmes
qui ont besoin de couler. Quel que soit le scénario, on doit inviter nos
enfants à entrer en relation avec nous en les poursuivant et en les
retenant près de nous, tant à travers les tempêtes que lors des bons
moments. Satisfaire l’intense besoin d’attachement des jeunes
enfants est un défi de taille pour tout parent, mais nous devons les
rassasier.
Les premières années sont les plus affamées. Les jeunes
enfants sont d’infatigables demandeurs qui ne sont rassasiés que
lorsqu’ils peuvent se bourrer de connexion humaine. L’attachement
est une quête primaire, et un adulte bienveillant, solide et généreux
est la seule réponse pour son accomplissement. Et bien que la
grande majorité des parents, enseignants, grands-parents et autres
responsables du bien-être d’un enfant s’entendent intuitivement pour
reconnaître l’importance de la relation adulte-enfant, on me pose
régulièrement ces questions :
Comment construit-on une solide relation d’attachement avec
un enfant ?

Peut-on être trop attaché ?

Si l’on a eu, soi-même, des difficultés d’attachement étant


enfant, est-ce qu’on peut tout de même s’attacher à son
enfant ?

Est-ce mal si je ne me suis pas attachée à mes enfants dès leur


naissance ?

Puis-je travailler et laisser mes enfants à la garderie et tout de


même avoir un fort lien d’attachement avec eux ?

Que se passe-t-il si je suis monoparental et qu’ils n’ont que


moi ?

Comment puis-je arriver à les faire s’attacher à leur


enseignant ? Leurs grands-parents ? Leurs frères et sœurs ?

Ces questions sont réconfortantes parce qu’elles annoncent un


changement d’orientation vers les relations entre enfants et adultes.
Ce qui demande plus d’éclaircissement, c’est QUI est censé
alimenter les enfants de manière rationnelle, COMMENT ont-ils
besoin d’être alimentés et DE QUELLE FAÇON cela est-il lié à leur
développement. Ce qui est limpide, c’est que les adultes sont
responsables de répondre au besoin relationnel de l’enfant. C’est la
réponse d’un parent au besoin de relation de son enfant qui
influence la trajectoire de croissance et la concrétisation du potentiel
humain.

À quoi ressemble un bon attachementc ?

UNE DES CHOSES dont mon grand-père était le plus fier au sujet de
son jardin, c’était la terre. Il chérissait sa terre riche, noire, un
mélange de compost qu’il perfectionnait constamment et qui
contenait « le secret de la croissance ». Comme tout enfant, je
n’avais pas grand intérêt envers la terre et avais plus d’intérêt à
savoir quand les fruits et légumes seraient prêts. Soupçonnant mon
impatience, il me rappelait de ne jamais sous-estimer l’importance
de donner une bonne fondation, même si l’on n’en voyait pas
directement les bénéfices. Ce qu’il savait d’instinct, c’était que plus
les racines sont profondes, meilleur sera le rendement. Avec du
recul, je réalise à quel point il en savait au sujet de l’attachement. Il
travaillait à cultiver de solides racines pour alimenter et soutenir la
croissance. Il n’aimait pas les raccourcis ni les méthodes qui forcent
l’atteinte des résultats ; il avait une fibre organique jusqu’au plus
profond de son être.
Les six phases séquentielles de l’attachement selon Neufeld
détaillent comment l’attachement se déploie, idéalement, sur les six
premières années de vie. Chaque phase séquentielle ajoute plus de
complexité et de profondeur à la capacité d’un enfant de s’attacher à
une autre personne. Chaque phase devrait fournir une nouvelle
manière de prendre contact avec quelqu’un et d’être capable de
maintenir une proximité avec cette personne. Plus nombreuses sont
les façons dont dispose un enfant pour maintenir la proximité, mieux
sera alimentée sa croissance en un être distinct, sociable et capable
d’adaptation. Bien que les enfants naissent avec la capacité d’entrer
en relation, leurs instincts d’attachement ont besoin d’être activés
par des soins constants et prévisibles. Il n’est jamais trop tard pour
que le potentiel d’attachement se concrétise, même s’il ne s’est pas
déployé pendant les six premières années de vie.

Figure 4.1 Adapté du cours de Neufeld Le puzzle de l’attachement.

1. L’attachement par les sens : à la naissance


Pendant leur première année de vie, les enfants sont des êtres
sensoriels, s’éveillant à leur monde extérieur et s’attachant par le
toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue. Ils peuvent essayer de
toucher les cheveux ou le visage et ils donnent des bisous mouillés
et collants, comme s’ils tentaient de dévorer la personne. Plusieurs
bébés veulent être tenus serrés, leurs yeux cherchant la personne
qui s’occupe d’eux et lançant des petits cris d’alerte quand le contact
visuel se perd. Le pouvoir apaisant d’une berceuse vient du fait que
le bébé se sent proche quand il entend une voix familière. Les bébés
vont aussi commencer à émettre des sons destinés à la personne
qui s’occupe d’eux, incluant des gazouillis, du babillage et des noms
comme « papapa, mama ». Ils sont branchés sur des odeurs
familières associées aux gens qu’ils aiment, comme le parfum de
maman : si leur attachement est hors de vue ou de voix, ils peuvent
maintenir la connexion par l’odorat. La sensibilité et la réceptivité
sensorielle globale de l’enfant façonneront le type d’interactions qu’il
trouvera apaisante.
Des contacts physiques constants et réguliers avec la personne
qui a soin de lui sont nécessaires pour construire, chez l’enfant,
l’attachement par les sens. Et bien que les bébés puissent, dès la
naissance, reconnaître les sons et les odeurs de leur mère
biologique, il faut en moyenne de six à huit mois pour que leur
cerveau soit suffisamment développé pour identifier une personne
comme étant la figure d’attachement numéro un10. Cela peut
également se développer plus tard que la période moyenne de six à
huit mois, si des facteurs environnementaux provoquent une
séparation. La beauté de la nature de l’attachement est telle qu’un
attachement primaire ne se fait pas nécessairement avec la
personne qui a donné naissance à l’enfant, mais plutôt avec la
personne qui prend constamment soin de lui. Les enfants sont
enclins à s’attacher à ceux qui leur assurent la plus profonde et
sincère invitation ainsi que la constance des soins. Cet attachement
primaire jouera un rôle clé dans la mise en forme de l’identité
précoce de l’enfant et dans le déploiement de sa capacité en tant
qu’être relationnel. C’est aussi cette personne qui sera capable
d’introduire l’enfant à d’autres figures d’attachement, construisant
ainsi, petit à petit, le village qui élèvera cet enfant.

2. L’attachement à travers la similitude : 1 an et plus


Si tout se déroule bien, l’enfant d’un an commencera à s’accrocher à
sa figure d’attachement à travers l’imitation. Les tout-petits sont des
imitateurs-nés et peuvent copier les sons, les manières et les
préférences de ceux à qui ils sont attachés. Dans leur cerveau, être
« pareil comme » la personne est une façon de s’approcher d’elle.
La mère du petit Jamie, deux ans, m’a fait suivre cette conversation
entre son fils et sa grand-mère lors du repas du midi un certain jour :

Jamie : Mamie, prends le mien.


Grand-mère : Ça va Jamie, j’ai mon sandwich. Mange le tien.
Jamie : Non Mamie, s’il te plaît.
Grand-mère : Vraiment, Jamie, Mamie est ok. Je n’aime pas le bacon. Mamie
mange seulement des légumes.
Jamie (l’air triste) : Mamie, s’il te plaît, mange du bacon.
Grand-mère : Je suis désolée, mon amour, Mamie n’aime pas ça.
Jamie (en pleurant) : Oh, Mamie, s’il te plaît, aime le bacon. J’aime le bacon, moi.

On remarque souvent à quel point les enfants « apprennent »


des choses de leurs parents comme si c’était une simple tâche
cognitive. Ce qu’on oublie, c’est à quel point l’attachement alimente
un désir émotionnel d’être le plus semblable possible à la personne
la plus près de nous. Les enfants sont transportés par le désir
d’adopter les mêmes formes que leurs figures d’attachement.
L’attachement alimente la quête d’imitation, le désir de manger la
même nourriture et l’acquisition du langage, d’où l’expression
« apprendre sa langue maternelle ». Les valeurs qu’un enfant
adopte ont plus à voir avec la personne à qui il est attaché qu’avec
le résultat d’un apprentissage. Si ses pairs deviennent ses plus
proches attachements, il va les imiter et les copier, donnant ainsi lieu
à une relation immature. Bien que nous sachions de façon intuitive
qu’un enfant d’un an est un parfait imitateur, nous devons considérer
de qui il tente de rester proche, au moyen de l’imitation. Pour
déterminer à qui un enfant d’un an est profondément attaché, vous
devez prendre en considération qui il essaie d’imiter dans sa façon
de parler ou d’agir. La conversation suivante avec les parents d’un
garçon de moins de deux ans révèle une surprenante figure
d’attachement dans sa vie :

Moi : Comme qui votre enfant parle-t-il ou agit-il ?


Père : Mis à part ma femme et moi, je ne suis pas sûr. Brayden fait un tas de sons
de perceuse et de marteau et utilise toute une panoplie d’outils imaginaires autour
de la maison.
Moi : Qui, dans votre maison, utilise des outils ?
Père : Pas moi. Ma femme non plus.
Moi : Est-ce que Brayden a des grands-parents qui utilisent des outils ? Regarde-t-il
des émissions de télévision où des personnages utilisent des outils ?
Père : Non. La seule chose à laquelle je pense, c’est que nous avons un
entrepreneur qui travaille sur notre maison depuis un an et il utilise des outils.
Moi : Je crois que Brayden est attaché à votre entrepreneur.

Les deux parents ont ri à cette affirmation, en réalisant et


commentant pour ma gouverne que leur entrepreneur disait que
Brayden lui rappelait son fils. Les adultes considèrent souvent
l’attachement à travers les rôles et responsabilités, mais l’enfant, lui,
considère l’attachement à travers des lentilles de celui qui l’apprécie
et qui démontre une certaine chaleur envers lui.
L’attachement à travers la similitude sert l’objectif
développemental de la formation d’une identité fonctionnelle
rudimentaire. L’enfant d’un an devient une collection de
caractéristiques et de manières copiées sur les gens avec qui il est
en relation. La forme qu’il prend est la somme totale de ses
identifications avec ses attachements. Étant donné son immaturité, il
s’accroche aux idées des autres jusqu’à ce qu’il forme les siennes.
Ces affiliations sont les graines de son identité naissante, sujette à
changement avec l’accroissement de la sophistication et de
l’individuation. Par exemple, les petits garçons peuvent avoir envie
de porter du vernis à ongles, comme leur grande sœur, ou les
petites filles peuvent vouloir se raser, comme leur papa. La mère de
deux jeunes enfants disait : « Mes enfants me demandent toujours
s’ils pourront avoir mes vêtements ou mes bijoux quand ils seront
plus grands. Ils me disent aussi qu’ils veulent porter des souliers qui
font “clip-clop” comme les miens et qu’ils veulent aussi avoir leurs
oreilles percées pour pouvoir porter mes boucles d’oreilles. »
L’attachement par la similitude permet à l’enfant d’un an de former
un début d’identité qui répond à la question « Qui suis-je ? ». Les
personnes à qui il choisit de ressembler révèlent de qui il essaie de
demeurer proche et c’est une façon d’atténuer la séparation d’avec
eux.

3. L’attachement à travers l’appartenance et la loyauté : 2 ans et plus


Vers l’âge de deux ans, l’enfant débute par s’attacher à des gens et
des objets à travers l’appartenance et la loyauté. Il commence à
démontrer de la possessivité et un comportement territorial autour
des gens et des objets, les réclamant pour lui-même. Son désir de
posséder sert le besoin de garder quelque chose ou quelqu’un
proche pour éviter la séparation. L’attachement à travers
l’appartenance fournit un sens de connexion plus profond au port
d’attache. L’enfant peut aussi exprimer du ravissement quand ses
parents le prennent ou le réclament d’une façon exclusive, avec des
affirmations telles que : « Ah, ça c’est ma fille (ou mon garçon) ! »
Des sentiments de possessivité naîtront naturellement de
l’attachement à travers l’appartenance. En fait, cette possessivité
signale la croissance de l’enfant vers un être relationnel. Le besoin
de posséder quelque chose ou quelqu’un et la jalousie qui s’ensuit
quand il doit partager l’objet ou la personne est quelque chose de
normal et de sain chez le jeune enfant, quelque chose qui signifie
qu’il aime et qu’il a déjà fait un progrès considérable sur le parcours
qui l’éloigne de la totale immaturité avec laquelle il a commencé sa
vie11. Une mère se souvient comment la possessivité et la jalousie
de sa fille, alors qu’elle venait d’avoir trois ans, se sont déclenchées
envers son frère :

Quand Ben, le frère de Brittany, a quitté la maison avec son père, je me suis
tournée vers elle et lui ai dit à quel point j’avais hâte de passer du temps seule avec
elle. Brittany m’a regardée et a dit : « Maman, on va devoir avoir une nouvelle
maman. » J’étais surprise, mais j’ai réussi à lui demander pourquoi elle jugeait
qu’une autre maman était nécessaire. Elle m’a répondu : « Je veux une autre
maman et la donner à Ben pour que je puisse te garder, toi. »

Bien que la possessivité d’un enfant de deux à trois ans puisse


mener à des conflits territoriaux, ses désirs devraient aussi être
considérés comme des compliments envers la relation ; il ne
cherche à réclamer que les personnes et les choses auxquelles il est
attaché. Dans son opinion, le partage est quelque chose de très
surévalué, ce qui le rend réfractaire à partager ses jouets ou les
adultes qui s’occupent de lui.
Un enfant de deux à trois ans bien développé commence à
démontrer des signes de loyauté après l’apparition de
l’appartenance. La loyauté implique de rester proche de quelqu’un
en obéissant aux règles, en suivant une personne ou en adoptant la
même opinion que la personne. Démontrer du soutien ou être
dévoué à quelqu’un est une expression de loyauté. Un père décrivait
ce que c’était, pour des visiteurs, d’entrer chez lui avec sa fille de
trois ans, Isabella, en tant qu’hôtesse :

Quand des gens entrent chez moi, j’entends Isabella leur dire « enlevez vos
souliers, on ne rentre pas avec des souliers » ou « accrochez votre manteau ».
Isabella leur dira de ne pas courir dans la maison et d’être gentils avec son frère
même lorsqu’il est difficile ou qu’il pleure. Elle les emmène même pour un tour du
jardin et leur dit le nom des fleurs. Les gens pensent qu’elle est intelligente, mais
elle ne fait que répéter ce qu’elle nous entend dire et ce que nous faisons.

La loyauté chez les deux à trois ans s’exprime aussi


communément en commençant à prendre position lors de
mésententes. Une mère nous a fait parvenir l’histoire suivante, qui
s’est déroulée en voiture alors que la famille s’en allait souper à
l’extérieur :

Mon mari conduisait et nous nous en allions souper. J’ai décidé de lui donner
quelques conseils amicaux de conduite et de l’encourager à prendre un raccourci
pour aller au restaurant. Il n’a pas aimé ma façon de le diriger sans être au volant et
m’a dit : « Je crois qu’après 20 ans de conduite, je dois savoir comment conduire et
où me stationner. » Je lui ai dit que je voulais seulement l’aider, parce que le
chemin qu’il prenait était vraiment congestionné. Tout à coup, Nathan a crié à son
père « Papa ! Pourquoi tu n’écoutes pas maman ? Elle sait où aller ».
La loyauté d’un jeune enfant est quelque chose de très personnel
et est un des meilleurs signes que l’attachement se développe bien
chez l’enfant de deux ans. La possessivité chez les petits d’âge
préscolaire n’est pas un accident, mais bien une condition
nécessaire qui leur permet de s’aventurer un peu plus loin tout en
s’assurant que la personne à qui ils sont attachés vienne avec eux.
L’attachement à travers l’appartenance et la loyauté contrebalance la
séparation qu’ils ressentent en devenant leur propre personne.

4. L’attachement à travers le sentiment d’importance : 3 ans et plus


À l’âge d’approximativement trois ans, un enfant devrait idéalement
commencer à cheminer vers l’attachement à travers le sentiment
d’importance. À ce moment, il va chercher à être spécial et précieux
aux yeux de ses attachements. Il va avoir envie d’être approuvé, il
va vouloir être vu et entendu et il voudra avoir de l’importance pour
les gens à qui il est attaché. L’invitation au contact et à la proximité
de la part de la figure d’attachement est comme de l’oxygène pour
un enfant et, en conséquence, il tend à développer son assurance et
à se sentir plus important. Je me rappelle encore de mon désir d’être
importante pour ma mère ; son sourire et sa chaleur affectueuse
remplissaient mon cœur pour des heures. La mère d’une fillette de
trois ans et demi racontait l’histoire suivante, qui révélait la faim de
son enfant pour avoir de l’importance à ses yeux :

J’avais été prendre Geneviève à la garderie et alors que nous marchions vers la
maison, je lui ai raconté que j’avais vu, dans sa classe, une petite fille très jolie
avec un grand sourire qui semblait vraiment avoir du plaisir. Comme je parlais de
cette petite fille et de combien je la trouvais spéciale, Geneviève commençait à être
triste. Je lui ai demandé si elle savait quel était le nom de cette petite fille et elle a
dit : « Non ! » Je lui ai ensuite dit que la petite fille de qui je parlais, c’était elle et
que je l’avais observée par la fenêtre de la classe. Le sourire sur le visage de
Geneviève est devenu énorme alors qu’elle réalisait que c’était d’elle que j’avais
parlé tout le long.

Les parents peuvent exprimer l’importance que leur enfant a pour


eux en lui donnant leur attention tout entière, en se souvenant de ce
qui est cher pour lui ou en lui exprimant le bonheur qu’ils ont d’être
avec lui.
Lorsqu’un enfant s’attache à travers le sentiment d’importance, il
devient sensibilisé aux signes qui expriment qu’il est cher et précieux
et tenu en haute estime, et qu’il procure un grand plaisir à ses
figures d’attachement. Il surveille ce qui est important pour un parent
et peut œuvrer pour avoir son approbation dans le but de répondre à
son propre besoin d’attachement. Par exemple, l’enfant peut
commencer à chercher l’attention en disant « regarde-moi » ou
« regarde ce que j’ai fait », simplement pour avoir de l’importance,
un « petit coup » d’attachement. Le problème, c’est que lorsqu’il doit
chercher à être important et à s’assurer de provoquer la réponse à
son besoin d’attachement, l’enfant ne trouve pas d’apaisement réel
et ne se repose pas sous les soins de sa figure d’attachement.
Quand il travaille à se faire aimer, il ne peut pas jouer et grandir, et il
peut devenir préoccupé avec la performance de devoir être « assez
bon », au lieu de se sentir assez bon juste à être ce qu’il est. C’est
pourquoi l’éloge peut devenir problématique avec les jeunes enfants,
puisqu’ils peuvent se mettre à travailler dans le but de plaire à la
personne qui prend soin d’eux, de façon à ainsi acquérir de
l’importance aux yeux de cette personne. Un sens de soi sain se
construit à force de se sentir aimé et aimable, et l’estime de soi
devrait tout naturellement en découler.
L’enfant qui veut être important pour quelqu’un sera plus
vulnérable que lors des phases précédentes d’attachement. Quand
un enfant cherche à être significatif pour quelqu’un, le rejet ou le
manque d’invitation des autres peut être blessant et alarmant. Un
enfant de trois ans qui fait l’expérience de ne pas être bienvenu ou
voulu peut mener à la honte ou au sentiment qu’il y a quelque chose
qui cloche chez lui. Cela peut mener l’enfant à essayer d’être plus
attirant pour la personne de qui il souhaite l’attachement ou encore,
il va modifier qui il est pour répondre aux critères qu’il perçoit comme
acceptables pour être considéré. Pour que l’estime de soi d’un
enfant ait une base solide, le sentiment d’être important et significatif
doit être séparé de la performance.
L’enfant de trois à quatre ans utilise ses figures d’attachement
comme des miroirs psychologiques qui reflètent son identité
émergente. Ce qu’il voit influence la façon dont il se voit,
spécialement avec des signaux qui sont naturellement répétitifs et
intenses. Par exemple, si un enfant voit et ressent que ses parents
aiment être autour de lui, il aura une meilleure opinion et image de
lui-même que s’il se fait régulièrement dire qu’il est difficile à gérer,
ou qu’il est un enfant problématique. Le besoin de signifier quelque
chose pour quelqu’un est une faim qui va conduire l’enfant à
chercher à être important partout où il le pourra, si ce besoin n’est
pas comblé à la maison, exactement comme Pénélope l’a fait avec
moi. Les enfants ont besoin de se reposer de l’effort qu’ils mettent à
l’attachement ainsi qu’à déceler s’il y a ou non une invitation de
contact et de proximité faite par une autre personne.

5. L’attachement à travers l’amour : 4 ans et plus


Si le développement se produit normalement, l’enfant de quatre à
cinq ans donnera son cœur à ses plus proches figures
d’attachement. C’est l’âge de l’intimité émotionnelle, où les
protestations du type « Je t’aime plus fort » ou les proclamations du
genre « Je vais marier toute la famille » sont nombreuses. Le cœur,
comme symbole de l’amour, peut devenir son motif favori,
apparaissant régulièrement dans ses dessins et bricolages. Il y a
une tendresse, une douceur et une empathie profonde qui
émergent ; c’est une période merveilleuse pour être le parent d’un
jeune enfant !
L’amour est l’émotion de l’attachement. Il ne peut être forcé et se
doit d’être donné spontanément. Si un enfant croit qu’il est aimé
parce qu’il est bon, gentil, aidant ou intelligent, il devient l’esclave de
performances répétées pour travailler à répondre à ses besoins
d’attachement. Lorsqu’il associe être aimé avec ce qu’il fait au lieu
de ce qu’il est, il ne peut pas se reposer, être en paix. L’essence
même de l’attachement inconditionnel, c’est qu’il transmet à l’enfant
le message clair qu’il est aimé tel qu’il est. Il y a eu des moments où
je disais à mes enfants que je les aimais et où ils roulaient les yeux
en répondant qu’ils le savaient déjà. Quand je leur demandais
comment ils savaient cela, ils me regardaient d’un air inexpressif et
me disaient : « Je ne sais pas. Je le sais, c’est tout. » J’espère que
jamais ils ne ressentent le besoin de travailler à être aimés.
L’attachement à travers l’amour implique une plus grande
vulnérabilité, spécialement alors que les tendres émotions
d’affection, de chaleur et d’empathie font surface. Toute personne à
qui l’enfant donne son cœur aura le pouvoir de le blesser
émotionnellement. Un enfant peut exploser de frustration et se
mettre en état d’alarme s’il croit qu’il n’est plus aimé, chéri, apprécié
ou important, ou si la personne qui en prend soin lui démontre une
absence de chaleur ou d’affection. C’est une des raisons qui fait que
l’attachement se déploie séquentiellement : pour que les enfants de
quatre à cinq ans soient sélectifs quand vient le temps d’offrir leur
cœur à quelqu’un. Ils s’attacheront à travers l’amour seulement avec
ceux de qui ils sentent un sentiment de similitude, d’appartenance et
d’importance ; c’est la façon qu’a trouvée la nature pour leur
permettre de s’attacher solidement.
L’amour est une forme plus profonde d’attachement qui permet à
un enfant de cinq ans de s’éloigner plus loin de son port d’attache et
d’essayer de nouvelles choses. La connexion à travers l’intimité
émotionnelle illustre l’exquise danse entre attachement et
séparation ; alors que les enfants s’aventurent plus loin, ils
s’accrochent toujours au sentiment de chez-soi qu’ils ont dans le
cœur.

6. L’attachement à travers le fait d’être connu : 5 ans et plus


Avec un développement idéal, l’enfant de cinq ans se déplace dans
la phase finale de l’attachement à travers le fait d’être connu. C’est
un déplacement vers l’intimité psychologique et c’est une des façons
les plus gratifiantes de se lier à une autre personne. À cet âge,
l’enfant comprend qu’il peut garder ses pensées et sentiments
dissimulés, choisissant de les dévoiler ou pas aux autres. En bref, il
peut garder un secret par sa propre volonté. Quand les enfants
s’attachent à travers le fait d’être connus, cela débloque une
inclinaison à révéler des parties cachées d’eux-mêmes à des gens
avec qui ils partagent une intimité émotionnelle. L’essence de
l’intimité psychologique, c’est le rapprochement par la transparence.
Les secrets déconnectent l’enfant de la personne qui en prend
soin et font obstacle à une intimité approfondie entre eux. Ne pas
être capable d’exprimer ses sentiments et ses pensées peut mener
à un manque de vitalité. Les humains sont construits pour partager
ensemble de façon vulnérable, ce qui ne doit pas être confondu avec
le fait de se dévoiler publiquement à tout le monde et à n’importe
qui, qui ne sert qu’à générer de petits « coups d’attachement » tels
qu’ils sont si fréquents, de nos jours, sur les médias sociaux. Le
besoin d’être connu est exclusif avec vos attachements les plus
rapprochés. Ce qui alimente ce besoin, c’est un désir de traverser la
division créée par le développement de la conscience individuelle.
L’intimité psychologique, c’est un appétit intense pour une connexion
sous la forme la plus profonde qui soit.
L’inclinaison d’un enfant à se révéler est nécessaire si les parents
sont là pour le surveiller et en prendre soin. Cette inclinaison assure
que l’enfant ne leur cache pas de choses importantes, ce qui est
critique jusque bien tard dans l’adolescence. Un père, perplexe à la
suite d’une confession de sa fille, un soir, en a compris le but en
réalisant son besoin à elle d’être connue de lui :

C’était vraiment étrange de voir Ellie avec sa main devant sa bouche comme si elle
était à la veille de dire quelque chose d’important. Elle essayait clairement de
retenir quelque chose, mais on aurait dit qu’il y avait trop de pression en elle pour
qu’elle puisse le retenir. Je lui ai finalement demandé quel était le problème et elle a
dit : « Oh papa ! Je ne veux pas te le dire, mais il faut que je te le dise. J’ai fait
exprès de cacher le train d’Oscar parce qu’il ne voulait pas le partager avec moi. »

L’inclinaison d’Ellie à être connue de son père était plus grande que
la peur de confesser quelque chose de mal qu’elle avait fait. Les
secrets ont le pouvoir de nous séparer des êtres de qui nous
voudrions être connus tout autant que de nous rapprocher d’eux.
Les parents sont souvent stupéfaits quand leurs enfants
commencent à mentir. La bonne nouvelle, c’est que mentir démontre
l’intégration cérébrale et la capacité, pour l’enfant, de s’occuper de
deux pensées ou deux sentiments à la fois. Cela annonce la fin de la
personnalité préscolaire, mais la reconnaissance de cette
sophistication est souvent étouffée dans le chaos qui entoure le
mensonge. Lors d’un souper de fête, quelqu’un m’a questionnée au
sujet de son fils de six ans qui venait de dire son premier
mensonge :

Megan : Toby m’a regardée droit dans les yeux et m’a dit qu’il n’avait pas pris le
bonbon dans mon sac, mais j’ai trouvé les emballages cachés dans sa chambre.
J’étais si fâchée que je l’ai privé de dessert pour toute une semaine et lui ai dit de
ne plus jamais me mentir. Qu’est-ce que je suis censée faire ?
Moi : Oh, Megan, Toby est maintenant capable de mentir ; c’est une superbe
nouvelle ! De t’entendre me dire qu’il peut maintenant s’occuper de deux choses à
la fois dans sa tête, la vérité et le mensonge, c’est une fantastique étape du
développement. Je comprends que tu sois triste, mais est-ce que tu comprends ce
que cela signifie ?
Megan (qui regarde une autre amie avec les yeux ronds et la bouche ouverte) : Es-
tu complètement folle ?
Moi : Sérieusement, Megan, ça veut dire que son cerveau s’est développé au-delà
de la façon préscolaire de voir le monde. Tu as déverrouillé la porte à tant de
potentiel de maturité : il est suffisamment sophistiqué pour te cacher des choses. Il
sait que mentir est mal, ce n’est pas ça le problème. Il ne voulait pas avoir à se
révéler à toi ; c’est ça le problème. Un des antidotes aux mensonges et aux
cachotteries, c’est le désir d’être connu par nos attachements les plus proches. Est-
ce qu’il te dit parfois ses secrets ?
Megan : Oui, la plupart du temps, je crois…
Moi : Alors, rends cela sans danger pour lui de le faire, même lorsqu’il échoue. Il
peut maintenant décider avec qui il veut partager son cœur ; tu dois t’accrocher à ta
relation avec lui de façon à t’assurer que ce soit avec toi.
Megan : Bon, comment suis-je censée traiter le fait qu’il ait menti ?
Moi : Lui as-tu demandé pourquoi il avait pris le bonbon ? Mon opinion est qu’il
voulait un bonbon, savait que tu allais dire non, ce n’est pas ce qu’il voulait
entendre et il n’a pu résister à la tentation de le voler. C’est ça, la vie. Il a besoin
d’être en relation avec ses sentiments et pulsions qui tentent de lui faire prendre
des raccourcis et de ne pas accepter un « non » pour les choses qu’il veut avoir,
mais ne peut pas avoir.
Megan : Et comment cela va-t-il l’empêcher de mentir encore ?
Moi : A-t-il l’air désolé ou l’est-il seulement parce que tu le lui as fait dire ? Tu n’as
qu’à faire la lumière sur ça pour qu’il puisse réfléchir à ce qu’il a fait et comment il
se sent confus à ce sujet. C’est le message que tu veux qu’il assimile : que ces
pulsions et sentiments font partie de nous tous. Ce qui est important, c’est de quelle
façon on y répond.
Megan : Ugh… Il ne veut même plus en parler, maintenant. J’ai déjà retiré tous ses
desserts.
Moi : Je suis pas mal certaine que tu auras une autre occasion. La tentation de
mentir ne nous quitte jamais.

Non seulement le partage des secrets mène-t-il à l’assouvissement


des besoins d’attachement, mais cela influence aussi la croissance
vers l’identité individuelle. Quand un enfant se révèle à sa ou ses
figures d’attachement les plus proches, il en vient à mieux se
comprendre lui-même. Dire la vérité pave la voie pour l’authenticité
et l’intégrité dans les relations, équipant ainsi l’enfant d’amitié et de
partenariats sains, plus tard dans sa vie. Le chemin vers
l’authenticité est pavé par des adultes qui soutiennent l’enfant qui se
révèle de façon vulnérable. L’intégrité personnelle est encouragée
quand l’enfant a la liberté de se dévoiler sans crainte de représailles
ou de séparation. Les conditions suivantes sont propices au partage
vulnérable de sentiments et de pensées :

L’enfant s’attache tout d’abord au parent à travers l’intimité


émotionnelle, de façon à ouvrir la porte au désir d’être connu.
L’enfant se sent en sécurité de dévoiler ses « sentiments
vulnérablesd », parce que cela ne mènera pas à une séparation
d’avec sa figure d’attachement.

L’enfant reçoit, d’un parent, une chaleureuse invitation à se


révéler, par exemple : « Tu as l’air un peu grognon, tu veux m’en
parler ? » ou « Ton cœur a l’air triste, tu veux me dire
pourquoi ? » ou « On dirait que quelque chose te chicote… ».

L’expression des pensées et sentiments de l’enfant est facilitée


par le parent qui fait référence à ce qu’il a entendu et qui est
empathique.

Quand on est parent d’un jeune enfant, le but ultime est d’ouvrir
la porte aux six formes d’attachement dans un contexte de relation
profonde et vulnérable entre l’enfant et l’adulte. Cela peut seulement
se produire si la connexion est constante, prévisible et à l’abri de
toute rupture, et si l’enfant peut faire l’expérience de ses émotions
de façon vulnérable. Lorsque ces conditions sont réunies et que
l’enfant se déploie en un être relationnel, son développement sera
propulsé vers l’avant.
L’attachement alimente la croissance de l’enfant pour en faire un
être fonctionnel distinct, ce qui est une chose magnifiquement
paradoxale. Comme des partenaires de danse qui s’attachent et se
détachent dans des pas et pirouettes complexes, mais superbes, et
qui travaillent en tandem. La capacité des enfants de tendre vers
leur potentiel humain dépend de la profondeur des racines de
l’attachement qui les nourrit. Quand l’attachement devient plus
profond, le fonctionnement distinct est poussé vers l’avant, dans la
direction opposée. Les enfants ne peuvent s’aventurer au loin pour
jouer que lorsqu’ils ont l’assurance d’un port d’attache vers lequel ils
peuvent retourner. L’attachement est une des plus grandes forces de
la nature humaine, une force qui nous entraîne les uns vers les
autres. En même temps, elle est contrebalancée par des forces qui
tirent nos enfants vers un devenir de fonctionnement distinct et
d’identité individuelle. C’est une union parfaite de forces opposées :
alors que nous retenons nos enfants, ceux-ci sont libres de jouer, de
croître et de devenir, ultimement, des êtres distincts.

Comment entretenir un attachement solide à travers le rituel d’apprivoisement

BIEN QUE LES ENFANTS NAISSENT avec l’instinct de s’attacher, les adultes
doivent jouer un rôle actif à ce sujet. Une des façons les plus
fondamentales de transmettre le désir de proximité est à travers le
rituel d’apprivoisement. Nous devons inviter nos enfants à entrer en
relation avec nous en apprivoisant leurs instincts d’attachement ;
nous devons travailler à obtenir leur attention. En s’engageant dans
la danse d’apprivoisement, on entre dans leur espace d’une façon
amicale et on travaille à obtenir un sourire, un contact visuel ou peut-
être un simple hochement de tête signifiant leur accord. Vous
pouvez, par exemple, dire : « Je vois que tu construis une haute tour
avec tes blocs, c’est haut ! J’aime les blocs, moi aussi. » Une fois
qu’ils semblent réceptifs à notre attention, on peut les impliquer
davantage en offrant un geste de contact et de proximité. Si l’enfant
semble réceptif, on peut choisir de continuer la conversation ou
encore d’inviter l’enfant à partager ses idées : « Jusqu’à quelle
hauteur crois-tu pouvoir la construire ? Est-ce que je peux t’aider ? »
Bien que le rituel d’apprivoisement puisse sembler bénin, il s’agit
d’une façon naturelle et puissante de communiquer le désir d’être
proche de quelqu’un. Notre expression de plaisir et de chaleur nous
place à l’avant-plan et au centre de l’attention de l’enfant, en position
idéale pour prendre soin de lui. Le rituel d’apprivoisement est la
représentation constante de l’adulte en tant que réponse à la faim de
l’enfant pour le contact et la proximité, forgeant et solidifiant le lien
relationnel entre eux. Comme l’a résumé Benjamin Spock, s’il
existait une prescription pour prendre soin d’un enfant, ce serait de
les apprécier12.
Il n’y a pas de bonne méthode pour apprivoiser un enfant ;
l’apprivoisement se crée par des pratiques culturelles tout autant que
par la disposition individuelle. Certains enfants seront apprivoisés
par le son de la voix de quelqu’un, alors que d’autres préfèrent le
toucher ou le contact visuel. Les exemples d’apprivoisement varient
d’un adulte à un autre, mais il ne manque pas d’idées quand il est
question de simplement être dans la mire de l’enfant de façon simple
et amicale. Ce qu’il est important de se rappeler, c’est qu’apprivoiser
un enfant n’a que peu à voir avec la stratégie ou les procédures, et
bien plus avec un désir sincère d’être proche. Je me souviens
encore de la merveilleuse façon qu’avait mon grand-père de
m’apprivoiser quand nous allions le visiter. Il nous attendait dans
l’entrée, un grand sourire aux lèvres pendant que nous nous
stationnions. Je me souviens que ses yeux bleus brillaient quand il
me regardait, je me sentais comme si j’étais aimée jusqu’au plus
profond de mon être. Il nous accueillait dans sa demeure avec de la
nourriture, des boissons et des rires. Il nous apprivoisait parce qu’il
nous aimait et non pas parce qu’il devait le faire ou parce qu’un livre
lui avait dit de le faire. Il était la personnification de la chaleur, de
l’affection et du plaisir, et je me retrouvais instantanément attirée par
le fait d’être à ses côtés.

FOURNIR UNE TOUCHE DE PROXIMITÉ


POUR PERMETTRE À L’ENFANT DE S’Y ACCROCHER

Un signe d’appartenance ou quelque chose de spécial qui nous appartient


Une ressemblance ou une similitude, quelque chose qu’on a en commun
Une marque de loyauté, un geste qui montre qu’on est là pour prendre sa
défense
Un signe d’importance, quelque chose qui dépasse les attentes liées aux
rôles de la relation
Un signe de chaleur ou d’enchantement, quelque chose qui suggère
l’affection
Un signe qu’on le « comprend vraiment » d’une façon différente des autres
Un geste qui démontre qu’il est bienvenu en notre présence

Figure 4.2 Adapté du cours de Neufeld Le puzzle de l’attachement.

Une des erreurs les plus communes que nous faisons avec les
jeunes enfants est de nous attendre à ce qu’ils suivent nos ordres
alors qu’ils n’ont pas été apprivoisés. En apprivoisant un enfant,
vous arrivez à lui faire fixer son attention sur vous et à vous suivre
en raison de son instinct d’attachement. Avec les jeunes enfants,
nous devons apprivoiser leur instinct d’attachement avant de leur
donner des consignes. Étant donné qu’ils ne peuvent traiter qu’une
chose à la fois, les faire décrocher de leur jeu, leur demander de
rentrer et de franchir d’autres transitions sont des actions qui sont
facilitées s’ils ont d’abord été apprivoisés. Si vous n’êtes pas à
l’avant-plan et au centre de son attention, vous ne vous trouvez pas
dans son cercle d’influence.
Une mère est venue me voir après une présentation sur les
jeunes enfants et m’a dit : « Mais ça prend de l’énergie et du temps
pour les apprivoiser et je ne dispose pas de ce temps-là le matin. »
Je lui ai demandé comment se déroulaient ses matins et elle m’a
expliqué : « C’est terrible ; on se bat tous les matins pour sortir. Je
dois laisser mon plus vieux à l’école et ensuite mon plus jeune à la
garderie. Je suis toujours en retard et je suis déjà crevée quand je
les dépose. La seule chose qui fonctionne pour les faire bouger,
c’est de leur donner du temps pour utiliser leurs appareils
électroniques s’ils ont fait tout ce qu’ils devaient faire, mais ensuite,
je ne peux pas les détacher de leur machine quand vient le temps de
partir. Tous les matins, c’est le même combat. » Je lui ai demandé si,
à d’autres moments, ses enfants la suivaient plus docilement. Elle a
répondu oui, mais a souligné la période sous pression du matin
comme étant la plus problématique. Je lui ai suggéré d’essayer
d’apprivoiser ses enfants le matin en passant par la mise en place
d’un rituel prévisible pour les impliquer ; par exemple, leur lire une
histoire, partager avec eu la planification de la journée, les nourrir…
simplement se mettre en leur présence d’une manière amicale. J’ai
évoqué qu’il était difficile d’essayer d’attirer l’attention de l’enfant
quand il est collé à un appareil électronique, alors elle devrait peut-
être réserver ces appareils pour un autre moment de la journée. Ce
qu’il était le plus important de faire pour modifier les choses était
d’être capable de démontrer de la chaleur, du bonheur et du plaisir à
ses enfants, le matin. Elle a dit : « Mais je suis inquiète qu’ils ne
soient pas prêts, que je sois en retard et que j’aie à travailler afin de
les apprivoiser. » Je lui ai répliqué : « On dirait que vous êtes déjà en
retard et que vous vous battez avec eux pour partir chaque matin.
Mon avis, c’est que les choses risquent peu de changer, sauf si c’est
vous qui montrez la voie. Je ne dis pas que vous aurez à travailler
plus fort, mais vous aurez à travailler différemment. Est-ce que vous
pouvez vous dégager un peu de temps pour expérimenter
l’apprivoisement de vos enfants le matin et faire les choses
autrement ? » Elle m’a dit qu’elle essaierait et qu’elle allait me
revenir. Le jour suivant, elle me dit : « J’ai essayé de les apprivoiser
ce matin et je ne pouvais pas le croire, ça a vraiment fonctionné ! »
Ses yeux s’emplirent de larmes et elle poursuivit : « Je ne peux pas
le croire. Je me suis battue avec eux si longtemps, et c’était
seulement ça que je devais faire… J’avoue que j’avais de sérieux
doutes que cela fonctionnerait, mais maintenant que ça a fonctionné,
je me sens comme si j’avais retrouvé mes enfants. »
Ce qui est remarquable, c’est la capacité de cette mère à utiliser
un rituel de rassemblement pour apprivoiser ses enfants et
transformer son matin si rapidement. À mon avis, elle avait plus de
pouvoir, comme parent, qu’elle ne le réalisait. Elle avait
probablement travaillé très fort à établir et cultiver une relation avec
ses enfants, mais ne savait pas comment en tirer profit. Cette mère
m’a rappelé de ne jamais sous-estimer la force de l’attachement
pour ramener un enfant sous la garde rapprochée de ses parents.
Cela souligne particulièrement bien QUI est la personne censée
alimenter les enfants, COMMENT ceux-ci doivent-ils être nourris et
POURQUOI est-ce si important. Le rituel d’apprivoisement fournit
tous les ingrédients nécessaires pour répondre à la faim de
connexion qu’ont les enfants.
Les pairs comme attachements concurrents

UN DES PROBLÈMES D’ATTACHEMENT les plus fréquents pendant la petite


enfance est le phénomène d’orientation vers les pairs. Ce terme est
donné lorsqu’un enfant transfère son besoin d’attachement vers ses
pairs au lieu des adultes qui prennent soin de lui. Il s’agit de la thèse
défendue dans le livre de Gordon Neufeld et Gabor Maté, Retrouver
son rôle de parent. Quand un enfant est orienté vers ses pairs, il va
poursuivre et préférer ses amis quand il est question de répondre à
ses besoins relationnels. Cela provoque un attachement concurrent
entre les adultes importants dans sa vie et ses pairs, à savoir qui
aura le plus de connexion et de proximité avec le cœur de l’enfant
et, donc, qui le dirigera. Neufeld et Maté affirment que « les enfants
orientés par leurs pairs vont souvent agir, spécialement en présence
les uns des autres, comme s’ils n’avaient pas de parents. Les
parents ne sont ni reconnus ni sujets de discussion… Les enfants ne
démontrent pas ce manque de loyauté volontairement, ils ne font
que suivre leurs instincts, instincts qui ont été sabotés pour une ou
des raisons totalement hors de leur contrôle13 ».
Les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables à
l’orientation vers les pairs en raison de leur immaturité et de leur
manque de fonctionnement distinct, qui signifie qu’ils sont toujours
en train de chercher les rapprochements et contacts avec quelqu’un
ou quelque chose. La ressemblance et la disponibilité de leurs pairs
en prématernelle et à la garderie font des pairs un substitut naturel
pour l’enfant chez qui la recherche de l’attachement n’a pas été
récompensée. Si les adultes qui assurent les soins des enfants ne
cultivent pas activement leurs relations avec eux, ils ne pourront pas
satisfaire leur appétit pour une connexion, laissant aux enfants la
seule option de se trouver des sources alternatives.
Le problème avec l’orientation vers les pairs, c’est que les amis
sont un bien pauvre substitut à la connexion avec un adulte. Leur
immaturité les rend susceptibles de faire des crises et d’avoir des
caprices, en plus d’être peu fiables quand il est question de
proximité et de contact. L’orientation vers les pairs peut provoquer
plusieurs problèmes d’apprentissage ou de comportement chez
l’enfant, tel un manque de respect et de déférence envers les
adultes qui prennent soin de lui ; une nette préférence à être avec
ses pairs et de la frustration quand ses tentatives de connecter avec
ses pairs sont contrecarrées ; ne pas respecter, suivre ni partager
les valeurs des adultes qui l’entourent et ne pas chercher à les
interpeller quand il a besoin d’aide. Les enfants orientés vers les
pairs peuvent aussi, dans leur quête de proximité, adopter les
mêmes manières que leurs pairs, étouffant ainsi leur propre
individualité. Ces enfants peuvent souffrir d’anxiété et paraître
généralement moins confiants. Il y a une importante différence entre
le fait d’avoir des amis et celui de se rabattre sur eux pour rassasier
sa faim de contacts et de rapprochements.
Les problèmes d’apprentissage et de comportement qui germent
à partir de l’orientation vers les pairs sont très évidents dans cette
lettre dont m’a fait part le père d’un garçon de quatre ans nommé
Peter. Les employés de la garderie de Peter étaient devenus frustrés
par son manque d’écoute et son comportement avec le groupe :

Peter démontre un manque de respect envers les autres enfants et les éducateurs.
Par exemple, aujourd’hui, alors que madame Mavis chantait une chanson aux
enfants, Peter a dit d’un ton provocant à la personne assise près de lui : « Pourquoi
chante-t-elle toujours avec cette voix ? Elle chante toujours aussi mal, pas vrai ? »,
suivi d’un éclat de rire. Il a aussi dit à un ami assis à ses côtés, et pouvant être
entendu par l’autre enfant dont il était question : « N’est-ce pas que Noah est
horrible ? » Peter est régulièrement provocant dans ses commentaires et tente
d’amener d’autres enfants à suivre son exemple. Son comportement perturbe la vie
de la garderie. Nous lui avons dit que ces actions sont inappropriées, mais il ne
nous écoute pas ni ne nous laisse l’approcher.

Après avoir discuté du comportement de Peter tant à la garderie


qu’à la maison, il parut clair qu’il était orienté vers les pairs. De ce
fait, ses deux parents et ses éducateurs ont commencé à travailler
très fort pour cultiver une relation plus profonde avec lui. Ils ont
réduit les contacts avec ses pairs, se réunirent avec Peter de façon
régulière, prirent une solide avance à lire ses besoins et lui
donnèrent beaucoup d’attention, incluant des sorties de type rendez-
vous avec maman ou papa. Au fur et à mesure que les adultes dans
la vie de Peter l’amenèrent en relation avec eux, il commença à
écouter et ses provocations irrespectueuses disparurent.
Les graines de l’orientation vers les pairs sont semées dès la
plus tendre enfance quand les adultes ne vont pas activement
chercher les enfants par leur attitude et ne cultivent pas de
profondes relations avec eux. Pénélope, l’enfant qui m’a
pourchassée au terrain de jeux, serait sûrement à risque élevé pour
l’orientation vers les pairs. Elle cherchait à tout prix une connexion
partout où elle pouvait en trouver une et, si ses pairs étaient pour
devenir la réponse à cette quête, les adultes de son entourage
pourraient faire l’expérience d’une grande perte d’influence et de
direction. Ils seraient ainsi limités dans leur capacité à prendre soin
d’elle tant physiquement qu’émotionnellement. L’effet à long terme
de l’orientation vers les pairs sur le développement peut inclure toute
une gamme de problèmes d’apprentissage et de comportement tant
à la maison qu’à l’école, ainsi que des conséquences
potentiellement tragiques lors de l’entrée de l’enfant dans
l’adolescence. L’orientation vers les pairs contribue à des
perturbations émotionnelles et de santé mentale incluant l’abus de
substances à l’adolescence14.
Les jeunes enfants ont besoin de s’attacher aux adultes qui sont
responsables d’eux. C’est la quête d’un enfant vers son parent, son
enseignant ou la personne qui prend soin de lui qui responsabilise
cet adulte dans son rôle bienveillant face à l’enfant. Comme l’ont
écrit Gordon Neufeld et Gabor Maté : « Qui élève nos enfants ? » La
réponse unanime, la seule réponse compatible avec la nature, c’est
que nous, les parents et autres adultes responsables du bien-être de
l’enfant, devons être leurs guides, leurs modèles et ceux qui
nourrissent leur curiosité et leur faim de comprendre leur monde.
Nous devons les garder près de nous jusqu’à ce que notre travail
soit fait15.
5

Qui est responsable ?


La danse de l’attachement

Nous avons été mis sur terre avec bien peu de moyens,
Pour apprendre à gérer toute la force de l’amour.
WILLIAM BLAKE1

N ANCY m’a consultée au sujet de ses jumeaux de cinq ans,


James et Sarah, qui avaient « pris le contrôle de la maison ».
Nancy et son mari vivaient d’un incident à l’autre en marchant sur
des œufs et en attendant la prochaine éruption de frustration quand
ils auraient à dire non ou à expérimenter une solide résistance
quand ils allaient leur donner des instructions. Les enfants
essayaient de discipliner les parents quand ils se trompaient, leur
donnant des temps de réflexion et des conséquences. Les rôles
s’étaient inversés, et ce n’était pas en raison d’un manque d’amour
parental, ni de volonté ou de désir d’être les responsables. Les
parents étaient épuisés et les jumeaux, infatigables. Tout le monde
souffrait d’anxiété. Des amis avaient conseillé à Nancy d’être plus
sévère envers les jumeaux, question de leur montrer « qui était le
patron », mais cela s’est retourné contre elle et a plutôt mené à des
explosions de comportements négatifs. Un conseiller orienté vers le
comportement a donné à Nancy un « tableau des récompenses »
pour faire du renforcement positif auprès de ses enfants lorsqu’ils
écoutaient et obéissaient. Au début, le tableau a fonctionné…
jusqu’à ce que les jumeaux décident qu’ils allaient plutôt, eux,
récompenser leur mère quand elle serait une « bonne mère ».
Aucune des stratégies parentales ne fonctionnait. Tous les trucs de
Nancy, ses gâteries, conséquences, punitions et contraintes ne
faisaient que continuer à révéler au grand jour son impuissance en
tant que parent. Elle essayait de prendre le dessus avec des
moyens artificiels de contrôle comportemental. Rien n’allait changer
dans la maison tant qu’elle n’attaquerait pas le problème de front et
trouverait la raison qui faisait que ses enfants ne l’écoutaient pas, ne
suivaient pas ses instructions. Elle avait besoin de reprendre son
rôle alpha et de modifier les instincts et les émotions qui dictaient le
comportement de ses enfants.
Lors de notre première rencontre, nous avons discuté des
raisons qui avaient provoqué le changement de rôles faisant en
sorte que James et Sarah étaient devenus dominants, et avons
aussi discuté des défis qui venaient avec leur constante résistance,
leur frustration, leur anxiété et leur attitude directrice. Nous avons
discuté de ses enfants qui déplaçaient la position alpha vers eux et
d’à quel point il lui fallait la regagner si elle voulait que ses enfants
puissent s’apaiser sous ses soins et sa garde. Nous avons parlé de
ce que signifie avoir une présence alpha et des stratégies destinées
à transmettre clairement aux jumeaux qu’ils pouvaient avoir
confiance en ses capacités de parent bienveillant. Nous avons
discuté du fait que les méthodes disciplinaires de type cris,
hurlements, périodes de réflexion ou « compter jusqu’à trois »
n’étaient que des mesures désespérées qui ne faisaient que
souligner son impuissance. Ses enfants étaient consultés sur de trop
nombreux sujets ; Nancy était découragée de devoir reprendre les
rênes et de lire les besoins de ses enfants sans poser de questions.
Après m’avoir révélé qu’elle avait dit à James et à Sarah qu’elle allait
« chercher de l’aide pour apprendre comment s’occuper d’eux », je
lui ai suggéré de cacher nos rencontres et de plutôt transmettre le
message qu’elle savait déjà comment faire.
Deux semaines plus tard, Nancy est revenue me voir et m’a dit
que lorsqu’elle était revenue à la maison après notre première
rencontre, elle avait trouvé James et Sarah qui sautaient sur le lit et
leur père qui leur criait d’arrêter. Les enfants l’ignoraient, lui, mais
lorsqu’elle est entrée dans la pièce, elle s’est tenue là,
silencieusement, les regardant, ses pieds fermement plantés au sol,
bras croisés sur sa poitrine, ses yeux transmettant le message que
c’était elle qui était la personne responsable. Les enfants l’ont
regardée et ont arrêté de sauter, stupéfaits de son attitude, et ils ont
dit « Maman ? ». Elle a répondu : « Est-ce qu’on pense vraiment
qu’on va sauter sur le lit ce soir ? » et ainsi, après avoir saisi leur
attention, elle a dit : « C’est l’heure de l’histoire ! » et les a dirigés
hors de la chambre. Du coin de l’œil, elle a vu que son mari essayait
d’imiter son attitude avec les bras croisés et les yeux fixés sur les
enfants. Elle lui a demandé : « Qu’est-ce que tu fais ? » « Je te
copie. C’était vraiment bien. Comment s’appelle cette technique ? »
répliqua-t-il. « Je l’appelle être responsable », répondit Nancy, et
juste comme ça, elle a mené James et Sarah au lit.

La danse hiérarchique de l’attachement

POUR QU’UNE ENRICHISSANTE DANSE de l’attachement se déploie, les


relations entre adultes et enfants se doivent d’être hiérarchiques. Le
parent est tenu de mener et l’enfant doit suivre. Cette danse est
instinctive et ne peut être forcée. Elle est activée quand un parent
prend une position bienveillante et crée les conditions pour que
l’enfant sache qu’il peut compter sur lui. Le but ultime de
l’attachement est d’encourager la dépendance de l’immature sur
ceux qui sont responsables de lui. Les adultes doivent inviter les
jeunes enfants à être dépendants en prenant les rênes de la danse
relationnelle, décodant les besoins des enfants et subvenant avec
générosité à ceux-ci. Les relations avec les enfants n’ont jamais été
destinées à être égalitaires ni fondées sur l’amitié ; elles sont faites
d’adultes qui assument les responsabilités, pour pouvoir mener les
enfants vers la maturité.
Les enfants n’ont pas seulement besoin d’être attachés aux
adultes, ils ont aussi besoin d’être dans la bonne relation avec eux.
Une bonne relation en est une dans laquelle un jeune enfant accepte
un adulte en tant que celui qui en est responsable, qui le guide. Un
enfant a besoin de parvenir au repos sous les soins d’un adulte
plutôt que de dire à l’adulte comment s’occuper de lui. Les jumeaux
de Nancy lui étaient attachés, mais ils n’étaient pas dans la bonne
relation ; ils tentaient de prendre le contrôle. Comme me le
demandait un parent : « Pourquoi est-ce que tout enfant suit ses
parents ? » La réponse courte est parce que le parent mène l’enfant
à travers la magnifique combinaison de soin et de bienveillance.

Figure 5.1 Tiré du cours de Neufeld Les enfants alpha.

