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© V.A.

Éditions, 2020
98, boulevard de la Reine,
78000 Versailles

http://www.vapress.fr/
https://www.va-editions.fr/

ISBN Numérique 978-2-36093-143-9


ISBN 978-2-36093-132-3
Réalisation des versions numériques : IS Edition, via son label Libres
d’écrire
Dépôt légal : décembre 2020
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En souvenir de mes parents qui m’ont transmis leurs
valeurs
À ma compagne qui partage une partie de mes
valeurs (et supporte le reste)
À ma fille
La science détrônée par une ado de 17 ans ?

À la fin de l’année 2019, Time Magazine a cédé à son rituel pour


nommer en Une de son journal la personnalité de l’année et le choix de la
rédaction s’est porté tout naturellement sur Greta Thunberg.
Rappelons que chaque année depuis 1927, le magazine US
récompense – pour le meilleur et pour le pire – les personnes les plus
influentes, celles qui font la pluie et le beau temps dans les médias et
l’opinion. Ainsi on s’étonne que des tyrans comme Joseph Staline ou
encore Adolph Hitler aient pu faire la Une de Time Magazine, mais c’est
parce qu’ils ont influencé l’opinion de leur époque. Il en va donc de même
de Greta Thunberg, ou tout du moins de l’équipe qui s’est occupée de sa
communication depuis son lancement.
[1]
Il est incontestable que la jeune Suédoise a considérablement
influencé l’année 2019. Alors qu’elle était inconnue encore au début de
l’année 2018, elle a connu une ascension fulgurante qui l’a mené d’un
discours devant le parlement suédois jusqu’au siège de l’ONU en passant
par sa grève des cours.
Un esprit grincheux se demandera ce qu’elle a bien pu faire pour
mériter tant d’égard. Si on lui avait remis un prix comme aux Oscars, on
imagine que Greta serait montée sur scène pour faire un discours. Elle
aurait alors remercié chaleureusement son équipe de communicants et
notamment son attaché de presse, Connor Turner. Et celui-ci ne manquerait
pas de répondre que « Greta gère elle-même tous ses comptes sur les
[2]
réseaux sociaux. Personne ne l’aide pour cela », même si un bug
Facebook a révélé que c’était le père de la jeune adolescente qui écrivait
[3]
pour elle les messages .
À la question indignée : « Qu’a fait Greta Thunberg pour mériter cette
couverture ? », on peut répondre facilement qu’elle a réussi à influencer
toute une génération en se présentant comme la « lanceuse d’alerte » qui a
sensibilisé les jeunes générations et l’opinion publique en général aux
messages du Club de Rome. Et c’est là que l’on s’aperçoit d’un vrai
basculement idéologique dont elle est clairement le symbole.
Vingt années plus tôt, en 1999, Time réalisait son numéro spécial du
genre dans lequel il avait sélectionné les personnalités les plus marquantes
du XXe siècle. À l’époque, le choix de la rédaction s’était porté tout
naturellement sur Albert Einstein. La raison invoquée par le jury : « On se
souviendra du XXe siècle comme étant avant tout celui de la science et de la
technologie, et Einstein sert de symbole à tous les scientifiques – tels que
[4]
Fermi, Heisenberg, Bohr, Richard Feynman .»
Plus tard, les historiens des idées qui se pencheront sur ce moment
charnière de l’histoire de l’humanité y verront sans doute un changement de
paradigme. Car les valeurs auxquels renvoient symboliquement ces deux
personnages se trouvent diamétralement opposées. On porte aux nues une
jeune qui appelle ses contemporains à boycotter l’école : le lieu où l’on peut
former les « futurs Einstein de demain ». On s’interroge : appeler l’opinion
à paniquer, inviter les jeunes à sécher les cours, affirmer – comme elle l’a
fait dans une tribune stigmatisante et engagée politiquement à l’extrême
[5]
gauche pour Project Syndicate – qu’il fallait en terminer avec une
civilisation colonialiste, raciste et qui vénère le patriarcat… comment toutes
ces actions mises bout à bout peuvent-elles esquisser le moindre plan pour
l’avenir d’une l’humanité qui fait face à tant de défis ? Comment finalement
ces actions qui relèvent toutes de la communication et de l’influence
peuvent-elles avoir davantage de valeurs aux yeux des médias et de
l’opinion que celles de scientifiques, d’inventeurs, d’entrepreneurs qui
trouvent des solutions pour un monde meilleur ? Quitte à donner une place
à la jeunesse qui s’engage pour la sauvegarde de l’environnement, pourquoi
Time Magazine n’a-t-il pas plutôt choisi Boyan Slat pour sa couverture ? Ce
jeune hollandais, dont le nom est encore ignoré du plus grand nombre, a
abandonné ses études pour créer The Ocean Clean-up à l’âge de 26 ans,
projet qui lui a permis de développer une barque pour dépolluer les océans
des déchets plastiques.
Certains diront que Greta ne fait pas la promotion d’un message
antiscience et par conséquent, qu’elle n’est pas forcément à opposer
symboliquement à Einstein. Ils s’appuieront sur le fait que dans certains de
ses discours, au contraire, elle invoque les rapports du GIEC pour appuyer
sa thèse selon laquelle, il faudrait tout arrêter et mettre un terme au
développement de notre civilisation. C’est là que nous y voyons clairement
une rupture. En effet, il y a encore quelques années de cela, les jeunes
générations n’auraient jamais imaginé qu’il suffisait de déposer une pétition
en ligne pour s’assurer un futur, ou réclamer pour certains l’annulation
d’épreuves du bac perçues comme trop compliquées. Ils n’auraient jamais
songé que faire la grève des cours, c’est-à-dire refuser par un geste
symbolique fort d’adhérer à la société de la connaissance, leur permettrait
de mieux se préparer pour affronter les difficultés du monde de demain.
On a de bonnes raisons de penser qu’il s’agit juste d’un phénomène de
mode… et que Greta finira par retourner à l’anonymat. D’ailleurs on a vu
que l’épisode du Covid a eu vite fait de la reléguer au second plan. On
aurait toutefois tort de prendre ce succès médiatique à la légère : c’est le
résultat de longues années de déchéance de l’aura prométhéenne de la
science et de la technologie dans l’opinion, d’une part et de l’ascension
continue de la toute-puissance de l’écologisme – considérée comme une
[6]
idéologie politique , d’autre part. Cette bataille d’idées prend ses racines
philosophiques dans le courant du XXe siècle, aussi, nous souhaitons ici
nous pencher sur les derniers grands développements récents du
mouvement. Car il nous semble bien que tout est allé à une vitesse
exponentielle.
Au travers d’histoires qui ont émaillé l’actualité de ces vingt dernières
années, nous voudrions donc montrer comment le marketing vert a réussi à
s’imposer en dénigrant certaines technologies d’une part, mais aussi, grâce
à un tour de passe-passe sémantique, en déifiant ses propres solutions de
substitution, d’autre part, regroupées dans ce qu’il est commun d’appeler
une « transition écologique ». Nous nous interrogerons ensuite sur les
conséquences de ces mouvements de tectoniques des plaques et ce que
risque l’humanité si jamais il advenait que l’écologisme règne sans partage
et que l’humanité choisisse définitivement de se soumettre aux nouveaux
gourous qui promettent un monde meilleur, débarrassé d’une idée de
croissance liée à la connaissance scientifique et au progrès technologique.
Nous verrons enfin comment un petit groupe de lanceurs d’alerte
rationalistes et pro science loin d’avoir jeté l’éponge, résiste à la
décroissance ambiante ; armées de solutions dont certaines répondent aux
critères de l’écologie scientifique, ils tentent péniblement de revenir sur le
devant de la scène. En conclusion, nous réfléchirons sur la possibilité d’une
conciliation entre ces deux visions du monde apparemment antithétiques.
Fidèles à la méthode interdisciplinaire que nous avons déjà
[7]
expérimentée , nous ferons des allers-retours entre des études de cas
d’innovations technologiques, des commentaires sur des stratégies et des
actions de communication des parties prenantes et enfin quelques éléments
[8]
– légers – d’épistémologie et d’histoire des idées.
Précisons que, utilisée il y a quelques années, cette approche peu
orthodoxe s’est révélée extrêmement féconde pour prédire la situation dans
laquelle se retrouve la politique scientifique aujourd’hui. En effet, on
constate que tous ces éléments sont pleinement entremêlés dans l’actualité
et s’entrechoquent sans cesse dans un grand méli-mélo. Il est donc essentiel
de tirer le fil rouge afin de démêler la pelote et retrouver le sens du débat.
Je tiens à préciser que j’écris cet ouvrage avec la double casquette de
communicant et de philosophe des sciences. Il est important de répondre
d’emblée à la question « qui parle ? », car certains voudraient aujourd’hui
réduire le débat sur ces sujets à une polémique faite d’attaques ad hominem,
expliquant à qui veut l’entendre que tous ceux qui défendent la civilisation
du progrès scientifique et technique le font parce qu’ils ont été payés et
servent l’intérêt des industriels. Manière commode de tuer le débat et de
diaboliser systématiquement ceux qui ne partagent pas leurs idées,
permettant de ne jamais aborder les questions de fond. Au contraire, au
travers de cet ouvrage, mon ambition est d’encourager le débat d’idées et
[9]
non de tomber dans la diatribe .
Concernant ma déclaration de conflit d’intérêts, elle est assez simple :
de la même manière que certains revendiquent être des lanceurs d’alerte qui
parlent au nom de la nature, je revendique être un lanceur d’alerte au
service de la civilisation du progrès scientifique et technique. En tant
qu’individu je tire un intérêt vital dans l’écriture de cet ouvrage. Car je
pense qu’il en va de notre santé, de notre bien-être et de notre prospérité à
tous, que cette civilisation continue sur cette voie où elle s’est engagée
grâce à la méthode scientifique et aux applications qui en découlent. C’est
la raison pour laquelle je défends ces idées. Je me reconnais dans les idéaux
défendus par la civilisation des Lumières et chez bien d’autres penseurs du
progrès scientifique avant elle, et je souhaite œuvrer dans cette continuité à
mon humble niveau. Aussi je tiens à insister sur ce point dès maintenant : je
ne pense pas qu’il y ait d’opposition entre cette manière de penser et le
concept de Nature. Le bien-être de l’humanité et la préservation de notre
environnement ne sont pas antithétiques comme certains voudraient nous le
faire croire et nous ne sommes pas obligés de choisir entre le camp de la
Nature et celui de l’Humanité.
À ceux qui demanderont « qui vous paye pour tenir ces propos ? », je
répondrai : mes lecteurs. Et j’ajouterai en passant que si mon objectif avait
été de faire fortune avec ce livre, j’aurais choisi de défendre l’opinion
diamétralement opposée en adoptant des opinons à la mode telle que la
collapsologie ou le déclinisme… ce qui eût été beaucoup plus rémunérateur,
m’aurait donné le beau rôle dans les débats et permis d’acheter une bonne
conscience à peu de frais.
Sur le plan personnel enfin et pour lever tout a priori : ayant passé
mon enfance dans un petit village de l’Est de la France, je connais bien la
campagne, j’ai aidé mes parents à faire le jardin et à élever des bêtes. J’ai
connu les travaux des champs, du jardin et du verger dès l’âge de 10 ans.
J’ai eu l’occasion de me frotter à des problématiques écologiques dès
l’adolescence dans un élevage de lombriculture… J’ai assisté à des débats
épiques entre mes parents sur l’utilisation ou non de produits
phytosanitaires, ma mère étant « contre » et mon père « pour ».
Étudiant, j’ai eu la chance de pouvoir me déplacer à vélo dans la ville
de Strasbourg qui, en 1994, comptait déjà 400 kilomètres de pistes
cyclables. Je n’ai pris la décision de venir à Paris que lorsque j’ai su qu’il y
avait des Velib’ permettant de s’y déplacer malgré les grèves. J’ai réutilisé
mon papier dès 1996, une pratique apprise en vivant en Allemagne et qui
me faisait passer pour un hurluberlu en France à l’époque. Bien
évidemment, je suis acquis au fait qu’il est mieux de trier et recycler les
déchets et les matériaux usagers, qu’il est bon de pratiquer la marche à pied,
qu’il faut lutter contre le gaspillage alimentaire, et que les ingénieurs
doivent innover pour lutter contre le gaspillage énergétique…. Bref autant
de bonnes raisons de penser qu’il n’y a rien d’inconciliable entre une
authentique mise en pratique de l’écologie et une réelle foi dans les vertus
de la science et du progrès technologique.

1. Précisons que nous considérons ici la symbolique et les idées qu’elle représente et ne
souhaitons nullement proférer des attaques ad hominem ou rentrer dans la psychologie du
personnage.
2. « Comment la grève solitaire de Greta Thunberg est devenue virale en deux heures », In La
Netscouade https://lanetscouade.com/picks/comment-la-greve-solitaire-de-greta-thunberg-est-
devenue-virale-en-deux-heures/
3. A Facebook Bug Exposed Anonymous Admins of Pages, in Wired
https://www.wired.com/story/facebook-bug-page-admins-edit-history-doxxing/
4. « The 20th century will be remembered foremost for its science and technology and Einstein
serves as a symbol of all the scientists–such as Fermi, Heisenberg, Bohr, Richard Feynman, ...who
built upon his work »
https://web.archive.org/web/20130722184958/http://www.aip.org/history/newsletter/spring2000
/einstein.htm
5. « That action must be powerful and wide-ranging. After all, the climate crisis is not just about
the environment. It is a crisis of human rights, of justice, and of political will. Colonial, racist, and
patriarchal systems of oppression have created and fueled it. We need to dismantle them all. Our
political leaders can no longer shirk their responsibilities. » Why We Strike Again, Greta Thunberg
, Luisa Neubauer, Angela Valenzuela, Project Syndicate Nov 29, 2019 https://www.project-
syndicate.org/commentary/climate-strikes-un-conference-madrid-by-greta-thunberg-et-al-2019-11?
barrier=accesspaylog
6. Il est important de distinguer l’écologisme comme idéologie politique et l’écologie
scientifique
7. Jean-Paul Oury, La Querelle des OGM, Paris, PUF, 2006
8. Notre intention ici est d’écrire un ouvrage accessible à tous
9. Une partie de notre thèse a consisté à démontrer que le débat scientifique se scinde en deux
catégories qui sont les controverses d’une part – un débat entre experts qui s’opposent sur
l’interprétation des faits, et les polémiques d’autre part – un débat qui peut concerner des experts,
mais également des médias, des politiques ou des militants d’ONG qui s’attaquent mutuellement ad
hominem.
Première partie

Technologies présumées coupables

En mai 2019, la firme Bayer – désormais propriétaire de Monsanto – a


[10]
été condamnée à payer deux milliards de dollars . Un jury américain a
jugé que le géant européen de l’agrochimie devait verser cette somme aux
époux Pilliod – un couple atteint du cancer. En 2018, le tribunal des affaires
sociales de Versailles a donné raison à un électricien salarié d’une entreprise
[11]
de télécommunication en reconnaissant son électrosensibilité . Quelques
années plus tôt, celui-ci avait été transporté à l’hôpital à la suite d’une crise
de tachycardie due selon lui aux ondes des nombreux téléphones présents
sur son lieu de travail.
Ces procès bien réels qui ont lieu dans l’enceinte des tribunaux sont la
conséquence d’un procès virtuel se déroulant dans la sphère des
médias sous la forme d’attaques répétées, depuis des années et sans
discernement, contre certaines technologies. Elles se manifestent sous la
forme d’accusations multiples que les tenants de l’écologisme – idéologie
de ceux divinisant la Nature et dénigrant l’Humanité – profèrent contre la
culture du progrès issue de la civilisation des Lumières.
Pour amener la civilisation du progrès et de la technologie devant les
tribunaux, il a fallu de nombreux coups de com afin de cumuler les charges
accusatoires dans le but de diaboliser certaines innovations choisies avec
soin et devenues de véritables totems.
Cette entreprise de déstabilisation a consisté à faire descendre un géant
de son piédestal en ternissant la réputation de la science prométhéenne. Car
c’est bien de réputation qu’il s’agit avant tout. Tout a été fait pour salir
celle-ci en sortant d’une manière quasi systématique une série d’affaires à
charge.
Certes, la civilisation industrielle a amené avec elle son lot d’incidents
et d’accidents, ses risques et ses catastrophes. Mais, étonnamment, ce ne
sont pas ceux-ci qui gênent le plus les idéologues. Ce sont ces initiatives
dont l’objectif est d’améliorer la condition de l’humanité. Ces solutions
technologiques qui permettent de produire davantage et avec le moins
d’externalités négatives. De ce fait, on constate déjà un biais idéologique
qui est la remise en cause a priori de certaines innovations.
C’est donc ce procès interminable qui a été ouvert contre les
biotechnologies, le nucléaire, les ondes ou encore l’agrochimie que nous
voudrions étudier. Nous allons voir au travers de quelques cas concrets
comment le « marketing de la peur » a joué un rôle fondamental pour créer
et alimenter les procurateurs de ces histoires. Nous nous demanderons
également pourquoi ont-ils pu si facilement tétaniser certaines applications
technologiques de la pensée rationaliste et la laisser totalement impuissante
en la faisant tomber dans de nombreux pièges. Ce sont souvent les mêmes
schémas qui se trouvent à l’œuvre qui nous assurent encore de nombreux
débats à venir.

1. « OGM danger »… et toujours pas l’ombre d’un rhume

« Le 28 novembre 2018, Eddy Agnassia, producteur de la


société 2iFilms est tout excité. C’est l’avant-première de Food Evolution à
AgroParisTech (Paris 5e), le temple universitaire de l’agro-industrie
française. Il va pouvoir présenter au public étudiant sa nouvelle production.
Chance pour lui, Scott Hamilton Kennedy, le réalisateur est présent et il est
plutôt bon pour présenter son projet et répondre aux questions de la salle. Il
adore les challenges et il est persuadé qu’il va faire un coup avec ce film
dont aucune autre boîte de production française n’a voulu.
Lui a osé relever le défi. Il est persuadé que les salles vont finir par
accueillir ce film. « On a vu ce film avec mon collègue… on recherchait des
documentaires sur l’agriculture et l’alimentation… et on a tout de suite été
convaincu… avec Food Evolution on avait un point de vue différent… ça
changeait des caricatures faciles qui présentent systématiquement le combat
de gentils écolos-citoyens sans moyens qui défendent l’intérêt général face
aux méchantes sociétés multinationales agro-empoisonneuses qui ne
pensent qu’au profit de leurs actionnaires… une vision assez manichéenne
des films documentaires cinématographiques est continuellement diffusée
auprès du public et ceci depuis plusieurs années. »
Il en allait du respect du pluralisme et de la possibilité de présenter au
public français une vision différente. Ce qui l’encourageait davantage
c’était qu’après avoir essuyé quelques critiques aux USA, le film avait fini
par remporter un véritable succès et avait même reçu des avis positifs de
[12]
certains critiques comme le fameux Rotten Tomatoes® . Mais hélas, tous
ses beaux espoirs se sont évanouis en fumée. Cela a d’ailleurs commencé
dès l’avant-première avec une réception froide pour ne pas dire houleuse
des étudiants dont certains – ça ne manquait pas de sel – se destinaient aux
métiers des biotechnologies végétales. Eddy aurait pu y voir un mauvais
présage, mais il n’y a pas vraiment prêté attention, ne se doutant pas du
degré d’opposition idéologique sur le sujet. Opposition et rejet culturel qui
a été confirmé ensuite par une flopée de contretemps et d’embûches semées
sur la diffusion du film.
Ainsi, L’AFCAE (Association Française des Cinémas Art et Essai) a
refusé le label « Art et Essai », alors qu’elle n’a pas hésité – nous dit Eddy –
à l’accorder à tous les autres films anti OGM. Le Festival le Temps presse,
1er rendez-vous international de cinéma dédié aux thématiques de
développement durable, l’a déprogrammé, « peut-être un coup de Juliette
Binoche ? » Le Film n’a trouvé aucun soutien financier et institutionnel. À
la suite de trois articles à charge, il a été catalogué comme outil de
propagande et refusé par les exploitants de salles…
Le plus frappant pour la petite société de distribution est qu’elle a
réalisé que les ONG faisaient la pluie et le beau temps dans le milieu
culturel francophone en influençant les exploitants dans leurs décisions et
en leur mettant une terrible pression. Une véritable mainmise sur la
programmation. « C’est un monopole qui est ainsi imposé. » Fait qui vaut
également pour la TV qui suit le cinéma, d’où la large diffusion de sujet
agri-bashing. Une diffusion qui se transforme en vraie mission impossible
donc. Comparé à DEMAIN (2015) de Cyril Dion et Mélanie Laurent dans
lequel il est affirmé : « On plante des OGM qui rendent les animaux et les
gens malades », vu par plus d’un million de spectateurs et reçoit le soutien
de toutes les associations, « c’est David contre Goliath ».
Ce témoignage est révélateur comme aucun. D’autant plus que
l’opinion est persuadée de la toute-puissance d’un lobby pro OGM qui
dicterait ses lois au gouvernement… ce, alors qu’il n’y a toujours pas
d’OGM en France. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Le carnaval de toutes les peurs

Aucune autre technologie dans l’histoire de l’humanité n’a fait couler


autant d’encre que les OGM. Depuis la Une du journal Libération « Alerte
[13]
au soja fou » en 1996 , ces trois lettres ont occupé les colonnes des
médias de manière épisodique et régulière au point de devenir un
marronnier. Leur seule évocation assurant au journaliste une sorte de rente
de situation par rapport à une polémique latente.
Or, vingt années après leur mise en culture, et alors que les opposants
continuent de crier « OGM danger »… les experts du sujet, eux, se font fort
de clamer – pour montrer à quel point l’accusation est ridicule – « qu’aucun
rhume n’a jamais été causé » par l’ingestion d’une plante génétiquement
modifiée. Une réalité qui suscite pourtant la colère des opposants et
l’incrédulité de l’opinion publique.
Qu’a-t-il bien pu se passer ? Comment un tel fossé entre l’opinion et la
réalité a-t-il pu se créer ? Si on pose la question aux scientifiques, ils
répondront de manière assez spontanée que les médias ont joué un rôle
fondamental dans la création de ce processus de dissonance cognitive.
Ainsi, en 2006 déjà, nous avions mis au jour que deux fois plus d’articles
sur les OGM, emploient le mot “risque(s)” plutôt que le mot « progrès » et
[14]
presque 8 fois plus que le mot « bénéfices » . Il est vrai, a-t-on l’habitude
d’affirmer, que les trains qui arrivent à l’heure ne font pas de belles
histoires.... Un exemple utilisé souvent pour souligner que les médias sont
les principaux amplificateurs des craintes du progrès technologique dans
l’opinion. Il y a incontestablement ici un fond de vérité. Dans
[15]
Enlightnement Now , Steven Pinker évoque une étude de l’analyste
Kalev Leetaru. Le scientifique a appliqué la technique de l’analyse de
sentiments (sentiment mining) sur les archives du New York Times entre
1945 et 2005 ainsi que sur des archives d’articles et d’émission traduites de
plus de 130 pays différents. Cette technologie permet d’identifier la tonalité
d’un article en comptant le nombre de mots et d’expressions avec une
connotation positive et négative. L’auteur a constaté que le célèbre journal
avait sombré dans une ambiance littéralement morose depuis 1990, la
« tonalité » des news n’ayant cessé de prendre une tournure toujours plus
négative : un mouvement qui s’est amorcé dans le milieu des années 1970
et que l’auteur a également constaté dans les archives journalistiques des
autres pays. Comme le remarque Pinker, ce résultat contraste largement
avec l’information dont nous disposons pour mesurer le progrès humain. Ce
qui fait dire à célèbre psychologue canadien : “Le Monde a fait des progrès
spectaculaires dans tous les paramètres qui permettent de mesurer le bien-
être humain (…) Mais personne n’a connaissance de ça.”
La thèse selon laquelle les médias sont à l’origine d’un déficit
d’information scientifique ou d’une amplification de celle-ci est cependant
insuffisante. Car elle ne rend pas compte de l’origine de la source de
l’information. Or c’est un point essentiel pour comprendre ce qui s’est
passé.
En effet, pour que les journalistes traitent une information, on sait qu’il
faut un reportage avec des faits. Par exemple, dans le cadre d’un accident
industriel, le journaliste va aller faire un reportage terrain, afin de montrer
les dégâts causés dans l’environnement. Dans le cadre de l’affaire des
OGM, c’est trivial de le dire, mais il n’y a jamais eu aucun accident que
puisse filmer une équipe de journalistes. Comment « meubler » dans ces
conditions ? Les professionnels du petit écran savent pourtant à quel point
c’est important. Et cela n’a pas empêché certains médias de répéter en
boucle que la culture d’OGM était une catastrophe sanitaire et
environnementale. Comment montrer un accident qui n’existe pas ?
Comment cette Une « Alerte au soja fou » a mis le feu aux poudres et
propulsé les biotechnologies végétales d’une obscure rubrique innovation
technologique qui n’intéressait personne à la Une « catastrophe » ? Quel
évènement a bien pu motiver les médias pour choisir cette ligne éditoriale,
plutôt qu’un traitement raisonnable, qui aurait dû être de rigueur,
puisqu’aucun accident n’avait été signalé ?
C’est pourtant simple : ils se sont contentés de rapporter la tenue d’une
manifestation de Greenpeace dans le port d’Anvers. En effet les militants de
l’association écologiste ont décidé de s’enchaîner sur le quai pour protester
contre l’arrivée d’une première cargaison de soja OGM en provenance des
USA. À aucun moment donc, il ne s’est agi d’un accident, d’un drame, ou
d’une catastrophe environnementale. Non. Tout simplement Jean-Claude
[16]
Jaillette , à l’origine de cette couverture a choisi de marquer les esprits en
y ajoutant un jeu de mots qui faisait référence à la crise de la vache folle –
vraie crise sanitaire, elle pour le coup, qui avait marqué profondément les
esprits des Français. Un amalgame qui n’a pas manqué de rajouter de
l’huile sur le feu et d’envenimer la situation. A contrario, on imagine qu’un
reportage didactique sur cette cargaison inédite, expliquant de manière
pédagogique comment ces semences étaient obtenues aurait sans doute pu
changer le cours de l’histoire.
Mais tel ne fut pas le destin des biotechnologies végétales. Et dès lors,
à la suite de cette entrée en scène cataclysmique d’une technologie
inconnue et de ces trois lettres mystérieuses, il n’était plus possible de faire
marche arrière. D’autant plus que, les militants anti OGM vont s’employer
avec un grand talent à un long processus de diabolisation. Car ils disposent
de plus d’un tour dans leur sac et sont les rois du déguisement. Ils vont tout
faire donc pour mettre en scène un prétendu « danger » bien invisible… ce
qui leur permettra d’attirer en permanence les caméras de télévision… qui
de ce fait, auront « quelque chose » à montrer. D’autant plus que certains
déguisements ne manquent pas de poésie.
Aux USA, par exemple, Greenpeace enfilera les ailes de papillon
Monarque. Revenons quelques instants sur cette histoire : c’est à la fin des
années 90 que Monsanto met sur le marché un nouveau maïs BT (pour
Bacilus Thuringinsis), une plante qui produit son propre insecticide et qui
[17]
serait supposément dangereuse pour les larves de papillons monarques .
Mais à la suite d’études complémentaires, l’EPA décidera d’invalider les
travaux de John Losey, à l’origine de l’imbroglio. Le scientifique auteur de
l’étude ayant gavé les papillons avec une dose bien supérieure à ce qu’ils
sont susceptibles d’ingérer habituellement reconnaîtra lui-même avoir
[18]
extrapolé ses résultats . Ce qui n’empêchera pas les lanceurs d’alerte de
continuer à défiler avec leurs ailes de papillons devant les caméras et à
sensibiliser ainsi l’opinion marquée par ces scènes théâtrales inédites.
En France, la pression sera d’autant plus grande avec la présence
continue des faucheurs volontaires. Ceux-ci reviendront chaque été et
comme l’actualité est généralement assez creuse à cette période de l’année,
les médias ne manqueront pas de relayer abondamment chaque épisode. Et
les Faucheurs volontaires, qui n’intéressent plus les grands médias
continuent malgré cela de faire des actions épisodiquement. Ainsi les 20 et
21 juin 2019, à Saint-Rémy dans le Rhône, deux essais sur tournesol menés
par Terres Inovia ont été détruits. Les deux plantations en question
« utilisent des solutions homologuées et autorisées. Ils entrent dans le cadre
de l’agro-écologie. Ils permettent aux agriculteurs de trouver des solutions
innovantes pour lutter contre l’ambroisie, plante invasive et fortement
allergène pour la population. L’ambroisie qui est de la même famille
botanique que le tournesol colonise et pollue les parcelles jusqu’à rendre
impropre la moisson. » nous apprend le communiqué de presse de la société
[19]
Terres Inovia .
Au travers de ces séquences, on constate à quel point la mise en scène
du prétendu « danger » est arbitraire. Ce qui nous permet d’en déduire avec
un peu de bons sens que ce même danger est totalement infondé sur le plan
scientifique, puisque totalement relatif et changeant en fonction des
mobiles. En effet, alors que les faucheurs de Greenpeace se rendent en
combinaison de protection « anti nucléaires » (gantés et masqués) dans les
champs, les faucheurs de la confédération paysanne, eux, y vont en bras de
chemise. Pour les premiers, les OGM présentent un danger environnemental
(ils parlent de pollution génétique). Pour les seconds, il s’agit d’un danger
politique (ils ne veulent pas dépendre des semenciers US qui les vendent).
Ce distinguo nous autorise à bien relativiser les « dangers » incriminés et
surtout il nous permet de comprendre que sans cette scénarisation, ces
militants n’auraient sans doute pas réussi à créer la panique qu’ils ont réussi
à créer.
C’est en mettant en scène un danger inexistant que le « marketing
vert » a réussi à diaboliser les biotechnologies végétales dans l’opinion.
Voici une vérité caractéristique. Comme le montre le film Food Évolution
déjà cité, les opposants les plus virulents ont tout le loisir de formater les
esprits et d’enfoncer les croyances : pour symboliser un risque invisible, il
leur suffit de se déguiser. Ils sortent du placard leur costume d’Halloween et
vont défiler en Jack The Reaper avec des pancartes anti malbouffe. Sans ces
« acteurs volontaires » qui aiment se réunir pour des happenings, on
n’aurait peu de raisons d’avoir peur d’un danger totalement invisible. Mais
ils ont réussi un tour de force pour créer l’illusion : rendre visible et
crédible un danger inexistant. Depuis lors, la culture des plantes issues des
biotechnologies végétales n’est jamais « rentrée dans le rang ».
On est en droit de s’étonner, car cela fait maintenant plus de vingt
années que l’on cultive des OGM en plein champ et trente années que l’on a
commencé les essais. L’ISAAA, le Service international pour l’acquisition
d’applications agricoles biotechnologiques, publie chaque année son
rapport annuel sur la culture mondiale des plantes génétiquement modifiées.
En septembre 2019, il a publié les résultats de l’année 2018. C’est le 23e
rapport du genre, sachant que les premières cultures en plein champ
remontent à 1996. Depuis cette année, 2,3 milliards d’hectares de plantes
GM ont été cultivés dans le monde. En 2018, 26 pays (dont 21 en voie de
développement) ont cultivé 191,7 millions d’hectares de semences biotech.
D’après les auteurs du rapport, tous ces excellents résultats font des
biotechnologies vertes, la technologie qui a connu le taux d’adoption le plus
rapide de l’histoire des semences agricoles. 17 millions d’agriculteurs ont
semé des plantes issues des biotechnologies, dont 95 % de petits
agriculteurs. D’année en année, cette technologie est en voie d’adoption
mondiale, même s’il reste encore de nombreux pays réfractaires.
Aussi, après trente années de mise aux champs (compter environ dix
années de cultures expérimentales et vingt de culture intensive) aucun
retour d’expérience négatif n’a jamais pu être tiré de l’ensemble des études
[20]
menées sur les OGM . Ainsi, les rapporteurs de la commission
indépendante mise en place par l’UE affirmaient déjà en 2010 que « La
conclusion principale à tirer des efforts de plus de 130 projets de recherche,
couvrant une période de plus de 25 ans de recherche, et impliquant plus de
500 groupes de recherche indépendants, est que la biotechnologie, et en
particulier les OGM, ne sont pas intrinsèquement plus risqués que, par
exemple, les technologies conventionnelles d’amélioration des plantes. »

La question sans réponse scientifique

Nous nous sommes contentés d’évoquer jusqu’à présent les actions des
militants et leurs talents inouïs pour faire exister un danger totalement
fantasmé, mais cela va beaucoup plus loin. Car de nombreux scientifiques –
le plus souvent militants eux aussi – se sont opposés aux OGM pour
diverses raisons. Comme nous l’avons démontré, toutes les controverses
scientifiques pouvaient être ramenées à une critique du mode d’obtention –
la transgenèse végétale – qui d’après les « anti OGM » pouvaient être
source de nouveaux risques.
Les controverses et les polémiques sont multiples. La plus récente et la
plus connue est l’affaire Gilles-Éric Séralini. Comme l’a expliqué le
directeur de recherche du CNRS Marcel Kuntz dans L’Affaire Séralini :
[21]
l’impasse d’une science militante , en septembre 2012 : « Une
publication dans un journal scientifique de Gilles Éric Séralini et ses
collaborateurs a eu droit à une couverture médiatique mondiale, illustrée par
trois rats devenus les plus célèbres au monde, en raison des tumeurs grosses
comme des balles de ping-pong dont ils étaient porteurs. Cette publication
affirma que la consommation par des rats de grains du maïs
transgénique NK603, en présence ou non de l’herbicide glyphosate, ou
encore l’exposition à cet herbicide seul induiraient des tumeurs en nombre
accru et plus précocement. » Mais l’étude en question a fini par être
invalidée et a dû être dépubliée. Il n’en reste pas moins qu’elle a eu une
résonance incroyable et les photos de rats n’ont pas manqué de marquer les
esprits. Aussi, dans l’analyse qu’il fait de cette affaire Kuntz s’interroge sur
le mécanisme de diffusion qui a fait que Le Nouvel Observateur a publié
l’étude sans avoir l’avis critique d’autres scientifiques… une pratique
unique et qui n’a jamais lieu habituellement en science.
N’a jamais eu lieu en science…. Sauf peut-être pour les OGM. Car
hélas, ce n’est pas la première fois que des scientifiques cèdent à la
tentation de faire des annonces catastrophistes infondées dans les médias
quitte à devoir, par la suite, retirer leurs travaux, voire démissionner. C’est
le cas par exemple pour le scientifique écossais Arpad Pusztai. En 1995, il
est commissionné par le bureau écossais de l’agriculture, de la pêche et de
l’environnement pour étudier les effets de l’ingestion d’aliments
génétiquement modifiés sur la santé des animaux et des hommes. Or plutôt
que de se plier à la traditionnelle revue par les pairs des résultats de son
étude, il se rend sur un plateau TV et déclare « nous sommes tous des
cobayes » puis publie ses résultats sur Internet, dans son étude il affirme
avoir prouvé la toxicité de pommes de terre génétiquement modifiées pour
les rats : « En conclusion, l’effet stimulant des pommes de terre GNA-GM
sur l’estomac était principalement dû à l’expression du transgène GNA dans
la pomme de terre. » Notons qu’une partie de l’étude sera ensuite publiée
[22] [23]
dans le très sérieux journal le Lancet . Puis les travaux seront
invalidés par la Royal Academy à la suite d’une revue à l’aveugle. Parmi
les critiques, voici les trois principales : méthodologie inadéquate,
alimentation inadaptée et généralisation injustifiée.
On citera encore l’économiste Charles Benbrook, un fervent anti OGM
financé par l’industrie du bio aux États-Unis. Au début des années 2001, il
essaye de montrer que le soja RR (Round-up ready) qui a été modifié pour
[24]
résister au glyphosate, aurait un rendement moindre ; ces résultats ont
[25]
fait l’objet de critiques sévères : il n’aurait pas dû attribuer le rendement
moindre à la modification génétique, mais à l’espèce choisie. Le fait est que
ce même consultant, quelques années plus tard, s’est fait rattraper à cause
de ses nombreux conflits d’intérêts (il a été payé par des protagonistes de
l’agriculture bio, tels que Whole foods) et a dû quitter son poste à
[26]
l’Université de Washington .
Les scientifiques militants ont joué un rôle d’appui considérable pour
la diffusion des critiques des OGM en apportant la matière aux activistes et
aux ONG. Un outil nouveau leur a servi d’amplificateur. C’est avec la
controverse scientifique sur les OGM que les scientifiques commencent
sérieusement à donner une considération hors norme au principe de
précaution et à en faire un usage « absolutiste ». C’est sans doute l’une des
premières fois dans l’histoire que l’on appliquera avec une telle ampleur
l’inversion de la charge de la preuve pour juger des applications d’une
technologie.
Le principe de précaution dans sa version absolutiste a été une arme
redoutable contre le développement des biotechnologies végétales. C’est
avec son aide que les scientifiques anti OGM, souvent appuyés par les
ONG, voire, parlant en leur nom (on pensera par exemple au CriiGen) ont
pu mettre la science dans l’embarras en lui posant des questions auxquelles
elle n’était pas en mesure de répondre. Comment cela ? Eh bien tout
simplement en exigeant qu’elle démontre l’absence totale de risque, ou
autrement dit, « le risque 0 ». Or le risque 0 n’est pas un concept
scientifique puisqu’il n’a pas d’existence.
Une proposition telle que « Le maïs BT ne donnera jamais lieu à
l’apparition de pyrale résistante » n’est pas scientifique. En effet, on n’est
pas en mesure de se prononcer sur une innocuité absolue. Alors que la
proposition « Le maïs BT peut donner lieu à l’apparition de pyrale
résistante » est scientifique. Il suffit d’un cas pour prouver. Partant de là, les
anti OGM ont réussi à mettre les pro OGM dans l’embarras. Car aucun
scientifique sérieux ne se prononcera jamais sur l’innocuité totale d’un
organisme.
Ainsi les exigences des militants anti OGM à l’égard des agriculteurs
qui en cultivent sont toujours plus élevées et ainsi trouvent-ils que ceux-ci
n’en font jamais assez. Aux USA, par exemple, au début des années 2000,
les semenciers ont fait des campagnes d’appels téléphoniques pour vérifier
que les agriculteurs respectaient bien les consignes qu’ils avaient reçues
afin d’éviter l’apparition de pyrales résistantes à l’insecticide, une initiative
qui applique le principe précaution. Mais pourtant certains anti OGM vont
[27]
se plaindre que le taux d’agriculteurs responsables n’est pas de 100 % .
Autrement dit, que, malgré les efforts faits au sein de la filière, le risque 0
n’est pas garanti.
Voici donc quelques éléments qui aident à comprendre pourquoi le
procès des OGM n’est jamais terminé, alors qu’en vingt années on n’a
trouvé aucune preuve pour les condamner. Et au sein de ce tribunal, il faut
dire que l’opinion reste bien impuissante et est prête à croire le dernier qui a
parlé. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas en mesure de vérifier par elle-
même la vérité des énoncés. « Comment est-ce possible alors que l’on
trouve des OGM dans nos assiettes ? » Eh bien non ! Les seuls OGM
présents aujourd’hui sur le marché servent à l’alimentation animale. Faut-il
rappeler que le soja représente 50 % de l’ensemble des cultures, le maïs,
30,7 %, le coton 13 % ; le colza 5,3 % et les autres plantes, moins de 1 % !
Quelles sont d’ailleurs ces dernières ? On trouve la betterave à sucre, la
[28]
luzerne, la papaye, la courge, la pomme de terre et la pomme .
C’est un argument supplémentaire qui permet de comprendre pourquoi
le consommateur est prêt à croire n’importe quoi. Comment juger d’un
produit que l’on n’utilise pas soi-même ? Les agriculteurs qui utilisent cette
technologie, eux, sont capables d’effectuer ce jugement. Ils peuvent juger
de l’efficacité du produit ou non ; s’il leur est utile ou non. C’est ainsi qu’en
France l’agriculteur Claude Ménara s’est rendu célèbre en s’opposant aux
ONG anti OGM qui voulaient l’empêcher d’avoir recours au Maïs BT dans
[29]
son exploitation du Lot-et-Garonne. Ainsi dans une interview au Figaro ,
il affirme faire partie des 15 premiers maïsiculteurs à s’être lancés dans la
production commerciale de maïs transgénique : « D’abord, 80 hectares en
Midi-Pyrénées et en Aquitaine. En 2006, nous avons cultivé 5 180 hectares
et cette année il y aura entre 40 000 et 50 000 hectares plantés ! (…) Je suis
agriculteur, consommateur, j’ai une famille, martèle-t-il. Si on me prouve
que c’est dangereux, je ferai autre chose. » Selon lui c’est la solution la plus
écologique : « Aujourd’hui, je n’utilise plus d’insecticides. Mes champs
sont pleins de coccinelles, c’est un signe ! »
Reconnaissons que nous-autres consommateurs, sommes bien
incapables de porter un tel jugement puisqu’au final, nous sommes les
derniers concernés. L’opinion publique fait donc un piètre jury pour se
prononcer sur la culpabilité des OGM. Persuadés qu’ils se cachent dans son
assiette et qu’ils sont nocifs, ils sont reconnaissants à la grande distribution
quand celle-ci annonce, par exemple, que tel ou tel produit est « sans
OGM », alors qu’on ne voit pas bien comment il pourrait en être autrement,
hormis pour les produits importés.
Voici donc un coupable idéal à qui on demande de fournir une preuve
impossible à fournir : celle de l’absence totale de risque. Et comme il n’est
pas en mesure de la fournir, puisque répondre à cette question ne serait pas
scientifique, les procureurs persuadés de l’existence de celui-ci (le risque)
se chargent de le matérialiser et de le mimer en se déguisant pour
impressionner le jury et l’influencer. En Europe, le débat est toujours
d’actualité. On en voit les conséquences dans la dépendance grandissante de
l’agriculture européenne à cette technologie que notre vieux continent a
choisi de ne pas développer. Ainsi fin septembre, la Commission
Européenne a autorisé la mise sur le marché d’un soja OGM de Monsanto,
mais « Il s’agit uniquement de permettre l’importation de ces produits, car
[30]
ce soja transgénique ne pourra pas être cultivé en Europe »
Nous pourrions encore davantage développer sur tous ces points et
d’autres encore, mais notre objectif est de montrer que c’est ce même
schéma que l’on va retrouver à l’œuvre sur d’autres « têtes de Turc » de
l’écologisme.

2. « Nucléaire non merci » : Le fantôme de Tchernobyl au labo


de Bure

Le 3 mars 2018 quand le collectif Science Technologies Actions publie


[31]
« Ne renonçons pas à la science » dans Les Échos, c’est un cri d’alerte
d’une quarantaine de scientifiques. Parmi eux essentiellement des
chercheurs, des ingénieurs des professeurs. Certains ont déjà publié des
ouvrages grand public et ont accès aux médias comme : Jean de
Kervasdoué, Marcel Kuntz, Bernard Durand, Michel De Rougemont,
Gérard Kaffadarof ou encore André Pellen. On trouve toutes les sciences,
mais surtout des experts du secteur des biotechnologies et du nucléaire.
S’ils se sont regroupés, c’est parce qu’ils veulent s’engager en politique et
sur deux sujets qui paraissent essentiels à leurs yeux. L’interdiction du
Glyphosate et la Fermeture de la centrale de Fessenheim. Leur message
sans concession charge les politiques et leurs manœuvres.

« Dans la même veine, en 2011, un accord entre Europe Ecologie-


Les Verts et le Parti socialiste, prévoyait la “fermeture progressive
de 24 réacteurs [nucléaires]” et un “arrêt immédiat de Fessenheim”
en cas de victoire à la présidentielle de 2012. Le gouvernement
actuel persiste à fermer cette centrale, alors que cela obligera la
collectivité nationale à dépenser au moins un milliard d’euros de
plus chaque année pour son électricité. Cela est déraisonnable dès
lors que la sûreté nucléaire n’est pas le motif de fermeture. En outre,
remplacer du nucléaire par des centrales à cycles combinés à gaz
ferait perdre une partie de notre indépendance énergétique,
accroîtrait le déséquilibre de notre balance des paiements et
augmenterait nos émissions de gaz à effet de serre. »

Ils sont déterminés pour aller jusqu’au bout de leur cause afin de
persuader le président Macron de l’erreur du gouvernement précédent et
veulent communiquer auprès des médias. Pour cela ils mettent en place un
blog, et s’inscrivent sur les réseaux sociaux. Pour la plupart d’entre eux, il
s’agit d’une gageure, car loin d’appartenir à la génération des « digital
natives », bon nombre sont sur le chemin de la retraite. Mais ils sont
clairement déterminés à défendre la science et la rationalité. Et ils
réussissent à publier pour interpeller l’opinion dans plusieurs grands médias
tels que La Tribune, Causeur ou encore L’Opinion. Mais rien n’y fait et le
30 septembre 2019, EDF a annoncé la fermeture définitive de la centrale
nucléaire de Fessenheim pour 2020.
C’est l’occasion pour STA de diffuser un communiqué auprès de plus
de 400 médias et décideurs politiques dans lequel on peut lire :
« Une décision irrationnelle :
— contraire à l’intérêt économique de la France,
— en contradiction avec les engagements climatiques européens,
— sans réelle justification concernant la sécurité de la population.
Le Collectif Science-Technologies-Actions dénonce fermement la
décision de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. »
Au travers de cet exemple, on réalise que ce que les opposants ne
manqueraient pas d’appeler « lobby nucléaire » est en réalité un groupe de
scientifiques bénévoles et retraités pour la plupart, sans aucun pouvoir ni
influence sur les autorités. On est frappé quand on réalise à quel point
l’autre lobby, celui des antinucléaires, qui ne se nomme jamais comme tel, a
fini par gagner la partie pour s’imposer et décider de l’avenir énergétique de
la France.
Certes le nucléaire n’est pas comparable aux biotechnologies, en ce
sens qu’il a à son actif des accidents spectaculaires et ne peut se targuer de
n’avoir fait aucune victime, mais, comme on va le voir, c’est toujours la
même logique que l’on retrouve à l’œuvre : mettre en scène un risque
potentiel, poser une question à laquelle les scientifiques ne pourront
répondre par honnêteté : car le risque zéro n’existe pas.
Précisons que nous nous concentrerons sur des problématiques liées au
nucléaire civil. Comme le rappelle Tristan Kamin, un ingénieur d’études en
sûreté nucléaire, « Le terme “nucléaire” est trop souvent utilisé en
supposant qu’il se suffise à lui-même pour définir le propos. Pourtant, il est
très rare que soient visés le nucléaire médical, le Cern (l’organisation pour
la recherche nucléaire basée à Genève), la recherche sur la fusion ou la
propulsion navale, qu’elle soit civile ou militaire. Ainsi, sauf à parler de
géostratégie et d’armement, quand on mentionne “le nucléaire”, la véritable
[32]
cible est “la production électrique d’origine nucléaire”. » Il est important
d’avoir ces considérations en tête pour nous lancer dans le débat sur le
nucléaire civil. D’autant plus que l’une des stratégies des opposants repose
sur une tentative de brouillage des cartes dans l’esprit de l’opinion.

Civil ou militaire, nucléaire même combat ?

La peur du nucléaire est indéniablement rattachée à la tragédie de la guerre.


Ainsi, l’historien des sciences Paul Halpern rappelle qu’« à la fin de la
guerre l’image publique d’Einstein devint ambiguë. Par ironie de l’histoire,
dans l’esprit de l’opinion, les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki
l’avaient associé à l’effort de guerre, même s’il ne fut jamais autorisé à
effectuer des recherches militaires sur les projets nucléaires. Le fait que la
masse se transforme en énergie lors de l’explosion d’une bombe associée de
façon indélébile l’image du champignon atomique et la théorie de la
relativité. (Encore aujourd’hui persiste l’idée qu’Einstein est d’une certaine
[33]
manière le “père de la bombe nucléaire”) »
Pourtant les scientifiques ont sans doute été les premiers opposants au
nucléaire militaire. À commencer peut-être même par certains grands
scientifiques allemands qui auraient traîné des pieds pour ne pas développer
la bombe. Ainsi Halpern, toujours lui, nous dit « Beaucoup d’encre a coulé
sur le rôle de Heisenberg dans le programme de nucléaire nazi. Après la
guerre, il minimisa l’importance des efforts de son équipe pour le
développement de la bombe et orienta son travail vers des facettes
pacifiques de l’énergie nucléaire. Son collègue physicien Carl Friedrich von
Weizsäcker lui suggéra de traîner des pieds et de faire en sorte qu’Hitler
n’ait pas la bombe. Ils avancèrent que, d’une certaine manière, les
scientifiques allemands s’étaient comportés de façon plus éthique que les
Alliés, car ils ne firent sincèrement aucun effort pour fabriquer des armes
nucléaires et ne les utilisèrent jamais. Heisenberg accusa également Einstein
d’hypocrisie pour s’être transformé de pacifiste en fidèle partisan de l’effort
[34]
belligérant allié. »
À la fin de la guerre, certains étaient d’ailleurs liés aux mouvements
pacifistes qui se sont élevés contre la bombe A en réaction à Hiroshima et
Nagasaki et contre le nucléaire militaire en général. On retrouve une des
figures de l’atome français, Frédéric Joliot Curie ou encore le philosophe
britannique, Sir Bertrand Russel. Si dès l’après-guerre, l’opposition au
nucléaire militaire est bien ancrée dans l’opinion, ce n’est pas encore le cas
pour le nucléaire civil.
Et fait important sur lequel il faut insister : les mouvements de
contestation du nucléaire civil ont précédé les accidents industriels auxquels
ont été confrontés la filière. Un courant de pensée a vu le jour et s’est
progressivement mis en place dans l’objectif de transposer les angoisses
suscitées par le nucléaire militaire au nucléaire civil. Comme l’explique
[35]
dans un exposé TEDx , l’expert en énergie et ancien activiste
antinucléaire, Michael Shellenberger : aux USA, les mouvements
écologistes n’ont pas toujours été antinucléaires. Pour cela il remonte au
tout début des années soixante : le Sierra Club, une des toutes premières
associations écologistes, fondée en 1892 par John Muir et qui fait office de
référence en la matière, était plutôt pro nucléaire civil.
D’après Shellenberger, certains de ses membres y voyaient les
centrales atomiques comme une bonne alternative aux autres types
d’infrastructures que sont les barrages hydrauliques ou les centrales à
charbon qui détruisaient l’environnement. À l’époque, l’écologie se voulait
conservatrice. Hélas un conflit interne s’est immiscé entre les membres au
sujet de la centrale nucléaire qui sera construite par Pacific Gas and Electric
(PG&E) à Diablo Canyon, près de San Luis Obispo, en Californie.
Une tension est apparue entre David Siri, un des membres du conseil
de direction du Club selon qui « l’énergie nucléaire est l’un des principaux
espoirs à long terme pour la conservation. » et David Brower, le directeur
du Club en personne, pour lequel le fait de doubler la taille de la population
californienne, en fournissant une énergie abordable pour cette croissance,
aurait des conséquences graves sur la nature californienne.
Jusqu’en 1967, Le Sierra Club a voté en faveur de la construction de la
centrale atomique de Diablo Canyon. Ensuite un argument inédit est arrivé
sur le plateau apporté par un nouveau membre, David Pesonen. Sa stratégie
consistait à abandonner l’argument « conservateur » pour passer à celui de
l’assimilation des centrales atomiques aux armes nucléaires. En compagnie
de Hazel Mitchell, ils ont créé un rapport dans lequel ils évoquaient un
risque dû à une sorte de « Death dust » (Poussière mortelle) qui
empoisonnerait le lait. Partant de là, ils ont organisé des rencontres locales
pour informer les mères de famille. Et comme le souligne Shellenberger
« ils ont découvert une force extraordinaire, celle de la peur suscitée chez
les mères, de voir leur enfant empoisonné ». À partir de 1974, l’ensemble
du Sierra Club fut gagné à la cause antinucléaire, ainsi Michael Mc
Closkey, le nouveau directeur insistait sur la nécessité d’accroître la
régulation afin de contenir les dangers du nucléaire.
Selon Shellenberger toujours, un deuxième élément est entré en ligne
de compte pour insinuer la peur du nucléaire dans l’opinion : le film The
China Syndrome, avec Jane Fonda, Michael Douglas et Jack Lemmon
racontait l’histoire d’une centrale nucléaire dont le noyau fond à cause de la
corruption et de la mauvaise gestion de la centrale et traverse la terre pour
arriver… jusqu’à la Chine. Dans le film, on retrouve l’influence de Pesonen
avec cette idée que les mères de famille ont peur pour leurs enfants. Ironie
du sort, quelques jours après la sortie du film, survient l’accident de Three
Miles Island. Jane Fonda et le producteur du film saisiront cette occasion
terrible pour accentuer leur message, au travers de concerts de rocks et
lanceront alors à ce moment une affiche « No Nukes » dans laquelle on voit
un champignon atomique. Ce qui réalise selon Shellenberger l’objectif
initial de David Pesonen : démontrer la similarité entre les armes et
l’énergie nucléaire.
Une conférence a été organisée dans laquelle on a mis sur scène un
soldat qui avait été irradié à côté d’une mère de famille qui habitait en
Pennsylvanie à proximité de la Centrale de Three Miles Island. Or, selon
l’analyste, la couverture médiatique de l’accident s’est concentrée sur ce qui
« aurait pu arriver » plutôt que sur ce qui « est vraiment arrivé ». Partant du
principe qu’une faible radiation avait été relâchée à proximité de la centrale.
La conclusion de cette histoire étant qu’en 1979, on a arrêté la construction
du projet de centrale de Diablo Canyon. Il est important de souligner, nous
dit Shellenberger, que Three Miles Island n’a fait aucune victime directe ou
indirecte.
En attendant, antinucléaires américains ont remporté leur pari haut la
main : ils ont réussi à faire s’immiscer l’idée dans le public d’une similarité
entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire. On notera qu’en France une
des militantes antinucléaires les plus célèbres et également ex-ministre de
l’Environnement entre 1995 et 1997, Corine Lepage a affirmé : « Le
nucléaire civil est le frère jumeau du nucléaire militaire, considéré par De
[36]
Gaulle comme le véritable outil de l’indépendance nationale . » Ce qui
nous intéresse au travers de cet exemple, c’est que l’on comprend bien la
stratégie qui consiste à faire exister le danger, en faisant des actions pour le
rendre visible. En Europe, comme on le sait, les mouvements antinucléaires
seront également très puissants, réussissant par exemple à influencer des
pays entiers comme l’Allemagne ou la Suisse d’abandonner la filière
nucléaire.
De cette analyse, on retiendra que les mouvements antinucléaires
trouvent leur origine dans l’opposition au nucléaire militaire. Aussi
l’opposition au nucléaire civil a émergé de la capacité de certains militants à
faire croire que nos sociétés courraient le même danger avec le nucléaire
civil. Et pour cela, ils ont déployé une stratégie d’agit-propre et d’influence
qui a consisté à imaginer et mettre en scène des scénarios catastrophes. Ce
faisant ils ont réussi à instiller la peur dans l’opinion et cette certitude qu’il
existe une parenté entre les deux applications d’une même technologie.

