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Première édition :
© Éditions Albin Michel, 1976

Pour l’édition en livre de poche :


© Éditions Albin Michel, S.A., 1987

ISBN : 978-2-226-30930-3

Centre national du livre

2
Collections dirigées
par Jean Mouttapa et Marc de Smedt

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Sommaire
Page de titre

Page de Copyright

PRÉFACE

I - INTRODUCTION
A. – Le but

B. – Le Supramental

C. – La transformation

D. – Possibilités de succès

E. – Généralités

F. – Individualisation du yoga

II - LE RÔLE DES DIFFÉRENTS PLANS


A. – La place du mental

B. – L’utilité du mental

C. – Les insuffisances du mental

D. – L’utilisation du mental

E. – Utilité et mode d’action du vital

F. – La résistance du vital inférieur

G. – Comment discipliner le vital inférieur

H. – L’attitude envers le corps 4


I. – Le subconscient

J. – La conscience du milieu

K. – L’action du psychique

L. – L’être intérieur

M. – Le rôle du surmental

III - LES COMPOSANTES DU YOGA


A. – Les différentes techniques

B. – La place de la Bhakti

C. – La place des œuvres

D. – Concentration et méditation

E. – Nirvâna et vacuité

F. – Mantra, japa, cultes, prière

IV - DISCIPLINES
A. – Purification

B. – Réceptivité, aspiration, ouverture

C. – Abandon et don de soi

D. – Le détachement

E. – La foi

F. – Calme, paix, égalité, silence

G. – Patience et persévérance

H. – Volonté

I. – Sincérité

J. – Vie dans le monde et isolement

K. – Rapports avec autrui

L. – Études, activités littéraires et artistiques 5


M. – Alimentation et sommeil

V - OBSTACLES
A. – Les forces hostiles

B. – Le découragement

C. – Le doute

D. – L’ego

E. – Émotivité

F. – Sexualité

G. – La morale stéréotypée

VI - LES AIDES
A. – Le jeu de la force yoguique

B. – L’aide du Divin

C. – La descente

D. – La Grâce

E. – Le gourou

VII - DIVERS
A. – Intuitions

B. – La maladie

C. – La mort

D. – Le sacrifice

E. – Humour et gaieté

F. – Le rôle des chakras

VIII - SUPPLÉMENT
A. – Extraits de « Les éléments du yoga »

B. – Extraits de « The hour of God »

C. – Renvois à d’autres volumes 6


APPENDICES
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

GLOSSAIRE

INDEX ALPHABÉTIQUE

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Lorsque Shrî Aurobindo posa sa main sur ma tête, il me donna ce que tout vrai grand Maître
donne lors de l’initiation : montrer la voie précise à suivre, inspirer un désir intense de le faire et
transmettre la force nécessaire. Sans doute fit-il aussi ce qui est plus exceptionnel, assurer que
pendant le reste de ma vie je sois placé dans les conditions, matérielles et autres, les plus favorables
pour m’acquitter de la tâche qu’il m’avait assignée.
Dans les pages qui suivent, comme dans ma préface à Métaphysique et Psychologie, j’ai essayé
de résumer, dans ses propres paroles, ce que j’ai pu assimiler de cet enseignement qu’il m’a donné,
directement ou indirectement, par écrit, ou le plus souvent par des moyens plus subtils.
Si d’autres disciples apportent leur témoignage comme je l’ai fait, sans doute ne mettront-ils pas
toujours l’accent sur les mêmes points, mais sur l’essentiel il ne saurait guère y avoir de divergence.
Je dois une profonde reconnaissance aux vieux disciples de notre Maître qui m’ont
chaleureusement accueilli parmi eux et aidé, et ont souvent été autorisés à me faire lire leur
correspondance personnelle avec Shrî Aurobindo, correspondance dont une partie seulement a été
publiée.
Je ne peux les citer tous, mais je ne peux m’empêcher de nommer les sannyâsins Govindbhai,
Yogânanda, Vijoyânanda, Shankara Ram et Suddhânanda Bharati ; le philosophe sanskritiste
Anilbaran Roy ; A.B. Purani, spécialiste de « La Vie divine » ; l’écrivain bengali Nolini Kanta
Gupta, longtemps secrétaire particulier de Shrî Aurobindo ; les anciens compagnons de combat de
Gandhi, Girdharlal, Tulsi, Venkataraman ; les anciens élèves de Tagore, la musicienne Sahana et le
poète Nishi Kanto ; les ingénieurs Pavitra (Français qui fut longtemps secrétaire général de
l’âshram), Chandulal et Sailen ; les médecins Nirod et Rajangam ; l’avocat Kodanda Ram ; la
poétesse Jyotirmoyi ; les peintres Anil Kumar et Champaklal ; la douce Mridu, à qui Shrî Aurobindo
avait assigné le yoga de la cuisine ; les Français Benjamin, Mouttayen et Sarala ; la jeune veuve
tamoule Padmasini ; le sikh Jauhar, le parsi Amal, les jaïns Nahar et Rishabhchand, la musulmane
Tajdar, et surtout l’écrivain, poète et musicien bengali, adorateur de Krishna, Dilip Kumar Roy, avec
qui Shrî Aurobindo échangeait jusqu’à trois lettres par jour. Quelle étonnante pléiade, si variée, de
chercheurs ardents de spiritualité !
Enfin, je dois beaucoup à la Mère de l’âshram (Madame Mirra Alfassa), avec qui j’ai eu de
nombreux et longs entretiens et aussi une abondante correspondance pendant les périodes où je
n’étais pas à l’âshram. Je lui suis reconnaissant de m’avoir encouragé à publier ces deux volumes.

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PRÉFACE

Le Gourou est Brahmâ,


Le Gourou est Vishnou,
Le Gourou est le Dieu Maheshvara,
Le Gourou est même le Parabrahman.
Devant ce Gourou je me prosterne.

Selon un adage indien, il est impossible d’expliquer à quelqu’un le goût du lait ; celui qui
veut connaître ce goût doit en boire. Il en va de même pour tous les yogas, et celui de Shrî
Aurobindo ne fait pas exception. Ne peut comprendre un yoga que celui qui le pratique. On ne peut
cependant pas pousser trop loin cette comparaison ; alors que boire une tasse de lait est une
opération simple et rapide qui ne nécessite ni préparation ni explication, « le chemin du yoga est
long » et ne prend même jamais fin, pas plus que l’étude des mathématiques ou du piano. En outre,
tout au long de ce chemin, il est pratiquement indispensable d’être guidé par un maître
expérimenté, un gourou, qui, sauf rarissimes exceptions, donne à son disciple les instructions
détaillées correspondant à sa nature, son stade d’évolution, les efforts particuliers à faire à un
moment donné.
Aussi de pieux disciples ont-ils recueilli et fait connaître – avec son assentiment – les écrits
et paroles de leur gourou. Le présent volume en est un exemple. Certes, l’enseignement de chacun
de ces grands maîtres n’a pas dans sa totalité une application universelle, puisqu’il est non
seulement spécifique à un certain yoga, mais individualisé pour le disciple ; il n’y a donc rien
d’anormal à ce que l’on relève des contradictions entre diverses instructions. Cependant, si on
laisse de côté le détail des techniques, on trouve entre tous ces yogas – et même entre les
disciplines spirituelles de tous les pays – beaucoup d’éléments communs précieux, notamment –
mais pas exclusivement – en ce qui concerne la propédeutique. C’est pourquoi ces recueils ont
éveillé un vif intérêt dans des cercles beaucoup plus larges que ceux des disciples, directs ou
indirects, de chaque maître.
C’est particulièrement le cas pour Shrî Aurobindo, non seulement parce qu’il a laissé dans
une volumineuse correspondance des indications extrêmement détaillées sur la façon – ou plutôt
les façons – dont son yoga doit être pratiqué 1, mais surtout parce que son yoga « intégral »
embrasse, en les complétant et en les combinant, les principaux yogas pratiqués avant lui.

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Certes, rien ne saurait remplacer l’impulsion donnée personnellement par lui aux privilégiés
qui, comme moi, l’ont reçue directement de lui, de son vivant, dans son âshram. Mais les
instructions écrites qui nous ont été conservées ont déjà pu être utilisées avec fruit dans les
milieux occidentaux les plus variés s’intéressant à la psychologie, à des disciplines intellectuelles,
religieuses ou spirituelles, à la formation de la jeunesse, etc.
Comme tout yoga, celui de Shrî Aurobindo repose sur une métaphysique et une psychologie
sans lesquelles il est impossible de le comprendre. C’est pourquoi nous avons fait précéder ce
volume d’un autre 2 où nous avons rassemblé l’essentiel de son enseignement sur ces deux sujets.
En résumé, la base de la métaphysique de Shrî Aurobindo est qu’après l’apparition
successive dans l’univers terrestre de la matière, de la vie et de la pensée, le moment est venu où
peut et doit descendre un quatrième élément qu’il appelle le Supramental.
Or, l’homme étant sur la terre l’être le plus développé sur le plus élevé des trois plans
actuellement manifestés, le plan mental, il semble le mieux capable d’attirer ce plan supramental
en lui-même – et ainsi sur la terre.
Même pour les disciples personnels de Shrî Aurobindo, il ne fut pas toujours facile de
comprendre dès le premier abord ce qu’était le vrai but de son yoga. À maintes reprises il dut
expliquer à l’un ou à l’autre qu’il ne s’agissait pas d’atteindre le nirvâna, la délivrance (moksha),
la béatitude (ânanda), la rédemption, un état nietzschéen de surhomme ou le plan de conscience de
l’unité, but final de presque tous les anciens yogas. Pour lui, les disciplines correspondant à la
recherche de chacun de ces états étaient sans doute efficaces, mais insuffisantes et incomplètes
pour le « Yoga intégral » qu’il enseignait.
Ainsi le yoga de Shrî Aurobindo « vise non seulement à nous faire passer de la conscience
terrestre habituelle dans la conscience divine, mais encore à faire descendre le pouvoir
supramental de cette divine conscience ici-bas dans l’ignorance de l’intellect, de la vie divine
dans la matière ».
Pour Shrî Aurobindo, tout être humain est potentiellement capable de progresser, si peu que
ce soit pour le moment, sur la voie conduisant à ce but. Mais il suffit que quelques-uns y
parviennent pour que se déclenche cette nouvelle étape dans l’évolution de la conscience
terrestre.
Comme nous l’avons déjà relevé, « la sâdhanâ repose sur le fait qu’une descente de Forces
des plans supérieurs et une montée de la conscience inférieure aux plans supérieurs est le moyen
de transformer la conscience inférieure ». Shrî Aurobindo ne donne pas de définition exhaustive de
ce qui descend ainsi en l’homme. Il dit d’une façon générale que « la descente est celle des
pouvoirs de la conscience supérieure qui est au-dessus de la tête ». Ailleurs il parle de « la Paix,
la Puissance, la Lumière, l’Ananda de la conscience spirituelle supérieure [qui] sont là, en tous
voilés, au-dessus ». Ou encore de « la présence, la tranquillité, la paix, la pureté, la force, la
lumière, la joie, l’ampleur divines [qui] sont au-dessus
12 de vous, prêtes à descendre en vous ».
Mais il explique qu’il « n’est pas nécessaire de définir cette Présence, et l’on ne devrait même pas
essayer de s’en former une idée, car elle est infinie dans sa nature ».
Quoi qu’il en soit, « l’homme peut monter en elle (la Nature supérieure) et elle peut
descendre en lui ». Et la « montée est le premier pas, mais elle est un moyen pour amener la
descente ». Cependant les deux ne se présentent pas forcément dans cet ordre un peu simpliste. En
effet, Shrî Aurobindo parle aussi de « la montée de l’homme en la Divinité par la descente de Dieu
en l’humanité ».
Cette montée et cette descente n’attendent pas que l’homme soit déjà presque parvenu au but
de son travail préparatoire : « Si l’on devait attendre que la nature inférieure fût entièrement et
définitivement purifiée avant de solliciter la descente de l’expérience positive, on pourrait
attendre à jamais. » Là comme ailleurs, l’intervention du psychique 3 est probablement
indispensable : « Ce qui est important, c’est de développer le psychique au-dedans et de faire
descendre d’en haut la conscience supérieure. »
Dans quel ordre doit-on souhaiter que descendent ces divers aspects et influences du Divin ?
« Le plus prudent, dit Shrî Aurobindo, est de faire descendre d’abord une paix et un calme absolus,
car cela donne plus de sécurité à la descente du reste… Lorsque la paix est établie, cette force
supérieure ou divine qui vient d’en haut peut descendre et travailler en nous… Si la paix n’est pas
venue la première, il faut prendre garde de s’enorgueillir dans une exaltation vaniteuse et de
perdre l’équilibre. » Il écrit aussi : « Le calme, le détachement, une force et une joie paisibles
doivent être amenés d’en haut dans le vital et le physique aussi bien que dans le mental… Mais ce
calme, cette paix, cette force et cette joie silencieuses ne sont que la première descente du pouvoir
de la Mère dans l’âdharâ. » A fortiori, dans le grand mouvement cosmique, il faut « d’abord
pénétrer dans la conscience divine et ensuite faire descendre sur terre la Conscience
supramentale ».
Au début l’on n’est pas conscient de ce que la Force descend ; c’est ensuite seulement qu’on
« devient conscient de ce qu’elle agit, mais non de la manière dont elle agit ; finalement on
devient conscient entièrement et en détail ».
Contrairement à ce qui se passe dans la sâdhanâ tantrique et à ce qui est traditionnellement
admis dans les yogas classiques, dans le yoga de Shrî Aurobindo, « la conscience supérieure
descend généralement de centre en centre » et « les chakras s’ouvrent de haut en bas… par la
descente de la Force ».
Dans la sâdhanâ que propose Shrî Aurobindo, on peut dire que les trois mots clés sont
Ouverture, Descente, et, entre les deux, Préparation – ce qui n’indique d’ailleurs pas trois étapes
successives, car chacune d’elles est imbriquée dans les deux autres. « C’est là le double
fondement du yoga [intégral] : la descente de la conscience supérieure avec sa paix, sa liberté et
sa sérénité venant d’en haut, et l’ouverture du psychique qui maintient tout l’effort et tout le
mouvement spontané tournés vers le vrai but. » 13
Dans la préparation, on peut également prévoir trois stades – les mêmes qu’en médecine –
prendre conscience de l’état actuel, déterminer les éléments à en éliminer, corriger ou
transformer, et enfin appliquer à chacun d’eux la thérapeutique appropriée. « Le premier pas
consiste à prendre conscience de l’ancienne nature de surface et à s’en séparer… Ensuite il sera
beaucoup plus facile de changer », et cela « par une évolution rapide et concentrée ».
Chacun des plans dont l’homme a conscience devant être « transformé » pour être
« spiritualisé », le sâdhak devra partir d’une connaissance croissante de chacun d’eux, lutter
contre la résistance qu’il oppose et utiliser les possibilités qu’il offre. Naturellement il y a
beaucoup de domaines particuliers dans lesquels le sâdhak doit travailler simultanément sur deux
ou plusieurs éléments dont l’action est mêlée.
Se faire une idée exacte des divers éléments qui existent en nous et autour de nous, ceux dont
nous sommes habituellement conscients et surtout les autres, de la façon dont chacun fonctionne et
dont ils réagissent les uns sur les autres n’est déjà pas chose facile. Nous ne pouvons ici que
renvoyer aux passages cités dans Métaphysique et Psychologie.
« La sâdhanâ de notre yoga, dit Shrî Aurobindo, ne procède par aucun enseignement mental
imposé ni par des formes prescrites de méditation, mantras ou autres, mais par aspiration, par
concentration vers le dedans ou vers le haut, par ouverture à l’influence, au pouvoir divin, au-
dessus de nous et à son action en nous, à la présence divine dans le cœur et par rejet de tout ce qui
leur est étranger. »
Puisque le but ultime que doit se proposer le sâdhak est de « supramentaliser » la totalité de
son être, il ne doit pas vouloir se dérober à la vie terrestre, comme dans certains yogas classiques,
il ne doit pas rejeter l’humain, mais au contraire, pour le transformer, utiliser tout ce qui le
constitue, son mental, sa force vitale et même son corps physique. Il n’y a donc rien de surprenant
à ce que Shrî Aurobindo ait fait appel, en les adaptant, en les développant et en les coordonnant, à
toutes les techniques proposées avant lui : Yoga des œuvres, Yoga de la connaissance, Bhakti,
Tantrisme, méditation, etc.
Il y a cependant avec ces autres yogas une différence essentielle.
Le sâdhak de ce yoga ne doit travailler ni pour soi, ni même pour l’humanité, mais pour le
Divin, en L’aidant à faire descendre le plan supramental dans la conscience terrestre, puisque le
moment en est venu. Shrî Aurobindo spécifie même à plusieurs reprises qu’il ne travaille pas pour
lui-même.
Cependant, pour œuvrer dans ce sens, le sâdhak ne peut évidemment travailler que sur lui-
même, en plongeant son « Moi séparateur » dans la conscience divine pour faire descendre en lui
une conscience supérieure, la conscience supramentale, qui non seulement transformera son
mental et sa vie, mais pourra même éventuellement renouveler son corps.
Comme tous les vrais maîtres (malheureusement il y en a d’autres !), Shrî Aurobindo insistait
beaucoup sur l’individualisation du yoga. « Chacun,14 disait-il, a son propre chemin de sâdhanâ. »
« Chaque mental peut avoir sa propre voie d’approche à la Vérité suprême, et il y a une porte pour
chacun, de même que des milliers de routes y conduisent. » « Dans la nature, chacun de nous a un
principe et une volonté de son propre devenir ; chaque âme est une force de conscience de soi qui
formule en soi une idée du Divin et par là dirige son action et son évolution, sa progressive
découverte de soi, son expression de soi, variée et pourtant constante, sa croissance, incertaine en
apparence, mais secrètement inéluctable, jusqu’en la plénitude. C’est notre svabhâva, notre propre
nature réelle… La loi d’action déterminée par ce svabhâva est notre svadharma. » « Il n’est pas de
chemin privilégié menant vers la réalisation du Divin. »
Il affirmait en particulier qu’il n’est pas plus difficile aux Occidentaux qu’aux Hindous de
progresser dans le yoga, bien que les obstacles auxquels se heurtent les uns et les autres ne soient
pas les mêmes.
Même s’il estimait – ce qui est assez naturel – que son yoga était le meilleur pour les
disciples acceptés par lui, il ne s’opposait pas à ce qu’ils aillent aussi recueillir d’autres
enseignements. C’est lui qui, pendant mes séjours à l’âshram, m’a deux fois encouragé à aller
passer quelques jours aux pieds de Râmana Maharshi, dont pourtant les techniques différaient
sensiblement des siennes 4. Il semble que plus tard l’attitude de l’âshram ait changé. De même,
quand il parlait à l’un de ses disciples du maître que celui-ci avait eu auparavant, il le désignait
généralement par l’expression « votre sad-gourou », c’est-à-dire votre gourou authentique.
Dans le cadre même de la sâdhanâ qu’il offrait à ses disciples, Shrî Aurobindo admettait que
« même si la ligne de sâdhanâ reste la même pour tous, à chaque point elle doit différer pour
chacun. » « On pourrait presque dire que [le développement de la conscience spirituelle] est
différent pour chacun selon la nature de l’individu. » « Tous ne peuvent pas le faire (s’accrocher
au sentier) au même degré, avec la même rapidité, de la même manière. » « En matière de
développement intérieur et de sâdhanâ, il est impossible de tracer un plan fixe dans tous les
détails. » « On ne peut pas traiter une âme et une nature humaine avec une série de règles
mentales applicables à tout le monde et de la même façon. » Même sur un point précis, celui des
rapports avec autrui, il disait : « Tel est l’idéal, mais quant à la manière de l’atteindre, elle peut
différer selon les gens. »
Shrî Aurobindo traitait ses disciples de façons fort différentes, non seulement en matière
d’instructions proprement spirituelles, mais aussi dans les domaines les plus matériels, tenant
compte des besoins individuels qui résultaient de la nature de chacun, de son genre de discipline,
de la vie qu’il avait menée antérieurement, etc.
L’individualisation allait même plus loin. « Ce qui fait du mal à l’un peut être utile à un
autre ; [mais] ce qui aide à un certain stade peut cesser d’aider à un autre ; ce qui est nuisible
dans certaines conditions peut être utile dans d’autres conditions ; ce qui est fait dans un certain
esprit peut être désastreux alors que la même chose faite dans un esprit différent pourrait être…
bénéfique. » « Nous pouvons non seulement traiter 15 différemment des personnes différentes et
permettre à l’une ce que nous défendons à l’autre, mais traiter différemment une même personne à
des moments différents, permettant et même encourageant aujourd’hui ce que nous défendons
demain. » Dilip Kumar Roy s’étant un jour étonné d’une contradiction entre deux lettres de notre
gourou, reçut la sèche réplique : « Ne me citez pas contre moi-même. »
Ce manque d’uniformité peut certes gêner les Occidentaux, qui aimeraient pouvoir tracer
une ligne droite et simple de discipline spirituelle, ne serait-ce que pour la sâdhanâ enseignée par
un seul maître. Mais quel médecin donnerait la même ordonnance à tous ses patients ou même
dirait à l’un d’eux de se conformer fidèlement pendant tout le reste de sa vie aux instructions
données un certain jour ?
Si « le yoga agit de façon différente sur des chercheurs différents », on conçoit qu’il soit
« parfois dangereux de s’appliquer à soi-même, dans la pratique, ce qui a été écrit pour un
autre ».

Shrî Aurobindo constate que « la Connaissance supérieure vient en passant par le mental ».
Cependant « les activités du mental humain font terriblement obstacle quand il s’agit de recevoir
la conscience supérieure » ; « la voie divine ne peut être comprise par le mental, car le mental
agit selon des règles et des normes rigides, tandis que l’Esprit voit la vérité de tout et la vérité de
chacun et agit selon sa propre vision globale et complexe. »
En outre, « dans le mental il y a toujours une certaine hâte à saisir rapidement comme la
Vérité la plus haute ce qui lui est présenté. » Et « à moins d’être entièrement et absolument
tranquille, le mental peut toujours modifier l’expression [de la Vérité] ».
Il est important de relever ici la différence entre un mental vide et un mental silencieux, qui
ne jouent pas le même rôle dans la sâdhanâ : « La différence… est celle-ci : lorsque le mental est
vide, il n’y a pas de pensée, pas de conception, pas d’action mentale d’aucune sorte, sauf une
perception essentielle des choses sans idées formées. Dans le mental calme au contraire, c’est la
substance de l’être mental qui est tranquille, si tranquille que rien ne la trouble ; si des pensées
ou des activités se produisent, elles ne s’élèvent pas du tout du mental, elles viennent du dehors et
traversent le mental comme un vol d’oiseaux traverse le ciel dans l’air immobile. » Or « pour
connaître la Vérité il faut un mental paisible ». Cependant il y a un état supérieur du mental
paisible, c’est le mental silencieux. Et « c’est… dans le silence du mental que la connaissance
arrive le plus aisément, soit de l’intérieur, soit d’en haut, c’est-à-dire du psychique ou de la
conscience supérieure ». Mais « le mental ordinaire n’est jamais silencieux… Le mental silencieux
est un résultat du yoga ».
Si « une simple activité mentale ne provoquera pas un changement de conscience », « cela ne
signifie pas que le mental n’a rien à faire dans la vie spirituelle ; cela signifie qu’il ne peut pas
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être même l’instrument, et moins encore l’autorité au jugement de laquelle tout doit se soumettre,
y compris le Divin ». Il faut que « le mental reconnaisse ses limitations, s’apaise, renonce à ses
exigences et s’ouvre et s’abandonne à une Lumière plus grande qu’il n’en peut trouver à son
propre niveau plus obscur ».
Dans ces conditions, « le travail mental, tout comme le travail physique, peut devenir une
partie de la sâdhanâ », et cela d’autant plus que « dans la sâdhanâ l’expérience ne peut manquer
de commencer par le plan mental ». « Le développement mental peut ou non aider à la sâdhanâ »,
mais « si l’intellect est soumis, s’il est ouvert, tranquille, réceptif, il n’y a pas de raison pour qu’il
ne soit pas un moyen de recevoir la lumière. »
« Pour connaître directement ou vraiment le Soi et la Réalité, le mental doit être silencieux et
refléter quelque lumière de ces choses, ou bien se soumettre à un dépassement de soi et à une
transformation ; or cela n’est possible que par la descente en lui d’une Lumière d’existence qui
peut aussi s’emparer de lui et le submerger. » En effet, « un mental de vision est capable de
percevoir directement la Vérité divine » – ce qui explique sans doute le cas des rishis védiques, qui
ont « vu » la Vérité telle qu’elle est présentée dans les Védas.
Donc, « il ne s’agit pas tant de se débarrasser de l’activité mentale que de la convertir en la
chose juste ».
« Le mental doit apprendre de la plus grande conscience dont il s’approche… Il doit recevoir
l’Illumination, s’ouvrir à une vérité plus haute, admettre une puissance plus grande qui n’œuvre
pas selon des canons mentaux, s’abandonner et laisser sa demi-lumière-demi-obscurité être
inondée d’en haut jusqu’à ce qu’il puisse voir là où il était aveugle, entendre là où il était sourd,
sentir là où il était insensible, et qu’il puisse avoir la joie, l’accomplissement, la certitude et la
paix là où il était frustré, incertain, questionnant, déçu. »
« La manière la plus facile, c’est de se retirer, de se détacher, d’obtenir la faculté d’écouter
autre chose plutôt que les pensées du mental extérieur. En même temps on peut pour ainsi dire
regarder vers en haut, se représenter la Force comme étant juste au-dessus et l’appeler pour
qu’elle descende, ou attendre tranquillement son aide. C’est ainsi qu’opèrent la plupart des gens
jusqu’à ce que progressivement le mental s’apaise de lui-même, ou encore que le silence
commence à descendre d’en haut. »
« Si le mental est actif, il faut apprendre à le regarder en se reculant et sans lui conférer
aucune sanction intérieure, jusqu’à ce que ses activités habituelles ou mécaniques (la première
chose à faire est de se détacher de l’action du mental mécanique) commencent à se taire parce
qu’elles ne sont plus soutenues de l’intérieur. S’il est trop persistant, la seule chose à faire est de
le rejeter avec constance, sans tension ni lutte. »
Certaines écoles de yoga dans l’Inde, invoquées par divers groupes en Occident, conseillent
de réduire le mental au silence par un effort soutenu et intense. Shrî Aurobindo est à cet égard
assez sceptique. « Les efforts directs pour faire taire
17 le mental constituent une méthode difficile. »
« Je ne sache pas qu’il serve à grand-chose de lutter contre le mental pour le faire taire ; dans ce
jeu-là, c’est généralement le mental qui l’emporte. » D’ailleurs, « un effort du mental pour se
débarrasser de toute émotion ou passion importunes, de ses propres vibrations caractéristiques ou
des exhalaisons obscurcissantes de l’inertie physique conduit le mental au sommeil ou à l’apathie
plutôt qu’au silence vigilant ». Même le calme n’est pas dépourvu de danger, car « quand le calme
est présent toutes sortes de choses peuvent monter à la surface ». Aussi Shrî Aurobindo avertit que
« ni la spiritualité ni le yoga n’enseignent qu’il faille renoncer à la discrimination dans la
croyance mentale ».
Un des principaux obstacles que le mental humain oppose à la sâdhanâ est évidemment le
doute – et cela est particulièrement vrai pour les Français cartésiens et positivistes. La difficulté
provient de ce que « le doute existe pour lui-même. Son rôle même est de toujours douter, et même
lorsqu’il est convaincu, de continuer encore à douter ». Il ne saurait être « ni assouvi, ni apaisé ».
Et si, souvent, il « tue la fausseté, [parfois aussi il] rejette la vérité par un même coup impartial ».
Or « il est inévitable que doutes et difficultés surgissent dans une entreprise aussi ardue que
la transformation de la nature normale de l’homme en une nature spirituelle ».
« On ne demande certainement pas au chercheur spirituel de croire tout et n’importe quoi ;
une telle promiscuité et crédulité imbécile seraient non seulement non intellectuelles mais non
spirituelles au dernier degré. »
Il ne faut pas non plus se fier aveuglément à toutes ces impulsions extra-rationnelles que
nous baptisons du terme vague d’intuitions ou de voix intérieure. En effet, « en ce qui concerne les
voix, il y en a beaucoup ». La véritable « intuition est une chose que peuvent facilement imiter
beaucoup d’autres mouvements de conscience qui sont bien plus faillibles ». Et même « une
impulsion dominatrice n’est pas nécessairement une inspiration venant de la bonne source ».
En conclusion, le doute ne peut évidemment s’estomper et finalement disparaître que dans la
mesure où « la connaissance supérieure » vient se substituer à la « connaissance mentale ».

En ce qui concerne le vital, Shrî Aurobindo ne se lasse pas d’en souligner à la fois l’utilité et
les pièges. « J’ai toujours dit que le vital est indispensable pour l’action divine ou spirituelle ;
sans lui… il ne peut même guère y avoir de réalisation dans la sâdhanâ. » « Sans le vital il n’y a
pas de force-vie pour la création ou la manifestation ; il est un instrument nécessaire de l’esprit
pour la vie. » Aussi, contrairement aux enseignements de certaines grandes écoles yoguiques
classiques, « le vital et son pouvoir de vie [ne sont-ils pas] une chose à condamner et à rejeter de
par sa nature même ». Cependant « le vital ne peut jamais rester constamment dans la joie et la
paix, car il a besoin de leur contraire pour avoir le sentiment du drame de la vie ».
Mais il y a divers niveaux du vital qui sont forts différents les uns des autres et qu’il faut par
conséquent traiter différemment. Si « le vital humain est plein de matériaux excellents » et si « le
vrai vital est… calme et fort, un instrument puissant,
18 soumis au Divin », « la nature du vital… peut
rendre le don de soi absolu et enthousiaste aussi bien que provoquer toutes les difficultés
possibles ». Et « justement parce que le vital est tellement puissant et indispensable, son
obstruction, son opposition, son refus de coopération sont efficaces de la façon la plus frappante,
et ses faux mouvements sont plus dangereux pour la sâdhanâ ».
Aussi « le vital est [-il] un bon instrument et un mauvais maître ». Il faut le purifier : « La
partie vitale en nous… n’est un instrument vrai que lorsque ses sentiments et tendances ont été
purifiés par le contact du psychique, pris et dirigés par la puissance et la lumière spirituelles. »
La partie inférieure du vital est sans doute l’élément en l’homme qui pose le plus de
difficultés dans la sâdhanâ. « Lorsque je parle… des obstructions, révoltes, etc., du vital, je parle
du vital extérieur non régénéré, plein de désirs et d’égoïsme, plein des passions inférieures. » « Le
défaut capital, celui qui a toujours fait obstacle sur le chemin et qui, à présent, se trouve isolé, en
extrême proéminence, est installé ou tout au moins ramassé en ce moment dans l’être vital
inférieur. » Cependant « le vital inférieur a sa place, il ne faut ni le broyer ni le tuer, mais le
transformer ».
« La difficulté dans l’être vital inférieur est qu’il est… révolté contre la Lumière. » « C’est la
nature brute du vital non régénéré qui empêche le psychique de rester toujours en avant. » « C’est
l’énergie de l’être vital vrai qui, dans le vital ignorant, se déforme et devient le désir. »
« Le vital inférieur n’est pas une partie qui écoute la raison. » « Lorsque le vital s’empare
d’une chose, il en est souvent ainsi : il la fait peser continuellement sur le mental jusqu’à ce qu’il
obtienne satisfaction ou que son emprise soit rejetée. » Aussi l’application du mental n’est-elle
pas la méthode la plus efficace. « Vous pourriez avoir toute la connaissance mentale du monde et
pourtant rester impuissant à faire face à des difficultés vitales. Ce sont le courage, la foi, la
sincérité envers la Lumière, le rejet des suggestions opposées et des voix adverses qui sont ici
l’aide vraie. » Ce n’est que si à la fois « le mental est sincère et l’aspiration psychique complète et
vraie [qu’] on peut… faire changer le vital ». « Dans le yoga, on fait usage de la volonté
intérieure et on force le vital à se soumettre au tapasya pour qu’il puisse devenir calme, fort,
obéissant. Ou encore on appelle, pour le faire descendre, le calme d’en haut qui oblige le vital à
renoncer au désir et à devenir calme et réceptif. »
« Dans la nature, la résistance prend certaines formes caractéristiques qui ajoutent à la
confusion et à la difficulté de la transformation : une certaine vanité, une arrogance, une
véhémence outrecuidante et rajasique qui… sont la déformation de la force vitale,… un amour-
propre excessif [qui introduisent]… des forces hostiles dans le travail général… ; désobéissance
et indiscipline ; dissimulation et fausseté dans la parole… ; la dangereuse habitude de toujours
vouloir se justifier ;… entêtement ou inertie tamasique. »
L’action d’ailleurs ne doit pas être purement négative : « Si vous obtenez la paix, il devient
facile de nettoyer le vital, [mais] si vous nettoyez sans rien faire d’autre, vous irez très lentement,
car le vital se salit vite et il faut le nettoyer cent 19
fois. »
« Les signes de consécration du vital dans l’action sont notamment… le sentiment… que
toute la vie et le travail appartiennent à la Mère et la joie puissante de la nature vitale à cette
consécration et à cet abandon… ; le sentiment que la Force divine travaille derrière l’action
individuelle et qu’à tout moment c’est elle qui conduit ; une foi persistante qu’aucune
circonstance ni aucun événement ne peut faire perdre. »
Sur le problème sexuel, auquel yogas, morales et religions attachent une si grande
importance, Shrî Aurobindo admettait la théorie hindoue classique selon laquelle si l’énergie
sexuelle (retas) n’est pas dépensée en action, en désir ou en pensée, elle se transforme en une
autre énergie (ojas), dont l’influence est puissante, sinon indispensable pour l’évolution
spirituelle. « C’est le mélange du sexe et de la spiritualité qui produit les plus grands ravages. »
Aussi, « dans notre yoga… viser à une complète maîtrise de la force sexuelle est une nécessité
absolue de la sâdhanâ ». Les couples qui demeuraient dans l’âshram, avec ou sans leurs enfants,
et à qui l’on donnait un appartement, devaient se comporter comme frère et sœur. Mais il fallait
aussi pourchasser toutes les activités sexuelles beaucoup plus subtiles, si habilement qu’elles
soient camouflées dans la pensée ou le sentiment. Il fallait aussi s’efforcer de bannir du sommeil
et des rêves tout ce qui avait un aspect sexuel. Et pour cela le Maître donnait des techniques.
Cependant, Shrî Aurobindo constatait que « l’élimination totale de l’impulsion sexuelle est
une des choses les plus difficiles de la sâdhanâ ». Il admettait même que, dans certains cas, et
sans doute aux premiers stades, « il est tout à fait possible d’avoir des expériences spirituelles et
de faire des progrès sans une cessation totale de l’activité sexuelle… Mais cela, très peu de
personnes seulement peuvent le faire ». C’est peut-être pourquoi il semble avoir été admis que
certains sâdhaks vivant habituellement hors de l’âshram et n’y venant que de temps à autre aient
chez eux une vie sexuelle normale s’ils le jugeaient utile ou nécessaire. Plusieurs disciples de
longue date, venus dans l’âshram après s’être acquittés de leurs devoirs familiaux et de leurs
autres obligations dans le monde, ont amené avec eux de jeunes enfants. Shrî Aurobindo affirmait
néanmoins que « la descente [de la conscience spirituelle] est dangereuse tant que le désir sexuel
a du pouvoir dans le vital », ce qui n’était pas un mince avertissement. « Il est clair que des
choses telles que l’impureté sexuelle doivent disparaître. » Mais en tout cas, « c’est une
psychologie bien ignorante que celle qui ramène toute chose au mobile sexuel et à l’impulsion
sexuelle ».

À la différence de certains des plus grands yogas classiques, Shrî Aurobindo attache une
grande valeur au corps physique, d’abord parce que la transformation et la supramentalisation ne
sauraient être complètes si le corps n’est pas transformé et spiritualisé tout aussi bien que le
mental et le vital, mais aussi parce que « la sâdhanâ doit être faite dans le corps ». Or, si « le
corps est le support du yoga… son énergie n’est pas inépuisable et doit être ménagée ». Donc « il

20
faut prendre soin de son corps, faire ce qui est nécessaire pour le maintenir en bon état : repos,
sommeil, nourriture adéquate, suffisamment d’exercice ».
D’une façon générale, « des austérités physiques prématurées et excessives peuvent
compromettre la marche de la sâdhanâ », car « ce yoga-ci n’est pas un yoga d’ascétisme qui
s’écarte de la vie, mais un yoga de vie divine ».
Il faut « se rendre compte de la conscience – séparée – du corps, en voir et en sentir les
mouvements, ainsi que les forces qui agissent sur elle de l’intérieur ou de l’extérieur, apprendre
aussi à la maîtriser et à la diriger, même dans ses processus les plus cachés et (pour nous)
subconscients… Éclairer le mental physique par la conscience des plans supérieurs spirituels et
supramentaux est un des objets de notre yoga. [Il faut même] rendre le corps conscient, [c’est-à-
dire] en faire un instrument direct des plans supérieurs et du mouvement divin… Si nous sommes
éveillés dans le physique, nous sentirons la lumière, la puissance ou l’ânanda couler dans le corps,
les membres, les nerfs, le sang, le souffle, et affecter, par l’intermédiaire du corps subtil, les
cellules les plus matérielles, les rendre conscientes et bienheureuses – nous sentirons directement
la Présence et la Puissance divines ».
Les disciples, parfois intrigués par des doctrines ascétiques ou diététiques prêchées avec
intolérance, ou simplement en face de problèmes qui se présentaient à eux à un moment donné,
posaient souvent des questions sur l’alimentation ou le sommeil. Le plus souvent Shrî Aurobindo
se référait à l’enseignement central de la Bhagavad-Gîtâ en la matière : « On ne peut faire aucun
yoga si l’on ne dort ou ne mange suffisamment. »
En matière d’alimentation, il écrivait : « Trop de nourriture alourdit le corps et le rend
matériel ; pas assez de nourriture l’affaiblit et le rend nerveux. Il faut trouver l’harmonie et
l’équilibre vrais entre les besoins du corps et la nourriture absorbée. » Il conseillait « un usage
modéré de nourriture, assez pour entretenir la santé et la force du corps ». À l’un de ses disciples
il écrivait : « Il n’y a pas de mal à manger davantage puisque vous avez faim. »
Il considérait qu’« il n’est pas bon de refouler… la faim ; il en résulte très souvent des
troubles ». « Ne pas manger pour se débarrasser de l’avidité de nourriture, écrivait-il en une autre
occasion, c’est la méthode ascétique. La nôtre est l’équanimité et le non-attachement. » D’une
façon générale, il était d’ailleurs opposé au jeûne prolongé, quels qu’en soient les motifs : « Un
jeûne prolongé peut conduire à une excitation de l’être nerveux, ce qui provoque souvent des
hallucinations et imaginations frappantes que l’on prend pour des expériences véritables ; de tels
jeûnes sont fréquemment suggérés par les entités vitales parce qu’ils mettent la conscience dans
un état de déséquilibre qui favorise leurs desseins. C’est pourquoi nous conseillons de ne pas y
avoir recours… Le jeûne n’est pas non plus permis dans l’âshram parce que dans l’effort spirituel
l’usage s’en est avéré plus souvent dangereux qu’utile. »
Sur le choix de la nourriture, il n’acceptait pas sans réserve les principes posés dans la
Bhagavad-Gîtâ à propos des aliments sattviques, 21 rajasiques ou tamasiques. « Il se peut fort bien
que des genres différents d’aliments nourrissent l’action des différents gunas, et ainsi soient
indirectement utiles ou nuisibles en dehors de leur action physique. Mais c’est là aussi loin qu’on
peut aller avec assurance. Quant à savoir quels aliments particuliers sont ou non sattviques, c’est
une autre question et il est plus difficile de se prononcer. » Et il disait même : « Je crois que l’on a
exagéré l’importance de la nourriture sattvique du point de vue spirituel. »
Pour lui, « ce n’est pas de manger ou de ne pas manger quelque chose qui importe ;
l’important est la façon dont vous affecte cette question de nourriture ». Cependant la nourriture
servie à l’âshram était strictement végétarienne et je n’ai jamais entendu dire que l’un quelconque
des disciples ait consommé de la viande, du poisson ou des œufs ; par contre on buvait beaucoup
de lait. Seuls les chats étaient autorisés à manger du poisson – des sardines en boîte ! Il
n’attribuait cependant pas à l’alimentation végétarienne les vertus que certains proclament :
« Prendre seulement de la nourriture végétarienne évite quelques-unes des difficultés que
rencontrent ceux qui mangent de la viande, mais cela ne suffit pas. » L’usage des épices fortes, et
en particulier des piments, dont on fait dans l’Inde du Sud une telle consommation, était fortement
déconseillé.
La consommation de boissons alcoolisées, d’excitants, de narcotiques (fréquemment utilisés
dans l’Inde par des sâdhus) et aussi – peut-être moins rigoureusement – du tabac, était interdite
aux sâdhaks, tant dans l’âshram qu’au dehors.
D’une façon générale, « ce qui est contraire à l’esprit du yoga, c’est l’attachement à ce que
l’on mange, la gourmandise et la convoitise, qui font de la nourriture une partie indûment
importante de la vie. Être conscient qu’un aliment est agréable au palais n’est pas une faute ;
seulement on ne doit éprouver ni désir ni envie de lui, ni exultation de l’avoir, ni regret ou
déplaisir de ne pas l’avoir ». Donc « il faut renoncer à l’attachement à la bonne nourriture ».
Dans l’ensemble, pour Shrî Aurobindo, « l’alimentation est plutôt une question d’hygiène ».
Et sur ce point l’âshram observait des règles extrêmement strictes, comme il était naturel dans un
pays où l’on est guetté par des amibes et toutes sortes de maladies. Lorsqu’en 1937 j’obtins de
servir à quelques co-disciples de la salade verte et des tomates – aliments que l’on n’avait jamais
consommés dans l’âshram – je dus au préalable les laver soigneusement avec du permanganate.
Quant au sommeil, celui-ci est nécessaire au même titre que la nourriture. Il faut dormir
suffisamment, mais pas trop. La dose de sommeil dépend des besoins du corps. Négliger « les
besoins de sommeil et de repos du corps… est mauvais ». « La suppression du sommeil dont on a
besoin rend le corps tamasique et incapable de la concentration nécessaire pendant les heures de
veille. La vraie manière est de transformer le sommeil, non de le supprimer. » Et Shrî Aurobindo
insistait pour que les disciples arrivent – après une longue préparation – à transformer leur
sommeil. Car « lorsqu’on est pleinement engagé dans la sâdhanâ, le sommeil en fait partie tout
autant que l’état de veille ». Et en tout cas, « il n’y a absolument aucune raison pour que
l’intensité de la sâdhanâ entraîne un manque de22 sommeil ». « Vous ne devez pas vous empêcher de
dormir la nuit », écrivait-il à un disciple qui avait tenté de le faire pour avoir davantage d’heures
à consacrer à la méditation.
En ce qui concerne les exercices physiques, le Hatha-Yoga n’a jamais joué un rôle important
dans la vie de l’âshram. Quand il y venait un disciple expert dans cet art, il groupait autour de lui,
de temps à autre, ceux qui voulaient s’y exercer, mais ils étaient en général peu nombreux.
Sans doute Shrî Aurobindo craignait-il les troubles que des pouvoirs psychiques obtenus par
le Hatha-Yoga apporteraient dans un organisme insuffisamment purifié. « Le prânâyâma et les
autres pratiques physiques comme les âsanas… augmentent énormément la force vitale dans le
corps ; elles peuvent même parfois exagérer aussi d’une façon surprenante la force de la tendance
sexuelle. » Il alla même un jour jusqu’à écrire à un disciple que, dans certaines circonstances, « il
ne sert à rien de tenir des âsanas ou de faire du prânâyâma ».
Par contre, dès les années trente, on encourageait les disciples à pratiquer certains sports
occidentaux et des gymnastiques d’inspiration suédoise. Après la mort du Maître, ces exercices
ont pris dans la vie de l’âshram une part de plus en plus considérable et en sont même venus à être
considérés comme essentiels.
Quelle doit être l’attitude du sâdhak envers la maladie et la mort ? Il doit d’abord se rendre
compte que si « la perfection sur le plan physique fait bien partie de l’idéal du yoga… elle en est
le dernier élément ». Et que « ce n’est que par la conquête de la nature matérielle que la maladie
peut cesser complètement de venir ». Certes « la plupart des maladies peuvent être éliminées
presque immédiatement par la foi et par un appel à la Force » et « le mieux est évidemment de
guérir par la Force… divine, à condition que le corps se laisse faire », mais « il y a dans la
matière beaucoup de résistance, la résistance de l’inertie ». Donc « tant que le pouvoir [yoguique]
n’est pas entièrement présent, il ne faut pas totalement négliger une certaine aide de la nature
physique », mais recourir au médecin et à la médecine – ce qui n’exclut pas une action de la Force
parallèlement à celle de la médecine ou à travers le médecin.
Quant à la mort, qui ne serait pas plus inévitable que la décrépitude « si l’on pouvait avoir la
conscience et la force nécessaires », elle est également un fait de la vie et de l’évolution sur le
plan de conscience sur lequel nous nous trouvons. Mais il faut comprendre qu’elle « n’est que le
rejet du corps physique », c’est-à-dire « un passage d’une forme de vie à une autre ». Elle signifie
simplement qu’« une âme a traversé la barrière entre deux états d’existence ». Aussi ne faut-il pas
trop pleurer les morts, d’autant plus qu’« un chagrin qui continue trop longtemps… retarde le
voyage de l’âme qui est partie ».
Quant à la transformation du corps, elle est évidemment plus difficile que celle du mental ou
du vital, car « le corps est tamasique, ténébreux et, dans sa majeure partie, subconscient ». Et Shrî
Aurobindo précise l’opposition que le corps peut apporter : « Le tamas, l’inertie, l’ignorance, la
stupidité, la petitesse, l’obstruction aux vrais mouvements sont les caractéristiques universelles
de la conscience matérielle aussi longtemps qu’elle23 n’est pas régénérée, transformée d’en haut. »
« La conscience physique… est inerte, conservatrice, ne veut pas se mouvoir, se transformer ; elle
s’accroche à ses habitudes (ce que les gens appellent leur caractère) ou bien ses habitudes (ses
mouvements habituels) s’accrochent à elle et se répètent comme une montre fonctionne, d’une
façon persistante et mécanique. »
Le cas n’est pourtant pas désespéré. « Le remède est l’aspiration ferme et immuable, le
travail patient, le psychique dans le physique appelant pour que la lumière et la force descendent
dans ces parties obscures. » Et à un disciple qui se décourageait, Shrî Aurobindo écrivit : « Je ne
vois pas pourquoi vous doutez que l’accomplissement puisse se faire dans votre conscience
matérielle. S’il y a foi, sérénité et ouverture dans le reste de l’être, le matériel ne peut faire
autrement que s’ouvrir aussi. »
« Voici quelques-uns des résultats de la descente de la conscience dans ce qui est le plus
physique : elle amène la lumière, la conscience, la force, l’ânanda dans les cellules et dans tous les
mouvements physiques. Le corps devient conscient et vigilant, accomplit les mouvements justes…
On acquiert une plus grande maîtrise sur les actions du corps et même sur ce qui arrive de
l’extérieur… » (Cf. § 166.)
Pour ce qui est d’un avenir sans doute encore lointain, « si la transformation du corps est
complète, cela signifie qu’il n’y aura plus sujétion à la mort, mais cela ne signifie pas que l’on
sera obligé de conserver indéfiniment le même corps. On se créera un corps nouveau lorsqu’on
voudra en changer ».

Shrî Aurobindo reconnaît un rôle considérable au subconscient, mais dans un sens beaucoup
plus vaste que celui que lui attribue la psychanalyse occidentale, dont il se méfie grandement, car,
écrit-il à son sujet, reprenant presque les termes de Shakespeare, « le demi-savoir est une chose
puissante qui peut être un grand obstacle à la venue à la surface de la vraie vérité ». Utilisant un
adage hindou fort répandu, il ajoute : « On ne peut trouver la signification du lotus en analysant
les secrets de la vase où il pousse ; son secret doit être trouvé dans l’archétype céleste du lotus,
qui s’épanouit à jamais dans la lumière d’en haut. »
Le subconscient est important, en particulier parce qu’« il conserve l’impression de tout ce
qui s’est passé dans la vie », et que « c’est en grande partie d’un appui subconscient que résulte
la forte récurrence coutumière des mêmes choses dans notre conscience physique – si forte qu’il
est difficile de se débarrasser de ces habitudes ». Or « l’action du subconscient [n’est pas
seulement] récurrente, [mais] irrationnelle et mécanique ». Et « lorsque la conscience physique se
transforme, la principale résistance provient du subconscient ». Il est donc « bon de voir ce qu’il
est et comment il agit, mais on ne doit pas trop se préoccuper de cette force obscure ou de cet
aspect apparent de l’être instrumental… S’appesantir uniquement sur le subconscient et l’aspect
d’imperfection est déprimant et il faut l’éviter ».

24
« Quel que soit le mouvement qui s’y imprime (dans le subconscient), il le garde. » Par
conséquent, « si l’on y imprime le juste mouvement, il le gardera et le renverra. C’est pourquoi il
faut être nettoyé des vieux mouvements avant qu’il ne puisse y avoir dans la nature transformation
permanente et totale. Une fois que la conscience supérieure s’est établie dans les parties éveillées,
elle descend dans le subconscient et le transforme également, devenant là aussi une assise
rocheuse. Alors il ne peut plus y avoir aucun trouble provenant du subconscient. » En particulier,
« si l’on fait descendre dans le corps la lumière, la force, la conscience de la Mère, cela peut aussi
pénétrer dans le subconscient et en convertir l’obscurité et la résistance ».

