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Éditions, 2020
98, boulevard de la Reine,
78000 Versailles
http://www.vapress.fr/
https://www.va-editions.fr/
1. Précisons que nous considérons ici la symbolique et les idées qu’elle représente et ne
souhaitons nullement proférer des attaques ad hominem ou rentrer dans la psychologie du
personnage.
2. « Comment la grève solitaire de Greta Thunberg est devenue virale en deux heures », In La
Netscouade https://lanetscouade.com/picks/comment-la-greve-solitaire-de-greta-thunberg-est-
devenue-virale-en-deux-heures/
3. A Facebook Bug Exposed Anonymous Admins of Pages, in Wired
https://www.wired.com/story/facebook-bug-page-admins-edit-history-doxxing/
4. « The 20th century will be remembered foremost for its science and technology and Einstein
serves as a symbol of all the scientists–such as Fermi, Heisenberg, Bohr, Richard Feynman, ...who
built upon his work »
https://web.archive.org/web/20130722184958/http://www.aip.org/history/newsletter/spring2000
/einstein.htm
5. « That action must be powerful and wide-ranging. After all, the climate crisis is not just about
the environment. It is a crisis of human rights, of justice, and of political will. Colonial, racist, and
patriarchal systems of oppression have created and fueled it. We need to dismantle them all. Our
political leaders can no longer shirk their responsibilities. » Why We Strike Again, Greta Thunberg
, Luisa Neubauer, Angela Valenzuela, Project Syndicate Nov 29, 2019 https://www.project-
syndicate.org/commentary/climate-strikes-un-conference-madrid-by-greta-thunberg-et-al-2019-11?
barrier=accesspaylog
6. Il est important de distinguer l’écologisme comme idéologie politique et l’écologie
scientifique
7. Jean-Paul Oury, La Querelle des OGM, Paris, PUF, 2006
8. Notre intention ici est d’écrire un ouvrage accessible à tous
9. Une partie de notre thèse a consisté à démontrer que le débat scientifique se scinde en deux
catégories qui sont les controverses d’une part – un débat entre experts qui s’opposent sur
l’interprétation des faits, et les polémiques d’autre part – un débat qui peut concerner des experts,
mais également des médias, des politiques ou des militants d’ONG qui s’attaquent mutuellement ad
hominem.
Première partie
Nous nous sommes contentés d’évoquer jusqu’à présent les actions des
militants et leurs talents inouïs pour faire exister un danger totalement
fantasmé, mais cela va beaucoup plus loin. Car de nombreux scientifiques –
le plus souvent militants eux aussi – se sont opposés aux OGM pour
diverses raisons. Comme nous l’avons démontré, toutes les controverses
scientifiques pouvaient être ramenées à une critique du mode d’obtention –
la transgenèse végétale – qui d’après les « anti OGM » pouvaient être
source de nouveaux risques.
Les controverses et les polémiques sont multiples. La plus récente et la
plus connue est l’affaire Gilles-Éric Séralini. Comme l’a expliqué le
directeur de recherche du CNRS Marcel Kuntz dans L’Affaire Séralini :
[21]
l’impasse d’une science militante , en septembre 2012 : « Une
publication dans un journal scientifique de Gilles Éric Séralini et ses
collaborateurs a eu droit à une couverture médiatique mondiale, illustrée par
trois rats devenus les plus célèbres au monde, en raison des tumeurs grosses
comme des balles de ping-pong dont ils étaient porteurs. Cette publication
affirma que la consommation par des rats de grains du maïs
transgénique NK603, en présence ou non de l’herbicide glyphosate, ou
encore l’exposition à cet herbicide seul induiraient des tumeurs en nombre
accru et plus précocement. » Mais l’étude en question a fini par être
invalidée et a dû être dépubliée. Il n’en reste pas moins qu’elle a eu une
résonance incroyable et les photos de rats n’ont pas manqué de marquer les
esprits. Aussi, dans l’analyse qu’il fait de cette affaire Kuntz s’interroge sur
le mécanisme de diffusion qui a fait que Le Nouvel Observateur a publié
l’étude sans avoir l’avis critique d’autres scientifiques… une pratique
unique et qui n’a jamais lieu habituellement en science.
N’a jamais eu lieu en science…. Sauf peut-être pour les OGM. Car
hélas, ce n’est pas la première fois que des scientifiques cèdent à la
tentation de faire des annonces catastrophistes infondées dans les médias
quitte à devoir, par la suite, retirer leurs travaux, voire démissionner. C’est
le cas par exemple pour le scientifique écossais Arpad Pusztai. En 1995, il
est commissionné par le bureau écossais de l’agriculture, de la pêche et de
l’environnement pour étudier les effets de l’ingestion d’aliments
génétiquement modifiés sur la santé des animaux et des hommes. Or plutôt
que de se plier à la traditionnelle revue par les pairs des résultats de son
étude, il se rend sur un plateau TV et déclare « nous sommes tous des
cobayes » puis publie ses résultats sur Internet, dans son étude il affirme
avoir prouvé la toxicité de pommes de terre génétiquement modifiées pour
les rats : « En conclusion, l’effet stimulant des pommes de terre GNA-GM
sur l’estomac était principalement dû à l’expression du transgène GNA dans
la pomme de terre. » Notons qu’une partie de l’étude sera ensuite publiée
[22] [23]
dans le très sérieux journal le Lancet . Puis les travaux seront
invalidés par la Royal Academy à la suite d’une revue à l’aveugle. Parmi
les critiques, voici les trois principales : méthodologie inadéquate,
alimentation inadaptée et généralisation injustifiée.
On citera encore l’économiste Charles Benbrook, un fervent anti OGM
financé par l’industrie du bio aux États-Unis. Au début des années 2001, il
essaye de montrer que le soja RR (Round-up ready) qui a été modifié pour
[24]
résister au glyphosate, aurait un rendement moindre ; ces résultats ont
[25]
fait l’objet de critiques sévères : il n’aurait pas dû attribuer le rendement
moindre à la modification génétique, mais à l’espèce choisie. Le fait est que
ce même consultant, quelques années plus tard, s’est fait rattraper à cause
de ses nombreux conflits d’intérêts (il a été payé par des protagonistes de
l’agriculture bio, tels que Whole foods) et a dû quitter son poste à
[26]
l’Université de Washington .
Les scientifiques militants ont joué un rôle d’appui considérable pour
la diffusion des critiques des OGM en apportant la matière aux activistes et
aux ONG. Un outil nouveau leur a servi d’amplificateur. C’est avec la
controverse scientifique sur les OGM que les scientifiques commencent
sérieusement à donner une considération hors norme au principe de
précaution et à en faire un usage « absolutiste ». C’est sans doute l’une des
premières fois dans l’histoire que l’on appliquera avec une telle ampleur
l’inversion de la charge de la preuve pour juger des applications d’une
technologie.
Le principe de précaution dans sa version absolutiste a été une arme
redoutable contre le développement des biotechnologies végétales. C’est
avec son aide que les scientifiques anti OGM, souvent appuyés par les
ONG, voire, parlant en leur nom (on pensera par exemple au CriiGen) ont
pu mettre la science dans l’embarras en lui posant des questions auxquelles
elle n’était pas en mesure de répondre. Comment cela ? Eh bien tout
simplement en exigeant qu’elle démontre l’absence totale de risque, ou
autrement dit, « le risque 0 ». Or le risque 0 n’est pas un concept
scientifique puisqu’il n’a pas d’existence.
Une proposition telle que « Le maïs BT ne donnera jamais lieu à
l’apparition de pyrale résistante » n’est pas scientifique. En effet, on n’est
pas en mesure de se prononcer sur une innocuité absolue. Alors que la
proposition « Le maïs BT peut donner lieu à l’apparition de pyrale
résistante » est scientifique. Il suffit d’un cas pour prouver. Partant de là, les
anti OGM ont réussi à mettre les pro OGM dans l’embarras. Car aucun
scientifique sérieux ne se prononcera jamais sur l’innocuité totale d’un
organisme.
Ainsi les exigences des militants anti OGM à l’égard des agriculteurs
qui en cultivent sont toujours plus élevées et ainsi trouvent-ils que ceux-ci
n’en font jamais assez. Aux USA, par exemple, au début des années 2000,
les semenciers ont fait des campagnes d’appels téléphoniques pour vérifier
que les agriculteurs respectaient bien les consignes qu’ils avaient reçues
afin d’éviter l’apparition de pyrales résistantes à l’insecticide, une initiative
qui applique le principe précaution. Mais pourtant certains anti OGM vont
[27]
se plaindre que le taux d’agriculteurs responsables n’est pas de 100 % .
Autrement dit, que, malgré les efforts faits au sein de la filière, le risque 0
n’est pas garanti.
Voici donc quelques éléments qui aident à comprendre pourquoi le
procès des OGM n’est jamais terminé, alors qu’en vingt années on n’a
trouvé aucune preuve pour les condamner. Et au sein de ce tribunal, il faut
dire que l’opinion reste bien impuissante et est prête à croire le dernier qui a
parlé. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas en mesure de vérifier par elle-
même la vérité des énoncés. « Comment est-ce possible alors que l’on
trouve des OGM dans nos assiettes ? » Eh bien non ! Les seuls OGM
présents aujourd’hui sur le marché servent à l’alimentation animale. Faut-il
rappeler que le soja représente 50 % de l’ensemble des cultures, le maïs,
30,7 %, le coton 13 % ; le colza 5,3 % et les autres plantes, moins de 1 % !
Quelles sont d’ailleurs ces dernières ? On trouve la betterave à sucre, la
[28]
luzerne, la papaye, la courge, la pomme de terre et la pomme .
C’est un argument supplémentaire qui permet de comprendre pourquoi
le consommateur est prêt à croire n’importe quoi. Comment juger d’un
produit que l’on n’utilise pas soi-même ? Les agriculteurs qui utilisent cette
technologie, eux, sont capables d’effectuer ce jugement. Ils peuvent juger
de l’efficacité du produit ou non ; s’il leur est utile ou non. C’est ainsi qu’en
France l’agriculteur Claude Ménara s’est rendu célèbre en s’opposant aux
ONG anti OGM qui voulaient l’empêcher d’avoir recours au Maïs BT dans
[29]
son exploitation du Lot-et-Garonne. Ainsi dans une interview au Figaro ,
il affirme faire partie des 15 premiers maïsiculteurs à s’être lancés dans la
production commerciale de maïs transgénique : « D’abord, 80 hectares en
Midi-Pyrénées et en Aquitaine. En 2006, nous avons cultivé 5 180 hectares
et cette année il y aura entre 40 000 et 50 000 hectares plantés ! (…) Je suis
agriculteur, consommateur, j’ai une famille, martèle-t-il. Si on me prouve
que c’est dangereux, je ferai autre chose. » Selon lui c’est la solution la plus
écologique : « Aujourd’hui, je n’utilise plus d’insecticides. Mes champs
sont pleins de coccinelles, c’est un signe ! »
Reconnaissons que nous-autres consommateurs, sommes bien
incapables de porter un tel jugement puisqu’au final, nous sommes les
derniers concernés. L’opinion publique fait donc un piètre jury pour se
prononcer sur la culpabilité des OGM. Persuadés qu’ils se cachent dans son
assiette et qu’ils sont nocifs, ils sont reconnaissants à la grande distribution
quand celle-ci annonce, par exemple, que tel ou tel produit est « sans
OGM », alors qu’on ne voit pas bien comment il pourrait en être autrement,
hormis pour les produits importés.
Voici donc un coupable idéal à qui on demande de fournir une preuve
impossible à fournir : celle de l’absence totale de risque. Et comme il n’est
pas en mesure de la fournir, puisque répondre à cette question ne serait pas
scientifique, les procureurs persuadés de l’existence de celui-ci (le risque)
se chargent de le matérialiser et de le mimer en se déguisant pour
impressionner le jury et l’influencer. En Europe, le débat est toujours
d’actualité. On en voit les conséquences dans la dépendance grandissante de
l’agriculture européenne à cette technologie que notre vieux continent a
choisi de ne pas développer. Ainsi fin septembre, la Commission
Européenne a autorisé la mise sur le marché d’un soja OGM de Monsanto,
mais « Il s’agit uniquement de permettre l’importation de ces produits, car
[30]
ce soja transgénique ne pourra pas être cultivé en Europe »
Nous pourrions encore davantage développer sur tous ces points et
d’autres encore, mais notre objectif est de montrer que c’est ce même
schéma que l’on va retrouver à l’œuvre sur d’autres « têtes de Turc » de
l’écologisme.
Ils sont déterminés pour aller jusqu’au bout de leur cause afin de
persuader le président Macron de l’erreur du gouvernement précédent et
veulent communiquer auprès des médias. Pour cela ils mettent en place un
blog, et s’inscrivent sur les réseaux sociaux. Pour la plupart d’entre eux, il
s’agit d’une gageure, car loin d’appartenir à la génération des « digital
natives », bon nombre sont sur le chemin de la retraite. Mais ils sont
clairement déterminés à défendre la science et la rationalité. Et ils
réussissent à publier pour interpeller l’opinion dans plusieurs grands médias
tels que La Tribune, Causeur ou encore L’Opinion. Mais rien n’y fait et le
30 septembre 2019, EDF a annoncé la fermeture définitive de la centrale
nucléaire de Fessenheim pour 2020.
C’est l’occasion pour STA de diffuser un communiqué auprès de plus
de 400 médias et décideurs politiques dans lequel on peut lire :
« Une décision irrationnelle :
— contraire à l’intérêt économique de la France,
— en contradiction avec les engagements climatiques européens,
— sans réelle justification concernant la sécurité de la population.