ZAD : Zone Anti Déchets

Manifester, faire des films, organiser des concerts…, les ressources des
militants antinucléaires sont infinies pour créer des biais cognitifs dans
l’opinion et renforcer des a priori ou mettre le doigt sur des failles de
[37]
sécurités qui pourraient se révéler fatales . Il faut dire que les
catastrophes qui se sont produites ont contribué encore davantage à
renforcer cette crainte infuse. Des accidents spectaculaires ont marqué la
mémoire collective et ont contribué à braquer les foules. Jean-Pierre Poirier,
docteur en médecine et sciences économique, dans son ouvrage
remarquable sur Marie Curie et les conquérants de l’atome, distingue trois
grandes catégories : Les incidents techniques et accidents techniques en
cours d’exploitation (par exemple un court-circuit ou une panne électrique),
les accidents graves (perte des circuits de refroidissement, fusion du cœur
du réacteur) et enfin les actes de terrorisme et actes de guerre. À cela, il faut
ajouter la gestion des déchets nucléaires. Les accidents qui ont le plus
marqué les esprits sont Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en 1986,
Tokai Mura en 1999, Sellafield en 2005 et Fukushima en 2011. Prenant acte
de ces risques inconsidérés, certains pays comme la Suisse ou l’Allemagne
ont décidé de mettre un terme au développement de leur industrie nucléaire.
[38]
Un revers immense pour la filière .
Pourtant en termes de risques encourus, tous les chiffres confirment
que l’énergie nucléaire est à l’origine d’un bien moins grand nombre
d’accidents que les autres sources d’énergie. Ainsi comme le souligne
Gérard Grundblatt, membre de l’Académie des technologies, « Chaque
mode de production d’énergie modifie l’environnement et a des
conséquences différentes sur la santé humaine. Si toutes présentent des
risques, la perception par les citoyens est cependant très différente, et pas
[39]
forcément en rapport avec la réalité . » L’ingénieur retraité compare ainsi
les risques liés à l’extraction de charbon, ceux liés à l’énergie hydraulique
et ceux liés à l’énergie nucléaire. Concernant cette dernière, il émet ce
constat : « Les risques liés à l’énergie nucléaire – extraction de l’uranium
dans les mines, libération de radioactivité par accident et évacuation de
territoires, problèmes liés au traitement des déchets radioactifs – sont vécus
différemment, car les accidents sont très rares, mais spectaculaires, et le
danger très difficile à cerner. Un nuage radioactif est vécu comme une
agression d’autant plus inquiétante qu’elle est sournoise et difficile à
objectiver, avec des effets potentiels nocifs pouvant continuer à se
manifester longtemps après l’accident. » L’auteur de l’article se réfère à une
étude de référence de l’OCDE qui cite le nombre de décès par source
d’énergie de 1970 à 2008 et distingue les pays de l’OCDE et ceux qui se
trouvent en dehors. On notera que plus de 38 672 personnes sont mortes
dans un accident (hors OCDE) pour le charbon, alors que le nucléaire en
compte lui 31 morts à Tchernobyl (notons qu’il ne s’agit pas d’une étude
qui traite des maladies chroniques).
D’autres études citées par l’auteur permettent de relativiser le risque
du nucléaire et l’autorisent à conclure que : « Par unité d’énergie produite,
on constate que le nucléaire contribue en fait considérablement moins à
cette mortalité différée que ne le font les combustibles fossiles. Une des
raisons est qu’il ne peut le faire qu’à l’occasion d’accidents graves,
entraînant une importante contamination radioactive, tandis que les
combustibles fossiles le font en permanence au travers de la pollution
atmosphérique qu’entraînent leurs émissions de particules. »
Cette parenthèse nous permet de mieux revenir à notre sujet. S’il est
indéniable que les aspects spectaculaires des accidents du nucléaire ont
marqué à jamais l’opinion et avec raison, il n’en reste pas moins que les
associations continuent d’œuvrer pour amplifier les peurs et surtout de
poser des questions qui mettent les scientifiques dans l’embarras au point
qu’ils ne peuvent jamais donner de réponse.
Tristan Kamin, dans l’article déjà cité, distingue quatre grandes
thématiques sur lesquelles les ONG prennent à défaut l’industrie nucléaire
en générant de l’incertitude : « L’âge limite des réacteurs est de quarante
ans », « Le nucléaire pollue », « On ne sait pas démanteler un réacteur »,
« On ne sait pas gérer les déchets radioactifs ». Selon l’ingénieur d’étude en
sûreté nucléaire, cette dernière affirmation est « l’argument ultime dans
toute discussion sur le nucléaire. Elle est souvent avancée comme suffisante
pour inciter au renoncement à l’électricité nucléaire. »
Or selon lui, « la réalité est que la filière gère depuis 50 ans tous ses
déchets, et est probablement une des industries les maîtrisant le plus
exhaustivement… il n’est jamais inutile de rappeler que les dispositions
envisagées pour le long terme (stockage géologique à faible ou grande
profondeur) sont des exutoires définitifs et non une solution temporaire en
attendant une véritable solution. Les générations futures n’auront pas à
gérer ces déchets et pourront même oublier leur existence sans risque. »
C’est la configuration qui est clairement envisagée dans le cadre du
laboratoire sous-terrain de Bure en Meuse et c’est sur ce dernier point que
nous voudrions revenir au travers de l’exemple du projet Cigéo.
[40]
Sur la page Wikipedia du labo , on peut lire la présentation suivante
« Le laboratoire de Bure, ou laboratoire de recherche souterrain de
Meuse/Haute-Marne (LSMHM), est un réseau de galeries souterraines
localisé sous le territoire des communes de Bure (Meuse) et Saudron
(Haute-Marne) en France. Dans le cadre des recherches sur le stockage des
déchets radioactifs en couche géologique profonde, ce laboratoire de
recherche souterrain est exploité par l’Agence nationale pour la gestion des
déchets radioactifs (Andra) afin d’évaluer les propriétés de confinement de
la formation géologique située à 500 mètres de profondeur pour le projet
Cigéo de stockage des déchets nucléaires. » Un projet qui a vu le jour en
2000.
Une situation tout à fait propice pour que les ONG puissent semer le
doute dans l’opinion en mettant en scène le risque d’une part et en posant
des questions auxquelles les scientifiques sont incapables de répondre
d’autre part. Alors qu’il n’y a aucun déchet présent sur le site à ce jour et
que pour l’instant, rien n’est prévu avant 2025, les associations et les
militants manifestent leur présence sur le site en réalisant différentes actions
afin d’attirer l’attention des médias.
Ainsi avant même la désignation du site meusien, la Coordination
nationale des collectifs contre l’enfouissement des déchets radioactifs (CN-
CEDRA) a été créée. En 2001, l’association en question organise un camp
contre l’implantation du laboratoire de Bure. Après avoir protesté en 2006
contre la loi qui consacrait l’enfouissement des déchets, elle s’est
concentrée sur l’organisation de festival de musique et différents
événements, tels que le Festival Bure’lesques. Les militants se réunissent
souvent dans la Maison de Résistance à Bure. Elle communique sur le site
[41]
burestop.free . En 2017, les militants ont monté d’un cran en voulant
occuper le Bois Lejuc, la zone acquise par l’ANDRA, pour y procéder à
l’enfouissement des déchets. Ils en ont été délogés par les forces de l’ordre
en 2018.
On notera tout d’abord qu’il y a toujours une forte connotation
politique dans cette opposition puisque les membres de la ZAD naissante
l’ont baptisée anticapitaliste et antiautoritaire. Chez certains d’entre eux, la
tentation est forte de faire croire que des déchets sont déjà présents dans le
sous-terrain et le ton complotiste est de mise.
Ainsi la blogueuse de la chaîne Alter-J nous confesse que vers la fin
des années 90 elle a connu « un ingénieur qui avait été payé pour faire les
plans d’enfouissement des déchets nucléaires. Or un des problèmes, c’est
que depuis des années, les gens de l’Andra nous certifient qu’il n’y a pas de
déchet nucléaire à l’Andra. Les doutes persistent, car des routes élargies ont
été construites autour du site pour laisser les convois exceptionnels passer. »
Dans la suite de sa vidéo qui est présentée comme un reportage TV, elle
indique que des gens du lobby nucléaire ont acheté des maisons alentour et
que les villageois n’osent plus être contre le nucléaire depuis que le village
[42]
est éclairé par de jolis lampadaires offerts par l’ANDRA .
Dans un premier temps, les manifestations rendent visibles le danger
invisible… et le bruit se répand que des déchets sont déjà présents. La
deuxième étape consiste à mettre dans l’embarras en posant une question
sans réponse. Et là, les militants antinucléaires vont sortir l’artillerie lourde.
Car la question de l’enfouissement des déchets est pour le moins ambiguë.
En effet, si la question des déchets à vie courte qui sont gérés dans des
stockages de surfaces a été réglée depuis longtemps, comme le remarque
Bernard Bonin, directeur scientifique adjoint au Commissariat à l’énergie
atomique et aux énergies alternatives, « la gestion à long terme des déchets
radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue n’a pas
[43]
encore été décidée dans tous les détails. » À la suite de la loi votée en
2006, la mise en place d’un stockage géologique a été décidée pour 2025
avec CIGEO.
Cette décision a été prise en considérant que le stockage était la seule
voix « réaliste » pour les déchets ultimes. Or comme le souligne l’expert « à
la différence d’une mine, un stockage se singularise avant tout par la durée
de la mission qui lui est assignée, de l’ordre de 100 000 ans, ce qui diffère
de tous les autres objets faits de main humaine. Nous ne disposons pas de
retour d’expérience sur ce type d’installation ». Aussi étant donné l’échelle
temporelle, on est obligé d’avoir recours à la « modélisation prédictive »
pour essayer de mesurer la radioactivité qui sera relâchée (même en
supposant qu’elle soit d’une quantité infime). Même si toutes les
modélisations effectuées et les retours d’expérience obtenus sont plutôt
rassurants, on ne peut s’empêcher d’imaginer, nous dit Bernard Bonin des
« scénarios altérés » et de conclure : « Pour toutes les raisons invoquées
plus haut, la sûreté du stockage ne se démontrera pas. Le rôle de la science
devra être un peu plus modeste : construire la confiance, par un faisceau
concordant d’indications montrant que tous les avatars susceptibles
d’affecter le stockage ont été prévus jusque dans leurs conséquences… Bref
que ce dernier est une conception robuste et maîtrisée. La maîtrise des
risques n’est pas que technique et scientifique, car elle a une forte
composante sociale. La démarche de construction de la confiance ne doit
pas s’arrêter une fois acceptée à la conviction des experts. »
Comme dans l’étude de cas des OGM que nous avions vu
précédemment, nous nous retrouvons devant une confrontation entre une
authentique attitude scientifique qui consiste à reconnaître l’impossibilité de
démontrer le risque 0, et des opposants aux nucléaires qui profitent de la
situation pour demander toujours plus de garanties. Ainsi pour Yannick
Rousselet, spécialiste nucléaire de Greenpeace le fait qu’une industrie
comme le nucléaire n’ait pas pensé au moment de son lancement ce que
devaient advenir ses déchets est bien la preuve d’une technologie de
[44]
mauvaise conception .
Exploitant le filon, le journaliste Ben Cramer a, quant à lui, écrit
[45]
l’ouvrage Enquête sur le projet de Bure, descente aux enfers nucléaires .
D’après lui quand on parle de déchets et de radioactivité, on est obligé de se
projeter sur des périodes de 200 000 à 500 000 ans. Il se pose alors la
question « Comment le mot “attention” peut être exprimé pour qu’il soit
compréhensible par des gens dans 50 000 ans ? » Selon lui c’est tout à fait
impossible à imaginer. « Même si vous mettez une tête de mort, il se peut
très bien qu’une tête de mort ne soit pas compréhensible pour des gens dans
[46]
50 000 ans. » La solution serait donc l’oubli. Et il s’étonne : « nous
serons la première civilisation à laisser comme trace dans l’histoire
l’enfouissement ce qu’elle a fait de plus pourri. » Aussi, sa conclusion est
que l’impasse des déchets démontre l’impasse du nucléaire.
Diffusée sur HBO, la mini-série Tchernobyl qui retrace l’histoire de la
catastrophe a remporté un succès inattendu. En la regardant on comprend
qu’une centrale mal conçue et mal protégée (sans confinement) pilotée par
des incapables qui de surcroît commettent une erreur fatale, au cœur d’un
régime soviétique qui confine à l’absurde à tous les étages, le nucléaire civil
devient une arme terrible. Tout cela donne des arguments massue aux
activistes antinucléaires. Aussi les pro nucléaires auront beau sortir toute
leur batterie d’arguments et arguer que les autres énergies tuent beaucoup
plus, que les centrales d’aujourd’hui n’ont rien à avoir avec celles d’hier,
que c’était la faute du communisme… rien n’y fait : l’opinion a arrêté son
point de vue. Et ce, d’autant plus que certaines légendes sont définitivement
ancrées dans l’opinion.
Ainsi, lors de l’incident industriel récent de Lubrizol en Normandie,
l’une d’entre elles a refait surface. Celle du nuage de Tchernobyl. Les
Français sont acquis au fait que l’État français a menti aux populations
depuis qu’il a affirmé que le nuage de Tchernobyl n’avait jamais franchi la
frontière. C’est un classique du genre. Or la vérité est tout autre. Certes il y
a bien eu un cafouillage entre les services concernés notamment avec le
communiqué de l’ex SCPRI (Service central de protection contre les
rayonnements ionisants), et les autres infrastructures telles que le ministère
de l’Agriculture. Il y a eu des imprécisions, mais contrairement à ce que
certains calomniateurs ont voulu faire croire, le professeur Pélerin n’a
jamais dit que le nuage s’était arrêté à la frontière. Après un jugement qui a
été prononcé le 7 septembre 2011, la Cour d’Appel a reconnu qu’« il n’a
jamais dissimulé l’existence du panache radioactif sur le territoire
français ». Le Chef du Service de Protection contre les Rayonnements
Ionisants (SCPRI) a bien reconnu au contraire que le « panache de
Tchernobyl » était arrivé sur le territoire français, mais que la radioactivité
induite n’était pas une menace pour la santé publique. Il s’est donc vu
exonéré de toute accusation de « tromperie », « blessure involontaire » ou
« autre qualification pénale ». À l’époque, en fonction du poste qu’il
occupait, il a réalisé avec ses équipes l’analyse d’échantillons alimentaires
(6500 contrôles effectués en mai et juin 1986 !) afin de surveiller les
niveaux de contamination radioactive en France et les risques éventuels
encourus par la population, contrôle à grande échelle qui a démontré que les
denrées alimentaires pouvaient être consommées sans danger pour la santé.
Mais les calomnies ont la vie dure. Surtout quand elles sont répétées par des
pros de l’endoctrinement.... Et le fantôme de Tchernobyl continuera de
hanter le public, jusque dans les couloirs du laboratoire souterrain de Bure.
Moins prosaïquement, de nombreux doutes subsistent au sujet du
nucléaire et le travail de communication de ses protagonistes pour regagner
la confiance du public semble énorme. À un tel point qu’il en paraît même
insurmontable quand on voit le nombre de croyances et de biais cognitifs
répandus dans l’opinion. Comment réussir aujourd’hui à faire entendre que
c’est l’une des sources d’énergie les moins risquées ? Comme le souligne
Jean-Philippe Vuillez, spécialiste en médecine nucléaire du CHU-Grenoble,
professeur de biophysique et ancien président de la Société française de
médecine nucléaire et d’imagerie moléculaire, cette peur a des origines
profondes : « On ne dira jamais assez la singularité de la perception des
risques liés à la radioactivité, dans une appréhension collective hantée par le
traumatisme d’Hiroshima et la médiatisation d’accidents comme ceux de
Tchernobyl et de Fukushima. Les peurs sous-jacentes reposent, en dernière
analyse, sur l’idée que les rayonnements, aussi minimes soient-ils, peuvent
générer des cancers, et même retentir sur les générations suivantes. Il s’agit
d’une peur irrationnelle, entretenue par le concept scientifiquement erroné
[47]
de « Relation Linéaire Sans Seuil ». Nous reviendrons sur ces problèmes
dans notre quatrième partie. En attendant, nous devons continuer d’étudier
les sujets qui font polémiquer. Voici donc le cas des antennes relais.

3. « Mauvaises ondes » : l’antenne était éteinte

Quand la Société Française de Radioprotection a vu le jour en 1965,


elle était loin de se douter de l’ampleur de la tâche qui allait être la sienne
dans les décennies à venir. Alors qu’elle se donnait simplement pour
objectif de rassembler les professionnels des rayonnements ionisants et non
ionisants, la voici aujourd’hui face à une quantité de fronts ouverts contre
les ondes. Aussi ses membres sont sollicités de toutes parts pour informer,
rassurer et parfois, tout simplement calmer les populations qui s’affolent
dès qu’elles entendent parler du mot « ondes ». Hélas, ce ne sont pas les
quatre revues annuelles que l’on peut télécharger sur le site ou la
documentation pourtant riche de cette société savante qui suffiront pour
accomplir cette tâche immense. Car depuis que certaines associations
militantes se sont lancées dans l’activisme anti onde, tout y est passé : les
lignes très haute tension, les antennes relais, les téléphones cellulaires, les
box wifi, les micro-ondes, les compteurs connectés de type Linky, ou
encore la très attendue 5G… Tout cela fait autant de sujets contre lesquels
se montent des collectifs et se liguent des opposants, dans l’espoir de
revenir à un monde débarrassé d’ondes, ces agents invisibles causes d’un
mal-être ressenti profondément par certains.
Face à cette vague de protestations, la SFRP est bien démunie et, le
plus souvent, ce sont ses membres bénévoles qui se mobilisent pour
répondre aux journalistes, écrire des articles de vulgarisation pour la presse
ou encore se rendre dans des réunions organisées par des associations de
riverains. L’exercice n’est pas des plus aisés et pour le moins ingrat. Quand
on traverse la France en train pour assister bénévolement à une conférence
en prenant le risque de se faire insulter, on ne manque pas de courage. Mais
quoi de plus normal après tout ! Le chantier est tellement immense qu’on se
demande pourquoi on ne met pas davantage de moyens. Certains se sentent
bien isolés quand ils se retrouvent sur une estrade de mairie à devoir
prêcher la bonne parole pour rassurer une bourgade qui s’est réunie dans la
salle communale, les bras croisés, le visage fermé.... d’autant plus qu’il
faudrait plusieurs experts pro ondes pour répondre à toutes les questions qui
surgissent de part et d’autre et dont certaines ressemblent à des revanches
personnelles face à la société, tandis que d’autres ne se cachent pas d’être
militante. Or, le plus souvent, les autres « experts » invités à ce genre de
débat sont eux-mêmes de fervents militants anti ondes, membres
d’association revendiquées comme telles et ne cachant pas leurs agendas.
On ne peut compter sur eux pour cautionner un exposé rationnel sur le
risque puisqu’ils sont venus avec un seul objectif : « démontrer l’existence
de dangers »… et parfois proposer des solutions alternatives dont certaines
se trouvent au cœur d’un business des plus juteux (broches anti ondes,
consultations pour électrosensibles, combinaisons de protections…)
Comment répondre alors à ce flot d’angoisses auquel « l’expert
SFRP » fait face ? Ils ont tous vu une vidéo ou entendu parler un « savant
auto proclamé ». Ils se sont fait recruter au sein d’une association locale…
Et sont bien évidemment tous persuadés d’un complot des industriels
destinés à détruire leur santé, leur environnement. Aussi les présentations
PowerPoint pédagogiques ne pèsent pas lourd contre cette animosité dans
laquelle s’entremêlent pseudo-science et parfois une certaine forme de
rébellion : d’aucuns ont subi l’installation d’un mat ou ne supporte pas que
l’État mette le nez dans la gestion de leur électricité.... des questions qui
dépassent les compétences de la Société, qui ne répond qu’aux « questions
scientifiques » et ne souhaite pas faire de politique comme insiste son
président Sébastien Point, président de la SFRP, physicien, auteur et co-
auteur de nombreux articles ou ouvrages sur les rayonnements …
Apparaît alors à l’écran le schéma qui distingue le concept de risque de
celui de danger… mais surgit dans la salle la question qui tue : « C’est bien
beau votre exposé, mais puisque je vous dis que les ondes me rendent
malade et que mes symptômes sont bien réels. » Que répondre ?

Mats trop visibles, mal invisible


Dans la logique de « ce qui se voit et ne voit pas », pour paraphraser le
penseur Frédéric Bastiat, les antennes relais présentent une remarquable
étude de cas. En effet, c’est sans doute avec elles que la « Guerre des
ondes » pour reprendre un titre du Dauphiné a émergé dans les grands
médias et dans l’opinion publique. Cela remonte à la fin des années 2000 et
plus précisément à 2009 quand pour la première fois un tribunal a
condamné en appel la firme Bouygues Telecom, à la suite d’une plainte de
trois couples de riverains contre l’installation d’une antenne relais à
proximité d’une école. Le tribunal de Versailles a invoqué la raison de
« troubles du voisinage ». L’opérateur s’est vu dans l’obligation de
démonter l’antenne et de verser 7000 euros de dommages et intérêts aux
[48]
plaignants . Un événement qui a fait date dans l’histoire de la téléphonie
française et qui a mis le feu chez les opérateurs, ces derniers se demandant
l’espace d’un instant si – au nom du principe de précaution, plusieurs fois
évoqué pendant le procès – ils allaient devoir démonter leurs antennes
partout en France.
À l’époque, la journaliste du Figaro s’interroge « Il semble que la
justice dans cette affaire a mieux entendu le battage de certaines
associations dénonçant depuis plusieurs années les dangers des antennes-
relais que les scientifiques spécialisés dans les questions d’environnement.
[49]
» Et pour une bonne raison ! C’est que ces associations savent se
mobiliser partout sur l’hexagone dès qu’une antenne pointe le bout de son
nez. À l’époque, elles sont au nombre de quatre : la Crii-Rem, Robin des
toits, Next-up et Priartem. Très actives au niveau national, elles ont des sites
internet et/ou des blogs leur permettant de diffuser de nombreux
communiqués et dossiers de presse auprès des médias et de l’opinion
publique, qui relayent des actions ou des prises de position. Ce sont eux qui
vulgarisent le rapport Bioinitiative publié en 2007 servant de référence à
toutes les associations anti science.
Ainsi selon Étienne Cendrier, fondateur de Robin des Toits ce
document apporte « les preuves scientifiques définitives des dangers pour la
[50]
santé de la téléphonie mobile » et selon lui, il faut mettre en place
rapidement un plan sanitaire pour éviter le scandale imminent. Next-Up
[51]
relaye l’intégralité du rapport sur son site ainsi qu’une synthèse . Pour
Priartem, c’est « Un pavé dans la mare trop tranquille des experts officiels »
et « les normes appliquées dans la quasi-totalité des pays au niveau mondial
[52]
ne suffisent pas pour protéger les populations. » Il cite un extrait :
« Vous ne pouvez pas le voir, vous ne pouvez pas le sentir, mais il s’agit de
l’une des expositions environnementales les plus invasives aujourd’hui dans
nos pays industriels. » Le ton est donné.
Pendant que ces associations abreuvent la presse nationale de rapports,
de nombreuses associations locales font des communiqués pour tenir la
presse quotidienne régionale en haleine. C’est le cas, par exemple du CAPP
[53]
(un Collectif pour l’Application du Principe de Précaution) . D’après un
article publié sur Bigouden TV, le collectif regroupe une cinquantaine de
riverains. On apprend également dans l’article que « 8 membres de ce
collectif ont déposé un recours au tribunal administratif contre l’arrêté de
non-opposition pris par la mairie de Loctudy sur l’implantation d’une
antenne de téléphonie mobile à Larvor. » Et ils vont organiser un
rassemblement sur cette zone naturelle sensible. Cette information est du
pain béni pour le journaliste local, qui dispose – comme avec les faucheurs
volontaires, ou les zadistes anti déchets – d’une information brûlante pour
raconter une histoire avec des rebondissements et permet de conserver
l’alerte sur les antennes.
Loin d’être isolé dans sa démarche, le CAPP a invité « le collectif
Vigilance 29 Technologies sans fil, qui regroupe une dizaine de groupe du
département, engagés contre les pollutions électromagnétiques ». Un
événement qui regroupe du monde ; l’article de presse tel une publicité
donne les détails aux lecteurs : date, lieu et heure de la réunion.
Des collectifs de ce genre, il y en a un peu partout en France et on peut
imaginer l’efficacité de ce type d’actions qui permettent de mobiliser en
rase campagne, zones qui souffrent paradoxalement souvent d’une
mauvaise couverture réseaux. Les militants, des lanceurs d’alertes, des éco-
conscients… ont, à force de manifeste et de manifestations, fait exister dans
l’opinion publique des peurs qui n’existaient pas. N’oublions pas – cela
montre l’ampleur des débats à l’époque – que certains sont allés jusqu’à
[54]
incendier des antennes relais . Ce fut le cas à Bristol, au Royaume-Uni,
où une cellule de militants anarchistes a incendié un mat après l’avoir scié,
revendiquant cette action au nom de « l’auto-organisation et la résistance
anticapitaliste ». Notons que c’est un mode d’action que l’on a rencontré de
nouveau très récemment avec l’arrivée de la 5G en Belgique et aux Pays-
[55]
Bas . Nous reviendrons sur ce sujet plus tard, mais très souvent les
mobiles des ONG ne sont pas seulement anti progrès scientifique, ils sont
aussi politiques.

Qui veut la peau des EHS ?

[56]
Véronique a fait l’objet d’un reportage 13 h 15 le samedi de France 2 …
Elle est EHS, Electro-Hyper-Sensible. Quand elle sort, elle porte un masque
de débroussailleuse surmonté d’un chèche. Infirmière en arrêt maladie, elle
vit calfeutrée dans sa maison. Son amie Liliane qui lui a rendu visite pour le
tournage s’est plainte, elle, auprès des cameramans parce qu’ils avaient
déployé trop de projecteurs… compliqué en effet de faire un reportage sur
les électrosensibles sans matériel électronique. Quand elle va faire ses
courses, elle se rend dans un magasin bio qui aménage des horaires de
courses pour les électrosensibles. Elle se rend parfois dans Paris pour
consulter un spécialiste. Elle avoue en avoir vu déjà 17. Le premier était un
hématologue qui lui a dit qu’elle était hypocondriaque. Le second, un
neurologue réputé, l’a réorienté vers un psychiatre. Après moult
pérégrinations, elle a fini par trouver un spécialiste. L’équipe la filme en
train de courir dans les rues de la Capitale pour aller le voir, car, nous dit le
reporter, il se trouve en « zone hostile »… une zone baignée par les ondes.
Il s’agit du célèbre Professeur Belpomme. Son diagnostic est sans appel :
« Véronique fait l’objet d’une intoxication aux ondes ». La cause est
entendue d’autant plus que Véronique vit à 35 mètres d’un transformateur
électrique EDF… Et cela n’a rien à voir avec la maladie de Lyme dont a été
victime l’infirmière un peu avant, même si elle en présente tous les
symptômes.
Les EHS ont été présentés parfois comme des personnages
caricaturaux. Dans la série Netflix Better call Saul, Saul Goodman l’avocat
qui s’est fait connaître dans Breaking Bad, doit s’occuper de Chuck son
frère électrosensible, qui abandonne sa carrière d’avocat talentueux pour se
terrer dans sa maison où chaque recoin a été aménagé avec des protections
contre les ondes. Il est devenu totalement incapable de se rendre sur son
lieu de travail et s’est coupé de toutes les relations avec ses associés.
Chaque fois qu’il se retrouve à proximité des ondes, cela donne lieu à des
scènes tragiques. Lors d’une scène qui a lieu au tribunal, son frère démontre
que sa maladie est feinte, car, alors qu’il a été demandé aux instances
judiciaires de faire aménager la salle du tribunal, l’avocat révèle qu’il a un
mobile dans sa poche sans le savoir et que cela ne l’a nullement affecté....
un classique du genre pour démontrer que l’EHS ne repose sur rien de
solide et peut être jugée comme un cas particulier d’effet « nocebo » (le
contraire de l’effet placebo qui est défini généralement comme une
croyance qu’un danger est présent est suffisante pour enclencher un danger
somatique).
C’est ainsi que l’histoire des antennes relais va connaître un
revirement inattendu, alors que l’angoisse commençait à s’installer dans les
[57]
chaumières françaises, Challenges titre « Téléphonie mobile : légende
urbaine à Saint-Cloud ». L’article rapporte l’histoire d’une famille qui a fait
l’objet de trois reportages médiatiques dont un de Paul Amar sur France 2,
intitulé « Les antennes relais sont-elles dangereuses », un autre du Parisien
« Une résidence entière se ligue contre les antennes-relais » et un du JDD
enfin « Antennes, téléphones : la grande peur des ondes ». Dans chacun de
ces reportages, la famille a pu se plaindre de maux de tête liés à la présence
d’une antenne relais de l’opérateur Orange. On imagine l’impact de ce
genre de reportage à sensation sur l’opinion. Mais comme le rapporte Gaël
Macke, la journaliste qui a vraiment enquêté « Ce qui est intéressant, c’est
qu’aucun des trois médias n’ait interrogé l’opérateur Orange, responsable
de toutes ces “nuisances”. Car un porte-parole de l’opérateur confirme de
manière formelle que “les trois antennes mobiles de Saint-Cloud installées
depuis le mois de mars dernier n’ont jamais fonctionné et n’ont donc jamais
émis la moindre onde. (…)” Les curieux symptômes ressentis au même
moment et ensemble par les riverains restent donc pour le moment
inexpliqués… mais ne sont donc en tous cas pas des signes d’une
[58]
surexposition invalidante aux champs électromagnétiques ! »
Le camp des rationalistes se saisira de ce cas d’école resté célèbre pour
dénoncer la supercherie des ONG anti ondes ; ainsi le blogueur Charlatan
affirme : « L’effet nocébo (l’inverse de l’effet placébo) des antennes relais
vient enfin d’être démontré, grâce à une expérience involontaire, mais ô
combien révélatrice, de l’opérateur de téléphonie mobile Orange (…) Cette
affaire met en lumière le peu de crédibilité à apporter aux relations de cause
à effet affirmées par ceux qui se déclarent électrosensibles, dont les maux
sont certainement à rechercher ailleurs. Elle éclaire également le peu de
sérieux d’associations telles que les Robins des Toits, qui fait feu de tout
bois, mais ne s’embarrasse pas d’esprit critique ni d’analyse scientifique
rigoureuse, au profit d’une idéologie installée et d’une peur de la
technologie récurrente. »
Notons que plusieurs études scientifiques de référence ont démontré
l’aspect psychologique des symptômes dont souffraient les EHS. C’est le
[59]
cas, par exemple, pour l’étude menée par l’Université d’Essex où des
dizaines de personnes se plaignant de troubles n’ont jamais été en mesure
de déterminer si les émissions de radiofréquence étaient activées ou non
lors des essais en double aveugle. Seul leur niveau de stress augmentait
quand elles imaginaient que le signal était actif. Les proportions de
candidats capables d’établir un lien n’ont jamais dépassé celle du hasard. Il
est impossible de lier les symptômes ressentis à la présence d’antennes
relais et les chercheurs qui ont mené l’étude en ont déduit qu’ils
souffriraient d’un effet « nocebo » : leur sentiment d’être confronté à une
menace finit par produire des effets somatiques, qu’il y ait effectivement
rayonnement ou non. En bref : les tests réalisés en double-aveugle sont non-
concluant et les experts en déduisent qu’il s’agit de troubles
psychologiques.
[60]
Rappelons que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ,
l’ensemble des autorités sanitaires qui font référence au niveau mondial, et
les autorités médicales françaises sont en phase pour reconnaître qu’il n’y a
aucun lien possible entre les souffrances des patients qui se prétendent
électrosensibles et l’exposition aux ondes magnétiques. Toutes les instances
en question s’appuient sur des dizaines d’expériences réalisées ces vingt
dernières années.
Malgré le « front scientifique », l’électrosensibilité n’a pas pour autant
cessé de se répandre et à la suite de quatre années d’études qui ont regroupé
plus de 40 scientifiques, dans un rapport publié en 2018, l’ANSES évalue à
3,3 millions de Français souffrants, sous une forme ou sous une autre et à
des degrés variables, de sensibilité exacerbée aux ondes
[61]
électromagnétiques .
De ce fait, le commerce des dispositifs de protection contre
l’électrosensibilité ne cesse de prospérer. Quand on lance la requête
[62]
« vêtements anti ondes » dans Google, on trouve 4 230 000 résultats .
Comme le note l’UFC Que Choisir c’est un véritable petit inventaire à la
Prévert : « Peinture, disjoncteur, vêtements, lunettes, film pour vitre,
grillages, câbles, etc. Débattue depuis maintenant une quinzaine d’années,
la question de l’électrosensibilité a suscité une offre hétéroclite de
dispositifs de protection, souvent vendus à des prix élevés : 69 € pour un
bandeau de grossesse anti onde Belly Armor, 248 € pour une veste à
capuche chez Naturonde, 200 € le pot de peinture anti onde de cinq litres
[63]
Yshield… »
Mais un fait plus remarquable encore est que des électrosensibles
obtiennent gain de cause devant les tribunaux, et ce contre les avis des
instances scientifiques. Aussi, plusieurs EHS ont gagné leurs procès. En
effet, le premier jugement en date a été prononcé en 2014 par le tribunal du
contentieux de l’incapacité (TCI) de Toulouse qui a reconnu ce « syndrome
d’hypersensibilité » à Marie Richard, la plaignante, qui se traduit par une
« déficience fonctionnelle évaluée à 85 % en milieu social actuel ». De
sorte, celle-ci bénéficie d’une allocation aux adultes handicapés, sur trois
ans, et renouvelable en fonction de l’évolution de la maladie. Le jugement
qui s’appuie sur une expertise médicale affirme que « La description des
signes cliniques est irréfutable ».
Or, comme le remarque Sébastien Point : « Les décisions de justice
ayant donné gain de cause à des plaignants ne constituent pas un argument
utilisable pour démontrer un effet sanitaire des ondes. Car l’analyse des
juges, qui n’ont pas plus de compétence en science qu’en a le commun des
mortels, n’est pas recevable d’un point de vue scientifique. » Hélas, comme
le souligne le président de la SFRP, les tribunaux n’hésitent plus désormais
[64]
à convoquer des charlatans en guise d’experts pour donner leurs avis .
Il n’en reste pas moins que les EHS revendiquent leurs maladies et
sont persuadés de connaître la cause de celle-ci… On l’aura compris, ils
posent une question qui n’a pas de réponse scientifique. Ou tout du moins la
réponse que leur donnent les autorités scientifiques et sanitaires – « nous
n’avons aucune preuve que votre maladie ait un lien quelconque avec les
ondes » – ne les satisfait pas. Mais eux prennent leurs interlocuteurs par les
sentiments en l’invitant à se mettre à leur place… ou encore comme on l’a
entendu dans un témoignage sur YouTube : « l’EHS, c’est exactement
comme le cancer, certains le développent d’autres non, alors qu’ils ont les
gênes… allez savoir pourquoi ! »
Une fois de plus comme nous venons de le voir au travers de ce cas,
c’est la même mécanique qui est à l’œuvre. Des lanceurs d’alerte désignent
un mal invisible « les ondes ». Par une série d’actions, ils se mobilisent
pour signaler l’existence de ce « mal » et certains médias se chargent de
relayer abondamment leurs messages. Ainsi, comme le remarque Martine
Souques, docteur en médecine, spécialiste des effets biologiques et
sanitaires des rayonnements non ionisants : « recevoir des rapports
médiatiques sensationnels pourrait sensibiliser les gens à développer un
[65]
effet nocebo et ainsi contribuer au développement de l’EHS. » Ensuite
quand la peur est bien installée dans l’opinion, ils voudraient que l’on
prenne des mesures adéquates : abaissement des seuils, instauration de
zones blanches (aux dépens parfois de l’intérêt des autres riverains qui
réclament davantage de connexions), reconnaissance de leur maladie par les
autorités et dédommagement.... Ils sont d’ailleurs contre toutes les formes
d’ondes et attendent chaque innovation technologique pour sortir du bois....
La 5G les effraie déjà alors qu’elle n’est pas encore arrivée.
Une question se pose toutefois : qui sait si aujourd’hui on aurait autant
d’EHS revendiqués sans toute cette campagne de sensibilisation qui a été
lancée dans les années 2000 par les mouvements anti ondes. Comme on le
sait, la panique est contagieuse… d’autant plus quand elle est provoquée
par un « mal invisible » présent partout et nulle part à la fois. Un scénario
qui peut se répliquer à l’infini.
4. « Sans Glyphosate » : probablement un cancérigène ?

[66]
Quand il a lancé le collectif « Ici La Terre » en septembre 2019
avec ses camarades agriculteurs, Jérôme Reugnault avait un objectif :
répondre aux questions des Français qui s’interrogent sur les pratiques
agricoles et notamment l’usage des pesticides. L’initiative semblait plus que
nécessaire, sachant que le Gouvernement français avait lancé une grande
consultation nationale. L’objectif : apporter une réponse pratique et
professionnelle aux consommateurs inquiets à la suite du climat anxiogène
actuel répandu dans l’agriculture, un phénomène qui ne cesse de prendre de
l’ampleur. Le collectif a donc fondé une cagnotte afin de financer la mise en
place d’un numéro vert accessible tous les jours de la semaine. Les
agriculteurs se sont relayés pour répondre aux questions du public. Selon le
porte-parole du groupe : « Il faut jouer la carte de la transparence la plus
totale et répondre sans ambages. Nous sommes prêts à répondre à toutes les
questions aussi bien sur nos méthodes de travail, les produits que nous
utilisons, nos équipements, ce que nous gagnons… Il ne doit y avoir aucun
secret ou sujet tabou entre nous et le public. Car celui-ci est coupé
totalement de ses racines agricoles et il est important qu’il puisse parler à
des agriculteurs pour pouvoir être rassuré. (…) Au contraire, nous
gagnerons d’autant plus la confiance que nous ferons connaître nos
pratiques. Tous les produits que nous utilisons sont homologués par le
ministère qui s’appuie sur les avis de l’ANSES. (…) Hélas, tous ces efforts
ne payent pas en termes d’image d’où la nécessité de les expliquer à haute
voix. »
On sent effectivement dans cette démarche un vrai besoin de contact.
Mais comment se fait-il que des agriculteurs aient besoin de rassurer à ce
point l’opinion ? Et surtout de cette manière, en prenant de leur temps et de
leur argent pour aller directement à la rencontre du public ? Comme on le
sait depuis un certain temps, un nouveau phénomène est apparu dans
l’actualité : l’agri-bashing. Ou en bon Français, le dénigrement de
[67]
l’agriculture productiviste . Un nouveau passe-temps que Pierre Pagesse,
ancien président de la coopérative agricole Limagrain résume ainsi : « Une
idéologie malthusienne et récessionniste qui discrédite le métier nourricier,
triptyque de l’humanité, qu’exercent les agriculteurs. Le constat : la “bible”
de l’idéologie verte repose sur un totalitarisme déshumanisant : Gaïa la terre
est supérieure à l’homme ; l’homme est devenu le plus grand prédateur de
la terre ; ni les guerres ni les épidémies n’ont éradiqué la multiplication de
l’espèce humaine ; le seul moyen d’y parvenir c’est de limiter
[68]
l’alimentation .»
Face à l’agri-bashing, les professionnels de l’agriculture semblent
démunis et n’ont que peu de moyens. Il faut dire que les crises médiatiques
touchant la filière agricole n’ont pas cessé. Parmi, elle la très controversée
affaire du glyphosate.

Qu’est-ce que c’est que ce CIRC ?

Une fois n’est pas coutume, nous allons placer la « question qui tue la
science » en premier. Jusqu’à présent, nous avions toujours abordé
l’activisme avant « l’activité cérébrale ». Mais pour la compréhension de
« l’affaire du glyphosate », il convient d’inverser la présentation. Car, dans
ce cas, c’est « la question sans réponse » qui s’est trouvée être à l’origine
des manifestations.
C’est une agence sanitaire qui a mis l’affaire du Glyphosate sur la
place publique. L’acronyme français prête à la galéjade : le CIRC, pour
Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC en Anglais, pour
International Agency for Research on Cancer). Basée à Lyon cette agence
dépend directement de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Commençons par préciser que le CIRC ne produit pas lui-même
d’études, tel que le ferait un laboratoire, mais se contente de sélectionner et
compiler celles-ci afin de donner un avis qui n’a aucune valeur
réglementaire. Or, il est surtout connu du grand public et des médias pour
avoir publié des avis sur le caractère cancérigène du café, mais aussi des
téléphones portables et les ondes, de la viande et d’une quantité d’autres
substances…
C’est à la suite de ses analyses que le café a été classé sur la liste des
produits cancérogènes pendant plus de vingt-cinq années. Les vingt-trois
experts indépendants qui ont pour vocation de tenir à jour une liste de
substances classées en fonction de leur potentiel cancérigène ont revu leur
position après une analyse de plus de 1000 études réalisées chez l’homme et
l’animal qui n’ont apporté aucunes preuves concluantes. De son côté,
l’EFSA avait annoncé en 2015 que le café « ne présentait pas de problème
de sécurité pour la population générale en bonne santé ». L’instance
lyonnaise a fini par se ranger au côté de l’organisme européen.
Le plus souvent, ces déclarations défraient la chronique et suscitent des
reprises alarmistes. Ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il n’est pas simple
de décoder les avis émis. Le CIRC distingue cinq catégories de produits : de
« cancérogènes » (Groupe 1) à « probablement pas cancérogènes » (Groupe
4) en passant par « probablement cancérogènes » (Groupe 2A), « peut-être
cancérogènes » (Groupe 2B) et « inclassables » (Groupe 3) une
nomenclature qui a pour conséquence de susciter des controverses entre
experts. Sur la thématique sensible du cancer, il est difficile de « contenir le
débat au sein de la sphère scientifique » et on a vite fait de verser dans la
polémique. Il suffit de se pencher sur les reprises que les médias font des
avis du CIRC pour comprendre pourquoi.
À la suite de la publication d’une étude de l’organisme sur la
cancérogénicité de la viande rouge, les reprises dans les médias ont
largement varié. Entre Le Monde qui se contente de rapporter l’avis en
titrant de manière factuelle : « La viande rouge est “probablement”
cancérogène », et Europe 1 qui scande : « Viande et cancer : le rapport choc
de l’OMS », il y a toute la place pour l’imaginaire des consommateurs. Et il
suffit de consulter « Google suggest » (indicateur des requêtes les plus
fréquentes des internautes) pour voir l’impact qu’a eu cet avis du CIRC
dans l’opinion, puisque les résultats qu’on obtient le plus souvent quand on
lance la requête « viande », sont « cancérigène » et « cancérogène ». Or que
lit-on sur le site de l’OMS ? « Un comité consultatif international, réuni en
2014, a recommandé comme hautement prioritaire l’évaluation de la
consommation de la viande rouge et de la viande transformée par le
Programme des Monographies du CIRC. Cette recommandation était
fondée sur des études épidémiologiques laissant entendre que les légères
augmentations du risque de plusieurs cancers pouvaient être associées à une
forte consommation de viande rouge ou de viande transformée. Bien que
ces risques fussent faibles, ils pourraient être importants pour la santé
publique parce que beaucoup de personnes dans le monde consomment de
la viande, et que la consommation de viande est en augmentation dans les
[69]
pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI) . » Les risques sont faibles,
mais le sujet étant sensible, l’avis du CIRC a fait couler de l’encre et on
imagine les conséquences dans l’opinion.
Autre élément sujet à polémique : le financement de l’organisme. En
effet, la question a fait des vagues jusqu’au plus haut sommet des instances
US, puisqu’en 2016, dans une lettre au directeur du NIH (L’institut national
de santé US), le président de la commission de la Supervision, Jason
Chaffetz, a parlé à propos du CIRC d’un « historique de controverses, de
rétractations et d’incohérences » aussi il s’est demandé pourquoi le NIH,
qui dispose d’un budget de 33 milliards de dollars (29,6 milliards d’euros)
continuait de financer le CIRC.
[70]
On peut lire dans une dépêche Reuters de l’époque : « Une porte-
parole du CIRC a déclaré à Reuters que la lettre de Jason Chaffetz contenait
des “idées fausses” auxquelles son directeur, Chris Wild, s’était efforcé de
répondre par écrit. Dans cette lettre, dont le CIRC a adressé une copie à
Reuters, Wild rejette les critiques de Chaffetz et souligne que les
classifications du CIRC sont “largement respectées pour leur rigueur
scientifique, leur processus standardisé et transparent”… »
Ce deuxième sujet nous fait quitter la science pure pour basculer dans
la sphère politique et juridique… Certaines voix, il est vrai se sont élevées
pour laisser entendre que le CIRC était davantage une structure politique…
dont la première victime est le consommateur qui ne sait plus à quel saint se
vouer.
Nous pensons qu’il était important de tracer le portrait de cet
organisme avant d’essayer de comprendre comment il a pu clouer le
glyphosate au pilori. Précisions encore que le travail du CIRC consiste à
indiquer « la force des informations scientifiques disponibles quant à la
cancérogénicité d’une substance. Il ne donne aucune indication sur le
niveau de risque associé à l’exposition en question. » Autrement dit, cette
classification ne donne aucune idée des risques sanitaires (deux substances
peuvent être dans la même classe, sans que pour autant on y soit exposé de
la même façon).
Rentrons désormais dans le vif du sujet. D’après le CIRC : « il existe
des preuves solides que le glyphosate cause une génotoxicité » ; « il existe
des preuves suffisantes de cancérogénicité du glyphosate sur les animaux de
laboratoire » ; « il existe des preuves limitées chez l’Homme de la
cancérogénicité du glyphosate. Une association positive a été trouvée pour
le lymphome non hodgkinien. »
Ces assertions se trouvent à l’opposé de l’avis de l’Autorité
européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA) : « il est improbable que le
glyphosate soit génotoxique in vivo » ; « le glyphosate n’a pas présenté de
potentiel génotoxique et aucune preuve de cancérogénicité n’a été observée
chez le rat ou la souris », « L’EFSA a conclu qu’il est improbable que le
glyphosate présente un risque cancérogène pour l’Homme et les éléments
de preuves ne justifient pas de classification en ce qui concerne son
potentiel carcinogène selon le règlement EC N° 1272/2008. »
Un point de vue qui est partagé avec les autres agences partout dans le
monde. Qu’il s’agisse de la réunion mixte de la FAO et de l’OMS, de
l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), de l’Agence
allemande de sécurité sanitaire (BFR), de l’Agence française de sécurité
sanitaire (ANSES), de l’Agence américaine de protection de
l’environnement (US EPA) de l’Autorité de protection de l’environnement
de Nouvelle-Zélande (NZ EPA), de l’Autorité Australienne des pesticides et
des médicaments vétérinaires (APVMA) de la Commission japonaise pour
la sécurité des aliments, ou encore de l’Agence canadienne de
réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA)… aucune de ces onze
agences ne partagent l’avis du CIRC. Nous sommes donc en présence d’un
cas d’école. Car la vraie question soulevée en fait, est celle de savoir si nous
faisons confiance aux agences. Car sur les douze organismes qui ont rendu
jusqu’à présent un avis sur le glyphosate, le CIRC est le seul à avoir émis
un doute. Une situation qui met à rude épreuve l’autorité scientifique des
agences.
À cela s’ajoute une attitude brouillonne des politiques qui connaissent
mal le sujet et cèdent facilement à la démagogie. Par exemple, le président
Emmanuel Macron qui fait une déclaration abracadabrante au salon de
l’agriculture « Le glyphosate, il n’y a aucun rapport qui dit que c’est
innocent. Dans le passé, on a dit que l’amiante ce n’était pas dangereux, et
après les dirigeants qui ont laissé passer, ils ont eu à répondre. » Il a
[71]
twitté qu’il voulait faire interdire la substance dès lors que des solutions
alternatives auront été trouvées. Aussi il a posé un ultimatum de trois ans.
Ce qui est une manière étrange de penser et qui ne s’appuie que sur du vent.
En effet, comme le rappelle l’expert santé Guy André Pelouze : « L’amiante
c’est + 1770 % d’augmentation du risque de cancer de la plèvre pour un
travailleur exposé, le tabac c’est + 2360 % d’augmentation du risque de
cancer du poumon pour un homme. Pour les utilisateurs de glyphosate, le
risque de tout cancer est compris entre – 1 % et + 4 %, ce qui n’est
statistiquement pas significatif et ce qui correspond à des variations dues au
[72]
hasard .»
Pourtant, on ne peut pas dire que la science manque d’études au sujet
des agriculteurs et des risques que ceux-ci pourraient encourir concernant
l’exposition aux pesticides. En effet, on dispose aux USA et en France
d’« études de cohortes » qui ont consisté à étudier sur plus de 10 ans des
populations cibles dans toutes les situations en collectant le plus de données
possibles à leur sujet.
[73]
L’AHS (Agricultural Health Study ), lancée en 1993 aux USA,
et qui a permis de suivre la santé de 90 000 agriculteurs environ et
de leurs épouses.
[74]
L’Agrican pour la France a été créée en 2005, qui a regroupé
plus de 180 000 personnes environ, et offre une bonne
représentativité de la population agricole française. Petite
particularité de l’étude : elle comprend également des agriculteurs
non utilisateurs de pesticides.

Comme le remarque l’ingénieur agricole et membre de l’Académie


d’agriculture, Philippe Stoop, ces deux études « donnent des résultats
globalement très rassurants pour la très grande majorité des cancers : seules
3 formes de cancer montrent des incidences supérieures à la normale, et on
[75]
n’observe aucune surmortalité ».
Il n’empêche que le CIRC a réussi à jeter le doute.... et joue le rôle
d’empêcheur de tourner en rond. En donnant une réponse différente de celle
des autres organismes, il plonge la communauté scientifique dans
l’incertitude et avec elle l’opinion publique qui se met tout d’un coup à
douter des agences sanitaires.
D’ailleurs, en parlant de soupçons, certains experts ne manquent pas
d’en avoi à propos du CIRC. Ils se demandent notamment pour quelles
raisons son directeur, Christopher Wilde, a été poussé à démissionner, et
pourquoi il a été aussitôt remplacé par le docteur Elisabete Weiderpass au
curriculum impressionnant, mais semblant avoir depuis longtemps une dent
contre le glyphosate. Cette doctoresse en médecine, détentrice d’un PhD,
experte en épidémiologie du cancer et en prévention du cancer est mariée à
Harri Vainio –membre de l’institut Ramazzini dont les études sur le
glyphosate ont été sévèrement critiquées par la communauté
[76]
scientifique . Enfin elle a été impliquée largement dans la « querelle du
[77]
glyphosate » puisqu’elle a cosigné une note avec Christopher Portier
dans laquelle les auteurs cherchaient à discréditer les travaux de l’EFSA.
Les scientifiques qui ont critiqué la partialité du CIRC n’ont pas vu ces
détails d’un très bon œil… et au travers de ces évocations de soupçons on
rejoint notre question du militantisme : les responsables du CIRC ont joué
le rôle de lanceur d’alerte pour le glyphosate, mais leurs travaux d’origine
semblent très critiqués par les autres scientifiques. Reste donc à élucider
pourquoi ils sont les seuls à porter ce genre d’analyse sur l’herbicide au
[78]
cœur de la polémique .

Ils pissent volontiers du glyphosate

En Bretagne ils s’appellent les PIG = Pisseurs/euses Involontaires de


[79]
Glyphosate. Sur leur blog on peut lire un message percutant : « Notre
environnement est saturé de PESTICIDES de toutes sortes, dont le
glyphosate est un marqueur qui se retrouve dans les urines. Nous avons tous
du glyphosate dans nos urines !!! Pour le prouver, nous procédons à des
analyses d’urine de la population, suivies de plaintes en justice pour
demander l’interdiction de cette molécule. » Ce collectif a également une
page Facebook avec plus de 900 membres.
Les pisseurs volontaires de glyphosate ne sont pas sans nous rappeler
les collectifs anti ondes, ou encore les faucheurs volontaires. Ils
s’organisent en petits groupes au niveau local partout en France. Ainsi, sur
le site de France Bleue Landes, on peut lire : « Tous les “pisseurs
[80]
volontaires” landais positifs au glyphosate ». Un titre inquiétant suivi
d’un chapô encore plus inquiétant « Dans les Landes, les résultats de la
campagne d’analyse d’urine de 64 “pisseurs volontaires” sont tombés ce
lundi. Début octobre, à Dax, ils avaient fait tester leur urine dans le cadre
d’une opération nationale. Résultat, 100 % des participants ont du
glyphosate dans leur urine. » L’association affirme que le taux de
glyphosate serait huit fois supérieur à ce qu’il est autorisé dans l’eau
potable. Sur France Bleue Indre, l’article parle carrément d’une soixantaine
de pisseurs volontaires qui auraient porté plainte : « Les taux variaient de
0,08 nanogramme par millilitre d’urine jusqu’à 2,274 nanogrammes pour le
taux le plus élevé. Certains habitants vivaient à proximité de champs et de
zones d’épandages. Mais d’autres habitaient en plein centre-ville. Chaque
volontaire avait dû débourser 85 euros pour cette analyse du taux de
glyphosate. Le but de cette opération et de ces plaintes est de sensibiliser
l’opinion, mais aussi les pouvoirs publics. »
Dans toutes les régions de France, des collectifs de pisseurs volontaires
s’organisent et affolent l’opinion. On parle de plus de 6000 tests effectués.
Des Français de tous horizons s’en sont mêlés, mais également des people.
En effet, lors d’une émission Envoyé Spécial dédiée au glyphosate, des
stars telles que Jamel Debbouze, Lilian Thuram, Julie Gayet se sont pliées
au petit jeu et ont témoigné de leur grande inquiétude.
Les citoyens veulent en avoir le cœur net. Chauffés à blanc par les
polémiques sur le glyphosate, et entraînés par des militants (l’initiative
serait à l’origine d’un collectif de faucheurs de l’Ariège) ils s’organisent en
collectif et payent de leur poche le test. Certains vont même en justice : pas
moins de 2 960 plaintes de « pisseurs volontaires » auraient été envoyées au
pôle santé du parquet de Paris pour « mise en danger de la vie d’autrui,
tromperie aggravée et atteintes à l’environnement ». Leurs cibles : tous les
responsables à l’origine du renouvellement sur le marché des produits à
base de glyphosate.
On aperçoit un déplacement au cœur de la polémique : on est passé de
l’affirmation du CIRC selon lequel « le glyphosate est un cancérogène
probable » - affirmation remise en question par toutes les agences sanitaires,
à « il y a du glyphosate dans les urines des Français » et cela suffit pour
lancer une action en justice. La panique s’est installée dans l’opinion, peu
importe que la question « Pourquoi le CIRC est en total désaccord avec les
autres agences ? » ne soit toujours pas résolue.... Cela ne semble même pas
faire partie du débat. L’ensemble des médias – hormis quelques-uns plus
critiques – tenant pour acquis les résultats de l’agence de Lyon. Une
certaine frange du public semble acquise à la dangerosité de la molécule et
entend démontrer que nous sommes exposés à ce risque. Après avoir créé le
doute dans l’opinion, il est facile de répandre la panique.
Les pisseurs volontaires, auraient pu continuer d’amener leurs
« preuves » pour alimenter le moteur de la polémique sans jamais
rencontrer de contradiction. Mais c’était sans compter sur onze agriculteurs
du Morbihan qui ont voulu faire également un test de leur côté. Et le
résultat a été tout autre. Comparant les deux tests, le directeur de recherche
du CNRS, Marcel Kuntz affirme « Réaliser des tests de détection, quelle
que soit la molécule recherchée, nécessite de la rigueur scientifique. Le test
détecte-t-il la molécule recherchée ? Détecte-t-il aussi d’autres molécules,
donc produit-il de faux-positifs ? » Ce test peut donc générer de faux
positifs. Ainsi l’utilisation d’un détergent courant peut être signalée par ce
test. Il est d’autant moins précis « qu’il a été mis au point pour détecter
le glyphosate dans l’eau, notamment pour les captages d’eau potable, ce
qu’il fait bien, à faible coût. Mais il n’a pas été validé pour l’urine ! Le test
utilisé suite à la démarche de ces agriculteurs du Morbihan, qui repose sur
une séparation des molécules par chromatographie, est plus fiable et… plus
[81]
cher ! (…) »
Dans un article du Point, la journaliste Géraldine Woesner revient en
détail sur cette histoire. Selon elle, « les agriculteurs du Morbihan ayant
effectué deux tests, l’un auprès du laboratoire BioCheck – le laboratoire de
référence des pisseurs volontaires – et l’autre auprès du laboratoire
“Labocea de Brest, un laboratoire public dont le service des micropolluants
organiques est accrédité par le Cofrac (Comité français d’accréditation)” ne
sont pas arrivés aux mêmes résultats. (…) alors que le laboratoire allemand
a trouvé des traces de glyphosate dans tous les échantillons présentés, avec
des taux variant de 0,44 à 2,97 microgrammes par litre, le laboratoire
français n’a rien trouvé du tout : les traces sont si faibles qu’elles sont non
[82]
détectables, soit en dessous de 0,05 microgramme par litre .»
Autre fait évoqué dans cet article de fond – à mettre en parallèle avec
les soupçons évoqués précédemment sur l’ancien directeur du CIRC – le
laboratoire allemand serait un laboratoire militant co-fondé par Monika
Krüger qui milite depuis des années pour l’interdiction du glyphosate et en
faveur de l’agriculture biologique.
Mais les paroles d’un chercheur du CNRS et d’une journaliste qui fait
son boulot ne valent pas grand-chose face à une équipe de militants et de
citoyens qui prétendent eux-mêmes disposer de preuves de l’existence d’un
« danger » au sujet duquel s’est installée une controverse scientifique. La
machine médiatique s’est emballée et les politiques ont suivi : alors que la
monographie du CIRC, en installant le doute, avait eu pour résultat de
pousser certains décideurs politiques à réclamer l’interdiction du
glyphosate, des actions comme celles des pisseurs volontaires contribuent à
« rendre concret un danger abstrait » : chacun de nous peut se trouver
contaminé.
Une fois de plus nous retrouvons donc bien le mécanisme infernal : le
résultat embarrassant qui remet en question les avis des agences
scientifiques à propos de la cancérogénicité du glyphosate et le recours aux
actions militantes afin de rendre visible le risque potentiel.
Une méthode qui a des résultats imparables. En effet, le sujet de
l’interdiction du glyphosate est sur la table des négociations à Bruxelles et
une réévaluation devrait avoir lieu d’ici fin 2022. Mais certains pays
prennent les devants : le Luxembourg a annoncé qu’il allait interdire la
molécule courant 2020. L’Autriche s’interroge. En France, l’objectif visé
d’une sortie pour fin 2020 est débattu.
Autre front auquel doit faire face l’agro-industrie : les procès de
nombreux plaignants. On parle de plus de 100 000 plaignants aux USA.
L’un des plus célèbres est le jardinier américain Dewayne Johnson souffrant
d’un cancer qu’il attribue au round-up de Monsanto. Après avoir gagné son
premier procès, il a accepté de voir réduits de 289 à 78,5 millions de dollars
les dommages et intérêts qu’il doit recevoir à la suite d’un procès historique
cet été contre le géant de l’agrochimie. En Europe, comme on vient de le
voir, les pisseurs volontaires se sont lancés dans l’aventure judiciaire. Et
comme certains défenseurs du glyphosate l’ont remarqué, mais sans doute
trop tard, le métier d’avocat prédateur fleurit sur le terreau de cette
[83]
affaire .
Le blogueur David Zaruk, réputé pour ses prises de positions très
engagées du côté de l’agrochimie a résumé la situation au travers d’un
[84]
guide de l’avocat prédateur en 12 étapes . Nous ne résistons pas d’en
donner l’intégralité en guise de conclusion de cette histoire.

Trouvez une association ou une corrélation entre un cancer et un


facteur (de préférence une substance chimique de synthèse).
Recrutez un scientifique (épidémiologiste, statisticien…) qui
partage vos a priori.
Revendiquez une crédibilité institutionnelle (par exemple le CIRC
ou l’OMS).
Présentez ce cancer comme potentiellement incontrôlable.
Payez une ONG pour engager des campagnes contre l’entreprise
ciblée.
Sollicitez des influenceurs et des célébrités crédules.
Faites pression sur les autorités publiques pour imposer des
restrictions ou des interdictions.
Trouver des victimes sympathiques.
Présentez les victimes devant les caméras.
Apporter des « preuves » à un public « indigné ».
Identifiez une juridiction avec un juge qui aime les lynchages
d’entreprises privées et portez plainte.
Apportez tranquillement l’argent gagné à la banque.
Nous avons ici une mécanique bien huilée qui nous permet de
comprendre comment le marketing vert a pu jouer un vilain tour à un totem
de la science et de la technologie. Dernier rebondissement en date l’avocat
du jardinier Dewayne Johnson, Timothy Litzenburg – du cabinet d’avocat
qui était à l’origine des Monsanto Papers, vient d’être condamné pour avoir
[85]
tenté d’extorquer 200 millions d’euros à un agro-industriel . Une affaire
qui confine désormais à la série policière plus qu’à la politique scientifique.

5. Quatre totems et un enterrement

Qu’il s’agisse d’OGM, de nucléaire, d’ondes ou encore de glyphosate,


on voit que les mêmes schémas se reproduisent. Chacun de ces quatre sujets
est à lui seul un totem… Mis bout à bout, on voit finalement que l’objectif
de ceux qui s’en prennent à eux, est d’enterrer l’idée de progrès
scientifique. Des lanceurs d’alerte s’agitent. Ils ont brainstormé. Ils ont
manifesté. Ils ont mené des actions et fait preuve de créativité, comme on
dit dans les agences de communication. Ils se sont déguisés, ils ont chanté,
ils ont défilé, ils ont dessiné des pancartes, ils se sont enchaînés, ils ont
mimé, ils ont dansé, ils ont posé pour la photo du journal régional, ils sont
allés faucher des champs entiers, ils ont bloqué, ils se sont renversés du
faux sang sur leur vêtement, ils ont crié, pleuré, joué du djembé, jonglé,
tapé des pieds… tout cela pour dénoncer un danger dont ils sont persuadés
d’avoir identifié l’existence.
Il faut bien comprendre, même si cela est trivial, que c’est la somme de
toutes ces actions qui a contribué à nous amener à avoir peur de solutions
que nous considérions jadis comme faisant partie du progrès. Remarquons
que tous ces totems ont été choisis avec parcimonie : ils partagent en
commun cette particularité qui est que nous ne sommes pas en mesure de
vérifier par nous-mêmes ces histoires qu’on nous raconte à leur sujet. Soit
nous faisons confiance au progrès scientifique et à ses applications et nous
ne prêtons pas attention à ce qui se cache sous le capot, soit nous faisons
confiance à ces lanceurs d’alerte et nous obéissons à leurs injonctions qui
nous commandent de paniquer. Mais nous n’avons aucun moyen d’infirmer
leurs assertions dans notre expérience quotidienne et d’en vérifier la
crédibilité.