Les bonnes relations se déroulent naturellement comme une


danse, avec des pas dictés par les instincts innés de l’humain. Il y a
deux ensembles d’attachement (1) les instincts alpha qui prennent la
responsabilité de procurer les soins et (2) les instincts de
dépendance qui recherchent et reçoivent les soins. Les instincts
alpha devraient guider un parent à prendre la responsabilité de
pourvoir pour un enfant, et les instincts de dépendance devraient
mener un enfant à faire confiance à la personne qui s’occupe de lui.
Lorsqu’un adulte entre dans le rôle du pourvoyeur, cela devrait
activer chez un enfant les instincts d’adopter le rôle du chercheur.
C’est de cette façon que l’attachement devient synchronisé et
ressemble à une danse. Tant le parent que l’enfant devraient
recevoir leurs indications l’un de l’autre et se positionner en
conséquence. Thomas, trois ans, a résumé le tout plutôt bien quand
il a dit à son père : « Je vais te suivre pour toujours, papa. »
Lorsqu’un enfant s’attache à un parent par les instincts de
dépendance, cela devrait l’amener à faire confiance, à trouver ses
repères, à faire prendre soin de lui, à servir et à obéir, à exprimer
ses besoins et à chercher conseil auprès de l’adulte. C’est de
s’attacher d’une façon dépendante qui fait qu’un enfant se
conformera aux commandes de l’adulte. Les parents se plaignent
quand un jeune enfant n’écoute pas ni n’obéit, comme si c’était la
faute de l’enfant. Pourtant, ce qu’il faut se demander et qui est
rarement fait, c’est si le jeune enfant est attaché au parent et s’il est
enclin à le suivre.
Les jeunes enfants ne sont pas faits pour obéir aux gens
auxquels ils ne sont pas attachés ; c’est la façon dont la nature
protège le rôle de leurs figures d’attachement. Cependant, les
jeunes enfants sont régulièrement placés dans des situations où l’on
s’attend d’eux qu’ils obéissent et suivent des indications sans qu’il y
ait de relation préexistante ; par exemple, avec un nouvel
enseignant, ou un professionnel de la santé dans un contexte
médical ou de soins dentaires. La mère de Sophie, cinq ans,
racontait que sa fille avait parlé impoliment à un parent qu’elle ne
connaissait pas au parc. Le parent lui avait indiqué de faire quelque
chose, mais Sophia lui a répondu : « Tu n’es pas ma mère. Tu ne
peux pas me dire quoi faire ! » La réaction de Sophia n’était pas sa
faute, mais plutôt celle du parent, car il n’était pas réaliste de
s’attendre à ce qu’elle accepte des ordres d’une inconnue sans
récrimination. Par conséquent, le premier point de l’ordre du jour,
quand on prend soin d’un enfant, c’est de construire une relation qui
encourage la dépendance. Ce sont les bonnes relations qui ouvrent
leurs oreilles et leur cœur à être influencés et non pas un titre, un
diplôme, un droit légal ou l’autorité qu’on a sur eux.
Les instincts alpha incitent un parent à prendre le contrôle dans
la vie d’un enfant. L’activation des instincts alpha apporte son lot de
sens des responsabilités, en même temps que de culpabilité lorsque
des erreurs se produisent. Cela augmente, chez le parent, le
sentiment d’alarme et de protection concernant l’enfant, ce qui
donne naissance aux réactions de type « maman ours » ou « papa
ours », de pair avec un profond sentiment de bienveillance et d’envie
de prendre soin de l’enfant, qui rendent possibles de grands
sacrifices. Lorsqu’un adulte adopte le rôle de pourvoyeur, ses
instincts alpha devraient le pousser à défendre l’enfant, le diriger, le
surveiller, le garder près de lui, lui donner des directives et à
partager ses propres valeurs avec lui. Il arrive souvent que les
parents disent aux enfants : « Voici notre plan pour la journée »,
pendant qu’ils les informent, les dirigent et leur donnent des
instructions. Les instincts alpha d’un parent devraient lui faire cacher
ses propres besoins de façon à ce que le jeune enfant ne se sente
pas responsable des émotions, du stress, des souffrances et des
sacrifices de l’adulte. Les jeunes enfants ne devraient pas travailler à
prendre soin de leurs parents, mais devraient plutôt se reposer dans
le confort des soins et de l’amour de leurs parents.
Les jeunes enfants sont instinctivement attentifs à la hiérarchie
des relations parce que c’est de cette façon qu’ils mettent leur
monde en ordre et y trouvent leur place. Fiona, quatre ans, me
l’expliquait ainsi : « Je suis la patronne de ma petite sœur et maman
est ma patronne. Maman est aussi la patronne de papa. » Ce qu’il
est important de prendre en considération, c’est la façon dont le
jeune enfant interprète la hiérarchie, qui n’est pas nécessairement le
reflet de la façon dont la société considère l’autorité et les rôles. Un
enseignant, un parent ou un professionnel de la petite enfance
peuvent tous avoir le titre et la responsabilité pour prendre soin de
l’enfant, mais tant que les instincts de l’enfant ne les perçoivent pas
comme ayant la position alpha envers eux, sa dépendance ne sera
pas activée. L’ordre hiérarchique des relations humaines est ce qui
donne au jeune enfant un sens de prévisibilité, de stabilité et la
confiance qu’il sera entre bonnes mains.
Les enfants-orchidée ou sensibles peuvent représenter un plus
grand défi lorsqu’il est question d’attachement parce que pour eux,
dépendre d’une autre personne, c’est se mettre en position
vulnérable. Ils sont typiquement plus perspicaces et sensibles aux
signes qui indiquent que la personne qui prend soin d’eux ne sait
pas quoi faire ou qu’ils sont trop lourds ou trop difficiles à gérer.
Amener un enfant sensible dans la bonne relation demande une
importante provision de soins solides, généreux et sécurisants de la
part de l’adulte alpha. Il est important de leur donner suffisamment
de temps pour accepter la relation et s’y sentir à l’aise, puisque
plusieurs enfants sensibles ne réagissent pas bien quand ils sont
poussés à faire quelque chose.
Le pouvoir secret de l’attachement réside dans la manière dont il
nous dirige vers la bonne relation avec l’autre. C’est une danse
hiérarchique synchronisée, alimentée réciproquement : plus un
adulte pourvoit, plus l’enfant se reposera sous ses soins ; plus
l’enfant dépend de l’adulte, plus il est facile pour l’adulte de subvenir
à ses besoins. Ce qui est important, c’est comment cette relation
devient assimilée et mène à une expérience exclusive et
personnalisée. Quand une bonne relation est formée, elle ne peut
pas être copiée ni être facilement concurrencée, puisqu’elle satisfait
les deux parties.

L’enfant alpha et l’échec de la dépendance

DE NOS JOURS, un des problèmes courants de l’attachement, lors de


la petite enfance (en plus de l’orientation vers les pairs, dont on a
discuté au chapitre 4), c’est l’avènement de l’enfant alpha. Des
problèmes alpha surviennent quand la hiérarchie naturelle de
l’attachement devient inversée, c’est-à-dire lorsque l’enfant se
déplace vers la position alpha au lieu de demeurer dans la position
de dépendance envers l’adulte qui voit à ses besoins. Un enfant
alpha est instinctivement et émotionnellement poussé à dominer un
adulte, quand il ne se sent plus en sécurité de dépendre de lui ou
d’être sous ses soins. Au lieu de suivre l’adulte, il commande les
autres, leur dit ce dont il a besoin et comment s’occuper de lui. Au
lieu d’obéir à un adulte, l’enfant alpha s’attend à ce que le parent
réponde à ses souhaits et demandes. L’enfant alpha orchestre ses
interactions avec l’adulte, allant jusqu’à feindre la détresse pour
susciter des réactions de soin. Les enfants alpha se voient
instinctivement comme étant en contrôle, tassant ainsi le rôle alpha
de leurs parents.
Le problème alpha n’est pas un problème appris ni conscient, et
il apparaît pour desservir les besoins émotionnels de l’enfant en lui
offrant de plus grandes opportunités que l’on s’occupe de lui. C’était
le problème de Nancy avec ses jumeaux, James et Sarah ; ils
s’étaient déplacés vers la position alpha dans leur relation avec leurs
parents. Ce n’étaient pas les jumeaux le problème, mais le manque
de bonne relation avec leurs parents. Ils ne faisaient plus confiance
aux soins qu’ils recevaient à la maison et à l’école. Être dépendant
d’une autre personne est une position qui demande beaucoup de
confiance. Pour l’enfant alpha, la vulnérabilité de la dépendance est
trop alarmante et, de ce fait, son cerveau le déplace instinctivement
à la position alpha, pour assurer sa survie émotionnelle. Le
problème est que l’on ne peut pas prendre soin d’un enfant qui n’est
pas dépendant.
Chaque enfant alpha a des comportements différents, mais en
prendre soin est souvent difficile, voire même cauchemardesque.
Les parents décrivent souvent leur enfant alpha comme insatiable et
ingérable. Au lieu de suivre leur parent, ils peuvent donner des
ordres, de type « Tu n’es pas responsable de moi. C’est moi qui vais
te dire quoi faire », à ne pas confondre avec l’enfant de trois ans qui
dit parfois « Tu n’es pas mon patron » ou « Je vais le faire tout
seul ». Le problème alpha surgit d’un manque profond de
dépendance, avec ses caractéristiques étant plus chroniques que
fluides et variables. L’enfant alpha est souvent perçu, à tort, comme
fort et indépendant, ce qui cache le désespoir qu’il ressent à
l’intérieur. Il a perdu la confiance en la personne qui prend soin de lui
et doute de recevoir les soins dont il a besoin, alors il recourt
instinctivement à lui-même pour le faire.
Les jeunes enfants prisonniers de la position alpha sont prompts
à résister et à s’opposer aux requêtes qui leur sont faites, parce
qu’ils ne se sentent pas à l’aise de dépendre des autres et de les
suivre. Les enfants alpha montrent de hauts degrés de frustration
parce que leur relation ne les satisfait pas et peuvent devenir
agressifs lorsqu’ils sont contrecarrés dans leurs demandes. Par
exemple, la frustration des jumeaux de Nancy s’est déversée sur
leurs relations avec leurs pairs, menant à des querelles et à des
combats. Les enfants alpha peuvent souffrir de problèmes d’alarme
incluant l’anxiété et l’agitation, parce qu’ils ne se sentent pas en
sécurité et ne sentent pas qu’on prend soin d’eux. James et Sarah,
tous les deux, ont démontré des signes d’anxiété qui ont affecté leur
capacité d’être attentifs, ce qui a interféré avec leurs apprentissages
à l’école. Ils peuvent montrer des signes de troubles de
l’alimentation parce qu’être nourri peut activer les instincts de
dépendance contre lesquels ils se défendent. James refusait de
manger, le soir au souper, et Sarah exigeait chaque soir à sa mère
de faire un repas précis.

CARACTÉRISTIQUES COMMUNES AUX ENFANTS ALPHA

Peut être autoritaire, contrôlant et exigeant même avec des pairs égaux ou
ceux de qui il devrait dépendre
Cherche à être au-devant ou à prendre le rôle central en tout temps
Peut être contraint de tenir les rênes ou de dominer dans des situations où
ce n’est pas nécessaire
Peut être poussé à montrer sa supériorité sur ses pairs égaux
Peut avoir de la difficulté à accepter des instructions (consignes) ou à
demander de l’aide
Peut être poussé à initier les interactions ou à avoir le dernier mot même
avec ses pairs égaux ou avec ceux de qui il devrait dépendre
Doit toujours être tenu au courant et peut agir comme un « je-sais-tout »

Figure 5.2 Adapté du cours de Neufeld Les enfants alpha.

Quand les problèmes alpha surviennent, les jeunes enfants se


transforment en chasseurs infatigables, laissant bien peu de place à
la liberté de jouer et donc de croître en une identité individuelle. Un
parent décrivait ainsi la situation :

Logan a souvent l’air mécontent et est souvent frustré. Il ne peut jouer seul et exige
que je joue avec lui. Il se met en colère quand je ne fais pas exactement ce qu’il
veut. Même lorsque je passe la journée entière avec lui, il se fâche quand je dois
aller faire autre chose. Rien n’est jamais assez bien et il semble toujours avoir une
tonne d’énergie à dépenser. Même après avoir joué au hockey, fait de la bicyclette,
être allé au parc, il est encore électrisé le soir. Il ne semble jamais être fatigué.

Le père de Logan était visiblement frustré, sa colère et son


épuisement étaient palpables. Quand il a commencé à comprendre
le problème alpha qui se cachait sous le comportement de Logan, il
a repris espoir qu’il y aurait une solution.
Le défi avec un enfant alpha, c’est que ses caractéristiques et
problèmes sont interprétés comme des ensembles de
comportements déconnectés, détachés de la relation inversée qui
est pourtant à leur origine. Les parents et les professionnels aidants
peuvent passer à côté en combattant les symptômes plutôt que
d’assembler les morceaux et de voir l’image globale du problème
alpha. Comme un psychiatre s’exclama quand je lui ai expliqué le
phénomène de l’enfant alpha : « J’ai médicamenté ces enfants et je
n’aime même pas médicamenter les enfants ! » L’enfant alpha paraît
souvent fort et indépendant, camouflant son désespoir derrière son
attitude bravache. Il n’a pas l’air dans le besoin et il est résistant à se
faire aider par les personnes les plus proches de lui. De plus, son
comportement attise peu les instincts de pourvoyeur chez l’adulte,
qu’il rend parfois fou avec ses agissements et paroles. La bonne
nouvelle, c’est qu’une fois qu’on comprend la nature du problème
alpha, on peut utiliser certaines stratégies pour le résoudre. Et
quand un adulte reprend le rôle du meneur dans la danse de
l’attachement, l’enfant sera libre et pourra se rendre dépendant, ce
qui le mènera de nouveau à l’apaisement, au jeu et à la croissance.

Pourquoi est-ce qu’on engendre des enfants alpha ?

CE QUI N’EST HABITUELLEMENT pas bien compris lorsqu’il est question


d’attachement, c’est que de se sentir aimé par un parent n’est pas
suffisant ; l’enfant a besoin de sentir qu’on prend vraiment soin de lui
et de croire que ces soins vont perdurer. Un jeune enfant a besoin
de ressentir qu’il existe quelque chose de solide dans la relation qui
l’unit à son parent, quelque chose sur lequel il peut s’appuyer, se
reposer et sur lequel il peut compter en tout temps. Si ce n’est pas le
cas, il va simplement, et de manière instinctive, se déplacer pour
prendre le rôle de meneur de la relation et il deviendra préoccupé à
générer les réponses à ses besoins d’attachement.
Il y a d’évidentes raisons pour lesquelles un jeune enfant peut
perdre confiance en un adulte : négligence parentale, égocentrisme,
dépendances. Par contre, on voit aussi des troubles de dominance
dans des foyers aimants et bienveillants où les parents se dévouent
à aider leur jeune enfant à croître pour devenir un individu
socialement et émotionnellement responsable, tout juste comme
c’était le cas chez Nancy. Qu’est-ce qui contribue à démanteler la
hiérarchie naturelle de l’attachement entre parent et enfant, de nos
jours ?
Un des plus importants défis auxquels font face les parents de
jeunes enfants, c’est l’absence de soutien culturel pour leur rôle de
pourvoyeur alpha. Lorsque les réponses à comment élever un enfant
se trouvent dans les livres plutôt que dans les parents eux-mêmes,
nous n’encourageons pas les parents dans leur rôle ni ne les
soutenons à occuper le siège du conducteur. Quand il y a de la
pression pour qu’un jeune enfant grandisse toujours plus vite, les
pratiques parentales sont poussées dans l’univers des sports de
compétition au lieu d’être faites de valeurs de soutien telles que la
patience, le temps et la foi qu’un plan développemental mènera à la
maturité. Quand des parents en viennent à mesurer le progrès de
leur enfant en comptant à combien d’activités il participe, ses
compétences avec les appareils électroniques ou ses réussites
scolaires, la réponse à la croissance de l’enfant est détachée de la
relation parent-enfant. Lorsque l’enfant est poussé à devenir
indépendant trop vite et trop tôt, il prendra le rôle de leader
simplement par pure nécessité.
Malheureusement, plusieurs pratiques populaires liées à la façon
de prendre soin d’un enfant, de nos jours, contribuent au
phénomène alpha parce qu’elles inversent les rôles de la relation
parent-enfant. Il y a sept pratiques en particulier qui génèrent des
problèmes d’ordre alpha.

1. Les réactions des parents à leurs propres antécédents


Quand la façon dont on s’occupe d’un enfant est basée sur la
réaction du parent à ses propres antécédents, cela contribue bien
peu à répondre aux besoins de l’enfant. Par exemple, si un parent a
lui-même eu un parent très autoritaire, il peut réagir en étant trop
permissif, de façon à éviter d’infliger à son enfant les mêmes
blessures que celles qu’il a lui-même eues étant jeune. Dans une
telle situation, on répond aux sentiments et aux besoins du parent,
plutôt qu’au besoin de l’enfant d’avoir des limites et des restrictions
mises en place d’une manière compatissante. Dans un autre
scénario, si un parent, étant enfant, a reçu bien peu de soutien
devant ses larmes et sa tristesse, il peut éprouver de la difficulté à
aider son enfant à faire face à des limites et restrictions, puisqu’elles
créent de la tristesse avec laquelle il est lui-même inconfortable. Une
mère m’a déjà dit :

C’est difficile pour moi de regarder mon enfant pleurer et être triste au sujet des
choses que je lui refuse. Quand j’étais enfant, il ne m’était pas permis d’être triste à
propos de rien. Le but était d’avoir une pensée positive et de toujours voir le verre à
moitié plein. Je me sentais mal quand j’étais triste, comme s’il y avait quelque
chose d’anormal avec moi. Je me débats avec ces sentiments chaque fois que je
dois imposer des limites et donner à ma fille de l’espace pour qu’elle vive sa
frustration, sa tristesse ou sa colère. La bonne nouvelle, c’est que plus je
comprends ce qui est important pour elle, mieux je suis capable de le faire.

Si la façon de prendre soin d’un enfant est menée par les désirs
insatisfaits d’un adulte ou encore en réaction à ses propres
antécédents, cela peut déplacer l’instinct alpha naturel du parent, ce
qui pousse l’enfant à prendre les rênes et à dominer l’adulte.
Le remède est, pour les parents, de viser la réflexion et la
transparence quand il est question de leurs propres attentes et
motivations. On peut commencer à réfléchir sur qu’est-ce qui
fonctionne ou pas pour notre enfant, se concentrer sur le fait de bien
comprendre ses besoins, demander à un autre parent son opinion
lorsque le besoin d’une autre perspective se fait sentir et décider de
la façon dont on souhaite être présent pour notre enfant, chaque
jour.

2. Parentalité sur demande


Le rôle du pourvoyeur alpha est un rôle actif dans lequel les parents
saisissent les rênes en prenant la responsabilité de lire et de
décoder les besoins de l’enfant et d’y répondre généreusement. Si
un parent adopte une attitude passive dans son rôle de pourvoyeur
et qu’il se contente de répondre aux besoins que l’enfant exprime
clairement, il va placer l’enfant dans une position de responsabilité
face à la satisfaction de ses besoins. Par exemple, si un enfant doit
réclamer son souper en disant : « J’ai faim, je veux quelque chose à
manger », alors le parent a manqué l’occasion de lire ses besoins et
d’y répondre. Parfois, c’est parce que les parents sont trop occupés
ou fatigués ou qu’ils ont réalisé que certaines responsabilités
associées avec le rôle de pourvoyeur ne les intéressent pas.
Néanmoins, s’ils ne saisissent pas les rênes, qu’elle qu’en soit la
raison, ils risquent de créer les conditions pour que le jeune enfant
se déplace vers la position de dominance dans leur relation.

3. Approche parentale égalitaire


Il se peut qu’un enfant soit consulté sur beaucoup trop de sujets
concernant son bien-être. Des questions telles que « Qu’est-ce que
tu veux manger ? », « Veux-tu avoir un ami à dormir ? », « Veux-tu
sortir ou bien aller voir tes grands-parents ? », « Avec laquelle des
éducatrices voudrais-tu être ? » et « À quelle école aimerais-tu
aller ? » suggèrent l’attribution d’une certaine autorité à l’enfant qu’il
ne devrait pas avoir. Charger un enfant de résoudre des questions
concernant les contacts et les rapprochements ou les soins qu’il
devrait recevoir, c’est courir après les problèmes alpha.
Un jeune enfant a besoin de tenir pour acquis qu’on s’occupera
de lui et non pas d’être utilisé comme consultant concernant ses
propres besoins. Cela ne signifie pas qu’on ne devrait pas donner de
choix à un jeune enfant, mais plutôt que ces choix ne devraient pas
être en lien avec des questions reliées à ses besoins tels la
nourriture, la sécurité, les contacts et les rapprochements avec leur
figure d’attachement. Les choix au sujet des pantalons qu’il préfère
porter, de l’histoire qu’il aimerait avoir au coucher ou des jouets avec
lesquels il aimerait jouer lui fournissent l’espace pour déployer sa
personnalité afin de devenir un être distinct.
Les parents de Monica, enfant alpha de cinq ans, avaient de la
difficulté avec elle. Les problèmes avaient entre autres pris
naissance dans l’approche de son père visant à ne jamais dire non
et à lui poser trop de questions concernant ses besoins. J’ai
demandé aux parents si la mère pouvait sortir, un soir, et laisser le
père responsable de l’enfant. Les deux choses que j’espérais le voir
mettre en pratique étaient (1) dire non quand c’était nécessaire, tout
en demeurant compatissant et empathique si Monica était triste ou
fâchée, et (2) ne pas lui poser de questions concernant ses besoins,
mais plutôt de prendre les rênes des interactions pour le repas, le
bain et le coucher. Le père était d’accord et il était heureux d’avoir
l’occasion de veiller lui-même, seul, sur Monica. Le premier soir, la
mère a reçu un appel de crise de la part de Monica, moins de deux
heures après son départ. Elle était fâchée et lui a dit : « Maman, tu
dois revenir. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec papa. Il m’a dit
non et il parle bizarrement. Peux-tu revenir et le réparer ? » La mère
a assuré à Monica que son papa savait exactement ce qu’il faisait et
qu’elle était entre bonnes mains. Au fur et à mesure des sorties
hebdomadaires de la mère, le père a adopté un rôle alpha de plus
en plus important et les problèmes de dominance de Monica ont
diminué.

4. Trop de séparations
L’anxiété de séparation est courante chez les jeunes enfants et est
le reflet de leur irréductible besoin d’attachement. Et bien que la
séparation physique fasse partie des expériences quotidiennes de la
vie d’un jeune enfant, s’il y en a trop ou si la connexion avec l’adulte
qui s’occupe de lui n’est pas fiable ou consistante, cela peut inverser
la relation adulte-enfant. Lorsqu’un enseignant ou une éducatrice
prend soin d’un enfant, la bonne relation doit être développée afin de
prévenir que l’enfant puisse changer de rôle et adopter une attitude
alpha. Et même si les adultes considèrent que la garderie est un
service pour lequel ils paient, les enfants seront réceptifs à faire
prendre soin d’eux seulement s’ils ont de solides substituts
parentaux sur qui ils peuvent se fier. Les éducateurs de garderie me
disent qu’ils savent qu’un enfant se sent vraiment « chez soi » avec
eux quand l’enfant les appelle maman ou papa « par erreur ».
Un jour, une mère m’a appelée, en détresse, après qu’un
enseignant de maternelle ait puni sa fille en lui retirant un collier
avec un médaillon dans lequel il y avait une photo de famille. Emma,
quatre ans, était bouleversée et ne voulait plus aller à l’école. Elle
refusait de demander de l’aide à ses enseignants, ne mangeait pas
son repas du midi et refusait de suivre les consignes. Moins Emma
obéissait, plus elle recevait de conséquences et se faisait mettre en
retrait par ses enseignants, ce qui donna lieu à une attitude alpha
d’Emma envers eux. Ses enseignants refusaient de changer et ne
souhaitaient pas reprendre leur relation avec Emma. Les parents
n’ont eu d’autre choix que de la changer de maternelle pour
contrecarrer le problème alpha.
L’histoire d’Emma montre à quel point il est crucial pour les
adultes d’activer les instincts de dépendance d’un enfant avec qui ils
sont en relation. Et cela ne peut se produire que lorsque l’enfant est
assuré que cette relation ne l’exposera pas au ridicule ni à la
séparation d’avec des gens ou des choses auxquels il est attaché.
Quand les jeunes enfants sont disciplinés d’une manière qui ébranle
leurs besoins d’attachement et crée une alarme de séparation, cela
aide bien peu pour favoriser une solide relation d’attachement. Nous
discuterons plus amplement de la discipline à l’égard des jeunes
enfants au chapitre 10.

5. L’intimidation par les parents, les frères et sœurs, les pairs et les enseignants
L’expérience d’être blessé émotionnellement ou physiquement par
un adulte ou un autre enfant peut alimenter des problèmes alpha.
Par exemple, si un enseignant de maternelle ne peut faire cesser
l’intimidation en classe, la classe en entier se sentira inquiète pour
l’enfant intimidé. Si un parent ne se déplace pas pour abriter et
protéger un enfant contre son frère ou sa sœur qui l’intimide, la plus
grande blessure ne vient pas de la fratrie, mais bien de l’échec du
parent à rendre la maison sûre. C’est la violation de la protection qui
a le plus d’incidence sur un enfant et crée la détresse émotionnelle
et les pires problèmes alpha.
6. Accablante sensibilité et extrême vulnérabilité
Certains enfants naissent trop sensibles pour leur monde avec un
degré de réceptivité sensorielle très élevé menant à des sentiments,
des pensées et des stimuli qui les accablent, les bouleversent. Un
enfant sensible ressent tout intensément et passe complètement de
la passion au désespoir. Leurs fortes réactions peuvent accabler les
adultes avec qui ils cheminent, tel que le montrent des affirmations
comme « Pourquoi es-tu si dramatique ? » et « Je ne sais pas quoi
faire avec toi ! » De telles expressions peuvent affaiblir le rôle alpha
du parent, puisqu’elles transmettent l’idée que le parent ne
comprend pas l’enfant ou ne sait pas comment prendre soin de lui.
Les enfants sensibles ont besoin de parents alpha solides qui
peuvent maintenir leur attitude de pourvoyeur malgré les grandes
émotions et les comportements difficiles d’un jeune enfant.

7. Expériences ou circonstances alarmantes


Des expériences ou événements alarmants peuvent changer
radicalement une bonne relation en suggérant qu’un parent est
incapable de garder son enfant en sécurité malgré toutes ses
bonnes intentions. J’ai aidé des parents à reprendre les rênes après
que leur enfant ait subi la cassure d’un membre, un accident de
voiture, un traitement de canal, une chirurgie, le décès d’une
personne ou une invasion de domicile. La bonne nouvelle, c’est que
lorsqu’un adulte adopte une solide attitude de pourvoyeur, un enfant
peut recommencer à se reposer sous ses soins, mais cela demande
souvent du temps et de la patience.

Apprivoiser un enfant alpha


SI L’ON ÉCHOUE à voir que la racine d’un problème alpha est
l’inversion des rôles dans la relation d’attachement, on peut finir par
s’attaquer à des problèmes de résistance ou d’opposition, d’anxiété,
d’agitation ou de troubles de l’alimentation de façon telle que le
problème alpha sous-jacent en sera exacerbé. La seule solution
permanente pour un adulte est de regagner le contrôle de la danse
d’attachement. Le défi, c’est qu’avec un enfant alpha, tout fonctionne
de manière inversée : il écoute les gens à qui il n’est pas attaché et
n’obéit pas aux personnes de qui il est le plus proche. Ses
attachements primaires sont davantage touchés par ses
comportements difficiles puisqu’ils sont ceux que l’enfant a le plus à
cœur. Les instincts naturels de veiller sur un enfant ne peuvent
guider le parent aux prises avec un enfant alpha, en raison du
manque de dépendance de l’enfant envers lui. Il y a aussi le défi
d’entendre les remarques concernant son rôle parental et les
conseils non sollicités d’autres parents. Cela place le parent dans
une position de dépendance au lieu de le soutenir afin qu’il prenne
les rênes. La plupart des conseils reçus à la volée ne tiennent pas
compte de la racine instinctive et émotionnelle du problème alpha.
Étant donné l’intense résistance et l’opposition de l’enfant alpha,
ainsi que sa frustration et son agressivité, il n’est pas rare d’entendre
dire qu’il aurait besoin de « plus de poigne » pour lui donner une
leçon. Les problèmes alpha naissent non pas d’une leçon échouée,
mais d’un manque de dépendance de l’enfant vis-à-vis la personne
qui en prend soin. Si la réponse d’un parent est d’exploiter la
dépendance d’un enfant, de lui retirer des choses, de le punir ou de
faire appel à l’autorité divine sur eux, cela fera bien peu pour
encourager la dépendance. En même temps, un parent ne peut
céder aux demandes de l’enfant et échouer à tenir les rênes à
travers les tempêtes qui se produisent. L’endroit où un parent doit
mener l’enfant alpha est la dominance bienveillante : l’adulte est
responsable et l’enfant n’interprétera pas cela comme une contrainte
ou une blessure émotionnelle. C’est avec chaleur, générosité et le
fait d’être capable d’imposer des limites tout en gérant la contrariété
qu’un adulte peut démontrer de façon convaincante qu’il est le
meilleur atout d’un enfant.
Les huit stratégies qui suivent peuvent aider un parent à
regagner sa position de meneur dans la danse de l’attachement, tout
autant que de l’empêcher de perdre cette position. Pour un soutien
plus approfondi, il pourrait être pertinent de chercher l’appui d’un
professionnel qui comprend le problème alpha ou d’accéder à des
ressources additionnelles auprès de l’Institut Neufeld, incluant le
cours sur les enfants alpha2. Pour de plus amples informations,
veuillez vous référer à la section du livre « À propos de l’Institut
Neufeld ».

1. Véhiculer une forte présence alpha


Une des stratégies les plus importantes pour apprivoiser un enfant
alpha est d’attraper les rênes de la responsabilité et de
communiquer une attitude alpha. Cela signifie que vous acceptez de
prendre la responsabilité de vous diriger vers la bonne relation, pour
protéger l’enfant et ne pas le placer dans des situations trop difficiles
à traiter pour lui. Le parent d’un enfant alpha doit se connecter à son
propre désir de prendre soin de son enfant et de s’engager avec
l’enfant à partir de là. Le parent peut ne pas se sentir enclin à la
connexion en raison du comportement de l’enfant, mais c’est un pas
en avant qui est critique pour défaire le problème alpha. Si un enfant
avec un complexe alpha voit qu’il peut déconcerter et défier l’adulte
qui lui est dévoué, alors il ne pourra pas avoir confiance en ses
capacités à prendre soin de lui. Un enfant alpha va devenir frustré
quand ses demandes ne seront pas assouvies, mais le sentiment
d’être accablant ou l’impression qu’il est « lourd » va simplement
renforcer son attitude alpha. Un adulte doit communiquer qu’il est la
réponse dont l’enfant a besoin quand il cherche des contacts, des
rapprochements et quelqu’un pour s’occuper de lui.

2. Rendre la dépendance facile et sécuritaire


S’il est pour mener un enfant alpha, un parent a besoin de rendre la
dépendance envers lui sécuritaire. Il sera difficile de bâtir une
relation de confiance quand on utilise l’autorité pour forcer
l’obéissance en refusant des choses ou des privilèges à l’enfant. La
relation adverse causée par l’usage de retraits, de menaces et de
conséquences ne fera qu’exacerber l’attitude alpha du jeune enfant.
Un parent doit diriger, même à travers des comportements
capricieux et communiquer qu’il peut gérer la situation. La stratégie
clé avec un enfant alpha est de ne pas donner l’impression de nous
départir de notre attitude de pourvoyeur, de ne pas le blesser dans
nos interactions, ni de paraître passif dans nos réponses à ses
besoins. Quand Nancy a commencé à se détacher des batailles
avec ses jumeaux et a refusé de négocier avec eux comme s’ils
étaient des égaux, elle a commencé à modifier le ton de la maison.
Par exemple, lorsque Sarah a volé le jouet de James et l’a frappé,
Nancy a pris les choses en main en disant : « On ne crie pas après
son frère et on ne le frappe pas, Sarah. Je vais garder le jouet,
maintenant, et je vais vous parler à tous les deux à ce sujet plus
tard. Pour le moment, on va faire quelque chose de différent. »
Parfois, elle revenait sur l’incident plus tard dans la journée, ou dans
un moment d’intimité avec chacun des enfants. Elle reconnaissait les
sentiments de frustration et, si l’enfant semblait réceptif, elle lui
donnait des instructions à savoir comment gérer la situation si elle se
représentait dans le futur.
La plupart des incidents sont mieux gérés si on les traite hors du
moment où ils se produisent, mais parfois la vie force la main du
parent. Dans ces moments-là, il est essentiel de maintenir une
attitude alpha tant bienveillante que dominante et de sortir de la
tempête. Par exemple, une mère racontait que son fils de trois ans
luttait avec elle à propos de tout, mais particulièrement sur le fait de
porter un manteau quand il faisait froid dehors. Elle a décidé
d’attendre son fils dehors en lui disant qu’ils iraient au parc une fois
qu’il aurait mis son manteau. Dominic a crié et hurlé, mais la mère
est demeurée calme et lui a dit qu’elle savait qu’il agirait de la sorte.
Après qu’il ait crié pendant un certain temps, le cerveau de Dominic
a finalement cliqué, comprenant que sa défiance était inutile et que
sa mère n’allait pas changer d’idée. Et bien que sa mère ait gagné la
bataille du manteau, le plus important est qu’il ait reçu le message
que sa mère était responsable et que c’était sécurisant de dépendre
d’elle.
Ce qui est fondamental pour l’enfant dans le fait de pouvoir
dépendre d’un parent, c’est qu’on ne puisse pas tirer avantage de
ses besoins, de sa petitesse, de son infériorité, de ses peurs, ni de
sa dépendance. Et bien que de savoir se sortir de situations
délicates demande de la patience et de la créativité, protéger tant la
dignité de l’enfant que celle du parent peut avoir un effet
extraordinaire pour remettre de l’ordre dans une relation inversée.
3. Évaluer les besoins et prendre l’initiative
Un des défis avec un enfant alpha, c’est qu’il fait continuellement
des demandes à la personne qui prend soin de lui. Vous ne pouvez
pas prendre soin d’un jeune enfant s’il vous dirige. Le but est de
satisfaire ses besoins au lieu de ses demandes. Une stratégie est
d’aller au-delà de ses demandes en lui donnant plus que ce qu’il
demandait. Par exemple, un enfant alpha demande à son parent de
l’habiller. Au lieu de satisfaire sa demande, lire plutôt son besoin et
la déjouer en disant : « J’allais chercher tes pantalons et tes bas
parce que je savais que tu voulais de l’aide pour t’habiller. J’ai même
ton manteau favori aussi. » Quand un parent détourne la demande
de l’enfant et pourvoit au véritable besoin sous-jacent, cela passe le
message que le parent le comprend, que l’enfant peut compter sur
lui et qu’il est responsable. Par exemple, les matins de Nancy avec
James n’étaient faits que de commandes et de frustrations, alors elle
a pris l’initiative et a fait les demandes. Un moment donné, James lui
a dit : « Je ne comprends pas ce qui m’arrive. J’avais un tableau
oui/non dans ma tête et chaque fois que tu me demandais un “oui”,
le tableau pointait “non” et quand tu me demandais un “non”, il
pointait un “oui”. J’ai peur, maman, mon tableau oui/non est en train
de disparaître ! » Comme James devenait moins résistant, il était
plus facile d’en prendre soin. Et comme Nancy se sentait plus
efficace comme parent, sa confiance en elle pour mener James
augmentait. Et plus sa confiance en elle augmentait, plus James
était enclin à la suivre, restaurant ainsi leur danse de la bonne
relation.

4. Fournir un moyen d’expression légitime pour les instincts alpha


Fournir à un jeune enfant un exutoire pour ses instincts alpha peut
aider à réduire leur intensité dans la relation parent-enfant. Ces
exutoires peuvent être présentés à travers des activités structurées
ou des jeux. Par exemple, Nancy a inscrit James à des leçons de
piano, qu’il a adorées. Il est entré en compétition avec lui-même
pour voir jusqu’où il pourrait aller et à quelle vitesse. Nancy a inscrit
Sarah au karaté, où sa compétitivité était ventilée dans un sport
individuel. Nancy a aussi découvert qu’un des jeux favoris de Sarah
était de monter une clinique vétérinaire où elle était responsable de
sauver tous les animaux. Sarah dirigeait ses employés imaginaires
et donnait à tous des instructions sur la façon de bien soigner un
animal blessé. Elle se concoctait des scénarios dans lesquels elle
seule pouvait sauver la journée. À travers son jeu, Sarah était
capable d’exprimer ses instincts alpha, délivrant Nancy de ses
habituelles demandes et commandes. La clé, c’est de trouver des
domaines où les jeunes enfants peuvent prendre les devants, mais
qui n’entrent pas en compétition avec les responsabilités de
pourvoyeur du parent qui prend soin d’eux.

5. Favoriser la hiérarchie naturelle des relations


Quand les enfants sont embarqués dans la hiérarchie naturelle de
l’attachement, leurs instincts de dépendance peuvent être activés de
façon appropriée par les rôles et les contextes. Par exemple, Sarah
et James avaient des cousins, plus vieux, qu’ils adoraient et
suivaient partout. Leurs cousins ne répondaient pas à leurs
manières directrices et prenaient solidement l’initiative lors d’activités
sportives ou de jeux, tous ensemble. Les grands-parents, tantes,
oncles de Sarah et James ont aussi joué un rôle important dans le
rétablissement de la hiérarchie de l’attachement en partageant avec
les jumeaux des loisirs, du bricolage, des jeux et en les emmenant
en sortie avec eux.
Les parents ont cessé d’organiser des rencontres d’amis pour
jouer et se sont plutôt concentrés à approfondir leur relation avec
eux. Ils ont aussi commencé à séparer James et Sarah et à passer
plus de temps avec un à la fois. Ils ont cherché des occasions pour
que les jumeaux soient autour d’enfants plus jeunes, question
d’exploiter leurs instincts alpha d’une manière saine et bienveillante.
Ils se sont affairés à changer l’environnement des jumeaux et à les
ancrer dans une hiérarchie relationnelle naturelle, au lieu d’essayer
de changer leur comportement, transmettant ainsi clairement quelle
est leur position dans la hiérarchie et activant leurs instincts de
dépendance.

6. Être responsable des circonstances et des décisions


Mener un enfant signifie lui transmettre que vous savez ce dont il a
besoin sans avoir à le consulter et d’ensuite assumer la
responsabilité des circonstances ou des décisions qui mèneront à la
satisfaction de ces besoins. Par exemple, un jour qu’elles
magasinaient, Sarah demanda à sa mère de lui acheter un arrosoir
pour les plantes. Nancy lui dit qu’elle allait y penser et qu’elle
déciderait une fois que les courses seraient terminées à l’épicerie. À
la fin de leurs courses, Nancy se tourna vers Sarah et lui dit : « J’ai
réfléchi et j’ai décidé que j’aimerais t’acheter un arrosoir parce que tu
auras du plaisir avec celui-ci dans le jardin. » Sarah lui répondit
qu’elle ne voulait plus avoir d’arrosoir, bien que ses yeux remplis
d’eau et ses lèvres tremblantes disaient le contraire. La mère avait
pris l’initiative et dit à Sarah qu’elle l’achèterait parce qu’elle savait
que la petite aurait du plaisir avec lui, plus tard. Le défi, pour Sarah,
était que la vulnérabilité occasionnée par sa dépendance à sa mère
était trop pour elle à ce moment-là et que ses instincts alpha
repoussaient les tentatives de sa mère pour prendre soin d’elle. Les
actions de Nancy ont transmis à Sarah que c’était elle qui dirigeait et
que la petite était en sécurité de lui faire confiance et de se reposer
sur elle.
Lorsqu’on traite avec tout enfant, il est important de lui cacher
nos propres peurs et besoins, spécialement s’il est en position alpha.
Sinon l’enfant pourra lire les peurs et les préoccupations de l’adulte
et probablement se mettre à dominer ou à prendre soin du parent.
De plus, expliquer à un enfant alpha ce qu’on fera pour traiter avec
lui ne fera qu’augmenter sa résistance. Par exemple, si un parent
dit : « Tu me mets en colère quand tu cries contre moi et que tu ne
fais pas ce que je te demande », les cris et la résistance vont
probablement augmenter. Donner des instructions ou directives très
précises à un enfant ne va qu’éveiller ses instincts alpha de prendre
le rôle du meneur et de faire exactement l’opposé de ce qu’on attend
de lui, comme façon d’affirmer sa dominance. Des demandes moins
explicites fonctionneront mieux, par exemple : « Je me demande
quelle sera la température aujourd’hui quand nous marcherons vers
la maternelle » au lieu de dire « Mets ton manteau, on part pour la
maternelle. » Bien qu’il n’existe probablement pas de parents qui ne
deviennent pas frustrés quand leur enfant désobéit, le secret est de
ne pas révéler votre impuissance.
Un des défis les plus difficiles à traiter avec un enfant alpha, c’est
de ne pas prendre leur comportement comme étant dirigé contre
nous, comme une attaque personnelle et de ne pas réagir avec une
émotion non contrôlée. Les parents peuvent se sentir épuisés,
tristes, désespérés, et souvent, ils ne peuvent pas croire à quel point
il est difficile et demandant d’être parent, ou peuvent même avoir de
la difficulté à trouver leur amour pour leur enfant. Ils peuvent même
se quereller avec leur conjoint sur les façons de progresser. Il est
difficile de s’accrocher à l’espoir qu’une bonne relation aura
préséance au milieu des problèmes et des défis comportementaux.
Le parent a besoin de prendre du recul et de comprendre la racine
du problème alpha. Cela lui permettra d’anticiper les problèmes, de
prendre les devants et de s’accrocher à la vue d’ensemble de ce
qu’il est en train d’accomplir : modifier le cours du problème alpha de
son enfant.

7. Préparer le terrain pour être la réponse de l’enfant


Une stratégie efficace à utiliser avec un enfant alpha est de trouver
des circonstances opportunes où l’enfant doit dépendre de son
parent, incluant leur enseigner un loisir ou faire une sortie. Plusieurs
enfants alpha refusent de sortir de la maison parce que c’est leur
« royaume » et parce qu’une demande directe leur a été faite. En
dépit de leurs protestations, les mener à un nouvel endroit ou à une
nouvelle activité peut déséquilibrer leur attitude alpha, même si ce
n’est que temporairement, et fournir au parent une occasion de
mener. Les parents remarquent souvent à quel point leur enfant est
adorable lors de ces sorties et à quel point ils ne peuvent y croire
quand les caractéristiques alpha reviennent une fois de retour à la
maison. Il faut du temps pour apprivoiser l’enfant alpha, et la marche
vers l’avant se fait à petits pas. Comme exemple de ces petits pas,
Nancy a commencé à amener James dehors à la chasse aux
grenouilles, et il était emballé d’avoir du temps seul avec elle et d’en
apprendre plus sur ses créatures favorites. Nancy a aussi misé sur
la dépendance de ses jumeaux quand ils sont malades ou en
difficulté. Démontrer une solide attitude de pourvoyeur dans ces
moments-là a favorisé la confiance et la dépendance envers elle.
Lorsque Nancy a trouvé le parent alpha à l’intérieur d’elle-même,
c’était magnifique et à couper le souffle. Elle est arrivée dans mon
bureau, m’a raconté comment elle avait mené la barque à travers
des situations délicates, ce qui était encore insensé pour elle et ce
qu’elle espérait comprendre. Nancy a travaillé pour reprendre la
place qui lui revenait de droit dans la vie de James et de Sarah en
prenant l’initiative et non pas à travers des techniques ou des
mantras, ni en soudoyant, en menaçant ou en utilisant des punitions.
Ce qu’elle a trouvé est bien plus convaincant et va l’accompagner
bien loin dans l’adolescence de ses enfants. Comme les instincts
alpha de Nancy se réveillaient, elle a activé les instincts de
dépendance de ses enfants envers elle et a commencé à les attirer
et à les maintenir en orbite autour d’elle. Elle était surprise d’avoir eu
ces instincts en elle depuis toujours. Et comme le mari de Nancy
était témoin de son succès, il est lui aussi venu me consulter pour
mieux comprendre ses enfants et s’asseoir lui aussi dans le siège du
conducteur.
Avec nos enfants, nous devons danser dans la bonne relation en
(a) ACCEPTANT que le TRAVAIL de la relation soit notre
responsabilité, (b) ASSUMANT un RÔLE ALPHA en saisissant les
rênes et en lisant les besoins de l’enfant et (c) FOURNISSANT plus
que ce que l’enfant demande de façon à ce que notre provision de
soins fasse plus que satisfaire leur faim de connexion. Il y a, pour les
parents, une grande dignité et croissance personnelle en réclamant
la place qui leur revient de droit dans la vie d’un enfant. C’est de
cette place qu’ils trouveront l’assurance nécessaire pour comprendre
leur enfant, la force pour les mener et le courage d’avoir confiance
que leur façon de prendre soin de lui est efficace et suffisante. Nous
nous rendons nous-mêmes irremplaçables lorsque nous dansons
avec notre enfant dans une bonne relation.
6

Émotions et blessures :
préserver le cœur tendre des enfants

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.


BLAISE PASCAL1

C LAIRE se trouvait dans un petit studio de photographie d’Oaxaca


City, Mexico. Elle regardait les murs qui étaient ornés de
portraits d’enfants souriant, riant, pleurant, fronçant les sourcils ou
se cachant le visage de honte. Les émotions de chaque enfant
étaient présentées en forme de cercle autour d’une photo centrale,
dans un arrangement artistique. Claire se demandait bien pourquoi
quelqu’un voudrait faire encadrer l’expression de la colère ou de la
résistance alors que la grande majorité des parents sont bien
heureux d’éviter tant les crises que le mécontentement de leur
enfant. Elle a demandé au propriétaire de l’endroit pourquoi
immortalisait-il les enfants dans ces attitudes et il lui a répondu, tout
naturellement : « Ces portraits représentent les émotions et les
facettes de la vie. Certains sérieux et pensifs, d’autres heureux et
d’autres tristes. Es la vida, c’est la vie. » Claire fut frappée par son
explication : c’était comme s’il avait brisé un tabou ou une tradition
sacrée en tournant le bougonnement en art. Elle se demandait qui
étaient les parents derrière ces photos et comment ils en étaient
venus à valoriser les émotions de leurs enfants, même les moins
jolies et celles carrément désagréables.
Les portraits ont laissé, sur Claire, une impression durable.
Qu’est-ce que ces portraits avaient à nous dire au sujet de nos
relations avec les émotions des enfants et la continuelle quête du
bonheur ? Pourquoi est-ce que ces parents n’étaient pas
préoccupés par l’attitude de leurs enfants et qu’ils ne tentaient pas
de les calmer, et pourquoi célébraient-ils le côté grognon de leurs
enfants ? Claire sentait que ces enfants avaient la chance d’avoir
des guides qui étaient prêts à les aider à apprendre le langage du
cœur. Les portraits incarnaient ce dont chaque enfant a besoin : un
gardien pour leurs sentiments vulnérables et leur cœur tendre.

Les vies émotionnelles des jeunes enfants

EN TANT QUE CRÉATURES ÉMOTIONNELLES, les jeunes enfants sont,


comme on s’y attend, imprévisibles. Ils ont un gros univers
d’émotions, mais peu de mots pour les décrire. Ils sont remplis
d’énergie émotionnelle, mais pas de façons de la contrôler. Ils
ressentent les émotions des autres, mais ne comprennent pas les
leurs. Ils ont pourtant de bonnes intentions concernant leur
comportement, mais celles-ci se perdent dans l’intensité de l’émotion
qu’ils ressentent. Leur expression émotionnelle est excessive et
défie la raison. Les parents d’enfants colériques et résistants
peuvent témoigner de leur immaturité émotionnelle. Par exemple,
lorsque Thomas, trois ans, a frappé son père, il s’est fait dire
d’utiliser ses mots au lieu de ses poings. Thomas a obéi et a dit :
« Papa, je vais faire pipi sur toi ! »
La bonne nouvelle, c’est que les jeunes enfants sont les
personnes les plus faciles à lire quand il est question d’état émotif.
Tout leur corps dégage le bonheur ou la frustration, leurs
ricanements expriment leur plaisir, leurs pieds sautent lorsqu’ils sont
excités ou frappent le sol quand ils sont fâchés. Ce qu’un enfant
ressent est habituellement affiché clairement à la vue de tous. Le
défi, c’est que l’expression émotionnelle peut être grande, intense,
forte, confuse, chaotique et se manifester au moment le plus
inopportun. Les crises de colère se produisent à l’épicerie et la
résistance survient lorsque les grands-parents viennent en visite.
Les émotions chez les enfants apparaissent librement en dépit des
horaires planifiés et du degré de patience des parents. La question
est : qu’est-ce qu’on fait avec les émotions d’un enfant alors qu’elles
mijotent et se préparent à exploser ? On ne peut répondre à cette
question sans considérer ce qui est nécessaire pour favoriser la
santé émotionnelle et la maturité. On doit orienter l’expression
émotionnelle impulsive, chaotique et envahissante du jeune enfant
jusqu’à l’adolescence et vers la maturité de l’âge adulte. Il y a tout un
marathon émotionnel devant nous !
L’étude de l’émotion humaine a été entravée par sa nature
invisible et éphémère. L’approche comportementale mise de l’avant
par le psychologue américain B. F. Skinner considérait les
sentiments comme des variables nuisibles à être éteintes par des
horaires de renforcement et du conditionnement opérant2. La vision
de Skinner a eu une incidence durable : elle a mené à l’actuelle
panoplie d’approches disciplinaires qui tentent d’étouffer et de
calmer les émotions du jeune enfant dès le moment où elles
éclatent.
Question de compliquer encore plus les choses, rationalité et
maturité ont été associées avec une absence d’expression
émotionnelle, bien que très peu de neuroscientifiques soutiendraient
cette idée aujourd’hui. Les neuroscientifiques s’accordent pour dire
que le cerveau humain est connecté à des émotions prédéfinies dès
la naissance3. Cette conception de l’émotion représente un
contraste frappant avec la théorie tabula rasa (table rase) selon
laquelle le comportement humain est appris et non pas inné et que
les moteurs émotionnels n’existent pas. Les émotions ont un but et
une fonction ; elles sont faites pour nous brasser et nous faire
bouger d’une façon qui aide la survie et la croissance.
Antonio Damasio, un neuroscientifique de premier plan, a
clairement affirmé que la partie rationnelle du cerveau est construite
par-dessus et conjointement avec le centre émotionnel ou système
limbique4. Les nouvelles découvertes ouvrent la voie à la
reconceptualisation du rôle des émotions, incluant leur tracé
neurochimique, les routes neurales et leur rôle dans l’intégration
cérébrale. Heureusement, la neuroscience révèle le rôle critique que
jouent les émotions pour une croissance et un développement sain.
Dans The Healing Power of Emotion, Diana Fosha, Daniel Siegel et
Marion Solomon écrivent : « Programmés pour nous connecter les
uns aux autres, nous y arrivons par nos émotions. Nos cerveau,
corps et esprit sont inséparables des émotions qui les animent. Les
émotions sont le lien entre la pensée et l’action, entre soi et l’autre,
entre la personne et son environnement, entre biologie et culture5. »
En somme, les émotions sont le moteur du développement humain.

Que sont les émotions ?

UNE ÉMOTION est définie comme une chose qui nous émeut et nous
met en action. Les émotions sont quelque chose qui nous arrive et
non pas quelque chose qui est sous notre contrôle conscient. Le
cerveau a ses propres raisons pour activer les émotions, malgré que
cela puisse paraître très irrationnel de l’extérieur. On ne peut
argumenter avec une émotion comme si elle était logique ; il y a,
dans sa folie, de la méthode et un but derrière son activation.
Comme la majorité des enfants de trois ans le confirmeront, les
monstres apparaissent sous le lit lors du coucher et il n’y a pas
d’explications qui arrivent à arrêter leur apparition. Une mère a
donné à sa fille de trois ans un capteur de rêves pour arrêter ses
cauchemars, mais sa petite lui a dit : « Maman, il est brisé ! Les
monstres vont encore sortir de mes yeux quand je vais dormir. » Un
autre enfant avec une approche différente a dit à son père : « Les
monstres ne mangent pas les orteils si tu portes des bas au lit » et
« Je ne dors pas avec mes mains au-dessus de ma tête parce que
les gorilles vont venir et me chatouiller sous les bras. » Les jeunes
enfants vont trouver des solutions « logiques » à ce qui les perturbe,
émotionnellement.

L’ÉMOTION EST LA FAÇON DONT LE CERVEAU AMÈNE L’ENFANT…

… à la PRUDENCE lorsqu’il fait face à l’alarme


… à la QUÊTE face au besoin de contact, de proximité et de connexion
… à ARRÊTER quand il affronte la futilité
… à S’AVENTURER PLUS LOIN une fois que son foyer de base est sûr
… à S’ÉLOIGNER des contacts avec ceux à qui il n’est pas attaché
… à SE PRÉOCCUPER de ses attachements
… à RÉSISTER devant l’absence d’instinct d’attachement
… à ÉMERGER en tant que personne distincte lorsque sa faim d’attachement est
rassasié

Figure 6.1 Tiré du cours de Neufeld Une question de cœur : la science de


l’émotion.

Les émotions créent une action potentielle qui propulse un enfant


vers la réponse à un besoin ou la solution à un problème. Autrement
dit, les émotions ne sont pas des problèmes ; elles fournissent
l’impulsion et l’énergie pour régler des problèmes. Si l’on veut
comprendre pourquoi un enfant est bouleversé, on doit porter
attention à la façon dont il réagit. S’il court vers un de ses parents
pour se mettre à l’abri ou pour être protégé, c’est son sens d’alarme
qui l’envoie là. Ses actes et gestes vers l’exploration et la découverte
sont alimentés par un désir d’aller de l’avant et de grandir. L’émotion
est le moteur qui met en marche et dirige les actions humaines ;
c’est ce que le paradigme comportemental n’a pas considéré dans
ses efforts pour mesurer et quantifier le comportement humain. Bien
que l’émotion soit invisible à l’œil nu, on ne peut nier son existence
ni sa capacité de nous faire réagir. Demandez à tout parent qui aime
profondément son enfant et vous verrez que les mots lui manquent
pour décrire à quel point il est poussé à prendre soin de lui, à se
sacrifier pour lui.
Les émotions sont essentielles au développement global d’un
enfant ; elles sont le moteur qui propulse la croissance de l’enfant
vers l’identité individuelle. Les enfants n’ont pas besoin qu’on leur
enseigne à se comporter de façon mature, mais qu’on les aide plutôt
à ressentir les bonnes émotions pour atteindre la maturité. Ils ont
besoin d’être guidés vers la prudence, vers le souci de l’autre, vers
la tristesse quand ils affrontent les déceptions de la vie, vers la
capacité de faire confiance et d’avoir du courage, et vers l’espoir. Ce
sont leurs émotions de vulnérabilité, particulièrement celles liées à la
sollicitude et à la responsabilité, qui font d’eux des humains
pleinement humains. Les petits cœurs tendres ressentent les
émotions d’une manière vulnérable et sont guidés par elles.

Les cinq étapes vers la santé et la maturité émotionnellese

LES PARENTS sont le premier guide d’un enfant pour comprendre les
pulsions, émotions et bouleversements de leur système émotionnel.
L’objectif est de développer leur capacité à amener les émotions
dans un système de prise de décision, d’intentions et de réflexion,
de manière à ce qu’ils puissent commencer à les partager de façon
responsable. Si le développement progresse bien, cela se déploie
avec l’intégration cérébrale vers cinq à sept ans, et vers sept à neuf
ans pour les enfants sensibles. Les parents doivent faire l’effort de
fournir les bonnes conditions pour faire grandir les enfants vers la
maturité émotionnelle au lieu d’exiger d’eux qu’ils agissent comme
s’ils étaient matures émotionnellement.
Figure 6.2 Tiré du cours de Neufeld Une question de cœur : la science de l’émotion.

Les cinq étapes de Neufeld vers la santé et la maturité


émotionnelles impliquent un développement séquentiel de l’enfant
en tant qu’être émotionnel. L’enfant développe, dans le temps, une
relation avec ses émotions avec l’aide d’adultes qui l’introduisent à
ses propres sentiments. Les cinq étapes séquentielles ne peuvent
être contournées et se déploient à travers une série de phases dont
la sophistication augmente d’une à l’autre : exprimer, nommer,
ressentir, mélanger et réfléchir. Les parents ont trois rôles
primordiaux à jouer pour ce qui est de guider l’enfant à travers ces
cinq étapes afin de donner forme à son potentiel global en tant
qu’être émotionnel :

1. Les parents sont des guides pour faciliter l’expression


émotionnelle et seconder un enfant dans son apprentissage
d’identification de ses émotions.

2. Les parents sont des boucliers qui préservent la tendresse des


cœurs et accompagnent les sentiments dans leur devenir
conscient.

3. Les parents sont des agents de tempérance qui contribuent à


ramener l’équilibre et la fluidité dans le système émotionnel d’un
enfant, en l’aidant à mélanger ses sentiments et à y réfléchir.

1. Les parents en tant que guides émotionnels


Les émotions ont besoin d’être exprimées, tout comme l’eau
contenue par un barrage cherche à s’écouler. Le but de l’émotion est
de faire avancer l’enfant, mais elle nécessite un canal pour
s’engager et un endroit pour s’écouler. Pour un enfant, ressentir
cette énergie émotionnelle, c’est comme se trouver à bord d’un
canot pneumatique en direction de rapides. Cela ne sert à rien de
combattre la puissance de l’eau ; l’enfant ne peut résister et cède à
cette énergie ou se fait balayer par sa force. Son seul recours est de
chercher un guide à qui s’accrocher et qui l’accompagnera sur la
crête des vagues, dans les remous et les chutes. Un jeune enfant
aura besoin d’avoir confiance que son guide sera capable de le
mener à travers les passages délicats et de le conduire sans danger
en eaux plus calmes. La vulnérabilité de la dépendance se montrera
souvent le bout du nez, poussant l’enfant à se questionner à savoir
s’il a raison d’avoir confiance que son guide prendra bien soin de lui.
Le trajet émotionnel fait partie de la vie de l’enfant et de son guide
sur une base quotidienne, parfois même horaire. Leur radeau, c’est
leur bonne relation avec l’adulte qui mène la barque à bon port.
Chez les enfants, les émotions sont censées monter et ensuite
couler à travers eux ; leur existence n’est pas un problème, même si
elles peuvent parfois être la cause de nombreux problèmes. Les
parents doivent guider le système émotionnel d’un enfant pour
s’assurer qu’il reste fluide, ouvert et vibrant. Les parents sont
naturellement positionnés pour faciliter l’expression des émotions
d’un enfant et doivent inviter ces émotions à se manifester, tout
autant que de fournir le vocabulaire à associer avec les divers états
émotionnels. Afin de devenir un guide, un parent doit utiliser son
propre système émotionnel, question de comprendre l’état
émotionnel de l’enfant. La capacité de lire les émotions chez les
autres provient de la résonance limbique, « l’harmonie sans mots
qu’on voit partout et qu’on tient pour acquis, entre une mère et son
bébé, entre un enfant et son chien, entre deux amoureux qui se
tiennent les mains à une table de restaurant6 ». Un jeune enfant
devrait chercher refuge émotionnel auprès de ses parents ; les
parents sont sa boussole quand il est perdu ou confus. Lorsqu’un
parent peut décoder les émotions d’un enfant, qu’il sait l’inviter à les
exprimer tout en communiquant qu’il est là pour prendre soin de lui,
la bonne relation est fortifiée. La capacité de lire leur jeune enfant
émotionnellement, c’est ce qui fait que les parents deviennent des
guides et que l’enfant en apprend sur les émotions qui l’habitent.
L’expression des émotions procure le matériel de base à partir
duquel un parent peut enseigner le langage du cœur. Ce qui
différencie les humains des autres espèces, c’est la capacité de
nommer leurs divers états émotionnels. Les noms que l’on donne à
l’évaluation subjective d’émotions ressenties, ce sont les sentiments.
Les sentiments sont les mots que l’on utilise consciemment pour
communiquer ce qui nous bouleverse. Quand les jeunes enfants ont
des noms de sentiments pour nommer leurs émotions, leurs mots
ouvrent la porte à une vulnérabilité encore plus grande, à plus de
sensibilité et de perception. Les parents doivent inviter à la
cohérence entre le cœur et la bouche de l’enfant, ce qui sera à la
racine même de leur intégrité et de leur authenticité. Lorsque nous
n’honorons pas l’essence même de l’enfant, nous le plaçons sur une
trajectoire qui modifie son lien d’attachement avec nous. Nous
diminuons et polluons son identité individuelle au nom de nos
propres émotions et des sentiments que nous ne pouvons pas gérer.
Lorsqu’un enfant reçoit une invitation à exprimer ses émotions, il
reçoit en même temps le message qu’il peut faire confiance à son
cœur pour lui transmettre de bonnes informations. Lorsqu’un parent
valide les sentiments de l’enfant, cela lui transmet l’assurance et la
foi que ses tourments intérieurs vont devenir moins percutants au fur
et à mesure qu’il apprendra à les nommer et à les gérer de son
propre chef. Lorsqu’on aide nos enfants à entrer en relation avec
leurs sentiments, ils deviennent capables de les partager avec les
autres, de façon responsable. L’enfant a besoin d’un soi pour
partager, d’un cœur qui ressent, d’une bouche qui dit les choses et
d’une croyance que la richesse de la vie vient de l’expérience qu’on
en fait en acceptant de se rendre vulnérable aux bonnes personnes.
Quand un parent accepte et reconnaît les émotions d’un enfant, il
crée des attentes pour de futures relations en termes d’intimité
émotionnelle et psychologique.