Un élément qui joue un rôle essentiel dans le yoga de Shrî Aurobindo est ce qu’il appelle
« l’être psychique » – qui « est, dans l’évolution, une partie de l’être humain ». Pour un
Occidental, il est à première vue difficile d’en comprendre la nature et le fonctionnement, ainsi
que ses rapports avec « l’être central » et le jîvâtman.
Pour Shrî Aurobindo, il existe chez l’homme un « être central » qui revêt « deux formes », le
jîvâtman et l’être psychique. Le jîvâtman est un « centre du Divin multiple », « dont le mental n’est
pas conscient et qui, invisible », « d’en haut », « préside à l’existence ». « L’être psychique », « en
bas », « est le représentant [du jîvâtman] dans la nature manifestée ».
Cet être psychique, « âme de l’individu… étincelle du Feu divin », est présent « derrière la
surface émotive, loin derrière le centre du cœur ». Pour que l’être psychique « dispose pour ses
activités d’un outillage approprié suffisant », il faut que le sâdhak devienne d’abord conscient
dans ces « régions intérieures », dans cet « être intérieur » que forment « le mental intérieur, le
vital intérieur et le physique intérieur. » À mesure qu’il « croît et se manifeste, le psychique décèle
immédiatement tous mouvements ou éléments faux et en même temps fournit presque
automatiquement l’élément ou mouvement vrai qui les remplacera ».
« La fonction du psychique [est de] travailler sur chaque plan pour permettre à chacun d’eux
de s’éveiller à la vérité vraie et à la divine Réalité », « d’offrir toutes choses au Divin pour qu’il
les transforme. » Il « amène en tout la pensée juste, la perception juste, le sentiment juste,
l’attitude juste ».
Or, si « l’être psychique est présent en tous,… c’est seulement chez très peu de gens qu’il est
bien développé, bien construit dans la conscience, ou en évidence et en avant ; chez la plupart il
est voilé ».
« Tant qu’il reste voilé, le psychique doit s’exprimer à travers le mental et le vital et ses
aspirations y sont mêlées et colorées par la matière vitale et mentale. Ainsi l’impulsion psychique
voilée peut s’exprimer dans le mental par une soif dans la pensée pour la connaissance du Divin,
ce que les Européens appellent l’amour intellectuel de Dieu. Dans le vital elle peut s’exprimer par
une soif ou un désir violent du Divin. »

25
Mais on peut dire que « l’être psychique… guette l’occasion et saisit la chance qui lui est
offerte dans le mental, le vital ou le cœur de pousser quelque part une fenêtre ». Cependant, pour
« l’ouverture directe du centre psychique… il faut une humilité spirituelle, un sens de la
soumission et de la dépendance ». « Amenez l’être psychique au premier plan, dit souvent Shrî
Aurobindo, et gardez-le au premier plan en plaçant le mental, le vital et le physique sous son
pouvoir. »
« Quand l’être psychique est éveillé, il commence [en effet] à s’emparer du reste de l’être, à
l’influencer et à le transformer de telle sorte que tout puisse devenir la véritable expression de
l’âme intérieure. » « Lorsque l’être psychique s’éveille, vous prenez conscience de votre âme, vous
connaissez votre Moi… En deuxième lieu, lorsqu’il est éveillé, l’être psychique donne la bhakti
véritable pour Dieu ou le gourou, cette bhakti qui est toute différente de la bhakti mentale ou
vitale… Troisièmement, lorsque l’être psychique vient à la surface, il s’attriste de voir l’être
mental ou vital se conduire bêtement… D’autre part, lorsque l’être psychique est éveillé, il rejette
toute la gangue de l’être émotif. »
« Le feu psychique », qui est « une puissance de l’être psychique », peut « dénouer ou
brûler… les nœuds de l’égoïsme non encore décelés ». En tous cas, « lorsque le psychique est en
avant, la sâdhanâ devient naturelle et facile ». « Un mental et un vital purifiés sont le résultat de
l’action de l’être psychique éveillé et libéré. » Contrairement à ce qu’avaient compris certains
disciples, Shrî Aurobindo dut préciser que l’être psychique ne peut pas être « purifié et rendu
parfait », puisqu’il l’est de par sa nature, tandis que l’action psychique peut l’être.
« Le psychique [n’est] jamais satisfait de lui-même ni de la nature jusqu’à ce que celle-ci
soit complètement ouverte au Divin, libérée de toutes les formes de l’ego, soumise, simple et droite
dans son attitude et tous ses mouvements. [Il] place son doigt de lumière sur tous les défauts qui
en elle font obstacle à la réalisation et passe au crible tout ce qui, dans l’expérience ou les
mouvements du yoga, est mélangé, ignorant ou imparfait. »
Lorsque « l’être psychique est devenu pleinement conscient du jeu du Divin à travers lui, il
ne se fond pas dans le jîvâtman ; il s’unit à lui, de sorte qu’il n’y a pas de différence entre l’être
éternel soutenant la manifestation d’en haut (le jîvâtman) et le même être soutenant la
manifestation du dedans (l’être psychique) ».
Il faut relever cependant qu’« une psychicisation ne peut… pas nous amener au-delà de
l’évolution présente, mais elle met l’être en mesure de répondre à tout ce qui vient de la Nature
divine ou supérieure ». Quant à la « réalisation du Moi cosmique », elle peut venir « après ou en
même temps que le changement psychique ».

Shrî Aurobindo souligne fréquemment que sur aucun plan l’individu humain n’est isolé de
son milieu. Il y a tout un monde circumconscient avec lequel il est sans cesse en communication
par cette « conscience du milieu » qui pour Shrî Aurobindo est « une sorte d’atmosphère
26
enveloppante que nous portons avec nous et par laquelle nous communiquons avec les forces
universelles », ces forces qui « déferlent constamment en nous sans que nous le sachions ». C’est
une des raisons pour lesquelles « il faut bien suivre un but central fixe dans la sâdhanâ sans s’en
écarter, mais il ne faut pas construire sur les circonstances, les conditions, etc., extérieures comme
si elles étaient des choses fondamentales ».
Par exemple, « les pensées, les idées, etc., errent continuellement (en ondes de pensée ou
autrement) à la recherche d’un mental qui puisse les incarner ». « Ces ondes de pensée ou germes
de pensée ou formes de pensée… viennent de plans de conscience différents ;… il y a dans chaque
homme une substance du mental, et la pensée qui vient s’en sert pour se former ou se traduire… Il
y a aussi chez chacun de nous une énergie mentale effective ou potentielle qui diffère, et dans la
réception de la pensée cette énergie mentale peut être lumineuse ou obscure, sattvique, rajasique
ou tamasique, avec des conséquences qui varient dans chaque cas. »
Mais les éléments mentaux ne sont pas les seuls à errer dans le circumconscient. Par exemple
les désirs souvent viennent de l’extérieur avant de pénétrer dans le vital subconscient et de
s’élever à la surface. « Ce qui appartient au vital [en effet], ce n’est pas le désir lui-même, c’est
l’habitude de répondre aux désirs qui viennent en lui de la Prakriti universelle. »
« Si des choses sont rejetées, il arrive souvent qu’elles ne s’en aillent pas complètement, mais
se réfugient dans cette atmosphère du milieu,… peut-être même à une grande distance et attendent
là une occasion pour essayer de rentrer. »

Shrî Aurobindo insiste constamment sur le fait que son yoga est « intégral », c’est-à-dire
qu’il vise à la transformation totale de la nature et non seulement à une réalisation partielle. « Je
n’ai pas l’intention, écrit-il, de donner mon approbation à une réédition de l’ancien fiasco : une
ouverture spirituelle intérieure, éphémère et partielle, sans transformation radicale et vraie dans
la loi de la nature externe. »
Or, « la technique d’un yoga qui transforme le monde doit être aussi multiforme, sinueuse,
patiente et complète que le monde lui-même ». Et dans cette voie sont compris « la méditation, le
travail, la Bhakti… chacun comme un moyen préparatoire qui nous aide à l’accomplissement ».
C’est pourquoi chacun des grands yogas classiques, éventuellement adapté et convenablement
appliqué, permet de faire une partie du travail nécessaire dans le sâdhanâ de ce yoga « intégral ».
Ce que Shrî Aurobindo ne manque pas de répéter à l’occasion : « Je vous prie de vous rappeler
que j’ai toujours proclamé un yoga intégral où la Connaissance, la Bhakti et les Œuvres – la
lumière de conscience, l’ânandâ et l’amour, la volonté et le pouvoir dans les œuvres – la
méditation, l’adoration et le service du Divin, tous trouvent place. » Ce qui l’amène à préciser :
« Je n’ai jamais mis en doute la vérité des anciens yogas. Je reconnais leur vérité dans leur propre
27
domaine et pour leurs propres fins. » « Mon yoga, précise-t-il, reprend l’essence et beaucoup des
procédés des anciens yogas. » Mais naturellement « une répétition du but et de l’idée de l’ancien
yoga ne suffit pas ».
Shrî Aurobindo reprend la formule de Shrî Râmakrishna et l’applique à sa propre recherche :
« Toutes les voies peuvent conduire au Supramental, tout comme toutes les voies peuvent conduire
au Divin. » Certains disciples ou correspondants ayant interprété son enseignement comme
excluant tel ou tel yoga classique, il dut plusieurs fois insister : « Je ne vois aucune raison pour
que n’importe qui se brouille avec les œuvres ;… pourquoi supposer que je m’oppose à la
méditation ou à la Bhakti ? » ; « pour autant que je sache, je n’ai jamais dit qu’il ne fallait pas
méditer ».
« Le passage de l’esprit ordinaire à la conscience spirituelle peut être effectué soit par la
méditation, soit par le travail consacré, ou encore par la bhakti pour la Mère. »
Il dit clairement : « Le travail, la bhakti et la méditation sont les trois soutiens du yoga. On
peut employer les trois ou deux d’entre eux, ou un seulement. » Et « on peut commencer par la
connaissance, ou les œuvres ou la bhakti, ou le tapasya de purification et développer le reste
comme un mouvement subséquent, ou bien combiner tout en un seul mouvement. Il n’y a pas de
règle unique pour tous ; cela dépend de la personnalité et de la nature ».

Or, puisque « nous ne suivons pas notre yoga pour nous-même, mais pour le Divin », puisque
« notre yoga est – à tout le moins il prétend l’être – … une orientation vers le Divin de tout l’être
dans toutes ses parties », il s’ensuit logiquement que « pour ceux qui veulent mener la vie
spirituelle [dans ce yoga] le Divin doit toujours passer d’abord ; tout le reste doit être
secondaire ». C’est pourquoi Shrî Aurobindo peut rappeler : « Dans mes écrits sur le yoga, j’ai
donné à la bhakti la place la plus haute. »
Et voici comment il la décrit : « Ne rien voir que le Divin, être à tout instant en union avec
Lui, L’aimer en toutes les créatures et trouver en toutes choses les délices de Lui, telle est pour
l’amant de Dieu la seule condition de son existence spirituelle. Sa vision de Dieu ne le sépare
point de la vie, rien ne lui est refusé de la plénitude de la vie, car Dieu lui-même devient pour lui
le dispensateur spontané de tout bien, de tout ce qu’il a et reçoit dans sa vie intérieure et
extérieure. » « Le véritable amour pour le Divin est un don de soi, libre d’exigences, plein de
soumission et d’abandon. »
À ses yeux, l’amour de Dieu prêché par de nombreuses écoles de bhakti n’est pas complet.
« L’amour dont je parle, pour le Divin, précise-t-il, n’est pas seulement un amour psychique, c’est
l’amour de tout l’être, y compris le vital et le physique vital. » Accusé d’autre part de trop se
méfier des éléments émotifs dans la bhakti, il réplique : « C’est une erreur de supposer que je suis
contre la bhakti ou contre la bhakti émotive, ce qui revient au même puisque sans émotion il ne

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peut y avoir de bhakti. » « Je n’ai absolument aucune objection au culte de Krishna ou à la forme
vishnouïte de dévotion. »
À un problème particulier qui lui était posé, il répond : « Si un homme est attiré par une
seule forme ou par deux formes du Divin, tout va bien, mais s’il est attiré par plusieurs formes en
même temps il n’a pas besoin de se torturer l’esprit… Il peut les accepter toutes et les harmoniser
dans le Divin unique et l’Adyâ-Shakti unique dont toutes sont les manifestations. »
Il tient enfin à ce que l’on distingue entre plusieurs formes de bhakti : Dans la bhakti mentale
pour le gourou, « on peut avoir une admiration ou appréciation intellectuelle de l’homme ou du
gourou, mais… cela ne conduit pas loin… La bhakti vitale exige et exige,… impose ses propres
conditions… La bhakti psychique ne formule aucune exigence, ne fait aucune réserve ;… l’être
psychique s’abandonne véritablement à Dieu ou au gourou ».
Comme indication générale : Dans la bhakti « j’insiste toujours sur ce qui atténuera et
abrégera les luttes et les difficultés : l’orientation psychique, la foi, la confiance parfaite et
simple ».

Une des particularités du yoga de Shrî Aurobindo, c’est l’importance capitale qu’il attache
aux œuvres. Dans « la transformation de nature dont nous parlons,… les œuvres sont nécessaires,
le yoga dans l’action est indispensable ». « Dans notre yoga le travail est indispensable. »
Cette injonction ne s’applique pas seulement à « ceux qui ont un vital créateur expansif ou
un vital fait pour l’action [et qui] sont en général à leur mieux lorsque le vital n’est pas retenu
dans son mouvement, [qui] peuvent ainsi se développer plus vite que par la méditation
introspective ».
Ce n’est pas seulement que « travailler dans une conscience calme et toujours s’élargissant
est à la fois une sâdhanâ et un siddhi » ; « le travail est l’un des moyens les plus puissants de don
de soi ». Et, plus encore, « la réalisation la plus haute… peut certainement se réaliser dans les
œuvres ».
Pour Shrî Aurobindo, « le travail peut être de deux sortes : celui qui est un champ
d’expérience utilisé pour la sâdhanâ… et le travail qui est une expression réalisée du Divin. Mais
pour ce dernier, le moment ne peut venir que lorsque la Réalisation aura été pleinement amenée
dans la conscience terrestre ». « Il n’est pas possible d’avoir maintenant l’action supramentale
directe. L’âdhâra n’est pas encore prêt. Il faut d’abord accepter une action indirecte qui prépare
les plans inférieurs à la transformation supramentale… Il faut d’abord purifier et préparer la
conscience inférieure. » Il ne faut donc pas se bercer d’illusions.
Comment doit alors se faire ce travail qui est actuellement le seul possible ? « Ce n’est pas la
forme du travail lui-même, ni la simple activité, mais la conscience et la volonté dirigée vers Dieu,
qui se trouve derrière, qui sont l’essence du Karma-Yoga. » En effet, « comme le reste, le travail
doit être entrepris dans l’esprit et l’attitude véritables, avec en nous la volonté vraie, et toutes
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choses viendront d’elles-mêmes. Le travail accompli dans cet esprit est tout à fait aussi efficace
que la bhakti ou la contemplation. »
Sur le plan pratique, il faut naturellement se méfier des excès. « Trop de travail altère la
qualité, quel que soit l’entrain de celui qui l’exécute. » « À moins que le corps ne puisse absorber
et conserver la Force de la Mère (qui ferait elle-même le travail), il est absolument nécessaire
d’intercaler dans le travail des repos suffisants. » Et même, s’« il est nécessaire de pouvoir
travailler avec une énergie entière,… il est tout aussi nécessaire de pouvoir ne pas travailler du
tout. »
En tous cas, « le travail physique peut se faire avec la partie la plus extérieure au mental et
laisser le reste libre pour le souvenir [du but essentiel] ou l’expérience ». C’est pourquoi « l’idée
d’abandonner le travail physique pour le développement mental de soi-même est une création de
l’ego mental ».
En effet, « il n’y a sur le sentier aucun passage où… il faille renoncer à l’action parce
qu’elle est incompatible avec la concentration sur le Divin ». Cependant, dans « une première
étape » tout au moins, « au moment du travail il ne faut pas méditer, car cela détournerait
l’attention du travail, mais on doit avoir constamment à l’esprit Celui à qui l’on offre le travail ».
Si elle est bien faite, « l’action n’est plus qu’une ride ou un remous à la surface de l’eau ». Il
peut cependant y avoir dans l’évolution des stades très avancés où la nécessité du travail ne
s’impose plus. « Si un homme est spirituellement évolué et a dépassé le stade du mental et du vital,
point n’est besoin pour lui de toujours vouloir “faire” quelque chose. »

Shrî Aurobindo reconnaît évidemment l’utilité que peut avoir la méditation dans tout yoga, et
en particulier dans le sien, mais il ne voit pas en elle la panacée comme c’est le cas dans certaines
écoles inspirées aveuglément de Patanjali. « C’est une erreur de penser que vivre constamment
dans la méditation introspective est invariablement la meilleure ou la seule voie dans le yoga. » Il
relève que « la méditation ne peut s’occuper que de l’être intérieur » et qu’en tout cas elle ne peut
constituer « qu’un moyen ou un procédé ».
Il en soulignait la difficulté en tant que discipline unique ou même principale : « La
méditation est une voie d’approche vers le Divin, et une voie importante, mais on ne peut l’appeler
un raccourci ; pour la plupart, c’est une montée longue et extrêmement difficile, bien que très
haute. » Quoi qu’il en soit, « il est bon que la méditation vienne d’elle-même ; cela signifie que la
Force yoguique commence à prendre en main la sâdhanâ. »
Shrî Aurobindo n’en pose pas moins la question : « Tous les yogins qui ont médité avec
succès et qui ont une grande réalisation dans leur conscience intérieure sont-ils parfaits dans leur
nature ? » Et il répond : « Cela ne m’en a pas l’air. »
De son vivant, il n’y avait à l’âshram qu’une seule méditation collective quotidienne,
recommandée, mais facultative, d’assez courte durée. Elle avait lieu en présence de la Mère de
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l’âshram, dans le plus parfait silence, sans thème général prescrit ou suggéré. Chacun y dirigeait
sa propre méditation comme il le voulait, dans la plus parfaite ignorance de ce que faisaient ses
voisins. La plupart des disciples disaient y trouver une impulsion puissante.
Pendant les années où j’ai fréquenté l’âshram, il n’y eut jamais de méditation collective
dirigée comme en pratiquent certains maîtres, surtout en Occident, et je doute fort qu’il y en ait
jamais eu.
À part cela, selon les indications personnelles données par le Maître, chaque sâdhak faisait
dans sa chambre la méditation qui convenait, qualitativement et quantitativement, à sa propre
sâdhanâ.
Shrî Aurobindo voyait dans la méditation « un processus conduisant vers la connaissance et à
travers la connaissance ; c’est une chose de la tête et non du cœur ». Il avertissait ses disciples de
ne pas la confondre avec la concentration : « La concentration signifie fixer la conscience en un
endroit ou sur un objet et dans un seul état. La méditation peut être diffuse, par exemple lorsqu’on
pense au Divin… » En particulier, « la concentration dans le cœur n’est pas méditation, c’est un
appel au Divin, au Bien-aimé ».
Sur la technique, il expliquait : « La position qui consiste à être assis immobile est la
position naturelle pour la méditation concentrée… Ce n’est que lorsqu’on a obtenu le calme
persistant et la passivité de la conscience qu’il est facile de se concentrer et de recevoir tandis
que l’on marche ou que l’on fait quoi que ce soit… Cela peut aussi se faire étendu, mais cette
position est trop passive. C’est la raison pour laquelle les yogins s’asseyent toujours en âsana. »
Lors de la méditation collective, presque tous les disciples étaient accroupis, sans doute le plus
grand nombre en padmâsana ou siddhâsana, mais il y en avait aussi quelques-uns qui restaient
debout.
Shrî Aurobindo soulignait par ailleurs que, contrairement à ce qu’enseignent la plupart des
« écoles » de méditation, pour certains disciples tout au moins, « il n’est pas nécessaire de perdre
conscience lorsque vous méditez », et il aimait que la méditation, et même la concentration, soient
calmes et détendues. « Tension et concentration ne sont pas la même chose. La tension implique un
excès d’ardeur et de la violence dans l’effort, tandis que la concentration est, de par sa nature
même, tranquille et régulière. » « Le système nerveux et le physique ne peuvent pas supporter une
tension excessive ; le mental non plus, ni le vital supérieur. »
Shrî Aurobindo n’approuvait guère la méditation ayant pour objet unique ou final le passage
sur le plan de conscience de l’Absolu, de la non-dualité. Il rappelait que « le Brahman
impersonnel est inactif, lointain, indifférent et ne s’occupe pas de ce qui se passe dans l’univers ».
Pour lui, « ceux qui sont à la recherche du Moi par d’anciens yogas se séparent du mental, de la
vie et du corps pour réaliser un Moi de l’ensemble qui est différent de ces trois éléments ». Aussi
concluait-il que « le sâdhak du yoga intégral qui s’attarde dans l’Impersonnel cesse d’être un
sâdhak du yoga intégral ». 31
Un problème qui se pose toujours lorsqu’on veut se concentrer (c’est moins essentiel dans la
méditation) est le choix de la région du corps sur laquelle on fera porter son attention. Voici ce
qu’en disait Shrî Aurobindo : « La concentration dans le cœur ouvre vers l’intérieur… elle amène
la conscience de la Présence, la consécration de l’être au Suprême et invite à descendre dans
notre nature une Force et Conscience plus grande qui attend au-dessus de nous… Telle est la
première manière et, si elle peut se faire, le commencement naturel… ; le chemin spirituel est
beaucoup plus facile et plus sûr… La concentration dans la tête, dans le centre mental… amène le
silence du mental superficiel, ouvre au-dedans un mental intérieur plus grand et plus profond qui
est plus capable de recevoir l’expérience spirituelle et la connaissance spirituelle. Mais une fois
qu’on s’est concentré là, on doit ouvrir vers en haut la conscience mentale silencieuse à tout ce
qui est au-dessus du mental… À la fin, elle (la conscience) passe au-delà du couvercle qui l’a si
longtemps tenue attachée au corps, elle trouve au-dessus de la tête un centre où elle est libérée en
l’Infini… Il importe de se rappeler que la concentration de la conscience dans la tête n’est qu’une
préparation pour sa montée au centre qui est au-dessus. »
Il mettait en garde aussi contre la tentation de prendre pour des méditations des états qui
n’en sont pas : « On peut rester détaché, voir passer sans en être affecté les pensées et les
imaginations, mais cela n’est pas être plongé ou absorbé dans la méditation. »
Enfin, là comme ailleurs, il était opposé à tout excès : « Beaucoup méditer est pour ceux qui
peuvent méditer beaucoup. » « On ne doit pas se fatiguer au début par une longue concentration si
l’on n’y est pas habitué, car dans un mental épuisé elle perd son pouvoir et sa valeur. »

Il faut dire quelques mots enfin de diverses autres techniques de sâdhanâ dont Shrî Aurobindo
ne proscrit aucunement l’emploi.
Il approuve notamment une certaine espèce de prière, celle qui « jaillit du cœur sur une crête
d’émotion ou d’aspiration » et « qui est elle-même une communion du mental et du cœur avec le
Divin, qui peut tirer joie et satisfaction d’elle-même en s’en remettant au Divin pour qu’il
l’exauce quand il le jugera bon ». Il n’en constate pas moins cependant, et il juge utile de le
rappeler, qu’« en général la prière n’amène pas immédiatement la réalisation ».
Comme le japa « peut réussir » si certaines conditions sont remplies, les sâdhaks peuvent
utiliser un mantra « s’ils le trouvent utile ou tant qu’ils le trouvent utile ». En particulier la
Gâyatrî, dont « le pouvoir… est la Vérité divine », et surtout OM, qui « est le mantra, le son-
symbole expressif de la Conscience de Brahman dans ses quatre domaines », et qui peut « fort bien
aider à l’ouverture vers le haut et vers l’extérieur (conscience cosmique) ainsi qu’à la descente ».
Il ne faut toutefois pas exagérer, car « si l’on dépense toute son énergie en japa et en méditation,
c’est une tension que même les gens accoutumés à méditer avec succès trouvent difficile de
maintenir ».

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Enfin, pratiqué dans certaines conditions, le culte, même extérieur, « peut être
spirituellement efficace ».

Dans sa correspondance Shrî Aurobindo revient constamment sur « la nécessité de s’ouvrir »


soit « à l’influence divine », soit « à une conscience spirituelle supérieure ». C’est même pour lui
« le premier but » et « le principe même du yoga ».
« Peu importe quels défauts vous pouvez avoir dans votre nature, écrit-il à un disciple, la
seule chose qui importe est que vous vous gardiez ouvert à la Force ;… si vous vous gardez ouvert,
tout le reste sera fait pour vous. »
Cette ouverture ne doit pas être uniquement passive, elle doit naturellement s’accompagner
d’« une aspiration infatigable » qui soit « intense, calme et forte, et non inquiète et impatiente ».
En effet, « l’aspiration constante et sincère et la volonté de se tourner vers le seul Divin sont les
meilleurs moyens pour faire passer le psychique en avant » et, inversement car les deux
mouvements sont complémentaires et indissociables, « c’est le psychique qui donne la véritable
aspiration ».
Une telle aspiration ne doit pas être uniquement mentale, car « la montée ou le mouvement
vers en haut se produit lorsqu’il y a une aspiration suffisante venant de l’être, c’est-à-dire des
différents plans mentaux, vitaux et physiques ». Et Shrî Aurobindo affirme que « nulle aspiration
sincère tournée vers le Divin ne peut finalement échouer ».
Il n’y a cependant pas que des forces « d’en haut » ; il y a aussi des forces « d’en bas », qu’il
est « certainement possible » d’appeler. Si on le fait, « il se peut que ce soient les forces divines
cachées en bas qui se lèvent à votre appel, et dans ce cas le mouvement ascendant complète le
mouvement et l’effort de la force divine d’en haut, spécialement en aidant à l’amener dans le
corps. Mais il se peut aussi que ce soient les forces obscures d’en bas qui répondent à l’invitation,
et dans ce cas les tirer ainsi aboutit au tamas ou au désordre – quelquefois à de grandes masses
d’inertie ou à un soulèvement et une confusion formidables ».
En effet, il existe « des forces et des êtres qui ont intérêt à maintenir les faussetés qu’ils ont
créées dans le monde de l’ignorance et à les mettre en avant comme la vérité que doivent suivre
les hommes ». Souvent « ces êtres offrent [au chercheur] des pouvoirs et des expériences occultes
uniquement pour pouvoir l’éloigner de la vie spirituelle, ou bien pour établir leur propre autorité
sur lui, ou encore pour prendre possession de lui pour leurs propres fins… C’est un des principaux
dangers de la vie spirituelle ».

33
La confiance absolue que le sâdhak doit avoir dans le Divin ne le dispense cependant pas de
faire des efforts continus « que ne troublent ni le succès ni l’échec ». Il ne doit pas se laisser aller
à une « inertie tamasique ». « L’action de la Force divine n’exclut pas le tapasya, la concentration
et le besoin de sâdhanâ. » En effet, « si vous vous bornez à attendre que les choses arrivent, il n’y
a aucune raison pour qu’elles arrivent ».
Et si tout effort doit s’accompagner d’« un esprit d’abandon », tant qu’un « abandon
complet » n’a pas été réalisé, « au début de la sâdhanâ il n’est pas à recommander de laisser tout
au Divin et de tout attendre de lui sans qu’il soit besoin d’un effort personnel ».
« Dans la première période de la sâdhanâ – et par là je n’entends pas une période brève –
l’effort est indispensable… ou tout au moins il est nécessaire jusqu’à ce que d’en haut la force
descende dans l’être et l’inonde, qu’elle se charge de la sâdhanâ et la fasse… de plus en plus, en
laissant à l’effort individuel un rôle de moins en moins grand. » « Aussi longtemps que la
conscience supérieure ne s’est pas ouverte, on doit faire usage de la volonté mentale, soutenue par
le psychique, pour provoquer un changement préliminaire dans le mental et le vital. » En tous cas
« aucun sâdhak ne peut atteindre le Supramental par ses propres efforts, et la tentative d’y
parvenir par une tapasya personnelle a été la source de mésaventures ».
Dans cet effort, le sâdhak doit faire preuve d’« une persévérance et une patience
inépuisables », « sans fluctuations », d’une « persistance calme, vigilante, que rien ne vient
assombrir ». Il ne doit pas « marchander son temps ». « Ce qu’il faut éviter par-dessus tout, c’est
de perdre patience. »
« Persister sincèrement dans son effort jusqu’à ce que l’on réussisse complètement est la
seule chose indispensable. » « L’appel au Divin doit rester tranquille et ferme, sans ardeur trop
impatiente », car la hâte ne vaut pas mieux que l’inertie.
Cette patience et cette persévérance sont d’autant plus nécessaires que « le yoga est très
généralement une succession de montées et de chutes jusqu’à ce que l’on parvienne à une certaine
hauteur ». « Doutes, luttes, efforts et échecs, défaillances, alternance d’états heureux ou
malheureux, bons ou mauvais, lumière ou obscurité, c’est le sort commun à tous les êtres
humains. » « Ces alternances sont presque inévitables tant que la conscience est, d’une façon ou
d’une autre, sujette à l’ancienne nature. »
Il est même normal qu’il y ait des temps d’arrêt pendant lesquels on peut avoir l’impression
de reculer. En effet, « la conscience humaine a besoin de périodes d’assimilation… Entre deux
mouvements il y a toujours des périodes de préparation, d’assimilation… La Force monte en
soulevant une partie de la nature à un plan supérieur, puis elle redescend dans une couche
inférieure pour la soulever à son tour ».
Le sâdhak risque d’autant plus de ne pas comprendre ce qui se passe qu’en général « la Force
œuvre de derrière le voile ».
34
Dans le yoga, « il y a des choses qui ne peuvent être éliminées du premier coup parce qu’elles
font depuis longtemps partie de la conscience ».
Le sâdhak doit « faire face aux difficultés, et plus joyeusement il le fait, plus vite il en
triomphe ». « Si l’on ne réussit pas à leur opposer (aux interventions adverses et aux
circonstances défavorables) cette persistance joyeuse de la volonté confiante et résolue », on peut
leur faire « face avec sérénité, [ce qui] diminue… leur importance et leurs effets et à leur fin,
sinon tout de suite, on se débarrassera de leur ténacité et de leur caractère récurrent ».
« Si l’on veut arriver au sommet, on doit gravir l’escalier en posant le pied fermement sur
chaque marche », mais il faut savoir aussi que « ce sont les nuits les plus obscures qui préparent
les aurores éclatantes », et que « pour celui qui est résolu à atteindre le but, il ne peut y avoir
d’échec définitif sur le chemin qui mène au Divin ». « Tournez vos yeux davantage vers la lumière
qui arrive et moins vers une obscurité présente. »
Même s’il est « impossible d’échapper à toute attaque de dépression », il ne faut pas céder à
« cet élément périlleux de découragement », qui est « un terrible fardeau à porter sur la route ».
En effet, « la dépression obstrue la lumière intérieure ».
« Quelle que soit la chose que vous voyez, ne vous laissez ni troubler ni déprimer », car « le
difficile n’est pas l’impossible ; c’est le difficile qui a toujours été réalisé ». De toutes façons, « le
succès ne dépend pas réellement de la capacité de la nature extérieure… mais de l’être intérieur,
et pour l’être intérieur tout est possible ».

En tous cas l’on peut toujours compter sur l’aide divine. En retour du « véritable amour pour
Dieu », la Mère divine se donne, « sa présence en votre mental, votre vital, votre conscience
physique, son pouvoir qui vous recrée… s’empare de tous les mouvements de votre être et les
dirige vers la perfection et l’accomplissement ».
Cette aide divine se manifeste fréquemment par l’intermédiaire d’un être humain « en qui la
sagesse divine s’est incarnée », celui que la tradition hindoue appelle le gourou. C’est pourquoi
souvent « le moyen le plus sûr [de progresser] est de suivre les directives de quelqu’un qui a
atteint la maîtrise sur le sentier ».
« Dans toutes les difficultés où l’effort personnel est gêné, l’aide du Maître peut intervenir et
amener ce dont on a besoin pour la réalisation ou pour le pas immédiatement suivant qui est
nécessaire. »
Le vrai Maître n’est en vérité qu’un canal par lequel recevoir l’aide, car « tous les gourous
sont le même, l’unique Gourou, parce que tous sont l’unique Divin », même si chaque gourou peut
« conduire des disciples différents… vers la réalisation par des voies différentes ». « En
s’abandonnant au gourou, c’est au Divin en lui que l’on s’abandonne. » Ce qui explique cette
attitude d’obéissance absolue et de quasi-vénération envers le gourou que la plupart des
Occidentaux ont grand-peine à comprendre et plus encore à admettre. Shrî Aurobindo remarque
35
que « jusqu’à présent aucun homme libéré n’a eu d’objection au gourou-vâda », c’est-à-dire à
cette discipline d’obéissance absolue au gourou.
« Il va sans dire que ce doit être une direction authentique, non les instructions d’un
néophyte ou d’un imposteur. » Et Shrî Aurobindo de mettre en garde contre ceux qui ne sont pas
d’authentiques gourous. « L’homme qui se pose en yogin ou en gourou et qui n’a pas de
conscience spirituelle… a une prétention injustifiée ; c’est ou bien un charlatan ou bien un
imbécile qui s’illusionne lui-même ; plus encore… s’il prétend avoir tracé un chemin que d’autres
peuvent suivre. »
Il faut ajouter enfin que dans la sâdhanâ un moment peut normalement arriver où le sâdhak
n’a plus besoin de gourou, mais il arrive plus fréquemment encore qu’il se fait illusion et
s’imagine à tort être parvenu à un tel stade.
Et puis, il y a la Grâce divine !
Par-delà l’effort et toutes ses conséquences directes ou indirectes, Shrî Aurobindo attache
une importance considérable à la Grâce divine, sur l’existence de laquelle « il ne peut y avoir
aucun doute », car elle « n’est pas une invention, mais un fait d’expérience spirituelle ». Certes,
c’est une Puissance qui n’obéit à aucune règle que l’homme connaisse ou puisse imaginer, ni
« même à la loi cosmique », mais « lorsque tout est prêt, elle vient d’elle-même par une
intervention soudaine ou avec une force croissante ». Plus encore, « elle est présente en toutes les
luttes ». Elle est « plus irrésistible que toutes les autres » Puissances et l’on ne saurait « mettre en
doute sa victoire finale et son efficacité ». Elle peut même « venir aux justes en les guérissant de
leur satisfaction d’être justes » ! Cependant, avertit Shrî Aurobindo, si « rares sont ceux dont la
Grâce se retire,… nombreux sont ceux qui se retirent de la Grâce ».

Shrî Aurobindo n’attribue pas à la morale stéréotypée une grande efficacité dans la sâdhanâ.
« La moralité est affaire du mental et du vital de l’homme ; elle appartient à un plan inférieur de
conscience. C’est pourquoi une vie spirituelle ne saurait être fondée sur une base morale ; elle
doit être fondée sur une base spirituelle. »
Pour lui, « vertus et erreurs humaines sont des voiles brillants ou sombres qui enveloppent un
élément divin intérieur. » Même « les vices ne sont qu’un débordement d’énergie dans des canaux
non réglés ». Bien que « les imperfections puissent être des pierres d’achoppement qui causent de
mauvaises chutes momentanées », elles n’ont pas pour résultat d’« obstruer la route de façon
permanente ». Certes « les défauts devraient être observés et rejetés, mais la concentration [sur
eux] devrait être positive ».
Dans le yoga de Shrî Aurobindo, l’élément déterminant du domaine que nous appelons moral
est l’ego, avec ce qui en est la conséquence, le désir.
36
Shrî Aurobindo revient fréquemment sur les obstacles redoutables que créent pour le sâdhak
l’asservissement au désir et la domination de l’ego. « La Vérité consciente ne peut se manifester
que lorsque l’ego et le désir ont été surmontés. » Certes, pour lui l’un et l’autre sont « des vérités
de l’ignorance mentale, vitale et physique et dans ce domaine un homme [qui n’aurait plus ni]
désir ni ego serait un automate tamasique ».
Pour ce qui est de l’ego, c’est « une bien curieuse chose, plus que tout dans la manière dont
il se cache et soutient qu’il n’est pas l’ego ». Alors qu’il est en réalité « l’image pervertie du
psychique ou du jîvâtman ». S’il n’exerce guère d’influence sur la conscience physique comme
telle, « la pression de l’ego mental et vital… fait que la conscience travaille au service de ses
propres réclamations et désirs ». Dans le domaine mental, l’ego « substitue ses suggestions à la
réponse juste ». Aussi « ce yoga ne peut[-il] s’effectuer que par ceux… qui sont prêts à abolir leur
petit ego humain et ses exigences ». En particulier, « c’est l’enlèvement de l’ego qui permet le don
de soi » si indispensable.
Shrî Aurobindo reconnaît que « l’ego n’est pas si facile à éliminer » ; le sâdhak « ne peut pas
expulser tout ego… par sa volonté et son effort ». Et là comme ailleurs il doit recourir à la
descente de la conscience supérieure.
« Lorsque l’être véritable est découvert, l’utilité de l’ego cesse et cette formation doit
disparaître ; l’être véritable est perçu à sa place. » Aussi « dans notre idée de la transformation
intervient… la destruction de l’ego, sa dissolution dans la conscience cosmique et divine. » Et
« ce qui demeurera après la libération, c’est l’être central, non l’ego… L’ahamkâra ne subsiste
pas, mais le moi individuel en tant que portion ou centre du Divin ».
En ce qui concerne le désir, qui découle inévitablement de l’ego, il affirme que c’est « la
seule source du mal et de la souffrance » et il se rallie à « cet idéal commun à toute sagesse
ancienne » qu’est « le rejet du désir ». Reprenant en particulier l’enseignement de la Bhagavad-
Gîtâ, il rappelle par ailleurs que « ce qui doit être rejeté, ce ne sont pas les actions entachées de
désir, mais le désir qui s’attache à elles ».
En de très nombreuses lettres, Shrî Aurobindo précise ce qu’il attend de ses disciples dans la
pratique de certaines de ces qualités dont l’ego et le désir rendent la poursuite difficile.
Parmi les qualités que le sâdhak doit s’attacher particulièrement à développer en lui, Shrî
Aurobindo insiste surtout sur la sincérité, le détachement, le don de soi et l’abandon, dont la
pratique et la recherche sont familières aux chrétiens, et aussi la paix intérieure que l’Occident
n’a pas coutume de ranger au nombre des vertus, mais qui figure comme telle dans les listes
hindoues classiques.
Pour Shrî Aurobindo, « la sincérité est indispensable à la tentative spirituelle ». Dans le
yoga, « la chose la plus importante pour la purification du cœur » est la sincérité, qui est « la
seule chose qui compte finalement ». Or elle est comprise dans un sens plus vaste que celui que
nous lui donnons habituellement : « Être sincère37signifie élever tous les mouvements de l’être au
niveau de la conscience et de la réalisation les plus hautes qui ont déjà été atteintes. » Elle « doit
se répandre… dans la nature tout entière ». On conçoit donc fort bien qu’« être absolument
sincère, droit et ouvert n’est pas d’une réalisation facile pour la nature humaine ». Mais cela en
vaut la peine, car « quoi que ce soit que l’on veuille sincèrement et obstinément obtenir du Divin,
le Divin le donne sûrement ». Quant à l’aboutissement du yoga, « il est parfaitement vrai que si un
homme est sincère il atteindra le Divin, mais il ne s’ensuit pas qu’il l’atteindra immédiatement,
facilement et sans délai ».
Les yogas hindous classiques insistent beaucoup sur le renoncement, vaïrâgya ou tyaga, et
l’envisagent généralement comme une opération brutale, même si elle doit prendre longtemps,
dans laquelle on arrache de soi tout attachement aux choses de ce monde. « Par vaïrâgya
ascétique, écrit Shrî Aurobindo, j’entends celui qui renie complètement le monde et la vie et qui
veut disparaître dans l’Indéfinissable ; je m’y oppose parce que mon but est de faire entrer le
Divin dans la vie. » « C’est une attitude dans laquelle il faut abandonner ce que vous appréciez,…
rejeter ce que vous estimez valoir la peine d’être conservé. » Pour lui « la vraie renonciation est le
rejet intérieur du désir et de l’égoïsme ». Ce qu’il prône est le détachement, qui est tout autre
chose. « J’admets parfaitement l’utilité d’un état temporaire de vaïrâgya comme antidote à la
traction trop forte du vital. Mais… je préfère remplacer le vaïrâgya par un rejet ferme et tranquille
de ce qui doit être rejeté (sexe, vanité, égocentrisme, attachement, etc.) ». « Personnellement,
écrit-il, je préfère la voie plus calme de l’égalité, la voie que montre Krishna plutôt que la voie
plus douloureuse du vaïrâgya. »
Pour suivre une voie différente, le détachement demandé par Shrî Aurobindo n’en a pas pour
autant une portée moins ambitieuse que le vaïrâgya classique. « Tout attachement est un obstacle à
la sâdhanâ. » « L’attachement, c’est l’attachement, en quelque partie de l’être qu’il soit. Pour être
détaché, il faut être détaché en tout, dans l’action du mental, du vital, du physique, et non pas
seulement dans l’âme silencieuse, quelque part à l’intérieur. »
Néanmoins, même s’il est pris dans ce sens large, « au fur et à mesure que la conscience se
développe, ce pouvoir de détachement se développe aussi ». Et par conséquent « l’action sans
désir est possible, l’action sans attachement est possible, l’action sans ego est possible ».
D’autant plus que « le yoga peut se faire sans rejeter la vie, sans tuer ni mutiler la joie de vivre et
la force vitale ».
Étant donné le rôle capital que joue la bhakti dans le yoga de Shrî Aurobindo, il est normal
que le sâdhak doive s’y abandonner aussi totalement que possible à la volonté de ce Divin dont il
appelle la descente en lui, dont il attend qu’il assume progressivement la charge de la sâdhanâ.
Sans doute peut-on considérer qu’une étape nécessaire avant de parvenir à l’abandon est la
soumission au Divin, car « s’il n’y a pas de soumission l’être entier ne peut pas être transformé ».
Pour Shrî Aurobindo, « une soumission complète implique que le nœud de l’ego est coupé dans
toutes les parties de l’être, qui sera offert, intégral
38 et libre, au Divin ».
C’est pourquoi il reconnaît qu’une telle « soumission n’est pas une chose qui s’effectue en un
jour ». « La soumission, dit-il, doit être progressive. Nul ne peut faire sa soumission complète dès
le début. [Il faut] la réaliser avec persévérance, d’étape en étape, de domaine en domaine, en
l’appliquant successivement à toutes les parties de la nature. »
Quant à l’abandon à proprement parler, ce doit naturellement être un abandon intérieur, et il
nécessite une totale « confiance dans le Divin ». Shrî Aurobindo relève par ailleurs que « la force
d’abandon » ne peut être amenée chez le sâdhak que par le psychique, lorsque celui-ci « passe en
avant ».
« Au début, l’abandon peut [sans doute] s’effectuer par le mental au moyen de la
connaissance, mais [même] cela implique une bhakti mentale. » Cet abandon doit s’étendre à
l’être entier et être permanent ; il « ne suffit certainement pas… qu’il s’exerce seulement dans la
conscience supérieure ». Un « abandon au Dieu impersonnel ne suffit pas [non plus]… car il
laisserait certaines parties de l’être sujettes aux gunas et à l’ego ». En effet, si l’on est « trop
conscient de son identité avec le Brahman », il est difficile d’« avoir dévotion et abandon ».
« L’abandon absolu doit être non seulement une expérience dans la méditation, mais un fait
gouvernant toute la vie, toutes les pensées, tous les sentiments et actions. »
Même cet abandon cependant ne suffit pas, car il conserve un caractère passif. Il faut aller
plus loin et passer à un « constant don de soi » qui est actif et qui constitue « l’élément le plus
puissant et le plus indispensable de la sâdhanâ ».
« C’est par le don de soi, la reddition de l’âme et de la nature à l’Être divin que nous
pouvons atteindre à notre Moi le plus haut, à notre Réalité suprême, car c’est l’Être divin qui est
ce Moi le plus haut. » « La volonté de se donner déchire, par sa puissance, le voile entre l’homme
et Dieu. »
Le disciple doit s’engager sur « un sentier de don de soi pour tout l’être, dans toutes ses
parties, l’offrande du mental pensant et du cœur, de la volonté et des actions, des instruments
intérieurs et extérieurs. » Certes l’on n’y parvient pas en un jour. « Le don de soi est forcément
progressif. Au début un don complet de soi n’est pas possible. » C’est pourquoi, dit Shrî
Aurobindo, « nous n’exigeons pas le complet don de soi immédiatement et nous nous contentons
d’un peu pour commencer ; le reste viendra quand il le pourra ». Mais déjà « la volonté du don
entier ouvre toutes grandes les portes de l’esprit et apporte en réponse la descente complète et le
don complet du Divin en l’être humain ». Ce qui n’empêche pas que « ce n’est que lorsque ce don
de soi est complet qu’est possible le plein flot de la sâdhanâ ».
Au nombre des vertus indispensables à la poursuite du yoga, l’Hindouisme range samatâ, que
Shrî Aurobindo définit « l’égalité dans l’âme et le mental à l’égard de tous événements », mais à
laquelle il se réfère le plus souvent comme « la paix ». Elle est pour lui « la base même de tout le
siddhi dans le yoga », car elle est « la condition première sans laquelle rien d’autre ne peut être
stable ». 39
« Il est possible de parvenir intérieurement à un état de vaste égalité et de vaste paix que ne
troublent pas les réactions de la nature extérieure. C’est là une libération immense », mais, ajoute
aussitôt Shrî Aurobindo, « une libération incomplète ».
« C’est sur la base de la paix et du calme que peuvent venir le progrès et la réalisation
véritable. » « Sans samatâ, la tendance à l’égalité, la paix risque toujours d’être attaquée par les
vagues de la nature inférieure. »
Lorsque l’Occidental pense à la paix, il pense surtout – mais non exclusivement – à l’absence
d’agitation mentale, d’inquiétude, de soucis, etc., même s’il en recherche les causes à des niveaux
autres que mental. Dans la conception hindoue classique, reprise et approfondie par Shrî
Aurobindo, c’est beaucoup plus. Il demande « la descente complète de la paix dans tout l’être
jusqu’au plus matériel ». Ce qui n’est évidemment pas facile à réaliser. « Il faut longtemps pour
établir une complète samatâ. »
« Au début, le sens de la paix, de la pureté et du calme, [qui] est amené par l’union de la
conscience inférieure avec la supérieure… est rarement permanent, mais il peut le devenir. » Et
Shrî Aurobindo, qui ne s’adresse pas uniquement à des sâdhaks avancés, écrit : « Si vous ne
possédez pas la paix, vous pouvez toujours commencer par aspirer, et une aspiration sincère
amènera cette paix. »
De toutes façons, « la voie la plus décisive par laquelle puissent venir la paix et le silence est
une descente d’en haut. En fait, en réalité – bien que pas toujours en apparence – c’est ainsi qu’ils
viennent toujours… Non seulement la paix et le silence spirituels [viennent d’en haut], mais
encore la lumière, la puissance, la connaissance, la vision et la pensée supérieures, l’ânanda,
[mais] le sâdhak ne se rend pas toujours compte de ce qui se passe ».
Comme tout ne peut pas se faire en même temps, « la première chose à faire est de faire
descendre la paix et le silence supérieurs dans l’être extérieur de sorte que celui-ci n’exige plus
de mener les choses à son gré ». Cependant, c’est « en particulier dans le vital [qu’]on a le plus
besoin dans cette sâdhanâ [de faire descendre] la paix et le calme ». À la fois dans le vital
supérieur et dans le vital inférieur : « La paix doit d’abord être ramenée au niveau du cœur et du
nombril. »
Quant à ses effets, « la paix, est toujours quelque chose de positif qui amène non seulement
une libération, comme le fait le calme, mais une certaine joie ou ânanda d’elle-même ».
Il faut remarquer que Shrî Aurobindo ne semble guère se soucier de l’ahimsâ, la non-violence,
telle qu’elle figure dans les textes hindous classiques parmi les vertus essentielles, ni telle que la
prêchait Gandhi 5. Le révolutionnaire actif qu’il avait été sous l’occupation anglaise, le
commentateur de la Bhagavad-Gîtà 6 qu’il cite plus souvent que tout autre texte et où Krishna
ordonne : « Lève-toi et tue l’ennemi ! » redoutait évidemment la perte de virilité – et d’efficacité –
à laquelle peut conduire une non-violence mal comprise. À une disciple bouddhiste dans l’âshram,
il conseillait vivement de tuer les moustiques qui 40 l’empêchaient de travailler, ce qui posait pour
elle un douloureux problème. Mais l’énergie considérable qu’il déployait à Pondichéry était
dirigée avant tout contre les ennemis intérieurs au cœur de l’homme et contre les forces hostiles
qui les inspiraient et les soutenaient, ces asuras, ces « grandes puissances », ces « grands êtres
cosmiques », « pouvoirs adverses des mondes mental, vital et physique subtil », « qui entrent en
vous et essaient de faire de vous l’instrument de leur expression propre ».
Contrairement à l’enseignement de certains yogas, Shrî Aurobindo ne voyait aucun
inconvénient à ce que ses disciples restent capables de manifester à l’occasion certaines émotions.
« L’émotion, disait-il, est dans la nature humaine une chose excellente et indispensable ». Elle est
même « nécessaire dans le yoga », car « si l’on tue l’être émotif il ne peut plus y avoir de bhakti ».
Cependant, disait-il aussi, s’« il n’entre pas dans notre yoga de dessécher le cœur… les
émotions doivent être dirigées vers le Divin ».
Il faut par ailleurs se méfier de « la sensibilité [qui] est un des obstacles les plus persistants
pour beaucoup de sâdhaks ». C’est sans doute en particulier à elle qu’il pensait lorsqu’il écrivait :
« Seules doivent être découragées les émotions vitales ordinaires qui gaspillent l’énergie et qui
troublent la concentration et la paix. » « Notre but, disait-il, est de passer au-delà de l’émotion
pour atteindre la hauteur, la profondeur et l’intensité de l’Amour divin, [qui] est une conscience
différente, avec une qualité, un mouvement et une substance tout différents. »
Pour Shrî Aurobindo, il ne fait aucun doute que la foi « aide à accomplir » la sâdhanâ. Elle
est même « suffisante pour commencer ». « Même une foi hésitante et un don de soi lent et partiel
ont une force et un résultat. »
Voici ce qu’il entend par la foi : C’est « le témoignage de l’âme à quelque chose qui n’est pas
encore manifesté, accompli ou réalisé, et que pourtant le Connaissant en nous, même en l’absence
de toute indication, sait être vrai ou valoir suprêmement qu’on le suive ou le réalise ». « La foi est
dans l’âme une certitude qui ne dépend pas du raisonnement, de telle ou telle idée mentale, des
circonstances ou de tel ou tel état passager du mental ou du vital ou du corps… La foi est une
certitude spirituelle du spirituel, du Divin, de l’idéal de l’âme. »
Cette foi peut se situer à divers niveaux, mental, vital, physique ou psychique, mais Shrî
Aurobindo ne « demande à personne une foi sans discernement. »