Alors que nous savons très bien dire quand un plat n’est pas assez
assaisonné, n’est pas à notre goût ou ne nous convient pas, nous
n’aurions jamais prêté attention aux OGM – qui ne sont d’ailleurs
même pas dans notre assiette – sans les actes de vandalisme des
faucheurs volontaires et les polémiques qui alimentent les médias
depuis maintenant plus de 20 ans. Ce qui a poussé la distribution à
créer le label sans OGM.
Alors que notre expérience nous présente l’arrivée des centrales
atomiques comme un progrès par rapport à ces temps où les
centrales à charbon et le smog polluaient notre air – il suffit de
visiter une ville qui chauffe encore au charbon pour s’en persuader
– nous n’aurions jamais pensé qu’elles présentent un danger
imminent si certains lanceurs d’alerte n’avaient pas réussi à nous
persuader que nucléaire civil et nucléaire militaire appartenaient à
la même famille et partageaient en quelque sorte les mêmes
externalités négatives.
Alors que nous nous plaignons facilement du manque de réseau
téléphonique.... Nous ne nous serions peut-être jamais posé de
questions sur l’électrosensibilité aux ondes si des collectifs
n’avaient pas organisé des réunions aux pieds du mat et certains
gourous opportunistes démarché les patients avec des protocoles de
soins.
Alors que nous utilisons du glyphosate depuis des années pour
notre jardin, et que nous prenons les précautions d’usages et
écoutons les recommandations des agences sanitaires, nous
n’aurions jamais douté de celles-ci, si le CIRC n’avait pas semé la
confusion.

Les lanceurs d’alerte ont choisi avec soin les totems scientifiques
auxquels ils s’en prennent. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il s’agit de
sujets à propos desquels nous ne pouvons rien vérifier par nous-mêmes. Car
c’est là que réside le premier principe du « marketing anti progrès
scientifique » : faire de l’agit-prop pour nous pousser à dénigrer toute
tentative humaine de manipuler les gènes, les atomes, les ondes et les
molécules et faire en sorte que nous détestions toutes les applications
technologiques qui en découlent.
À cette entreprise s’ajoute la « question non scientifique » posée aux
scientifiques. Celle que l’on a baptisée plus généralement l’application
absolutiste du « principe de précaution » et qui a permis de tétaniser la
science en faisant revenir l’idéologie par la grande porte. Là où, en effet, on
ne supporte pas le vide d’une absence de réponse.

S’il est si facile de décontenancer les chercheurs en biotechnologie,


c’est que ceux-ci ne sont pas en mesure de montrer l’innocuité
d’une plante OGM. Ce qui ne veut pas dire pour autant que celle-ci
présente un danger quelconque. Cette impossibilité s’applique à
tous types d’aliments issus de l’agriculture classique, bio ou encore
trouvés à l’état sauvage.
S’il est si facile de mettre dans l’embarras les experts du nucléaire
qui veulent stocker les déchets, c’est qu’il est très difficile, voire
impossible, d’imaginer le scénario d’un enfouissement sur des
milliers d’années, même pour un laboratoire à 500 mètres sous
terre.
S’il est si facile de jeter la suspicion sur les experts des ondes, c’est
qu’il est quasiment impossible d’expliquer à un EHS que sa
maladie est psychologique et n’a aucun rapport avec la présence
d’une antenne, même quand celle-ci est éteinte.
S’il est si facile de décrédibiliser les agences officielles, c’est parce
qu’il suffit d’une agence – dont certains suspectent qu’elle a des
intentions troubles – qui fasse une annonce choc pour alarmer la
terre entière sur un produit jusqu’à présent au-dessus de tout
soupçon depuis des années.

C’est cette mécanique infernale qui a contribué à faire tomber le


progrès scientifique et ses applications démiurgiques de son piédestal et
rompu le contrat de confiance qui le liait jusqu’à présent aux citoyens. Mais
à cela s’ajoute un autre élément d’analyse qui fait que la science se trouve
dans l’incapacité de contre-attaquer. Les « totems » en question ne sont pas
des produits de grande consommation.
En effet, pour ajouter un petit couplet « marketing » : nous sommes ici
dans le cadre d’une communication en B to B (business to business) et non
B to C (business to consumer). Les semenciers qui ont lancé les OGM
avaient pour clients cibles les agriculteurs et non les consommateurs finaux.
On peut choisir aujourd’hui un courant issu des électricités renouvelables,
mais la plupart du temps le consommateur ne prête pas attention à la source
dont est issu le courant qu’il consomme. On nous objectera que c’est un peu
moins vrai pour les ondes qui sont partout. Mais les terminaux qu’elles font
fonctionner sont tellement indispensables que personne ne prête attention à
ce vecteur de propagation de l’information. Enfin, concernant le glyphosate,
il est vrai que les jardiniers sont directement impactés par l’interdiction de
la vente. Mais, étonnamment, ceux qui en font vraiment usage de
l’herbicide ne sont pas ceux que l’on entend crier le plus fort… En
témoignent les collectifs d’agriculteurs mis en place pour s’élever contre
son interdiction.
Tous ces éléments mis bout à bout nous aident à comprendre comment
ces « innovations », symboles par excellence de la civilisation du progrès
scientifique et technique, ont subi une vague de critiques imparables.
Visiblement, elles manquaient de répliques pour faire face à celle-ci.
D’autant plus que, comme on l’a vu, contrairement à l’idée reçue selon
laquelle les lobbys qui se trouvent derrière seraient tout puissants, il s’avère
que ce sont de petits groupes de volontaires qui, le plus souvent, osent
monter au front.
En attendant, comme un chat avec une souris, les ONG lanceuses
d’alertes jouent avec le progrès scientifique armées de terribles griffes.
Celles du principe de précaution dans sa version absolutiste. Dont
l’argument massue est d’exiger le « risque 0 ». C’est une gageure. Une
exigence qui paralyse tout. Et qui redonne le pouvoir aux devins, aux
prophètes, aux diseurs de bonne aventure… bref à tous ces gens qui sont
dotés de pouvoirs surnaturels. Ceux qui sont capables de prédire
l’imprévisible. De voir l’invisible. De dénoncer un danger là où personne
n’est en mesure d’en voir un. Bref, le principe de précaution, utilisé de
manière abusive, est ce bâton de sorcier qui confère un pouvoir à tous ceux
qui s’en emparent : « renvoyer à jamais le progrès scientifique et toutes ses
applications démiurgiques là d’où ils viennent ». Car c’est bien l’objectif.
« Vous n’êtes pas en mesure de démontrer l’innocuité des
biotechnologies végétales » ; « vous ne maîtrisez pas le stockage à 500
mètres de profondeur sur les 200 000 prochaines années » ; « vous ne
pouvez pas m’empêcher de penser que c’est cette antenne relais installée à
proximité qui me donne mal au crâne… » ; et ne parlons pas de ce
désherbant jadis lancé par le diable Monsanto produit désormais en Chine et
qui se retrouve aujourd’hui suspecté par une agence officielle… « Vos
solutions technologiques sont mauvaises… et nous n’en voulons pas. »
Le progrès scientifique et technique n’est pas sorti du prétoire où
certains ont voulu l’enfermer. Ses accusateurs ont pour l’instant le jury
populaire de leur côté. Et c’est d’autant plus facile que ce jury est aveugle et
qu’il a été manipulé par des lanceurs d’alerte, dont certains ont en tête un
véritable projet politique. Nous n’avons pris que quatre exemples, mais
nous pourrions en ajouter une quantité d’autres. Nous pensons toutefois
avoir donné suffisamment de matière pour comprendre que nous faisons
face ici à un mouvement de fond. Une vague idéologique qui remet en
cause une vision philosophique du progrès scientifique et les applications
technologiques qui vont avec. Celle qui entend bien libérer l’humanité de
son fardeau en modifiant le vivant, en fissionnant l’atome, en diffusant les
ondes et en manipulant les molécules.
Les lanceurs d’alerte qui prétendent parler au nom de la Nature et
savoir ce qu’elle veut, comme on le verra, n’acceptent pas cette situation.
Ils veulent reprendre le pouvoir pour empêcher tout cela. Certains disent
« ils veulent revenir en arrière ». Eux savent bien que ce n’est pas possible.
Mais avant de creuser les méandres de cette idéologie de la décroissance et
le « savoir » des collapsologistes, nous allons désormais voir comment le
marketing vert, après avoir paralysé la civilisation de la science et de la
technologie dans ses avancées, a ensorcelé l’opinion publique en lui faisant
croire qu’il suffisait d’employer l’attribut « naturel » pour que nous
passions sous silence certaines questions et que l’ensemble de nos
problèmes se règlent par enchantement. C’est le sujet des nouveaux
chapitres à venir.

10. Précisons que par la suite, cette somme a été largement revue à la baisse
https://www.lepoint.fr/justice/proces-roundup-bayer-condamne-a-verser-2-milliards-de-dollars-
14-05-2019-2312333_2386.php
11. « Électrosensibles, anti-vaccins : quand la justice valide l’antiscience », in L’express
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/electrosensibles-anti-vaccins-quand-la-justice-valide-l-
antiscience_2101414.html
12. https://www.rottentomatoes.com/m/food_evolution
13. Alerte au soja fou, couverture de Libération paru le 1er novembre 1996
14. Jean-Paul Oury, La Querelle des OGM, PUF, 2006, p. 147
15. Pinker S., Enlightenment now, Viking, p.41
16. Journaliste à l’origine de la querelle qui s’est par la suite repenti en publiant Sauvez les
OGM, Paris, Hachette Littératures, 2009
17. J.E. Losey et al. (1999) Nature 399, 214.
18. « Our study was conducted in the laboratory and, while it raises an important issue, it would
be inappropriate to draw any conclusions about the risk to monarch populations in the field based
solely on these initial results. » cit. in www.bio.org
19. Destruction d’un essai agronomique à Saint-Exupéry (Rhône) : un acte de vandalisme
violent et absurde, Communiqué du 25 juin 2019 https://www.terresinovia.fr/-/destruction-d-un-
essai-agronomique-a-saint-exupery-rhone-un-acte-de-vandalisme-violent-et-absurde
20. Du moins si on reste dans ce qui est spécifique aux OGM, et non des pratiques qui existaient
avant ces organismes.
21. Marcel Kuntz, L’Affaire Séralini : l’impasse d’une science militante, Fondapol, 19 juin 2019
http://www.fondapol.org/etude/laffaire-seralini-limpasse-dune-science-militante/
22. Ces considérations n’ont plus tout à fait le même poids après l’affaire Surgisfere cette
entreprise imaginaire qui a piégé le journal scientifique de référence avec une méta-analyse
totalement falsifiée sur la Chloroquine qui a par la suite été dépubliée
https://www.lefigaro.fr/sciences/chloroquine-surgisphere-cette-entreprise-fantome-au-coeur-du-
scandale-du-lancet-20200604
23. Stanley W. B. Ewen & Arpad Pusztaï, « Effects of diets containing genetically modified
potatoes expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine », The Lancet, Volume 354, N°
9187, 16 Oct 1999, p.1353.
24. Benbrook, Charles, « Evidence of the Magnitude and Consequences of the Roundup Ready
Soybean Yield Drag from University-Based Varietal Trials in 1998 », Ag BioTech InfoNet Technical,
Paper Number 1, Benbrook Consulting Services, Sandpoint, Idaho, July 13, 1999
25. Janet E. Carpenter, Comparing Roundup Ready and Conventional Soybean Yields 1999 ,
National Center for Food and Agricultural Policy, January 2001
26. Charles Benbrook : Agricultural economist and consultant for the organic industry and anti-
biotechnology advocacy groups, in GLP, https://geneticliteracyproject.org/glp-facts/charles-
benbrook-former-washington-state-adjunct-consultant-for-organic-industry/#
27. Bt Corn Insect Resistance Management Survey, 2000 Growing Season, Agricultural
Biotechnology Stewardship Technical Committee January 31, 2001.
28. ISAAA Report, Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops in 2018
29. Claude Ménara : « Mon maïs transgénique est le plus écologique !
https://www.lefigaro.fr/actualite/2007/04/06/01001-20070406ARTFIG90080-
claude_menara_mon_mais_transgenique_est_le_plus_ecologique.php
30. La Commission autorise la mise sur le marché d’un soja OGM de
Monsanto https://www.levif.be/actualite/environnement/la-commission-autorise-la-mise-sur-le-
marche-d-un-soja-ogm-de-monsanto/article-news-1338041.html?cookie_check=1605007922
31. Collectif STA, « Ne renonçons pas à la Science », in Les
Échos https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/ne-renoncons-pas-a-la-science-130939
32. Tristan Kamin, « Nucléaire un débat qui doit écarter les mauvais arguments » in Science et
pseudosciences n° 329 – juillet/septembre 2019, p.63
33. Paul Halpern, Le dé d’Einstein et le chat de Schrödinger, p. 301
34. Ibid., p.p. 295-296
35. Michael Shellenberger, How Fear of Nuclear Ends, TEDxCalPoly
https://www.youtube.com/watch?v=mI6IzPCmIW8
36. « Comment la France est devenue nucléaire (et nucléocrate) »
http://www.slate.fr/story/36491/france-nucleaire-nucleocrate
37. On pensera notamment aux actions coup de poing menées par Greenpeace en France qui
s’étaient introduit à plusieurs reprises dans des centrales pour montrer que la sécurité était défaillante.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/10/30/intrusion-a-la-centrale-de-cattenom-des-jours-
amendes-requis-contre-des-militants-de-greenpeace_6017495_3244.html
38. Jean-Pierre Poirier, Marie Curie et les conquérants de l’atome : 1896-2006, Pygmalion
39. Gérard Grundblatt, L’impact sur la santé des différentes sources de production d’énergie. in
Science et pseudosciences n° 329 – juillet/septembre 2019, p.69
40. https://fr.wikipedia.org/wiki/Laboratoire_de_Bure
41. http://burestop.free.fr/spip/
42. Alter-JT, L’Andra, un simple laboratoire ? (Bure / Nucléaire) - Reportage de Alter JT du
02/09/2015 - 65 https://www.youtube.com/watch?v=eCoNmObzJOQ
43. Bernard Bonin, « Peut-on stocker les déchets nucléaires en formation géologique
profonde ?», in Science et pseudoscience N° 324 avril/juin 2018
44. Greenpeace Menaces nucléaires ? Think Review https://youtu.be/mQqxAIxLjjs
45. Ben CRAMER, Camille SAISSET, La descente aux enfers nucléaires : mille milliards de
becquerels dans la terre de Bure, L’Esprit Frappeur, 2004
46. A Bure, le nucléaire touche le fond
https://www.youtube.com/watch?v=7rViLQIVwqo&t=19s
47. Jean-Philippe Vuillez, «Les risques liés à l’irradiation d’origine humaine doivent-ils faire
envisager la suppression des années bissextiles?» in L’Opinion
https://www.lopinion.fr/edition/economie/risques-lies-a-l-irradiation-d-origine-humaine-doivent-ils-
faire-227447
48. Bouygues Telecom devra démonter l’antenne relais, Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/02/05/01016-20090205ARTFIG00332-bouygues-
telecom-devra-demonter-une-antenne-relais-.php
49. Antennes relais, la justice contre la science, Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/debats/2009/02/06/01005-20090206ARTFIG00446-antennes-relais-la-
justice-contre-la-science-.php
50. https://www.robindestoits.org.
51. http://www.next-up.org/pdf/BioInitiativeRapportSynthese.pdf
52. http://www.priartem.fr/Le-rapport-BioInitiative-Un-pave.html
53. http://www.bigouden.tv/Actus-0874-Antenne_relais.html
54. Bristol (UK): Antenne-relais de téléphone portable sabotée par le feu
http://pagheretetutto.blogspot.com/2010/05/bristol-uk-antenne-relais-de-telephone.html
55. Des mâts de 5G brûlés aux Pays-Bas et en Belgique parce que suspectés de répandre le
coronavirus https://reporterre.net/Des-mats-de-5G-brules-aux-Pays-Bas-et-en-Belgique-parce-que-
suspectes-de-repandre-le
56. Reportage 13h15, le samedi Réfugiés des ondes, France 2 https://youtu.be/j-WbefEsXHQ
57. Téléphonie mobile : légende urbaine à Saint-Cloud, Challenges
https://www.challenges.fr/high-tech/telephonie-mobile-legende-urbaine-a-saint-cloud_364880
58. L’effet nocébo des antennes relais https://www.charlatans.info/news/L-effet-nocebo-des-
antennes-relais
59. Stacy Eltiti, Denise Wallace, [...], and Elaine Fox, Does Short-Term Exposure to Mobile
Phone Base Station Signals Increase Symptoms in Individuals Who Report Sensitivity to
Electromagnetic Fields? A Double-Blind Randomized Provocation Study
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2072835/
60. Selon l’OMS : « La HSEM est caractérisée par divers symptômes non spécifiques qui
diffèrent d’un individu à l’autre. Ces symptômes ont une réalité certaine et peuvent être de gravité
très variable. Quelle qu’en soit la cause, la HSEM peut être un problème handicapant pour l’individu
touché. Il n’existe ni critères diagnostiques clairs pour ce problème sanitaire, ni base scientifique
permettant de relier les symptômes de la HSEM à une exposition aux CEM. En outre, la HSEM ne
constitue pas un diagnostic médical. Il n’est pas non plus évident qu’elle corresponde à un problème
médical unique. »
https://www.who.int/peh-emf/publications/facts/fs296/fr/
61. Rapport 2018 de l’ANSES Hypersensibilité aux ondes électromagnétiques : amplifier
l’effort de recherche et adapter la prise en charge des personnes concernées,
https://www.anses.fr/fr/content/hypersensibilité-aux-ondes-électromagnétiques-amplifier-
l’effort-de-recherche-et-adapter-la
62. Requête effectuée sur google.fr le Samedi 7 mars 2020, idée empruntée à Sébastien Point
qui avait fait la même requête en juin 2018 et n’avait trouvé que 1.212.000
https://www.pseudo-sciences.org/Dispositifs-anti-ondes-l-argent-de-la-peur
63. Electrosensibilité, un marché florissant, UFC Que choisir
https://www.quechoisir.org/actualite-electrosensibilite-un-marche-florissant-n5045/
64. Sébastien Point, Ondes Électromagnétiques et santé : quand les juristes se croient physiciens
https://www.europeanscientist.com/fr/redactions-choice-fr/ondes-electromagnetiques-et-sante-quand-
les-juristes-se-croient-physiciens/#_ftn4
65. Souques M. « Les reportages alarmants peuvent-ils induire une électrohypersensibilité ? »
SPS n°324, avril-juin 2018.
66. Collectif d’agriculteur Ici La Terre https://www.facebook.com/collectif.iciLaTerre/
67. Pour être précis, ce terme renvoie à un dénigrement systématique et mensonger des modes
de production de l’agriculture classique, qui peut se présenter parfois, sous forme d’un lynchage
médiatique.
68. Pierre Pagesse, « Agribashing : procès contre les agriculteurs ou crime contre l’humanité ? »
EuropeanScientist https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/agribashing-proces-contre-les-
agriculteurs-ou-crime-contre-lhumanite/
69. Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée
https://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/
70. USA-Enquête du Congrès sur le financement d’une agence de l’OMS
https://reuters.com/article/companyNews/idFRL5N1CC5RS?
pageNumber=2&virtualBrandChannel=0&sp=true
71. « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que
l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au
plus tard dans 3 ans. #MakeOurPlanetGreatAgain »
https://twitter.com/emmanuelmacron/status/935194060062642176?s=21
72. « Glyphosate : et si on prenait une décision rationnelle ? »
https://www.causeur.fr/glyphosate-agriculture-ong-macron-danger-151434
73. Agricultural Health Study https://aghealth.nih.gov
74. Resultat de la cohorte AGRICAN
http://www.inma.fr/wp-content/uploads/2018/01/Actualisation_AGRICAN_13112017.pdf
75. Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité (2e partie)
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/pesticides-et-cancers-chez-les-agriculteurs-la-fuite-en-
avant-vers-lirrefutabilite-2eme-partie/
76. Marc Brazeau, Viewpoint: Here’s what’s wrong with study suggesting glyphosate damages
our gut health https://geneticliteracyproject.org/2018/05/17/viewpoint-heres-whats-wrong-with-
study-suggesting-glyphosate-hurts-our-gut-health/
77. Differences in the carcinogenic evaluation of glyphosate between the International Agency
for Research on Cancer (IARC) and the European Food Safety Authority (EFSA)
https://jech.bmj.com/content/70/8/741.info
78. Pour ceux qui veulent en savoir davantage, nous recommandons Glyphosate, l’impossible
débat, intox, mensonges et billets verts, excellent ouvrage de Gil Rivière Wekstein, qui a mené une
enquête complète sur le sujet. En ce qui nous concerne, nous nous arrêterons au fait qu’en étant le
seul à remettre en cause le glyphosate face à toutes les autres agences, le CIRC a réussi à poser une
question qui embarrasse profondément la science.
79. https://pig.log.bzh
80. Tous les "pisseurs volontaires" landais positifs au glyphosate, France Bleu
https://www.francebleu.fr/infos/environnement/tous-les-pisseurs-volontaires-landais-positifs-au-
glyphosate-1572887778
81. Marcel Kuntz, « Tests de Biocheck : une fraude à grande échelle dans l’affaire des "pisseurs"
de glyphosate ? » https://www.atlantico.fr/decryptage/3578553/tests-de-biocheck--une-fraude-a-
grande-echelle-dans-l-affaire-des-pisseurs-de-glyphosate--urine-agriculteurs-sante-environnement-
marcel-kuntz
82. Géraldine Woesner, Preuve à l’appui : les glyphotests sont bidon !
https://www.lepoint.fr/societe/preuve-a-l-appui-les-glyphotests-sont-bidon-19-12-2019-
2354140_23.php
83. Gil Rivière Wekstein, Glyphosate l’impossible débat, intox, mensonge et billet vert, le
Publieur, 2020
84. American Tort Lawyers and IARC: A Toxic Mutual Interest
https://european-seed.com/2019/04/american-tort-lawyers-and-iarc-a-toxic-mutual-interest/
85. The Roundup Stickup, A trial lawyer allegedly argued it’s cheaper to be extorted than sued
Wall Street Journal https://www.wsj.com/articles/the-roundup-stickup-11577299381
Deuxième partie

La transition made in Nature

Dans les années 1970, l’État français avait imposé le label « Made in
France » afin de rassurer le consommateur. D’autres pays ont vraiment
réussi à imposer leur marque indélébile. On pensera au Made in Germany
pour l’industrie et les services et au Swissmade pour la précision. Ces labels
ont pour objectif de rassurer et d’inspirer la confiance. Ils suscitent la
garantie commerciale et ont pour effet immédiat de tranquilliser le public
qui ne se pose plus de questions. Le gage de qualité indiscutable permet
ainsi de laisser de côté tous les doutes éventuels sur la qualité.
Or ces vingt dernières années, on a vu un label d’un nouveau genre
émerger. Ce label n’appartient à aucun pays en particulier, mais il est
revendiqué par la terre entière. Bien plus fort que le pays d’origine, que
toutes les appellations contrôlées, ou toutes les certifications ISO, le label
en question est une sorte de parangon : on peut l’imaginer comme étant le
label de tous les labels.... Nous avons nommé le « made In Nature ».
Bien évidemment, il n’est jamais exprimé tel quel et se décline sous
toutes formes de variations : du bio au durable en passant par l’éco-
responsable et une variété d’autres étiquettes destinées à exprimer la –
osons le néologisme – « verture », mot-valise qui contracterait, « vertu » et
« verdure ». Le made in Nature est donc devenu un passage obligé du
marketing de cette grande transformation que l’on appelle la transition
écologique.
On s’interroge cependant sur la crédibilité de cette appellation. En
effet, sur le plan philosophique si l’idée générale du « made In Nature » est
d’opposer le « Naturel » au « Fait main » (fait de la main de l’homme) et
effacer comme par enchantement toute anthropisation… alors, on peut
afficher un certain scepticisme. Les traces d’une intervention humaine se
retrouvant quasiment partout, y compris dans les endroits les plus
inattendus, il semble difficile de conceptualiser ce que serait un objet
« naturel ». Ainsi l’écologue Christian Lévêque se rendant compte de la
difficulté de l’exercice, en appelle à positiver le phénomène
d’anthropisation : « Les citoyens soumis à la pression des messages
anxiogènes, qui visent à leur faire croire que l’homme détruit la
biodiversité, ne réalisent pas toujours à quel point la nature que nous
aimons en Europe est une nature anthropisée, à l’image du bocage, de la
Sologne ou de la forêt des Landes, qui ne sont pas une nature vierge. Les
carrières sont certes des systèmes artificiels, car créées par l’homme à
l’instar des paysages agricoles, mais ce sont des systèmes écologiques
fonctionnels qui contribuent à l’entretien et à la dynamique de la
biodiversité. Ce ne sont pas des systèmes écologiques “dégradés” et de
seconde zone, et certains d’entre eux ont même été labellisés comme sites
de conservation. Des scientifiques remettent d’ailleurs en cause la
dichotomie entre systèmes dits “naturels” supposés vierges d’activités
humaines et les systèmes artificiels ou anthropisés qualifiés parfois de
[86]
dégradés .»
Cette difficulté liée à l’abstraction du concept n’empêche personne
d’avoir à l’esprit sa propre représentation du « made in Nature » et certains
prétendent même avoir une définition univoque dont ils seraient les
dépositaires. Dans cette entreprise d’attribution de ce label polymorphe,
quelques-uns y ont vu une opportunité fantastique de faire gagner en qualité
leurs produits. De fait, bon nombre de marques et d’entreprises ont été
accusées de Greenwashing. Il n’en reste pas moins que dans l’inconscient
collectif, le label continue de progresser et s’impose comme une référence
indépassable. Beaucoup a été écrit sur le sujet et nous ne souhaitons pas ici
trop nous étendre, faisons toutefois quelques rappels utiles qui pourront
servir notre développement ultérieur.
Ouvrons toutefois une petite parenthèse et rappelons avec le
philosophe de référence sur le sujet, Luc Ferry, qu’au sein du Nouvel ordre
[87]
écologique , il faut distinguer dans le courant écologiste allemand les
Fundies et les Realo. Le premier mouvement correspond à la deep ecology
(l’écologie profonde) et le second à la shallow ecology (le courant
réformateur). C’est à ce dernier que nous devons l’opération dite de
« transition écologique », donc de passage qui fait que, d’une manière
positive, il faut corriger les excès de la civilisation de la science et du
progrès en proposant des solutions dites durables. Ce sont ces dernières que
nous voudrions étudier désormais.
Si les ONG écologistes ont su, comme on l’a vu, cornériser le progrès
technologique en lui posant des colles, de manière assez étonnante, elles ont
bien su se garder de soumettre à la même grille de lecture impartiale les
solutions dont elles voulaient faire la promotion. Notamment en évitant de
communiquer, voire, en faisant disparaître les externalités négatives de
celles-ci.
Comme par enchantement, le recours à certains mots permettra de
cacher sous le tapis les problèmes et éviter de se poser des questions pour
les solutions qui font partie de la transition écologique et obtiennent le
sauve-conduit du « made in Nature ». Ainsi, parce qu’elles sont présentées
comme étant bio, durables, écolo, équitable, locales, éco-responsables,
vertes, naturelles, Green, non artificielles.... Ces solutions – au-dessus de
tous soupçons – devraient être acceptées sans plus de réflexion. En leur
présence on devrait mettre notre esprit critique en veille et accepter tout ce
qui nous est dit à leur sujet comme argent comptant.
En résumé, le made in Nature a quelque chose de flou, mais tenons-
nous-en, pour le moment, à une sorte de formule magique un peu vague que
le marketing vert a fort bien su utiliser pour ensorceler l’opinion et
déclencher en lui un réflexe pavlovien qui provoque la préférence et une
absence de questionnement ou de remise en question. Là où les ONG
écologistes créent des problèmes et posent des questions embarrassantes
pour les solutions issues de la science et de la technologie, elles ont
tendance à les faire disparaître pour les solutions labellisées « made in
Nature ». C’est le cas, comme nous allons le voir, pour l’alimentation bio,
les véhicules électriques, les énergies renouvelables ou encore les
médecines douces.

6. Le bio : tellement bon qu’on ne lui pose pas de questions

Récemment une étude sur la « chimiophobie » – littéralement la peur


de la chimie – a démontré que 39 % des Européens « voudraient vivre dans
[88]
un monde où les substances chimiques n’existent pas ». Cette enquête
de Michael Siegrist et Angela Bearth du Consumer Behaviour de l’Institute
for Environmental Decisions de l’ETH Zurich a été conduite sur plus de
5631 sujets dans sept pays : Autriche, France, Allemagne, Italie, Pologne,
Suède, Suisse et Royaume-Uni. Entre autres résultats étonnants, seulement
18 % des sujets ont répondu correctement à « La structure chimique du sel
de synthèse est exactement la même que celle du sel que l’on trouve
naturellement dans la mer ».
Parmi les découvertes des deux chercheurs suisses, cette règle
d’heuristique : « Le naturel est meilleur » ce qui a pour conséquence la
préférence « d’aliments naturels », mais aussi une perception négative de la
chimie synthétique par rapport à la chimie d’origine naturelle. Si on prend
l’exemple d’un produit pour déboucher les canalisations sur lequel figurera
la mention « eco », il sera mieux perçu par l’opinion que le même produit
de référence sans l’étiquette « eco », alors que bien souvent les deux
produits ont quasiment la même composition. Il y a donc à ce sujet un
véritable biais de connaissance lié au manque de culture scientifique des
répondants.
Ainsi nous disent les deux chercheurs : « Les personnes qui
connaissent la relation dose-réponse et comprennent que la distinction entre
les produits chimiques synthétiques et naturels n’est pas pertinente pour
évaluer le risque chimique ne sont pas aussi “chimiophobes” que les
individus qui ne possèdent pas ces connaissances. Ceux qui possèdent une
connaissance de base de la toxicologie n’ont pas besoin de s’appuyer sur le
naturel, c’est mieux et l’heuristique de contagion. En outre, les
consommateurs qui font confiance à leurs agences nationales pour contrôler
avec succès les risques chimiques présentent moins de caractéristiques de
chimiophobie que ceux qui se méfient des autorités. »
Cette expérience est éclairante pour comprendre le « bio » et comment
ce concept a pu prendre une place auréolée dans l’esprit des consommateurs
en se construisant en opposition par rapport à cette idée que se fait l’opinion
de la chimie de synthèse.
L’agence bio qui recense tous les chiffres à ce sujet évoque une
création d’emplois en hausse de plus de 14 % entre 2017 et 2018 avec
155 347 emplois directs en 2018. La surface utile, elle, est passée de 1,3
[89]
million d’hectares à 2,0 millions d’hectares entre 2015 et 2018 .
Dans le Baromètre 2018 de consommation et de perception de
l’agriculture bio en France, on apprend que 71 % des Français consomment
des produits bio au moins une fois par mois et que la principale raison pour
laquelle ils le font est « préserver leur santé » (pour 69 %) juste devant la
qualité des produits (58 %) et la préservation de l’environnement (56 %)
[90]
.
La vague verte emporte tout sur son passage. Et comme on le voit, la
distribution a su s’engouffrer sur ce marché prometteur. Incontestablement
il y a eu un véritable boom de l’agriculture biologique. Et ce, après 2015.
Comme le rappelle le journaliste Gil Rivière Wekstein : « Avec un chiffre
d’affaires qui atteint 8,2 milliards d’euros de ventes en 2017, l’or vert du
bio suscite un intérêt grandissant chez les principaux acteurs de l’industrie
et de la distribution agroalimentaires. Désormais, le chiffre d’affaires bio du
groupe Carrefour s’élève à 1,23 milliard d’euros, devançant son principal
concurrent Biocoop et son 1,1 milliard d’euros. Leclerc se trouve sur la
[91]
troisième place du podium avec ses 713 millions .»
Comme l’indique le sondage cité, l’opinion est persuadée des vertus du
bio, et cela se fait bien évidemment en opposition par rapport à l’agriculture
industrielle. Comme on le sait, l’AB (agriculture bio) obéit à un cahier des
charges assez strict qui bannit la chimie de synthèse ou les OGM, et comme
l’opinion est persuadée que sa santé et la qualité des aliments sont
améliorées si on s’en passe, alors ils font par association d’idée une
confiance aveugle au bio.
De fait, ils éliminent tout a priori négatif, alors que le bio n’échappe
pas à la règle et comme tout autre type d’alimentation, peut présenter des
problèmes sanitaires. Or, c’est là un a priori trompeur. Philippe Joudrier, un
[92]
chercheur émérite du CNRS en se penchant sur le site Oulah.fr , un site
qui recense tous les retours produits défectueux, a répertorié 1007 rappels
de produits de toute nature en France rien que pour l’année 2018 dont 332
concernaient des produits alimentaires. Sur l’ensemble de ces produits, « 36
problèmes de différentes natures sont recensés avec des produits issus de
l’AB, soit 6,5 %. Alors que les achats de produits issus de l’AB
représentent 5 % en 2018 » ; et le chercheur d’en conclure : « Il y a donc
d’ores et déjà une surreprésentation de problèmes liés à la consommation de
produits issus de l’Agriculture Biologique (AB). » Il précise « Notons que
si des alertes sont dues à des teneurs trop élevées en certains pesticides pour
des produits « conventionnels », elles ne sont pas observées pour des
produits issus de l’AB, car ceux qui sont plus spécifiques à ce mode de
culture (plus de 300 “biopesticides sont légalement autorisés y compris des
dérogations pour des produits de synthèse interdits selon leur charte), ils ne
sont même pas recherchés.” Selon l’expert, il est alors évident que ce
nombre va croître avec l’importance constante des produits issus de l’AB :
on observera des contaminations de plus en plus importantes (bactéries,
champignons, présence de Datura notamment). L’absence de conservateurs
jouera également une importance. Sa conclusion est une remarque pleine de
bon sens : « Il est dommage que justement l’Agriculture Biologique n’ait
pas compris un concept fondamental de la Biologie. Il vaut mieux, en effet,
manger avec des traces de pesticides que les pestes et leur cortège de
[93]
toxines .»
Ces risques semblent encore peu intéresser les grands médias qui
préfèrent se concentrer sur la thématique de l’agrochimie, disons-le,
souvent dans un traitement de l’information plein d’a priori et très
manichéen qui verrait d’un côté les pesticides de synthèse incarnent le mal
absolu et de l’autre l’AB, le bien, au-dessus de tous soupçons.
Il y a eu pourtant de vraies histoires d’empoisonnement avec des
produits bio. Le cas le plus célèbre étant sans doute celui de 2011. Une
ferme allemande qui cultivait différentes semences s’est trouvée être à
l’origine de la mort de 54 personnes et de l’intoxication de 3000 autres.
Quand on regarde de près cette affaire, il s’agit d’un véritable scandale qui
n’a étonnamment pas eu les répercussions qu’il aurait dû avoir dans les
médias et sur le plan sanitaire. Au début la presse est persuadée que des
concombres espagnols issus de l’agriculture intensive sont en cause. On
découvre par la suite qu’il s’agit d’aliments issus de l’agriculture
biologique. En effet, les graines en question pour obtenir le label bio ne
doivent pas avoir recours au chlore et les agriculteurs remplacent cette
substance par le chauffage des graines. La température n’est hélas pas
suffisante pour tuer les bactéries. On accepte donc étonnamment de courir
un risque. Or comme l’affirme Reinhard Burger de l’Institut Robert Koch
dans une conférence de presse : “Les gens qui ont mangé ces graines ont
neuf fois plus de chances d’avoir des diarrhées sanglantes et d’autres signes
d’infection par la bactérie E. coli entérohémorragique (Eceh) que ceux qui
[94]
n’en ont pas mangé ”. À l’issue de cet accident, on fera deux remarques :

Les médias apprenant qu’il s’agissait d’agriculture bio semblent


s’être désintéressés de l’affaire (on imagine ce qu’il en aurait été
s’il avait s’agit d’un produit de l’agriculture classique).
Aucune réflexion n’a été lancée sur l’application de mesures de
précaution par rapport à ce genre de culture.

Qui se souvient encore de ces cinquante-quatre morts ?


Plus récemment, ce sont les œufs d’une filière bio qui ont fait parler
d’eux à cause de présence de Fipronil, pesticides et désinfectants non
[95]
autorisés, dans une filière aux Pays-Bas . Avec la croissance continue des
cultures bio, ce genre de scandales alimentaires risque encore de se
multiplier. Il se peut alors qu’un jour le consommateur ouvre les yeux et
commence à se poser des questions du type de celles qu’il se pose sur
l’agriculture classique. Mais il se trouve pour l’instant ensorcelé par la
magie du marketing vert qui a su manier le concept du « made in Nature »,
entretenant une confiance aveugle afin que nous ne puissions imaginer un
éventuel risque sanitaire dans le bio, fait qui nous obsède pour les produits
issus de l’agriculture non-bio.
Qu’en est-il de cette croyance dans le fait que les aliments de la filière
AB sont meilleurs pour la santé ? De nombreuses études existent, mais elles
sont peu médiatisées. Denis Corpet, professeur d’hygiène et de nutrition
humaine à l’École nationale vétérinaire de Toulouse est catégorique : “Il n’y
a aucune preuve que le bio soit meilleur pour la santé. Ni d’ailleurs aucune
preuve que les aliments conventionnels non-bio soient mauvais pour la
santé (…) Quand j’ai commencé à étudier scientifiquement ces produits en
tant que toxicologue, j’ai constaté que de ce point de vue, il n’y avait pas de
raisons objectives de préférer le bio. Il y en a d’autres, mais elles ne sont
pas à chercher du côté de la relation entre alimentation et santé.”
Et ce n’est pas un avis isolé. Comme le remarque le journaliste Gil
Rivière Wekstein, déjà cité, “Les quatre dernières études publiées à ce sujet
confirment qu’il existe quelques différences dans la composition des
aliments bio et non-bio (un peu plus de polyphénols ou de vitamines dans
certains légumes bio), mais qu’elles sont minimes et n’ont en tout état de
cause aucun effet mesurable sur la santé des gens (Dangour, 2009 ;
Dangour 2010 ; Smith-Spangler, 2012 ; Baransky 2014). Mais ces études ne
sont pas connues du grand public et celui-ci est persuadé de manger plus
sainement en achetant des produits labellisés AB, d’autant plus qu’il croit
[96]
fermement qu’il s’agit d’une agriculture “sans pesticides” .”
D’après un sondage Harris Interactive, un français sur deux ignorerait
que l’agriculture bio utilise les pesticides (sondage réalisé en 2016 par
Harris Interactive pour Alerte Environnement). Le journaliste poursuit son
exposé : “Et pourtant dans la liste des pesticides utilisés en bio, on trouve le
spinosad, l’azadirachtine (huile de neem), les pyréthrines, la deltaméthrine,
le Bacillus thuringiensis, le virus de la granulose du carpocapse, le soufre et
bien sûr l’incontournable cuivre.” Le journaliste enfonce le clou en
rappelant que manger bio peut être une activité à risque et cite, à titre
d’exemples, quelques scandales sanitaires liés à l’alimentation biologique.
Selon lui, cela n’est pas dû au fruit du hasard, mais bien au cahier des
charges contraignant de l’AB : « Il est en effet notoire que le risque
bactérien est directement lié à la germination des graines » et certaines
techniques qui permettent de l’empêcher (recours à de l’eau chlorée) sont
proscrites.
Et Rivière-Wekstein est loin d’être seul à critiquer l’AB. Comme le
rappelle Jean de Kervasdoué, l’Agence britannique de l’alimentation et The
Annals of Internal Medicine, après avoir démontré dans un article paru dans
The Economist que “la supériorité des produits « bio » était discutable et
qu’il n’y avait pas de différence entre les qualités nutritives des aliments bio
et des autres”, ajoutent “que la nourriture bio pourrait être mauvaise pour
l’environnement, car elle utilise la terre de manière beaucoup moins
efficace que l’agriculture traditionnelle du fait de ses faibles rendements
(…)” Alan Mc Hugen, botaniste de l’université de Californie à Riverside,
rappelle que l’industrie du bio c’est « 99 % du marketing et de la perception
du public. Elle repose en effet sur une référence implicite à une époque
mythique où la nourriture, et la vie en général étaient simples et
[97]
saines .»
À la lecture de ces avis, on a le droit de se poser des questions sur
l’AB, même si nous avons bien conscience de toucher ici à une vache
sacrée et que le fait d’oser simplement émettre le moindre doute nous fera
sans doute passer pour un suppôt de l’agro-industrie. Rappelons toutefois,
en parlant d’industrie, que les premiers à avoir su profiter de cette
« nouvelle » forme d’agriculture qui surfe sur la vague d’un retour au bon
vieux temps, sont les professionnels de la distribution. Mais rassurons
immédiatement le lecteur. Comme lui, nous recherchons de bons produits
goûteux vendus par de petits artisans en qui nous avons confiance. Notre
objectif n’est pas tant de critiquer cette mode que de montrer l’irrationalité
qui s’est emparée du consommateur sous l’emprise du sort que le marketing
vert, armé de son « made in Nature » lui a jeté. Tandis qu’il semble ne rien
passer à l’agriculture classique, on a a contrario l’impression qu’il est
totalement insouciant à l’égard des imperfections de l’AB. La
préoccupation semble totalement inexistante du fait qu’aucun de ses
produits ne peut prétendre à l’innocuité, ni du fait qu’ils ne soient pas
meilleurs pour la santé, ni même du fait qu’ils ne protègent pas davantage
l’environnement (il faut cultiver davantage de terres si on veut obtenir un
[98]
rendement égal, cela pouvant donc nuire à la biodiversité )… peu
importe, les consommateurs, émerveillés jusqu’à présent, lui pardonnent
tout sans poser de question. Inversement, pour les produits issus de
[99]
« l’agriculture classique », ils voient de la chimie partout , comme s’il
suffisait à un magicien d’apposer le sceau du « made In Nature » pour
opérer une sorte de transmutation des produits concernés et que cesse toute
interrogation dans les esprits. Or, si cela fait son effet du point d’un point de
vue marketing – qui ne rêve pas d’une nature, corne d’abondance nous
approvisionnant sans que nous ayons le moindre effort à faire – un esprit
rationnel nous invite à rester sceptiques et à continuer à nous poser des
questions.

7. Éoliennes : l’hélice qui cache la centrale à charbon

Si l’Agriculture Biologique bénéficie encore d’une aura forte et sans


doute pour longtemps auprès des consommateurs, il n’en va pas de même
pour l’éolien. On a en effet ici un parfait exemple d’une solution prônée par
le marketing vert, préconisée par les politiques, mais qui après quelques
années d’émerveillement, soulève chaque jour un peu plus l’opinion contre
elle. Il suffit d’aller sur YouTube pour s’en convaincre : il est de plus en
plus difficile de trouver des vidéos qui parlent en bien des éoliennes. Le
moteur de recherche référence en priorité les vidéos des collectifs anti
éoliens, preuve s’il en est, qu’ils sont de plus en plus nombreux. Cela dit, en
cherchant bien, on retrouve les contenus qui ont contribué à envoûter
l’opinion en faisant la propagande de moyen de production d’énergie
renouvelable.
Ainsi une vidéo de Greenpeace Belgique débute avec un panorama de
centrale atomique ensoleillée. Puis tout d’un coup éclate une averse, et une
sirène se déclenche, des fumées noires sortent des cheminées, leurs murs
craquellent puis s’effondrent donnant une image apocalyptique. Un rideau
noir tombe. On entend alors des voix et le rideau s’ouvre sur un nouveau
décor dans lequel se trouvent des gens qui tirent sur des cordes pour dresser
des éoliennes. Maladresse ou provocation ? On entend en fond sonore des
oiseaux chanter – on sait que l’un des principaux arguments contre les
[100]
éoliennes est qu’elles tuent des oiseaux ainsi que des chauves-souris .
Le slogan final n’y va pas par quatre chemins : « Plutôt avec la lumière
[101]
allumée ? Optez pour une énergie propre et durable ! »
Une autre vidéo de Greenpeace France cette fois-ci, dresse un tableau
très sombre des énergies en France : « 85 % d’énergies sales (Charbon, Gaz
naturel, Nucléaire, Pétrole) » et « 15 % d’énergies propres » (Énergies
renouvelables). Pour en finir avec cette situation, Greenpeace propose de la
Sobriété et de l’efficacité. Pour schématiser : il faut faire des économies et
ensuite on pourra aller vers d’autres types d’énergies. Le plan de
Greenpeace pour 2050 passe donc par 75 % d’énergies renouvelables, 50 %
[102]
de Biomasse, 16 % d’éolien, 15 % de solaire et 9 % d’hydro-électrique .
Une vidéo de 2015 de la Fondation Nicolas Hulot affirme « 100 %
d’électricité propre c’est possible », ajoutant : « Passer aux énergies
renouvelables c’est indispensable, heureusement les filiales solaires et
éoliennes deviennent rentables et attirent les investisseurs. » La décision de
passer aux énergies vertes n’est plus une utopie, c’est une décision à
[103]
prendre . Pour cela, Hulot, ministre de l’Environnement, est lui-même
monté au sommet d’une éolienne. Il y a aussi envoyé Audrey Pulvar,
présidente de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme. Cette
dernière est allée à la rencontre des citoyens qui ont investi dans un parc
éolien à la frontière du Lot et du Cantal. Après avoir rencontré
l’investisseur du Groupe Valermo en charge du projet, elle se rend dans le
café restaurant où elle rencontre Georgette la restauratrice qui lui avoue
qu’elle n’était jamais inquiète, même si elle se posait des questions. Selon
Georgette, cela va tout changer : elle va payer l’électricité moins cher. Et
elle l’affirme : ça ne défigure pas du tout le paysage. Audrey Pulvar est
émerveillée par l’aspect collaboratif du projet. Un des deux entrepreneurs
affirme que le territoire est exportateur d’énergie. Une scène d’anthologie
montre la présentatrice TV star arriver dans une campagne semée
d’éoliennes, d’après elle « un paysage hyper bucolique ». Elle rencontre un
agriculteur qui s’est engagé pour le parc éolien et dispose également de
panneaux solaires. Il dit vouloir diversifier son activité. Il n’est pas gêné par
les éoliennes, car elles se trouvent à un kilomètre. Le mot de la fin est laissé
à l’investisseur qui explique comment se passe le financement participatif et
la bonification qui va avec. Il n’a pas employé le mot de subvention.
En regardant ces vidéos, on réalise le pouvoir du marketing du made in
Nature. On arrive dans un pays enchanté (« c’est bucolique »). Tout le
monde a mis son grain de sel (« c’est participatif »). Les villageois profitent
de l’électricité, elle est moins chère et en plus ils en exportent ! Sans oublier
les subventions appelées « bonifications » pour la cause. On ne compte plus
les avantages des ENR.
À l’opposé de ce conte de fées, on trouve un scénario de film
d’horreur. C’est le programme issu de l’émission Envoyé Spécial, plus
généralement porté sur les sujets anti glyphosate, anti OGM,
antinucléaire… Cette fois l’émission du 20 septembre 2018 s’intitule
[104]
« Éoliennes : le vent de la révolte » et elle commence très fort avec des
militants qui distribuent des tracts contre les « Grandes faucheuses » un
parc de 62 éoliennes de mer qui devraient être installées au large du
Tréport. Les militants ainsi que les pêcheurs craignent pour les « oreilles
des poissons ». Un chiffre clé est lancé : « En France 70 % des projets sont
attaqués par des riverains » un comble pour ce symbole des « énergies
propres et de la transition énergétique ». Le reportage commence sur le
mont Levezou en Aveyron où sont arrivées les premières éoliennes
françaises en 2004. Carole Joly, une écologiste, a été invitée à se rendre au
pied des éoliennes qu’elle trouvait jolies à l’époque : « Je voyais juste qu’on
allait sortir du nucléaire. Que c’était pas une énergie qui allait laisser des
déchets irradiés. » Premier problème évoqué par la militante : bien qu’il y
ait de plus en plus d’éoliennes, les centrales atomiques n’ont pas fermé.
Deuxième problème : les riverains évoquent des bruits d’hélicoptère,
d’avion ou de machine à laver. Troisième problème : une petite visite à
l’association de riverains et on apprend qu’une étrange lumière se dégage
derrière les éoliennes en automne et qu’en la regardant, « Josiane a une
sensation de vertige ». Certains riverains ont réussi à filmer une lumière
intermittente qui provoquerait « nausée et maux de tête ». On apprend que
l’Académie de Médecine reconnaît un syndrome éolien qui affecterait les
riverains. Quatrième problème, enfin : le bétonnage de zones sauvage. On
creuse des trous géants et des chemins pour accéder aux mâts en plein
champ. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Là où la vidéo
de la fondation Nicolas Hulot nous annonçait un projet collectif, voici que
l’on découvre avec Carole Joly que le projet en question ne sert pas à
alimenter le village, mais un grand réseau d’énergie renouvelable. D’après
le commentaire journalistique, c’est donc « un projet international et
industriel, bien loin de l’image locale ». Le reportage se déplace ensuite sur
une ZAD (zone à défendre) que les habitants locaux ont installée pour
retarder l’expropriation d’un terrain qui doit servir pour installer un
transformateur géant.
Mais les riverains ne sont pas les seuls à remettre en question les
éoliennes. Certains scientifiques vont faire feu de tout bois. C’est le cas de
Bernard Durand, par exemple qui a écrit l’ouvrage Éoliennes : Vent de
[105]
Folie . Il pose en premier principe que les éoliennes sont tout le
contraire d’une solution écologique : « L’éolien en France est en réalité une
arme de destruction massive de l’environnement pour les milieux ruraux. Il
le sera bientôt pour les milieux marins, si l’éolien en mer s’y installe en
force comme le veut notre gouvernement. » Les ONG sont hypocrites
d’après lui et si elles sont arrivées à leurs fins, c’est qu’elles ont réussi à
influencer les politiques. D’après lui, les riverains expérimentent réellement
une gêne et le rejet de ces parcs a pour origine « la perception croissante par
ses riverains, de plus en plus nombreux, des effets néfastes de l’éolien sur
leur environnement immédiat et sur leur santé ».
Bernard Durand évoque alors des considérations économiques et
écologiques : le coût de l’électricité augmente et cela n’empêchera pas de
rejeter du CO₂ dans l’atmosphère. Pour appuyer cette thèse, il développe
l’exemple de l’Allemagne, pays phare qui a choisi de fermer ses centrales
nucléaires pour développer le solaire et l’éolien : « La principale leçon à
tirer est qu’il ne faut surtout pas imiter l’Allemagne, qui s’est mise de
manière impulsive et irréfléchie dans une impasse écologique et
économique, et dans une dépendance durable aux combustibles fossiles, en
voulant développer l’éolien et le solaire photovoltaïque à tout prix ; c’est le
cas de le dire, car les dépenses qu’elle a dû consentir pour cela se comptent
déjà en centaines de milliards d’euros, cela pour un résultat très médiocre. »
L’intermittence est en cause. Ou comme on le sait, le fait qu’un parc éolien
ne peut pas produire en permanence pour répondre à la demande, faute de
vent (de même qu’une centrale solaire ne bénéficie que de période
intermittente d’ensoleillement)
L’Allemagne coche toutes les mauvaises cases : n’ayant pas
suffisamment de puissance électrique avec le renouvelable, d’autant plus
que celle-ci n’est pas pilotable (contrôlable), « elle a été obligée de
conserver toute sa puissance de centrales pilotables à charbon. Elle a dû
remplacer les réacteurs nucléaires qu’elle a fermés par des centrales à gaz. »
Ceci ayant le résultat suivant : « L’Allemagne est et sera donc pour très
longtemps le principal pollueur de l’atmosphère européenne, avec le CO₂
climaticide émis par ses centrales électriques, mais aussi avec leurs fumées
nuisibles à la santé publique circulant dans toute l’Europe au gré des
[106]
vents .»
Mais le pire n’a pas encore été envisagé. Le blogueur spécialiste des
questions énergétiques, Jean-Pierre Riou, évoque la possibilité d’une faillite
[107]
du système électrique . Selon lui, à la suite d’une période de froid et
d’intempéries prolongés appelés Dunkelflaute, « Une étude de l’office
météorologique allemand DWD a montré que la complémentarité avec les
éoliennes offshore et avec le photovoltaïque n’empêchait pas de réduire à
moins de 2 cas par an la chute de production de leur puissance installée à
moins de 10 % pendant plus de 48 heures d’affilée. » Situation qui présente
de véritables risques pour l’approvisionnement énergétique alors que
« l’électricité a vocation à renforcer notre indépendance énergétique et
remplacer le pétrole, le charbon et le gaz dans les domaines de la mobilité et
du chauffage. Notre politique énergétique n’a pas le droit de manquer ce
rendez-vous. En misant sur des énergies intermittentes pour remplacer des
réacteurs nucléaires, son excès d’optimisme nous expose pourtant
volontairement à rien moins que la faillite de tout notre système
électrique. »
Pourtant les éoliennes sont bien implantées sur le territoire français et
cela n’est sans doute pas près de s’arrêter. Ainsi en 2018, on recense près de
8 000 éoliennes terrestres sur 1 380 parcs. Le nombre semble important.
Mais il ne représente en fait qu’une puissance de 1,5 gigawatt raccordé dans
l’année et 15,8 GW de puissance installée et ne couvre que 6 % de la
consommation électrique française. Et les installations de parcs vont encore
aller bon train puisque la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)
engage le pays à atteindre 34 GW en 2028.
On ne pourra pas dire que nous n’avons pas été prévenus. Un rapport
circule sur le web qui montre l’échec de l’EnergieWende allemande.
« Bonjour d #Allemagne, où la transition énergétique souffre de nouveaux
revers. L’industrie éolienne terrestre, jadis la technologie phare du pays
pour passer à l’énergie propre, n’ajoutera que 1,4 à 1,8 gigawatt de nouvelle
capacité cette année, à mesure que les approbations de projet
[108]
toussotent .»
Autrement dit, alors qu’au travers du Green Deal décidé par Ursula
Von den Leyen, l’éolien semble une source d’énergie à privilégier, on
constate que l’Allemagne qui se présente comme un modèle à suivre,
expérimente quelques difficultés et ne pas délivrer la promesse attendue en
termes d’énergie renouvelable. Cela vaudrait le coup d’écouter certains
experts, mais il semble bien que pour l’instant seuls les riverains et certains
scientifiques conscients des enjeux se posent les vraies questions. Les ONG
environnementalistes et les politiques qui engagent des pays entiers sur la
voie de cette transition continuent de faire comme si de rien n’était.... Le
made in Nature a fait son effet sur les planificateurs également et il semble
qu’aucun argument raisonnable ne pourra jamais les arrêter.

8. Véhicule électrique : les terres rares sous le tapis

Dans son excellent livre From 0 to 1, Peter Thiel consacre un chapitre


entier aux technologies vertes. Selon le parrain de la « Paypal Mafia »,
surnom dont il a hérité en souvenir de l’entreprise qu’il avait fondée, tout le
monde s’est mis à vouloir faire dans la CleanTech au début du XXe siècle ;
mais hélas ce mouvement a échoué en donnant à la place d’un monde plus
[109]
vert une énorme bulle verte . D’après ce serial entrepreneur, les raisons
de cet échec sont au nombre de sept :

La question de l’engineering : la capacité de créer une innovation


disruptive plutôt que simplement incrémentale ?
La question du timing : est-ce que c’est le bon moment pour lancer
un nouveau business ?
La question du monopole : quelle est la taille du marché sur lequel
vous vous lancez ?
La question de l’équipe : avez-vous la bonne équipe ?
La question de la distribution : avez-vous un moyen non seulement
de créer, mais aussi de distribuer votre innovation ?
La question de la durabilité : serez-vous en mesure de défendre
votre position sur votre marché d’ici 10-20 ans et dans le futur ?
La question secrète : avez-vous identifié une opportunité que les
autres n’ont pas ?