LE PROBLÈME DE L’INVITATION À L’EXPRESSION ÉMOTIONNELLE


Le problème à inviter un enfant à exprimer ses émotions, c’est que
l’expression peut être brouillonne, difficile, cruelle, chaotique et non
civilisée. Comment un parent peut-il conserver une expression
neutre et faire couler les émotions de l’enfant quand ce qui sort de
lui est choquant, inacceptable et blessant ? Par exemple, Jasper,
cinq ans, qui crie à son père : « Amène-moi au poste de police pour
qu’ils me tuent ! » ou Marina, six ans, qui dit à sa mère : « Ta peau et
tes os sont du gaspillage sur ton corps ! », ou la mère d’Ethan qui
raconte que son fils, trois ans, a hurlé à son père : « Je te déteste !
Je veux te crever les yeux et prendre une scie à chaîne pour te
couper en petits morceaux ! » J’ai utilisé cette dernière histoire en
exemple, un soir avec un groupe de parents et j’étais consternée de
voir qu’ils réagissaient avec de grands yeux, des exclamations
d’horreur et des affirmations du genre « C’est terrible ! ». J’étais
estomaquée parce que je trouvais que le jeune Ethan avait été très
expressif avec sa frustration terrible, clair dans ses intentions et très
articulé. Là où moi je vois du potentiel humain, les parents ne voient
que de la délinquance.
Ce qui préoccupait ce groupe de parents était de savoir comment
imposer de l’ordre sur des comportements non civilisés, comment
pousser un enfant à être plus mature. Je ne m’inquiétais pas de
l’immaturité d’Ethan ; ce que je voulais, c’était savoir ce qui l’avait
tant perturbé pour qu’il s’exprime ainsi. J’ai demandé à sa mère de
me raconter ce qui s’était passé avant qu’il ne crie ces mots-là et
c’est devenu clair qu’il était fâché contre son père qui devait aller
travailler après avoir passé quelques jours de vacances à la maison.
Ethan voulait jouer avec son père et sa frustration est devenue
vicieuse quand il lui a dit qu’il ne pouvait pas. Il a choisi la scie
mécanique comme arme, parce que son activité favorite, avec son
père, est de le regarder scier du bois. Ce dont Ethan avait besoin,
c’est de quelqu’un qui lui aurait donné de l’espace pour s’exprimer et
de lui donner des noms pour ce qu’il y avait dans son cœur. Le
processus émotionnel et sa libération auraient seulement pu être
facilités par quelqu’un qui avait une bonne relation avec lui, qui
comprenait ses sentiments, qui reconnaissait ce qui était difficile à
accepter et qui pouvait adoucir sa frustration avec de la chaleur
humaine. La réponse aux émotions d’Ethan était la bienveillance
d’une personne qui prenait soin de lui. Il lui fallait entendre des
choses comme « Rien ne va pour toi présentement. Tu veux que
papa joue avec toi et il ne peut pas. » Ou « Tu es vraiment frustré
que papa doive partir maintenant. » Une fois que les larmes d’Ethan
auraient coulé, son cœur se serait adouci et il en serait venu à
accepter une des vérités les plus dures de la vie : il est parfois
impossible de garder près de soi les gens qu’on aime. Pourquoi
voudrait-on punir un enfant qui doit lutter avec cela ? Ce qu’Ethan
voulait, c’était un contact et une proximité avec son père ; ce qu’il a
eu, c’est une connexion avec sa mère pendant qu’elle le guidait de
la racine de sa frustration jusqu’aux larmes qui apaisent.
Les parents peuvent avoir de la difficulté à comprendre les
émotions de leur jeune enfant, mais l’inviter à exprimer ses
sentiments ne demande pas de compréhension. À la base de ce qui
fait que les parents ont peur et hésitent à inviter leur enfant à
exprimer ce qu’il ressent, c’est la crainte de « on leur donne un
pouce et ils prennent un pied » ; ils craignent que cela prenne le
dessus sur tout et que ça n’arrête plus. L’énergie émotionnelle ne
cesse que lorsqu’elle a été relâchée. Les émotions barrées dans un
espace donné créent de plus violentes éruptions et de nombreuses
explosions. Quand le système émotionnel est bouleversé, il continue
à faire pression jusqu’à ce qu’il trouve un exutoire pour passer,
n’importe quoi pour réduire la pression de l’intérieur. C’est beaucoup
plus qu’un pied que les émotions finiront par prendre, si vous tentez
de les contenir.
Les parents peuvent également faussement croire que les
émotions sont apprises et qu’elles doivent être « désapprises » avec
du renforcement et des conséquences. La nouvelle science de
l’émotion a prouvé que cette idée est fausse. On n’enseigne pas à
nos enfants à se comporter en êtres frustrés, alarmés, bienveillants,
tristes ; ils naissent avec la capacité de ressentir ces émotions et
sont instinctivement poussés à y réagir. Le rôle d’un parent est de
guider l’enfant à travers les émotions qu’il ressent de façon à ce que
la stabilité, l’équilibre et la maîtrise de soi puissent éventuellement
être achevés.
La question qu’on doit se poser, c’est que serait-il arrivé si ses
parents avaient dit à Ethan : « On ne veut pas rester avec toi quand
tu dis des choses comme cela » ou « Va dans ta chambre et reviens
seulement dans trois minutes », ou encore « Tu es tellement
méchant envers ton père. Quel genre de garçon grossier dit des
choses aussi affreuses ? » Ces mots auraient provoqué un dilemme
émotionnel chez Ethan. Si le fait d’exprimer la frustration qu’il
ressentait en lui avait mené à perdre les gens qu’il veut le plus
autour de lui, son cerveau aurait intrinsèquement orchestré un jeu du
sacrifice. L’alarme l’alertant de la séparation d’avec ses figures
d’attachement inciterait son cerveau à déprimer ou bien à écraser
les émotions qui menacent ses relations. Comme par magie, Ethan
apparaîtrait, après son temps de réflexion, calme et doux comme un
agneau. L’alarme créée par la crainte d’être séparé de ses parents
aurait éteint sa frustration et l’aurait ramené dans le confort de leur
relation. Cependant, la frustration sous-jacente, elle, ne serait pas
résolue ; il serait bouleversé, incapable de l’exprimer et n’en tirerait
ni perception ni connaissance. Le chat, le chien ou un autre enfant
pourraient être la cible de sa frustration, mais pas ses parents,
puisque son cerveau se positionnerait stratégiquement pour protéger
ses relations avec eux. Les mises à l’écart et les autres méthodes
disciplinaires basées sur la séparation « fonctionnent » parce
qu’elles piratent le système émotionnel du cerveau en créant
l’alarme de séparation. Si ce type de réponse était souvent adopté,
Ethan n’aurait pas seulement un problème de frustration, mais
également un problème d’alarme. La séparation est une des
expériences les plus puissantes et sculpte le cerveau émotionnel.

LE PROBLÈME AVEC L’ENTRAVE À L’EXPRESSION DE L’ÉMOTION


Qu’est-ce que cela signifie, pour un enfant, quand son cerveau doit
étouffer l’expression émotionnelle au profit de la protection d’une
relation parentale ? Quelle est la valeur de la santé et de la maturité
émotionnelles quand l’expression des émotions est ligotée dans un
système construit pour bouger ? Le coût est payé par la relation que
l’enfant développe avec ses émotions et sur son évolution vers un
être émotionnel. Lorsqu’un parent répond aux émotions d’un enfant,
il lui transmet lesquelles sont acceptables, et le portrait du cœur de
l’enfant se dessine. Si l’enfant désire une relation avec le parent, son
cerveau va inconsciemment former l’expression émotionnelle qui
correspond à l’invitation reçue. Les émotions qui ne sont pas les
bienvenues sont repoussées dans le noir, à l’extérieur des
paramètres de ce qui est considéré comme étant acceptable,
laissant entrevoir le périmètre de la partie manquante dans leur
cœur comme si on l’avait enlevée avec un emporte-pièce. Par
exemple, si un enfant voit que son père n’aime pas quand il est triste
et qu’il essaie de le faire penser de façon positive, le cerveau de
l’enfant peut en venir à écraser les sentiments tristes de façon à faire
fonctionner sa relation avec son père. Il peut avoir des difficultés
avec ses sentiments de tristesse durant l’enfance et jusque dans sa
vie adulte, si personne d’autre n’a été en mesure d’inviter ses
sentiments de tristesse et de l’aider à les nommer. L’expression de
l’émotion qu’on court-circuite peut également mener à des
problèmes alpha et à toute une gamme de troubles émotionnels.
C’est, en plus, la meilleure recette pour mener à la dépression.
Ce qui est ultimement sacrifié quand l’expression des émotions
est étouffée, c’est l’intégrité de l’univers intérieur de l’enfant et le
sens de vitalité qui vient du fait d’être capable d’exprimer des
sentiments vulnérables. Quand un parent transmet de la chaleur
humaine et un désir d’être près de l’enfant seulement lorsque celui-ci
se conforme à l’image qui plaît au parent, il n’y a pas de paix ni de
repos à trouver, pour l’enfant, dans cette relation d’attachement. Ce
qui se met plutôt en marche, c’est la préoccupation de la
performance. La bonne humeur de l’enfant devient alors brisée,
diminuée et devient définie par le poids du besoin sociétal et
parental de se comporter de façon appropriée. Par exemple, Zoé, six
ans, revenait de l’école un jour et raconte que son enseignante lui
avait dit qu’elle était gentille de l’avoir aidée en classe. Zoé dit :
« J’aime madame Lusik. Je vais être gentille pour elle tout le
temps. » Heureusement, sa mère comprit que Zoé avait besoin
d’une grosse invitation pour tous ses sentiments et lui répondit :
« Alors, si tu es gentille comme ça tout le temps en classe, tu devras
être super grognonne ici, à la maison, parce que personne ne peut
être aussi gentil pour aussi longtemps. » La mère voulait que Zoé
voie que leur relation pouvait assumer le poids de n’importe quelle
émotion qu’elle puisse avoir besoin d’exprimer.

Figure 6.3 Tiré du cours de Neufeld Une question de cœur : la science de l’émotion.

L’antidote à l’étouffement de l’expression des émotions, c’est de


transmettre à un enfant que toutes ses émotions sont bienvenues et
qu’aucune ne mènera à une séparation. Par exemple, un petit
garçon regardait sa mère gérer la colère de sa grande sœur et il lui a
demandé : « Tu dois être contente d’avoir seulement un enfant
comme ça, hein ? » La mère a courageusement répliqué : « Je
pourrais avoir 100 enfants qui hurlent et prendre soin d’eux tous. Si
tu as besoin de faire une colère, toi aussi, vas-y. » Elle a dit qu’il
n’avait pas accepté son offre, mais qu’elle était heureuse d’avoir eu
l’occasion de lui communiquer qu’elle pouvait s’occuper de sa
frustration à lui aussi.
Pour exprimer le contenu de leur cœur, les enfants ont besoin
d’une généreuse invitation. La partie brouillée, la partie chaotique, la
partie qui fait mal, celle qui blesse… font aussi toutes partie de nos
enfants. Nous avons la responsabilité de toutes les inviter à la vie, et
pas seulement les parties que nous aimons. Comment nos enfants
pourront-ils entrer en relation avec leurs côtés les plus
« inacceptables » si nous ne pouvons pas les mener là ? Comment
pouvons-nous devenir gardiens de leur cœur si nous refusons de
voir certaines de leurs émotions ou des nôtres ? Comment pouvons-
nous les mener à une façon responsable et civilisée de partager
leurs sentiments si nous ne leur permettons pas de les exprimer ?
Le message le plus puissant qu’on puisse envoyer, c’est que la
relation entre nous et eux peut encaisser le poids de qui ils sont et
de ce qui sort d’eux. Dans les moments où ils sont remplis de mots
blessants, de chaos et de désordre émotionnel, nous devons leur
offrir une invitation de connexion propre à combler tout ce qui peut
se passer entre nous.
Les jeunes enfants ont besoin d’espace pour être immatures et
exprimer le bouillonnement d’émotions crues et débridées qui
existent dans leur cœur. Les émotions ne sont ni bonnes ni
mauvaises, ce qui est important, c’est comment on en vient à les
reconnaître et à utiliser les noms des sentiments pour les exprimer
de manière responsable. Le but est d’amener l’univers émotionnel
d’un enfant dans un système de maîtrise de soi, d’intention, de prise
de décision, mais tout cela ne commencera pas à prendre forme
avant la période de cinq à sept ans (sept à neuf ans pour les enfants
sensibles). Et même encore là, ils auront des difficultés, tout comme
les adultes en ont encore, à tempérer leurs réactions lors d’émotions
fortes. Les jeunes enfants ne peuvent atteindre la maturité
émotionnelle sans un guide ; la bonne relation est faite pour prendre
soin des petits cœurs vulnérables et pour préserver leur tendresse.

2. Les parents en tant que boucliers pour les cœurs tendres et vulnérables
Le cœur est un magnifique symbole pour représenter la vulnérabilité
qui accompagne la capacité de ressentir les émotions de quelqu’un.
Le battement régulier du cœur est comme le pouls émotionnel qu’on
prend de notre enfant qui grandit. Non seulement nos corps peuvent
être blessés, mais nos sentiments aussi. Si nous n’avions pas de
sentiments, jamais nous ne pourrions avoir peur, nous sentir perdus,
tristes ou confus, ou connaître la morsure de la trahison ou de la
déception. Nous ne ressentirions jamais non plus l’amour, la
responsabilité, la satisfaction, l’espoir, le désir de prendre soin et
celui de jouer librement.
Les émotions mènent à la croissance et les sentiments
recherchent la conscience, donnant à la vie sa vibrance. Ils nous
rendent aussi vulnérables à être blessés émotionnellement. Les
jeunes enfants se sentent souvent vexés par les autres ; par
exemple, Simon, qui dit à sa mère : « Ma sœur m’a poussé et a
blessé mes sentiments » et « Elle ne veut pas jouer avec moi, elle
est méchante. » Les émotions humaines nous poussent à un
dilemme : nous ne pouvons pas faire l’expérience d’états
euphoriques comme l’amour et la joie sans courir le risque de faire
l’expérience du désespoir et de la perte. L’amour est la porte
d’entrée par laquelle les sentiments de perte nous atteignent, et les
sentiments de désespoir s’installent quand on a perdu quelque
chose pour lequel on avait un attachement très fort.
Quelle est la réponse au paradoxe présenté par l’émotion
humaine ? Comment peut-on préserver les sentiments de
vulnérabilité et la tendresse des cœurs en faisant face à tant de
blessures émotionnelles ? La réponse est « boucliers », et il y en a
deux possibles qui aident à filtrer le monde et à fournir un couvert de
protection pour le cœur humain afin qu’il puisse demeurer tendre et
rempli d’expression : (1) les mécanismes de défense émotionnelle
centrés sur le cerveau et (2) les bonnes relations avec des adultes
bienveillants.

MÉCANISMES DE DÉFENSE ÉMOTIONNELLE


Ce que la psychologie des profondeurs a soutenu pendant des
siècles et que les neuroscientifiques allèguent maintenant, c’est
l’existence de défenses émotionnelles pour protéger les cœurs
vulnérables7. Le cerveau est équipé de ce qu’il faut pour ériger des
défenses qui protègent contre les sentiments de vulnérabilité,
lorsque ceux-ci sont trop difficiles à accepter et qu’ils submergent le
système. Ces défenses sont des mécanismes de protection qui nous
permettent de continuer dans des situations où les sentiments
ressentis pourraient nous empêcher de faire ce qu’on doit faire.
Les défenses sont un jeu stratégique de la partie émotionnelle du
cerveau qui active l’instinct de survie dans un environnement trop
blessant. Par exemple, si un parent crie continuellement ou fait peur
à un enfant pour qu’il se conforme à ses désirs, le constant état
d’alarme chez l’enfant peut déclencher des défenses émotionnelles
pour que l’enfant puisse paraître non affecté dans le feu d’un tel
bouillonnement émotif. Dans de telles conditions, un parent aurait à
crier plus fort pour pouvoir alarmer l’enfant et arriver à traverser les
murs de sa défense émotionnelle. Les défenses émotionnelles
apparaissent de façon spontanée et ne sont sous aucun contrôle
conscient.
Les défenses émotionnelles ont besoin de demeurer fluides,
avec un mouvement régulier de flux et de reflux, comme la marée,
pour que le développement continue de progresser. Des problèmes
développementaux peuvent survenir lorsque les défenses sont
coincées parce qu’elles ont trop réduit la quantité de sentiments
vulnérables qui peuvent être ressentis. Quand les mécanismes de
défense sont coincés, l’enfant ne peut plus ressentir les sentiments
qui sont nécessaires pour que sa croissance se fasse,
particulièrement les sentiments de bienveillance envers les autres et
ceux aspirant à faire prendre soin de soi. Au lieu d’avoir un cœur
tendre touché aux larmes ou démontrant de la peur,
lorsqu’approprié, ils peuvent paraître durs avec très peu de signes
d’émotion vulnérable.
Les sentiments vulnérables qui ont le plus besoin d’être défendus
sont la « futilitéf », la blessure, la dépendance, la satisfaction,
l’embarras, la honte, l’alarme, la sollicitude et la bienveillance. Ces
deux dernières sont requises pour donner naissance à l’empathie, et
si ces sentiments étaient refoulés par les mécanismes de défense,
ils s’absenteraient des interactions de l’enfant envers les autres. Une
fois que les défenses émotionnelles sont érigées, il est moins
probable qu’un enfant voie ou entende des choses qui pourraient le
blesser. Cela inclut de ne pas voir les erreurs commises par
quelqu’un, ne pas se souvenir d’événements qui pourraient ramener
des sentiments vulnérables, ne pas se permettre de voir venir les
problèmes ou le rejet, et inclut aussi plusieurs troubles de l’attention.
Bref, tout ce qui peut vous faire sentir mal ne peut être vu ni
entendu.
Les adultes ne remarquent pas nécessairement l’absence des
sentiments de vulnérabilité chez un enfant. Les adultes remarquent
les comportements problématiques qui sont issus de cette absence
de sentiments d’alarme, de futilité ou de sollicitude, par exemple un
enfant qui ne dépend pas de ses parents ou qui affirme
continuellement « Je m’en balance » ou « Ça n’a pas
d’importance ». Si ces défenses sont temporaires et liées à une
situation spécifique, elles poseront probablement fort peu de
problèmes chez l’enfant en ce qui concerne son développement.
Quand elles sont continues ou nécessaires en raison d’un
environnement blessant, elles peuvent coûter très cher sur le plan
du développement global de l’enfant. Quand les sentiments sont
engourdis à un niveau plus chronique, le cœur de l’enfant se durcit
et les sentiments de vulnérabilité en sont absents, ce qui affecte son
potentiel d’atteindre la maturité en tant qu’être social, distinct et
adaptatif.
Quand la petite Annie, quatre ans, a été séparée de sa mère en
raison d’un contrat prolongé loin de la maison, elle est allée vivre
avec sa grand-mère pour trois semaines. Annie a soudainement
cessé d’être en mesure de voir les choses qui, normalement,
l’alarmeraient. Elle jouait avec les enfants du voisinage qui la
tourmentaient sans merci, mais elle demeurait sourde et aveugle à
leurs attaques. Annie a aussi commencé à « avoir des accidents » et
à faire pipi dans ses culottes malgré le fait qu’elle avait déjà bien
acquis la propreté. Elle était même catégorique que ce n’était pas
elle qui avait fait pipi malgré que les taches mouillées apparaissaient
sur ses pantalons. La vulnérabilité d’être séparée de sa mère et
laissée avec une grand-mère à qui elle n’était pas profondément
attachée était beaucoup trop pénible émotionnellement. Son cerveau
compensait en bloquant les sensations et sentiments affligeants qui
la rendaient vulnérable. Cela a permis à Annie de traiter avec la
séparation d’avec sa mère, mais a créé un certain nombre d’autres
problèmes. Heureusement, quand sa mère est revenue et qu’elle a
passé du temps à apprivoiser l’attachement d’Annie, tout en la
ramenant à sa routine quotidienne, les défenses émotionnelles de la
petite se sont éventuellement abaissées et ses doux sentiments sont
revenus. Au fur et à mesure que le système émotionnel d’Annie
commençait à fondre, elle a arrêté de mouiller ses culottes et elle
s’est mise à pleurer au sujet d’avoir été laissée avec sa grand-mère.

LES SENTIMENTS VULNÉRABLES LES PLUS SUSCEPTIBLES DE


PROVOQUER LA RÉSISTANCE

Sentiments de blessure (offense, angoisse, douleur)


Sentiments de dépendance (vide, dénuement, manque, solitude, insécurité)
Sentiments de gêne et de timidité
Sentiments d’embarras incluant le fait de rougir
Sentiments de honte (il y a quelque chose qui ne va pas chez moi)
Sentiments de futilité (tristesse, déception, deuil, chagrin)
Sentiments d’alarme (appréhension, insécurité, anxiété et peur)
Sentiments de sollicitude (compassion, empathie, dévotion, préoccupation,
s’occuper de, répondre aux besoins de, chérir, s’investir)
Sentiments de responsabilité (culpabilité, remords, améliorer les choses,
protéger)

Figure 6.4 Tiré du cours de Neufeld Une question de cœur : la science de


l’émotion.

Le cerveau peut aussi recourir à des défenses émotionnelles


pour éviter de s’attacher à quelqu’un en raison de l’anticipation d’être
blessé par cette personne. Par exemple, un père m’a appelée,
désespéré, après qu’Aiden, son fils de quatre ans, se soit sauvé de
lui au parc après une querelle avec son frère et un échange de mots
avec sa mère. Aiden avait déguerpi de l’autre côté d’une rue
achalandée sans même regarder et avait disparu. Quand ils l’ont
finalement retrouvé, il se cachait dans sa chambre. Aiden refusait
d’aller près d’eux ou de laisser qui que ce soit l’approcher. Comme
ils l’attendaient à l’extérieur de la chambre et lui communiquaient
qu’ils étaient là, mais qu’ils n’allaient pas le forcer, ses défenses
émotionnelles se sont lentement abaissées et il est sorti. Les parents
étaient alarmés du comportement d’Aiden et ont cherché de l’aide
pour comprendre ce qui s’était passé. Lorsqu’ils ont commencé à
comprendre la sensibilité d’Aiden, et la facilité avec laquelle il
souffrait des mots blessants, ils ont commencé à utiliser des
manières moins provocantes de traiter avec lui. Les blessures
émotionnelles sont souvent le défi quand on prend soin d’un enfant
sensible. S’il entend la plus infime présence de frustration dans la
voix d’un parent ou s’il voit le minuscule froncement de sourcils sur
son visage, instantanément son cerveau peut rapidement exclure le
parent de la relation, par anticipation de blessure ou de souffrance.
L’enfant peut courir, se cacher, ne pas écouter ni obéir, faire le
contraire de ce qu’on lui demande et devenir ingérable.
Pour un fonctionnement émotionnel optimal, un enfant devrait
être capable d’exprimer une variété de sentiments donnant accès à
sa vulnérabilité, tels que : se sentir fatigué quand il doit se reposer,
embarrassé lorsqu’il est exposé, prudent lorsqu’il est alarmé, désolé
quand quelque chose de mal se produit, optimiste face à l’avenir,
bienveillant envers les autres ou souffrant lorsqu’il est blessé. Parmi
les signes indiquant que le cerveau d’un enfant a peut-être érigé des
défenses émotionnelles, on retrouve ceux-ci :

1. Il ne parle plus de ce qui l’angoisse ou de ce qui blesse ses


sentiments.

2. Il ne se sent plus en danger ou alarmé quand il le devrait.

3. Il ne ressent plus le rejet et ne peut rester hors de danger.

4. Il ne s’adapte plus aux absences ou aux pertes dans sa vie, ce


qui est souvent accompagné d’une augmentation de la
frustration et de l’agressivité.

5. Il ne ressent plus le vide ni le désir, seulement un niveau


chronique d’ennui.

Quand le cerveau d’un enfant s’est mis en mode défense contre


trop de souffrance, c’est aux adultes dans sa vie que reviendra la
tâche de travailler leurs relations pour adoucir de nouveau le cœur
de l’enfant.

LES BONNES RELATIONS AVEC DES ADULTES BIENVEILLANTS


Les bonnes relations avec des adultes sont l’ultime bouclier pour le
cœur vulnérable d’un enfant. Les parents sont en confiance dans
leurs fonctions de protection quand un enfant les utilise comme une
boussole pour s’y retrouver dans ses émotions. Les jeunes enfants
vont regarder leurs parents pour comprendre ce qui les angoisse,
empêchant ainsi le cerveau de contrecarrer les sentiments qui
portent à une plus grande vulnérabilité. Une bonne relation avec un
parent donne à l’enfant quelqu’un vers qui se tourner qui puisse
prendre le pincement de honte (quand l’enfant sent que quelque
chose ne va pas avec lui), réduire la séparation (quand l’enfant se
sent rejeté, peu bienvenu ou évité) et diminuer le niveau d’alarme
(quand l’enfant se sent en danger physiquement et
émotionnellement). L’amour est le bouclier ultime pour le cœur
vulnérable d’un enfant.
Les parents et adultes doivent être ceux qui capturent le cœur
d’un enfant et s’y accrochent à travers le fait d’en prendre soin. Si le
parent devient une source de blessures pour l’enfant et que ce
dernier fait face à trop de séparations, de honte ou d’alarme, alors il
est peu probable que l’enfant se tourne vers lui pour l’aider avec ses
émotions. Un seul adulte est requis pour protéger le cœur d’un
enfant, bien qu’il soit souhaitable qu’il y en ait plusieurs, afin de créer
un plus grand filet de sécurité pour l’enfant.
En tant que bouclier, un parent peut aider l’enfant à exprimer ses
sentiments de façon vulnérable en l’accompagnant. Le geste de
l’accompagner implique d’inviter l’enfant à vous dire comment il se
sent, à réfléchir sur ce qu’il vient de vous confier et à reconnaître ce
que c’est que de se sentir comme ça. Quand vous accompagnez
ses sentiments et expériences, vous essayez de lui transmettre que
vous comprenez à quel point il est bouleversé et que vous êtes là
pour l’aider. Une des choses les plus importantes qu’un parent
puisse faire, c’est d’aider à amener l’univers émotionnel intérieur de
l’enfant dans sa pleine conscience. En accompagnant l’enfant, vous
le menez à travers ses expériences émotionnelles.
Accompagner les émotions d’un enfant, c’est se retenir de faire
l’inverse, tel que minimiser ses sentiments en disant « Ce n’est pas
grave, va dehors et joue » ou « Ne t’en fais pas au sujet de faire des
erreurs, ça fait partie de l’apprentissage ». Quand nous rejetons ou
nions ses sentiments, nous échouons à créer l’espace dont il a
besoin pour reconnaître, nommer et comprendre ses peurs, ses
désirs, ses frustrations. D’autres réponses inutiles incluent les
tentatives pour rationaliser les sentiments par la logique comme
« Ne laisse pas ce que les autres te disent te déranger. Leurs mots
ne peuvent pas te blesser » ou « Qu’est-ce que tu veux dire, je ne
t’achète jamais rien ? Pourquoi es-tu si peu reconnaissant ? L’autre
jour, je t’ai acheté… ». Nos sentiments ne peuvent pas se contenter
d’être raisonnés ; en fait, on doit se pencher et faire la lumière sur
nos propres jalousies, tristesses et pertes. Plusieurs réponses
inutiles aux émotions d’un enfant incluent aussi une leçon au sujet
de comment il devrait gérer quelque chose ou encore de saisir
l’occasion pour lui faire faire « l’apprentissage de la vie », tel que :
« Si tu gardais tes choses mieux rangées, alors tu saurais où les
trouver quand tu en as besoin. » Accompagner les sentiments d’un
enfant signifie lui communiquer un désir sincère de savoir ce qu’il y a
dans son cœur et de prendre la responsabilité de l’aider à travers
ses réactions émotionnelles.
Par exemple, une mère racontait que son enfant fréquentant la
maternelle était grognon au sujet d’aller à l’école et avait commencé
à beaucoup utiliser le mot « stupide ». Elle se fâcha et lui dit
d’arrêter d’utiliser de gros mots. Comme il n’arrêtait pas, elle le
menaça de lui retirer son temps d’iPad pour une semaine, ce à quoi
il répondit en la frappant. Elle m’a demandé ce qu’elle aurait dû faire
et je l’ai accompagnée sur le chemin des sentiments qu’elle n’avait
pas fait monter à la surface, ce qui aurait pu être fait en
accompagnant son fils. Elle aurait pu lui dire « Je vois que tu es
grognon de devoir aller à l’école aujourd’hui » ou « C’est difficile de
devoir aller à l’école, un lundi, après toute une fin de semaine à jouer
et à ne pas devoir travailler », ou encore « Je vois que tu es frustré
ce matin, qu’est-ce qu’il y a ? ». Accompagner les frustrations de son
fils aurait aidé à les diminuer, aurait augmenté sa connaissance de
cet univers et lui aurait appris des mots plus appropriés pour
communiquer à ce sujet. Les jeunes enfants manquent de
sophistication pour comprendre leur monde émotionnel et les
parents qui les accompagnent les aident à prendre conscience de
leurs sentiments vulnérables et indiquent à l’enfant comment les
partager de manière responsable.
Pour le jeune enfant, une des plus grandes sources de blessures
émotionnelles, ce sont les autres enfants. Les jeunes enfants ont
besoin d’un solide bouclier adulte pour protéger leur cœur
susceptible d’être durci par des blessures venant d’interactions avec
leurs pairs. Jack avait six ans quand ses parents sont venus me
consulter pour avoir de l’aide. Puisqu’il était enfant unique, ses
parents avaient régulièrement arrangé des rencontres d’amis pour
jouer sous la fausse impression qu’il devait avoir des interactions
avec des pairs pour développer ses habiletés sociales. Quand Jack
commença la maternelle, il aimait passer du temps avec ses pairs
et, rendu en première année, il était devenu orienté vers les pairs. Il
demandait continuellement à être avec ses amis, il était frustré et
s’ennuyait quand il était loin d’eux, n’écoutait ni ses parents ni son
enseignant et manquait de respect en parlant aux adultes. Une fois
que les parents eurent compris que la source du problème était
l’orientation vers les pairs, ils ont agi rapidement pour réclamer leur
relation avec lui et la renforcer. Les rencontres de Jack avec des
amis pour jouer furent largement diminuées, il a commencé à avoir
des soirées de sorties avec ses parents, ils ont limité ses présences
au service de garde de l’école ainsi que le temps qu’il passait sur
des appareils électroniques, ils ont contribué à enrichir la relation
entre Jack et son enseignant et ont fait appel à ses tantes, ses
oncles, ses jeunes cousins et cousines, ainsi qu’à ses grands-
parents pour favoriser une hiérarchie naturelle de l’attachement. Ils
ont fait des progrès importants en quelques mois et étaient
enchantés de voir Jack commencer à écouter et à se tourner vers
eux pour de l’aide. Un jour où Jack revenait de l’école avec son
père, voici la conversation qu’ils ont eue au sujet d’un garçon
autoritaire dans sa classe :

Jack : Est-ce que j’ai des abdos, papa ?


Père : Des abdos ? De quoi parles-tu ?
Jack : Caden m’a demandé de lever mon chandail pour voir si j’avais des abdos. Je
l’ai levé et il m’a dit que je n’en ai pas et tout le monde a ri.
Père : Oh, Jack, ça a dû être difficile. Comment te sentais-tu ?
Jack : J’étais juste très confus, parce que je ne savais pas ce que ça signifiait.
Aussi, Caden est toujours méchant envers moi. Je n’aime pas ça.
Père : Je comprends comment tu peux te sentir embarrassé et blessé. Il n’y a pas
beaucoup de personnes qui ont des abdos, Jack, et ça signifie qu’ils s’entraînent et
qu’ils ont un ventre très musclé. Prends moi, par exemple, est-ce que j’ai des
abdos ? Non. Regarde, j’ai même un petit bourrelet ici. C’est correct, tu es
simplement comme moi et la majorité des gens.

Une semaine plus tard, après l’école, Jack embarqua dans l’auto
et dit à son père : « Caden est venu vers moi aujourd’hui et m’a dit
que je n’avais pas d’abdos. Je lui ai répondu que personne n’en a
vraiment et que je suis content de ce que j’ai l’air. Caden m’a
simplement regardé et il ne savait plus quoi rétorquer, alors il est
parti. » Puis, le père de Jack est rapidement passé à d’autres sujets
avec moi, mais je l’ai arrêté et lui ai demandé : « Vois-tu ce que tu as
fait pour ton fils ? » Il m’a regardé, surpris par ma question, alors j’ai
poursuivi : « Ton fils n’ira plus jamais à l’école sans avoir, dans son
sac, la seule chose dont il a réellement besoin. » Il m’a regardée
d’un air incertain, alors je lui ai dit : « Toi. Il ne va plus en classe sans
toi, puisque tu l’aimes tel qu’il est, ainsi que par la façon dont il te
ressemble. Tout est une question de solide relation que tu as
récupérée. » À ce point, on s’est tu, parce que c’était si beau à voir,
si clair, et si parfaitement étendu devant nos yeux : il était devenu le
bouclier de protection du cœur de son fils.
Au cours des 35 dernières années, la recherche sur la résilience
a constamment démontré le lien entre la santé émotionnelle d’un
enfant et ses réussites sociales, avec une solide relation de soins
bienveillants avec des adultes8. Même lorsqu’un enfant est aux
prises avec de l’intimidation, de la pauvreté, de la dépendance ou de
la maladie mentale à la maison, la présence d’adultes substituts
comme les grands-parents ou les adultes à l’école ou à l’église est le
plus important facteur de protection pour le bien-être émotionnel9.
La résilience est une des choses les plus importantes que l’on
doit cultiver chez nos enfants10. Malheureusement, le message
voulant que les relations soient la réponse à la vulnérabilité humaine
ne s’est pas traduit en pratique. Il y a encore un mouvement pour
enseigner aux jeunes enfants des outils, techniques et stratégies
pour devenir résilient, comme si c’était une chose qui devait être
apprise tel un sujet académique. Les enfants n’ont jamais été faits
pour être responsables de garder leur cœur tendre et en sécurité. La
résilience vient tout naturellement des bonnes relations dans
lesquelles les adultes sont le bouclier émotionnel face à l’angoisse.
Ce qui est important, c’est vers qui un enfant se tourne-t-il quand il
est triste et à qui dit-il ses secrets, devant qui peut-il laisser ses
larmes couler et à qui fait-il confiance pour le guider. Un enfant a
résolument besoin de voir, de ressentir et d’entendre le message
qu’un parent croit en lui et qu’il peut se reposer sur lui. Le parent a
besoin d’affirmer que d’être blessé fait partie de la vie et que la
solution c’est de s’accrocher à quelqu’un qui tiendra à lui. Quand un
enfant ressent qu’il est important pour ses parents, ce que les autres
pensent de lui a moins d’importance. Nous n’avons pas besoin de
sauver nos enfants du monde blessant dans lequel ils vivent, c’est
impossible. Notre devoir est de nous assurer que nous ne les
envoyons pas dans ce monde les mains vides. À la racine de la
résilience, de la vulnérabilité émotionnelle et des cœurs tendres, on
trouve cette simple vérité : peu importe à qui un enfant donne son
cœur, cette personne a le pouvoir de le protéger avec le sien propre.
Nous devons saisir les rênes de la danse de l’attachement pour
devenir le bouclier de protection du cœur tendre de notre enfant.

3. Les parents en tant qu’agents de tempérance


Il manque aux jeunes enfants la maîtrise de soi intérieure sur leurs
émotions en raison de leur immaturité. Un système émotionnel
mature va leur permettre de comprendre et de communiquer de
façon plus responsable avec les autres, mais cela nécessite un
développement du cerveau pour y arriver. Le défi, avec les jeunes
enfants, c’est qu’ils n’expérimentent qu’une seule émotion à la fois.
Ils sont incapables de mélanger et d’intégrer leurs sentiments
jusqu’à ce que leur cerveau mature et que les émotions aient été
identifiées une à une. De ce fait, ils ont une capacité très limitée à se
tempérer eux-mêmes face à de fortes émotions. La réponse à
l’impulsivité émotionnelle d’un jeune enfant, c’est d’être attaché à un
adulte qui a de la maîtrise de soi et qui peut agir comme agent de
tempérance pour l’énergie émotionnelle de l’enfant.
Le mot tempérer signifie servir en tant que force neutralisante ou
de contrepoids pour modérer, modifier, mitiger, réduire, alléger ou
adoucir. C’est le mot parfait pour décrire les actions des parents face
aux émotions fortes de leur jeune enfant. Tempérer est un rôle actif
et ne place pas la responsabilité des émotions sur les épaules de
l’enfant. Tempérer les émotions d’un enfant requiert de lire l’état
émotionnel de l’enfant et de déterminer la meilleure façon pour
l’emmener vers l’équilibre et la stabilité émotionnelles. Le défi, pour
l’adulte, c’est de ne pas se perdre dans la réponse émotionnelle de
l’enfant ni de céder à ses propres émotions durant le processus.
Quand je considère la vitesse et la force des émotions chez un
jeune enfant, l’image qui me vient en tête est celle d’un train. Quand
un enfant est vraiment bouleversé, il peut prendre la même énergie
qu’un train qui descend les rails à toute vitesse. Il existe peu de
fonctions de freinage pour l’arrêter, sans mentionner le risque
possible de déraillement ! Face à une telle énergie émotionnelle, les
parents se sentent paralysés et disent à l’enfant d’arrêter, mais avec
très peu d’effet. Lors d’une présentation, une mère a demandé :
« Que devrais-je faire quand mon enfant me frappe et me lance des
objets ? » L’amie assise à ses côtés a répliqué : « Tu te baisses et te
tasses du chemin ! » Bien que nous ayons tous ri, la réalité est que
cette action peut empêcher le parent d’être frappé, mais cela
n’instaurera pas chez l’enfant la foi dans sa capacité à prendre soin
de lui, ni ne protégera les autres personnes vulnérables des
frustrations malsaines d’un enfant. Nous savons qu’il faut permettre
à l’énergie émotive de circuler à l’intérieur du jeune enfant, mais
comment assumons-nous la responsabilité d’en prendre soin ?
Les parents sont faits pour décider quand, où, comment et qui
traitera avec les émotions de leur enfant. C’est ce que fait un agent
de tempérance : il lit l’enfant et considère la stratégie la plus efficace,
dans les conditions présentes, qui permettra à l’enfant d’exprimer, de
ressentir et d’être replacé dans un équilibre émotionnel. Le moment
lorsqu’on doit faire référence aux émotions de l’enfant peut-être le
moment même ou plus tard lorsque l’intensité diminue, ou les deux.
L’endroit où on le fait peut inclure un espace privé ou public. Par
exemple, on peut choisir de le distraire en faisant l’épicerie, mais de
l’inviter à s’exprimer une fois à la maison. Comment mener un enfant
à ses sentiments vulnérables peut vouloir dire de lui parler
directement, de lire un livre d’images ou encore de l’aider à
s’exprimer par le jeu. Plusieurs personnes peuvent aider un enfant
avec ses sentiments, mais un parent doit décider qui a une relation
suffisamment profonde avec l’enfant pour amener ses sentiments
vulnérables à la surface.
L’énergie émotionnelle doit couler, ce n’est pas négociable, mais
la responsabilité de créer l’apaisement en contrebalançant et en
neutralisant les émotions de l’enfant revient au parent. Par exemple,
la mère de Kai dit qu’elle avait commandé, pour son fils de quatre
ans, des modèles d’avions à coller, un loisir qu’il partageait avec son
père. Dès que Kai sut pour la commande, il était très excité et
demandait toujours quand les modèles allaient arriver. Après
48 heures, la mère est devenue impatiente et lui a dit : « Je te l’ai
répété 100 fois, ils ne seront pas ici avant une semaine. Cesse de
toujours me poser la même question, Kai ! Ne peux-tu pas
comprendre que tu vas devoir attendre ? » Mais Kai n’avait pas la
capacité d’être patient, puisque cela demande le mélange de deux
émotions : la frustration et la sollicitude. Son désir pour les avions le
dévorait et tout ce que Kai ressentait, c’était un désir très fort ; ce qui
lui manquait, c’était de laisser sortir les larmes refoulées à force de
devoir attendre pour quelque chose qu’il voulait sur-le-champ. Ce fut
son père qui répondit aux incessantes questions de Kai en
l’accompagnant dans sa déception, lui disant : « Je comprends que
tu aimes ces avions et que tu es super excité de les recevoir par le
courrier. C’est si difficile d’entendre que tu dois attendre. Tu es
frustré qu’ils ne soient pas déjà ici. » Alors que son père intervint à
sa manière, il adoucit la frustration de Kai et celle-ci se transforma
en larmes. Et alors que ses larmes coulaient, la futilité de poser des
questions à propos de l’arrivée des avions a finalement été
enregistrée et il a cessé de le demander.
Ce que l’histoire de Kai démontre, c’est à quel point le jeune
enfant n’a pas la capacité de mettre de l’ordre dans son système
émotionnel quand il est bouleversé. Dire à un enfant de cesser
quelque chose peut réduire ou altérer l’expression de l’émotion, au
lieu de l’aider à comprendre quels sentiments il ressent et quoi en
faire. C’est pourquoi les parents doivent devenir des agents de
tempérance et s’éloigner des approches de type « Arrête ça » ou
« Calme-toi », pour se diriger vers l’effet neutralisant qu’ils ont sur
l’énergie émotionnelle de leur enfant.
Ce que nos jeunes enfants voudraient vraiment que l’on
comprenne à leur sujet, c’est que leur immaturité émotionnelle peut
mener à des comportements impulsifs, agressifs, inconsidérés et
égocentriques. Ils ont besoin d’aide et d’assistance pour devenir
émotionnellement matures et pour être capables d’interagir avec les
autres d’une manière responsable. Cela signifie qu’un adulte devra
avoir une relation avec les sentiments de son enfant. Les parents
devront aider leur enfant à apprendre un langage du cœur, leur
donner du temps jusqu’à ce que le contrôle des pulsions autour du
contenu émotionnel soit présent et tempérer leurs fortes réactions.
L’enfant ne peut évoluer et croître en un être émotif sans relation
avec des adultes pour servir de bouclier et protéger son cœur
tendre.
7

Larmes et crises :
comprendre la frustration et l’agressivité

Dieu sait que nous ne devons jamais avoir honte de nos larmes parce qu’elles sont la pluie
sur la poussière aveuglante de la terre, recouvrant nos cœurs durs. J’allais mieux, après
avoir pleuré, qu’avant ; plus désolé, plus conscient de ma propre ingratitude, plus doux.
CHARLES DICKENS1

A U MILIEU d’une rencontre d’affaires, l’attention d’Élise fut


détournée par un message paniqué de sa belle-mère qui prenait
soin, ce jour-là, de Nathan, son fils de trois ans et demi.
D’une voix contrôlée, mais où se sentait la panique, la grand-
maman lui expliquait que son fils était en train de faire une
mégacrise sur le trottoir avec des cris, des pleurs et un refus total de
bouger. Quand Élise lui demanda ce qui s’était passé, la grand-mère
répondit : « J’essayais de l’amener manger des sushis, pour dîner,
comme tu me l’avais dit, mais il avait d’autres plans ; il hurle qu’il
veut des “ham-churgers”. J’ai fait l’erreur de passer devant un
restaurant qui en sert et maintenant, il ne veut plus m’écouter ; peux-
tu lui parler, s’il te plaît ? » Élise lui dit : « Tout ce que tu as à faire,
c’est de lui dire non et de le réconforter en le câlinant. C’est correct
s’il pleure. » Sa belle-mère prit une pause suffisamment longue pour
qu’Élise entende son fils sangloter : « Je veux des frites, je veux des
ham-churgers ! » La grand-mère répliqua : « Il pleure si fort, il est si
fâché, je ne peux pas lui dire ça. Ça me brise le cœur de l’entendre
pleurer et de lui dire non. Je peux passer le téléphone à Nathan pour
que tu lui dises non… » Pendant qu’Élise écoutait les pleurs de son
fils et le désespoir dans la voix de la grand-mère, elle savait qu’un
repas de sushis était un enjeu futile. Elle ne pouvait pas régler le
problème à distance, pas plus qu’elle ne voulait risquer de
transmettre à Nathan que sa belle-mère n’était pas capable de le
gérer. Élise répondit avec sa meilleure option : « Dis à Nathan que tu
as changé d’idée et que tu as vraiment envie d’un hamburger toi
aussi pour dîner. Dis-lui que tu prends une décision exécutive de
grand-mère et amène-le là. » Comme Élise entendait le soupir de
soulagement de la grand-mère, elle espérait que ce serait suffisant
pour convaincre Nathan qu’il y avait encore quelqu’un de
responsable pendant qu’ils sortaient de l’impasse.
La force de la frustration d’un jeune enfant peut donner envie à
un adulte d’aller se cacher et de se protéger, mais cela coûterait
cher à la présence alpha de l’adulte et à sa capacité de mener
l’enfant à accepter les limites et restrictions. Face aux larmes et aux
crises de colère, les adultes doivent savoir quand changer quelque
chose pour un enfant, savoir quand l’aider à accepter les choses qui
ne peuvent être changées et avoir la sagesse de faire la différence
entre les deux.

La force du bambin et les ouragans préscolaires


LES JEUNES ENFANTS sont de féroces et tenaces agents de
changement qui luttent pour obtenir ce qu’ils veulent à tout prix.
Leurs demandes sont alimentées par l’émotion et sont déconnectées
des contraintes de la réalité. Si un biscuit était délicieux, alors un sac
entier l’est encore plus. Leurs souhaits et désirs ne sont pas
tempérés par la connaissance qu’ils ne peuvent pas toujours avoir
ce qu’ils veulent, pas plus qu’ils ne savent ce qui est bon pour eux.
Ils peuvent débattre comme des avocats, négocier comme des
commis voyageurs et faire la démonstration que se plaindre est le
pire son pour les oreilles humaines, pire que le son aigu d’une scie
circulaire2. Il ne s’agit pas d’une blague cruelle jouée aux parents,
mais d’une fonction développementale bien pensée qui permet aux
parents d’aider leur enfant à s’adapter au monde dans lequel il vit.
Les enfants ne naissent pas avec un savoir préprogrammé
concernant les limites et les restrictions, et ce, pour une bonne
raison : pour permettre la flexibilité, la versatilité et la malléabilité
dans leur adaptation à leur environnement. Le défi, c’est que les
adultes doivent être ceux qui démêlent les futilités de ce qui est
vraiment important dans la vie pour un enfant et qui le conduisent à
travers la frustration jusqu’à ce qu’il accepte ces futilités. Échouer
cela favorise l’apparition de problèmes alpha ainsi qu’un manque de
résilience quand il doit faire face à l’adversité.
Les jeunes enfants peuvent exploser de frustration dans leur
propre style unique, incluant les hurlements, les cris, les coups de
pieds et de poings, les morsures, le frappage de tête, le grafignage,
le pinçage, les vomissements ou toute combinaison de ces
éléments. Un père disait : « Dès que mon fils de deux ans n’obtient
pas ce qu’il veut, un bonbon, la chaise que sa sœur occupe, un
jouet, des objets quelconques comme la queue du chien… il frappe,
mord et lance tout ce qu’il a sous la main. Il crie aussi vraiment très
fort. Il y a des pleurs, mais ce sont des pleurs de colère. »
Ironiquement, il semblerait que le penchant particulier d’un enfant
pour exprimer ses frustrations hostiles pourrait coïncider avec ce qui
irrite ou dérange le plus les parents. Les parents qui ont la phobie du
vomi semblent hériter des enfants vomisseurs et les parents
sensibles aux sons ont les hurleurs. Une mère qui a adopté un
enfant à la naissance m’a demandé : « À la maison, on ne hurle pas,
on ne crie pas. Mon mari et moi sommes les parents les plus
paisibles, mais ma fille a commencé à se jeter au sol en criant, en
s’époumonant. Je suis inquiète, y a-t-il quelque chose qui ne va pas
avec sa santé mentale ? » Bien que je l’aie rassurée en lui disant
qu’à ce jeune âge, les colères étaient courantes, elle m’a demandé :
« Mais que suis-je censée faire quand elle est comme cela ? »
Les parents confirmeront que la petite enfance est une période
violente en raison du manque de contrôle des pulsions chez les
jeunes enfants et de leurs fortes émotions. Tel que l’affirme Gordon
Neufeld : « Heureusement pour nous, ils ont de petits corps et visent
mal3. » Leur frustration peut exploser en une seconde, entraînant
des défis insoupçonnés et des comportements non civilisés. Cela
peut déstabiliser un parent de voir son enfant devenir violent, tel
qu’une mère le révélait dans un message sur ma boîte vocale :
« Quand ma fille de trois ans m’a frappée à la tête, aujourd’hui,
hurlant et frappant des pieds pendant que je la sortais hors du
magasin parce que j’avais refusé de lui acheter quelque chose, j’ai
réalisé que j’avais besoin de meilleures stratégies pour traiter avec
elle ! » La bonne nouvelle, c’est que les réactions non tempérées
d’un enfant devraient, avec le développement idéal, commencer à se
dissiper environ vers la période de cinq à sept ans. Les
manifestations physiques de l’agressivité devraient laisser place à
des formes verbales et l’enfant devrait commencer à frémir et
trembler, mais à exploser d’agressivité moins souvent. Comme l’a dit
un enfant de cinq ans après s’être senti mal d’avoir crié : « J’ai
essayé de garder mon cri à l’intérieur de moi, mais mon cou et ma
bouche ne pouvaient plus le retenir. »
L’intégration est le mélange des sentiments mitigés et des
pensées qui vient vers la période de cinq à sept ans qui génère la
façon naturelle de régler les problèmes de frustration non tempérée.
Quand un enfant se sent à la fois frustré envers quelqu’un et alarmé
à l’idée de blesser cette personne, le conflit entre ces deux
sentiments va tempérer sa réaction. Quand il sent à la fois la pulsion
d’attaquer quelqu’un et la bienveillance de ne pas blesser cette
personne, il démontrera une meilleure maîtrise de soi. Le mélange
des émotions et des pensées maintient l’explosion à l’arrêt et permet
aux mots de devenir la réponse pour exprimer la frustration. Avec
l’accompagnement des adultes, leurs mots vont également se
transformer en des formes d’expression plus civilisées : « Papa face
de caca, je te déteste » va se transformer en « Je suis frustré. Je
n’aime pas ta réponse. »
La frustration est souvent vue comme une émotion
problématique parce qu’elle est associée avec l’énergie d’attaque et
des gestes d’agressivité. Cependant, la frustration n’est pas quelque
chose qu’on doit désapprendre ; c’est une émotion importante qui
est programmée à l’intérieur de l’humain pour une bonne raison.
C’est une puissante force qui a un rôle à jouer : la frustration est
l’émotion du changement. Elle est là pour exercer une grande
influence et n’est pas quelque chose qu’on peut fuir ou éteindre. La
frustration, c’est ce qui nous mobilise à travailler fort pour obtenir ce
que nous voulons ou pour changer les choses qui ne font pas
l’affaire pour nous. Nous servirons bien nos enfants si nous pouvons
les aider à canaliser cette puissance et à la conduire sous un
système d’intentions et de prises de décisions d’ici à ce qu’ils
deviennent de jeunes adultes. Ils seront capables d’aller de l’avant et
de provoquer le changement de façon civilisée et responsable. Ils
seront capables de se tenir eux-mêmes ainsi que les autres,
imputables pour ce qui ne fonctionne pas et doit être changé. Nous
devons aider l’enfant à comprendre ce puissant réservoir d’énergie
émotionnelle qui l’habite. La frustration sous-tend notre capacité à
changer le monde autour de nous au fur et à mesure que nous nous
dirigeons vers la maturité.

Comment aider nos enfants avec leur frustration ?

LA FRUSTRATION est une émotion forte qui pousse le jeune enfant à


changer ce qui ne fonctionne pas pour lui. Cependant, il a besoin
d’être outillé pour vivre dans un monde où il n’a pas toujours ce qu’il
désire. Parfois, c’est lui qui doit changer, et les parents vont l’aider à
laisser tomber son plan initial et à réaliser qu’il peut survivre même
sans avoir ce qu’il veut. Pour ce faire, les adultes doivent accepter
qu’il n’y a rien de mal chez un jeune enfant qui a des souhaits et des
demandes comme manger des biscuits au petit-déjeuner ou rester
debout passée l’heure du coucher. Ce qui est impératif, c’est que les
adultes ne manquent pas à leur responsabilité de présenter les
contraintes de la vie, qui sont nombreuses, comme d’aider un enfant
de trois ans à s’endormir quand il proclame : « Je ne veux pas aller
au lit, je suis une créature de la nuit comme mon hamster. »
Aider un enfant à accepter que quelque chose soit futile n’est pas
un processus logique, mais un processus émotionnel. L’enfant est
un mauvais juge de ce qui est inchangeable ou incontrôlable et on
doit l’aider à voir lesquelles des quêtes peuvent être comblées et
lesquelles doivent être abandonnées. Il peut être incessant dans sa
poursuite d’une chose qu’il veut, et les adultes devront jouer un rôle
actif pour l’aider à se reposer de ses initiatives futiles. Les efforts
rationnels et raisonnables pour faire changer un enfant d’idée sont
souvent voués à l’échec. C’est à travers son cœur qu’on doit aller et
non à travers sa tête, si l’on veut que le message de la futilité passe.
L’enfant a besoin de sentir qu’il y a des limites et des restrictions,
dans la vie. On doit démontrer clairement à son cœur que cette
chose qu’il veut ne se produira pas. On doit l’amener à entendre
notre « non » et à être ému pour l’accepter émotionnellement. Tout
comme dans un labyrinthe, le jeune enfant a besoin de sentir qu’il
n’y a pas d’issue et qu’il doit trouver une autre façon pour passer à
travers. Comme l’a dit un petit de quatre ans quand il a compris que
son père ne changerait pas d’idée : « Papa, je n’aime pas ton “non”.
Je vais parler de toi à maman. »
Figure 7.1 Adapté du cours de Neufeld Comprendre l’agressivité.

Un enfant ne peut accepter la futilité de quelque chose que s’il


est amené à ressentir la tristesse, la déception et la perte quand il ne
peut rien changer au fait que la chose ne se produira pas. Si le cœur
de l’enfant est tendre et qu’il peut ressentir les sentiments
vulnérables, on verra une transformation de « fâché à triste ». Les
sentiments de frustration devraient se fondre en sentiments de
futilité. Ce sont les larmes de tristesse (à ne pas confondre avec les
larmes de colère) qui signalent la fin de leur futile poursuite et qui
transmettent que le cerveau de l’enfant a compris le message que
quelque chose ne changera pas. L’incessant pleurnichage et la
bruyante énergie frustrée du jeune enfant va se transformer, presque
comme par magie, en tristesse ou en déception. Les sentiments de
frustration devraient cesser, l’énergie émotionnelle devrait se
transformer en capitulation et l’enfant sera apaisé. Alors que l’enfant
accepte ce qu’il ne peut changer, ses yeux commencent à se remplir
d’eau et des larmes peuvent couler. C’est à travers un chemin fait de
larmes, de tristesse ou de déception à propos de ce qu’il ne peut
changer qu’un jeune enfant en vient à accepter la futilité de certaines
choses de la vie et qu’il devient plus résilient et débrouillard.
Béatrice avait trois ans quand elle est tombée amoureuse des
bonbons et en réclamait continuellement, particulièrement au petit-
déjeuner. Après plusieurs « non » et bien des larmes de tristesse
ainsi que beaucoup de réconfort de la part de sa maman, Béatrice a
fini par accepter le verdict et a cessé de réclamer des bonbons. Un
mois plus tard, Béatrice a pris sa mère par surprise en demandant à
nouveau un bonbon pour le déjeuner. Un peu frustrée, la mère a
répondu avec un certain sarcasme : « Bien sûr ! Tu peux avoir
autant de bonbons que tu veux pour ton petit-déjeuner. Et des
biscuits et du gâteau aussi. Et n’oublie pas la crème glacée dans le
congélateur. Prends ton bol et remplis-le ! » Béatrice avait les yeux
écarquillés et la bouche ouverte de surprise, mais ne dit rien jusqu’à
ce qu’elle s’exclame : « Mais maman, il faudrait que tu sois morte
pour que ça arrive ! » La mère fut rassurée de voir que Béatrice
s’était adaptée, mais que son caractère n’avait pas été écrasé par le
processus. La petite savait que les bonbons étaient hors limites pour
le petit-déjeuner, mais cela ne signifiait pas qu’elle avait pour autant
cessé de les désirer.