Le Collectif Science-Technologies-Actions dénonce fermement la
décision de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. »
Au travers de cet exemple, on réalise que ce que les opposants ne
manqueraient pas d’appeler « lobby nucléaire » est en réalité un groupe de
scientifiques bénévoles et retraités pour la plupart, sans aucun pouvoir ni
influence sur les autorités. On est frappé quand on réalise à quel point
l’autre lobby, celui des antinucléaires, qui ne se nomme jamais comme tel, a
fini par gagner la partie pour s’imposer et décider de l’avenir énergétique de
la France.
Certes le nucléaire n’est pas comparable aux biotechnologies, en ce
sens qu’il a à son actif des accidents spectaculaires et ne peut se targuer de
n’avoir fait aucune victime, mais, comme on va le voir, c’est toujours la
même logique que l’on retrouve à l’œuvre : mettre en scène un risque
potentiel, poser une question à laquelle les scientifiques ne pourront
répondre par honnêteté : car le risque zéro n’existe pas.
Précisons que nous nous concentrerons sur des problématiques liées au
nucléaire civil. Comme le rappelle Tristan Kamin, un ingénieur d’études en
sûreté nucléaire, « Le terme “nucléaire” est trop souvent utilisé en
supposant qu’il se suffise à lui-même pour définir le propos. Pourtant, il est
très rare que soient visés le nucléaire médical, le Cern (l’organisation pour
la recherche nucléaire basée à Genève), la recherche sur la fusion ou la
propulsion navale, qu’elle soit civile ou militaire. Ainsi, sauf à parler de
géostratégie et d’armement, quand on mentionne “le nucléaire”, la véritable
[32]
cible est “la production électrique d’origine nucléaire”. » Il est important
d’avoir ces considérations en tête pour nous lancer dans le débat sur le
nucléaire civil. D’autant plus que l’une des stratégies des opposants repose
sur une tentative de brouillage des cartes dans l’esprit de l’opinion.
Manifester, faire des films, organiser des concerts…, les ressources des
militants antinucléaires sont infinies pour créer des biais cognitifs dans
l’opinion et renforcer des a priori ou mettre le doigt sur des failles de
[37]
sécurités qui pourraient se révéler fatales . Il faut dire que les
catastrophes qui se sont produites ont contribué encore davantage à
renforcer cette crainte infuse. Des accidents spectaculaires ont marqué la
mémoire collective et ont contribué à braquer les foules. Jean-Pierre Poirier,
docteur en médecine et sciences économique, dans son ouvrage
remarquable sur Marie Curie et les conquérants de l’atome, distingue trois
grandes catégories : Les incidents techniques et accidents techniques en
cours d’exploitation (par exemple un court-circuit ou une panne électrique),
les accidents graves (perte des circuits de refroidissement, fusion du cœur
du réacteur) et enfin les actes de terrorisme et actes de guerre. À cela, il faut
ajouter la gestion des déchets nucléaires. Les accidents qui ont le plus
marqué les esprits sont Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en 1986,
Tokai Mura en 1999, Sellafield en 2005 et Fukushima en 2011. Prenant acte
de ces risques inconsidérés, certains pays comme la Suisse ou l’Allemagne
ont décidé de mettre un terme au développement de leur industrie nucléaire.
[38]
Un revers immense pour la filière .
Pourtant en termes de risques encourus, tous les chiffres confirment
que l’énergie nucléaire est à l’origine d’un bien moins grand nombre
d’accidents que les autres sources d’énergie. Ainsi comme le souligne
Gérard Grundblatt, membre de l’Académie des technologies, « Chaque
mode de production d’énergie modifie l’environnement et a des
conséquences différentes sur la santé humaine. Si toutes présentent des
risques, la perception par les citoyens est cependant très différente, et pas
[39]
forcément en rapport avec la réalité . » L’ingénieur retraité compare ainsi
les risques liés à l’extraction de charbon, ceux liés à l’énergie hydraulique
et ceux liés à l’énergie nucléaire. Concernant cette dernière, il émet ce
constat : « Les risques liés à l’énergie nucléaire – extraction de l’uranium
dans les mines, libération de radioactivité par accident et évacuation de
territoires, problèmes liés au traitement des déchets radioactifs – sont vécus
différemment, car les accidents sont très rares, mais spectaculaires, et le
danger très difficile à cerner. Un nuage radioactif est vécu comme une
agression d’autant plus inquiétante qu’elle est sournoise et difficile à
objectiver, avec des effets potentiels nocifs pouvant continuer à se
manifester longtemps après l’accident. » L’auteur de l’article se réfère à une
étude de référence de l’OCDE qui cite le nombre de décès par source
d’énergie de 1970 à 2008 et distingue les pays de l’OCDE et ceux qui se
trouvent en dehors. On notera que plus de 38 672 personnes sont mortes
dans un accident (hors OCDE) pour le charbon, alors que le nucléaire en
compte lui 31 morts à Tchernobyl (notons qu’il ne s’agit pas d’une étude
qui traite des maladies chroniques).
D’autres études citées par l’auteur permettent de relativiser le risque
du nucléaire et l’autorisent à conclure que : « Par unité d’énergie produite,
on constate que le nucléaire contribue en fait considérablement moins à
cette mortalité différée que ne le font les combustibles fossiles. Une des
raisons est qu’il ne peut le faire qu’à l’occasion d’accidents graves,
entraînant une importante contamination radioactive, tandis que les
combustibles fossiles le font en permanence au travers de la pollution
atmosphérique qu’entraînent leurs émissions de particules. »
Cette parenthèse nous permet de mieux revenir à notre sujet. S’il est
indéniable que les aspects spectaculaires des accidents du nucléaire ont
marqué à jamais l’opinion et avec raison, il n’en reste pas moins que les
associations continuent d’œuvrer pour amplifier les peurs et surtout de
poser des questions qui mettent les scientifiques dans l’embarras au point
qu’ils ne peuvent jamais donner de réponse.
Tristan Kamin, dans l’article déjà cité, distingue quatre grandes
thématiques sur lesquelles les ONG prennent à défaut l’industrie nucléaire
en générant de l’incertitude : « L’âge limite des réacteurs est de quarante
ans », « Le nucléaire pollue », « On ne sait pas démanteler un réacteur »,
« On ne sait pas gérer les déchets radioactifs ». Selon l’ingénieur d’étude en
sûreté nucléaire, cette dernière affirmation est « l’argument ultime dans
toute discussion sur le nucléaire. Elle est souvent avancée comme suffisante
pour inciter au renoncement à l’électricité nucléaire. »
Or selon lui, « la réalité est que la filière gère depuis 50 ans tous ses
déchets, et est probablement une des industries les maîtrisant le plus
exhaustivement… il n’est jamais inutile de rappeler que les dispositions
envisagées pour le long terme (stockage géologique à faible ou grande
profondeur) sont des exutoires définitifs et non une solution temporaire en
attendant une véritable solution. Les générations futures n’auront pas à
gérer ces déchets et pourront même oublier leur existence sans risque. »
C’est la configuration qui est clairement envisagée dans le cadre du
laboratoire sous-terrain de Bure en Meuse et c’est sur ce dernier point que
nous voudrions revenir au travers de l’exemple du projet Cigéo.
[40]
Sur la page Wikipedia du labo , on peut lire la présentation suivante
« Le laboratoire de Bure, ou laboratoire de recherche souterrain de
Meuse/Haute-Marne (LSMHM), est un réseau de galeries souterraines
localisé sous le territoire des communes de Bure (Meuse) et Saudron
(Haute-Marne) en France. Dans le cadre des recherches sur le stockage des
déchets radioactifs en couche géologique profonde, ce laboratoire de
recherche souterrain est exploité par l’Agence nationale pour la gestion des
déchets radioactifs (Andra) afin d’évaluer les propriétés de confinement de
la formation géologique située à 500 mètres de profondeur pour le projet
Cigéo de stockage des déchets nucléaires. » Un projet qui a vu le jour en
2000.
Une situation tout à fait propice pour que les ONG puissent semer le
doute dans l’opinion en mettant en scène le risque d’une part et en posant
des questions auxquelles les scientifiques sont incapables de répondre
d’autre part. Alors qu’il n’y a aucun déchet présent sur le site à ce jour et
que pour l’instant, rien n’est prévu avant 2025, les associations et les
militants manifestent leur présence sur le site en réalisant différentes actions
afin d’attirer l’attention des médias.
Ainsi avant même la désignation du site meusien, la Coordination
nationale des collectifs contre l’enfouissement des déchets radioactifs (CN-
CEDRA) a été créée. En 2001, l’association en question organise un camp
contre l’implantation du laboratoire de Bure. Après avoir protesté en 2006
contre la loi qui consacrait l’enfouissement des déchets, elle s’est
concentrée sur l’organisation de festival de musique et différents
événements, tels que le Festival Bure’lesques. Les militants se réunissent
souvent dans la Maison de Résistance à Bure. Elle communique sur le site
[41]
burestop.free . En 2017, les militants ont monté d’un cran en voulant
occuper le Bois Lejuc, la zone acquise par l’ANDRA, pour y procéder à
l’enfouissement des déchets. Ils en ont été délogés par les forces de l’ordre
en 2018.
On notera tout d’abord qu’il y a toujours une forte connotation
politique dans cette opposition puisque les membres de la ZAD naissante
l’ont baptisée anticapitaliste et antiautoritaire. Chez certains d’entre eux, la
tentation est forte de faire croire que des déchets sont déjà présents dans le
sous-terrain et le ton complotiste est de mise.
Ainsi la blogueuse de la chaîne Alter-J nous confesse que vers la fin
des années 90 elle a connu « un ingénieur qui avait été payé pour faire les
plans d’enfouissement des déchets nucléaires. Or un des problèmes, c’est
que depuis des années, les gens de l’Andra nous certifient qu’il n’y a pas de
déchet nucléaire à l’Andra. Les doutes persistent, car des routes élargies ont
été construites autour du site pour laisser les convois exceptionnels passer. »
Dans la suite de sa vidéo qui est présentée comme un reportage TV, elle
indique que des gens du lobby nucléaire ont acheté des maisons alentour et
que les villageois n’osent plus être contre le nucléaire depuis que le village
[42]
est éclairé par de jolis lampadaires offerts par l’ANDRA .
Dans un premier temps, les manifestations rendent visibles le danger
invisible… et le bruit se répand que des déchets sont déjà présents. La
deuxième étape consiste à mettre dans l’embarras en posant une question
sans réponse. Et là, les militants antinucléaires vont sortir l’artillerie lourde.
Car la question de l’enfouissement des déchets est pour le moins ambiguë.
En effet, si la question des déchets à vie courte qui sont gérés dans des
stockages de surfaces a été réglée depuis longtemps, comme le remarque
Bernard Bonin, directeur scientifique adjoint au Commissariat à l’énergie
atomique et aux énergies alternatives, « la gestion à long terme des déchets
radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue n’a pas
[43]
encore été décidée dans tous les détails. » À la suite de la loi votée en
2006, la mise en place d’un stockage géologique a été décidée pour 2025
avec CIGEO.
Cette décision a été prise en considérant que le stockage était la seule
voix « réaliste » pour les déchets ultimes. Or comme le souligne l’expert « à
la différence d’une mine, un stockage se singularise avant tout par la durée
de la mission qui lui est assignée, de l’ordre de 100 000 ans, ce qui diffère
de tous les autres objets faits de main humaine. Nous ne disposons pas de
retour d’expérience sur ce type d’installation ». Aussi étant donné l’échelle
temporelle, on est obligé d’avoir recours à la « modélisation prédictive »
pour essayer de mesurer la radioactivité qui sera relâchée (même en
supposant qu’elle soit d’une quantité infime). Même si toutes les
modélisations effectuées et les retours d’expérience obtenus sont plutôt
rassurants, on ne peut s’empêcher d’imaginer, nous dit Bernard Bonin des
« scénarios altérés » et de conclure : « Pour toutes les raisons invoquées
plus haut, la sûreté du stockage ne se démontrera pas. Le rôle de la science
devra être un peu plus modeste : construire la confiance, par un faisceau
concordant d’indications montrant que tous les avatars susceptibles
d’affecter le stockage ont été prévus jusque dans leurs conséquences… Bref
que ce dernier est une conception robuste et maîtrisée. La maîtrise des
risques n’est pas que technique et scientifique, car elle a une forte
composante sociale. La démarche de construction de la confiance ne doit
pas s’arrêter une fois acceptée à la conviction des experts. »
Comme dans l’étude de cas des OGM que nous avions vu
précédemment, nous nous retrouvons devant une confrontation entre une
authentique attitude scientifique qui consiste à reconnaître l’impossibilité de
démontrer le risque 0, et des opposants aux nucléaires qui profitent de la
situation pour demander toujours plus de garanties. Ainsi pour Yannick
Rousselet, spécialiste nucléaire de Greenpeace le fait qu’une industrie
comme le nucléaire n’ait pas pensé au moment de son lancement ce que
devaient advenir ses déchets est bien la preuve d’une technologie de
[44]
mauvaise conception .
Exploitant le filon, le journaliste Ben Cramer a, quant à lui, écrit
[45]
l’ouvrage Enquête sur le projet de Bure, descente aux enfers nucléaires .
D’après lui quand on parle de déchets et de radioactivité, on est obligé de se
projeter sur des périodes de 200 000 à 500 000 ans. Il se pose alors la
question « Comment le mot “attention” peut être exprimé pour qu’il soit
compréhensible par des gens dans 50 000 ans ? » Selon lui c’est tout à fait
impossible à imaginer. « Même si vous mettez une tête de mort, il se peut
très bien qu’une tête de mort ne soit pas compréhensible pour des gens dans
[46]
50 000 ans. » La solution serait donc l’oubli. Et il s’étonne : « nous
serons la première civilisation à laisser comme trace dans l’histoire
l’enfouissement ce qu’elle a fait de plus pourri. » Aussi, sa conclusion est
que l’impasse des déchets démontre l’impasse du nucléaire.