Selon lui, Tesla, l’entreprise d’Elon Musk qui s’est spécialisée sur le
lancement de véhicules électriques a coché toutes les cases en répondant de
manière positive aux questions posées. La technologie Tesla est tellement
efficace que les autres compagnies elles-mêmes l’utilisent (Daimler utilise
les batteries par exemple). Ensuite, Thiel ironise de la manière la plus
exquise en disant qu’en 2010, Musk a su trouver le bon timing pour
sécuriser un demi-milliard de dollars auprès de l’administration Obama :
une occasion unique dans l’histoire. Troisième raison, Tesla a su
commencer avec un monopole. Elon, d’après son ami Peter est un ingénieur
de première catégorie doublé d’un excellent vendeur, et il a su coacher ses
équipes comme si elles faisaient partie des forces spéciales. Tesla en
maîtrisant l’ensemble de la chaîne de distribution économise beaucoup
d’argent. On peut estimer que l’entreprise est durable étant donné qu’elle
bouge à grande vitesse. Enfin le secret de Tesla est qu’il a compris que la
mode était aux véhicules électriques étant donnée la vague de « people éco-
conscients » qui a vu le jour à Hollywood : « Tesla a construit une marque
unique autour du secret selon lequel les entreprises de cleantech étaient
davantage un phénomène sociologique qu’un impératif
[110]
environnemental . » D’après l’auteur de 0 to 1, l’exemple de Tesla
incarne à tous points de vue la réussite des cleantechs, alors mêmes que
celles-ci ont subi une bulle en ce sens qu’une quantité énorme
d’investissements a été accordée à ces entreprises qui ont justifié d’un
[111]
retour sur investissement trop faible pour pouvoir rembourser . Après
cette dernière, il est essentiel de trouver un nouveau souffle un peu comme
les entreprises du web 2.0 après la bulle de l’Internet.
Notons que ces observations sont tirées d’un ouvrage paru en 2014 et
que Tesla a connu depuis des hauts et des bas même si la tendance des
véhicules électriques, elle, a continué de se développer. Si Musk a réussi à
envoyer un de ses véhicules en orbite, ce qui symbolise le mieux la réussite
de Tesla, ce sont davantage les montagnes russes que la poussée verticale en
direction des astres. Ainsi, l’année 2018 a été jonchée d’imprévus pour
l’entreprise : accident d’un véhicule en mode pilotage automatique, rappel
de 123 000 véhicules de la gamme modèle S, déclarations inappropriées sur
l’état des finances de la marque qui a valu à Musk d’être suspendu de sa
fonction de président. L’année 2019 a été plus ou moins sur le même mode.
Finalement l’année 2020 semble commencer sur les chapeaux de roue avec
[112]
le succès de la modèle 3 .
Il n’en reste pas moins que l’avenir du véhicule électrique, à l’image
de Tesla, ressemble moins à une autoroute qu’à un chemin tortueux de
province. Certes, on peut toujours se dire que ça finira bien par rester la
seule alternative. Car certains politiques, en France notamment, ont
programmé de tuer son principal concurrent, le véhicule thermique, pour
2040. Et comme nous l’a rappelé Thiel, il s’agit d’un vrai phénomène de
société. Aussi les supporters du véhicule électrique s’acharnent à démontrer
que les a priori négatifs concernant cette innovation sont totalement
infondés.
Le Vlogueur « Y a du potentiel » liste les 10 choses à savoir sur le
[113]
Véhicule Électrique ! Alors qu’un tiers seulement de la vidéo est
consacrée aux grands principes techniques (batteries, autonomie,
motorisation, recharge) et les économies réalisées par rapport au véhicule
thermique (plein et pièces à changer), les deux autres tiers sont consacrés au
déminage des avis critiques !
Il s’agit en effet de répondre aux questions susceptibles de faire douter
de la technologie. Et notamment la première d’entre-elle : « Trop
d’électricité à produire. » Le jeune homme répond à cette question en
s’appuyant sur une étude de la Commission de régulation de l’énergie
(CRE) selon laquelle, la voiture électrique ne fera pas bondir la
[114]
consommation en France d’ici 2035 . Une seconde question qui vient
obérer le développement tranquille de la technologie est celle de la
possibilité de recycler les batteries. La réponse à cette objection étant que
certaines batteries peuvent être réutilisées et d’autres doivent être
démontées afin que l’on puisse filtrer les matériaux ; il reconnaît cependant
que ce processus coûte encore plus cher que l’extraction de matériaux. Une
troisième question concerne les terres rares. Après avoir brièvement exposé
le système de pompage des matériaux et leurs mises en bassin, il s’appuie
sur le rapport de l’Ademe qui affirme que l’épuisement est lointain, mais
[115]
pas infini et qu’il faudra donc privilégier le recyclage. La quatrième
objection est celle de la batterie qui pollue ; car, il faut utiliser d’autres
énergies pour produire la voiture électrique elle-même. La cinquième et
dernière objection donc concerne l’absence de production de CO₂. Selon
notre blogueur : « Une voiture électrique est aussi propre que la manière de
produire l’électricité. » Il évoque deux scénarios possibles. Le premier dans
lequel on trouverait encore 40 % d’énergie produite par une centrale à
charbon : dans ce cas le véhicule produirait 20 % de CO₂ en moins qu’un
modèle thermique. Dans le cas où l’électricité serait davantage décarbonée
(la France), le véhicule émettrait 80 % de CO₂ en moins. Il cite alors le cas
de la Chine où l’augmentation du nombre de véhicules électriques a causé
une augmentation du rejet de CO₂, car la Chine produit essentiellement son
électricité en utilisant des centrales à charbon. La question initiale « un
SUV électrique est-il écolo ou pas ? » trouve la réponse suivante : « Cela
dépend de notre capacité à produire une énergie renouvelable et
décarbonée. » Ce qui est une manière élégante de déplacer le problème.
On le voit : ce n’est pas seulement la marque Tesla qui est faite de
contraste, c’est l’histoire tout entière du véhicule électrique, un peu comme
une utopie qui stimulerait les rêves de l’automobiliste tout en le ramenant à
[116]
chaque fois à la réalité. Une enquête récente réalisée par Cetelem dans
16 pays annonce que 85 % des automobilistes croient en l’avenir du
véhicule électrique (92 % en Chine, 73 % en France et seulement 68 % en
Allemagne). Cette croyance prend cependant une douche froide quand on
sait que sur les 97 millions de voitures neuves vendues dans le monde en
2018 (des ventes qui progressent de 3 % chaque année dans le monde) il
n’y aurait à peine plus d’un million de véhicules électriques. Au point qu’on
se demande si cela ne démontre pas une certaine schizophrénie de la part
des conducteurs qui, d’après l’enquête citée précédemment, lui accordent
toutes les qualités imaginables : « véhicule propre » (pour 89 % des
répondants), « agréable à conduire » (86 %), « une image positive, moderne
et responsable » (85 %). On comprend pourtant facilement d’où viennent
les freins : 86 % des sondés pensent qu’elle est plus chère que son
équivalent thermique. À cela s’ajoute le problème de l’autonomie : 30 %
imaginent « pouvoir acheter une voiture électrique ayant moins de 300
kilomètres d’autonomie ». Enfin, le concept souffre d’un énorme déficit de
connaissance puisque « 70 % des automobilistes dans le monde disent
qu’ils n’ont pas suffisamment d’informations concernant cette voiture ».
Un esprit mal tourné déduirait que ce déficit de connaissance explique
l’espoir hors du commun mis par les automobilistes dans le véhicule
électrique : en effet, 70 % affirment ne pas avoir suffisamment
d’information. On est alors en droit de s’interroger : qui sait, par exemple,
qu’en 2016, l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de
[117]
l’énergie) a sorti un rapport dans lequel elle affirme que : « Le véhicule
électrique consomme moins d’énergie qu’un véhicule thermique en
fonctionnement, car sa chaîne de traction présente un excellent rendement
énergétique. Malgré cela, sur l’ensemble de son cycle de vie, la
consommation énergétique d’un VE est globalement proche de celle d’un
véhicule diesel. » D’après les auteurs, cette solution permet bien « une
réduction des émissions des gaz à effet de serre », une « réduction des
polluants responsables de la dégradation de la qualité de l’air », mais en
revanche, « le VE a des impacts négatifs sur l’environnement,
majoritairement durant sa phase de fabrication, notamment sur
l’acidification des milieux et le potentiel d’eutrophisation de l’eau ».
Mais l’un des critiques les plus féroces du véhicule électrique est sans
doute le journaliste Guillaume Pitron, auteur du désormais célèbre ouvrage
La Guerre des métaux rares. Alors que notre vlogueur nous présentait
discrètement le fait que la production d’une voiture électrique et notamment
d’une batterie était un problème à adresser, Pitron fait, lui, une attaque sans
concession : « Pour construire une voiture électrique, il faut trois à quatre
fois plus d’énergie qu’un véhicule conventionnel. Donc cette idée de la
voiture électrique qui serait une voiture zéro émission, c’est un mythe
complet… un véhicule électrique avant d’avoir roulé son premier kilomètre
a déjà suscité 3 à 4 fois plus d’émissions qu’un véhicule conventionnel. »
Concernant l’objection de la production de l’énergie, il la traite sans
concession. Selon lui, ce qu’on a fait en France, « on a délocalisé la
pollution de la voiture électrique dans des pays qui ont été prêts à salir leur
environnement pour s’enrichir ». Selon cet auteur, il s’agit donc d’une
forme d’hypocrisie « à ne pas vouloir réaliser chez nous cette solution et à
se prétendre écolo » Pitron a fait un travail d’enquête dans tous les pays qui
produisent des terres rares. Alors que la version positive imagine les
progrès des batteries et des motorisations comme d’autant de solutions qui
viennent améliorer l’ensemble, lui, pense que cela ne fera qu’accroître cette
exploitation désastreuse des terres rares. Enfin, il dénonce alors le fait que
l’on passe d’une dépendance aux monarchies pétrolières à une dépendance
[118]
à la Chine .
On notera également l’avertissement récent lancé par Carlos Tavares
(patron de PSA) au Salon de l’Automobile à Paris « Le monde est fou. Le
fait que les autorités nous ordonnent d’aller dans une direction
technologique, celle du véhicule électrique, est un gros tournant. Je ne
voudrais pas que dans 30 ans on découvre quelque chose qui n’est pas aussi
beau que ça en a l’air, sur le recyclage des batteries, l’utilisation des
matières rares de la planète, sur les émissions électromagnétiques de la
[119]
batterie en situation de recharge ? »
On découvre une fois de plus qu’on a poussé en avant une technologie
sans doute perfectible en rejetant les questions sérieuses qu’elle soulevait.
Personne, même les promoteurs du véhicule électrique, ne nie ces
questions, mais rien ne nous dit qu’on va leur trouver des solutions
rapidement. Voici donc un choix technologique qui est commandé par des
choix politiques. Il suffit pour s’en convaincre de voir que subventions et
interdiction (l’empressement des politiques à mettre des bâtons dans les
roues au véhicule thermique pour assurer l’ouverture du marché au véhicule
électrique) restent à ce jour, les deux principaux leviers de la technologie.
Se faisant, il ne faudrait pas qu’on se réveille trop tard en se rendant compte
que se dresse un mur de l’impossible technologique, comme l’explique, par
exemple, l’énergéticien Samuel Furfari. L’expert belge s’interroge, sur cette
solution miracle que « l’on doit imposer par la contrainte législative comme
on l’a fait pour les énergies intermittentes ». Il rappelle les trois grands défis
pour que le rêve devienne réalité : le prix (voir plus haut l’enquête Cetelem
citée) ; les bornes de rechargements (on doit s’interroger sur la directive
européenne obligeant les états à installer ces infrastructures « qui va payer
ces travaux ? ») ; enfin dernier obstacle : la génération d’électricité. Le
professeur s’amuse à un petit calcul pour la Belgique, au cas où en 2030,
10 % du parc auto serait électrifié : du côté de la demande de
consommation, celle-ci n’augmenterait que de 2,8 % ce qui ne poserait pas
un grand problème. Mais si on considère maintenant la puissance installée,
alors : « si on a besoin d’une charge rapide avec 50 kW, on arrive au chiffre
incroyable de 29 GW alors que la puissance installée est 21,15 GW lorsque
[120]
tout veut bien fonctionner …»
9. Homéopathie : 100 % placébo.... 0 % remboursé

Malgré ses déconvenues récentes, l’homéopathie, médecine dite


alternative, n’en reste pas moins florissante d’un point de vue économique.
En effet, d’après Les Échos, en 2015, Transparency Market Research, un
cabinet d’études, estime le marché à 3,8 milliards de dollars et parle d’une
croissance de 18 % : « Sur cette projection, le marché s’élèverait ainsi
aujourd’hui à un peu plus de 6 milliards de dollars (5,3 milliards d’euros).
[121]
» En France, Boiron, le leader mondial du secteur, a réalisé un chiffre
d’affaires de 358,5 millions d’euros en 2018. Sur le site de ce laboratoire
connu de tous, on trouve des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : « Un
médecin généraliste sur trois prescrit quotidiennement des médicaments
homéopathiques soit 20 000 médecins, parmi eux, 4000 ont une pratique
[122]
experte . » Ou encore « 3 Français sur 4 ont déjà pris de l’homéopathie
au cours de leur vie. 74 % des utilisateurs jugent que les médicaments
homéopathiques sont efficaces. 20 % des patients atteints de cancer
l’utilisent en soins de supports pour réduire les effets secondaires des
traitements anticancéreux. »
Une enquête Ipsos datant de novembre 2018 sur les Français et
[123]
l’Homéopathie illustre la confiance du public à l’égard de cette
« thérapie » qui a désormais plus de deux cents ans d’âge. La fiche qui
résume l’enquête parle d’« une confiance dans l’efficacité de l’homéopathie
ancrée dans l’esprit des Français » puisqu’ils utilisent l’homéopathie (en
moyenne) depuis 14 ans, que 76 % en ont une bonne image, 74 % jugent
que les médicaments homéopathiques sont efficaces et 72 % ont eu des
bénéfices positifs pour un problème de santé. En conséquence de quoi 58 %
des 2000 individus sondés souhaitent que les médecins prescrivent plus
souvent des médicaments homéopathiques associés aux médicaments
conventionnels et 74 % sont opposés à l’arrêt du remboursement. Ces
chiffres sont impressionnants. D’autant plus impressionnants qu’en 1982
seulement 16 % des Français disaient avoir recours au moins
[124]
occasionnellement à l’homéopathie .
Les chiffres du marché de l’homéopathie prêtent à penser que les
patients se sont laissé conquérir par cette solution sans se poser beaucoup
de questions. Aussi l’image du secteur est jusqu’aujourd’hui très préservée.
[125]
En effet, dans une interview donnée à BFM en avril 2019 , Valérie
Lorentz-Poinsot, la DG de Boiron affirme : « On a une image de
laboratoires qui fait des produits respectueux, qui sont sûrs, qui vont très
bien dans le développement durable (…) pour nous l’homéopathie ça fait
partie de l’avenir de la médecine. » Interrogée sur les attaques en cours
concernant le remboursement de l’homéopathie, elle se justifie en rappelant
que l’homéopathie a plus de 220 ans d’existence et qu’elle existait bien
avant les antibiotiques. Et assène un argument massue : « Si l’homéopathie
n’était pas efficace, cela ferait bien longtemps que les mères de famille
auraient cessé de l’utiliser (…) l’homéopathie va bien au-delà de l’effet
placébo et il y a beaucoup d’études faites en homéopathie. » Avouant un
budget recherche de 4 à 6 millions, elle précise que ce n’est pas une
recherche coûteuse et que l’homéopathie se passe de recherche, car
claironne-t-elle, « nous les médicaments on n’a pas besoin de les trouver, on
les a depuis 200 ans » À la fin de l’interview, elle invite les « attaquants de
l’homéopathie à venir visiter l’entreprise et à s’intéresser davantage aux
réalités de l’homéopathie ».
Mais sur quel argumentaire scientifique repose cette « médecine »
inventée à la fin du XVIIIe siècle par l’Allemand Samuel Hahnemann ?
Alors que personne ne se posait vraiment de question, l’homéopathie visée
par une menace de déremboursement, ses représentants ont dû monter au
créneau pour se défendre. Ainsi dans le magazine Alternative Santé, un
certain Luc Maisonneuve a signé un article intitulé « L’homéopathie marche
[126]
très bien, les preuves sont là ». Après avoir rappelé que l’homéopathie
devait se justifier au nom « d’attaques en tout genre, provenant de
médecins, d’académies savantes et du ministère de la Santé » réaffirme que
« des études sérieuses montrant le bénéfice thérapeutique de cette
médecine ». Étonnamment il cite l’hypothèse de la mémoire de l’eau, une
publication de Nature datant de 1988. Il parle de « vrai mystère »
concernant la réalisation d’un médicament homéopathique : « Un
médicament homéopathique est fabriqué à la suite de multiples dilutions
d’une molécule. Ce mélange qui contient bien des molécules actives à
l’échelle pondérale (quantifiable) va ensuite être dilué jusqu’à ce qu’il n’y
ait plus aucune trace quantifiable. C’est ce mystère qui pose problème aux
“scientistes purs”. » Il s’appuie ensuite sur l’étude EPI 3 réalisée entre 2005
et 2012 et qui est la plus vaste étude réalisée en France, dont « l’objectif
principal a été d’évaluer la place de l’homéopathie dans la pratique des
généralistes. Le recueil des données sur le terrain a eu lieu entre mars 2007
et juillet 2009 ». Cette étude, selon lui, a montré que : « Les patients suivis
par un médecin homéopathe présentent une amélioration clinique
comparable à celle des patients suivis par des médecins à pratique
conventionnelle. Le tout en utilisant deux fois moins d’anti-inflammatoires
non stéroïdiens (AINS) que ces derniers. »
Le célèbre blogueur scientifique La Tronche en Biais a fait une série
de vidéos dans laquelle il étrille de toute part l’homéopathie, jette un sort
définitif à cet argument. Écoutons-le : « Depuis quelques années, les
homéopathes en raffolent. Depuis quelques années ils dégainent
constamment l’étude EPI 3. Que montre réellement l’étude EPI 3. Que les
médecins conventionnels prescrivent trop de certains médicaments. On le
savait déjà des groupes de médecin s’en plaignent déjà depuis longtemps.
L’étude EPI 3 ne dit rien d’autre. Elle ne dit pas que les homéopathes
soignent mieux. Elle ne dit pas que leurs remèdes ont la moindre efficacité
ni qu’ils coûtent moins cher. Car au prix des médicaments il faut ajouter le
prix de la séance, et les homéopathes sont souvent plus chers. EPI 3
confirme que les médecins prescrivent en général trop de médicaments et
[127]
c’est tout .»
En France, en 2019, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a confirmé
que le taux de remboursement des traitements homéopathiques allait
progressivement baisser pour arriver à un déremboursement total en 2021.
Une initiative qui a pour origine la volonté du gouvernement français de
réaliser des économies sur le panier de soin, mais qui est aussi une
résultante des multiples attaques des tenants de l’allopathie. Il y a eu tout
d’abord le rapport de l’Académie des sciences européenne (European
Academies Science Advisory Council, EASAC) qui confirme « l’absence
de preuve solide et reproductible de l’efficacité des produits
[128]
homéopathiques ». On y lit notamment « qu’il n’existe, pour aucune
maladie, aucune preuve, scientifiquement établie et reproductible, de
l’efficacité des produits homéopathiques – même s’il y a parfois un effet
placebo. En outre, l’homéopathie peut avoir un effet nocif en retardant la
consultation d’un médecin ou dissuadant le patient de rechercher les soins
médicaux appropriés, qui seront basés sur des preuves scientifiques, et en
fragilisant finalement la confiance des patients et du public envers la
démarche scientifique fondée sur les preuves. Ce phénomène a des
conséquences importantes en termes de politiques publiques, de santé
publique et de réglementation de l’homéopathie dans l’Union européenne. »
Puis en 2018, il y a eu l’appel de 124 professionnels de la santé contre les
« médecines alternatives » une tribune signée dans Le Figaro qui a fait
grand bruit. Dans ce texte à charge, après avoir rappelé en quoi consiste le
serment d’Hippocrate, les signataires enfoncent le clou : « La tentation peut
alors être grande de pratiquer des soins sans aucun fondement scientifique.
Cette tentation a toujours existé. Elle a été, et est toujours, nourrie par des
charlatans en tout genre qui recherchent la caution morale du titre de
médecin pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire.
[129]
»
Pour autant, ces attaques ne semblent pas avoir entamé le moins du
monde les certitudes des zélateurs de cette médecine. Ceux qui croient en
l’homéopathie (les prescripteurs aussi bien que les utilisateurs) ont une foi à
toute épreuve. Et ce n’est sans doute pas le déremboursement qui va nuire
au marché. Interviewé par European Scientist, sur les conséquences de la
décision du gouvernement, l’expert santé Guy André Pelouze affirme : « Je
suis optimiste. Dégagé de la tutelle de l’assurance maladie tutelle qui tient
par le remboursement, l’homéopathie va continuer à attirer des patients.
D’abord parce que les consultations restent remboursées. Ensuite parce que
l’homéopathie est très populaire dans toute l’Europe. Cela fait bondir les
tenants d’une médecine hospitalo-centrée, mais c’est ainsi. »
Là encore, on se retrouve face à un effet « Fan-club ». Les attaques des
experts pleuvent en masse, mais les croyances résistent, imperméables à la
rationalité scientifique. Certes l’homéopathie n’a aucune toxicité, du fait
même qu’elle est dépourvue d’une quelconque efficacité. Un risque peut se
présenter cependant dans le cas des maladies graves, quand les patients la
choisissent aux dépens d’un autre type de soin. Ainsi comme le rappelle
Laurent Alexandre dans une tribune de l’Express : « Une étude maniée par
le Pr Skyler Johnson, à Yale, montre les dangers des “autres médecines” (qi
gong, homéopathie, naturopathie, plantes, yoga, acupuncture, régimes et
diètes en tout genre, méditation…) à la place des traitements scientifiques
évalués (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, immunothérapie et
hormonothérapie). Les patients qui choisissent les thérapeutiques
alternatives ont jusqu’à cinq fois plus de risque de mourir que les patients
bénéficiant des traitements classiques. (…) Mais il convient de séparer les
médecines alternatives toxiques, directement dangereuses ou sectaires, et
[130]
les produits inoffensifs comme l’homéopathie .»
Ici comme dans les trois cas précédemment évoqués, on constate donc
que l’opinion qui accorde du crédit à cette médecine ne s’appuie pas sur une
argumentation rationnelle. Ce qui est parfaitement illustré par la citation de
Samuel Hahnemann dans son discours à la Société homéopathique
gallicane : « Et vous, studieuse jeunesse française, vous que les vieilles
erreurs n’ont pas encore pu atteindre, et qui, dans vos veilles laborieuses, ne
cherchez que la vérité, venez à moi ! Car je vous l’apporte, cette vérité tant
[131]
cherchée, cette révélation divine d’un principe de la nature éternelle .»
Il ne s’agit pas de démontrer, il faut avoir la foi.
Qu’on nous comprenne bien. L’objectif n’est pas tant ici de
décrédibiliser l’homéopathie que de montrer qu’elle semble jouir auprès
d’une large communauté d’une confiance à toute épreuve, parce qu’elle est
« naturelle », donc, implicitement, elle ne peut faire que du bien. Alors que
cette même communauté sera généralement prompte à douter dès qu’il
s’agira d’une solution qui se présente comme étant une application de la
science et de la technologie. Encore une fois, on assiste à un effet du made
in Nature. Essayons de synthétiser pour mieux comprendre.

10. La magie surnaturelle du naturel

Comme on vient de le voir, les solutions techniques qui ont reçu le


sceau du « made in Nature » échappent aux questions qui fâchent,
contrairement aux technologies qui, elles, n’ont pas eu le privilège d’obtenir
ce label. On observe clairement une situation de deux poids deux mesures.
D’un côté, on montre un danger parfois invisible, parfois imaginaire,
parfois exagéré et on pose des questions auxquels les scientifiques ne
peuvent pas répondre, de l’autre, on accepte sans le moindre doute des
solutions qui sont loin d’avoir fait leurs preuves… A contrario, on peut
même dire que leurs réputations précèdent les preuves de leur efficacité.
N’est-on donc pas sorti du domaine de la rationalité quand on sait que grâce
au marketing écologiste, l’emploi de certaines formules magiques permet
aux technologies d’échapper à tous contrôles basés sur des arguments
scientifiques et sur des choix rationnels. Ce d’autant plus qu’on ne dispose
d’aucune évidence que la problématique environnementale qu’ils
prétendent résoudre soit mieux prise en compte.
On voit de manière assez évidente que l’alimentation bio, l’énergie
issue de l’éolien, le véhicule électrique ou encore l’homéopathie, jouissent
d’une espèce de sauf-conduit dans l’opinion. Contrairement aux « totems »
sélectionnés par les ONG pour exhiber les défauts de la civilisation issue de
la science et de la technologie, ces « étendards » de la transition écologique
made in Nature sont présentés non seulement par leurs promoteurs comme
étant exempts de toutes formes d’externalités négatives, mais elles sont
exonérées des critiques que peut émettre la science à leur égard, critiques ne
semblant jamais les atteindre.
Jusqu’à aujourd’hui on n’a pas vu de scientifiques en blouses blanches
défiler dans les rues pour chanter le « bio c’est 0 », « l’éolien c’est pas
bien », « le véhicule électrique, on panique » ou encore « l’homéopathie,
c’est fini ». D’ailleurs, même si certains scientifiques le pensent très fort, il
ne leur viendrait pas à l’idée d’agir ainsi. De toute façon, ils ne
convaincraient personne. Car il est beaucoup trop tard pour revenir en
arrière et désamorcer les nouvelles croyances qui ont été forgées dans
l’opinion et qui relèvent désormais du sacré… On a réussi à instituer une
nouvelle religion imperméable à toute forme d’esprit critique. Aussi
d’ailleurs ceux qui s’en prennent à elle sont immédiatement suspectés d’être
à la solde des industriels. Un argument qui ne tient pas la route comme nous
l’avons déjà souligné puisque ces solutions sont elles-mêmes devenues la
prérogative de l’industrie : l’industrie agroalimentaire et la grande
distribution se sont précipitées sur le bio, les fournisseurs d’énergie et des
pans entiers de l’industrie ont développé des champs d’éoliennes, les
industriels de l’automobile disposent désormais quasiment tous d’une
chaîne de production de véhicules électriques et l’homéopathie est produite
par des fleurons de l’industrie pharmaceutique.
C’est ainsi que la « chimie organique » (par opposition à chimie de
synthèse) autorisée par le cahier des charges du bio ne semble pas
vraiment préoccuper l’opinion au même titre que celle-ci, par
exemple, est préoccupée par le glyphosate… pourtant, elle peut
faire des morts. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, beaucoup
pense que le label « bio » équivaut forcément à « bon pour la
santé » et les consommateurs ne veulent pas entendre que les
produits bio, comme les autres produits, peuvent présenter des
risques pour la santé. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la
supercherie, l’enjeu étant également celui de pouvoir subvenir aux
besoins de l’humanité – sujet pour lequel, le bio est loin d’avoir
fait ses preuves. Mais rien n’y fait et les consommateurs continuent
de payer la soulte pour une martingale qui n’a jamais rien prouvé.
Magie surnaturelle du marketing vert qui opère avec son made in
Nature. Nous avons parlé des géants de la distribution qui ont été
les premiers à en profiter, notons désormais que même les
[132]
industriels des produits phyto se sont mis à surfer sur la vague .
C’est ainsi que les promoteurs de l’éolien ont réussi à persuader
l’opinion d’une énergie totalement naturelle, cachant par la même
l’ensemble des externalités négatives qui sont désormais connues
au grand jour. On a découvert récemment l’impossibilité de
[133]
recycler les ailes des turbines . Les riverains ayant expérimenté
la présence de champ d’éoliennes commencent à se révolter, mais
il semble que ce soit trop tard, et les politiques énergétiques de
[134]
certains pays semblent définitivement actées . Et pourtant tout
porte à douter que cette solution du fait qu’elle soit non pilotable,
nous engage sur une piste aléatoire pour suppléer à la demande.
Les riverains sont contre. Les citadins, eux, plutôt « pour », voire
indifférents… ils se moquent bien de l’éolienne, tant qu’elle n’est
pas dans leur jardin et que son socle en béton reste discret pour ne
pas gâcher son origine made in Nature.
C’est ainsi que le véhicule électrique poursuit inexorablement sa
route. Malgré toutes les embûches qu’il a croisées et les objections
qui ont fini par laisser entendre qu’à ce jour il était difficile
d’affirmer qu’il était plus « vert » que le véhicule thermique ; son
plus grand succès est sans doute, d’avoir obtenu toute l’attention et
le soutien du pouvoir politique qui, d’une main lui a distribué
toutes les subventions qu’il voulait, et de l’autre a programmé
l’interdiction proche de son concurrent, le véhicule thermique.
L’automobiliste, lui, est pragmatique. S’il peut rouler propre c’est
un plus. Pour l’instant il se laisse berner d’illusions et les critiques
qui dénoncent l’hypocrisie ne semblent pas encore l’atteindre,
puisque de toute façon il roule made in Nature.
C’est ainsi que l’homéopathie s’est taillée une part du marché
appréciable en l’espace d’une trentaine d’années et jouit d’une aura
à toute épreuve chez un nombre toujours plus important de
patients, qui, comme on l’a vu, n’apprécient pas le fait qu’elle ne
soit plus remboursée. Là encore, ceux qui la défendent refusent les
questions scientifiques et tout argument rationnel. Comme telle,
l’homéopathie ne semble pas présenter d’externalité négative…
mais ce qui surprend le plus c’est que les patients qui y croient et y
ont recours seront souvent les premiers à remettre en cause les
prescriptions allopathique qui reposent sur des faits scientifiques
éprouvés ou toute autre « solution
[135]
technologique rationnelle »… le placebo est par définition
made in Nature.

Alors que nous avions vu que les OGM, le Nucléaire, les Antennes
relais et le Glyphosate avaient subi des attaques sans concession des ONG
et qu’elles étaient décrédibilisées dans l’opinion, a contrario, pour le Bio,
l’Éolien, le Véhicule Electrique ou l’Homéopathie, des ONG, des
industriels, des politiques, font en permanence leur promotion, en vantant
des qualités de manière injustifiée et en niant les externalités négatives. Ce
n’est pas exagéré de dire qu’on diabolise les premiers pendant qu’on
« déifie » les seconds.
Nous pouvons expliquer cela par le fait que nous avons ici à faire à
une opération de marketing dont le pouvoir apparemment infini s’est
appuyé sur des images et des mots pour changer l’opinion générale grâce à
un tour de passe-passe formidable : le « naturel » a quelque chose de
« surnaturel » en ce sens qu’il échappe à toute analyse scientifique. Il suffit
que la chimie soit « organique » pour que l’on oublie que c’est la dose qui
fait le poison ; que l’énergie soit « renouvelable », pour que l’on oublie que
celle-ci n’est pas forcément fiable pour approvisionner les besoins des
populations ; que le « véhicule soit vert » pour qu’on oublie qu’il est encore
aussi polluant que certains diesels, et enfin qu’une médecine soit « douce »
pour qu’on prête plus qu’il ne peut à l’effet placébo. Et que l’on ne vienne
pas nous dire que ces « solutions made in Nature » s’imposent par leurs
meilleurs respects de l’environnement, car là encore il faudra que les
tenants de cette thèse nous fournissent des preuves : quel est l’avantage
d’avoir une culture dite « bio » si on a des rendements plus faibles et donc
on doit utiliser davantage de terres pour obtenir une récolte identique ? Quel
est l’avantage d’avoir des ENR, si on est forcé d’utiliser d’autres énergies –
dont des énergies fossiles – pour garantir l’approvisionnement énergétique
et la pilotabilité du système ? Quel est l’avantage des véhicules électriques
si on utilise des terres rares et que l’énergie utilisée pour approvisionner le
véhicule n’est pas elle-même renouvelable ? Quel est l’avantage d’une
médecine naturelle si… on ne connaît pas de manière certaine la nature de
cet avantage ?
Mais si nous en sommes arrivés là, c’est qu’il y a bien une raison. Le
côté surnaturel du « naturel » que nous avions baptisé « le made in Nature »
et qui est plus généralement appelé « bio », « durable », « éco-
responsable », « en accord avec la nature »… est ce petit plus magique que
l’esprit cartésien avait voulu supprimer et qui a su s’imposer sans aucune
difficulté sur un marché saturé par la rationalité et qui croulait sous le poids
de l’impossibilité de démontrer le risque 0.
Alors que le principe de précaution est décliné à l’envi pour ces
technologies qui jouent avec les gènes, l’atome, les ondes et les molécules,
celui-ci n’est plus du tout invoqué dès qu’on parle d’aliments bio, d’énergie
renouvelable, de véhicule vert ou de médecine naturelle. Pourquoi : parce
que le fait d’être considéré comme « naturel » apporte une sorte de caution,
qui désarme l’esprit cartésien. Et pourtant, pourquoi n’appliquerait-on pas
le principe de précaution au maïs bio qui peut apporter avec lui des
mycotoxines ? Pourquoi n’appliquerait-on pas ce principe à l’énergie
éolienne qui semble largement incapable de répondre aux besoins de nos
sociétés modernes et pourrait nous conduire à des périodes de black-out ?
Pourquoi ne l’appliquerait-on pas aux véhicules électriques qui semblent –
en l’état actuel des choses – générer davantage d’externalités négatives que
leurs homologues thermiques ? Pourquoi ne pas l’appliquer à l’homéopathie
qui pourrait.... à non c’est vrai, étant donné qu’il n’y a aucun effet avéré, il
ne peut y avoir de risque potentiel.
Hélas en procédant ainsi on fait passer le marketing avant la science et
la technologie, en sélectionnant les technologies en fonction de
considérations externes à l’efficacité des applications technologiques
concernées. Il s’agit essentiellement de raconter de belles histoires. Certes
on peut toujours penser que le marché finira par arbitrer le sort de ces
solutions. Il ne fait aucun doute que certaines continueront de progresser…
notamment, n’en doutons pas, le véhicule électrique ainsi que les ENR
quand on aura trouvé une solution au stockage de l’énergie. Mais il se pose
tout de même une question cruciale : celle du risque de toucher aux limites
de l’exercice et de basculer un jour dans l’idéologie. Là réside notre
problème : car si les solutions made in Nature ne font pas leurs preuves,
certains veulent avoir recours à la force pour nous imposer leurs idées de
décroissance. Quand le marketing est impuissant à vendre une idéologie,
alors la politique prend le relais.

86. Les carrières aménagées contribuent à protéger la biodiversité


https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/les-carrieres-amenagees-contribuent-a-proteger-la-
biodiversite-853821.html
87. Le Nouvel Ordre écologique https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Nouvel_Ordre_écologique
88. Michael Siegrist, Angela Bearth, “Chemophobia in Europe and reasons for biased risk
perceptions”, https://www.nature.com/articles/s41557-019-0377-8
89. Dossier de presse : Un ancrage sur les territoires et une croissance soutenue, les chiffres
2018 du bio https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2019/06/DP-AGENCE_BIO-
4JUIN2019.pdf
90. https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/
91. Gil Rivière Wekstein, Le Grand Boom du Bio
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/le-grand-boom-du-bio/
92. https://www.oulah.fr/
93. Philippe Joudrier, Alertes sur l’alimentation : méfiez-vous aussi du bio
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/alertes-sur-lalimentation-mefiez-vous-du-bio/
94. Une ferme «bio» à l’origine de l’épidémie de bactérie tueuse
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2011/06/10/10931-ferme-bio-lorigine-lepidemie-bacterie-tueus
95. Fipronil : une quinzaine de produits non autorisés détectés dans des œufs biologiques
https://www.bfmtv.com/sante/fipronil-une-quinzaine-de-produits-non-autorises-detectes-dans-des-
oeufs-biologiques-1472511.html
96. Gil Rivière-Wekstein, Panique dans l’assiette, Le Publieur, 2017, pp. 117-125
97. Jean de Kervasdoué, Ils croient que la nature est bonne, Robert Laffont, pp.129-130
98. Philippe Stoop, L’agriculture extensive favorable à la biodiversité ?
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/lagriculture-extensive-favorable-a-la-biodiversite-
premiere-partie/
99. Un phénomène connexe étant que désormais nous apprécions d’autant plus les aliments
lorsqu’ils sont bardés d’étiquettes « sans » (« sans OGM », « sans huile de palme », « sans
pesticide », « sans gluten »…)
100. Les éoliennes responsables de la mort d’au moins 250.000 chauves-souris par an en France
https://fr.theepochtimes.com/eoliennes-responsables-de-mort-de-nombreuses-chauves-souris-
oiseaux-1170419.html
101. Greenpeace Belgique « La sortie du nucléaire »
https://www.youtube.com/watch?v=sE4BN-Gjwn0
102. « Énergie, il est temps de changer » https://www.youtube.com/watch?v=54h6uG-8Od0
103. Fondation Nicolas Hulot, les énergies renouvelables ce n’est pas une utopie
https://www.youtube.com/watch?v=rClrgS76z34
104. 20 septembre 2018 (France 2) https://www.youtube.com/watch?v=epOpSPEgEfA
105. Durand Bernard, Un vent de folie : L’éolien en France : mensonge et arnaque ? Les
Unpertinents 8 février 2020
106. À paraître : vent de folie de Bernard Durand
https://www.europeanscientist.com/fr/redactions-choice-fr/a-paraitre-vent-de-folie-le-nouveau-
livre-de-bernard-durand/
107. La faillite du système électrique, https://www.europeanscientist.com/fr/energie/la-faillite-
du-systeme-electrique/
108. https://twitter.com/Schuldensuehner/status/1222391168580886528
109. « People got busy: entrepreneurs started thousands of cleantech companies, and inventors
poured more than $ 50 billion into them. So began the quest to cleanse the world. It didn’t work.
Instead of a healthier planet, we got a massive clean tech bubble. » Peter Thiel, Zero to one, Penguin,
p. 153.
110. « While generic cleantech companies struggled to differentiate themselves, Tesla built a
unique brand around the secret that clean tech was even more of a social phenomenon than an
environmental imperative. » Ibid., p.169.
111. The Green Bubble https://en.wikipedia.org/wiki/The_Green_Bubble
112. Tesla, les résultats financiers explosent tous les records
https://www.phonandroid.com/tesla-les-resultats-financiers-explosent-tous-les-records.html
113. Y a du potentiels, 10 Choses à savoir sur la Voiture Électrique !
https://www.youtube.com/watch?v=E11T4CkPGXg
114. La voiture électrique ne fera pas bondir la consommation en France d’ici 2035
https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/transports/la-voiture-electrique-ne-fera-pas-bondir-la-
consommation-en-france-d-ici-2035_125590
115. Avis de l’ADEME sur le véhicule électrique.
https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/epuisement-metaux-mineraux-fiche-
technique.pdf
116. Le mystère de la voiture électrique, une aventure obligée pour la filière automobile
https://observatoirecetelem.com/lobservatoire-cetelem-de-lautomobile/le-mystere-de-la-voiture-
electrique/une-aventure-obligee-pour-la-filiere-automobile/
117. ADEME, véhicule électrique
https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/avisademe-vehicule-electrique.pdf
118. Interview Guillaume Pitron par Le Nouvel Obs, "Une voiture électrique pollue autant qu’un
diesel" https://www.youtube.com/watch?v=bY9zESWWbjI
119. Oui, le patron de PSA a bien exprimé des réserves sur l’essor de la voiture électrique (qu’il
fabrique) https://www.20minutes.fr/economie/2360899-20181025-oui-patron-psa-bien-exprime-
reserves-essor-voiture-electrique-fabrique
120. La voiture électrique va aggraver le chaos électrique https://www.lecho.be/opinions/carte-
blanche/la-voiture-electrique-va-aggraver-le-chaos-electrique/10055052.html
121. Homéopathie un marché mondial en forte croissance https://www.lesechos.fr/industrie-
services/pharmacie-sante/homeopathie-un-marche-mondial-en-forte-croissance-1037196
122. https://www.boiron.fr/sites/boironfr/files/content/Fiche%201-
Homéopathie%20faits%20et%20chiffres-Mai19.pdf
123. https://www.boiron.fr/enquete-ipsos-novembre-2018-les-francais-et-l-homeopathie
124. 1 - Etude IPSOS conduite sur 975 personnes - 18 ans et plus, mai 2004 - Laboratoire
Boiron source :
https://www.doctissimo.fr/html/sante/mag_2004/sem02/0910/sa_8058_homeopathie_chiffres_e
xception_francaise.htm
125. BFM Lyon, Réussite d’Entreprise - Valérie Lorentz-Poinsot - DG Boiron du 19/04/19
https://www.youtube.com/watch?v=6vQ8xNOJfBo&list=PLQChdj8iSeZXHZjq2Y5qygMGaAtA-
OUO8&index=2
126. Luc Maisonneuve, L’homéopathie marche très bien, les preuves sont là
https://www.alternativesante.fr/homeopathie/l-homeopathie-marche-tres-bien-les-preuves-sont-la
127. La Tronche en biais, La rhétorique des homéopathes - Tronche de Fake #4.5
https://www.youtube.com/watch?v=2RbhqFhwYyw
128. Communiqué de l’Académie des sciences, « L’homéopathie : nuisible ou utile ? Les
scientifiques européens recommandent une approche fondée sur la preuve scientifique »
https://www.academie-sciences.fr/pdf/communique/easac_290917.pdf
129. Tribune collective : Comment éviter les charlatans dans la jungle des thérapies,
sante.lefigaro.fr/article/comment-eviter-les-charlatans-dans-la-jungle-des-therapies/
130. Laurent Alexandre, « Faut-il interdire l’homéopathie ? »
https://twitter.com/dr_l_alexandre/status/979262118678671360/photo/1
131. Discours de Hahnemann à la Société homéopathique gallicane par le docteur Samuel
Hahnemann http://www.homeoint.org/seror/hahnemannpub/gallicane.htm
132. Sur le site de Bayer France, on trouve le FAQ suivant : « Est-ce que Bayer commercialise
des produits phytosanitaires utilisables pour la culture bio ? Oui, Bayer développe des produits de
protection des plantes naturels. Ces produits appelés bio-contrôles sont à base d’organismes vivants
et de substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale, et sont certifiés pour une
utilisation en agriculture biologique. » https://www.bayer.fr/posez-nous-vos-questions/bayer-
produits-phytosanitaires-bio
133. Wind Turbine Blades Can’t Be Recycled, So They’re Piling Up in Landfills
https://www.bloomberg.com/news/features/2020-02-05/wind-turbine-blades-can-t-be-recycled-
so-they-re-piling-up-in-landfills
134. L’Union européenne s’illustre par son zèle féroce en la matière et multiplie les annonces
abracadabrantes (1000 milliards d’Euros pour un Green new deal, une Europe totalement
décarbonnée en 2050).
135. Ainsi Alexandre Imbert, dans le magazine Alternative Santé nous dit « Je vois aussi la
photo de la ministre de la Santé qui se fait vacciner contre la grippe avec un beau sourire pour
exhorter les Français à y passer eux aussi et je sais qu’il y a pourtant plein de remèdes naturels qui
fonctionnent mieux, notamment des huiles essentielles. Combien de personnes vaccinées auront la
chance de mourir de la grippe cette année ? (…) Je vois que l’on installe le compteur Linky, presque
de force, dans les maisons alors que de graves doutes subsistent sur son innocuité. Les récalcitrants
n’ont-ils pas compris la chance qu’ils avaient d’avoir un compteur du 3e millénaire ? »
https://www.alternativesante.fr/homeopathie/homeopathie-la-chance-sourit-aux-fallacieux
Troisième partie :

Dystopie verte : l’idéologie d’abord, la science


après

Le marketing vert nous appelle à effectuer une transition écologique


avec une promesse de durabilité. Qui ne souhaiterait pas que l’ensemble de
nos technologies répondent à ce critère ? Il faudrait être fou pour prétendre
le contraire. Oui, mais voilà, pour y arriver, il est important que nous ne
quittions pas le domaine de la rationalité. Comme nous l’avons vu ce sont
plus des considérations marketing qui nous poussent pour l’instant à retenir
ces technologies qui « participent à la transition écologique ». Or, il ne
faudrait pas se payer de mot en croyant que certaines solutions parce
qu’elles sont labellisées « made in Nature » pourront régler les problèmes
de l’humanité et de son environnement comme par enchantement. D’autant
plus que derrière ces considérations peut se cacher tout autre chose qu’une
volonté d’apporter des biens et des services « meilleurs pour la planète ». Et
comme nous allons le voir dans cette nouvelle partie, l’agenda de certains
peut être politique ou idéologique, voire, les deux à la fois. L’inconvénient
étant que si c’est la politique qui instrumentalise la science et lui dit ce
qu’elle doit faire alors les conséquences peuvent être terribles.
On l’a vu par le passé, les idéologies peuvent avoir un impact néfaste
sur la science et amener à de véritables catastrophes en faisant dévier celles-
ci de leur objectif. L’histoire est jonchée d’exemples ou des erreurs
stratégiques opérées par des politiques qui font de mauvais choix avec des
conséquences néfastes pour les populations. L’idéologie l’emporte sur la
rationalité et l’on se retrouve avec des solutions technologiques qui ne sont
pas efficaces pour répondre aux besoins des populations. L’un des exemples
les plus célèbres est sans doute l’affaire Lyssenko.
Cette histoire a vu le jour dans les années 20 en URSS. Le
Lyssenkisme a régné sur la politique agricole de l’empire soviétique durant
quasiment plus de la moitié d’un siècle et a été à l’origine de nombreuses
famines. Trofim Denissovitch Lyssenko en est le principal responsable. Né
le 29 septembre 1898 à Karlivka, ville située aujourd’hui en Ukraine, ce
technicien agricole soviétique a derrière lui une triste renommée.
L’historien Sam Kean remarque que « Bien qu’il soit impossible de
l’affirmer de manière assurée, Trofim Lyssenko a probablement tué plus
d’êtres humains que n’importe quel autre scientifique dans l’histoire.
D’autres réalisations scientifiques douteuses ont fait disparaître de
nombreuses vies, c’est le cas de la dynamite, le gaz toxique, la bombe
atomique. Mais Lyssenko, un biologiste soviétique, a condamné peut-être
des millions de gens à la famine au travers de ses recherches agricoles
frauduleuses, et ce, sans aucune hésitation. Seules les armes à feu et la
poudre à canon, issues de la recherche collective de plusieurs scientifiques
[136]
sur plusieurs siècles peuvent rivaliser avec un tel carnage .»
Concrètement, sous l’impulsion de Lyssenko et de ses théories, à la fin
des années 1920 et au début des années 1930, Joseph Staline a entrepris une
« modernisation de l’agriculture soviétique » en forçant des millions
d’individus à se regrouper dans les kolkhozes, ce qui a donné lieu à des
[137]
famines considérables qui ont tué plus de 7 millions de personnes .À
noter que les pays alliés de l’Union Soviétique ont également adopté les
méthodes de Lyssenko. C’est le cas de la Chine, par exemple, à la fin des
années 50 dont les populations ont souffert encore davantage puisqu’on
estime le nombre de victimes à plus de 30 millions. Quelle est la
« formule » de ce carnage ?
C’est en 1928 que le « savant aux pieds nus » (tel était son surnom)
Lyssenko parle pour la première fois de vernalisation, une technique qui
permet de faire passer une plante du stade végétatif au stade reproductif en
l’exposant au froid. Selon le biologiste cette technique permettrait de
quadrupler le rendement agricole du blé ; certains historiens supposent
[138]
cependant qu’il a truqué ses expériences et annoncé de faux résultats .
Peu importe, cette thèse convient parfaitement aux instances du parti
communiste, car elle défend la suprématie de l’influence environnementale
sur la génétique au point de nier totalement cette dernière. Alors que « la
pseudo-découverte » n’apporte qu’un faible avantage, avec l’appui de la
propagande soviétique, son promoteur devient un véritable héros, paysan et
génial inventeur d’une technique miraculeuse ; en 1938, le Conseil des
commissaires du peuple de l’URSS le propulse à la tête de l’Académie
Lénine des sciences agronomiques. On notera alors au passage qu’au fur et
à mesure que Lyssenko grimpe les échelons du pouvoir, il s’en prend aux
scientifiques qui défendent des thèses généticiennes (les disciples de
Mendel) qu’il qualifie d’ennemi du peuple soviétique. Ces derniers sont
d’ailleurs déportés au Goulag. En plus d’avoir contribué à affamer les
peuples, Lyssenko est également à l’origine de l’anéantissement de la
communauté de généticiens soviétiques. Tout cela, avec le soutien de
Staline, et des années après, de Nikita Kroutchev. En effet, selon l’idéologie
marxiste, seul l’environnement pouvait être à l’origine de la formation des
plantes et des animaux. Sans aucune surprise, il fallut attendre la fin des
années 1990 pour que soient reconnues les horreurs du Lyssenkisme.
L’aventure est cependant loin d’être finie, et Kean, évoque un renouveau du
courant lyssenkiste en Russie ces dernières années. La principale raison de
cette renaissance serait la montée en puissance d’un sentiment de rejet de la
culture occidentale aussi, les nouveaux défenseurs du lyssenkisme
« accusent la science de la génétique de servir les intérêts de l’impérialisme
[139]
américain et d’agir contre les intérêts de la Russie .»
Au travers de cette terrible histoire, on comprend que le pouvoir
politique s’immisce dans la science en appuyant les idées scientifiques
douteuses d’un individu ou d’un groupe d’individus et continue de le faire
sans corriger le tir, malgré le retour violent de la réalité (des millions de
morts). L’idéologie continue d’imposer son diktat et pour arriver à ses fins
va jusqu’à éliminer toutes voix discordantes. L’arbitraire politique anéantit
toute objectivité et instrumentalise un discours pseudo-scientifique afin de
viser un dessein qui est autre. Elle vient se superposer à celui-ci pour lui
dicter la manière dont il doit décrire le monde. Clairement Lyssenko a voulu
transposer sur le modèle du vivant les croyances politiques, au lieu
d’essayer de décrire celui-ci en s’appuyant sur des observations
scientifiques et en appliquant la méthode hypothético-déductive. De ce fait,
il n’a fait que produire un autre discours politique qui n’a su montrer
aucune emprise sur la réalité. À une époque où tout le monde s’inquiète de
la « véracité » de l’information et est prompt de dénoncer les « fake news »,
il est important de se souvenir du danger que peuvent nous faire courir
certaines pseudo-sciences… Surtout quand celles-ci se retrouvent entre les
mains de politiques dont l’agenda privilégie la quête du pouvoir à celle de
la vérité.
La méfiance est d’autant plus de mise que, contrairement à ce que l’on
pourrait croire, il suffit de peu de chose pour déstabiliser notre société.
Aussi les générations qui n’ont connu que l’abondance auraient tort de
croire que tout tombe toujours à point sans effort, comme par magie, et que
le seul problème auquel notre civilisation ait à faire face est celui d’avoir
une alimentation plus « naturelle ». Elle devrait au contraire s’inquiéter de
la fragilité de notre système agro-industriel et du fait que, pour qu’il n’y ait
pas de rupture de production et approvisionner sans difficulté l’humanité, il
est essentiel que notre civilisation mette toutes les chances de son côté, à
commencer par une technologie qui a fait preuve de son efficacité. Hélas
nous avons le tort de croire que ce renversement de valeurs est de l’ordre du
passé et que nous ne pourrons jamais revivre ce genre de situation.
Ainsi, la production européenne de blé a connu pendant l’été 2018 une
forte baisse avec seulement 136,6 millions de tonnes en 2018 soit 15
millions de tonnes de moins qu’en 2017. Sylvain Poncelet, analyste chez
Agritel remarque que « les chaleurs excessives depuis fin avril ont diminué
[140]
les volumes récoltés de moitié : du jamais vu . » Au niveau mondial, la
production a également baissé de 30 millions de tonnes. Ceci a eu pour
conséquence d’augmenter les prix pour le consommateur. L’analyste
poursuit : « Le secteur de l’agriculture et de l’élevage risque de beaucoup
souffrir. Le blé ira prioritairement aux hommes, qui ne vont pas cesser de se
nourrir. Mais la hausse des prix ne permettra plus de donner du blé aux
animaux. Il va falloir remplacer par d’autres céréales. » Or il s’avère que le
maïs et le soja risquent également de souffrir de la sécheresse. De ce fait, il
est tout à fait probable qu’on rentre dans une période d’insécurité
alimentaire. Ajoutons à cela que « La production de blé doit augmenter de
1,6 % par an pour répondre à la demande d’une population mondiale
projetée à 9,6 milliards d’habitants d’ici 2050 »…
Aussi, c’est de manière tout à fait fortuite qu’à la même époque, une
heureuse coïncidence est venue pour rappeler que la science peut toujours
venir à la rescousse. En effet, le 17 août 2018, la revue Science a publié un
papier qui fera date : « Repousser les limites de la recherche et de la
sélection du blé en utilisant un génome de référence entièrement
[141]
séquencé . » Le Consortium International pour le Séquençage du blé
apporte un nouvel espoir pour les développements à venir de cette céréale
essentielle à l’alimentation humaine dont la production permet de couvrir
un cinquième des calories totales consommées par les humains. Pour
Kostya Kanyuka, chercheur en génomique fonctionnelle pour Rothamsted
Research, un des responsables du projet « Cela va grandement accélérer nos
efforts en vue d’identifier les gènes du blé importants pour l’agriculture, y
compris ceux qui pourraient aider à combattre les plus grandes maladies
fongiques. » Cette avancée facilitera grandement les développements de
nouveaux traits (déjà en cours) tels que : la résistance aux maladies, au sel,
les blés « bio-renforcés » (l’université d’État de Washington, par exemple,
mène actuellement des expériences afin de supprimer la gliadine, une
protéine à l’origine de la maladie de cœliaque, qui fait que certains sont
allergiques au gluten), et enfin des blés tolérants à la sécheresse.
Tout ceci semble aller dans le bon sens, mais c’est sans compter sur la
politique. Au sein de la communauté européenne, les laboratoires qui
travaillent sur le blé vont devoir tenir compte d’une décision bien
particulière : le 25 juillet, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu
un arrêt qui a pour conséquence de considérer les plantes issues de la
mutagenèse au même titre que les OGM (voir ici notre analyse à ce sujet).
Si elle se concrétisait, cette décision pourrait signifier que toutes les
nouvelles applications NBT (New Breeding Techniques) que laissent
entrevoir le séquençage de l’intégralité du génome du blé seraient retardées,
voire, purement et simplement empêchées par une législation tatillonne.
Alors que les biotechnologies proposent des solutions concrètes et que
de nombreux pays n’auront pas d’hésitation comme on le voit dans ce cas,
c’est la législation et la politique qui retardent et empêchent leur
développement au niveau européen. Or si les stocks de blés venaient à
s’amenuiser et que l’agro-industrie se trouvait dans l’incapacité de suppléer
à la demande du marché européen, voire, dans l’incapacité d’importer,
quelles raisons aurait-on à ne pas avoir recours aux biotechnologies ou aux
autres solutions que présente par exemple l’agriculture intelligente ?
Mais l’agriculture n’est pas la seule à être menacée par les mauvais
choix politiques. Le secteur énergétique représente un danger bien plus
grand. Nous avons déjà soulevé le sujet de l’EnergieWende allemand où
l’intermittence des ENR oblige les Allemands à continuer d’avoir recours
au charbon. Dans une interview, Samuel Furfari, le professeur de
l’Université Libre de Bruxelles évoque un problème comparable en parlant
[142]
de Chaos Électrique Belge : ainsi, Jean-Luc Crucke, un ministre wallon
de l’énergie « renforce le soutien aux installations d’énergie renouvelable
intermittente, il est un ardent défenseur de la fermeture de centrales
nucléaires. Pire, il décide d’interdire les voitures diesels et même à essence
parce qu’il entend promouvoir les véhicules électriques alors que le
remplacement de seulement dix pour-cent des automobiles thermiques par
des véhicules électriques exigerait en charge rapide le doublement de la
puissance installée actuelle et bien entendu qu’elle ne soit pas intermittente
c’est-à-dire pas d’origine renouvelable. Cette folle précipitation induit des
implications énergétiques préoccupantes. »
Comme l’explique cet expert chevronné qui a écrit de nombreux
ouvrages dont une somme de plus de 1200 pages sur les politiques
[143]
énergétiques , les subsides prévus pour les énergies renouvelables
(solaires et éoliens) ont fini par créer une bulle d’autant plus que ces
solutions sont très peu efficientes, nonobstant une loi a été passée pour
fermer les deux centrales nucléaires du pays.
Furfari enfonce le clou : « “Le débat énergétique reste pollué par
l’idéologie” en fustigeant le caractère improvisé des choix énergétiques
belges résultant de la captation politique d’une question qui aurait dû rester
économique et technique. »
Ceux qui pensent qu’il est impossible de revivre une affaire Lyssenko
se trompent. On le voit, au travers de ces deux exemples que sont la chaîne
de l’industrie agroalimentaire qui va du laboratoire à l’assiette en passant
par la ferme, et le choix de la politique énergétique. La science apporte des
solutions, mais de mauvais choix politiques font courir des dangers à
l’ensemble de la société. Les politiques et les idéologues qui les inspirent
s’en rendent-ils vraiment compte ? On est en droit d’en douter quand on
voit les charges que subit actuellement la civilisation du progrès scientifique
et technique.
Oui, le marketing vert, après avoir fait descendre la civilisation de la
science et du progrès de son piédestal en montrant son impuissance à
répondre à certaines questions non scientifiques, a imposé ensuite son
agenda technologique avec des solutions made in Nature, bien
qu’inabouties, fondamentalement au-dessus de tout soupçons. Mais
lorsqu’elles rencontrent une limite, ces solutions trouvent un appui
politique. C’est à ce moment que l’idéologie verte prend le pouvoir et dicte
ses choix. On vient de voir les dangers que l’imposition idéologique d’une
technologie peut présenter. Ces forçages n’amènent jamais rien de bon....
Ne doutons pas que le marché finira par arbitrer. Mais d’ici là, on va devoir
faire face à un autre danger bien plus grave. L’agenda politique de certains
est en effet de remettre en question la civilisation des Lumières avec tout ce
qu’elle a apporté.