L’importance des larmes de tristesse

LES LARMES DE TRISTESSE et de déception sont la façon dont on peut


savoir que la futilité d’une demande a été assimilée chez l’enfant. En
tant que psychologue développementaliste, Aletha Solter affirme :
« Quand l’enfant pleure, la blessure a déjà été infligée. Les pleurs ne
sont pas la blessure, mais bien plutôt le signe que le processus de
guérison est en route4. » La capacité de pleurer avec des larmes
face à la détresse émotionnelle est une chose uniquement humaine,
selon les neuroscientifiques qui soutiennent la théorie de Darwin
voulant qu’il y ait une forme spéciale d’émotion réservée
exclusivement pour nous. Les larmes ont été associées avec le fait
d’apporter du soulagement, de réduire la tension et de restaurer la
santé. Les recherches de William Frey ont démontré que les larmes
de tristesse éliminent des déchets toxiques du système sanguin5.
Lorsqu’on verse des larmes, il se produit également une libération
d’ocytocine, l’attachement chimique qui empêche le cortisol
chimique du stress biologique. Quand un enfant pleure et reçoit du
réconfort de la part de ses figures d’attachement, cela augmente
aussi les niveaux d’ocytocine et diminue ceux reliés au stress6. Chez
le jeune enfant, les larmes sont le meilleur indicateur d’un système
émotionnel qui fonctionne bien.
Un des problèmes avec les larmes, c’est que leur expression
n’est pas équitablement encouragée chez les garçons et chez les
filles. Les définitions courantes de la masculinité font pression sur
les parents pour qu’ils suppriment, chez les garçons, les larmes et
les sentiments vulnérables7. Étonnamment, cela n’a pas toujours été
le cas. Les larmes ont déjà été considérées comme étant un signe
de vertu et de bonne moralité chez les hommes8. Quand on n’invite
pas les larmes à sortir, elles peuvent rester prisonnières et la
frustration de l’enfant peut se transformer en formes d’expression
moins vulnérables, par exemple l’agressivité physique.
Malgré leur effet restaurateur tant chez les garçons que chez les
filles, les larmes sont menacées dans un monde qui divise les
émotions en catégories positives et négatives, où l’on cherche le
bonheur et le calme aux dépens de la tristesse et de la colère.
William Blake a écrit : « Le bonheur et le malheur sont un tissage
délicat9 », suggérant qu’une vie bien remplie consiste en sentiments
heureux tout autant qu’en sentiments malheureux. Si l’on
communique à notre enfant qu’il y a quelque chose qui ne va pas
avec lui quand il est triste, on entrave autant la venue des larmes
qu’une occasion de s’apaiser de ce qu’il ne peut changer. Un
manque d’encouragement ou de soutien pour les larmes vient aux
dépens de cultiver l’adaptation et la résilience. Les parents croient
parfois que les larmes sont un signe qu’ils ont fait quelque chose de
mal, alors qu’au contraire, elles sont une indication qu’un enfant leur
a fait confiance avec son cœur.
Peut-être que la racine de la résistance sociétale et culturelle aux
larmes vient du fait qu’elles transmettent la vulnérabilité et la
dépendance. Le biologiste évolutionniste Oren Hasson soutient que
l’apparition des larmes communique un abaissement des défenses,
ce qui rend quelqu’un plus susceptible de recevoir du réconfort et
des soins10. Dans un monde qui s’épanouit dans l’indépendance et
qui pousse les jeunes enfants à grandir trop vite, les larmes sont
l’antithèse de ce message. Les larmes signalent la dépendance et
transmettent une faim d’être pris en charge par une personne
bienveillante. La survie émotionnelle d’un jeune enfant requiert qu’il
soit attaché à un adulte qui prend soin de lui.
Les jeunes enfants ne sont pas faits pour s’occuper de leurs
sentiments ; ils commencent à peine à apprendre leurs noms et
n’ont pas de contrôle dessus. Il faut cesser de transférer la
responsabilité de la tristesse de nos enfants sur leurs propres
épaules avec des phrases telles que : « Contrôle-toi », « Calme-
toi », « Pourquoi est-ce que tu ne comprends pas ça ? », « Je t’ai dit
100 fois que… », « Arrête de faire le bébé », « Ça suffit », « Il faut
que tu sois plus positif » ou le classique « Pourquoi pleures-tu ? Je
vais t’en donner, moi, des raisons de pleurer ». On doit prendre soin
de leur frustration et de leurs larmes ; elles sont, pour nous, le signal
le plus clair que l’enfant a besoin d’aide. L’objectif est d’aider l’enfant
à comprendre ce qui se cache derrière ses larmes, mais l’enfant ne
partagera pas ses émotions avec n’importe qui. La capacité d’aider
un enfant à pleurer nous ramène à la danse de l’attachement et au
fait que l’enfant dépend ou non d’une personne qui prend soin de lui.
Ce qui est beau au sujet des larmes, c’est qu’elles cherchent
toujours à s’exprimer, tout comme la frustration. Parfois, la porte vers
la tristesse va s’ouvrir de la façon la plus étrange qui soit : un jouet
brisé, un orteil cogné, un ourson perdu. Certains parents sont surpris
par le volume et l’intensité des larmes de leur enfant une fois que le
canal s’est ouvert pour les laisser passer. Quand on comprend que
les larmes attendent d’être exprimées, il est plus facile
d’accompagner l’enfant lors d’incidents en apparence anodins et de
l’aider à faire sortir ses larmes. Une mère se souvient d’avoir
regardé son enfant, autiste, pleurer de façon inattendue :

Alex venait juste d’émerger d’une année d’intense état d’alarme, d’horribles
phobies et de grande détresse, plus que je pensais qu’un enfant de quatre ans
puisse en faire l’expérience. Un jour, il était assis devant l’ordinateur et avait trouvé
une certaine musique, une mélodie mélancolique. Il était tellement touché par la
magnifique tristesse contenue dans les notes qu’il s’est mis à pleurer. Des pleurs
profonds, tristes, doux et non pas les hurlements et cris de torture et de protestation
que j’avais entendus toute l’année. Je n’avais pas entendu ce genre de pleurs
depuis si longtemps.

La mère avait les larmes aux yeux tellement elle était touchée par
l’expression émotionnelle de son fils, émerveillée que cette musique
puisse avoir tiré tant d’émotions du cœur de celui-ci et sincèrement
reconnaissante qu’elle l’ait fait. Un des plus beaux cadeaux qu’on
puisse donner à nos enfants, c’est d’accorder de la valeur à leurs
larmes de tristesse et de leur faire de la place pour qu’elles puissent
couler.
Un jeune enfant est un être adaptatif qui attend, pour se
développer, que ses parents prennent soin de lui de la bonne
manière. C’est un processus désordonné et compliqué, violent,
chaotique, bruyant, imprévisible, fatigant et gratifiant, puisque les
fruits de l’adaptation prennent vie devant nos yeux. Un des meilleurs
cadeaux qu’on puisse faire à un jeune enfant est de l’aider à trouver
sa tristesse et ses larmes quand il est aux prises avec les choses
qu’il ne peut changer. Il sera capable d’apprendre de ses erreurs,
d’être transformé par ce qu’il ne peut changer et d’utiliser sa
frustration pour changer les choses qu’il peut changer. Parfois, la
force émotionnelle derrière la frustration peut être apaisée
seulement par le soulagement découlant de la capitulation à nos
larmes, puisqu’elles nous amènent à nous reposer de nos futiles
poursuites. Les larmes apaisent un enfant pour qu’il puisse ensuite
jouer et croître ; nous devons devenir les tire-larmes et les havres de
bienveillance dont nos enfants ont besoin.

Futilités courantes de l’enfance


LES SENTIMENTS DE COLÈRE ont besoin d’être transformés en
sentiments tristes quand nos enfants sont aux prises avec des
choses qu’ils ne peuvent changer. Voici 15 des futilités les plus
courantes auxquelles font face les jeunes enfants ainsi que 4 des
plus difficiles à gérer pour eux :

1. La futilité d’essayer de s’agripper aux bonnes expériences.


Quand les jeunes enfants ont du plaisir, ils ne veulent pas que
cela finisse et personne ne peut les blâmer pour cela. Devoir
quitter la maison de grand-maman, arrêter un temps de jeu ou
quitter une fête d’anniversaire peut provoquer chez l’enfant des
réponses frustrées. Chaque fois qu’il doit faire une transition, il
doit dire au revoir et cela amène tristesse et frustration.

2. La futilité d’essayer de faire fonctionner quelque chose sans


succès. Les jeunes enfants croient que les adultes peuvent
réparer tout ce qui ne fonctionne pas, d’un jouet brisé à la
mauvaise température. Ils peuvent nous dire qu’ils veulent du
soleil quand il fait gris ou nous demander qu’un magasin soit
ouvert quand il est fermé. Leurs attentes ont très peu à voir
avec la réalité et tout à voir avec leurs propres désirs.

3. La futilité d’essayer de posséder un parent, ou n’importe qui en


fait. Dès qu’un enfant est né et que le cordon ombilical est
coupé, il ne sera plus jamais aussi près de quelqu’un qu’il l’a
déjà été. Mais cela ne l’empêche pas d’essayer et il se met à
réclamer et à vouloir posséder des personnes bien à lui.
Partager les gens qu’il aime avec qui que ce soit est difficile et
peut mener à des batailles territoriales.
4. La futilité de vouloir retourner un frère ou une sœur là d’où ils
viennent. S’adapter à un nouveau frère ou une nouvelle sœur
implique souvent un parcours de frustration et de nombreuses
larmes à propos de tout ce qui a changé, incluant le fait d’avoir
moins d’attention, qu’il y ait plus de bruit et le fait de devoir
partager l’espace. Gabriella, quatre ans, a dit à sa mère
enceinte : « Si tu as une fille, je vais l’appeler “Poubelle” et la
jeter dans le bac à déchets. Si tu as un garçon, je vais l’appeler
“Bébé” et je vais aller lui acheter un cadeau spécial. »

5. La futilité de vouloir être plus intelligent qu’on l’est. Quand ils


vont à l’école, une des expériences vécues par les jeunes
enfants, c’est d’être différents des autres enfants. Ils peuvent
vouloir lire ou lancer le ballon comme le fait un autre enfant, et
devenir frustrés en comparant leurs talents réciproques. Ils ne
naissent pas avec la capacité de réaliser que tout le monde est
différent et que plusieurs choses sont apprises ou acquises par
le biais d’essais et erreurs. Ce que les jeunes enfants voient,
c’est le fossé entre là où ils sont et là où ils aimeraient être.

6. La futilité de vouloir être parfait et d’éviter l’échec. Les jeunes


enfants peuvent devenir frustrés quand ils font des erreurs ou
quand les images qu’ils ont dans leur tête ne prennent pas vie
de la façon qu’ils avaient imaginée. Les tours de blocs tombent
au sol et les images sont plus belles dans leur imagination,
menant à des explosions de frustration. Faire face à sa propre
imperfection humaine est frustrant et appelle aux larmes.
7. La futilité d’essayer de contrôler les circonstances. Il y a
plusieurs événements de la vie qu’on ne peut contrôler, tels que
le passage du temps et la perte de choses que nous aimons.
Les jeunes enfants peuvent faire l’expérience de tels
événements avec beaucoup de frustration et d’alarme. Une
mère a écrit :

Je me souviens de ma fille la première fois qu’on a eu des poussins. On en


avait un tout petit qui n’avait pas l’air très en forme dès le début. Ma fille
l’avait nommé Humphrey. Au cours des trois jours suivants, on a encouragé
ce petit poussin à survivre. Ma fille a pleuré en anticipation de sa mort, parce
qu’il n’allait clairement pas bien. Lorsque le poussin est mort, j’ai remarqué
qu’une partie de moi aurait aimé prétendre que ce n’était pas arrivé. J’aurais
aimé dire « il est parti » ou « il est mort pendant la nuit », et retirer toute
évidence de son petit corps sans vie pour éviter que ma fille soit triste. Au lieu
de quoi, on l’a laissé là pour qu’elle puisse le voir mort au matin. Elle a pleuré
et pleuré et pleuré. On a enterré Humphrey avec une petite cérémonie et elle
a pleuré, pleuré et pleuré une fois de plus. Pendant des mois, nous avons
parlé d’Humphrey et les larmes venaient encore. La fois suivante où nous
avons perdu un poulet, environ un an plus tard, Jasmine a versé quelques
larmes et a ensuite dit : « C’est plus facile la deuxième fois. »

8. La futilité de vouloir retourner dans le temps ou de défaire ce qui


a été fait. Les jeunes enfants vont souvent changer d’idée et
essayer de prendre, rétroactivement, une décision différente. Ils
vont manger leur glace au chocolat et se retourner aussitôt pour
dire qu’ils voulaient, en fait, manger celle à la vanille. L’idée de
la permanence et celle de ne pas pouvoir défaire ce qui a été
fait sont difficiles à saisir pour un jeune enfant et créént de la
frustration.

9. La futilité de souhaiter faire fonctionner la magie ou de défier les


lois de la nature. La petite enfance est une période pour
apprendre les lois de la nature. Le père d’un jeune garçon me
racontait que son fils explosait de frustration chaque fois qu’il
lançait sa balle dans les airs à une certaine hauteur, la suppliant
d’y rester, et qu’elle tombait au sol. Voir le fossé entre leur
imagination et la réalité peut être frustrant pour les enfants.

10. La futilité de toujours vouloir gagner. Lorsque les jeunes enfants


jouent à des jeux, ils veulent souvent gagner, et ce, par tous les
moyens, même en trichant. Ils changent les règles pour mieux
correspondre à leurs besoins ou en fabriquent des nouvelles en
cours de jeu. J’ai entendu des enfants dire : « Si tu gagnes, ça
veut vraiment dire que tu as perdu et si tu perds, ça veut dire
que tu as gagné. » Une mère était déconcertée par ma
suggestion voulant que les jeunes enfants ne doivent pas
toujours gagner. Elle m’a demandé : « Voulez-vous dire que je
ne devrais pas laisser mon enfant de cinq ans gagner chaque
fois que nous jouons aux échecs ? Il est si jeune. » J’ai répondu
en lui demandant si elle ne croyait pas que c’était mieux que
son enfant apprenne qu’il ne peut pas gagner à tous les coups.
Elle a réfléchi et a concédé qu’elle avait peut-être un rôle à jouer
pour le préparer à perdre, sur le terrain de jeux de l’école.

11. La futilité de vouloir être plus grand que l’on est. Quand un
enfant se compare aux autres, il peut vouloir être plus grand,
plus fort ou plus vieux. Un garçon de cinq ans a demandé à son
père : « Est-ce que je peux dire aux gens que j’ai six ans même
si je ne les ai pas ? » Quand son père lui a demandé pourquoi, il
a répondu : « Parce que tout le monde dans la classe est plus
vieux que moi et je veux avoir six ans moi aussi. » Le père lui a
sagement répondu : « Tu es ce que tu es et tu ne peux pas
changer ça. »

12. La futilité de vouloir être meilleur et premier dans tout. Les


jeunes enfants ont des instincts alpha qui cherchent à
s’exprimer, voulant être premier et meilleur et prendre la tête
devant les autres. Les « mauvais perdants » sont les enfants
que l’on n’a pas aidés à accepter la futilité de s’attendre à
toujours être au sommet. La compétition pour la position entre
enfants se révèle quand ils se font face dans les rangs à l’école.
Il est important qu’un jeune enfant soit conscient qu’il ne peut
toujours être le premier et de l’aider à réaliser qu’il va survivre à
cela aussi.

13. La futilité de vouloir être désiré où on ne l’est pas. Il arrive


parfois qu’un jeune enfant ne soit pas invité à une fête
d’anniversaire ou à une rencontre d’amis pour jouer ; il arrive
parfois que ses frères et sœurs ne veuillent pas jouer avec lui.
Parfois, les adultes doivent aider leur enfant à trouver sa
tristesse et ses larmes face au rejet. Souvent, les adultes se
dépêchent d’adoucir les relations houleuses avec les pairs en
insistant que tous les enfants doivent être amis, dans le but
d’éviter que l’enfant soit heurté dans ses émotions. Même si
cela est fort compréhensible, spécialement si un enfant
expérimente beaucoup de rejet par ses pairs, il est également
primordial qu’un jeune enfant soit capable de décoder quand il
n’est pas le bienvenu quelque part et d’agir en conséquence.
14. La futilité de vouloir savoir ce qui va se passer. Souvent, les
jeunes enfants, à la suite d’un sentiment d’alarme et
d’incertitude, veulent savoir ce qui va se passer. Comme pour le
premier jour de garderie ou de maternelle. Aider un enfant à
trouver ses larmes concernant le changement à venir et le
rassurer à l’effet que quelqu’un prendra soin de lui aidera à
apaiser son alarme et sa frustration à propos de l’inconnu et de
l’imprévisible.

15. La futilité de vouloir éviter d’être contrarié. Le jeune enfant veut


souvent éviter d’être contrarié ou de s’ennuyer. Il peut essayer
de se distraire lui-même ou demander à être stimulé. Une partie
du rôle de parent est de l’aider à gérer les contrariétés qui font
partie de la vie comme perdre, apprendre à gérer la perte d’un
ballon ou d’une glace tombée au sol et non pas de tenter de tout
prévenir.

Les quatre désirs futiles les plus difficiles à affronter

1. La futilité face aux limites et aux restrictions. Dès qu’un jeune


enfant commence à marcher, son intérêt et ses désirs prennent
vie à mesure qu’il explore son environnement. Typiquement, les
enfants n’aiment pas les limites et les restrictions qu’on leur
impose, préférant faire ce qu’ils veulent. Ils vont insister pour
jouer au lieu de faire une sieste, pour aller dehors sans manteau
ou pour vider les armoires et les tiroirs. Chaque fois que les
adultes imposent des limites et des restrictions à un jeune
enfant, cela crée de la frustration. Il est important de ne pas
toujours chercher à utiliser des distractions ou d’autres mesures
pour éviter que l’enfant soit triste et de plutôt l’aider à trouver
ses larmes.

2. La futilité d’essayer de contrôler les actions et les décisions des


autres personnes. Quand les jeunes enfants sont incapables de
contrôler ce que les autres personnes font, ils peuvent devenir
frustrés de ne pas pouvoir modifier le cours des choses et les
résultats. Une petite fille de quatre ans a dit à son ami de cesser
de salir la table, alors qu’ils jouaient au papa et à la maman
avec leurs oursons. Il n’écoutait pas malgré ses nombreuses
tentatives pour le faire cesser. Dans un geste désespéré, elle a
crié contre lui et a commencé à le frapper avec la coutellerie en
plastique. Il a commencé à crier, incapable de l’arrêter de
frapper et il a hurlé : « Ce n’était pas moi, c’était mon ourson ! »
Elle a donc commencé à frapper l’ourson avec une fourchette.
C’est difficile quand les enfants réalisent qu’ils ne peuvent pas
contrôler ce que les autres font.

3. Les futilités qui proviennent de la nature même de quelqu’un.


Les jeunes enfants voudraient souvent maîtriser des choses
que leur corps est encore en train d’apprendre, telles que lacer
leurs souliers, attacher la ceinture-harnais à cinq points
d’attache d’un siège d’auto, grimper un mur d’escalade, colorier
à l’intérieur des lignes ou écrire leur nom. Parfois, les enfants
ont un handicap qui pose un défi aux mouvements ou aux
apprentissages. Les limites physiques ou émotionnelles peuvent
être frustrantes et demandent de faire appel aux larmes pour
s’adapter à ce qui est possible. Les enfants sensibles ont
souvent besoin de verser beaucoup de larmes à propos de ce
qui ne fonctionne pas pour eux.

4. La futilité de poursuivre une satisfaction inachevée. La


satisfaction vient de réussir quelque chose qu’on désirait ou
voulait, mais ce n’est pas toujours réaliste ni possible. Des fois,
le jeune enfant n’obtient pas ce qu’il veut comme, par exemple,
le chiot ou le chaton, qu’il a demandé au père Noël. Les jeunes
enfants ont des désirs, des plans, des demandes et des besoins
qui demeurent sans réponse et cela crée de la frustration.
Comme un petit garçon s’exclamait : « L’anniversaire de mon
frère est la pire journée de toute ma vie ! » Une des contrariétés
les plus difficiles à affronter, en ce qui concerne les besoins
auxquels on n’a pas répondu, est la séparation d’avec ceux de
qui on veut être proche, tel qu’un parent qui ne peut pas être
avec l’enfant. Cela éveillera une alarme en même temps que la
poursuite de la personne aimée et sera traité plus en détail au
chapitre 8.

Aider un jeune enfant à accepter la futilité de certains de ses désirs

COMMENT POUVONS-NOUS aider un enfant quand sa frustration


explose ? Comment est-ce qu’on développe une relation avec ses
frustrations d’une façon qui l’aidera à s’adapter aux contraintes de la
vie ? Le carrefour giratoire de la frustration de Neufeldg démontre les
trois issues possibles à la frustration et la façon dont les parents
peuvent aider un enfant à s’adapter à ce qu’il ne peut pas changer.
La frustration, quand elle s’active, a trois exutoires potentiels :
(1) l’enfant tente de changer ce qui ne fonctionne pas pour lui
(2) l’enfant s’adapte à ce qu’il ne peut changer ou (3) l’enfant
attaque.

1. L’enfant tente de changer ce qui ne fonctionne pas pour lui


Lorsqu’un enfant est frustré, une des premières choses qu’il va
tenter de faire est de provoquer un changement en sa faveur en
suppliant, en plaidant ou en pleurnichant. Si un parent accepte sa
demande, la frustration de l’enfant va certainement s’éclipser, mais
cette prise de décision requiert un certain jugement de la part de
l’adulte. Quelques considérations à envisager incluraient le choix du
moment opportun, du contexte, ainsi que de la personne qui devra
dire non et gérer la possible colère résultante. Un parent ne devrait
jamais dire non simplement pour prouver son point. La capacité
d’adaptation de l’enfant est moindre s’il est épuisé, affamé ou
souffrant, faisant en sorte que ses frustrations le submergent plus
facilement.
Figure 7.2 Tiré du cours de Neufeld Comprendre l’agressivité.

Si un enfant ne peut accepter le « non » dans un certain


domaine, par exemple pour des bonbons au petit-déjeuner, alors le
parent doit chercher à représenter la futilité de cette demande
jusqu’à ce que l’enfant en accepte les limites et restrictions. Si un
parent concède à l’enfant, le distrait ou le soudoie tout le temps pour
éviter de le contrarier ou de le faire pleurer, l’enfant aura bien peu
d’expériences pour apprendre à s’adapter et cela aura un effet
négatif sur sa résilience en général. Si un enfant voit qu’un parent
est constamment effrayé ou incertain à savoir comment gérer sa
frustration, il est possible que des problèmes alpha se présentent
aussi. Il est important que le parent décode, lise l’enfant et la
situation afin de déterminer quand dire non et quand satisfaire les
désirs de l’enfant.
Si un parent n’est pas prêt à répondre à la requête de l’enfant, la
frustration de l’enfant peut être redirigée à faire changer le parent
d’avis, en commençant avec des questions comme « Pourquoi est-
ce que je ne peux pas ? ». Un jeune enfant peut être un infatigable
agent de changement qui refuse de prendre non comme réponse.
L’erreur fatale est de lui dire pourquoi on lui dit non à ce moment
précis. Les parents peuvent finir emprisonnés dans une conversation
logique avec l’enfant avec des arguments démontrés et déboutés et
des négociations reçues et refusées. Face aux incessants
« pourquoi » d’un enfant, les parents peuvent simplement rétorquer
que c’est frustrant de ne pas avoir la réponse qu’on souhaite avoir.
Deux parents sont venus me voir au sujet des débats incessants
qu’ils avaient avec leur jeune enfant chaque fois qu’ils lui disaient
non, ce qui donnait lieu à des crises extrêmement longues. Après
une inspection plus approfondie de la situation, il devint clair qu’ils
étaient prisonniers d’une conversation circulaire rationnelle.

Teddy : Papa, est-ce que je peux avoir un autre biscuit ? Ils sont si bons.
Père : Non, tu viens tout juste d’en avoir un et un autre plus tôt aujourd’hui.
Teddy : Mais tu avais dit que j’en aurais un autre après le souper.
Père : Je t’en ai donné un après le souper. C’est tout.
Teddy : Pourquoi est-ce que je ne peux pas en avoir un autre ? Ils sont petits…
Père : Parce que c’est ce que j’ai dit. Les biscuits ne sont pas bons pour toi.
Teddy : J’ai mangé tous mes légumes. S’il te plaît, je peux en avoir un autre ?
Père : Pas d’autre biscuit. Je t’ai dit que ce n’est pas une bonne chose à manger
avant d’aller au lit.
Teddy : Maman, elle, elle me laisse avoir d’autres biscuits. J’en veux un !
J’ai demandé aux parents s’ils pouvaient simplement dire non d’un
ton ferme, mais bienveillant et éviter d’argumenter et d’expliquer
leurs raisons à Teddy. Il était incapable d’entendre les « non » parce
que pendant qu’ils argumentaient, il croyait avoir encore une chance
de les faire changer d’idée. Les deux parents ont commencé à rire
de ma suggestion et ont dit : « Deb, nous sommes tous les deux
avocats. C’est ce qu’on fait toute la journée : on argumente, on
débat, on utilise la logique. C’est si difficile de revenir à la maison
auprès d’un petit enfant. Il demande tout un autre ensemble
d’habiletés. » J’étais entièrement d’accord avec eux et les ai
encouragés à dire non sans négociation de manière à aider Teddy à
réaliser la futilité de certaines choses.

2. L’enfant s’adapte à ce qu’il ne peut changer


Si l’on veut qu’un enfant s’adapte au fait qu’une chose est futile et
qu’il devra, pour cette raison, y renoncer, alors on doit fermer la
porte du changement et ouvrir celle de l’adaptation. Fermer la porte
du changement signifie qu’on fournit un « non » clair et direct à sa
requête avec très peu d’explications. Si la réponse pénètre et que la
futilité de sa requête s’enregistre émotionnellement, un enfant peut
être amené vers l’adaptation, peut ressentir la déception ou la
tristesse et peut même se mettre à pleurer. Les larmes de tristesse
signalent que la porte de l’adaptation a été ouverte et que l’enfant
est changé par ce qu’il ne peut avoir. Dans le sillage de ces larmes
naîtront la résilience et la débrouillardise. Une fois que l’enfant a
accepté la réponse des parents et qu’il s’est adapté, c’est alors
correct de partager les raisons derrière le « non », puisque l’enfant
n’est plus poussé à argumenter contre ces raisons.
Lorsqu’un enfant est frustré et ne peut opérer le changement,
l’objectif est de le pousser de « fâché à triste ». Pour que cela se
produise, un enfant doit être capable d’avoir des larmes de tristesse
et une bonne relation avec un adulte bienveillant qui l’aidera à s’y
rendre. L’adulte doit maintenir le jeune enfant dans sa frustration
jusqu’à ce que la porte de l’adaptation s’ouvre. Il s’agit là d’un art
plus que d’une science, et cela implique une danse à trois temps
dans laquelle le parent devient un agent double travaillant tant pour
faire reconnaître la futilité que pour le réconfort.

PREMIER TEMPS Afin de présenter ce qui est futile, un parent doit être
clair à propos de ce qui ne peut changer. Par exemple : « Non, nous
ne pouvons pas retourner ta petite sœur d’où elle vient et son nom
ne sera pas Poubelle. »
Figure 7.3 Tiré du cours de Neufeld Comprendre l’agressivité.

DEUXIÈME TEMPS Maintenir un enfant dans sa frustration signifie faire


diminuer la frustration petit à petit et l’accompagner au lieu
d’argumenter contre elle ou de punir l’enfant à cause d’elle. Par
exemple : « Je sais que c’est difficile d’avoir une nouvelle petite
sœur. Tu veux que les choses reviennent comme avant. » L’enfant
peut répliquer : « Oui ! Je n’aime pas ma sœur, enlève-la ! » Encore
une fois, le but est de maintenir l’enfant dans la futilité d’essayer de
changer ce qui ne peut changer. « Non, on garde ta sœur. Je sais
que tu es frustré avec tous les changements. » Important : le parent
n’essaie pas d’amener l’enfant à aimer sa sœur ni à le convaincre
qu’il doit être un bon grand frère ou d’aider avec le nouveau bébé. Il
ne s’agit pas de le convaincre de laisser sa frustration, mais bien de
danser avec lui vers la tristesse à propos de ce qu’il ne peut
changer.

TROISIÈME TEMPS Lorsque l’enfant commence à être plus réceptif et


que la futilité de sa requête commence à s’enregistrer, il faut tenter
de faire ressortir encore un peu plus de tristesse : « Je sais que tu te
sens triste en raison des changements. Tu aimais qu’on soit juste
nous deux et maintenant, nous sommes trois. » L’enfant peut se
lamenter : « Ramène-la d’où elle vient. Oh, s’il te plaît, je ne veux
pas être un grand frère », pendant que ses larmes commencent à
couler. Idéalement, un parent devrait être capable de lire les signes
qui annoncent, chez son enfant, que sa frustration s’adoucit et qu’il
se déplace vers la capitulation. Peu importe ce que ça prend pour
amener l’enfant à cet endroit, c’est ce que le parent doit viser à
fournir : un câlin, un geste tendre, le silence, de la patience ou des
mots comme « Je suis là » et « Je sais, c’est difficile ».
La danse de « fâché à triste » est différente chez chaque enfant,
puisque leurs émotions varient en intensité et en vulnérabilité. Un
parent doit lire les indices, avoir foi que la colère va basculer vers la
tristesse et tenir le cap pendant la tempête. Lors d’un cours sur l’art
d’être parent, la mère d’une enfant de quatre ans a raconté l’histoire
suivante au sujet des défis qui nous attendent dans le carrefour
giratoire de la frustration :

Tout a commencé quand Chloé a poussé son frère en bas d’une chaise en insistant
que c’était la sienne. Ben a commencé à pleurer, alors je l’ai pris et j’ai dit à Chloé
qu’elle ne pouvait pas avoir la chaise. Elle s’est lancée dans une crise et s’est jetée
au sol en hurlant : « Je veux cette chaise-là ! » Je l’ai simplement laissée crier, mais
mon mari, qui n’était pas loin, a demandé : « Qu’est-ce que tu fais ? Tu ne peux pas
la laisser faire ça. » J’ai répondu : « Elle est frustrée et il faut que ça sorte. » J’ai dit
à Chloé que j’étais là pour lui donner un câlin et que je comprenais que c’était
frustrant. Mon mari m’a chuchoté : « Tu vas lui donner un câlin pour ça ? ! »

LES TROIS ÉTAPES DE LA DANSE DE L’ADAPTATION

ÉTAPE UN : Présenter la futilité


ÉTAPE DEUX : Se maintenir dans l’expérience
ÉTAPE TROIS : Faire sortir la tristesse

Figure 7.4 Tiré du cours de Neufeld Comprendre l’agressivité.

C’était difficile, mais j’ai enduré les pleurs, les gémissements, les coups de pieds et
de poings au sol, jusqu’à ce que j’entende le son qui me laisse savoir que la fin est
proche : « Maman, maman, je veux aller à la maison. » C’est comme si je pouvais
entendre les pistons ralentir dans sa tête. Les larmes de tristesse commencent à
couler et je peux finalement aller la serrer dans mes bras. Tout ce que j’entends
dans ma tête c’est : « Merci mon Dieu, la douce capitulation, enfin », et ensuite je
réalise à quel point je suis fatiguée.
Je réalise que c’est difficile pour mon mari de comprendre quoi faire quand elle est
si fâchée ; il est encore en train d’apprendre à essayer de s’y retrouver à travers
ses colères. Lorsqu’elle est fâchée comme cela, je ne fais qu’espérer que les
larmes arrivent et je fais de mon mieux pour m’accrocher à sa frustration et ne pas
empirer les choses.

Les parents du groupe ont reconnu à quel point il peut être


exténuant de traiter à la fois avec la frustration d’un enfant et notre
propre maîtrise de soi émotionnelle. La mère a ajouté que bien
qu’elle ne soit pas toujours aussi patiente qu’elle aimerait l’être, elle
était surprise de voir à quel point c’est bon de savoir qu’elle pouvait
aider son enfant à trouver ses larmes.
Pour ouvrir la porte à l’adaptation, un enfant a besoin d’un endroit
sûr pour pleurer et d’une personne bienveillante avec qui pleurer.
Plusieurs raisons font qu’un adulte a de la difficulté à aider un enfant
à trouver ses larmes, les plus courantes étant le manque de
connaissance de ce qui est requis, le manque de soutien culturel et
de sagesse concernant les émotions intenses, la peur de la colère
ou des réactions de l’enfant, le besoin compulsif de faire fonctionner
les choses pour son enfant, une trop grande dépendance à la raison
et le manque de profondeur dans la relation pour amener un enfant
aux larmes. Quand les jeunes enfants sont frustrés et aux prises
avec ce qu’ils ne peuvent changer, ils ont besoin d’agents de
réconfort qui vont tenir le coup jusqu’à ce que leur frustration puisse
être relâchée à travers leur tristesse ou leur déception.
Il est important de noter que si un enfant n’a pas le cœur tendre
ou est incapable de verser des larmes de manière vulnérable, le
tenir dans la frustration va mener à une escalade de l’énergie
d’attaque. La première étape sera de restaurer la vulnérabilité
émotionnelle de l’enfant, tel que discuté aux chapitres 4, 5 et 6,
avant de tenter de l’aider à s’adapter aux contrariétés de sa vie. De
plus, un parent ne peut présenter quelque chose comme étant futile
que s’il contrôle les circonstances qui l’entourent. Les secteurs
comme l’apprentissage de la propreté, manger, dormir ou toute autre
tâche d’hygiène requiert la coopération de l’enfant, alors contrarier
ses désirs dans ces secteurs est difficile. Les batailles autour de ce
type d’activités sont vues au chapitre 9. Plus important encore, un
parent n’a pas à dire non à toutes les demandes de l’enfant et peut
aussi choisir de faire fonctionner quelque chose pour lui.

3. L’enfant se déplace vers l’attaque


Quand un enfant ne peut ressentir la futilité de certaines demandes
et que les larmes ne viennent pas, il sera seulement poussé à
attaquer. Il y a plusieurs formes d’attaques, suivant la sophistication
de l’enfant, mais elles incluent frapper, mordre, lancer, faire une
crise, hurler, humilier, injurier, être sarcastique et même s’attaquer
lui-même, en ce qui concerne les enfants sensibles. Les adultes
interviennent souvent en demandant à l’enfant qui attaque pourquoi
il est si fâché : « Pourquoi as-tu lancé ce jouet ? » ou « Pourquoi as-
tu frappé ton frère ? », ce qui fait appel à la raison et à la logique.
C’est l’émotion de frustration qui pousse un enfant à attaquer ; c’est
là-dessus que le parent doit se concentrer. Une mère racontait
comment elle s’était retrouvée prise dans le comportement d’attaque
de son fils et qu’elle avait manqué de voir à quel point il était frustré :

Quand mon fils avait environ trois ans, il s’est mis à griffer les enfants dans le
visage de façon aléatoire. Ce n’était pas fréquent, mais son comportement nous
alarmait et nous étions perplexes à savoir d’où cela venait. J’ai essayé l’habituel
« c’est inapproprié », qui n’a donné aucun résultat. J’étais embarrassée, frustrée et
je ne comprenais pas. Avec de la perspective, je vois maintenant qu’il y avait
plusieurs sources de frustration pour lui et que c’était sa soupape quand tout
devenait trop lourd à porter.
Figure 7.5 Tiré du cours de Neufeld Comprendre l’agressivité.

Le défi avec l’agressivité, c’est que pendant qu’on se concentre


sur le comportement d’attaque de l’enfant, on perd notre intuition
concernant ce qui a provoqué ce comportement. Cela mène souvent
à recourir aux conséquences ou à l’isolement pour que l’enfant
cesse son comportement agressif. Ces modes de discipline ne font
qu’augmenter la frustration de l’enfant. La mère d’une fillette de cinq
ans a partagé l’histoire suivante, partie d’une bonne intention, qui a
mal tourné et qui a exacerbé le comportement agressif de sa fille :

Alice réclamait des autocollants, au magasin, et je lui ai dit non. Elle a fait une crise.
Une dame plus âgée nous a vues et est venue vers nous avec l’intention de nous
aider. Elle a commencé à parler à Alice et lui a dit que si elle ne se calmait pas, le
père Noël ne lui apporterait pas de cadeaux. Alice fit jaillir un rugissement
retentissant. Qu’est-ce qui prenait à cette dame d’utiliser une menace pour traiter la
frustration de ma fille ? Ne voyait-elle pas qu’elle ne faisait que jeter de l’huile sur le
feu ? Maintenant, Alice pensait qu’elle n’aurait ni autocollants ni cadeaux de Noël !
J’étais si frustrée que j’ai presque fait une crise à la dame. Au lieu de quoi j’ai dit à
Alice que le père Noël venait toujours chez nous et que c’était correct qu’elle soit
frustrée.

Quand un jeune enfant est rempli d’énergie d’attaque, l’objectif


est de le ramener dans le carrefour giratoire de la frustration jusqu’à
la sortie de l’adaptation en permettant à un peu de cette énergie
agressive d’être relâchée, en accompagnant sa frustration et en la
rendant plus sûre pour lui et les autres. L’objectif est de le ramener à
sa tristesse et à ses larmes. Si un enfant a perdu ses larmes et
montre très peu de signes de sentiments vulnérables comme la
bienveillance et la tristesse, alors l’objectif sera de survivre à
l’incident en protégeant la dignité de tous. Un parent peut dire, par
exemple : « Cela ne fonctionne pas, on va essayer quelque chose
de différent » ou « Je peux voir que tu es frustré, on en parlera plus
tard. » Quand les larmes sont coincées, on doit se concentrer à
restaurer le système émotionnel avant de procéder vers l’adaptation.
Si un parent répond avec frustration au comportement d’attaque
de son enfant, cela ne fera qu’aggraver l’agressivité de l’enfant et
fermer la porte de l’adaptation. L’énergie d’attaque d’un jeune enfant
est provocatrice pour les parents et fait souvent remonter une
réponse émotionnelle de leur part. Un parent décrivait un moment où
elle aurait pu répondre différemment à la frustration de son enfant :

On avait acheté à nos enfants de quatre ans et deux ans une cuisinette assez
coûteuse pour Noël. Nous ne roulons pas sur l’or, mais nous pensions que ce serait
une chose qu’elles apprécieraient vraiment. Un moment donné, elles la regardaient,
la touchaient, l’exploraient et l’appréciaient. L’instant suivant, notre plus vieille avait
sur le visage une expression vraiment frustrée et a poussé la cuisinette de toutes
ses forces. J’étais SI frustrée. J’ai interprété le geste comme de l’ingratitude. Ma
fille essayait d’ouvrir une armoire ou un tiroir sans succès. Elle est devenue très
frustrée et a poussé le jouet. Elle n’était pas ingrate, mais très frustrée. Je suis
désolée de vous dire que je n’ai pas très bien géré sa frustration et son agressivité
ni ne lui ai fait une gracieuse invitation pour ses sentiments. Et je devine que c’est
un débat pour tous les parents : trouver ses propres émotions mitigées de manière
à pouvoir inviter ce qui est en son enfant même si c’est de la frustration malsaine.

Lorsqu’un enfant est rempli d’énergie d’attaque, il y a trois


principes relationnels à garder en tête pour préserver la relation avec
l’enfant :

1. Dépersonnaliser l’attaque. Si l’enfant frappe, crie ou mord, lui


dire qu’il est mauvais, méchant et décevant ne va qu’augmenter
sa frustration et son énergie d’attaque. Dépersonnaliser
l’attaque ramène le tout au niveau du comportement, mais ne
transmet pas de jugement. Par exemple : « Les jambes ne
servent pas à donner des coups » ou « Les dents ne sont pas
faites pour mordre les gens. »

2. Se concentrer sur la frustration pour préserver sa dignité et


l’accompagner. Accompagner les sentiments de l’enfant peut
aider à neutraliser sa frustration et à le ramener dans le
carrefour giratoire vers l’adaptation. Par exemple, un parent
pourrait dire : « Tes dents ont le goût de mordre parce que tu es
frustré. Je vais t’aider avec ça. » Il est essentiel de préserver la
dignité de l’enfant quand il est en éruption de façon à éviter
d’ajouter à sa frustration et à son alarme.

3. Communiquer que la relation est assez solide pour soutenir le


poids de ses émotions. Quand un enfant attaque, la plus grande
menace qu’il risque est la perte de contact et de proximité avec
son parent. Quand un parent communique ce qui ne fonctionne
pas, il a besoin de communiquer aussi que la relation n’est pas
affectée et ne le sera pas. Cela peut signifier dire à l’enfant :
« Je sais que tu passes un moment difficile ; je suis toujours ici
avec toi » ou « Ça va. Je sais que tu es bouleversé. On va
passer à travers. » Le parent doit prendre la responsabilité de
préserver la relation et de ne pas retenir ni le contact ni la
proximité en rançon jusqu’à ce que l’enfant s’excuse. Quand la
séparation est utilisée pour contrer une attaque de l’enfant, cela
ne fera qu’exacerber sa frustration et augmenter la probabilité
d’attaque.

Frustration et larmes chez les enfants sensibles

CHEZ LES ENFANTS SENSIBLES, les crises de colère peuvent être plus
intenses, plus longues et plus exigeantes pour ce qui est de les
mener aux larmes. Leur intense désir pour des soins bienveillants
peut les prédisposer à de grandes déceptions. Ils imaginent souvent
beaucoup plus que ce qu’ils peuvent réaliser et deviennent
facilement frustrés par leurs imperfections humaines. Leurs
sentiments peuvent être gros, accablants et hors de contrôle. Ils ont
besoin que les personnes qui prennent soin d’eux soient solides
pour les aider à se déplacer à travers ces tempêtes, leur fournissant
de l’apaisement en répit d’un univers qui est « trop ». Le défi, c’est
que les enfants sensibles ont souvent l’impression qu’ils sont trop
durs à gérer pour leurs parents, qu’ils sont trop intenses dans leurs
réponses et qu’ils peuvent souvent accabler les autres. Il est critique
que les personnes qui en prennent soin répondent d’une manière qui
communique clairement qu’ils peuvent prendre soin d’eux et gérer
leurs émotions et comportements tout en assurant que la séparation
ne sera pas utilisée pour punir leur comportement.
Il existe trois choses aidantes à considérer lorsqu’on gère les
larmes et la frustration d’un enfant sensible :

1. Les protéger des expériences qui sont « trop ». Lorsque les


environnements, les relations et les expériences sont
insupportables pour un enfant sensible, la personne qui veille
sur lui doit lire la situation et le protéger en conséquence. Par
exemple, un parent peut inscrire son enfant à une classe de
musique seulement pour le voir se sauver en allant d’une porte
à l’autre chaque fois que le bruit commence. L’enfant peut
trouver la stimulation visuelle ou auditive trop pesante,
ressentant le besoin de rester le moins longtemps possible dans
ces environnements, ou pas du tout. Pousser l’enfant sensible
au-delà de ses limites mène habituellement à ce qu’il se ferme
ou explose de colère. Cependant, il est important que l’adulte
décode de quoi un enfant est capable même à petites doses et
ne le protège pas constamment.

2. Les mener en territoire vulnérable. Les enfants sensibles sont


reconnus pour éviter les expériences bouleversantes et
alarmantes. Ils peuvent s’éclipser des histoires tristes dans les
livres et s’effrayer en regardant une émission télévisée pour
enfants. Les parents doivent les guider gentiment dans ces
directions quand le besoin s’en fait sentir et les inviter à
exprimer ce qu’ils ressentent au lieu de les pousser. L’enfant
sensible peut essayer de détourner l’attention de ses
sentiments, alors savoir reconnaître ce qui est le plus difficile
pour l’enfant aide l’adulte à comprendre ce qui l’affecte le plus.
Quand les bouleversements se produisent, l’enfant sensible a
besoin d’une période d’apaisement pour réduire l’intensité de
l’expérience. Après cela, il sera mieux en mesure de parler de
ce qui le trouble, mais aura probablement besoin d’un adulte
pour le mener à cela. Reconnaître ses sentiments, les nommer
et les normaliser aide l’enfant à former une relation plus étroite
avec son univers intérieur, qu’il ressent souvent comme trop
pesant et trop occupé.

3. Faire un retour sur la situation accablante hors du moment de


l’incident. Lorsqu’on discute de problèmes de comportement, il
est préférable de le faire hors du contexte de l’incident en
question, en situation de relation bienveillante et chaleureuse, et
d’aborder le problème doucement, gentiment. Les incidents sont
mieux analysés une fois que les émotions intenses se sont
résorbées. Dans le feu de l’action, un parent peut simplement
informer l’enfant en disant : « Ce comportement n’est pas
correct et nous allons en discuter plus tard. » L’enfant répliquera
probablement : « Je ne veux pas en parler », à quoi le parent
peut répondre qu’il fera cela rapidement, simplement et aussi
peu douloureusement que possible, mais que parfois, les
choses ont besoin d’être dites et gérées. Lorsqu’il communique
que quelque chose n’a pas fonctionné, un parent doit s’assurer
de communiquer, en même temps, que la relation est demeurée
intacte.
8

Alarmé par la déconnexion :


le coucher, la séparation et l’anxiété

Et Max, le roi de toutes les choses sauvages, se sentait seul et voulait être là où quelqu’un
l’aimait plus que tout.
MAURICE SENDAK1

«
J E N’AIME PAS DORMIR ! » s’est mise à crier Sadie, la fille de quatre
ans d’Émily et Dan, au beau milieu de sa routine de coucher.
« Ce n’est pas juste ! Vous, vous dormez l’un avec l’autre et moi je
n’ai personne ! » Les parents étaient fatigués des batailles avec
Sadie à l’heure du coucher et se sentaient pris en otages chaque
soir. Ils mettaient beaucoup d’efforts à suivre un rituel de coucher et
ils étaient patients, mais mettre Sadie au lit était devenu un vrai
cauchemar.
Quand je leur ai demandé de me décrire comment ces batailles
se développaient, Émily a dit qu’elle travaillait habituellement de la
maison, le soir, laissant à Dan la routine du coucher. Sadie aimait se
faire raconter des histoires et se faire cajoler, mais n’aimait pas être
laissée toute seule. Un soir, tout allait bien jusqu’à ce que Dan se
lève pour quitter la chambre, quand Sadie sauta sur son lit et le
supplia de rester. Dan lui dit : « C’est l’heure de se coucher et tu dois
dormir. Tu seras fatiguée, demain, si tu ne dors pas. » Sadie
l’implora : « Non, papa, s’il te plaît, reste avec moi, j’ai peur du noir. »
Dan alluma sa veilleuse et poursuivit : « Tu dois dormir. J’ai du
travail à faire et maman aussi. » Dan réinstalla la petite dans son lit
et lui promis de revenir la voir plus tard. Cela faisait cinq minutes
qu’il était parti quand il entendit Sadie courir dans le passage en
cherchant sa mère et en demandant de l’eau. En la voyant, il
répéta : « Je t’ai dit que je passerais te voir. Maintenant, allez, Sadie,
au lit ; il est l’heure de dormir. Tu ne peux pas continuer à faire cela ;
tu dois calmer ton corps et dormir. » En protestant fortement, Sadie
fut ramenée dans son lit où elle dit : « Papa, ne pars pas ! Je veux
que tu restes. Je veux maman ! Où est maman ? » Dan avoua qu’il
était tellement frustré, qu’il lui a dit de rester dans son lit et qu’il est
sorti de la chambre. Sadie recommença à pleurer, mais sembla se
calmer jusqu’à ce que Dan entende un boum venir de sa chambre. Il
courut pour aller voir ce qui s’était passé et vit Sadie étendue sur le
plancher. Il se dépêcha de la prendre et demanda : « Sadie ? Ça
va ? Qu’est-il arrivé ? Pourquoi es-tu sur le plancher ? » Elle
répondit : « Oh, papa ! Mes animaux en peluche m’ont jetée en bas
du lit ! » Exaspéré, Dan a remis Sadie au lit, mais a eu beaucoup de
difficulté à la calmer.
Émily et Dan étaient désespérés. Ils demandaient : « Qu’est-ce
qui ne va pas avec elle ? Que sommes-nous censés faire ? Nous
sommes si fatigués et frustrés. » J’ai répondu : « Les jeunes enfants
ne se séparent pas. La séparation est alarmante pour eux. Quand
vous quittez la chambre de Sadie, tout ce qu’elle ressent, c’est votre
absence. L’heure du coucher représente, pour elle, une période
allant jusqu’à 10 heures de temps où vous lui semblez impossibles à
joindre parce qu’elle est inconsciente. Personne ne l’attend pour être
avec elle dans ses rêves. Elle est toute seule et c’est ce qui l’alarme.
La routine du coucher est comme le reflet de la danse d’attachement
que vous avez avec un enfant. La façon dont vous vous séparez de
l’enfant a autant d’importance que quand vous l’invitez à s’attacher à
vous ; en matière de connexion humaine, la séparation et
l’attachement sont entremêlés. » Dan et Émily y ont réfléchi et ont
demandé : « Alors, comment est-ce qu’on change cela ? » J’ai
répondu : « Vous devez l’aider à s’apaiser à l’heure du coucher en la
faisant regarder vers la connexion au lieu de vers la séparation. »

Les jeunes enfants ne sont pas faits pour la séparation

L’ATTACHEMENT est la porte par laquelle s’ouvre la séparation ;


attachement et séparation sont comme les faces opposées d’une
même pièce de monnaie. La connexion humaine est notre besoin le
plus grand ; donc, une séparation réelle ou anticipée représente
l’expérience la plus puissante. Le coucher, les au revoir, les
transitions, représentent une sorte de départ et c’est ce qui fait que
les jeunes enfants ont de la difficulté avec ces moments. Les enfants
font face à la séparation à partir du moment où le cordon ombilical
est coupé. Nous devons aider le jeune enfant à se développer en un
être indépendant, social et distinct qui peut aller au lit, jouer seul,
aller en classe et, éventuellement, quitter la maison. La solution ne
se trouve pas dans le fait de lui enseigner comment se séparer, mais
plutôt en rendant la séparation simple et facile pour lui. Les jeunes
enfants ne nous laisseront partir que lorsqu’ils sentiront qu’on les
retient. En d’autres mots, si la séparation est le problème,
l’attachement est la solution.
La déconnexion peut être provocante, pour les jeunes enfants,
parce que leur capacité d’être en relation n’est pas pleinement
développée. Il faut six ans de solide développement pour concrétiser
la capacité d’être en relation profonde, comme il a été discuté au
chapitre 4. Les jeunes enfants en sont encore à développer un
sentiment du soi, ce qui les rend hautement dépendants aux adultes
qui les entourent. Plus un enfant est immature et dépendant, plus la
séparation sera difficile. Nous ne devrions pas leur reprocher leur
désir de contact et de proximité, mais bien plutôt être reconnaissants
qu’ils souhaitent être près de nous. Si un jeune enfant ne peut être
avec nous, nous devons nous assurer qu’il y a un adulte de
substitution qui cultivera une solide connexion avec lui. Au moment
du coucher, il faut attirer l’attention de l’enfant sur l’anticipation d’être
avec nous au matin de façon à amoindrir la séparation à laquelle il
fait face.

Qu’est-ce que l’alarme de séparationh ?

LA PEUR est une des plus anciennes émotions humaines, et ce, pour
une bonne raison. Selon le neuroscientifique Joseph LeDoux, le
cerveau est un système d’alarme sophistiqué activé par la peur pour
nous inciter à la prudence2. En tant que système d’alarme, le
cerveau est vigilant et très à l’affût des menaces. L’attachement est
notre besoin prééminent ; du coup, la séparation est perçue comme
la plus grande menace et peut activer une forte réaction d’alarme3.
Les jeunes enfants, comme tous les jeunes des autres espèces de
mammifères, ont un cri de séparation dont le but est de ramener
près d’eux l’adulte qui prend soin d’eux4. Cette réaction d’alarme
n’est pas une erreur ni un problème, mais fait partie d’un système
sophistiqué dont le but est d’attacher un adulte et un enfant l’un à
l’autre. Le système émotionnel des jeunes enfants est préoccupé à
savoir s’il y aura ou non quelqu’un pour prendre soin d’eux.
Lorsqu’ils font face à la séparation, leurs mots et incessantes actions
frénétiques, possessives, leurs façons de s’accrocher et de nous
attraper sont toutes des formes de poursuite destinées à réduire la
distance entre eux et leur figure d’attachement. Si personne ne leur
vient constamment en aide, cela peut activer les défenses
émotionnelles qui engourdissent et déconnectent la détresse5.
Faire face à la séparation peut être accablant pour les jeunes
enfants, et ce, peu importe si la séparation est réelle ou anticipée.
Dès que l’enfant réalise qu’il doit aller à la garderie, au lit ou à la
maison de l’autre parent, il peut éclater de frustration ou s’alarmer en
lien avec la déconnexion anticipée. L’expérience de la séparation
dépend de la nature de son attachement et de sa propre nature. Tel
que vu au chapitre 4, un enfant s’attache en séquences par les sens,
la similitude, l’appartenance et la loyauté, le sentiment d’importance,
l’amour et le fait d’être connu. L’alarme de séparation est enracinée
dans la perte de contact et de proximité dans l’une de ces six formes
d’attachement.
L’alarme de séparation survient quand il y a menace de ne pas
être avec quelqu’un, de ne pas être comme les autres, de ne pas
faire partie, de ne pas être important, de ne pas être aimé ou de ne
pas être connu. Par exemple, cette mère qui m’a raconté comment
sa fille devenait alarmée quand elle ne pouvait pas se connecter
avec elle par ses sens :

Ma fille peut devenir profondément anxieuse le soir et veut s’accrocher à moi


physiquement. Elle a besoin de nous entendre dans la maison ou de nous voir. Un
jour, après qu’elle se soit endormie, j’étais assise un étage plus bas et je lisais. Elle
s’est réveillée et est venue me trouver en état de haute alarme. Parce que je lisais,
la maison était trop tranquille et elle croyait que j’avais quitté la maison et elle aussi,
par le fait même. Maintenant, je lis toujours à l’étage ou avec la télé ou la radio
comme bruit de fond.

Figure 8.1 Tiré du cours de Neufeld Comprendre l’agressivité.

Une tante qui visitait son neveu de deux ans essayait d’entrer en
relation avec lui à travers leurs similitudes et remarqua son état
d’alarme alors qu’elle pointait leurs différences :

Il était lent à se laisser approcher, mais alors que je commençais à lui faire la
lecture, j’ai dit : « On se ressemble tellement ; on aime tous les deux lire des
livres. » Il a demandé un autre livre et une fois qu’il l’eut choisi, il dit : « C’est un de
mes préférés. » Il rayonnait en me regardant et m’a demandé qu’est-ce que j’aimais
d’autre. Un moment donné, il m’a demandé : « Aimes-tu les guimauves ? » Pendant
un instant, j’ai oublié à propos de l’attachement par la similitude et j’ai répondu :
« Non, pas tellement. » La déception et l’alarme qui se lisaient sur son visage m’ont
brisé le cœur et j’ai immédiatement recommencé à pointer toutes nos
ressemblances, ce qui a ramené son sourire.