Diffusée sur HBO, la mini-série Tchernobyl qui retrace l’histoire de la
catastrophe a remporté un succès inattendu. En la regardant on comprend
qu’une centrale mal conçue et mal protégée (sans confinement) pilotée par
des incapables qui de surcroît commettent une erreur fatale, au cœur d’un
régime soviétique qui confine à l’absurde à tous les étages, le nucléaire civil
devient une arme terrible. Tout cela donne des arguments massue aux
activistes antinucléaires. Aussi les pro nucléaires auront beau sortir toute
leur batterie d’arguments et arguer que les autres énergies tuent beaucoup
plus, que les centrales d’aujourd’hui n’ont rien à avoir avec celles d’hier,
que c’était la faute du communisme… rien n’y fait : l’opinion a arrêté son
point de vue. Et ce, d’autant plus que certaines légendes sont définitivement
ancrées dans l’opinion.
Ainsi, lors de l’incident industriel récent de Lubrizol en Normandie,
l’une d’entre elles a refait surface. Celle du nuage de Tchernobyl. Les
Français sont acquis au fait que l’État français a menti aux populations
depuis qu’il a affirmé que le nuage de Tchernobyl n’avait jamais franchi la
frontière. C’est un classique du genre. Or la vérité est tout autre. Certes il y
a bien eu un cafouillage entre les services concernés notamment avec le
communiqué de l’ex SCPRI (Service central de protection contre les
rayonnements ionisants), et les autres infrastructures telles que le ministère
de l’Agriculture. Il y a eu des imprécisions, mais contrairement à ce que
certains calomniateurs ont voulu faire croire, le professeur Pélerin n’a
jamais dit que le nuage s’était arrêté à la frontière. Après un jugement qui a
été prononcé le 7 septembre 2011, la Cour d’Appel a reconnu qu’« il n’a
jamais dissimulé l’existence du panache radioactif sur le territoire
français ». Le Chef du Service de Protection contre les Rayonnements
Ionisants (SCPRI) a bien reconnu au contraire que le « panache de
Tchernobyl » était arrivé sur le territoire français, mais que la radioactivité
induite n’était pas une menace pour la santé publique. Il s’est donc vu
exonéré de toute accusation de « tromperie », « blessure involontaire » ou
« autre qualification pénale ». À l’époque, en fonction du poste qu’il
occupait, il a réalisé avec ses équipes l’analyse d’échantillons alimentaires
(6500 contrôles effectués en mai et juin 1986 !) afin de surveiller les
niveaux de contamination radioactive en France et les risques éventuels
encourus par la population, contrôle à grande échelle qui a démontré que les
denrées alimentaires pouvaient être consommées sans danger pour la santé.
Mais les calomnies ont la vie dure. Surtout quand elles sont répétées par des
pros de l’endoctrinement.... Et le fantôme de Tchernobyl continuera de
hanter le public, jusque dans les couloirs du laboratoire souterrain de Bure.
Moins prosaïquement, de nombreux doutes subsistent au sujet du
nucléaire et le travail de communication de ses protagonistes pour regagner
la confiance du public semble énorme. À un tel point qu’il en paraît même
insurmontable quand on voit le nombre de croyances et de biais cognitifs
répandus dans l’opinion. Comment réussir aujourd’hui à faire entendre que
c’est l’une des sources d’énergie les moins risquées ? Comme le souligne
Jean-Philippe Vuillez, spécialiste en médecine nucléaire du CHU-Grenoble,
professeur de biophysique et ancien président de la Société française de
médecine nucléaire et d’imagerie moléculaire, cette peur a des origines
profondes : « On ne dira jamais assez la singularité de la perception des
risques liés à la radioactivité, dans une appréhension collective hantée par le
traumatisme d’Hiroshima et la médiatisation d’accidents comme ceux de
Tchernobyl et de Fukushima. Les peurs sous-jacentes reposent, en dernière
analyse, sur l’idée que les rayonnements, aussi minimes soient-ils, peuvent
générer des cancers, et même retentir sur les générations suivantes. Il s’agit
d’une peur irrationnelle, entretenue par le concept scientifiquement erroné
[47]
de « Relation Linéaire Sans Seuil ». Nous reviendrons sur ces problèmes
dans notre quatrième partie. En attendant, nous devons continuer d’étudier
les sujets qui font polémiquer. Voici donc le cas des antennes relais.
[56]
Véronique a fait l’objet d’un reportage 13 h 15 le samedi de France 2 …
Elle est EHS, Electro-Hyper-Sensible. Quand elle sort, elle porte un masque
de débroussailleuse surmonté d’un chèche. Infirmière en arrêt maladie, elle
vit calfeutrée dans sa maison. Son amie Liliane qui lui a rendu visite pour le
tournage s’est plainte, elle, auprès des cameramans parce qu’ils avaient
déployé trop de projecteurs… compliqué en effet de faire un reportage sur
les électrosensibles sans matériel électronique. Quand elle va faire ses
courses, elle se rend dans un magasin bio qui aménage des horaires de
courses pour les électrosensibles. Elle se rend parfois dans Paris pour
consulter un spécialiste. Elle avoue en avoir vu déjà 17. Le premier était un
hématologue qui lui a dit qu’elle était hypocondriaque. Le second, un
neurologue réputé, l’a réorienté vers un psychiatre. Après moult
pérégrinations, elle a fini par trouver un spécialiste. L’équipe la filme en
train de courir dans les rues de la Capitale pour aller le voir, car, nous dit le
reporter, il se trouve en « zone hostile »… une zone baignée par les ondes.
Il s’agit du célèbre Professeur Belpomme. Son diagnostic est sans appel :
« Véronique fait l’objet d’une intoxication aux ondes ». La cause est
entendue d’autant plus que Véronique vit à 35 mètres d’un transformateur
électrique EDF… Et cela n’a rien à voir avec la maladie de Lyme dont a été
victime l’infirmière un peu avant, même si elle en présente tous les
symptômes.
Les EHS ont été présentés parfois comme des personnages
caricaturaux. Dans la série Netflix Better call Saul, Saul Goodman l’avocat
qui s’est fait connaître dans Breaking Bad, doit s’occuper de Chuck son
frère électrosensible, qui abandonne sa carrière d’avocat talentueux pour se
terrer dans sa maison où chaque recoin a été aménagé avec des protections
contre les ondes. Il est devenu totalement incapable de se rendre sur son
lieu de travail et s’est coupé de toutes les relations avec ses associés.
Chaque fois qu’il se retrouve à proximité des ondes, cela donne lieu à des
scènes tragiques. Lors d’une scène qui a lieu au tribunal, son frère démontre
que sa maladie est feinte, car, alors qu’il a été demandé aux instances
judiciaires de faire aménager la salle du tribunal, l’avocat révèle qu’il a un
mobile dans sa poche sans le savoir et que cela ne l’a nullement affecté....
un classique du genre pour démontrer que l’EHS ne repose sur rien de
solide et peut être jugée comme un cas particulier d’effet « nocebo » (le
contraire de l’effet placebo qui est défini généralement comme une
croyance qu’un danger est présent est suffisante pour enclencher un danger
somatique).
C’est ainsi que l’histoire des antennes relais va connaître un
revirement inattendu, alors que l’angoisse commençait à s’installer dans les
[57]
chaumières françaises, Challenges titre « Téléphonie mobile : légende
urbaine à Saint-Cloud ». L’article rapporte l’histoire d’une famille qui a fait
l’objet de trois reportages médiatiques dont un de Paul Amar sur France 2,
intitulé « Les antennes relais sont-elles dangereuses », un autre du Parisien
« Une résidence entière se ligue contre les antennes-relais » et un du JDD
enfin « Antennes, téléphones : la grande peur des ondes ». Dans chacun de
ces reportages, la famille a pu se plaindre de maux de tête liés à la présence
d’une antenne relais de l’opérateur Orange. On imagine l’impact de ce
genre de reportage à sensation sur l’opinion. Mais comme le rapporte Gaël
Macke, la journaliste qui a vraiment enquêté « Ce qui est intéressant, c’est
qu’aucun des trois médias n’ait interrogé l’opérateur Orange, responsable
de toutes ces “nuisances”. Car un porte-parole de l’opérateur confirme de
manière formelle que “les trois antennes mobiles de Saint-Cloud installées
depuis le mois de mars dernier n’ont jamais fonctionné et n’ont donc jamais
émis la moindre onde. (…)” Les curieux symptômes ressentis au même
moment et ensemble par les riverains restent donc pour le moment
inexpliqués… mais ne sont donc en tous cas pas des signes d’une
[58]
surexposition invalidante aux champs électromagnétiques ! »
Le camp des rationalistes se saisira de ce cas d’école resté célèbre pour
dénoncer la supercherie des ONG anti ondes ; ainsi le blogueur Charlatan
affirme : « L’effet nocébo (l’inverse de l’effet placébo) des antennes relais
vient enfin d’être démontré, grâce à une expérience involontaire, mais ô
combien révélatrice, de l’opérateur de téléphonie mobile Orange (…) Cette
affaire met en lumière le peu de crédibilité à apporter aux relations de cause
à effet affirmées par ceux qui se déclarent électrosensibles, dont les maux
sont certainement à rechercher ailleurs. Elle éclaire également le peu de
sérieux d’associations telles que les Robins des Toits, qui fait feu de tout
bois, mais ne s’embarrasse pas d’esprit critique ni d’analyse scientifique
rigoureuse, au profit d’une idéologie installée et d’une peur de la
technologie récurrente. »
Notons que plusieurs études scientifiques de référence ont démontré
l’aspect psychologique des symptômes dont souffraient les EHS. C’est le
[59]
cas, par exemple, pour l’étude menée par l’Université d’Essex où des
dizaines de personnes se plaignant de troubles n’ont jamais été en mesure
de déterminer si les émissions de radiofréquence étaient activées ou non
lors des essais en double aveugle. Seul leur niveau de stress augmentait
quand elles imaginaient que le signal était actif. Les proportions de
candidats capables d’établir un lien n’ont jamais dépassé celle du hasard. Il
est impossible de lier les symptômes ressentis à la présence d’antennes
relais et les chercheurs qui ont mené l’étude en ont déduit qu’ils
souffriraient d’un effet « nocebo » : leur sentiment d’être confronté à une
menace finit par produire des effets somatiques, qu’il y ait effectivement
rayonnement ou non. En bref : les tests réalisés en double-aveugle sont non-
concluant et les experts en déduisent qu’il s’agit de troubles
psychologiques.
[60]
Rappelons que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ,
l’ensemble des autorités sanitaires qui font référence au niveau mondial, et
les autorités médicales françaises sont en phase pour reconnaître qu’il n’y a
aucun lien possible entre les souffrances des patients qui se prétendent
électrosensibles et l’exposition aux ondes magnétiques. Toutes les instances
en question s’appuient sur des dizaines d’expériences réalisées ces vingt
dernières années.
Malgré le « front scientifique », l’électrosensibilité n’a pas pour autant
cessé de se répandre et à la suite de quatre années d’études qui ont regroupé
plus de 40 scientifiques, dans un rapport publié en 2018, l’ANSES évalue à
3,3 millions de Français souffrants, sous une forme ou sous une autre et à
des degrés variables, de sensibilité exacerbée aux ondes
[61]
électromagnétiques .
De ce fait, le commerce des dispositifs de protection contre
l’électrosensibilité ne cesse de prospérer. Quand on lance la requête
[62]
« vêtements anti ondes » dans Google, on trouve 4 230 000 résultats .
Comme le note l’UFC Que Choisir c’est un véritable petit inventaire à la
Prévert : « Peinture, disjoncteur, vêtements, lunettes, film pour vitre,
grillages, câbles, etc. Débattue depuis maintenant une quinzaine d’années,
la question de l’électrosensibilité a suscité une offre hétéroclite de
dispositifs de protection, souvent vendus à des prix élevés : 69 € pour un
bandeau de grossesse anti onde Belly Armor, 248 € pour une veste à
capuche chez Naturonde, 200 € le pot de peinture anti onde de cinq litres
[63]
Yshield… »
Mais un fait plus remarquable encore est que des électrosensibles
obtiennent gain de cause devant les tribunaux, et ce contre les avis des
instances scientifiques. Aussi, plusieurs EHS ont gagné leurs procès. En
effet, le premier jugement en date a été prononcé en 2014 par le tribunal du
contentieux de l’incapacité (TCI) de Toulouse qui a reconnu ce « syndrome
d’hypersensibilité » à Marie Richard, la plaignante, qui se traduit par une
« déficience fonctionnelle évaluée à 85 % en milieu social actuel ». De
sorte, celle-ci bénéficie d’une allocation aux adultes handicapés, sur trois
ans, et renouvelable en fonction de l’évolution de la maladie. Le jugement
qui s’appuie sur une expertise médicale affirme que « La description des
signes cliniques est irréfutable ».
Or, comme le remarque Sébastien Point : « Les décisions de justice
ayant donné gain de cause à des plaignants ne constituent pas un argument
utilisable pour démontrer un effet sanitaire des ondes. Car l’analyse des
juges, qui n’ont pas plus de compétence en science qu’en a le commun des
mortels, n’est pas recevable d’un point de vue scientifique. » Hélas, comme
le souligne le président de la SFRP, les tribunaux n’hésitent plus désormais
[64]
à convoquer des charlatans en guise d’experts pour donner leurs avis .