11. Le petit Greta rouge et le loup

En s’appuyant sur des choix idéologiques pour piloter les orientations


scientifiques et techniques, on fait courir un grand danger à l’humanité....
celui d’être de nouveau incapable de faire face aux obstacles contre lesquels
elle s’est élevée et de lutter contre certains déterminismes qui grèvent sa
liberté. C’est la peur de ces véritables dangers (peur de ne pas manger à
notre faim, peur de ne pas avoir suffisamment d’énergie, peur d’une
nouvelle pandémie) qui devrait continuer de guider notre action, comme
cela a toujours été le cas depuis l’aube de l’humanité. Or, il semble que
cette préoccupation a reculé au second plan pour faire place à un tout autre
type de craintes : la peur construite des solutions scientifiques et techniques.
Il nous faut maintenant montrer en quoi cette construction est bien
différente de la peur comme émotion spontanée et naturelle.
Prenons l’exemple du loup qui évoque chez l’homme une peur
ancestrale. Comme le rappelle Sylvie Brunel dans son livre Toutes ces idées
[144]
qui nous gâchent la vie , la réintroduction du loup a été pilotée en
Europe par certains idéologues qui ont une pseudo-volonté de nous
« réconcilier avec la nature » et une vraie « haine de l’humanité ». Ainsi,
selon cette géographe, la réintroduction du loup est une aberration sociale –
on décourage les bergers –, et économique – il faut protéger les troupeaux et
indemniser les éleveurs (chaque loup coûte 57 000 euros au contribuable
français). Ainsi l’auteure s’interroge : « Se réconcilier avec la nature… la
belle blague. Avec le léopard qui tue le petit Wasim ? Avec le loup qui
égorge des dizaines de brebis ? Avec le python de sept mètres qui, en 2017,
avale entier un jardinier de 27 ans dans les Célèbes, en Indonésie ?… »
Le loup est un exemple symbolique qui illustre le sentiment de peur
des prédateurs bien naturel et ancré dans notre inconscient collectif. A
contrario, c’est un choix idéologique qui nous commande de préserver des
espèces que nous avons toujours chassées parce qu’elles nous faisaient peur,
ou mettaient nos vies en danger…
Et c’est la même idéologie qui veut nous commander d’avoir peur des
innovations scientifiques et techniques. Ainsi, comme l’a commandé la
jeune Greta Thunberg à Davos en 2019 : « Je veux que vous ressentiez la
peur que je ressens tous les jours. » On se trouve vraiment dans la
manipulation, puisqu’il s’agit non pas d’une peur de telle ou telle
technologie en particulier (par exemple le dernier robot de Boston Robotics
qui donne des frissons quand on le voit faire un salto, ou courir dans les
bois), mais d’une peur systématique et indifférenciée de toutes les
technologies quelles qu’elles soient.
Comme on le sait, la peur du progrès technologique est devenue un
véritable marronnier et elle l’emporte sans doute de loin sur celle des peurs
causées par des phénomènes naturels. De la vitesse des trains au climat en
passant par l’atome et les modifications du vivant, une quantité de
nouvelles angoisses sont apparues. La plupart de ces peurs sont liées à des
accidents, mais beaucoup d’entre elles sont liées à des supputations.
Aussi, c’est au philosophe allemand Hans Jonas qu’on doit
l’installation dans le paysage intellectuel d’une peur systématique de la
technologie. Ce penseur – dans lequel se reconnaît l’écologisme – nous
invite à exercer à chaque instant une éthique de la peur. Comme le souligne
Dominique Lecourt : « Une telle éthique se présente comme directement
fondée sur une nouvelle pensée de l’être – une ontologie qui prend en
compte la menace que fait peser la technique humaine sur l’avenir de
l’espèce elle-même. N’est-ce pas désormais la “biosphère” elle-même qui
est en péril (…) ? Mais voici que notre pouvoir conquis sur la nature s’est
accru au point qu’à travers les mauvais traitements que nous lui faisons
subir nous menaçons cette survie. » Comme on le sait, Jonas en appellera à
une heuristique de la peur et on doit à sa réflexion le principe de précaution.
Cette petite parenthèse philosophique nous aide à mieux comprendre
les ressorts d’une Greta Thunberg – en fait, surtout de ceux qui la
manipulent, la pauvre adolescente n’y étant sans doute pour rien – qui veut
nous forcer à avoir peur. Obéir docilement à cette commande, nous
pousserait à rejeter spontanément toute innovation technologique. C’est en
tous les cas, le message global que l’on retient.
Une question se pose cependant : cette attitude est-elle vraiment
« naturelle » au sens d’instinctif ? Ne va-t-elle pas à l’encontre de cette
attitude innée qui nous convie à prendre systématiquement des risques ? Par
idéologie, certains nous commandent d’avoir peur de la civilisation issue de
la science et de la technologie et en conséquence, nous invitent à la
décroissance. Mais comment pourrait-on avoir peur d’une société qui a fait
passer notre espérance de vie à 71 ans, réduit la mortalité infantile, réussi
l’exploit d’apporter 3 100 calories par jour pour 1,3 milliard de Chinois, fait
passer le taux de pauvreté de 90 % à 10 % de la population en moins de 250
ans, pour ne citer que quelques-uns des succès de la civilisation issue des
Lumières ? Et pour revenir à notre distinguo initial entre la manipulation de
la peur et la peur comme émotion, voici quelques cas bien concrets :

La première va nous commander d’avoir peur des biotechnologies


capables de protéger les populations contre le paludisme, mais pas
des moustiques qui peuvent l’inoculer.
Elle nous commande d’avoir peur des pesticides (chimiques) qui
protègent les cultures, mais d’accueillir sans nous poser de
questions les pesticides (organiques) qui n’en restent pas moins
dangereux.
Elle nous commande d’avoir peur des centrales nucléaires qui ne
rejettent pas de CO₂ dans l’atmosphère, mais ne sonne pas le tocsin
quand un pays entier est obligé d’avoir recours au charbon pour
suppléer aux manques de sa production d’énergie renouvelable…
Ou, encore plus basique, elle nous commande d’avoir peur des
NBIC capables de nous soigner et de nous aider à vivre plus
longtemps en nous laissant espérer, mais pas de la mort…

On pourrait multiplier ainsi les exemples à l’infini pour démontrer que


« l’heuristique de la peur » nous force – de manière assez peu naturelle –
d’avoir peur des solutions scientifiques et techniques qui permettent à
l’humanité d’améliorer son quotidien. C’est bien cette attitude que l’on
retrouve derrière le discours de Greta Thunberg.
Or si la peur est salutaire en ce qu’elle nous permet d’éviter un danger
immédiat, il semble bien que l’instrumentalisation de nos peurs, elle, soit la
porte ouverte à toutes les formes de manipulations idéologiques. C’est ce
que nous devons craindre le plus.

12. Collapsologie : attention chute de Lumières !

Si la jeune Greta peut clairement être identifiée comme « l’arme


ultime » de ce courant que le philosophe français Dominique Lecourt a le
premier baptisé « les prophètes de malheur », elle est loin d’être la seule.
L’Europe est particulièrement fertile pour lancer des courants s’inspirant et
déclinant la philosophie jonassienne qui se fixe pour horizon de
déconstruire l’héritage de toute la civilisation occidentale. C’est dans ce
contexte qu’est née la collapsologie. Que nous disent ses protagonistes ?
[145]
Le magazine Vraiment a un scoop : « La civilisation industrielle
va bientôt s’effondrer ». L’hebdomadaire propose une interview de Pablo
Servigne et de Raphaël Stevens, respectivement docteur en biologie et
expert en socioécologie. Les deux compères ont publié en 2015 un livre au
Seuil, Comment tout peut s’effondrer, dans lequel ils présentent un nouveau
champ d’étude scientifique, la « collapsologie » ou science de
l’effondrement. Pablo Servigne y affirme : « La collapsologie – terme issu
du latin collapsus, “tombé en un seul bloc” – étudie l’effondrement de la
civilisation industrielle et ce qui pourrait lui succéder. Elle se base d’une
part sur une analyse documentée par des productions scientifiques
transdisciplinaires, et d’autre part sur les sciences cognitives (processus
d’acquisition des connaissances, NDLR), qui s’appuient sur l’étude de nos
émotions et intuitions. L’ensemble de ces chiffres, faits, hypothèses, avis
d’experts, scénarios dresse un panorama complet des crises (énergétique,
financière, biologique, climatique, etc.) en expliquant leurs interactions afin
de proposer une analyse systémique globale. Tout cela affine une intuition
qui nous permet de formuler l’hypothèse suivante : la civilisation
industrielle va bientôt s’effondrer. L’objectif de la collapsologie est
d’informer le plus grand nombre de cette possibilité, et de proposer des
outils pour mettre en place des politiques susceptibles de rendre cet
effondrement moins brutal. »
Ce courant regroupe aujourd’hui un certain nombre de porte-parole qui
sont tous très influents et très bien représentés dans les médias. Chacun joue
sur une corde sensible et les collapsologues qu’on pourrait considérer
comme des « disciples de la chute » explorent tous les champs des désastres
possibles. Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’on y trouve des
politiques, des personnalités médiatiques et scientifiques. On peut les
classer en plusieurs typologies :

Le survivaliste : l’ancien élu écologiste Yves Cochet, par exemple,


joue à fond la carte de « la fin du monde est proche ». En
conséquence de quoi il se prépare à vivre ce moment. Il a acquis
une ferme et six hectares de terrains avec sa fille et y a reçu les
journalistes pour expliquer comment il se préparait et attendait ici
l’effondrement.
Le catastrophiste de plateau TV : Le terme catastrophiste est sans
doute le plus générique. Difficile par conséquent de l’appliquer à
une personne en particulier. Mais le catastrophisme télévisuel est
une catégorie qui parle à tout le monde. On pense tout de suite à
Nicolas Hulot ou Yann Arthus Bertrand qui trustent maintenant
depuis quelques années les talk-shows pour jouer les Philipulus,
célèbre prophète de malheur.
Le scientifique absolutiste : l’astrophysicien du CNRS Aurélien
Barrau en plus d’être spécialisé sur la théorie des boucles de Carlo
Reveli est persuadé que l’humanité va à sa fin… Non content de
passer son temps à observer les trous noirs et autres curiosités,
Barrault assène ses thèses sans concessions, qu’il s’agisse du
réchauffement climatique anthropique ou encore de la sixième
extinction de masse. Il propose par ailleurs des solutions radicales.
Dans une interview donnée au Point, il affirme « J’exécrerais
évidemment l’avènement d’une dictature, mais si on continue à
dire que chacun peut faire ce qu’il veut, on oublie le commun.
[146]
» Il semble encore plus radical sur son blog : « Exigeons du
pouvoir politique qu’il impose le nécessaire. C’est sa raison d’être,
[147]
son droit et son devoir. »
La voix ex cathedra du « GIEC a dit » : ancien président du GIEC,
le climatologue Jean Jouzel est prêt à prendre toutes les mesures
politiques qui s’imposent pour maintenir la température du globe
en dessous de 1,5 °C… au-dessus, nous nous précipitons vers des
cataclysmes et des émeutes. Dans une interview au Temps, le
journaliste lui demande ce qu’il ferait si on lui donnait carte
blanche. Sans hésiter, il répond : « Pour atteindre l’objectif d’un
réchauffement limité à 1,5 degré d’ici à 2050, il faudrait diviser par
deux nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, et que
chaque investissement actuel soit déjà marqué du sceau de la lutte.
Je commencerais par réformer les règles de l’OMC, qui sont
l’épine dorsale du capitalisme, en imposant une taxe carbone
mondiale permettant la transformation rapide de nos systèmes de
[148]
production et l’abandon des combustibles fossiles . » Précisons
toutefois que Jouzel a un regard critique sur la collapsologie : « Je
ne crois pas à une fin de civilisation à l’échelle de la décennie,
mais à une situation dramatique dans cent ans si nous ne faisons
rien d’ici à 2050. Les collapsologues tirent toutes les conséquences
du réchauffement climatique à leur extrême, sans base scientifique
sérieuse, et les données du GIEC sont suffisamment alarmantes
pour ne pas en rajouter. La collapsologie peut même s’avérer
dangereuse en incitant les gens à penser : foutu pour foutu, autant
continuer comme avant. Je préfère garder l’espoir que nous
engagions une vraie transition, car nous en avons encore les
moyens. »
L’élue verte extrémiste : il n’y a pas un jour qui passe sans que la
député Delphine Batho pense à une nouvelle loi pour interdire aux
Français de faire ceci ou de consommer cela. C’est ainsi que dans
une allocution faite dans un groupe parlementaire de l’Assemblée,
elle affirme que le découplage qui voudrait que la croissance
puisse continuer tout en consommant moins de matière et d’énergie
est un mythe. D’après elle, on explose les limites planétaires en
consommant trois planètes par an et il faut instaurer un retour au
réel, revenir à une empreinte écologique neutre et donc, elle
[149]
propose d’organiser une décroissance volontaire . Si on ne le
fait pas, on va vers un certain « nombre d’effondrements au
pluriel » (…) « une croissance infinie sur une planète finie n’est
pas possible. » Position qu’elle résume dans un tweet : « Sur
quelles bases scientifiques se fonde le gouvernement pour
promettre un “découplage” ? Ça n’existe pas ! La #croissance du
PIB est inséparable de la consommation d’énergie et de matière. La
#LoiGaspillage est fondée sur un mythe. #limitesplanétaires »
Le techno-apocalyptique : l’historien et auteur de best-sellers
Yuval Noah Harari, est très réservé et critique à l’égard des
prouesses de la philosophie des Lumières qu’il place au même
niveau que toutes les autres « religions » qui l’ont précédée. Dans
Homo Deus, il critique vertement Steven Pinker, qu’il met dans le
même sac que le rationaliste Richard Dawkins. Selon lui : « Ces
champions de la nouvelle vision scientifique du Monde refusent
d’abandonner le libéralisme. Après avoir dédié des centaines de
pages érudites pour déconstruire le “moi” et le libre arbitre, ils
réalisent un salto à couper le souffle qui les fait miraculeusement
atterrir au dix-huitième siècle, comme si les découvertes
extraordinaires de la biologie de l’évolution et les neurosciences
n’avaient absolument aucun impact sur les idées politiques et
éthiques de Locke, Rousseau et Jefferson. »

Tous ces acteurs sont persuadés que si nous ne changeons pas notre
mode de vie, c’est à dire, que si nous ne « reprogrammons » pas
immédiatement l’ADN de notre civilisation avec tout ce que cela comporte,
nous nous précipitons dans le mur (c’est l’expression consacrée) et nous
n’échapperons pas à un destin cruel. Il est donc impératif de revenir sur les
avancées dues à la philosophie des Lumières. D’ailleurs les collapsologues
et les décroissants ne reconnaissent pas vraiment ces avancées. C’est même
un blâme implicite de cette société qui se trouve en germe dans ce courant
de pensée.
À la suite de la pandémie du COVID 19, tous les « effondristes » ont
vu une occasion unique et morbide de promouvoir leur mouvement.
[150]
Interviewé sur le site Wedemain , Yves Cochet voit dans cet épisode la
confirmation de ses prédictions : « Depuis un moment, et surtout après la
sortie de mon livre en septembre dernier, des gens disent : “Il est devenu
paranoïaque, il parle d’effondrement, de fin du monde de collapsologie, tout
ça n’existe pas et n’existera jamais”. Je ne leur dirai pas “J’avais bien
raison”, ce serait stupide. Mais mes lectures, mon expérience, mes
raisonnements depuis une quinzaine d’années m’ont montré qu’une
pandémie mondiale assez forte pourrait déclencher l’abattement des
dominos dans d’autres domaines, par exemple économiques, financiers, et
donc un effondrement systémique mondial. » Il acquiesce à la question
selon laquelle cette pandémie génère un dysfonctionnement systémique « il
y a des limites à la mondialisation. Malgré l’apparente “solidarité” entre les
économies nationales, voilà plus de 25 ans qu’on échange des biens, mais
qu’on échange surtout des maux, comme disait Ulrich Beck. La dernière
fois, c’étaient les actifs pourris des banques américaines. Cette fois-ci, c’est
un virus. C’est différent, mais on voit bien que l’épidémie est d’ordre
mondial. Quand les pays étaient plus “indépendants” en termes financiers,
en termes d’échanges, il y avait une propagation et une contagion moins
rapide. C’est donc le signal qu’il faut revenir à l’échelon local, à plus
d’indépendance notamment dans les domaines alimentaires et
énergétiques ».
Nicolas Hulot, lui est allé encore plus loin en affirmant sans aucune
vergogne que la pandémie était un « ultimatum que la nature envoyait à
[151]
notre civilisation ». L’animateur de télévision tapant à bras raccourcis
sur la société capitaliste telle qu’elle est organisée.
Pour Aurélien Barrau, si nous acceptons sans broncher le confinement
pour des raisons de santé publique, il n’y a pas de raison de le refuser pour
[152]
une raison encore plus grande qui serait l’urgence environnementale .
Jean Jouzel ne dit pas moins lorsqu’il affirme dans une interview pour
Ouest France que « L’urgence climatique est aussi importante que l’urgence
[153]
sanitaire . » À la question : « Pensez-vous vraiment que les dirigeants et
les acteurs économiques vont enfin prendre la mesure du consumérisme
destructeur pour la planète ? » Il répond sans hésiter : « C’est un espoir.
Même si je vois bien que ce n’est pas forcément comme ça que l’économie
va repartir. Emmanuel Macron a dit qu’il tiendrait compte des
enseignements de cette crise. Il n’a pas employé le mot d’économie verte.
Mais j’ai l’espoir que ce nouveau mode de développement soit vert. C’est
un espoir peut-être un peu fou, mais c’est indispensable, car l’urgence
climatique est aussi importante que l’urgence sanitaire. C’est maintenant
qu’il faut agir. »
Quant à Yuval Noah Harari, il craint que l’après-pandémie nous mette
face à un choix crucial d’une Techtature, telle que celle qu’on a pu observer
en Chine où la technologie a servi l’état pour priver les individus de leurs
libertés individuelles en échange de la santé publique. Ainsi si l’État se
permet de contrôler notre température pour notre bien, pourquoi ne
[154]
contrôlerait-il pas également nos opinions politiques .
Dans une grande opération de récupération, tous les collapsologues ont
saisi de manière assez opportuniste cette catastrophe pour essayer d’y
trouver une confirmation de leurs thèses. Cela nous renvoie à une question
fondamentale qui est que toute la civilisation contemporaine semble s’être
construite justement pour lutter contre ce catastrophisme. Et si notre
civilisation semble s’effondrer, cela ne veut-il pas dire, bien au contraire
qu’il faut encore davantage de progrès ?
Cette interrogation rejoint l’histoire du verre à moitié vide et à moitié
plein qu’illustre très bien la conclusion de l’ouvrage de Steven Pinker,
Enlightenment now, où le psychologue s’interroge sur l’avenir du progrès
(The future of progress). Dans ce chapitre, il remet en question sa méthode
qui a consisté à collectionner toutes les données positives (l’exact inverse
du travail effectué par les collapsologues). Qu’en serait-il, par exemple si,
au lieu d’affirmer que 90 % des individus sont sortis de l’extrême pauvreté,
on affirmait que 700 millions vivent encore dans l’extrême pauvreté et que
l’espérance de vie tombe à 60 ans en moyenne dans les régions où ils se
trouvent concentrés. Qu’au moins un million d’enfants meurent de la
pneumonie chaque année, qu’une douzaine de guerres font rage dans le
monde, etc., etc. – un angle que choisiraient sans hésiter les catastrophistes.
S’interrogeant alors sur cette autre lecture possible des faits, Pinker fait
une remarque pleine de bon sens : « Mon objectif en présentant des faits
identiques de ces deux façons n’est pas de dire qu’on peut se concentrer sur
le verre à moitié plein ou à moitié vide. C’est de rappeler que le progrès
n’est pas une utopie, et qu’il y a de la place – en vérité, un impératif – pour
nous de persévérer dans le sens de ce progrès. (…) La philosophie des
lumières est un process continu de découverte et d’amélioration. »
Il fait une remarque qui nous permet de comprendre en quoi la réalité
du progrès des Lumières n’a rien de relatif et ne peut être réduite, selon le
bout par lequel on le prend, à un phénomène étudié par la « collapsologie »
ou toute autre vision catastrophiste non argumentée : « Encore mieux : les
améliorations se construisent les unes sur les autres. Un monde plus riche
peut mieux se permettre de protéger l’environnement, de surveiller ses
gangs, de renforcer ses filets de sécurité sociale, d’enseigner et de guérir ses
citoyens. Un monde mieux éduqué et connecté se soucie plus de
l’environnement, se livre moins aux autocrates et commence moins de
guerres. Les avancées technologiques qui ont propulsé ce progrès ne
devraient que s’accélérer. La loi de Stein continue d’obéir au corollaire de
Davies (Les choses qui ne peuvent durer éternellement peuvent durer plus
longtemps que vous ne le pensez), et la génomique, la biologie synthétique,
les neurosciences, l’intelligence artificielle, la science des matériaux, la
science des données se développent. Nous savons que les maladies
infectieuses peuvent être éteintes, et beaucoup sont prévues pour le temps
passé. »
Avec cette parenthèse on comprend bien que la collapsologie a dans
son viseur les Lumières et que quoique fasse la civilisation qui en est issue,
cela ira forcément a contrario de ses desiderata, allant dans le sens du
toujours plus contraire à une décroissance nécessaire que les collapsologues
appellent de leurs vœux.
13. Sous pression du catastroscientisme

Comme on vient de le voir, la collapsologie revendique le statut de


science. De nombreux décroissants n’hésitent pas à rappeler qu’ils appuient
leur message sur la science elle-même.
Les scientifiques qui veulent donner dans le catastrophisme ne
manquent pas et disposent d’armes très puissantes : qui peut résister à une
étude publiée sous forme de tribune et cosignée par une quantité de
chercheurs qui cautionnent leurs travaux en leur donnant en plus la forme
d’une pétition. On voit de plus en plus fréquemment un mix entre la science
et l’agit-propre dont l’objectif est d’attirer l’attention sur les effets néfastes
de notre civilisation. Venons-en aux exemples.
Alors qu’avait lieu le traditionnel match de football américain
Harvard-Yale, des étudiants des deux prestigieuses universités rivales ont
envahi le terrain durant la mi-temps et retardé le début de la deuxième
partie. C’était une première pour cette rencontre qui se déroule chaque
année depuis 1875 : ils ont organisé un sit-in pour protester contre le
réchauffement climatique. Ils ont déroulé des bannières sur lesquelles on
pouvait lire « Personne ne gagne. Yale et Harvard sont complices de
l’injustice climatique. » Les organisateurs de la manifestation ont déclaré
par ailleurs « Harvard et Yale affirment que leur objectif est de créer des
leaders étudiants qui œuvrent pour un monde plus juste, équitable et
prometteur » en « améliorant le monde aujourd’hui et pour les générations
futures. Pourtant, en continuant d’investir dans des industries qui trompent
le public, dénigrent les universitaires et dénient la réalité, Harvard et Yale se
[155]
rendent complices de la destruction de cet avenir . » Dans ce cas, il ne
s’agit pas de promouvoir une étude scientifique en particulier, mais on se
rend compte du degré de politisation des jeunes étudiants et futurs
scientifiques de demain. C’est disons le degré zéro de l’engagement
scientifique. Passons à un niveau supérieur.
Sur le continent européen, c’est une pétition de plus de 11 000
chercheurs intitulée « Appel des scientifiques du monde entier pour une
[156]
action urgente sur le climat ». À la base, il s’agit d’un texte rédigé par
cinq scientifiques qui revendiquent un devoir moral d’avertir l’humanité en
disant les choses telles qu’elles sont. William Ripple était déjà à l’origine
d’une d’alerte similaire qui, elle, avait recueilli à l’époque 15 000
[157]
signatures .
Cet article, publié dans une revue à comité de lecture, se distingue par
son caractère engagé : les auteurs et ceux qui les ont soutenus s’adressent
directement à l’opinion et aux politiques. Ils énumèrent deux séries de
courbes : celles qui croissent (population humaine, nombre de ruminants,
consommation d’énergie, transport aérien, émissions de CO₂, émissions de
GES…) et celles qui décroissent (surface des glaces, épaisseur des glaciers,
acidité de l’eau de mer, taux de fertilité humain). En conséquence de quoi,
ils proposent d’assister les politiques pour les aider à opérer un changement
radical.
Le fait que des scientifiques s’engagent pour une cause politique en le
faisant sur les bases de leur connaissance scientifique n’a rien de nouveau.
L’histoire est truffée d’exemples. L’un des plus célèbres est sans doute celui
d’Einstein qui écrit une lettre d’avertissement à Franklin Roosevelt. Il avait
été informé par Léo Szilard que les nazis avaient commencé d’extraire de
l’uranium dans le Congo belge et faisaient des recherches sur la bombe.
Muni de ces informations, le président américain a fondé le projet
Manhattan sous la houlette de J. Robert Oppenheimer pour faire une bombe
[158]
atomique .
Dans un genre différent, on citera le moratoire scientifique qui a fait
suite à la conférence d’Asilomar. Dans le secteur des biotechnologies
naissantes, au milieu des années 1970, des chercheurs se sont engagés pour
que celles-ci ne sortent pas du laboratoire à la suite d’un appel lancé dans la
célèbre revue Science par le biologiste moléculaire Paul Berg. Selon
l’historien Robert Bud : « Les contributions historiques d’Asilomar étaient
un appel sans précédent pour une pause dans le domaine de la recherche
jusqu’à ce que celle-ci soit régulée de telle manière que le public n’ait pas
besoin d’être anxieux, et cela a, en effet, conduit à un moratoire de 16 mois
jusqu’à ce que les directives du NIH soient valables au milieu de 1976 (…)
la plupart des débats qui ont eu lieu à Asilomar reflétaient le problème de
l’impact de la science sur la société ; rétrospectivement, la communauté
scientifique semblait préoccupée par l’auto-imposition de règles à
l’intérieur desquelles elle pourrait travailler sans rencontrer davantage de
problèmes avec la société. » Deux actions évidentes a posteriori et qui
démontrent bien la nécessité de l’engagement des scientifiques, tout en
soulevant la question de l’articulation entre science et politique.
Avec la cause climatique, comme on a pu le constater le mouvement
d’engagement politique s’accélère et des groupes se constituent pour
monter au créneau. Il semble d’ailleurs parfois que sur ce sujet –
contrairement à d’autres – la cause des scientifiques rejoint celle des ONG.
À un tel point que le débat a totalement quitté la sphère de la
controverse scientifique (un débat entre experts) pour se nicher uniquement
dans le registre de la polémique avec une multiplication des attaques ad-
hominem. Ainsi, d’un côté les tenants de la thèse du réchauffement
climatique anthropique accusent les climato-sceptiques d’être dans un déni,
quant à ces mêmes climato-sceptiques, ils accusent leurs opposants de
prioriser l’agenda du GIEC, un organisme politique, par rapport à celui de
la science.
En conséquence de quoi, le débat se fait à coup de pétitions
interposées. Ainsi, le 20 novembre, 779 scientifiques ont signé la
déclaration présentée au Parlement européen intitulée « Il n’y a pas
[159]
d’urgence climatique ». On s’arrêtera particulièrement sur la première
phrase de ce manifeste : « La science du climat devrait être moins politique,
[160]
alors que les politiques climatiques devraient être plus scientifiques .»
Étonnamment c’est ce même souci que l’on retrouve également dans la
dernière tribune de Michael Shellenberger, un éditorialiste qui est tout sauf
climato-sceptique. En effet, dans le magazine Forbes, celui qui a été nommé
héros de l’Environnement par Time Magazine s’interroge sur « Pourquoi les
[161]
déclarations apocalyptiques sur le climat sont fausses ». Dans ce texte,
il passe en revue les déclarations catastrophistes des ONG, des médias, des
politiques, mais également de certains scientifiques pour démontrer qu’elles
obéissent toutes à une grosse part d’exagération. Le risque étant, d’après
lui, que la science sur le climat perde toute crédibilité aux yeux du
[162]
public .
Il démontre alors point par point comment certaines affirmations du
GIEC se retrouvent totalement déformées. Notamment celle selon laquelle
nous risquons de connaître la famine alors que nous produisons
suffisamment d’aliments aujourd’hui pour nourrir 10 milliards d’individus
[163]
et même 25 % de plus que nécessaire . En conclusion, il cite Kerry
Emmanuel, un scientifique du MIT qui souligne le fait que pour soutenir les
populations indiennes, il faudra les laisser brûler encore davantage de
charbon, ce qui les aidera à sortir plus vite de la pauvreté et donc
finalement, à rejeter moins de CO₂ dans l’atmosphère. Une preuve d’après
Shellenberger, qu’il peut exister des terrains d’entente et qu’on peut éviter
de tomber dans le catastrophisme à tout bout de champ.
Il est donc clair que si les chercheurs peuvent – et même doivent –
s’engager pour une cause, cet engagement ne peut se confondre avec la
méthode scientifique elle-même et on aurait tort de croire que la taille d’une
pétition renforce l’irréfutabilité d’une thèse. Pour un sujet comme celui du
climat, même les plus fervents défenseurs de la cause se rendent compte
que l’alarmisme est allé trop loin et qu’il est raisonnable de sortir de la
[164]
surenchère apocalyptique . Pourvu qu’ils soient entendus. On aurait tort
de perdre la raison face à des lanceurs d’alerte scientifiques qui agitent un
peu trop promptement le chiffon rouge du catastrophisme. Mais nous allons
revenir très prochainement sur ce sujet de l’engagement des scientifiques vu
sous l’angle cette fois, non du catastrophisme, mais de la défense des
bienfaits de la science et de la technologie. Avant cela nous voudrions
revenir sur une des caractéristiques de cette nouvelle idéologie qui est en
train de s’installer dans le paysage. Et qui montre à quel point elle pourrait
devenir effrayante.

14. Amour de la nature ou haine de l’humanité ?

La dystopie verte en train de s’installer à la place de la civilisation des


Lumières tombées de son piédestal agite tous les éléments à sa disposition
pour gagner un véritable combat culturel. De manière assez étonnante, elle
rejette les progrès de la science et de la technologie, car ceux-ci sont
justement un effort permanent pour éviter l’effondrement. Et lorsqu’elle fait
appel à la science, c’est pour appuyer des messages catastrophistes. Le
dernier rempart est la haine de l’humanité. Ou tout du moins cette volonté
de faire passer celle-ci au second plan et de la sacrifier sur l’hôtel du dieu
« Nature ». Une activité très florissante même si, elle peut avoir quelque
chose de caricatural, comme on va le voir au travers d’un exemple qui
pourrait conférer au comique, s’il n’était pas le paravent d’une idéologie
funeste.
Alors que la France était déjà à moitié en vacances, en plein cœur du
mois de juillet, une vidéo de l’essayiste Aymeric Caron a fait le « bzzzz »
sur twitter. Le porte-parole de la cause antispéciste s’est posé la question :
« Les moustiques : quelle réaction adopter ? On vous prévient, il y a
débat chez les #antispécistes. » Tout antispéciste qui se respecte doit
s’interroger avant d’écraser un moustique surtout s’il s’agit d’une femelle.
Car si ces dernières piquent, « c’est parce qu’elles cherchent dans le sang de
leurs victimes des protéines pour nourrir leurs œufs en développement et
donc leurs bébés ». Donc lorsqu’un antispéciste est attaqué la nuit, il doit se
rendre compte qu’il a affaire à « une femelle qui essaye de remplir son rôle
de future mère » ou autrement dit pour meubler « une dame qui risque sa
vie pour ses enfants en devenir et qui n’a pas le choix ».
On commence par rire après avoir vu cette vidéo en repensant à la
parodie des inconnus : « Les insectes sont nos amis ».
Or si le rire est le premier réflexe, c’est parce que comme l’avait défini
Bergson, il s’agit de « quelque chose de mécanique dans quelque chose de
vivant ». Il y a quelque chose de comique à s’imaginer un antispéciste
debout sur son lit, une savate à la main, déchiré entre l’envie d’écraser un
moustique et celle d’obéir aux préceptes énoncés par maître Carron dans sa
vidéo.
Certes l’antispécisme pose une question légitime sur ce principe
cartésien qui est que l’homme doit se rendre maître et possesseur de la
nature ; pourtant, certaines de ses déclinaisons extrêmes, peuvent avoir un
aspect caricatural comme on le voit ici, et on a vite fait de basculer de
l’interrogation philosophique sur le règne animal à l’idéologie anti-
humaniste.
Car s’il est vrai que la finalité de l’homme n’est pas de combattre la
nature, il n’en reste pas moins que plongé dans le grand bain de la sélection
naturelle, il nous faut évoluer pour survivre et de ce point de vue, la lutte
contre les nuisibles s’avère être une nécessité première qu’un esprit
germanopratin a trop vite fait d’enterrer.
Aussi, il suffit d’écouter Thomas Lavreys, médecin tropical et
spécialiste des pays à ressources limitées nous parler de la réalité du
paludisme en Afrique subsaharienne pour quitter la scène du théâtre de
boulevard. En effet, comme nous l’expliquait ce Professeur :
« Le paludisme est un problème mondial. Il touche 91 pays répartis
dans 8 régions du monde (l’Amérique du Sud, Centrale, Hispaniola,
l’Afrique, le Moyen-Orient, le subcontinent indien, l’Asie du Sud-Est, et
l’Océanie). La maladie a disparu d’Europe, d’Amérique du Nord et
d’Australie. En Afrique subsaharienne, il s’agit en revanche d’un danger
quotidien. On estime qu’en 2016, 90 % des 200 millions d’infections, et
91 % des 455 000 décès annuels liés à la maladie ont lieu en Afrique
subsaharienne (OMS 2018). Le paludisme y est présent à l’état pandémique
(la maladie est présente toute l’année durant). »
On imagine alors que dans les pays encore soumis à cette maladie, les
thèses de monsieur Carron ne font pas du tout rire. Mais cela ne dénote-t-il
pas d’une attitude générale qui au fond consisterait à dénigrer l’espèce
humaine au profit des moustiques ?
Dans sa « lutte pro moustiques », Aymeric Carron n’est pas seul. En
effet, récemment l’entreprise Target Malaria qui participe à un effort de
recherche financé par la Fondation Gates, a fait l’objet de critiques de la
part d’environnementalistes extrémistes. En effet, ce projet vise à
développer des moustiques génétiquement modifiés stériles, afin de réduire
drastiquement la population de ces nuisibles et faire en sorte de limiter la
propagation du paludisme d’individu à individu. Alors que Target Malaria
avait entrepris de mener à bien un test de contrôle au Burkina Faso, plus de
40 ONG se sont liguées afin qu’il soit mis un terme à ce projet plein
d’espoir. Comme le rappelle Richard Tren dans le Wall Street Journal :
« L’opposition des activistes à Target Malaria s’inscrit dans une
campagne plus vaste et croissante contre toutes les technologies génétiques
modernes et les pesticides utilisés à la fois dans la lutte contre les maladies
et dans l’agriculture. La campagne a été promue ces dernières années par
des agences des Nations Unies telles que l’Organisation pour l’alimentation
et l’agriculture, ainsi que par des gouvernements européens et des
organisations non gouvernementales financées par l’Union
[165]
européenne .»
Monsieur Tren compare judicieusement cette opposition à celle des
ONG qui s’étaient liguées contre le Golden Rice, aussi il rappelle que cette
vague d’opposition à la science et aux technologies contemporaines
s’articule autour de l’agro-écologie, une idéologie qui véhicule de
nombreuses idées fausses et nie en bloc les vertus de la Green Revolution.
Comme le rappelle, ce co-fondateur de Africa Fighting Malaria, une étude
récente menée par des agroécologistes a montré que leurs politiques
[166]
permettraient de réduire la production de 35 % en Europe , ce qui
montre à quel point les protagonistes de cette « méthode » souhaitent un
monde moins peuplé et n’auraient rien contre le fait de laisser mourir des
millions d’individus du paludisme.
Une fois de plus, force est de constater que la décroissance et la
collapsologie œuvrent pour saper l’édifice de la science contemporaine. Ces
idéologies ne voient pas d’un si mauvais œil le fait que nous soyons moins
nombreux sur Terre, et cela peut passer aussi par le fait de préférer le
développement d’espèces nuisibles à celui de l’humanité. Certains ont de
plus en plus de peine à cacher leur véritable objectif et on voit que ce qu’ils
cherchent c’est moins de redonner aux espèces animales leur juste place –
ce qui est essentiel – que de dénigrer l’espèce humaine.
Partant de là, on comprend alors que notre vie peut être entièrement
réduite aux principes qui gouvernent l’idéologie verte qui va alors se
permettre de contrôler tous les aspects de celle-ci comme le montre cette
nouvelle histoire :
C’est à l’automne 2018 que l’idée saugrenue a refait surface au grand
jour et sans phare, dévoilée par l’AFP qui a rediffusé une infographie sur
laquelle on apprend qu’avoir un enfant de moins serait le moyen le plus
efficace de lutter contre le réchauffement climatique. Cette lettre de Wynes
et Kimberly qui visait à l’origine la sensibilisation des jeunes Canadiens
datait de 2017 et a été ressortie juste après le dernier rapport alarmiste du
GIEC. Comme le remarque Jean de Kervasdoué : « L’idée de la non-
existence du dernier enfant représente l’essence même du malthusianisme.
Il est curieux qu’elle apparaisse au Canada qui ne manque pas d’espace,
[167]
mais d’hommes ! » Des campagnes de sensibilisation aux choix
personnels promus à titre d’exemples avec grand renfort de large diffusion
sur les réseaux sociaux il n’y a qu’un pas. Ainsi, Leilani Munter, une
militante écologiste (ancienne pilote de course) affirme dans une vidéo pour
« Brut nature » : « J’ai décidé de ne pas avoir d’enfant pour préserver le
futur de notre planète. Cela a de loin un plus grand impact que tout autre
geste. Peu importe à quel point tu es écolo et tu respectes la planète (…), le
meilleur moyen pour nous de réduire (notre empreinte carbone) est d’avoir
[168]
moins d’enfants ou de ne pas avoir d’enfant . » Ces idées ne sont pas
neuves et elles trouvent leurs sources d’inspiration dans les premiers
[169]
penseurs de l’écologisme et également dans le rapport du Club de
Rome.
Mais pourquoi s’arrêter à la naissance ? L’écologisme a également des
solutions pour la fin de vie, et veut maîtriser les tenants et les aboutissants.
C’est ainsi qu’une société belge milite pour l’autorisation de l’humusation.
Ainsi, comme on l’apprend dans un reportage RTL, « l’humusation est un
nouveau concept de rite funéraire. L’idée est de plonger la dépouille dans un
compost pour qu’il se décompose naturellement. Le processus dure 12
mois, après il ne reste plus qu’à récupérer les os et des dents, voire les
éléments artificiels du corps (pacemaker, prothèses…). Les avantages de ce
rite : il n’y pas de pollution, mais bien la reformation d’un compost qui peut
servir pour les cultures, plantations d’arbres ou autres. En effet, les rites
actuels sont très polluants. L’incinération engendre de la pollution
atmosphérique et la consommation d’énergie fossile. L’inhumation crée de
la pollution des sols. Le corps se décompose en effet moins bien, ainsi que
[170]
les cercueils .»
Ces éléments nous montrent que tout le cycle de vie, de la naissance à
la mort, est visé. La vieillesse y échappe encore. Mais pour combien de
temps ? Il y a peu, une députée néerlandaise a lancé le débat sur « Faut-il
continuer à soigner les personnes âgées après 70 ans ? »… La question qui
met mal à l’aise est motivée aujourd’hui par une volonté d’éviter
l’acharnement thérapeutique et de préserver les comptes de la sécu, mais
combien de temps avant que l’écologisme ne se pose la question.
Dans une interview au magazine Socialter, Jean-Marc Jancovici, un
expert reconnu de la question énergétique, fait de l’euthanasie un pilier de
la lutte pour le réchauffement climatique : « Dans l’aide au développement,
tout ce qui permet aux pays de maîtriser leur démographie est une bonne
idée, car cela amortit les efforts à fournir sur tous les autres plans. Trois
leviers : l’éducation des femmes, l’accès aux moyens de contraception, et
les systèmes de retraite. Dans les pays occidentaux, il y a un premier moyen
de réguler la population de façon raisonnablement indolore : ne pas mettre
tout en œuvre pour faire survivre les personnes âgées malades, à l’image du
système anglais qui ne pratique, par exemple, plus de greffe d’organes pour
les personnes de plus de 65 ou 70 ans. On en revient à ce que disait
Georges-Roegen : tous les moyens qu’on va dépenser pour faire vivre de
vieilles personnes dans de très mauvaises conditions, c’est autant de
moyens que vous ne mettez pas à disposition des jeunes pour trouver leur
place dans un monde plus contraint. C’est un peu brutal, mais ça me paraît
être un moindre mal par rapport aux autres modes de régulation que nous
avons connus : la famine, la maladie, et le conflit en ce qu’il augmente la
[171]
maladie et la famine . » En relisant ces paroles après la pandémie du
Coronavirus, on est forcément choqué, surtout quand on sait qu’en France,
par exemple, aucune mesure de protection n’a été prise dans les Ephad et
que dans les hôpitaux, faute à la disponibilité d’infrastructure et de
personnel soignant, on a dû faire de terribles arbitrages aux dépens des
personnes les plus âgées. On ne peut s’empêcher de faire des associations
d’idées nauséabondes.
Après l’instrumentalisation des peurs, la collapsologie, le
catastrophisme scientiste, la haine de l’humanité vient comme un point
d’orgue pour ponctuer une suite d’outils qui permettent à l’idéologie verte
de s’installer non seulement dans les esprits, mais également au pouvoir.
Rien ne semble arrêter cette progression qui emporte tout sur son passage.
Comment voulez-vous résister à ce mouvement qui « vous commande
d’avoir peur », « prétend anticiper la fin du monde », « entend réduire notre
existence à une variable de tableur Excel compilant les données
scientifiques alarmistes » et finalement « veut faire main basse sur tous les
paramètres de notre humanité pour les contrôler ». On pourrait penser que
la pandémie et la catastrophe mondiale qu’elle a déclenchées auraient pu
faire voir les choses autrement aux zélotes de l’effondrisme, prenant tout un
coup conscience de la nécessité qu’il y’a d’avoir une médecine de pointe,
une industrie agroalimentaire performante, une production énergétique
suffisante, une IA performante pour nous assister face aux problèmes
complexes… il n’en est rien.
D’ailleurs il semble bien que ce soit tout le contraire qui soit vrai. Ils y
ont vu une occasion inespérée de valider leurs thèses. En pensant que c’était
une résultante de la civilisation de la science et de la technologie avec tous
ses travers et ses exubérances, notamment la mondialisation et le marché.
Pour tous les penseurs de l’effondrement, la crise du COVID-19 est apparue
comme du pain béni qui a permis d’illustrer l’absence de toute puissance de
notre civilisation et donc son imperfection.
Or tout esprit normalement constitué ne devrait-il pas réagir en pensant
de manière radicalement opposée ? C’est-à-dire en se disant que c’est parce
que notre niveau de connaissance scientifique et la capacité de réaction qui
en découlent ne sont pas encore suffisamment développés pour faire face à
ce genre de situation. Et qu’en conséquence, ce n’est pas en signant des
pétitions sur change.org qu’on finira par trouver un vaccin. Cette opinion
semble découler du pur bon sens. Car avec la pandémie ont resurgi toutes
les peurs millénaristes, pas seulement celles liées au fait que nous
mourrions d’une maladie inconnue et incurable faute d’avoir à disposition
une thérapie adaptée, mais également celles d’une rupture de la chaîne
alimentaire et également celles d’un problème d’approvisionnement
énergétique. Ces trois secteurs sont comme chacun sait les piliers de notre
civilisation. Si l’idéologie catastrophiste a pu nous faire croire un instant
que nous pourrions nous en passer, l’expérience d’une défaillance de ce qui
[172]
nous semblait aller de soi est un dur retour de la réalité . On comprend
alors que les idéologues en présence vont devoir se livrer à une véritable
bataille d’influence pour tenter de convaincre l’opinion. Le concours de
récit est lancé.
136. « Although it’s impossible to say for sure, Trofim Lyssenko probably killed more human
beings than any individual scientist in history. Other dubious scientific achievements have cut
thousands upon thousands of lives short: dynamite, poison gas, atomic bombs. But Lyssenko, a
Soviet biologist, condemned perhaps millions of people to starvation through bogus agricultural
research—and did so without hesitation. Only guns and gunpowder, the collective product of many
researchers over several centuries, can match such carnage. » Sam Kean, The Soviet Era’s Deadliest
Scientist Is Regaining Popularity in Russia, The Atlantic, Dec 2017
137. Le film Mr Jones (L’ombre de Staline) retrace cet épisode noir de l’histoire de l’humanité
en filmant l’épopée de Gareth Jones, le journaliste indépendant qui a risqué sa vie pour savoir la
vérité et ce qui se cachait derrière les bons chiffres annoncés faussement par Staline. Il a découvert
l’horreur de la situation et l’a révélé au monde entier.
138. « Lyssenko claimed to have conduct a set of experiment in which grain crops, including
wheat and barley produced much higher yields during stretches of cold weather after their seeds were
frozen in water before planting. This method, he said, could quickly double the yield of farmlands in
the Soviet Union in just a few years. In truth Lyssenko, never undertook any legitimate experiment
on increased crop yield. Any « data » he claimed to have produced he simply fabricated » Lee Alan
Dugatkin and Lyudmila Trut, “How to Tame a fox (and Build a Dog) : Visionary Scientists and a
Siberian tale of Jump-Started Evolution”, The University of Chicago Press, 2017
139. Sam Kean, “The Soviet Era’s Deadliest Scientist Is Regaining Popularity in Russia”, The
Atlantic, Dec 2017
140. Après la sécheresse, les conséquences d’un blé rare et cher, in L’Opinion,
https://www.lopinion.fr/edition/economie/apres-secheresse-consequences-d-ble-rare-cher-158483
141. The International Wheat Genome Sequencing Consortium (IWGSC), Rudi Appels, «
Shifting the limits in wheat research and breeding using a fully annotated reference genome », in
Science
http://science.sciencemag.org/content/361/6403/eaar7191
142. Samuel Furfari, “Le chaos électrique belge”
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/le-chaos-electrique-belge/
143. Le dernier ouvrage de Samuele Furfari est une œuvre de 1200 pages en deux volumes «
The changing world of energy and the geopolitical challenges ». Voir furfari.wordpress.com
144. « En 2016, il y a eu 2 735 attaques dans 25 départements. Près de 10 000 brebis ont été
tuées (9 788 exactement). Au total, les pouvoirs publics ont dépensé 21,4 millions d’euros pour les
loups. En 2017, le nombre d’ovins décimés est passé à 12 000. » Sylvie Brunel, Toutes ces idées qui
nous gâchent la vie, J.-C. Lattès, 2019.
145. Au moment où nous écrivons, la fin du monde n’a toujours pas eu lieu, mais le magazine
Vraiment, lui, a fermé ses portes.
146. Aurélien Barrau « Plus personne de normalement cérébré ne doute de la catastrophe
environnementale » https://www.lepoint.fr/societe/aurelien-barrau-si-on-associe-le-climat-a-une-
vision-tres-a-gauche-on-ne-fera-rien-17-06-2019-2319278_23.php#
147. Aurélien Barrau, « Un appel face à la fin du monde » https://diacritik.com/2018/08/27/un-
appel-face-a-la-fin-du-monde/
148. Jean Jouzel, membre du GIEC: «Sans actions, on va dans le mur»
https://www.letemps.ch/societe/jean-jouzel-membre-giec-actions-on-va-mur
149. https://twitter.com/delphinebatho/status/1196872418305941505?s=21
150. L’après-coronavirus selon Yves Cochet : « écovillages, biorégions et démocratie locale »
https://www.wedemain.fr/L-apres-coronavirus-selon-Yves-Cochet-ecovillages-bioregions-et-
democratie-locale_a4619.html
151. Nicolas Hulot : « Nous recevons une sorte d’ultimatum de la nature »
https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/nicolas-hulot-nous-recevons-une-sorte-d-ultimatum-
de-la-nature-1232518.html
152. Aurélien Barrau, Covid et Urgence Climatique https://youtu.be/GWzDrCE5BpU
153. Entretien Ouest France. Jean Jouzel : « L’urgence climatique est aussi importante que
l’urgence sanitaire » https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/entretien-jean-jouzel-l-
urgence-climatique-est-aussi-importante-que-l-urgence-sanitaire-6789298
154. « The downside is, of course, that this would give legitimacy to a terrifying new
surveillance system. If you know, for example, that I clicked on a Fox News link rather than a CNN
link, that can teach you something about my political views and perhaps even my personality. But if
you can monitor what happens to my body temperature, blood pressure and heart-rate as I watch the
video clip, you can learn what makes me laugh, what makes me cry, and what makes me really, really
angry. » Yuval Noah Harari: the world after coronavirus https://www.ft.com/content/19d90308-
6858-11ea-a3c9-1fe6fedcca75
155. Activists Disrupt Harvard-Yale Rivalry Game To Protest Climate Change
https://www.npr.org/2019/11/24/782427425/activists-disrupt-harvard-yale-rivalry-game-to-protest-
climate-change
156. William J Ripple, Christopher Wolf, Thomas M Newsome, Phoebe Barnard, William R
Moomaw Author Notes, World Scientists’ Warning of a Climate Emergency, in BioScience, 5
Novembre 2019
https://academic.oup.com/bioscience/advance-article/doi/10.1093/biosci/biz088/5610806
157. World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice
https://academic.oup.com/bioscience/article/67/12/1026/4605229
158. D’après Paul Halpern, « Szilard avait calculé qu’une réaction en chaîne était possible, où
les neutrons relâchés par la fission nucléaire d’un isotope de l’uranium stimulent la désintégration
d’un nombre sans cesse croissant des noyaux, produisant ainsi des quantités énormes d’énergie
destructrice » in Le dé d’Einstein et le chat de Schrödinger, p. 280
159. https://clintel.org
160. Climate science should be less political, while climate policies should be more scientific. In
particular, scientists should emphasize that their modeling output is not the result of magic: computer
models are human-made. What comes out is fully dependent on what theoreticians and programmers
have put in: hypotheses, assumptions, relationships, parameterizations, stability constraints, etc.
Unfortunately, in mainstream climate science most of this input is undeclared.To believe the outcome
of a climate model is to believe what the model makers have put in. This is precisely the problem of
today’s climate discussion to which climate models are central. Climate science has degenerated into
a discussion based on beliefs, not on sound self-critical science. We should free ourselves from the
naïve belief in immature climate models. In future, climate research must give significantly more
emphasis to empirical science. https://clintel.org/world-climate-declaration/
161. Why Apocalyptic Claims About Climate Change Are Wrong
https://www.forbes.com/sites/michaelshellenberger/2019/11/25/why-everything-they-say-about-
climate-change-is-wrong/#16dc7ed112d6
162. Journalists and activists alike have an obligation to describe environmental problems
honestly and accurately, even if they fear doing so will reduce their news value or salience with the
public. There is good evidence that the catastrophist framing of climate change is self-defeating
because it alienates and polarizes many people. And exaggerating climate change risks distracting us
from other important issues including ones we might have more near-term control over.
163. « What about claims of crop failure, famine, and mass death? That’s science fiction, not
science. Humans today produce enough food for 10 billion people, or 25% more than we need, and
scientific bodies predict increases in that share, not declines. The United Nations Food and
Agriculture Organization (FAO) forecasts crop yields increasing 30% by 2050. And the poorest parts
of the world, like sub-Saharan Africa, are expected to see increases of 80 to 90%. Nobody is
suggesting climate change won’t negatively impact crop yields. It could. But such declines should be
put in perspective. Wheat yields increased 100 to 300% around the world since the 1960s, while a
study of 30 models found that yields would decline by 6% for every one degree Celsius increase in
temperature. »
164. Deux ouvrages sont sortis à ce sujet début septembre : False alarm, how climate change
false alarm costs us trillion, hurts the poor, and fails to fix the planet, de Björn Lomborg et
Apocalypse never, why environmental alarmism hurts us all, de Michael Schaelenberg
165. Richard Tren, Environmental Extremists Favor Mosquitoes Over Mankind
https://www.wsj.com/articles/environmental-extremists-favor-mosquitoes-over-mankind-
11564441285
166. IDDRI An agroecological Europe in 2050: multifunctional agriculture for healthy eating
https://www.soilassociation.org/media/18074/iddri-study-tyfa.pdf?mod=article_inline.
167. « Avoir un enfant nuit à la planète » : quand l’écologie déraille,
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/10/10/31003-20181010ARTFIG00336-avoir-un-enfant-
nuit-a-la-planete-quand-l-ecologie-deraille.php
168. https://twitter.com/brutnaturefr/status/1138149519307280384
169. Comme le rappelle Drieu Godefridi dans son livre L’écologisme nouveau totalitarisme
(éditions Texquis) « Un enfant = 58, 6 tonnes d’équivalent-CO₂ par an et un intellectuel tel que Paul
Herlich, auteur de la Bombe P, affirmait déjà dans le magazine Life en 1970 « The mother of the year
should be a sterilized woman with two adopted children. » »
170. Qu’est-ce que l’humusation, le nouveau rite funéraire moins polluant que l’inhumation et
l’incinération? https://www.rtl.be/info/belgique/societe/qu-est-ce-que-l-humusation-le-nouveau-rite-
funeraire-moins-polluant-que-l-inhumation-et-l-incineration–967169.aspx
171. Jean-Marc Jancovici : "l’Europe est en décroissance énergétique depuis 2007" interview in
Socialter
http://www.socialter.fr/fr/module/99999672/834/jean_marc_jancovici__qleurope_est_en_dcroissance
_nergtique_depuis_2007q
172. Au moment où nous terminons la rédaction de ce manuscrit sont survenues des inondations
qui ont ravagé l’arrière-pays niçois avec des torrents de boue qui ont emporté des villages entiers. Il
nous vient alors à l’esprit deux remarques : ce n’est pas la première fois, car un tel drame s’est déjà
déroulé au début du 20e siècle dans les mêmes villages ; ensuite le retour de l’électricité fut la toute
première préoccupation des habitants et des secours.
Quatrième partie

L’empire rationaliste contre-attaque

Face à ce mouvement destructeur qui veut revenir sur 250 ans et plus
de progrès, et qui modélise des catastrophes potentielles ou récupère celles
qui sont bien réelles pour gagner en influence, quelles sont les alternatives ?
Comment échapper à cette idéologie rétrograde dont l’objectif est surtout de
prendre le pouvoir afin d’imposer des règles nuisibles au développement de
l’humanité ?
Comme nous avons pu le voir à plusieurs reprises, ces thèses
s’appuient sur la collapsologie et soutiennent que contrairement à ce
qu’affirment les défenseurs de la philosophie des Lumières, tels que Steven
Pinker ou encore Richard Dawkins, tout va plus mal qu’avant. Ces derniers
qui, comme on le sait, prennent comme un véritable succès le fait que
l’espérance de vie moyenne est passée désormais à plus de 71 ans, nous
vivons en meilleure santé, nous sustentons mieux nos besoins alimentaires,
10 % de la population mondiale vit encore dans l’extrême pauvreté (pour
mémoire 90 % de la population vivait dans l’extrême pauvreté en 1820)…
Bref, tous les compteurs sont au vert, sans mauvais jeux de mots.
Avec la pandémie de Covid-19, la science se trouve alors sur une pente
savonneuse. En effet, elle semble avoir quelques difficultés à tenir ses
promesses et être incapable d’assurer la maîtrise dont elle se targuait
jusqu’alors. Le nombre de morts causé par le Coronavirus a beau être
inférieur à celui de tant d’autres maladies (y compris la grippe saisonnière),
l’irruption d’une infection inconnue qui met les systèmes de santé en
panique partout dans le monde et donne un coup d’arrêt à l’économie
mondiale tout en paralysant le système de production ainsi que le système
financier est un événement majeur. Et certains idéologues comme on l’a vu,
n’hésitent pas à saisir l’occasion pour souhaiter le changement de
civilisation qu’ils appellent de leurs vœux depuis tant d’années. Ainsi
l’homme politique Jean-Luc Mélenchon a twitté : « On entend d’un coup
beaucoup de gens parler du “monde d’après”. J’ai pour ma part une idée
assez précise de ce qu’il doit être, ça s’appelle “l’Avenir commun”, le
programme que j’ai présenté à l’élection présidentielle. Nous allons le
remettre en débat. » Ce tweet semble nous emmener bien loin de la
réflexion sur l’avenir de la science, mais pas tant que cela quand on sait que
le représentant de l’extrême gauche est aussi un fervent militant de la
décroissance.
Science et technologie se trouvent alors devant un défi encore plus
immense que celui d’avant la crise du Covid-19. Car elles n’ont plus
seulement à répondre aux multiples attaques des idéologies qui veulent
nous prouver l’inutilité de son modèle, elles doivent aussi rassurer
désormais l’opinion sur la capacité à tenir ses promesses et à fournir de
l’énergie abordable en quantité suffisante, nourrir et bien sûr soigner, et tout
cela, en respectant, elle aussi, les équilibres du « made in Nature ». Pour
cela il est plus que jamais essentiel que les scientifiques s’engagent pour
défendre leur modèle. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont commencé de faire dans
un mouvement de révolte.