Les jeunes enfants ont couramment peur dans le noir, ou peur


d’être laissés derrière ou d’être oubliés. Le point commun, c’est que
ces thèmes représentent tous une séparation d’avec les personnes
auxquelles ils sont le plus attachés. Un soir, cinq minutes après que
sa mère l’eut mise au lit, Maggie, quatre ans, se mit à crier. Elle
pleurnichait et disait : « Maman, j’ai fait un cauchemar. Le toit était
déchiré et j’étais aspirée jusqu’à Jupiter et tu ne pouvais pas venir
me chercher. » La peur de voyager dans l’espace de Maggie n’est
pas une réaction logique, mais une réaction émotionnelle qui répond
à son alarme de séparation. Heureusement, sa mère n’a pas
argumenté avec elle au sujet de son voyage intragalactique, mais a
plutôt dit : « Je sais toujours où tu es et je vais prendre soin de toi. »
Ce que les jeunes enfants ont besoin d’entendre encore et encore,
c’est qu’un adulte tient à eux ; particulièrement lors du coucher, la
plus grande déconnexion quotidienne.
Il y a, dans la vie d’un jeune enfant, plusieurs sources
potentielles de séparation telles : la venue d’un nouveau bébé,
l’horaire de travail des parents, des déménagements, la garderie, un
divorce, une adoption… Il y a aussi des sources cachées de
séparation, comme le fait de devenir leur propre soi et de grandir en
devenant plus indépendant. Comme l’enfant évolue en un être
distinct, l’alarme se crée dans le sillage de l’éloignement de la
bienveillance des parents et de la naissance du « Je suis capable
tout seul ». La réponse des parents, question de diminuer l’alarme
de séparation, est de constamment travailler à approfondir leur
attachement et d’inviter l’enfant à dépendre d’eux.
Les jeunes enfants vivent la séparation de plusieurs façons qui
peuvent les alarmer : ne pas être voulus ou choisis, ne pas être les
favoris ou ne pas être compris. Quand ils font face à ces alarmants
désirs, ils peuvent avoir besoin d’aide pour trouver leurs larmes et se
faire apaiser. Une des pires difficultés à affronter, sur lesquelles les
enfants n’ont aucun pouvoir, est le passage du temps et l’inévitabilité
de la mort. Le jeune enfant peut ne pas vouloir vieillir le jour de sa
fête, peut être attristé quand il perd une dent ou peut vous dire qu’il
veut rester petit pour toujours, comme pour annihiler le passage du
temps. Il peut aussi devenir conscient de problèmes existentiels et
du caractère limité de la vie par le biais de la mort d’un animal de
compagnie ou d’un membre de la famille élargie. Ces événements
lui mettent en évidence la séparation ultime et peuvent mener à des
questions du genre : « Est-ce que tu vas mourir toi aussi ? » Les
enfants sensibles peuvent rapidement saisir la possibilité d’une
séparation et peuvent, de ce fait, devenir très bouleversés. Un des
parents d’une petite fille sensible de quatre ans a remarqué que sa
fillette était plus alarmée à la suite de son anniversaire et après
qu’elle eut entendu dire que le chien du voisin était mort :

Je revenais voir Mathilda après l’avoir mise au lit quand j’ai remarqué des bosses là
où ses pieds étaient. J’ai soulevé la couverture et vu qu’elle portait ses nouveaux
souliers noirs vernis. Je lui ai demandé pourquoi et elle s’est mise à pleurer : « Oh,
maman, j’aime tellement mes souliers. Je ne veux pas que mes pieds grandissent.
Est-ce que tu vas m’en acheter une nouvelle paire quand ils seront trop petits ? »
Je lui ai dit oui et je lui ai dit qu’elle, elle ne serait jamais trop grande pour que je
prenne soin d’elle. Mathilda est devenue très calme et m’a demandé : « Maman,
quand tu seras morte, est-ce que tu vas encore m’aimer du paradis ? » J’ai réussi à
lui dire : « Oui, je vais toujours être avec toi ; il n’y aura pas une seule journée où tu
seras séparée de mon amour. »

La façon dont on aide nos enfants à faire face aux incertitudes de


la vie les plus alarmantes, telles que le passage du temps et la mort,
c’est en leur rappelant notre attachement. On peut les rassurer à
l’effet que nous serons toujours leurs parents, que nous les
aimerons toujours et que nous ne sommes jamais plus loin qu’une
pensée ou un sentiment. Lorsqu’un enfant perd quelqu’un qu’il aime,
on peut l’aider à rester en relation avec cette personne avec des
histoires, des photos et des effets personnels.
Une des meilleures façons d’aider un enfant à comprendre les
alarmes de séparation de la vie est de les lui présenter d’une
manière non alarmante. Par exemple, la nature, les plantes, les
animaux, les saisons, le cycle de la lune et du soleil, tous
représentent le passage du temps et le flot rythmique de la vie. La
meilleure préparation pour une séparation imminente comme la
perte d’un grand-parent, est à travers les représentations naturelles
de la vie et de la mort. Les animaux sont une option évidente pour
aider les enfants à comprendre notre impuissance à agir sur certains
aspects de la vie. Une mère racontait : « J’avais un aquarium avec
plusieurs poissons dedans, mais ils semblaient tous mourir l’un
après l’autre. Mes enfants étaient très tristes chaque fois qu’un
poisson mourait, j’ai même une fois trouvé mon fils de quatre ans à
genoux sur le plancher, priant pour le poisson. J’avais l’habitude de
leur dire que j’avais le don pour acheter tous les poissons très, très
vieux et que c’était la raison pour laquelle ils mouraient. »
La meilleure façon d’approcher les enfants avec des situations
possiblement inquiétantes pour eux et qui suggèrent qu’on ne peut
assurer leur sécurité, comme les pratiques en cas de tremblement
de terre ou d’attaque à l’école, c’est d’utiliser une approche non
alarmante. On doit leur donner des instructions toutes simples,
comme le fait un agent de bord dans un avion, en transmettant
l’information de sécurité essentielle, de manière pratique, concrète et
amicale. On ne veut surtout pas insister sur le fait qu’ils peuvent faire
face à beaucoup de séparations ; ils sont trop immatures pour
quelques-unes des séparations de la vie les plus alarmantes. Le défi
avec les jeunes enfants, c’est que leur besoin d’attachement est
élevé, que leur immaturité les rend dépendants et qu’ils vivent dans
un monde rempli de séparations.

L’anxiété chez les jeunes enfants

L’ANXIÉTÉ ET LES TROUBLES fondés sur la peur sont les plus communs
parmi les problèmes de santé mentale chez les enfants, de nos
jours6. Les signaux d’alarme élevée peuvent inclure des colères
excessives, l’évitement de certaines situations ou stimuli, la nausée,
des maux de tête ou d’estomac, le refus de dormir seul, d’aller à la
garderie ou à la maternelle et parfois même le refus de parler7. Les
enfants souffrant d’anxiété peuvent avoir des cauchemars fréquents,
être remplis de crainte ou être complètement sans peur, avoir des
phobies, des obsessions, être distraits, avoir des spasmes
musculaires, des tics nerveux, une énergie inlassable, de l’agitation
ou d’intenses réactions de sursaut. Ils peuvent également s’engager
dans des comportements compulsifs réducteurs d’anxiété tels que
sucer leur pouce, mâcher, se ronger les ongles, se tortiller une
mèche de cheveux, se frotter les parties génitales, manger ou
constamment chercher du réconfort auprès d’un objet transitionnel
comme un ourson ou un doudou.
Lorsque les jeunes enfants sont hautement alarmés, cela peut
être déroutant, pour les adultes, de déterminer quelle est la
séparation à laquelle l’enfant fait face, qui peut le bouleverser à ce
point. Quand quelque chose est alarmant et cause de la détresse
pour trop longtemps, les défenses émotionnelles du cerveau
peuvent se mettre en action pour empêcher les sentiments et
perceptions qui le rendent vulnérable. Par exemple, un enfant peut
dorénavant ne plus parler de l’enfant qui l’intimide à la garderie ou à
l’école et peut même commencer à jouer avec cette personne
malgré que cette dernière le traite mal. L’enfant sera encore alarmé,
mais ne sera plus certain de la raison. La source réelle de son
alarme peut être bloquée de sa pleine conscience pour lui permettre
de continuer à fonctionner dans une situation d’alarme. Lorsque son
cerveau est protégé de voir la vraie cause d’une alarme, l’enfant dira
qu’il a peur, mais il sera incapable de vous en dire la cause ou il en
fabriquera une de toutes pièces. En bref, l’anxiété, c’est être alarmé
mais être aveugle à ce qui cause vraiment l’alarme. L’objectif n’est
pas de changer les pensées ou sentiments de l’enfant à propos
d’avoir peur, mais de prendre en considération la ou les sources de
séparation qui causent l’alarme et d’œuvrer à modifier
l’environnement de l’enfant ou à inviter ses larmes au besoin. Les
jeunes enfants ne devraient pas être responsables de se faire eux-
mêmes sentir en sécurité ou de s’assurer eux-mêmes que leur cœur
demeure tendre. C’est là le rôle de la personne qui prend soin d’eux.
Il y a plusieurs sources de séparation qui sont à la base de
l’escalade des niveaux d’anxiété et de haute alarme chez l’enfant de
nos jours. Certaines des plus communes comprennent l’anticipation
chronique de la séparation et l’utilisation de méthodes de discipline
fondées sur la séparation. L’enfant orienté vers ses pairs et l’enfant
alpha peuvent aussi démontrer de hauts niveaux d’anxiété, tel que
discuté aux chapitres 4 et 5.

1. L’anticipation chronique de séparation


Les jeunes enfants font face à des niveaux de séparation sans
précédent d’avec les gens auxquels ils sont attachés, non seulement
parce que leurs parents travaillent à l’extérieur de la maison, mais en
raison de l’augmentation des taux de divorces, des déplacements
géographiques et du manque d’accès à la famille étendue. Ils sont
également plus susceptibles d’être inscrits dans des programmes
d’apprentissage précoce et d’activités structurées, ce qui peut les
éloigner de leurs attachements les plus près à un âge où leurs
besoins relationnels sont au plus fort8.
Quand vient le temps de considérer si un enfant fait face ou non
à des niveaux critiques de séparation, les questions à se poser sont
les suivantes :

1. Combien de séparations, au total, est-ce que l’enfant vit avec


ses figures d’attachement les plus proches ?

2. Qui prend soin de l’enfant ? L’enfant leur est-il attaché ? Si oui,


de quelle façon ?
3. Est-ce que l’enfant reçoit constamment des soins qui lui
fournissent une généreuse invitation à s’attacher à l’adulte ou
aux adultes qui s’occupent de lui ?

4. Quelle est la capacité développementale de l’enfant de rester


attaché à un parent lorsqu’ils sont séparés ?

5. Quel est le degré de sensibilité de l’enfant et à quel point est-ce


qu’une séparation est provocante pour lui ?

Un enfant de cinq ans qui s’attache à ses parents par l’amour est
capable de plus grandes séparations qu’un nouveau-né qui s’attache
par les sens. Le nouveau-né aura besoin de soins constants et d’une
personne généreuse qui en prendra soin et qui s’investira dans le
développement d’un attachement profond. Comment un parent fait-il
cela dans le contexte de sa vie quotidienne ? Ou la tâche peut-elle
être partagée avec un parent substitut qui peut fournir la même
chose ?
Ce qui est indéniable, c’est que chaque famille fait face à ses
propres défis et que les familles ont différents niveaux de soutien et
de ressources donc, par le fait même, des choix différents quand il
est question de garderie, d’emploi et de modalités de vie. Plusieurs
parents ont besoin de partager avec d’autres adultes la tâche
d’élever leurs enfants. Les parents ont besoin de cultiver un village
d’attachement dans lequel élever leur enfant, ce qui est abordé plus
loin lors de la discussion sur le besoin d’avoir des ressources pour
faire le pont et pour servir d’entremetteur pour gérer les alarmes de
séparation.
2. L’usage de méthodes de discipline basées sur la séparation
L’usage d’approches disciplinaires basées sur la séparation, telles
que les périodes de retrait, le fait de retirer un objet que l’enfant
affectionne ou la déconnexion émotionnelle d’avec un adulte érodent
l’attachement et mènent à l’augmentation de l’alarme chez l’enfant.
Si un enfant anticipe qu’il sera séparé en raison de son
comportement, cela peut mener à de l’insécurité, puisqu’il ne peut
tenir pour acquis que l’on répondra à son besoin de contact et de
proximité. Au parc, les parents font souvent semblant de partir seuls
quand leur enfant n’est pas coopératif ou qu’il résiste à quitter les
lieux. Ils peuvent dire à l’enfant : « OK alors, au revoir. Je vais te
laisser ici si tu ne viens pas avec moi maintenant », ce qui active le
système d’alarme de l’enfant et peut l’envoyer courir directement
vers son parent. L’usage continu de méthodes de discipline basées
sur la séparation peut surcharger le système d’alarme de l’enfant et
ériger des défenses émotionnelles pour engourdir la détresse.
Alicia et Stephen m’ont consultée au sujet de Seth, leur fils de
cinq ans, qui faisait régulièrement des crises tant à la maison qu’à
l’école, ne dormait pas bien, était constamment agité et démontrait
des troubles d’attention. Seth contrevenait à toutes les règles de sa
classe de maternelle et était régulièrement envoyé au bureau du
directeur, mais répondait à son enseignante : « Je m’en fous ! »
L’enseignante essayait d’instaurer une charte de récompense avec
des autocollants pour l’inciter à bien se comporter, mais il se moquait
d’elle et de ses autocollants. En prenant en considération les
diverses sources de séparation dans la vie de Seth, il était clair que
l’approche disciplinaire basée sur la séparation était en cause, avec
l’usage abondant de périodes de réflexion, le retrait émotionnel et la
surutilisation des conséquences. Seth avait perdu plusieurs choses
auxquelles il était attaché, que ce soit son vélo ou le soccer, son
activité favorite. L’utilisation fréquente de la discipline basée sur la
séparation avait érodé sa relation avec ses parents et avait eu
comme résultat une augmentation vertigineuse des problèmes
d’alarme et de frustration. Plus il exprimait son alarme et sa
frustration, plus il recevait de punitions, alimentant ainsi son trouble
de séparation.
Lorsque les parents de Seth ont cessé d’utiliser ce type
d’approche disciplinaire, qu’ils ont commencé à se rapprocher de lui
et à faire place à l’expression émotionnelle, il a commencé à pleurer
beaucoup. Les larmes ont continué pendant un certain temps et il
s’est mis à suivre ses parents beaucoup plus pendant que sa
résistance à leurs instructions diminuait. Quand Seth s’est fait dire
qu’il ne se ferait plus mettre en période de réflexion et qu’il ne se
ferait plus retirer ses choses préférées comme mode de punition, il
est immédiatement allé chercher des Post-it. Sur chacun, il a écrit
son prénom et il a commencé à les placer sur ses objets favoris
partout dans la maison. Son cerveau avait bien reçu le message que
c’était suffisamment sûr de se connecter à nouveau à certaines
choses et à certaines personnes. Il n’a ensuite fallu que du temps et
de la patience pour rétablir une relation avec Seth, mais pendant
que ses parents travaillaient sur cela, il a recommencé à s’apaiser
sous leurs soins, à jouer seul, à écouter son enseignante, et il était
beaucoup moins agité. D’autres options à la discipline basée sur la
séparation sont traitées au chapitre 10.

Comment utiliser l’attachement pour gérer l’alarme de séparation


LORSQU’IL Y A TROP DE SÉPARATIONS, il est préférable de répondre en
dirigeant l’enfant vers l’antidote, c’est-à-dire, l’attachement. Nous
devons lui communiquer que nous sommes attachés à lui d’une
façon telle qu’il puisse s’apaiser et se reposer sous nos soins et
notre garde. Pour ce faire, il existe différentes façons : en
(1) réduisant la séparation, en (2) faisant le pont pour réduire l’écart,
en (3) servant d’entremetteur et en (4) réduisant l’alarme par les
larmes et en cultivant la résilience.

1. Réduire la séparation
Lorsqu’un enfant fait face à de trop nombreuses séparations, il est
important de trouver des façons d’en réduire le nombre tant
physiquement que psychologiquement. Un parent peut essayer de
réduire le temps que l’enfant passe à la garderie ou au service de
garde, si c’est possible. Le parent peut aussi essayer de couper
dans les activités non essentielles qui ne favorisent pas une relation
avec leur enfant ou qui interfèrent avec le fait d’en cultiver une, telles
que les activités structurées ou les rencontres d’amis pour jouer. Le
parent peut chercher des façons d’inviter à la dépendance en aidant
l’enfant à s’habiller, en partageant un loisir avec lui ou en faisant des
sorties ensemble. Échanger les pratiques disciplinaires basées sur
la séparation par des pratiques disciplinaires plus amicales sur le
plan du développement et sûres pour l’attachement est également
un impératif. Lorsqu’un enfant est alarmé, un adulte devra faire de la
place pour ses sentiments et prendre soin de lui, par exemple en
restant avec lui jusqu’à ce qu’il s’endorme ou en le gardant près de
soi quand ils sont ensemble à la maison. Peu importe de qui il s’agit,
la personne responsable de l’enfant devra adopter une forte attitude
alpha en lisant les besoins de l’enfant et en prenant les rênes pour y
répondre.

2. Faire le pont pour réduire l’écart


Faire le pont est un rituel d’attachement qui dirige l’enfant vers la
connexion. Au lieu de se concentrer sur la séparation, l’enfant est
encouragé à s’accrocher à quelque chose qui représente
l’attachement qu’il a avec les personnes qui sont les plus près de lui.
Quand on crée un pont, on aide l’enfant à se concentrer sur ce qui
perdure et le connecte avec nous malgré la séparation qui s’est faite
entre nous. Faire le pont peut se faire quand la séparation s’ouvre,
que cela implique aller au lit, aller à l’école, aller à la maison de
l’autre parent ou même quand il s’agit d’aborder un problème de
comportement. Faire le pont contribue à réduire l’alarme de
séparation seulement lorsque l’enfant a une bonne relation avec
l’adulte qui s’occupe de lui. Si l’alarme est causée par l’orientation
vers les pairs ou par des problèmes alpha, la première chose à faire
est de ramener l’enfant dans la bonne relation.
Faire le pont implique de donner à l’enfant quelque chose de
tangible à quoi s’accrocher pendant la séparation tout autant que de
l’aider à se concentrer sur le prochain point de connexion. Par
exemple, cette mère qui a donné à son fils de quatre ans une photo
d’elle qu’elle avait mise dans un sac de plastique et placée dans la
poche arrière du petit. Elle lui a dit qu’elle était dans sa poche, si
jamais il s’ennuyait d’elle à la maternelle. Un jour, il est revenu à la
maison et lui a dit : « Maman, je me suis tellement ennuyé de toi,
aujourd’hui, que je t’ai sortie de ma poche et je t’ai donné un gros
bisou. » Une autre mère a donné à sa fille un médaillon avec leur
photo de famille dedans. Elle a dit à sa fille : « Si jamais tu t’ennuies
de nous, il y a dans ce médaillon une réserve infinie de câlins et de
bisous que tu peux utiliser. » La maman mesurait chaque jour à quel
point sa fille s’ennuyait d’eux en lui demandant de combien de
bisous et de câlins elle avait eu besoin.
Il arrive parfois que des garderies ou maternelles fixent aux murs
de la classe des photos de famille de façon à ce que les gens aimés
ne soient toujours qu’à un coup d’œil de distance. Les notes dans la
boîte à lunch sont également une façon de faire le pont. Quand vous
quittez un enfant, vous pouvez faciliter la réduction de l’alarme de
séparation en l’aidant à se concentrer sur le moment de votre
prochaine rencontre et sur ce que vous ferez ensemble à ce
moment-là : « Quand je reviendrai te chercher, nous irons à la
maison et ferons du bricolage tous les deux. »
Quand un parent doit s’éloigner de son enfant en raison d’un
voyage, du boulot ou d’un divorce, il existe plusieurs façons de
l’aider à rester en lien avec lui pendant qu’ils sont séparés. Une
mère racontait ceci : « Peu importe quand mes enfants allaient à la
maison de leur père ou en voyage loin de moi, je leur écrivais des
notes que je plaçais dans des enveloppes scellées et datées. Il y
avait une note pour chaque jour. » Une autre mère disait que lors
des jours plus difficiles, quand les enfants s’ennuyaient vraiment de
leur père qui était au travail, ils faisaient un menu pour lui à
l’ordinateur et ensuite ils allaient à l’épicerie acheter toute la
nourriture nécessaire pour le réaliser. Ensuite, quand leur père
revenait à la maison, tout le monde prenait un menu et s’alignait
devant la porte pour entrer au « restaurant ». Un autre parent, un
père, racontait que quand son épouse devait travailler des quarts de
12 heures, son enfant de trois ans s’ennuyait terriblement d’elle,
alors ils faisaient ensemble du « courrier de maman » et ils le
laissaient dans la boîte aux lettres. Ils envoyaient ensuite un texto à
maman pour lui dire de prendre son courrier en revenant à la
maison. Lorsque les adultes aident les enfants à rester en contact
avec les personnes qu’ils aiment à l’aide d’un pont, cela instaure
également de la confiance envers la personne qui demeure
disponible pour prendre soin d’eux.

FAIRE LE PONT LA NUIT


Un des défis avec la séparation lors du sommeil, c’est qu’il n’y a
personne qui prend la relève des soins de l’enfant. Le sommeil et
l’inconscience représentent la plus grosse séparation de la journée
d’un enfant sans qu’il n’y ait personne pour prendre soin de lui
directement. C’est aussi un moment où l’alarme accumulée durant la
journée peut apparaître. Si un enfant fait face à un niveau critique de
séparation, il peut être plus bouleversé à l’heure du coucher.
Quand Émily et Dan m’ont consultée à propos de Sadie, il était
clair qu’elle s’ennuyait de sa mère en raison de l’horaire de travail de
soir de celle-ci. Heureusement, sa mère a été capable de déplacer
certains projets et de se rendre disponible à l’heure du coucher. Cela
a aidé à diminuer le fait que Sadie la réclamait sans arrêt et a
favorisé un attachement plus profond tout en réduisant un peu son
alarme de séparation.
Émily et Dan ont aussi travaillé très fort à faire ressentir à Sadie
qu’ils étaient liés à elle même la nuit et qu’ils restaient en relation
avec elle pendant son sommeil. Ils ont pris les rênes pour l’aider à
s’apaiser, et quand Sadie disait : « Je ne peux pas dormir. Je ne suis
pas fatiguée », les parents répliquaient en disant : « Ton sommeil
n’est pas ton problème. C’est ce à quoi servent les mamans et les
papas. » Ils ont changé leur position et au lieu de se sentir pris en
otages, la nuit, ils ont commencé à être plus généreux dans leur
approche. Au lieu de la pousser et de la presser à être prête à aller
au lit, ils passaient à travers leur routine du coucher en essayant de
transmettre du bonheur, du plaisir et de la chaleur. Ils ont pris les
devants pour l’aider à s’installer, comme en allumant sa veilleuse
avant qu’elle ne le demande, en lui parlant de leurs plans pour le
lendemain pendant qu’ils lui donnaient des câlins et des bisous en
extra. Quand ils quittaient la chambre, ce n’était que pour cinq
minutes à la fois et ils revenaient avec un cœur en papier pour
qu’elle le prenne. Sadie adorait les cœurs et avait toujours hâte d’en
recevoir un à toutes les 5 minutes, 10 minutes et ainsi de suite.
Lorsque Sadie se réveillait le matin, elle voyait une pile de cœurs sur
sa table de chevet, deux fois plus grosse qu’avant qu’elle s’endorme.
Ses parents lui disaient qu’ils veillaient sur elle toute la nuit et, étant
d’âge préscolaire, Sadie les croyait !
Il y a plusieurs façons de faire le pont, la nuit, incluant celle
d’attacher des cordes invisibles autour de vos lits ou entre vos
cœurs. Vous pouvez placer une photo des membres de la famille
dans la chambre de l’enfant ou placer un petit album photo sous son
oreiller pour que l’enfant le regarde au matin. Vous pouvez lui dire
que vous allez le rejoindre dans ses rêves. Pour un jeune enfant,
cela peut aider de lui prêter, pour dormir, un chandail qui sent
comme maman ou comme papa pour garder la connexion à travers
les sens. L’objectif est de mener la danse de l’attachement et
d’orienter l’enfant vers toutes les façons dont vous demeurez proche
tout au long de la nuit.
Peut-être qu’au lieu de nous sentir frustrés quand notre jeune
enfant proteste, chaque soir, pour ne pas aller au lit, on peut se
propulser dans l’avenir à une époque où il n’aura plus besoin de
nous pour le border ou lui faire des ronds dans le dos, quand nous
n’entendrons plus ses pas courir dans le hall et sa voix crier qu’il a
peur des monstres. Peut-être pourrions-nous penser qu’il va
éventuellement être séparé de nous alors qu’il évoluera pour devenir
un être indépendant, sa propre personne distincte. Cela rappellerait
à notre cœur à quel point il est difficile d’être séparé de quelqu’un
qu’on aime tant. Peut-être que c’est dans notre tristesse à le voir
grandir si vite qu’on peut trouver la générosité dont il a besoin quand
il fait face à la solitude de la nuit.

3. Servir d’entremetteur
Servir d’entremetteur est un rituel d’attachement qui cultive les
relations entre les jeunes enfants et les personnes dans leur vie.
Des frères et sœurs aux grands-parents, des éducateurs et
éducatrices de la garderie aux médecins, policiers, enseignants ; on
doit prendre les rênes pour favoriser les relations entre nos enfants
et les habitants de leur village d’attachement. Ce dont les jeunes
enfants ont besoin plus que tout, c’est de sentir qu’il y a une invisible
matrice d’adultes qui les entoure dans le but de prendre soin d’eux.
Les enfants sont des êtres d’attachement et leurs instincts de
timidité doivent être activés quand ils sont mis en contact avec des
personnes qu’ils ne connaissent pas, même s’ils sont parents avec
eux. Un enfant peut être grégaire et très vocal à la maison, mais
reculer et se retirer, se tenant près de ses parents en présence
d’étrangers. Bien que la timidité soit souvent perçue comme un
problème, elle n’en est pas un dans des contextes où l’on accorde
de la valeur aux façons extraverties de se mettre en relation.
L’instinct de timidité est fait pour garder l’enfant près de ceux qui
prennent soin de lui et pour prévenir le fait que d’autres puissent le
diriger. Un enfant ne devrait pas être à l’aise de parler à des gens
qu’il ne connaît pas et qui ne sont pas approuvés par les adultes qui
prennent soin de lui. Par exemple, ce père qui racontait :

Ma fillette de trois ans adore danser à la maison et dans sa classe. Il y avait un


récital de danse à la fin de l’année auquel les parents étaient invités pour assister à
la performance de leurs enfants. Elle a refusé de danser devant les gens et s’est
contentée de s’asseoir sur mes genoux et de regarder ses copines de la classe de
danse. Je lui répétais d’y aller et de danser, mais elle refusait. Je ne voulais pas la
forcer, elle est plutôt sensible, mais je ne comprenais vraiment pas pourquoi elle ne
dansait pas, alors qu’elle aime tant cela.

La vulnérabilité qui résulte de devoir montrer ses talents devant des


étrangers était simplement trop grande pour cette enfant sensible, et
le père a eu une réponse très généreuse.
Une entrée graduelle dans l’environnement de la garderie et de
la maternelle est une bonne façon de présenter l’enfant à une
nouvelle personne. Pour qu’un enfant crée une bonne relation avec
son éducatrice ou son enseignant, faire les présentations devrait
inclure le fait de souligner les similitudes et de les aider à passer du
temps ensemble. Jouer à l’entremetteur devrait diriger l’attention de
l’enfant vers l’attachement à un adulte comme réponse à l’alarme de
séparation d’avec sa figure d’attachement habituelle. Les parents
peuvent soutenir les nouvelles relations en parlant gentiment au
sujet de l’enseignant ou de l’éducatrice, et en transmettant leur
approbation de l’attachement avec cette personne. Par exemple, la
mère d’un enfant de quatre ans qui commençait la maternelle a dit :
Mon fils était anxieux à l’idée d’aller à la maternelle, alors j’ai saisi l’occasion d’aller
rencontrer son enseignante d’avance pour qu’il puisse ainsi la connaître un peu
mieux. Il a apporté son livre favori avec lui et après les avoir présentés l’un à
l’autre, je les ai encouragés à lire ensemble. L’enseignante a été fantastique ; elle
lui dit qu’il s’agissait d’une de ses histoires favorites, à elle aussi. Mon fils lui a aussi
montré ce qu’il y avait dans son sac à dos et elle était intéressée à tout ce qu’il lui
disait. C’était superbe de les voir prendre contact.

Alors qu’un enfant s’attache à l’adulte qui prendra soin de lui,


comme des grands-parents ou un enseignant, son alarme de
séparation devrait diminuer.
Le père d’Austin, cinq ans, avait l’habitude de faire un effort
spécial pour jouer l’entremetteur entre son fils et son éducatrice en
garderie, chaque matin. Il commençait en disant à Austin qu’il était le
fils d’un roi et que le roi disait : « Je vous confie, pour la journée, ma
possession la plus précieuse, mon héritier premier-né. » Il plaçait
ensuite la main d’Austin dans celle de l’éducatrice et disait à son
fils : « Je vais revenir vous quérir plus tard, mon fils, et vous mener
au château pour faire bonne chère avec votre mère. Passez une
bonne journée, mon fils. » Austin adorait cette manière amusante
avec laquelle son père le remettait en lien chaque matin avec son
éducatrice, et cela rendait la séparation moins alarmante.

4. Faire ressortir les larmes et cultiver la résilience


Lorsque les jeunes enfants font face à une situation alarmante qu’ils
ne contrôlent pas et qu’ils ne peuvent changer, la meilleure façon de
progresser est de les aider à trouver leurs larmes à ce sujet. Quand,
à la garderie, ils s’ennuient de leurs parents, ce sont leurs larmes,
avec la personne qui prend soin d’eux, qui peuvent les aider à
s’installer dans leur « chez-soi » loin de leur foyer. On ne doit pas
essayer de convaincre un enfant de ne plus avoir peur, mais on doit
l’aider à trouver des façons d’exprimer ce qui ne fonctionne pas et à
se laisser aller vers la tristesse ou la déception.

LES TROIS ÉTAPES POUR FAIRE L’ENTREMETTEUR

ÉTAPE UN : Introduire les deux parties l’une à l’autre et préparer le terrain


pour qu’elles se sourient et se communiquent un désir d’être en présence
l’une de l’autre.
ÉTAPE DEUX : Amorcer une connexion en attirant l’attention sur quelque
chose que les deux personnes ont en commun, des goûts ou des
préférences.
ÉTAPE TROIS : Créer des situations régulières, des structures, des rituels et
des traditions où vous pouvez les mettre en présence l’une de l’autre comme
les fêtes, les célébrations, les repas, les rencontres, les jeux, les
interactions, les repas et les sorties.

Figure 8.2 Tiré du cours de Neufeld Classe intensive Neufeld 1 : Comprendre


les enfants.

Pour qu’un enfant trouve ses larmes à propos des séparations de


sa vie, il aura besoin de l’aide d’un adulte qui peut le tenir dans
l’expérience de l’ennui jusqu’à ce que les larmes fassent leur
apparition. Cela nécessitera une solide relation de confiance avec
l’adulte, tout autant que de la patience et du temps pour y arriver.
Lorsque j’ai été témoin de la façon dont l’éducatrice en garderie de
mon fils était capable de réconforter des enfants qui s’ennuyaient de
leurs parents, j’ai été touchée par son empathie et sa compassion.
Après avoir vu à quel point elle était douce et chaleureuse, j’étais
plus à l’aise de laisser mon fils sous ses bons soins.
Malheureusement, une autre éducatrice m’a dit :
Je sais que les jeunes enfants ont besoin de pleurer, mais je m’inquiète des parents
qui me jugeront et qui penseront que je ne suis pas bonne pour faire mon travail de
prendre soin de leur enfant, puisqu’il pleure. Je sais qu’ils s’ennuient de leurs
parents, mais des fois, je suis inquiète que si je les laisse pleurer, ils ne fassent que
cela de toute leur journée. Je sais aussi que si je ne les laisse pas pleurer, ils
deviennent de plus en plus frustrés et agressifs les uns envers les autres.

Quand on doit dire au revoir à un jeune enfant, il est préférable


de voir cela comme une danse en trois temps. C’est de donner à
l’enfant un objet transitionnel pour qu’il puisse s’y référer au besoin,
de saluer l’éducatrice et de s’assurer qu’elle peut apprivoiser votre
enfant, puis de rappeler à l’enfant, au moment de le quitter, à quel
moment vous allez le revoir. L’objectif est de ne pas tourmenter
l’enfant en le maintenant en suspens au moment de la séparation et
en étirant l’au revoir. De la même façon, il est critique que l’enfant
soit attaché à la personne sous les soins de qui vous le laissez. Il
faut du temps pour cultiver des relations de substitut qui prennent
notre enfant en charge et il est crucial que l’adulte soit capable
d’apprivoiser l’enfant et de le réconforter. Les trois étapes de l’au
revoir sont des principes généraux et non pas des règles à suivre de
façon exacte. Elles sont là pour donner une idée de comment créer
une structure et une routine prévisibles qui peuvent aider le jeune
enfant à faire face à la nouvelle connexion pendant qu’il se sépare
d’un parent.
Les adultes peuvent réduire l’alarme que l’enfant éprouve lors
des au revoir en communiquant la confiance qu’ils ont envers lui et
envers le fait qu’il saura gérer la situation. Il peut être aidant de
préparer l’enfant avant que la séparation ne se produise et de lui dire
qu’il se peut qu’il se sente triste au sujet de la séparation, mais qu’il
peut gérer cela. Par exemple, plusieurs parents sont anxieux quand
la maternelle commence, mais ils pourraient dire à leur enfant : « Il
se peut que je te manque, aujourd’hui à l’école. Je vais penser à toi,
moi aussi. Je sais que tu passeras à travers et j’ai hâte de te revoir
plus tard et de t’écouter me raconter tes aventures. » En revenant
chercher son enfant à l’école, le parent peut inviter toute tristesse
qu’il pourrait y avoir en disant : « As-tu eu des moments d’ennui en
toi à l’école aujourd’hui ? » Quand l’enfant affronte la séparation et
est capable de verser des larmes de tristesse parce qu’il s’ennuie de
ceux qu’il aime, la résilience se forme alors qu’il sait qu’il peut gérer
la situation et y survivre. Les jeunes enfants ont de la difficulté avec
la séparation et nous ne devrions jamais le leur reprocher. Il nous
faut prendre les rênes et diriger leur attention et leurs pensées vers
la connexion à chaque occasion et les aider à trouver leurs larmes
lorsqu’ils sont remplis de sentiments d’ennui et de solitude.

LES TROIS ÉTAPES DE L’AU REVOIR

ÉTAPE UN : Le parent apprivoise l’enfant et lui donne un objet pour faire le


pont, tels une photo, une note, un porte-clés, un collier.
ÉTAPE DEUX : Le parent accueille la personne qui vient prendre soin de
l’enfant, agit de manière amicale de façon à ce que l’enfant puisse voir
qu’une relation existe entre eux, et s’assure que l’enfant est apprivoisé par la
personne.
ÉTAPE TROIS : Le parent précise à l’enfant le moment de son retour et
l’embrasse ou lui fait un câlin.

Figure 8.3 Tiré du cours de Neufeld Classe intensive Neufeld 1 : Comprendre


les enfants.
9

« Tu n’es pas mon patron » :


comprendre la résistance et l’opposition

« Chaque fois que tu vois une affiche disant “Propriété privée. Les intrus seront traduits en
justice”, pénètres-y immédiatement. »
LESLIE STEPHEN,
citée par sa fille, Virginia Woolf1

S USAN ET CHARLIE étaient agités en me parlant après une classe


sur l’art d’être parent, un certain soir. Susan dit : « Nous avons
beaucoup de problèmes à faire l’apprentissage de la propreté avec
notre fils de trois ans et demi. Ça avait bien commencé, mais les
choses se sont compliquées. Blake utilisait la salle de bain, mais
maintenant, il refuse. Il ne veut que porter des couches. » Je leur ai
demandé de m’en dire plus au sujet de la résistance de Blake.
Charlie a répondu : « Nous lui avons dit qu’il est maintenant un
grand garçon et nous lui avons retiré ses couches, mais il se
contente de faire pipi dans sa culotte. » D’une voix paniquée, Susan
a ajouté : « Il doit avoir fait l’apprentissage de la propreté avant le
début de la maternelle ; ils ne l’accepteront pas, s’il n’est pas propre
de lui-même. »
Je leur ai demandé de me raconter comment les choses s’étaient
déroulées, et Susan a répondu : « Chaque fois qu’il allait à la salle
de bain, on le félicitait et lui disait qu’il avait fait du bon boulot. Je ne
sais pas ce qui a bien pu se passer. Blake a simplement arrêté d’être
intéressé à la propreté, alors on a commencé à lui donner de petites
récompenses. » Charlie ajouta : « Maintenant, lorsqu’on lui dit d’aller
à la salle de bain, il prétend qu’il ne nous entend pas. On a aussi
essayé de le soudoyer ; on lui a dit qu’on lui achèterait un vélo s’il
acceptait de s’asseoir sur la cuvette, mais il refuse. »
Je leur ai posé un certain nombre de questions afin de
déterminer la racine de la résistance de Blake et leur ai ensuite dit :
« Le défi, c’est que Blake vous écoute, mais qu’il n’obéit pas. Les
jeunes enfants sont allergiques à la pression. Votre désir de le voir
devenir propre est plus grand que le sien. Vous devez réduire votre
coercition et créer de l’espace pour que son désir d’être propre
revienne. » Susan m’a demandé : « Comment fait-on cela ? » J’ai
répondu : « Je crois que vous devez temporairement retourner aux
couches. N’en faites pas tout un plat. Faites-le, simplement, et
cessez les récompenses et louanges, les punitions et les signes de
frustration. Lorsque vous changez sa couche, faites-en un temps de
connexion où il voit du bonheur, du plaisir et de la chaleur de votre
part. » Tant Susan que Charlie m’ont regardée, l’air ahuri. Susan a
dit : « Sérieusement ? On doit retourner en arrière ? » Charlie a
ajouté : « Avez-vous déjà changé la couche d’un garçon de trois ans
et demi ? C’est dégoûtant ! » J’ai reconnu que ce que je leur
demandais pouvait sembler paradoxal, mais leur ai demandé s’ils
croyaient pouvoir allouer un peu de temps à ce plan. Susan a dit :
« Je pense qu’on devra le faire. Rien d’autre ne fonctionne, nous
n’avons plus d’idées. Il ne veut même pas le faire pour un vélo. »
Elle s’est retournée vers Charlie et a dit : « Tu devras prétendre que
les couches sont pleines de pouding au chocolat. » Clairement,
Charlie ne trouvait pas cela drôle.
Susan et Charlie ont continué d’assister au cours hebdomadaire
sur l’art d’être parent. Chaque semaine, je leur demandais comment
allaient les choses avec Blake et Charlie haussait les épaules en
disant : « C’est du pouding au chocolat, Deborah, des tonnes de
pouding au chocolat. » Susan a dit : « Il n’y a aucun signe de
changement, mais Blake est heureux d’être de nouveau en couche.
J’essaie de me rapprocher de lui et lui chante des chansons chaque
fois que je change sa couche, un peu comme lorsqu’il était plus
jeune. » J’ai de nouveau insisté qu’ils devraient s’en tenir à cela et
se donner encore un peu de temps. Trois semaines plus tard, Susan
m’a fait son rapport : « Je crois que quelque chose fonctionne. Il est
arrivé en courant dans notre chambre à six heures du matin hier et a
hurlé “je dois aller faire caca !” J’ai pris ce qu’il fallait pour le changer,
mais il m’a regardée d’un air défiant et m’a dit : “Non, je veux aller
faire caca dans le pot. Je le fais moi-même !” et il a couru à la
toilette. » J’ai répondu : « Ses envies de “je le fais moi-même” sont
revenues ; vous êtes sur la bonne voie maintenant. »

Les jeunes enfants sont allergiques à la coercition

LORSQU’ON DIT à un jeune enfant de se dépêcher, il peut se mettre à


traîner des pieds ou même à carrément arrêter. On peut lui donner
des instructions spécifiques et précises, seulement pour le voir faire
tout le contraire. La mère d’un garçon de trois ans disait : « Kiefer a
enlevé une vis de la fenêtre de la salle de bain, et j’ai paniqué et lui
ai dit de ne pas la perdre. Il m’a regardée directement et a tiré la vis
par la fenêtre ! » Les jeunes enfants peuvent facilement devenir
préoccupés avec les interdits, alors quand on leur dit de ne pas
utiliser des mots grossiers, ils ont tendance à continuer de les
répéter. Sans aucun avertissement, ils peuvent devenir
désobéissants, obstinés, têtus, résistants, querelleurs, critiques,
belliqueux, incorrigibles, défiants et refuser de collaborer. La mère
d’une fillette de trois ans disait à sa fille : « Si tu étais un dinosaure,
tu serais le genre récalcitrant. » Vrai de vrai, la petite a répondu :
« Non, je ne le serais pas. »
Les jeunes enfants possèdent un instinct appelé contrevolonté
qui peut se déclencher chaque fois qu’ils se sentent contrôlés ou
contraints par d’autres2. À partir de l’âge de deux ans, ils peuvent
devenir sensibles aux désirs et demandes des gens qui les
entourent et peuvent y répondre avec de la résistance. Les parents
se demandent parfois ce qui est arrivé à leur enfant agréable,
complaisant et facile à vivre qui commence à exploser en défiance et
en opposition. Le père d’un garçon de deux ans racontait : « Sa
première réponse à tout est NON. Même si je lui demande s’il veut
une boisson, un biscuit, sa première réponse est toujours NON ! Il
peut ensuite immédiatement la changer pour un “oui”, mais le “non”
vient toujours en premier. Si je dois l’installer dans son siège d’auto,
il va commencer par dire non et ensuite, le hurler. Il va continuer de
crier même si je le cajole, tente de le convaincre ou lui offre une
gâterie. » La résistance d’un enfant peut être interprétée comme
étant volontaire ou manipulatrice, ou encore pour intentionnellement
vouloir faire fâcher les parents, alors qu’il ne fait que réagir
normalement à son instinct de contrevolonté. Cette habileté de dire
non peut être problématique pour les adultes, mais c’est aussi une
réussite développementale qui se doit d’être célébrée.
L’instinct de résister et de s’opposer est une des dynamiques les
plus incomprises dans la relation adulte-enfant. La contrevolonté
n’est pas une réponse apprise, mais bien une réaction émotionnelle
qui joue un rôle critique dans la préservation du soi et dans le fait de
devenir une personne distincte. Les jeunes enfants sont allergiques
aux plans des autres personnes parce qu’ils sont encore en train
d’essayer de comprendre le leur, ce qui donne leur phrase favorite :
« Je le fais moi-même. » Plus un enfant développe sa propre
volonté, moins il se sent appelé à résister et à s’opposer à la volonté
des autres. La contrevolonté, chez les jeunes enfants, vient de leur
volonté sous-développée qui est en plein processus de maturation. Il
faut une vie entière pour comprendre ses propres valeurs, objectifs
et motivations. Pour un jeune enfant, comprendre ses propres
préférences, désirs, souhaits, priorités et décisions est ce qui se
produit lorsqu’il est au repos et qu’il joue, apaisé sous les soins de
sa figure d’attachement. Les jeunes enfants ne vont pas dépasser
ces instincts quand ils auront un soi plus cohérent ; ils vont
seulement dépasser le besoin d’opérer en fonction d’eux.
Le défi, c’est que rien ne met à l’épreuve la patience d’un adulte
comme un enfant résistant, spécialement si le parent a un plan
précis ou une volonté bien à lui. Les occupations de tous les jours
peuvent devenir des déclencheurs de réactions de contrevolonté
chez un jeune enfant : s’habiller, aller au lit, utiliser la toilette, se
brosser les dents ou les cheveux, manger sainement. Une grand-
mère désireuse de faire goûter sa tarte à la citrouille maison à son
petit-fils de quatre ans se fit répondre : « Non, désolé Oma, je suis
végétarien. » Quand les jeunes enfants défient les souhaits ou
désirs des adultes, cela peut mener à des batailles de volonté avec
de féroces luttes de pouvoir. Un père me disait : « J’entendais ma
femme argumenter avec notre enfant de trois ans, dans la salle de
bain. Elle voulait la sortir de la baignoire, mais Lauren ne voulait pas.
Elles ont tourné en rond toutes les deux jusqu’à ce que je m’en mêle
et brise ce cercle vicieux. » S’engager dans une bataille de
contrevolonté avec un jeune enfant peut laisser un parent plein de
regrets, comme l’a découvert ce parent :

Ma fille avait environ cinq ans quand nous célébrions une occasion spéciale dans
un grand restaurant avec toute notre famille. Je lui avais dit qu’elle aurait à
s’habiller chic. À cet âge, elle n’aimait rien de plus que de se mettre belle, alors je
croyais qu’elle serait ravie de l’opportunité. Non, à l’époque je n’avais jamais
entendu parler de contrevolonté ! Elle était indignée de devoir s’habiller chic.
Fâchée qu’un restaurant puisse dicter aux gens quoi porter et qu’elle n’ait pas son
mot à dire à ce sujet. Je pensais qu’elle était seulement belliqueuse et tout à coup,
je me suis mise à questionner tout ce qui concernait ma façon d’être un parent,
inquiète d’avoir été trop relâchée avec elle, puisqu’elle ne voulait même pas suivre
une directive aussi simple que celle-ci. Et j’étais frustrée ! Je me disais que j’allais
devoir être plus ferme ; beaucoup plus ferme. Oh… vous ne pouvez pas imaginer la
bataille de contrevolonté qui s’en est suivie, alors que j’insistais encore plus
fermement afin qu’elle fasse ce que je demandais. Je nous aurais épargné à toutes
les deux bien de la colère et des regrets, ce soir-là, si j’avais su au sujet de la
contrevolonté.

Certains parents réagissent fortement à la défiance d’un enfant


croyant que s’ils ne le font pas, cela ne fera que mener à plus de
désobéissance. Quand les adultes insistent à tout prix pour qu’un
enfant fasse comme il lui est demandé, essayant d’éteindre la
résistance, ils manquent les raisons émotionnelles et instinctives à
l’opposition de l’enfant. La croyance qui veut que la résistance et
l’opposition soient désapprises (a) ne reconnaît pas ni n’accorde de
valeur aux bénéfices développementaux d’avoir sa propre opinion et
(b) échoue à apprécier le fait qu’on doive amener l’enfant hors de la
résistance et non pas punir ou enseigner à l’enfant de se comporter
autrement. Avec suffisamment de force, un adulte peut faire capituler
un enfant à ses demandes, mais cela mène souvent à la rancœur et
à la confusion en plus d’éroder l’attachement. Le psychanalyste Otto
Rank, qui a énormément écrit au sujet de la contrevolonté, dit que
les réactions parentales excessives à la contrevolonté sont une des
plus importantes causes d’insécurité chez l’enfant3. Afin de préserver
la relation avec un jeune enfant, il faut comprendre de quelle façon
la contrevolonté sert le développement, comment éviter de la
provoquer et comment gérer la situation quand elle a été provoquée.

Formes de coercition et de contrôle

LA CROYANCE qui veut qu’un jeune enfant ne fasse rien s’il n’y est pas
forcé communique bien peu de foi dans le désir fondamental d’un
enfant d’être bon pour les adultes qui l’accompagnent. Cette
croyance ne tient pas compte du pouvoir de l’attachement et de
comment les jeunes enfants vont naturellement suivre les gens avec
qui ils sont connectés. De ce fait, les adultes utilisent, à tort, des
formes de contrôle et de contrainte physiques, comportementaux,
émotionnels et cognitifs afin de faire pression pour que l’enfant se
plie à leurs demandes, au lieu de s’appuyer sur les stratégies
d’attachement.
Les adultes peuvent physiquement déplacer un enfant en le
prenant ou en le poussant pour qu’il avance avec eux. Cela est plus
facile lorsque l’enfant est petit, mais devient plus difficile quand il
grandit. Un enfant peut réagir à la coercition physique en se jetant
au sol, en criant ou en devenant tout mou. Un père avait attrapé son
fils de cinq ans comme on tient un ballon de football pour sortir d’un
restaurant et l’enfant s’était mis à crier : « À l’aide ! À l’aide ! Aidez-
moi quelqu’un, je me fais kidnapper ! » Lorsqu’on force les enfants
dans une direction, il est prévisible d’avoir à affronter une
contrevolonté dans la direction opposée.
Le renforcement négatif est une forme de coercition
comportementale destinée à réduire la probabilité que certaines
actions, certains gestes se répètent. Cependant, quand un jeune
enfant se fait dire qu’il s’attirera des ennuis ou que tel comportement
est hors limites, cela peut, en fait, augmenter la probabilité qu’il se
comporte à nouveau de cette façon. Par exemple, dans l’étude
classique sur le jouet interdit, les chercheurs ont fait aux enfants une
menace soit douce, soit sévère à propos de jouer avec un certain
jouet4. Plus la menace était sévère, plus l’enfant désirait jouer avec
le jouet interdit malgré les avertissements. L’enfant demeure
inconscient de cet instinct et agit, sans comprendre, quand on lui dit
de ne pas faire quelque chose. Une mère me racontait : « Quand
j’étais moi-même en maternelle, avant de monter sur la scène pour
un spectacle de Noël, ma mère m’avait dit de ne pas montrer mes
sous-vêtements aux gens. Avant que je m’en rende compte, je me
tenais là, sur la scène, ma jupe relevée sur ma tête, montrant mes
sous-vêtements aux spectateurs. »
Les formes de coercition comportementale incluent également le
renforcement positif par lequel un enfant est récompensé ou félicité
pour encourager des comportements similaires à celui qui vient
d’être exécuté. Parce que les récompenses sont perçues comme
étant positives, plusieurs personnes ne réalisent pas l’effet que peut
avoir sur un enfant le fait de contrôler une récompense. Les
récompenses, cependant, révèlent le désir des autres, ce qui peut
tromper ou diminuer les intentions propres de l’enfant. Une étude
classique sur la motivation chez les jeunes enfants a démontré que
ceux qui étaient félicités d’utiliser des crayons-feutres étaient moins
intéressés à jouer avec eux que ceux qui n’avaient pas été
« récompensés5 ». Alfie Kohn, l’auteur de Punished by Rewards,
affirme que les récompenses externes ont un effet de courte durée
et diminuent la motivation intérieure de l’enfant6. Les récompenses
données pour que l’enfant agisse selon la demande d’un adulte
peuvent interférer avec le désir naturel de l’enfant d’apprendre ou de
se soucier réellement des autres.
Les formes de coercition émotionnelle incluent humilier un enfant
ou tenter de le faire se sentir coupable pour ses pulsions et actions
immatures. Les adultes utilisent les émotions de l’enfant pour
contrôler son comportement avec des phrases telles que : « Si tu
étais un bon frère, tu arrêterais de frapper ta sœur », « Si tu aimais
ta mère, tu l’aiderais à ramasser les jouets » et « Tu as vu ce que
Éva a fait ? N’est-elle pas une bonne amie d’aider comme ça ? » Les
phrases de coercition émotionnelle impliquent qu’il y a quelque
chose de fondamentalement inacceptable chez l’enfant. La
coercition émotionnelle ne fait pas que blesser la relation de l’enfant
avec l’adulte, mais crée, de plus, un environnement humiliant.
Les formes de coercition cognitive incluent le fait de dire à
l’enfant quoi penser et croire ; être d’accord avec un adulte devient
une forme d’obéissance. Les jeunes enfants devraient naturellement
être poussés à comprendre leur monde et à en forger leur propre
interprétation. Par exemple, ce petit garçon de quatre ans qui a dit à
son père : « J’ai la chair de poule sur mon front. » Quand son père
l’a corrigé en disant : « Tu peux seulement en avoir sur les bras ou
les jambes quand tu es excité ou effrayé », le petit garçon a
répliqué : « OK, alors c’est de la varicelle. »

Les deux côtés de la contrevolonté

L’INSTINCT DE CONTREVOLONTÉ est critique dans le développement d’un


enfant de deux façons : (1) il protège l’attachement en résistant à
l’influence et à la direction extérieures et (2) il ouvre la voie au
fonctionnement distinct et à l’indépendance. Il est important de noter
qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles un enfant peut être
résistant, telles que la peur, l’anxiété, la colère, la frustration,
l’hostilité et la méfiance. La non-conformité peut aussi être le résultat
du dysfonctionnement, de la curiosité, de l’oubli ou du manque de
compréhension au lieu d’être directement lié à la forme instinctive de
contrevolonté. Avant de traiter avec la résistance et l’opposition d’un
enfant, il est utile de considérer ce qui a provoqué cette réaction.

1. La contrevolonté qui protège l’attachement


L’instinct de contrevolonté préserve la place qui revient de droit à un
parent dans la vie d’un enfant en tant que celui qui mène et qui
prend soin de lui. Les jeunes enfants ne sont pas censés se laisser
mener et diriger par n’importe qui ; c’est pourquoi ils sont résistants
aux étrangers. La mère de deux jeunes enfants m’a questionnée au
sujet de cet incident :
J’étais au magasin en train de faire des courses quand cette grand-mère est venue
vers nous et a essayé de parler avec mes enfants de façon amicale. Elle leur disait
qu’elle les trouvait beaux et leur demandait leur âge et leur nom. Elle n’avait pas de
mauvaises intentions, mais mon plus vieux, âgé de quatre ans, lui a montré la
langue en faisant une face méchante. Il est ensuite venu se cacher derrière mes
jambes et ne la regardait plus. J’étais si embarrassée. J’ai seulement dit à la grand-
mère qu’il était gêné, mais je me demande pourquoi il a agi de cette façon.

L’INSTINCT DE CONTREVOLONTÉ

Est une réaction défensive à ce qui est perçu comme du contrôle et de la


coercition
Favorise l’attachement en protégeant contre les influences et les demandes
extérieures
Favorise le développement en préparant le terrain pour un fonctionnement
distinct

La première étape pour trouver sa propre volonté est de contrer et de


résister à la volonté des autres.

Figure 9.1 Tiré du cours de Neufeld Comprendre la contrevolonté.

La contrevolonté est un instinct naturel d’attachement qui prévient le


fait que l’enfant soit influencé et dirigé par des adultes qui n’ont pas
reçu l’approbation de ses parents comme faisant partie de son
village d’attachement.
Cela soulève la question à savoir pourquoi les enfants sont-ils
résistants aux directives de leurs parents alors qu’il y a déjà une
relation existante entre eux. La résistance à un parent vient de
l’absence d’intégration cérébrale chez le jeune enfant ; il ne peut
s’attacher qu’à une personne ou à une chose à la fois. Si un parent
donne une instruction ou une directive sans engager les instincts
d’attachement de l’enfant, celui-ci peut se sentir contraint et contrôlé,
pavant ainsi la voie à une réponse de contrevolonté. Par exemple, si
un jeune enfant est engagé dans un jeu soit seul, avec un pair, un
frère ou une sœur, ses instincts d’attachement ne sont pas
concentrés sur le parent. Le père de deux enfants de quatre ans et
deux ans et demi m’a raconté cette histoire :

Ma femme m’a demandé d’amener les enfants pour le souper alors qu’ils
regardaient la télé. Ils ne m’ont pas regardé ni même remarqué que j’étais là, alors
j’ai simplement éteint la télé. Disons que ça a attiré leur attention ! Ils se sont mis à
crier : « Non ! Ne l’éteins pas ! Allume-la, allume-la ! » Je leur ai dit que c’était
l’heure du souper, et ils ont crié : « Non ! On ne veut pas souper ! » Ma femme a
alors crié après moi en me disant : « Voyons ! Tu ne les as pas apprivoisés avant
de leur donner une instruction ? Tu dois les apprivoiser avant de leur dire quoi
faire ! » À cet instant, j’avais trois personnes qui criaient contre moi. C’était brutal.
J’ai plus tard dit à ma femme qu’elle ne m’avait pas apprivoisé, moi non plus, avant
de commencer à me dire quoi faire.

Apprivoiser un enfant est une des meilleures façons d’engager


ses instincts d’attachement et implique de se mettre gentiment
devant lui de façon amicale et d’obtenir un regard ou peut-être un
sourire (tel que vu au chapitre 4). Il est important d’apprivoiser les
jeunes enfants avant de leur donner des instructions, directives ou
obligations, de leur transmettre nos attentes ou de les presser à faire
quelque chose, puisque leur mode par défaut en est un de
résistance. L’attachement est ce qui rend un enfant sensible au fait
qu’on prend soin de lui et qui lui rend plus agréable le fait de
collaborer et de faire ce qu’on lui demande, puisqu’il cherche à nous
plaire et à être bon pour nous. En bref, la contrevolonté et
l’attachement ont une relation de bascule. Lorsque l’attachement est
solide, la contrevolonté sera faible ou inexistante. Par contre, quand
l’attachement est faible, les réactions de contrevolonté seront fortes.
Qu’est-ce que ce père aurait pu faire pour apprivoiser ses
enfants ? Premièrement, un écran est une formidable distraction
étant donné qu’il peut retenir l’attention d’un enfant et le stimuler.
Pour attirer leur attention, leur père aurait eu besoin d’une relation
fonctionnelle préexistante avec ses enfants. Il aurait eu besoin de
venir près d’eux, de les accompagner, peut-être leur demander ce
qu’ils regardaient, essayer d’accrocher leur regard ou de les engager
d’une manière quelconque en partageant leur intérêt pour l’émission
pendant une ou deux minutes. S’il avait pu obtenir leur attention et
qu’ils s’étaient mis à protester pour ne pas aller souper, il aurait
probablement fallu créer une opportunité afin de permettre l’arrivée
de larmes relatives à leur déception. Si le père s’aperçoit à répétition
qu’il est incapable d’obtenir leur attention et d’engager leurs instincts
d’attachement, il serait important de voir s’il y a un problème
relationnel entre lui et ses enfants.