Il n’en reste pas moins que les EHS revendiquent leurs maladies et
sont persuadés de connaître la cause de celle-ci… On l’aura compris, ils
posent une question qui n’a pas de réponse scientifique. Ou tout du moins la
réponse que leur donnent les autorités scientifiques et sanitaires – « nous
n’avons aucune preuve que votre maladie ait un lien quelconque avec les
ondes » – ne les satisfait pas. Mais eux prennent leurs interlocuteurs par les
sentiments en l’invitant à se mettre à leur place… ou encore comme on l’a
entendu dans un témoignage sur YouTube : « l’EHS, c’est exactement
comme le cancer, certains le développent d’autres non, alors qu’ils ont les
gênes… allez savoir pourquoi ! »
Une fois de plus comme nous venons de le voir au travers de ce cas,
c’est la même mécanique qui est à l’œuvre. Des lanceurs d’alerte désignent
un mal invisible « les ondes ». Par une série d’actions, ils se mobilisent
pour signaler l’existence de ce « mal » et certains médias se chargent de
relayer abondamment leurs messages. Ainsi, comme le remarque Martine
Souques, docteur en médecine, spécialiste des effets biologiques et
sanitaires des rayonnements non ionisants : « recevoir des rapports
médiatiques sensationnels pourrait sensibiliser les gens à développer un
[65]
effet nocebo et ainsi contribuer au développement de l’EHS. » Ensuite
quand la peur est bien installée dans l’opinion, ils voudraient que l’on
prenne des mesures adéquates : abaissement des seuils, instauration de
zones blanches (aux dépens parfois de l’intérêt des autres riverains qui
réclament davantage de connexions), reconnaissance de leur maladie par les
autorités et dédommagement.... Ils sont d’ailleurs contre toutes les formes
d’ondes et attendent chaque innovation technologique pour sortir du bois....
La 5G les effraie déjà alors qu’elle n’est pas encore arrivée.
Une question se pose toutefois : qui sait si aujourd’hui on aurait autant
d’EHS revendiqués sans toute cette campagne de sensibilisation qui a été
lancée dans les années 2000 par les mouvements anti ondes. Comme on le
sait, la panique est contagieuse… d’autant plus quand elle est provoquée
par un « mal invisible » présent partout et nulle part à la fois. Un scénario
qui peut se répliquer à l’infini.
4. « Sans Glyphosate » : probablement un cancérigène ?
[66]
Quand il a lancé le collectif « Ici La Terre » en septembre 2019
avec ses camarades agriculteurs, Jérôme Reugnault avait un objectif :
répondre aux questions des Français qui s’interrogent sur les pratiques
agricoles et notamment l’usage des pesticides. L’initiative semblait plus que
nécessaire, sachant que le Gouvernement français avait lancé une grande
consultation nationale. L’objectif : apporter une réponse pratique et
professionnelle aux consommateurs inquiets à la suite du climat anxiogène
actuel répandu dans l’agriculture, un phénomène qui ne cesse de prendre de
l’ampleur. Le collectif a donc fondé une cagnotte afin de financer la mise en
place d’un numéro vert accessible tous les jours de la semaine. Les
agriculteurs se sont relayés pour répondre aux questions du public. Selon le
porte-parole du groupe : « Il faut jouer la carte de la transparence la plus
totale et répondre sans ambages. Nous sommes prêts à répondre à toutes les
questions aussi bien sur nos méthodes de travail, les produits que nous
utilisons, nos équipements, ce que nous gagnons… Il ne doit y avoir aucun
secret ou sujet tabou entre nous et le public. Car celui-ci est coupé
totalement de ses racines agricoles et il est important qu’il puisse parler à
des agriculteurs pour pouvoir être rassuré. (…) Au contraire, nous
gagnerons d’autant plus la confiance que nous ferons connaître nos
pratiques. Tous les produits que nous utilisons sont homologués par le
ministère qui s’appuie sur les avis de l’ANSES. (…) Hélas, tous ces efforts
ne payent pas en termes d’image d’où la nécessité de les expliquer à haute
voix. »
On sent effectivement dans cette démarche un vrai besoin de contact.
Mais comment se fait-il que des agriculteurs aient besoin de rassurer à ce
point l’opinion ? Et surtout de cette manière, en prenant de leur temps et de
leur argent pour aller directement à la rencontre du public ? Comme on le
sait depuis un certain temps, un nouveau phénomène est apparu dans
l’actualité : l’agri-bashing. Ou en bon Français, le dénigrement de
[67]
l’agriculture productiviste . Un nouveau passe-temps que Pierre Pagesse,
ancien président de la coopérative agricole Limagrain résume ainsi : « Une
idéologie malthusienne et récessionniste qui discrédite le métier nourricier,
triptyque de l’humanité, qu’exercent les agriculteurs. Le constat : la “bible”
de l’idéologie verte repose sur un totalitarisme déshumanisant : Gaïa la terre
est supérieure à l’homme ; l’homme est devenu le plus grand prédateur de
la terre ; ni les guerres ni les épidémies n’ont éradiqué la multiplication de
l’espèce humaine ; le seul moyen d’y parvenir c’est de limiter
[68]
l’alimentation .»
Face à l’agri-bashing, les professionnels de l’agriculture semblent
démunis et n’ont que peu de moyens. Il faut dire que les crises médiatiques
touchant la filière agricole n’ont pas cessé. Parmi, elle la très controversée
affaire du glyphosate.
Une fois n’est pas coutume, nous allons placer la « question qui tue la
science » en premier. Jusqu’à présent, nous avions toujours abordé
l’activisme avant « l’activité cérébrale ». Mais pour la compréhension de
« l’affaire du glyphosate », il convient d’inverser la présentation. Car, dans
ce cas, c’est « la question sans réponse » qui s’est trouvée être à l’origine
des manifestations.
C’est une agence sanitaire qui a mis l’affaire du Glyphosate sur la
place publique. L’acronyme français prête à la galéjade : le CIRC, pour
Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC en Anglais, pour
International Agency for Research on Cancer). Basée à Lyon cette agence
dépend directement de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Commençons par préciser que le CIRC ne produit pas lui-même
d’études, tel que le ferait un laboratoire, mais se contente de sélectionner et
compiler celles-ci afin de donner un avis qui n’a aucune valeur
réglementaire. Or, il est surtout connu du grand public et des médias pour
avoir publié des avis sur le caractère cancérigène du café, mais aussi des
téléphones portables et les ondes, de la viande et d’une quantité d’autres
substances…
C’est à la suite de ses analyses que le café a été classé sur la liste des
produits cancérogènes pendant plus de vingt-cinq années. Les vingt-trois
experts indépendants qui ont pour vocation de tenir à jour une liste de
substances classées en fonction de leur potentiel cancérigène ont revu leur
position après une analyse de plus de 1000 études réalisées chez l’homme et
l’animal qui n’ont apporté aucunes preuves concluantes. De son côté,
l’EFSA avait annoncé en 2015 que le café « ne présentait pas de problème
de sécurité pour la population générale en bonne santé ». L’instance
lyonnaise a fini par se ranger au côté de l’organisme européen.
Le plus souvent, ces déclarations défraient la chronique et suscitent des
reprises alarmistes. Ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il n’est pas simple
de décoder les avis émis. Le CIRC distingue cinq catégories de produits : de
« cancérogènes » (Groupe 1) à « probablement pas cancérogènes » (Groupe
4) en passant par « probablement cancérogènes » (Groupe 2A), « peut-être
cancérogènes » (Groupe 2B) et « inclassables » (Groupe 3) une
nomenclature qui a pour conséquence de susciter des controverses entre
experts. Sur la thématique sensible du cancer, il est difficile de « contenir le
débat au sein de la sphère scientifique » et on a vite fait de verser dans la
polémique. Il suffit de se pencher sur les reprises que les médias font des
avis du CIRC pour comprendre pourquoi.
À la suite de la publication d’une étude de l’organisme sur la
cancérogénicité de la viande rouge, les reprises dans les médias ont
largement varié. Entre Le Monde qui se contente de rapporter l’avis en
titrant de manière factuelle : « La viande rouge est “probablement”
cancérogène », et Europe 1 qui scande : « Viande et cancer : le rapport choc
de l’OMS », il y a toute la place pour l’imaginaire des consommateurs. Et il
suffit de consulter « Google suggest » (indicateur des requêtes les plus
fréquentes des internautes) pour voir l’impact qu’a eu cet avis du CIRC
dans l’opinion, puisque les résultats qu’on obtient le plus souvent quand on
lance la requête « viande », sont « cancérigène » et « cancérogène ». Or que
lit-on sur le site de l’OMS ? « Un comité consultatif international, réuni en
2014, a recommandé comme hautement prioritaire l’évaluation de la
consommation de la viande rouge et de la viande transformée par le
Programme des Monographies du CIRC. Cette recommandation était
fondée sur des études épidémiologiques laissant entendre que les légères
augmentations du risque de plusieurs cancers pouvaient être associées à une
forte consommation de viande rouge ou de viande transformée. Bien que
ces risques fussent faibles, ils pourraient être importants pour la santé
publique parce que beaucoup de personnes dans le monde consomment de
la viande, et que la consommation de viande est en augmentation dans les
[69]
pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI) . » Les risques sont faibles,
mais le sujet étant sensible, l’avis du CIRC a fait couler de l’encre et on
imagine les conséquences dans l’opinion.
Autre élément sujet à polémique : le financement de l’organisme. En
effet, la question a fait des vagues jusqu’au plus haut sommet des instances
US, puisqu’en 2016, dans une lettre au directeur du NIH (L’institut national
de santé US), le président de la commission de la Supervision, Jason
Chaffetz, a parlé à propos du CIRC d’un « historique de controverses, de
rétractations et d’incohérences » aussi il s’est demandé pourquoi le NIH,
qui dispose d’un budget de 33 milliards de dollars (29,6 milliards d’euros)
continuait de financer le CIRC.
[70]
On peut lire dans une dépêche Reuters de l’époque : « Une porte-
parole du CIRC a déclaré à Reuters que la lettre de Jason Chaffetz contenait
des “idées fausses” auxquelles son directeur, Chris Wild, s’était efforcé de
répondre par écrit. Dans cette lettre, dont le CIRC a adressé une copie à
Reuters, Wild rejette les critiques de Chaffetz et souligne que les
classifications du CIRC sont “largement respectées pour leur rigueur
scientifique, leur processus standardisé et transparent”… »
Ce deuxième sujet nous fait quitter la science pure pour basculer dans
la sphère politique et juridique… Certaines voix, il est vrai se sont élevées
pour laisser entendre que le CIRC était davantage une structure politique…
dont la première victime est le consommateur qui ne sait plus à quel saint se
vouer.
Nous pensons qu’il était important de tracer le portrait de cet
organisme avant d’essayer de comprendre comment il a pu clouer le
glyphosate au pilori. Précisions encore que le travail du CIRC consiste à
indiquer « la force des informations scientifiques disponibles quant à la
cancérogénicité d’une substance. Il ne donne aucune indication sur le
niveau de risque associé à l’exposition en question. » Autrement dit, cette
classification ne donne aucune idée des risques sanitaires (deux substances
peuvent être dans la même classe, sans que pour autant on y soit exposé de
la même façon).
Rentrons désormais dans le vif du sujet. D’après le CIRC : « il existe
des preuves solides que le glyphosate cause une génotoxicité » ; « il existe
des preuves suffisantes de cancérogénicité du glyphosate sur les animaux de
laboratoire » ; « il existe des preuves limitées chez l’Homme de la
cancérogénicité du glyphosate. Une association positive a été trouvée pour
le lymphome non hodgkinien. »
Ces assertions se trouvent à l’opposé de l’avis de l’Autorité
européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA) : « il est improbable que le
glyphosate soit génotoxique in vivo » ; « le glyphosate n’a pas présenté de
potentiel génotoxique et aucune preuve de cancérogénicité n’a été observée
chez le rat ou la souris », « L’EFSA a conclu qu’il est improbable que le
glyphosate présente un risque cancérogène pour l’Homme et les éléments
de preuves ne justifient pas de classification en ce qui concerne son
potentiel carcinogène selon le règlement EC N° 1272/2008. »
Un point de vue qui est partagé avec les autres agences partout dans le
monde. Qu’il s’agisse de la réunion mixte de la FAO et de l’OMS, de
l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), de l’Agence
allemande de sécurité sanitaire (BFR), de l’Agence française de sécurité
sanitaire (ANSES), de l’Agence américaine de protection de
l’environnement (US EPA) de l’Autorité de protection de l’environnement
de Nouvelle-Zélande (NZ EPA), de l’Autorité Australienne des pesticides et
des médicaments vétérinaires (APVMA) de la Commission japonaise pour
la sécurité des aliments, ou encore de l’Agence canadienne de
réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA)… aucune de ces onze
agences ne partagent l’avis du CIRC. Nous sommes donc en présence d’un
cas d’école. Car la vraie question soulevée en fait, est celle de savoir si nous
faisons confiance aux agences. Car sur les douze organismes qui ont rendu
jusqu’à présent un avis sur le glyphosate, le CIRC est le seul à avoir émis
un doute. Une situation qui met à rude épreuve l’autorité scientifique des
agences.
À cela s’ajoute une attitude brouillonne des politiques qui connaissent
mal le sujet et cèdent facilement à la démagogie. Par exemple, le président
Emmanuel Macron qui fait une déclaration abracadabrante au salon de
l’agriculture « Le glyphosate, il n’y a aucun rapport qui dit que c’est
innocent. Dans le passé, on a dit que l’amiante ce n’était pas dangereux, et
après les dirigeants qui ont laissé passer, ils ont eu à répondre. » Il a
[71]
twitté qu’il voulait faire interdire la substance dès lors que des solutions
alternatives auront été trouvées. Aussi il a posé un ultimatum de trois ans.
Ce qui est une manière étrange de penser et qui ne s’appuie que sur du vent.