15. La révolte des scientifiques

L’opinion a perdu toute confiance dans les vertus prométhéennes de la


science et la technologie pour renouer avec cette aura démiurgique, la
notion de « progrès scientifique » doit se réinventer. Mais avant d’en arriver
là, cela passe par un soubresaut des scientifiques qui croient dans ce
modèle… or ces derniers sont restés bien silencieux jusqu’à présents.
Pourtant certains d’entre eux ont commencé à comprendre que les choses ne
tournaient pas rond, même si cela a pris un certain temps comme nous
allons le voir.
De la même manière qu’il y a des ONG ou des Lobbies antiscience, il
y a toujours eu des ONG et des lobbies pro science. Ainsi, aux USA, depuis
2006, la Richard Dawkins Foundation for Reason & Science est l’un des
[173]
piliers de la pensée rationaliste . En France, son homologue,
l’Association Française d’Information Scientifique a fêté son cinquantième
anniversaire en 2018. Jusqu’au début des années 2000, force est de
constater que l’essentiel du combat de ces associations consistait à dénoncer
les pseudo-sciences. Ainsi l’association s’est illustrée en faisant éclater la
[174]
controverse de la mémoire de l’eau , une hypothèse fantasque du
médecin immunologiste Jacques Benveniste, ou encore en dénonçant le
[175]
doctorat en sociologie de l’astrologue Élizabeth Teissier . Elles avaient
donc une position offensive pour débusquer les supercheries et les
escroqueries des discours irrationnels partout où ils se trouvaient. Mais les
choses ont évolué depuis ces vingt dernières années. Et ce, pas forcément
en leurs faveurs.
Aujourd’hui, le « combat » a changé de nature. Comme on l’a vu, les
attaques répétées des ONG et de l’écologie politique ont tellement bien fait
leur travail, qu’il faut en faire davantage pour persuader le citoyen lambda
de la valeur de l’innovation scientifique et technique au sein de notre
société contemporaine que pour le dissuader d’aller se confier à une
cartomancienne ou un rebouteux.
Les chercheurs ne doivent plus seulement chercher et trouver, ils
doivent aussi légitimer le bien-fondé de leur action dans son ensemble, car
celle-ci est attaquée de toute part : biotechnologie, nucléaire, ondes, chimie,
agro-industrie… sous les coups de boutoir de certains idéologues, le progrès
scientifique s’est retrouvé dans l’obligation de défendre son pré carré. C’est
donc une tout autre paire de manches.
Mais il a fallu du temps pour que tout cela atteigne la tour d’ivoire et
que la communauté scientifique prenne conscience de la détérioration de sa
notoriété. Sans doute cela est-il dû au fait que la science était tellement
certaine de son bien-fondé qu’elle n’imaginait pas devoir se justifier un jour
de tous ses résultats depuis qu’elle contribue au bien-être de l’humanité.
Hélas, tout cela est loin de couler de source et les scientifiques ont dû
monter au créneau, notamment en France, paradoxalement pays de
Descartes (en fait, on verra que tout cela n’est pas si paradoxal), où la
rationalité est la plus attaquée. On peut parler alors d’une révolte des
scientifiques français : un mouvement qui, depuis un certain temps, n’a
cessé de prendre de l’ampleur.
Progressivement le ton est monté en puissance et alors qu’on ne s’y
[176]
attendait pas ou si peu, sont arrivés sur la toile des lanceurs d’alerte pro
science qui y sont allés de leurs plumes pour soutenir des opinions et
vulgariser ce qui reste difficilement compréhensible du grand public, mais
surtout s’engager en politique pour défendre le pré carré de la civilisation
scientifique et technique. On pense notamment à des généralistes tels que
Jean de Kervasdoué, Marcel Kuntz ou Michel de Rougemont en Suisse et
Edgar Ludvig Gärtner en Allemagne qui se sont engagés les premiers pour
combattre le climat antiscience et dénoncer l’avènement d’une ère de la
post-vérité ; ou encore dans des domaines spécifiques, des spécialistes tels
que Gérard Kafadaroff et Agnès Ricroch, Catherine Regnault Roger, Marc
Fellous pour les NBT ; Jean-Pierre Riou, André Pellen, Bernard Durand,
Pierre Tarrissi et Samuel Furfari sur les énergies ; Sébastien Point, Anne
Perrin et André Aurengo pour les ondes ; Pierre Pagesse, André Heitz, Guy
Waksman et Philippe Stoop pour les intrants et l’agriculture ; Guy André
Pelouze, Claude Huriet et Jean-Philippe Vuillez sur la médecine ; Christian
Lévêque et Philippe Joudrier pour l’écologie et la biodiversité ; Marc
Rameaux et Thierry Berthier sur l’IA… et encore tant d’autres que nous
oublions, sachant que nous ne pouvons produire une liste exhaustive.
Depuis des années, ces scientifiques tentent de réinformer le grand public,
tout en s’engageant pour la cause de certaines applications et la défense de
la rationalité scientifique. Ils s’expriment régulièrement dans des médias
[177]
grand public tels que La Tribune, Les Échos, Le Figaro, L’Opinion,
Atlantico, Le Huffington-Post, Le Point, L’Express, Slate, Contrepoints,
L’Usine nouvelle, Marianne, Causeur, Le Parisien, Valeurs Actuelles, Front
Populaire, EuropeanScientist…. Précisons que tous ces médias ainsi que
leurs directeurs de publication ont toujours été très ouverts et réceptifs pour
donner la parole aux scientifiques qui veulent défendre leurs causes ; on
pense notamment à Robert Jules, à Daniel Fortin, à Alexandre De Vecchio,
à Rémi Godeau, à Jean Sébastien Ferjou, à Mickael Fonton, Élisabeth Lévy,
Gaëlle Fleitour, Guillaume Roquette ou encore à Eric Le Boucher… Et pour
les médias TV Audio, Éric Brunet, Pascal Perri, Fabrice Lundi, Stéphane
Soumier, Yves Calvi, Frédéric Taddéi, François Sorel ou encore Emmanuel
LeChypre..
Ce mouvement s’est légèrement accéléré en 2017 quand deux
politiques s’en sont mêlés, amis de longue date de la rationalité scientifique,
Bernard Accoyer et Jean-Yves Le Déaut. Ces derniers ont déposé une
[178]
résolution à l’Assemblée nationale . Cette initiative qui a hélas fait peu
de bruit a été prolongée une année plus tard par l’émergence du collectif
[179]
Science technologie action – dont nous avons déjà parlé – une
cinquantaine de chercheurs qui se sont réunis pour relayer ce message et
s’engager pour faire peser les questions scientifiques et techniques dans le
[180]
débat public …. action qui a été imitée quelques mois plus tard par le
[181]
collectif #NoFakeScience . Précisons que contrairement à l’AFIS qui a
toujours refusé faire entendre sa voix auprès des politiques, STA n’a pas
peur de mener des actions auprès des élus, notamment en rédigeant des
communiqués qui leur sont directement adressés sur des thématiques qui
font l’actualité (Fessenheim, Glyphosate, Néonicotinoïdes, NBT, 5G…)
Alors que jusqu’à présent les auteurs cités restaient dans le ton de la
controverse avec une insistance à vouloir débattre des idées tout en
dénonçant l’écologisme politique, les choses sont allées encore plus loin et
ont basculé dans l’univers de la polémique avec les chroniques de Laurent
[182]
Alexandre . On peut se demander si c’est un bien, mais celui-ci en
tenant un discours sans compromis et parfois très offensif à l’égard des
« anti science », a eu un « effet libérateur » en ce sens, qu’il a désinhibé une
prise de parole qui restait très mesurée et parfois se contentait de subir une
agressivité accusatrice de ses opposants. L’urologue sans concession s’est
permis beaucoup et sur tous les sujets. Certes il a un côté clivant, il y a ceux
qui le détestent, mais il a aussi son fan-club : il est devenu l’un des
technoprophètes les plus remarqués des médias, sachant qu’on est allé vers
une radicalisation du discours comme en témoignent les échanges entre
[183]
Laurent Alexandre et Aurélien Barrau . Il a porté au-devant du grand
public des sujets qui étaient défendus depuis des années par d’autres, mais
qui avaient une attitude plus mezzo voce… Lui n’a pas hésité à critiquer les
mouvements anti sciences sans complexe et sans retenue.
Au travers de ce dernier exemple, on voit comment ce mouvement de
révolution des scientifiques est allé crescendo, trouvant des angles d’attaque
toujours plus perspicaces pour dénoncer l’absurdité et les contradictions de
ses adversaires. Ainsi, dans le média Rage Magazine, l’auteur anonyme
Techno-Prêtre propose de longues tirades dans lesquelles il picore à droite
et à gauche des thèses d’auteurs pro science, mais en employant un style
très agressif que n’auraient pas osé utiliser les scientifiques précédemment
[184]
cités , ceci expliquant la raison pour laquelle il a choisi l’anonymat.
Il y aurait sans doute une thèse à faire sur le glissement sémantique qui
s’est opéré en peu de temps. En effet, pendant des années, les scientifiques
ont débattu en y mettant les formes et en tentant de se justifier face à
l’inversion de la charge de la preuve et le poids du principe de précaution,
se retrouvant face à une question insoluble, car non scientifique (voir à ce
sujet la première partie de cet ouvrage). Aujourd’hui, le terrain ne leur est
pas davantage favorable, mais au moins ils ont pris conscience de la nature
de l’agenda de leurs opposants : ceux-ci veulent les détruire. Et une lutte à
la vie à la mort s’est engagée. Ils sont donc obligés de se lâcher et de rentrer
dans le vif du sujet. Plus question de tourner autour du pot comme ils l’ont
fait pendant des années.
Dans ce combat homérique, l’émission Envoyé Spécial sur le
glyphosate est une date mémorable que les historiens des sciences
prendront sans doute comme un point de repère. En effet, elle a permis de
réaliser que les scientifiques n’étaient pas seuls dans leur combat, mais
qu’ils avaient une large communauté pour les supporter. Comme l’a montré
[185]
Gil Rivière Wekstein , journaliste à la tête du site Agriculture et
Environnement, toute une communauté d’agriculteurs s’est engagée sur
Twitter le soir de l’émission et par la suite s’est mise à demander des
[186]
comptes à la journaliste Élise Lucet . Là encore, ce phénomène est
nouveau, car pendant des années, les agriculteurs ont été victimes de l’agri-
bashing qui visait aussi bien les progrès issus de la Révolution verte que
ceux qui les mettaient en œuvre. Aussi, qu’ils se rebellent et prennent fait et
cause pour les innovations et la technologie est inédit. Par extension, on
peut voir la crise des Gilets Jaunes, à ses tout débuts, comme une forme de
révolte contre une fiscalité punitive sur l’énergie.
Mais le rebondissement le plus surprenant est sans doute la bataille qui
s’est engagée entre les médias eux-mêmes. Certes – là encore – il y a
toujours eu des journalistes pro science dans la presse mainstream (voir
notre énumération plus haut) qui se sont fait les hérauts de la rationalité.
C’est un fait connu de tous et rabâché que l’un des problèmes majeurs de la
science contemporaine est sans doute le traitement catastrophiste de
l’information scientifique : les médias préfèrent les trains qui n’arrivent pas
à l’heure et il est difficile de se dépêtrer de cette logique. Pourtant, la
logique en question peut aussi se retourner contre les adversaires de la
science et les médias consciencieux et à la recherche d’angles différents
commencent à enquêter à leur tour sur les protagonistes du discours anti-
[187]
science. Ils ne manquent pas d’y trouver de succulentes histoires et, de
ce fait, on rencontre désormais de plus en plus de médias techno
évangélistes qui attaquent sans hésiter le charlatanisme de certaines ONG,
voire leurs confrères. C’est le cas par exemple d’individualités, telles
qu’Emmanuelle Ducros, Mac Lesggy ou encore de Géraldine Woesner qui
se sont tous les trois engagés dans une polémique avec la journaliste Élise
Lucet. Mais ce phénomène dépasse le cadre de l’initiative individuelle, car
ce sont aussi les angles éditoriaux choisis par des rédactions entières qui ont
pris le parti de défendre la cause des scientifiques au travers de numéros
[188] [189]
spéciaux, tels que Le Point ou encore Valeurs Actuelles et
[190]
L’Express ce qu’elles n’avaient jamais osé faire auparavant.
On peut se réjouir de cette libération de la parole. La défense de la
civilisation de la science et du progrès technologique n’est plus l’apanage
des seuls scientifiques et on peut dire, de ce fait, que c’est une grande
avancée, car désormais la société civile peut s’emparer également de la
finalité de celle qui préside à son destin depuis désormais plus de deux
siècles et demi. Reste cependant une zone d’ombre : ce faisant, on est passé
des discrètes controverses scientifiques – un désaccord entre experts sur
l’interprétation des faits – qui ont toujours émaillé les différentes matières à
une immense polémique générale sur le rôle de la science où chacun y va de
son attaque ad hominem pour décrédibiliser l’autre et où personne ne peut
s’entendre sur le bien-fondé de ses propos. Force est de constater que dans
cette thématique que l’on appelle la politique scientifique, la politique prend
une part de plus en plus grande, comme le démontre la multiplication des
polémiques.
C’est ainsi que deux journalistes du Monde et un sociologue qui
militent ardemment contre cette vision démiurgique de la science viennent
de publier un livre totalement à charge contre ceux qui veulent défendre
l’usage de la science et la technologie au service de la civilisation du
[191]
progrès . Au lieu de se mettre au niveau du débat d’idées, ils ont choisi
[192]
la polémique en pratiquant un journalisme d’insinuation totalement à
charge, avec pour objectif de décrédibiliser les scientifiques qui prennent la
défense de certaines technologies qu’eux-mêmes abhorrent – on devine
lesquelles. De fait, ils accusent systématiquement ceux qui ne partagent pas
leur point de vue d’être à la solde des industriels. Cette technique bien
[193]
connue des militants d’ONG consiste à incriminer l’interlocuteur en
l’attaquant ad hominem – la plupart du temps sans preuve – sur ses
présupposés conflits d’intérêt plutôt que sur ses propos. Ceci ayant pour
conséquence de rendre le dialogue impossible, puisque les protagonistes de
ce genre de débat passent plus de temps à parler d’eux-mêmes et à se
justifier, plutôt que de débattre du sujet qui les oppose et sur lequel porte
leur désaccord.
Pour que le lecteur comprenne bien, si on reprend la technique des
auteurs de ce livre plutôt que de critiquer leur ouvrage sur le plan des idées,
on se demandera « qui les finance ? » On exigera qu’ils nous prouvent leur
indépendance et qu’ils n’ont pas de conflits d’intérêts. Ne travaillent-ils pas
dans une rédaction qui dépend d’actionnaires et d’annonceurs publicitaires
ou dans une université d’État politiquement orientée et financée par les
contribuables ?
On le voit bien, ce genre de considération n’aide pas à faire progresser
le débat. Or, plus on réduit le discours d’autrui à une cause a tergo (il dit X
à cause de Y), moins on se soucie de la valeur de vérité. On présuppose en
effet que la recherche de cette dernière n’est plus libre, mais déterminée,
[194]
alors que toute recherche de la vérité présuppose une forme de liberté .
De fait, en faisant dépendre la « vérité scientifique » du « qui parle » on la
réduit a une confrontation d’individualités… et au final, un observateur
neutre de l’échange, n’aurait plus que comme seul repère, la confiance qu’il
attribue à l’un ou à l’autre de deux interlocuteurs qui s’opposent. On peut
regretter que cette configuration du débat soit désormais quasiment la
norme, même si cela n’est pas sans raison.
En effet, la cause de cette situation pourrait bien être une forme de
déformation professionnelle et le fait que l’analyse sociologique de la
science réduit cette dernière aux groupes d’acteurs qui la pratiquent. Elle
juge alors de sa qualité en fonction de ces derniers : la bonne et la mauvaise
science ne dépendent plus de questions épistémologiques ou
philosophiques, mais des qualités et jugements de valeurs que l’on attribue
aux groupes qui la pratiquent. Selon cette approche, il y aurait « les bons
scientifiques » qui seraient les chercheurs totalement désintéressés vivant
reclus dans leurs laboratoires (d’air pur et d’eau fraîche ?) et les « mauvais
scientifiques » qui seraient les chercheurs développant des innovations
technologiques et travaillant pour des groupes d’industriels. Non seulement
cette analyse est biaisée et caricaturale – que dire de Einstein et Bohr qui
représentent la science dans ce qu’elle a de plus pur… et qui pourtant ont
pu se rencontrer grâce aux meetings organisés par Solvay, un groupe
industriel de la chimie belge –, mais elle permet de relativiser la valeur de
« vérité scientifique ». Car on ne fait plus dépendre celle-ci d’une méthode
(la réfutabilité des hypothèses), mais d’un groupe d’acteurs qui la
[195]
défendent : pas étonnant alors comme on l’a vu que les chercheurs se
transforment en militant et se mettent à signer des pétitions. La méthode
scientifique n’a rien à gagner dans cette affaire, car du coup, elle devient
dépendante d’un jeu d’influences et de pouvoir politique. En outre, c’est
totalement idiot de dire que « parce qu’on travaille pour un industriel, on va
falsifier la vérité scientifique ». C’est pourtant ce que les auteurs cités
laissent entendre, d’après eux, les scientifiques sont instrumentalisés par les
industriels pour prendre la parole et défendre leurs intérêts. Premièrement la
catégorie, « les industriels » n’est pas homogène ; on trouve aussi bien des
industriels qui défendent le bio, que des industriels qui défendent les OGM.
À cela s’ajoute qu’ils ne partagent pas tous les mêmes intérêts : certains ont
des intérêts croisés, alors que d’autres ont des intérêts diamétralement
opposés. Ensuite en quoi « défendre les industriels » permettrait-il à un
scientifique de raconter n’importe quoi ? Comme si ces derniers n’avaient
pas de responsabilité ? Prenons le cas d’Emmanuelle Charpentier qui a reçu
le Prix Nobel de Chimie pour sa découverte de Crispr-Cas9 en compagnie
de l’américaine Jennifer Doudna. Cette découverte lui a permis de co-
fonder une société de biotechnologie, CRISPR Therapeutics, alliée au
groupe Bayer, qui a donné des avancées notamment dans la lutte contre
certaines maladies du sang ou certains cancers. Une information tout à fait
banale sous d’autres cieux, mais qui ne manquera sans doute pas de faire
hurler nos auteurs. D’ailleurs ces derniers affectionnent particulièrement les
totems pour appuyer leurs propos.
C’est ainsi qu’ils se réfèrent aux cigarettiers qui représentent d’après
eux un exemple même d’instrumentalisation de la science. Le fait étant que
certains d’entre-eux dans les années 90 ont employé des scientifiques pour
manipuler l’information.
Mais peut-on partir de ce cas particulier pour établir une règle
générale ? Et si oui, cela veut-il dire que les scientifiques qui travaillent
pour des industriels n’ont aucune responsabilité ? Le risque est énorme et
l’information finit toujours un jour ou l’autre par éclater au grand jour,
[196]
même si certains mythes ont la peau dure : ainsi, les industriels du
tabac ont fini par prendre le problème à bras le corps pour innover et mettre
sur le marché des produits moins nocifs. Récemment un cigarettier a même
[197]
promis la fin prochaine du tabac . Il en va de même de toutes les
applications et du progrès en général et le fait d’être un scientifique qui
travaille au service d’un industriel, n’est pas une tare comme voudraient le
faire croire les auteurs. Au contraire une entreprise privée a une plus grande
responsabilité, car elle est directement sanctionnée au cas où elle
commettrait une erreur… ce qui n’est pas le cas d’un politique ou d’un
technocrate : comme on le sait, ces derniers payent rarement pour les
erreurs qu’ils commettent et pourtant leur action peut avoir des
[198]
conséquences désastreuses quand il s’agit de politique scientifique …
Pour résumer l’ensemble de ces arguments, nous pouvons clairement
affirmer que le fait de travailler au service d’un industriel ne peut être un
critère de démarcation de la vérité scientifique.... ni dans un sens ni dans
l’autre. Et pourtant, Foucart, Aurel et Laurens soutiennent tout le contraire
dans leur thèse.
Arrêtons-nous encore un instant sur les propos du sociologue Sylvain
[199]
Laurens . Dans une interview du Monde, il expose brièvement
l’historique de l’Union Rationaliste (ancêtre de l’Afis, association dont
nous avons parlé plus haut) pour affirmer qu’à ses débuts, cette association
avait encore une réflexion sur la nature de la science, ce qui n’est hélas plus
le cas aujourd’hui, comme l’ont prouvé les nombreux débats sur la
chloroquine, il y a eu au contraire une interrogation profonde sur la nature
[200]
de la science : « Tous ces changements fabriquent des savants au plus
près de l’innovation industrielle, à l’intersection des espaces économiques
et scientifiques. La défense de la science devient aussi la défense de ses
applications. Ce discours ne supporte plus d’entrave. Au point que ceux qui
critiquent les centrales nucléaires sont considérés comme étant contre la
science. Ceux qui contestent l’utilisation de certains pesticides sont
assimilés à des partisans de l’ésotérisme. »
Si on en croit l’analyse caricaturale de ce sociologue, alors la révolte
des scientifiques dont nous avons parlé précédemment, serait un coup
monté des industriels et de leurs agences de communication… La théorie du
complot n’est pas loin. Mais n’est-ce pas inverser les rôles ? N’est-ce pas
passer sous silence que cette révolte a pour motif les attaques incessantes
dont ont été victimes ces acteurs du progrès scientifique et technique ? Les
voici maintenant présentés comme de diaboliques personnages, qui
œuvreraient dans l’ombre contre l’humanité et la nature manipulées par des
méchants industriels capitalistes et libertariens (ce courant politique est
souvent cité par ces auteurs comme étant la source du mal, hélas ils
s’appuient sur une définition caricaturale de cette philosophie qui compte
pourtant tellement de grands penseurs et a donné lieu à une littérature riche
[201]
et originale ) intéressés uniquement par le profit. Pires que des
Méphistophélès, ils auraient vendu leurs âmes au diable pour nous imposer
leurs solutions maléfiques…
On marche vraiment sur la tête quand on réalise à quel point cette
thèse inverse les rôles. Car si les scientifiques se sont révoltés, c’est bien,
comme nous l’avons montré, que depuis des années, ils font l’objet
d’attaques incessantes et d’une campagne de dénigrement d’une violence
inouïe de la part des ONG, mais également de certains médias et politiques
engagés. S’ils ont décidé de se révolter, c’est parce que pendant trop
longtemps, ils ont subi sans pouvoir rien faire : qui a supporté de voir ses
essais en plein champ détruits sans pouvoir invoquer le droit de propriété,
même sous le regard des CRS qui étaient venus là en fait… pour protéger
les faucheurs ? Qui a vu ses centrales nucléaires assiégées par des militants
pros de la varappe ? Qui a vu ses antennes relais brûlées par des anarchistes
fous furieux ? Qui a vu ses laboratoires envahis et saccagés ? Qui a compté
les titres catastrophistes, incendiaires et alarmistes qui se sont succédés dans
la presse, détruisant la confiance de l’opinion ? Qui a subi les législations
ineptes décidées par des politiques incompétents et démagogues dont le seul
intérêt était de se faire réélire ?
La révolte des scientifiques est une démarche politique qui, du point de
vue des protagonistes, se justifie d’elle-même ! Mais en affirmant cela, ne
fait-on pas sans le vouloir le jeu des critiques ? On se retrouve finalement
dans une polémique sans fin qui oppose deux groupes : ceux qui sont pour
que l’industrie développe les applications scientifiques et techniques et ceux
qui sont contre. Que signifie cette seconde alternative ? Certes, il est
séduisant d’un point de vue philosophique d’imaginer une science éthérée
sans applications technologiques. Mais est-ce à dire que le seul usage que
l’on va se réserver est celui d’une science comme la collapsologie, par
exemple, qui consistera à compiler les données catastrophistes pour nous
informer de la date de la fin du monde à venir ? Ou encore de définir une
politique scientifique qui sera issue d’une idéologie et nous commandera
d’abandonner une technologie pour en privilégier une autre qui finalement
se révélera moins efficace (cf. notre chapitre sur l’affaire Lyssenko), ce, afin
de ralentir le développement de l’humanité ? Ou est-ce une science qui se
trouve être à la fois au service de l’homme et de l’environnement, déduite
d’une écologie scientifique, et non de l’écologisme – idéologie politique ?
On le pressent : il ne suffira pas aux lanceurs d’alertes qui dénoncent le
climat antiscience de se révolter pour retrouver la confiance perdue de
l’opinion. Il leur faudra en plus montrer que les applications technologiques
qu’ils défendent, elles aussi, peuvent servir l’homme sans détruire la nature.
Voici donc quatre pistes pour passer des paroles aux actes.

16. À l’ère du « décarboné », le Nucléaire se refait une santé


Qu’est-ce qui peut chasser une peur sinon une autre peur ? Telle
pourrait être la formule magique qui résume l’histoire que nous allons
raconter. Maintenant que l’opinion a intégré l’idée que le réchauffement
climatique est inéluctable, et qu’elle est terrorisée par cet avenir que les
catastrophistes lui ont promis sans aucune autre alternative possible – même
pas celle d’un choc entre une comète et la terre, ou d’une super-pandémie –
voici que les défenseurs de l’énergie nucléaire ont trouvé « l’arme
atomique », sans mauvais jeux de mots, pour revenir sur le devant de la
scène. Démontrer par A + B que si l’humanité veut continuer de vivre au
rythme auquel elle vit aujourd’hui sans pour autant déclencher des
cataclysmes climatiques, il lui faut produire une énergie en quantité
suffisante et totalement décarbonée. Voici donc le nucléaire promis à un
nouvel avenir. Les écolos antinucléaires avaient fait « Sortons du
nucléaire » ; les défenseurs de l’énergie atomique, leur répondent en
clamant « Sauvons le climat ». Toute la communauté scientifique pro
nucléaire est donc montée au front pour prendre la défense de cette
technologie et de manière très intéressante on a vu de nouvelles histoires
émerger avec des « évangélistes » de la cause. Leur message commun à
tous : ne faites pas l’erreur d’abandonner cette technologie ou il va vous en
coûter cher !
Un premier argument massue est celui de l’épuisement des énergies
fossiles. Selon Bernard Durand, la raréfaction des combustibles fossiles va
nous obliger à trouver des solutions de substitution. D’où la nécessité d’une
transition énergétique : « Du fait de leur poids considérable dans le
fonctionnement des sociétés industrielles et de leur potentiel de
modification du climat, les évolutions à venir des productions de
combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) donneront, par
nécessité, le temps de la transition énergétique. Car la transition
énergétique, ce sera aller d’une société vivant des combustibles fossiles à
une société obligée de s’en passer. (…) Or les contraintes géologiques de
l’extraction des combustibles fossiles, nous disent les géologues, sont
maintenant devenues telles que la quantité d’énergie primaire que les
combustibles fossiles mettront chaque année à la disposition de la société
mondiale, toutes sources étant cumulées, pourrait décliner à partir de 2025-
2030. Compte tenu de l’augmentation encore rapide de la population
mondiale, ce déclin serait encore plus fort par habitant de la planète. »
D’après l’expert en politique énergétique, aux contraintes géologiques
s’ajoutent les contraintes économiques et politiques : « Des prix trop élevés
provoquant un déclin de la demande, des crises économiques ou politiques,
réduisent les productions annuelles par rapport aux possibilités permises par
la géologie. Les pics de production sont alors retardés et leur hauteur est
moindre, mais les quantités extraites chaque année sont alors plus faibles
[202]
qu’en l’absence de ces crises .»
L’auteur nous signale une urgence. Il veut faire prendre conscience au
public des risques qu’il encoure si les mauvais choix sont faits en matière
de politique énergétique. D’où la nécessité du nucléaire comme seule
énergie susceptible de répondre aux besoins de nos sociétés : contraintes
climatiques, sanitaires, énergies renouvelables qui ont le défaut de ne pas
être pilotables… tout cela s’additionne pour nous amener à comprendre une
réalité : « Il est urgent pour la France de se ressaisir, et d’exploiter le mieux
possible, au lieu comme actuellement de le détruire, le meilleur atout
qu’elle possède dans une transition énergétique qui sera forcément
contrainte par la disponibilité des combustibles fossiles, son nucléaire. Ce
nucléaire y remplace déjà très largement le charbon et le gaz dans la
production d’électricité. Il peut aussi, entre autres, remplacer largement le
pétrole dans ses utilisations principales : le transport, par le développement
de la mobilité électrique et la production d’hydrogène servant à la
production de biocarburants, le chauffage, par le chauffage électrique, mais
aussi par le développement des pompes à chaleur dans un habitat mieux
isolé, et de la cogénération électricité nucléaire-chaleur. Et cette politique
sera aussi la plus efficace pour faire décroître rapidement nos émissions de
CO₂, suivant les vœux des climatologues. »
Mais ce discours reste encore relativement très policé par rapport à
celui d’autres militants. Certains « lanceurs d’alertes pro nucléaires » n’ont
désormais plus aucun complexe et assènent leurs vérités sans peur de
tomber dans les filets des ONG… Certains sont d’ailleurs même plus
engagés que n’importe quel militant de Greenpeace. Fini la rhétorique
victimaire et qui bat sa coulpe derrière le principe de précaution. Ainsi
[203]
cuisiné par le journaliste de Thinkerview , Jean-Marc Jancovici, sans
[204]
doute l’un des avocats les plus brillants de l’énergie nucléaire , défend
la technologie becs et ongles. Alors que le journaliste lui demande s’il est
lobbyiste, il repousse la question en disant qu’il a toujours pensé ce qu’il
pense. Aussi, il sort l’artillerie lourde en martelant un choix de manière
catégorique : c’est la centrale atomique ou la mort programmée de
l’humanité qui risque de griller.
Selon lui, les politiques n’ont aucune conscience des problèmes liés à
l’approvisionnement énergétique : « Aujourd’hui si on supprime une partie
de la production nucléaire, quelques règles de trois pas très compliquées à
faire sur ce que ça coûte de remplacer le nucléaire par un système complet
avec à la fois les panneaux solaires et les éoliennes et la sécurité
d’approvisionnement qui va derrière, c’est-à-dire que le train de 8 heures
partira bien à 8 heures même s’il n’y a pas de vent, et bien le coût complet
de cette affaire, c’est un multiple des investissements même très chers dont
on a besoin pour refaire du nucléaire. C’est-à-dire, là où j’ai besoin de
mettre un milliard sur la table pour refaire du nucléaire, même si c’est très
cher et je dépasse les budgets, j’ai plutôt besoin de 5 à 10 si je veux la
même quantité d’électricité avec des modes intermittents plus du stockage.
Comme cet argent on ne va pas l’avoir, pour prendre un exemple
l’Allemagne a déjà dépensé quelques centaines de milliards d’euros dans sa
transition énergétique – et eux ils ont 200 milliards de solde exportateur par
an, donc ils peuvent se permettre ce genre de caprice beaucoup plus que
nous – comme cet argent on ne l’aura pas, on va tout simplement remplacer
cette énergie par rien. Cette situation aurait obligatoirement pour
conséquence une contraction de l’économie… » et d’après lui, aucun
politique n’a conscience de cette situation. Ayant rappelé que le Nucléaire
ne représente que 15 % de l’électricité mondiale, il affirme une proposition
forte à son sujet : « C’est un moyen d’amortir la décroissance… en même
temps que c’est un moyen de se passer du charbon dans la production
électrique. »
Un autre point essentiel développé par Jancovici est que « le nucléaire
évite plus de problèmes qu’il n’en crée (…) Aujourd’hui, le débat sur le
nucléaire relève davantage du fantasme que du débat éclairé ». Le fondateur
du Think-Tank Carbone 4 s’étonne que le public ignore les éléments qui
composent les déchets nucléaires. Il soutient que les seuls risques encourus
par les populations sont ceux de l’évacuation… et s’appuie sur le rapport de
l’UNSCEAR, organisme de référence selon lequel les doses qui ont été
rejetées lors de l’incident de Fukushima n’auraient présenté aucun risque si
les populations étaient restées confinées.
Il affirme alors sans concession : « Les gens qui sont aujourd’hui
contre le nucléaire accroissent le risque de la déstabilisation que court la
planète. Parce qu’ils nous maintiennent plus longtemps dans le charbon. Le
charbon, ça va faire du changement climatique, ça va faire des guerres, ça
va faire des famines, ça va faire des émeutes, ça va faire de l’acidification
des océans, ça va faire un raccourcissement de l’espérance de vie, ça va
faire de la perte de biodiversité, et que si je fais la somme de tout ça, le
nucléaire ne m’empêche pas de dormir. » Il relativise alors en disant que le
nucléaire n’est pas plus dangereux que les autres industries. Pour lui, on
devrait plus s’inquiéter de la cigarette que de l’industrie nucléaire. Il cite la
mine naturelle d’uranium d’Oklo au Gabon qui a deux milliards d’années,
avec un gisement d’uranium naturel qui contient 0,7 % d’uranium 235…
Cette mine a existé sans que personne ne s’en occupe et les conditions
étaient réunies il y a deux milliards d’années pour que se produise une
réaction en chaîne.
Il conclut en revenant sur les thèses de son ouvrage intitulé « l’avenir
climatique » datant de 2002. Ainsi si on arrêtait d’émettre demain matin, il
faudrait plus de 10 000 ans pour éliminer le surplus de CO₂ qu’on a mis
dans l’atmosphère afin que celle-ci revienne à son niveau initial… alors que
les déchets climatiques auront perdu leur réactivité d’ici quelques siècles.
Ce discours totalement décomplexé démontre que l’expert qui a
réponse à tout, est sorti du cadre du politiquement correct : les politiques ne
s’intéressent pas et ils ne comprennent rien. Il faut donc frapper fort. Le
scénario d’une « peur qui en chasse une autre » montre son efficacité : les
énergies renouvelables inefficientes et beaucoup plus coûteuses qu’un plan
de rénovation des centrales, la menace du réchauffement climatique
beaucoup plus dangereuse que celle des déchets radioactifs. Il n’y a plus de
limite au nucléaire. Et ce, d’autant plus que l’expert en appelle lui-même à
la décroissance. Il se retrouve donc dans le même camp que les ONG qui
ont appelé à la sortie du nucléaire.
Mais un personnage récurrent va faire une apparition qui va
littéralement décupler le pouvoir du discours rationaliste. Cette figure
majeure nous pouvons l’appeler « le converti ». Il y aurait sans doute un
chapitre entier, voir un ouvrage à consacrer à ce pion stratégique. Le
converti c’est tout simplement l’ancien militant écologiste politique qui a
changé de camp et qui, pour une raison bien précise, décide de s’engager
pour une cause scientifique, au point d’en devenir un véritable fer de lance.
Après avoir passé des années à dessiner des pancartes contre le
nucléaire et participé à des rassemblements contre l’ouverture ou pour la
fermeture de telle ou telle centrale, Michael Shellenberger – dont nous
avons déjà parlé – a basculé dans le camp du militantisme « pro nucléaire ».
Ainsi dans une vidéo TEDxBerlin il explique « Pourquoi j’ai changé d’avis
[205]
sur l’électricité nucléaire ». Après avoir expliqué qu’il avait été élevé
par des parents soixante-huitards et que son idole était Steward Brand, un
des premiers environnementalistes dans années 60, il ajoute qu’il descend
également d’une longue lignée de chrétiens pacifistes, qui a l’habitude
d’allumer des bougies en mémoire du jour des bombardements atomiques
d’Hiroshima et Nagasaki. Il est également engagé dans de nombreuses
délégations qui l’ont fait découvrir des communautés diverses et variées. Il
a commencé à s’intéresser aux membres des communautés qui migraient
vers les villes et aux solutions « architecturales verticales » qui sont les
meilleurs moyens de ne pas détruire trop la nature, mais sont également
gourmandes en énergies. Il a pris conscience donc – et c’est ce qu’il
explique dès le début de la vidéo – que le challenge de notre époque était de
produire une grande quantité d’énergie sans détruire le climat. Impliqué
avec les activistes antinucléaires il s’est engagé pour le développement des
énergies renouvelables au sein de l’Alliance Apollo, association qui a
inspiré le président Obama dans son programme d’investissement de 150
milliards de dollars pour faire du solaire, de l’éolien et des voitures
électriques. Il évoque les problèmes rencontrés alors avec ces technologies :
la dépendance aux facteurs climatiques, mais aussi le stockage de l’énergie.
C’est en 2005 alors que Steward Brand – son mentor – a refait surface en
posant la question « et si on repensait le nucléaire ? » Il avait observé les
données et vu que l’électricité produite en Californie venait essentiellement
du nucléaire et de l’hydraulique. Mais aussi des informations importantes
telles que « Le nucléaire produit quatre fois moins de CO₂ que les fermes à
énergie solaire ». Après avoir balayé le cas de la Californie, il prend le cas
de l’Allemagne et montre que malgré les efforts de considérables dans les
ENR réalisés dans ce pays, les problèmes restent éternellement les mêmes :
les émissions carbones et les prix ont été multipliés par 47 % de 2006 à
2016. Il montre que bien que le prix de l’électricité soit deux fois moins
cher en France qu’en Allemagne, la France génère deux fois plus d’énergie
décarbonée que l’Allemagne. Les émissions de carbones n’ont cessé de
croître en Allemagne depuis 2009. Il cite alors une étude de James Hansen
publiée dans Science qui soutient que lorsqu’on combine du solaire et du
vent, on arrive à une production d’énergie plus carbonée que quand on fait
du nucléaire.
À l’issue de la première partie de son exposé, Shellenberger se met
dans la tête du public et pose la question « vous vous dites, OK, faut-il de
nouveau considérer le nucléaire d’une autre manière. Mais que pensez de
Tchernobyl et des déchets atomiques ? » Il cite alors Georges Mombiot, un
expert : « Le mouvement antinucléaire auquel j’ai appartenu jadis a trompé
[206]
le monde au sujet des impacts de la radiation sur la santé humaine .»
Il parle de l’étude de l’UNSCEAR sur Tchernobyl qui a dénombré 31
victimes directes de l’accident et 15 morts du cancer de la thyroïde – un des
cancers les moins violents. Il évoque également Fukushima, où la principale
faute a été de déplacer les populations locales. Celles-ci en effet auraient dû
rester confinées pour ne pas être irradiées.
Enfin, on retrouve cette même logique de relativisation au travers d’un
tableau de comparaison des risques : alors que le fait d’habiter une grande
plutôt qu’une petite ville accroît le risque de mortalité de 2,8 %, celui de
subir le tabagisme passif l’accroît de 1,7 %, celui d’avoir été exposé à
250 mSv à Tchernobyl (le cas des liquidateurs du réacteur), l’accroît de
1,0 % et l’exposition à 100 mSv de 0,4 %. Un chiffre compte également :
celui du nombre de morts annuels de la pollution atmosphérique de 7
millions. Il cite alors une étude du journal Lancet qui rappelle que le
nucléaire est la solution la moins dangereuse pour produire de l’électricité.
Il passe rapidement sur le sujet des déchets en montrant que les ENR
produisent clairement plus de déchets et montre enfin que les pays qui
disposent de nucléaire civil n’ont pas forcément l’arme atomique (c’est le
cas de la Corée du Sud), alors que la Corée du Nord, elle, n’a pas de
nucléaire civil, mais dispose de la Bombe.
En conclusion, Shellenberger s’appuie sur la Rock Star Sting pour
mieux marquer la chose : « Si vous voulez contrer le changement
climatique, le nucléaire est la seule façon de créer une grosse quantité
d’énergie. »
Il est difficile de ne pas croire l’histoire que nous raconte ce converti…
Elle illustre parfaitement le fait qu’on peut avoir des préoccupations
écologiques et choisir une énergie qui n’est pas spontanément perçue
comme « verte » et c’est le moins qu’on puisse dire. Puisque, comme on l’a
évoqué la plupart des mouvements environnementalistes ont vu le jour en
opposition au nucléaire. Que ce soit par souci de l’environnement qu’on
nous invite à choisir le nucléaire, certains se diront qu’il fallait le penser et
surtout oser le faire.... Pour autant cela n’a rien de surprenant, la preuve,
c’est que même un écologiste historique tel que Brice Lalonde, ancien
ministre de l’Environnement, affirme : « Ceux qui luttent contre le nucléaire
sont les meilleurs alliés du changement climatique. Sans nucléaire, on n’y
arrivera pas. On a besoin de tout. »

17. Des NBT encore plus naturelles avec CRISPR

À la différence de l’industrie nucléaire, c’est sans doute depuis


l’apparition des biotechnologies végétales que leurs protagonistes
s’époumonent à démontrer que celles-ci vont dans le sens de ce que
souhaitent les ONG environnementalistes. Dès la mise sur le marché de la
technologie, les industriels ont insisté sur le fait que les OGM représentent
une technologie dont on ne peut se passer si on veut nourrir sept milliards
d’individus tout en préservant l’environnement. D’ailleurs au tout début de
la Querelle des OGM, Monsanto n’avait pas hésité à communiquer en
affichant de pleines pages de pub dans le Monde avec des messages tels que
« Pour plus d’écologie, gie, gie, vite les biotechnologies, gie, gie », des
annonces qui reposaient sur d’authentiques convictions philosophiques,
quand on sait que les promoteurs des biotechnologies dans les années 80
avaient conscience de l’impact sur l’environnement de l’agriculture
intensive à cause de son usage abusif d’intrants et envisageaient le progrès
des biotechnologies végétales comme une solution plus respectueuse de
l’environnement.
Hélas ces messages n’ont jamais réussi à convaincre l’opinion. Alors
que les consommateurs ne semblent pas avoir de difficulté pour acheter des
produits dits « responsables » ou « équitables », ils n’ont jamais accroché à
l’idée que les OGM pouvaient résoudre de vraies crises humanitaires.
L’exemple historique, le plus frappant est sans doute celui du riz doré
d’Ingo Portrykus. Véritable cas d’école cette innovation technologique
n’ambitionne-t-elle pas d’accomplir depuis le début, le rêve de certaines
ONG ? Ce riz issu des biotechnologies qui est enrichi en bêta-carotène, un
précurseur de la vitamine A, a fait couler beaucoup d’encre ces vingt
dernières années. En 2016, plus de 109 Prix Nobel ont signé une
[207]
pétition pour demander à Greenpeace de cesser leur campagne de
dénigrement contre le riz doré et aux gouvernements du monde entier
d’ignorer la position de l’ONG. On a appris plus récemment que la culture
[208]
de la « semence miracle » a été autorisée au Bangladesh , un pays
particulièrement concerné par cette innovation où la déficience en vitamine
A se fait cruellement sentir dans la population et le riz fait partie des
cultures de base de l’alimentation. L’Organisation mondiale du commerce,
estime que « qu’entre 250 000 et 500 000 enfants carencés en vitamine A
deviennent aveugles chaque année, la moitié d’entre eux décédant moins de
12 mois après avoir perdu la vue ». Un consortium international a donc
réfléchi sur la possibilité d’améliorer la semence en renforçant la présence
des micronutriments nécessaires et de la rendre accessible aux agriculteurs
qui la cultivent localement. On s’interroge alors sur la réaction virulente de
certaines ONG à l’égard de cette innovation : y verraient-elles un
concurrent ?
Fait important, comme pour le nucléaire, les OGM, ont également
leurs « convertis ». Et ce sont des personnalités au parcours impressionnant.
La « campagne des Prix Nobel contre Greenpeace et pour le riz doré » a été
menée par Patrick Moore qui n’est autre que l’un des anciens membres
[209]
fondateurs de Greenpeace et qui a quitté l’ONG écologiste . Il tient un
discours sans concession à l’égard de l’association qu’il a jadis fondée :
« Des gars bien nourris de Greenpeace, à Hambourg ou au Canada,
empêchent des enfants des pays pauvres d’accéder à un riz alors qu’une
ration quotidienne de 40 grammes par jour suffit pour protéger ces enfants
[210]
contre la cécité . » À cette sortie pro OGM s’ajoute une attaque sur le
fond : « Greenpeace récolte des subventions, principalement en Allemagne,
sur la base de combats qu’elle ne gagnera jamais : la lutte contre les OGM
ou contre l’énergie nucléaire. Par la nature même de ces campagnes, celles-
ci représentent une manne financière intarissable, dont l’objectif est de faire
vivre l’organisation écologiste. »
Dans le même genre que Moore, mais en plus politiquement
[211]
correct et moins sulfureux, Marc Lynas est un militant écologiste
britannique qui se concentre sur la problématique du réchauffement
climatique. Dans le film Food Evolution dont nous avons déjà parlé, il
explique que son point de vue a changé et qu’il s’est mis à défendre les
OGM en réalisant que ceux-ci jouaient un rôle essentiel pour économiser la
superficie des terres agricoles. Laurent Sacco, journaliste à Futura Planète
le présente comme un : « Journaliste et militant écologiste britannique,
diplômé en histoire et en sciences politiques de l’université d’Édimbourg,
dont plusieurs articles ont été publiés dans le très sérieux et réputé
journal The Guardian. Opposé viscéralement aux OGM au point de faire
partie des faucheurs de leurs cultures dans les années 1990, il a fait une
volte-face spectaculaire avec un mea culpa public en 2013 lors de l’Oxford
Farming Conference, une conférence annuelle pour les agriculteurs
britanniques qui a lieu à Oxford, au Royaume-Uni, dans la première
[212]
semaine de janvier. »
Nous ne résistons pas à l’envie de citer un extrait de son discours
[213]
toujours disponible sur le web

« Mesdames et Messieurs,
Je veux commencer par des excuses. Officiellement et publiquement, ici et
dès le départ, je m’excuse d’avoir passé plusieurs années à dénigrer les
cultures génétiquement modifiées (GM). Je suis également désolé d’avoir
contribué à démarrer le mouvement anti OGM dans le milieu des
années 1990, et d’avoir donc contribué à diaboliser une option
technologique importante pouvant être utilisée au profit de
l’environnement. En tant qu’écologiste, et quelqu’un qui croit que tout le
monde ici-bas a droit à une alimentation saine et nutritive de son choix, je
n’aurais pas pu choisir un chemin plus contre-productif. Je le regrette
maintenant complètement. Alors je suppose que vous vous demanderez ce
qui s’est passé entre 1995 et maintenant qui m’a non seulement fait changer
d’avis, mais venir ici et l’admettre ? Eh bien, la réponse est assez simple :
j’ai découvert la science, et ce faisant, j’espère être devenu un meilleur
écologiste.
Lorsque j’ai entendu parler du soja GM de Monsanto, je savais exactement
ce que je pensais. Il y avait là une grande société américaine à mauvaise
réputation, qui mettait quelque chose de nouveau et expérimental dans
notre alimentation sans nous le dire. Mélanger les gènes entre les espèces
semblait aussi contre nature que possible – c’était l’acquisition par
l’humanité de trop de puissance technologique, quelque chose devait
tourner horriblement mal. Ces gènes se répandraient comme une sorte de
pollution vivante. C’était la substance des cauchemars. »

Aux arguments de poids avancés par ces convertis va venir s’ajouter


une innovation technologique qui va totalement changer la donne et rendre
encore plus compatible la thèse selon laquelle les produits issus des
biotechnologies sont bien des organismes naturels : CRISPR-Cas 9
Si les consommateurs ne veulent pas entendre parler d’OGM
aujourd’hui alors que, comme nous l’avons vu, aucun accident lié à cette
technologie n’a jamais pu être mis en évidence, c’est qu’un courant de
pensée a réussi à persuader l’opinion de l’existence d’un danger lié aux
biotechnologies végétales. À la fin des années 80, la possibilité de créer de
nouvelles plantes par le biais de la transgénèse végétale – c’est-à-dire
d’intégrer dans une espèce du matériel génétique qui n’aurait pas pu s’y
trouver par le biais de croisement interspécifique – a suscité l’interrogation
sur le « concept d’équivalence en substance » de celles-ci : un débat a été
lancé pour savoir si les « semenciers » pouvaient les mettre sur le marché
au même titre que les semences classiques et sans plus de précaution ?
En 2001, la création d’une directive européenne spécifique pour les
OGM résulte d’un moratoire de fait qui s’était produit à l’issue du blocage
de la technologie par plusieurs pays européens, dont la France. On peut
également la voir comme le résultat d’une controverse sur l’équivalence en
substance (un OGM peut-il être considéré comme l’équivalent des autres
plantes) qui aurait commencé dans les années 1990 avec l’apparition à cette
époque d’une première ébauche de directive. Dès cette époque, les
opposants à la technologie ont commencé d’inverser la charge de la preuve
et ont supposé a priori l’existence d’un risque avéré. En conséquence de
quoi ils ont réclamé l’application du principe de précaution. Comme nous
l’avons vu dans notre tout premier chapitre, dès 2010 un grand nombre
d’études menées par les agences sanitaires ont démontré l’absence de
risques liés au recours de cette innovation. Mais cela n’a eu aucun effet et il
n’en reste pas moins que depuis lors, l’opinion est persuadée de l’existence
d’une véritable dangerosité…
Or, c’est alors que les questionnements liés à la transgénèse semblaient
ne plus défrayer la chronique, en 2012, que les chercheuses Emmanuelle
[214]
Charpentier et Jennifer Doudna ont mis au point une nouvelle
technologie qui a permis un grand nombre d’améliorations, dont celle
d’accroître la précision de l’intervention sur le génome. La solution baptisée
[215]
CRISPR-Cas9 (« Crispeur Cas neuf ») qui utilise une propriété de
certaines bactéries pour « découper » des portions du génome et les
« remplacer » par d’autres qui auront été sélectionnées. Cette technologie
est tout de suite apparue comme un véritable miracle : « Instantanément les
laboratoires du monde entier s’emparent de cette chirurgie du gène, plus
précise, plus rapide, et surtout moins chère que les techniques d’édition
génomique classiques. Désormais, obtenir une souris transgénique ne
représente plus que deux mois de travail et quelques milliers d’euros de
matériel. Des chercheurs parviennent même à modifier la technique pour
que l’enzyme Cas9 ne coupe pas les gènes cibles, mais stimule son
expression, l’inhibe ou le remplace par un autre gène, transformant les
“ciseaux génétiques” en un véritable “couteau suisse génétique”. Un succès
tel que la revue Science considère Crispr-Cas9 comme l’une des plus
grandes percées scientifiques de l’année 2013 et comme l’innovation
[216]
scientifique de l’année 2015 .»
Comme nous l’avions démontré, la « Querelle des OGM » a pour
fondement une opposition idéologique entre deux visions de la Nature.
Ceux qui rejettent les biotechnologies végétales sont essentiellement
motivés par l’idée qu’il s’agit d’un « phénomène qui ne se produit pas dans
la nature ». Alors même que les protagonistes, eux, sont persuadés qu’ils
améliorent toujours plus leurs outils qui leur permettent de connaître et
donc de modifier le vivant, les opposants, eux, veulent sortir ces
modifications de l’ensemble des êtres qui répondent à leur définition du
concept de Nature. Il y a bien deux visions qui s’affrontent : la première,
celle des « anti », rejette l’intervention de l’homme et ne considère comme
« naturels » que les êtres issus du transfert vertical de l’information
génétique, c’est-à-dire les êtres issus de la reproduction. Les « pro », eux,
ont une vision plus large qui intègre également les êtres issus du transfert
horizontal de l’information génétique (qu’il soit induit ou spontané) et
incluent toutes les manipulations du génome : selon eux, il existe un
véritable continuum entre les possibles du vivant et les modifications
biotechnologiques. Par ailleurs les premiers s’appuient sur leur vision
restreinte pour émettent un paralogisme : « Tous les êtres naturels sont
[217]
bons », « Les OGM ne sont pas naturels », « Les OGM ne sont pas
bons ». Or ce raisonnement vrai en apparence est une pétition de principe
qui ne repose sur rien de scientifique et ne se fonde que sur des croyances
non étayées. En effet, seule une étude au cas par cas peut déterminer les
propriétés d’une semence donnée, et, il n’est pas possible de ce fait, de
s’appuyer uniquement sur son mode d’obtention.
De ces reproches faits aux OGM est née la Directive 2001/18,
fortement critiquée par les pro OGM. Dans une publication datée de 2016,
Agnès Ricroch, Klaus Ammann et Marcel Kuntz en appelaient à modifier la
législation de l’UE pour l’adapter à l’édition (ou réécriture) des génomes,
sachant que celle-ci était devenue totalement obsolète : « La réglementation
européenne en matière de biotechnologie est basée sur le procédé technique
d’amélioration génétique d’un organisme (variété végétale par exemple),
plutôt que sur les propriétés de l’organisme lui-même (le phénotype). De
plus, une seule technique est concernée : la transgénèse. Notre publication
montre que cette réglementation déconnectée des réalités a joué un rôle
majeur dans le blocage des “OGM” (organismes génétiquement modifiés),
alors que tel n’était pas son but initial, et qu’elle est aujourd’hui obsolète. »
Les auteurs affirment alors que les nouvelles biotechnologies vont subir le
même sort. « L’Union européenne (UE) s’est politiquement enfoncée dans
son principe de précaution mal interprété et est incapable d’aborder
positivement la question des nouvelles biotechnologies (édition ou
réécriture du génome) et le génie génétique en général. » Ce qui devrait
avoir pour effet de bloquer totalement le développement des nouvelles
biotechnologies. En conclusion, ils en appellent plutôt à la mise en place
d’une évaluation des risques réels : « une méthode opérationnelle simple,
qui se concentre sur le phénotype d’une nouvelle variété au lieu de la
méthode utilisée pour la générer. (…) Ce système devra évaluer les risques
réels et non pas surévaluer les risques perçus des variétés qui sont tombées
dans le cadre réglementaire des « OGM ».
Dans le cadre de la querelle des OGM, on pouvait comprendre les
réticences de certains – restés attachés à une forme de sacralisation du
vivant – à l’égard de la transgénèse qui se jouait de la barrière des espèces
pour accélérer les modifications ; avec CRISPR-Cas9 qui instaure l’ère des
NBT, on dispose d’une technologie qui permet d’obtenir des résultats
rapides en ayant simplement une bonne connaissance du génome des
organismes qu’on veut modifier.
Autrement dit, on lève la suspicion principale des opposants aux
biotechnologies végétales. Il n’est plus besoin de « violer » la barrière des
espèces pour modifier le génome. Cet argument est fondamental même s’il
est un peu technique, il permet de voir comment, les NBT ont évolué pour
[218]
devenir finalement compatibles avec la vision des anti OGM : à partir
du moment où on peut modifier le vivant sans toucher à la barrière des
espèces, il n’y a plus de raison valable de s’opposer, même si, comme on le
sait, ce n’est pas l’option que retiendra la Cour de Justice Européenne en
proposant une nouvelle directive pour légiférer sur la Mutagenèse
[219]
ciblée .
Aussi les protagonistes sont extrêmement enthousiastes à ce sujet, car
ils voient tomber un obstacle qui a causé énormément de dégâts dans leur
secteur en bloquant systématiquement la recherche et le développement,
même si une fois de plus ils regrettent que l’Europe soit à la traîne, comme
l’affirme le directeur de recherche au CNRS, Marcel Kuntz : “Dans une
publication à paraître, nous avons examiné tous les brevets décrivant des
inventions impliquant un système CRISPR (CAS 9 ou autres “ciseaux
moléculaires”). Ce paysage mondial des brevets CRISPR montre que la
technologie, en constante amélioration, permet une diversité d’applications
potentielles (médicales, industrielles, agricoles). Les acteurs sont aussi bien
publics que privés. Les laboratoires américains restent les chefs de file en
matière d’améliorations techniques et dans le secteur des applications
médicales. Cependant, la Chine est maintenant en tête dans les secteurs
industriels et agricoles (végétales et animales) et dans le nombre total de
brevets par an. (…) Chose frappante, dans tous les secteurs, le nombre de
brevets CRISPR provenant d’Europe est très inférieur à ceux des États-Unis
et de la Chine. Nous suggérons que la faible position de l’Europe est due à
la querelle, jamais maîtrisée, sur les OGM sur ce continent, et aussi à une
réticence “culturelle” à déposer des brevets. Cette tendance s’observe
également pour les brevets liés aux aspects sanitaires (qui n’est pourtant pas
un domaine biotechnologique controversé comme l’agriculture).”
Comprenons bien, cette innovation devrait rendre caduque
l’opposition : « Les OGM ne sont pas naturels » en levant tous les
présupposés négatifs des opposants à l’égard de cette technologie. Hélas
quand on voit la réaction de la CJUE, ou encore celle du Conseil d’État qui
a récemment décidé de classer les nouvelles techniques de réalisation
d’OGM dans la réglementation OGM 2001/18, on reste pour le moins
circonspect. Ce, d’autant plus, que jusqu’à présent nous n’avons évoqué que
les modifications des semences, alors que CRISPR permet désormais des
modifications très prometteuses sur l’ensemble du vivant et il nous faudrait
consacrer un autre chapitre aux applications des NBT au secteur médical.