Les rapports humains, tant à l’intérieur de l’âshram qu’avec l’extérieur, n’ont pas été sans
soulever de nombreux problèmes pour les sâdhaks, et Shrî Aurobindo en a fait l’objet d’une
abondante correspondance.
Si je puis évoquer quelques souvenirs personnels, je dirai d’abord que jusqu’à une époque
assez tardive dans la vie de l’âshram, les contacts collectifs entre disciples étaient nettement
découragés, les rapports devant se limiter essentiellement aux échanges entre le gourou et chacun
41
des sâdhaks – en dehors naturellement de ce qui était strictement nécessaire au bon
fonctionnement pratique de la communauté. Peu de paroles étaient échangées pendant les repas ou
à l’occasion des exercices physiques en commun, moins encore à l’occasion des méditations
collectives. C’est probablement en 1936, lorsque je fus invité à donner des cours de français,
qu’eurent lieu les premières « réunions » entre disciples.
Quant aux rapports avec l’extérieur, déjà du vivant de Shrî Aurobindo, la Mère de l’âshram
désirait que nous évitions toute souillure, notamment physique, par des contacts, directs ou
indirects, avec des personnes vivant à Pondichéry en dehors de l’âshram, c’est-à-dire surtout la
population locale autre que les serviteurs ou rares disciples indigènes admis. Il était même
interdit de se faire couper les cheveux en ville ou de se baigner sur la plage ailleurs qu’aux
endroits réservés.
Les rapports individuels avec parents et amis en dehors de l’âshram n’étaient pas
encouragés non plus, car ils risquaient de détourner l’attention de la sâdhanâ. Si « la rupture des
relations existantes n’était pas considérée nécessaire pour tous », elle l’était « pour certains ».
D’une façon plus générale, « toutes relations avec les autres doivent être des relations dans
le Divin et non pas garder leur ancien caractère personnel ». Certes, « l’amitié et l’affection ne
sont pas exclues du yoga », mais « l’attachement doit tomber ». « L’amitié entre homme et homme,
ou entre homme et femme, ou entre femme et femme n’est pas interdite, pourvu que ce soit la chose
vraie et que le sexe n’intervienne pas, et aussi pourvu qu’elle ne détourne pas du but. » Cependant
« il est certainement plus facile d’avoir une amitié entre homme et homme ou entre femme et
femme qu’entre homme et femme parce que l’intrusion sexuelle en est normalement absente…
Mais il n’est pas impossible d’avoir entre homme et femme une amitié libre de cet élément ».
Shrî Aurobindo n’a d’ailleurs pas recommandé un isolement complet, qu’il tient « pour un
expédient dangereux qui peut conduire à un état morbide et à beaucoup d’erreur ». Une « retraite
excessive [lui était] suspecte ». Il précisait : « Tous ne sont pas dans des circonstances telles
qu’ils puissent se dégager de la vie ordinaire. » Ce n’est « pas absolument nécessaire afin de
chercher la Lumière ou de pratiquer le yoga », mais il faut pouvoir « pratiquer un isolement
intérieur » et accepter cette vie « comme champ d’expérience et de formation dans les premières
étapes de la sâdhanâ ». Et il « faut apprendre à ne se laisser influencer ni par l’un ni par
l’autre ».
Qu’en est-il donc de l’amour, dont on parle tant dans la bhakti, et que tout individu est tenté
de reporter sur un être humain, sous quelque noble prétexte que ce soit ? D’abord, Shrî Aurobindo
veut éviter toute confusion : « L’amour, c’est l’amour, et ce n’est pas simplement de la
sympathie. »
Et voici ce qu’il en dit : « L’Amour, quand il est digne de ce nom, est toujours à la recherche
de l’union, de l’unité, mais aussi, dans son fondement secret, à la recherche du Divin – même dans
un maladroit tâtonnement. » Or « l’amour humain 42 est surtout vital et physique avec un soutien
mental… C’est le plus souvent un mélange d’ignorance, d’attachement, de passion, de désir ».
C’est pourquoi « nous décourageons, dit-il, ce mode inférieur d’amour humain [qui] n’est qu’une
source de souffrance, de trouble, de déception, de désillusion, de désunion ».
Certes « il existe un amour psychique, pur, sans exigences, sincère dans le don de soi, mais
généralement il ne reste pas pur dans l’attraction qu’ont les humains l’un pour l’autre ».
« Ni l’amour psychique, ni l’amour divin ne méprisent un moyen physique d’expression toutes
les fois que ce moyen est pur, juste, possible ;… il n’est pas vrai que dans la voie psychique il n’y
a pas de place pour ces choses. »
Mais le seul véritable Amour, nous l’avons vu, est celui qui est dirigé vers Dieu. Cet « amour
divin est de deux sortes : l’amour divin pour la création et pour les âmes qui en font partie, et
l’amour du chercheur, l’amour pour le divin Bien-aimé. » Et dans tous les cas, « l’amour doit être
une floraison de joie, d’union, de confiance, de don de soi, d’ânanda. »
Que doit-on penser alors de cet amour de l’humanité, ou simplement du prochain, qui est
invoqué par tous les philanthropes, individuellement ou en groupes, et au nom duquel tant de
magnifiques mouvements d’entr’aide se sont déclenchés en Europe et ailleurs ? Sur ce point, Shrî
Aurobindo reprend à son compte la réponse classique de tous les sages hindous : « Après tout, la
meilleure façon de faire progresser l’humanité est d’avancer soi-même… C’est tout simplement du
bon sens. »
À ceux qui ont la prétention de vouloir « sauver » leur prochain ou même l’humanité, Shrî
Aurobindo adresse un sévère rappel à l’ordre : « C’est seulement quand on est libre qu’on peut
libérer les autres ». Et « nous devons d’abord trouver le Soi, le Divin, et ensuite seulement nous
pourrons savoir quel est le travail que le Divin attend de nous. »
Relevons enfin que toute activité politique, dans quelque domaine que ce soit, était
rigoureusement interdite aux sâdhaks résidant à l’âshram. Par contre un nombre impressionnant
d’Indiens jouant un rôle politique important dans la vie de leur pays étaient des disciples de Shrî
Aurobindo et venaient périodiquement dans l’âshram y prendre en quelque sorte un bain de
spiritualité pour s’en inspirer ensuite.
En ce qui concerne l’aide individuelle, la réponse était pratiquement la même : « Croître
dans l’esprit est la plus grande aide que l’on puisse donner à autrui. » Et « désirer fermement et
ardemment, à la fois dans sa tête et dans son cœur, le bien-être d’un autre est la meilleure aide
qu’on puisse lui donner. »
Shrî Aurobindo n’était pas opposé à la recherche littéraire et artistique. Lui-même non
seulement composait des poèmes, mais continuait à écrire abondamment sur la littérature et
l’art 7. Parmi les sâdhaks, anciens ou récents, qui demeuraient dans l’âshram, il y avait de grands
artistes : écrivains, poètes, peintres, musiciens, chanteurs, qu’il encourageait à poursuivre leur
activité comme partie de leur sâdhanâ.
43
« La littérature et l’art, écrivait-il, sont – ou peuvent être – une première introduction à l’être
intérieur. » « La musique, la peinture, la poésie et beaucoup d’autres activités qui sont du domaine
du mental et du vital peuvent être utilisées comme faisant partie du développement spirituel ou du
travail, et cela pour une fin spirituelle. »
Quant à l’étude, il écrivait à un disciple : elle « n’a d’importance que si vous étudiez de la
bonne façon, en recherchant la connaissance et la discipline mentale », car « l’érudition ne crée
pas nécessairement un mental fort et développé ». La lecture était à ses yeux « une chose tout à
fait secondaire ». « C’est selon la nature de ce qui est lu, soulignait-il, que la lecture est ou non
utile à la croissance de l’être. » Assez souvent des disciples lui soumettaient des livres qu’ils
avaient lus, et ses observations sur ces livres ont fait l’objet de lettres à la fois fort longues et
substantielles.
Dans l’âshram, on ne trouvait rien d’anormal à ce que de nombreux disciples aient des
« expériences » de toutes sortes. Il arrivait même que certains découvrent un jour ou l’autre en
eux quelque « pouvoir » supramental, passager ou non. Dans tous ces cas, ils en faisaient
régulièrement part au Maître, qui en déterminait le sens et la valeur comme points de repère, le
plus souvent positifs mais parfois négatifs, sur la route de leur sâdhanâ individuelle.
« On peut pratiquer le yoga et obtenir des illuminations dans le mental et dans la raison ; on
peut conquérir la puissance et jouir de toutes sortes d’expériences dans le vital ; on peut même
obtenir d’étonnantes siddhis physiques. Mais si le pouvoir véritable de l’âme qui est en arrière ne
se manifeste pas, si la nature psychique ne passe pas au premier plan, rien d’authentique n’a été
accompli. »
« Il est vrai que de nombreux pouvoirs supraphysiques et supranormaux accompagnent
l’expansion de la conscience dans le yoga… Mais ces pouvoirs ne sont pas recherchés », car « la
recherche de pouvoirs occultes… entraîne généralement celui qui s’y adonne sur un chemin qui
peut le conduire très loin du Divin ». Ces pouvoirs « doivent être utilisés dans un sens purement
spirituel et ne jamais être mis au service des forces et êtres du plan vital ».
Il semble qu’en réalité la seule « expérience » qui ait été recherchée ait été la révélation,
sous une forme ou une autre, de « l’ouverture vers en haut, la montée dans la lumière et la
descente qui suit dans la conscience ordinaire et la vie humaine normale, [ce qui] est très
fréquemment la première expérience décisive dans la pratique du yoga ».
Les disciples étaient naturellement sinon inquiets du fait que leurs expériences ne se
répétaient pas, du moins désireux d’en connaître les causes. Shrî Aurobindo répondait : « Au début
et pendant longtemps, les expériences viennent généralement en petits quanta et sont séparées par
des intervalles vides, mais si on les laisse faire, les espaces diminueront et la théorie des quanta
fera place à la continuité newtonienne de l’esprit. » Il avertissait qu’une « interruption
d’expériences déterminées peut n’être qu’une période d’assimilation où l’on se prépare pour une
44
nouvelle gamme d’expériences ». Par exemple, « normalement l’ânanda vient seulement par
instants, aussi longtemps que la paix et la pureté ne sont pas présentes comme base ».
Sauf exceptions rares, ces expériences ne faisaient pas l’objet de conversations entre
sâdhaks. « Il n’est pas bon de trop parler de sa sâdhanâ et de ses expériences… On ne peut en
parler que si un profil spirituel peut en résulter pour les autres, et même alors seulement s’il
s’agit d’expériences passées. »

Si Shrî Aurobindo admettait que chaque être humain est potentiellement capable, au cours de
ses vies successives (cette conception pour lui allant de soi), d’une évolution spirituelle
pratiquement illimitée, il affirmait aussi que la descente du Supramental ne s’effectuerait que
dans un nombre d’êtres très restreint. « Le principe supramental transformera ceux qui pourront le
recevoir et l’incorporer. » D’ailleurs, précisait-il, « notre intention n’est pas de supramentaliser
l’humanité dans son ensemble, mais d’établir le principe de la conscience supramentale dans la
conscience terrestre… Ce qui importe, c’est que la chose se fasse, si petit que soit le nombre de
ceux qui seront touchés ». Même si l’arrivée de la conscience supramentale « au milieu du reste »
doit évidemment signifier « un immense changement pour la terre, y compris l’humanité et sa
vie », elle ne doit pas plus faire disparaître les races d’êtres seulement mentaux (les hommes
actuels) que l’arrivée de la conscience mentale n’avait fait disparaître les espèces d’êtres surtout
ou seulement vitaux (les animaux inférieurs et les végétaux).
Shrî Aurobindo ne se faisait guère d’illusions sur le nombre de ses disciples qui pourraient
parvenir à la conscience supramentale pendant leur vie en cours, mais dans la conception des vies
successives, ce n’était qu’une raison de plus pour se mettre tout de suite sérieusement au travail.
Swâmi Vivekânanda, que Shrî Aurobindo cite souvent, disait : « Nous avons toute l’éternité devant
nous ; il n’y a donc pas une minute à perdre. » Comme par ailleurs il y a sur les diverses variantes
de la voie tracée par Shrî Aurobindo de nombreuses étapes par lesquelles il faut nécessairement
passer, le sâdhak pouvait se faire quelque idée, sinon du chemin restant à parcourir, du moins du
chemin parcouru, ce qui constituait un grand encouragement à continuer.
Quelles sont donc les grandes lignes de ces étapes ?
« La psychicisation, écrit-il,… n’est qu’un commencement. La spiritualisation et la descente
de la conscience supérieure… ne sont qu’un moyen terme. La réalisation ultime nécessite l’action
de la Conscience et de la Force supramentales. »
Il faut citer ici les définitions que donne Shrî Aurobindo de la psychicisation et de la
transformation spirituelle : « La psychicisation, c’est la transformation de la nature inférieure qui
amène la juste vision dans le mental, la juste impulsion et le juste sentiment dans le vital, le juste
mouvement et la juste habitude dans le physique… La transformation spirituelle est la descente,
stabilisée, d’en haut, d’une conscience cosmique supérieure et la transformation en cela de toute
la conscience 8. »
45
« Ce que j’entends par la transformation spirituelle, ajoute-t-il,… c’est un changement de
conscience radical et complet », c’est « le fait d’assumer la conscience spirituelle, dynamique
aussi bien que statique, dans chaque partie de l’être jusqu’au subconscient [et de]… remplacer
complètement par elle la conscience actuelle ». « Avant que ne puisse avoir lieu une réelle
transformation, il faut qu’il y ait descente de la Lumière non seulement dans le mental ou une
partie du mental, mais dans tout l’être, jusqu’au physique et plus bas encore. Et la descente de la
Lumière ne suffit pas, il faut qu’il y ait descente de toute la conscience supérieure, avec sa Paix,
son Pouvoir, sa Connaissance, son Amour, son Ananda. »
Enfin, la transformation effectuée par la sâdhanâ, même si elle est « le but central » que doit
se proposer le sâdhak, ne saurait être complète à moins qu’elle ne soit une supramentalisation de
l’être.
« La transformation psychique et spirituelle doit venir d’abord ; ce n’est qu’après qu’il sera
pratique ou utile de discuter de la supramentalisation de l’être entier jusqu’au corps
inclusivement. » Mais il faut distinguer entre la supramentalisation et « un contact ou une
influence du Supramental [qui] n’est pas la même chose que la supramentalisation ». Car
« l’influence supramentale doit venir d’abord, la transformation supramentale ne peut venir
qu’ensuite ».
Quant à la supramentalisation proprement dite, qui « porte la transformation jusqu’à ses
propres possibilités les plus hautes et les plus vastes, [mais] n’en modifie pas la nature
essentielle », elle ne se produit pas au même moment dans la totalité de l’être. « Il faut avant tout
supramentaliser suffisamment le mental et la conscience vitale et physique en général ; après cela
on pourra penser à la supramentalisation du corps. » Car « il est tout à fait impossible que le
Supramental s’empare du corps avant qu’une transformation supramentale complète ait eu lieu
dans le mental et le vital ». Cependant, « ni le mental ni le vital ne peuvent être supramentalisés
tant que le physique… n’est pas atteint par la descente supramentale ».
Dans une autre description, Shrî Aurobindo énumère trois transformations successives : (a) la
transformation psychique, (b) la transformation spirituelle et (c) la transformation supramentale.
Mais, prend-il soin d’ajouter, « les choses ne se produisent pas toujours dans cet ordre, car
chez beaucoup de gens la descente spirituelle commence d’abord de façon imparfaite avant que le
psychique ne soit poussé en avant et n’ait pris la direction, mais le développement psychique doit
être atteint avant que ne puisse avoir lieu une descente spirituelle parfaite et sans entraves, et la
dernière transformation, la transformation supramentale, est impossible tant que les premières ne
sont pas pleines et complètes ».

Vandœuvres, mars 1976

Jean HERBERT
46
1. Nous en avons déjà publié une partie dans Le guide du yoga (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1970). Cf. aussi Notice
bibliographique, p. 365 ci-dessous.
2. Métaphysique et psychologie Paris, Albin Michel, 1976).
3. Cf. p. 27 ci-dessous.
4. Cf. L’enseignement de Râmana Maharshi (Paris, Albin Michel, 1972).
5. Cf. Gandhi, Lettres à l’âshram (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1971), pp. 35-40 et 132-151.
6. Shrî Aurobindo a consacré deux forts volumes à un commentaire de la Bhagavaa-Gîtâ L’essentiel en a été groupé
méthodiquement par un de ses plus anciens disciples, Anilbaran Roy. Ce texte a été traduit et publié en français sous le titre :
Shrî Aurobindo, La Bhagavad-Gîtâ (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1970).
7. Parmi les œuvres poétiques de Shrî Aurobindo, citons Poems past and present (1946), Last poems (1952), More poems
(1957) et l’œuvre monumentale à laquelle il a consacré en partie les dernières années de sa vie, Savitri. Parmi ses ouvrages
de critique littéraire et artistique, citons The national value of art (1930), The future poetry (1953), The significance of
Indian art (1953) et surtout Letters on poetry and literature (1949).
8. Texte complet au § 39.

47
48
I

INTRODUCTION

49
A. – Le but

1. – Le but de ce yoga est, d’abord, de pénétrer dans la conscience divine en y plongeant le Moi
séparateur (ce faisant on découvre, accessoirement, son vrai Moi individuel, qui n’est pas l’ego
humain, égoïste, vaniteux et limité, mais une partie du Divin) et ensuite de faire descendre sur terre la
Conscience supramentale pour transformer le mental, la vie et le corps. Tout le reste ne peut être
qu’une conséquence de ce double dessein, mais non l’objectif primordial du Yoga. (III, 7)

2. – Le but du Yoga est de pénétrer dans la Présence et Conscience divine et d’être possédé par
elle, d’aimer le Divin pour le seul amour du Divin, d’être accordé dans notre nature à la nature du
Divin, et d’être dans notre volonté, nos œuvres et notre vie l’instrument du Divin. Son but n’est pas
de devenir un grand yogin ou un surhomme (bien que cela puisse arriver), ni d’empoigner le Divin au
profit de la puissance de l’ego, de son orgueil ou de son plaisir. Il n’a pas pour but moksha, bien que
par lui la libération vienne, et que tout le reste puisse venir aussi, mais ce n’est pas à cela que nous
devons viser. Le Divin seul est notre but. (II, 7 sq.)

3. – Aborder ce yoga avec pour seul but de devenir surhomme serait faire un acte d’égoïsme
vital qui se condamne lui-même à l’échec. Ceux pour qui cette préoccupation passe au premier plan
tournent immanquablement mal dans le domaine spirituel comme dans les autres domaines. (III, 7)

4. – Quand nous réussirons – si nous réussissons – ce que nous ferons sera un commencement et
non un achèvement. C’est la fondation d’une nouvelle conscience sur terre, une conscience avec des
possibilités infinies de manifestation. La progression éternelle est dans la manifestation, et au-delà il
n’est pas de progression.
Si le but est la rédemption de l’âme hors de son revêtement physique, il n’y a pas besoin de
supramentalisation. La mukti spirituelle et le nirvâna suffisent. Si le but est de s’élever à des plans
supraphysiques, il n’y a pas besoin non plus de supramentalisation. On peut pénétrer dans quelque
paradis, là-haut, par la dévotion au Seigneur de ce paradis. Mais cela ne constitue pas une
progression. Les autres mondes correspondent à des types différents les uns des autres, chacun d’eux
immobilisé dans le genre, le type et la loi qui lui sont propres. L’évolution a lieu sur terre et c’est par
conséquent la terre qui est le champ approprié à la progression. Les êtres des autres mondes
n’avancent pas d’un monde à un autre. Ils restent fixés dans leurs propres types.
50
Le védântisme purement moniste dit que tout est Brahman, que la vie est un rêve, une irréalité,
que Brahman seul existe. On obtient le nirvâna, ou mukti, et l’on continue à vivre seulement jusqu’à
ce que le corps s’écroule – après cela il n’y a plus ce qu’on appelle la vie. Ces védântistes ne croient
pas à une transformation parce que pour eux le mental, la vie et le corps sont ignorance, illusion – la
seule réalité est le Soi ou Brahman sans caractères ni rapports. La vie est affaire de rapports ; or dans
le Soi pur, toute vie et tous rapports disparaissent. Quelle serait l’utilité ou la possibilité de
transformer une illusion qui – en dépit de toutes transformations – ne peut jamais devenir autre chose
qu’illusion ? Pour ces védântistes il n’existe rien que l’on puisse appeler « vie nirvânique ».
Il n’y a que quelques yogas qui visent à une transformation quelconque autre que celle de
l’ignorance en connaissance. La conception varie ; c’est parfois une connaissance ou puissance
divine, ou encore une pureté divine ou une perfection éthique ou un amour divin.
Ce dont il faut triompher, c’est l’opposition de l’Ignorance qui ne veut pas la transformation de
la nature. Si cela peut être surmonté, alors les anciennes conceptions spirituelles ne feront pas
obstacle.
Notre intention n’est pas de supramentaliser l’humanité dans son ensemble, mais d’établir le
principe de la conscience supramentale dans l’évolution terrestre. Si cela est fait, la Puissance
supramentale elle-même amènera tout ce qu’il faut. Il n’est donc pas important que le message soit
disséminé. Ce qui importe, c’est que la chose se fasse, si petit que soit le nombre de ceux qui seront
touchés ; et là réside la seule difficulté.
Si la transformation du corps est complète, cela signifie qu’il n’y aura plus sujétion à la mort –
mais cela ne signifie pas que l’on sera obligé de conserver indéfiniment le même corps. On se créera
un corps nouveau lorsqu’on voudra en changer, mais il n’est pas possible de dire maintenant comment
cela s’opérera. La méthode actuelle est celle de la naissance physique ; certains occultistes supposent
qu’une époque viendra où cela ne sera plus nécessaire. Mais c’est à l’évolution supramentale qu’il
faut laisser le soin de trancher la question.
En ce moment, on ne peut pas répondre utilement aux questions relatives au Supramental. Celui-
ci ne saurait être décrit en termes que le mental comprenne, car les termes seront mentaux et le mental
les interprétera d’une façon mentale, dans un sens mental, passant ainsi à côté de leur véritable
signification. Ce serait donc un gaspillage du temps et de l’énergie qui devraient être consacrés au
travail préliminaire : psychicisation et spiritualisation de l’être et de la nature – sans quoi nulle
supramentalisation n’est possible. Que toute la nature dynamique, conduite par le psychique,
s’emplisse de la lumière, la paix, la pureté, la connaissance, la force spirituelle dynamiques ;
qu’ensuite elle acquière l’expérience des plans spirituels intermédiaires, et qu’elle connaisse, sente
et agisse dans leur sens ; alors on pourra parler finalement de la transformation supramentale. (I, 30-
33)

*
51
5. – Nous voulons faire descendre le Supramental comme une faculté nouvelle. Tout comme le
mental est maintenant un état permanent de conscience dans l’humanité, nous voulons créer une race
dans laquelle le Supramental sera un état permanent de conscience. (II, 35)

6. – Ce que nous nous proposons en ce moment n’est pas de faire de la terre un monde
supramental, c’est de faire descendre le Supramental au milieu du reste comme pouvoir et comme
conscience établie, de l’y laisser opérer et s’accomplir, tout comme le mental est descendu dans la
vie et la matière et y a opéré comme un pouvoir qui s’y accomplit au milieu du reste. Cela sera
suffisant pour transformer le monde et pour transformer la nature en brisant ses limitations actuelles.
Mais ce que fera le Supramental, comment, par quelles étapes, sont choses qu’il ne faut pas dire
maintenant. Quand la Lumière sera là, la Lumière fera elle-même son œuvre. Quand la Volonté
supramentale se tiendra sur terre, cette Volonté décidera. Elle établira une perfection, une harmonie,
une création de Vérité – et quant au reste, qu’il reste ! c’est tout. (I, 34 sq.)

7. – Trouver le Divin est en fait la première raison pour chercher la Vérité spirituelle et la vie
spirituelle ; c’est la seule chose indispensable et sans elle tout le reste n’est rien. Une fois le Divin
trouvé, Le manifester – c’est-à-dire d’abord transformer sa propre conscience limitée en la
Conscience divine, vivre dans la Paix, la Lumière, l’Amour, la Force et la Béatitude infinis, devenir
cela dans sa propre nature essentielle et, comme conséquence, en être le vaisseau, le canal,
l’instrument dans sa propre nature active. Mettre en activité le principe d’unité sur le plan matériel ou
travailler pour l’humanité est une fausse traduction mentale de la Vérité. Ces choses-là ne peuvent
pas être le premier ni le véritable objet de la recherche spirituelle. Nous devons d’abord trouver le
Soi, le Divin, et ensuite seulement nous pouvons savoir quel est le travail que le Soi ou le Divin
attend de nous. Jusque-là, notre vie et notre action ne peuvent être qu’une aide ou un moyen pour
trouver le Divin et ne devraient avoir aucun autre objet. Au fur et à mesure que nous croissons en la
Conscience intérieure, ou que la Vérité spirituelle du Divin croît en nous, notre vie et notre action
doivent en fait découler de plus en plus de cela, ne faire qu’un avec cela. Mais décider
préalablement, avec nos conceptions mentales limitées, ce qu’elles doivent être, c’est entraver la
croissance en nous de la Vérité spirituelle. Au fur et à mesure que celle-ci croîtra, nous sentirons
œuvrer en nous la Lumière et la Vérité divines, la Puissance et la Force divines, la Pureté et la Paix
divines, qui agissent sur nos actions aussi bien que sur notre conscience et en font usage pour nous
reformer à l’Image divine, pour écarter la gangue et y substituer l’or pur de l’Esprit. C’est seulement
quand la Présence divine est toujours en nous, et quand la conscience est transformée, que nous
pouvons avoir le droit de nous dire prêts à manifester le Divin sur le plan matériel. S’élever un idéal
52
ou un principe mental et l’imposer au fonctionnement intérieur entraîne le danger que nous nous
bornions nous-même à une réalisation mentale ou que par une formation à mi-chemin nous entravions
– ou même falsifiions – la croissance en la pleine communion et union avec le Divin et l’écoulement
libre et intime de Sa volonté dans notre vie. C’est une erreur d’orientation à laquelle est tout
particulièrement disposé le mental d’aujourd’hui. Il vaut beaucoup mieux approcher le Divin pour
obtenir la Paix, la Lumière ou la Béatitude que donne Sa réalisation que de faire intervenir ces
éléments moins importants qui peuvent nous distraire de l’unique chose nécessaire. La divinisation
aussi de la vie matérielle, ainsi que de la vie intérieure, fait partie de ce que nous voyons comme le
Plan divin, mais cela ne peut s’accomplir que par un débordement de la réalisation intérieure,
quelque chose qui croît de l’intérieur vers l’extérieur, non par l’élaboration d’un principe mental. (I,
57-59)

8. – J’ai dit que ce yoga est « nouveau » parce qu’il tend à l’intégration du Divin dans ce monde,
pas seulement dans l’au-delà, et à une réalisation supramentale. (III, 10)

9. – L’interpénétration des plans est bien pour moi une partie capitale et fondamentale de
l’expérience spirituelle, et sans elle ne pourraient exister ni le yoga que je pratique, ni son but. Car ce
but est de manifester, d’atteindre ou d’incorporer sur terre une conscience supérieure et non de
s’évader de la terre en un monde supérieur ou en quelque suprême Absolu. Les anciens yogas (pas
tout à fait tous) tendaient vers l’autre direction, mais c’était, je crois, parce qu’ils trouvaient la terre
telle qu’elle est un lieu assez impossible pour un être spirituel, et la résistance au changement trop
obstinée pour qu’on s’y attaquât. À leurs yeux, la nature terrestre était, selon l’image de Vivekânanda,
comme la queue du chien, qui reprend sa courbe naturelle chaque fois qu’on essaie de la redresser.
Mais en cette matière la proposition fondamentale a été proclamée de façon fort nette dans les
Upanishads 1, qui ont été jusqu’à dire que la Terre est le fondement et que tous les mondes sont sur
terre, et qu’imaginer entre eux une différence bien tranchée ou irréconciliable est ignorance ; la
réalisation divine doit venir ici et non ailleurs, non pas en allant dans quelque autre monde. Cette
affirmation a été utilisée pour justifier une réalisation purement individuelle, mais elle peut tout aussi
bien servir de base à un effort plus vaste. (I, 271 sq.)

10. – Nous ne vivons pas pour le seul résultat extérieur ; c’est bien plutôt la croissance de l’âme
qui est le but de la vie et non le succès extérieur du moment, ou même de l’avenir immédiat. L’âme
53
peut croître en dépit d’une destinée matérielle qui lui est contraire et même par cette destinée. (II,
433)

11. – Mettons d’abord de côté la considération – ici tout à fait étrangère – de ce que nous
ferions si l’union avec le Divin apportait une éternelle absence de joie, nirânanda, ou une torture.
Une telle chose n’existe pas, et lorsqu’on la fait intervenir, on embrouille le problème. Le Divin est
ânandamaya et on peut le chercher pour l’ânanda qu’il donne, mais il a aussi en lui bien d’autres
choses, et on peut le rechercher pour l’une quelconque d’entre elles, la paix, la libération, la
connaissance, le pouvoir, pour n’importe quoi d’autre qui nous attire ou nous actionne. Il est
parfaitement loisible à quelqu’un de dire : « Que le Divin me donne la Puissance et que j’exécute Son
travail, ou que je fasse Sa volonté, et cela me contentera – même si l’emploi de cette Puissance doit
entraîner aussi des souffrances. » Il est possible de vouloir éviter la béatitude comme une chose trop
formidable ou extatique et de demander seulement ou surtout la paix, la libération, le nirvâna. Vous
parlez d’accomplissement de soi, mais on peut considérer le Suprême non pas comme le Divin mais
comme notre Soi le plus haut et chercher l’accomplissement de notre être dans ce Soi le plus haut. On
n’a pas besoin pour cela de l’envisager comme un Soi de béatitude, d’extase, d’ânanda ; on peut
l’envisager comme un Soi de liberté, de vastitude, de connaissance, de tranquillité, de force, de
calme, de perfection – peut-être trop calme pour qu’il puisse y pénétrer une ride d’une chose aussi
troublante que la joie. Ainsi, même si c’est pour acquérir quelque chose que l’on s’approche du
Divin, il est inexact que l’on ne puisse s’approcher de lui, ou chercher l’union avec lui que pour
obtenir l’ânanda, et rien d’autre.
Cela implique une chose qui détraque tout votre raisonnement. Car ce sont là des aspects de la
Nature divine, des puissances de cette Nature, des états de son être – mais le Divin lui-même est
quelque chose d’absolu, quelqu’un qui existe par soi-même, qui n’est pas limité par ses aspects ;
merveilleux et ineffable, il n’existe pas par ses aspects, ce sont eux qui existent par Lui. Il s’ensuit
que s’il attire par eux, il peut d’autant plus attirer par son Soi absolu lui-même, qui est plus doux,
plus puissant, plus profond qu’aucun d’eux. Sa paix, son enchantement, sa lumière, sa liberté, sa
beauté sont merveilleux et ineffables parce qu’il est lui-même magiquement, mystérieusement,
transcendantalement merveilleux et ineffable. On peut alors le rechercher pour son être merveilleux et
ineffable et non pas seulement pour l’amour de l’un ou l’autre de ses aspects. Tout ce dont on a
besoin pour cela est d’abord d’arriver à un point où l’être psychique sent en soi cette attraction du
Divin, et ensuite d’arriver au point où le mental, le vital et chaque autre chose commencent à sentir
aussi que c’était cela qu’ils voulaient, et que la poursuite en surface de l’ânanda ou de je ne sais
quoi d’autre n’était qu’une excuse pour attirer la nature vers ce suprême aimant.

54
Votre argument d’après lequel, puisque nous savons que l’union avec le Divin apporte l’ânanda,
nous devons rechercher cette union pour obtenir l’ânanda, n’est pas exact et n’a aucune force. Celui
qui aime une reine peut savoir que si elle lui rend son amour cela lui amènera pouvoir, position,
richesses, et ce peut pourtant n’être pas pour ce pouvoir, cette position, ces richesses qu’il recherche
son amour. Il peut l’aimer pour elle-même et il pourrait l’aimer tout autant si elle n’était pas reine ; il
aurait pu n’avoir aucune espérance de rien recevoir en retour et pourtant l’aimer, l’adorer, vivre pour
elle, mourir pour elle, tout simplement parce qu’elle est elle-même. Cela s’est vu. Il y a eu des
hommes qui ont aimé des femmes sans aucun espoir de joie ou de retour, qui ont aimé avec continuité
et avec passion, même après que la vieillesse était arrivée et la beauté disparue. Les patriotes
n’aiment pas seulement leur pays quand il est grand, riche, puissant et qu’il a beaucoup à leur
donner ; l’amour pour la patrie s’est montré le plus ardent, le plus passionné, le plus absolu quand la
patrie était pauvre, avilie, malheureuse, qu’elle ne pouvait rémunérer les services rendus que par
pertes, blessures, tortures, emprisonnements, mort. Et pourtant, sachant qu’ils ne la verraient jamais
libre, des hommes ont vécu, servi, péri pour elle, pour l’amour d’elle et non pas pour ce qu’elle
pouvait leur donner. Il y a des hommes qui ont aimé la Vérité pour elle-même, et qui pour ce qu’ils
pouvaient en chercher ou en trouver ont accepté la pauvreté, la persécution et même la mort. Ils se
sont même contentés de toujours la chercher, sans la trouver, et cependant n’ont jamais abandonné
cette recherche. Qu’est-ce que cela signifie ? Que l’homme, la patrie, la Vérité et d’autres choses
encore peuvent être aimés pour eux-mêmes et non pour autre chose – non pas pour une circonstance,
une qualité accessoire ou une jouissance résultante quelconques, mais pour quelque chose d’absolu
qui est ou bien en eux, ou bien derrière l’apparence et la circonstance. Le Divin est plus qu’un
homme ou une femme, plus qu’un territoire ou un credo, qu’une opinion, une découverte ou un
principe. Il est la Personne au-delà de toutes les personnes, le Foyer et la Patrie de toutes les âmes, la
Vérité dont toutes les vérités ne sont que des représentations imparfaites. Ne peut-Il donc pas être
aimé et recherché pour Lui-même, autant et plus que l’ont été ces autres choses par des hommes,
même dans leur moindre nature et leur être moindre ?
Ce que votre raisonnement laisse de côté, c’est ce qui est absolu ou tend vers l’absolu, en
l’homme et en sa quête autant qu’en le Divin – quelque chose que l’on ne saurait expliquer par un
raisonnement mental ou un mobile vital. Un mobile, mais de l’âme, et non un désir vital ; une raison,
mais du Soi et de l’esprit, pas du mental. Une requête aussi, mais celle qui est l’aspiration inhérente à
l’âme, pas un appétit vital. C’est ce qui apparaît quand il y a le pur et simple don de soi, que le « Je
te cherche pour ceci, je te recherche pour cela » fait place au pur et simple « Je te cherche pour toi-
même ». C’est de cet absolu merveilleux et ineffable dans le Divin que parle N quand il dit : « Ni la
connaissance, ni ceci ni cela, mais Krishna. » L’attraction de cela est en vérité un impératif
catégorique, le soi en nous attiré au Divin à cause de l’appel impératif du plus grand Soi, l’âme
ineffablement attirée vers l’objet de son adoration parce qu’elle ne peut pas faire autrement, parce
qu’elle est elle-même et qu’il est Lui. C’est tout. 55
Je vous ai écrit tout cela simplement pour vous expliquer ce que nous entendons lorsque nous
parlons de chercher le Divin pour lui-même et non pour autre chose – dans la mesure où c’est
explicable. Explicable ou non, c’est l’un des faits les plus dominants de l’expérience spirituelle. La
volonté de se donner n’est qu’une expression de ce fait. Mais cela ne signifie pas que je m’oppose à
ce que vous demandiez l’ânanda. Demandez-le, certainement, pour autant que le demander soit un
besoin d’une partie quelconque de votre être. Car ce sont ces choses-là qui conduisent vers le Divin,
tant que l’appel intérieur absolu, qui est tout le temps présent, ne se hisse pas jusqu’à la surface. Mais
c’est véritablement cela qui attire depuis le début et qui est là, derrière – c’est l’impératif
catégorique spirituel, le besoin absolu qu’a l’âme du Divin.
Je ne dis pas qu’il ne doive pas y avoir d’ânanda. Le don de soi est lui-même un profond
ânanda, et ce qu’il apporte, ce qu’il amène dans son sillage est un inexprimable ânanda. Et il est
provoqué par cette méthode plus vite que par aucune autre, si bien que l’on pourrait presque dire :
« Un don de soi, sans rien chercher pour soi-même, est la meilleure politique. » Seulement, ce n’est
pas par politique qu’on le fait. L’ânanda en est le résultat, mais on ne le fait pas pour le résultat, on
le fait pour le don de soi lui-même et pour le Divin lui-même – distinction qui peut paraître subtile au
mental, mais qui est réelle. (I, 65-69)

12. – Ce que je cherche, c’est une Vérité supérieure, et peu importe qu’elle rende les hommes
plus grands ou non ; la question est de savoir si elle leur donnera la vérité, la paix et la lumière pour
y vivre et si elle fera de la vie quelque chose de mieux qu’une lutte contre l’ignorance, la fausseté, la
douleur et le conflit. Alors, même si les hommes sont moins grands que ceux du passé, mon but aura
été atteint. Pour moi, les conceptions mentales ne sauraient être la fin de toutes choses. Je sais que le
Supramental est une vérité. (II, 60)

13. – L’idée d’être utile à l’humanité est la vieille confusion due à des idées de seconde main
importées d’Occident. Évidemment pour être « utile » à l’humanité il n’y a pas besoin de yoga ; tous
ceux qui vivent une vie humaine sont utiles à l’humanité d’une façon ou d’une autre.
Le yoga est dirigé vers Dieu et non vers l’homme. Si l’on peut faire descendre et établir dans le
monde matériel une conscience et un pouvoir supramentaux divins, cela signifiera évidemment un
immense changement pour la terre, y compris l’humanité et sa vie. Mais l’effet sur l’humanité ne sera
qu’un résultat du changement ; il ne peut être le but de la sâdhanâ. La sâdhanâ ne peut avoir pour but
que de vivre dans la conscience divine et de la manifester dans la vie. (I, 70 sq.)

*
56
14. – Bien que j’aie insisté sur les choses divines pour répondre à une insistance excessive
(parce que contraire) sur les choses humaines, il ne faut pas en conclure que je rejette tout ce qui est
humain (amour humain, culte, ou toute forme utile d’approche humaine) comme partie du yoga. Je ne
l’ai jamais fait – sans cela l’âshram ne pourrait pas exister. Les sâdhaks qui s’engagent dans le yoga
sont des êtres humains au début, et pendant longtemps encore, ils ne seraient pas capables
d’entreprendre le yoga ou ne pourraient pas le continuer. Il y a discussion uniquement parce qu’en
pratique on emploie le terme « humain » comme identique non seulement au vital humain (et au
mental tourné vers l’extérieur), mais aussi à certaines formes de la nature-ego vitale de l’homme.
Mais le vital humain contient beaucoup d’autres éléments et il est plein de matériaux excellents. Tout
ce que demande le yoga, c’est que ces matériaux soient utilisés de la bonne manière et avec la juste
attitude spirituelle, et aussi que l’approche humaine au Divin ne soit pas constamment transformée en
une révolte et un reproche de l’homme contre le Divin. Et d’ailleurs nous ne demandons cela que
pour faire réussir l’approche elle-même – et l’être humain qui s’y consacre.
Par elle-même, divinisation ne signifie pas destruction des éléments humains ; elle signifie
qu’on s’en empare, qu’on leur montre la voie conduisant à leur propre perfection, qu’on les élève par
la purification et la perfection jusqu’à leur pleine puissance, leur plein ânanda, ce qui veut dire
qu’on élève tout le reste de la vie terrestre à sa pleine puissance, à son plein ânanda.
S’il n’y avait pas dans la nature humaine vitale une résistance, une pression de forces opposées
au changement, de forces qui jouissent de l’imperfection et même de la perversion, cette
transformation s’effectuerait sans difficulté par un épanouissement naturel et indolore…
La divinisation de la vie signifie en fait un plus grand art de vivre. Car l’art actuel de vivre,
produit de l’ego et de l’ignorance, est quelque chose de relativement mesquin, cru et imparfait
(comme les formes inférieures de l’art, de la musique, de la littérature, qui sont cependant plus
attrayantes pour le mental et le vital humain ordinaires), et c’est par une ouverture et un raffinement
spirituels et psychiques que cet art devra atteindre sa vraie perfection. Cela ne peut s’opérer qu’en le
plongeant dans la Lumière et la Flamme divines, où sa matière se verra arracher toute la lourde
gangue et où il sera transformé en le pur métal.
Malheureusement il y a résistance, une résistance très obscure et obstinée. Cela rend nécessaire
dans le yoga un élément négatif, un élément de rejet de ce qui barre la route – et une pression sur les
formes qui sont crues et inutiles pour les faire disparaître, une pression sur celles qui sont utiles mais
imparfaites ou qui ont été perverties pour conserver ou recouvrer leur mouvement véritable. Pour le
vital, cette pression est douloureuse, d’abord parce qu’il est obscur et qu’il ne comprend pas, ensuite
parce qu’il y a en lui des parties qui veulent être laissées à leurs mouvements grossiers et ne veulent
pas changer. C’est pourquoi l’intervention d’une attitude psychique est d’une telle aide. Car le
psychique a l’heureuse confiance, la compréhension et la réaction toutes prêtes, l’abandon spontané ;
il sait que le toucher du gourou a pour but d’aider et non de blesser, ou, comme Râdhâ 2 dans le
poème, que tout ce que fait le Bien-aimé a pour objet57 de conduire à la divine Jouissance.
Et d’ailleurs ce n’est pas d’après la partie négative du mouvement que vous avez à juger le
yoga, mais d’après son côté positif, car la partie négative est temporaire et transitoire et disparaîtra ;
seule la positive compte pour l’idéal et pour l’avenir. Si vous prenez pour loi de l’avenir et pour
indication de la nature du yoga des conditions qui appartiennent au côté négatif et à un mouvement
transitoire, vous commettez une grande faute de jugement, une grave erreur. Notre yoga n’est pas un
rejet de la vie ou un rejet de la proximité et de l’intimité entre le Divin et les sâdhaks. Son idéal vise
à la proximité et à l’unité la plus étroite sur le plan physique comme sur tous les autres ; il vise à la
vastitude, à la plénitude, à la joie de vivre les plus divines. (I, 76-79)

15. – Je n’ai pas dit que mon yoga était quelque chose de parfaitement neuf dans tous ses
éléments. Je l’ai appelé le yoga intégral, et cela signifie qu’il reprend l’essence et beaucoup des
procédés des anciens yogas. Ce qu’il y a de nouveau en lui, c’est son but, son point de vue et la
totalité de sa méthode. Aux premiers stades – et c’est tout ce dont je traite dans L’énigme de ce
monde 3 et dans Le guide du yoga – il ne comporte rien qui le distingue des anciens yogas excepté le
but que l’on découvre sous son caractère de totalité ; l’esprit qui anime ses mouvements et la
signification ultime qu’il garde toujours présente – également la structure de sa psychologie et la
façon dont elle opère ; mais comme tout cela n’a pas été – et ne pouvait pas être – développé
systématiquement ou schématiquement dans ces lettres, cela n’a pas été saisi par ceux qui n’ont pas
déjà acquis avec lui une certaine familiarité mentale ou n’en ont pas une certaine pratique. Je n’ai pas
encore rendu publics le détail et la méthode des stades ultérieurs du yoga qui conduisent dans des
régions peu connues ou inexplorées – et je n’ai pas pour le moment l’intention de le faire.
Je sais fort bien aussi qu’il a existé des idéals et des anticipations qui lui semblent apparentés :
la perfectibilité de la race, certaines sâdhanâs tantriques, la recherche par certaines écoles yoguiques
d’une siddhi physique complète, etc. J’y ai moi-même fait allusion et j’ai exprimé l’opinion que le
passé spirituel de notre race avait été une préparation de la Nature non seulement pour atteindre le
Divin au-delà du monde, mais aussi pour ce pas en avant que l’évolution de la conscience terrestre a
encore à faire. Je ne m’inquiète donc pas le moins du monde de savoir si notre yoga, son but ou sa
méthode sont ou ne sont pas admis comme étant nouveaux – bien que ces idéals aient été dans une
certaine mesure parallèles au mien, mais non identiques ; cela est en soi sans importance. La seule
chose qui compte est qu’il soit reconnu comme vrai en soi par ceux qui peuvent l’accepter ou le
pratiquer, et qu’il se rende lui-même vrai par sa propre réalisation ; peu importe qu’on l’appelle
nouveau, ou répétition ou renouveau de l’ancien yoga qui avait été oublié. J’ai insisté sur la
nouveauté de ce yoga dans une lettre à certains sâdhaks pour leur expliquer qu’à mes yeux une
répétition du but et de l’idée de l’ancien yoga ne suffisait pas, que je mettais en avant une chose à

58
accomplir qui n’avait pas encore été accomplie, pas encore clairement visualisée, bien qu’elle soit
une conséquence naturelle, mais encore secrète, de tout l’effort spirituel passé.
Par comparaison avec les anciens yogas, ce yoga-ci est nouveau :
(1) parce qu’il ne vise pas à nous faire sortir du monde et de la vie pour nous conduire au ciel
ou au nirvâna, mais qu’il se propose une transformation de la vie et de l’existence, non pas
incidemment ou à titre subordonné, mais comme but central et distinct. S’il y a dans d’autres
yogas une descente, elle n’y est qu’un épisode sur la route ou un résultat de l’ascension – c’est
cette dernière qui est la chose vraie. Ici la montée est le premier pas, mais elle est un moyen
pour amener la descente. C’est la descente de la conscience nouvelle atteinte par l’ascension
qui donne à la sâdhanâ sa confirmation et son sceau. Même le Tantra et le Vishnouïsme
aboutissent à libérer de la vie ; ici le but est le divin accomplissement de la vie ;
(2) parce que le but recherché n’est pas l’obtention individuelle de la réalisation divine pour le
profit de l’individu, mais quelque chose à gagner pour la conscience terrestre ici-bas, un
accomplissement cosmique et non seulement supra-cosmique. Ce qu’il y a à gagner aussi, c’est
l’obtention d’un Pouvoir de conscience (le Supramental) qui n’est pas encore organisé ni
directement actif dans la nature terrestre ou même dans la vie spirituelle, mais qui reste à
organiser et à rendre directement actif ;
(3) parce qu’il a été préconisé pour atteindre cet objectif une méthode qui est aussi totale et
intégrale que le but proposé, c’est-à-dire la transformation totale et intégrale de la conscience et
de la nature, en utilisant les anciennes méthodes, mais seulement pour une partie de l’action et
comme aide temporaire à d’autres méthodes qui lui appartiennent en propre. Je n’ai pas trouvé
que dans les yogas on ait enseigné ou pratiqué cette méthode dans son ensemble, ni rien
d’analogue. Si tel avait été le cas, je n’aurais pas perdu mon temps à frayer des chemins et passé
trente années en recherches et en création intérieure alors que j’aurais pu me hâter de revenir à
mon but, en toute sécurité, en trottant tout tranquillement sur des sentiers déjà tracés, dégagés,
parfaitement relevés, goudronnés, sûrs et ouverts au public.
Notre yoga n’est pas la répétition de vieilles promenades, mais une aventure spirituelle. (I, 27-
29)

16. – Les traditions du passé sont très grandes à leur place, dans le passé, mais je ne vois pas
pourquoi nous nous bornerions à les répéter sans aller plus loin. Dans le développement spirituel de
la conscience sur terre, le grand passé devrait être suivi par un avenir encore plus grand. (II, 248)

59
17. – Dans mon yoga… je me suis trouvé poussé à inclure, dans ma perspective, les deux
mondes – le spirituel et le matériel – et à essayer d’établir la Conscience divine et la Puissance
divine dans le cœur des hommes et dans la vie terrestre, non pas uniquement en vue d’un salut
personnel, mais pour une vie divine ici-bas. (III, 28)

18. – Je puis dire qu’il est loin de mon intention de propager une religion quelconque nouvelle
ou ancienne pour l’humanité de l’avenir. La façon dont je conçois les choses, c’est qu’une voie peut
être ouverte qui est encore bouchée, non pas qu’une religion doive être fondée. (II, 47)

19. – Ce n’est pas pour ma grandeur personnelle que je cherche à faire descendre le
Supramental. Je ne m’inquiète pas de grandeur ou de petitesse au sens humain de ces mots. Je cherche
à faire descendre dans la conscience terrestre un principe de Vérité, de Lumière, d’Harmonie, de
Paix intérieures ; je le vois au-dessus et je sais ce qu’il est, je le sens qui toujours rayonne d’en haut
sur ma conscience et je cherche à lui permettre de prendre l’être tout entier en sa propre puissance
innée, au lieu que la nature de l’homme continue de rester dans un état de demi-lumière et de demi-
obscurité…
Si des hommes plus grands que moi n’ont pas eu devant eux cette vision et cet idéal, ce n’est pas
une raison pour que je ne suive pas mon sens de la Vérité et ma vision de la Vérité. Si la raison
humaine me considère comme fou d’essayer de faire ce que Krishna n’a pas essayé, cela m’est
complètement égal. En ceci, il ne s’agit ni d’X ni d’Y, ni de personne. La question se pose entre le
Divin et moi-même : si c’est ou non la Volonté divine, si je suis chargé de faire descendre cela ou
d’ouvrir le chemin pour que cela descende, ou tout au moins de le rendre plus possible. Que tous les
hommes se moquent de moi s’ils le veulent, et que l’enfer tout entier tombe sur moi s’il le veut pour
mon orgueil – je continue jusqu’à ce que je conquière ou je meure. C’est dans cet esprit que je
cherche le Supramental ; je ne recherche la grandeur ni pour moi ni pour les autres. (II, 60 sq.)