En effet, comme le rappelle l’expert santé Guy André Pelouze : « L’amiante
c’est + 1770 % d’augmentation du risque de cancer de la plèvre pour un
travailleur exposé, le tabac c’est + 2360 % d’augmentation du risque de
cancer du poumon pour un homme. Pour les utilisateurs de glyphosate, le
risque de tout cancer est compris entre – 1 % et + 4 %, ce qui n’est
statistiquement pas significatif et ce qui correspond à des variations dues au
[72]
hasard .»
Pourtant, on ne peut pas dire que la science manque d’études au sujet
des agriculteurs et des risques que ceux-ci pourraient encourir concernant
l’exposition aux pesticides. En effet, on dispose aux USA et en France
d’« études de cohortes » qui ont consisté à étudier sur plus de 10 ans des
populations cibles dans toutes les situations en collectant le plus de données
possibles à leur sujet.
[73]
L’AHS (Agricultural Health Study ), lancée en 1993 aux USA,
et qui a permis de suivre la santé de 90 000 agriculteurs environ et
de leurs épouses.
[74]
L’Agrican pour la France a été créée en 2005, qui a regroupé
plus de 180 000 personnes environ, et offre une bonne
représentativité de la population agricole française. Petite
particularité de l’étude : elle comprend également des agriculteurs
non utilisateurs de pesticides.
Alors que nous savons très bien dire quand un plat n’est pas assez
assaisonné, n’est pas à notre goût ou ne nous convient pas, nous
n’aurions jamais prêté attention aux OGM – qui ne sont d’ailleurs
même pas dans notre assiette – sans les actes de vandalisme des
faucheurs volontaires et les polémiques qui alimentent les médias
depuis maintenant plus de 20 ans. Ce qui a poussé la distribution à
créer le label sans OGM.
Alors que notre expérience nous présente l’arrivée des centrales
atomiques comme un progrès par rapport à ces temps où les
centrales à charbon et le smog polluaient notre air – il suffit de
visiter une ville qui chauffe encore au charbon pour s’en persuader
– nous n’aurions jamais pensé qu’elles présentent un danger
imminent si certains lanceurs d’alerte n’avaient pas réussi à nous
persuader que nucléaire civil et nucléaire militaire appartenaient à
la même famille et partageaient en quelque sorte les mêmes
externalités négatives.
Alors que nous nous plaignons facilement du manque de réseau
téléphonique.... Nous ne nous serions peut-être jamais posé de
questions sur l’électrosensibilité aux ondes si des collectifs
n’avaient pas organisé des réunions aux pieds du mat et certains
gourous opportunistes démarché les patients avec des protocoles de
soins.
Alors que nous utilisons du glyphosate depuis des années pour
notre jardin, et que nous prenons les précautions d’usages et
écoutons les recommandations des agences sanitaires, nous
n’aurions jamais douté de celles-ci, si le CIRC n’avait pas semé la
confusion.
Les lanceurs d’alerte ont choisi avec soin les totems scientifiques
auxquels ils s’en prennent. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il s’agit de
sujets à propos desquels nous ne pouvons rien vérifier par nous-mêmes. Car
c’est là que réside le premier principe du « marketing anti progrès
scientifique » : faire de l’agit-prop pour nous pousser à dénigrer toute
tentative humaine de manipuler les gènes, les atomes, les ondes et les
molécules et faire en sorte que nous détestions toutes les applications
technologiques qui en découlent.
À cette entreprise s’ajoute la « question non scientifique » posée aux
scientifiques. Celle que l’on a baptisée plus généralement l’application
absolutiste du « principe de précaution » et qui a permis de tétaniser la
science en faisant revenir l’idéologie par la grande porte. Là où, en effet, on
ne supporte pas le vide d’une absence de réponse.
10. Précisons que par la suite, cette somme a été largement revue à la baisse
https://www.lepoint.fr/justice/proces-roundup-bayer-condamne-a-verser-2-milliards-de-dollars-
14-05-2019-2312333_2386.php
11. « Électrosensibles, anti-vaccins : quand la justice valide l’antiscience », in L’express
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/electrosensibles-anti-vaccins-quand-la-justice-valide-l-
antiscience_2101414.html
12. https://www.rottentomatoes.com/m/food_evolution
13. Alerte au soja fou, couverture de Libération paru le 1er novembre 1996
14. Jean-Paul Oury, La Querelle des OGM, PUF, 2006, p. 147
15. Pinker S., Enlightenment now, Viking, p.41
16. Journaliste à l’origine de la querelle qui s’est par la suite repenti en publiant Sauvez les
OGM, Paris, Hachette Littératures, 2009
17. J.E. Losey et al. (1999) Nature 399, 214.
18. « Our study was conducted in the laboratory and, while it raises an important issue, it would
be inappropriate to draw any conclusions about the risk to monarch populations in the field based
solely on these initial results. » cit. in www.bio.org
19. Destruction d’un essai agronomique à Saint-Exupéry (Rhône) : un acte de vandalisme
violent et absurde, Communiqué du 25 juin 2019 https://www.terresinovia.fr/-/destruction-d-un-
essai-agronomique-a-saint-exupery-rhone-un-acte-de-vandalisme-violent-et-absurde
20. Du moins si on reste dans ce qui est spécifique aux OGM, et non des pratiques qui existaient
avant ces organismes.
21. Marcel Kuntz, L’Affaire Séralini : l’impasse d’une science militante, Fondapol, 19 juin 2019
http://www.fondapol.org/etude/laffaire-seralini-limpasse-dune-science-militante/
22. Ces considérations n’ont plus tout à fait le même poids après l’affaire Surgisfere cette
entreprise imaginaire qui a piégé le journal scientifique de référence avec une méta-analyse
totalement falsifiée sur la Chloroquine qui a par la suite été dépubliée
https://www.lefigaro.fr/sciences/chloroquine-surgisphere-cette-entreprise-fantome-au-coeur-du-
scandale-du-lancet-20200604
23. Stanley W. B. Ewen & Arpad Pusztaï, « Effects of diets containing genetically modified
potatoes expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine », The Lancet, Volume 354, N°
9187, 16 Oct 1999, p.1353.
24. Benbrook, Charles, « Evidence of the Magnitude and Consequences of the Roundup Ready
Soybean Yield Drag from University-Based Varietal Trials in 1998 », Ag BioTech InfoNet Technical,
Paper Number 1, Benbrook Consulting Services, Sandpoint, Idaho, July 13, 1999
25. Janet E. Carpenter, Comparing Roundup Ready and Conventional Soybean Yields 1999 ,
National Center for Food and Agricultural Policy, January 2001
26. Charles Benbrook : Agricultural economist and consultant for the organic industry and anti-
biotechnology advocacy groups, in GLP, https://geneticliteracyproject.org/glp-facts/charles-
benbrook-former-washington-state-adjunct-consultant-for-organic-industry/#
27. Bt Corn Insect Resistance Management Survey, 2000 Growing Season, Agricultural
Biotechnology Stewardship Technical Committee January 31, 2001.
28. ISAAA Report, Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops in 2018
29. Claude Ménara : « Mon maïs transgénique est le plus écologique !
https://www.lefigaro.fr/actualite/2007/04/06/01001-20070406ARTFIG90080-
claude_menara_mon_mais_transgenique_est_le_plus_ecologique.php
30. La Commission autorise la mise sur le marché d’un soja OGM de
Monsanto https://www.levif.be/actualite/environnement/la-commission-autorise-la-mise-sur-le-
marche-d-un-soja-ogm-de-monsanto/article-news-1338041.html?cookie_check=1605007922
31. Collectif STA, « Ne renonçons pas à la Science », in Les
Échos https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/ne-renoncons-pas-a-la-science-130939
32. Tristan Kamin, « Nucléaire un débat qui doit écarter les mauvais arguments » in Science et
pseudosciences n° 329 – juillet/septembre 2019, p.63
33. Paul Halpern, Le dé d’Einstein et le chat de Schrödinger, p. 301
34. Ibid., p.p. 295-296
35. Michael Shellenberger, How Fear of Nuclear Ends, TEDxCalPoly
https://www.youtube.com/watch?v=mI6IzPCmIW8
36. « Comment la France est devenue nucléaire (et nucléocrate) »
http://www.slate.fr/story/36491/france-nucleaire-nucleocrate
37. On pensera notamment aux actions coup de poing menées par Greenpeace en France qui
s’étaient introduit à plusieurs reprises dans des centrales pour montrer que la sécurité était défaillante.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/10/30/intrusion-a-la-centrale-de-cattenom-des-jours-
amendes-requis-contre-des-militants-de-greenpeace_6017495_3244.html
38. Jean-Pierre Poirier, Marie Curie et les conquérants de l’atome : 1896-2006, Pygmalion
39. Gérard Grundblatt, L’impact sur la santé des différentes sources de production d’énergie. in
Science et pseudosciences n° 329 – juillet/septembre 2019, p.69
40. https://fr.wikipedia.org/wiki/Laboratoire_de_Bure
41. http://burestop.free.fr/spip/
42. Alter-JT, L’Andra, un simple laboratoire ? (Bure / Nucléaire) - Reportage de Alter JT du
02/09/2015 - 65 https://www.youtube.com/watch?v=eCoNmObzJOQ
43. Bernard Bonin, « Peut-on stocker les déchets nucléaires en formation géologique
profonde ?», in Science et pseudoscience N° 324 avril/juin 2018
44. Greenpeace Menaces nucléaires ? Think Review https://youtu.be/mQqxAIxLjjs
45. Ben CRAMER, Camille SAISSET, La descente aux enfers nucléaires : mille milliards de
becquerels dans la terre de Bure, L’Esprit Frappeur, 2004
46. A Bure, le nucléaire touche le fond
https://www.youtube.com/watch?v=7rViLQIVwqo&t=19s
47. Jean-Philippe Vuillez, «Les risques liés à l’irradiation d’origine humaine doivent-ils faire
envisager la suppression des années bissextiles?» in L’Opinion
https://www.lopinion.fr/edition/economie/risques-lies-a-l-irradiation-d-origine-humaine-doivent-ils-
faire-227447
48. Bouygues Telecom devra démonter l’antenne relais, Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/02/05/01016-20090205ARTFIG00332-bouygues-
telecom-devra-demonter-une-antenne-relais-.php
49. Antennes relais, la justice contre la science, Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/debats/2009/02/06/01005-20090206ARTFIG00446-antennes-relais-la-
justice-contre-la-science-.php
50. https://www.robindestoits.org.
51. http://www.next-up.org/pdf/BioInitiativeRapportSynthese.pdf
52. http://www.priartem.fr/Le-rapport-BioInitiative-Un-pave.html
53. http://www.bigouden.tv/Actus-0874-Antenne_relais.html
54. Bristol (UK): Antenne-relais de téléphone portable sabotée par le feu
http://pagheretetutto.blogspot.com/2010/05/bristol-uk-antenne-relais-de-telephone.html
55. Des mâts de 5G brûlés aux Pays-Bas et en Belgique parce que suspectés de répandre le
coronavirus https://reporterre.net/Des-mats-de-5G-brules-aux-Pays-Bas-et-en-Belgique-parce-que-
suspectes-de-repandre-le
56. Reportage 13h15, le samedi Réfugiés des ondes, France 2 https://youtu.be/j-WbefEsXHQ
57. Téléphonie mobile : légende urbaine à Saint-Cloud, Challenges
https://www.challenges.fr/high-tech/telephonie-mobile-legende-urbaine-a-saint-cloud_364880
58. L’effet nocébo des antennes relais https://www.charlatans.info/news/L-effet-nocebo-des-
antennes-relais
59. Stacy Eltiti, Denise Wallace, [...], and Elaine Fox, Does Short-Term Exposure to Mobile
Phone Base Station Signals Increase Symptoms in Individuals Who Report Sensitivity to
Electromagnetic Fields? A Double-Blind Randomized Provocation Study
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2072835/
60. Selon l’OMS : « La HSEM est caractérisée par divers symptômes non spécifiques qui
diffèrent d’un individu à l’autre. Ces symptômes ont une réalité certaine et peuvent être de gravité
très variable. Quelle qu’en soit la cause, la HSEM peut être un problème handicapant pour l’individu
touché. Il n’existe ni critères diagnostiques clairs pour ce problème sanitaire, ni base scientifique
permettant de relier les symptômes de la HSEM à une exposition aux CEM. En outre, la HSEM ne
constitue pas un diagnostic médical. Il n’est pas non plus évident qu’elle corresponde à un problème
médical unique. »
https://www.who.int/peh-emf/publications/facts/fs296/fr/
61. Rapport 2018 de l’ANSES Hypersensibilité aux ondes électromagnétiques : amplifier
l’effort de recherche et adapter la prise en charge des personnes concernées,
https://www.anses.fr/fr/content/hypersensibilité-aux-ondes-électromagnétiques-amplifier-
l’effort-de-recherche-et-adapter-la
62. Requête effectuée sur google.fr le Samedi 7 mars 2020, idée empruntée à Sébastien Point
qui avait fait la même requête en juin 2018 et n’avait trouvé que 1.212.000
https://www.pseudo-sciences.org/Dispositifs-anti-ondes-l-argent-de-la-peur
63. Electrosensibilité, un marché florissant, UFC Que choisir
https://www.quechoisir.org/actualite-electrosensibilite-un-marche-florissant-n5045/
64. Sébastien Point, Ondes Électromagnétiques et santé : quand les juristes se croient physiciens
https://www.europeanscientist.com/fr/redactions-choice-fr/ondes-electromagnetiques-et-sante-quand-
les-juristes-se-croient-physiciens/#_ftn4
65. Souques M. « Les reportages alarmants peuvent-ils induire une électrohypersensibilité ? »
SPS n°324, avril-juin 2018.
66. Collectif d’agriculteur Ici La Terre https://www.facebook.com/collectif.iciLaTerre/
67. Pour être précis, ce terme renvoie à un dénigrement systématique et mensonger des modes
de production de l’agriculture classique, qui peut se présenter parfois, sous forme d’un lynchage
médiatique.