18. L’agriculture plus smart que l’agri-bashing

L’agri-bashing – ou le dénigrement systématique de l’agriculture


raisonnée – étant un des piliers de l’écologisme, l’agriculture a subi plus
que n’importe quel autre secteur d’activité les attaques répétées des ONG.
Aussi, il est plus que jamais nécessaire pour les agriculteurs de trouver un
moyen de rassurer l’opinion en se présentant sous un nouveau jour. En prise
directe avec l’environnement qu’il ne cesse de manipuler dans l’optique de
nourrir l’humanité, l’agriculteur doit montrer patte blanche plus que
quiconque. C’est dans ce cadre qu’intervient la smart-agriculture ou, en
Français, agriculture intelligente, qui promet de nourrir une humanité
toujours plus nombreuse tout en apportant des solutions qui permettent de
répondre aux exigences de durabilité et d’une utilisation plus parcimonieuse
des ressources.
Il faut dire que l’opposition entre le productivisme agricole et la
conservation de l’environnement est un pivot du débat entre techno-
évangélistes et Bio-Catastrophistes. Ainsi dans l’ouvrage Le Magicien et le
[220]
Prophète , Charles C. Mann expose la controverse implicite entre deux
visionnaires à l’origine de deux courants de pensée diamétralement
opposés : William Vogt et Norman Borlaug. Chacun propose une
conception différente de la manière dont il faut pratiquer l’agriculture en
vue de nourrir l’humanité.
Né en 1902, William Vogt est un écologue et ornithologue américain.
On retiendra deux faits marquants dans le portrait très détaillé qu’en dresse
Mann : sa mission en Amérique latine pour observer le phénomène de la
raréfaction des oiseaux qui sont à l’origine du guano (un fertilisant naturel,
très prisé à l’époque) et la parution de son best-seller Road to survival, dans
lequel il exprime ses craintes sur les risques de surpopulation sur Terre.
D’après C. Mann, cet ouvrage fut la source d’inspiration du mouvement
environnementaliste. Il aurait inspiré Rachel Carson pour son Silent Spring
et Paul Ehrlich pour l’également très célèbre The Population Bomb.
L’historien Allan Chase commentant l’ouvrage de Vogt affirme que
« chaque argument, chaque concept, chaque recommandation faite dans la
Route vers la survie deviendront intègres pour la sagesse conventionnelle
[221]
de la génération post Hiroshima des citoyens américains éduqués ».
Dans cet ouvrage, Vogt s’en prend violemment au capitalisme et à la libre
entreprise. Il y fait également une inversion de l’usage fait du terme
« environnement » qui ne signifie pas « les facteurs naturels extérieurs qui
affectent les humains », mais « les facteurs naturels extérieurs qui sont
affectés par les humains ». Il utilise un concept fondamental, « la capacité
porteuse » (The Carrying Capacity) qui définit en écologie « la taille
maximale de la population d’un organisme qu’un milieu donné peut
supporter ».
Ce concept s’exprime aujourd’hui sous la forme des limites planétaires
(planetary boundaries) ou limites à l’intérieur desquelles, l’humanité peut
œuvrer facilement : « utilisation de trop d’eau », « mettre trop de nitrate et
de phosphore d’engrais dans la terre », « épuiser la couche d’ozone dans la
stratosphère », « changer l’acidité des océans », « utiliser trop de terre pour
l’agriculture », « faire disparaître les espèces trop rapidement », « mettre
trop de produits chimiques dans les écosystèmes », « polluer l’air
ambiant », et « relâcher trop de carbone de dioxyde dans l’atmosphère ».
Comme le souligne C. Mann, Vogt croyait qu’une vie humble, centrée sur le
local, orientée vers la vie en communauté était une conséquence logique de
la reconnaissance des limites environnementales (la nécessité de respecter
la capacité porteuse globale) et humaines (le manque de connaissances sur
les interactions écologiques).
À l’opposé des principes de Vogt, on trouve donc le célèbre agronome
américain Norman Ernest Borlaug. Né dans l’Iowa en 1914, celui que l’on
considère comme le père de la Green Revolution (ou deuxième révolution
agricole) a reçu le prix Nobel de la paix en 1970. D’aucuns disent qu’il a
sauvé à lui seul plus d’un milliard de vies. Aussi, C. Mann en fait le
magicien de son ouvrage. Et comme il l’expose magnifiquement, la mission
que va s’assigner Borlaug tout au long de sa carrière est celle de la
pathologie des plantes qui est une vision totalement différente de celle que
s’est fixée un Vogt ou un Aldo Leopold, par exemple, puisqu’il s’agit de
« se débarrasser des ravageurs et des maladies qui entravent les besoins
humains ». Et pour l’auteur « alors que l’écologie de Vogt était un exercice
d’humilité et de limites, la pathologie des plantes selon Borlaug était une
méthodologie d’extension. Isoler le sujet d’étude, répéter l’expérience à
volonté et ensuite pousser le résultat aussi loin que possible… »
Pendant des années, ce véritable héros de l’agriculture moderne
procéda par essais et erreurs dans la banlieue de Mexico, en s’appuyant sur
le programme de financement mis en place par la fondation Rockefeller qui
souhaitait venir en aide aux plus démunis dans cette région sinistrée. Ainsi,
dans une lettre à son épouse, Borlaug écrit : « Ces endroits que j’ai vus
m’ont frappé – ils sont si pauvres et déprimés. La terre manque tellement de
force ; les plantes ont peine à exister. Elles ne poussent pas vraiment elles
essayent juste de survivre. Le niveau d’approvisionnement dans la terre est
si faible que les blés ne produisent que quelques graines… Peux-tu
imaginer un pauvre Mexicain se démenant pour réussir à alimenter sa
famille ? Je ne sais pas ce que nous devons faire pour les aider. » On
rappellera que Borlaug, lui-même, était issu d’une famille pauvre. Aussi,
alors qu’un Vogt a analysé le problème en se disant que la détérioration de
l’environnement par l’homme était le problème, Borlaug, lui, s’est
concentré sur les méthodes des agriculteurs. Après de nombreux essais et
erreurs, il a fini par réussir à sélectionner une variété de blé résistant à la
maladie de la rouille noire (Puccinia Graminis) qui décimait les plantations
locales. Cette variété en plus d’être résistante – fait unique et nouveau –
pouvait pousser dans tous les environnements.
Comme l’explique C. Mann par la suite, la méthode Borlaug se
transposerait sous forme d’un package comprenant trois éléments
fondamentaux : « la semence, l’intrant et l’eau » ce qu’il compare aux
antibiotiques arrivés dans les cabinets médicaux après la guerre : « Une
entité, produite par des scientifiques vivant à distance, dont la magie
pouvait fonctionner partout, à n’importe quel temps, aussi efficace pour se
débarrasser d’une bactérie en Irlande qu’en Indonésie. Borlaug pouvait
proposer son package blé à n’importe quel endroit du globe. » Bien
évidemment il y aurait des ajustements à faire en fonction des régions où
l’on proposerait le package, mais l’idée était bien de fournir une solution
clés en main. C’est en 1968 qu’un représentant officiel américain a employé
le terme de « Green révolution » et Borlaug a obtenu le prix Nobel en 1970
pour ses travaux. Selon C. Mann, qu’il s’agisse de Borlaug ou de Vogt, les
deux hommes vouaient une foi absolue en la science. Mais l’un en appelait
à produire moins, alors que l’autre avait l’espoir de davantage de
production.
The Wizard and the Prophet est un ouvrage remarquable en ce sens
qu’il propose une comparaison entre deux visions du monde qui continuent
de s’opposer aujourd’hui et se trouvent au cœur de tous les débats. La
problématique posée dans l’ouvrage nous invite à une réflexion plus
profonde sur les solutions contemporaines que propose aujourd’hui la
technologie pour répondre aux exigences posées par l’un et par l’autre et
voir s’il n’y a pas un moyen de les faire se rapprocher sur certains points. Et
si nous avons tenu à faire cette longue digression à propos de cet ouvrage,
c’est qu’il pose parfaitement le cadre de réflexion par rapport à l’avenir de
l’agriculture et notamment ce concept qui, bien que déjà ancien, a toujours
du mal à émerger en Europe : l’agriculture de précision.
Il semble donc pertinent de creuser le débat en montrant comment
cette « agriculture intelligente » peut faire en sorte que « les héritiers de la
méthode Borlaug » puissent répondre à certaines exigences définies par
Vogt en tenant davantage compte des limites. De nombreuses technologies
ont ainsi été développées pour que l’agriculture soit plus économe en eau,
prête davantage attention aux sols, améliore les plantes plus facilement avec
des variétés à la fois issues des NBT et plus adaptées au niveau local et
soient moins gourmande en intrants… Et contrairement à la critique de
C. Mann sur la méthode de Borlaug, elle développe désormais des solutions
pour inclure davantage les acteurs (agriculteurs ou même consommateurs).
Bref, toutes les « exigences » que l’on pourrait retrouver dans la liste des
limites édictées par Vogt, sauf une, bien évidemment, qui relève de
l’idéologie : celle qui voudrait qu’on limite la population. Sur ce sujet, il
semble hélas impossible de réconcilier les deux hommes.
Il n’en reste pas moins qu’ayant dit cela nous n’avons résolu aucun
problème et chaque agriculteur devrait pouvoir choisir librement son mode
de culture. Dans un préambule à la Querelle des OGM, nous avions imaginé
l’Exception Culturale, une sorte de dystopie dans laquelle nous imaginions
que les agriculteurs français pouvaient choisir de ne pas développer les
OGM et revenaient aux méthodes anciennes de culture, ce qui impliquait un
exode urbain, par opposition à l’exode rural… c’est exactement ce que
proposent certains décroissants qui incitent les citadins à retourner à la
campagne pour travailler la terre de leurs mains. Ce scénario est
parfaitement envisageable, et pourquoi pas s’il relève d’un choix de société
de la part de tous les acteurs concernés et pas seulement des idéologues qui
le soutiennent. Il doit en revanche être effectué en conscience des difficultés
à l’encontre desquelles les candidats vont devoir se frotter. Les courageux
ne manquent pas comme le démontre le système mis en place par Pierre
[222]
Rabhi ou encore les saisonniers qui se sont mobilisé récemment pour
[223]
éviter les pertes de récolte à la suite du Covid, même si certains n’ont
[224]
pas manqué de remarquer la pénibilité des tâches . Pourtant la question
du choix du système agricole de demain est cruciale. Sachant qu’il existe un
nouveau mode d’agriculture plus intelligent (entendez plus respectueux de
l’environnement) devons-nous retourner aux champs et pratiquer
l’agriculture de nos grands-parents comme l’appelait récemment encore un
[225]
ministre de l’agriculture ou devons-nous faire le choix de moderniser
par tous les moyens existants et à venir celle-ci, sachant qu’il existe une
véritable effervescence mondiale à ce sujet comme nous allons le voir.
Cette campagne rêvée d’autrefois se trouve hélas bien à l’opposé du
flot d’innovations technologiques qui est en train de se déverser sur le
secteur de l’Agriculture Intelligente. Répondant à une interview pour
EuropeanScientist, l’expert français du secteur, Guy Waksman affirme :
« Au niveau mondial, si nous nous fiions à AgFunders, un grand spécialiste
des investissements dans les “AgriFood Tech startups” aux USA,
intervenant de l’amont à l’aval du secteur agricole, jusqu’à la
transformation, et l’assiette du consommateur à son domicile ou au
restaurant, ce sont presque 17 milliards $ US qui ont été investis. (…) En
France, sur 5 ans 595 millions € ont été investis dans des start ups agricoles.
(…) Au niveau européen, on estime qu’en 2018 les “Agri-Food Tech start-
ups” ont levé entre 750 millions € et un milliard €, en baisse cependant de
40 % par rapport à 2017. On remarquera également la dynamique d’un pays
comme Israël. Les “Agri-Food Tech start-ups” ont levé 759 millions d’US $
[226]
sur 5 ans dans un écosystème composé de près de 700 sociétés. » Fait
important également : les pays en développement sont en plein boom : « En
Afrique le consortium “Afrique goes digital” regroupe plus de trente start-
ups dont plusieurs s’intéressent à l’agriculture. Au Nigeria, comme au
Ghana (comme en Afrique francophone), les start-ups se développent et
quatorze d’entre elles (sélectionnées parmi 70 sociétés) » Mais pour que le
lecteur comprenne de quoi il s’agit, voici trois exemples concrets qui
touchent tous les maillons de la chaîne de l’agro-industrie et pas seulement
l’agriculture.
Toast Ale, l’un des lauréats de la 15e édition de FoodBytes
[227]
SF 2019 un concours d’entrepreneurs qui réunit des startups autour de
trois grandes catégories : « technologie agroalimentaire, produits de
consommation durables et le choix du public ». Choisie grâce à des votes
Facebook, cette start up qui utilise les stocks invendus de pains pour les
redistribuer aux brasseurs, a attiré l’attention des non-spécialistes par son
engagement et sa technologie. Sur le site de l’entreprise, on trouve quelques
rappels qui situent bien le problème : un tiers des aliments que nous
produisons sont gaspillés : « Le pain figure en tête de la liste des produits
alimentaires les plus gaspillés. Au Royaume-Uni, jusqu’à 44 % ne sont
jamais consommés. Chez nous, nous gaspillons près de 900 000 tonnes
chaque année, soit environ 24 millions de tranches par jour. » Pour lutter
contre le gaspillage, on peut redistribuer aux nécessiteux ou composter. Et
désormais il y a cette solution proposée par Toast Ale : identifier les sources
de « surplus » dans les boulangeries et livrer les tranches de pain aux
brasseurs. Notons que si le projet entrepreneurial se veut mondial, les
brasseries, elles, ainsi que les dépôts de pain sont locaux. Enfin l’entreprise
reverse ses bénéfices aux ONG qui s’engagent contre le gaspillage.
L’indien Krishna Kumar à l’origine de la société Cropin fait le constat
que : « La population mondiale devrait franchir la barre des 10 milliards
d’ici le milieu du siècle et son impact conjugué avec l’urbanisation et
l’essor de la classe moyenne ne peut que créer une demande accrue
d’aliments sains, produits de manière équitable et durable… cela
nécessitera de doubler la production actuelle. Pour atteindre cet objectif, les
solutions de l’agriculture intelligentes pourraient s’avérer utiles en
optimisant les pratiques agricoles, en minimisant les déchets, en
développant la résilience au climat et en fournissant des conseils agricoles
en temps voulu. » Aussi Krishna Kumar a eu l’idée de Cropin lors de la
crise agraire qui menaçait dans les zones rurales du Karnataka en 2010. Les
agriculteurs locaux étaient confrontés à « toute une gamme de problèmes
allant de la non-disponibilité des ressources financières aux aléas
climatiques, dégradation des sols, infestation par des ravageurs et maladies,
inefficacité opérationnelle et absence de prévisibilité des rendements ». La
solution qu’il propose alors est de fournir des services SaaS aux
agriculteurs. Grâce à ces outils d’aide à la décision, les fermiers peuvent
faire de meilleures prévisions. Ces solutions intelligentes permettent aux
agriculteurs d’archiver des modèles et de prévoir des tendances… Bref ils
optimisent la rentabilité et la durabilité de leurs cultures tout en gagnant
convenablement leur vie (rappelons qu’en Inde, les suicides d’agriculteurs
sont particulièrement nombreux).
Un pan essentiel de l’agriculture de précision repose sur l’optimisation
des ressources précieuses. Telaqua, est une société française qui propose
une technologie intelligente, qui permet aux agriculteurs de « piloter leur
irrigation à distance, de surveiller leur installation et d’augmenter leurs
rendements ». À l’aide d’un smartphone, l’agriculteur peut piloter
l’irrigation de ses parcelles, gérer son calendrier et adapter son irrigation en
fonction de l’humidité du sol. Comme le rappellent les initiateurs de ce
projet, l’agriculture représente 70 % de la dépense mondiale d’eau : « En
agriculture, l’eau est une ressource vitale et indispensable à laquelle vient
s’ajouter une probable augmentation des restrictions des volumes d’eau
alloués à ce domaine d’activité. L’irrigation est vitale pour répondre aux
besoins des différentes cultures (Blé, tomate, Soja, melon, etc.). Prise entre
la rareté de la ressource et la montée en puissance de l’agriculture
intensive » la question cruciale étant « Comment développer l’agriculture
ainsi que l’irrigation tout en économisant une ressource qui se raréfie ? »
Ce qui nous interpelle au travers de ces trois exemples, c’est que plus
l’industrie agroalimentaire, et l’agriculture de précision se développent,
plus elles adressent des problématiques qui jadis étaient des prérogatives
des associations caritatives et environnementales… lutter contre le
gaspillage, outiller les plus pauvres, épargner les ressources rares… Voici
trois causes qui devraient susciter l’admiration des ONG et dont elles
devraient faire la promotion plutôt que – comme le font la plupart d’entre-
elles – en appeler à davantage de frugalité ou un retour aux méthodes
passées.
Pour bien comprendre, voici les grands axes sur lesquels se positionne
l’agriculture de précision. Le rejet des pesticides par l’opinion publique est
sans doute l’une des premières causes l’agri-bashing. Faut-il rappeler qu’en
France, près de 8 personnes sur 10 réclament une interdiction immédiate du
glyphosate. Comme le rappelle une étude de prospective scientifique sur
l’agriculture de précision et l’avenir de l’agriculture en Europe, rédigée par
le Parlement européen, « Les méthodes de l’agriculture de précision
promettent d’augmenter la quantité et la qualité de la production agricole
tout en utilisant moins d’intrants (eau, énergie, engrais, pesticides, etc.).
L’objectif est de réaliser des économies de coûts, de réduire les incidences
sur l’environnement et de produire des aliments en plus grande quantité et
de meilleure qualité. »
Autre facteur important : depuis la Green Revolution, très souvent, les
agriculteurs se plaignent d’être dépendants des groupes de l’agro-industrie
et d’avoir perdu leur autonomie. Avec l’agriculture de précision,
contrairement à ce que certains laissent entendre, on a les moyens
d’impliquer également les agriculteurs dans l’effort de recherche. Ainsi,
comme l’affirme un industriel d’une grande marque de machines agricoles
européennes, « Les moissonneuses d’aujourd’hui sont des laboratoires
mobiles. Avec un GPS, elles peuvent être contrôlées avec une grande
précision et collecter simultanément une grande quantité de données sur les
plantes et le sol. » Mais cela se retrouve surtout au niveau de la collecte des
données comme l’explique Philippe Stoop, spécialiste de l’agriculture
intelligente : « La science participative, qui fait appel aux connaissances de
ses futurs utilisateurs et parties prenantes de la société civile, est une des
tendances fortes de la recherche actuelle. (…) L’agriculture connectée offre
l’opportunité unique aux agriculteurs de s’approprier les sujets de recherche
qui les concernent, en produisant par eux-mêmes des données aussi
intelligibles pour eux que pour les chercheurs qui vont les exploiter. Au-
delà de ses effets sur le travail quotidien des agriculteurs, elle a donc un
grand potentiel pour rapprocher la recherche de leurs besoins, et permettre
aux politiques de mieux comprendre leurs pratiques. C’est à cette condition
que l’agriculture pourra répondre aux nombreuses attentes de la société à
son égard. »
Également pour faciliter les échanges ou encore sécuriser un système
d’approvisionnement ou un cadastre… On compte d’ores et déjà un nombre
considérable d’innovations de la blockchain dans le secteur agroalimentaire
et les promesses à venir sont plus qu’encourageantes.
Laissons la parole aux agriculteurs pour conclure, car ce sont eux qui
sont les mieux à même de parler de ce secteur. D’autant plus que
l’agriculture intelligente a également ses évangélistes. Ainsi Denis Fumery,
véritable passionné de Smart-agriculture, anime également Rencontre Ville-
Campagne, une association francilienne qui rend visite aux écoliers et aux
enseignants pour leur faire connaître la vie d’un agriculteur : « Les
agriculteurs d’Île-de-France sont plus que partout ailleurs confrontés à la
méconnaissance de leur métier. Tous font face à une forte pression urbaine.
Pour rééquilibrer les choses, il faut continuer à expliquer ce que nous
faisons et pourquoi » explique-t-il dans un article intitulé « L’agriculture
[228]
n’est pas un problème, c’est une solution ». Lors de ces séances, il
insiste toujours sur la modernité de l’agriculture : « Ces échanges sont
l’occasion de parler des enjeux agricoles de demain. Par sa fonction
nourricière, l’agriculture est un métier d’avenir : la planète compte 240 000
habitants de plus chaque jour (…) L’agriculture est liée au sol, à sa région,
au climat. Tout naturellement, dans mes interventions, je parle d’histoire et
de géographie, d’environnement, de maths, de géométrie et d’économie.
L’agriculture est une matière vivante : on a oublié que si la Révolution
française a eu lieu, c’est en partie parce que la France connaissait des
mauvaises récoltes à répétition. En juillet, les greniers étaient vides et les
Français avaient faim. Aujourd’hui, si on ne parle plus de famine, c’est
grâce à un gros travail du monde agricole. Il ne faut pas avoir honte de
[229]
mettre en valeur le travail accompli. » Dans une vidéo , il parle de
l’agriculture de précision avec les nouveaux outils qui sont arrivés pour
cartographier nos terres, nos sols, nos plantes… L’agriculture de précision
fait qu’on a un raisonnement agronomique pour cultiver les plantes et
limiter certains intrants et cultiver le minima pour le maxima ».
Rémi Dumery, un autre smart-agro évangéliste, dans une tribune du
Parisien, pose le problème de la confiance des consommateurs envers
l’agriculture : « Si 74 % des Français pensent que les consommateurs
peuvent avoir confiance dans les agriculteurs, seuls 53 % les jugent
respectueux de l’environnement. » Cette différence montre à quel point
l’opinion méjuge ces professionnels, car dans l’immense majorité, ils ont
« des pratiques agricoles responsables » aussi pour régler ce problème il
évoque la solution de la blockchain : « Avec la numérisation, l’agriculture
connaît sa troisième révolution. Il est impératif de faire comprendre en quoi
cette transformation résout les problèmes laissés en jachère par la
révolution verte. Quand la révolution verte a nourri l’humanité après-
guerre, celle-ci n’a pas posé de question. Aujourd’hui, elle veut savoir ce
qu’elle mange. C’est notamment possible via la blockchain, qui permet de
tracer un aliment sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Ce cahier
“public”, qui consigne toutes les informations sur un produit, est totalement
infalsifiable et fournit une garantie inégalée. Grâce à une solution
développée par l’ONG World Wildlife Fund, par exemple, on peut s’assurer
que les poissons sont issus de la pêche responsable. Autre possibilité :
garantir la fraîcheur des produits et éviter les pertes de marchandise dues au
[230]
gaspillage grâce à l’info en temps réel des distributeurs .»
Il ne fait aucun doute que les agriculteurs sont au premier plan pour
renouer avec la confiance perdue et persuader l’opinion que l’agriculture
intelligente, loin d’être en opposition avec la nature, est capable d’être aussi
respectueuse de l’environnement que l’agriculture souvent rêvée de grand-
papa. Heureusement ils sont tous les jours plus nombreux sur les médias
sociaux pour vulgariser et expliquer ce qu’ils font dans les champs et
pourquoi. Une bonne façon de renouer avec la confiance perdue des
consommateurs et des citadins.

19. L’IA au service de l’humanité et non l’inverse

Du côté de l’industrie nucléaire, des NBT, de l’agriculture de


précision, comme on vient de le voir, des efforts considérables sont faits
pour démontrer que l’innovation scientifique et technique s’inscrit dans une
problématique environnementale et ne s’opposent en rien à ce que certains
appellent la nature ou l’environnement. Le public peut être rassuré. Les
innovateurs montrent patte blanche. Pour renouer avec la confiance, il
faudra encore bien communiquer sur ces sujets et se faire comprendre. Car
il existe une quantité d’a priori, et, comme nous l’avions vu dans la
première partie, un énorme travail de sape avait été effectué par les ONG.
Certes, l’Intelligence Artificielle ne souffre pas du même déficit de
sympathie dans le cœur de l’opinion. On parlera davantage de sentiment
mitigé. Il suffit pour en juger de s’appuyer sur une étude réalisée par
[231]
l’Université de Madrid qui montre que sur 25 000 européens interrogés,
[232]
environ un sur quatre, serait prêt à se laisser gouverner par une IA . Les
sondés qui ont répondu favorablement s’imaginent « un outil pragmatique,
imperméable aux magouilles et à la corruption ». À cela s’ajoutent les
options que permettraient le Machine Learning : en effet, l’IA décrite serait
en mesure de s’améliorer en étudiant et sélectionnant les meilleures
décisions politiques au monde… Elle serait alors en mesure de prendre de
meilleures décisions que les politiques en place. Même si la proportion de
« votants » favorables à une IA politique n’est pas énorme, on voit que la
raison invoquée par ceux qui la choisissent est la morale et la capacité à
faire des choix compliqués. Et pourtant ce blanc-seing ne coule pas de
source. Et l’homme pourrait avoir quelques raisons de s’inquiéter de cet
avenir.
Selon l’historien israélien Yuval Noah Harari dans son best-seller
Homo-deus, les transpositions des découvertes scientifiques récentes dans la
vie quotidienne menacent les « institutions politiques » issues de l’Esprit de
Lumières. D’après lui, ce n’est pas par des concepts philosophiques que les
idéaux du libéralisme politique sont menacés, mais par des applications
technologiques bien concrètes qui vont limiter nos libertés individuelles.
Parce que « nous sommes sur le point de faire face à un déluge d’outils
extrêmement utiles, outils et structure qui n’autorisent pas l’expression de la
libre volonté des individus. » La question qu’il se pose alors est : « La
démocratie et le marché résisteront-ils à cette invasion ? » L’auteur est en
effet persuadé que les algorithmes vont devenir tellement prégnants et
sophistiqués qu’ils prendront l’ascendant sur l’humanité et contrôleront
l’ensemble de nos faits et gestes. Thèse qui va à l’encontre des idéaux de la
philosophie des Lumières, bien évidemment.
Voici le détail de son raisonnement : l’homme est un algorithme ; les
calculs algorithmiques restent indifférents aux matériaux des supports qui
les effectuent ; on a donc toutes les bonnes raisons de penser qu’un jour des
algorithmes non organiques seront à même de répliquer, voire, de surpasser
les algorithmes organiques. Après avoir posé ces trois principes, l’auteur du
best-seller Sapiens affirme : « Vrai, il y a de nombreuses choses que les
algorithmes non organiques font mieux que les algorithmes organiques, et
les experts ont déclaré de manière répétitive qu’il resterait pour toujours
hors d’atteinte des algorithmes non organiques. Mais il s’avère que le “à
jamais” “veut souvent dire pas plus qu’une décade ou deux.” » Harari prend
l’exemple de la reconnaissance faciale qui a souvent été citée, pour montrer
que même les bébés s’en sortaient mieux que les puissants ordinateurs ; or il
existe aujourd’hui des programmes de reconnaissance faciale qui sont plus
efficaces et plus rapides que n’importe quel humain. Et l’auteur du best-
seller Homo Sapiens d’enchaîner les exemples de domaines ou l’IA
surpasse l’homme, des jeux à la gestion de fortune en passant par le sport,
la médecine, le droit…. Aucun secteur ne sera épargné, et il va même
jusqu’à imaginer des algorithmes prenant eux-mêmes les décisions au sein
de comités de direction d’entreprises tentaculaires pour employer, manager
et licencier des hommes. Pour appuyer son raisonnement, il fait référence
aux travaux de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, deux chercheurs
d’Oxford, qui, en 2013, dans l’ouvrage The future of employment
affirmaient que 47 % des jobs US étaient susceptibles d’être remplacés par
une intelligence artificielle dans les vingt années qui viennent. Le prof de
philo qui se croyait encore épargné jusque-là se fait désormais du souci
pour son avenir professionnel.
À cette question récurrente de la supériorité de la machine qui prend la
place de l’homme s’ajoute celle de l’Intelligence Artificielle militaire. On
se rappellera qu’en 2015, plus de 1 000 experts en robotique et en IA
avaient signé une lettre pour alerter sur le développement des armes
autonomes, susceptibles d’ôter la vie. Des personnalités telles qu’Elon
Musk, Noam Chomsky ou encore Stephen Hawking s’étaient engagées pour
cette cause. Très récemment, Google a également montré sa grande
considération pour le problème en abandonnant le développement du Projet
[233]
Maven , une solution de reconnaissance faciale en collaboration avec le
Pentagon. Bien évidemment les applications de l’IA dans le domaine de
l’armement sont incomparablement plus effrayantes que celles évoquées
dans le domaine de l’enseignement et on aura moins peur d’un robot
enseignant la « guerre juste » que celui qui la fera.
Mais cela ne nous empêche d’avoir une réflexion un peu plus profonde
et de constater que les deux types d’applications sont fascinants, suscitant
également un mélange de peur et d’admiration. Les machines vont prendre
nos emplois. Elles vont devenir incontrôlables. Il y a deux angoisses
fondamentales qui sont liées l’une à l’autre. Mais en deçà de la perte
d’emploi, ou de la crainte suscitée par une arme de destruction surpuissante,
se trouve une autre peur plus fondamentale. Celle de porter à l’existence un
être totalement libre et qui pourrait un jour échapper à notre contrôle.
Imaginez un robot philosophe qui pense par lui-même et dépasse le résultat
de notre programmation en s’émancipant de celle-ci. Ou un robot tueur qui
échappe à son maître et rompt l’algorithme qui l’oblige à respecter les lois
d’Asimov. On le voit, c’est la question de l’absence de maîtrise qui est ici
en jeu. Alors que la technologie nous a habitués à aller vers toujours plus de
maîtrise et de contrôle de la nature, nous en sommes arrivés à un stade où
nous nous posons la question de notre capacité à rester maître de nos
inventions. Ce questionnement nous renvoie au principe de précaution et
aux réflexions de Hans Jonas. Nous craignons que quelque chose ne nous
échappe. Si on revient à la thèse développée dans Homo Deus, selon Harari,
la thèse de l’absence de maîtrise finira par l’emporter : viendra un jour où
les algorithmes que nous avons créés prendront le pouvoir sur les
« algorithmes biologiques que nous sommes ». Mais n’y a-t-il pas une
contradiction ? En effet, comment des êtres non libres (c’est l’hypothèse
soutenue par Harari) pourraient-ils donner un jour naissance à des êtres qui
se libèrent d’eux ? La prémisse de l’absence de liberté posée par l’auteur
n’est-elle pas discutable ? Et au cas où, cette angoisse est-elle véritablement
fondée ? Rien n’est moins certain.
Pour répondre à cette question, il nous faut revenir à quelques
fondamentaux, puisque les discussions sur le sujet ont commencé dans les
années 1950 avec l’article d’Alan Turing qui se demandait si « Les
machines peuvent penser » et proposait un test pour tenter de répondre à
[234]
cette question . Selon lui, les machines pourront un jour penser par
elles-mêmes et, contrairement à l’affirmation selon laquelle elles ne se
limitent qu’à ce qu’on leur apprend, elles seront susceptibles de dépasser ce
stade de l’apprentissage. Notons que c’est dans les années 1960 qu’Herbert
Simon affirma : « Les machines seront capables, dans vingt ans, de réaliser
tout ce qu’un homme peut faire. »
Il est tautologique de soutenir que pour qu’une IA prenne le pouvoir, il
faut que ces prophéties se réalisent. Comme le souligne Gérard Berry : « Le
problème est que dans la plupart des discussions on prend grand soin de ne
pas définir le mot “intelligence”, l’arrangeant à la sauce de la discussion en
cours. Or ce mot est bien trop riche pour se laisser définir simplement (…)
quand j’entends des phrases comme “dans trente ans, la machine va être
plus intelligente que l’homme, ce sera la singularité”, je suis plus que
[235]
sceptique. » Cette remarque nous amène à nous poser la question de la
Singularité.
Ce concept, rappelons-le, suppose que l’avènement d’une intelligence
artificielle réellement autonome déclencherait un emballement de la
croissance technologique qui induirait des changements imprévisibles sur la
société humaine. Or si le nombre des transhumanistes ne cesse de croître,
on compte également de nombreux sceptiques. Le professeur Jean Gabriel
Ganascia, un autre expert du sujet est très critique à l’égard de ce concept
de Singularité et a même écrit un livre intitulé « Le mythe de la
[236]
Singularité ». Selon cet expert, ce temps unique dans l’histoire de
l’humanité n’est non seulement pas prêt de se produire, mais a en plus
toutes les chances de ne jamais advenir – n’en déplaise aux
transhumanistes. Il remarque de fortes similitudes entre les attentes de ce
moment et celles du retour du Christ au Moyen Age. « En 1993,
l’année 2023 laissait un délai de trente ans, ce qui donnait du temps ; en
2010, ce terme approchant, Ray Kurzweil s’offre alors un répit
supplémentaire, à nouveau d’un peu plus d’une trentaine d’années ce qui lui
évite d’avoir à donner des gages empiriques de ses affirmations. Tout se
passe comme au Moyen-Age, avec l’anticipation de la date de
l’apocalypse. » J.G. Ganascia énumère dans son ouvrage une quantité
d’arguments afin de démonter pièce par pièce la thèse qui est présentée par
beaucoup comme une éventualité. Pour ne prendre qu’un seul argument, il
identifie un obstacle de taille qui porte sur la loi de Moore, à laquelle font
souvent référence les protagonistes. Celle-ci, comme on sait suppose, que
les machines continuent de croître de manière continue et régulière
(doublement du nombre de transistors d’un circuit électronique à prix
constant tous les dix-huit mois ou tous les deux ans, doublement des
performances, de la rapidité ou de la capacité de stockage d’information à
un rythme équivalent…). Or selon ce professeur de l’université Pierre et
Marie Curie, « Il n’y a pas de lien direct entre la puissance de calcul des
machines et leur capacité à simuler l’intelligence. En conséquence, quand
bien même la loi de Moore resterait valide, ce qui est, nous l’avons vu, bien
hypothétique, cela ne conduirait pas inéluctablement à la création de
machines ultra-intelligentes… »
Nous n’avons donc nul besoin de paniquer. Y compris à la lecture de la
news selon laquelle, il existerait des robots philosophes. C’est le cas, par
[237]
exemple de Bina48 , un robot enseignant qui a déjà donné des cours de
niveau collège et a réussi à co-enseigner un cours à un niveau universitaire
sur la théorie de la « guerre juste ». L’expérience a été menée par
l’Académie militaire US à West Point. D’après William Barry, le professeur
en charge de cette expérience, il s’agissait de déterminer « si une
intelligence artificielle peut subvenir à un modèle d’enseignement de type
sciences humaines ». L’objectif était de voir si le robot en question était
susceptible d’améliorer la compréhension d’une centaine d’étudiants, ainsi
que de capter leur attention. Afin de préparer le cours, les deux professeurs
en charge l’ont alimenté avec des éléments sur l’éthique, la philosophie
politique, en plus du plan défini par le professeur Barry. Le robot avait pour
consigne de ne pas aller consulter Wikipédia ou l’Encyclopédie de
philosophie de Stanford. Quand il enseigne, Bina48 utilise ses
connaissances acquises et le plan de sa leçon. Si un étudiant a une question,
il est capable de lui répondre. D’après le professeur Barry : « avant la
classe, les cadets pensaient que ça allait être amusant ou un moment de
détente… mais ils ont été stupéfiés de constater qu’elle était capable de
répondre aux questions avec nuance. La partie intéressante étant que les
cadets prenaient des notes ». Malgré la sophistication de cette
démonstration, il semble bien que nous ne soyons toujours pas parvenus au
modèle du robot qui pense par lui-même, sorte de copie conforme d’un
Socrate ou d’un Descartes, qui après avoir fait table rase, aurait pris
conscience du fait qu’il ne peut pas faire qu’il ne pense pas et qui découvre
son Cogito.
Qu’il s’agisse du robot prof, du robot soldat ou du robot
président/dirigeant, on voit bien que ce qui inquiète dans le développement
de l’IA c’est la possible subordination de l’homme et voire, pourquoi pas,
son aliénation. Pour que l’homme ait confiance dans le développement de
cette intelligence supérieure, il ne faut pas qu’il craigne qu’elle lui prenne
son emploi, ou qu’elle finisse un jour par prendre la maîtrise de sa
destinée.... (Ce dont des auteurs comme Harari sont déjà persuadés)
Or même s’il semble bien qu’une conscience mondiale des dangers de
l’IA soit développée par exemple, pour ce qui regarde par exemple les
systèmes de surveillance d’armements sophistiqués, cela n’empêche pas de
[238]
voir des projets effrayants se développer. Le projet Eye in the Sky
s’impose comme un modèle du genre. Des chercheurs de l’Université de
Cambridge ont développé un algorithme qui permet d’identifier les
mouvements de types « attaques » ou « violence » en temps réel. Ainsi il est
possible de monter une caméra sur un DSS (Drone Surveillance System)
afin de surveiller les réactions d’une foule. Les chercheurs à l’origine de ce
projet veulent équiper les drones qui sont utilisés par les forces de l’ordre
pour faire de la surveillance. Comme ils l’expliquent, un système SHDL
(ScatterNet Hybrid Deep Learning) permet de comparer les situations
observées avec d’autres et ainsi détecter des scènes de violence. Il peut ainsi
reconnaître différentes figures telles qu’une strangulation, une frappe, un
coup de pied, un tir ou encore un coup de couteau. La précision du système
en question dans sa dernière mouture est de 89 %. À noter que celle-ci
décroît en fonction du nombre d’individus observés (plus celui-ci est élevé,
moins les observations sont précises). Pour l’instant, les expériences
réalisées (avec au minimum deux et au maximum 10 individus) ne
concernaient que des scènes jouées par des figurants. Répondant aux
[239]
questions du site TheRegister, Amarjot Singh , un des co-auteurs de
l’étude, affirme que : « Le système pourrait être utilisé pour identifier et
suivre des individus signalés par le gouvernement comme étant violents,
alors qu’ils ne le sont pas véritablement (…) le créateur du système final
décide de ce qui est “violent”, ce qui est, je pense, un problème. » Il
reconnaît qu’il est tout à fait possible d’utiliser ce genre de système pour en
faire un mauvais usage, mais précise que le développement nécessite une
quantité énorme de données et des connaissances poussées en
programmation et espère qu’une surveillance sera mise en place pour
empêcher l’utilisation abusive de cette technologie. Il a prévu
d’expérimenter le projet prochainement lors de deux festivals de musique et
également pour surveiller les frontières nationales de l’Inde. Si les résultats
sont concluants, il espère pouvoir commercialiser son dispositif de
surveillance. Mais ce qui pouvait encore faire penser il y a quelques années
à un épisode de Black Mirror, la célèbre série d’anticipation diffusée sur
Netflix est désormais réalité.
Dans un genre encore plus effrayant, on trouve le projet de crédit
social du gouvernement chinois. Testé depuis 2014 au stade expérimental, il
était prévu d’entrer officiellement en fonction en 2020. Sesame Credit, c’est
son nom, a été développé par le géant Tencent et il permet aux citoyens de
cumuler les bons ou les mauvais points en fonction de leurs comportements
sociaux, un peu sur l’inspiration du « Credit Score US » qui note les
citoyens en fonction de leurs tendances à rembourser ou non les crédits. Un
système de Gamification, permet aux individus, s’ils se comportent bien,
d’avoir des crédits supplémentaires qu’ils peuvent dépenser et d’être
récompensés. A contrario, ceux qui adopteront une attitude déviante par
rapport aux attentes stipulées par la doctrine du gouvernement en place,
verront leur score diminuer ; par exemple, ils seront sanctionnés en
obtenant de moins bonnes places dans les transports ou aux concerts, etc.
Les concepteurs affirment pouvoir améliorer l’économie de marché. Une
application orwelienne qui n’a pas manqué de faire réagir les associations
de défense des droits de l’homme, ces dernières y voyant une manière de
contrôler davantage les populations. Les patriotes qui vanteront les qualités
du régime seront récompensés tandis que les citoyens qui n’iront pas dans
le sens du pouvoir en place seront désavantagés. On réalise alors que cet
ensemble hybride qui relève à la fois du moyen de paiement et de la
monnaie (on se sert de sa réputation comme d’une valeur d’échange) vise
davantage le contrôle de la population par l’État que la libération du
marché.
Reconnaissons-le, l’IA prend une tournure effrayante. Après toutes ces
considérations, serions-nous toujours prêts à laisser notre avenir entre les
mains d’un président IA ? Admettons qu’un jour le concept de Singularité
voit le jour. Serait-ce alors souhaitable que nous soyons gouvernés par cet
être surintelligent et conçu par les meilleurs cerveaux humains ? Certes, la
science-fiction nous propose quelques scénarios terrifiants : on pensera à
Hal 9000 l’IA qui prend le contrôle de la Mission Jupiter, ou encore Skynet,
l’IA qui opprime les humains dans le film Terminator, au point de vouloir
les éradiquer… À Hollywood, l’IA est forcément tyrannique. Mais on se
doute que l’histoire d’un gentil robot adulé de ses « sujets » ne ferait pas un
bon scénario de Sci-Fi. Pourtant c’est bien la question qui nous est posée.
Or, force est de reconnaître qu’une part de la fascination à l’égard de
l’IA est liée à la perte de pouvoir. On a peur de libérer dans la nature une
force qui nous échappe : le robot-soldat qui n’obéit plus aux ordres ; le
robot-philosophe qui se met à penser par lui-même ; et donc il nous faut
imaginer un robot président capable de prendre, lui aussi, des décisions qui
lui sont propres et qui nous échapperaient. Il pourrait agir à sa guise pour
nos intérêts et, pourquoi pas, puisqu’il serait autonome, contre nos intérêts.
Certes, en agissant ainsi, il contredirait les trois lois d’Asimov. Au regard de
ces quelques considérations, nous pensons qu’avant de fantasmer sur la
bonne ou la mauvaise gouvernance potentielle d’une IA, il y a une autre
question préalable à se poser : une IA pourrait-elle être susceptible
d’accomplir un acte politique ? À commencer par voter, par exemple ?
Les problèmes s’accumulent et avant de fantasmer sur le règne sans
pitié de « IA premier », il y a bon nombre d’étapes. L’une est purement
utilitariste et permettrait de faire de l’Intelligence Artificielle un grand
bienfaiteur de l’humanité. Ainsi, une étude Deloitte montre que l’IA
pourrait venir en aide aux fonctionnaires de l’administration US pour
économiser un nombre d’heures phénoménal : « Le simple fait
d’automatiser les tâches déjà effectuées couramment par les ordinateurs
pourrait libérer 96,7 millions d’heures de travail par an au gouvernement
fédéral, ce qui permettrait d’économiser 3,3 milliards de dollars. Au
sommet de l’échelle, nous estimons que la technologie d’intelligence
artificielle pourrait libérer jusqu’à 1,2 milliard d’heures de travail par an, ce
qui permettrait d’économiser 41,1 milliards de dollars. » Ces chiffres font
rêver. On imagine les gains de productivité possibles. Et dans ce cas de
figure, on perçoit très concrètement tout l’intérêt de mettre une IA au
service du politique.
S’il est toujours enthousiasmant de fantasmer sur les déviances de
l’IA, de possibles dystopies et d’autres mondes futuristes et imaginaires,
n’est-il pas plus raisonnable comme certains le font de capitaliser sur ses
réalisations concrètes : celles qui vont contribuer à relever des défis
inimaginables il y a encore quelques années.
Ainsi dans l’édition de septembre 2019 de Nature Biotechnology, un
collectif de scientifiques en grande partie issus d’Insilico Medicine, menés
par Alex Zhavoronkov, CEO et fondateur de l’entreprise, a publié : « Le
Deep Learning rend possible l’identification rapide d’inhibiteur puissant de
kinase DDR1 » (Deep learning enables rapid identification of potent DDR1
kinase inhibitors). D’après Marc Rameaux, un des meilleurs spécialistes
français de l’IA, cette info fera date en révolutionnant la pharmacologie
[240]
moléculaire : « Ce n’est pas seulement un article défendant l’intérêt de
l’IA pour la recherche de molécules pharmaceutiques. C’est le récit de
l’industrialisation d’une nouvelle molécule en 46 jours, incluant sa synthèse
et ses essais in vitro. Sa phase amont de conception n’a nécessité que 21
jours. La durée d’une telle réalisation est de 2 à 3 ans par les moyens
traditionnels. » Et l’auteur de s’interroger sur l’intérêt de l’IA par rapport à
cette expérience. « Une ligne de démarcation importante doit être
considérée pour toute application de l’IA : avons-nous affaire à un domaine
sémantiquement fermé, sémantiquement ouvert ou intermédiaire entre les
deux ? »
Voici une question fondamentale pour comprendre de quoi est faite
cette réalité et cesser de fantasmer avec la science-fiction, car comme
l’affirme Rameaux, « Dans les domaines sémantiquement fermés, l’IA est
d’une efficacité implacable. Dans les grands jeux de stratégie, non
seulement elle dépasse largement l’homme, battant les champions du
monde de la discipline, mais elle surclasse également les algorithmes
fondés sur le calcul combinatoire brut (…) Les performances
impressionnantes de l’IA dans les domaines sémantiquement fermés ont
alimenté le discours d’une IA surhumaine, prenant d’assaut la forteresse de
la conscience, débouchant sur les fantasmes transhumanistes des technos-
prophètes. Ces discours mêlent habilement le rêve positif d’immenses
progrès et le frisson de machines nous dépassant et menaçant de prendre le
pouvoir, cocktail destiné davantage à obtenir un succès médiatique qu’à
mener une analyse scientifique. »
Mais tous ces « super-pouvoirs » semblent disparaître avec les cas
d’intelligence artificielle appliqués aux domaines de connaissance,
« sémantiquement ouverts » : « En très résumé, l’IA fera toujours beaucoup
mieux que l’humain dans un jeu donné, mais la vie concrète consiste à jouer
à une multitude (une infinité ?) de jeux très variés, sans qu’aucune
indication explicite nous soit donnée que nous sommes en train de glisser
d’un jeu à l’autre. (…) La conscience humaine et animale savent opérer les
glissements. La conscience humaine est capable de décider par elle-même
de se placer “out of the box”, ce qu’aucune IA ne sait faire. »
À propos de l’IA qui mixe « caractères sémantiquement ouverts et
sémantiquement fermés » l’expert constate que « La relation de l’homme à
la machine est alors celle de la coopération ou “aide à la décision” ». C’est
le cas pour la pharmacologie moléculaire : « Ce Tetris géant est bel et bien
un jeu formel, dont on peut identifier les différentes conformations de
pièces, en nombre fini et les conséquences de chaque coup. Est-ce un jeu
sémantiquement fermé ? Il serait tentant de répondre par l’affirmative, car
après tout il se résume aux pièces en bois d’une grande boîte à construction
et à des fonctions de transformation positives ou négatives après
emboîtement, parfaitement connues. »
Cet exemple de la pharmacologie moléculaire illustre le rôle que
devrait jouer l’IA et la place qu’elle devrait idéalement tenir dans les années
qui viennent. Comme on le voit, il ne s’agit pas de surpasser l’homme dans
ses tâches, ou de se passer de lui, mais de l’assister, notamment dans des
processus d’aide à la décision. Dans ce cas précis, le gain de temps apparaît
évident : « Une recherche de molécules médicinales dont la détection passe
de deux ans à deux mois permettra des victoires massives sur nombre de
maladies rares, voire réputées incurables. » Après l’épisode du Covid-19,
cet usage semble donc de la plus grande importance. On notera encore ce
commentaire intéressant de l’auteur : « Comme toujours, ces percées
nourriront les discours médiatiques vivant sur le spectaculaire : nous aurons
à nouveau droit à de mauvais éditoriaux sur l’homme fait dieu, capable d’un
autosoin infaillible, et pourquoi pas en temps réel en extrapolant un peu.
(…) De nombreuses vies humaines seront sauvées ou grandement
améliorées dans les prochaines années grâce à l’IA en pharmacologie
moléculaire, motif de se réjouir bien meilleur que de rêver à un homme-
dieu. »