DES PROBLÈMES DE CONTREVOLONTÉ EXISTENT LORSQU’IL Y A


DES TROUBLES D’ATTACHEMENT
Lorsque la contrevolonté d’un jeune enfant semble plus chronique et
durable que fluide, cela peut indiquer un problème de relation. Il
existe plusieurs problèmes d’attachement qui peuvent rendre un
enfant résistant à accepter des consignes de la part des adultes qui
s’occupent de lui, et cela inclut l’orientation vers les pairs et les
troubles alpha (voir les chapitres 4 et 5).
D’autres troubles d’attachement qui peuvent favoriser des
problématiques de contrevolonté chez le jeune enfant incluent ne
pas avoir de relation avec l’adulte qui est responsable de lui. Si
l’enfant n’est pas attaché à son éducatrice en garderie ou à son
enseignant de maternelle, son mode de relation par défaut sera la
contrevolonté. Le titre ou le rôle de l’adulte dans la vie de l’enfant n’a
pas d’influence sur le fait que l’enfant lui soit attaché ou non. Une
tante qui prenait soin de sa nièce de cinq ans a dit : « Je lui ai
demandé de m’aider à ramasser les jouets et elle m’a répondu que
je n’étais pas son patron. Je lui ai dit qu’elle devait venir manger et
elle a encore refusé. Je lui ai rappelé que j’étais sa tante, mais cela
n’a pas fait de différence pour elle. » Les difficultés relatives à la
contrevolonté existent là où il y a des problèmes d’attachement.
Un autre trouble d’attachement, c’est de ne pas avoir une relation
suffisamment profonde avec un adulte de manière à pouvoir affaiblir
l’instinct de contrevolonté. Les enfants sont parfois attachés de
façon trop superficielle, par les sens, les similitudes ou
l’appartenance, ce qui ne donne pas à la personne qui en prend soin
une influence suffisamment forte sur l’enfant. De plus, si les
émotions d’un enfant sont bloquées et qu’il y a peu de signes de
sentiments vulnérables, son développement peut en être retardé, ce
qui le rend encore plus enclin aux réponses de contrevolonté, en
raison de son immaturité.

LE CYCLE DE LA CONTREVOLONTÉ BLOQUÉE

Une tragédie en trois actes :


ACTE I : Quand les enfants sont bloqués, les adultes commencent à
pousser.
ACTE II : Quand les enfants se sentent bousculés, ils appliquent les freins.
ACTE III : Quand les enfants sont bloqués dans leur résistance, les adultes
ont tendance à se bloquer dans leur persistance.
Figure 9.2 Adapté du cours de Neufeld Comprendre la contrevolonté.

Quand un enfant devient bloqué dans des réactions de contre-


volonté, il est plus sujet à affronter une augmentation de la coercition
et du contrôle par les adultes dans sa vie. En retour, il se sentira de
plus en plus poussé et deviendra donc de plus en plus résistant. Et
lorsqu’un enfant est immobilisé dans la résistance, les adultes
peuvent devenir coincés dans le fait de le pousser, ce qui érode
encore plus leur relation. C’est habituellement l’enfant qui est vu
comme celui qui a un problème de résistance et peut être étiqueté
comme ayant un problème d’opposition, de non-conformité et de
défiance. Ce qui est oublié, c’est pourquoi le jeune enfant n’est-il pas
attaché aux adultes dans sa vie.
Quand des problèmes d’attachement ont contraint un enfant
dans des réponses de contrevolonté, cet enfant n’est plus motivé à
être loyal à l’adulte qui lui est lié, ni à l’imiter, à l’assister ou à
l’écouter, ni à se référer à lui ou à faire fonctionner les choses pour
lui. Il adoptera une attitude négative envers le parent et s’efforcera
de diriger, de défier, de contrer, d’ennuyer et d’irriter le parent. La
seule façon de changer ces réponses est que l’adulte saisisse les
rênes et se mette à cultiver une relation plus solide, plus forte, et
qu’il s’efforce à ne pas se faire aliéner par les réactions de l’enfant.
Faire le pont pour essayer de solutionner le comportement
problématique et se retirer de la gestion des incidents sont deux
stratégies qui peuvent aussi contribuer à prévenir des blessures
additionnelles à la relation (voir le chapitre 10).
2. La contrevolonté prépare le terrain pour le fonctionnement distinct et
l’indépendance
La contrevolonté est une défense naturelle contre la volonté des
autres, qui ouvre la voie pour que l’enfant découvre ses propres
préférences, souhaits, désirs, objectifs et aspirations. Les enfants
ont besoin de recevoir une invitation à l’attachement et ils ont aussi
besoin d’une invitation à devenir leur propre soi. Un parent me
disait : « Ma mère et moi avions une très belle relation jusqu’à ce
que j’atteigne trois ans et que j’aie mes propres opinions. Elle ne
pouvait tolérer que j’aie des goûts différents des siens, alors on a
tout simplement eu des difficultés à partir de ce jour. »
Les caractéristiques exhibées par les enfants qui les rendent
difficiles à gérer sont les mêmes que nous souhaiterons les voir
posséder à l’âge adulte : dire non, être en désaccord et avoir leurs
propres idées, projets et raisons. Il n’est pas possible d’encourager
un enfant à avoir ses propres idées et opinions seulement quand
celles-ci ne diffèrent pas des nôtres. Mais en même temps, les
adultes ont besoin de mener la relation et d’être responsables de
prendre soin de l’enfant.
Les enfants ont besoin de naître psychologiquement, et la
contrevolonté crée un nid, une matrice où le soi peut se développer
et où des limites peuvent se former. L’individualité est un processus
d’intégration croissante, de fusion des pensées et des sentiments
ensemble, pour former le « JE ». Bien que la croissance vers
l’individualité soit critique au développement, elle n’est pas inévitable
et se manifeste spontanément après environ trois ans d’attachement
satisfaisant. Cette croissance est évidente quand on commence à
entendre un enfant dire : « C’est moi qui le fais » ou « Je le fais moi-
même. » Le pédiatre Donald Winnicott a écrit que lorsqu’un enfant
est capable de s’identifier lui-même par le langage en termes de
« JE SUIS », une phase critique du développement humain s’est
déployée7. La contrevolonté est faite pour protéger le soi émergent
de l’enfant contre les idées, modes de pensée, intentions,
jugements, attentes, demandes, valeurs et désirs des autres. De
fortes réponses de contrevolonté sont prévues pour être
transitionnelles au fur et à mesure que le soi émergent grandit.
Commençant vers l’âge de deux ans, les réponses de contrevolonté
du jeune enfant peuvent être effrontées et non tempérées, mais à
mesure que l’enfant vieillit et commence à développer des
sentiments mitigés, il aura plus de maîtrise sur ses réponses.
Un jour que j’étais au parc avec mes enfants, une amie m’a
demandé de surveiller son fils de trois ans pendant qu’elle s’occupait
d’un autre enfant. Simon tentait désespérément de grimper sur un
canard berçant monté sur un gros ressort de métal. Comme il avait
de la difficulté, je me suis approchée pour l’aider, mais il m’a
regardée sévèrement et a dit : « Non ! Je fais ! » J’ai reculé et donné
à Simon plus d’espace pour se débattre avec son canard, mais tout
en étant encore assez près pour l’atteindre s’il avait besoin de moi. Il
s’est démené encore un peu, mais il m’a encore regardée et a vu
que je n’avais pas suffisamment bougé à son goût. Il a chargé vers
moi avec ses poings fermés devant lui et m’a poussée loin de son
canard. Sa mère l’a vu et lui a dit d’arrêter de me pousser. Je suis
intervenue en disant que Simon voulait seulement embarquer par
lui-même sur le canard et que j’étais tout simplement dans son
chemin. Ce que Simon ne pouvait dire était : « Je suis en plein
milieu de mon individuation et de ma différenciation en tant qu’être
distinct, et ta volonté empêche la mienne de se développer plus
loin. » Sans les mots et les connaissances, les enfants de trois ans
vont utiliser n’importe quel moyen à leur portée pour passer leur
message de contrevolonté.
En réfléchissant aux problèmes d’apprentissage de la propreté
de Susan et Charlie, il est clair que leur volonté était devenue plus
importante que celle de Blake pour ce qui était de passer à la
propreté sans couche. Ils l’avaient félicité et récompensé quand il
agissait selon les plans de ses parents, mais cela laissait bien peu
d’espace pour que les désirs ou les intérêts de Blake puissent se
manifester. Ses « Je veux » sont devenus ses « Je dois » et au lieu
d’utiliser ses initiatives pour essayer quelque chose de nouveau, il a
senti le poids des attentes de ses parents. Là où il aurait pu être aidé
à trouver ses propres intentions et ses propres significations en
laissant ses couches derrière, il a plutôt ressenti de la pression et
des directives. Son intérêt à utiliser la toilette a été éclipsé par des
incitatifs, diminuant son désir de « le faire moi-même ». Plus Blake
mettait de la résistance, plus ses parents devenaient insistants,
faisant escalader les réactions de contrevolonté des deux côtés.
Quand Susan et Charlie ont opté pour la retraite stratégique,
choisissant d’attacher Blake à eux et de cesser la pression, le soi
émergent de Blake a eu la voie libre et le petit a recommencé à
utiliser la toilette. La stratégie avec les jeunes enfants, c’est de leur
éviter de voir ou de ressentir que nos plans sont plus grands que les
leurs, particulièrement quand on a besoin de leur coopération,
comme pour manger, aller au lit, s’habiller, apprendre la propreté et
réaliser les tâches d’hygiène quotidiennes.
Lorsqu’un enfant émerge en un être distinct, il sera curieux,
voudra essayer de nouvelles choses, voudra penser par lui-même,
voir ses options et ses choix dans la vie, voudra être différent et
cherchera l’indépendance.
On ne doit pas pousser ou propulser un enfant vers l’autonomie,
mais permettre à ses instincts naturels de contrevolonté de préparer
le terrain. Lorsqu’un enfant voit qu’il a des options et qu’il peut faire
des choix, il commencera naturellement à se sentir responsable de
ces choix et options, de même que de commencer à ressentir de la
culpabilité pour la façon dont ses actions affectent les autres. Nous
n’avons pas besoin de forcer ces leçons chez nos enfants ; une
croissance et un développement sains pavent la route du
fonctionnement responsable. À mesure qu’un enfant se développera
et se fortifiera dans ses années d’adolescence, il devrait ressentir à
la fois la liberté et l’autonomie que cela apporte, ainsi que la
responsabilité morale et la culpabilité inhérente au fait d’être une
personne distincte.

Distinguer les deux faces de la contrevolonté

LES PARENTS se demandent souvent comment faire la différence entre


les deux formes de contrevolonté. La question fondamentale à
considérer, c’est que s’est-il produit avant la réponse de
contrevolonté. Si les instincts d’attachement d’un enfant n’étaient
pas activement engagés avant que les parents tentent de le diriger,
alors la contrevolonté est le résultat du fait que le parent n’a pas
suffisamment d’influence relationnelle. Par exemple, cette mère qui
a encouru des difficultés parce qu’elle n’avait pas apprivoisé son fils
avant d’essayer de lui faire quitter la maison avec elle :

Mon fils jouait avec ses avions quand je lui ai dit qu’on devait ranger ses jouets
pour pouvoir partir et aller chercher sa sœur à la maternelle. Il m’a ignorée jusqu’à
ce que j’élève la voix et lui dise de mettre ses souliers parce que nous devions
partir. Il a hurlé « Non ! » Je me suis alors approchée et il a commencé à dire
« Non, non, non, non, non ! » et il m’a poussée. Alors j’ai pris ses souliers et j’ai
tenté de les lui mettre, mais il n’arrêtait pas de lancer ses jambes dans tous les
sens, rendant la tâche impossible. J’ai finalement décidé de l’emmener en
poussette sans chaussures parce que c’était tout simplement trop difficile.

Si cette mère avait vu la réaction de son fils comme une


manifestation de contrevolonté, elle aurait peut-être été capable
d’une retraite stratégique au lieu de se chamailler avec lui. Elle se
serait approchée pour l’apprivoiser avant de procéder à l’étape des
chaussures.
Si une réponse de contrevolonté arrive après une période
d’attachement satisfaisant avec un enfant, alors c’est probablement
une réaction destinée à l’aider à devenir sa propre personne. Par
exemple, la mère d’une fillette de trois ans et demi a été surprise par
la résistance de sa fille, un matin :

J’avais apprivoisé Jessica, je lui avais lu des livres et parlé au sujet de notre
journée. Quand j’ai voulu l’habiller, elle est devenue vraiment résistante. Au lieu
d’être agréable comme à son habitude, Jessica m’a regardée et a dit : « Non, je
n’aime pas ce chandail. » Elle passa en revue tous les chandails de son tiroir, en
choisissant un, puis changeant d’idée encore et encore. C’était terrible. Quand je lui
ai dit : « Allons, laisse-moi t’aider à t’habiller », elle s’est tournée vers moi et a dit :
« Non, Madame ! Je vais le faire toute seule. » Parfois, sa nature à la Docteur
Jekyll et Mister Hyde me déconcerte.

Dans ce cas, Jessica était satisfaite et son soi émergent,


quoiqu’immature, commençait à se montrer le bout du nez. Ce qui
est vrai dans les deux exemples de contrevolonté, c’est qu’il n’y a
rien comme la résistance d’un jeune enfant pour déconcerter,
confondre et défier toute logique adulte.
Stratégies pour gérer la résistance de contrevolonté et l’opposition

LE SECRET pour gérer la contrevolonté, c’est de ne pas la prendre de


façon personnelle, une tâche qui semble impossible quand la
contrevolonté du parent est elle aussi activée. Régulièrement,
pendant la journée, les enfants s’immobilisent, prennent une pause ;
la clé pour les adultes, c’est de mener l’enfant à travers l’impasse
sans interrompre la relation, ce qui est facilité lors de ces temps
d’arrêt. Le défi réside dans le fait de ne pas réagir en utilisant plus
de force et d’effet de levier pour contrôler l’enfant ; cela ne ferait
qu’exacerber sa résistance et heurter la relation.
Selon ce qui provoque la réaction de contrevolonté, il y a trois
stratégies qui peuvent être utilisées pour gérer la résistance et
l’opposition des jeunes enfants : (1) faire le pont avec la
contrevolonté et approfondir le lien d’attachement, (2) réduire la
coercition et le contrôle et (3) faire de l’espace pour la volonté de
l’enfant.

1. Faire un pont avec la contrevolonté et approfondir le lien d’attachement


Une des choses essentielles à communiquer lors d’une réaction de
contrevolonté, c’est que la relation demeure intacte malgré la
résistance. Les adultes doivent trouver une façon de maintenir leur
position alpha quand ils font face à la résistance d’un enfant, et ce,
sans forcer leur volonté sur celui-ci. Un certain nombre de stratégies
peuvent aider à faire le pont face au comportement problématique
ainsi qu’à maintenir la relation :

Ne pas utiliser la séparation comme conséquence.


L’attachement est le plus grand besoin de l’enfant, alors utiliser
des pratiques disciplinaires basées sur la séparation ou sur le
retrait d’une possession ou d’un objet peut être provocateur. Ce
genre d’actions augmenterait probablement la résistance de
l’enfant et ajouterait de la frustration et de l’alarme au mélange.

Anticiper et s’attendre à la contrevolonté. Étant donné que les


jeunes enfants sont immatures et n’ont pas un soi
complètement formé, les réactions de contrevolonté devraient
être anticipées et attendues quand on traite avec eux. L’objectif
est d’interpréter leurs actions non pas comme des attaques
personnelles, intentionnelles ou manipulatrices, mais plutôt
comme intuitives et menées par les émotions. Bien qu’on puisse
ne pas comprendre de quoi découle la résistance, si l’on s’y
attend, il sera moins probable d’y réagir avec excès et d’en être
aliéné.

Ne pas faire du comportement l’objectif ultime. Lorsque les


enfants résistent, les adultes leur demandent souvent de
changer de comportement avant de procéder à quoi que ce soit
d’autre. Cela ne sert qu’à augmenter la résistance de l’enfant et
à intensifier sa réaction. Par exemple, si un enfant refuse de
mettre ses souliers et que le parent demande qu’il le fasse
avant que quoi que ce soit d’autre ne se produise, les deux
parties vont fort probablement rester coincées dans leur propre
réaction de contrevolonté.

Présenter la résistance comme naturelle et normale. Quand un


jeune enfant résiste et s’oppose, l’accompagner et reconnaître
qu’il se sent contrôlé ou contraint peut disperser la réaction. Un
parent pourrait dire, par exemple : « Oui, je sais que tu n’aimes
pas ça, parfois, quand je te dis quoi faire. » Cela ne signifie pas
que l’adulte a laissé tomber son projet, mais qu’il a reconnu que
l’enfant peut en avoir un différent du sien.

Maîtriser ses réactions face à la contrevolonté. Plus un adulte


se voit comme responsable et au-devant d’un enfant, plus la
contrevolonté de l’enfant peut lui sembler provocante. Un père
disait : « Je me sens comme si je devais écraser l’esprit de mon
enfant quand il est résistant et défiant, pour qu’une fois adulte, il
n’agisse pas de cette façon. » C’est frustrant et même
exaspérant, pour un parent, d’être défié. La contrevolonté, chez
l’enfant, est provocante, et la solution réside dans le fait de ne
pas lui répondre de la même façon. Quand un parent peut se
rabattre et s’accrocher à son amour pour un enfant et à sa
préoccupation pour maintenir une bonne relation avec lui, cela
devrait l’aider à tempérer sa réaction et ouvrir la voie vers la
patience et la tolérance. Il est important de trouver une façon de
garder les rênes bien en main, de manière à traverser les
impasses avec la dignité de chacun bien intacte.

Réparer les dommages causés par les répercussions de la


contrevolonté. Quand vous avez eu une réaction excessive à la
contrevolonté d’un enfant, la première chose à faire est de
réparer la relation. Cela peut impliquer de prendre les devants
et de demander pardon en assumant la responsabilité de vos
actions. Si un enfant se sent toujours blessé même après vos
excuses, alors faites-lui savoir que vous êtes à l’aise avec le fait
qu’il soit fâché et triste. C’est aussi important. Les réactions
excessives et émotionnelles des parents, telles que pleurer ou
supplier pour être pardonné, ne feront qu’attiser les troubles
alpha chez l’enfant, alors qu’il doit assumer la responsabilité des
sentiments de l’adulte. Le but est de panser la blessure de la
relation, d’en prendre la responsabilité et de continuer de
prendre soin de l’enfant comme d’habitude. Être parent, ce n’est
pas être parfait, mais c’est de prendre la responsabilité de nos
imperfections et de procéder à partir de là.

Lorsqu’il est question de réponses de contrevolonté chez les


jeunes enfants, les adultes doivent se voir comme ceux qui ont la
responsabilité de sortir l’enfant de l’impasse. Changer de sujet ou
reporter la discussion peut réussir à faire cela. Il est important de ne
pas identifier l’enfant avec ses réactions de résistance avec des
phrases telles que « Pourquoi es-tu si têtu ? » ou « Personne ne
veut être avec toi quand tu agis comme ça ». Accompagner les
sentiments qu’il ressent en raison du fait d’être contrôlé ou contraint
va lui éviter d’être humilié pour quelque chose qui se produit
naturellement. Il y a aussi des moments où un parent doit utiliser sa
position alpha pour maintenir l’enfant dans un peu de tristesse afin
de l’aider à réaliser que, parfois, la résistance est futile.
Si la résistance d’un enfant provient d’une faible relation avec un
adulte, cultiver un attachement plus solide sera alors la première
tâche à effectuer. Avant de prendre soin d’un enfant, un adulte
devrait s’assurer qu’il peut l’apprivoiser, indiquant ainsi qu’il a
suffisamment de pouvoir d’attachement pour faire son travail.
Renforcer la relation peut se faire à travers l’expression de joie, de
bonheur et de chaleur, autant qu’en se connectant par les
similitudes, l’appartenance et la loyauté, l’importance ou toute autre
forme d’attachement.

2. Réduire la coercition et le contrôle


Pour réduire la quantité de contrôle et de coercition qu’un enfant
subit, des façons démontrées ci-après peuvent aider à prévenir les
réactions de contrevolonté tout autant qu’à les gérer quand elles se
présentent :

Éviter d’utiliser un ton autoritaire ou de donner des ordres.


Quand les adultes donnent des ordres aux jeunes enfants, il
leur arrive souvent de changer leur ton en anticipation qu’on leur
résiste. Les directives tendent alors à paraître plus insistantes et
autoritaires, ce qui augmente la probabilité d’une réponse de
contrevolonté.

Rendre les objectifs sous-jacents moins explicites. Les adultes


peuvent être très précis quand ils donnent des directives aux
jeunes enfants. Par exemple, un parent peut dire : « Mets tes
souliers et ton manteau. On part pour l’école et je ne veux pas
être en retard au travail. » La nature directe et autoritaire de
cette requête peut facilement provoquer la contrevolonté chez
un jeune enfant, alors qu’une approche moins précise
semblerait moins provocante. Au lieu de lui dire de se dépêcher
et d’être prêt, un parent pourrait notamment mettre l’accent sur
le programme de la journée pendant qu’il met le manteau et les
souliers à l’enfant : « Ton enseignant m’a dit que vous auriez un
visiteur spécial en classe aujourd’hui. As-tu une idée de qui ce
sera ? » En rendant le but de l’adulte moins évident, on
génèrera probablement moins de contrevolonté.

Éviter d’utiliser les JE M’ATTENDS, les TU DOIS et les IL FAUT.


Certaines des phrases les plus autoritaires qu’un enfant puisse
entendre contiennent les mots « je m’attends », « tu dois » ou
« il faut ». Ces mots sont de véritables appâts à contrevolonté,
en suggérant que rien d’autre ne sera toléré. Encore plus, ils
érodent les « je veux » de l’enfant et sa motivation intrinsèque.

Utiliser le moins de force et de moyens coercitifs possible. Les


formes de coercition physiques, comportementales,
émotionnelles et cognitives ne vont qu’exacerber les réactions
de contrevolonté et créer une relation antagoniste. Il faut tenter
de garder en tête que la relation d’attachement est le contexte
dans lequel les enfants sont le plus susceptibles de suivre les
adultes près d’eux, de se plier à leur volonté et de partager leurs
valeurs.

Battre en retraite jusqu’à ce que vous ayez une meilleure prise


sur l’attachement.Lorsqu’une réaction de contrevolonté a été
provoquée, une des stratégies les plus efficaces est de
temporairement se retirer jusqu’à ce que les instincts
d’attachement soient activés. Quand il fait face à la résistance,
un adulte peut dire : « Je vais te laisser penser à ça et je reviens
dans une minute » ou « J’ai changé d’idée. Je vais te donner un
autre cinq minutes pour jouer et ensuite, on part. » Il est
important de communiquer que vous n’êtes pas aliéné ni
déplacé de votre rôle alpha. Une mère raconte que lors d’une
sortie à la ferme, sa fillette s’est tournée vers elle et lui a dit :
« Plus tu me dis de ne pas toucher l’âne, plus je vais le faire. »
Heureusement, leur groupe s’est déplacé vers un autre animal
et au lieu d’aborder son comportement directement, la mère a
apprivoisé sa fille et lui a donné une collation. Après l’avoir
apprivoisée, la mère a sollicité ses bonnes intentions (voir le
chapitre 10 sur la discipline) pour écouter les instructions qu’elle
recevait.

Utiliser des structures et des routines pour orchestrer le


comportement. Étant donné que les jeunes enfants sont
allergiques à la coercition et au contrôle, la structure et la
routine sont de merveilleuses façons de mettre de l’ordre dans
leur comportement sans avoir à jouer au « boss ». J’étais
toujours émerveillée de voir comment l’enseignante de
maternelle de mes enfants employait la structure et la routine
pour signaler le temps de partage, le temps de jeu et le temps
de collation. Elle commençait à chanter la chanson du
rangement, qui avertissait les enfants de la transition de leurs
jeux extérieurs à leur période à l’intérieur, mais pas avant qu’ils
aient ramassé leurs jouets.

Détourner l’attention des éléments coercitifs de la situation. Plus


une situation est coercitive, plus vous voulez éloigner l’attention
des éléments qui provoqueraient une réaction de contrevolonté.
La ceinture dans la voiture, la poussette, le panier d’épicerie…
Voilà des contraintes pour les enfants qui, régulièrement,
provoquent la contrevolonté. Au lieu de leur permettre de se
concentrer sur les éléments de contrainte, un parent pourrait
parler avec l’enfant, chanter des chansons ou lui donner des
choses à manger. Un des moments où les enfants peuvent se
sentir contraints est à la table lors du repas, où l’on attend d’eux
qu’ils restent assis et mangent. Plus on met l’accent sur le fait
de manger leur nourriture, plus on provoque de contrevolonté.
Rendre les heures de repas moins coercitives et diriger leur
attention vers des histoires, du plaisir ou simplement engager la
famille autour de quelque chose d’autre que la nourriture peut
éloigner leurs yeux des éléments les plus coercitifs dans ce
décor. Plus vous dites « Mange tes légumes », moins ils
voudront les manger.

3. Faire de la place pour la volonté de l’enfant


Lorsque la réaction de contrevolonté d’un enfant provient d’un
déplacement vers le fonctionnement indépendant, lui donner de
l’espace pour exercer sa propre volonté est une stratégie fort utile.
Cela peut être réalisé de multiples façons, mais il est bien important
de ne pas les mettre en charge d’aucune prise de décision
concernant leurs besoins relationnels.

Fournir un certain degré de choix. Quand un jeune enfant est


résistant aux visées d’un parent, lui donner un choix ou une
marge de manœuvre pour déplier son propre esprit l’aide à se
sentir moins contraint. Par exemple, au moment d’aller au lit, il
pourrait choisir quel pyjama il veut porter, quelle histoire il veut
lire, quelle brosse à dents il veut utiliser ou quelle chanson il
veut se faire chanter.
Mettre l’accent sur la volonté de l’enfant. Aider un enfant à
découvrir sa propre volonté et mettre l’accent sur ses propres
désirs, buts, raisons et significations aidera à contrer la
contrevolonté. Par exemple, un parent peut dire : « Tu veux
simplement que tout le monde cesse de te dire quoi faire. Tu
veux te faire ta propre opinion à ce sujet. » Cela ne veut pas
dire que l’enfant s’en tirera avec sa propre manière, mais qu’il
réfléchira et validera qu’il a un esprit bien à lui. Le père d’une
fillette de quatre ans raconte qu’il montrait à sa fille comment
plier les vêtements, mais qu’elle résistait à ses consignes et lui
a dit : « J’ai ma propre façon de plier mes vêtements », et son
père était heureux de lui céder.

Faire place à l’initiative et à l’implication de l’enfant. Afin de


réduire la contrevolonté, invitez l’enfant à s’impliquer ou à
prendre l’initiative d’une activité. Par exemple, une mère
essayait d’aider sa fille de trois ans à mettre des visages sur
des ballons découpés dans du papier de construction. Dans son
désir d’aider, la mère a commencé à dire à sa fille où placer les
différentes parties du visage et de quoi ça devrait avoir l’air. Sa
fillette perdit tout intérêt dans le projet et refusa de continuer.
Lors de la période de jeu, par exemple, l’enfant peut être
responsable de choisir ce qu’il veut faire ou, à la table de
bricolage, il pourrait décider de quelle façon il veut utiliser les
fournitures qui sont devant lui.

Solliciter les bonnes intentions lorsque c’est possible. Quand la


collaboration d’un enfant est importante à la réalisation d’une
tâche, solliciter d’avance ses bonnes intentions peut aider à
prévenir la contrevolonté. Cela demande d’engager les instincts
d’attachement d’un enfant et d’utiliser la relation pour lui
demander de coopérer avec un ensemble de lignes directrices
pour son comportement. L’assentiment de l’enfant aide à éviter
les comportements de résistance lors de situations particulières.
Par exemple, un parent emmène son enfant au travail, dans un
environnement hautement professionnel. Au lieu d’attendre
d’être sur place pour lui donner des consignes de comportement
et de risquer une opposition certaine, on sollicite à l’avance les
bonnes intentions de l’enfant concernant son comportement. On
lui demande si l’on peut compter sur lui pour bien se comporter
et ne pas courir, crier ou faire des choses stupides une fois sur
place. Une mère en ayant fait l’expérience a dit être surprise de
combien de personnes l’avait félicitée pour le comportement
exemplaire de sa fille.

Confier des responsabilités à l’enfant lorsque c’est possible et


approprié. Les jeunes enfants ont besoin de secteurs où ils
peuvent être responsables, exercer leur propre volonté et
développer leurs propres préférences (en excluant, toujours,
quoi que ce soit en lien avec leur besoin d’attachement). Les
parents doivent trouver des endroits, des choses ou des
activités sur lesquels les enfants peuvent avoir le contrôle, tels
que la période de jeu, apprendre une nouvelle habileté ou
s’habiller. Un parent avait mis sa fille responsable de s’habiller,
avec quelques limites ou guides, tels pas de pyjama pendant le
jour ni de vêtements chics pour jouer dehors. Elle était très fière
de ses efforts et paradait devant sa famille. Un jour, un oncle en
visite lui dit ne pas être certain que rouge et fuchsia étaient des
couleurs qui allaient bien ensemble, ce à quoi elle répondit :
« Oh oui, elles vont bien ensemble ! »

La contrevolonté protège le jeune enfant de suivre des gens à qui


il n’est pas attaché et prépare le terrain pour que le soi distinct
émerge. La résistance d’un enfant vient parfois du fait que l’adulte
n’a pas activé ses instincts d’attachement avant de le diriger ou peut
aussi vouloir dire que l’enfant est simplement en train d’essayer de
comprendre les choses par lui-même. Il est important de lire l’enfant
et de prendre en considération ce qui est venu avant sa résistance
et d’ensuite déterminer la meilleure façon de continuer d’avancer. Et
bien que les « Je le fais moi-même » d’un enfant puissent sembler
insignifiants, ils sont les éléments fondamentaux de la croissance
vers le soi. À l’adolescence, il utilisera ses « Je le fais moi-même »
pour traverser le pont de l’enfance à l’âge adulte. Le défi pour les
adultes qui élèvent de jeunes enfants est de faire de l’espace pour
leur « Je le fais moi-même » aujourd’hui, puisqu’ils détiennent la
promesse du « JE » de demain.
10

La discipline au service de l’immaturité :


gagner du temps pour permettre à l’enfant
de grandir

« Alors je suppose que les enfants continueront à être des nuisances et que les mères
continueront à être heureuses d’avoir eu la chance d’être leurs victimes. »
D. W. WINNICOTT 1

A U SOUPER, je regardais ma jeune sœur manger ses derniers


légumes. Un pot de moutarde forte reposait paisiblement entre
nous deux. J’ai dit : « Tes légumes goûteraient meilleur s’ils avaient
ce truc jaune dessus. » « Non, ils ne goûteraient pas meilleur, c’est
de la moutarde forte », répliqua-t-elle. À six ans, mes instincts de
contrevolonté se sont mis en action et j’ai attrapé une carotte, l’ai
trempée dans la moutarde forte et la lui ai poussée dans la bouche.
Ma sœur de cinq ans est demeurée tranquille pour deux secondes,
jusqu’à ce que ses cris ramènent ma mère en courant sur les lieux
du crime. Je me suis sauvée dans ma chambre, sachant que j’allais
avoir de sérieux problèmes.
De ma chambre, j’entendais l’agitation se développer alors que
ma mère criait et que les pas de mon père pesaient sur les marches
de l’escalier menant à ma chambre. Je me suis assise sur mon lit,
terrifiée. Quand il a ouvert la porte, j’ai vu un visage que je n’avais
jamais vu dans de telles circonstances : il avait une étrange grimace,
presque un sourire. Une partie de moi se demandait s’il avait perdu
l’esprit ou si j’étais entrée dans un tout nouveau domaine de
punition.
Mon père s’est assis à mes côtés, sur le lit, où je demeurais
rigide et trop pétrifiée pour bouger. Il a commencé à secouer la tête
en murmurant : « Debbie, Debbie, Debbie. » Je voulais hurler :
« Allez ! Fais ce que tu as à faire et arrête de me tourmenter avec
cette attente ! » Il a ensuite, de manière tout à fait inattendue,
commencé à me conter une histoire. « Quand j’étais un petit garçon,
j’étais comme toi. Avoir un frère n’était pas toujours facile. Il
m’ennuyait pas mal. J’étais espiègle et j’adorais faire des blagues,
spécialement à lui. J’avais l’habitude de nouer ses lacets ensemble,
de cacher tous ses sous-vêtements et de mettre des cailloux dans
ses bottes. » Alors qu’il parlait, j’ai été traversée par un flot de
soulagement. Je n’avais pas d’ennuis ; j’étais simplement comme
mon père et je tenais probablement mon côté espiègle de lui.
Mon père a vu mon intérêt dans ses mauvais coups et a dit : « Je
me suis toujours fait prendre. Mon frère allait rapporter ce que je lui
avais fait et mes parents se fâchaient. Ce n’était pas bon. À un
moment donné, j’ai réalisé que je serais mieux de ne pas essayer
d’attraper les gens avec mes blagues et j’ai commencé à faire autre
chose. » Je commençais à comprendre le message que mon père
voulait passer et j’étais entièrement d’accord avec lui que ce n’était
pas bien de blesser les gens. J’ai regardé mon père avec
admiration ; j’aurais pu écouter ses histoires pendant des heures.
Finalement, mon père m’a regardée et m’a dit : « Tu as vraiment
blessé ta sœur ce soir. Elle était très fâchée. Je veux que tu
descendes, que tu lui dises que tu es désolée et que tu ne fasses
plus jamais cela. » J’ai immédiatement accepté et lui ai dit : « Je ne
sais pas ce qui m’a prise. C’était plus fort que moi, il fallait que je lui
pousse cette carotte dans la bouche. » Je suis alors descendue,
prise de remords, et j’ai présenté à ma sœur des excuses sincères.
Heureusement, elle m’a pardonné et je n’ai plus jamais fait d’elle la
victime de mes plans malicieux.
Avec du recul, ce que j’ai le plus appris de mon père ce jour-là,
c’est le pouvoir qu’un parent peut avoir, grâce à l’attachement, à
amener un enfant sur la bonne voie avec ses attentes, à maintenir
l’ordre et à gérer la colère et la tristesse. Il n’a pas eu à soudoyer,
menacer ou punir. Alors que mon comportement était mauvais, il
s’est simplement présenté comme mon père et ne m’a pas
repoussée, mais m’a plutôt attirée plus près de lui. À travers ses
histoires, il m’a communiqué que nous étions corrects, que notre
relation était intacte, et ce faisant, il a utilisé mon amour pour lui
dans le but de me faire comprendre comment je devais me
comporter. Mon père m’a menée en m’aimant, alors mon cœur était
désireux de le suivre.

La maturité est la réponse au comportement immature


LES ADULTES veulent des enfants matures qui se comportent bien et
ils croient que la discipline va les mener à cela, mais ce n’est pas le
cas. La discipline, c’est ce qu’utilisent les adultes pour imposer de
l’ordre dans le désordre de l’immaturité. La discipline, c’est comment
les adultes interviennent et compensent pour la maturité manquante.
Les adultes ont besoin d’utiliser la discipline pour gagner du temps
pour que l’enfant grandisse. Les adultes doivent diriger un enfant
dans une direction civilisée, mais tout en acceptant que les enfants
ont besoin d’espace pour s’y rendre. Ils vont devoir s’attacher à leur
relation en dépit des infractions, utiliser leurs connaissances de cette
relation et de l’enfant pour comprendre ce qui l’a bouleversé et ainsi
aider l’enfant à mieux comprendre son univers émotionnel. Un
enseignant de maternelle a dit à une élève : « Tessa, tu dois
travailler à devenir plus mature, comme de dire au revoir à ta mère
sans être triste. » Sa mère a répondu : « Tessa sera plus mature
lorsqu’elle sera mature. »
Il y a un plan développemental qui mène à la maturité, amenant
aussi la responsabilité sociale et émotionnelle. Les
recommandations au sujet de quoi faire avec un comportement
immature se sont divorcées d’un schéma développemental plus
large qui considère plutôt les conditions dont les enfants ont besoin
pour pouvoir grandir et devenir des êtres distincts, sociaux et
adaptatifs. Le sujet de la discipline est devenu un fouillis de solutions
superficielles, d’instructions isolées et de réponses contradictoires.
Les conseils et recommandations au sujet de la discipline se sont
transformés en discussions à propos de moments d’apprentissage,
de stratégies pour atteindre la conformité et d’instructions pour
apprendre à un jeune enfant comment se contrôler lui-même. Les
parents se font donner des prescriptions pour la discipline sans
même comprendre le fonctionnement de ces méthodes, les limites
de leur efficacité et les risques potentiels pour le développement. Un
parent que je connais a lu tous les livres qu’elle pouvait trouver au
sujet de la discipline et s’est impliquée, avec ses enfants, dans une
nouvelle approche chaque semaine. Au fur et à mesure que ses
techniques changeaient, ses enfants doutaient de plus en plus de sa
capacité à s’occuper d’eux.
Une partie du problème avec la discipline, de nos jours, c’est
qu’elle est largement basée sur des approches comportementales et
d’apprentissage qui visent à éteindre le comportement au lieu d’en
comprendre la source. Les bons comportements sont récompensés
ou félicités et les mauvais comportements sont punis. L’expression
émotionnelle est traitée comme un problème plutôt que d’être
comprise comme ayant un rôle à jouer dans la résolution d’un
problème avec un enfant. La résistance est vue comme une chose
qui doit être supprimée au lieu d’être vue comme une chose qui
germe de l’instinct de contrevolonté qui préserve le soi. Les crises
de colère sont traitées comme des feux qui doivent à tout prix être
éteints, attisant ainsi constamment la frustration qui les provoque.
Les troubles de l’attention sont perçus comme des déficits chez
l’enfant au lieu de caractéristiques d’un système immature qui ne
peut se concentrer que sur une seule chose à la fois. Bref, le
comportement est traité à sa valeur nominale, les émotions et
instincts qui y sont sous-jacents étant totalement éclipsés. Il manque
carrément à ces méthodes une vue d’ensemble développementale ;
la discipline, c’est ce qu’on fait en attendant que la maturité se
déploie.
B. F. Skinner suggérait que le secret pour avoir de bons enfants
était de les priver d’approbation et de rendre celle-ci conditionnelle
au fait que l’enfant se conforme à nos désirs. Les bons
comportements étaient récompensés par des félicitations ou un
rapprochement parental, alors que les mauvais comportements
menaient à la punition et à la séparation. La discipline
contemporaine prend une approche similaire et utilise le retrait
temporaire d’affection par le biais des périodes de réflexion ou de
séparation pour atteindre les bons comportements. Plus simplement,
l’amour d’un parent est utilisé comme un outil pour façonner le
comportement ; l’enfant est invité à être proche quand il se comporte
bien et est envoyé au loin quand il ne se comporte pas bien. On fait
ainsi travailler l’enfant pour de l’amour et de l’approbation en
répondant aux demandes de ses parents, lui refusant, de cette
façon, toute chance pour du vrai repos, un réel apaisement. Ces
pratiques disciplinaires sont devenues la norme, mais elles érodent
les relations et créent une détresse émotionnelle chez le jeune
enfant2.
Une autre approche est nécessaire si les parents offrent à
l’enfant une généreuse invitation à se reposer, sous leurs soins, s’ils
déverrouillent la capacité de jouer et s’ils favorisent les conditions
qui mènent à la croissance. Les stratégies disciplinaires doivent faire
appel à la puissance de l’attachement pour amener un enfant en
orbite autour de l’adulte. Ce sont les adultes qui doivent fournir
l’ordre, garder les jeunes enfants en sécurité et leur donner des
instructions, des consignes lorsqu’ils sont impulsifs, égocentriques et
impolis. Tel qu’un parent l’exprimait : « Je me disais tout le temps “il
est si grossier”, mais maintenant, je me dis “il est si frustré
présentement”. La façon dont je vois les choses dirige mes pas
suivants, et le fait de me concentrer sur l’émotion semble me pointer
vers la bonne direction. » La discipline naturelle et sécuritaire
protège et préserve le cœur tendre de l’enfant tout autant que ses
bonnes relations avec les adultes dans sa vie.

Les six caractéristiques de l’enfant qui se comporte bieni

LES SIX TRAITS associés aux enfants qui se comportent bien ne


peuvent être enseignés et doivent être développés. Ces enfants
(a) veulent être bons, (b) sont facilement alarmés, (c) ressentent la
futilité, (d) sont attachés aux adultes de façon appropriée, (e) sont
bien intentionnés et (f) ont un bon tempérament. Lorsqu’un enfant
développe ces traits, il est plus facile de prendre soin de lui et il
devient plus mature dans son comportement et ses réponses
émotionnelles. Si, à l’âge de cinq à sept ans (ou de sept à neuf ans
pour les enfants sensibles), un enfant n’a pas dépassé la
personnalité préscolaire et continue de présenter des troubles de
comportement, l’attention devrait aller à considérer lequel des six
traits est manquant chez lui et pourquoi. Quand ces traits sont
absents, il n’y a aucun type de discipline qui peut corriger les
problèmes qui en résultent ni restaurer un développement sain.
Les enfants devraient normalement vouloir être bons pour les
personnes à qui ils sont attachés et résister aux ordres de celles à
qui ils ne le sont pas. Le désir d’être bon provient de profonds
attachements satisfaisants avec les adultes qui les accompagnent
régulièrement et qui leur offrent une généreuse invitation à se
reposer sur eux, tel que vu aux chapitres 4 et 5. Le défi, pour les
jeunes enfants, c’est que leur manque de maîtrise de soi les
empêche constamment d’actualiser leur désir d’être bon.
Les enfants qui se comportent bien ont également un système
d’alarme sain qui les « met en prudencej » quand ils font face à un
danger ou quand on leur dit de rester à l’abri. Les bons systèmes
d’alarme font des enfants consciencieux et concernés par leurs
actions. Pour qu’un système d’alarme fonctionne de manière
appropriée, l’enfant doit être capable de se sentir apeuré et être libre
de défenses émotionnelles. Le système d’alarme devient non
fonctionnel quand il y a défense contre les sentiments vulnérables,
ce qui est parfois le cas chez les enfants alpha ou orientés vers les
pairs.
Les enfants qui agissent bien sont également capables de
ressentir la futilité quand ils affrontent des choses qu’ils ne peuvent
changer, tel qu’il a été discuté au chapitre 7. Ils peuvent s’adapter à
ne pas avoir ce qu’ils souhaitent, accepter la décision de quelqu’un
d’autre et s’ajuster aux limites et restrictions de leur vie. L’enfant
devrait devenir de plus en plus adaptatif entre les âges de deux et
six ans, quand les futilités de certains désirs lui sont présentées et
que du bon soutien est offert pour l’aider à trouver ses larmes. Le
processus adaptatif demande des cœurs tendres et des émotions
ressenties de manière vulnérable. Si les larmes d’un enfant sont
bloquées et que les défenses émotionnelles sont érigées, la capacité
adaptative de l’enfant sera soit diminuée, soit manquante.
Les enfants qui ont un bon comportement sont attachés de façon
appropriée aux gens qui sont responsables d’eux. Ces adultes
servent de modèles et représentent les valeurs qui les aideront à
avoir leur place en société et à y occuper un rôle productif. Les
parents doivent prendre la responsabilité de faire les entremetteurs
d’un enfant envers les adultes de son village d’attachement, comme
on l’a vu au chapitre 8. Ces adultes devraient tous partager des
valeurs semblables, de façon à prévenir le tiraillement de l’enfant
hors de son orbite parental. Si un enfant est orienté vers ses pairs, il
n’aura que peu de désir d’être bon à l’égard des adultes qui sont
responsables de lui ou de les suivre. Au lieu de cela, il va viser à
plaire à ses amis, souvent aux dépens des règles et des lignes
directrices de l’adulte. Un parent devra restaurer sa relation avec
l’enfant pour pouvoir influencer son comportement.
Les enfants qui se comportent bien sont à même de forger leurs
propres objectifs et plans à travers les bonnes intentions. La
contrevolonté, abordée au chapitre 9, et le jeu, vu au chapitre 3, sont
d’importants instincts qui ouvrent la voie à cette croissance.
Lorsqu’un sens du soi s’est développé, un enfant devrait se déplacer
vers le fonctionnement indépendant, assumant la responsabilité de
ses propres actions. Le développement d’intentions personnelles
repose sur le fait d’avoir des attachements satisfaisants, qui
apportent le soulagement de la faim relationnelle. Les parents
peuvent utiliser les intentions de l’enfant pour le diriger en direction
du comportement civilisé.
Les enfants qui présentent un bon comportement sont aussi
tempérés et ont la maîtrise d’eux-mêmes, résultats de l’intégration
cérébrale préfrontale, tel que discuté au chapitre 2. À ce moment, un
enfant sera capable de prendre en considération les besoins des
autres avant de réagir, d’y penser à deux fois avant de se laisser
aller à ses émotions et d’avoir des pensées et des sentiments
mitigés. La capacité d’être patient, de pardonner et de persévérer
sera déverrouillée en même temps qu’un sens du soi cohérent. Les
façons impulsives, égocentriques et impolies du jeune enfant
devraient se tempérer, l’aidant ainsi à actualiser son désir de bon
comportement.

LES SIX CARACTÉRISTIQUES DE L’ENFANT QUI SE COMPORTE BIEN

1. Il veut être bon pour ceux qui sont responsables de lui.


2. Il peut voir venir le danger et s’en protéger de façon appropriée (facilement
alarmé).
3. Il peut ressentir la futilité qu’il rencontre.
4. Ses attachements sociaux sont appropriés (attaché de façon appropriée).
5. Il a ses propres buts et intentions (bien intentionné).
6. Il est capable de voir les deux côtés de la médaille quand il ressent des
émotions troublantes (doté de tempérance).

Figure 10.1 Tiré du cours de Neufeld Comprendre la discipline.

Pourquoi les enfants agissent-ils bien ? La réponse à cette


question est que le développement naturel s’est déployé comme il le
devait. Il y a un plan pour le bon comportement et nous devons lui
faire confiance. Comme un parent l’écrivait :

C’est un tel changement que de passer de la fixation sur le comportement à


travailler directement sur le comportement. J’apprécie tellement le fait que la nature
joue un rôle vital et que, en tant que parent, je ne suis pas responsable de faire
grandir mon enfant. Comme jeune parent, je ne savais pas cela et croyais vraiment
que c’était ma tâche de « tuer ça dans l’œuf » et de travailler sur le moindre
problème. J’étais vraiment guindé comme parent, parce que j’étais fixé et investi,
en tout temps, sur le bon comportement. Je ne comprenais pas la nature
spontanée de la croissance.
Critique des pratiques de discipline courantes

TROIS DES APPROCHES DISCIPLINAIRES les plus populaires utilisent


l’alarme de séparation pour arriver à ce qu’un enfant modifie son
comportement. Bien qu’elles puissent paraître efficaces à obtenir de
l’enfant qu’il change sa façon de faire, elles le font souvent aux
dépens du besoin le plus important de l’enfant. De ce fait, les
méthodes disciplinaires basées sur l’alarme, la séparation et les
conséquences peuvent créer une grande détresse émotionnelle et
relationnelle chez l’enfant. Il existe d’autres manières de traiter les
incidents avec les jeunes enfants, mais elles ont été égarées sous la
pression pour la conformité et le comportement mature. Une
éducatrice à la petite enfance racontait :

Je pense que cette façon de penser en termes de « conséquences » est tellement


peu en lien avec l’intuition naturelle des parents, que ceux-ci doivent être aveuglés
pour la suivre. Ils croient faire la bonne chose, ils sont guidés par leur cœur et
veulent prendre soin de leurs enfants, mais ce n’est pas un comportement aimant.
Les vraies difficultés commencent lorsque ces méthodes ne donnent plus de
résultats ; les parents ne savent alors plus quoi faire et se sentent désespérés.

1. Les méthodes disciplinaires basées sur l’alarme


Le système d’alarme d’un enfant est construit de façon à le mettre
en prudence lorsqu’il fait face à une menace ou un danger. La
discipline qui implique le fait de crier, de faire peur, de donner des
avertissements et des ultimatums compte sur le système d’alarme
pour corriger le comportement. Les parents peuvent avoir besoin
d’utiliser, parfois, des techniques d’alarme en présence d’un danger,
mais celles-ci doivent être utilisées avec modération. Par exemple,
une mère racontait : « Mon fils de trois ans s’en allait traverser la rue
en courant pour aller voir son père et je ne pouvais pas l’attraper,
alors j’ai hurlé “arrête !” Il a figé sur place et n’a pas bougé ; j’étais si
reconnaissante qu’il ait réagi comme ça ! »
Le système d’alarme fonctionne mieux quand il n’est pas trop
souvent activé. Quand les adultes utilisent régulièrement des
méthodes d’alarme pour faire peur aux enfants et les remettre dans
le droit chemin du comportement, cela peut interférer avec le fait de
cultiver de solides relations avec eux, tout autant que de provoquer
l’érection des défenses émotionnelles. Les enfants sont faits pour
aller vers leurs parents pour recevoir de l’aide, et non pas pour s’en
éloigner. Un père racontait : « Notre fils s’est frappé sur la porte de
verre et elle a éclaté. J’ai entendu le bruit et je suis rapidement allé
voir mon fils, mais il s’était sauvé pour se cacher. Quand je l’ai
trouvé, les mains pleines de sang, je lui ai demandé pourquoi il
n’était pas venu me voir pour que je l’aide. Il m’a dit qu’il croyait qu’il
aurait des ennuis pour avoir brisé la porte. » Le père était
visiblement bouleversé de voir que son fils aurait pu être en danger,
mais n’était pas venu le consulter. Cela a forcé le père à se
demander pourquoi son fils n’avait pas cherché de réconfort auprès
de lui et s’il avait peur de lui.
Les parents utilisent souvent d’autres adultes pour effrayer leurs
enfants, leurs favoris étant les policiers, les enseignants ou les
directeurs. Lorsqu’une enfant de trois ans voulait détacher sa
ceinture de sécurité dans la poussette, sa mère lui a dit : « Si ta
ceinture n’est pas attachée, le policier va venir te chercher et
t’emmener loin de moi. » Lorsque les adultes deviennent sources de
peur, ils sont délogés de leur rôle qui est de prendre soin de l’enfant.
Une mère m’a consultée concernant sa fillette de cinq ans qui
montrait des symptômes d’alarme incluant des difficultés à dormir,
des maux d’estomac et des comportements obsessifs. Elle m’a
confié : « Quand ma fille n’a pas voulu attacher sa ceinture de
sécurité, mon mari a mis la voiture en marche et a appuyé sur
l’accélérateur, et quand il a freiné, elle a été projetée hors de son
siège et s’est frappé la tête sur le siège devant elle. Ça a été la
dernière fois qu’elle a refusé de s’attacher. Mais la façon dont mon
mari l’a disciplinée m’inquiète. » Si un enfant affronte trop d’alarmes
pendant trop longtemps, cela pourrait provoquer l’érection des
défenses émotionnelles afin de supprimer les sentiments
vulnérables d’alarme, ce qui peut donner lieu à une augmentation
des symptômes d’anxiété et d’agitation. Et alors qu’un enfant devient
équipé de ces défenses émotionnelles-là, il aura besoin de plus
d’alarmes pour lui faire peur et le diriger vers de meilleurs
comportements. En d’autres mots, il vous faudra crier plus fort et
faire sans cesse monter les enchères ! Une mère disait :

J’étais en visite chez mes beaux-parents quand le fils de trois ans de mon frère
jetait sur le sol tous les livres d’une étagère. Mon frère lui a crié d’arrêter, mais le
petit semblait imperméable au son menaçant de sa voix. Alors que mon neveu
continuait, mon frère a commencé à crier de plus en plus fort, au point de se mettre
à lui hurler d’arrêter. Ce qui était le plus triste, c’était la réaction lente et hésitante
de mon neveu. Il semblait quasiment ne pas être affecté. Cela m’a fait me
demander combien de fois on lui avait crié après de cette façon et quelle incidence
cela avait sur lui.

L’alarme est faite pour mettre un enfant en prudence, mais lorsque


les adultes en abusent, l’enfant devient de plus en plus méfiant à
faire confiance aux adultes qui prennent soin de lui. Cela s’avère
encore plus particulièrement chez les enfants sensibles, puisque les
méthodes causant l’alarme peuvent rapidement escalader et créer
trop de stress émotionnel, provoquant l’érection des défenses
émotionnelles.

2. Les méthodes disciplinaires basées sur la séparation


La discipline basée sur la séparation a été introduite comme une
solution de rechange aux punitions physiques, mais son effet sur
l’attachement n’a pas été pris en considération. Les pratiques
disciplinaires basées sur la séparation incluent les périodes de
retrait, les périodes d’isolement, le fait de feindre ou de menacer de
laisser l’enfant, le retrait de l’affection et de l’amour, le traitement du
silence, le fait d’esquiver l’enfant et le durcissement du ton. Ces
mesures retirent l’invitation au contact et au rapprochement, de
façon à mettre de la pression sur l’enfant pour qu’il se plie aux
attentes et aux demandes. L’attachement est le plus grand besoin de
l’enfant ; par conséquent, la séparation ou la menace de séparation
peut profondément affecter un enfant. Quand l’invitation au contact
et à la proximité avec un parent est conditionnelle à une
performance, cela peut créer, chez l’enfant, un profond sentiment
d’insécurité. Comme un parent me l’expliquait : « J’étais perturbée
quand j’ai appris au sujet de l’insécurité qui vient quand un enfant
doit être bon pour garder son attachement avec l’adulte qui en est
responsable. Il n’a plus le luxe de vouloir être bon. Il est réellement
placé dans une situation où il doit garder la relation intacte pendant
qu’il s’efforce à conserver l’attachement. »
Ceux qui font la promotion de l’utilisation de méthodes de
discipline basées sur la séparation laissent entendre que les jeunes
enfants réfléchissent à leurs actions quand on les isole ou les envoie
réfléchir. La capacité de réflexion n’existe pas chez un enfant avant
l’âge de cinq à sept ans. De plus, quand les enfants sont isolés, ils
sont souvent bouleversés, avec une augmentation de l’alarme et de
la frustration, laissant peu de place pour penser à quoi que ce soit
d’autre. Ces périodes de retrait ou d’isolement sont aussi vues
comme des façons de calmer un enfant et d’augmenter sa maîtrise
de soi. La raison pour laquelle certains enfants (pas tous) semblent
calmes après une telle période est que leur système d’alarme appuie
sur leurs émotions pour les refouler afin que les enfants puissent
retourner dans leurs relations avec les adultes. Quand ils reviennent
d’une période de retrait penauds et impatients de plaire, c’est en
raison de l’alarme de séparation.
La menace ou l’usage de pratiques basées sur la séparation va
augmenter la quête d’un enfant pour le contact et la proximité avec
un adulte. Il fera à peu près n’importe quoi pour remplir l’écart dans
sa relation avec l’adulte près de lui, aux dépens de sa dignité et de
son intégrité. Cela, oui, mène à un bon comportement, mais à quel
prix pour l’enfant et pour la relation ? Une éducatrice en garderie m’a
raconté cette histoire d’une enfant bien élevée, mais
émotionnellement troublée, qui était sous ses soins :

Olivia est si responsable, vraiment aidante, polie et très mature pour son jeune âge.
Je trouve qu’il s’agit là d’une situation plutôt triste, puisqu’elle est très alarmée,
n’est pas spontanée, est très peu curieuse et même son sourire est forcé. Olivia
semble avoir de l’esprit, mais elle ne fait que répéter l’opinion de ses parents. Je ne
sais pas ce qu’elle pense, ce en quoi elle croit ni ce qu’elle veut. Lorsqu’Olivia joue
avec les autres enfants, ils se font généralement blesser. Je l’ai vue pousser une
autre petite fille lors d’une course. Olivia porte en elle une tonne de frustration et de
tristesse. Elle souffre régulièrement de maux de ventre, mais aucun médecin ne
peut diagnostiquer son mal. Olivia paie un prix très élevé pour être bonne !
Comment doit-elle se sentir, de toujours devoir être bonne pour conserver la
relation avec ses parents, pour se sentir aimée, pour répondre à leurs attentes,
sans avoir d’invitation à exister autrement ? Ce doit être horrible.
Un soir, après une présentation, une mère me parlait et éclata en
sanglots en me disant : « Je ne sais pas si vous avez remarqué,
mais je pleurais pendant que vous parliez d’à quel point les enfants
ont besoin qu’on prenne soin d’eux. Chaque fois que je faisais
quelque chose de mal, ma mère me disait qu’elle ne voulait plus de
moi. Ça me blessait tellement ! J’essayais si fort d’être bonne pour
qu’elle soit heureuse. » Même 30 ans plus tard, la blessure émotive
de cette mère était toujours palpable alors qu’elle se tenait devant
moi, elle-même mère de deux enfants.
Comment comprendre les enfants pour qui les périodes de retrait
ou d’isolement ne donnent rien ? La discipline basée sur la
séparation ne fonctionne que lorsqu’il y a un attachement en jeu
auquel l’enfant tient. Si l’enfant n’est pas attaché à l’adulte qui utilise
ce type de méthodes, cela peut augmenter la probabilité de la
frustration et des comportements d’attaque. Les enfants sensibles
peuvent trouver cela très provocant et cela peut mener à une
éruption de comportements nocifs et de détachement (voir
chapitre 7).
La discipline basée sur la séparation interfère avec la capacité
d’un enfant de s’apaiser, de jouer et de grandir. Quand un jeune
enfant est préoccupé à être bon pour éviter la séparation de ce à
quoi il tient, il lui reste moins d’énergie à investir pour devenir qui il
est.