68. Pierre Pagesse, « Agribashing : procès contre les agriculteurs ou crime contre l’humanité ? »
EuropeanScientist https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/agribashing-proces-contre-les-
agriculteurs-ou-crime-contre-lhumanite/
69. Cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée
https://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/
70. USA-Enquête du Congrès sur le financement d’une agence de l’OMS
https://reuters.com/article/companyNews/idFRL5N1CC5RS?
pageNumber=2&virtualBrandChannel=0&sp=true
71. « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que
l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au
plus tard dans 3 ans. #MakeOurPlanetGreatAgain »
https://twitter.com/emmanuelmacron/status/935194060062642176?s=21
72. « Glyphosate : et si on prenait une décision rationnelle ? »
https://www.causeur.fr/glyphosate-agriculture-ong-macron-danger-151434
73. Agricultural Health Study https://aghealth.nih.gov
74. Resultat de la cohorte AGRICAN
http://www.inma.fr/wp-content/uploads/2018/01/Actualisation_AGRICAN_13112017.pdf
75. Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité (2e partie)
https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/pesticides-et-cancers-chez-les-agriculteurs-la-fuite-en-
avant-vers-lirrefutabilite-2eme-partie/
76. Marc Brazeau, Viewpoint: Here’s what’s wrong with study suggesting glyphosate damages
our gut health https://geneticliteracyproject.org/2018/05/17/viewpoint-heres-whats-wrong-with-
study-suggesting-glyphosate-hurts-our-gut-health/
77. Differences in the carcinogenic evaluation of glyphosate between the International Agency
for Research on Cancer (IARC) and the European Food Safety Authority (EFSA)
https://jech.bmj.com/content/70/8/741.info
78. Pour ceux qui veulent en savoir davantage, nous recommandons Glyphosate, l’impossible
débat, intox, mensonges et billets verts, excellent ouvrage de Gil Rivière Wekstein, qui a mené une
enquête complète sur le sujet. En ce qui nous concerne, nous nous arrêterons au fait qu’en étant le
seul à remettre en cause le glyphosate face à toutes les autres agences, le CIRC a réussi à poser une
question qui embarrasse profondément la science.
79. https://pig.log.bzh
80. Tous les "pisseurs volontaires" landais positifs au glyphosate, France Bleu
https://www.francebleu.fr/infos/environnement/tous-les-pisseurs-volontaires-landais-positifs-au-
glyphosate-1572887778
81. Marcel Kuntz, « Tests de Biocheck : une fraude à grande échelle dans l’affaire des "pisseurs"
de glyphosate ? » https://www.atlantico.fr/decryptage/3578553/tests-de-biocheck--une-fraude-a-
grande-echelle-dans-l-affaire-des-pisseurs-de-glyphosate--urine-agriculteurs-sante-environnement-
marcel-kuntz
82. Géraldine Woesner, Preuve à l’appui : les glyphotests sont bidon !
https://www.lepoint.fr/societe/preuve-a-l-appui-les-glyphotests-sont-bidon-19-12-2019-
2354140_23.php
83. Gil Rivière Wekstein, Glyphosate l’impossible débat, intox, mensonge et billet vert, le
Publieur, 2020
84. American Tort Lawyers and IARC: A Toxic Mutual Interest
https://european-seed.com/2019/04/american-tort-lawyers-and-iarc-a-toxic-mutual-interest/
85. The Roundup Stickup, A trial lawyer allegedly argued it’s cheaper to be extorted than sued
Wall Street Journal https://www.wsj.com/articles/the-roundup-stickup-11577299381
Deuxième partie
Dans les années 1970, l’État français avait imposé le label « Made in
France » afin de rassurer le consommateur. D’autres pays ont vraiment
réussi à imposer leur marque indélébile. On pensera au Made in Germany
pour l’industrie et les services et au Swissmade pour la précision. Ces labels
ont pour objectif de rassurer et d’inspirer la confiance. Ils suscitent la
garantie commerciale et ont pour effet immédiat de tranquilliser le public
qui ne se pose plus de questions. Le gage de qualité indiscutable permet
ainsi de laisser de côté tous les doutes éventuels sur la qualité.
Or ces vingt dernières années, on a vu un label d’un nouveau genre
émerger. Ce label n’appartient à aucun pays en particulier, mais il est
revendiqué par la terre entière. Bien plus fort que le pays d’origine, que
toutes les appellations contrôlées, ou toutes les certifications ISO, le label
en question est une sorte de parangon : on peut l’imaginer comme étant le
label de tous les labels.... Nous avons nommé le « made In Nature ».
Bien évidemment, il n’est jamais exprimé tel quel et se décline sous
toutes formes de variations : du bio au durable en passant par l’éco-
responsable et une variété d’autres étiquettes destinées à exprimer la –
osons le néologisme – « verture », mot-valise qui contracterait, « vertu » et
« verdure ». Le made in Nature est donc devenu un passage obligé du
marketing de cette grande transformation que l’on appelle la transition
écologique.
On s’interroge cependant sur la crédibilité de cette appellation. En
effet, sur le plan philosophique si l’idée générale du « made In Nature » est
d’opposer le « Naturel » au « Fait main » (fait de la main de l’homme) et
effacer comme par enchantement toute anthropisation… alors, on peut
afficher un certain scepticisme. Les traces d’une intervention humaine se
retrouvant quasiment partout, y compris dans les endroits les plus
inattendus, il semble difficile de conceptualiser ce que serait un objet
« naturel ». Ainsi l’écologue Christian Lévêque se rendant compte de la
difficulté de l’exercice, en appelle à positiver le phénomène
d’anthropisation : « Les citoyens soumis à la pression des messages
anxiogènes, qui visent à leur faire croire que l’homme détruit la
biodiversité, ne réalisent pas toujours à quel point la nature que nous
aimons en Europe est une nature anthropisée, à l’image du bocage, de la
Sologne ou de la forêt des Landes, qui ne sont pas une nature vierge. Les
carrières sont certes des systèmes artificiels, car créées par l’homme à
l’instar des paysages agricoles, mais ce sont des systèmes écologiques
fonctionnels qui contribuent à l’entretien et à la dynamique de la
biodiversité. Ce ne sont pas des systèmes écologiques “dégradés” et de
seconde zone, et certains d’entre eux ont même été labellisés comme sites
de conservation. Des scientifiques remettent d’ailleurs en cause la
dichotomie entre systèmes dits “naturels” supposés vierges d’activités
humaines et les systèmes artificiels ou anthropisés qualifiés parfois de
[86]
dégradés .»
Cette difficulté liée à l’abstraction du concept n’empêche personne
d’avoir à l’esprit sa propre représentation du « made in Nature » et certains
prétendent même avoir une définition univoque dont ils seraient les
dépositaires. Dans cette entreprise d’attribution de ce label polymorphe,
quelques-uns y ont vu une opportunité fantastique de faire gagner en qualité
leurs produits. De fait, bon nombre de marques et d’entreprises ont été
accusées de Greenwashing. Il n’en reste pas moins que dans l’inconscient
collectif, le label continue de progresser et s’impose comme une référence
indépassable. Beaucoup a été écrit sur le sujet et nous ne souhaitons pas ici
trop nous étendre, faisons toutefois quelques rappels utiles qui pourront
servir notre développement ultérieur.
Ouvrons toutefois une petite parenthèse et rappelons avec le
philosophe de référence sur le sujet, Luc Ferry, qu’au sein du Nouvel ordre
[87]
écologique , il faut distinguer dans le courant écologiste allemand les
Fundies et les Realo. Le premier mouvement correspond à la deep ecology
(l’écologie profonde) et le second à la shallow ecology (le courant
réformateur). C’est à ce dernier que nous devons l’opération dite de
« transition écologique », donc de passage qui fait que, d’une manière
positive, il faut corriger les excès de la civilisation de la science et du
progrès en proposant des solutions dites durables. Ce sont ces dernières que
nous voudrions étudier désormais.
Si les ONG écologistes ont su, comme on l’a vu, cornériser le progrès
technologique en lui posant des colles, de manière assez étonnante, elles ont
bien su se garder de soumettre à la même grille de lecture impartiale les
solutions dont elles voulaient faire la promotion. Notamment en évitant de
communiquer, voire, en faisant disparaître les externalités négatives de
celles-ci.
Comme par enchantement, le recours à certains mots permettra de
cacher sous le tapis les problèmes et éviter de se poser des questions pour
les solutions qui font partie de la transition écologique et obtiennent le
sauve-conduit du « made in Nature ». Ainsi, parce qu’elles sont présentées
comme étant bio, durables, écolo, équitable, locales, éco-responsables,
vertes, naturelles, Green, non artificielles.... Ces solutions – au-dessus de
tous soupçons – devraient être acceptées sans plus de réflexion. En leur
présence on devrait mettre notre esprit critique en veille et accepter tout ce
qui nous est dit à leur sujet comme argent comptant.
En résumé, le made in Nature a quelque chose de flou, mais tenons-
nous-en, pour le moment, à une sorte de formule magique un peu vague que
le marketing vert a fort bien su utiliser pour ensorceler l’opinion et
déclencher en lui un réflexe pavlovien qui provoque la préférence et une
absence de questionnement ou de remise en question. Là où les ONG
écologistes créent des problèmes et posent des questions embarrassantes
pour les solutions issues de la science et de la technologie, elles ont
tendance à les faire disparaître pour les solutions labellisées « made in
Nature ». C’est le cas, comme nous allons le voir, pour l’alimentation bio,
les véhicules électriques, les énergies renouvelables ou encore les
médecines douces.
Selon lui, Tesla, l’entreprise d’Elon Musk qui s’est spécialisée sur le
lancement de véhicules électriques a coché toutes les cases en répondant de
manière positive aux questions posées. La technologie Tesla est tellement
efficace que les autres compagnies elles-mêmes l’utilisent (Daimler utilise
les batteries par exemple). Ensuite, Thiel ironise de la manière la plus
exquise en disant qu’en 2010, Musk a su trouver le bon timing pour
sécuriser un demi-milliard de dollars auprès de l’administration Obama :
une occasion unique dans l’histoire. Troisième raison, Tesla a su
commencer avec un monopole. Elon, d’après son ami Peter est un ingénieur
de première catégorie doublé d’un excellent vendeur, et il a su coacher ses
équipes comme si elles faisaient partie des forces spéciales. Tesla en
maîtrisant l’ensemble de la chaîne de distribution économise beaucoup
d’argent. On peut estimer que l’entreprise est durable étant donné qu’elle
bouge à grande vitesse. Enfin le secret de Tesla est qu’il a compris que la
mode était aux véhicules électriques étant donnée la vague de « people éco-
conscients » qui a vu le jour à Hollywood : « Tesla a construit une marque
unique autour du secret selon lequel les entreprises de cleantech étaient
davantage un phénomène sociologique qu’un impératif
[110]
environnemental . » D’après l’auteur de 0 to 1, l’exemple de Tesla
incarne à tous points de vue la réussite des cleantechs, alors mêmes que
celles-ci ont subi une bulle en ce sens qu’une quantité énorme
d’investissements a été accordée à ces entreprises qui ont justifié d’un
[111]
retour sur investissement trop faible pour pouvoir rembourser . Après
cette dernière, il est essentiel de trouver un nouveau souffle un peu comme
les entreprises du web 2.0 après la bulle de l’Internet.
Notons que ces observations sont tirées d’un ouvrage paru en 2014 et
que Tesla a connu depuis des hauts et des bas même si la tendance des
véhicules électriques, elle, a continué de se développer. Si Musk a réussi à
envoyer un de ses véhicules en orbite, ce qui symbolise le mieux la réussite
de Tesla, ce sont davantage les montagnes russes que la poussée verticale en
direction des astres. Ainsi, l’année 2018 a été jonchée d’imprévus pour
l’entreprise : accident d’un véhicule en mode pilotage automatique, rappel
de 123 000 véhicules de la gamme modèle S, déclarations inappropriées sur
l’état des finances de la marque qui a valu à Musk d’être suspendu de sa
fonction de président. L’année 2019 a été plus ou moins sur le même mode.
Finalement l’année 2020 semble commencer sur les chapeaux de roue avec
[112]
le succès de la modèle 3 .
Il n’en reste pas moins que l’avenir du véhicule électrique, à l’image
de Tesla, ressemble moins à une autoroute qu’à un chemin tortueux de
province. Certes, on peut toujours se dire que ça finira bien par rester la
seule alternative. Car certains politiques, en France notamment, ont
programmé de tuer son principal concurrent, le véhicule thermique, pour
2040. Et comme nous l’a rappelé Thiel, il s’agit d’un vrai phénomène de
société. Aussi les supporters du véhicule électrique s’acharnent à démontrer
que les a priori négatifs concernant cette innovation sont totalement
infondés.
Le Vlogueur « Y a du potentiel » liste les 10 choses à savoir sur le
[113]
Véhicule Électrique ! Alors qu’un tiers seulement de la vidéo est
consacrée aux grands principes techniques (batteries, autonomie,
motorisation, recharge) et les économies réalisées par rapport au véhicule
thermique (plein et pièces à changer), les deux autres tiers sont consacrés au
déminage des avis critiques !