20. – Je désire le Supramental non pas pour moi-même, mais pour la terre et les âmes nées sur
la terre. (II, 43)

21.– Je n’ai aucune intention de réaliser le Supramental pour moi seul. Je ne fais rien pour moi-
même et je n’ai personnellement besoin de rien, ni de salut (moksha), ni de supramentalisation. Si je
60 une chose qui doit être faite pour la conscience
cherche la supramentalisation, c’est parce que c’est
terrestre et que si elle n’est pas faite en moi elle ne peut pas se faire en d’autres. Ma
supramentalisation n’est qu’une clé pour ouvrir les portes du Supramental à la conscience terrestre ;
faite pour elle-même, elle serait parfaitement futile. Mais il ne s’ensuit pas que si un jour je deviens
supramental tout le monde le deviendra. D’autres pourront le devenir s’ils sont prêts, et quand ils
seront prêts. Mais naturellement la réalisation en moi leur sera d’une grande aide pour y parvenir. (II,
54)

22. – On ne se propose pas de transformer toute la conscience terrestre, mais simplement d’y
introduire le principe supramental qui transformera ceux qui peuvent le recevoir et l’incorporer. (III,
53)

23. – Nous ne demandons pas à tout le monde de devenir supramental, mais pour une pleine
manifestation sur le plan physique le Supramental est indispensable. (II, 246).

61
B. – Le Supramental

24. – Tous les autres yogas considèrent cette vie-ci comme une illusion ou une étape passagère ;
seul le yoga supramental la considère comme une chose créée par le Divin pour une manifestation
progressive et prend pour but l’accomplissement de la vie et du corps. Le Supramental est
simplement la Conscience de vérité, et ce qu’elle apporte dans sa descente, c’est la pleine vérité de
la vie, la pleine vérité de la conscience dans la matière. Il faut en effet s’élever jusqu’à de hauts
sommets pour l’atteindre, mais plus on s’élève et plus on peut faire descendre de choses en bas. Sans
doute la vie et le corps n’ont pas à rester les choses ignorantes, imparfaites et impotentes qu’ils sont
actuellement, mais pourquoi une transformation en une puissance de vie plus pleine, une puissance
corporelle plus pleine devrait-elle être considérée comme quelque chose de lointain, froid et
indésirable ? L’ânanda maximum dont le corps et la vie soient actuellement capables est une brève
excitation du mental vital et des nerfs ou des cellules, excitation limitée, imparfaite et qui passe vite.
Avec la transformation supramentale, toutes les cellules, les nerfs, les forces vitales, les forces
mentales incarnées peuvent s’emplir d’un ânanda dix fois centuple, peuvent être capables d’une
intensité de béatitude qu’on ne saurait décrire et qui n’a pas besoin de s’estomper. (II, 252)

25. – Le Supramental n’est pas immense, lointain, froid et austère ; ce n’est pas quelque chose
d’opposé à la pleine manifestation vitale et physique ou incompatible avec elle. Au contraire, il porte
en lui la seule possibilité de pleine plénitude de la force vitale et de la vie physique sur terre. (II,
251)

26. – Lorsque furent écrits les derniers chapitres de La synthèse des Yogas, dans l’ARYA 4, le
nom de Surmental n’avait pas encore été trouvé ; par conséquent, il n’y est pas mentionné. Ce qui est
décrit dans ces chapitres, c’est l’action du Supramental lorsqu’il descend sur le plan surmental, se
charge des opérations du Surmental et les transforme. Le suprême Supramental ou Gnose divine
existant en soi est quelque chose qui s’étend encore au-delà, et tout à fait au-dessus. Dans les derniers
chapitres, je me proposais de montrer combien cela même était difficile, combien de niveaux
existaient entre le mental humain et le Supramental, comment même le Supramental en descendant
pouvait se mêler à l’action inférieure et se transformer en quelque chose de moins que la vraie
Vérité. Mais ces derniers chapitres ne furent pas écrits. (III, 172 sq.)

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27. – Le Supramental n’est pas organisé sur les plans inférieurs comme le sont les autres
[facultés]. Ce n’est qu’une influence voilée. Autrement la réalisation supramentale serait facile. (III,
308 sq.)

28. – Quoi qu’il ait pu arriver à Chaïtanya ou à Râmalingam 5, quelle que soit la transformation
physique qu’ils puissent avoir subie, cela n’a rien à voir avec le but de la supramentalisation du
corps. Leur corps nouveau était un corps ou bien non physique, ou bien physique subtil impropre à la
vie sur terre. Sans cela ils n’auraient pas disparu. Le but de la supramentalisation est un corps
susceptible d’incarner et d’exprimer la conscience physique sur terre tant que l’on reste dans la vie
physique. C’est un pas dans l’évolution spirituelle sur terre et non pas dans le passage à un monde
supraphysique. La supramentalisation est la partie la plus difficile du changement auquel arrive le
yoga supramental ; elle dépend de la possibilité actuelle dans la conscience d’une transformation
suffisante pour rendre un tel pas possible ; mais la nature même de ce pas diffère de celui auquel
visent les autres yogas. Il n’y a donc pas grand intérêt à ces discussions. Il faut avant tout
supramentaliser suffisamment le mental et la conscience vitale et physique en général ; après cela on
peut penser à la supramentalisation du corps. La transformation psychique et spirituelle doit venir
d’abord ; ce n’est qu’après qu’il sera pratique ou utile de discuter de la supramentalisation de l’être
entier, jusqu’au corps inclusivement. (I, 30)

29. – Non je n’ai pas du tout dit cela. Il est tout à fait impossible que le Supramental s’empare
du corps avant qu’une transformation supramentale complète ait eu lieu dans le mental et le vital. X et
d’autres semblent toujours s’attendre à une espèce de miracle inintelligible ; ils ne comprennent pas
qu’il doit se produire une évolution concentrée, rapide, mais conforme aux lois de la création. Un
miracle peut faire l’étonnement du moment. Seule peut durer une transformation effectuée selon la loi
divine. (III, 174)

30. – Je ne comprends pas la question telle qu’elle est posée. Les parties doivent être isolées
les unes des autres, chacune doit faire son propre travail et recevoir en elle la Vérité qui vient du
psychique ou de plus haut. La Vérité venant d’en haut harmonisera leur action toujours davantage,
bien que l’harmonie parfaite ne puisse venir que lorsqu’il y a l’accomplissement supramental. (III,
178)

*
63
31. – Qui vous a dit que le Supramental était en train de descendre dans la conscience physique
sans toucher le mental ni le vital ? Il est certain qu’aucune partie de la nature n’a été supramentalisée.
Cela n’est pas possible tant que l’être tout entier n’a pas été soumis à l’influence supramentale.
L’influence supramentale doit venir d’abord, la transformation supramentale ne peut venir qu’ensuite.
(III, 174)

32. – Un contact ou une influence du Supramental n’est pas la même chose que la
supramentalisation. Supposer que le physique puisse être supramentalisé avant le mental et le vital
est une absurdité absolue. Ce que j’ai dit, c’est que ni le mental ni le vital ne pouvaient être
supramentalisés tant que le physique était laissé tel quel, c’est-à-dire non atteint par la descente
supramentale. (III, 174)

33. – Dans l’ensemble, ces perceptions sont justes. Chaque plan est vrai en lui-même, mais ne
représente qu’une vérité partielle par rapport au Supramental. Lorsque ces vérités supérieures
descendent dans le physique, elles essayent de s’y réaliser, mais elles ne peuvent le faire qu’en partie
et d’après les conditions du plan matériel. Seul le Supramental peut surmonter cette difficulté. (III,
173)

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C. – La transformation

34. – « Transformation » est un mot que j’ai inauguré moi-même, comme « Supramental », pour
exprimer certains concepts spirituels et faits spirituels du yoga intégral. Maintenant les gens s’en
emparent et les utilisent dans des sens qui n’ont rien à voir avec la signification que j’avais mise en
eux. La purification de la nature par l’« influence » de l’Esprit n’est pas ce que j’entends par la
transformation ; la purification n’est qu’une partie d’un changement psychique ou psycho-spirituel ; le
terme a beaucoup d’autres sens et on lui donne souvent une signification morale ou éthique qui est
étrangère à mon intention. Ce que j’entends par la transformation spirituelle est quelque chose de
dynamique – ce n’est pas seulement la libération du Moi ou la réalisation de l’Un, qui peut fort bien
être obtenue sans aucune descente. C’est le fait d’assumer la conscience spirituelle, dynamique aussi
bien que statique, dans chaque partie de l’être jusqu’au subconscient. Cela ne peut se faire par
l’influence du Moi qui laisse la conscience fondamentalement telle qu’elle est, en se contentant de
purification, d’illumination du mental et du cœur, et de quiétude du vital. La transformation spirituelle
signifie qu’on fait descendre la Conscience divine, statique et dynamique, dans toutes ces parties et
que l’on remplace complètement par elle la conscience actuelle. Nous trouvons cela sans voile et
sans mélange au-dessus du mental, de la vie et du corps. Il résulte de l’expérience indubitable de
beaucoup de gens que cette Conscience peut descendre, et d’après mon expérience rien de moins que
sa pleine descente ne peut complètement écarter le voile et le mélange et effectuer la pleine
transformation spirituelle. Nul raisonnement métaphysique ou logique dans le vide sur ce que l’Atman
« doit » faire, ou peut faire, n’a rien à voir ici et n’est d’aucune valeur. (II, 39 sq.)

35. – Par transformation, je n’entends pas un changement de nature – je n’entends pas par
exemple la sainteté ni la perfection éthique ni les siddhis yoguiques (comme ceux des tantristes), ni
un corps transcendantal (chinmaya). J’emploie le mot « transformation » dans un sens particulier,
comme changement de conscience radical et complet d’un certain genre particulier, conçu de telle
sorte qu’il provoque un pas en avant, fort et assuré, dans l’évolution spirituelle de l’être – d’une
espèce plus grande et plus haute, d’une plus ample envolée, d’une plus vaste plénitude que ce qui se
produit lorsqu’un être mentalisé apparut pour la première fois dans un monde animal, vital et
matériel. S’il se produit moins que cela, ou si tout au moins on ne peut faire un véritable début sur
cette base, un progrès fondamental vers cet accomplissement, alors mon but n’est pas atteint. Une
réalisation partielle, quelque chose de mélangé et de non concluant, ne répond pas à ce que je
demande à la vie et au yoga.
La lumière de réalisation n’est pas la même chose que la Descente. Par elle-même, la
réalisation ne transforme pas nécessairement l’être dans son ensemble ; elle peut n’apporter qu’une
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ouverture ou une élévation ou un élargissement de la conscience à son sommet afin de réaliser
quelque chose dans la partie Purusha sans apporter aucun changement radical dans les parties
Prakriti. On peut avoir quelque lumière de réalisation au sommet spirituel de la conscience tandis que
les parties au-dessous restent ce qu’elles étaient. J’en ai vu un grand nombre d’exemples. Avant que
ne puisse avoir lieu une réelle transformation, il faut qu’il y ait descente de la lumière non seulement
dans le mental ou dans une partie du mental, mais dans tout l’être, jusqu’au physique et plus bas
encore. Une lumière dans le mental peut spiritualiser ou autrement transformer le mental, en tout ou en
partie, d’une manière ou d’une autre, mais ne change pas nécessairement la nature vitale ; une lumière
dans le vital peut purifier et agrandir les mouvements vitaux, ou bien faire taire l’être vital et
l’immobiliser, mais laisser tels quels le corps et la conscience physique, ou même les laisser inertes
ou rompre leur équilibre. Et la descente de la Lumière ne suffit pas, il faut qu’il y ait descente de
toute la conscience supérieure, avec sa Paix, son Pouvoir, son Amour, son Ananda. En outre, la
descente peut suffire à libérer mais non à rendre parfait, ou elle peut suffire à apporter une grande
transformation dans l’être intérieur, tandis que l’extérieur reste un instrument imparfait, maladroit,
malade ou incapable d’expression. Enfin la transformation effectuée par la sâdhanâ ne saurait être
complète à moins qu’elle ne soit une supramentalisation de l’être. La « psychicisation » ne suffit pas,
elle n’est qu’un commencement ; la spiritualisation et la descente de la conscience supérieure ne
suffisent pas, elles ne sont qu’un moyen terme ; la réalisation ultime nécessite l’action de la
Conscience et de la Force supramentales. L’individu peut fort bien considérer comme suffisant
quelque chose d’inférieur à cela, mais ce serait insuffisant pour que la conscience terrestre fasse le
pas en avant définitif qu’elle devra faire un jour ou l’autre. (I, 25 sq.)

36. – La transformation n’est pas le but central des autres voies comme elle l’est dans ce yoga-
ci ; les autres ne demandent que la purification et le changement dans la mesure où ils sont
nécessaires pour conduire à la libération et à la vie dans l’au-delà. Sans doute l’influence de l’Atman
peut faire cela ; pour une évasion spirituelle hors de la vie il n’y a aucun besoin d’une pleine
descente d’une conscience nouvelle dans la nature tout entière. (II, 40)

37. – La transformation que nous cherchons consiste à fondre la conscience dans le Divin et à
faire que l’être psychique continue à diriger et à modifier toute la nature et à la faire se tourner sans
cesse vers le Divin, jusqu’à ce que l’être tout entier puisse vivre dans le Divin. Il y a en outre la
supramentalisation, mais elle porte la transformation jusqu’à ses propres possibilités les plus hautes
et les plus vastes, elle n’en modifie pas la nature essentielle. (II, 42)

66
*

38. – La conscience cosmique, la connaissance et l’expérience surmentales représentent une


connaissance intérieure, dont l’effet est pourtant subjectif. Tant qu’on possède cela, on est libre en
son âme ; mais pour transformer la nature extérieure, il faut davantage. (III, 228 sq.)

39 – La psychicisation, c’est la transformation de la nature inférieure qui amène la juste vision


dans le mental, la juste impulsion et le juste sentiment dans le vital, le juste mouvement et la juste
habitude dans le physique, tous étant tournés vers le Divin, tous reposant sur l’amour, l’adoration, la
bhakti, et finalement la vision et la sensation de la Mère partout en tout, aussi bien que dans le cœur,
sa Force œuvrant dans l’être, foi, consécration, don de soi.
La transformation spirituelle est la descente, stabilisée, d’en haut, de la paix, la lumière, la
connaissance, la puissance, la béatitude, la prise de conscience du Soi, du Divin, d’une conscience
cosmique supérieure et la transformation en cela de toute la conscience. (I, 121 sq.)
40. – Dans notre yoga, on peut réaliser l’être psychique comme une portion du Divin installée
dans le cœur avec le Divin qui l’y soutient – cet être psychique se charge de la sâdhanâ et tourne
l’être tout entier vers la Vérité, le Divin, avec, dans le mental, le vital et la conscience physique, des
résultats dans lesquels je n’ai pas à entrer ici ; c’est la première transformation.
Nous réalisons ensuite le Moi unique, le Brahman, le Divin, d’abord au-dessus du corps, de la
vie et du mental, et non pas seulement dans le cœur qui les soutient – au-dessus, libre, sans
attachement, comme le Moi statique en tous, et dynamique aussi comme l’Être et Pouvoir divin actif,
Ishvara-Shakti, qui contient le monde et l’imprègne autant qu’il le transcende, manifestant tous les
aspects cosmiques. Mais ce qui est le plus important pour nous, c’est qu’il se manifeste comme une
lumière, une connaissance, un pouvoir, une pureté, une paix, un ânanda transcendants dont nous
prenons conscience, qu’il descend dans l’être et remplace progressivement la conscience ordinaire
elle-même par ses propres mouvements – c’est la deuxième transformation.
Nous réalisons aussi la conscience elle-même qui se meut vers le haut, monte à travers
beaucoup de plans, physique, vital, mental, surmental, jusqu’aux plans du supramental et de l’ânanda.
Il n’y a là rien de nouveau ; il est déclaré dans la Taittirîya Upanishad qu’il y a cinq purushas, le
physique, le vital, le mental, le purusha de vérité (le supramental) et le purusha de béatitude. Il y est
dit qu’on doit attirer le moi physique dans le moi vital, le vital dans le mental, le mental dans le moi
de vérité, le moi de vérité dans le moi de béatitude et ainsi atteindre la perfection. Mais dans notre
yoga nous prenons conscience non seulement de cette absorption, mais aussi d’un déversement du
pouvoir du Moi supérieur, si bien qu’il y a possibilité d’une descente du Moi et de la Nature
supramentaux pour dominer et transformer notre nature actuelle et la changer d’une nature

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d’ignorance en une nature « de connaissance de vérité » (et à travers le supramental en une nature
d’ânanda) – cela est la troisième transformation, la supramentale.
Les choses ne se produisent pas toujours dans cet ordre, car chez beaucoup de gens la descente
spirituelle commence d’abord de façon imparfaite avant que le psychique ne soit poussé en avant et
n’ait pris la direction, mais le développement psychique doit être atteint avant que puisse avoir lieu
une descente spirituelle parfaite et sans entraves, et la dernière transformation, la transformation
supramentale, est impossible tant que les premières ne sont pas pleines et complètes. Voilà tout le
processus expliqué aussi brièvement que possible (II, 37 sq.)

41. – Il y a différents états de la Conscience divine. Il y a aussi différents états de


transformation. D’abord nous avons la transformation psychique dans laquelle tout est en contact avec
le Divin par la conscience psychique individuelle. Ensuite vient la transformation spirituelle dans
laquelle tout est fondu en le Divin dans la conscience cosmique. Troisièmement nous avons la
transformation supramentale où tout se supramentalise dans la conscience gnostique divine. C’est
seulement avec cette dernière que peut commencer la transformation complète du mental, de la vie et
du corps – au sens où j’entends le terme « complet ». (II, 43)

42. – La spiritualisation signifie la descente de la paix, de la force, de la lumière, de la


connaissance, de la pureté, de l’ânanda, etc. supérieurs appartenant à l’un quelconque des plans
supérieurs qui vont du mental supérieur au Surmental et qui tous permettent de réaliser le Moi. Elle
amène une transformation subjective ; la Nature instrumentale est transformée seulement au point de
devenir un instrument que le Divin cosmique emploie pour son action, mais le Moi intérieur reste
calme, libre, uni au Divin. Il ne s’agit pourtant là que d’une transformation individuelle incomplète ;
la transformation entière de la Nature instrumentale ne peut avoir lieu qu’après un changement
supramental. D’ici là, la nature continue à être pleine d’imperfections, mais sur les plans supérieurs
le Moi ne s’en inquiète pas puisqu’il est lui-même libre et inaltéré. L’Être intérieur – jusqu’au
physique intérieur – peut, lui aussi, devenir libre et non altérable. Le Surmental est assujetti à des
limitations dans le jeu de la Connaissance effective, à des limitations dans le jeu du pouvoir, assujetti
à une Vérité partielle et limitée, etc. Ce n’est que dans le Supramental que se manifeste la pleine
vérité consciente. (III, 10 sq.)
43. – La transformation que je vise ne va pas du péché à la sainteté, mais de la nature inférieure
de l’Ignorance à la Nature divine de Lumière, Paix, Vérité, Puissance divine et Béatitude, au-delà de
l’Ignorance. Elle progresse vers un bien suprême existant en soi et laisse derrière elle la conception
humaine limitée qui se débat entre le péché et la vertu ; ce n’est pas une lumière intellectuelle qui est
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le soleil de cette aspiration, mais une lumière spirituelle, supra-intellectuelle et supramentale. Son
point culminant n’est pas la sainteté, mais la conscience divine, ou, si vous préférez, l’état de
conscience de l’âme (soul-hood), celui de l’esprit (spirit-hood), celui de la conscience de soi
(conscious self-hood), celui du Divin (divine-hood). Il y a par conséquent une immense différence
entre ces deux sortes, ces deux degrés de transformation.
Dans notre idée de la transformation intervient aussi la destruction de l’ego, sa dissolution dans
la conscience cosmique et divine, mais par cette destruction nous recouvrons la personne vraie et
spirituelle qui est une éternelle portion du Divin. (III, 35 sqq.)

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D. – Possibilités de succès

44. – Ma sâdhanâ n’est pas une bizarrerie ou une monstruosité, ni un miracle accompli en dehors
des lois de la Nature, des conditions de vie et de conscience sur la terre. Si j’ai pu ces choses, ou si
elles ont pu se produire dans mon yoga, cela signifie qu’elles peuvent être faites et que par
conséquent ces développements et ces transformations sont possibles dans la conscience terrestre. (II,
53)

45. – Je ne me laisse pas alarmer par l’apparence du monde autour de moi ni déconcerter par la
fureur souvent triomphante des Forces adverses dont la rage s’accroît au fur et à mesure que la
Lumière s’approche davantage du domaine de la terre et de la matière. Si je crois à la probabilité et
non seulement à la possibilité de la Descente du Supramental, et si j’en suis pratiquement certain (je
ne fixe pas de date), c’est simplement parce que j’ai mes raisons pour y croire et non pas simplement
une foi en l’air. Je sais que la Descente du Supramental est inévitable – j’ai foi, en raison de mes
expériences, que le moment peut et doit être arrivé, et que ce n’est pas pour une époque ultérieure…
mais même si je savais que c’est pour plus tard, je ne m’écarterais pas de mon chemin, je ne serais
pas découragé et je ne mollirais pas dans mon travail. Cela aurait pu se produire autrefois, mais pas
maintenant, pas après tout le chemin que j’ai parcouru. Lorsqu’on est sûr de la Vérité, ou même
lorsqu’on croit que la chose à laquelle on vise est la seule solution possible, on ne pose pas comme
condition le succès immédiat ; on marche vers la Lumière en acceptant tous les risques de l’aventure
comme en valant la peine, et on leur fait face. Néanmoins, tout comme vous, c’est maintenant et dans
cette vie-ci que je le veux, non pas dans une autre vie ni dans l’au-delà. (II, 56)

46. – La croyance dans le Divin, la grâce, le yoga, le gourou, etc. n’est pas un a priori, car elle
repose sur une grande masse d’expérience humaine qui s’est accumulée au cours des siècles et des
millénaires, ainsi que sur la perception intuitive personnelle. Pour cette raison, c’est une perception
intuitive qui a été confirmée par l’expérience de centaines et de milliers de gens qui l’ont vérifiée
avant moi. (II, 225 sq.)

47. – Lorsqu’on pénètre dans la conscience vraie (yoguique) on voit que tout peut être fait,
même si pour le moment il n’y a eu qu’un léger commencement, mais un commencement suffit puisque
la force et la puissance sont présentes. Le succès ne dépend pas réellement de la capacité de la nature
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extérieure (car pour la nature extérieure tout dépassement de soi semble difficile et impossible), mais
de l’être intérieur, et pour l’être intérieur tout est possible. Il suffit d’entrer en contact avec l’être
intérieur et de transformer, de l’intérieur, la vision et la conscience externes ; c’est le travail de la
sâdhanâ, et avec de la sincérité, de l’aspiration et de la patience, cela se produira certainement. (II,
176)

48. – La vie intérieure est toujours possible s’il y a, présente dans la nature (si couverte soit-
elle par d’autres choses) une possibilité divine à travers laquelle l’âme peut se manifester et
construire sa propre vraie forme dans le mental et la vie – une portion du Divin. (III, 281)

49. – La meilleure façon de répondre à votre lettre sera, je crois, de prendre séparément les
questions qu’elle soulève. Je commencerai par la conclusion que vous tirez : l’impossibilité pour une
nature non-orientale de s’adonner au yoga.
Je ne vois rien qui justifie une telle conclusion ; elle irait à l’encontre de tout ce qu’indique
l’expérience. Tout au long des siècles, les Européens ont pratiqué, avec succès, des disciplines
spirituelles qui s’apparentaient au yoga oriental ; ils ont aussi suivi des chemins de la vie intérieure
qui leur venaient d’Orient ; leur nature non orientale ne les a pas gênés. La méthode et les
expériences de Plotin et des mystiques européens qui se sont inspirés de lui étaient identiques, on l’a
démontré récemment, aux méthodes et expériences d’un certain type de yoga indien. En particulier,
depuis l’introduction du Christianisme, les Européens ont suivi ses disciplines mystiques qui ne font
qu’un, dans leur essence, avec celles de l’Asie – si différentes qu’aient pu être leurs formes, leurs
noms, leurs symboles. S’il s’agit du yoga hindou lui-même et de ses formes caractéristiques, là aussi
l’expérience nie la prétendue incapacité. Dans l’antiquité, Grecs et Scythes en Occident, de même
que Chinois, Japonais et Cambodgiens en Orient, ont suivi sans difficulté les disciplines bouddhiques
et hindoues ; à l’heure actuelle, un nombre croissant d’Occidentaux s’adonnent au Védântisme, au
Vishnouïsme ou à d’autres pratiques spirituelles hindoues, et cette objection d’incapacité ou
d’inaptitude n’a jamais été formulée, ni du côté des disciples ni du côté du Maître. Je ne vois pas non
plus pourquoi il y aurait un fossé aussi infranchissable, car il n’y a pas de différence essentielle entre
la vie spirituelle occidentale et la vie spirituelle orientale ; toute la différence qu’il y ait jamais eue a
toujours été dans les noms, les formes, les symboles ou bien dans l’accent mis sur tel ou tel but
particulier ou sur tel ou tel aspect de l’expérience psychologique. Même là on allègue souvent des
différences qui n’existent pas ou ne sont pas aussi grandes qu’il semble. J’ai vu un écrivain chrétien
(qui ne semble pas partager les objections de votre ami A quant à ces petites distinctions
scolastiques) prétendre que la pensée et la vie spirituelle hindoues ne reconnaissaient et ne
recherchaient que le Transcendant et négligeaient l’Immanent, tandis que le Christianisme donne leur
71
place aux deux aspects. Mais en fait, même si, en définitive, la spiritualité hindoue a mis l’accent
final sur le Suprême au-delà de la forme et du nom, elle a néanmoins largement reconnu et admis le
Divin immanent dans le monde et le Divin immanent dans l’être humain. Il est vrai que la spiritualité
hindoue a, derrière elle, une connaissance plus vaste et plus détaillée. Elle a suivi des centaines de
voies différentes, admis toutes les sortes de voies d’approche au Divin, et ainsi elle a été capable de
pénétrer dans des domaines situés en dehors du rayon plus restreint de la pratique occidentale. Mais
cela n’entraîne aucune différence quant à l’essentiel – et c’est l’essentiel seul qui compte.
Vous semblez expliquer l’attitude qu’ont beaucoup d’Occidentaux à pratiquer le yoga hindou par
le fait qu’ils ont un tempérament hindou dans un corps européen ou américain. De même que,
intérieurement, Gandhi est un moraliste occidental et un chrétien, dites-vous, de même les autres
membres non orientaux de l’âshram sont essentiellement hindous dans leur attitude. Mais qu’est
exactement cette attitude hindoue ? Personnellement, je n’ai rien vu en eux qui réponde à cette
description, et la Mère non plus.
Ma propre expérience contredit totalement votre explication. J’ai très bien connu Sœur
Nivédita 6 (elle fut pour moi, durant de nombreuses années, une amie et une camarade dans le
domaine politique) et j’ai rencontré Sœur Christine – les deux disciples européennes les plus proches
de Vivekânanda. Toutes deux étaient occidentales jusqu’à la moelle et n’avaient rien du tout de
l’attitude hindoue ; bien que Sœur Nivédita, une Irlandaise, possédât, grâce à une sympathie intense,
le pouvoir de pénétrer le mode de vie des gens qui l’entouraient, sa propre nature demeura, jusqu’au
bout, non orientale. Et pourtant elle n’éprouva aucune difficulté à parvenir à la réalisation en suivant
les voies du Védânta. Ici, dans cet âshram, j’ai trouvé ceux de ses membres qui viennent de l’Ouest
(j’inclus tout particulièrement ceux qui sont ici depuis le plus longtemps) typiquement occidentaux
avec toutes les qualités et aussi toutes les difficultés du mental et du tempérament occidentaux ; ils ont
eu à faire face à leurs propres difficultés tout comme les membres indiens ont été obligés de lutter
contre les limites et les obstacles créés par leur tempérament et leur formation. Sans doute, ils ont
accepté, en principe, les conditions du yoga, mais ils n’avaient pas une attitude hindoue lorsqu’ils
sont arrivés et je ne crois pas qu’ils aient essayé d’en prendre une. Pourquoi le feraient-ils ? Ce qui
importe, fondamentalement, dans le yoga, ce n’est pas l’attitude hindoue ou occidentale, mais la
disposition, psychique et l’impulsion spirituelle – qui sont les mêmes partout.
Après tout, quelles sont, du point de vue yoguique, les différences entre un sâdhak indien et un
sâdhak occidental de naissance ? Vous dites que pour l’hindou son yoga est déjà à moitié fait –
d’abord parce que son psychique est ouvert beaucoup plus directement au Divin transcendant. En
laissant de côté l’adjectif (car il n’y en a pas beaucoup qui, par nature, sont attirés vers le
transcendant – la plupart recherchent plus volontiers le personnel, le Divin immanent ici-bas, surtout
s’ils peuvent le trouver dans un corps humain), il y a, certes, là un avantage. Cela provient tout
simplement de ce que dans l’Inde une atmosphère de recherche spirituelle et une longue tradition de
pratique et d’expérience ont largement survécu, tandis72 qu’en Europe cette atmosphère s’est perdue, la
tradition a été interrompue et toutes deux doivent être reconstruites. Il y a aussi l’absence de ce doute
« essentiel » qui pèse tellement sur le mental des Européens et, pourrait-on dire aussi, des hindous
européanisés, ce qui n’empêche pas que soit très active, chez le sâdhak hindou, une espèce de doute
de nature pratique et très opérante. Mais quand vous parlez d’indifférence envers le prochain pour
tout ce qui est plus profond, je ne vois pas ce que vous voulez dire. D’après ma propre expérience,
l’attachement aux personnes – mère, père, femme, enfants, amis – dû, non pas à un sentiment du
devoir ou à des rapports sociaux, mais à des liens affectifs profonds, est tout aussi puissant qu’en
Europe, et souvent même plus intense. C’est une des plus grandes forces perturbatrices sur la voie ;
certains se laissent retenir, d’autres (même chez les sâdhaks avancés) ne parviennent pas à en
débarrasser leur sang et leur fibre vitale. La tendance à établir des liens « spirituels » ou
« psychiques » – recouvrant très souvent un mélange vital qui les détourne du seul but important – est
une caractéristique courante et persistante. Il n’y a là aucune différence entre la nature humaine
orientale et occidentale ; seulement l’enseignement dans l’Inde est, depuis fort longtemps, que tout
doit être tourné vers le Divin, et que tout le reste doit être sacrifié ou changé en un mouvement
subordonné et accessoire ou bien, par sublimation, devenir un simple premier pas vers la recherche
du Divin. Certes, cela aide le sâdhak indien, sinon à donner tout son cœur du premier coup, du moins
à s’orienter plus complètement vers son but. Ce n’est pas toujours pour lui le Divin seul (bien que
cela soit considéré comme le stade le plus élevé), mais il prend facilement pour idéal le Divin par-
dessus tout et avant tout.
Dans sa façon d’aborder le yoga – tout au moins ce yoga-ci – le sâdhak hindou a des difficultés
qui lui sont propres et qu’un Occidental éprouve à un degré moindre. Les difficultés propres à la
nature occidentale sont nées de la tendance dominatrice qu’a montrée le mental européen dans le
passé immédiat. Le doute fondamental et la réserve sceptique sont plus prompts à se manifester,
l’habitude de l’activité mentale est une nécessité du caractère, ce qui rend plus difficile la réalisation
d’un silence mental complet ; un attrait plus fort vers les choses extérieures, par suite d’une vie
pleinement active (tandis que l’Indien souffre généralement de défauts provoqués plutôt par la
dépression ou le refoulement des forces vitales) ; l’habitude d’une affirmation de soi-même, mentale
et vitale, et parfois une indépendance agressivement vigilante qui rend difficile toute entièreté dans
l’abandon intérieur, même à une Lumière et une Connaissance plus grandes, et même à l’influence
divine. Ce sont là des entraves fréquentes. Mais ils ne sont pas présents chez tous les Occidentaux et,
d’autre part, ils se trouvent aussi chez de nombreux sâdhaks indiens. Tout comme les difficultés de la
nature typiquement indienne, ce sont des formations de superstructure qui ne font pas partie de la
fibre même de l’être. Ils ne peuvent, de façon permanente, barrer la route à l’âme si l’aspiration de
celle-ci est forte et inébranlable, si le but spirituel est le principal dans la vie. Ce sont des obstacles
que le feu intérieur peut facilement consumer si la volonté de s’en débarrasser est forte, et que de
toutes façons il finira par consumer, bien que moins aisément, et même si la nature extérieure s’y
73
accroche et les justifie, à condition que ce feu, cette volonté centrale, cette impulsion plus profonde
soit derrière tout, réel et sincère.
Votre conclusion sur l’incapacité des non-orientaux pour le yoga hindou résulte de ce que vous
vous laissez trop déprimer par un sens aigu de vos propres difficultés ; vous n’avez pas vu celles,
tout aussi grandes, qui ont troublé les autres ou les troublent encore. La voie du yoga ne peut être
plane et facile ni pour l’Indien ni pour l’Européen ; leur nature humaine commune les en garde bien.
À chacun les difficultés qui lui sont propres paraissent énormes, radicales, incurables même par leur
continuité et leur persistance ; elles conduisent à de longues périodes de découragement et à des
crises de désespoir. C’est à peine s’il est donné à deux ou trois individus sur cent d’avoir assez de
foi ou de vision psychique pour réagir immédiatement ou presque immédiatement et empêcher ces
attaques. Mais on ne devrait pas se cantonner dans l’idée fixe de sa propre incapacité ni la laisser
devenir une obsession, car une telle attitude n’a aucune justification valable et elle rend le chemin
plus difficile sans aucune utilité. Lorsque l’âme s’est une fois éveillée, on est certainement capable,
intérieurement, de surmonter les défauts superficiels, et finalement, de triompher.
Si votre conclusion était juste, tout le but de ce yoga serait chose vaine ; car nous ne travaillons
pas pour une race, un peuple ou un continent, ni pour une réalisation dont les Indiens ou les
Occidentaux seraient seuls capables. Notre but n’est pas, non plus, de fonder une religion ou une
école de philosophie ou une école de yoga, mais de créer un terrain et un moyen de développement et
d’expérience spirituels, un moyen de faire descendre une vérité plus grande située au-delà du mental,
mais non point inaccessible à l’âme et à la conscience humaines. Tous ceux qui sont attirés vers cette
vérité peuvent passer par là, qu’ils soient de l’Inde ou d’ailleurs, d’Orient ou d’Occident. Tous
risquent de trouver de grandes difficultés dans leur nature humaine, individuelle ou commune ; mais
ce n’est pas leur origine physique ou leur tempérament racial qui peut être un obstacle insurmontable
à leur délivrance. (III, 43-50)

50. – Vous écrivez comme si, dès qu’on a quelque expérience ou réalisation spirituelles de
quelque sorte, on devait devenir immédiatement une personne parfaite sans défauts ni faiblesses.
C’est là une exigence qu’il est impossible de satisfaire ; c’est ne pas tenir compte du fait que la vie
spirituelle est une croissance et non un miracle soudain et inexplicable. Nul sâdhak ne peut être jugé
comme s’il était déjà un siddha-yogin, et surtout ceux qui n’ont encore fait qu’un quart ou même
moins d’une très longue route. Même les grands yogins ne prétendent pas être parfaits, et vous ne
pouvez pas dire que parce qu’ils ne sont pas absolument parfaits leur spiritualité est fausse ou sans
utilité pour le monde. En outre il y a toutes sortes d’hommes spirituels : certains se satisfont de
l’expérience spirituelle et ne cherchent pas une perfection ou un progrès extérieurs, certains sont des
saints, d’autres ne cherchent pas la sainteté, d’autres se contentent de vivre dans la conscience
74
cosmique en contact ou en union avec le Tout mais permettent à toutes sortes de forces de voler à
travers eux, comme par exemple dans la description typique du Paramahamsa. L’idéal que j’ai offert
à notre yoga est une chose, mais il n’oblige pas toute vie et tout effort spirituels. La vie spirituelle
n’est pas une chose qui puisse être formulée dans une définition rigide ou liée par une règle mentale
fixe ; c’est un vaste champ d’évolution, un immense royaume potentiellement plus grand que les
autres royaumes au-dessous de lui, avec cent provinces, mille types, étapes, formes, sentiers,
variations de l’idéal spirituel, degrés d’avancement spirituel. C’est sur la base de cette vérité qu’il
faut juger des choses concernant la spiritualité et de ceux qui la cherchent, si l’on veut juger avec
connaissance. C’est seulement en comprenant ainsi qu’on peut vraiment comprendre la spiritualité
dans son passé ou son avenir et mettre à leur place les hommes spirituels du passé et du présent et
relier les différents idéals, stades, etc. qui surgissent dans l’évolution spirituelle de l’être humain. (II,
212 sq.)

75
E. – Généralités

51. – Chaque plan de notre être – mental, vital, physique – a sa propre conscience séparée, bien
que toutes soient reliées entre elles et agissent l’une sur l’autre. Mais pour notre mental extérieur et
nos sens externes, dans notre expérience à l’état de veille, elles sont toutes confondues. Le corps, par
exemple, a sa propre conscience et agit par elle, même sans volonté mentale de notre part, ou même
contre cette volonté. Le mental de surface sait fort peu de choses de cette conscience du corps, il ne
la sent que de façon imparfaite, il en voit seulement les résultats et il a la plus grande difficulté à en
découvrir les causes. Il est du domaine du yoga de se rendre compte de cette conscience – séparée –
du corps, d’en voir et d’en sentir les mouvements, ainsi que les forces qui agissent sur elle de
l’intérieur ou de l’extérieur, d’apprendre aussi à la maîtriser et à la diriger, même dans ses processus
les plus cachés et (pour nous) subconscients. Mais la conscience du corps n’est elle-même qu’une
partie de la conscience physique individualisée qui est en nous, que nous groupons et édifions avec
les forces secrètement conscientes de la Nature physique universelle.
Il y a la conscience physique universelle de la Nature et il y a la nôtre, qui en fait partie, qui est
mue par elle, et qui est utilisée par l’être central comme soutien de son expression dans le monde
physique, pour traiter directement aussi avec tous ces objets, mouvements et forces extérieurs. Ce
plan de conscience physique reçoit des autres plans leurs puissances et leurs influences et en fait des
formations dans son propre domaine. Aussi avons-nous un mental physique aussi bien qu’un mental
vital et le mental proprement dit ; nous avons en nous une partie physique-vitale, l’être nerveux, aussi
bien que le vital proprement dit ; et tous deux sont largement déterminés par la partie corporelle
matérielle grossière qui, dans notre expérience, est presque entièrement subconsciente.
Le mental physique est ce qui se fixe sur les objets et événements physiques, ne voit et ne
comprend qu’eux, et les traite selon leur propre nature, mais éprouve de la difficulté à répondre aux
forces supérieures. Laissé à lui-même, il est sceptique quant à l’existence des choses supraphysiques,
dont il n’a aucune expérience directe et auxquelles il ne trouve pas de clé ; même lorsqu’il a des
expériences spirituelles, il les oublie facilement, en perd l’impression et le résultat et trouve difficile
d’y croire. Éclairer le mental physique par la conscience des plans supérieurs spirituels et
supramentaux est un des objets de notre yoga – tout comme éclairer ce mental physique par la
puissance des éléments vitaux supérieurs et mentaux supérieurs de l’être constitue la majeure partie
du développement humain, de la civilisation et de la culture.
Le physique vital, au contraire, est le véhicule des réactions nerveuses de notre nature
physique ; il est le champ et l’instrument des moindres sensations, désirs, réactions de toutes sortes
aux excitations de la vie physique extérieure et matérielle grossière. Cette partie physique vitale
(soutenue par la partie la plus basse du vital proprement dit) est par conséquent l’agent de la plupart
des moindres mouvements de notre vie extérieure ; ses réactions habituelles et ses mesquineries
76
obstinées sont la principale pierre d’achoppement sur la voie de la transformation de la conscience
extérieure par le yoga. Elle est aussi largement responsable de la majeure partie de la souffrance et
de la maladie, mentales et corporelles, auxquelles le corps physique est sujet dans la Nature.
Quant à la partie matérielle grossière, il n’est pas nécessaire d’en spécifier le siège, car la
chose est évidente ; mais il faut se souvenir qu’elle a aussi une conscience à soi, la conscience
obscure propre aux membres, aux cellules, aux tissus, aux glandes, aux organes. Rendre cette
obscurité lumineuse et en faire un instrument direct des plans supérieurs et du mouvement divin est ce
que nous entendons dans notre yoga par « rendre le corps conscient », c’est-à-dire l’emploi d’une
conscience vraie, éveillée, réagissante au lieu de sa propre demi-conscience obscure et limitée.
Dans tout notre être, à tous ses niveaux, il y a une conscience intérieure aussi bien qu’une
conscience extérieure. L’homme ordinaire n’est conscient que de son moi de surface, il est tout à fait
inconscient de tout ce qui est caché par la surface. Et pourtant ce qui est à la surface, ce que nous
savons ou pensons savoir de nous-même – et nous croyons même que c’est là tout ce que nous
sommes – n’est qu’une petite partie de notre être, alors que de loin la majeure partie de nous est au-
dessous de la surface, ou, pour parler plus exactement, derrière la conscience de surface, derrière le
voile, occulte et connue seulement par une science occulte. La psychologie moderne et la science
psychique ont commencé d’apercevoir un peu cette vérité. La psychologie matérialiste appelle cette
partie cachée l’Inconscient, tout en admettant pratiquement qu’elle est beaucoup plus grande, plus
puissante et plus profonde que le moi conscient de surface – à peu près comme les Upanishads
appelaient le supraconscient en nous le Soi du sommeil, tout en disant que ce Soi du sommeil est une
Intelligence infiniment plus grande, omnisciente, omnipotente, Prajnâ, l’Ishvara. La science psychique
appelle cette conscience cachée le moi subliminal, et là aussi on s’aperçoit que ce moi subliminal a
plus de pouvoir, plus de connaissance, un plus libre champ d’action que le moindre moi qui est à la
surface. Mais la vérité, c’est que tout ce qui est derrière, cet océan dont notre conscience de veille
n’est qu’une vague ou une série de vagues, ne saurait être décrit par un seul terme, car c’est très
complexe. Une partie en est subconsciente, au-dessous de notre conscience de veille, une partie est
de niveau avec elle, mais par-derrière et beaucoup plus grande qu’elle, une partie est au-dessus et
pour nous supraconsciente. Ce que nous appelons notre mental n’est qu’un mental extérieur, une
action mentale de surface, instrumental pour l’expression partielle d’un mental plus vaste, derrière,
dont nous ne sommes généralement pas conscients, et que nous ne pouvons connaître qu’en pénétrant
au dedans de nous-même. De même aussi, ce que nous connaissons du vital en nous n’est que le vital
extérieur, une activité de surface exprimant partiellement un vital secret plus vaste – que nous ne
pouvons connaître qu’en allant à l’intérieur. Également ce que nous appelons notre être physique n’est
qu’une projection visible d’une conscience physique invisible plus vaste et plus subtile qui est
beaucoup plus complexe, beaucoup plus éveillée, plus vaste dans sa réceptivité, beaucoup plus
ouverte et plastique et libre.
77
C’est seulement si vous comprenez cette vérité et si vous en acquérez l’expérience que vous
pourrez comprendre ce que l’on entend par la conscience mentale intérieure, vitale intérieure,
physique intérieure. Mais il faut observer que ce terme intérieur est utilisé dans deux sens différents.
Parfois il désigne la conscience qui est derrière le voile de l’être extérieur, le mental ou vital ou
physique au-dedans, qui est en contact direct avec le mental universel, les forces de vie universelles,
les forces physiques universelles. Parfois au contraire nous entendons un mental ou vital ou physique
le plus intérieur, appelé plus exactement le vrai mental, le vrai vital, la vraie conscience physique,
qui est plus proche de l’âme et qui peut le plus facilement, le plus directement réagir à la Lumière et
la Puissance divines. Aucun vrai yoga n’est possible, et encore moins un yoga intégral, si nous ne
revenons pas de notre moi extérieur pour prendre conscience de tout cet être intérieur et cette nature
intérieure. Alors seulement nous pouvons en effet briser les limitations du moi extérieur ignorant –
qui ne reçoit consciemment que les contacts extérieurs, qui connaît les choses indirectement par le
mental et les sens extérieurs – et devenir conscients directement de la conscience universelle et des
forces universelles qui jouent à travers nous et autour de nous. Alors seulement aussi pouvons-nous
espérer être directement en contact avec la Lumière divine et la Force divine. Autrement nous ne
pouvons sentir le Divin qu’à travers les signes extérieurs et les résultats extérieurs, ce qui est une
voie difficile et incertaine, très occasionnelle et inconstante, ne conduisant qu’à la croyance et non à
la connaissance, ni à la conscience directe de la présence constante.
Je puis vous donner deux exemples de cette différence, provenant des deux pôles opposés
d’expérience, l’un tiré des phénomènes les plus extérieurs, montrant comment ce qui est tourné vers
le dedans s’ouvre à la conscience des forces universelles, l’autre tiré de l’expérience spirituelle
indiquant comment ce qui est tourné vers l’intérieur s’ouvre au Divin. Prenez la maladie. Si nous ne
vivons que dans la conscience physique tournée vers l’extérieur, nous savons généralement que nous
allons être malade seulement quand les symptômes de la maladie se manifestent dans le corps. Mais
si nous développons la conscience physique tournée vers l’intérieur, nous prenons conscience d’une
atmosphère physique subtile qui nous entoure et nous pouvons sentir les forces de maladie qui se
dirigent vers nous à travers elle, nous pouvons même les sentir à une certaine distance et nous
pouvons, si nous avons appris à le faire, les arrêter par la volonté ou autrement. Nous sentons aussi
autour de nous une enveloppe physique vitale ou nerveuse qui irradie du corps et le protège et nous
pouvons sentir les forces adverses qui s’efforcent de la percer ; nous pouvons intervenir, les arrêter
ou renforcer l’enveloppe nerveuse. Ou encore nous pouvons sentir les symptômes de la maladie,
fièvre ou rhume par exemple, dans le fourreau physique subtil avant qu’ils ne soient manifestés dans
le corps grossier et les détruire dans ce fourreau, les empêcher de se manifester dans le corps.
Prenez maintenant l’appel au Pouvoir, à la Lumière, à l’Ananda divins. Si nous vivons
seulement dans la conscience physique dirigée vers l’extérieur, ce Divin peut descendre et travailler
derrière le voile, mais nous ne sentirons rien et nous n’en verrons les résultats que beaucoup plus
tard. Tout au plus pourrons-nous ressentir une certaine
78 clarté et une certaine paix dans le mental, une
joie dans le vital, un état heureux dans le physique et en conclure qu’il y a eu contact avec le Divin.
Mais si nous sommes éveillés dans le physique, nous sentirons la Lumière, la Puissance ou l’Ananda
couler dans le corps, les membres, les nerfs, le sang, le souffle, et affecter, par l’intermédiaire du
corps subtil, les cellules les plus matérielles, les rendre conscientes et bienheureuses – nous
sentirons directement la Présence et la Puissance divines. Ce ne sont que deux cas entre mille qui
sont possibles et dont le sâdhak peut avoir constamment l’expérience.
L’individu n’est pas limité au corps physique ; seule la conscience extérieure a ce sentiment.
Dès que l’on dépasse cette sensation de limitation, on peut sentir d’abord la conscience intérieure qui
est reliée au corps sans lui appartenir, ensuite les plans de conscience qui sont au-dessus du corps, et
également une conscience qui enveloppe le corps mais fait partie de nous, fait partie de l’être
individuel, et par laquelle on est en contact avec les forces cosmiques et avec d’autres êtres. C’est
cette dernière que j’ai appelée la conscience du milieu. (I, 135-141)

52. – Si la conscience shankarienne du Brahman comme Conscience pure indifférenciée est


celle que vous avez, alors ce n’est pas la voie de notre yoga que vous devriez choisir, car ici la
réalisation de la Conscience pure, de l’Être pur n’est qu’un premier pas et n’est pas le but. Mais une
poussée créatrice intérieure qui vient du dedans ne peut pas trouver place dans une Conscience
indifférenciée – toute action et toute création doivent nécessairement lui être étrangères.
Je ne fais pas reposer mon yoga sur la base insuffisante que le Soi (et non l’âme) est
éternellement libre. Cette affirmation ne conduit à rien au-delà d’elle-même ; ou, si on l’utilise
comme point de départ, elle pourrait également bien conduire à la conclusion qu’action et création
n’ont ni sens ni valeur. La question n’est pas là, mais dans ce que signifie la création – s’il y a un
Suprême qui n’est pas simplement Conscience et Être à l’état indifférencié pur, mais aussi source et
soutien de l’énergie dynamique de création, et si l’existence cosmique a pour Lui un sens et une
valeur. Problème qui ne saurait être tranché par la logique métaphysique portant sur des mots et des
idées, mais par une expérience spirituelle qui passe au-delà du mental et pénètre dans les réalités
spirituelles. Chaque mental est satisfait de son propre raisonnement, mais pour des fins spirituelles
cette satisfaction n’est pas valable, si ce n’est comme indication de la mesure et de la direction dans
lesquelles chacun est disposé à avancer dans le domaine de l’expérience spirituelle. Si votre
raisonnement vous conduit vers l’idée shankarienne du Suprême, cela pourrait être une indication que
votre voie est l’advaïta Védânta (mâyâvâda).
Notre yoga reconnaît la valeur de l’existence cosmique et la tient pour une réalité ; son but est
de pénétrer en une Conscience-vérité plus haute, en une Conscience supramentale divine où action et
création sont l’expression, non pas de l’ignorance et de l’imperfection, mais de la Vérité, de la
Lumière, du divin Ananda. Or, pour cela, le don du mental, de la vie et du corps mortels à cette
79
Conscience supérieure est indispensable, car il est trop difficile pour l’être humain mortel de passer
par ses propres efforts au-delà du mental et d’atteindre à une conscience supramentale où le
dynamisme n’est plus mental, mais d’une tout autre puissance. Seuls devraient s’engager dans notre
yoga ceux qui peuvent accueillir l’appel à une telle transformation. (I, 46 sq.)