3. Les méthodes disciplinaires basées sur les conséquences


L’utilisation de conséquences pour contrôler le comportement d’un
enfant est devenue une technique de discipline courante et
largement répandue. Les bons comportements sont récompensés
avec des privilèges ou par l’utilisation d’autocollants, par celle d’une
charte ou par des félicitations. Les comportements qui ne répondent
pas aux attentes sont punis par le retrait de privilèges ou d’activités.
Un parent m’a demandé : « Est-ce correct de retirer à mon enfant
son animal en peluche favori avec lequel il dort, pour arriver à lui
faire faire des choses telles manger tout le contenu de son assiette
ou se brosser les dents ? » La première question qu’on doit poser,
c’est quel est le prix d’utiliser contre lui ce qu’un enfant aime le plus,
pour obtenir qu’il se conforme ?
L’utilisation de renforcement négatif et positif comme méthode de
discipline provient de la théorie de comportement/apprentissage et
sert à sculpter un enfant pour qu’il se comporte comme s’il était
mature, un incident à la fois. Cela ne prend aucunement en
considération les racines instinctives ou émotionnelles qui donnent
naissance au comportement troublé ou aux traits d’enfants bien
élevés. Cela utilise ce à quoi un enfant tient comme levier, ce qui
crée une relation antagoniste. La vie, oui, enseigne avec des
conséquences, mais pas de la même façon que le font ces
pratiques. Celles-ci signalent à l’enfant que sa dépendance à un
adulte sera exploitée chaque fois que la conformité sera requise.
Comme un enfant sensible de quatre ans disait à son père : « Papa,
tu peux m’enlever ça, mais je vais simplement décider de ne plus
tenir à rien du tout. » C’était impressionnant de voir comment ce
jeune enfant pouvait déjà articuler de quelle façon ses défenses
allaient se mettre en action et empêcher les sentiments vulnérables
de se manifester quand il fera face à la séparation. Les défenses
émotionnelles peuvent bouger pour protéger le cœur d’un enfant si
le fait de se servir contre lui de ce qu’il aime particulièrement le rend
susceptible d’être blessé. Ces défenses rendent la vie plus facile à
endurer et l’enfant cessera simplement de tenir à quoi que ce soit…
et à qui que ce soit.
Les éducateurs et parents sont de plus en plus concernés par le
manque d’intérêt bienveillant chez les enfants, de nos jours, ce qui
est également soutenu par les recherches sur l’empathie3. Des
affirmations régulières comme « Je m’en fous », « Ce n’est pas
important pour moi » et « Peu importe » sont maintenant communes
chez nos enfants et nos jeunes. En considérant cette perte d’intérêt,
nous avons échoué à examiner les méthodes disciplinaires qui
utilisent contre eux ce à quoi ils tiennent. Un père disait : « Quand
mes enfants n’écoutent pas, je leur retire simplement leur temps
d’écran et ça marche à tout coup. » Une mère m’a déclaré : « Ma
fille refuse de faire l’apprentissage de la propreté, alors pour lui
donner une leçon, quand je dois la changer, j’utilise l’eau la plus
froide possible pour la laver. » Un autre père, encore, racontait :
« Mon fils ne voulait pas s’asseoir à la table, il criait et hurlait, alors
je lui ai dit qu’il ne pourrait pas aller à une sortie prévue avec sa
grand-mère. » Nous échouons dans la tâche de relier le fait que nos
enfants n’ont pas d’intérêt bienveillant avec le fait que certaines de
nos méthodes n’en ont pas non plus.
Utiliser des conséquences pour obtenir la conformité est une
solution rapide qui vise à modifier le comportement d’un enfant
instantanément. Cette forme de discipline répond souvent aux
besoins de l’adulte sans considérer ce qui affecte un enfant ou
comment préserver une relation pendant qu’on la conduit à travers
des incidents. Tel qu’un parent commentait : « C’est intéressant
comment les méthodes disciplinaires comportementales donnent au
parent l’impression de faire grandir un enfant instantanément ou
celle d’être en contrôle ; il n’est pas surprenant que ces méthodes
soient si attirantes. » Un autre parent racontait qu’elle était devenue
désillusionnée par les conséquences quand elle a réalisé ce qui était
en jeu :

J’avais l’habitude d’utiliser les conséquences pour changer le comportement de


mes enfants. Par exemple, si mon fils ne ramassait pas ses jouets, il n’avait pas le
droit de venir en ville avec moi. Aïe ! Je n’avais pas réalisé que j’utilisais la menace
d’une séparation pour accélérer la maturité chez mon fils. Quand je lui présentais le
chemin de la cause à l’effet, il se dépêchait, mais il était si alarmé qu’il ne pouvait
pas penser clairement. En fait, cela lui prenait plus de temps pour accomplir sa
tâche.

Les actions immatures d’un jeune enfant amènent régulièrement


des conséquences que les adultes responsables doivent gérer, telles
que de retirer des jouets quand ils sont lancés à d’autres, ou de
déplacer les autres quand un enfant se met à gesticuler de
frustration. Il y a une différence entre utiliser les conséquences
contre un enfant et les utiliser à son service en tant que responsable
de l’enfant. Imposer des conséquences naturelles, c’est ce qu’un
parent fait pour changer les choses à la suite du comportement d’un
enfant. C’est ce que les adultes responsables font en réponse aux
actions égocentriques, impulsives et inconsidérées de leur enfant.
C’est ce qu’on fait pour compenser leur manque de maturité.
Lorsque les conséquences de type disciplinaire sont utilisées pour
donner une leçon à un enfant, ça ne fait que l’obliger à être
responsable d’un comportement qu’il n’est clairement pas
suffisamment mature pour être capable de contrôler au départ.
Comme une mère disait : « Être trop longtemps à l’ordinateur n’est
pas bon pour mon fils. Il fait de grosses crises quand on lui demande
de le quitter, alors j’ai pris les devants sans mettre l’accent sur son
comportement. J’ai écourté le temps que je lui donne. Je m’attends à
ce qu’il ne soit pas content, mais je suis prête à l’aider à trouver ses
larmes. » C’est la façon dont un enfant agit qui donne à l’adulte le
signal de réaliser à quel point l’enfant est limité par son immaturité et
ce que l’adulte doit faire pour éviter les problèmes. Comme ce qu’a
fait ce père d’un garçon très sensible de six ans, après avoir regardé
son fils jouer au soccer :

J’avais inscrit mon fils au soccer parce qu’il adore ce sport. Le problème, c’est que
dès qu’il devient frustré sur le terrain, il ne peut pas se contrôler. Un jour que son
équipe était en train de perdre, un autre enfant l’a fait tomber, par pur accident, et je
pouvais voir à quel point mon fils était fâché. Il a tendu son bras et a fait trébucher
un autre enfant ; j’ai vu que mon fils n’était pas prêt pour jouer dans une équipe.
Nous attendrons jusqu’à ce qu’il soit mieux capable de maîtriser ses pulsions,
parce qu’il est trop dangereux pour les autres enfants sur le terrain.

Les jeunes enfants sont incapables de penser deux fois avant


d’agir. C’est pourquoi la méthode des conséquences échoue
régulièrement à modifier un comportement futur. Avant de lancer son
train au sol ou vers quelqu’un, l’enfant ne se demande pas s’il
devrait plutôt utiliser ses mots. Les jeunes enfants sont poussés à
agir et à réagir aux grosses émotions et aux instincts qu’ils ont en
eux. Aucune conséquence n’enseignera jamais à un enfant ce qu’un
bon développement est appelé à livrer : le contrôle des pulsions. Par
ailleurs, le comportement le plus difficile qu’on voit chez notre enfant
résulte généralement du fait de ressentir une gamme d’émotions et
de ne pas être en contrôle. Souvent, les conséquences exacerbent
les émotions qui sont sous-jacentes aux gros problèmes, tel que ce
père l’explique : « Mon épouse et moi tentions d’avoir une
conversation à savoir où aller souper ce soir-là, mais notre fils
passait son temps à sauter entre nous et ne nous laissait pas parler.
Je lui ai dit d’arrêter et l’ai averti qu’il ne viendrait pas souper s’il
n’arrêtait pas. Il n’écoutait pas, alors je l’ai pris, l’ai emmené dans sa
chambre et lui ai dit d’y rester. Il a fini par casser des choses dans sa
chambre, il a simplement explosé. » Lorsqu’un enfant est
bouleversé, le fait de lui donner une conséquence peut ajouter plus
d’huile sur le feu, augmentant ainsi tant la frustration que l’alarme.
Bien que les conséquences soient problématiques quand elles
sont utilisées comme pratiques disciplinaires, elles desservent une
importante fonction sociale. Elles renforcent la position alpha de
l’adulte responsable de l’enfant et mettent en place les attentes que
la conformité est souhaitée. Les écoles ne rouleraient pas sans
directeur ; quelqu’un doit être perçu comme étant responsable et vu
comme celui qui met en place les valeurs et règles de conduite. Les
conséquences permettent aux adultes de prendre en charge les
enfants quand il y a conflit et de régler les incidents avec justice et
équité. Si les adultes ne prennent pas les rênes lors des situations
difficiles, les jeunes enfants prendront les choses en mains. Puisque
les conséquences peuvent créer des troubles nuisant à favoriser de
solides relations adultes-enfants, elles devraient, chaque fois
qu’elles sont utilisées, être dépersonnalisées de l’adulte et vues
comme faisant partie intégrante des règles et du grand ensemble de
la vie en société. Les adultes peuvent également atténuer le stress
relationnel et émotionnel issu des conséquences en faisant le pont
et en informant l’enfant que la relation est toujours souhaitée,
ouverte et solide.

Une discipline naturelle et sans danger


QU’EST-CE qu’une bonne discipline ? Ce sont les actions d’un adulte
responsable qui avance pour gérer le désordre causé par
l’immaturité. Cela protège à la fois la relation de l’enfant avec l’adulte
qui répond de lui et le cœur tendre de l’enfant. Une bonne discipline
est ce qui se passe avant que les problèmes arrivent, quand les
adultes travaillent à anticiper les incidents et agissent avant qu’ils se
produisent. La bonne discipline naît quand un adulte vise à
comprendre ce qui affecte l’enfant et réfléchit à la meilleure manière
d’aborder ses besoins émotionnels. La bonne discipline ne vient pas
du fait d’être un parent parfait, et provient souvent d’une culpabilité
parentale et de la ferme intention de faire les choses différemment la
prochaine fois qu’une telle situation se présentera. Une bonne
discipline, c’est de ne pas laisser le comportement d’un enfant être
plus important que la relation. Une mère racontait comment sa fillette
de cinq ans avait été capable de lui communiquer cela :

Ma fille revenait de la maternelle et commençait à jouer avec ses poupées, leur


imposant des périodes de retrait et leur disant qu’elles avaient mal agi. Je lui ai
demandé ce qui n’allait pas et elle m’a dit que ses poupées n’écoutaient pas, alors
elles devaient aller en retrait. Je me suis informée à savoir comment les poupées
se sentaient de devoir être isolées et elle m’a dit qu’elles en étaient très tristes. Je
lui ai demandé où elle avait entendu parler de ces périodes de retrait, puisque nous
n’en avions pas à la maison et elle m’a dit « école ». Je l’ai incitée à comparer cette
méthode avec ce que nous faisions, à la maison, au lieu de ce type de punitions, et
elle m’a dit : « On a simplement une autre chance, maman. »

Ce que tout jeune enfant nous dirait s’il le pouvait, c’est de rester
accrochés à lui, de ne pas prendre ses actions comme étant
personnellement dirigées vers nous et de l’aimer malgré son
immaturité. Il nous dirait que son but n’est pas de nous rendre la vie
difficile et qu’il ne fait que suivre les instincts et sentiments qui
l’habitent. De la perspective d’un enfant, une bonne discipline
signifie que l’adulte croit encore en lui et sait qu’il va réussir un jour
ce qui est aujourd’hui un défi. Il y a plusieurs façons par lesquelles
un adulte peut communiquer ce message à un jeune enfant, mais
c’est surtout transmis par le fait qu’il prend généreusement soin de
lui à travers la période la plus immature de sa vie.

Les 12 stratégies Neufeld pour une discipline naturelle et sans dangerk

LES 12 STRATÉGIES NEUFELD pour une discipline naturelle et sans


danger sont destinées à aider les parents à mener et à prendre la
responsabilité des actions immatures d’un jeune enfant. Elles sont
séparées en trois sections distinctes : (1) cinq pratiques
fondamentales de discipline sans danger, (2) trois incitatifs puissants
à une discipline naturelle et (3) quatre solutions compensatrices pour
l’immature et le difficile à gérer. Suivant cela, se trouvent des lignes
directrices spéciales pour gérer les conflits entre frères et sœurs.

Cinq pratiques fondamentales de discipline sans danger

1. NE PAS TENTER DE FAIRE DE GAINS DURANT L’INCIDENT


Quand des problèmes surviennent qui suscitent de fortes émotions
chez l’enfant ou l’adulte, il serait mieux de ne pas essayer de faire
de gains pendant le moment où l’incident se déroule. Le meilleur
atout, c’est de sortir de la situation avec la relation toujours intacte et
d’aborder le problème plus tard. Cela peut vouloir dire souligner
l’infraction brièvement et avec simplicité au moment même où elle se
produit, mais d’y revenir plus tard. Par exemple : « Les mains ne
sont pas faites pour frapper, les dents ne sont pas faites pour mordre
et maman n’est pas faite pour se faire crier des noms. » Vous
pouvez, plus tard, faire le pont avec le comportement problématique
en y ramenant l’enfant et en mettant l’accent sur quelque chose qui
communique le désir d’être encore avec lui, comme en partageant
une collation ou en lisant une histoire ensemble. Vous pouvez aussi
laisser savoir à l’enfant que vous lui parlerez plus tard de ce qui vient
d’arriver et planifier un moment pour traiter de l’incident. Lorsqu’un
enfant est le plus bouleversé, votre attention devrait être sur le
maintien de la relation, puisque c’est ce qui permet à un parent de
gérer un enfant une fois que les émotions ont diminué d’intensité.
Un des plus grands défis auxquels font face les adultes lorsqu’ils
gèrent des situations difficiles, c’est de ne pas blesser la relation et
de se retenir de traiter avec l’enfant tant qu’ils n’ont pas une
meilleure influence. Plusieurs parents se sentent obligés d’aborder
les choses de front, au lieu de se concentrer sur le rapprochement,
la crainte étant que ce geste représente plutôt une récompense ou
communique le message qu’il « s’en tire facilement ». Il est suffisant
de nommer l’infraction afin de signaler que quelque chose ne va pas
et d’aborder le problème plus tard. La crainte qu’un enfant « s’en
sorte impuni » est un vestige de l’approche
comportement/apprentissage dans laquelle les enfants doivent se
faire enseigner comment agir de façon mature au lieu de devenir
mature à travers un développement sain.

CONSEILS POUR GÉRER LES INCIDENTS

1. Au lieu d’essayer de progresser, viser à ne pas faire de tort.


2. S’occuper de l’infraction simplement (si nécessaire).
3. Faire un pont avec le comportement problématique.
4. Essayer de changer ou de contrôler la situation (et non l’enfant).
5. Décider d’un moment pour aborder ou régler le problème.
6. Sortir de l’incident plus tôt que plus tard.

Figure 10.2 Tiré du cours de Neufeld Comprendre la discipline.

Une mère expliquait de quelle façon elle avait mis ces lignes
directrices en pratique :

Ma puce de trois ans avait volontairement renversé son lait sur le plancher après
que je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas avoir un autre biscuit. J’étais si fâchée. Je lui
ai dit de ramasser son dégât et elle a crié « Non ! ». J’étais furieuse et lui ai dit :
« Tu vas le ramasser ! » Et, en retour, elle m’a crié « Non ! ». Je pouvais sentir ma
frustration escalader à un point où je voulais lui frotter le nez dans le lait au sol. J’ai
eu peur de ma propre réaction, alors j’ai simplement dit : « Tout le monde sort de la
cuisine ! Ça ne fonctionne pas, tu ramasseras le lait plus tard, mais là, on part. »
J’ai commencé à sortir et mes enfants m’ont suivie. On a fini dans sa chambre,
alors j’ai commencé à leur lire une histoire. Mes enfants se sont approchés et se
sont assis sur mes genoux et, pendant que je lisais, j’ai senti la chaleur de leurs
corps et je me suis rappelée à quel point j’aimais les câliner. Alors que ma
frustration descendait, j’ai été mieux en mesure de discuter avec ma fille et de lui
expliquer que nous devions retourner dans la cuisine pour nettoyer le lait ensemble.
Elle a immédiatement accepté.

2. ÉVEILLER LES INSTINCTS D’ATTACHEMENT AVANT D’ENCLENCHER LE TRAVAIL


Les jeunes enfants ne se consacrent qu’à une seule chose ou une
seule personne à la fois, alors leurs instincts d’attachement ne sont
pas toujours dirigés vers l’adulte qui est responsable de prendre soin
d’eux. Se rapprocher de l’enfant avant de lui dire quoi faire aide à
établir que l’adulte est le meneur et à atteler l’enfant à son intention
d’être bon. S’approcher d’un enfant requiert d’obtenir son attention
de manière amicale, tel que discuté au chapitre 4. Apprivoiser un
enfant est important, voire essentiel après toute séparation telle que
dormir, être à l’école ou à la garderie ou après qu’il ait joué seul. Les
maternelles utilisent le temps de regroupement pour apprivoiser les
jeunes enfants et pour déterminer qui sont ceux qui suivent et qui
sont ceux qui ont besoin d’attention pour mieux écouter.

LES CINQ PRATIQUES FONDAMENTALES DE DISCIPLINE SANS DANGER

1. Ne pas tenter de faire des gains durant l’incident.


2. Éveiller les instincts d’attachement avant d’enclencher le
travail.
3. Nourrir et sauvegarder le désir de l’enfant d’être bon pour
vous.
4. Connaître ses limites et œuvrer à l’intérieur de celles-ci.
5. Faire un pont avec tout ce qui peut diviser.

Figure 10.3 Tiré du cours de Neufeld Comprendre la discipline.

Apprivoiser un enfant avant de lui donner des consignes peut


paraître simple, mais cette façon de faire est facilement oubliée dans
le tourbillon de la vie de famille au quotidien. Les parents sont
frustrés quand les jeunes enfants ne viennent pas lorsqu’on les
appelle au moment des repas, quand vient le temps de partir le
matin, ou au début de la routine du coucher. Apprivoiser un enfant
avant de le diriger, particulièrement quand sa collaboration est
nécessaire, est une façon efficace d’éviter la frustration et la
résistance qui viennent lorsqu’un jeune enfant se sent poussé et non
attaché à son adulte à ce moment-là.
Alors que j’étais à un parc de jeux intérieurs avec mes enfants,
une amie est venue me demander conseil à savoir comment obtenir
de ses enfants qu’ils quittent l’endroit. Son enfant de trois ans avait
beaucoup de plaisir et avait disparu dans les tunnels, les glissades
et les filets. Je lui ai suggéré d’apprivoiser son enfant avant de lui
dire qu’il était temps de partir. Elle m’a regardée avec incrédulité et
m’a dit : « Vraiment, c’est le meilleur conseil que tu as ? » Je lui ai
demandé d’essayer et elle a disparu entre les échelles. Elle était
partie depuis cinq minutes quand je l’ai vue sortir par une des
glissoires avec son fils qui la suivait. Il la regardait et acceptait bien
ses signaux. Elle l’a amené récupérer son manteau et ses souliers et
sans un mot, elle me disait au revoir de la main et était déjà dehors.
Plus tard, elle m’a dit que quitter le parc et d’autres événements était
devenu beaucoup plus simple, maintenant qu’elle apprivoisait
d’abord son fils.

3. NOURRIR ET PROTÉGER LE DÉSIR DE L’ENFANT D’ÊTRE BON POUR VOUS


Plusieurs pratiques de discipline populaires communiquent peu de
confiance dans les intentions de l’enfant et la croyance que les
enfants ne veulent naturellement pas être bons pour les adultes qui
sont auprès d’eux. On donne des punitions pour faire changer
l’enfant d’idée au lieu de considérer comment ses émotions et
pulsions le guident et éclipsent ses bonnes intentions. Si un enfant
voit qu’un parent croit qu’il fait la bonne chose, mais qu’il fait une
erreur, cela ne fera pas que protéger la relation, mais préservera
aussi la volonté de l’enfant de continuer à viser la bonne direction.
Cela communique à un enfant la foi qu’il peut bien faire les choses,
lui dit qu’il est aimé malgré ses erreurs et protège la dignité de tous
en cours de route. Tel qu’un parent le disait : « La première fois que
j’ai remarqué que mon enfant voulait être bon pour moi, ça m’a
semblé un miracle. La discipline est devenue simple et facile et, en
fait, très peu nécessaire. »

4. CONNAÎTRE SES LIMITES ET ŒUVRER À L’INTÉRIEUR DE CELLES-CI


Une partie de la gestion du comportement d’un jeune enfant est de
savoir quand vous êtes près de votre limite et qu’il reste bien peu de
bienveillance pour tempérer vos réactions fortes. Lorsqu’un parent
perd ses propres émotions mitigées, les frustrations ne seront pas
tempérées par la bienveillance, ce qui aura pour résultat moins de
patience et moins de maîtrise de soi. Quand cela se produit, le défi
pour un parent est de trouver une façon de ne pas blesser l’enfant.
Un parent m’a demandé : « Je comprends que la chaleur et
l’attachement sont importants pour un enfant, mais parfois, je ne me
sens simplement pas capable d’en donner ; je suis fâché, frustré,
fatigué et j’en ai juste assez. Qu’est-ce que je suis censé faire dans
un tel moment ? » Je lui ai répondu que prendre soin d’un enfant
quand on ne ressent pas l’envie de se connecter avec lui signifie que
vous avez atteint vos limites et que vous devez limiter votre rôle
parental. Il vous faut trouver une façon de prendre soin de vous et
d’éviter de dire ou de faire des choses qui pourraient blesser l’enfant
ou créer plus de séparation entre vous.
Les parents demandent souvent : « Et si j’ai besoin d’une pause
pour ne pas péter les plombs sur mon enfant ? » La clé est de
trouver une façon de prendre une pause sans communiquer à
l’enfant qu’il est trop difficile à gérer. Dire à un enfant que vous avez
besoin d’une pause loin de lui ne fait qu’alimenter sa frustration et
son alarme. Cependant, lui dire que vous devez aller faire la lessive,
aller à la salle de bain ou vous faire une tasse de thé et que vous
allez revenir sous peu ne communique pas à l’enfant qu’il est une
source de détresse émotionnelle et que vous avez perdu votre désir
de vous rapprocher de lui. Quand vous atteignez votre limite, la
chose responsable à faire est de le reconnaître, de protéger l’enfant
et de trouver une façon de redevenir le parent dont il a besoin.

5. FAIRE UN PONT AVEC TOUT CE QUI PEUT DIVISER


Faire le pont est un rituel d’attachement qui aide à communiquer à
l’enfant qu’il y a toujours un désir de proximité quand la tempête
comportementale se manifeste et que certains gestes doivent être
abordés. Par exemple, quand un enfant frappe, crie ou attaque, un
parent peut nommer ces infractions, mais peut transmettre qu’une
invitation de connexion existe toujours malgré l’incident. En d’autres
mots, les parents peuvent être fermes sur le comportement, mais
souples sur la relation. Par exemple, George était fâché que sa mère
ne le laisse pas rester au parc. Il a demandé, supplié, gémi et s’est
dirigé pour aller la frapper. Elle s’est accrochée à la relation et a dit :
« Les mamans ne sont pas faites pour être frappées » et « Je sais
que tu es frustré et que tu veux rester. » Pendant qu’il hurlait, elle a
dit « Je sais que tu es fâché » et elle a doucement commencé à
marcher avec lui vers la voiture. Alors qu’elle l’installait dans l’auto,
elle lui a dit : « J’ai hâte de jouer aux trains avec toi quand nous
serons de retour à la maison. » Il lui a crié : « Je ne veux pas jouer
avec toi ! » Ce à quoi elle a répliqué : « Je sais que tu es fâché de
devoir quitter le parc. Nous jouerons plus tard. »
L’action de faire le pont avec le comportement problématique
communique également à l’enfant que rien ne cloche avec lui, qu’il
n’est pas trop méchant ni trop d’ouvrage pour un parent. Les colères
d’un enfant ne deviennent pas des sources de déconnexion ou
d’humiliation. Ses échecs ne lui font pas risquer de perdre la foi que
ses parents ont qu’il est un bon enfant et qu’ils croient en lui. Quand
l’enfant voit que le parent veut encore être avec lui, cela crée la foi
que leur relation est suffisamment solide pour gérer qui il est. Et cela
installe la confiance que le parent sera capable de le diriger à travers
les situations difficiles et vers des formes de relations civilisées.
Les enfants sensibles sont encore plus susceptibles de faire
montre de grosses réactions émotionnelles lorsqu’ils sont confrontés
à leurs problèmes de comportement. Cela aide de leur donner de
l’espace tout en leur communiquant un désir de les aider afin de
réduire l’intensité de leur colère. Un retour sur les incidents est
probablement plus efficace lorsqu’il est fait de 24 à 48 heures après
les gros incidents. La mère de George aurait pu reconnaître plus
tard qu’il était frustré de quitter le parc et qu’il semblait avoir
beaucoup de plaisir là-bas. Elle aurait aussi pu solliciter ses bonnes
intentions concernant la façon dont elle aimerait qu’ils quittent le
parc la prochaine fois.

Trois incitatifs puissants à une discipline naturelle

1. SOLLICITER LES BONNES INTENTIONS


Solliciter les bonnes intentions est une stratégie de discipline qui
vise à rallier un enfant et à l’orienter dans la direction d’un certain
comportement. C’est une merveilleuse substitution aux
conséquences, lesquelles sont axées sur l’extinction du
comportement après qu’il se soit produit. Solliciter les bonnes
intentions de l’enfant avant qu’il y ait des problèmes et faire appel à
sa collaboration pendant qu’il est de bonne humeur et que son désir
de plaire à l’adulte est à son plus haut est nettement plus efficace.
Un parent disait : « Chaque fois que j’emmène mes enfants en
sortie, je sollicite toujours d’avance leurs bonnes intentions pour
qu’ils restent près de moi et tiennent ma main. Je me souviens d’une
fois où je n’avais pas fait cela et ils avaient fait une énorme crise en
public. Maintenant, je n’oublie jamais de leur rappeler les règles
quand nous faisons une sortie et d’obtenir leur accord avant d’y aller.
Cela fonctionne comme par magie. »

LES TROIS INCITATIFS PUISSANTS À UNE DISCIPLINE NATURELLE

1. SOLLICITER LES BONNES INTENTIONS

Amener l’enfant à aller dans la bonne direction.


2. FAIRE RESSORTIR LES SENTIMENTS MITIGÉS

Aider l’enfant à trouver les éléments tempérés qui


compenseront les impulsions importunes.
3. INVITER LES LARMES DE FUTILITÉ

Aider l’enfant à trouver la tristesse et la déception qui


devraient s’éveiller lors des rencontres avec la futilité.

Figure 10.4 Tiré du cours de Neufeld Comprendre la discipline.

Pour que la sollicitation des bonnes intentions d’un enfant âgé de


deux à trois ans fonctionne, il faut que la relation entre lui et l’adulte
soit suffisamment forte. L’enfant doit être attaché à travers
l’appartenance et la loyauté pour que cette stratégie fonctionne. Si
l’enfant n’est pas attaché, cette stratégie pourrait l’inciter à se
comporter contrairement aux demandes en raison de la
contrevolonté. Pour faire appel aux bonnes intentions d’un enfant, un
parent aura besoin d’apprivoiser d’abord l’enfant. Par exemple,
comme cette mère l’expliquait :

Mes enfants avaient commencé à appeler leur grand-mère « grand-maman avec


les jambes courtes » pour la différencier de leur autre grand-mère. Lorsqu’elle a
entendu ça, elle est devenue triste et a dit qu’elle ne voulait pas être nommée en
fonction de sa taille. J’ai demandé aux enfants de trouver un autre nom et ils ont
proposé « grand-maman avec le mauvais pouce ». Je leur ai dit que ça ne pouvait
pas référer à une partie du corps, que cela ne fonctionnait donc pas. Ils ont tenté
« grand-maman avec les cheveux bruns ». Quand leur grand-mère est venue pour
une visite, j’ai sollicité leurs bonnes intentions pour qu’ils l’appellent par son nom et
ils ont dit qu’ils essaieraient très fort. Quand elle est arrivée, ils les ont suivies à la
lettre et leur grand-mère était très heureuse.

Solliciter les bonnes intentions est une puissante stratégie de


discipline qui aide un enfant à reconnaître qu’il est fait pour
éventuellement diriger son propre comportement. Cela aide l’enfant
à prendre les rênes de sa propre vie et à voir que des choix peuvent
être faits. Bien sûr, les pulsions et émotions des jeunes enfants
continueront de prendre le contrôle de temps en temps ; pour cette
raison, il est important de les accompagner et de reconnaître leurs
intentions – « Tu essayais vraiment fort d’écouter » –, au lieu de
mettre l’accent sur le fait qu’ils aient été, ou pas, capables de les
mettre en pratique.

2. FAIRE RESSORTIR LES SENTIMENTS MITIGÉS


Un jeune enfant est incapable de tempérer ses sentiments et ses
pensées, tel que vu au chapitre 2, ce qui donne naissance à des
actions impulsives, égocentriques et inconsidérées. Si le
développement se fait bien, il est possible qu’un enfant commence à
démontrer des signes d’intégration entre les âges de quatre et cinq
ans, donnant naissance à une puissante stratégie disciplinaire. Un
parent peut aider l’enfant à trouver les éléments tempérés hors des
incidents, lorsqu’il fait un retour sur ce qui s’est passé. Par exemple,
un parent est passé à travers un grand nombre de soirées
exténuantes avec sa fille qui refusait de se brosser les dents. Alors
que la mère tentait de contourner les querelles et de trouver des
façons de réduire la résistance de sa fille, elle a fait ressortir les
sentiments mitigés au sujet du soin à apporter à ses dents. Un soir,
à l’heure du coucher, la mère a dit : « Une partie de toi n’aime
vraiment pas se brosser les dents. » Samantha, cinq ans, a
répondu : « Je n’aime pas ça, le dentifrice, c’est dégueu. » La mère
lui a dit qu’elle comprenait, « mais je suis certaine qu’une autre
partie de toi ne veut pas avoir de caries faites par les insectes
sucrés », ajouta-t-elle. Sa fille était tranquille, alors la mère est
passée à un autre sujet. Quelques jours plus tard, Samantha criait
en disant qu’elle ne voulait pas se brosser les dents et sa mère lui a
promis de venir l’aider dans une minute. Quand elle est arrivée,
Samantha se brossait les dents à fond. La mère était surprise et a
demandé : « Pourquoi brosses-tu tes dents si tu n’aimes pas le
faire ? » Samantha a crié, la bouche pleine de mousse : « Parce que
je ne veux pas avoir de caries ! » Quand un enfant commence à
faire l’expérience du conflit intérieur, un tout nouveau niveau de
comportement mature s’ensuit.
Il est utile de faire ressortir les sentiments mitigés après des
incidents et de donner à l’enfant assez de distance avec l’événement
pour qu’il ne se fasse pas détourner par de fortes émotions.
L’objectif, en faisant appel à un élément de tempérance, est de
mettre l’enfant au milieu de sentiments et de pensées contradictoires
pour éventuellement les associer les uns aux autres. Un père a
raconté la conversation suivante, qu’il a eue avec sa fille après
qu’elle ait eu une forte chicane avec son petit frère :

Père : Ton frère t’a vraiment fait une grosse grafigne dans le visage aujourd’hui. Je
sais que tu étais vraiment frustrée contre lui. Pourquoi crois-tu qu’il était frustré
contre toi ?
Katie : Je lui ai dit que je ne voulais pas jouer aux trains avec lui, alors il m’a
grafignée.
Père : Il aime ses trains. Ça a dû le blesser. Et tu as été blessée aussi. C’est difficile
d’avoir un petit frère, parfois, n’est-ce pas ?
Katie : Oui, mon frère peut être méchant.
Père : Est-ce qu’il y a une partie de toi qui aime encore jouer avec lui et qui se sent
désolée de ce que tu lui as dit ?
Katie : Ouais. J’aime encore jouer avec lui et je suis désolée aussi.

Lorsqu’on fait ressortir les sentiments mitigés, il est important


d’apprivoiser l’enfant et d’être en position d’influence. Le souvenir
qu’a un enfant d’un événement peut être utilisé pour ramener son
expérience et créer le conflit intérieur entre ses pensées et ses
sentiments. Plus un parent normalise et crée un espace pour le
conflit intérieur, plus l’enfant pourra l’utiliser pour tempérer ses
émotions fortes quand elles se présentent. Travailler hors du
moment précis de l’incident se traduira en une meilleure maîtrise de
soi dans le feu de l’action.

3. INVITER LES LARMES DE FUTILITÉ


Il y a des moments où le jeune enfant fait face à quelque chose qu’il
ne peut changer, comme de ne pas pouvoir rester debout tard le
soir, ne pas pouvoir avoir un autre biscuit ou devoir partager ses
jouets. Au lieu de lui imposer des conséquences, d’appliquer des
sanctions ou d’alarmer l’enfant, un parent peut simplement dire non,
offrir du réconfort et récolter ses « larmes de futilitél » tel que discuté
au chapitre 7. Il y a des moments où la meilleure stratégie de
discipline, c’est de présenter ce qui ne fonctionnera pas, ne peut pas
fonctionner et ne devrait pas fonctionner.
Au fur et à mesure qu’un enfant devient plus volontaire, ses
rencontres avec la futilité et le besoin d’inviter ses larmes vont
probablement augmenter. Une mère nous a partagé l’histoire
suivante au sujet de sa fille de deux ans :

Nous étions à la plage et j’avais mis un chapeau à ma fille, mais elle l’ôtait sans
arrêt malgré le fait que j’essayais de la distraire. Je l’ai remis sur sa tête et lui ai dit :
« Non, on doit porter notre chapeau. » Elle m’a regardée et l’a encore ôté. J’ai dit
« Non ! » et l’ai remis sur sa tête. Ce jeu a duré une bonne vingtaine de minutes et
elle criait et pleurait. J’étais patiente avec elle, lui disant que je comprenais qu’elle
soit frustrée, mais j’ai décidé qu’il était temps, pour moi, de récolter ses larmes à
propos d’un chapeau qui doit être porté.

Ces petites rencontres avec la futilité aident à préparer le terrain


pour les plus grands enjeux à venir.

Quatre solutions compensatrices pour l’immature et le difficile à gérer

1. ASSUMER LA RESPONSABILITÉ POUR L’ENFANT QUI SE MET DANS LE PÉTRIN


Quand un enfant est constamment en difficulté, la meilleure stratégie
de discipline est de le placer sous l’œil vigilant d’un adulte qui
accepte la responsabilité de guider ses interactions et de gérer son
comportement avant que cela ne devienne un problème. Par
exemple, mettre les enfants ensemble autour d’un bac à sable
quand l’un d’eux est rempli d’énergie d’attaque ne fait que rendre
inévitable le fait que quelqu’un soit blessé. Si l’adulte sait qu’il y aura
probablement une querelle, alors la supervision est requise pour
aider les enfants à partager et à attendre chacun leur tour.

LES QUATRE SOLUTIONS COMPENSATRICES


POUR L’IMMATURE ET LE DIFFICILE À GÉRER

1. Assumer la responsabilité pour l’enfant qui se met dans


le pétrin.
2. Utiliser des structures et rituels pour orchestrer les
comportements désorganisés.
3. Changer les circonstances qui contrôlent l’enfant.
4. Scénariser les comportements souhaités pour l’enfant
immature.

Figure 10.5 Tiré du cours de Neufeld Comprendre la discipline.

Si un enfant ne se met pas en prudence et montre peu de


crainte, c’est seulement la supervision d’un adulte qui l’aide à
demeurer hors de danger. S’il se chamaille constamment avec ses
frères et sœurs ou d’autres enfants, alors il ne peut être laissé sans
supervision. Les adultes doivent compenser pour un enfant,
particulièrement pour celui qui est facilement bouleversé
émotionnellement et qui a de la difficulté. Si un enfant est
imprévisible, alors un adulte doit prendre la responsabilité de les
garder, lui et les autres, en sûreté tout en protégeant la dignité de
l’enfant.
2. UTILISER DES STRUCTURES ET RITUELS POUR ORCHESTRER LES
COMPORTEMENTS DÉSORGANISÉS
Les jeunes enfants sont sujets à des réactions de contrevolonté,
donc la structure et la routine peuvent aider à orchestrer leurs
interactions à des moments où ils sont le plus susceptibles d’être
résistants, tels qu’à l’heure du coucher, aux repas ou lors des tâches
d’hygiène. Quand un enfant s’ajuste à une structure et à une routine,
on a moins besoin de lui donner d’instructions ou de commandes
pour qu’il se conforme. La structure et la routine aident également le
jeune enfant à s’orienter et à anticiper ce qui va se passer chaque
jour, rendant les transitions plus simples et moins bouleversantes.

3. CHANGER LES CIRCONSTANCES QUI CONTRÔLENT L’ENFANT


Un adulte ne peut contrôler un enfant qui n’est pas en contrôle de
lui-même, bien que cela n’empêche pas plusieurs d’essayer.
Lorsqu’un enfant est réellement bouleversé, il est souvent préférable
de changer les circonstances pour arriver à changer le
comportement. Par exemple, changer de décor, distraire l’enfant ou
aller avec lui jouer à quelque chose qu’il aime. Un père disait :
« Chaque fois que mon fils sensible est trop fatigué et grognon, il est
ingérable. Chaque fois qu’il commence à être fou, j’essaie
simplement de trouver quelque chose de différent à faire, comme lire
un livre de recettes pour choisir un dessert, jouer de la musique,
regarder une vidéo drôle d’animaux sur l’ordinateur ou simplement
aller dehors avec lui. »

4. SCÉNARISER LES COMPORTEMENTS SOUHAITÉS POUR L’ENFANT IMMATURE


Les jeunes enfants sont incapables de bien lire un contexte, alors ils
sont souvent peu conscients de comment se conduire de façon
appropriée dans certaines situations. Les adultes peuvent donner à
l’enfant un scénario pour son comportement, incluant des
instructions, étape par étape, à savoir comment se comporter. Il
existe plusieurs façons de scénariser des comportements et des
situations pour favoriser les bonnes manières et gérer un conflit avec
des pairs. Prenons en exemple ce que la mère de ces enfants de
quatre et deux ans a dit :

Mes enfants étaient allés visiter mes beaux-parents et, à leur retour, ma belle-mère
m’a dit que les enfants avaient été méchants avec son chien. Mes enfants n’avaient
jamais été près d’un chien, alors ne savaient pas quoi faire avec celui-là. Je leur ai
dit que le chien avait eu peur d’eux et qu’ils devaient le traiter différemment. Je leur
ai demandé ce qu’ils pensaient pouvoir faire pour être plus gentils. Mon plus vieux
a répondu : « On ne lui collera pas d’autocollant sur la fourrure et on ne le coloriera
pas avec des crayons-feutres. Oh ! Et on n’embarquera pas dessus. » Après leur
avoir confirmé que c’étaient là de très bonnes idées, j’ai pris un de leurs animaux
en peluche et leur ai montré comment flatter un chien et être gentil avec lui. La
visite suivante avec le chien s’est beaucoup mieux déroulée.

Lignes directrices spéciales pour gérer les conflits entre frères et sœurs

QUAND DES FRÈRES ET SŒURS ou de jeunes enfants se chamaillent, les


adultes doivent prendre la responsabilité de restaurer l’ordre. Il y a
plusieurs principes à garder en tête lorsqu’on gère un conflit entre
frères et sœurs :

Prendre le rôle dominant dans la gestion des interactions. On ne


devrait pas laisser les jeunes enfants régler leurs conflits eux-
mêmes. Étant donné qu’ils n’ont pas développé la considération
et qu’il leur manque l’habileté de considérer simultanément les
deux côtés du problème, il est fort peu probable qu’ils arrivent à
une solution juste et civilisée pour régler leur chicane. L’adulte
doit communiquer qu’il prend les choses en mains et décider
comment trouver une issue à cette impasse.

Ne pas être juge et jury. Quand un adulte prend position en tant


que juge et jury et décide du verdict dans le conflit entre ses
enfants, le jeune enfant percevra cela comme une brèche dans
sa relation avec l’adulte si celui-ci ne prend pas sa défense. De
plus, si un parent n’est pas témoin du conflit, il doit se fier sur
une information incomplète et une perspective à laquelle il
manque l’appréciation du contexte, ce qui peut causer un
jugement injuste.

Accompagner l’expérience d’un enfant. Bien qu’un adulte puisse


être en désaccord avec la façon dont ses enfants agissent les
uns avec les autres, il peut accompagner les sentiments de
chacun : « Je vois que tu es en colère contre ta sœur parce
qu’elle ne veut pas jouer avec toi » ou « Je vois que ça te
dérange que ton frère te suive partout et veuille jouer avec toi. »
Accompagner les sentiments de chaque enfant aidera à
protéger la relation et à communiquer que quelqu’un est
responsable d’eux et gère la situation. Cela peut être fait en
privé avec chacun des enfants ou au milieu du désaccord, selon
ce que le parent juge approprié.

Ne pas exiger que l’enfant se dise désolé tant qu’il ne le ressent


pas sincèrement. Au lieu de demander que des enfants
s’excusent l’un à l’autre sur-le-champ, demandez-leur plutôt de
le faire quand ils ressentiront qu’ils ont des excuses en eux. Un
enfant peut avoir besoin d’un rappel, un peu plus tard :
« Maintenant, c’est peut-être le bon moment pour t’excuser si tu
te sens désolé. » Imposer des excuses hors de tout remords,
par contre, ne fera rien de bon et empirera probablement les
choses.

Chercher des raisons sous-jacentes quand le conflit est


chronique et omniprésent. Quand un jeune enfant est rempli
d’énergie d’attaque, il est important de considérer pourquoi il
ressent tant de frustration. Parfois, il vit trop de séparations et
sa frustration se relâche sur le sujet le plus disponible : les
frères et sœurs. Parfois, l’enfant ne dispose pas encore de
sentiments de bienveillance et il est rempli d’alarme et d’énergie
d’attaque. La restauration des sentiments vulnérables diminuera
les conflits entre frères et sœurs.

Lorsqu’ils disciplinent de jeunes enfants, ce que les adultes


doivent le plus garder en tête, c’est que les enfants en savent plus
que ce qu’ils manifestent à travers leurs comportements. Ils ont le
désir d’être bons pour ceux à qui ils sont attachés, mais leur
immaturité en entrave souvent la réalisation. Une discipline
artificielle, arrangée et qui utilise l’alarme d’attachement pour
modifier le comportement d’un enfant court au désastre ; elle érode
les conditions nécessaires pour favoriser la croissance et la maturité.
Nous ne pouvons pas mener un enfant qui ne nous a pas donné son
cœur. La bonne discipline protège la bonne relation entre l’adulte et
le cœur tendre de l’enfant.
11

Quand les jeunes enfants


font grandir les adultes

Dis-moi qui tu aimes et je te dirai qui tu es.


ARSÈNE HOUSSAYE1

A NNA se sentait complètement vaincue et implorait les gens


autour d’elle : « N’y a-t-il rien d’autre que vous puissiez faire
pour moi ? » Les précédentes 10 heures de sa vie avaient rempli
son corps de douleurs intenses, son cœur d’anticipation et son esprit
de doute.
À minuit, son corps avait décidé que le moment était venu. Alors
que son époux commençait à compter les contractions, elle lui a
demandé de mettre dans une valise ce qu’il y avait d’inscrit sur sa
liste. Pendant que Gregg comptait les secondes, son attention
divisée entre sa montre et Anna, il lisait son écriture : « Emporter
des vêtements confortables de détente. » Avec, sur ses épaules, le
poids de la responsabilité de bien faire les choses, il a commencé à
montrer à Anna des pantalons et des hauts pour avoir son
approbation. Tout ce qu’il obtint, en échange, furent les cris féroces
d’Anna qui lui disait : « Sérieusement ? Est-ce que ça a l’air
confortable, pour toi, ça ? Tu appelles ça des vêtements de
détente ? » Et c’est ainsi, au petit matin, qu’Anna et Gregg ont
commencé leur voyage vers la parentalité : incertains, déterminés,
excités, dépassés et impatients de voir arriver l’enfant qu’ils avaient
déjà commencé à aimer.
Au lever du soleil, la mère et la sage-femme d’Anna sont arrivées
pour l’escorter à l’hôpital. Après plusieurs heures de travail, ses
contractions étaient espacées de 90 secondes ; Anna en avait eu 10
en se rendant à la voiture. Elle se souvient de s’être sentie furieuse
quand les gens ne se tassaient pas du chemin, sur la route. « Je
regardais l’heure, 6 h 52, est-ce que ces gens s’en vont au travail ?
Le monde entier agit normalement comme si c’était un jour comme
tous les autres ? Ne voyaient-ils pas que j’étais en train
d’accoucher ? Je voulais hurler comme Fezzik dans La Princesse
Bouton d’Or “TASSEZ-VOUS TOUT LE MONDE” et juste me rendre
à l’hôpital. »
À l’hôpital, ses demandes insistantes pour être soulagée de sa
douleur l’amenèrent à se faire donner du gaz. « Je suis devenue
accroc au gaz, c’était devenu mon rituel de respiration. Je devais
respirer à fond encore et encore, avec l’aide de Gregg. » Deux
heures et demie plus tard, elle s’est fait dire que le travail n’avait pas
progressé. Elle était coincée dans une ronde perpétuelle de douleur
et d’exaspération. Pour la première fois depuis que le travail avait
commencé, Anna se sentait vaincue, comme si elle n’avait aucun
contrôle sur rien ; « tout ne faisait que m’arriver, sans que je puisse y
faire quoi que ce soit ».
Anna se souvient clairement du moment où les choses ont
commencé à changer. Sa sage-femme l’a regardée bien en face et
lui a dit : « Tu vas le faire. » Anna a raconté ceci : « Peu importe la
raison pourquoi, ça a déclenché le sentiment que je pouvais le faire,
que je faisais tout ce qui devait être fait. » Et le travail a tout de suite
changé. Au milieu de l’intense douleur, Anna se souvient s’être
sentie de nouveau comme une participante active au travail. C’était
comme si son corps avait répondu et qu’il commençait à faire les
choses de manière plus intuitive et moins réactive. Avec du recul,
elle reconnaît que le plus difficile a été d’être cette « personne
mature et de ne pas paniquer et de réaliser que plus tu combats,
plus difficile c’est pour toi. J’avais besoin de me relâcher dans ce
moment précis et d’accueillir cette douleur-là afin de trouver mon
chemin », dit-elle. Pendant les deux heures suivantes, Anna s’est
concentrée, lors de chaque respiration, sur quelques mots pour la
guider. Elle a commencé à parler à son fils et lui a répété, encore et
encore : « Je t’invite, je t’invite, je t’invite. » Et c’est sur cette
généreuse invitation d’exister que son fils, Matthew, est venu au
monde.
En écoutant le récit d’Anna, j’étais touchée de constater tout ce
qui vient avec le fait de devenir parent, cette incroyable expérience
qui change profondément notre vie et la transforme à jamais. Il y a la
douleur, le travail, l’exaspération, la frustration, l’inquiétude, l’agonie,
la défaite, le sentiment d’être dépassé et l’anticipation qui semble ne
jamais aboutir. Mais il y a aussi l’ignition d’instincts profonds et
d’émotions qui poussent, alimentent et conduisent un parent vers la
découverte qu’il est la réponse à tous les besoins de son enfant. Peu
importe la façon dont on devient parent : adoption, césarienne, mère
porteuse ou accouchement vaginal, l’activation de ces instincts, c’est
la manière dont les jeunes enfants font grandir leurs parents. On
peut ne pas avoir souhaité cette expérience de croissance, cette
carte routière de nos imperfections ou cette mise en lumière de notre
immaturité, mais c’est le lot qui accompagne l’arrivée d’un enfant
qu’on élèvera. Alors que nous bougeons pour assumer le poids de la
responsabilité de prendre soin de lui, nous venons au monde en tant
que parent. Et être parent, c’est plus qu’une simple liste de choses à
faire ; cela a tout à voir avec qui nous sommes pour nos enfants et
qui nous devenons parce que nous les aimons.

Les émotions qui viennent avec le fait d’être parent

LES PARENTS ont aussi des sentiments ; et beaucoup. Ils sont parfois
inattendus, indésirables et dérangeants, mais ils se manifesteront
néanmoins en nous. Nous pouvons même parfois nous rendre
compte, à notre grand étonnement, que nous pouvons aussi faire
des crises de colère et nous obstiner dans la résistance comme le
font nos enfants. Élever un enfant représente une occasion unique
pour la maturation émotionnelle, mais celle-ci ne se produira pas
sans quelques douleurs de croissance. Les enfants ont le pouvoir de
susciter en nous des émotions dont nous nous ignorions capables.
Comme le ferait un miroir, ils sont la réflexion de notre immaturité,
nous révèlent nos points faibles et nous forcent à faire connaissance
avec nous-même encore et encore. Aimons-nous ce que nous
voyons ? Sommes-nous dérangés par notre propre image quand
nous regardons nos enfants blessés, confus ou effrayés ? Plusieurs
parents se demandent s’il y a un moyen de se débarrasser de toutes
les émotions qui bouleversent, submergent et prennent par surprise
en plus d’avoir à élever un jeune enfant. La réponse est non, mais
cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas prendre la
responsabilité de nos réponses émotionnelles.
La maturité émotionnelle ne signifie pas qu’un parent a cessé
d’être bouleversé par les sentiments et les émotions qu’il vit en
relation avec son enfant. La maturité émotionnelle, c’est la façon
dont on accepte ces sentiments que notre enfant fait naître en nous
et le fait de leur faire de la place. En tant que parents, nous pouvons
décider de mieux gérer le contenu de notre cœur. Ce faisant, nous
découvrirons probablement que les réactions immatures d’un jeune
enfant nous poussent à devenir plus tempérés dans nos réactions.
Par exemple, la frustration d’un parent rencontre le désir de créer la
maîtrise de soi, et la peur rencontre le désir de trouver le courage.
Peut-être que la plus grande vertu à laquelle nous puissions aspirer
est de devenir un être humain tempéré. Il n’y a pas de force
comparable à celle d’un jeune enfant pour ce qui est de tester nos
limites. Prendre soin d’un jeune enfant fera appel au besoin de
maîtrise de soi, à la patience, à la considération, au courage, au
pardon et au sacrifice. Les six vertus d’un tempérament mature tel
que vu au chapitre 2. C’est un des paradoxes de la vie que pendant
que nous élevons nos jeunes enfants, ils donnent naissance au
même processus en nous. Le synchronisme de la croissance d’un
parent et d’un enfant est ironique, mais magnifique. Pour assurer
que cette croissance se produise, on ne peut laisser se refroidir
l’amour que l’on a pour nos enfants. Nous avons besoin de
suffisamment de contacts et de rapprochements pour remplir notre
rôle de parent. On ne peut confier en sous-traitance à personne
d’autre notre rôle d’être la réponse pour notre enfant et son meilleur
atout.
En prenant la responsabilité de ses émotions, un parent devrait
chercher à préserver sa relation avec son enfant et à protéger son
cœur des blessures. Il réalisera que les émotions les plus difficiles à
combattre en son enfant sont les mêmes qu’il n’a pas invitées en lui.
Parfois, ce seront les frustrations et les crises de colère qui mettront
le feu aux poudres. Ce parent a-t-il eu de la difficulté à trouver ses
propres larmes lorsqu’il faisait face aux contraintes de la vie ? Si un
parent ne peut tolérer l’incessant besoin de lui qu’a son enfant ou sa
dépendance, est-ce parce qu’il a lui-même de la difficulté avec ses
émotions vulnérables ou avec le fait d’être un parent alpha qui est
responsable de quelqu’un d’autre ?
Quand on éprouve de la difficulté à accepter les émotions de
notre enfant, la solution n’est pas de nous plonger dans
l’autocontemplation, mais de revenir à notre rôle de parent. C’est
notre amour pour un enfant qui nous propulsera vers la
compréhension de ce que nous devons faire de nos émotions face
aux siennes. On fait face au plus grand défi de la parentalité quand
on se tient au cœur du conflit entre la façon dont on traite un enfant
et la façon dont on voudrait vraiment prendre soin de lui. Ce n’est
pas en vase clos que les parents deviennent plus émotionnellement
matures, mais bien en aspirant à être la réponse à tous les besoins
de l’enfant. C’est notre amour pour un enfant qui a le pouvoir de
nous changer pour le mieux. Cela demande le courage de regarder
la distance entre la façon dont nous agissons avec l’enfant et celle
que nous visons, ainsi que le courage d’accepter la culpabilité qui
viendra et de la laisser nous diriger sur la bonne voie. L’ironie, c’est
que plus on devient émotionnellement mature, plus on se rend
compte de toutes les fois où l’on ne réussit pas bien les choses.
Il peut y avoir des moments où l’on doit se retirer de notre rôle
actif de parent et prendre une pause pour rassembler nos émotions
et sentiments. Ce faisant, on ne veut pas transmettre à l’enfant le
sentiment que nous ne pouvons pas prendre soin de lui, qu’il est
accaparant ou que nos émotions ont gagné. On ne veut procéder
que lorsque la frustration qu’on ressent peut être tempérée par notre
désir de ne blesser personne. Il y aura également des moments où
l’on aura à réparer notre relation avec un enfant parce que nos
émotions lui auront explosé en pleine figure. En lui faisant des
excuses sincères, nous n’avons pas besoin de lui demander s’il
nous pardonne et ne devrions pas lui demander de renoncer à sa
colère et à sa tristesse tant qu’il n’est pas prêt.

Que faisons-nous avec la culpabilité ?

ON NE PEUT ÉCHAPPER aux sentiments de culpabilité ; ce terrain sera


largement arpenté à travers notre vie de parent. La culpabilité
provient du fait que l’on assume la responsabilité d’un enfant et
qu’on prend soin de lui. Ce sentiment nous prendra parfois par
surprise quand quelque chose de mal se produit ou que quelque
chose ne fonctionne pas, ou encore quand on n’arrive pas à
s’occuper de l’enfant. Parfois, la culpabilité se cache juste sous la
surface de notre pleine conscience pendant qu’on tente de la
repousser en dirigeant notre énergie à prendre le contrôle d’autres
choses. Notre culpabilité peut nous pousser au surfonctionnement, à
devenir trop prudent ou à être trop préoccupé par l’enfant et son
comportement. Au lieu de ressentir directement notre culpabilité, nos
occupations nous procurent un bouclier et un soulagement
temporaire.
La culpabilité peut être insupportable quand on prend en
considération nos imperfections et nos incompétences. Cependant,
les sentiments de culpabilité sont faits pour diriger les parents vers
ce qu’ils peuvent changer et là où ils pourront faire une différence,
de même qu’à les aider à prendre la décision d’agir autrement. Il y
aura tout de même des moments où la seule réponse à la culpabilité
sera de laisser couler nos larmes. Ce sera le chagrin qui nous
procurera l’apaisement envers les choses que l’on regrette, les
moments où l’on ne réussit pas et le fait que nous soyons parfois
impuissants à changer l’univers d’un enfant comme on aimerait le
faire. C’est l’expression de notre culpabilité à travers des mots qui
libérera les larmes qui doivent couler. Et ce sont ces larmes qui nous
donnent un sursis du sentiment de ne pas être un assez bon parent,
qui nous ronge à l’intérieur.
Ce n’est pas la tâche de nos enfants que de supporter la
culpabilité parentale ou de recevoir notre chagrin et notre humilité.
Ce n’est pas non plus leur tâche d’écouter nos émotions sans filtre ni
nos sentiments à propos d’être leur parent. Les enfants ne sont pas
faits pour voir que nous nous sentons incertains ou perdus au sujet
de ce que nous faisons. Notre confusion et nos conflits intérieurs
devraient être cachés pour que l’enfant ne sente pas que nous
sommes incapables de nous occuper de lui. Mais cela ne veut pas
dire que nous ne devrions pas chercher de l’aide auprès d’autres
adultes quand nous sommes coincés. Cela signifie que nous devons
transmettre à notre enfant que nous sommes responsables de nos
propres sentiments et nos propres gestes.
La culpabilité est là pour aider un parent à se lever chaque jour,
résolu à être la meilleure réponse pour son enfant et à être
concentré à atteindre ses intentions pour ce qui est de prendre soin
de l’enfant. Le seul fait que la culpabilité existe chez nous est
l’expression même de notre plus profond désir d’être le meilleur
atout de notre enfant.