Il s’agit en effet de répondre aux questions susceptibles de faire douter
de la technologie. Et notamment la première d’entre-elle : « Trop
d’électricité à produire. » Le jeune homme répond à cette question en
s’appuyant sur une étude de la Commission de régulation de l’énergie
(CRE) selon laquelle, la voiture électrique ne fera pas bondir la
[114]
consommation en France d’ici 2035 . Une seconde question qui vient
obérer le développement tranquille de la technologie est celle de la
possibilité de recycler les batteries. La réponse à cette objection étant que
certaines batteries peuvent être réutilisées et d’autres doivent être
démontées afin que l’on puisse filtrer les matériaux ; il reconnaît cependant
que ce processus coûte encore plus cher que l’extraction de matériaux. Une
troisième question concerne les terres rares. Après avoir brièvement exposé
le système de pompage des matériaux et leurs mises en bassin, il s’appuie
sur le rapport de l’Ademe qui affirme que l’épuisement est lointain, mais
[115]
pas infini et qu’il faudra donc privilégier le recyclage. La quatrième
objection est celle de la batterie qui pollue ; car, il faut utiliser d’autres
énergies pour produire la voiture électrique elle-même. La cinquième et
dernière objection donc concerne l’absence de production de CO₂. Selon
notre blogueur : « Une voiture électrique est aussi propre que la manière de
produire l’électricité. » Il évoque deux scénarios possibles. Le premier dans
lequel on trouverait encore 40 % d’énergie produite par une centrale à
charbon : dans ce cas le véhicule produirait 20 % de CO₂ en moins qu’un
modèle thermique. Dans le cas où l’électricité serait davantage décarbonée
(la France), le véhicule émettrait 80 % de CO₂ en moins. Il cite alors le cas
de la Chine où l’augmentation du nombre de véhicules électriques a causé
une augmentation du rejet de CO₂, car la Chine produit essentiellement son
électricité en utilisant des centrales à charbon. La question initiale « un
SUV électrique est-il écolo ou pas ? » trouve la réponse suivante : « Cela
dépend de notre capacité à produire une énergie renouvelable et
décarbonée. » Ce qui est une manière élégante de déplacer le problème.
On le voit : ce n’est pas seulement la marque Tesla qui est faite de
contraste, c’est l’histoire tout entière du véhicule électrique, un peu comme
une utopie qui stimulerait les rêves de l’automobiliste tout en le ramenant à
[116]
chaque fois à la réalité. Une enquête récente réalisée par Cetelem dans
16 pays annonce que 85 % des automobilistes croient en l’avenir du
véhicule électrique (92 % en Chine, 73 % en France et seulement 68 % en
Allemagne). Cette croyance prend cependant une douche froide quand on
sait que sur les 97 millions de voitures neuves vendues dans le monde en
2018 (des ventes qui progressent de 3 % chaque année dans le monde) il
n’y aurait à peine plus d’un million de véhicules électriques. Au point qu’on
se demande si cela ne démontre pas une certaine schizophrénie de la part
des conducteurs qui, d’après l’enquête citée précédemment, lui accordent
toutes les qualités imaginables : « véhicule propre » (pour 89 % des
répondants), « agréable à conduire » (86 %), « une image positive, moderne
et responsable » (85 %). On comprend pourtant facilement d’où viennent
les freins : 86 % des sondés pensent qu’elle est plus chère que son
équivalent thermique. À cela s’ajoute le problème de l’autonomie : 30 %
imaginent « pouvoir acheter une voiture électrique ayant moins de 300
kilomètres d’autonomie ». Enfin, le concept souffre d’un énorme déficit de
connaissance puisque « 70 % des automobilistes dans le monde disent
qu’ils n’ont pas suffisamment d’informations concernant cette voiture ».
Un esprit mal tourné déduirait que ce déficit de connaissance explique
l’espoir hors du commun mis par les automobilistes dans le véhicule
électrique : en effet, 70 % affirment ne pas avoir suffisamment
d’information. On est alors en droit de s’interroger : qui sait, par exemple,
qu’en 2016, l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de
[117]
l’énergie) a sorti un rapport dans lequel elle affirme que : « Le véhicule
électrique consomme moins d’énergie qu’un véhicule thermique en
fonctionnement, car sa chaîne de traction présente un excellent rendement
énergétique. Malgré cela, sur l’ensemble de son cycle de vie, la
consommation énergétique d’un VE est globalement proche de celle d’un
véhicule diesel. » D’après les auteurs, cette solution permet bien « une
réduction des émissions des gaz à effet de serre », une « réduction des
polluants responsables de la dégradation de la qualité de l’air », mais en
revanche, « le VE a des impacts négatifs sur l’environnement,
majoritairement durant sa phase de fabrication, notamment sur
l’acidification des milieux et le potentiel d’eutrophisation de l’eau ».
Mais l’un des critiques les plus féroces du véhicule électrique est sans
doute le journaliste Guillaume Pitron, auteur du désormais célèbre ouvrage
La Guerre des métaux rares. Alors que notre vlogueur nous présentait
discrètement le fait que la production d’une voiture électrique et notamment
d’une batterie était un problème à adresser, Pitron fait, lui, une attaque sans
concession : « Pour construire une voiture électrique, il faut trois à quatre
fois plus d’énergie qu’un véhicule conventionnel. Donc cette idée de la
voiture électrique qui serait une voiture zéro émission, c’est un mythe
complet… un véhicule électrique avant d’avoir roulé son premier kilomètre
a déjà suscité 3 à 4 fois plus d’émissions qu’un véhicule conventionnel. »
Concernant l’objection de la production de l’énergie, il la traite sans
concession. Selon lui, ce qu’on a fait en France, « on a délocalisé la
pollution de la voiture électrique dans des pays qui ont été prêts à salir leur
environnement pour s’enrichir ». Selon cet auteur, il s’agit donc d’une
forme d’hypocrisie « à ne pas vouloir réaliser chez nous cette solution et à
se prétendre écolo » Pitron a fait un travail d’enquête dans tous les pays qui
produisent des terres rares. Alors que la version positive imagine les
progrès des batteries et des motorisations comme d’autant de solutions qui
viennent améliorer l’ensemble, lui, pense que cela ne fera qu’accroître cette
exploitation désastreuse des terres rares. Enfin, il dénonce alors le fait que
l’on passe d’une dépendance aux monarchies pétrolières à une dépendance
[118]
à la Chine .
On notera également l’avertissement récent lancé par Carlos Tavares
(patron de PSA) au Salon de l’Automobile à Paris « Le monde est fou. Le
fait que les autorités nous ordonnent d’aller dans une direction
technologique, celle du véhicule électrique, est un gros tournant. Je ne
voudrais pas que dans 30 ans on découvre quelque chose qui n’est pas aussi
beau que ça en a l’air, sur le recyclage des batteries, l’utilisation des
matières rares de la planète, sur les émissions électromagnétiques de la
[119]
batterie en situation de recharge ? »
On découvre une fois de plus qu’on a poussé en avant une technologie
sans doute perfectible en rejetant les questions sérieuses qu’elle soulevait.
Personne, même les promoteurs du véhicule électrique, ne nie ces
questions, mais rien ne nous dit qu’on va leur trouver des solutions
rapidement. Voici donc un choix technologique qui est commandé par des
choix politiques. Il suffit pour s’en convaincre de voir que subventions et
interdiction (l’empressement des politiques à mettre des bâtons dans les
roues au véhicule thermique pour assurer l’ouverture du marché au véhicule
électrique) restent à ce jour, les deux principaux leviers de la technologie.
Se faisant, il ne faudrait pas qu’on se réveille trop tard en se rendant compte
que se dresse un mur de l’impossible technologique, comme l’explique, par
exemple, l’énergéticien Samuel Furfari. L’expert belge s’interroge, sur cette
solution miracle que « l’on doit imposer par la contrainte législative comme
on l’a fait pour les énergies intermittentes ». Il rappelle les trois grands défis
pour que le rêve devienne réalité : le prix (voir plus haut l’enquête Cetelem
citée) ; les bornes de rechargements (on doit s’interroger sur la directive
européenne obligeant les états à installer ces infrastructures « qui va payer
ces travaux ? ») ; enfin dernier obstacle : la génération d’électricité. Le
professeur s’amuse à un petit calcul pour la Belgique, au cas où en 2030,
10 % du parc auto serait électrifié : du côté de la demande de
consommation, celle-ci n’augmenterait que de 2,8 % ce qui ne poserait pas
un grand problème. Mais si on considère maintenant la puissance installée,
alors : « si on a besoin d’une charge rapide avec 50 kW, on arrive au chiffre
incroyable de 29 GW alors que la puissance installée est 21,15 GW lorsque
[120]
tout veut bien fonctionner …»
9. Homéopathie : 100 % placébo.... 0 % remboursé
Alors que nous avions vu que les OGM, le Nucléaire, les Antennes
relais et le Glyphosate avaient subi des attaques sans concession des ONG
et qu’elles étaient décrédibilisées dans l’opinion, a contrario, pour le Bio,
l’Éolien, le Véhicule Electrique ou l’Homéopathie, des ONG, des
industriels, des politiques, font en permanence leur promotion, en vantant
des qualités de manière injustifiée et en niant les externalités négatives. Ce
n’est pas exagéré de dire qu’on diabolise les premiers pendant qu’on
« déifie » les seconds.
Nous pouvons expliquer cela par le fait que nous avons ici à faire à
une opération de marketing dont le pouvoir apparemment infini s’est
appuyé sur des images et des mots pour changer l’opinion générale grâce à
un tour de passe-passe formidable : le « naturel » a quelque chose de
« surnaturel » en ce sens qu’il échappe à toute analyse scientifique. Il suffit
que la chimie soit « organique » pour que l’on oublie que c’est la dose qui
fait le poison ; que l’énergie soit « renouvelable », pour que l’on oublie que
celle-ci n’est pas forcément fiable pour approvisionner les besoins des
populations ; que le « véhicule soit vert » pour qu’on oublie qu’il est encore
aussi polluant que certains diesels, et enfin qu’une médecine soit « douce »
pour qu’on prête plus qu’il ne peut à l’effet placébo. Et que l’on ne vienne
pas nous dire que ces « solutions made in Nature » s’imposent par leurs
meilleurs respects de l’environnement, car là encore il faudra que les
tenants de cette thèse nous fournissent des preuves : quel est l’avantage
d’avoir une culture dite « bio » si on a des rendements plus faibles et donc
on doit utiliser davantage de terres pour obtenir une récolte identique ? Quel
est l’avantage d’avoir des ENR, si on est forcé d’utiliser d’autres énergies –
dont des énergies fossiles – pour garantir l’approvisionnement énergétique
et la pilotabilité du système ? Quel est l’avantage des véhicules électriques
si on utilise des terres rares et que l’énergie utilisée pour approvisionner le
véhicule n’est pas elle-même renouvelable ? Quel est l’avantage d’une
médecine naturelle si… on ne connaît pas de manière certaine la nature de
cet avantage ?
Mais si nous en sommes arrivés là, c’est qu’il y a bien une raison. Le
côté surnaturel du « naturel » que nous avions baptisé « le made in Nature »
et qui est plus généralement appelé « bio », « durable », « éco-
responsable », « en accord avec la nature »… est ce petit plus magique que
l’esprit cartésien avait voulu supprimer et qui a su s’imposer sans aucune
difficulté sur un marché saturé par la rationalité et qui croulait sous le poids
de l’impossibilité de démontrer le risque 0.
Alors que le principe de précaution est décliné à l’envi pour ces
technologies qui jouent avec les gènes, l’atome, les ondes et les molécules,
celui-ci n’est plus du tout invoqué dès qu’on parle d’aliments bio, d’énergie
renouvelable, de véhicule vert ou de médecine naturelle. Pourquoi : parce
que le fait d’être considéré comme « naturel » apporte une sorte de caution,
qui désarme l’esprit cartésien. Et pourtant, pourquoi n’appliquerait-on pas
le principe de précaution au maïs bio qui peut apporter avec lui des
mycotoxines ? Pourquoi n’appliquerait-on pas ce principe à l’énergie
éolienne qui semble largement incapable de répondre aux besoins de nos
sociétés modernes et pourrait nous conduire à des périodes de black-out ?
Pourquoi ne l’appliquerait-on pas aux véhicules électriques qui semblent –
en l’état actuel des choses – générer davantage d’externalités négatives que
leurs homologues thermiques ? Pourquoi ne pas l’appliquer à l’homéopathie
qui pourrait.... à non c’est vrai, étant donné qu’il n’y a aucun effet avéré, il
ne peut y avoir de risque potentiel.
Hélas en procédant ainsi on fait passer le marketing avant la science et
la technologie, en sélectionnant les technologies en fonction de
considérations externes à l’efficacité des applications technologiques
concernées. Il s’agit essentiellement de raconter de belles histoires. Certes
on peut toujours penser que le marché finira par arbitrer le sort de ces
solutions. Il ne fait aucun doute que certaines continueront de progresser…
notamment, n’en doutons pas, le véhicule électrique ainsi que les ENR
quand on aura trouvé une solution au stockage de l’énergie. Mais il se pose
tout de même une question cruciale : celle du risque de toucher aux limites
de l’exercice et de basculer un jour dans l’idéologie. Là réside notre
problème : car si les solutions made in Nature ne font pas leurs preuves,
certains veulent avoir recours à la force pour nous imposer leurs idées de
décroissance. Quand le marketing est impuissant à vendre une idéologie,
alors la politique prend le relais.
Tous ces acteurs sont persuadés que si nous ne changeons pas notre
mode de vie, c’est à dire, que si nous ne « reprogrammons » pas
immédiatement l’ADN de notre civilisation avec tout ce que cela comporte,
nous nous précipitons dans le mur (c’est l’expression consacrée) et nous
n’échapperons pas à un destin cruel. Il est donc impératif de revenir sur les
avancées dues à la philosophie des Lumières. D’ailleurs les collapsologues
et les décroissants ne reconnaissent pas vraiment ces avancées. C’est même
un blâme implicite de cette société qui se trouve en germe dans ce courant
de pensée.
À la suite de la pandémie du COVID 19, tous les « effondristes » ont
vu une occasion unique et morbide de promouvoir leur mouvement.