53. – L’union doit bien être réalisée d’abord dans l’expérience psycho-spirituelle intérieure,
parce que sans cela rien de vrai ou de durable ne peut se faire, mais il doit y avoir aussi une
réalisation du Divin dans la vie et la conscience extérieures, dans les plans vitaux et physiques selon
leur propre directive essentielle. (II, 244 sq.)

54. – Cela se réfère à un certain stade où la conscience est quelquefois active et où, lorsqu’elle
ne l’est pas, elle se retire en elle-même. Ensuite vient un stade où l’état de Sachchidânanda se trouve
aussi dans le travail. Il y a encore un état plus avancé où tous deux ne font pour ainsi dire qu’un, mais
c’est le Supra-mental. Les deux états sont le Brahman silencieux et le Brahman actif qui peuvent
alterner (premier stade), coexister (deuxième stade), se fondre (troisième stade)…
La réalisation la plus haute, Sachchidânanda, peut certainement se réaliser dans les œuvres. Bon
Dieu ! Comment le yoga intégral pourrait-il exister s’il n’en était pas ainsi ? (II, 98)

55. – Les réalisations fondamentales de notre yoga sont :


(1) le changement psychique, de sorte qu’une dévotion complète puisse être le principal mobile
du cœur et la force dominante de la pensée, de la vie et de l’action en union constante avec la
Mère et en sa présence ;
(2) la descente de la Paix, du Pouvoir, de la Lumière, etc. de la Conscience supérieure à travers
la tète et le cœur jusque dans tout l’être, où elle occupe les cellules mêmes du corps ;
(3) la perception de l’Un et du Divin infiniment partout, de la Mère partout, et la vie dans cette
conscience infinie. (II, 72)

56. – C’est là le double fondement du yoga : la descente de la Conscience supérieure avec sa


paix, sa liberté et sa sérénité venant d’en haut, et l’ouverture du psychique qui maintient tout l’effort
et tout le mouvement spontané tournés vers le vrai but. (I, 178)

*
80
57. – Ce qu’il faut surmonter, c’est l’Ignorance qui nous rend aveugles et qui nous empêche de
réaliser Brahman dans le monde aussi bien qu’au-delà du monde, et de réaliser la vraie nature de
l’existence. (II, 7)

58. – Vivre dans la conscience vraie, c’est vivre dans un état de conscience qui comporte, d’une
façon ou d’une autre, une union spirituelle avec le Divin. Mais cela ne veut pas dire qu’en vivant de
la sorte on obtienne la vérité complète, exacte et infaillible sur tout acte, toute chose et toute
personne. (III, 12 sq.)

59. – Par réalisation divine, il faut entendre la réalisation spirituelle – la réalisation du Moi, de
Bhagavân ou du Brahman sur le plan mental-spirituel ou encore sur le plan supramental. C’est là une
chose (la mentale-spirituelle en tout cas) que des milliers ont atteinte. Aussi est-ce évidemment plus
simple à faire que la supramentale. D’ailleurs, nul ne peut avoir la réalisation supramentale qui n’a
pas eu la réalisation spirituelle. Il est vrai que ni l’une ni l’autre ne peut être obtenue de façon
effective sans que l’être tout entier soit tourné vers elle – sans qu’il y ait un esprit réel et très sérieux
et une réalité dynamique de la sâdhanâ… Je n’ai certainement aucune objection à ce que n’importe
qui désire le supramental. Mais il y a des conditions. Il faut d’abord vouloir la Volonté divine,
l’abandon de l’âme et la réalisation spirituelle (par les œuvres, la bhakti, la connaissance, la
perfection de soi) en cours de route… (II, 42 sq.)

60. – La réalisation du Suprême, d’Ishvara, est certainement la chose essentielle ; mais


l’approcher avec amour, dévotion et bhakti. Le servir par nos œuvres et Le connaître, non pas
nécessairement par la cognition intellectuelle, mais par une expérience spirituelle est aussi essentiel
dans la voie du Yoga intégral. (III, 29)

61. – Quant au changement de nature, le premier pas consiste à prendre conscience de


l’ancienne nature de surface et à s’en séparer. En effet, cette nature rajasique vitale est une création
superficielle de Prakriti, elle n’est pas l’être vrai. Si tenace qu’elle paraisse, elle n’est qu’une
combinaison éphémère de mouvements vitaux. Derrière est l’être mental et vital vrai, soutenu par le
psychique. L’être vrai est calme, vaste, paisible. En se retirant et en se séparant, on crée la possibilité
de vivre dans la paix de ce purusha intérieur et de ne plus s’identifier avec la prakriti de surface.
81
Ensuite il sera beaucoup plus facile de changer par la force de la perception psychique, par la Paix,
la Puissance et la Lumière qui viennent d’au-dessus de l’être superficiel. (I, 236)

62. – La première nécessité est la libération : vivre en paix, silence, pureté, liberté du Moi. À
côté de cela ou après, si l’on s’éveille à la conscience cosmique, on peut être libre et pourtant un
avec toutes choses.
Il est possible d’avoir la conscience cosmique sans la libération, mais alors il n’y a pas
d’affranchissement de la nature physique nulle part dans l’être et l’on peut, dans sa conscience
étendue, devenir le terrain de jeux de toutes sortes de forces sans que l’on puisse être libre ni maître.
Si au contraire il y a une réalisation du Moi, c’est une partie de l’être qui reste intouchée dans le
jeu des forces cosmiques, tandis que si la paix et la pureté du Moi ont été établies dans la conscience
intérieure tout entière, les touchers extérieurs de la nature inférieure ne peuvent plus intervenir ni
dominer. C’est l’avantage qu’il y a à ce que la réalisation du Moi vienne précéder la conscience
cosmique et la soutienne. (II, 95)

63. – Non, le Supramental n’est pas descendu dans le corps ni dans la Matière, mais il en est au
point où une telle descente est devenue non seulement possible, mais inévitable. Je parle
naturellement de ma propre expérience. Mais comme mon expérience est le centre et la condition de
tout le reste, cela suffit pour la promesse.
Ma difficulté provient de ce que vous semblez tous attendre une sorte de transformation
miraculeuse, comme dans les contes de fées, et que vous ne vous rendez pas compte que le but de ma
sâdhanâ est une évolution rapide et concentrée, qu’il doit y avoir pour cela un processus, une action
du supérieur dans l’inférieur et des rapports avec tous les intervalles nécessaires ; ce n’est pas un
brusque coup de baguette de création par lequel toutes choses sont faites à une date donnée. C’est un
processus supramental, mais non irrationnel. Ce qui doit se faire se produira – peut-être même
brusquement – mais selon le mode du travail pratique, et non comme un conte de fées. (II, 66)

64. – Le Véda et le Védânta sont un côté de l’unique Vérité ; le Tantra qui insiste sur la Shakti en
est un autre. Dans notre yoga tous les aspects de la Vérité sont embrassés, non pas dans les formes
systématiques qui leur étaient données autrefois, mais dans leur essence, et y sont portés à leur
signification la plus pleine et la plus haute. Mais le Védânta traite davantage des principes et de
l’essentiel de la connaissance divine, et c’est pourquoi beaucoup de sa connaissance et de son
expérience spirituelles a été incorporé dans l’Arya.
82
Le Tantra traite davantage des formes, des
processus et des pouvoirs organisés. Tout cela ne pouvait pas être repris tel quel, car le yoga intégral
a besoin de créer ses propres formes et processus, mais l’ascension de la conscience à travers les
centres et les autres connaissances tantriques y sont derrière le processus de transformation auquel je
donne une si grande importance – et aussi la vérité que rien ne peut se faire sauf par la force de la
Mère.
Le processus de la kundalinî 7 éveillée qui s’élève à travers les centres, comme aussi la
purification de ces centres, est une connaissance tantrique. Dans notre yoga, il n’y a pas de processus
voulu de purification et d’ouverture des centres, il n’y a pas non plus d’élévation de la kundalinî par
un processus fixé. Nous utilisons une autre méthode, mais il y a néanmoins la montée de la conscience
à partir des différents niveaux et à travers eux pour aller rejoindre la conscience supérieure au-
dessus ; il y a l’ouverture des centres et des plans (mental, vital, physique) que ces centres dirigent ;
il y a aussi la descente qui est la clé principale de la transformation spirituelle. C’est pourquoi il y a,
comme je l’ai dit, une connaissance tantrique derrière le processus de transformation dans notre yoga.
(II, 21 sq.)

65. – Il y a pour le sâdhak trois possibilités principales : (1) attendre la grâce et compter sur le
Divin ; (2) tout faire lui-même, comme l’advaïtiste et le bouddhiste ; (3) prendre le sentier du milieu,
aller de l’avant par l’aspiration et le rejet, etc., avec l’aide de la Force. (II, 195)

66. – Vous connaissez les trois choses que la réalisation doit prendre pour base : (1) l’élévation
à une position au-dessus du mental et l’ouverture de la conscience cosmique ; (2) l’ouverture
psychique ; (3) la descente de la conscience supérieure avec sapaix, sa lumière, sa force, sa
connaissance, son ânanda, etc., jusque dans tous les plans de l’être, jusqu’au plus physique. (II, 71)

67. – Quant au moyen dont vous parlez pour sortir de l’impasse, je ne connais que l’apaisement
du mental qui rend la méditation efficace, la purification du cœur qui amène le toucher divin et, avec
le temps, la présence divine, l’humilité devant le Divin qui nous délivre de l’égoïsme et de l’orgueil
du mental et du vital (l’orgueil qui impose ses propres raisonnements aux voies de l’Esprit, et
l’orgueil qui refuse de se rendre ou ne le peut pas), la persistance soutenue dans l’appel intérieur et
la confiance en la Grâce au-dessus. Méditation, japa, prière ou aspiration du cœur peuvent tous
réussir s’ils sont accompagnés de ces choses, ou tout au moins de certaines d’entre elles. Je crois
pleinement que celui qui a en lui l’appel ne peut pas ne pas arriver s’il suit patiemment le chemin
conduisant au Divin. 83
Si l’on veut s’échapper complètement de la vie, ce ne peut que par la voie d’un renoncement
intérieur complet ou par la fusion dans le Silence de l’Absolu, ou par une Bhakti qui devient absolue,
ou par un Karma-Yoga où l’on abandonne sa propre volonté et ses propres désirs à la volonté du
Divin. (II, 172 sq.)

68. – Il est donc parfaitement légitime d’aspirer à la supra-mentalisation à condition :


(1) qu’on n’en fasse pas une affaire trop personnelle ou égoïste en la transformant en une
ambition nietzchéenne ou autre d’être un surhomme ;
(2) qu’on soit prêt à se soumettre aux conditions et aux étapes nécessaires pour sa réalisation ;
(3) qu’on soit sincère et qu’on la considère comme partie de la recherche du Divin et
culmination résultante de la Volonté divine en soi, qu’on n’exige pas davantage que
l’accomplissement de cette volonté, quelle qu’elle puisse être, psychicisation, spiritualisation
ou supramentalisation. Il faut la considérer comme l’accomplissement de l’œuvre de Dieu dans
le monde et non comme une chance ou une réussite personnelle (II, 54)
69. – Les qualités dont vous parlez, cela est bien évident, sont utiles pour aborder le sentier
spirituel, et chacun des défauts que vous énumérez y constitue une grave pierre d’achoppement. En
particulier la sincérité est indispensable à la tentative spirituelle et le manque de droiture y est
toujours un obstacle. On a toujours considéré la nature sattvique comme la plus apte et la mieux prête
à la vie spirituelle, tandis que la nature rajasique est encombrée par ses désirs et ses passions. Par
ailleurs, la spiritualité se situe au-dessus des dualités, et ce dont on a le plus besoin pour y arriver,
c’est une vraie aspiration vers en haut. Elle peut venir à l’homme rajasique comme à l’homme
sattvique. Dans ce cas il peut s’élever par elle au-dessus de ses faiblesses, ses désirs, ses passions,
tout comme chez l’autre au-delà de ses vertus, jusqu’à la Pureté, la Lumière et l’Amour divins.
Nécessairement, cela ne peut se produire que s’il conquiert sa nature inférieure et la rejette loin de
lui, car s’il y retombe, il a des chances de choir du sentier ou tout au moins d’être empêché de faire
des progrès intérieurs tant que dure la rechute. Malgré tout cela, la conversion de grands pécheurs en
grands saints, d’hommes doués de peu ou prou de vertu en chercheurs spirituels et en amants du Divin
a été fréquente dans l’histoire religieuse et spirituelle, par exemple en Europe saint Augustin, dans
l’Inde le Jagaï et le Madhaï de Chaïtanya, Vilvamangal et beaucoup d’autres. La maison du Divin
n’est fermée à personne qui frappe sincèrement à ses portes, quels que soient les faux-pas et les
erreurs passés. Vertus et erreurs humaines sont des voiles brillants ou sombres qui enveloppent un
élément divin intérieur ; une fois que celui-ci perce ce qui le couvre, il peut brûler les uns et les
autres et parvenir jusqu’aux sommets de l’Esprit.
L’humilité envers le Divin est aussi le sine qua non de la vie spirituelle ; l’orgueil, l’arrogance
et la vanité spirituelles, ainsi que le trop d’assurance nous tirent toujours vers en bas. Mais la
84
confiance dans le Divin et la foi en sa propre destinée spirituelle (c’est-à-dire : puisque mon cœur et
mon âme cherchent le Divin, je suis sûr de L’atteindre un jour ou l’autre) sont très nécessaires en
raison des difficultés sur le sentier. Le mépris pour autrui est déplacé, d’autant plus que le Divin est
en tous. Évidemment les activités et les aspirations des hommes ne sont pas dénuées d’importance et
de valeur, car toute vie est une croissance de l’âme, des ténèbres vers la Lumière. Mais notre attitude
est que l’humanité ne peut dépasser ses limitations par les moyens habituels adoptés par le mental
humain : politique, réforme sociale, philanthropie, etc. Ce ne peuvent être que des palliatifs
temporaires ou locaux. La seule véritable évasion est un changement de conscience, le passage à un
mode de vie plus grand, plus vaste et plus pur, et une vie et une action qui reposent sur ce
changement. C’est donc vers cela que les énergies doivent être dirigées une fois que l’orientation
spirituelle est complète. Cela n’implique aucun mépris, mais on préfère le seul moyen efficace à ceux
qui se sont avérés ne pas l’être. (I, 239 sq.)

70. – Au sens strict, la destinée ne s’applique à l’être extérieur que tant qu’il vit dans
l’Ignorance. Ce que nous appelons destinée n’est en fait que le résultat de l’interaction de l’état actuel
de l’être et de la nature et des énergies qu’il a accumulées dans le passé ; c’est cela qui détermine les
efforts actuels et leurs résultats futurs. Mais dès qu’on pénètre sur le sentier de la vie spirituelle, cette
ancienne destinée prédéterminée commence à reculer. Il intervient un facteur nouveau, la Grâce
divine, le secours d’une Force divine plus haute que la force du karma, qui peut soulever le sâdhak
au-delà des possibilités actuelles de sa nature. Notre destinée spirituelle est alors le choix divin qui
assure l’avenir. Il n’y a de doute que sur les vicissitudes du parcours et le temps qu’il prendra. C’est
là que les forces hostiles jouent sur les faiblesses de la nature passée, luttent pour empêcher que le
progrès soit rapide et pour retarder l’accomplissement. Ceux qui tombent ne tombent pas à cause des
attaques des forces vitales, mais parce qu’ils se mettent du côté de la force hostile et préfèrent une
ambition vitale ou un désir (ambition, vanité, luxure, etc.) au siddhi spirituel. (II, 377 sq.)

71. – Il ne faut pas conserver le passé, il faut pénétrer dans la réalisation future. Tout ce qui dans
le passé est nécessaire pour l’avenir sera repris et recevra une forme nouvelle. (II, 378)

85
F. – Individualisation du yoga

72. – Ce qui vient d’en haut peut venir tant que l’on est dans un état d’esprit clair ou que le vital
est agité, tandis que l’on médite ou que l’on va et vient, tandis que l’on travaille ou que l’on ne fait
rien. Le plus souvent cela vient tandis que l’on est dans un état concentré et clair – mais cela peut tout
aussi bien ne pas être le cas ; il n’y a pas de règle absolue. En outre, lorsqu’on tire à soi ou appelle,
cela peut ne produire aucun effet concret et, cependant, il peut y avoir effet alors qu’on ne fait plus
effectivement ni l’un, ni l’autre. Toutes les raisons mentales que l’on allègue pour ces allées et venues
sont trop rigides ; parfois elles s’appliquent, très souvent elles ne s’appliquent pas. Il faut avoir foi,
confiance et aspiration, mais on ne peut pas lier la Force quant à son moment, sa manière ou sa raison
d’agir. (III, 306 sq.)

73. – Le yoga, quel qu’il soit, offre toujours des difficultés. En outre il agit de façons différentes
sur des chercheurs différents. Certains doivent triompher d’abord des difficultés de leur nature avant
d’obtenir une expérience qui vaille la peine d’en parler ; d’autres ont un départ magnifique et toutes
les difficultés ensuite ; d’autres continuent pendant longtemps alternativement à s’élever sur le
sommet de la vague et ensuite à descendre dans les gouffres et ainsi de suite jusqu’à ce que la
difficulté soit éliminée ; d’autres ont un sentier uni, ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de
difficultés – il y en a beaucoup – mais elles les laissent complètement indifférents parce qu’ils
sentent que le Divin les aidera à arriver au but et qu’il les accompagne même quand ils ne le sentent
pas. Leur foi les rend imperturbables. (II, 260)

74. – La consécration est un processus par lequel on habitue la conscience à s’abandonner au


Divin. Mais la conversion est un mouvement spontané de la conscience, mouvement qui la détourne
des choses extérieures vers le Divin. Elle vient de l’intérieur et d’en haut, car elle est la conséquence
d’un attouchement provenant de l’intérieur et d’en haut. La consécration de soi peut aider l’individu à
s’ouvrir à ce contact, et ce contact peut aussi venir de lui-même. Mais la conversion peut également
venir comme le point culminant d’un long processus d’aspiration et de tapasya. Pour ces choses il
n’y a pas de règle immuable.
Si l’être psychique passe en avant, la conversion devient facile et peut se produire
instantanément ; ou encore ce peut être la conversion qui amène l’être psychique en avant. Là non plus
il n’y a pas de règles.
Cela peut se produire dans un sens ou dans l’autre : il y a contact et aussi réalisation, et le
psychique occupe en conséquence la place qui lui86revient, ou bien le psychique peut passer en avant
et préparer la nature de l’individu à la réalisation.
La transformation est quelque chose de progressif, mais il est certain qu’il doit y avoir
réalisation avant que le but de la transformation puisse être atteint. (III, 102)

75. – Alors qu’il y a identité de but essentiel, alors qu’il y a des grandes lignes générales de
l’effort, il n’existe pourtant pas dans le détail une série commune de règles pour les choses
intérieures qui puissent s’appliquer à tous ceux qui cherchent. Vous demandez : « Telle et telle choses
ne sont-elles pas nuisibles ? » Mais ce qui fait du mal à l’un peut être utile à un autre ; ce qui aide à
un certain stade peut cesser d’aider à un autre ; ce qui est nuisible dans certaines conditions peut être
utile dans d’autres conditions ; ce qui est fait dans un certain esprit peut être désastreux alors que la
même chose faite dans un esprit tout à fait différent pourrait être inoffensive ou même bénéfique… Il
y a tant de choses dont il faut tenir compte : l’esprit, les circonstances, la personne, le besoin et le
moule de la nature, le stade. C’est pourquoi il est dit si souvent que le gourou doit traiter chaque
disciple selon sa nature particulière et guider sa sâdhanâ en conséquence. Même si la ligne de
sâdhanâ reste la même pour tous, à chaque point, elle doit différer pour chacun. (II, 362)

76. – Nous pouvons non seulement traiter différemment des personnes différentes et permettre à
l’une ce que nous défendons à l’autre, mais traiter différemment une même personne à des moments
différents, permettant et même encourageant aujourd’hui ce que nous défendrons demain. Le cas d’X
est très différent du vôtre, car il n’y a pas de ressemblance entre vos deux natures. Je vous ai dit cela
ou quelque chose d’approchant il y a longtemps, et dans ma lettre à X j’ai insisté sur le fait que ce qui
aurait pu être la règle pour moi-même ou pour A ne devait pas et n’allait pas lui être appliqué.
Autrement ce serait créer des difficultés dans sa sâdhanâ et non pas la lui rendre plus aisée ou plus
rapide. Je lui ai dit aussi très clairement dans ma lettre qu’essayer de se joindre et se mêler aux
autres (qui est ce que l’on essaye de faire dans la vie humaine ordinaire par la vie sociale et d’autres
contacts) doit être réalisé dans le yoga sur un autre plan de conscience et sans le mélange inférieur, en
vue d’une union supérieure avec tous sur une base spirituelle et psychique. Mais la façon dont cela
s’effectue, le moment, l’ordre des mouvements ne sont pas nécessairement les mêmes pour tous. S’il
essayait de se contraindre, cela le conduirait à la tristesse, au découragement et à un mouvement
artificiel qui ne serait pas le vrai chemin du succès. On ne peut pas traiter une âme et une nature
humaines avec une série de règles mentales applicables à tout le monde et de la même façon ; si
c’était le cas, un gourou ne serait pas nécessaire et chacun pourrait installer devant lui sa table de
règles yoguiques et les suivre jusqu’à devenir un parfait siddha 8 !

87
J’ai dit tout cela pour vous faire comprendre pourquoi nous ne traitons pas X comme vous ou
comme un autre. La tendance à prendre ce que je décide pour l’un et à l’appliquer sans discrimination
à un autre est responsable de beaucoup de malentendus. Aussi une règle générale, vraie en elle-
même, ne peut-elle pas s’appliquer à tout le monde de la même façon ni s’appliquer maintenant,
immédiatement, sans que l’on prenne en considération les conditions, les circonstances, la personne
ou le moment. Je peux dire, d’une façon générale, que mon but dans le yoga est de faire descendre le
Supramental ou que, pour ce faire, il faut d’abord s’élever au-dessus du mental pour pénétrer dans le
surmental ; mais si, à la lumière de cela, tous et n’importe qui se mettaient à tirer sur le Supramental
pour essayer de le faire descendre, ou passaient immédiatement et de force hors du mental dans le
surmental, cela aboutirait à un désastre.
Il ne faut pas traiter la nature humaine comme une machine à manier selon des règles mentales
rigides. Il faut une grande souplesse pour s’occuper de ses mobiles complexes. (III, 362 sq. et 367)

77. – Il est parfois dangereux de s’appliquer à soi-même, dans la pratique, ce qui a été écrit
pour un autre. Chaque sâdhak représente en lui-même un cas particulier et l’on ne peut pas toujours,
ni même souvent, s’emparer d’une règle mentale et l’appliquer rigoureusement à tous ceux qui
pratiquent le yoga. Ce que j’ai écrit à X était destiné à X et s’adaptait à son cas, mais s’il s’agissait
d’un autre sâdhak, différent de X et d’une nature vitale (grossière) différente, je pourrais lui dire
quelque chose qui semblerait totalement opposé : « Asseyez-vous de tout votre poids sur vos
tendances vitales inférieures, rejetez votre avidité pour la nourriture, qui représente un sérieux
obstacle sur votre chemin ; vous feriez mieux d’être ascétique dans vos habitudes que vulgairement
animal (comme vous l’êtes en ce moment) en cette partie de votre être ». À quelqu’un qui, dans son
ardeur, ne se nourrirait, ne dormirait et ne se reposerait pas suffisamment, je pourrais dire : « Mangez
davantage, dormez davantage, reposez-vous davantage, ne vous épuisez pas et n’introduisez pas un
esprit ascétique dans votre tapasya. » À un autre qui manifesterait l’excès opposé, je pourrais tenir le
langage contraire. Tout sâdhak a une nature ou une tournure qui lui est propre et il est rare que les
mouvements yoguiques de deux sâdhaks soient exactement pareils, même lorsqu’il existe entre eux
des ressemblances. (III, 364)

78. – Le principe général de la consécration de soi et du don de soi est le même pour tous dans
notre yoga, mais chacun a sa propre manière de se consacrer et de se donner. Le moyen que prend N
est bon pour lui, tout comme celui que vous prenez vous convient parce qu’il est en harmonie avec
votre nature. S’il n’y avait pas cette plasticité et cette variété, si tous devaient être taillés sur le même
modèle, le yoga serait une mécanique mentale rigide et non une puissance vivante. (II, 361)
88
79. – La voie divine ne peut être comprise par le mental, car le mental agit selon des règles et
des normes rigides, tandis que l’esprit voit la vérité de tout et la vérité de chacun et agit diversement
selon sa propre vision globale et complexe…
Ici nous n’avons pas de règle mentale, mais dans chaque cas les directions données sont
déterminées par des raisons spirituelles qui sont de nature flexible. Il n’y a pas d’autres
considérations, pas de règle. (II, 362)

1. Début de la Brihadâranyaka Upantshad.


2. La plus parfaite adoratrice de Krishna.
3. Pondichéry, Sri Aurobindo Asram, 1947.
4. Revue philosophique en langue anglaise publiée à Pondichéry sous la direction de Sri Aurobindo Ghose, Paul et Mirra Richard
(plus tard la « Mère » de l’âshram) de 1914 à 1921.
5. Ce sont deux grands sages hindous de l’époque historique qui sont réputés avoir abandonné la vie terrestre sans laisser de
cadavre.
6. Sœur Nivédita a donné de ses expériences personnelles avec Vivekânanda un témoignage aussi détaillé qu’impressionnant
dans Vivekânanda tel que je l’ai vu (Paris, Albin Michel, 1952).
7. Pouvoir lové à la base de la moelle épinière.
8. Yogin parvenu à la perfection.

89
90
II

LE RÔLE DES DIFFÉRENTS PLANS

91
A. – La place du mental

80. – Tout ce qui, ici, appartient strictement au plan terrestre a évolué hors de l’Inconscient, de
la Matière – mais l’être mental essentiel existe déjà, non involué, sur le plan mental. Seul le mental
personnel est évolué, ici, par quelque chose qui s’élève de l’Inconscient et qui se développe sous une
pression d’en haut. (III, 181)

81. – La conscience est habituellement identifiée avec le mental, mais la conscience mentale est
uniquement le registre humain et n’épuise pas plus tous les registres de conscience possibles que la
vision humaine n’embrasse toutes les gammes de la couleur ou l’ouïe humaine toute la gamme des
sons ; car il y a encore beaucoup au-dessus et au-dessous, qui pour l’homme est invisible ou
inaudible. De même, il y a au-dessus et au-dessous du registre humain de conscience d’autres
registres avec lesquels l’être humain normal n’a pas de contact et qui lui semblent inconscients :
registres supramentaux ou surmentaux et inframentaux. (I, 82)

82. – Il est certain que le mental et l’être intérieur sont conscience. Pour les êtres humains qui
n’ont pas pénétré plus profondément en eux-mêmes, mental et conscience sont synonymes. Seulement,
lorsqu’on se rend toujours mieux compte de soi-même, grâce à une conscience qui se développe, on
peut voir différents degrés, sortes, puissances de la conscience mentale, vitale, physique, psychique,
spirituelle. On a décrit le Divin comme l’Être, la Conscience et l’Ananda, même comme une
conscience (chaïtanya) émanant une force ou une énergie, Shakti, qui crée les mondes. Le mental est
une conscience modifiée qui émet une énergie mentale. Mais le Divin peut se retrancher de son
énergie et l’observer dans son travail, il peut être le Purusha témoin, observant les travaux de la
Prakriti. Même le mental peut faire cela ; un homme peut se retrancher dans sa conscience-mental et
observer l’énergie mentale faire des choses, penser, combiner, etc. ; toute introspection repose sur le
fait que l’on peut se diviser de la sorte en une conscience qui observe et une énergie qui agit. Ce sont
des choses tout à fait élémentaires que tout le monde est supposé connaître. N’importe qui peut le
faire moyennant un peu de pratique ; quiconque observe ses propres pensées, sentiments, actions a
déjà commencé à le faire. Dans le yoga, nous complétons cette division – c’est tout. (III, 475)

83. – Les termes manas 1 et autres appartiennent à la psychologie ordinaire appliquée à la


conscience de surface. Dans notre yoga, nous adoptons une classification différente reposant sur
l’expérience yoguique. Ce qui là correspondrait92à ce mouvement de manas consisterait en deux
choses distinctes. Une partie du mental physique communiquant avec le vital-physique reçoit des sens
physiques et transmet à la buddhi, c’est-à-dire à l’une ou l’autre des parties du mental-pensée. En
retour il reçoit de la buddhi et transmet idée et volonté aux organes de sensation et d’action. Tout cela
est indispensable dans l’action ordinaire de la conscience. Mais dans la conscience ordinaire tout se
mélange et il n’y a plus ni ordre ni règle bien clairs. Dans le yoga on prend conscience des parties
différentes et des actions qui leur sont propres, on met chacune à sa place et l’on assigne à chacune
l’action qui lui est propre sous la direction de la Conscience supérieure ou bien sous la direction de
la Puissance divine. Ensuite tout se surcharge de conscience spirituelle, il y a une perception
automatique juste et une action juste des différentes parties parce qu’elles sont entièrement dirigées
d’en haut, qu’elles ne résistent pas à ce qui leur est dicté et qu’elles ne le faussent ni ne le brouillent.
(III, 177)

93
B. – L’utilité du mental

84. – Dans sa partie la plus élevée, le mental est conscient de ce qu’il ne fait qu’un avec le
Divin, en toutes manières et en toutes choses ; possédant cette connaissance suprême, il n’est troublé
ni par sa propre ignorance, ni par son impuissance dans ses instruments inférieurs. Il regarde tout cela
avec un sourire et il demeure heureux et brille de la lumière de cette connaissance suprême.
La conscience de cette union avec le Divin est pour le chercheur spirituel la connaissance
suprême. (III, 69 sq.)

85. – Pour la connaissance spirituelle, il n’est nullement utile d’être ignorant des choses de ce
monde. (III, 70)

86. – Ne rien faire de son mental n’est pas être dans le calme et le silence. C’est l’inactivité qui
fait que le mental continue à penser de façon mécanique et discursive au lieu de se concentrer sur un
objet – c’est tout. (III, 91 sq.)

87. – Ni la spiritualité ni le yoga n’enseignent qu’il faille renoncer à la discrimination dans la


croyance mentale ; la foi dont ils parlent n’est pas une croyance grossière, mais la fidélité de l’âme à
la lumière qui guide au-dedans, fidélité qui doit subsister jusqu’à ce que la lumière conduise à la
connaissance. (II, 222)

88. – La tendance à questionner et à connaître est bonne en soi, mais elle doit être tenue en main.
Ce qui est nécessaire au progrès dans la sâdhanâ s’acquiert mieux par l’accroissement de la
conscience, de l’expérience et de la connaissance intuitive. (III, 181)

89. – Le développement mental peut ou non aider à la sâdhanâ. Si le mental est trop
intellectuellement développé dans un sens rationaliste, il peut devenir une gêne (III, 89)

94
90. – Je ne suis pas sûr que le travail mental soit utile à la sâdhanâ et je ne comprends pas très
bien ce que cela signifie. Ce qui est certain, c’est que le travail mental, tout comme le travail
physique, peut devenir une partie de la sâdhanâ, et alors il n’est ni un rival de la sâdhanâ ni une
activité autre, possédant les mêmes droits et moins égoïste et égocentrique que ne l’est la recherche
du Divin. (III, 89 sq.)

91. – Nul n’est obligé de s’absorber dans des recherches mentales. On doit faire une sâdhanâ
parce qu’on en a ainsi décidé, et non en vertu d’une règle ou d’une obligation. (III, 90)

95
C. – Les insuffisances du mental

92. – Le mental est un instrument de l’Ignorance qui essaie de savoir. (I, 88)

93. – L’intellect est une partie du mental et il est un instrument de demi-vérité, comme le reste du
mental. (III, 67)

94. – Le mental agit par représentations et constructions, par séparation et tissage ensemble de
ses données construites ; il peut faire une construction synthétique et la voir comme le tout, mais
quand il cherche la réalité des choses, il se réfugie dans des abstractions ; il n’a pas la vision,
l’expérience, le contact concret que veulent le mystique et le chercheur spirituel. Pour connaître
directement ou vraiment le Soi et la Réalité, le mental doit être silencieux et refléter quelque lumière
de ces choses, ou bien se soumettre à un dépassement de soi et à une transformation ; or cela n’est
possible que par la descente en lui d’une Lumière plus haute, ou encore par sa propre ascension en
une plus haute Lumière d’existence qui peut aussi s’emparer de lui ou le submerger. Dans la Matière,
lorsqu’on descend au-dessous du Mental, on arrive au summum de la fragmentation et de la division.
L’Un, bien que secrètement présent, y est perdu à notre connaissance et nous recevons la plénitude de
l’Ignorance, et même une fondamentale Inconscience d’où l’univers doit évoluer conscience et
connaissance. (I, 91)

95. – Les politiciens raisonnent faussement ou sans sincérité, et ils ont le pouvoir d’imposer le
résultat de leurs raisonnements pour tout gâter dans les affaires du monde. Les intellectuels raisonnent
et montrent ce que leur mental leur a montré, ce qui est loin d’être toujours la vérité, car le choix est
généralement fait par les préférences intellectuelles et par l’angle de vision inné et inculqué par
l’éducation qu’a le mental ; mais même lorsqu’ils voient la vérité ils n’ont pas le pouvoir de
l’appliquer. (II, 51 sq.)

96. – La connaissance mentale n’est guère utile sinon, parfois, en tant qu’introduction pour
orienter la vraie connaissance qui vient de la conscience directe des choses. (III, 70)

*
96
97. – Chaque mental met ses propres idées à la place de la vérité. (III, 77)

98. – La connaissance supérieure vient en passant par le mental, de sorte qu’à moins d’être
entièrement et absolument tranquille, le mental peut toujours en modifier l’expression. (III, 200)

99. – Des erreurs sont toujours possibles tant qu’une partie quelconque du mental (même la
partie subconsciente) n’est pas entièrement transformée. Il n’est pas nécessaire de vous laisser
troubler par cela. (III, 272)

100. – Chez beaucoup de soi-disant intellectuels, leur intellectualité peut être une pierre
d’achoppement parce qu’ils se ligotent dans des conceptions mentales ou étouffent leur feu psychique
sous le poids considérable de la pensée rationnelle. (III, 73)

101. – Ce n’est pas une connaissance mentale qui est nécessaire, mais une perception psychique
ou une perception directe dans la conscience. Une connaissance mentale peut toujours être aveuglée
par les ruses du vital. (III, 70 sq.)

102. – Que vous ayez été capable de vous observer tout le temps, de voir les mouvements et
l’intervention fréquente et automatique de la nouvelle conscience est bien. À un stade plus avancé,
vous obtiendrez certainement dans le mental l’inspiration directrice sur la façon de faire les choses
que vous voulez accomplir. Évidemment votre mental était trop actif (tout comme le mental des
autres) et vous avez manqué votre objectif à cause de la multitude excessive des témoins. Mais
enfin… (III, 460)

103. – On ne peut admettre que l’intellect vienne s’imposer comme juge subjanta (omniscient) ;
s’il restait dans ses propres limites, il ne lui serait pas fait d’objection. Mais il fait des échafaudages
de mots et d’idées qui n’ont aucune application pour la vérité, il débite des sottises dans son
ignorance et il fait de ses constructions une muraille qui refuse de laisser entrer la Vérité dépassant
sa propre capacité et sa propre portée. (II, 228)
97
*

104. – Le penseur intellectuel part d’idées, de sentiments mentalisés et d’autres phénomènes


mentaux ou extérieurs, et cherche à atteindre la vérité essentielle qui est en eux ou derrière eux ; en
général il s’arrête court à une abstraction mentale ou seulement à une réalisation mentale dérivée de
quelque chose qui en sa propre nature est autre que mentale. Mais s’il y a quelque part le vrai
mystique, il passera un jour au-delà et atteindra au moins des aperçus, des éclairs.
… S’il faut acquérir une conscience nouvelle qui surpasse l’intellect raisonnant, peut-on le faire
par des voies susceptibles d’être jugées et comprises par cet intellect raisonnant, dirigées par lui à
chaque pas, informées par l’intellect de ce qu’il faut faire, de l’étendue des réalisations obtenues, des
pas à faire et de leur valeur ? Si l’on agit ainsi, sortira-t-on jamais du domaine de l’intelligence
raisonnante pour pénétrer au-delà ? Et si on le fait, comment les autres l’apprécieront-ils avec des
étalons intellectuels ? Comment peut-on juger de ce qui est au-delà de la conscience ordinaire
lorsqu’on est soi-même dans cette conscience ordinaire ? N’est-ce pas seulement en se dépassant soi-
même que l’on peut sentir, éprouver, juger ce qui vous dépasse ? Quelle valeur a un jugement qui
n’est accompagné d’aucun sentiment, d’aucune expérience ?
Le mental ne peut ni prévoir ni dicter ce que fera le Supramental ; le mental est ignorance en
quête de la Vérité. (I, 200 sq.)

105. – À ceux qui voudraient faire du mental intellectuel le critère et le juge de l’expérience
spirituelle, je voudrais poser une simple question : le Divin est-il quelque chose de moindre que le
mental ou quelque chose de plus grand ? La conscience mentale, avec sa recherche tâtonnante, ses
argumentations sans fin, son doute jamais tari, sa logique rigide et sans élasticité, est-elle quelque
chose de supérieur ou même d’égal à la Conscience divine, ou lui est-elle inférieure dans son action
et son statut ? Si le mental est plus grand, il n’y a pas de raison de chercher le Divin. S’il est égal,
alors l’expérience spirituelle est parfaitement superflue. Mais s’il est inférieur, comment peut-il
défier, juger, faire comparaître le Divin comme accusé ou comme témoin devant son tribunal, le
convoquer comme un candidat devant un jury d’examen ou l’épingler comme un insecte sous son
microscope ? L’animal vital peut-il tenir pour infaillible la norme de ses instincts, associations et
impulsions vitaux, et juger, interpréter et sonder par eux le mental de l’homme ? Il ne le peut pas
parce que le mental de l’homme est une puissance plus grande qui travaille d’une manière plus vaste
et plus complexe et que la conscience vitale animale ne peut pas suivre. Est-il tellement difficile de
voir, de même, que la Conscience divine doit être quelque chose d’infiniment plus vaste et plus
complexe que le mental humain, emplie de puissances et de lumières plus grandes, se mouvant d’une
façon que le simple mental ne peut pas juger, interpréter ni sonder avec le critère de sa raison
faillible et de sa demi-connaissance limitée ? (II, 219 sq.)
98
*

106. – Oui, les activités du mental humain font terriblement obstacle quand il s’agit de recevoir
la connaissance supérieure. (III, 200)

107. – Le mental est une sorte de conscience-ignorance et ses perceptions ne peuvent être que
fausses, mélangées ou imparfaites ; même lorsqu’elles sont vraies, elles ne sont encore qu’un reflet
partiel de la Vérité et non le corps de la Vérité elle-même. Mais il existe une Vérité consciente, non
point uniquement statique et introspective, mais également dynamique et créatrice, et j’aime mieux me
diriger vers elle pour voir ce qu’elle dit des choses et ce qu’elle peut faire plutôt que de prendre un
raccourci pour s’éloigner des choses offertes par l’ignorance comme une fin en soi. (III, 21)

108. – Dans le mental il y a toujours une certaine hâte à saisir rapidement comme la Vérité la
plus haute ce qui lui est présenté. C’est inévitable, mais plus le mental est tranquille, moins il
déformera les choses. (III, 200 sq.)

109. – Le yoga n’est pas de l’ordre des idées, mais de celui de l’expérience spirituelle
intérieure. Le fait d’être simplement attiré par un groupe quelconque d’idées religieuses ou
spirituelles n’amène aucune réalisation. Le yoga signifie un changement de conscience ; une simple
activité mentale ne provoquera pas un changement de conscience, elle ne peut amener qu’une
transformation mentale. Et si votre mental est suffisamment mobile il continuera de passer d’une
chose à l’autre, jusqu’à la fin, sans parvenir à aucune voie sûre ni à aucun havre spirituel. Le mental
peut penser, douter, questionner, accepter et retirer son agrément, faire des formations et les défaire,
prendre des décisions et les annuler, jugeant toujours en surface et selon des indications de surface, et
par conséquent sans jamais parvenir à une expérience profonde et ferme de la Vérité ; par lui-même il
ne peut pas faire davantage. Il y a seulement trois moyens par lesquels il peut faire de lui-même un
canal ou un instrument de la Vérité. Ou bien il doit tomber en silence dans le Soi et faire place à une
conscience plus grande et plus vaste ; ou bien il doit se rendre passif à une Lumière intérieure et
laisser cette Lumière l’utiliser comme moyen d’expression ; ou bien encore il doit lui-même se
tranformer du mental superficiel intellectuel interrogateur qu’il est actuellement en une intelligence
intuitive, en un mental de vision capable de percevoir directement la Vérité divine. (I, 74)

99
D. – L’utilisation du mental

110. – N’exagérons rien. Il ne s’agit pas tant de se débarrasser de l’activité mentale que de la
convertir en la chose juste… Ce qui doit être dépassé et transformé, c’est la raison intellectuelle qui
voit uniquement les choses de l’extérieur, par analyse et inférence et qui, lorsqu’elle ne le fait pas, se
contente de jeter un regard rapide et de dire : « C’est ainsi » ou « Ce n’est pas ainsi ». Mais vous ne
pouvez pas y arriver à moins que la vieille activité mentale s’apaise un peu. Un mental tranquille ne
se laisse pas prendre dans ses pensées ni entraîner par elles ; il se recule, se détache, les laisse
passer sans s’identifier, sans les faire siennes. Il devient le mental témoin qui surveille les pensées
lorsque c’est nécessaire, mais qui peut s’en détourner et recevoir du dedans et d’en haut. Le silence
est bon, mais le silence absolu n’est pas indispensable, tout au moins à ce stade. Je ne sache pas qu’il
serve à grand-chose de lutter avec le mental pour le faire taire ; dans ce jeu-là, c’est généralement le
mental qui l’emporte. La manière la plus facile, c’est de se retirer, de se détacher, d’obtenir la faculté
d’écouter autre chose plutôt que les pensées du mental extérieur. En même temps on peut pour ainsi
dire regarder vers en haut, se représenter la Force comme étant juste au-dessus et l’appeler pour
qu’elle descende, ou attendre tranquillement son aide. C’est ainsi qu’opèrent la plupart des gens
jusqu’à ce que progressivement le mental s’apaise de lui-même, ou encore que le silence commence à
descendre d’en haut. Mais il est important de ne pas laisser venir la dépression ou le désespoir
lorsqu’on ne réussit pas immédiatement ; cela ne peut que rendre les choses difficiles et arrêter tout
progrès qui se prépare. (II, 112 sq.)

111. – L’inspiration et la conception pures sont quelque chose de tout différent ; elles viennent
de profondément au-dedans ou de loin au-dessus. Ceci est le mental vital intérieur qui travaille et
provoque des formations. Quand le calme est présent, toutes sortes de choses peuvent monter à la
surface ; on n’a pas besoin de les accepter, il suffit de les regarder. Avec le temps le calme se
développe de sorte qu’il fera taire aussi le mental vital et extérieur et que dans cette quiétude
complète viendront les perceptions vraies. (II, 115 sq.)

112. – La première chose nécessaire est de pouvoir se détacher de l’action du mental


mécanique ; il est alors plus facile que le calme et la paix du mental ne soient pas troublés par cette
action, même si elle se produit.
Si la paix et le silence continuent à descendre, ils deviennent généralement si intenses qu’au
bout de quelque temps ils s’emparent aussi du mental physique. (II, 116)
100
*

113. – Les mouvements que vous décrivez ne vous sont pas particuliers ; c’est la tournure
d’esprit naturelle du mental vital et cela prend des formes semblables chez la plupart des gens. Dans
la sâdhanâ il faut apaiser ce mental, tout comme le reste, maîtriser son énergie, la transformer et
l’utiliser à des fins appropriées ; mais cela prend du temps et ne vient qu’avec le développement de
la conscience plus vaste. La pression exercée par ces mouvements est trop normale pour justifier un
découragement.
Je ne crois pas que vous deviez cesser de lire tant que le mental ne cesse pas de lui-même de se
passionner pour la lecture ; c’est ce qui se produit lorsqu’un ordre supérieur de conscience et
d’expérience prend naissance en l’être. Il n’est pas bon non plus de trop vous forcer à ne faire que de
la peinture. Une pareille contrainte exercée sur le mental et le vital tend en général, soit à échouer et
à les rendre plus agités, soit à créer une espèce de torpeur et d’inertie. (III, 466)

114. – Garder son mental inactif n’est pas la même chose que la paix ou le silence. (III, 92)

115 – Il n’est pas facile d’entrer dans le silence. Cela n’est possible qu’en rejetant au-dehors
toutes les activités vitales-mentales. Il est plus facile de laisser le silence descendre en vous, c’est-à-
dire de vous ouvrir et de le laisser descendre. C’est de la même manière qu’on fait cela et que l’on
appelle les puissances d’en haut pour qu’elles descendent. Pour cela on reste paisible au moment de
la méditation, on ne lutte pas avec le mental et on ne fait pas d’efforts mentaux pour tirer en bas le
Pouvoir ou le silence ; on ne fait que garder à leur égard une volonté et une aspiration silencieuses. Si
le mental est actif, il faut apprendre à le regarder en se reculant et sans lui conférer aucune sanction
intérieure, jusqu’à ce que ses activités habituelles ou mécaniques commencent à se taire parce
qu’elles ne sont plus soutenues de l’intérieur. S’il est trop persistant, la seule chose à faire est de le
rejeter avec constance, sans tension ni lutte. (II, 114)

116. – Plus le psychique s’étend dans la nature extérieure, plus toutes ces choses [l’activité
mécanique du mental subconscient] s’apaisent. C’est le meilleur moyen. Les efforts directs pour faire
taire le mental constituent une méthode difficile. (III, 188 sq.)

101
117. – Un effort du mental pour se débarrasser de toute émotion ou passion importunes, de ses
propres vibrations caractéristiques ou des exhalaisons obscurcissantes de l’inertie physique, conduit
le mental au sommeil ou à l’apathie plutôt qu’au silence vigilant et ne suffit pas pour que la chose se
fasse, car ce n’est que le processus ordinaire de la voie yoguique de la connaissance. Cela peut se
produire aussi par la descente venant d’un plan supérieur, d’une grande tranquilité spirituelle qui
impose le silence au mental, au cœur, aux stimulants vitaux et aux réflexes physiques. Une descente
soudaine de ce genre, ou une série de descentes accumulatrices de force et d’efficacité est un
phénomène d’expérience spirituelle bien connu. Ou bien, aussi, on peut entreprendre un processus
d’une sorte ou d’une autre à des fins qui normalement exigeraient un long travail et être saisi, même
au départ, par une intervention ou manifestation rapides du silence dont les effets seraient hors de
toute proportion avec les moyens employés au début. On commence avec une méthode, mais le travail
est repris par la Grâce qui provient d’en haut, de « Cela » vers quoi on aspire, ou par les infinitudes
de l’esprit qui font irruption. C’est de cette dernière façon que je suis moi-même arrivé au silence
absolu du mental, inimaginable pour moi tant que je n’en avais pas eu effectivement l’expérience. (III,
79 sq.)

118.– Le mental silencieux est un résultat du yoga ; le mental ordinaire n’est jamais silencieux…
Les penseurs et philosophes n’ont pas le mental silencieux ; ce qu’ils ont, c’est le mental actif. Mais
naturellement ils se concentrent, si bien que la mentalisation incohérente s’arrête et que les pensées
qui s’élèvent – ou entrent – et se forment sont limitées de façon cohérente au sujet ou à l’activité
auxquels ils s’intéressent. Mais c’est tout autre chose que lorsque le silence s’empare du mental tout
entier. (II, 111)

119. – C’est dans le silence du mental que peut se manifester l’action la plus forte et la plus
libre, par exemple composer un livre, de la poésie, un discours inspiré. Lorsque le mental est actif, il
entrave l’inspiration, introduit ses propres petites idées qui s’enchevêtrent à l’inspiration, ou bien il
commence quelque chose à partir d’un plan inférieur ou simplement arrête net l’inspiration par une
grande ébullition de suggestions mentales. De même aussi, intuitions ou actions, etc. peuvent venir
plus facilement lorsque le mouvement inférieur ordinaire du mental est absent. C’est aussi dans le
silence du mental que la connaissance arrive le plus aisémént, soit de l’intérieur, soit d’en haut, c’est-
à-dire du psychique ou de la conscience supérieure. (III, 78)

102
120. – J’ai relu le message du yogin que vous citez dans votre lettre ; mais sans son contexte on
ne peut pas en dire grand-chose, ni rien de très précis. Il y a deux affirmations qui sont assez claires :
« Dans le silence est la sagesse. » C’est dans le silence intérieur du mental que peut venir la
vraie connaissance, car l’activité ordinaire du mental ne crée que des idées et représentations de
surface qui ne sont pas la vraie connaissance. La parole est généralement l’expression de la nature
superficielle ; c’est pourquoi trop s’adonner à de telles conversations gaspille l’énergie et nous
empêche d’écouter intérieurement ce qui amènerait la parole de vraie connaissance…
« En écoutant vous obtiendrez ce à quoi vous pensez. » Cela signifie probablement que dans le
silence viendront les véritables formations de pensées qui peuvent s’effectuer et se réaliser. La
pensée peut être une force qui se réalise, mais la pensée ordinaire superficielle n’est pas de cette
espèce ; il y a en elle un plus grand gaspillage d’énergie qu’en toute autre chose. C’est dans la pensée
venant dans un mental paisible ou silencieux qu’il y a du pouvoir.
« Parlez moins et devenez puissant. » Cela a essentiellement la même signification…
Tel en est probablement le sens ; ce sont là des choses que savent tous ceux qui ont quelque
expérience du yoga. (II, 118 sq.)