Devenir la réponse aux besoins de notre enfant

DANS LE FAIT D’ÊTRE PARENT, les élans à la croissance proviennent de


ce qu’on accepte la responsabilité d’être la réponse à un enfant.
Cela signifie qu’on cherche à être la réponse à sa faim de contacts
et de proximité, à sa faim de similitudes, à sa faim pour un sentiment
d’appartenance, à sa faim d’être significatif, d’être aimé et d’être
connu. Cela signifie d’occuper la place qui nous revient de droit pour
le mener et de devenir sa boussole, son point de repère, son
réconfort, son guide, son professeur, son protecteur, son agent
d’évaluation de la futilité et son port d’attache. Plus précisément
encore, être la réponse d’un enfant, c’est de s’assurer qu’il ressent
une invitation à être en notre présence à travers les circonstances et
les comportements. Les enfants ne devraient pas avoir à se
comporter d’une certaine façon pour être aimés ; ils devraient être
aimés, peu importe la façon dont ils se comportent.
S’il y a une chose qui importe le plus dans le fait d’élever un
enfant, c’est de faire tout notre possible pour devenir un parent
bienveillant. Cela demande de ne pas imposer de conditions à notre
invitation à la relation avec l’enfant ni de vouloir que l’enfant
corresponde à nos valeurs. Cela signifie que lorsque l’enfant échoue
à nous faire plaisir ou à répondre à nos attentes, nous allons
continuer de transmettre notre désir d’être proche de lui. Être un
parent bienveillant, c’est ce que signifie d’aimer inconditionnellement
un enfant ; c’est la façon de devenir son havre de repos et
d’apaisement pour qu’il puisse jouer et grandir.
Je me souviens à quel point c’était merveilleux quand j’ai fait
l’expérience de l’invitation inconditionnelle d’exister de la part de
mon grand-père, quand j’avais cinq ans. J’étais dans son jardin et je
voulais lui faire plaisir, alors j’ai travaillé fort pour cueillir toutes les
fleurs et les petits légumes de ses plants. J’avais replié les coins de
ma chemise et fabriqué un seau improvisé pour transporter mes
trésors jusqu’à lui. Je l’ai trouvé alors qu’il parlait avec mes parents
et je les ai interrompus pour leur montrer, fièrement, le contenu de
son jardin dans ma chemise. J’étais surprise de voir l’expression
d’horreur sur son visage. Et avec son superbe accent d’argot typique
de la capitale britannique, il s’exclama : « Oh, mon Dieu ! Elle a tout
cueilli ! Je n’aurai pas de légumes pendant des semaines ! » Je ne
comprenais pas ce que j’avais fait, mais je savais que c’était mal. Le
bonheur, la chaleur et l’invitation que j’avais tant désirés étaient
remplacés par la déception et la tristesse. Remplie d’angoisse, j’ai
commencé à reculer pour me trouver un endroit où me cacher. Mais
ensuite je l’ai entendu rire. Ce n’était pas qu’un simple rire, mais un
rire profond qui faisait tressauter son ventre et ronfler son nez. Il est
venu vers moi, m’a prise dans ses bras et m’a dit que c’était correct.
Que nous étions corrects. Je perçus l’étincelle dans ses yeux et mon
cœur recommença à battre lentement. J’ai fait le vœu de ne jamais
cueillir ses légumes sans sa permission. Ce qu’il m’a communiqué,
c’était que rien de ce que je pourrais faire ne me séparerait de son
amour.
Nous ne pouvons pas devenir la réponse de notre enfant avec
des livres, ni avec le mantra de quelqu’un d’autre, ni non plus avec
des instructions. Cette place doit naître au fond de nous, naître
d’instincts alpha et d’émotions vulnérables. C’est tout autant à
propos de prendre soin qu’à propos d’être responsable. Quand nous
considérons le monde extérieur pour nous diriger à être parent, nous
n’écoutons pas nos propres cœurs et esprits. Quand nous croyons
que des instructions sont nécessaires pour devenir le meilleur atout
de notre enfant, nous ressentons de la culpabilité quand nous
n’avons pas les réponses, au lieu de ressentir que nous sommes la
réponse de l’enfant. Nous n’utilisons pas notre intuition et notre
perception pour comprendre l’enfant, puisque nous croyons que les
réponses de quelqu’un d’autre sont supérieures aux nôtres.
Alors que nous nous efforçons de devenir le meilleur atout d’un
enfant, peut-être qu’il est lui-même aussi le nôtre. Son immaturité
appelle notre maturité. Son besoin intense de relation nous force à
vivre en communion avec d’autres personnes pour aider à l’élever et
à l’éduquer. Il nous rappelle quotidiennement le mystère, la
splendeur et les racines du développement de l’être humain.
Certaines personnes disent que la nature est absurde de nous livrer
des êtres aussi immatures, mais je ne peux m’empêcher de la
trouver sage. En tant qu’adultes, nous affrontons la vieillesse et la
séparation, mais en nous accrochant à nos enfants, nous sommes
forcés de regarder vers l’arrière, vers notre propre commencement.
La nature attache ensemble les extrémités de notre cycle de vie ; le
vieux se connecte au nouveau, les fins se fusionnent avec les
débuts, les opposés se croisent et se tissent, le paradoxal devient
transparent et infini. Ces invisibles liens qui attachent nos relations
nous retiennent ensemble, le cycle de la vie se déployant génération
après génération.

Qu’est-ce que signifie se reposer, jouer et grandir ?

PROCURER DE L’APAISEMENT est la contribution la plus significative que


des parents puissent faire pour aider un enfant à atteindre son
potentiel humain complet. Les parents doivent offrir amour et bons
soins pour que l’enfant n’ait pas à le faire. Les parents devront
assumer la responsabilité de communiquer à l’enfant qu’ils sont la
réponse à sa faim de relation. Ils devront fournir et protéger les
conditions qui permettent à l’enfant de jouer, de réussir et de
s’épanouir. Ils devront avoir confiance qu’ils sont de suffisamment
bons parents malgré leur culpabilité, leurs imperfections et leurs
incompétences.
Quand on amène un enfant à se reposer sous nos soins, il est
libre de devenir la personne que seul notre amour peut le faire
devenir. En retour, nous devenons les parents que seul notre amour
pour un enfant peut nous faire devenir. Nous devrons faire les
sacrifices requis, subir les tests de patience et de loyauté qui
viendront incontestablement, tolérer nos défauts qui apparaîtront à la
suite de nos efforts pour devenir sa meilleure réponse et avoir le
courage de croire que nous sommes son meilleur atout. Le fait d’être
parent, ce n’est pas d’être parfait, mais c’est de libérer nos enfants
d’avoir à travailler pour de l’amour et de leur permettre de tenir notre
invitation pour acquise.
L’objectif de la parentalité est de se retirer graduellement vers un
rôle consultatif tandis qu’on regarde un enfant devenir qui il doit être
et prendre les rênes de sa propre vie. Alors que nous vieillissons,
nous pouvons trouver du réconfort à savoir que nous avons été le
jardinier dont notre enfant avait besoin. Mon père m’a raconté
qu’après avoir pris sa retraite du travail, il s’est réveillé un matin
envahi d’une immense gratitude d’avoir pu vivre assez longtemps
pour connaître ses grands-parents et ses petits-enfants. Il m’a fait
penser qu’on ne fait pas qu’apaiser un enfant sous les soins de
quelqu’un d’autre, mais qu’en tant qu’adulte, nous trouvons aussi de
l’apaisement à prendre soin de quelqu’un.
Les années de la petite enfance sont les années magiques, mais
nous sommes à risque de perdre la beauté et l’innocence de cet
âge, la magie à laquelle les jeunes enfants croient, leur intégrité et la
pureté de vivre une seule émotion et une seule pensée à la fois. La
petite enfance est une période spéciale faite de comportements
impulsifs et égocentriques, qui apportent tant la joie que la
frustration. Les petits ont le droit d’être immatures et il serait bon que
nos énergies soient dépensées à considérer comment les laisser
être jeunes tout en les gardant en sécurité, en les laissant jouer, en
leur donnant des limites et en favorisant le jardin relationnel dans
lequel ils pourront croître.
Pendant l’écriture de Jouer, grandir, s’épanouir, j’ai demandé à
mes enfants pourquoi ils avaient l’impression d’être spéciaux et
aimés par leur père et moi. Leur réponse a changé de ce qu’elle était
quand ils étaient petits, spécialement maintenant qu’ils entrent dans
leurs années d’adolescence. Au lieu de me dire qu’ils ne savent pas
pourquoi ils sont aimés et spéciaux, ils m’ont dit : « Parce que je suis
à toi et que je suis moi. » Dans leur peu de mots, ils ont réussi à
capturer l’essence de ce que signifie jouer, grandir et s’épanouir :
parce que je suis à la maison avec toi, je suis libre de grandir et de
devenir moi. Mes enfants me rappellent quotidiennement que bien
qu’ils soient nés sous une forme immature, c’est un moment à la fois
que nous nous déployons dans notre capacité à devenir
complètement humain.
À propos de l’Institut Neufeld

L ’INSTITUT NEUFELD entend redonner aux parents leur rôle de


parents auprès de leurs enfants. Notre mission est d’utiliser la
science du développement afin de rallier les parents et les
enseignants à leur propre intuition naturelle. Toutes nos initiatives
partent du constat que le contexte permettant d’éduquer les enfants
réside dans leur attachement à ceux qui sont responsables d’eux.
L’Institut Neufeld a son siège social à Vancouver, au Canada, et
utilise la technologie Internet de fine pointe pour offrir de la formation
et de l’éducation dans le monde entier. Les membres de la faculté et
les animateurs de cours de l’Institut Neufeld pratiquent actuellement
dans 10 pays : le Canada, les États-Unis, le Mexique, l’Allemagne,
Israël, la Finlande, la Suède, le Danemark, l’Australie et la Nouvelle-
Zélande.
L’Institut Neufeld offre un programme d’éducation parental basé
sur des cours et des présentations en ligne et par l’entremise
d’événements locaux, ainsi qu’un programme d’éducation continue
pour les parents, les éducateurs et les professionnels. Des
programmes de formation existent pour ceux qui souhaitent animer
les cours de l’Institut Neufeld ainsi que pour aider les professionnels
qui cherchent à pratiquer cette approche par le biais de
consultations avec des parents.
Notre campus en ligne soutient un nombre grandissant de gens
qui enseignent et pratiquent le paradigme à travers le monde. Ce
campus est accessible en cinq langues et sert à joindre les étincelles
qui se produisent dans divers milieux à travers le monde. L’Institut
Neufeld est incorporé en tant que société à but non lucratif en
Colombie-Britannique et inscrit comme organisme de bienfaisance
au Canada. S’il vous plaît, consultez notre site Internet pour plus
d’informationsm.

À propos de Dr Gordon Neufeld

LE FONDATEUR de l’Institut Neufeld est un psychologue


développemental basé à Vancouver, ayant 40 ans d’expérience avec
les enfants, les jeunes et ceux qui en sont responsables. Autorité
éminente du développement de l’enfant, le docteur Neufeld est un
conférencier de renommée internationale, un auteur à succès
(Retrouver son rôle de parent) et le principal interprète du paradigme
du développement.
La réputation du docteur Neufeld est largement répandue pour
comprendre les problèmes complexes et pour ouvrir les portes au
changement. Autrefois actif dans l’enseignement universitaire et la
pratique privée, il consacre maintenant son temps à enseigner et à
former d’autres personnes, y compris des éducateurs et des
professionnels, à travers l’Institut Neufeld. Il a développé une série
de cours destinés aux parents, aux enseignants et aux
professionnels. Le docteur Neufeld apparaît régulièrement à la radio
et à la télévision. Il est père de cinq enfants et grand-père de six
petits-enfants.

Le matériel Neufeld

LE MATÉRIEL THÉORIQUE et les images utilisés pour Jouer, grandir,


s’épanouir sont tirés ou adaptés des cours et présentations suivants
avec la généreuse permission de Gordon Neufeld.

COURS
Classe intensive Neufeld 1 : Comprendre les enfants
Classe intensive Neufeld 2 : Problèmes et défis de l’enfance
Comprendre les enfants en bas âge
Comprendre le jeu chez l’enfant
Le puzzle de l’attachement
Les enfants alpha
Une question de cœur : la science de l’émotion
Comprendre l’agressivité
Comprendre l’anxiété
Comprendre les problèmes d’attention
Comprendre la contrevolonté
Comprendre la discipline
Remerciements

C ela a été à la fois formidable et satisfaisant d’écrire un livre à


propos des jeunes enfants, basé sur les travaux théoriques du
docteur Gordon Neufeld. Alors que je cherchais à fournir des
connaissances sur les jeunes enfants, j’essayais de comprendre
l’écriture, l’édition et la narration, tout en essayant de me
comprendre moi-même en tant qu’auteure. Sans le soutien
indéfectible des personnes suivantes, ces connaissances n’auraient
pas été partagées, pas plus que ce livre n’aurait été publié. Je suis
sincèrement reconnaissante à ceux qui ont eu ce projet
suffisamment à cœur pour partager leur temps, leurs récits et leur
expertise avec moi.
La science développementale dans ce livre a pris vie à travers
les histoires qui m’ont été généreusement racontées par des
parents, des éducatrices et éducateurs de la petite enfance, des
enseignantes et enseignants, des professionnels, des membres de
la faculté et des animateurs de cours de l’Institut Neufeld.
Bien que leur identité ne puisse être dévoilée, ces personnes
partageaient le désir commun de communiquer leurs histoires pour
illustrer et donner vie à la théorie exposée dans ce livre, espérant
ainsi aider les parents à mieux comprendre leurs jeunes enfants.
Plusieurs personnes ont appuyé ce projet, en me donnant leur
temps et leurs commentaires, en lisant des chapitres, en partageant
des idées, en recréant des histoires et en m’incitant à continuer
d’écrire, en particulier Bridgett Miller, Liz Hatherell, Kat Howe,
Catherine Kirkness, Sara Easterly, Marie Chernen, Stephanie Gold,
Eva Svensson, Bria Shantz, Tamara Strijack, Genevieve Schreier,
April Quan, Heather Ferguson, Dagmar Neubronner, Heather Beach,
Tracy Berretta, Tania Culham, Linda Quennec, Diana Teichrieb, Traci
MacNamara et Jennifer MacDonald. Merci pour tout votre soutien ;
cela m’a aidée à rester concentrée sur ce que les parents veulent
vraiment savoir.
Je tiens à remercier Traci Costa et toutes les personnes de
Peekaboo Beans pour leur soutien incroyable et pour croire autant
que moi à l’importance du jeu. Vous faites de beaux vêtements, êtes
champions des jeux d’enfants et faites de ce monde un meilleur
endroit pour que les enfants grandissent.
Je remercie Joy Neufeld d’avoir trouvé la phrase « se reposer,
jouer, grandir », qui encapsule la feuille de route de développement
avec à la fois simplicité et élégance. Gail Carney, professeure chérie
à l’Institut Neufeld, qui a gracieusement narré son histoire pour le
chapitre sur le jeu au cours des quelques semaines qui ont précédé
son décès, en accord avec sa véritable nature alpha bienveillante.
Mon seul regret est de ne pas avoir eu la chance de partager ce livre
avec elle. Je suis également reconnaissante du soutien continu de
l’Institut Neufeld et de toutes les personnes compatissantes et
dévouées, là-bas, qui s’efforcent d’aider les adultes à comprendre
leurs enfants. Travailler avec vous me rappelle un dicton que j’ai lu
une fois : « On se déplace plus vite en étant seul, mais plus loin en
étant ensemble. » J’aime être « ensemble » avec vous tous.
J’ai eu la chance de trouver une équipe de publication de rêve
chez Page Two Strategies, qui a travaillé avec diligence et
professionnalisme pour donner vie à l’édition originale de Jouer,
grandir, s’épanouir. Trena White a géré le projet éditorial et l’a dirigé
habilement, et Megan Jones m’a parfaitement associée avec toutes
les bonnes personnes dans des délais étroits. Stephanie Fysh, ma
correctrice, était méticuleuse et traitait le manuscrit avec grand soin.
Nayeli Jimenez a utilisé ses compétences en conception pour créer
une superbe couverture pour le livre en plus de recréer des images
à partir de diapositives de présentation. Shirarose Wilensky, mon
éditrice, a été réfléchie dans ses révisions et intuitive avec ses
suggestions, travaillant sans relâche pour donner vie à Jouer,
grandir, s’épanouir avec moi, mot à mot.
Je veux remercier Lucie Ricard pour la traduction du livre en
français, ainsi que Gabrielle Tremblay et toute l’équipe des Éditions
au Carré qui soutiennent mon travail. J’aimerais exprimer mes plus
sincères remerciements à Catherine Korah, de l’Institut Neufeld
francophone, pour avoir agi à titre d’intermédiaire entre Gabrielle et
moi et pour avoir donné si généreusement de son temps. Ta passion
et ton soin à partager ce matériel avec les parents de jeunes enfants
est une réelle inspiration. Je veux remercier également Geneviève
Brabant, Martine Demers et Ginette Gagné, de l’Institut Neufeld
francophone, qui ont lu la traduction avec attention et aidé Catherine
à l’adapter.
Je tiens à remercier Bridgett Miller, ma spécialiste passionnée de
réseaux sociaux, qui m’a généreusement guidée dans l’univers en
ligne et m’a présentée à des personnes qui, selon elle, étaient
alignées sur notre message. Sa compassion, son humour et sa
nature alpha, bienveillante et protectrice, ont fait de ce voyage dans
la mise en marché une aventure très agréable.
Je tiens à exprimer ma sincère reconnaissance à Elana Brief, qui
a généreusement donné de son temps pour déterrer le matériel de
fond et compiler toutes les références, lire et modifier les chapitres,
fournir des suggestions de contenu et prêter à la fois son soutien
moral et son humour si appréciés tout au long de l’écriture de Jouer,
grandir, s’épanouir. L’image de toi, assise entre des piles de livres à
la bibliothèque, un jeune enfant sur les genoux tandis que tu
cherches du matériel, met encore un sourire sur mon visage.
Je suis redevable à Gordon Neufeld d’avoir si généreusement
partagé avec moi son matériel, son enthousiasme en tant que
professeur, son intelligence de théoricien ainsi que sa chaleureuse
invitation à apprendre et à travailler avec lui, m’encourageant à
chaque étape. Vous êtes un véritable héros de tous les enfants et la
solution pour les parents qui s’efforcent d’être le meilleur atout de
leur enfant.
À mes parents, mes sœurs, mes amis, merci de vos
encouragements et de votre compréhension alors que je me retirais
pour écrire. Je vous aime toutes et tous profondément. À Chris, avec
qui je partage la merveilleuse aventure d’être parent et à mes
enfants, Hannah et Madeline, vous trois êtes mon aire de repos et
d’apaisement où je continue de jouer et de grandir.
À propos de l’auteure

L A DOCTEURE Deborah MacNamara est une conseillère clinicienne


et une éducatrice ayant plus de 25 ans d’expérience de travail
auprès des enfants, des jeunes et des adultes. Elle est professeure
à l’Institut Neufeld, exerce une pratique de conseil privée et
prononce régulièrement des conférences au sujet du développement
de l’enfant et de l’adolescent aux parents, aux éducatrices et
éducateurs de services de garde, aux professeurs et aux
professionnels en santé mentale. Elle continue d’écrire, de donner
des entrevues à la radio et à la télévision et de parler des besoins
des enfants et des jeunes en fonction de la science
développementale. Deborah réside à Vancouver, au Canada, avec
son mari et leurs deux enfants.
Notes bibliographiques

Introduction. Pourquoi « comprendre » est si important


1. KRISHNAMURTI, Jiddu. Education and the Significance of Life, New York, Harper,
(1953) 1981, p. 47.

Chapitre 1. Comment les adultes élèvent les jeunes enfants


1. H NH, Thích Nh t. How to Love, Berkeley, CA, Parallax Press, 2015, p. 10.
2. PRITCHARD, Michael S. « On Taking Emotions Seriously : a Critique of B. F. Skinner »,
Journal for the Theory of Social Behaviour, vol. 6, no 2, 1976, p. 211-232.
3. ROGERS, Carl R., Howard KIRSCHENBAUM et Valerie LAND HENDERSON. Carl
Rogers : Dialogues : Conversations with Martin Buber, Paul Tillich, B. F. Skinner,
Gregory Bateson, Michael Polanyi, Rollo May, and Others, Boston, Houghton Mifflin,
1989.
4. WATSON, John B. Behaviorism, Chicago, University of Chicago Press, 1930, p. 82.
5. NEUFELD, Gordon et Gabor MATÉ. Hold On to Your Kids : Why Parents Need to Matter
More Than Peers, New York, Ballantine Books, 2014 ; SIEGEL, Daniel J. The
Developing Mind : How Relationships and the Brain Interact to Shape Who We Are, New
York, Guilford Press, 2012.
6. PANKSEPP, Jaak et Lucy BIVEN. The Archaeology of Mind : Neuroevolutionary Origins
of Human Emotions, New York, W. W. Norton, 2012 ; DAMASIO, Antonio. Descartes’
Error : Emotion, Reason, and the Human Brain, London, Vintage Books, 2006.
7. Cité dans BRENDTRO, Larry K. « The vision of Urie Bronfenbrenner : Adults who are
crazy about kids », Reclaiming Children and Youth : The Journal of Strength-Based
Interventions, vol. 15, no 3, 2006, p. 162-166, www.cyc-net.org/cyc-online/cyconline-
nov2010-brendtro.html.
8. NEUFELD, Gordon. Neufeld Intensive I : Making Sense of Kids, Vancouver, BC, Neufeld
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kids/ ; NEUFELD, Gordon. Neufeld Intensive II : The Separation Complex, Vancouver,
BC, Neufeld Institute, 2007, http://neufeldinstitute.org/course/neufeld-intensive-ii/ ;
SIEGEL, Daniel J. The Developing Mind ; KAREN Robert. Becoming Attached : First
Relationships and How They Shape Our Capacity to Love, Oxford, Oxford University
Press, 1998 ; BOWLBY, John. Attachment and Loss, New York, Basic Books, 1969 ;
GERHARDT, Sue. Why Love Matters : How Affection Shapes a Baby’s Brain, London,
Brunner-Routledge, 2004 ; LEWIS, Thomas, Fari AMINI et Richard LANNON. A General
Theory of Love, New York, Random House, 2000.
9. BOWLBY, John. « Maternal care and mental health », Bulletin of the World Health
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10. PARKER, Kim. « Families may differ, but they share common values on parenting »,
Washington, DC, Pew Research Center, 18 September 2014, http://pewrsr.ch/XKVyIf.
11. NEUFELD, Gordon. Neufeld Intensive I : Making Sense of Kids, Vancouver, BC, Neufeld
Institute, 2013, http://neufeldinstitute.org/course/neufeld-intensive-i-making-sense-of-
kids/.
12. WHITE, Sheldon. « Evidence for a hierarchical arrangement of learning processes »,
Advances in Child Development and Behavior, vol. 2, 1965, p. 187-220.
13. SAMEROFF, Arnold J. et Marshall M. HAITH, éditeurs. The Five to Seven Year Shift :
The Age of Reason and Responsibility, Chicago, University of Chicago Press, 1996.
14. NEUFELD, Gordon et Gabor MATÉ. Hold On to Your Kids.
15. BRAZELTON, T. Berry. To Listen to a Child : Understanding the Normal Problems of
Growing Up, Reading, MA, Addison-Wesley, 1984, p. 56.
16. ZIGLER, Edward et Elizabeth GILMAN. « The legacy of Jean Piaget », dans Gregory A.
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20. CASTELLS, Manuel. The Rise of the Network Society, Oxford, Wiley-Blackwell, 2010.
21. ISAACSON, Walter. Steve Jobs, New York, Simon & Schuster, 2011, p. 571.

Chapitre 2. La personnalité de l’enfant d’âge préscolaire : mi-beauté, mi-bête


1. SOPHOCLES. Ajax (5th century BC), dans The Dramas of Sophocles Rendered in
English Verse, Dramatic & Lyric, London, Forgotten Books, 2013, p. 58-59.
2. NEUFELD, Gordon. Making Sense of Preschoolers, Vancouver, BC, Neufeld Institute,
2013, http://neufeldinstitute.org/course/making-sense-of-preschoolers/.
3. ELIOT, Lise. What’s Going On in There ? How the Brain and Mind Develop in the First
Five Years of Life, New York, Bantam Books, 2000 ; GOPNIK, Alison. The Philosophical
Baby : What Children’s Minds Tell Us about Truth, Love, and the Meaning of Life, New
York, Farrar, Straus et Giroux, 2009 ; SIEGEL, Daniel J. The Developing Mind : How
Relationships and the Brain Interact to Shape Who We Are, New York, Guilford Press,
1999.
4. SIEGEL, Daniel J. The Developing Mind.
5. GOPNIK, Alison. The Philosophical Baby.
6. SIEGEL, Daniel J. The Developing Mind.
7. ELIOT, Lise. What’s Going On in There ? ; SIEGEL, Daniel J. The Developing Mind.
8. ELIOT, Lise. What’s Going On in There ?
9. ELIOT, Lise. What’s Going On in There ?
10. SHAW, Philipp., Kristen ECKSTRAND, Wendy SHARP, Jonathan BLUMENTHAL,
Jason LERCH, Deanna GREENSTEIN, Liv CLASEN, Arthur EVANS, Jay GIEDD et
Judith RAPOPORT. « Attention-deficit/hyperactivity disorder is characterized by a delay
in cortical maturation », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United
States of America, vol. 104, no 49, 2007, p. 19649-19654.
11. SIEGEL, Daniel J. et Tina PAYNE BRYSON. The Whole Brain Child : 12 Revolutionary
Strategies to Nurture Your Child’s Developing Mind, New York, Bantam Books, 2012.
12. WHITE, Sheldon. « Evidence for a hierarchical arrangement of learning processes »,
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13. SIEGEL, Daniel J. The Developing Mind.
14. ELIOT, Lise. What’s Going On in There ?
15. SAMEROFF, Arnold J. et Marshall M. HAITH, éditeurs. The Five to Seven Year Shift :
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16. WEISNER, Thomas S. « The 5 to 7 Transition as an Ecocultural Project », dans
SAMEROFF, Arnold J. et Marshall M. HAITH, The Five to Seven Year Shift, p. 295-326.
17. SIEGEL, Daniel J. The Developing Mind ; GERHARDT, Sue. Why Love Matters : How
Affection Shapes a Baby’s Brain, New York, Brunner-Routledge, 2004 ; NEUFELD,
Gordon et Gabor MATÉ. Hold On to Your Kids : Why Parents Need to Matter More Than
Peers, New York, Ballantine Books, 2014 ; LEWIS, Thomas, Fari AMINI et Richard
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21. BOYCE, W. Thomas et Bruce J. ELLIS. « Biological sensitivity to context ».
22. NEUFELD, Gordon. Neufeld Intensive I : Making Sense of Kids, Vancouver, BC,
Neufeld Institute, 2013, http://neufeldinstitute.org/course/neufeld-intensive-i-making-
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23. DEATON, Angus et Arthur A. STONE. « Evaluative and hedonic wellbeing among those
with and without children at home », Proceedings of the National Academy of Sciences
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24. EVANS, William N., Melinda S. MORRILL et Stephen T. PARENTE. « Measuring
inappropriate medical diagnosis and treatment in survey data : The case of ADHD
among school-age children », Journal of Health Economics, vol. 29, 2010, p. 657-673.
25. SRIPADA, Chandra S., Daniel KESSLER et Mike ANGSTADT. « Lag in maturation of
the brain’s intrinsic functional architecture in attention-deficit/hyperactivity disorder »,
Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol.
111, 2014, p. 14259-14264.
26. ABRAHAM, Carolyn. « Failing boys. Part 3 : Are we medicating a disorder or treating
boyhood as a disease ? », The Globe and Mail, 18 October 2010,
www.theglobeandmail.com/news/national/time-to-lead/part-3-are-we-medicating-a-
disorder-or-treating-boyhood-as-a-disease/article4330080/ ?page=all.
27. Sous-comité sur les troubles de l’attention et de l’hyperactivité, comité consultatif sur
l’amélioration de la qualité et la gestion, « ADHD : Clinical practice guideline for the
diagnosis, evaluation, and treatment of attention-deficit/hyperactivity disorder in children
and adolescents », Pediatrics, vol. 128, 2011, p. 1007-1022.
28. COON, Eric R., Ricardo A. QUINONEZ, Virginia A. MOYER et Alan R. SCHROEDER,
« Overdiagnosis : How our compulsion for diagnosis may be harming children »,
Pediatrics, vol. 134, 2014, p. 1013-1023 ; FORD-JONES, Polly Christine. « Misdiagnosis
of attention deficit hyperactivity disorder : “Normal behaviour” and relative maturity »,
Paediatrics & Child Health, vol. 20, 2015, p. 200-202.
29. ELDER, Todd E. « The importance of relative standards in ADHD diagnoses : Evidence
based on exact birth dates », Journal of Health Economics, vol. 29, 2010, p. 641-656.
Richard Morrow et ses collègues de l’Université de Colombie-Britannique au Canada ont
comparé les taux de diagnostics de TDAH entre les plus jeunes enfants (nés dans le
mois qui précède la date buttoir d’inscription scolaire) et les plus vieux enfants (nés dans
le mois après) dans un échantillon de plus de 900 000 enfants âgés de plus de 11 ans.
Ils ont trouvé que les garçons les plus jeunes étaient 30 % plus susceptibles de recevoir
un diagnostique de TDAH que les plus vieux, et que les filles les plus jeunes étaient
70 % plus susceptibles que les plus vieilles. (MORROW, Richard L., E. Jane GARLAND,
James M. WRIGHT, Malcolm MACLURE, Suzanne TAYLOR et Colin R. DORMUTH.
« Influence of relative age on diagnosis and treatment of attention-deficit/hyperactivity
disorder in children », Canadian Medical Association Journal, vol. 184, 2012, p. 755-
762.) Selon Todd Elder, si un trouble neurodéveloppemental est à la racine du
diagnostique de TDAH, il ne devrait pas y avoir de variation ni d’incidence en fonction de
la date de naissance de l’enfant (ELDER, Todd. « The importance of relative standards
in ADHD diagnoses »). De plus, les enfants diagnostiqués avec le TDAH ne peuvent
présenter les symptômes qu’après trois ans de développement dans le cortex préfrontal,
selon Shaw et ses collègues (SHAW, Philipp et al., « Le déficit d’attention/hyperactivité
se caractérise par un retard »). De même, Gilliam a constaté que la structure du cerveau
responsable de la connexion des lobes préfrontaux chez les enfants diagnostiqués avec
le TDAH avait un schéma de croissance retardé ; l’immaturité est une explication viable
et la maturité est un remède possible, lorsque l’on considère les problèmes d’attention
chez les jeunes enfants (GILLIAM, Mary, Michael STOCKMAN, Meaghan MALEK,
Wendy SHARP, Deanna GREENSTEIN, François LALONDE, Liv CLASEN, Jay GIEDD,
Judith RAPOPORT et Philipp SHAW. « Developmental trajectories of the corpus
callosum in attention-deficit/hyperactivity disorder », Biological Psychiatry, vol. 69, 2011,
p. 839-846.
30. CRAIN, William. Theories of Development : Concepts and Applications, 5e édition,
Upper Saddle River, NJ, Pearson/Prentice Hall, 2005).

Chapitre 3. Préserver le jeu : à la défense de l’enfance à l’ère numérique


1. ROGERS, Fred. Allocution d’ouverture, Middlebury College, Middlebury, VT, mai 2001,
www.middlebury.edu/newsroom/commencement/2001.
2. The BC Art Teachers’Association, « Honouring Gail Carney », 2015,
http://bcata.ca/about-us/tribute.
3. ELKIND, David. « Can we play ? », Greater Good Science Center, University of
California, Berkeley, 1er mars 2008,
http://greatergood.berkeley.edu/article/item/can_we_play.
4. ELKIND, David. « Can we play ? ».
5. ELKIND, David. The Power of Play : Learning What Comes Naturally, Cambridge, MA,
Da Capo Press, 2007 ; CARLSSON-PAIGE, Nancy. Taking Back Childhood : Helping
Your Kids Thrive in a Fast-Paced, Media-Saturated, Violence-Filled World, New York,
Penguin, 2009 ; GRAY, Peter. Free to Learn : Why Unleashing the Instinct to Play Will
Make Our Children Happier, More Self-Reliant, and Better Students for Life, New York,
Basic Books, 2013 ; FALK, Beverly, éditeur. Defending Childhood : Keeping the Promise
of Early Education, New York, Teachers College Press, 2012.
6. LEVINE, Madeline. Teach Your Children Well : Parenting for Authentic Success, New
York, Harper Perennial, 2013.
7. ELKIND, David. « Can we play ? » ; GINSBURG, Kenneth R. American Academy of
Pediatrics Committee on Communications, and American Academy of Pediatrics
Committee on Psychosocial Aspects of Child and Family Health, « The importance of
play in promoting healthy child development and maintaining strong parent – child
bonds », Pediatrics, vol. 119, 2007, p. 182-191.
8. GUDDEMI, Marcy, Andrea SAMBROOK, Sallie WELLS, Kathleen FITE, Gitta SELVA et
Bruce RANDEL. « Unrealistic kindergarten expectations : Findings from Gesell
Institute’s Revalidated Developmental Assessment Instrument », Proceedings from the
Annual Conference for Early Childhood Research and Evaluation, 2012,
www.highscope.org/files/guddemim_proceedings2012.pdf.
9. WINNICOTT, Donald. Playing and Reality, New York, Basic Books, 1971, p. 73.
10. TWAIN, Mark. The Adventures of Tom Sawyer, New York, Oxford University Press,
(1876), 1996.
11. STANLEY HALL, Granville. Adolescence : Its Psychology and Its Relations to
Physiology, Anthropology, Sociology, Sex, Crime, Religion and Education, New York,
D. Appleton, 1904, p. 235.
12. Piaget’s Developmental Theory : An Overview, feat. David Elkin, vidéocassette, San
Luis Obispo, CA, Davidson Films, 1989.
13. BROWN, Stuart L. et Christopher C. VAUGHAN. Play : How It Shapes the Brain, Opens
the Imagination, and Invigorates the Soul, New York, Avery, 2009 ; SCHILLER, Pam.
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Exchange, novembre-décembre 2010, p. 26-30 ; PANKSEPP, Jaak et Lucy BIVEN. The
Archaeology of Mind : Neuroevolutionary Origins of Human Emotions, New York, W.
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présenté lors de la Conférence Nationale Triennale IPA/USA, Longmont, CO, du 18 au
21 juin 1998.
14. BROWN, Stuart L. et Christopher C. VAUGHAN. Play : How It Shapes the Brain, Opens
the Imagination, and Invigorates the Soul ; FROST, Joe L. « Neuroscience, play, and
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Children, Technology and Early Education, Boston, 2012.
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17. PERRY, Bruce D., Lea HOGAN et Sarah J. MARLIN. « Curiosity, pleasure and play ».
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22. GINSBURG et al. « The importance of play » ; PANKSEPP, Jaak. « Brain emotional
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31. FROST, Joe L. A History of Children’s Play and Play Environments : Toward a
Contemporary Child-Saving Movement, New York, Routledge, 2009 ; Participaction,
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33. CARLSSON-PAIGE, Nancy. « Media, technology, and commercialism : Countering the
threats to young children », dans FALK, Beverly, éditeur, Defending Childhood.
34. FROST, Joe L. A History of Children’s Play, p. xviii.
35. DEE, Thomas S. et Hans Henrik SIEVERTSEN. « The gift of time ? School starting age
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39. ALCOCK, Sophie et Maggie HAGGERTY. « Recent policy developments and
the’schoolification’of early childhood care and education in Aotearoa New Zealand »,
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40. GUNNARSDOTTIR, Bryndis. « From play to school : Are core values of ECEC in
Iceland being undermined by “schoolification” ? », International Journal of Early Years
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mathematics », Educare, vol. 2, 2014, p. 82-98.
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on equality », The Atlantic, 17 mars 2014,
www.theatlantic.com/education/archive/2014/03/finnish-education-chief-we-created-a-
school-system-based-on-equality/284427/.
42. WALKER, Timothy. « The joyful, illiterate kindergartners of Finland », The Atlantic,
1er octobre 2015, www.theatlantic.com/education/archive/2015/10/the-joyful-illiterate-
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43. Le Conseil des ministères de l’Éducation du Canada (CMEC). « Programme for
International Student Assessment (PISA) : Overview » (n.d.),
www.cmec.ca/251/Programs-and-Initiatives/Assessment/Programme-for-International-
Student-Assessment-(PISA)/Overview/index.html ; voir aussi les différents documents
disponibles dans la section PISA 2012 au www.cmec.ca/252/Programs-and-
Initiatives/Assessment/Programme-for-International-Student-Assessment- (PISA)/PISA-
2012/index. html.
44. VANDERLEE, Mary-Louise, Sandy YOUMANS, Ray PETERS et Jennifer
EASTABROOK. Final Report : Evaluation of the Implementation of the Ontario Full-Day
Early Learning – Kindergarten Program, Toronto, Ontario Ministry of Education, automne
2012, www.edu.gov.on.ca/kindergarten/FDELK_ReportFall2012.pdf ; JANUS,
Magdalena, Eric DUKU et Amanda SCHELL. The Full-Day Kindergarten Early Learning
Program : Final Report, Hamilton, ON, McMaster University, octobre 2012,
www.edu.gov.on.ca/kindergarten/ELP_FDKFall2012.pdf.
45. COOPER, Harris, Ashley BATTS ALLEN, Erica. A. PATALL et Amy L. DENT. « Effects
of full-day kindergarten on academic achievement and social development », Review of
Educational Research, vol. 80, 2010, p. 34-70.
46. HECKMAN, James. « Invest in early childhood development : Reduce deficits,
strengthen the economy », The Heckman Equation, 2012,
http://heckmanequation.org/content/resource/invest-early-childhood-development-
reduce-deficits-strengthen-economy.
47. CLOUDER, Christopher. « The push for early childhood literacy : A view from Europe »,
Research Institute for Waldorf Education, Research Bulletin, vol. 8, no 2, 2003, p. 46-
52 ; Comptroller and Auditor General, National Audit Office, Delivering the Free
Entitlement to Education for Three- and Four-Year-Olds, London, The Stationery Office,
2012.
48. ALMON, Joan, Nancy CARLSSON-PAIGE et Geralyn B. MCLAUGHLIN. Reading
Instruction in Kindergarten : Little to Gain and Much to Lose, Alliance for Childhood ;
Defending the Early Years, 2015,
https ://deyproject.files.wordpress.com/2015/01/readinginkindergarten_online-1.pdf.
49. CLOUDER, Christopher. « The push for early childhood literacy ».
50. ALMON, Joan. « Reading at five : Why ? », SouthEast Education Network, SEEN
Magazine, 21 août 2013, http://seenmagazine.us/articles/article-
detail/articleid/3238/reading-at-five-why.aspx.
51. ELKIND, David. « Can we play ? ».
52. Cité dans Valerie STRAUSS, « How “twisted” early childhood education has become –
from a child development expert », Washington Post, 24 novembre 2015,
www.washingtonpost.com/news/answer-sheet/wp/2015/11/24/how-twisted-early-
childhood-education-has-become-from-a-child-development-expert/.

Chapitre 4. Affamé de connexion : l’importance de la relation


1. LEWIS, Clive S. The Four Loves, New York, Harcourt, Brace, 1960.
2. ELIOT, Thomas S. « East Coker », The Four Quartets, New York, Harcourt, 1943.
3. NEUFELD, Gordon. Neufeld Intensive I : Making Sense of Kids, Vancouver, BC, Neufeld
Institute, 2013, http://neufeldinstitute.org/course/neufeld-intensive-i-making-sense-of-
kids/.
4. PANKSEPP, Jaak et Lucy BIVEN. The Archaeology of Mind : Neuroevolutionary Origins
of Human Emotions, New York, W. W. Norton, 2012.
5. UVNÄS MOBERG, Kerstin. The Oxytocin Factor : Tapping the Hormone of Calm, Love,
and Healing, Cambridge, MA, Da Capo Press, 2003.
6. PANKSEPP, Jaak et Lucy BIVEN. The Archaeology of Mind.
7. BOWLBY, John, Attachment and Loss, New York, Basic Books, 1969.
8. BOWLBY, John. Attachment and Loss.
9. CORKILLE BRIGGS, Dorothy. Your Child’s Self-Esteem : The Key to His Life, Garden
City, NJ, Doubleday, 1970, p. 55.
10. ELIOT, Lise. What’s Going On in There ? How the Brain and Mind Develop in the First
Five Years of Life, New York, Bantam Books, 2000.
11. WINNICOTT, Donald W. et Claire WINNICOTT. Talking to Parents, Reading, MA,
Addison-Wesley, 1993, p. 58-59.
12. SPOCK, Benjamin. The Common Sense Book of Baby and Child Care, New York, Duell,
Sloan and Pearce, 1946.
13. NEUFELD, Gordon et Gabor MATÉ. Hold On to Your kids : Why Parents Need to Matter
More Than Peers, New York, Ballantine Books, 2004, p. 29-30.
14. BRENDTRO, Larry K. « The vision of Urie Bronfenbrenner : Adults who are crazy about
kids », Reclaiming Children and Youth : The Journal of Strength-Based Interventions,
vol. 15 2006, p. 162-166.
15. NEUFELD, Gordon et Gabor MATÉ. Hold On to Your Kids, p. 264.

Chapitre 5. Qui est responsable ? La danse de l’attachement


1. BLAKE, William. « The Little Black Boy », Songs of Innocence, London, 1789.
2. NEUFELD, Gordon. Alpha Children : Reclaiming Our Rightful Place in Their Lives,
Vancouver, BC, Neufeld Institute, 2013, http://neufeldinstitute.org/course/alpha-children/.

Chapitre 6. Émotions et blessures : préserver le cœur tendre des enfants


1. PASCAL, Blaise. Pascal’s Pensées, New York, E. P. Dutton, 1958, p. 79.
2. PRITCHARD, Michael S. « On taking emotions seriously : A critique of B. F. Skinner »,
Journal for the Theory of Social Behaviour, vol. 6, 1976, p. 211-232.
3. PANKSEPP, Jaak. « Brain emotional systems and qualities of mental life », dans The
Healing Power of Emotion : Affective Neuroscience, Development, and Clinical Practice,
édité par Diana FOSHA, Daniel J. SIEGEL et Marion FRIED SOLOMON, New York, W.
W. Norton & Co, 2009, p. 1-26.
4. DAMASIO, Antonio R. Descartes’ Error : Emotion, Reason, and the Human Brain, New
York, Putnam, 1994.
5. FOSHA, Diana, Daniel J. SIEGEL et Marion FRIED SOLOMON, éditeurs. The Healing
Power of Emotion : Affective Neuroscience, Development, and Clinical Practice, New
York, W. W. Norton, 2009, p. vii.
6. LEWIS, Thomas, Fari AMINI et Richard LANNON. A General Theory of Love, New York,
Random House, 2000, p. 64.
7. Le concept de défenses émotionnelles proposé par Freud a été revisité en raison des
progrès de la neuroscience et des nouvelles compréhensions de l’émotion et de la
conscience humaines. Le neuropsychologue Mark Solms déclare : « Il est possible de
trouver les corrélats neurologiques de certains concepts psychanalytiques traditionnels
et de les mettre sur une base ferme et organique. » (SOLMS, Mark et Oliver
TURNBULL. The Brain and the Inner World : An Introduction to the Neuroscience of
Subjective Experience, New York, Other Press, 2002, p. 104). Vilayanur S.
Ramachandran soutient que nous avons maintenant la base pour comprendre comment
l’esprit humain érige les processus émotionnels défensifs (RAMACHANDRAN, Vilayanur
S., Diane ROGERS-RAMACHANDRAN et S. COBB. « Touching the phantom limb »,
Nature, vol. 377, no 6549, 12 octobre 1995, p. 489-490 ; RAMANCHANDRAN, Vilayanur
S. « Phantom limbs, neglect syndromes, repressed memories and Freudian
Psychology », dans International Review of Neurobiology, vol. 37 : Selectionism and the
Brain, édité par Olaf Sporns et Giulio Tononi, New York, Academic Press, 1994). Dans
ses écrits sur la neurophysiologie de la psychologie, Kathleen Wheeler donne un aperçu
de la construction de la défense émotionnelle ainsi que des preuves neurologiques sur
la façon dont certaines parties du cerveau émotionnel l’orchestrent (Psychotherapy for
the Advanced Practice Psychiatric Nurse, Maryland Heights, MO, Mosby, 2007).
La recherche neuroscientifique examinant l’inhibition des centres émotionnels et des
processus cérébraux a été l’objet principal des recherches des spécialistes des
traumatismes. La recherche de Bessel Van der Kolk sur le traumatisme explore le rôle
du cortex préfrontal en exerçant une influence inhibitrice sur le système limbique et dans
l’émotion régulatrice (VAN DER KOLK, Bessel, Alexander C. MCFARLANE et Lars
WEISAETH. Traumatic Stress : The Effects of Overwhelming Experience on Mind, Body,
and Society, New York, Guilford Press, 2006). Pat Odgen traite de trois catégories de
défenses, décrivant comment elles contribuent à la survie émotionnelle, créant des
sentiments de sécurité ainsi qu’une incidence sur le fonctionnement général (« Emotion,
mindfulness, and movement : Expanding the regulatory boundaries of the window of
affect tolerance », dans FOSHA, SIEGEL, et SOLOMON, éditeurs. The Healing Power
of Emotion). Ad Vingerhoets relie la détresse émotionnelle et le traumatisme avec
l’absence d’émotions vulnérables, affirmant que les gens « se sentent engourdis,
émotionnellement vides et “détachés”, et ne peuvent pas produire de larmes. C’est
comme s’ils étaient indifférents, n’éprouvent aucune affection pour les autres et ne se
soucient pas des autres, même de ceux et celles qui sont très proches d’eux » (Why
Only Humans Weep : Unravelling the Mysteries of Tears, Oxford, Oxford University
Press, 2013, p. 177). Les neuroscientifiques Jaak Panksepp et Antonio Damasio
affirment que l’éveil émotionnel inconscient est possible, ce qui distingue les états
sentimentaux des états émotionnels. Damasio déclare qu’il n’y a « aucune preuve que
nous sommes conscients de tous nos sentiments, et beaucoup suggèrent que nous ne
le sommes pas » (The Feeling of What Happens : Body and Emotion in the Making of
Consciousness, New York, Houghton Mifflin Harcourt, 2009, p. 36 ; pour Panksepp, voir
PANKSEPP, Jaak et Lucy BIVEN. The Archaeology of the Mind : Neuroevolutionary
Origins of Human Emotions, New York, W. W. Norton, 2012). Tant Damasio que le
neuroscientifique Joseph LeDoux différencient émotion et sentiment (i.e., la conscience
de l’émotion) en considérant que le luxe du sentiment ne peut être accordé si les
circonstances sont trop stressantes (inhibitions), jetant les bases conceptuelles pour une
neuroscience de la défense (DAMASIO, Antonio. The Feeling of What Happens ;
LEDOUX, Joseph. Anxious : Using the Brain to Understand and Treat Fear and Anxiety,
New York, Penguin Random House, 2015).
8. RESNICK, Michael, Marjorie IRELAND et Iris BOROWSKY. « Youth violence
perpetration : What protects ? What predicts ? Findings from the National Longitudinal
Study of Adolescent Health », Journal of Adolescent Health : Official Publication of the
Society for Adolescent Medicine, vol. 35, 2004, p. 424.
9. WERNER, Emma et Ruth S. SMITH. Overcoming the Odds : High Risk Children from
Birth to Adulthood, New York, Cornell University Press, 1992.
10. Dans une étude longitudinale nationale sur la santé de l’adolescent, Michael Resnick et
ses collègues ont constaté que le facteur de protection le plus important contre la
détresse émotionnelle, dans un échantillon de plus de 90 000 adolescents aux États-
Unis, était une relation étroite avec un adulte (RESNICK, Michael, Marjorie IRELAND et
Iris BOROWSKY. « Youth violence perpetration »). Dans l’étude de recherche
longitudinale de 30 ans d’Emma Werner et Ruth Smith sur la résilience des enfants, sur
l’île hawaïenne de Kauai, un tiers des enfants qui ont été confrontés à la pauvreté, aux
problèmes de santé mentale ou aux dépendances dans leur famille étaient
émotionnellement sains et socialement prospères malgré leur éducation appauvrie ; la
différence significative avec ce groupe était qu’ils avaient de solides attachements avec
des adultes de substitution émotionnellement sains, y compris les grands-parents autant
que dans les écoles et les communautés (WERNER, Emma et Ruth S. SMITH.
Overcoming the Odds).

Chapitre 7. Larmes et crises : comprendre la frustration et l’agressivité


1. DICKENS, Charles. Great Expectations, New York, Rinehart, (1861), 1949.
2. SOKOL CHANG, Rosemarie et Nicholas S. THOMPSON. « Whines, cries, and
motherese : Their relative power to distract », Journal of Social, Evolutionary, and
Cultural Psychology, vol. 5, 2011, p. 131-141.
3. NEUFELD, Gordon. Making Sense of Preschoolers, Vancouver, BC, Neufeld Institute,
2013, http://neufeldinstitute.org/course/making-sense-of-preschoolers/.
4. SOLTER, Aletha. « Understanding tears and tantrums », Young Children, vol. 47, no 4,
1992, p. 64-68.
5. FREY, William H. et Muriel LANGSETH. Crying : The Mystery of Tears, Minneapolis, MN,
Winston Press, 1985.
6. VINGERHOETS, Ad. Why Only Humans Weep : Unravelling the Mysteries of Tears,
Oxford, Oxford University Press, 2013.
7. WISEMAN, Rosalind. Masterminds and Wingmen : Helping Your Son Cope with
Schoolyard Power, Locker-Room Tests, Girlfriends, and the New Rules of Boy World,
New York, Harmony Books, 2013.
8. VINGERHOETS, Ad. Why Only Humans Weep.
9. BLAKE, William. « Auguries of Innocence », vers 1803.
10. HASSON, Oren. « Emotional tears as biological signals », Evolutionary Psychology, vol.
7, 2009, p. 363-370.
Chapitre 8. Alarmé par la déconnexion : le coucher, la séparation et l’anxiété
1. SENDAK, Maurice. Where the Wild Things Are, New York, HarperCollins, 1963, p. 30.
2. LEDOUX, Joseph E. The Emotional Brain : The Mysterious Underpinnings of Emotional
Life, New York, Simon & Schuster, 1996.
3. BOWLBY, John. Separation : Anxiety and Anger, New York, Basic Books, 1973 ; MAY,
Rollo. The Meaning of Anxiety, New York, Ronald Press, 1950.
4. LEWIS, Thomas, Fari AMINI et Richard LANNON. A General Theory of Love, New York,
Random House, 2000.
5. BOWLBY, John. Separation.
6. PATHAK, Sanjeev et Bruce D. PERRY. « Anxiety disorders », dans C. Edward COFFEY
et Roger A. BRUMBACK, éditeurs, Pediatric Neuropsychiatry, Philadelphia, Lippincott
Williams & Wilkins, 2006 ; LEDOUX, Joseph E. Anxious : Using the Brain to Understand
and Treat Fear and Anxiety, New York, Viking, 2015.
7. PATHAK, Sanjeev et Bruce D. PERRY. « Anxiety disorders ».
8. OWENS, Timothy J. et Sandra L. HOFFERTH. Children at the Millennium : Where Have
We Come from, Where Are We Going ?, Amsterdam, JAI, 2001.

Chapitre 9. « Tu n’es pas mon patron » : comprendre la résistance et l’opposition


1. WOOLF, Virginia. « The leaning tower », dans Collected Essays, New York, Harcourt,
Brace & World, 1967.
2. LIEBERMAN, E. James. Acts of Will : The Life and Work of Otto Rank, Amherst,
University of Massachusetts Press, 1993 ; LIEBERMAN, E. James. « Rankian will »,
American Journal of Psychoanalysis, vol. 72, 2012, p. 320-325.
Avec Jung et Adler, Otto Rank a été considéré comme un des disciples les plus proches
et les plus brillants de Freud. Rank est tombé en désaccord avec Freud sur l’importance
du complexe d’Œdipe, et beaucoup de ses opinions ont été considérées comme
déviantes. Rank a vu la séparation entre la mère, le père et l’enfant à la naissance
comme un foyer critique dans le développement de soi, la culpabilité et l’anxiété. Rank
était également préoccupé par une absence de volonté dans la thérapie freudienne. Il a
soutenu que les individus pouvaient être conscients de ce qui a entraîné la culpabilité et
l’anxiété. La capacité de dire non ou la contrevolonté était essentielle au développement
de l’enfant et était souvent diminuée par les adultes, sinon les cultures. Ira Progroff a
écrit : « La vie telle que conçue par Rank est la force vitale avec laquelle cette
potentialité est exprimée et remplie dans le monde. » (The Death and Rebirth of
Psychology : An Integrative Evaluation of Freud, Adler, Jung, and Rank and the Impact
of Their Insights on Modern Man, New York, McGraw-Hill, 1956, p. 207.) L’idée d’une
volonté et d’une résistance conscientes, en tant que forces positives sous-jacentes à
l’individuation et à l’autonomie, n’était pas soutenue par les homologues
psychanalytiques de Rank et il en était ostracisé. En 1926, il se dissocie de la société
psychanalytique et son adhésion honorifique fut révoquée en 1930. Voir aussi Claude
BARBRE, « Confusion de testaments : la contribution d’Otto Rank à la compréhension
de l’enfance », American Journal of Psychoanalysis, vol. 72, 2012, p. 409-417 ; KARGF,
Fay B. The Psychology and Psychotherapy of Otto Rank : An Historical and
Comparative Introduction, New York, Philosophical Library, 1953 ; MENAKER, Esther.
Otto Rank : A Rediscovered Legacy, New York, Columbia University Press, 1982.
3. LIEBERMAN, E. James. « Rankian will ».
4. PEPITONE, Albert, Clark MCCAULEY et Peirce HAMMOND. « Change in attractiveness
of forbidden toys as a function of severity of threat », Journal of Experimental Social
Psychology, vol. 3, 1967, p. 221-229.
5. LEPPER, Mark R. « Undermining children’s intrinsic interest with extrinsic reward : A test
of the’overjustification’hypothesis », Journal of Personality and Social Psychology, vol.
28, 1973, p. 129-137.
6. KOHN, Alfie. Punished by Rewards : The Trouble with Gold Stars, Incentive Plans, A’s,
Praise, and Other Bribes, Boston, Houghton Mifflin, 1993.
7. WINNICOTT, Donald W., Clare WINNICOTT, Ray SHEPHERD et Madeleine DAVIS.
Home Is Where We Start From : Essays by a Psychoanalyst, New York, W. W. Norton,
1986.

Chapitre 10. La discipline au service de l’immaturité : gagner du temps pour


permettre à l’enfant de grandir
1. WINNICOTT, Donald W. Talking to Parents, Reading, MA, Addison-Wesley, 1993, p. 86.
2. NEUFELD, Gordon. Making Sense of Discipline, Vancouver, BC, Neufeld Institute, 2011,
http://neufeldinstitute.org/course/making-sense-of-discipline/ ; SIEGEL, Daniel J. et Tina
PAYNE BRYSON. No-Drama Discipline : The Whole-Brain Way to Calm the Chaos and
Nurture Your Child’s Developing Mind, New York, Bantam Books, 2014.
3. KONRATH, Sara H., Edward H. O’BRIEN et Courtney HSING. « Changes in dispositional
empathy in American college students over time : A meta-analysis », Personality and
Social Psychology Review, vol. 15, 2011, p. 180-198.

Chapitre 11. Quand les jeunes enfants font grandir les adultes
1. HOUSSAYE, Arsène. « Dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui tu es », Le roi Voltaire, Paris,
Michel Lévy, 1858, p. 182.
Notes

a Traduction de l’éditeur du titre original du livre, Rest, Play, Grow, décrivant le rôle de
l’attachement dans le développement de l’enfant.
b Gordon Neufeld, « Résumé de la théorie de la maturation de Neufeld », Classe intensive
1 : Comprendre les enfants, cours, Vancouver, BC, Institut Neufeld (2013).
c Gordon Neufeld, « Les six phases séquentielles de l’attachement », Classe intensive
Neufeld 1 : Comprendre les enfants, cours, Vancouver, BC, Institut Neufeld (2013).
d NdÉ : À noter que « sentiment vulnérable » est une expression utilisée dans le
paradigme Neufeld. Elle fait référence aux sentiments qui peuvent blesser un individu ou
qui sont susceptibles de le rendre vulnérable et de provoquer la résistance émotionnelle.
Le cerveau humain est conçu pour protéger contre les sentiments vulnérables qui sont
trop accablants. L’encadré 6.4 répertorie la liste des sentiments vulnérables.
e Gordon Neufeld, « Les cinq étapes vers la santé et la maturité émotionnelles », Une
question de cœur : La science de l’émotion, cours, Vancouver, BC, Institut Neufeld
(2015).
f NdÉ : La « futilité » est un terme utilisé dans le paradigme Neufeld. Elle fait référence à
ce qu’une personne expérimente lorsque quelque chose ne fonctionne pas ou ne pourra
pas fonctionner. Cette expérience inchangeable est hors du contrôle de l’individu et
requiert que celui-ci s’y adapte.
g Gordon Neufeld, « Carrefour giratoire de la frustration de Neufeld », Comprendre
l’agressivité, cours, Vancouver, BC, Institut Neufeld (2010).
h Gordon Neufeld, « L’alarme de séparation de Neufeld », Comprendre l’anxiété, cours,
Vancouver, BC, Institut Neufeld (2012).
i Gordon Neufeld, « Les six caractéristiques de l’enfant qui se comporte bien »,
Comprendre la discipline, cours, Vancouver, BC, Institut Neufeld (2011).
j NdÉ : À noter que « mettre en prudence » est une expression utilisée dans le paradigme
Neufeld. Elle fait référence au réflexe humain face à un danger éminent ou perçu.
L’apparition du sentiment d’alarme est destinée à amener l’individu à faire attention
lorsque cela est nécessaire et donne lieu à des comportements consciencieux,
concernés et prudents.
k Gordon Neufeld, « Les 12 stratégies Neufeld pour une discipline naturelle et sans
danger », Comprendre la discipline, cours, Vancouver, BC, Institut Neufeld (2011).
l NdÉ : Les « larmes de futilité », expression utilisée dans le paradigme Neufeld, font
référence aux larmes profondes, semblables aux sanglots. C’est un réflexe humain de
pleurer lorsque la futilité nous accable, surtout si la frustration s’est avérée intense. Les
sentiments correspondants sont la tristesse et la déception. Les larmes de futilité sont
différentes des larmes de frustration.
m www.institutneufeld.org

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