[150]
Interviewé sur le site Wedemain , Yves Cochet voit dans cet épisode la
confirmation de ses prédictions : « Depuis un moment, et surtout après la
sortie de mon livre en septembre dernier, des gens disent : “Il est devenu
paranoïaque, il parle d’effondrement, de fin du monde de collapsologie, tout
ça n’existe pas et n’existera jamais”. Je ne leur dirai pas “J’avais bien
raison”, ce serait stupide. Mais mes lectures, mon expérience, mes
raisonnements depuis une quinzaine d’années m’ont montré qu’une
pandémie mondiale assez forte pourrait déclencher l’abattement des
dominos dans d’autres domaines, par exemple économiques, financiers, et
donc un effondrement systémique mondial. » Il acquiesce à la question
selon laquelle cette pandémie génère un dysfonctionnement systémique « il
y a des limites à la mondialisation. Malgré l’apparente “solidarité” entre les
économies nationales, voilà plus de 25 ans qu’on échange des biens, mais
qu’on échange surtout des maux, comme disait Ulrich Beck. La dernière
fois, c’étaient les actifs pourris des banques américaines. Cette fois-ci, c’est
un virus. C’est différent, mais on voit bien que l’épidémie est d’ordre
mondial. Quand les pays étaient plus “indépendants” en termes financiers,
en termes d’échanges, il y avait une propagation et une contagion moins
rapide. C’est donc le signal qu’il faut revenir à l’échelon local, à plus
d’indépendance notamment dans les domaines alimentaires et
énergétiques ».
Nicolas Hulot, lui est allé encore plus loin en affirmant sans aucune
vergogne que la pandémie était un « ultimatum que la nature envoyait à
[151]
notre civilisation ». L’animateur de télévision tapant à bras raccourcis
sur la société capitaliste telle qu’elle est organisée.
Pour Aurélien Barrau, si nous acceptons sans broncher le confinement
pour des raisons de santé publique, il n’y a pas de raison de le refuser pour
[152]
une raison encore plus grande qui serait l’urgence environnementale .
Jean Jouzel ne dit pas moins lorsqu’il affirme dans une interview pour
Ouest France que « L’urgence climatique est aussi importante que l’urgence
[153]
sanitaire . » À la question : « Pensez-vous vraiment que les dirigeants et
les acteurs économiques vont enfin prendre la mesure du consumérisme
destructeur pour la planète ? » Il répond sans hésiter : « C’est un espoir.
Même si je vois bien que ce n’est pas forcément comme ça que l’économie
va repartir. Emmanuel Macron a dit qu’il tiendrait compte des
enseignements de cette crise. Il n’a pas employé le mot d’économie verte.
Mais j’ai l’espoir que ce nouveau mode de développement soit vert. C’est
un espoir peut-être un peu fou, mais c’est indispensable, car l’urgence
climatique est aussi importante que l’urgence sanitaire. C’est maintenant
qu’il faut agir. »
Quant à Yuval Noah Harari, il craint que l’après-pandémie nous mette
face à un choix crucial d’une Techtature, telle que celle qu’on a pu observer
en Chine où la technologie a servi l’état pour priver les individus de leurs
libertés individuelles en échange de la santé publique. Ainsi si l’État se
permet de contrôler notre température pour notre bien, pourquoi ne
[154]
contrôlerait-il pas également nos opinions politiques .
Dans une grande opération de récupération, tous les collapsologues ont
saisi de manière assez opportuniste cette catastrophe pour essayer d’y
trouver une confirmation de leurs thèses. Cela nous renvoie à une question
fondamentale qui est que toute la civilisation contemporaine semble s’être
construite justement pour lutter contre ce catastrophisme. Et si notre
civilisation semble s’effondrer, cela ne veut-il pas dire, bien au contraire
qu’il faut encore davantage de progrès ?
Cette interrogation rejoint l’histoire du verre à moitié vide et à moitié
plein qu’illustre très bien la conclusion de l’ouvrage de Steven Pinker,
Enlightenment now, où le psychologue s’interroge sur l’avenir du progrès
(The future of progress). Dans ce chapitre, il remet en question sa méthode
qui a consisté à collectionner toutes les données positives (l’exact inverse
du travail effectué par les collapsologues). Qu’en serait-il, par exemple si,
au lieu d’affirmer que 90 % des individus sont sortis de l’extrême pauvreté,
on affirmait que 700 millions vivent encore dans l’extrême pauvreté et que
l’espérance de vie tombe à 60 ans en moyenne dans les régions où ils se
trouvent concentrés. Qu’au moins un million d’enfants meurent de la
pneumonie chaque année, qu’une douzaine de guerres font rage dans le
monde, etc., etc. – un angle que choisiraient sans hésiter les catastrophistes.
S’interrogeant alors sur cette autre lecture possible des faits, Pinker fait
une remarque pleine de bon sens : « Mon objectif en présentant des faits
identiques de ces deux façons n’est pas de dire qu’on peut se concentrer sur
le verre à moitié plein ou à moitié vide. C’est de rappeler que le progrès
n’est pas une utopie, et qu’il y a de la place – en vérité, un impératif – pour
nous de persévérer dans le sens de ce progrès. (…) La philosophie des
lumières est un process continu de découverte et d’amélioration. »
Il fait une remarque qui nous permet de comprendre en quoi la réalité
du progrès des Lumières n’a rien de relatif et ne peut être réduite, selon le
bout par lequel on le prend, à un phénomène étudié par la « collapsologie »
ou toute autre vision catastrophiste non argumentée : « Encore mieux : les
améliorations se construisent les unes sur les autres. Un monde plus riche
peut mieux se permettre de protéger l’environnement, de surveiller ses
gangs, de renforcer ses filets de sécurité sociale, d’enseigner et de guérir ses
citoyens. Un monde mieux éduqué et connecté se soucie plus de
l’environnement, se livre moins aux autocrates et commence moins de
guerres. Les avancées technologiques qui ont propulsé ce progrès ne
devraient que s’accélérer. La loi de Stein continue d’obéir au corollaire de
Davies (Les choses qui ne peuvent durer éternellement peuvent durer plus
longtemps que vous ne le pensez), et la génomique, la biologie synthétique,
les neurosciences, l’intelligence artificielle, la science des matériaux, la
science des données se développent. Nous savons que les maladies
infectieuses peuvent être éteintes, et beaucoup sont prévues pour le temps
passé. »
Avec cette parenthèse on comprend bien que la collapsologie a dans
son viseur les Lumières et que quoique fasse la civilisation qui en est issue,
cela ira forcément a contrario de ses desiderata, allant dans le sens du
toujours plus contraire à une décroissance nécessaire que les collapsologues
appellent de leurs vœux.
13. Sous pression du catastroscientisme
Face à ce mouvement destructeur qui veut revenir sur 250 ans et plus
de progrès, et qui modélise des catastrophes potentielles ou récupère celles
qui sont bien réelles pour gagner en influence, quelles sont les alternatives ?
Comment échapper à cette idéologie rétrograde dont l’objectif est surtout de
prendre le pouvoir afin d’imposer des règles nuisibles au développement de
l’humanité ?
Comme nous avons pu le voir à plusieurs reprises, ces thèses
s’appuient sur la collapsologie et soutiennent que contrairement à ce
qu’affirment les défenseurs de la philosophie des Lumières, tels que Steven
Pinker ou encore Richard Dawkins, tout va plus mal qu’avant. Ces derniers
qui, comme on le sait, prennent comme un véritable succès le fait que
l’espérance de vie moyenne est passée désormais à plus de 71 ans, nous
vivons en meilleure santé, nous sustentons mieux nos besoins alimentaires,
10 % de la population mondiale vit encore dans l’extrême pauvreté (pour
mémoire 90 % de la population vivait dans l’extrême pauvreté en 1820)…
Bref, tous les compteurs sont au vert, sans mauvais jeux de mots.
Avec la pandémie de Covid-19, la science se trouve alors sur une pente
savonneuse. En effet, elle semble avoir quelques difficultés à tenir ses
promesses et être incapable d’assurer la maîtrise dont elle se targuait
jusqu’alors. Le nombre de morts causé par le Coronavirus a beau être
inférieur à celui de tant d’autres maladies (y compris la grippe saisonnière),
l’irruption d’une infection inconnue qui met les systèmes de santé en
panique partout dans le monde et donne un coup d’arrêt à l’économie
mondiale tout en paralysant le système de production ainsi que le système
financier est un événement majeur. Et certains idéologues comme on l’a vu,
n’hésitent pas à saisir l’occasion pour souhaiter le changement de
civilisation qu’ils appellent de leurs vœux depuis tant d’années. Ainsi
l’homme politique Jean-Luc Mélenchon a twitté : « On entend d’un coup
beaucoup de gens parler du “monde d’après”. J’ai pour ma part une idée
assez précise de ce qu’il doit être, ça s’appelle “l’Avenir commun”, le
programme que j’ai présenté à l’élection présidentielle. Nous allons le
remettre en débat. » Ce tweet semble nous emmener bien loin de la
réflexion sur l’avenir de la science, mais pas tant que cela quand on sait que
le représentant de l’extrême gauche est aussi un fervent militant de la
décroissance.
Science et technologie se trouvent alors devant un défi encore plus
immense que celui d’avant la crise du Covid-19. Car elles n’ont plus
seulement à répondre aux multiples attaques des idéologies qui veulent
nous prouver l’inutilité de son modèle, elles doivent aussi rassurer
désormais l’opinion sur la capacité à tenir ses promesses et à fournir de
l’énergie abordable en quantité suffisante, nourrir et bien sûr soigner, et tout
cela, en respectant, elle aussi, les équilibres du « made in Nature ». Pour
cela il est plus que jamais essentiel que les scientifiques s’engagent pour
défendre leur modèle. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont commencé de faire dans
un mouvement de révolte.
« Mesdames et Messieurs,
Je veux commencer par des excuses. Officiellement et publiquement, ici et
dès le départ, je m’excuse d’avoir passé plusieurs années à dénigrer les
cultures génétiquement modifiées (GM). Je suis également désolé d’avoir
contribué à démarrer le mouvement anti OGM dans le milieu des
années 1990, et d’avoir donc contribué à diaboliser une option
technologique importante pouvant être utilisée au profit de
l’environnement. En tant qu’écologiste, et quelqu’un qui croit que tout le
monde ici-bas a droit à une alimentation saine et nutritive de son choix, je
n’aurais pas pu choisir un chemin plus contre-productif. Je le regrette
maintenant complètement. Alors je suppose que vous vous demanderez ce
qui s’est passé entre 1995 et maintenant qui m’a non seulement fait changer
d’avis, mais venir ici et l’admettre ? Eh bien, la réponse est assez simple :
j’ai découvert la science, et ce faisant, j’espère être devenu un meilleur
écologiste.
Lorsque j’ai entendu parler du soja GM de Monsanto, je savais exactement
ce que je pensais. Il y avait là une grande société américaine à mauvaise
réputation, qui mettait quelque chose de nouveau et expérimental dans
notre alimentation sans nous le dire. Mélanger les gènes entre les espèces
semblait aussi contre nature que possible – c’était l’acquisition par
l’humanité de trop de puissance technologique, quelque chose devait
tourner horriblement mal. Ces gènes se répandraient comme une sorte de
pollution vivante. C’était la substance des cauchemars. »
« L’élimination des virus relève d’une idée noble, mais elle pose à
son tour d’énormes problèmes. Entre l’an 1 et l’an 1400, la
population n’a pratiquement pas changé. À travers les épidémies la
nature compensait les abus de la natalité par des abus de mortalité.
J’avais discuté de cette question avec le directeur de l’académie des
sciences en Égypte. Il m’a dit que les scientifiques étaient
épouvantés à l’idée qu’en l’an 2080 la population puisse atteindre
250 millions en Égypte. Nous voulons éliminer la souffrance les
maladies, l’idée est belle, mais n’est peut-être pas tout à fait
bénéfique sur le long terme, il est peut-être à craindre que l’on
compromette ainsi l’avenir de notre espèce. C’est terrible à dire il
faut que la population mondiale se stabilise et pour cela il faut
éliminer 350 000 hommes par jour [261] »
Kervasdoué, Jean, La peur est au-dessus de nos moyens - Pour en finir avec
le principe de précaution, Plon, 2011
Kervasdoué, Jean, Ils croient que la nature est bonne, Robert Laffont, 2016
Page titre
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La science détrônée par une ado de 17 ans ?
Première partie. Technologies présumées coupables
1. « OGM danger »… et toujours pas l’ombre d’un rhume
2. « Nucléaire non merci » : Le fantôme de Tchernobyl au labo de Bure
3. « Mauvaises ondes » : l’antenne était éteinte
4. « Sans Glyphosate » : probablement un cancérigène ?
5. Quatre totems et un enterrement
Deuxième partie. La transition made in Nature
6. Le bio : tellement bon qu’on ne lui pose pas de questions
7. Éoliennes : l’hélice qui cache la centrale à charbon
8. Véhicule électrique : les terres rares sous le tapis
9. Homéopathie : 100 % placébo.... 0 % remboursé
10. La magie surnaturelle du naturel
Troisième partie. Dystopie verte : l’idéologie d’abord, la science après
11. Le petit Greta rouge et le loup
12. Collapsologie : attention chute de Lumières !
13. Sous pression du catastroscientisme
14. Amour de la nature ou haine de l’humanité ?
Quatrième partie. L’empire rationaliste contre-attaque
15. La révolte des scientifiques
16. À l’ère du « décarboné », le Nucléaire se refait une santé
17. Des NBT encore plus naturelles avec CRISPR
18. L’agriculture plus smart que l’agri-bashing
19. L’IA au service de l’humanité et non l’inverse
20. Une nouvelle alliance Homme-Nature
Conclusion. Greta au pays de l’après-Covid
Bibliographie