121. – Lorsque le mental est immobile, toute action mentale nécessaire est entreprise et
effectuée par la Force elle-même, qui fait tout le travail de réflexion nécessaire et qui transforme
progressivement le mental en y faisant descendre un plan toujours plus élevé de perception et de
connaissance. (III, 77)

122. – Pour connaître la Volonté divine, il faut un mental paisible. Dans un mental paisible,
tourné vers le Divin, l’intuition (le mental supérieur) vient de ce qui est la Volonté divine et de la
meilleure façon de lui obéir. (III, 459)

123. – Le simple fait est que l’Esprit et le Mental ne sont pas la même chose et que c’est dans la
conscience spirituelle que le yogin doit entrer s’il veut être en contact permanent ou en union
permanente avec le Divin. (Dans tout ceci je ne parle pas du tout du Supramental.) Ce n’est donc pas
une fantaisie du Divin ni une tyrannie d’insister pour que le mental reconnaisse ses limitations,
s’apaise, renonce à ses exigences et s’ouvre et s’abandonne à une Lumière plus grande qu’il n’en peut
trouver à son propre niveau plus obscur.
Cela ne signifie pas que le mental n’a rien à faire dans la vie spirituelle ; cela signifie qu’il ne
peut pas être même l’instrument principal, et moins encore l’autorité au jugement de laquelle tout doit
103
être soumis, y compris le Divin. Le mental doit apprendre de la plus grande conscience dont il
s’approche et ne doit pas lui imposer ses propres normes. Il doit recevoir l’illumination, s’ouvrir à
une Vérité plus haute, admettre une puissance plus grande qui n’œuvre pas selon des canons mentaux,
s’abandonner et laisser sa semi-lumière-semi-obscurité être inondée d’en haut jusqu’à ce qu’il puisse
voir là où il était aveugle, entendre là où il était sourd, sentir là où il était insensible, et qu’il puisse
avoir la joie, l’accomplissement, la certitude et la paix là où il était frustré, incertain, questionnant,
déçu.
C’est l’attitude sur laquelle repose le yoga, une attitude fondée sur une expérience constante
depuis que les hommes ont commencé à chercher le Divin. (II, 220 sq.)

124. – Les expériences décisives ne peuvent être provoquées, la permanence d’un nouvel état de
conscience où elles seront normales ne peut être assurée tant que le mental toujours interpose ses
propres réserves, ses préjugés, ses formules ignorantes, tant qu’il insiste pour arriver à la certitude
divine comme il arriverait à la vérité tout à fait relative d’une conclusion mentale, par la voie du
raisonnement, du doute, de l’enquête et de tout le bric-à-brac de l’ignorance qui tâtonne aveuglément
pour trouver la connaissance. Ces choses plus grandes ne peuvent être amenées que par l’ouverture
progressive d’une conscience calme et tournée régulièrement vers l’expérience spirituelle. Si vous
demandez pourquoi le Divin a disposé ainsi les choses sur cette base gravement incommode, c’est
une question futile, car ce n’est là qu’une nécessité psychologique imposée par la nature même des
choses. Il en est ainsi parce que ces expériences du Divin ne sont pas des constructions mentales ni
des mouvements vitaux ; elles sont des choses essentielles, non pas des choses simplement pensées,
mais des réalités, non pas senties mentalement, mais senties dans la substance et l’essence qui sont
notre base même. Sans doute le mental est-il toujours présent et peut-il intervenir ; il peut avoir et il a
son propre type de mentalisation sur le Divin, des pensées, des croyances, des émotions, des reflets
mentaux de la Vérité spirituelle, et même une sorte de réalisation mentale qui répète aussi bien
qu’elle le peut une sorte de forme de la Vérité supérieure, et tout cela n’est pas sans valeur, mais ce
n’est pas concret, intime et indubitable. Par lui-même, le mental est incapable de certitude ultime ;
tout ce qu’il croit, il peut en douter ; tout ce qu’il affirme, il peut le nier ; tout ce qu’il saisit il peut le
lâcher et il le lâche. Vous pouvez dire que cela est sa liberté, son noble droit, son privilège, c’est
peut-être tout ce que vous pouvez dire à sa louange, mais par ces méthodes mentales vous ne pouvez
pas espérer arriver à quoi que ce soit que vous puissiez appeler une certitude ultime – en dehors du
domaine des phénomènes physiques, et même à peine dans ce domaine. C’est pour cette raison
dirimante que la mentalisation et l’enquête sur le Divin ne peuvent de leur propre droit amener le
Divin. Si la conscience est toujours affairée à de petits mouvements mentaux – surtout lorsqu’ils sont
accompagnés, comme c’est généralement le cas, par une foule de mouvements vitaux, de désirs,
104
d’idées arrêtées et de tout ce qui vicie la pensée humaine – et en dehors même de l’insuffisance innée
de la raison, comment peut-il y avoir place pour un nouvel ordre de connaissances, pour des
expériences fondamentales ou pour ces jaillissements ou descentes profonds et formidables de
l’esprit ? (II, 217 sqq.)

125. – L’ouverture du mental vital – ou de n’importe quelle partie – ne signifie pas que le mental
vital est absolument ouvert ou entièrement converti, si bien qu’il ne comportera plus aucune
obscurité, ignorance, erreur, résistance ou n’importe quoi d’autre que la conscience. Elle signifie
seulement que la conscience supérieure peut y descendre, y travailler et y établir quelque chose
d’elle-même. Tous les plans, l’un après l’autre, jusqu’au physique, doivent s’ouvrir initialement de
cette manière. Tant que cette ouverture initiale ne s’est pas opérée dans toutes les parties, il ne peut y
avoir nulle part descente complète et finale de la conscience supérieure. Si l’être nerveux et les
autres parties physiques ne sont pas ouverts, même le mental pensant ne peut pas s’ouvrir finalement,
car il peut être affecté par la résistance, l’obscurité, etc. venant d’en bas. Si le mental vital est ouvert,
cela ne signifie pas qu’il soit ouvert assez entièrement pour être déjà divin et qu’il n’éprouve pas de
l’orgueil ou tout autre faux mouvement. (II, 107 sq.)

126. – Ne confondez pas la connaissance supérieure et la connaissance mentale. L’homme


intellectuel pourra exprimer, de façon plus vaste et méthodique que l’« homo psychicus », la
connaissance supérieure qu’il aura obtenue, mais il ne s’ensuit pas qu’il en aura davantage. Il n’en
aura davantage que s’il s’élève au même degré d’ampleur, de plasticité et de compréhension qui
correspondent aux plans de connaissance supérieure. Dans ce cas il remplacera sa capacité mentale
par celle de ce qui est au-dessus du mental. (III, 73)

127. – La pensée n’est pas ce qui donne la connaissance, c’est le « médiateur » entre
l’Inconscient et le Supraconscient. Elle oblige le monde né de l’Inconscient à tendre vers une
Connaissance autre que ce qui est vital, instinctif ou simplement empirique, vers la Connaissance qui
elle-même dépasse la pensée. Elle appelle cette Connaissance supraconsciente et prépare la
conscience ici-bas à la recevoir. Elle s’élève dans les régions supérieures, et même lorsqu’elle
disparaît dans les niveaux du Supramental et de l’Ananda, elle se transforme en quelque chose qui en
fera descendre les puissances dans le moi silencieux que sa cessation laisse derrière elle. (II, 101)

*
105
128. – Au fur et à mesure que la pensée monte les échelons, elle cesse d’être intellectuelle, elle
devient illuminée, puis intuitive, puis surmentale, et finalement disparaît en cherchant le dernier au-
delà. (II, 100 sq.)

106
E. – Utilité et mode d’action du vital

129. – La partie vitale en nous est naturellement nécessaire pour que nous soyons complets,
mais elle n’est un instrument vrai que lorsque ses sentiments et tendances ont été purifiés par le
contact du psychique, pris et dirigés par la puissance et la lumière spirituelles. (II, 287)

130. – Oui, telle est la nature du vital. Elle peut rendre le don de soi absolu et enthousiaste aussi
bien que provoquer toutes les difficultés possibles. Sans le vital il n’y a pas de force-vie pour la
création ou la manifestation ; il est un instrument nécessaire de l’esprit pour la vie. (II, 279)

131. – J’ai toujours dit que le vital est indispensable pour l’action divine ou spirituelle ; sans lui
il ne peut pas y avoir d’expression complète, de réalisation dans la vie, il ne peut même guère y avoir
de réalisation dans la sâdhanâ. Lorsque je parle du mélange vital ou des obstructions, révoltes, etc.
du vital, je parle du vital extérieur non régénéré, plein de désirs et d’égoïsme, plein des passions
inférieures. Je pourrais en dire autant du mental et du physique lorsqu’ils font obstruction ou
s’opposent, mais justement parce que le vital est tellement puissant et indispensable, son obstruction,
son opposition, son refus de coopération sont efficaces de la façon la plus frappante, et ses faux
mélanges sont plus dangereux pour la sâdhanâ. C’est pourquoi j’ai toujours insisté sur les dangers du
vital non régénéré et sur la nécessité d’y apporter maîtrise et purification. Ce n’est pas parce que je
pense, comme les sannyâsins, que le vital et son pouvoir de vie soient, de par leur nature même, une
chose à condamner et à rejeter.
L’affection, l’amour, la tendresse sont psychiques de nature ; le vital les a parce que le
psychique essaie de s’exprimer à travers le vital. C’est par l’être émotif que le psychique s’exprime
le plus facilement. Car il se tient juste derrière lui dans le centre du cœur. Mais il veut que ces choses
soient pures. Ce n’est pas qu’il rejette l’expression extérieure à travers le vital et le physique, mais
puisque l’être psychique est la forme de l’âme, il sent naturellement l’attraction d’âme à âme, l’union
d’âme avec âme, comme les choses qui sont pour lui les plus durables et les plus concrètes. Mental,
vie et corps sont des moyens d’expression, de très précieux moyens d’expression, mais pour l’âme la
vie intérieure est ce qui vient en premier lieu, la réalité la plus profonde ; les autres choses doivent
être subordonnées à elle et conditionnées par elle ; elles doivent en être l’expression, les instruments
et le canal. Dans mon insistance sur les choses intérieures, sur le psychique et le spirituel, je ne crois
pas rien dire de nouveau, d’étrange ou d’inintelligible. On y a toujours insisté dès le début, et plus
l’être humain est évolué, plus cela est important. Je ne vois pas comment le yoga serait possible sans
cette insistance primordiale sur la vie intérieure,107sur l’âme et l’esprit. L’insistance sur la maîtrise du
vital, sa subordination et sa sujétion au spirituel et au psychique n’est pas non plus rien de nouveau,
d’étrange ou d’exorbitant. On y a toujours insisté pour toute sorte de vie spirituelle ; même les yogas
qui cherchent le plus à utiliser le vital, comme certaines formes de Vishnouïsme, insistent pourtant sur
la purification et l’offrande totale du vital au Divin. Toute réalisation du Divin est une réalisation
intérieure, seulement ici l’âme s’offre à travers l’être émotif. L’âme ou être psychique n’est pas
quelque chose dont on n’ait jamais entendu parler, ni quelque chose d’incompréhensible. (II,
279 sqq.)

132. – Le vital inférieur n’est pas une partie qui écoute la raison. Il n’y a pas de « pourquoi ? »
à son action ; il agit d’une certaine façon parce qu’il a pris l’habitude d’agir de la sorte, et il continue
même si le geste provoque une réaction pénible. (III, 354)

133. – Lorsque le vital résiste à la transformation de la conscience humaine en conscience


divine, ce qu’il défend, c’est son droit d’être attristé, de souffrir et tout le reste, avec sans doute des
variations et des soulagements qu’apportent certains plaisirs et satisfactions vitaux ou mentaux, mais
des soulagements très partiels et qui ne durent qu’un temps. (II, 242)

134. – Lorsque le vital s’empare d’une chose, il en est souvent ainsi : il la fait peser
continuellement sur le mental jusqu’à ce qu’il obtienne satisfaction ou que son emprise soit rejetée.
(III, 330)

135. – Là où le vital intervient, c’est dans l’impatience d’obtenir des résultats et dans le
mécontentement si les résultats ne sont pas immédiats. (II, 163)
136. – Pourquoi celui qui aime Dieu, qui cherche Dieu, un sâdhak, craindrait-il la divinisation
de la conscience ? Pourquoi objecterait-il à devenir un avec ce qu’il cherche, pourquoi reculerait-il
devant sadrishya-mukti ? Derrière cette crainte il y a généralement deux causes : d’abord il y a le
sentiment du vital qu’il devra cesser d’être obscur, grossier, boueux, égoïste, non-raffiné
(spirituellement), plein de désirs stimulants, de petits plaisirs et de souffrances intéressantes (car il
recule même devant l’ânanda qui remplacera tout cela). Ensuite il y a quelque vague idée ignorante
du mental, due, je suppose, à la tradition ascétique, que la nature divine est quelque chose de froid,
nu, vide, austère, lointain, sans les glorieuses richesses de la vie humaine vitale égoïste. Comme s’il
n’y avait pas un vital divin, et comme si ce vital 108
divin n’était pas lui-même – et lorsqu’il obtient les
moyens de se manifester ne rendait pas aussi la vie sur terre – infiniment plus plein de beauté,
d’amour, de rayonnement, de chaleur, de feu, d’intensité et de passion et de capacité divines pour la
béatitude que ne l’est la vitalité actuelle impotente, souffreteuse, mesquinement et passagèrement
excitée et bientôt fatiguée de la création humaine encore si imparfaite. (II, 250)

137. – Je ne sais rien d’un vital subtil. On dit physique subtil pour distinguer celui-ci du
physique matériel grossier, parce que pour notre expérience normale tout physique est grossier,
sthula. Mais le vital est par nature non matériel, si bien que l’adjectif est superflu. Par vital matériel
nous entendons le vital tellement involué dans la matière qu’il est lié par ses mouvements et par son
caractère physique grossier. Son action est de supporter le corps, de lui donner l’énergie, de
maintenir en lui la capacité de vie, de croissance, de mouvement, etc. et aussi de sensibilité aux
excitations de l’extérieur. (II, 342)

109
F. – La résistance du vital inférieur

138. – Le défaut capital, celui qui a toujours fait obstacle sur le chemin et qui, à présent, se
trouve isolé, en extrême proéminence, est installé ou tout au moins ramassé en ce moment dans l’être
vital inférieur. Je veux dire cette partie de la nature physique vitale avec son égoïsme mesquin et
obstiné qui anime la personnalité humaine externe, celle qui en porte les pensées de surface, en
domine les façons habituelles de sentir, le caractère, l’action. Je ne m’occupe pas ici des autres
parties de l’être et je ne parle de rien qui soit dans le mental supérieur, le Moi psychique ou la nature
supérieure plus vaste, car lorsque le vital inférieur monte, ces derniers sont rejetés à l’arrière-plan
(sinon recouverts pour un temps) par cet être vital inférieur et cette personnalité externe. Quelles que
soient les choses contenues dans ces parties supérieures : l’aspiration à la vérité, la dévotion ou la
volonté de triompher des obstacles et des forces hostiles, elles ne peuvent devenir intégrales, rester
sans mélange et intactes ou continuer à être efficaces tant que le vital inférieur et la personnalité
externe n’ont pas accepté la Lumière et consenti à se transformer.
Il était inévitable qu’au cours de la sâdhanâ ces parties inférieures de la nature soient amenées
en avant afin de pouvoir, comme le reste de l’être, faire un choix décisif, accepter ou refuser la
transformation. Tout mon travail dépend de ce mouvement ; c’est l’épreuve cruciale de notre yoga.
Car la conscience physique et la vie matérielle ne peuvent pas changer si cela ne change pas. Rien de
ce qui a pu être accompli auparavant, aucune illumination intérieure, expérience, aucun pouvoir ou
ânanda n’a finalement de valeur si cela n’est pas fait. Si la petite personnalité externe doit persister à
retenir sa conscience humaine limitée et obscure, ignoble et mesquine, égoïste, fausse et stupide, cela
signifie un déni catégorique du travail et de la sâdhanâ. Je n’ai pas l’intention de donner mon
approbation à une réédition de l’ancien fiasco : une ouverture spirituelle intérieure, éphémère et
partielle, sans tranformation radicale et vraie dans la loi de la nature externe. Si donc un sâdhak
refuse de mettre en pratique cette transformation ou si même il refuse d’admettre la nécessité d’un
changement quelconque de son être vital inférieur et de sa personnalité externe habituelle, je suis en
droit de conclure – quelles que soient ses protestations – qu’il n’a accepté ni moi, ni mon yoga.
Je me rends parfaitement compte que cette transformation n’est pas facile ; la volonté dynamique
qui oriente vers elle ne vient pas immédiatement et elle est difficile à ancrer. Même plus tard, le
sâdhak se sent souvent impuissant devant la force de l’habitude. Sachant cela, nous avons montré et
montrons encore suffisamment de patience en donnant le temps qu’il faut pour que l’esprit vrai se
lève, se forme et agisse efficacement dans l’être extérieur de ceux qui nous entourent. Mais si, chez
l’un deux, cette partie non seulement s’obstine, devient autoritaire ou agressive, mais se fait appuyer
et justifier par le mental et la volonté et essaye de se propager dans l’atmosphère, alors c’est
différent et très grave.

110
La difficulté dans l’être vital inférieur est qu’il est encore uni à son ancien moi et révolté contre
la Lumière ; non seulement il ne s’est pas abandonné soit à une Vérité supérieure, soit à nous, mais il
n’a jusqu’à présent aucune intention de le faire et c’est à peine s’il a une idée quelconque de ce que
signifie la vraie soumission. Lorsque le vital inférieur adopte cette attitude, il prend position dans une
affirmation constante de l’ancienne personnalité et des formes anciennes de la nature inférieure.
Toutes les fois que celles-ci sont rebutées, il les ramène, les appuie et revendique son droit à la
liberté – la liberté d’affirmer et de suivre, toutes les fois qu’il choisit de le faire, ses propres idées,
désirs, lubies, impulsions ou commodités égoïstes et grossières. Il réclame en secret ou explicitement
le droit de suivre sa nature (sa nature humaine non régénérée, le droit d’être lui-même), son moi
inchangé, originel et naturel, avec toute sa fausseté, son ignorance, son incohérence propres à cette
partie de l’être. Et il réclame – ou, s’il ne réclame pas en théorie, il revendique en pratique – le droit
d’exprimer toute cette matière inférieure et impure en paroles, en actes, en comportement. Il défend,
dépeint avec des couleurs trompeuses, essaie de prolonger indéfiniment les façons de penser, de
parler, de sentir anciennes habituelles, épilogue sur tout cela, cherche à éterniser ce qui dans le
caractère est déformé et mal venu. Il fait parfois cela avec une outrecuidance et une révolte ouvertes,
stigmatisant tout ce qui se fait ou se dit comme erreur, oppression, injustice, cherchant parfois refuge
derrière un mensonge qu’il se fait à lui-même ou sous le masque de la dissimulation, professant une
chose et en pratiquant une autre. Il essaie souvent de se persuader et de convaincre les autres que ces
choses sont la seule raison vraie, la seule façon d’agir vraie pour lui-même ou pour tous ou même
qu’elles font partie du vrai mouvement du yoga.
Lorsqu’il est permis à cet être vital inférieur d’exercer une influence sur l’action – ce qui se
produit lorsque le sâdhak endosse ses suggestions d’une façon quelconque – son attitude, qu’elle soit
masquée à ses propres yeux ou qu’elle monte à la surface, lui dicte en proportion considérable ses
paroles et ses gestes, et le sâdhak n’y oppose aucune résistance sérieuse. S’il est sincère et loyal
envers la Mère, il commencera par reconnaître l’origine et la nature de l’obstacle et il sera bientôt
sur la voie directe qui lui permettra de le corriger, de le transformer. Mais lorsqu’il est sous l’effet
d’influences adverses il refuse obstinément de le faire. Il préfère dissimuler ces mouvements sous
n’importe quel déguisement : démenti, justification, excuse ou tout autre prétexte.
Dans la nature, la résistance prend certaines formes caractéristiques qui ajoutent à la confusion
et à la difficulté de la transformation. Il est nécessaire de souligner certaines de ces formes parce
que, étant suffisamment courantes et à un degré plus ou moins poussé selon les individus, il faut les
dénoncer avec force et clarté.
(1) Une certaine vanité, une arrogance, une véhémence outrecuidante et rajasique qui, dans cet
être vital moindre et pour ceux qui ont dans ces parties une force prononcée, sont la déformation
de la force vitale, de l’habitude de dominer et de diriger, que leur ont données certaines qualités
dans le vital supérieur. Cela s’accompagne d’un « amour-propre » excessif qui crée la nécessité
de faire bonne figure, de préserver à tout prix111 situation et prestige, de poser même devant les
autres, de les influencer, de les diriger, de les « aider », en réclamant le rôle de sâdhak avancé,
de celui qui possède une connaissance plus vaste et des pouvoirs occultes. L’être vital plus
vaste doit lui-même abandonner ses pouvoirs et ses capacités à la Shakti divine de qui il les
tient, les considérer uniquement comme des instruments appartenant à la Mère et ne les utiliser
que selon ses instructions ; si le vital intervient avec les revendications de son ego et
s’interpose entre la Mère et le travail ou entre elle et les autres sâdhaks, alors, quel que soit son
pouvoir naturel, il dévie hors du vrai chemin, gâche le travail, introduit des forces adverses et
des mouvements faux, et fait du mal à ceux qu’il s’imagine aider. Lorsque ces choses sont
transférées dans la petitesse de la nature vitale inférieure et dans la personnalité externe,
lorsqu’elles prennent des formes encore plus basses et plus mesquines, elles deviennent encore
plus infidèles à la vérité, elles deviennent incongrues, grotesques, et en même temps elles
peuvent être perversement nuisibles, bien que dans un champ plus restreint. Il n’existe pas de
meilleur moyen pour introduire des forces hostiles dans le travail général ou pour souiller et
exposer à leur influence sa propre sâdhanâ. À une échelle réduite, ces défauts de vanité,
d’arrogance et de violence rajasique sont présents dans la plupart des natures humaines. Ils
prennent d’autres formes, mais ils n’en constituent pas moins un grand obstacle à toute vraie
transformation spirituelle.
(2) Désobéissance et indiscipline. Cette partie inférieure de l’être erre toujours au hasard,
capricieuse, autoritaire, rebelle à tout ce qui lui est imposé comme ordre et discipline et qui
diffère de sa propre idée ou impulsion. Dès le début même, ses défauts font obstacle aux efforts
que fait le vital supérieur pour imposer à la nature un tapasya véritablement régénérateur. Cette
habitude de désobéissance et dédain à l’égard de la discipline est si forte qu’elle n’a pas
toujours besoin d’être réfléchie ; la réaction semble immédiate, irrésistible, instinctive…
(3) Dissimulation et fausseté dans la parole. C’est une habitude excessivement nuisible de la
nature inférieure. Ceux qui ne sont pas loyaux ne peuvent espérer la descente de la Lumière et de
la Vérité supramentales dans le vital inférieur et la nature physique ; ils sont empêtrés dans la
boue qu’ils ont créée eux-mêmes et ne peuvent pas progresser. Souvent, ce qui est le plus
marqué chez le sâdhak, ce n’est pas une simple exagération ou un mauvais usage de
l’imagination brodant sur la vérité réelle, mais un déni et une déformation positifs ainsi qu’une
falsificatrice dissimulation des faits. Cela, il le fait tantôt pour camoufler sa désobéissance ou
sa ligne de conduite erronée et douteuse, tantôt pour maintenir sa situation ou encore pour n’en
faire qu’à sa tête ou se laisser aller à ses habitudes et désirs favoris. Très souvent, quelqu’un
qui possède cette sorte d’habitude vitale obnubile sa propre conscience et ne se rend pas du tout
compte de la fausseté de ce qu’il dit ou fait ; mais dans beaucoup de ce qu’il dit ou fait il est
impossible de lui reconnaître même cette excuse inadéquate.
(4) La dangereuse habitude de toujours vouloir se justifier. Lorsque cette attitude devient
prononcée chez le sâdhak, il est impossible 112 de diriger cette partie de son être vers la
conscience et l’action vraies parce qu’à chaque pas sa préoccupation tout entière est de se
justifier. Son mental accourt immédiatement pour appuyer sa propre idée, sa propre attitude ou
sa propre ligne de conduite. Pour cela il est prêt à faire usage de n’importe quels arguments
(parfois les plus gauches, les plus insensés ou les plus incompatibles avec ce qu’il a affirmé il y
a un instant) au moyen de fausses déclarations ou de subterfuges quelconques. C’est un message
courant, mais message tout de même, du mental pensant qui prend en lui des proportions
exagérées. Tant qu’il s’y maintient il lui sera impossible de voir ou de vivre la Vérité.

Quelles que soient les difficultés auxquelles se heurte la nature, si long et douloureux que soit le
processus pour en disposer, elles ne peuvent tenir tête à la Vérité jusqu’à la fin si l’esprit, l’attitude
et l’effort vrais se trouvent dans ces parties ou y viennent. Mais tant qu’un sâdhak persiste par
amour-propre, entêtement ou inertie tamasique à fermer les yeux et à endurcir son cœur contre la
Lumière, personne ne peut l’aider. Le consentement de tout l’être est nécessaire à la transformation
divine et c’est le caractère complet et total de ce consentement qui constitue l’abandon intégral. Mais
le consentement du vital inférieur ne doit pas n’être qu’une profession de foi mentale ou une adhésion
émotive passagère ; il doit se traduire par une attitude constante et une action consistante et
persistante.
Ce yoga ne peut s’effectuer que par ceux qui le prennent absolument au sérieux et qui sont prêts
à abolir leur petit ego humain et ses exigences, pour se retrouver dans le Divin. Il ne peut s’effectuer
dans un esprit de légèreté ou de relâchement. Le travail est trop élevé et difficile, les puissances
adverses dans la Nature inférieure trop promptes à tirer avantage de la moindre approbation, de la
moindre ouverture, l’aspiration et le tapasya nécessaires trop constants et intenses. Il ne peut être
effectué si les idées du mental humain s’imposent avec une outrecuidante pétulance, ou s’il y a un
laisser-aller voulu aux demandes, aux instincts, aux prétentions de la partie la plus basse de l’être –
que l’on justifie couramment en lui donnant le nom de nature humaine. Il ne peut s’effectuer si vous
vous obstinez à identifier ces choses les plus basses de l’Ignorance avec la Vérité divine, ou même
avec la Vérité moindre qui peut être autorisée en cours de route. Il ne peut s’effectuer si vous vous
accrochez à votre vieux moi, à ses anciennes formations et à ses habitudes physiques, vitales et
mentales ; il faut continuellement laisser derrière soi ses « moi » passés et voir, agir et vivre à partir
d’un niveau de conscience toujours plus élevé. Il ne peut s’effectuer si vous exigez la « liberté » pour
votre mental humain et votre ego vital. Toutes les parties de l’être humain ont le droit de s’exprimer
et de se satisfaire de la façon qui leur plaît, à leurs propres risques et périls pour autant que l’être
humain le veuille et tant qu’il mène une vie ordinaire. Mais pénétrer dans une vie yoguique dont
l’objectif tout entier est de substituer à ces choses humaines la loi et le pouvoir d’une plus grande
Vérité et dont toute la méthode a pour cœur même de s’abandonner à la Shakti divine, et continuer
néanmoins à réclamer cette prétendue liberté qui n’est rien d’autre qu’une soumission à certaines

113
forces cosmiques ignorantes, c’est se laisser aller à une contradiction aveugle et réclamer le droit de
vivre une double vie.
Et ce yoga peut encore moins s’effectuer si ceux qui font profession d’être ses sâdhaks
continuent à toujours faire d’eux-mêmes les centres, les instruments et les porte-parole des forces de
l’Ignorance qui opposent, nient et ridiculisent son principe, son but même. D’un côté il y a la
réalisation supramentale, le pouvoir du Divin supramental qui descend et éclipse tout, la lumière et la
force d’une Vérité infiniment plus grande que toutes celles déjà réalisées sur terre, quelque chose,
par conséquent, qui est au-delà de ce que le petit mental humain et sa logique considèrent comme les
seules réalités permanentes, quelque chose dont ils ne peuvent ni concevoir, ni percevoir d’après
leurs propres instruments inadéquats, ni juger d’après leurs normes puériles, la nature, les moyens et
le processus de développement. En dépit de toutes les oppositions, cela est en train d’appuyer pour
descendre et se manifester dans la conscience physique et la vie matérielle. D’un autre côté, cette
nature vitale inférieure, avec toute son arrogante prétention, son ignorance, son obscurité, sa
pesanteur, sa turbulente incompétence, se dresse pour défendre sa propre prolongation, pour
s’opposer à la descente, et refuser de croire en la réalité réelle ou la possibilité réelle d’un
supramental ou d’une conscience et d’une création suprahumaines, ou bien, ce qui est encore plus
absurde, exige qu’elles se conforment à ses propres petites normes en admettant qu’elles existent.
Elle se saisit avidement de tout ce qui semble les infirmer, niant la présence du Divin (car elle sait
que sans cette présence le travail est impossible), affirmant bruyamment ses propres pensées,
jugements, désirs, instincts et, si ces derniers sont contrariés, se vengeant en propageant doutes,
démentis, critiques dénigrantes, révoltes et désordres. Ce sont les deux choses en présence en ce
moment et entre lesquelles chacun aura à choisir.
Car cette opposition, cette obstruction stérile et ce blocus contre la descente de la Vérité divine
ne peuvent pas durer éternellement. Chacun devra finalement se placer soit d’un côté, soit de l’autre,
soit du côté de la Vérité, soit contre elle. La réalisation supramentale ne peut pas coexister avec la
persistance de l’Ignorance intérieure ; elle est incompatible avec la satisfaction continue d’une
double nature (III, 369-378)

139. – À cette étape de votre sâdhanâ, je crois nécessaire de répéter mon avertissement
antérieur pour que vous ne permettiez aucun mélange vital. C’est la nature brute du vital non régénéré
qui empêche le psychique de rester toujours en avant. Vous avez maintenant vu clairement les deux
consciences différentes, la psychique et la vitale. Vous débarrasser de l’ancienne nature vitale est un
des besoins urgents de votre sâdhanâ. (II, 162)

*
114
140. – Le vital est un bon instrument, mais un mauvais maître. Si vous lui permettez de suivre
ses sympathies et ses antipathies, ses désirs, ses mauvaises habitudes, il devient votre maître et la
paix et le bonheur ne sont plus possibles. Il devient, non plus votre instrument ou celui de la divine
Shakti, mais celui de n’importe quelle force de l’Ignorance, ou même de n’importe quelle force
hostile qui est capable de le saisir et de l’utiliser (III, 332 sq.)

115
G. – Comment discipliner le vital inférieur

141. – Si vous obtenez la paix, il devient facile de nettoyer le vital. Si vous nettoyez, nettoyez
sans rien faire d’autre, vous irez très lentement, car le vital se salit à nouveau et il faut le nettoyer
cent fois. La paix est quelque chose de propre en soi, de sorte que l’obtenir est une façon positive
d’assurer votre but. Ne chercher que la saleté et nettoyer est la façon négative. (III, 269 sq.)

142. – Il est de la nature de la partie non régénérée du vital, qui est à la surface, d’agir de la
sorte. Le vrai vital est différent, calme et fort, un instrument puissant, soumis au Divin. Mais pour
qu’il passe en avant il est nécessaire d’atteindre d’abord cet équilibre fixe au-dessus dans le mental ;
quand la conscience s’y trouve et que le mental est calme, libre et vaste, le vrai vital peut passer en
avant. (II, 163)

143. – Il vous faut avoir conscience de votre nature vitale, et le vital doit accepter de se
transformer. Il ne sert à rien de simplement constater que le vital ne veut pas et que lorsqu’il est
contrarié il crée en vous une dépression. Toujours la nature vitale refuse d’abord et toujours elle crée
cette dépression par sa révolte ou son refus de consentir lorsqu’elle est contrariée ou priée de
changer. Il faut insister jusqu’à ce qu’elle reconnaisse la vérité et soit disposée à se transformer et à
accepter l’aide et la grâce de la Mère. Si le mental est sincère et si l’aspiration psychique est
complète et vraie, on peut toujours faire changer le vital. (II, 198)

144. – Ce qu’il vous faut éviter par-dessus tout, c’est de perdre patience, car cela ne fait que
prolonger le trouble vital. Un vital qui doit être transformé (fondamentalement) donne toujours un
ennui constant tel que celui-ci jusqu’à ce que l’on puisse s’installer solidement dans le calme de la
conscience intérieure et maintenir les mouvements vitaux tout à fait à la surface. (III, 335)

145. – Le vital humain a presque toujours ce caractère, mais ce n’est pas une raison pour
l’accepter comme un fait immuable et pour permettre à un vital agité de vous mener où bon lui
semble. Même en dehors du yoga, dans la vie courante, seuls sont considérés comme possédant leur
pleine virilité ou comme susceptibles de réussir dans la vie, dans leurs idéals ou leurs entreprises,
ceux qui prennent en main ce vital agité, le concentrent, le maîtrisent et le soumettent à une discipline.
116
C’est par l’usage de la volonté mentale qu’ils le disciplinent et le forcent à faire, non pas ce qu’il
veut, mais ce que la raison ou la volonté estime juste ou désirable. Dans le yoga, on fait usage de la
volonté intérieure et on force le vital à se soumettre au tapasya pour qu’il puisse devenir calme, fort,
obéissant. Ou encore on appelle, pour le faire descendre, le calme d’en haut qui oblige le vital à
renoncer au désir et à devenir calme et réceptif. (III, 332)

146. – Ce sont les petites habitudes de l’être vital inférieur qui rassemblent toutes leurs forces
pour résister à la correction et qui essaient d’occuper la conscience. Lorsqu’elles arrivent, vous
devez apprendre à complètement détacher d’elles votre conscience intérieure, de sorte que même si
elles viennent avec force, elles ne soient plus capables d’occuper la conscience ou d’obtenir aucun
assentiment. (III, 332)

147. – C’est la vraie conscience, croissant à l’intérieur, qui donne ce pouvoir. Au fur et à
mesure qu’elle se développe, ces forces vitales sont toujours plus extériorisées et étrangères à la
nature. Elles ne se soulèvent que par le pouvoir d’une habitude antérieure. (III, 276)

148. – C’est par une transformation dans le vital que l’on doit se délivrer de l’énergie vitale
aveugle ; par l’apparition du vrai vital qui est fort, vaste, en paix, et qui est un instrument docile du
Divin et du seul Divin. (III, 331)

149. – Cela signifie l’énergie de vie qui vient de l’intérieur et qui est en harmonie avec l’être
psychique ; c’est l’énergie de l’être vital vrai qui, dans le vital ignorant ordinaire, se déforme et
devient le désir. Vous devez faire taire et purifier ce vital et faire apparaître le vrai vital. Ou bien il
vous faut amener le psychique au premier plan et c’est lui qui purifiera et psychici-sera le vital ; vous
aurez alors la vraie énergie vitale. (III, 331)
150. – Ou bien la conscience supérieure doit descendre dans le vital et le physique ou bien, par
le passage au premier plan de la conscience psychique, il faut découvrir tout ce qu’il peut y avoir
d’imperfections dans le vital et les rejeter. (III, 260)

117
151. – Je n’ai jamais dit que le vital ne doit pas jouer de rôle dans l’amour pour le Divin, mais
il doit se purifier et s’ennoblir dans la lumière de l’être psychique. Les résultats d’amour de soi dans
l’amour entre les êtres humains finissent par être si pauvres et contradictoires (c’est cela que
j’entends par l’amour vital ordinaire) que je veux quelque chose de plus pur, plus noble, plus élevé
dans le vital aussi pour le mouvement dirigé vers le Divin. (II, 175)

152. – Une fois que l’être vital est venu en avant et a montré quelle est sa difficulté – car il n’y a
personne qui n’ait là une difficulté cruciale ou une autre – il faut s’en occuper et en triompher.
Il ne faut pas que ce soit le mental, mais la puissance supra-mentale qui s’en occupe
directement.
Ce qu’il faut installer, ce n’est pas la paix et la connaissance dans le mental, mais la paix, la foi
et la force calme dans l’être vital – et surtout en la partie de l’être qui est imparfaite. Vous ouvrir et
laisser tout ce pouvoir descendre dans le vital est la bonne manière.
L’insuffisance ne se trouve pas dans le mental supérieur ni dans le mental propre ; il ne sert par
conséquent à rien de retourner en arrière pour établir la paix mentale. La difficulté réside dans la
partie de l’être vital qui n’est pas suffisamment ouverte et confiante, pas suffisamment forte et
courageuse, et aussi dans le mental physique qui donne son appui à cela. Ce dont vous avez besoin,
c’est d’y faire descendre la lumière, le calme, la force, l’intensité supramentaux.
Vous pourriez avoir toute la connaissance mentale du monde et pourtant rester impuissant à faire
face à des difficultés vitales. Ce sont le courage, la foi, la sincérité envers la Lumière, le rejet des
suggestions opposées et des voix adverses qui sont ici l’aide vraie. Alors seulement la connaissance
peut elle-même avoir un certain effet.
Ce n’est pas la maîtrise mentale, mais une descente d’une maîtrise venue d’au-delà du mental
qui est la puissance exigée pour la réalisation. Cette maîtrise qui dérive finalement du Supramental
est une maîtrise par la Puissance divine. (II, 288 sq.)

153. – En général, les hommes travaillent et s’occupent de leurs affaires pour ce qui fait
habituellement agir l’être vital (besoins, désir d’obtenir des richesses, du succès, une situation, du
pouvoir ou une renommée) ou parce qu’ils sont poussés à l’activité, ou encore pour le plaisir de
manifester leurs capacités ; et ils réussissent ou échouent selon leurs aptitudes, leur puissance de
travail et la bonne ou mauvaise fortune qui est le résultat de leur nature ou de leur karma. Lorsqu’on
s’adonne au yoga et que l’on désire consacrer sa vie au Divin, ces mobiles ordinaires de l’être vital
ne jouent plus aussi pleinement ni aussi librement ; ils doivent être remplacés par un autre, un mobile
qui est surtout d’ordre psychique et spirituel, qui permettra au sâdhak de travailler avec la même
118
force qu’auparavant, non plus pour lui-même, mais pour le Divin. Si les mobiles vitaux ordinaires ou
la force vitale ne peuvent plus s’exercer librement, et ne sont pas, pour autant, remplacés par quelque
chose d’autre, alors l’impulsion ou la force employée dans le travail risque de s’amenuiser ou la
faculté d’obtenir le succès de ne plus être présente. Pour le sâdhak sincère la difficulté peut n’être
que temporaire, mais il lui faut voir le défaut dans sa conscience ou son attitude et l’éliminer. Alors
la Puissance divine elle-même agira à travers lui et utilisera, à ses propres fins, la capacité et la
force vitale du sâdhak. Dans votre cas, c’est l’être psychique et une partie du mental qui vous ont
poussé vers le yoga et qui y étaient prédisposés, mais la nature vitale – ou tout au moins une bonne
partie de la nature vitale – ne s’est pas encore rangée du côté du mouvement psychique. Il n’y a pas
encore une consécration pleine et entière de la nature vitale active.
Les signes de consécration du vital dans l’action sont notamment les suivants :
– Le sentiment (non seulement l’idée ou l’aspiration) que toute la vie et le travail appartiennent
à la Mère, et la joie puissante de la nature vitale à cette consécration et cet abandon. Un calme
contentement et la disparition de l’attachement égoïste au travail et à ses résultats personnels en sont
la conséquence, mais il faut en même temps une grande joie dans le travail et dans l’usage des
aptitudes à des fins diverses.
– Le sentiment que la Force divine travaille derrière l’action individuelle et qu’à tout moment
c’est elle qui conduit.
– Une foi persistante qu’aucune circonstance ni aucun événement ne peut faire perdre. Si des
difficultés surviennent, elles ne soulèvent pas de doutes mentalement et n’amènent pas de
consentement inerte, mais la ferme conviction qu’avec une consécration sincère la Shakti divine
écartera les difficultés ; grâce à cette conviction, on peut se tourner davantage vers elle et s’en
remettre davantage à elle pour tout cela. Lorsqu’il y a foi et consécration totales, il y a aussi une
réceptivité à la Force qui fait faire ce qu’il faut faire et fait employer les moyens appropriés ; les
circonstances alors s’adaptent d’elles-mêmes et le résultat est visible.
Pour parvenir à cet état, l’important, c’est une aspiration, un appel, un don de soi constants et la
volonté de rejeter tout ce qui, en soi ou autour de soi, fait obstacle. Quant aux difficultés, il y en aura
toujours au début et aussi longtemps qu’elles seront nécessaires à la transformation ; mais elles ne
peuvent faire autrement que disparaître si on les aborde avec une foi, une volonté et une patience bien
ancrées. (III, 453 sqq.)

119
H. – L’attitude envers le corps

154. – Il n’est pas nécessaire de mépriser l’être physique – il fait partie de la manifestation
voulue. (III, 389)

155. – Bien entendu il faut prendre soin de son corps, faire ce qui est nécessaire pour le
maintenir en bon état : repos, sommeil, nourriture adéquate, suffisamment d’exercice. Ce qui n’est pas
bon, c’est de trop s’en préoccuper, avec angoisse, découragement en cas de maladie, etc., car ces
choses ne font que favoriser le prolongement de la maladie et de la faiblesse. Et l’on peut toujours
entreprendre, au moment nécessaire, des traitements pour le foie. (III, 407)

156. – J’ai dit que votre conscience est venue en contact direct avec la nature physique externe,
qui est toujours pleine de mouvements inférieurs. Lorsque cela se produit, vous voyez ces
mouvements tels qu’ils sont – lorsqu’ils ne sont pas sous l’emprise du mental et du psychique.
Chacun doit faire l’expérience de ce contact direct ; autrement il ne peut pas y avoir transformation
de cette partie de l’être. (III, 391 sq.)

157. – Vous êtes en quelque sorte fermé dans cette partie de votre être physique qui recule
encore devant la Lumière. C’est cette partie qui a toujours été fondamentalement responsable de
toutes vos mauvaises passes et mouvements pénibles, même lorsque la difficulté directe se situait
plus haut. Sa nature est de s’accrocher aux anciens mouvements habituels, de reculer devant la
conscience yoguique et de fermer portes et fenêtres à l’aide offerte et de se lamenter dans l’obscurité
lorsqu’elle se sent blessée. C’est là une chose dont tous ceux qui veulent progresser doivent se
débarrasser. Ne continuez pas à vous identifier à cette partie et à dire que c’est vous-même.
Retournez dans votre être intérieur et ne considérez cela que comme une partie petite, bien
qu’obstinée, de la nature, et qui doit se transformer. Car à part cette insistance, il n’y a pas de raison
pour que votre route conduise dans un désert. Elle devrait mener à une vastitude dans la libération,
conduire au calme, à la paix, au pouvoir, à la lumière, à une conscience plus large que la conscience
personnelle et en laquelle l’ego peut joyeusement disparaître. (III, 298)

120
158 – L’ouverture du physique et du subconscient prend toujours longtemps, car ils constituent
une chose faite d’habitudes, de la répétition constante des anciens mouvements, obscure, rigide et non
malléable et qui ne cède que petit à petit. On peut, plus facilement que le reste, ouvrir et convertir le
mental physique, mais le physique-vital et le physique-matériel s’obstinent. C’est là que se répètent
toujours les vieilles choses, sans raison et par la force de l’habitude. Une bonne partie du physique-
vital et la majeure partie du physique-matériel sont dans le subconscient ou dépendent de lui. Une
action soutenue et puissante est nécessaire pour progresser dans ce domaine. (III, 390)
159. – Pour votre sâdhanâ il est nécessaire d’établir d’abord la totale ouverture de l’être
physique et de stabiliser en lui la descente du calme, de la force, de la pureté et de la joie avec le
sentiment de la présence et de l’action en vous de la force de la Mère. C’est seulement cette base une
fois assurée qu’on peut devenir un instrument totalement efficace pour l’œuvre. Lorsque cela est fait,
il reste encore à accomplir la transformation dynamique de l’être instrumental, et cela dépend de la
descente d’une puissance de conscience toujours plus haute dans le mental, le vital et le corps. Par
« plus haute » j’entends toujours plus proche de la Lumière et de la Force supramentales. Mais tout
cela ne peut se faire que sur la base dont j’ai parlé, avec l’être psychique constamment en avant et
agissant comme intermédiaire entre le mental, le vital et le corps instrumentaux et ces plans
supérieurs de l’être. Aussi faut-il d’abord compléter cette stabilisation fondamentale. (II, 339)

160. – Il n’y a pas de quoi se décourager. Le fait est qu’après avoir aussi longtemps vécu sur le
plan mental et sur le plan vital vous avez pris contact avec la conscience physique – et la conscience
physique est ainsi chez tout le monde. Elle est inerte, conservatrice, ne veut pas se mouvoir, se
transformer ; elle s’accroche à ses habitudes (ce que les gens appellent leur caractère) ou bien ses
habitudes (ses mouvements habituels) s’accrochent à elle et se répètent comme une montre
fonctionne, d’une façon persistante et mécanique. Lorsque vous avez en quelque sorte éclairci votre
vital, les choses descendent plus bas et se collent là. Voyez-vous, si vous êtes devenu conscient de
vous-même, vous employez peut-être une pression, mais le physique répond très lentement, et au
début ne semble pas bouger du tout. Le remède est l’aspiration ferme et immuable, le travail patient,
le psychique dans le physique appelant pour que la lumière et la force descendent dans ces parties
obscures. La lumière apporte la conscience de ce qui s’y trouve ; la force doit suivre et travailler là-
dessus jusqu’à ce que cela change ou disparaisse. (III, 391)

161. – La conscience (supérieure) est toujours là. Le corps est tamasique, ténébreux et, dans sa
majeure partie, subconscient. S’il s’ouvre, il y a alors une union croissante avec la conscience

121
supérieure et il est en mesure de partager les expériences et le développement du mental et du vital.
(III, 390)

162. – Cela signifie qu’on se libère des sens corporels, de façon que l’on puisse vraiment dire :
« je ne suis pas mon corps ». Cette libération fait partie de la Conscience cosmique, tout comme la
réalisation de la Volonté cosmique.
Ce n’est que se libérer des sens corporels ; c’est tout différent de la maîtrise du corps. (III, 220)

163. – Il y a deux endroits où il (le physique vital à l’état brut) peut se retirer : le vital
subconscient en-dessous et la conscience du milieu alentour. Lorsqu’il revient, il surgit d’en bas si
c’est le premier cas, ou s’approche et envahit de l’extérieur si c’est le second cas. (III, 331)

164. – En pratique, l’impureté physique s’avère suffisamment puissante pour barrer la route au
progrès intérieur et limiter strictement l’expérience intérieure à une quelconque paix passive. (III,
389)

165. – Je ne vois pas pourquoi vous doutez que l’accomplissement puisse se faire dans votre
conscience matérielle. S’il y a foi, sérénité et ouverture dans le reste de l’être, le matériel ne peut
faire autrement que s’ouvrir aussi. Le tamas, l’inertie, l’ignorance, la stupidité, la petitesse,
l’obstruction aux vrais mouvements sont les caractéristiques universelles de la conscience matérielle
aussi longtemps qu’elle n’est pas éclairée, régénérée, transformée d’en haut ; ces traits ne vous sont
pas particuliers. Par conséquent il n’y a pas là de raison suffisante ou de justification valable au
doute que vous décrivez.
Lorsque le Supramental descendra pleinement dans la conscience matérielle, il y créera les
conditions appropriées. L’unicité sera créée, la présence constante et le sentiment du contact seront
sentis dans le matériel et il y aura tout le réel contact physique nécessaire. La tristesse dont vous
parlez n’est pas psychique, car le « désir ardent et douloureux » appartient au vital et non au
psychique. Le psychique n’éprouve jamais de tristesse à cause d’un désir non exaucé parce que cela
n’est pas dans sa nature ; le chagrin qu’il éprouve parfois vient de ce qu’il voit le Divin rejeté ou le
mental, le vital ou le physique chez l’homme ou dans la nature se détourner de la Vérité pour suivre
la perversion, les ténèbres, l’Ignorance. Cependant, avec le règne du Supramental, même la nature
122
vitale externe ne pourra faire autrement que se transformer, et par conséquent des sentiments de ce
genre n’auront plus l’occasion de se manifester. (III, 392 sq.)

166. – Voici quelques-uns des résultats de la descente de la conscience supérieure dans ce qui
est le plus physique. Elle amène la lumière, la conscience, la force, l’ânanda dans les cellules et
dans tous les mouvements physiques. Le corps devient conscient et vigilant, accomplit les
mouvements justes, soit en obéissant à la volonté supérieure, soit encore automatiquement par la
force de la conscience qui est venue en lui. Il devient mieux possible de maîtriser les fonctions du
corps et d’ajuster tout ce qui va mal, de faire face à la maladie, à la douleur, etc. On acquiert une plus
grande maîtrise sur les actions du corps et même sur ce qui lui arrive de l’extérieur. Par exemple, on
réduit l’importance des accidents et des petits malheurs. Le corps devient un instrument plus efficace
pour le travail ; il devient possible de réduire la fatigue. La paix, la joie, la force, la légèreté
pénètrent dans tout le système physique. Ce sont là les résultats normaux les plus évidents qui se
développent au fur et à mesure que croît la conscience, mais il peut y en avoir beaucoup d’autres. Il y
a aussi l’unité avec la conscience terrestre, le sens continuel du Divin dans le physique, etc.
Naturellement il n’est pas facile de rendre le physique entièrement conscient de cette manière
(car il est le siège de l’inconscience, de l’obscurité et de l’inertie), mais on peut établir comme base
une introduction partielle et suffisamment efficace de la conscience supérieure, et le reste du terrain
peut être conquis au fur et à mesure que sa force agit toujours davantage sur le corps. (II, 108 sq.)

167. – La puissance spirituelle est naturellement plus libre sur son propre plan que dans le
corps. (III, 237)

168. – Le dynamisme est partout parce que la Force (shakti) est partout. Le dynamisme parfait
est dans le Supramental ; aucun autre ne réussit à coup sûr. Comment le corps reçoit le dynamisme
supérieur dépend de l’état du corps ou plutôt de la conscience physique la plus matérielle. Tantôt cet
état est tamasique, inerte, fermé, et il ne peut ni supporter, ni recevoir, ni contenir la force ; tantôt
c’est le rajas qui prédomine et essaie de se saisir du dynamisme ; mais il le gâche, le gaspille et le
perd ; tantôt il y a réceptivité, harmonie, équilibre et le résultat en est une action harmonieuse, sans
tension ni effort. (III, 398 sq.)