20. Une nouvelle alliance Homme-Nature

Qu’il s’agisse de nucléaire, de NBT, d’agriculture de précision ou


encore d’Intelligence Artificielle, on voit que la science et la technologie
proposent une quantité de solutions pour renouer avec cette ambition d’un
homme mieux intégré au sein de son environnement naturel. Mais pour
autant comme nous l’avons vu, la confiance en la vertu prométhéenne de la
science a été ternie. C’est la raison pour laquelle elle doit désormais
montrer « patte verte » et prouver que lesdites solutions peuvent se couler
dans des histoires compatibles avec le label que nous avons intitulé « made
in Nature ». Ainsi, la centrale nucléaire est devenue le meilleur moyen de
produire de l’énergie sans rejeter de carbone dans l’atmosphère ; en faisant
des NBT l’homme ne fait qu’imiter la nature qu’il connaît de mieux en
mieux et peut se permettre de la modifier – comme il l’a toujours fait ;
l’agriculture de précision pourra réaliser ce challenge de nourrir l’humanité
en préservant l’environnement et dans le cadre des limites de celui-ci. Et
l’Intelligence Artificielle, bien comprise, sera notre meilleur assistant pour
nous aider à préparer l’avenir et accomplir des tâches complexes
essentielles à la survie de notre espèce, la découverte de nouveaux
médicaments par exemple.
Ces histoires que racontent les lanceurs d’alerte du camp des
« rationalistes révoltés » tiennent parfaitement la route et se rapprochent des
exigences voulues par une écologie scientifique. Beaucoup plus en tous les
cas que celle des industriels qui se sont mis à faire du greenwashing pour
faire plaisir aux ONG et, se faisant, n’ont fait que tromper l’opinion en
poussant rapidement des solutions qui semblent inachevées et sont loin
d’avoir fait leurs preuves, même si on a toutes les bonnes raisons de croire
qu’elles peuvent encore s’améliorer.
Tout ceci nous permet d’affirmer que la civilisation issue de la science
et du progrès technologique n’est pas déconnectée, ou folle, ou aveugle, ou
malfaisante. La science et la technologie s’inscrivent dans un continuum qui
fait sens. Mais pour rendre cette histoire encore plus crédible, il semble bien
qu’il faille revenir aux fondements idéologiques de cette civilisation et
notamment sur ce rapport entre l’humanité et l’environnement, pour
démontrer que tout cela est lié et qu’il n’est point besoin de se prendre à
rêver d’un retour en arrière ou de souhaiter que la civilisation s’écroule,
pour laisser place, on ne sait pas par quel miracle, à un nouvel âge d’or.
Il nous semble alors essentiel de penser une nouvelle alliance
« homme-nature ».... ou plutôt, redéfinir ce que cette alliance a toujours été
pour que l’opinion comprenne bien qu’elle a des racines solides et qu’il ne
s’agit pas simplement d’une opération de communication. Il ne s’agit pas de
« verdir » une technologie. Il s’agit bien de montrer qu’elle ne va pas
déséquilibrer une relation fragile qui unit l’homme et la nature.
Pour cela nous voudrions faire un petit détour et montrer ce qui peut
nous unir de manière profonde à la nature. L’exemple le plus symbolique
est sans doute celui de l’abeille. Une citation faussement attribuée à
Einstein tourne depuis maintenant des années sur Internet : « Si les abeilles
disparaissent de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre
années à vivre »… Tous ceux qui la lisent et la partagent signifient leur
envie de croire dans l’avertissement du plus grand scientifique du XXe
siècle. Mais qu’est-ce qui les inquiète vraiment : l’avenir de l’humanité,
celui des abeilles ou les deux à la fois ? Pour le savoir, plongeons dans ce
que nous dit la science la plus récente sur les abeilles.
Début février 2019, on apprenait que les abeilles étaient capables
d’additionner et de soustraire, autrement dit de faire des opérations
[241]
mathématiques . Une expérience menée par une équipe franco-
australienne a permis d’observer cette aptitude. À l’aide d’un labyrinthe en
forme de Y les insectes avaient la possibilité d’accéder à deux corridors, au
bout de chacun desquels se trouvaient respectivement de l’eau sucrée et une
solution amère. Si les insectes réussissaient à faire le bon choix en fonction
de l’opération, ils pouvaient accéder à la récompense. Les deux opérations
consistaient à additionner des formes bleues ou à soustraire des formes
jaunes. D’après les scientifiques, cette expérience montre que les abeilles
sont capables d’apprendre des règles sur un long terme, pour effectuer des
actions sur un court terme. Ils en concluent que « Étant donné que les
abeilles domestiques et les humains sont séparés par plus de 400 millions
d’années d’évolution, les résultats suggèrent que la connaissance numérique
avancée pourrait être plus accessible aux animaux non humains qu’on ne le
pensait auparavant. » Notons que des expériences précédentes avaient pu
démontrer par ailleurs que les abeilles maîtrisaient le concept de « zéro »
(on savait jusqu’alors que les singes rhésus, vervet, un chimpanzé et un
perroquet africain étaient dotés de cette capacité cognitive), ce qui fait des
abeilles un être suffisamment exceptionnel… tellement exceptionnel, que
les scientifiques comptent utiliser ces résultats pour faire progresser la
réflexion sur l’IA et la neurobiologie.
Souvenons-nous un instant de l’objet de notre troisième partie : nous
souhaitions dénoncer les dystopies de l’écologie politique. Celles-ci
représentent un danger, car sous couvert d’une forme d’idéalisme, elles ont
tendance à proposer des solutions déconnectées de la réalité. La question
qui se pose étant bien évidemment celle de la place de l’homme dans le
règne animal. Or si l’humanisme a voulu détacher l’homme pour en faire un
être à part, certains aujourd’hui voudraient bien déconstruire ce modèle de
société, voire pour les plus extrêmes, le faire disparaître, voyant en lui le
principal responsable des catastrophes écologiques dénoncées. Il faudrait
reléguer l’homme au second plan pour laisser davantage de place à la
nature.
Les champs d’expérimentations scientifiques précédemment évoqués
nous donnent matière à méditer. Les abeilles capables d’additionner et de
soustraire sont un bel exemple pour l’éthologie comparée. On voit qu’il y
existe une filiation entre l’homme et l’abeille dans cette capacité à
manipuler des signes mathématiques et force est de constater l’existence
d’un continuum. Pour penser la nature de ce dernier, on renverra les lecteurs
[242]
à un philosophe tel que Alfred North Whitehead pour qui « la
distinction entre les hommes et les animaux n’est en un sens qu’une
différence de degré. Mais l’étendue de ce degré fait toute la différence. Le
Rubicon a été franchi », thèse défendue également par le philosophe
[243]
français Raymond Ruyer avec quelques nuances . Selon ces deux
auteurs, la différence entre l’animal et l’homme est de degré, mais leur
« naturalisme » a ceci d’intéressant qu’il ne tombe jamais dans le
[244]
réductionnisme de la « bestialité ». De ce fait, l’homme avec sa dignité
est parfaitement intégré dans le « cosmos ». Chacun de ses faits et gestes
peut s’inscrire dans ce continuum, il n’y a pas de rupture. Aussi, les
innovations technologiques viennent dans le prolongement de la nature (on
pensera aux biotechnologies, mais aussi à l’agriculture intelligente). Armés
de cette vision philosophique, on est alors mieux parés pour résister aux
assauts des idéologies qui voudraient séparer définitivement l’homme de la
nature, soit pour consacrer à jamais l’ascendance du premier, soit pour
souhaiter sa disparition à jamais, afin de préserver la seconde. En toute
logique, l’abeille a donc autant besoin de l’homme que l’homme de
l’abeille. On apprécie le cercle vertueux de cette complémentarité.
Mais cette « intégration » ne va pas de soi et pose une quantité de
questions. Notamment celle de la coexistence pacifique entre l’homme et la
nature qui n’a absolument rien d’évident. La simple observation des faits
semble même nous indiquer tout le contraire. Dans une de ses chroniques à
succès, Laurent Alexandre a soutenu la thèse selon laquelle l’homme
combat la Nature depuis des millions d’années… Pourtant, force est de
reconnaître qu’il existe un continuum Homme Nature et que le combat en
question est surtout un affrontement idéologique entre écologisme et
scientisme… de la politique donc !
Constatant à juste titre qu’une forme d’idéologie écologiste déifie de
plus en plus la Nature, le docteur influent s’insurge : « En réalité, la nature
peut être affreusement méchante et la grandeur de l’humanité est de la
combattre. » Et selon lui, « la vie n’a jamais été aussi douce depuis que
nous combattons la Nature. » Aussi, il rappelle toutes les innovations
salutaires pour l’humanité (lunettes, savon, chauffage, vaccins,
médicaments…) et, de l’autre, les catastrophes naturelles et les maladies
(pestes noires, grippe espagnole, Covid). Cette thèse qui semble couler de
source a cependant ceci de gênant : elle suppose l’existence de deux classes
distinctes d’êtres qui s’excluraient mutuellement – les hommes d’un côté et
la Nature de l’autre. Or on peut se demander si un tel partage – étant donné
son côté abstrait – n’est pas simplement une vue de l’esprit ? Et a-t-on
vraiment intérêt à couper ainsi l’existence en deux ?
Nous pensons au contraire l’existence d’un véritable continuum. En
effet, tout nous porte au contraire à constater une certaine continuité dans
l’existence entre l’homme et la nature. Et ce, à de nombreux niveaux.
Philosophes et scientifiques depuis les temps les plus anciens s’échinent
pour retrouver ces parallèles. Ainsi dans le livre De la Connaissance de
Dieu et de soi-même, Bossuet affirme « L’oreille a des cavités pratiquées
pour faire retentir la voix de la même sorte qu’elle retentit dans les rochers
et dans les échos… Les vaisseaux ont leurs soupapes tournées en tous sens ;
les os et les muscles ont leurs poulies et leurs leviers. » On pensera aussi
bien évidemment aux automates de Descartes.
Ces analogies se transposent sur le plan technologique en applications
concrètes, dont les plus connues sont bien évidemment les tenues de
camouflage. Aussi, il existe un nombre infini de cas de figure où l’Homme
s’est inspiré de la Nature pour innover. La thèse répandue étant que la
Nature reste le meilleur ingénieur et que l’Homme peut se contenter de
copier les solutions qu’elle propose dans ses différentes inventions. Une
vidéo pédagogique de la BBC partagée plus d’un million de fois explique
comment les Japonais ont résolu le problème de sonorisation de leur
shinkansen qui faisait un bruit intenable au moment de pénétrer sous un
tunnel en s’inspirant de la forme du bec du martin-pêcheur qui, lui, est
capable de fendre l’eau tout en étant à la fois plus rapide et plus silencieux.
L’histoire des innovations technologiques pullule d’exemples de la
sorte. On pourrait encore argumenter sur ce continuum et prouver que
l’Homme n’est pas une exception en s’appuyant sur certaines expériences
d’éthologie.
Il est vrai toutefois qu’il existe bien une lutte qui ne cesse de
s’intensifier. Mais, à notre avis, cette lutte n’oppose pas l’Homme et la
Nature, mais une idéologie qui veut s’accaparer la définition du concept de
Nature et lui attribuer certaines propriétés afin de définir « ce qui est
naturel » et « ce qui ne l’est pas »… Tout cela dans l’optique de parler en
son nom et de s’appuyer sur ces « règles » pour prendre le pouvoir.
C’est ainsi que nous avions démontré que la querelle des OGM était de
nature idéologique, car elle opposait, d’une part, ceux qui veulent réduire la
nature au transfert vertical de l’information génétique (c’est-à-dire les êtres
issus de la reproduction) et, d’autre part, ceux qui acceptent également le
transfert horizontal de l’information génétique (propriété naturelle qui rend
possibles les OGM) comme étant un phénomène « naturel ».
De ce fait, on obtient un combat qui oppose les anti OGM et les pro
OGM. Alors que les premiers ont une vision réductrice de la nature, les
seconds, eux, ont une vision élargie de celle-ci. Ils savent parfaitement, par
exemple, que l’Homme ne fait que copier la Nature quand il fait des OGM,
car, comme l’a montré Conrad P. Lichtenstein, le tabac à l’état sauvage, par
exemple, contient du matériel génétique qui a été transféré autrement que
par le biais de la reproduction. Les scientifiques qui font des OGM ne font
que copier la Nature en s’inspirant de ces « techniques ». Ceux qui ont une
vision réduite – et donc incomplète – de la Nature voudraient empêcher les
autres de développer la technologie, en affirmant que celle-ci n’a rien de
naturel. Ils ne la voient pas au travers du prisme de la science, mais au
travers de celui de l’idéologie. Et c’est d’ailleurs toute la différence entre
l’écologisme – définit comme écologie politique, et l’écologie – définit
comme science de l’environnement.
Comme on le constate, si combat il y a, ce n’est pas entre l’Homme et
la Nature, c’est un combat idéologique entre deux visions de la Nature,
sachant que les uns (les écologistes extrémistes) voudraient imposer leur
définition de la Nature de manière idéologique, pour contrôler et empêcher
tout développement technologique ; les autres en face attendent
l’avènement d’une singularité c’est-à-dire d’un surhomme qui sortira du
règne naturel. En bref les deux ayant posé l’homme et la nature comme
deux sphères hétérogènes en arrivent tout naturellement à la conclusion
qu’ils doivent finir par s’exclure mutuellement. Derrière ce conflit
idéologique se cache une lutte acharnée pour le pouvoir. Un parallèle
intéressant est à faire avec les guerres de religion : quand une religion
essaye d’imposer son monopole de la définition de Dieu pour combattre
ceux qui en ont une autre acceptation.
En revenant à la thèse de Laurent Alexandre, une question doit
cependant être soulevée : n’est-ce pas parce qu’il y a une philosophie qui
voudrait faire de l’Homme une exception dans le règne naturel, un être qui
pourrait se passer totalement de limites, que d’autres, en réaction,
voudraient finalement d’abord limiter toute activité, puis pour les plus
extrêmes, le voir disparaître ? Si, en revanche, comme on l’admet, il existe
bien une continuité, alors peut-être que nous pouvons un peu adoucir le
propos de cette « lutte » supposée sans pour autant tomber ni dans la
déification de la nature ni dans celle de l’homme. À notre sens, le terme de
« libération » est beaucoup plus juste que celui de « combat ». Car
l’entreprise humaine est davantage une tentative de se libérer du
déterminisme et de la fatalité. Et pour y parvenir, cela implique une bonne
connaissance des règles plutôt qu’un « combat » contre celles-ci. Et parce
que certains ont pensé que l’homme pouvait innover en se passant
totalement de « limites » et de « cadres », d’autres voudraient tout faire
pour le limiter en tout.
Creusons encore davantage en revenant un instant sur l’origine cette
opposition. Depuis l’avènement du cartésianisme et son « homme, maître et
possesseur de la Nature », jusqu’aux perspectives du Transhumanisme et
d’une « Singularité » qui transcende le cadre des lois de la nature, on a créé
l’illusion d’une humanité capable de rompre avec le cadre dans lequel elle
se meut et qui, de ce fait, inventerait elle-même les règles de toutes choses,
pouvant dépasser aussi bien son corps que son environnement. De ce fait,
on a de plus en plus de mal de rattacher les œuvres de l’homme et celle de
la nature, un peu comme si chacun jouait chacun pour soi. Le dualisme
cartésien n’est sans doute pas innocent. La séparation entre l’esprit et la
matière a rendu difficile l’expression du continuum et laissé émerger deux
grands courants philosophiques, matérialisme et idéalisme. Un penseur a
proposé cependant une solution intéressante pour résoudre ce problème. Ce
fut le projet du philosophe Raymond Ruyer qui dans son ouvrage Néo-
finalisme défend la thèse de l’existence d’un finalisme qui est le propre du
vivant (par opposition aux êtres inertes qui subissent une causalité de
proche en proche). De ce fait Ruyer est amené à revenir sur les affirmations
du cartésianisme – qu’il considère comme une forme d’animisme : « Il est
clair aujourd’hui que Descartes et les cartésiens du XVIIe siècle ont mal fait
la coupure entre ce qu’ils appelaient “l’âme” et le corps, ou entre ce qu’il
vaut mieux appeler “le domaine du sens” et le domaine de la causalité
mécanique. Il y a sens et finalité active dans la vie organique. Il y a aussi
dans la vie organique, des appareils mécaniques. Ces appareils sont montés
vraisemblablement par une finalité active. Mais par des “enchaînements”
qui fonctionnent selon une causalité de proche en proche et a tergo, et qui
peuvent être remplacés par des machines proprement dites faites de la main
de l’homme. La coupure se place donc à l’intérieur du domaine de la vie
organique. Elle sépare ce qui, dans l’organe, est disposition massive, et ce
qui, dans l’organe, est le tissu vivant, capable de régulation. Elle sépare
dans le cerveau, ce qui est imitable par dispositifs à régulation automatique,
et ce qui est régulation thématique et finalité active. L’âme, pour employer
provisoirement ce mot ou “la conscience organique primaire”, doit donc
être réputée agir partout ou des enchaînements psychophysiologiques ne
[245]
suffisent pas à expliquer le comportement total des organes .»
Ce passage paraîtra sans doute abscons pour le lecteur qui n’est pas
familier avec la philosophie en général ou avec cet auteur en particulier,
d’autant plus qu’il est peu connu, et ce, malgré son œuvre considérable. Si
nous avons tenu absolument à rajouter cet extrait, c’est parce qu’il illustre
parfaitement la continuité du vivant qui s’exprime au travers de l’action
finaliste, qui est le propre d’un organisme vivant (conscience primaire),
mais également d’un cerveau (conscience secondaire). C’est une manière
élégante de réintégrer l’esprit dans le corps qui, rappelons-le, même pour
Descartes ne se trouvait pas là, comme un pilote dans son navire. On
comprend alors que les innovations technologiques qui sont des
prolongements de nos organes obéissent à une finalité qui est celle de notre
cerveau. Les inventions de l’humanité n’ont absolument rien d’étranger au
règne naturel dans lequel elles sont parfaitement intégrées. Partout on
observe une finalité qui anime les formes vivantes et l’esprit humain. Il n’y
a donc aucune raison de les opposer.
173. À cette occasion, le célèbre Richard Dawkins a eu quelques mots « In recognition of your
50th anniversary, I would like to congratulate you on this momentous occasion. Fighting the forces of
pseudoscience is not an easy task anywhere in the world. Superstition dogma, and the contrived
paranormal have a strong hold on the Human psyche (…) Thank you to the Association française
pour l’information scientifique for all you have done over 50 years to further the cause of scientific
skepticism and for all you will continue to do for the next 50 and beyond. »
174. Mémoire de l’eau, page Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9moire_de_l’eau
175. Alain Bourdin, La sociologie, l’antithèse de Teissier, www.homme-
moderne.org/societe/socio/teissier/bourdin.html
176. N’omettons pas de dire que ladite toile est truffée de vulgarisateurs, notamment des
Youtubeurs - qui font un travail fantastique auprès du grand public pour leur donner accès à des
chapitres entiers du savoir. Nous pensons à des gens comme Science Étonnante, I-penser, La Tronche
En Biais, Science4All ou encore Monsieur Phi, pour ne citer que les plus célèbres. Mais ces auteurs
s’engagent rarement sur des sujets liés à la politique scientifique et ils n’entrent donc pas dans notre
propos.
177. La liste que nous produisons ici est non-exhaustive, mais représentative. Notons qu’il est
de plus en plus difficile de publier des opinions qui se montrent ouvertement en faveur de
l’innovation scientifique et technique dans une certaine presse fortement orientée à gauche, même si
on trouve encore des exceptions, comme Marianne, ou Front Populaire.
178. Résolution sur les sciences et le progrès dans la République http://www.assemblee-
nationale.fr/14/ta/ta0926.asp
179. Souvenons-nous qu’il y avait eu un premier soubresaut dans les années 2000 avec le
lancement du collectif des agriculteurs et des chercheurs volontaires (en opposition aux faucheurs
volontaires) qui s’étaient réunis en 2004 à Cournon en Auvergne pour empêcher les destructions des
champs d’OGM, collectif qui avait à sa tête le charismatique Alain Toppan, le porte-parole de
Biogemma. Mais ce mouvement n’avait, hélas, pas fait long feu.
180. Ne renonçons pas à la science ! https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/ne-renoncons-
pas-a-la-science-130939
181. Le collectif "NoFakeScience" appelle à retisser les liens entre scientifiques et médias
https://www.lexpress.fr/actualite/medias/le-collectif-nofakescience-appelle-a-retisser-les-liens-entre-
scientifiques-et-medias_2089818.html
182. https://twitter.com/dr_l_alexandre
183. Écologie : pourra-t-on réconcilier Laurent Alexandre et Aurélien Barrau ? https://e-
rse.net/ecologie-collapsologue-rationalistes-laurent-alexandre-aurelien-barrau-273180/#gs.mzc2gz
184. José Bové est 100 pour cent OGM (et vous aussi) http://rage-culture.com/jose-bove-est-
100-pour-cent-ogm-et-vous-aussi/
185. En parlant de lanceur d’alerte, Gil Rivière Wekstein est sans doute l’un des tout premiers
journalistes à avoir fait un véritable travail de réinformation concernant l’agriculture classique. Alors
que de nombreux médias ont pris un peu trop facilement le pli de l’agri-bashing, le créateur du site
Agriculture et Environnement a mené des enquêtes de fond et écrit de nombreux ouvrages pour
dénoncer un traitement mensonger de l’actualité. Suivi par une importante communauté agricole, il a
contribué à la libération de la parole de ces agriculteurs qui se sont emparés à leur tour des réseaux
sociaux pour se défendre contre les attaques incessantes qu’ils subissaient de la part de certains
militants écologistes.
186. Envoyé Spécial : Élise Lucet face à une avalanche de critiques https://www.agriculture-
environnement.fr/2019/01/29/envoye-special-glyphosate-elise-lucet-face-a-une-avalanche-de-
critiques
187. https://twitter.com/ordrespontane/status/1146775938929176576
188. Thomas Mahler, Écologie : vérités et fariboles, https://www.lepoint.fr/societe/ecologie-
verites-et-fariboles-13-06-2019-2318683_23.php
189. Les Charlatans de l’écologie, https://boutique.valeursactuelles.com/produit/valeurs-
actuelles-n4309/
190. L’Express, « Les nouveaux obscurantistes »
https://images.app.goo.gl/5U19DCPAmqkgE1SG9
191. Nous voulons parler ici de l’ouvrage Les gardiens de la raison, Stéphane Foucart, Stéphane
Horel et Sylvain Laurens
192. Étant cité dans cet ouvrage j’ai pu constater avec étonnement que les auteurs se sont
contentés de récupérer de l’information qui se trouve sur mon compte Linkedin et sur ma page
Everybodywiki sans aller plus loin. Précisons que certaines informations sont fausses, d’autres datant
de plus de 10 ans sont totalement dépassées, et qu’ils n’ont nullement pris la peine de me contacter
pour vérifier, ce qui ne manque pas de sel quand on sait que l’une des principales thèses de l’ouvrage
est que « les journalistes scientifiques ne font pas leur boulot et se contentent de reprendre
l’information préfabriquée qu’on leur fournit sous forme de kit sans prendre la peine d’interviewer
les chercheurs pour vérifier l’information ». Le portrait dressé n’évoque bien évidemment aucune des
idées développées dans ma maîtrise de philosophie, dans ma thèse de DEA ou de doctorat, mon
ouvrage aux PUF, ou dans les 90 éditoriaux écrits pour EuropeanScientist…
193. La journaliste Marie-Monique Robin avait ainsi placé son livre au-dessus de toute critique
en affirmant avant qu’il sorte : « Si vous voyez des attaques de mon ouvrage, c’est forcément qu’il
s’agit de trolls payés par Monsanto. »
194. C’est la découverte du Cogito axiologique de Lequier cité par Raymond Ruyer in Néo-
Finalisme, PUF, 1953.
195. On s’étonne que les auteurs s’en prennent aux scientifiques qui invoquent la science pour
défendre les applications totems (OGM, nucléaire, chimie organique, ondes), mais laissent en paix
les scientifiques qui s’appuient sur la science pour les critiquer en fondant des associations telles que
le CriiRem, le CriiRad ou encore le CriiGen … Pourquoi ne pas parler du cas du chercheur Gil Eric
Séralini dont l’étude a été rétractée ?
196. Nous pensons par exemple à l’industrie du sucre dans les années précédentes 60 qui a payé
le chercheur Ancel Keys pour réaliser des meta-analyses qui démontraient que le gras est le principal
responsable des maladies cardio-vasculaires. Ces travaux ayant été largement relayés par les médias
de l’époque, l’opinion mondiale est persuadée que le gras sans distinction est mauvais pour
l’alimentation. Ce n’est qu’au début des années 2010 qu’un message moins discriminant à son sujet a
commencé à émerger chez les scientifiques puis dans les médias. How the Sugar Industry Shifted
Blame to Fat https://www.nytimes.com/2016/09/13/well/eat/how-the-sugar-industry-shifted-blame-
to-fat.html
197. La fin de la cigarette est pour bientôt selon… Philip Morris
https://www.latribune.fr/economie/international/la-fin-de-la-cigarette-est-pour-bientot-selon-philip-
morris-858216.html
198. Quand on évoque ce sujet, on pense aussitôt aux scandales qui ont émaillé la vie politique
française : Laurent Fabius et l’affaire du sang contaminé, Roselyne Bachelot et les millions dépensés
en vaccins… mais que dire de ces politiques qui ont nui au développement des applications
scientifiques et techniques sur le territoire, forçant certains chercheurs ou certaines entreprises à
émigrer, voire pire encore, nous rendant totalement dépendants des innovations de pays étrangers.
Alain Juppé, par exemple, à l’origine du premier moratoire sur les OGM qui a eu à terme pour
conséquence de détruire l’industrie des biotechnologies en France ; ou encore, François Hollande et
la fermeture de Fessenheim ; Emmanuel Macron et l’arrêt du projet de la centrale nucléaire Astrid ;
Jacques Chirac et l’introduction du principe de précaution dans la constitution faisant de notre pays
une exception mondiale et rendant quasiment toute recherche désormais impossible ?
199. Sylvain Laurens : « Il est dommage qu’un certain rationalisme ne s’interroge plus sur ce
qu’est la science », interview in Le Monde du 25 Janvier 2020
200. Cf. notre série « La querelle Raoult » ainsi que notre éditorial « Didier Raoult, mauvais
scientifique et bon médecin ? » https://www.europeanscientist.com/fr/editors-corner-fr/didier-raoult-
mauvais-scientifique-et-bon-medecin/
201. Un des ouvrages les plus connu du courant libertarien est le best-sellers mondial, La Grève
d’Ayn Rand, ouvrage qui invite chacun de nous à résister à toutes les formes d’idéologies totalitaires
202. La raréfaction prochaine des combustibles fossiles va contraindre de hâter la transition
énergétique
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/rarefaction-prochaine-combustibles-fossiles/
203. Jean-Marc Jancovici : « Anticiper l’effondrement énergétique ? » Sur Thinkerview
https://youtu.be/Fp6aJZQldFs
204. NB : nous avons déjà cité cette auteur précédemment. Autant nous trouvons pertinents ses
propos sur la défense du nucléaire autant nous sommes en désaccord avec ses déclarations sur le
contrôle des personnes âgées ainsi que ceux sur la nécessité de décroître de notre société.
205. “Why I changed my mind on nuclear power”, Michael Shellenberger, TedX Berlin
https://youtu.be/ciStnd9Y2ak
206. « The anti nuclear movement to which I once belonged has misled the world about the
impacts of radiation on human health. »
207. Laureates Letter Supporting Precision Agriculture (GMOs)
supportprecisionagriculture.org/nobel-laureate-gmo-letter_rjr.html
208. Life-Saving Golden Rice Finally Gets to Poor Farmers Despite Environmentalist
Opposition https://reason.com/blog/2019/03/07/life-saving-golden-rice-finally-gets-to
209. Why I Left Greenpeace https://www.wsj.com/articles/SB120882720657033391
210. Riz doré : la conversion d’un ancien de Greenpeace
https://www.agriculture-environnement.fr/2014/10/23/riz-dore-la-conversion-dun-ancien-de-
greenpeace
211. Moore est également connu pour ses positions climatosceptiques ce qui lui a valu d’être
dénigré y compris dans les milieux pro OGM
https://en.wikipedia.org/wiki/Patrick_Moore_(consultant)
212. Food Evolution, le documentaire qui dit la vérité sur les OGM, sort le 20 février
https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/agriculture-food-evolution-documentaire-dit-
verite-ogm-sort-20-fevrier-74958/
213. Blog de Mark Lynas, Lecture to Oxford Farming Conference, 3 January 2013
http://www.marklynas.org/2013/01/lecture-to-oxford-farming-conference-3-january-2013/
214. Au moment où nous mettons la dernière main à notre ouvrage, nous apprenons que
Charpentier et Doudna ont obtenu le Prix Nobel de Chimie "Les pionnières du «ciseau génétique»
Crispr-Cas9 reçoivent le Nobel de chimie" : https://www.lefigaro.fr/sciences/genetique-le-nobel-de-
chimie-a-la-francaise-emmanuelle-charpentier-et-l-americaine-jennifer-doudna-20201007
215. « Les « nouvelles biotechnologies », appelées « gene editing » ou réécriture de génome, les
plus performantes sont celles décrites sous le sigle CRISPR, souvent suivi de CAS9 – qui est en fait
l’enzyme (les ciseaux moléculaires) le plus souvent utilisé. Les différentes méthodes de « gene
editing » ont en commun de couper en un endroit choisi l’ADN cible par ces ciseaux moléculaires.
L’ADN sera ensuite « réparé » par la cellule (un phénomène habituel), mais il peut se produire une
réparation non identique à l’origine, c’est-à-dire une mutation. Cette mutation accroît la diversité des
gènes et peut entraîner une propriété nouvelle pour le gène muté. L’intérêt du système
CRISPR/CAS9 est que les ciseaux sont « guidés » à un endroit bien précis sur les chromosomes par
un ARN qui peut « s’apparier » à l’ADN ciblé, si sa « séquence » (la succession des 4 lettres de
l’alphabet de la vie) est complémentaire à la séquence de l’ADN que l’on souhaite muter. Il suffit
donc de bien choisir un ARN qui sera introduit dans les cellules avec lesdits ciseaux. » Explique
Marcel Kuntz dans une interview pour EuropeanScientist
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/quel-avenir-pour-les-nbt-en-europe/
216. Laurianne Geffroy, Pierre Tambourin, Jean-François Prud’Homme, in Le génie des gènes,
la génomique au service de la santé et de l’environnement, collection « Cherche Midi », p. 42.
217. On peut entendre « bon » ici de plusieurs points de vue : aussi bien sur le plan sanitaire,
qu’environnemental ou économique. Pour finir, c’est même une notion éthique : faire des OGM,
selon les opposants, revient à transgresser le vivant en croisant des espèces qui ne se croisent pas
naturellement.
218. Dans La Querelle des OGM (PUF, 2006) nous proposions de remplacer le principe de
précaution, par le principe de cas par cas, qui selon nous répond davantage aux considérations
scientifiques. Une des préconisations du cas par cas est que la science proposera demain des solutions
aux problématiques d’aujourd’hui. Crispr-Cas9 permet d’illustrer à merveille notre principe.
219. Les organismes obtenus par mutagenèse constituent des OGM et sont, en principe, soumis
aux obligations prévues par la directive sur les OGM
https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2018-07/cp180111fr.pdf
220. The Wizard and the Prophet, Charles C. Mann, Picador
221. « Every argument, every concept, every recommendation made in Road to Survival would
become integral to the conventional wisdom of the post-Hiroshima generation of educated
Americans. » Allan Chase, in The Wizard and the Prophet, p. 87.
222. Le célèbre gourou Pierre Rabhi avait bien trouvé des Wwoofers, plus de 2000 bénévoles
qui payaient pour ses séminaires et en plus l’aidaient à cultiver la terre. Le système Pierre Rabhi
https://www.monde-diplomatique.fr/2018/08/MALET/58981
223. Coronavirus. L’agriculture a besoin de 200 000 saisonniers
https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/coronavirus-l-agriculture-besoin-de-200-000-
saisonniers-6790400
224. Appel à travailler dans les champs : « Tout est fait pour maintenir un système qui précarise
et appauvrit »
https://www.bastamag.net/contrat-saisonnier-agricole-condition-de-travail-SMIC-pesticides-
TMS-covid19-coronavirus
225. Le ministre Didier Guillaume veut revenir à « l’agriculture de nos grands-parents »: à quoi
cela ressemblerait-il?
https://www.lopinion.fr/edition/economie/ministre-didier-guillaume-veut-revenir-a-l-
agriculture-nos-grands-185437
226. Les « AgriFood Tech start ups » ont le vent en poupe !
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/les-agrifood-tech-startups-ont-le-vent-en-poupe/
227. https://www.foodbytesworld.com/san-francisco-2019/
228. L’agriculture n’est pas un problème, c’est une solution http://www.union-
agricole.fr/actualites/l-agriculture-n-est-pas-un-probleme-c-est-une-solution:GXCL61E6.html
229. Denis Fumery, Céréalier à Sagy, Val d’Oise https://youtu.be/vq_tZ6PzZlw
230. Rémy Dumery, cultivateur : « Chaque jour, la confiance dans l’industrie agroalimentaire
baisse » in Le Parisien, https://www.leparisien.fr/economie/remy-dumery-cultivateur-chaque-jour-la-
confiance-dans-l-industrie-agroalimentaire-baisse-23-06-2019-8100696.php
231. European Tech Insights, Mapping European Attitudes to Technological Change and its
Governance https://www.ie.edu/cgc/research/tech-opinion-poll-2019/
232. Notons que l’on observe de fortes variations entre les pays, car si la moyenne européenne
tourne autour de 30 %, les sondés aux Pays-Bas sont largement plus ouverts à l’idée d’avoir un
gouvernement piloté par un super ordinateur (+ 43%) qu’en France (+ 25%).
233. Google a décidé d’abandonner « Project Maven », au travers duquel la firme devait équiper
le Pentagon avec des technologies de reconnaissance faciale super-avancées. Sundar Pichai, le CEO
de Google en a profité également pour mettre en ligne un nouveau règlement éthique. Ce document
de 8000 mots, expose les cas où l’entreprise se réserve la possibilité de limiter l’usage de
l’intelligence artificielle. Insistant sur le sérieux de cette mini charte, Pichai a souligné qu’il s’agissait
de « standards concrets qui guideraient de manière active la recherche et le développement des
produits Google et auraient un impact sur nos décisions en matière de business. » Véritable
incarnation du Don’t be evil, mantra fondateur de Google, cette charte réaffirme que l’entreprise
n’achètera pas de technologies qui peuvent faire du mal, ou sont susceptibles d’en faire et en
l’occurrence, n’utilisera pas l’Intelligence Artificielle pour les armements. Concernant cette dernière,
elle devrait profiter à la société dans son ensemble, éviter les utilisations injustes, et être testée pour
sa sûreté ; elle devrait également protéger les données privées, privilégier l’excellence scientifique et
pouvoir faire l’objet de l’intervention humaine. De ce fait, Google affirme se réserver le droit de
mettre un terme à un usage technologique de l’IA quand il se rend compte qu’il contrevient à ses
principes. Après s’être débarrassé de Boston Dynamics, firme qui avait affolé le web avec ses vidéos
de « robots sur pattes » sautant et courant dans la forêt, il semblerait bien que ce soit le deuxième
geste concret de Google visant à limiter un développement technologique lié au progrès de
l’intelligence artificielle.
234. Le test de Turing pose la question de savoir si on peut construire une machine qui ne peut
être distinguée d’un humain lors d’une discussion écrite en aveugle. Turing n’employait pas le terme
d’IA.
235. Gérard Berry, L’Hyper-puissance de l’information, algorithmes, données, machines,
réseaux, Odile Jacob, p. 421.
236. Le Mythe de la Singularité, Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? Jean-Gabriel
Ganascia, Le Seuil
237. This robot co-taught a course at West Point https://www.axios.com/robot-ai-teaching-
college-course-at-west-point-98ce5888-873b-4b72-8de5-0f7c592d66b0.html?
fbclid=IwAR2RCJ3NypJVr1XTEFSisxjTtz1ZWENDyH262QI0-xhLqMeP8Wg-hE0Lnqs
238. Eye in the Sky Real time drone surveillance system (DSS) for Violent Individuals
Identification https://www.youtube.com/watch?v=zYypJPJipYc
239. Robot Cop-ter : Boffins build drone to pinpoint brutal thugs in crowds
https://www.theregister.co.uk/2018/06/06/ai_drone_system_violent_behaviour/
240. Pourquoi l’IA va révolutionner la pharmacologie moléculaire
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/pourquoi-lia-va-revolutionner-la-pharmacologie-
moleculaire/
241. Scarlett R. Howard, Aurore Avarguès-Weber, Jair E. Garcia1, Andrew D. Greentree and
Adrian G. Dyer, Numerical cognition in honeybees enables addition and subtraction, Science
Advances, 06 Feb 2019, Vol. 5, no. 2, http://advances.sciencemag.org/content/5/2/eaav0961.
242. Alfred North Whitehead, “Modes of Thought” (1938), tr. fr., Modes de pensée, Paris, Vrin,
2004.
243. Raymond Ruyer, L’Animal, l’homme, la fonction symbolique, collection « L’Avenir de la
Science » (n° 41), Gallimard, 20-03-1964.
244. Dans un article sur l’homme ruyérien, Fabrice Colonna affirme : « l’animalité n’est pas
synonyme de bestialité, mais préfigure l’homme, la fonction symbolique est plus large que la seule
rationalité discursive, et le cerveau du primate néoténique est l’instrument de l’accès au monde des
valeurs », in Les études philosophiques, janvier 2007, PUF.
245. Raymond Ruyer, « L’activité finaliste et le système nerveux », in Néo-Finalisme, PUF, p.
51
Conclusion

Greta au pays de l’après-Covid

Au moment où nous écrivons cette conclusion, des médias, de


nombreux politiques et des idéologues ont commencé à s’interroger sur le
concept du monde de l’après-Covid 19. Cette notion a émergé comme une
évidence, après le séisme ressenti dans notre société chamboulée par la
pandémie. Certains n’hésitent pas à faire de cette crise un jalon historique et
on comprend pourquoi. D’aucun sont persuadés en effet que rien ne sera
plus jamais comme avant.
Bien évidemment, chacun y va de sa théorie explicative et veut y voir
une confirmation de ses thèses. Dans le chapitre sur la collapsologie, nous
avons vu que les écologistes extrêmes utilisent cette crise qui a tous les
signaux d’une forme d’« effondrement » pour confirmer leurs prédictions et
semblent accueillir bien volontiers le chaos causé par l’épidémie, posant
comme principe ce qu’ils affirmaient déjà et qui est – pour résumer – « on
ne pourra plus faire comme avant ».
Notons également l’apparition de thèses loufoques, telles que « c’est la
[246]
dégradation de la biodiversité qui serait à l’origine de la pandémie ».
Une idée qui est sévèrement critiquée par l’écologue Christian
[247]
Lévèque : après avoir rappelé que depuis toujours l’homme est en
compétition permanente avec la nature pour déjouer les virus en perpétuelle
mutation, il souligne qu’il y a un véritable danger à vouloir protéger la
biodiversité et notamment une espèce comme la chauve-souris porteuse de
nombreux virus : « On y a découvert des dizaines d’espèces de
paramyxovirus sous des formes génétiquement très proches de
paramyxovirus que l’on pensait spécifiques à l’homme, ce qui, disent-ils,
compromet les espoirs d’éradication de certaines maladies humaines
comme la rougeole, mais aussi la rage… Bref, protéger les chauves-souris
c’est en quelque sorte entretenir une bombe à retardement ! » Aussi, selon,
l’auteur de l’ouvrage La Biodiversité, avec ou sans l’homme, les
conservationnistes manquent parfois de cohérence et devraient répondre
clairement à la question « Comment gérer la conservation de la biodiversité
tout en protégeant la santé des hommes, des animaux domestiques et des
plantes cultivées ? » Quant au message subliminal qu’ils diffusent selon
lequel c’est parce que les hommes détruisent la biodiversité « que nous
libérons ces forces obscures que sont les virus… donc il faut protéger les
régions encore sauvages que nous détruisons de manière irresponsable ! Ne
nous y trompons pas, c’est une manière d’occulter le rôle de la biodiversité
dans cette pandémie, en reprenant la litanie bien connue de la culpabilité de
l’homme ! Sauf que… il n’y a aucune démonstration convaincante de ces
affirmations qui relèvent de la spéculation. » Alors que la véritable raison
relève donc de la promiscuité entre l’homme et certains animaux sauvages ;
si on observe une recrudescence des endémies, cela est dû « au fait que les
échanges internationaux qui se sont accentués pour les hommes et la
biodiversité permettent la circulation rapide de pathogènes qui restaient
autrefois localisés. »
Étonnamment, on n’a pas entendu Greta Thunberg donner son analyse
au début de la pandémie. Mais c’était pour mieux se rattraper par la suite,
puisqu’à la fin du mois d’avril 2020, elle a lancé avec son mouvement
Fridays for future une grève virtuelle pour dénoncer « les failles sociales,
[248]
économiques, environnementales et sanitaires de notre système ». Cette
initiative lancée en partenariat avec Greenpeace réclame des mesures « pour
qu’aucun soutien ne soit accordé aux entreprises et aux activités qui vont à
l’encontre de l’accord de Paris sur le climat et des plans européens et
internationaux pour la préservation de la biodiversité ».
La question qu’on aimerait poser à la jeune fille ou tout du moins à
l’équipe de communicants qui la manipule et aux groupes d’intérêts qu’elle
représente, c’est : quelle place donnerez-vous à la science dans ce monde de
[249]
demain ? Faudra-t-il continuer de faire l’école buissonnière pour
montrer qu’on n’a pas besoin de davantage de savoir, ou, au contraire,
faudra-t-il changer d’attitude et faire un geste fort en invitant les jeunes à
être plus assidus sur les bancs de l’école – et non pas faire la grève – pour
relever les défis permanents qui attendent l’humanité au tournant ?
Ayant vu que « le mouvement Greta » instrumentalise nos angoisses et
incarne l’éthique Jonassienne qui nous commande d’avoir peur de
l’innovation scientifique et technologique et de ses conséquences
irréversibles sur l’environnement, on n’est pas trop en peine pour deviner
qu’elle risque de camper sur son injonction : « Je vous avais prévenu, il
fallait avoir peur ! Vous n’avez pas eu suffisamment peur, vous en payez
désormais les conséquences. » Le fait qu’elle saisisse la première
opportunité pour relancer son mouvement en visioconférence et appeler à
une grève virtuelle en est la preuve.
Or pour revenir à la philosophie de Jonas, rappelons que cette éthique
pose en principe la toute-puissance de l’humanité sur la biosphère, du fait
de la capacité démiurgique de la science. Or, il suffit de voir avec quelle
force la pandémie a fait des ravages dans les populations pour se persuader
que la science et la technologie sont bien faibles et que cette pétition de
principe n’a pas grande valeur. À un tel point que la thèse de l’homme
maître et possesseur de la nature semble avoir pris du plomb dans l’aile.
Pour se persuader que la croyance de la toute-puissance sur la nature
est exagérée, il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder le déroulement de la
pandémie et comment un événement que nous ne contrôlons pas a cloué par
terre la civilisation, en l’espace de quelques semaines. Et il ne s’agit pas
simplement de la problématique de trouver rapidement des solutions pour
contrôler l’épidémie et soigner les malades. Les pays ont développé des
stratégies diverses et variées avec plus ou moins de succès. Mais d’une
manière générale on a vu l’importance de l’innovation technologique dans
la résolution des problèmes. Si on s’interroge sur les pays qui ont le mieux
résisté face à la crise on s’aperçoit que le respect de certaines mesures
essentielles et parfois évidentes telles que l’hygiène, le port du masque,
anticiper la crise au bon moment… des mesures sociales et politiques qui se
révèlent parfois très efficaces ; mais d’autres mesures impliquent davantage
de technologie tels que la pratique massive de tests pour pouvoir se
distancier socialement et méthodiquement.
La Chine n’a pas eu un comportement vertueux en cachant l’épidémie
plus longtemps que de mesure, mais il est indéniable que le recours à des
technologies de pointe par ce pays a joué un rôle fondamental dans la lutte
contre la pandémie et la recherche d’une voie de sortie. Toute une panoplie
a été déployée pour détecter et surveiller les individus contaminés par le
virus. « La société de reconnaissance faciale Megvii a installé un prototype
de mesure de la température en utilisant la reconnaissance faciale dans un
quartier de Pékin : caméras infrarouges pour mesurer la température
corporelle dans les lieux publics, assistants à reconnaissance vocale
capables de traiter 200 appels téléphoniques en cinq minutes et pouvant
assister les hôpitaux dans leurs tâches de dépistage, applications pour
vérifier si vous avez été en contact d’un malade, reconnaissance faciale… et
d’autres » nous explique Eric Van Vaerenberg, un expert belge des
questions asiatiques. À cela s’ajoute que la Chine dispose d’équipement de
médecine de pointe. On sera bluffé par le projet de Health Code, un QR
code de couleur verte, orange ou rouge, selon le degré de danger qui fait
office de laissez-passer pour toutes les tâches de la vie quotidienne : faire
ses courses, aller au travail, prendre les transports : « Le code vert autorise
tout accès, l’orange une quarantaine préventive de sept jours, et le rouge
oblige à un confinement total de 14 jours, correspondant à la durée
d’incubation du virus. L’application qui compte 900 millions d’utilisateurs,
se présente comme un module d’Alipay et est le fruit d’une collaboration
entre groupe privé et autorités gouvernementales. »
Il est inutile d’insister sur le fait que la science et la technologie sont
impliquées dans la course aux vaccins et au traitement adéquat. Même si,
comme nous l’avons vu au travers de l’épisode Didier Raoult, la science
n’englobe pas la médecine qui garde sa spécificité, dans ce sens qu’elle est
une pratique dans laquelle le médecin a affaire à une « pathologie
subjective ». De fait on comprend que tous les experts se soient trompés
[250]
dans leurs analyses du Covid qui est une nouvelle maladie . Mais on
perçoit aussi la nécessité pour la science de grignoter toujours un peu
davantage les prébendes du médical. Les débats autour de Didier Raoult
reflètent cette tension permanente entre la volonté hégémonique d’une
science toute puissante et les points faibles d’une médecine qui s’améliore
de jour en jour, mais ne possède aucune garantie face à l’imprévisibilité du
vivant et sa virulente capacité à générer des pathologies, qui, au regard de
demain, restent définitivement subjectives et inconnues.
Partant de ces considérations, c’est donc bien une fois de plus le
recours à la science et à la technologie qui est la solution et pas l’inverse,
même si elles ne peuvent pas tout. Ceux qui ne le font pas, en revanche,
encourent de graves problèmes et se mettent dans une situation plus
compliquée que les autres. Ainsi la solution ultime qui est le confinement
généralisé, abrupt et indifférencié peut entraîner d’autres externalités
négatives, telles que, par exemple, une crise économique, la rupture de la
chaîne alimentaire et même des black out électriques.
C’est ainsi que l’OMS, la FAO et l’ONU ont fait part de leurs craintes
dans une déclaration commune, ils ont affirmé : « L’incertitude sur la
disponibilité des aliments peut déclencher une vague de restrictions à
l’exportation, créant une pénurie sur le marché mondial. (…) Au milieu des
blocages du COVID-19, tous les efforts doivent être faits pour garantir que
les échanges commerciaux circulent aussi librement que possible, en
[251]
particulier pour éviter les pénuries alimentaires . » Cela devrait faire
réfléchir une fois de plus les apôtres de la décroissance. Nous rappelions
comment l’idéologie soviétique avait pu être à l’origine des famines en
Ukraine au travers du Lysenkisme, nous voyons ici qu’on peut vider les
rayons des commerces de bien d’autres manières. Le système agro-
industriel est très fragile. Et tout imparfait qu’il soit, la logique voudrait que
l’agriculture s’investisse encore davantage dans les solutions qui nous
permettent de manger à notre faim et n’ait pas à subir sans cesse les affres
de l’agri-bashing. Ces arguments qui sonnaient creux à nos oreilles il y a
encore quelques mois risquent désormais d’avoir toute l’attention de nos
ventres quand ceux-ci seront vides. Comment ne pas prendre au sérieux des
solutions qui permettent d’accroître les rendements et d’assurer les besoins
[252]
de la chaîne alimentaire (NBT) tout en respectant le cadre
environnemental qui permet de garantir la durabilité (Smart Agro) ?
Autre secteur stratégique qui risque d’être impacté et qui joue un rôle
essentiel pour le bon développement de notre société : celui de
l’approvisionnement en énergie. On est surpris de voir qu’en pleine période
de crise, la priorité du gouvernement français est de maintenir ardemment
son soutien à l’ensemble des projets d’énergies renouvelables. Élisabeth
Borne, Ministre de la Transition écologique et solidaire, a réuni par
audioconférence les acteurs de la filière des énergies renouvelables
électriques pour leur annoncer que des délais supplémentaires seront prévus
pour les projets et le maintien des tarifs d’achat. Plus de 288 nouveaux
[253]
projets dans le secteur des ENR ont été désignés . Dans une période de
pandémie, quelle urgence y a-t-il à subventionner des sources qui ne sont
pas rentables et ne peuvent répondre à la demande ? On voit d’ailleurs que
les fournisseurs d’énergie ont compris où se trouvait leur intérêt. C’est ainsi
que Total, fournisseur d’énergie et concurrent d’EDF, a réclamé l’activation
de la force majeure sur l’électricité nucléaire. « Ce dispositif d’accès régulé
à l’électricité nucléaire historique (Arenh) permet aux fournisseurs dits
alternatifs de s’approvisionner en électricité nucléaire auprès d’EDF à un
prix préalablement fixé. » Ainsi alors que les marchés se sont effondrés ce
[254]
dispositif permet aux concurrents d’EDF de rester compétitifs . Bref un
exemple qui montre bien qu’avec la pandémie qui frappe, nous touchons du
doigt la réalité et des problèmes qui nous paraissaient secondaires
deviennent prioritaires. Autre sujet beaucoup plus grave : le black-out
électrique. Ainsi au cœur de la crise du Covid, Fatih Birol, Directeur
exécutif de l’Agence Internationale de l’Énergie a évoqué le risque accru de
[255]
black-out en période de faible consommation électrique . Et ce, pour
une raison qui est que « la part d’énergies intermittentes est augmentée du
fait de leur priorité sur le réseau et qu’on peut d’autant moins compter sur la
flexibilité de la consommation industrielle pour rétablir l’équilibre que cette
consommation est réduite ». Fin novembre 2020, Barbara Pompili, Ministre
de la transition énergétique, a elle-même évoqué la possibilité de blackout
en France.
Ces quelques observations laissent à penser que le bon sens voudrait
que la pandémie soit l’occasion pour les scientifiques de redorer leur blason
auprès de l’opinion. À la suite des actions répétées des mouvements
antiscience sur des totems, tels que les OGM, le nucléaire, les antennes
[256]
relais et le glyphosate, la réputation prométhéenne de la science a été
ternie. C’était d’autant plus évident, que les cibles visées n’apportaient pas
une utilité directe et visible au public et que celui-ci n’avait aucun moyen
de vérifier les énoncées à charge portant sur l’infiniment petit (gènes,
atome, ondes et molécule) ; qui plus est, les « scientifiques qui sont censés
avoir réponse à tout » ont été mis dans l’embarras par une interprétation
absolutiste du principe de précaution.... Ne répondant pas à la question
qu’on leur posait, ils ont laissé la porte grande ouverte à l’idéologie.
Un nouveau paradigme a alors vu le jour avec la transition écologique
et ce label ultime que nous avons appelé le « made in Nature », sorte
d’étiquette qui, lorsqu’elle est apposée à un produit ou un service, suffit à
générer spontanément de la confiance et évacuer tous les doutes. Mais cette
« ruse » marketing montre parfois ses limites… et la confrontation à la
réalité de la pandémie renforce encore davantage ce sentiment : le bio n’est
pas au-dessus de tout soupçon et, en période de disette, sa rareté qui se
double souvent d’un prix élevé risque d’être encore plus en compétition
[257]
avec le prix de la vie renchérie et que dire des pénuries alimentaires à
venir si un confinement revenait de manière épisodique ? Les énergies
renouvelables ne faciliteront en rien la vie des citoyens déjà durement
impactée par la crise économique concomitante à la pandémie : seront-ils
partant pour continuer de sponsoriser la transition énergétique alors qu’on
sait qu’une énergie abondante et accessible est la condition de possibilité
pour une sortie de crise rapide et qu’à défaut de celle-ci, le risque de black-
out s’en trouve accru… un raisonnement qui vaut pour le véhicule
électrique ; quant aux « placebos », dans un tweet qui a fait le tour du
monde, la firme US de Boiron a annoncé que l’homéopathie n’avait aucune
[258]
vertu thérapeutique contre le Coronavirus et a déconseillé son usage !
Les temps risquent donc de devenir difficiles pour les gourous de la
transition made in Nature .... Et on peut se douter qu’ils ne manqueront pas
d’appeler l’idéologie à leur secours.
On peut comprendre qu’en période de croissance, alors que les
consommateurs sont repus et disposent à satiété de gadgets, les
technophobes et collapsologues réunis peuvent facilement créer l’illusion
en vantant les vertus de leurs offres qui viennent combler le manque de
valeurs spirituelles ambiant de la société de consommation… Une illusion
qui risque vite de s’évanouir en période de disette… et les petites
imperfections que nous avons révélées (absence de qualités justifiant un
rapport qualité-prix médiocre, énergie non pilotable, recours à des
matériaux rares, absence d’effet démontrable…) risquent de faire surface au
grand jour. Les consommateurs demanderont peut-être alors des comptes.
Mais si les solutions « made in Nature » semblent bien mal parties
pour répondre aux nouveaux défis qui attendent la société de l’après Covid-
19, cela n’empêche pas les idéologues du « Nature Uber Ales », les
prophètes de malheur et autres apôtres de la décroissance, de venir déjà
prêcher par avance, pour leur paroisse et alors que les corps fument encore,
de crier dans les micros qui leur sont tendus, qu’ils l’avaient bien dit et que
la vengeance de Gaïa a été terrible, mais que nous l’avions bien cherché.
Preuve, s’il en est, du caractère idéologique de leurs affirmations :
alors qu’à l’évidence, la réalité nous montre qu’il faut encore davantage de
connaissances pour améliorer notre rapport à la nature, comprendre les
maladies, améliorer notre système de production agroalimentaire et notre
système énergétique, eux, campent sur leurs points de vue ; et fait très
paradoxal, « appellent à soigner la décroissance causée par la pandémie »
par… encore plus de décroissance ! Ou autrement dit de répondre à la
« décroissance subie » avec des solutions qui seraient, elles, labellisées par
une « décroissance voulue » .... Est-on certain que les Français soient prêts
à abandonner leur confort ? Ont-ils bien toutes les cartes en main pour
répondre à cette question ? Certaines anecdotes du confinement laissent à
penser que non. En effet, pour faire face à la pénurie de travailleurs
saisonniers venus de l’étranger à la suite du Covid19, les agriculteurs ont
recruté plus de 200 000 volontaires. Or on a rapporté de nombreux
abandons de ces personnes qui ne s’attendaient pas à une telle difficulté en
[259]
allant travailler aux champs … Il ne s’agit ici que d’un travail de saison.
Que serait-ce, alors, s’ils devaient y travailler pour de bon ?
Or si les fruits de la croissance nous ont permis de vivre dans une bulle
où ont vu le jour une quantité d’idéologies – dont la plupart sont nées
comme une forte réaction teintée de romantisme à la société de
consommation – la pandémie a sonné le retour de la réalité et nous a mis
face à une vérité ultime : seules la méthode scientifique et l’innovation
technologique qui en découle sont susceptibles de nous apporter des
solutions.
La crise générée par le Covid-19 est une occasion supplémentaire de
vérifier que certains voudraient instrumentaliser notre rapport à la nature
pour prendre le pouvoir. Certains qui revendiquent avoir un rapport
particulier à la nature et qui prétendent connaître son plan et voudraient de
ce fait qu’on les suive comme des guides ! C’est l’écologisme (écologie
politique opposée à l’écologie scientifique) qui veut imposer une définition
monopolistique du made in Nature.
À un moment où tout le monde s’interroge sur le monde de demain, on
pourrait tout à fait imaginer que le combat politique oppose encore plus
radicalement pro sciences et déclinistes. Ceux qui s’engagent politiquement
pour que l’on continue dans la voie tracée par les Lumières et avant eux
encore ceux qui ont toujours cru à l’innovation, et ceux qui veulent, au
contraire, freiner le développement de l’humanité. On pourrait alors
imaginer une confrontation entre deux mouvements politiques inspirés
respectivement de Greta Thunberg et d’un Steven Pinker… Chaque parti
disposant d’un programme diamétralement opposé. Les Thunbergistes
regroupant sous une même bannière les partisans de la décroissance et de la
collapsologie et les Pinkeristes, ceux, du progrès scientifique et technique.
Il n’y aurait pas de rapprochement possible entre ces deux camps, pas de
conciliation imaginable, puisque le premier ne souhaite pas de
manipulations du vivant, de fusion de l’atome, de chimie de synthèse ou
encore, pour les plus acharnés, de dispositifs plus sophistiqués pour diffuser
les ondes. Ils ne souhaiteraient pas non plus de NBT, d’agriculture
intelligente et encore moins d’IA. En fait pour résumer clairement leur
argument : ils ne voudraient pas de solutions efficaces sous prétexte que ces
solutions permettent à l’humanité de croître davantage et donc seraient
nuisibles à la Nature qu’eux seuls prétendent représenter.
À l’inverse, si ce sont les Pinkeristes qui prennent le pouvoir, alors il
n’y aura aucun changement par rapport à la direction choisie dans le monde
d’aujourd’hui et les recherches et applications entreprises sur les gènes, les
atomes, les molécules et les ondes. Ce qui n’empêchera pas, que le bio
pourra toujours avoir sa place, on travaillera sur l’amélioration des
performances des énergies renouvelables (notamment du stockage de celles-
ci), bien évidemment le véhicule électrique, et la médecine autorisera tout
ce qui ne viole pas le principe de base primum non nocere (en premier ne
pas nuire) et donc l’homéopathie. Tout ce qui comptera pour les Pinkeristes,
c’est que la raison soit garante de ces choix technologiques et la durabilité
et la sauvegarde de la nature entrent parfaitement dans le cadre des priorités
de choix rationnels. De ce fait, on comprendra le recours à une agriculture
toujours plus smart, des systèmes de production énergétiques toujours plus
efficients et une IA toujours plus utile.
Le monde de l’après-Covid risque de nous plonger plus rapidement
que prévu dans cette confrontation idéologique. Car comme on l’a vu, les
positions se sont encore davantage radicalisées entre ceux qui tentent de
défendre la nécessité d’un progrès scientifique et technique pour lutter
contre la pandémie et ceux qui, au contraire, affirment que tout ce qui nous
arrive est de sa faute. Le dialogue risque de devenir totalement impossible.
Au cœur, de cette querelle qui n’a cessé de s’amplifier depuis des années,
de nombreuses questions restées en suspens comme nous l’avons vu et une
volonté de reprendre le pouvoir de la part de ceux qui prétendent que la
Civilisation des Lumières par sa capacité à changer l’homme, mène celui-ci
à sa perte.
Cette lutte entre les Thunbergistes et les Pinkeristes risque d’être
terrible. Incontestablement les premiers disposent d’un avantage en matière
de communication sur les seconds. Ils savent comment manipuler les
foules. Les autres ont beaucoup de retard en la matière. Il leur faudra
impérativement pour gagner cette élection, retrouver la confiance du public
dans l’aspect démiurgique de la science. C’est bien ce dernier pour finir qui
choisira dans quel monde il souhaite vivre en se laissant influencer par le
plus convaincant. De fait, il n’a intérêt ni à se tromper ni à se laisser
tromper. Voudra-t-il vivre dans une société qui consacre toute son énergie à
améliorer les connaissances scientifiques pour combattre les virus ou dans
[260]
une société qui sacrifie l’humanité sur l’hôtel de la Nature . Et ce n’est
pas exagérer que de dire cela, ni même anticiper. Il suffit de se replonger
dans une interview de Jacques Yves Cousteau, le commandant préféré des
Français, pour s’en persuader :

« L’élimination des virus relève d’une idée noble, mais elle pose à
son tour d’énormes problèmes. Entre l’an 1 et l’an 1400, la
population n’a pratiquement pas changé. À travers les épidémies la
nature compensait les abus de la natalité par des abus de mortalité.
J’avais discuté de cette question avec le directeur de l’académie des
sciences en Égypte. Il m’a dit que les scientifiques étaient
épouvantés à l’idée qu’en l’an 2080 la population puisse atteindre
250 millions en Égypte. Nous voulons éliminer la souffrance les
maladies, l’idée est belle, mais n’est peut-être pas tout à fait
bénéfique sur le long terme, il est peut-être à craindre que l’on
compromette ainsi l’avenir de notre espèce. C’est terrible à dire il
faut que la population mondiale se stabilise et pour cela il faut
éliminer 350 000 hommes par jour [261] »

Ceux qui choisiront de vivre dans un monde Thunbergiste ne pourront


pas dire qu’ils ne savaient pas. Une dystopie qui augure d’un avenir
sombre. Comment sortir de cette impasse ?
Reconnaissons-le, cette opposition a quelque chose de stérile et on se
demande combien de temps l’humanité pourra vivre avec ce chiasme
idéologique. Il est urgent de se débarrasser de toute forme de pensée
destructrice pour revenir au bon sens et rouvrir le dialogue. C’est une
remarque que nous nous appliquons à nous-mêmes et au titre provocateur
de cet ouvrage. Nous l’avons voulu suffisamment accrocheur pour marquer
les esprits. En fait, nous ne supposons pas un seul instant que la jeune Greta
veuille faire du mal au vieil Einstein.... Certes, elle sèche les bancs de
l’école, mais ne prétend-elle pas sans arrêt s’appuyer sur la science ? Sa
grève exprime son refus de la version prométhéenne de notre civilisation
avec toutes ses applications technologiques. Ce qui ne l’empêche pas de
s’appuyer sur la science – en se référant aux modèles du GIEC – quand elle
veut que nous ayons peur, et n’oublions pas qu’elle fait usage de toutes les
nouvelles technologies, en matière de transport, de communication,
d’énergie, d’alimentation comme chacun d’entre nous. De même nous
l’avons vu certains néo-scientistes collapsologues, déclinistes et
catastrophistes, affectionnent de s’appuyer également sur ces modèles pour
prédire la fin du monde.
Quant au public, nous avons encore plein de bonnes raisons de croire
qu’il vénère la science et ses nombreuses applications. Il suffit de voir
l’intérêt pris par les foules dans les débats passionnés et passionnels sur le
Covid, la Chloroquine, le Remdesivir et les vaccins. À bien y réfléchir, tout
le monde attend quelque chose du monde scientifique. Peut-être sommes-
nous allés trop vite en disant que le marketing écologiste avait fait tomber la
civilisation prométhéenne de son piédestal et que Greta avait tué Einstein.
C’est peut-être bien au contraire Einstein qui risque de tuer Greta…
Reconnaissons toutefois à la jeune fille une vertu : elle, ainsi que toutes les
ONG avant elle, ont permis l’ouverture d’un débat nécessaire et impératif
qui est « Qu’est-ce qu’une bonne politique scientifique ? ».
Mais tous ont commis une erreur de jugement en pensant qu’en
utilisant la science pour modifier son environnement, l’homme agissait
contre la Nature. Au contraire, il ne fait qu’approfondir la connaissance de
celle-ci et lorsqu’il la modifie cela n’en reste pas moins dans le cadre de
possibles définis par elle et le plus souvent en s’inspirant d’elle. Pour
conclure définitivement et illustrer ce propos, nous voudrions développer
un exemple éclairant.
Au moment où nous terminons la rédaction de cet ouvrage, la chimiste
française Emmanuelle Charpentier dont nous avons déjà parlé et
l’américaine Jennifer Doudna ont obtenu le prix Nobel de Chimie pour la
découverte sur les ciseaux génétiques Crispr-Cas9. Certains médias se sont
empressés de dénoncer l’hypocrisie de nos politiques qui se vantaient du
fait qu’une Française avait eu le prix Nobel, alors que, comme nous l’a
expliqué Agnès Ricroch, si la chercheuse aurait bien pu « faire sa
découverte en France sur le plan fondamental, elle n’aurait pas pu en
développer les applications, notamment en agriculture en France ». Un
signe qui montre à quel point la subversion de la science par l’idéologie a
des conséquences graves, que nous dénonçons depuis quelques années
[262]
maintenant et qui nous a fait dire que si Charpentier méritait le prix
Nobel de Chimie, la France, elle, méritait bien celui de l’idéologie.
Tout cela a pour cause, comme on le sait, l’introduction du principe de
précaution qui est extrêmement mal adapté à la recherche scientifique. C’est
à notre avis une raison supplémentaire pour le remplacer par le principe de
« cas par cas » beaucoup mieux adapté. Ce dernier développe plusieurs
idées dont une qui est ici fondamentale : la science procède toujours au
« pas à pas ». En conséquence, il ne sert à rien de bloquer les innovations
scientifiques par le biais d’une application absolutiste du principe de
précaution, car, par essence, la science se corrige en permanence. « Le
facteur temps est incontournable. Alors que le principe de précaution bute
sur une notion qui est la capacité de prévoir un risque a priori, le principe
de cas par cas affirme que le propre de la technologie réside dans sa
capacité à se corriger. On comprend tout à fait qu’une technologie
disparaisse ou qu’une technologie vienne en remplacer une autre dans le
cadre d’une évolution “pas à pas”. De ce point de vue, elle n’exige pas,
comme pourrait le faire une interprétation stricte du principe de précaution,
[263]
de disposer d’une solution immédiate et infaillible dès le départ .»
La découverte de Charpentier et Doudna et les applications qu’elle
permet est une parfaite illustration de cette règle. Le propre de l’innovation
scientifique étant de se corriger en permanence, Crispr-Cas9 est d’autant
plus importante qu’elle répond théoriquement à la principale objection des
anti-OGM qui soutenaient que le recours à la transgenèse végétale était une
transgression de la barrière des espèces. Les biotechnologies peuvent se
passer de celle-ci pour modifier le vivant. Charpentier et Doudna nous
apportent une solution alternative. Pourtant, il n’en reste pas moins que les
idéologues continuent de manifester leur opposition. Ainsi, on a vu
comment ils avaient mis la pression à la CJUE pour qu’elle alourdisse la
[264]
législation sur les applications que permet cette découverte .
Nous voici donc clairement en présence de deux méthodes : d’un côté,
la méthode scientifique dont le critère de démarcation – pour reprendre un
terme cher au philosophe Karl Popper – est une perpétuelle remise en
question. C’est vrai pour les sciences dures, mais également pour leurs
applications sans cesse soumises à un processus d’innovation, le plus
souvent guidé par le marché en quête de meilleures solutions (notons de ce
point de vue que les objectifs du marché sont parfaitement conciliables avec
ceux de l’environnement). De l’autre, nous avons la pensée obtuse et
idéologique qui ne progresse jamais et reste enfermée dans des pseudo-
certitudes, totalement fausses la plupart du temps et qui utilise le principe
de précaution pour bloquer toute avancée possibles… Le propre de tout cela
étant qu’elle continue d’avoir les mêmes idées alors que les faits, les
connaissances disponibles ont changé. Bref, son critère de démarcation est
l’absence totale de remise en question.
Au travers des travaux de Charpentier et Doudna, l’histoire des
sciences et des technologie nous montre comment une découverte peut
apporter une solution qui met un terme à une opposition idéologique et
illustre à quel point l’homme, la science et la nature sont intimement liés.
Et puisque nous prétendions traiter de la manière dont le marketing
vert a fait tomber la civilisation du progrès de son piédestal, reconnaissons
que si le label made in Nature rassure l’opinion, alors il conviendra
également de l’appliquer, comme nous pensons l’avoir démontré, aux
innovations scientifiques et technologiques. Voici donc une belle
opportunité de retrouver confiance en la science.

246. Perine Mouterde, Coronavirus : la dégradation de la biodiversité en question, in le Monde


https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/04/04/coronavirus-la-degradation-de-la-biodiversite-
en-question_6035591_1650684.html
247. Christian Lévêque, La destruction de la biodiversité a-t-elle engendré le Coronavirus ? In
EuropeanScientist https://www.europeanscientist.com/fr/environnement/la-destruction-de-la-
biodiversite-a-t-elle-engendre-le-coronavirus/
248. Climat : confinés, les jeunes entament une grève mondiale et virtuelle
https://www.lesoir.be/296608/article/2020-04-24/climat-confines-les-jeunes-entament-une-
greve-mondiale-et-virtuelle
249. Notons que même les supporters de la jeune Suédoise relèvent cette discordance entre
émotion et raison. Reçu sur le plateau de Stéphane Soumier, l’expert du nucléaire Jean-Marc
Jancovici dont nous avons parlé à plusieurs reprises, dit à la fois que « l’inquiétude de l’adolescente
Greta Thunberg est légitime » et afin de critiquer les politiques qui ne font aucun effort pour
comprendre les problèmes énergétiques, cite l’exemple du Président Macron qui a pris le temps de
recevoir Greta Thunberg, mais n’a pas pris cinq heures pour s’instruire sur la science de la
problématique énergétique. In Climat, les leçons du choc Covid https://youtube.be/QrATizaiuLM
250. Dans un éditorial intitulé « Didier Raoult, mauvais scientifique, bon médecin ? » Nous
avons regroupé les arguments anti et pro Raoult. Le premier groupe – les anti – nous permet de
soutenir l’hypothèse selon laquelle le savant marseillais est un mauvais scientifique, une des
principales raisons étant qu’il n’applique pas la méthode que préconisent les protagonistes de la RCT
pour vérifier si le traitement qu’il préconise, la chloroquine, est efficace ou non ; le deuxième groupe
– les pro – nous permet de soutenir l’hypothèse selon laquelle le savant marseillais est un bon
médecin en ce sens qu’il a les qualités et l’attitude que l’on est en droit d’attendre d’un médecin,
essentiellement la volonté d’avoir un contact avec son patient, essentiel dans la définition authentique
de l’EBM (evidence based medecine). Or il n’y a aucune contradiction à affirmer l’un et l’autre ; s’il
est juste de dire que Didier Raoult peut être à l’intersection des deux groupes, c’est que les deux
ensembles ne se recouvrent pas totalement. Ainsi nous nous sommes appuyés sur la thèse historique
du philosophe et médecin Georges Canguilhem, le Normal et le Pathologique, pour qui « il n’y a pas
de pathologie objective », et le commentaire qu’en fait Claude Debru : « Tout en s’appuyant sur des
sciences, la médecine n’est pas une science c’est une technique fondée sur des propriétés vitales,
utilisant des propriétés vitales « la fameuse normativité », au service de la vie. Canguilhem
développe une philosophie pour la médecine plutôt qu’une philosophie de la médecine, qui porte
finalement sur l’expérience de la vie et sur la vie comme expérience. »
https://www.europeanscientist.com/fr/editors-corner-fr/didier-raoult-mauvais-scientifique-et-
bon-medecin/
251. World faces food crisis in wake of coronavirus: UN, WTO
https://economictimes.indiatimes.com/news/international/world-news/world-faces-food-crisis-
in-wake-of-coronavirus-un-wto/articleshow/74931645.cms?
utm_source=contentofinterest&utm_medium=text&utm_campaign=cppst
252. Ainsi au bout de la troisième semaine de confinement, une pénurie de fruits et légumes en
provenance d’Espagne force les magasins à vendre des produits français, ce qui entraine une hausse
des prix sur l’ensemble des rayons et va faire découvrir aux consommateurs que le « produire local »
a un coût
253. État d’urgence sanitaire : Élisabeth Borne a réuni les acteurs de la filière des énergies
renouvelables électriques https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/etat-durgence-sanitaire-elisabeth-
borne-reuni-acteurs-filiere-des-energies-renouvelables-electriques
254. Total parmi les concurrents d’EDF réclamant la force majeure sur l’électricité nucléaire
https://www.usinenouvelle.com/article/total-parmi-les-concurrents-d-edf-reclamant-la-force-majeure-
sur-l-electricite-nucleaire.N950646
255. The coronavirus crisis reminds us that electricity is more indispensable than ever
https://www.iea.org/commentaries/the-coronavirus-crisis-reminds-us-that-electricity-is-more-
indispensable-than-ever
256. Notons que ce totem a de nouveau été pris pour cible à l’occasion de la pandémie,
puisqu’une thèse a couru selon laquelle les mâts de 5G pouvaient être à l’origine de l’affaiblissement
de notre système immunitaire, ce qui favorisait la transmission du Coronavirus. Ainsi, comme dans
les années 2010, des groupes extrémistes en sont venus à incendier les antennes 5G au Royaume
Unis
https://www.theguardian.com/world/2020/apr/26/5g-coronavirus-and-contagious-superstition
257. Un peu plus d’un mois après le début du confinement, le prix des fruits et légumes a bondi
de 9% http://www.leparisien.fr/economie/coronavirus-le-prix-des-fruits-et-legumes-a-bondi-de-9-
depuis-le-confinement-22-04-2020-8303598.php
258. Le laboratoire Boiron déconseille d’utiliser son homéopathie contre le coronavirus
https://www.bfmtv.com/economie/le-laboratoire-boiron-deconseille-d-utiliser-son-homeopathie-
contre-le-coronavirus-1867793.html
259. « Coronavirus : les agriculteurs des Pays de la Loire ont besoin de bras pour remplir vos
assiettes » https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/coronavirus-agriculteurs-pays-
loire-ont-besoin-bras-remplir-vos-assiettes-1810402.html
260. En vérité, sacrifiée « par ceux qui pensent savoir mieux que quiconque ce qu’est la
Nature » et cherchent à prendre le pouvoir sur « ceux qui l’ignorent », par ce biais.
261. Cité par Luc Ferry dans un entretien au Point « La tentation de la violence écologiste existe
depuis des années » https://www.lepoint.fr/societe/luc-ferry-la-tentation-de-la-violence-ecologiste-
existe-depuis-des-annees-21-08-2019-2330884_23.php
262. Les OGM, querelle idéologique, par Jean-Paul Oury dans Le Monde
https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/05/20/les-ogm-querelle-ideologique-par-jean-paul-
oury_1047107_3244.html
263. Jean-Paul Oury, in La Querelle de OGM, PUF, p.192
264. Cf. ici.
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Popper, Karl, Unended Quest: An Intellectual Autobiography, Routledge,
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Rameaux, Marc, Le Tao de l’économie: Du bon usage de l’économie de
marché, L’Harmattan, 2020
Ricroch Agnès, Houdebine Louis-Marie, Regnault-Roger Catherine, Au-
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Pernollet Transvalor, Presses des mine, 2018

Rivière Wekstein, Gil, Glyphosate, l’impossible débat : Intox, mensonges et


billets verts, le Publieur, 2020
Rivière Wekstein, Bio, fausses promesses et vrai marketing, le Publieur,
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pensée, Paris, Vrin, 2004
Whitehead, The Concept of Nature, Dover Publications Inc., 25 février
2005
SOMMAIRE

Page titre
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La science détrônée par une ado de 17 ans ?
Première partie. Technologies présumées coupables
1. « OGM danger »… et toujours pas l’ombre d’un rhume
2. « Nucléaire non merci » : Le fantôme de Tchernobyl au labo de Bure
3. « Mauvaises ondes » : l’antenne était éteinte
4. « Sans Glyphosate » : probablement un cancérigène ?
5. Quatre totems et un enterrement
Deuxième partie. La transition made in Nature
6. Le bio : tellement bon qu’on ne lui pose pas de questions
7. Éoliennes : l’hélice qui cache la centrale à charbon
8. Véhicule électrique : les terres rares sous le tapis
9. Homéopathie : 100 % placébo.... 0 % remboursé
10. La magie surnaturelle du naturel
Troisième partie. Dystopie verte : l’idéologie d’abord, la science après
11. Le petit Greta rouge et le loup
12. Collapsologie : attention chute de Lumières !
13. Sous pression du catastroscientisme
14. Amour de la nature ou haine de l’humanité ?
Quatrième partie. L’empire rationaliste contre-attaque
15. La révolte des scientifiques
16. À l’ère du « décarboné », le Nucléaire se refait une santé
17. Des NBT encore plus naturelles avec CRISPR
18. L’agriculture plus smart que l’agri-bashing
19. L’IA au service de l’humanité et non l’inverse
20. Une nouvelle alliance Homme-Nature
Conclusion. Greta au pays de l’après-Covid
Bibliographie

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