123
I. – Le subconscient

169. – Le subconscient est une conscience inarticulée, cachée et inexprimée, qui travaille au-
dessous de toutes nos activités physiques conscientes. Tout comme ce que nous appelons le
supraconscient est en réalité une conscience supérieure, au-dessus, d’où les choses descendent dans
l’être, de même le subconscient est au-dessous de la conscience du corps, et des choses montent de là
dans la nature physique, vitale et mentale.
Tout comme la conscience supérieure nous est supraconsciente et soutient toutes nos possibilités
et notre nature spirituelles, de même le subconscient est la base de notre être matériel et soutient tout
ce qui monte dans la nature physique.
Ordinairement les hommes n’ont conscience ni de l’un ni de l’autre de ces plans de leur être,
mais par la sâdhanâ ils peuvent en devenir conscients.
Le subconscient conserve l’impression de toutes nos expériences passées dans la vie, et elles
peuvent en remonter sous forme de rêve ; dans le sommeil ordinaire la plupart des rêves sont des
formations de ces impressions subconscientes.
C’est en grande partie d’un appui subconscient que résulte la forte récurrence coutumière des
mêmes choses dans notre conscience physique – si forte qu’il est difficile de se débarrasser de ces
habitudes. Le subconscient est plein d’habitudes irrationnelles.
Lorsque des choses sont expulsées de toutes les autres parties de la nature, ou bien elles vont
dans la conscience du milieu (qui est autour de nous et par laquelle nous communiquons avec autrui et
avec la Nature universelle) et essaient de revenir depuis là, ou bien elles s’enfoncent dans le
subconscient et peuvent en revenir, même après y être restées si longtemps paisibles que nous les
croyons disparues.
Lorsque la conscience physique se transforme, la principale résistance provient du
subconscient. Constamment il maintient ou ramène l’inertie, la faiblesse, l’obscurité, le manque
d’intelligence que subissent le mental et le vital physiques, ou les craintes, désirs, colères, luxures
obscures du vital physique, ou les maladies, apathies, douleurs, incapacités auxquelles est encline la
nature corporelle.
Si l’on fait descendre dans le corps la lumière, la force, la conscience de la Mère, cela peut
pénétrer aussi dans le subconscient et en convertir l’obscurité et la résistance.
Nous ne pouvons avoir la certitude d’être à jamais débarrassé d’une chose que lorsqu’elle a été
effacée du subconscient assez complètement pour n’y laisser aucune graine, et rejetée du
« circumconscient » assez complètement pour ne plus pouvoir y revenir. (I, 143 sq.)

124
170. – Le subconscient n’est pas tout le fondement de la nature ; il est seulement la base
inférieure de l’Ignorance et affecte surtout la conscience vitale inférieure et vitale extérieure
physiques, qui à leur tour affectent les parties supérieures de la nature. Il est bon de voir ce qu’il est
et comment il agit, mais on ne doit pas trop se préoccuper de cette face obscure ou de cet aspect
apparent de l’être instrumental. Il faut plutôt le considérer comme quelque chose qui n’est pas nous,
un masque ou une fausse nature que l’Ignorance impose à l’être vrai. L’être vrai est l’être intérieur,
avec toutes ses vastes possibilités d’atteindre le Divin et de l’exprimer, et surtout l’être le plus
intérieur, l’âme, le purusha psychique, qui en son essence est toujours pur, divin, tourné vers tout ce
qui est bon et vrai et beau. L’être intérieur doit s’emparer de l’être extérieur et le transformer en un
instrument, non plus du jaillissement de la nature subconsciente ignorante, mais du Divin. C’est en se
rappelant toujours cela et en ouvrant la nature vers en haut que l’on peut atteindre la Conscience
divine et la faire descendre depuis en haut dans toute l’existence intérieure et extérieure, mentale,
vitale et physique, le subconscient, le subliminal, tout ce que nous sommes ouvertement ou
secrètement. Ce devrait être là notre principale préoccupation. S’appesantir uniquement sur le
subconscient et l’aspect d’imperfection est déprimant et il faut l’éviter. Il faut maintenir un juste
équilibre et insister surtout sur le côté positif, tout en reconnaissant l’autre, mais seulement pour le
rejeter et le transformer. (I, 141)

171. – À propos du subconscient : il est la base submentale de l’être, et il est composé


d’impressions, de mouvements habituels qui y sont emmagasinés. Quel que soit le mouvement qui s’y
imprime, il le garde. Si l’on y imprime le juste mouvement, il le gardera et le renverra. C’est
pourquoi il faut être nettoyé des vieux mouvements avant qu’il puisse y avoir dans la nature
transformation permanente et totale. Une fois que la conscience supérieure s’est établie dans les
parties éveillées, elle descend dans le subconscient et le transforme également, devenant là aussi une
assise rocheuse. Alors il ne peut plus y avoir aucun trouble provenant du subconscient. Mais dès
avant cela on peut réduire ces troubles au minimum en plaçant dans les parties subconscientes la juste
volonté et la juste habitude de réaction. (I, 144)

172. – Tout comme on peut concentrer la pensée sur un objet ou la vision sur un point, on peut
concentrer la volonté sur une partie ou un point particulier du corps et donner un ordre à la
conscience qui s’y trouve. Cet ordre parvient au subconscient. (I, 145)
173. – Le matériel est dans sa majeure partie subconscient ; sa conscience d’éveil dépend des
parties subtiles. (III, 394)

125
*

174. – Il y a toujours beaucoup à faire dans le subconscient. Mais si vous éprouvez tout
particulièrement le besoin de le déblayer, ce doit être parce que le moment de le déblayer est arrivé.
Si les autres parties restent ouvertes et dociles, cela ne devrait pas vous donner trop de peine. (III,
394 sq.)

175. – Tant que le subconscient n’est pas éclairci, les incapacités de la conscience physique
demeurent. (III, 394)

176. – Tant que la transformation supramentale, jusqu’au subconscient, n’aura pas eu lieu
complètement et pleinement, la nature inférieure aura toujours une emprise sur une partie quelconque
de l’être. (III, 393)

126
J. – La conscience du milieu

177. – Chaque homme a sa propre conscience personnelle retranchée dans son corps ; il n’entre
en contact avec son milieu que par son corps, ses sens et le mental employant ses sens.
Et cependant les forces universelles déferlent continuellement en lui sans qu’il le sache. Il n’a
conscience que des pensées, des sentiments, etc. qui s’élèvent à la surface et qu’il prend pour les
siens. En réalité ils viennent du dehors en vagues mentales, vagues vitales, vagues de sentiment et de
sensation, etc. qui prennent en lui une forme particulière et s’élèvent à la surface après qu’elles ont
pénétré à l’intérieur.
Mais elles n’entrent pas tout de suite dans son corps. Il porté avec lui une conscience de son
milieu – ce que les théosophes appellent l’aura – en laquelle elles pénètrent d’abord. Si vous pouvez
prendre conscience de ce soi du milieu que vous avez, vous pouvez attraper la pensée, la passion, la
suggestion ou la force de maladie et l’empêcher d’entrer en vous. Si des choses en vous sont rejetées,
il arrive souvent qu’elles ne s’en aillent pas complètement, mais se réfugient dans cette atmosphère
du milieu, et de là tâchent de rentrer. Ou bien elles s’en vont jusqu’à une certaine distance à
l’extérieur, mais traînent sur les bords – ou même peut-être à une grande distance, et attendent là une
occasion pour essayer de rentrer. (I, 126 sq.)

178. – Dans le jeu des forces cosmiques, la volonté dans le cosmos, pourrait-on dire, ne
travaille pas toujours apparemment en vue d’une ligne unie et directe pour l’œuvre ou la sâdhanâ ;
elle fait souvent intervenir ce qui paraît être des secousses brusques, des tournants qui brisent ou
détournent la ligne, des circonstances contraires ou bouleversantes ou des abandons troublants de ce
qui avait été temporairement fixé ou établi. La seule chose à faire est de maintenir son équanimité et
de transformer en occasions favorables et en moyens de progrès tout ce qui se produit dans le cours
de la vie et dans la sâdhanâ. Il y a une volonté secrète plus haute qui est transcendante derrière le jeu
et la volonté des forces cosmiques – jeu qui est toujours un mélange de choses favorables et de
choses adverses – et c’est cette volonté à laquelle on doit se soumettre et en laquelle on doit avoir
foi. Mais il ne faut pas vous attendre à pouvoir toujours comprendre comment elle œuvre. Le mental
voudrait que ceci ou cela fût fait, que la ligne une fois adoptée fût maintenue, mais ce que veut le
mental n’est pas du tout ni toujours ce qui est nécessaire pour un but plus vaste. Il faut bien suivre un
but central dans la sâdhanâ sans s’en écarter, mais il ne faut pas construire sur les circonstances, les
conditions, etc. extérieures comme si elles étaient des choses fondamentales. (II, 356 sq.)

127
179. – La libération que vous ressentez est probablement fondamentale et définitive. Mais dans
ce domaine, même après la libération, il faut rester vigilant, car souvent ces choses s’en vont et
restent à une certaine distance pour voir si, dans certaines circonstances ou certaines conditions, elles
peuvent faire irruption et recouvrer leur empire. S’il y a eu purification totale, jusque dans les
profondeurs, et que rien ne soit là pour leur ouvrir la porte, alors elles ne le peuvent pas. Ce n’est
qu’après avoir été libre pendant longtemps que l’on peut dire : « C’est fini, c’est réglé pour
toujours. » (III, 334)

180. – Il n’est pas nécessaire qu’existe un fort désir particulier au moment de l’expérience. Ce
que vous décrivez est l’expérience générale d’après laquelle tous les mouvements vitaux ordinaires
sont étrangers à l’être vrai et viennent du dehors.
Les désirs viennent de l’extérieur, pénètrent dans le vital subconscient et s’élèvent à la surface.
C’est seulement lorsqu’ils montent à la surface et que le mental s’en aperçoit que les gens prennent
conscience du désir. Celui-ci leur semble leur appartenir parce qu’ils le sentent ainsi s’élever du
vital dans le mental, et qu’ils ne savent pas qu’il est venu du dehors. Ce qui appartient au vital, ce
n’est pas le désir lui-même, c’est l’habitude de répondre aux désirs qui viennent en lui de la Prakriti
universelle. (II, 80)

181. – Quant à votre attitude intérieure, elle doit rester la même. Ne pas se laisser exciter ou
attirer au-dehors par ces « incidents » de la vie extérieure ou par l’arrivée d’éléments nouveaux ;
telle est la règle. Ils doivent arriver comme des vagues dans une mer calme, se mêler à elle et devenir
eux-mêmes sereins, imperturbés.
Votre état actuel est tout ce qu’il doit être, seulement il vous faut toujours rester vigilant, car
lorsque l’état est bon, les mouvements inférieurs ont une habitude de s’atténuer et de devenir
paisibles, de se cacher pour ainsi dire, ou encore ils sortent de la nature et restent à une certaine
distance. Mais s’ils voient que le sâdhak perd sa vigilance, ils commencent lentement à s’élever ou à
s’approcher, la plupart du temps sans être vus, et lorsqu’il n’est pas du tout sur ses gardes, ils
surgissent brusquement ou font une irruption soudaine. Cela continue jusqu’à ce que la nature tout
entière, mentale, vitale et physique, jusqu’au subconscient lui-même, soit éclairée, consciente, pleine
du Divin. Jusqu’à ce que cela se produise, il faut toujours rester sur ses gardes dans une vigilance qui
ne sommeille jamais. (II, 277 sq.)
182. – Les pensées, les idées, etc. errent continuellement (en ondes de pensées ou autrement) à
la recherche d’un mental qui puisse les incarner. Un mental les prend, les regarde, les rejette ; un
autre les prend, les regarde, les accepte. Deux esprits différents saisissent la même forme de pensée
128
ou la même onde de pensée, mais les activités mentales n’étant pas les mêmes, ils peuvent en tirer
des résultats différents. Une pensée peut aussi venir à un esprit qui n’en fait rien et alors elle s’en va
en disant : « Cet animal n’est pas prêt ! » et elle va vers un autre qui l’accueille avec empressement ;
alors elle s’y installe dans l’expression avec un bouillonnement joyeux d’inspiration, d’illumination
ou d’enthousiasme de la découverte ou création originale, et le mental qui l’a reçue s’écrie avec
orgueil : « C’est moi qui ai fait cela » L’ego, monsieur, l’ego ! Vous êtes celui qui reçoit, le médium
qui met en forme si vous voulez, mais rien de plus. (II, 452 sq.)

183. – En premier lieu, ces ondes de pensée ou germes de pensée ou formes de pensée, quoi
qu’ils soient, ont des valeurs différentes et viennent de plans de conscience différents. La même
substance de pensée peut prendre des vibrations plus rapides ou plus lentes selon le plan de
conscience par lequel les pensées viennent (par exemple mental pensant, mental vital, mental
physique, mental subconscient) ou le pouvoir de conscience qui les saisit et les pousse chez un
homme ou un autre. En outre, il y a dans chaque homme une substance du mental et la pensée qui vient
s’en sert pour se former ou se traduire (nous disons généralement transcrire), mais la matière est plus
fine ou plus grossière, plus forte ou plus faible, etc. dans un esprit que dans un autre. Il y a aussi chez
chacun de nous une énergie mentale effective ou potentielle qui diffère, et dans sa réception de la
pensée cette énergie mentale peut être lumineuse ou obscure, sattvique, rajasique ou tamasique, avec
des conséquences qui varient dans chaque cas. (II, 453)

129
K. – L’action du psychique

184. – Lorsque l’être psychique passe en avant, il y a perception automatique du vrai et du non-
vrai, du divin et du non-divin, du juste et du faux spirituels dans les choses, les faux mouvements et
attaques du vital et du mental sont immédiatement démasqués, tombent et ne peuvent rien faire ;
graduellement, le vital et le physique, aussi bien que le mental, s’emplissent de cette lumière et de
cette vérité psychiques, de ce juste sentiment et de cette pureté, et les attaques violentes comme celles
que vous avez sont impossibles. (II, 81)

185. – Être et conscience psychiques ne sont pas identiques. (II, 75)

186. – Le psychique est présent derrière la surface émotive, loin derrière le centre du cœur. Une
fois qu’on y est arrivé, ces choses ne touchent plus ; ce qui s’y trouvera, c’est la paix et le bonheur
intérieurs, l’aspiration non troublée, la présence ou la proximité de la Mère (II, 163)

187. – N semble supposer que par être psychique j’entends l’ego éclairé, mais les gens ne
comprennent pas ce que j’entends par l’être psychique parce que le terme « psychique » a été
employé en anglais pour désigner n’importe quoi appartenant au mental intérieur, au vital intérieur, au
physique intérieur, ou n’importe quoi d’anormal ou d’occulte, ou même les mouvements plus subtils
de l’être extérieur, tout cela dans un mélimélo ; les phénomènes occultes sont aussi souvent appelés
psychiques. La distinction entre ces différentes parties de l’être n’est pas connue. Même dans l’Inde,
l’ancienne connaissance des Upanishads qui les distingue s’est perdue. On confond tout ensemble le
jîvâtman, l’être psychique (purusha anrarâtman), le manomaya purusha, le prânamaya purusha. 2
(II, 73)

188. – L’être psychique évolue – par conséquent ce n’est pas l’immuable.


L’être psychique est, surtout, l’âme de l’individu produisant dans la manifestation la prakriti
individuelle et participant à l’évolution. C’est cette étincelle du Feu divin qui croît derrière le
mental, le vital et le physique sous la forme de l’être psychique jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de
transformer la prakriti de l’Ignorance en prakriti de Connaissance (III, 130)

130
*
189. – L’antahkarana désigne généralement le mental et le vital par opposition au corps, le
corps étant l’instrument extérieur et manah-prâna l’instrument intérieur de l’âme. Par psychique,
j’entends quelque chose qui diffère d’un mental et d’un vital purifiés. Un mental et un vital purifiés
sont le résultat de l’action de l’être psychique éveillé et libéré, mais ne sont pas eux-mêmes le
psychique.
D’autre part, cela dépend de ce qu’on entend par l’ahambhâva. Mais le psychique n’est pas un
bhâva 3. C’est un purusha. L’ahambhâva est une formation de Prakriti, ce n’est pas un être ni un
purusha. L’ahambhâva peut disparaître et le purusha rester néanmoins.
Par être psychique libéré, j’entends que cet être n’est plus obligé de s’exprimer dans les
conditions que posent les instruments obscurs et ignorants, de derrière un voile, mais peut passer en
avant, diriger et transformer l’action du mental, de la vie et du corps.
Si l’on en parle parfois comme étant purifié et rendu parfait, ce qu’on entend doit être l’action
psychique dans les instruments mentaux, vitaux et physiques. Un être intérieur purifié ne signifie pas
un psychique purifié, mais un mental, vital et physique intérieurs purifiés. Les épithètes que j’ai
appliquées au psychique étaient « éveillé et libéré ». (II, 73 sq.)

190. – L’être psychique est toujours présent, mais on ne le sent pas parce qu’il est recouvert par
le mental et le vital ; quand il n’est plus couvert, on dit qu’il est éveillé. Quand il est éveillé, il
commence à s’emparer du reste de l’être, à l’influencer et à le transformer de telle sorte que tout
puisse devenir la véritable expression de l’âme intérieure. C’est cette transformation que l’on appelle
la conversion intérieure. Il ne peut pas y avoir de conversion sans l’éveil de l’être psychique. (II, 80)

191. – L’être psychique est présent en tous, mais c’est seulement chez très peu de gens qu’il est
bien développé, bien construit dans la conscience, ou en évidence et en avant ; chez la plupart il est
voilé, souvent inefficace, et n’est qu’une influence pas assez consciente ou pas assez forte pour étayer
la vie spirituelle. (II, 373)

192. – Le psychique est recouvert par le mental, le vital et le physique ignorants, et obligé
d’agir à travers eux selon la loi de l’Ignorance. S’il est délivré de ce qui le recouvre ainsi, il peut
agir selon sa propre nature, avec une aspiration libre, un contact direct avec la conscience supérieure
et le pouvoir de transformer la nature ignorante. (I, 127)

*
131
193. – Ce que vous écrivez est tout à fait exact au sujet de l’âme vraie, de l’être psychique.
Mais lorsque les gens parlent de l’âme, ils pensent à des choses différentes. Parfois c’est ce que j’ai
appelé dans l’Arya l’âme de désir, c’est-à-dire le vital avec ses aspirations mêlées, ses désirs, ses
appétits de toutes sortes, bons et mauvais, ses émotions fines et grossières, ses impulsions
sensorielles, que viennent traverser les idéalisations du mental et les insistances psychiques. Mais
c’est aussi quelquefois le mental et le vital sous la pression d’une impulsion psychique. Tant qu’il
reste voilé, le psychique doit s’exprimer à travers le mental et le vital, et ses aspirations y sont
mêlées et colorées par la matière vitale et mentale. Ainsi l’impulsion psychique voilée peut
s’exprimer dans le mental par une soif dans la pensée pour une connaissance du Divin, ce que les
Européens appellent l’amour intellectuel de Dieu. Dans le vital elle peut s’exprimer par une soif ou
un désir violent du Divin. Cela peut apporter beaucoup de souffrance en raison de la nature du vital,
de ses passions agitées, de ses désirs, ses ardeurs, ses émotions troublées, ses obnubilations, ses
dépressions, ses désespoirs. Néanmoins, tous ne peuvent pas s’approcher du Divin – ou tout au moins
ne peuvent pas s’en approcher immédiatement – par la voie psychique pure ; les voies d’approche
mentale et vitale sont souvent un commencement nécessaire et sont préférables, du point de vue
spirituel, à l’insensibilité au Divin. Dans les deux cas, c’est un appel de l’âme, l’impulsion de l’âme,
et cela prend une forme ou une couleur par suite de l’insistance du mental ou de la nature vitale. (II,
76 sq.)

194. – C’est l’action de l’être psychique et non l’être psychique lui-même qui se mêle aux
incapacités du mental, du vital et du physique parce qu’il doit les employer pour exprimer le peu de
sentiment psychique véritable qui passe à travers le voile. C’est par l’aspiration du cœur au Divin
que l’être psychique se libère de ses incapacités. (III, 138)

195. – C’est la fonction du psychique – il lui faut travailler sur chaque plan pour permettre à
chacun d’eux de s’éveiller à la vérité vraie et à la divine Réalité. (III, 134)

196. – Le psychique sait que le Divin est, et il affirme sa connaissance envers et contre toutes
apparences. (III, 139)

197. – Le psychique est ce qui nous est descendu ici-bas ; il a pour fonction d’offrir toutes
132
choses au Divin pour qu’il les transforme. (III, 132)
*

198. – Si le psychique s’unit au Divin, il ne peut pas en être séparé. La séparation est non-union.
La réalisation psychique est de diversité dans l’unité (de la partie dans le tout), et non de dissolution
comme une goutte d’eau dans l’océan. Car alors il n’y a ni amour ni dévotion possible, à moins que
ce ne soit l’amour de soi-même, la dévotion à soi-même. (III, 137 sq.)

199. – Personne n’a dit que l’ouverture du psychique devait nécessairement se faire d’en haut.
Naturellement, si c’est le cas, c’est plus direct et plus efficace, mais si l’on éprouve de la difficulté à
le faire directement, comme c’est le cas pour certaines natures, le changement commence par en haut
et la conscience qui descend de là doit libérer le centre du cœur. Dans la mesure où elle agit sur le
centre du cœur, l’action psychique devient plus réalisable. (III, 135)

200. – L’ouverture directe du centre psychique n’est facile que lorsque l’égocentrisme est
fortement diminué et aussi lorsqu’il existe une forte bhakti pour la Mère. Il faut une humilité
spirituelle, un sens de la soumission et de la dépendance.
(III, 135)

201. – Ce qu’amène la réalisation psychique est un changement psychique de la nature qui la


purifie et la tourne complètement vers le Divin. Après cela ou en même temps vient la réalisation du
Moi cosmique. Ce sont ces deux choses que les anciens yogas embrassent, et à travers elles ils
passent à moksha, au nirvâna ou au départ vers quelque sorte de transcendance céleste. (II, 41)

202. – Lorsque l’être psychique s’éveille, vous prenez conscience de votre âme, vous
connaissez votre Moi. Et vous ne faites plus l’erreur de vous identifier au mental ou à l’être vital ;
vous ne les prenez pas pour l’âme.
En deuxième lieu, lorsqu’il est éveillé, l’être psychique donne la bhakti véritable pour Dieu ou
pour le gourou. Cette bhakti est tout à fait différente de la bhakti mentale ou vitale.
Dans le mental on peut avoir une admiration ou appréciation de la grandeur intellectuelle de
l’homme ou du gourou, mais c’est purement mental, cela ne conduit pas loin. Naturellement il n’y a
aucun mal à cela, mais en soi cela n’ouvre pas la totalité de l’être intérieur, cela ne fait qu’établir un
contact mental.
133
La bhakti vitale exige et exige. Elle impose ses propres conditions. Elle s’abandonne à Dieu,
mais avec des conditions. Elle dit à Dieu : « Tu es tellement grand, je t’adore ; maintenant donne-moi
satisfaction pour ce désir-ci ou cette ambition-là, rends-moi grand, fais de moi un grand sâdhak, un
grand yogin, etc. »
Le mental non illuminé s’abandonne aussi à la Vérité, mais pose ses propres conditions. Il dit à
la Vérité : « satisfais aux conditions de mon jugement et de mon opinion » ; il exige que la Vérité se
moule dans les formes propres au mental.
L’être vital insiste aussi pour que la Vérité se projette dans son propre mouvement de force.
L’être vital tire sur la Puissance supérieure ; il tire et tire encore sur l’être vital du gourou.
Tous deux (le mental et le vital) ont une arrière-pensée (réserve mentale) dans leur abandon.
Mais l’être psychique et sa bhakti ne sont pas ainsi. Parce que l’être psychique est en
communication directe avec la Divinité qui est par derrière, il est capable de vraie bhakti. La bhakti
psychique ne formule aucune exigence, ne fait aucune réserve. Elle est satisfaite de sa propre
existence. L’être psychique sait comment obéir à la Vérité de la juste manière ; il s’abandonne
véritablement à Dieu ou au gourou, et parce qu’il peut se donner vraiment il peut aussi recevoir
vraiment.
Troisièmement, lorsque l’être psychique vient à la surface, il s’attriste de voir l’être vital ou
mental se conduire bêtement. Cette tristesse est pureté offensée.
Lorsque le mental joue son propre jeu, et lorsque l’être vital se laisse emporter par ses propres
impulsions, c’est l’être psychique qui dit : « Je ne veux pas ces choses ; après tout, qu’est-ce que je
fais ici ? Je suis ici pour la Vérité, je ne suis pas ici pour toutes ces choses. »
La tristesse psychique diffère également du mécontentement mental, de la tristesse vitale, de la
dépression physique.
Si l’être psychique est fort, il se fait sentir sur l’être mental ou vital, et il les force, les oblige à
se transformer. Mais s’il est faible, les autres parties abusent de lui et emploient la tristesse
psychique à leur propre avantage.
Dans certains cas, l’être psychique monte à la surface, bouleverse l’être mental ou vital et met
tout en désordre. Mais si le mental ou l’être vital est plus fort que le psychique, il ne fait que projeter
une influence occasionnelle et progressivement se retire. Il ne fait que crier dans le désert, et l’être
vital ou mental continue son propre mouvement.
Enfin, l’être psychique refuse de se laisser tromper par les apparences ; il ne se laisse pas
emporter par le mensonge, il refuse de se laisser déprimer par la fausseté et il n’exagère pas non plus
la vérité. Par exemple, si tout autour de lui lui dit : « Il n’y a pas de Dieu », l’être psychique refuse
d’y croire ; il dit : « Je sais, et je sais parce que je sens » Et parce qu’il connaît ce qui est derrière, il
n’est pas leurré par les apparences. Il sent immédiatement la Force.
D’autre part, lorsque l’être psychique est éveillé, il rejette toute la gangue de l’être émotif et le
libère du sentimentalisme et du jeu inférieur de l’émotivité.
134
Mais il ne porte pas en lui la sécheresse du mental, ni l’exagération des sentiments vitaux. Il
donne à chaque émotion la note juste. (II, 85-88)

203. – La contribution de l’être psychique à la sâdhanâ est : (1) amour et bhakti, un amour qui
n’est pas vital, exigeant et égoïste, mais sans conditions, sans prétentions, existant par soi-même ; (2)
le contact de la présence de la Mère à l’intérieur ; (3) une direction intérieure infaillible ; (4) un
apaisement et une purification du mental, de la conscience vitale et physique par leur soumission à
l’influence et à la direction psychiques ; (5) l’ouverture de toute cette conscience intérieure à la
conscience spirituelle supérieure au-dessus pour que celle-ci descende dans une nature préparée à la
recevoir avec une complète réceptivité et une juste attitude – car le psychique amène en tout la
pensée juste, la perception juste, le sentiment juste, l’attitude juste.
On peut élever sa propre conscience depuis le mental et le vital et faire descendre d’en-haut la
puissance, l’ânanda, la lumière, la connaissance, mais le résultat en est beaucoup plus difficile et
incertain, et même dangereux, si l’être n’est pas préparé ou n’est pas assez pur. Monter à cet effet
avec le psychique est de loin la meilleure manière. Si vous vous élevez ainsi à partir du centre
psychique, tant mieux.
Ce que vous dites indique que les centres psychiques et mentaux sont en communication, et par
eux vous pouvez faire descendre de la conscience certaines choses. Mais vous n’avez pas remplacé
votre centre céphalique par le centre ultra-céphalique ni par la largeur ultra-céphalique. Cela se
produit généralement par une élévation progressive des parties conscientes jusqu’au sommet de la
tête et ensuite au-dessus. Mais il ne faut là ni forcer ni faire un grand effort ; cela viendra tout seul. (I,
120 sq.)

204. – L’être psychique ne se fond pas dans le jîvâtman ; il s’unit à lui, de sorte qu’il n’y a pas
de différence entre l’être éternel soutenant la manifestation d’en haut et le même être soutenant la
manifestation du dedans, parce que l’être psychique est devenu pleinement conscient du jeu du Divin
à travers lui. Ce que l’on appelle fusion se produit dans la Conscience divine, lorsque le jîvâtman se
sent tellement un avec le Divin qu’il n’y a rien d’autre. (II, 144)

205. – Si vous avez la tranformation psychique, elle facilite immensément… la transformation


de la conscience humaine ordinaire en la conscience spirituelle supérieure ; sans cela on risque
d’avoir un voyage soit lent et monotone, soit excitant mais périlleux. (II, 72)
135
*

206. – Lorsqu’il agit comme puissance principale, le psychique agit à travers une sorte de
sentiment ou de sens psychique inhérent qui repousse la fausseté. Mais les registres mentaux au-
dessus du mental n’agissent pas de la sorte ; ce sont la discrimination et la volonté qui agissent, et
leur action est plus vaste, mais pour ainsi dire moins sûre et moins automatique (III, 136)

207. – C’est bien. Cela signifie que le psychique est revenu à la surface. Lorsque le psychique
est en avant, la sâdhanâ devient naturelle et facile ; ce n’est plus qu’une question de temps et de
développement naturel. Lorsque domine le mental ou la conscience vitale ou physique, la sâdhanâ
devient lutte et tapasya (III, 134)
208. – J’ai lu le récit de votre sâdhanâ. Je crois qu’il n’y a rien à en dire car tout va bien,
excepté que pour vous la chose la plus importante est de développer le feu psychique dans le cœur et
l’aspiration vers la venue en avant de l’être psychique pour qu’il prenne la direction de la sâdhanâ.
Quand le psychique le fera, il vous montrera « les nœuds de l’égoïsme non encore décelés » dont
vous parlez, et il les dénouera ou les brûlera dans le feu psychique. Ce développement psychique et
la transformation psychique de la conscience mentale, vitale et physique sont de la plus haute
importance en ce qu’ils rendent sûre et facile la descente de la conscience supérieure et la
transformation spirituelle, sans lesquelles le Supramental doit toujours rester très éloigné. Les
pouvoirs, etc. ont bien leur place, mais très minime, tant que cela n’est pas fait. (II, 78)

209. – Une notion idéaliste, une croyance religieuse ou une émotion, sont quelque chose de tout
différent de l’obtention de la lumière spirituelle. Une notion idéaliste peut vous orienter vers
l’obtention de la lumière spirituelle, mais ce n’est pas la lumière elle-même. Il est vrai cependant que
« l’Esprit souffle où il veut », et que pratiquement n’importe quelle circonstance peut nous donner
une impulsion émotive, ou un toucher, ou une réalisation mentale de choses spirituelles, comme dans
le cas de Vilvamangal, qui l’a reçue des paroles de la courtisane qui était sa maîtresse. Évidemment,
cela se produit parce que quelque part quelque chose est prêt. C’est, si vous voulez, l’être psychique
qui guette l’occasion et saisit la chance qui lui est offerte dans le mental, le vital ou le cœur de
pousser quelque part une fenêtre. (II, 78)

210. – Il est très rare qu’on soit poussé à se noyer dans le Divin. C’est généralement une idée
mentale, une impulsion vitale, ou quelque raison tout à fait inadéquate – ou même pas de raison du
136
tout – qui déclenche la chose. La seule réalité est la poussée psychique occulte par derrière, poussée
dont la conscience de surface ne se rend pas compte ou ne se rend guère compte. (II, 77 sq.)

211. – Le yoga est très généralement une succession de montées et de chutes jusqu’à ce que l’on
parvienne à une certaine hauteur. Mais il y a pour cela une raison toute différente, qui n’est pas la
fantaisie de l’âme. Au contraire, lorsque l’être psychique passe en avant et devient le maître, il se
produit une action fondamentalement régulière ; bien qu’il y ait encore dans le mouvement des
difficultés et des ondulations, elles n’ont plus un caractère abrupt et dramatique. (II, 79 sq.)

212. – Je n’ai jamais parlé d’une « transformation du psychique » ; j’ai toujours parlé d’une
« transformation psychique » de la nature, ce qui est tout autre chose. J’en ai parfois parlé comme
d’une psychicisation de la nature. (II, 73)

213. – Le feu psychique est le feu de l’aspiration, de la purification, du tapasya qui vient de
l’être psychique. Ce n’est pas l’être psychique, mais une puissance de l’être psychique. L’être
psychique est un purusha et non une flamme ; le feu psychique n’est pas l’être, c’est quelque chose
qui lui est propre. (II, 76)

137
L. – L’être intérieur

214. – Par l’être intérieur je ne voulais pas dire l’être psychique ou le plus intérieur. C’est l’être
psychique qui ressent amour, bhakti et union avec la Mère. Je parlais du mental intérieur, du vital
intérieur, du physique intérieur. Pour atteindre le siège caché du psychique il faut d’abord passer par
eux. Lorsqu’on quitte la conscience extérieure et qu’on passe à l’intérieur, c’est là qu’on entre –
certains, ou la plupart, pénétrant d’abord dans le vital intérieur, d’autres dans le mental intérieur ou le
physique intérieur. Pour notre objet, il est absolument nécessaire que l’on devienne d’abord conscient
dans ces régions intérieures, car si elles ne sont pas éveillées l’être psychique ne dispose pas pour
ses activités d’un outillage approprié et suffisant. Il n’a alors pour moyens que le mental extérieur, le
vital extérieur et le corps, et ils sont trop petits, trop étroits, trop obscurs. Jusqu’ici vous n’avez pu
pénétrer que dans la frange du vital intérieur et vous y êtes encore insuffisamment conscient. En y
devenant plus conscient et en allant plus profond, on peut atteindre le psychique, le sûr refuge,
nirapada sthâna, dont vous parlez. Alors vous ne serez plus troublé par les visions et expériences
confuses aux franges du vital intérieur. (I, 125)

215. – Il faut vous ramasser intérieurement avec plus de fermeté. Si vous vous dispersez
continuellement, si vous sortez du cercle intérieur, vous vous démènerez toujours dans la mesquinerie
de la nature extérieure ordinaire, et vous serez sujet aux influences qui s’y manifestent. Apprenez à
vivre à l’intérieur, à toujours agir de l’intérieur… Il peut être difficile, au début, de le faire toujours,
complètement, mais on peut y arriver en persévérant. C’est en apprenant à le faire, et à ce prix, qu’on
obtient la siddhi dans le yoga. (III, 127 sq.)

216. – Si l’être intérieur est en sécurité, il n’y a plus de danger de luttes, ou d’écrasement par
l’inertie, la dépression ou par d’autres difficultés fondamentales. Le reste, y compris la descente de
la Force, peut se faire progressivement, paisiblement. L’être extérieur devient tout simplement une
machine ou un instrument qu’il faut régler. Il n’est pas aussi facile d’être entièrement mukta dans son
être intérieur. (III, 399 sq.)

138
M. – Le rôle du surmental

217. – L’expérience surmentale se produit lorsqu’on s’élève au plan surmental et qu’on voit les
choses telles qu’elles sont sur ce plan ou telles qu’elles apparaissent à la conscience qui voit les
autres plans du point de vue surmental. Lorsqu’on est sur le plan mental, vital ou physique, c’est
l’influence surmentale qui descend et modifie le jeu mental, vital ou physique dans une plus ou moins
grande mesure selon les possibilités ou selon ce qui doit être fait à ce moment. Elle n’est pas l’unique
pouvoir comme elle l’est sur son propre plan, mais elle œuvre dans les conditions mentales, vitales
ou physiques. Son pouvoir est plus subjectif qu’objectif. Il est facile pour elle de modifier notre
vision et notre expérience de l’objet et la connaissance que nous en avons, mais il n’est pas aussi
facile pour elle de transformer l’objet, ou sa nature, ou les circonstances, ou l’état de choses
extérieur sur ce plan. (II, 102 sq.)

218. – On ne peut pas pénétrer dans le vrai Surmental (sauf dans quelque extase ou samâdhi)
tant que l’on n’a pas d’abord objectivé la Vérité surmentale dans la vie, la parole, l’action, la
connaissance extérieure ; il ne suffit pas de l’avoir éprouvée dans la méditation et dans l’expérience
intérieure. (II, 102)

1. Le mental-sens par opposition à la raison.


2. Le manomaya purusha est l’être mental, le « fourreau » vital, « l’être vital véritable ». (NDT)
3. Un bhâva est un état subjectif ou un sentiment ; l’ahambhâva est le sentiment « je suis ».

139
140
III

LES COMPOSANTES DU YOGA

141
A. – Les différentes techniques

219. – Qu’est-ce qui constitue une technique parfaite du yoga – ou plutôt d’un yoga – qui
transforme le monde ou transforme la nature ? Non pas d’un yoga qui se saisit d’un homme par un
petit morceau, quelque part, y attache un crochet et le hisse avec une poulie jusqu’au nirvâna ou au
paradis. La technique d’un yoga qui transforme le monde doit être aussi multiforme, sinueuse, patiente
et complète que le monde lui-même. Si elle n’embrasse pas toutes les difficultés et les possibilités et
ne traite avec soin chaque élément nécessaire, a-t-elle aucune chance de réussir ? Et cela peut-il être
réalisé par une technique parfaite que tout le monde puisse comprendre ? (I, 33)

220. – La méditation, le travail, la bhakti sont chacun un moyen préparatoire qui nous aide à
l’accomplissement ; tous sont compris dans notre voie. Si l’on peut se consacrer par le travail, c’est
l’un des moyens les plus puissants vers le don de soi, qui est lui-même l’élément le plus puissant et le
plus indispensable de la sâdhanâ. (II, 19)

221. – Quant à la question de N, notre yoga n’est pas uniquement de bhakti ; il est – à tout le
moins il prétend être – un moyen intégral, c’est-à-dire une orientation vers le Divin de tout l’être dans
toutes ses parties. Il s’ensuit qu’il doit s’y trouver connaissance et œuvres aussi bien que bhakti, et
en plus il comprend un changement total de la nature, une recherche de la perfection, si bien que la
nature puisse aussi ne faire qu’un avec la nature du Divin. Ce n’est pas seulement le cœur qui doit se
tourner vers le Divin et changer, mais aussi le mental (et ainsi la connaissance est nécessaire, et aussi
la volonté et la puissance d’action et de création, et ainsi les œuvres aussi sont nécessaires). Dans ce
yoga-ci sont reprises les méthodes des anciens yogas – comme celle de Purusha-Prakriti – mais avec
une différence dans le but final. Purusha se sépare de Prakriti, non pour l’abandonner, mais afin de
connaître lui-même et elle, de n’être plus son jouet, mais celui qui connaît la nature, celui qui est son
seigneur et son soutien ; et, l’étant devenu, ou même tandis qu’on le devient, on offre tout cela au
Divin. On peut commencer par la connaissance, ou les œuvres, ou la bhakti, ou le tapasya de
purification de soi pour la perfection (changement de nature), et développer le reste comme un
mouvement subséquent, ou bien on peut combiner tout en un seul mouvement. Il n’y a pas de règle
unique pour tous ; cela dépend de la personnalité et de la nature. (II, 8)

222. – J’ai toujours dit que le travail fait comme sâdhanâ – c’est-à-dire comme débordement
142
d’énergie du Divin et offert au Divin, ou bien le travail fait par amour du Divin, ou bien le travail fait
dans un esprit de dévotion – est un moyen puissant dans la sâdhanâ, et qu’un tel travail est
particulièrement nécessaire dans notre yoga. Le travail, la bhakti et la méditation sont les trois
soutiens du yoga. On peut employer les trois, ou deux d’entre eux, ou un seulement. Il y a des gens qui
ne peuvent pas méditer de la manière classique qu’on appelle méditation, mais qui avancent par les
œuvres ou par la bhakti ou par les deux ensemble. Par le travail et la bhakti on peut acquérir une
conscience dans laquelle une méditation naturelle et la réalisation deviennent finalement possibles.
(II, 18)

223. – J’étais tout à fait sérieux lorsque je vous parlais du progrès que vous avez réalisé par le
mouvement psychique et par l’effort pour déceler et ôter l’ego… C’est dans notre yoga la voie qui
mène à la dévotion et au don de soi, car c’est le mouvement psychique qui amène la dévotion
continuelle et pure, et c’est l’enlèvement de l’ego qui permet le don de soi. En fait les deux vont de
pair.
L’autre voie, qui est celle qui conduit à la connaissance, est la méditation dans la tête ; c’est par
là que viennent l’ouverture en haut, la quiétude ou le silence du mental et la descente de la paix, etc.,
de la conscience supérieure en général jusqu’à ce que celle-ci enveloppe l’être, emplisse le corps et
commence à s’emparer de tous les mouvements. Mais cela implique un passage à travers le silence,
une certaine vacuité de nos activités ordinaires – elles y sont repoussées à l’extérieur et faites en tant
qu’actions exclusivement superficielles – et vous avez une profonde aversion pour le silence et le
vide.
La troisième voie, qui est une des deux conduisant au yoga par les œuvres, est la séparation du
Purusha d’avec la Prakriti, de l’être silencieux intérieur d’avec l’être actif extérieur, si bien qu’on a
deux consciences ou une conscience double, l’une qui est en arrière, surveillant, observant et
finalement maîtrisant et transformant l’autre qui est active en avant. Mais cela signifie aussi vivre
dans une paix et un silence intérieurs et traiter les activités comme si elles étaient une chose de
surface. L’autre moyen de commencer le yoga des œuvres consiste à les faire pour le Divin, pour la
Mère et non pour soi-même, en les consacrant et en les dédiant jusqu’à ce qu’on sente d’une façon
concrète la Force divine s’emparer de l’action et la faire pour nous.
S’il y a dans mon yoga un secret, une clé, que vous dites n’avoir pas trouvé, il se trouve dans
ces méthodes – et en réalité elles n’ont en elles-mêmes rien qui soit si mystérieux, impossible ou
même nouveau. Tout ce qui est nouveau, c’est le développement plus avancé à une étape ultérieure et
le but du yoga. Mais on n’a pas besoin de s’occuper de cela dans les premières étapes, à moins qu’on
veuille le faire par désir de connaissance mentale. (II, 16 sq.)

*
143
224. – La méditation est une voie d’approche vers le Divin, et une voie importante, mais on ne
peut pas l’appeler un raccourci ; pour la plupart c’est une montée longue et extrêmement difficile,
bien que très haute. Elle ne peut aucunement être courte, à moins qu’elle n’amène une descente, et
même dans ce cas c’est seulement un fondement qui est posé rapidement. Ensuite la méditation doit
construire laborieusement sur ce fondement une grande superstructure. C’est très indispensable, mais
cela n’a rien du raccourci.

Le karma est une route beaucoup plus simple à condition que le mental ne soit pas fixé sur le
karma à l’exclusion du Divin. Le but doit être le Divin et le travail ne peut être qu’un moyen. L’utilité
de la poésie, etc., est de nous maintenir en contact direct avec le plus intime, mais il ne faut pas
s’arrêter là, il faut continuer jusqu’à la chose vraie. Si l’on pense à devenir un homme de lettres, un
poète ou un peintre, en croyant que cela en vaut la peine en soi, ce n’est plus l’esprit yoguique. C’est
pourquoi j’ai quelquefois à dire que notre affaire ici est d’être des yogins et non pas seulement des
poètes, des peintres, etc.

L’amour, la bhakti, le don de soi, l’ouverture psychique sont les seuls raccourcis conduisant au
Divin – ou peuvent l’être. Car si l’amour et la bhakti sont d’un caractère trop vital, il risque d’y
avoir une oscillation entre l’attente extatique et viraha, abhimâna, le désespoir, etc., ce qui ne donne
pas un raccourci, mais une route longue en zigzags – et non un vol en ligne droite – un
tourbillonnement autour de son propre ego au lieu d’une course vers le Divin. (II, 15 sq.)

225. – Mon yoga peut bien comprendre, en fait, une expérience complète des autres mondes, du
plan de l’Esprit suprême, des autres plans intermédiaires et de leurs effets possibles sur notre vie et
sur le monde matériel, mais il serait tout à fait possible d’insister seulement sur la réalisation de
l’Être suprême ou d’Ishvara, même sous un seul aspect, Shiva ou Krishna en tant que Seigneur de
l’univers et maître de nous-mêmes et de nos œuvres, ou encore du Sachchidânanda universel, et de
parvenir aux résultats essentiels de ce yoga, et par la suite de s’en servir comme point de départ pour
atteindre aux résultats intégraux si l’on accepte l’idéal de la vie divine et de la conquête de ce monde
matériel par l’Esprit. (III, 28 sq.)

226. – Dans le nirvâna il y a une vérité. Le nirvâna n’est que la paix et la liberté de l’esprit, qui
peut exister indépendamment de tout, qu’il y ait ou non un monde et que dans ce monde règne l’ordre
ou le désordre. La bhakti et l’appel du cœur qui cherche le Divin ont aussi leur vérité : la vérité de
l’amour divin et de l’Ananda. La volonté de tapasya contient en elle une vérité : la vérité de la
maîtrise de l’esprit sur ses membres. Le musicien et le poète représentent une vérité : la vérité de
144
l’expression de l’esprit à travers la beauté. Il y a une vérité derrière celui qui affirme mentalement ; il
y en a même une derrière celui qui doute mentalement, le Russellien – bien qu’elle soit loin derrière
lui – la vérité de la négation des formes fausses. Même derrière les deux personnalités vitales, il y a
une vérité : la vérité de la possession, non pas par l’ego, mais par le Divin, des mondes intérieurs et
extérieurs. C’est à cette harmonisation que s’attache notre yoga, mais on ne peut y parvenir par aucun
aménagement extérieur ; on ne peut y parvenir qu’en entrant à l’intérieur et en regardant, en voulant et
en agissant à partir du centre psychique et du centre spirituel. Car la vérité de l’être est là, et le secret
de l’Harmonie y est aussi. (III, 23 sq.)

227. – Quand le mental analysant est actif, cela entraîne toujours une certaine sécheresse. Le
mental supérieur ou l’intuition apporte une connaissance beaucoup plus spontanée et complète – le
commencement du véritable jnâna 1 sans besoin d’un tel effort. La bhakti que vous éprouvez est
psychique mais avec une forte coloration vitale ; c’est le mental et le vital entre eux qui font
apparaître une opposition entre la bhakti et le jnâna. Le vital, qui ne s’occupe que de l’émotion,
trouve la connaissance mentale sèche et dépourvue de rasa ; le mental trouve la bhakti une émotion
aveugle qui n’est profondément intéressante que lorsque son cours a été analysé et compris. Il
n’existe pas une telle opposition lorsque le psychique et la connaissance sur un plan supérieur
agissent ensemble et prédominent ; le psychique accueille volontiers la connaissance qui soutient son
émotion, la conscience supérieure de pensée se réjouit dans la bhakti. (II, 159 sq.)

145
B. – La place de la Bhakti

228. – La bhakti n’est pas une expérience, c’est un état du cœur et de l’âme. C’est un état qui se
produit lorsque l’être psychique est éveillé et domine. (II, 158 sq.)

229. – L’amour tourné vers le Divin ne devrait pas être le sentiment vital habituel auquel les
hommes donnent ce nom, car ce sentiment n’est pas l’amour, mais seulement un désir vital, un instinct
d’appropriation, le désir de posséder et de monopoliser. Non seulement il n’est pas l’Amour divin,
mais on ne doit pas lui permettre de se mêler, si peu que ce soit, dans le yoga. Le véritable amour
pour le Divin est un don de soi, libre d’exigences, plein de soumission et d’abandon ; il n’a pas de
prétentions, ne pose pas de conditions, ne conclut pas de pacte, ne se laisse aller à aucune violence
de jalousie, d’orgueil ou de colère, car toutes ces choses n’entrent pas dans sa composition. En retour
la Mère divine se donne aussi mais librement ; et cela se représente en un don intérieur : sa présence
dans votre mental, votre vital, votre conscience physique, son pouvoir qui vous recrée dans la nature
divine, qui s’empare de tous les mouvements de votre être et les dirige vers la perfection et
l’accomplissement, son amour qui vous enveloppe et vous porte dans ses bras, vers Dieu. C’est cela
que vous devez aspirer à sentir et à posséder, dans toutes les parties de votre être jusqu’aux plus
matérielles, et là il n’y a aucune limitation de temps ni de plénitude. Si l’on y aspire vraiment et
qu’on l’obtienne, il ne doit y avoir place pour aucune exigence ni pour aucune frustration. Et si l’on y
aspire vraiment, on l’obtient immanquablement, de plus en plus, à mesure que la purification se
développe et que la nature subit la transformation dont elle a besoin.
Gardez votre amour pur de toute demande ou désir égoïste ; vous verrez qu’en réponse vous
recevrez tout l’amour que vous pouvez supporter et absorber.
Rendez-vous compte aussi que la Réalisation doit venir d’abord, le travail à faire, et non pas
l’assouvissement de désirs et de demandes. C’est seulement lorsque la Conscience divine, dans sa
Lumière et sa Puissance supramentales, est descendue et a transformé le physique, qu’on peut
attribuer à d’autres choses une place de premier plan – et alors ce ne sera pas la satisfaction du désir,
mais l’accomplissement de la Vérité divine en chacun et en tous dans la vie nouvelle qui doit
l’exprimer. Dans la vie divine, tout se fait pour l’amour du Divin et non pour l’amour de l’ego.
Pour éviter des appréhensions injustifiées, je devrais peut-être ajouter une ou deux choses.
D’abord l’amour dont je parle, pour le Divin, n’est pas seulement un amour psychique, c’est l’amour
de tout l’être, y compris le vital et le physique-vital ; tous sont capables du même don de soi. C’est
une erreur de croire que si le vital aime, ce doit être un amour qui exige et impose la satisfaction de
son désir ; c’est une erreur de penser qu’où bien il doit en être ainsi, ou bien le vital, afin d’échapper
à son « attachement », doit se retirer complètement de l’objet de son amour. Dans son don de soi qui
146
ne pose pas de question, le vital peut être aussi absolu que n’importe quelle autre partie de la nature ;
rien ne peut être plus généreux que son mouvement quand il s’oublie pour le Bien-aimé. Le vital et le
physique devraient tous deux se donner de la vraie façon, selon le mode du véritable amour, non du
désir de l’ego. (I, 191 sqq.)

230. – C’est une erreur de croire que je suis contre la bhakti ou contre la bhakti émotive – ce
qui revient au même puisque sans émotion il ne peut y avoir de bhakti. Le fait est plutôt que dans mes
écrits sur le yoga j’ai donné à la bhakti la place la plus haute. Tout ce que j’ai jamais dit qui aurait pu
expliquer ce malentendu était dirigé contre un émotionalisme non purifié qui, d’après mon
expérience, conduit à un déséquilibre ou à une expression agitée et discordante, ou même à des
réactions contraires et, à son point extrême, à des désordres nerveux. Mais mon insistance sur la
purification ne signifie pas que je condamne le vrai sentiment, la vraie émotion, pas plus que mon
insistance sur un mental ou une volonté purifiés ne signifie que je condamne la pensée ou la volonté.
Au contraire, plus profonde est l’émotion, plus grande est la force de réalisation ou de
transformation. Le plus souvent, c’est par l’intensité de l’émotion que s’éveille l’être psychique et
qu’il se produit une ouverture des portes intérieures vers le Divin. (II, 157 sq.)

231. – Dans sa nature fondamentale l’amour pour le Divin… est psychique et spirituel.
L’élément psychique est le besoin de don de soi, d’amour, d’adoration, d’union qu’éprouve l’être le
plus intérieur, et que seul le Divin peut pleinement satisfaire. L’élément spirituel est le besoin
qu’éprouve l’être d’un contact, d’une fusion, d’une union avec son Soi le plus haut, son Soi entier, la
source de son être, de sa conscience et de sa béatitude, le Divin. (I, 195 sq.)

232. – Quel que soit le motif immédiat qui pousse le mental ou le vital, s’il y a dans l’être une
vraie recherche du Divin, elle doit finalement conduire à la réalisation du Divin. L’âme au-dedans a
toujours l’aspiration inhérente (ahaituki) pour le Divin. Le hetu ou mobile spécial est simplement
une impulsion qu’elle emploie pour obtenir que le mental et le vital suivent l’impulsion intérieure. Si
le mental et le vital peuvent sentir et accepter le pur amour de l’âme envers le Divin pour lui-même,
alors la sâdhanâ acquiert plein pouvoir et beaucoup de difficultés disparaissent. Mais même en cas
contraire ils obtiendront ce qu’ils cherchent dans le Divin et par là ils viendront à réaliser quelque
chose et même à passer au-delà des limites du désir qu’ils avaient au début… Je puis dire que l’idée
d’un Dieu sans joie est une absurdité à laquelle seule l’ignorance du mental pouvait donner
naissance ! L’amour de Râdhâ ne repose sur rien147 de tel, mais signifie simplement ceci : quoi que ce
soit qui vienne sur la voie du Divin, douleur ou joie, milan 2 ou viraha, et si longtemps que puisse
durer la souffrance, l’amour de Râdhâ n’en est pas ébranlé, mais garde sa foi et sa certitude qui,
comme une étoile, désignent fixement le suprême objet de l’amour.
Après tout, qu’est cet ânanda ? Le mental ne peut rien voir en lui qu’un état psychologique
agréable, mais s’il n’était que cela, il ne pourrait pas être le ravissement que les bhaktas et les
mystiques trouvent en lui. (II, 222 sq.)

233. – La nature de la bhakti, c’est l’adoration, la vénération, l’offrande de soi à ce qui est plus
grand que soi. La nature de l’amour est un sentiment ou un désir de rapprochement et d’union. Le don
de soi appartient aux deux ; tous deux sont nécessaires au yoga, et aucun d’eux n’a toute sa force s’il
n’est appuyé par l’autre. (III, 445)

234. – L’amour qui appartient aux plans spirituels est d’une espèce différente. Le psychique a
son amour, sa bhakti, son abandon qui lui appartiennent en propre et qui sont plus personnels. Dans le
mental supérieur ou spirituel, l’amour est plus universel et impersonnel. Les deux doivent aller de
pair pour composer l’amour divin le plus élevé. (III, 445)

235. – L’amour universel est toujours universel ; l’amour psychique peut s’individualiser. (III,
446)

236. – L’amour universel n’est pas personnel ; il faut le garder à l’intérieur comme une
condition de la conscience qui aura ses effets conformément à la Volonté divine ou qui sera utilisée
par cette Volonté si c’est nécessaire ; mais courir à tort et à travers en l’exprimant pour sa propre
satisfaction ou pour la satisfaction des autres, c’est uniquement le gaspiller et le perdre. (III, 446)

237. – On ne peut aimer divinement qu’en devenant divin dans sa nature ; il n’y a pas d’autre
façon. (III, 446)

148
238. – Au fur et à mesure que croît l’amour pour le Divin, les autres choses cessent de troubler
le mental. (III, 448)

239. – Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en voyant l’hésitation consciencieuse de S entre


Krishna, Shiva et Shakti. Si un homme est attiré par une seule forme ou par deux formes du Divin, tout
va bien, mais s’il est attiré par plusieurs en même temps, il n’a pas besoin de se torturer l’esprit. Un
homme quelque peu développé a naturellement dans sa nature plusieurs aspects, et il est tout à fait
naturel que des aspects différents attirent ou dirigent en lui des personnalités différentes. Il peut les
accepter toutes et les harmoniser dans le Divin unique et l’Adyâ-Shakti unique dont toutes sont les
manifestations. (II, 148)

240. – Vous parlez des sévères exigences et des dures conditions qu’impose le Divin – mais
quelles strictes exigences et quelles conditions de fer vous posez vous-même au Divin ! Pratiquement
vous lui dites : « Je vais te mettre en doute et te renier à chaque pas, mais il faut que tu m’emplisses
de ta présence non équivoque ; je serai plein de tristesse et de désespoir toutes les fois que je
penserai à toi ou au yoga, mais il faut que tu inondes ma tristesse avec les ravissements de ton
ânanda irrésistible ; je ne t’accueillerai qu’avec mon mental physique et ma conscience extérieure,
mais il faut que tu me donnes en cela le Pouvoir qui transformera rapidement ma nature tout entière. »
Je ne dis pas que le Divin ne le fera pas ou ne peut pas le faire, mais s’il faut qu’il s’opère un
miracle, il faut lui donner le temps – et au moins une chance sur un million. (II, 232)

241. – Il n’est pas indispensable que le mental ait des connaissances sur la sâdhanâ. Si l’on a la
bhakti et que l’on aspire dans le silence du cœur, s’il y a l’amour vrai pour le Divin, la nature
s’ouvrira d’elle-même, il y aura l’expérience vraie, la puissance de la Mère travaillera en vous et la
connaissance nécessaire viendra. (II, 159)

242. – Le don de soi se produit d’abord par amour et bhakti bien plus que par âtmâ-jnâna 3.
Mais il est vrai qu’avec l’âtmâ-jnâna le don de soi plus complet devient plus possible. (II, 160)

149
243. – Ce que vous avez exprimé pour défendre X semble plutôt être les propres idées de X, et
ce sont des idées bien étranges. Si elles étaient justes, il nous faudrait arriver aux conclusions
suivantes :
(1) Sattva n’est pas le meilleur passage à la réalisation ; rajas est la meilleure façon de devenir
spirituel. C’est l’homme rajasique avec son ego féroce et ses passions violentes qui est le vrai
sâdhak du Divin.
(2) L’asura est le meilleur bhakta. La Gîtâ a tout à fait tort de soutenir que la nature dévique est
la condition de la réalisation, tandis que la nature asurique lui est contraire. C’est l’inverse qui
est vrai.
(3) Râvana, Hiranyakashipu, Shishupâla 4 furent les plus grands adorateurs du Divin parce qu’ils
étaient capables d’hostilité envers le Divin ; par conséquent ils furent libérés au bout de
quelques vies. Comparés à eux, les plus grands rishis et bhaktas n’étaient que de fort piètres
récipients de spiritualité. Je suis conscient du paradoxe qui existe au sujet de Râvana dans le
Purâna, mais laissez-moi vous dire que ces asuras, ces râkshasas ne prétendaient pas être les
disciples ou les adorateurs de Râma, de Krishna ou de Vishnou ou employer leur qualité de
disciples pour obtenir la libération (moksha) par la révolte. Ils l’ont obtenue en étant des
ennemis, en se faisant tuer et absorber en la divinité.
(4) L’obéissance au Gourou, l’adoration du Divin ne sont que balivernes et dignes de moutons
de Panurge, pas d’un homme. Se retourner furieusement contre le Gourou ou le Divin, l’injurier,
lui exprimer son mépris, mettre en doute sa sincérité, déclarer que ses actions sont fausses,
insensées ou trompeuses, déclarer sur chaque point que l’on a raison, tandis que son jugement à
lui est erroné, prévenu, absurde, faux, inspiré par les démons, etc. est la meilleure façon
d’adorer et la vraie relation entre gourou et shishya. La désobéissance est le plus grand respect
que l’on peut témoigner au Divin, la colère et la révolte sont l’adoration la plus noble que l’on
puisse offrir au Divin.
(5) Celui qui accepte les coups de Mahâkâlî 5 avec joie et comme moyen de découvrir ses fautes
et d’accroître la lumière, la force et la pureté est un mouton de Panurge et indigne d’être un
disciple. Celui, au contraire, qui répond à la pression la plus paisible pour le transformer par de
la révolte et en persistant dans ses erreurs est un homme fort, un puissant âdhar et un noble
disciple qui s’achemine vers la perfection.
Je pourrais continuer à multiplier les déductions, mais je n’en ai pas le temps. Croyez-vous
vraiment à tout cela ? Ce sont les conséquences naturelles de la théorie de X ou de la théorie de la
révolte comme moyen d’aller vers la perfection. Si vous acceptez les prémisses, vous devez en
accepter les conséquences logiques 6. (III, 385 sq.)

*
150
244. – L’ishta devatâ 7 sur laquelle se concentre le chercheur est… une personnalité consciente
du Divin, répondant aux besoins de la personnalité du chercheur et lui montrant comme une image
figurée ce qu’est le Divin, ou tout au moins indiquant à travers elle-même la voie vers l’Absolu. (I,
205)

245. – La conscience krishnaïque est une réalité, mais s’il n’y avait pas de Krishna, il ne
pourrait pas y avoir de conscience krishnaïque. (I, 261)

246. – Je n’ai absolument aucune objection au culte de Krishna ou à la forme vishnouïte de


dévotion ; il n’y a aucune incompatibilité entre la bhakti vishnouïte et mon yoga supramental. En fait
il n’y a aucune forme spéciale ou exclusive de yoga supramental ; toutes les voies peuvent conduire
au Supramental, tout comme toutes les voies peuvent conduire au Divin.
Si vous persévérez, vous obtiendrez certainement la bhakti permanente que vous désirez et la
réalisation que vous désirez, mais il vous faut apprendre à mettre une entière confiance en Krishna
pour qu’il vous la donne lorsqu’il verra que tout est prêt et que le moment est venu. S’il veut que
vous vous débarrassiez d’abord des imperfections et des impuretés, c’est après tout compréhensible.
Je ne vois pas pourquoi vous ne réussiriez pas à le faire, maintenant que votre attention est tournée si
constamment de ce côté-là. Le premier pas est de voir clairement et de reconnaître ces imperfections
et impuretés, le deuxième la volonté ferme de les rejeter ; la dernière étape est celle où vous vous en
séparerez complètement si bien que si elles entrent en vous, ce sera comme des éléments étrangers
qui ne seront plus des parties de votre nature normale, mais des suggestions de l’extérieur ; il peut
même se produire qu’une fois vues et rejetées elles tombent et disparaissent automatiquement, mais
pour la plupart des gens cela prend du temps. Ce n’est pas là quelque chose de spécial à votre cas, ce
sont des éléments de la nature humaine universelle, mais ils peuvent disparaître, ils disparaissent et
ils disparaîtront. (II, 177 sq.)

247. – Quant à ce qui vous intrigue, cela vient simplement d’une confusion entre le sentiment de
l’adorateur et l’observation de l’observateur. Naturellement l’adorateur aime Krishna parce que
Krishna est « aimable » et pour aucune autre raison ; c’est son sentiment et c’est son vrai sentiment. Il
n’a pas le temps de se creuser la tête à chercher ce qui en lui le rend capable d’amour ; le fait qu’il
aime lui suffit et il n’a pas besoin d’analyser ses émotions. Pour lui, la grâce de Krishna consiste
dans le fait que Krishna est adorable, qu’il se montre à son adorateur et qu’il l’appelle par le chant
de sa flûte. Cela suffit pour le cœur, ou, s’il y a autre
151 chose, c’est le désir intense que d’autres ou que
tous puissent entendre la flûte, voir la face, sentir toute la beauté et l’extase de cet amour. Ce n’est
pas le cœur de l’adorateur, mais le mental de l’observateur qui se demande comment il se fait que les
gopîs furent appelées et répondirent immédiatement tandis que d’autres (les femmes brahmanes par
exemple 8 ne furent pas appelées et ne répondirent pas immédiatement. Une fois que le mental pose la
question, il y a deux réponses possibles : la volonté pure et simple de Krishna sans aucune raison, ce
que le mental appellerait son choix divin, absolu, ou son caprice divin arbitraire, ou encore la
préparation du cœur qui est appelé – et cela représente l’adhikâribheda 9. Une troisième réponse
serait les circonstances, comme par exemple « le terrain spirituel clôturé et interdit aux étrangers »,
comme dit R. Mais comment les circonstances peuvent-elles empêcher la Grâce d’agir ? Malgré cette
interdiction aux étrangers, des chrétiens et des musulmans répondent à la grâce de Krishna. Les tigres
et les vampires doivent l’aimer s’ils le voient et s’ils entendent sa flûte ? Oui, mais pourquoi certains
l’entendent-ils et le voient-ils, et pas d’autres ? Nous en revenons à une alternative : la grâce de
Krishna appelle qui elle veut appeler, sans aucune raison déterminée pour son choix ou son rejet :
tout se fait selon son gré – ou alors il appelle les cœurs qui sont prêts à vibrer et à bondir à son
appel, et même alors il attend que le moment vienne. Il est certainement vrai de dire que cela ne
dépend pas du mérite extérieur ou d’une préparation apparente. Ce qui était prêt à s’éveiller, en dépit
peut-être de beaucoup de croûtes durcies qui l’enveloppaient, pouvait être une chose visible pour
Krishna, mais non pas pour nous. C’était peut-être là, longtemps même avant que la flûte ne
commençât à jouer, mais Krishna s’apprêtait à faire fondre les croûtes durcies afin que le cœur
bondissant ne soit pas comprimé par elles lorsque viendront les notes qui l’éveillent. Les gopîs l’ont
entendu 10 et se sont précipitées dans la forêt ; les autres ne l’ont pas fait – ou ont-elles pensé que
c’était simplement un chant bucolique ou quelque pâtre enamouré qui chantait pour sa belle, et non
pas un appel que des oreilles savantes et cultivées ou vertueuses pouvaient reconnaître comme celui
du Divin ? Après tout, il y a quelque chose à dire pour l’adhikâribheda, mais il faut naturellement le
comprendre dans son sens large : certains peuvent avoir l’adhikâra pour reconnaître la flûte de
Krishna, d’autres pour l’appel du Christ, d’autres pour la danse de Shiva ; chacun a sa propre voie et
la réponse de sa nature à l’Appel divin. On ne saurait définir l’adhikâra en termes mentaux rigides ;
c’est quelque chose de spirituel et de subtil, quelque chose de mystique et de secret entre l’appelé et
Celui qui appelle.
Quant à « monter à la tête », il est bien évident que la théorie de la Grâce peut le faire, mais je
n’imagine guère que la tête en question ait jamais reçu la Grâce ; c’est plutôt l’importance de son
propre ego qui y est montée. Et cette montée peut se produire tout aussi bien sur la route de l’effort
personnel que dans l’appel à la Grâce. Elle ne résulte essentiellement ni de l’un ni de l’autre, mais
d’une prédisposition naturelle à ce genre de transport au cerveau. (II, 178-181)

*
152
248. – Si Krishna était toujours de nature froid et distant (Seigneur, quelle découverte ! Krishna
tout spécialement !), comment la dévotion et l’aspiration humaines pourraient-elles se diriger vers
lui ? Elles et lui seraient bientôt comme le pôle nord et le pôle sud, toujours de plus en plus glacés,
toujours se faisant face mais ne se voyant jamais à cause de l’enflure de la terre. Et si Krishna ne
désirait pas le bhakta humain tout autant que le bhakta le désire, qui parviendrait à lui ? Il serait
toujours assis comme Shiva sur les neiges des Himâlayas. L’histoire nous le montre tout différent, et
on l’accuse généralement d’être trop chaud et déluré. (II, 181 sq.)

249. – L’on considère certainement Krishna comme très capricieux, difficile dans ses rapports et
joueur (lîlâ !) d’une façon que n’apprécient pas toujours immédiatement ceux avec qui il joue. Mais il
y a dans ses caprices un raisonnement aussi bien qu’une méthode cachée, et lorsqu’il en sort et qu’il
lui plaît de vous être agréable, il a une suprême puissance d’attraction, un charme, une force
d’enjôleur qui compensent tout ce qu’on a souffert et bien au-delà. (II, 181)

250. – Quant à Krishna, pourquoi ne pas s’en approcher simplement et directement ? L’approche
simple signifie confiance. Si vous priez, ayez confiance qu’il vous entend. Si la réponse met
longtemps à venir, ayez confiance qu’il sait et qu’il aime et qu’il choisit le moment avec la plus
grande sagesse. En attendant, déblayez le terrain pour qu’il ne bute pas sur des pierres et des
branches quand il viendra. C’est cela que je vous suggère et je sais ce que je dis, car quoi que vous
puissiez dire, je connais très bien toutes les difficultés et les luttes humaines et j’en connais la
solution. C’est pourquoi j’insiste toujours sur ce qui diminuera et abrégera les luttes et les
difficultés : l’orientation psychique, la foi, la confiance parfaite et simple. Et je vous rappelle que ce
sont les règles du yoga vishnouïte. Il y a naturellement l’autre voie vishnouïte qui oscille entre
l’aspiration et le désespoir : recherche ardente et déchirements de viraha. Il semble que ce soit celle
que vous suivez, et je ne nie pas qu’on puisse arriver par là, comme par presque n’importe quelle
autre voie, si l’on s’y conforme sincèrement. Mais ceux qui suivent cette voie trouvent un rasa même
dans le viraha, même dans l’absence et le caprice du divin Amant. Certains d’entre eux ont chanté
qu’ils l’ont poursuivi toute leur vie et qu’il a toujours échappé à leur vision, mais que même en cela
ils trouvent un rasa et ne cessent jamais leur poursuite. Mais vous, vous n’y trouvez aucun rasa.
Aussi ne pouvez-vous attendre de moi que j’approuve cette voie pour vous. Poursuivez Krishna, bien
sûr, mais poursuivez-le avec la décision de l’atteindre ; ne le faites pas en vous attendant à l’échec ou
en admettant aucune possibilité de renoncer en cours de route. (II, 176 sq.)

*
153
251. – Viraha est une expérience transitoire sur le plan du vital qui cherche à trouver l’Esprit ;
il n’y a pas de raison pour qu’il ne soit pas possible dès l’une des premières étapes. Ce qui
appartient à une sâdhanâ plus avancée, ce sont les réalisations sans aucune gêne, les réalisations dans
le pur ânanda. (II, 164)

252. – L’intervention du sexe lorsque vous avez vu l’image de Krishna et de Râdhâ est due en
particulier à l’association faite dans le passé entre le sexe et le culte de Râdhâ-Krishna. Mais en fait
l’image n’a rien à voir avec le sexe. Son vrai symbole serait, non pas l’attraction sexuelle humaine,
mais l’âme, le psychique qui entend l’appel du Divin et qui s’épanouit dans l’amour et le don de soi
complets amenant l’ânanda suprême ; c’est cela que Râdhâ et Krishna, par leur union divine, amènent
dans la conscience humaine, et c’est ainsi qu’il faut les considérer, en mettant de côté les anciennes
associations d’idées sexuelles. (II, 327)

154
C. – La place des œuvres

253. – Le but de la sâdhanâ est d’ouvrir la conscience au Divin et de transformer la nature. La


méditation ou la contemplation est un moyen d’y arriver, mais ce n’est que l’un des moyens ; la bhakti
en est un autre ; le travail en est un autre. Les yogins ont prêché chitta-shuddhi 11 comme premier
moyen conduisant à la réalisation et par là ils ont obtenu la sainteté du saint et la quiétude du sage,
mais la transformation de nature dont nous parlons est quelque chose de plus, et cette transformation
ne se produit pas par la seule contemplation ; les œuvres sont nécessaires, le yoga dans l’action est
indispensable. (II, 9)

254. – Je n’ai jamais mis en doute la vérité des anciens yogas. J’ai moi-même l’expérience de la
bhakti vishnouïte et du nirvâna dans le Brahman. Je reconnais leur vérité dans leur propre domaine
et pour leurs propres fins – la vérité de leur expérience dans les limites de son champ d’application –
mais je ne suis aucunement obligé d’admettre la vérité des philosophies mentales fondées sur cette
expérience. Je trouve de même que mon yoga est vrai dans son propre domaine – un domaine plus
vaste à mon avis – et pour ses propres fins. Le but des anciens yogas est de s’évader de la vie pour
arriver au Divin ; aussi faut-il évidemment faire tomber le karma. Le but du nouveau est d’atteindre le
Divin et d’amener dans la vie la plénitude de ce qui est obtenu ; et pour cela le yoga par les œuvres
est indispensable. Il me semble qu’à propos de cela il n’y a aucun mystère, ni rien qui doive troubler
qui que ce soit ; c’est rationnel et inévitable. Vous dites pourtant que la chose est impossible, mais
c’est ce qu’on dit de tout ce qui n’a pas encore été fait.
Je peux vous faire observer que le Karma-Yoga n’est pas un yoga nouveau, mais très ancien ; ce
n’est pas hier que fut écrite la Gîtâ, et le Karma-Yoga existait avant elle. Votre idée que la seule
justification des œuvres donnée par la Gîtâ est qu’elles sont après tout un mal inévitable et qu’il vaut
mieux en tirer le meilleur parti, est assez sommaire et fruste. Si c’était tout, la Gîtâ serait l’œuvre
d’un imbécile et je n’aurais guère eu de raison d’écrire sur elle deux volumes 12, le monde n’aurait
guère de motif de la lire comme une des plus grandes Écritures, surtout pour la manière dont elle
décrit la place des œuvres dans l’effort spirituel. Ce n’est certainement pas tout ce qu’elle donne.
Quoi qu’il en soit, vos doutes sur la possibilité pour les œuvres de conduire à la réalisation ou plutôt
votre négation catégorique et absolue de cette possibilité, contredit l’expérience de ceux qui ont
réalisé cette prétendue impossibilité. Vous dites que le travail abaisse la conscience, vous fait passer
de l’intérieur à l’extérieur ; c’est exact si vous acceptez de vous extérioriser dans le travail au lieu de
faire les œuvres depuis l’intérieur, mais c’est ce qu’il faut apprendre à ne pas faire. La pensée et le
sentiment peuvent nous extérioriser de la même façon, mais il s’agit de rattacher fermement la pensée,
le sentiment et l’action à la conscience intérieure en vivant en celle-ci et en faisant du reste un
155
instrument. Difficile ? Même la bhakti n’est pas facile, et pour la plupart des hommes le nirvâna est
plus difficile que cela.
Je ne sais pas pourquoi vous faites intervenir l’humanitarisme, l’activisme, le service (seva)
philanthropique, etc. Aucun d’eux ne fait partie de mon yoga ni n’est dans la ligne de ce que j’ai écrit,
et par conséquent ils ne m’affectent pas. Je n’ai jamais pensé que la politique ou le fait de nourrir les
pauvres ou d’écrire de beaux poèmes conduirait tout droit à Vaikuntha 13 ou à l’Absolu. Si tel était le
cas, Romesh Dutt 14 d’une part et Baudelaire de l’autre auraient été les premiers à parvenir au
Suprême et à nous y accueillir. Ce n’est pas la forme du travail lui-même ni la simple activité, mais
la conscience et la volonté dirigée vers Dieu, qui se trouvent derrière, qui sont l’essence du Karma-
Yoga. Le travail n’est que l’instrument nécessaire pour l’union avec le Maître des œuvres, ce qui
nous fait passer de la volonté et du pouvoir de l’Ignorance à la pure volonté et au pouvoir de la
Lumière.
Et enfin, pourquoi supposer que je m’oppose à la méditation ou à la bhakti ? Je n’ai pas la plus
légère objection à ce que vous preniez l’une des deux ou toutes les deux comme moyen d’approche
vers le Divin. Seulement je ne vois aucune raison pour que n’importe qui se brouille avec les œuvres
et nie la vérité de ceux qui sont parvenus par les œuvres, comme dit la Gîtâ, à la parfaite réalisation
et à l’unité de nature avec le Divin, samsiddhim sadharmyam (comme l’ont fait Janaka 15 et d’autres)
tout simplement parce que soi-même on ne peut pas trouver – ou l’on n’a pas encore trouvé – quel en
est le secret plus profond. Et c’est pourquoi je prends la défense des œuvres. (II, 10 sqq.)

255. – Le sattva prédomine, le rajas agit en tant que mouvement cinétique sous le contrôle du
sattva jusqu’à ce que le tamas impose le besoin de repos. C’est la chose habituelle. Mais même si le
tamas prédomine et que l’action soit faible, ou que le rajas prédomine et que l’action soit excessive,
ni le Purusha, ni la Prakriti n’en sont troublés ; il y a un calme fondamental dans tout l’être, et l’action
n’est pas plus qu’une ride ou un remous à la surface de l’eau. (III, 473)

256. – On peut employer n’importe quel travail comme domaine où s’exercer à l’esprit de la
Gîtâ. (III, 456)

257. – Votre but n’est pas seulement de pratiquer le yoga pour votre progrès intérieur et votre
protection, mais d’effectuer aussi un travail pour le Divin. (III, 456)
258. – N’ayez pas de remords pour le temps que vous consacrez à l’action et au travail créateur.
Ceux qui ont un vital créateur expansif ou un vital156
fait pour l’action sont, en général, à leur mieux
lorsque le vital n’est pas retenu dans son mouvement ; ils peuvent se développer ainsi plus vite que
par la méditation introspective. Tout ce qui est nécessaire pour cela, c’est de faire en sorte que leur
action soit consacrée pour qu’ils puissent être, par elle, toujours plus préparés à sentir et suivre la
Force divine lorsqu’elle les pousse. C’est une erreur de penser que vivre constamment dans la
méditation introspective est invariablement la meilleure ou la seule voie dans le yoga. (III, 457)

259.– Une harmonie et une organisation ordonnées dans les choses physiques constituent un
élément nécessaire dans l’efficacité et la perfection et rendent l’instrument capable de tout travail qui
lui est assigné. (III, 464)

260. – Il faut certes que la paresse disparaisse, mais parfois il me semble que vous avez été trop
loin dans la direction contraire. Il est nécessaire de pouvoir travailler avec une énergie entière, mais
il est tout aussi nécessaire de pouvoir ne pas travailler du tout. (III, 470)

261. – Trop de travail altère la qualité du travail, quel que soit l’entrain de celui qui l’exécute.
(III, 468)

262. – Cela est tout à fait nécessaire au travail ; efficacité et discipline sont indispensables.
Cependant elles peuvent être maintenues partiellement par des moyens extérieurs. En réalité cela
dépend, dans la vie ordinaire, de la personnalité du supérieur, de son influence sur ses subordonnés,
de sa fermeté, de son tact et de sa bonté à leur égard. Mais le sâdhak dépend d’une force plus
profonde, celle de sa conscience intérieure et de la force qui travaille à travers lui. (III, 465)
263. – Travailler dans une conscience calme et toujours s’élargissant est à la fois une sâdhanâ et
une siddhi (II, 366)

264. – Le travail physique peut se faire avec la partie la plus extérieure du mental et laisser le
reste libre pour le souvenir ou l’expérience (II, 367)

157
265. – Vous parlez de résistance, de réceptivité insuffisante et d’incapacité à continuer dans la
communion tandis que vous travaillez. Tout cela doit être dû à quelque partie de votre conscience
physique qui n’est pas encore ouverte à la Lumière. Il s’agit probablement de quelque chose dans le
physique vital et dans le subconscient matériel qui s’oppose à ce que le mental physique soit libre et
sensible dans sa masse.
Il n’y a rien de mal à soulever l’aspiration d’en bas pour qu’elle rencontre la puissance venant
d’en haut. Ce à quoi il vous faut faire attention, c’est de ne pas soulever la difficulté qui vient d’en
bas avant que le pouvoir descendant ne soit prêt à l’écarter. (III, 469)

266. – Agir ? Pourquoi aurait-il voulu faire quoi que ce soit s’il était dans la paix éternelle ou
l’Ananda ou l’Union avec le Divin ? Si un homme est spirituellement évolué et a dépassé le stade du
mental et du vital, point n’est besoin pour lui de toujours « faire » quelque chose. Le Moi ou l’esprit
a la joie de sa propre existence. Il est libre de ne rien faire comme de tout faire, mais non parce qu’il
est obligé d’agir ou incapable de vivre sans cela. (III, 470)

267. – Il faut s’universaliser et permettre une action non égoïste et harmonieuse. Plus tard, un
ordre plus vrai pourra venir d’en haut. (III, 463)

268. – Être libre de tout mobile égoïste quelconque, être soucieux de la vérité dans la parole
comme dans l’action, n’être ni entêté ni autoritaire, être attentif en toutes choses sont les conditions à
remplir pour être un serviteur impeccable. (III, 459)

269. – Si le physique est dans cet état et que le travail provoque en lui ces réactions, il ne sert à
rien de le forcer avec violence ou de lui imposer du surmenage. Il vaut mieux éduquer et entraîner
lentement l’être naturel externe en faisant descendre avec constance dans le système nerveux et dans
les cellules du corps le calme, la paix, la lumière et la force. Une violente contrainte exercée sur le
corps peut tout aussi bien aller à l’encontre du but proposé. Votre sâdhanâ a probablement été trop
exclusivement interne et subjective ; et si tel est le cas, on ne peut pas y remédier en un instant. Par
conséquent, il vaut mieux pour vous ne pas faire de lourds travaux physiques pour le moment. (III,
467 sq.)

*
158
270. – Ici le travail n’est pas conçu pour donner l’occasion de montrer ses capacités, d’obtenir
une situation, ni comme un moyen d’être physiquement près de la Mère [de l’âshram], mais comme un
domaine et une opportunité où exercer la partie karma-yoguique du yoga intégral, pour apprendre à
travailler de la façon yoguique vraie, à se consacrer par le service, à pratiquer l’oubli de soi,
l’obéissance, l’exactitude, la discipline, à placer le Divin et le travail pour le Divin en premier lieu
et soi-même en dernier, avec harmonie, patience, endurance, etc. Lorsque ceux qui travaillent auront
appris cela et auront cessé d’être égocentriques, comme la plupart d’entre vous l’êtes à présent, le
moment viendra de faire un travail où l’on pourra montrer ses capacités. Mais même alors cette
exhibition de vos capacités ne sera que fortuite et ne pourra jamais être la considération principale
ou le but dans le travail pour le Divin. (III, 462 sq.)

271. – Ici, il n’y a rien qui pourvoie aux besoins de la nature vitale humaine ; le travail est petit,
silencieux, isolé du monde extérieur et de ses circonstances, et il n’a de valeur que comme domaine
où se cultiver spirituellement. Si l’on est gouverné par le seul mobile spirituel et que l’on possède la
conscience spirituelle, on peut trouver joie et intérêt à ce travail. Ou bien, si malgré ses
imperfections humaines, le travailleur est préoccupé surtout de progrès spirituel et de
perfectionnement de soi, il peut prendre intérêt à son travail aussi, et en même temps sentir que ce
travail est utile pour mettre à découvert et purifier sa nature égoïste mentale, vitale et physique et
prendre joie à ce même travail en tant que service pour le Divin. (III, 463 sq.)

272. – Par lui-même le travail n’est qu’une préparation, tout comme la méditation par elle-
même, mais le travail fait dans la conscience yoguique croissante est un moyen de réalisation tout
autant que la méditation… J’espère ne pas avoir dit que le travail est seul à préparer. La méditation
aussi prépare au contact direct. Si nous devons travailler simplement comme préparation et ensuite
devenir des ascètes immobiles en méditation, tout mon enseignement spirituel est faux et il n’y a
aucune utilité à la réalisation supramentale, ni à quoi que ce soit d’autre qui n’ait pas été fait dans le
passé…
L’ignorance à la base de cette attitude réside dans la supposition qu’il faut nécessairement ne
faire que travailler ou ne faire que méditer. Ou bien le travail est le moyen, ou bien la méditation est
le moyen, mais ce ne peut être les deux ! Pour autant que je sache, je n’ai jamais dit qu’il ne fallait
pas méditer. Mettre en concurrence, déclarée ou sourde, le travail et la méditation est une ruse du
mental diviseur et appartient à l’ancien yoga. Je vous prie de vous rappeler que j’ai toujours
proclamé un yoga intégral où la Connaissance, la Bhakti, les Œuvres – la Lumière de connaissance,
l’ânanda et l’amour, la volonté et le pouvoir dans les œuvres, la méditation, l’adoration et le service
159
du Divin, tous trouvent place. La méditation n’est pas plus grande que le yoga des œuvres, ni les
œuvres plus grandes que le yoga de la connaissance ; les uns et les autres sont égaux.
Encore une chose : c’est une erreur de tirer argument de sa propre expérience très limitée, de
négliger celle des autres, et de construire sur cette base de grandes généralisations sur le yoga. C’est
ce que font beaucoup de gens, mais la méthode a des défauts évidents. Vous n’avez pas l’expérience
de réalisations majeures par les œuvres et vous en concluez que de telles réalisations sont
impossibles. Mais que dire alors des nombreuses personnes qui les ont eues, ailleurs et ici même
dans l’âshram ?
N’en concluez pas cependant que j’exalte les œuvres comme le seul moyen de réalisation ; je ne
fais que leur donner la place qui leur revient. (II, 12 sqq.)

273. – Englober la conscience extérieure dans la transformation est d’une importance suprême
dans notre yoga ; la méditation ne peut pas le faire. La méditation ne peut s’occuper que de l’être
intérieur. Aussi le travail a-t-il une importance primordiale, mais il faut le faire avec la juste attitude
et dans la juste conscience, et alors il est aussi fructueux que peut l’être n’importe quelle méditation.
(II, 12)

274. – Le travail peut être de deux sortes : celui qui est un champ d’expérience utilisé pour la
sâdhanâ, pour une harmonisation et transformation progressives de l’être et de ses activités, et le
travail qui est une expression réalisée du Divin. Mais pour ce dernier, le moment ne peut venir que
lorsque la Réalisation aura été pleinement amenée dans la conscience terrestre ; jusque-là tout travail
fait dans l’âshram ou au dehors doit appartenir à la première catégorie. (II, 364)

275. – N’ayez pas peur de l’énergie vitale au travail. L’énergie vitale est un inappréciable don
de Dieu sans lequel rien ne peut se faire… Laissez jouer cette énergie ; elle ne peut que fortifier
l’être pour le but plus grand. (II, 287)

276. – S’il y a incapacité physique temporaire, on peut se reposer, mais uniquement pour
recouvrer l’énergie physique. L’idée d’abandonner le travail physique pour le développement mental
de soi-même est une création de l’ego mental. (II, 345)
277. – Pour lui, la voie qui semble naturelle est le Karma-Yoga ; aussi a-t-il raison d’essayer de
vivre selon les enseignements de la Gîtâ, car160 la Gîtâ est le grand guide dans cette voie. La
purification qui débarrasse des mouvements égoïstes et des désirs personnels et l’adhésion fidèle à la
meilleure lumière qu’on a, sont une formation préliminaire pour cette voie ; dans la mesure où il a
observé ces règles, il est resté sur la bonne voie, mais il ne faut pas considérer comme un mouvement
égoïste le fait de demander de la force et de la lumière dans son action, car l’une et l’autre sont
nécessaires pour le développement intérieur.
Il est évident qu’une sâdhanâ plus systématique et intense est désirable ; en tout cas, une
aspiration ferme et une préoccupation plus constante du but central pourraient amener un détachement
stable au milieu des choses extérieures et de l’activité extérieure, et aussi une direction continue. Sur
cette voie de yoga (je parle de la voie distincte du karma ou de l’action spirituelle) la plénitude, la
siddhi, commence lorsqu’on a lumineusement conscience du Guide et de la direction et que l’on sent
le pouvoir œuvrant en nous comme instrument et participant au travail divin. (II, 126 sq.)

161
D. – Concentration et méditation

278. – Ce qui est important, ce n’est pas la méditation (en pensant avec le mental), mais une
concentration ou une orientation de la conscience, et cela peut s’effectuer pendant le travail, en
écrivant, ou dans toutes sortes d’actions, de même que dans l’immobilité de la contemplation. (III,
457)

279. – Vous avez demandé quelle discipline il faut suivre pour convertir la recherche mentale en
une expérience spirituelle vivante. La première chose nécessaire est la pratique de la concentration
de votre conscience en vous. Le mental humain ordinaire a une activité de surface qui voile le Soi
réel. Mais à l’intérieur il y a une autre conscience, cachée, en laquelle nous pouvons devenir
conscients du Soi réel et d’une vérité plus large et plus profonde de la nature, réaliser le Soi et
libérer et transformer la nature. Apaiser le mental de surface et commencer de vivre à l’intérieur, tel
est l’objet de cette concentration. De cette vraie conscience, autre que la superficielle, il y a deux
centres principaux, un dans le cœur (pas le cœur physique, mais le centre cardiaque au milieu de la
poitrine) et un dans la tête. La concentration dans le cœur ouvre vers l’intérieur ; en suivant cette
ouverture vers l’intérieur et en pénétrant profondément, on prend conscience de l’âme ou être
psychique, l’élément divin dans l’individu. Cette âme, une fois dévoilée, commence à venir en avant,
à gouverner la nature, à la tourner, avec tous ses mouvements, vers la Vérité, vers le Divin, et à
appeler en elle tout ce qui est au-dessus. Elle amène la conscience de la Présence, la consécration de
l’être au Suprême, et invite à descendre dans notre nature une Force et Conscience plus grande qui
attend au-dessus de nous. Se concentrer dans le centre du cœur avec l’offrande de soi-même au Divin
et l’aspiration à cette ouverture vers l’intérieur, à la Présence dans le cœur, telle est la première
manière et, si elle peut se faire, le commencement naturel ; car lorsque le résultat en est obtenu, le
chemin spirituel est beaucoup plus facile et plus sûr que lorsqu’on commence de l’autre manière.
Cette autre manière est la concentration dans la tête, dans le centre mental ; celle-ci, si elle
amène le silence du mental superficiel, ouvre au-dedans un mental intérieur plus grand et plus
profond qui est plus capable de recevoir l’expérience spirituelle et la connaissance spirituelle. Mais
une fois qu’on s’est concentré là, on doit ouvrir vers en haut la conscience mentale silencieuse à tout
ce qui est au-dessus du mental. Au bout de quelque temps on sent que la conscience s’élève, et à la
fin elle passe au-delà du couvercle qui l’a si longtemps tenue attachée au corps, elle trouve au-dessus
de la tête un centre où elle est libérée en l’Infini. Là elle commence à entrer en contact avec le Soi
universel, la Paix, la Lumière, la Puissance, la Connaissance et la Béatitude divines, à entrer en cela
et à devenir cela, à sentir la descente de ces choses dans la nature. Se concentrer dans la tête avec
l’aspiration à la quiétude du mental et à la réalisation du Soi et du Divin au-dessus, tel est le
162
deuxième procédé de concentration. Il importe cependant de se rappeler que la concentration de la
conscience dans la tête n’est qu’une préparation pour sa montée au centre qui est au-dessus ; sinon
l’on peut s’enfermer dans son propre mental et dans ses expériences, ou tout au mieux n’atteindre
qu’à une réflexion de la Vérité au-dessus, au lieu de s’élever jusqu’en la transcendance spirituelle
pour y vivre. Pour certains, la concentration mentale est plus facile, pour d’autres la concentration
dans le centre du cœur ; d’aucuns sont capables de faire les deux alternativement. Mais le plus
souhaitable, si on le peut, est de commencer par le centre du cœur.
L’autre aspect de la discipline concerne les activités de la nature, du mental, du moi vital, de
l’être physique. Ici le principe est d’accorder la nature avec la réalisation intérieure afin que l’on
puisse ne pas être divisé en deux parties discordantes. Il y a là plusieurs disciplines ou processus
possibles. L’un consiste à offrir toutes les activités au Divin et à faire appel à la direction intérieure,
à faire prendre en charge toute sa nature par une Puissance supérieure. S’il y a ouverture de l’âme
vers l’intérieur, si l’être psychique vient en avant, il n’y a pas grande difficulté ; cela s’accompagne
d’une discrimination psychique, d’une intimation constante et finalement d’une direction qui découvre
toutes les imperfections et les ôte patiemment, qui provoque les justes mouvements mentaux et vitaux
et qui aussi change la forme de conscience physique. Une autre méthode consiste à se reculer à
l’écart, en se détachant des mouvements du mental, de la vie et de l’être physique, à ne voir dans
leurs activités qu’une formation habituelle en l’individu de la Nature générale, formation qui nous est
imposée par notre action passée, mais qui ne fait pas partie de notre être réel. Dans la mesure où l’on
y réussit, où l’on se détache, où l’on voit le mental et ses activités comme n’étant pas soi, la vie et
ses activités comme n’étant pas soi, le corps et ses activités comme n’étant pas soi, on prend
conscience d’un Être intérieur, en nous – mental intérieur, vital intérieur, physique intérieur –
silencieux, calme, non lié, non attaché, qui reflète le vrai Soi au-dessus et peut en être le représentant
direct. De cet Être intérieur silencieux procèdent un rejet de tout ce qui doit être rejeté, une
acceptation de cela seulement qui peut être conservé et transformé, une volonté intime de perfection
ou un appel à la Puissance divine pour qu’elle fasse à chaque pas ce qui est nécessaire à la
transformation de la Nature. Il peut aussi ouvrir le mental, la vie et le corps à l’entité psychique
intime et à son influence directrice ou à sa direction immédiate. Dans la plupart des cas, ces deux
méthodes émergent et œuvrent ensemble et finalement fusionnent. Mais on peut commencer avec l’une
ou l’autre, celle que l’on sent la plus naturelle et la plus facile à suivre.
Finalement, dans toutes les difficultés où l’effort personnel est gêné, l’aide du Maître peut
intervenir et amener ce dont on a besoin pour la réalisation ou pour le pas immédiat qui est
nécessaire. (I, 59-62)

163
280. – Tension et concentration ne sont pas la même chose. La tension implique un excès
d’ardeur et de la violence dans l’effort, tandis que la concentration est, de par sa nature même,
tranquille et régulière. S’il y a agitation ou excès d’ardeur, ce n’est pas de la concentration. (III, 188)

281. – Cela ne s’appelle pas méditation ; c’est un état où la conscience est partagée. À moins
que la conscience ne soit véritablement absorbée et que les pensées en surface soient uniquement des
choses qui viennent, affleurent et passent, on ne peut guère appeler cela méditation (dhyâna). Je ne
vois pas comment l’être intérieur peut être absorbé tandis que des pensées et imaginations entières,
d’une tout autre sorte, peuvent se promener dans la conscience de surface. On peut rester détaché,
voir passer sans en être affecté les pensées et les imaginations, mais cela n’est pas être plongé ou
absorbé dans la méditation. (III, 189 sq.)

282. – Il y a deux états différents, celui que la conscience prend dans la concentration et celui
qu’elle prend dans la détente. Cette dernière est la conscience ordinaire – ordinaire pour le sâdhak
bien qu’elle ne soit peut-être pas la conscience ordinaire de l’homme moyen. L’autre est ce qu’on
atteint par tapas de concentration dans la sâdhanâ. Pour le sâdhak qui est allé jusque-là, il est facile
de passer dans l’akshara 16 et de voir les expériences de là. Le sâdhak peut aussi concentrer et
maintenir l’unification des principaux aspects de son être, bien que ce soit avec plus de difficultés ;
mais une détente le ramène à la conscience ordinaire détendue. C’est seulement lorsque ce qui est
acquis par la sâdhanâ devient normal pour la conscience ordinaire que cela peut être évité. Dans la
mesure où cela se fait, il devient possible non seulement d’éprouver subjectivement la vérité, mais de
la rendre manifeste en action. (II, 99)

283. – La prière et la méditation comptent pour une certaine quantité dans le yoga. Mais la
prière doit jaillir du cœur sur une crête d’émotion ou d’aspiration, le japa ou la méditation doit venir
en une poussée vivante qui apporte en elle la joie ou la lumière de la chose. Si on le fait
mécaniquement et simplement parce qu’il le faut (devoir triste et sévère !), il conduit forcément vers
un manque d’intérêt et vers la sécheresse, et reste ainsi sans effets… Vous faisiez trop le japa comme
moyen pour provoquer un résultat ; j’entends par là trop comme une méthode, un procédé imposé
pour faire ce qui doit être fait. C’est pourquoi j’ai voulu que les conditions psychologiques en vous
se développent, le psychique, le mental, car lorsque le psychique est en avant il ne manque ni vie ni
joie dans la prière, l’aspiration, la recherche, il n’y a pas de difficulté à maintenir le courant constant
de la bhakti, et lorsque le mental est paisible et tourné
164
vers l’intérieur et tourné vers en haut il n’y a
dans la méditation ni difficulté ni manque d’intérêt. La méditation est d’ailleurs un processus
conduisant vers la connaissance et à travers la connaissance, c’est une chose de la tête et non du
cœur ; aussi si vous voulez dhyâna vous ne pouvez avoir d’aversion pour la connaissance. La
concentration dans le cœur n’est pas méditation, c’est un appel au Divin, au Bien-aimé. En outre,
notre yoga n’est pas seulement un yoga de connaissance, la connaissance est un de ses moyens ; mais
puisque sa base est l’offrande de soi, l’abandon, la bhakti, il a son fondement dans le cœur, et rien ne
peut finalement se faire sans cette base. Il y a ici beaucoup de gens qui font ou ont fait du japa et qui
prennent pour base la bhakti ; relativement très peu ont fait la méditation dans la tête ; l’amour, la
bhakti et les œuvres sont généralement la base. Combien peuvent procéder par la voie de la
connaissance ? Seulement quelques-uns. (II, 14 sq.)

284. – La concentration consiste à rassembler toute la conscience et soit à la centrer sur un


point, soit à la tourner vers un objet unique, par exemple le Divin ; il peut aussi y avoir un état de
conscience rassemblée dans l’être tout entier et non pas en un seul point. Dans la méditation il n’est
pas indispensable de se rassembler de la sorte ; on peut simplement rester avec un mental tranquille,
penser à un seul objet pour observer ce qui vient dans la conscience et s’en occuper. (II, 111 sq.)

285. – La concentration signifie fixer la conscience en un endroit ou sur un objet et dans un seul
état. La méditation peut être diffuse, par exemple lorsqu’on pense au Divin, lorsqu’on reçoit des
impressions et que l’on discrimine, lorsqu’on surveille ce qui se passe dans la nature et qu’on agit en
conséquence, etc. (II, 112)

286. – Qu’est-ce que vous appelez méditation ? Fermer les yeux et vous concentrer ? Ce n’est
que l’une des méthodes pour faire descendre la vraie conscience. Se joindre à la conscience vraie ou
sentir sa descente est la seule chose importante, et si cela se produit sans la méthode orthodoxe,
comme ce fut toujours le cas chez moi, tant mieux. La méditation n’est qu’un moyen ou un procédé ; le
véritable mouvement, c’est lorsqu’on reste toujours dans la sâdhanâ, même lorsqu’on travaille, qu’on
marche ou qu’on parle. (II, 366)

287. – Mais alors comment la méditation serait-elle nécessaire à tous s’il est dit à certains de ne
pas en faire ? Beaucoup méditer est pour ceux qui peuvent méditer beaucoup. Ce qui ne veut pas dire
165 ne devrait rien faire d’autre. (III, 90 sq.)
que parce qu’il est bon de beaucoup méditer, personne
*

288. – C’est lorsque vous êtes seul ou tranquille qu’il vaut mieux vous concentrer plus
profondément. Les bruits extérieurs ne devraient pas vous gêner. (III, 188)
289. – Il n’est pas nécessaire de perdre conscience quand vous méditez. L’essentiel, c’est que la
conscience s’élargisse et se transforme. Si vous voulez, entendez : rentrer à l’intérieur. Vous pouvez
le faire sans perdre conscience. (III, 469)

290. – La position qui consiste à être assis immobile est la position naturelle pour la méditation
concentrée ; marcher et se tenir debout sont des états actifs. Ce n’est que lorsqu’on a obtenu le calme
persistant et la passivité de la conscience qu’il est facile de se concentrer et de recevoir tandis que
l’on marche ou que l’on fait quoi que ce soit. Un état passif fondamental de la conscience ramassée
en elle-même est l’attitude adéquate pour la concentration ; pour cela, la meilleure position est une
immobilité posée, ramassée dans le corps. Cela peut aussi se faire étendu, mais cette position est trop
passive et tend à devenir inerte plutôt que ramassée. C’est la raison pour laquelle les yogins
s’asseyent toujours en âsana. On peut s’habituer à méditer tandis que l’on marche, que l’on est
debout ou étendu, mais la première position naturelle est celle qui consiste à être assis. (III, 187 sq.)

291. – La méditation ? Oui, mais votre méditation s’est engagée dans un mauvais âsana, 17 celui
d’une lutte anxieuse et véhémente que suit un amer désespoir. Cela ne sert à rien de continuer de la
sorte ; il vaut mieux y renoncer jusqu’à ce que vous trouviez un nouvel âsana. Je fais allusion aux
anciens rishis qui installaient un âsana, un lieu et une attitude fixe où ils restaient immobiles jusqu’à
ce qu’ils obtiennent la siddhi, mais si des forces mauvaises, comme les asuras, les apsaras, 18 etc.,
réussissaient à troubler l’âsana, ils le quittaient et en cherchaient un autre. En outre, votre méditation
manque de calme, vous méditez avec un mental qui lutte, alors que c’est dans le mental paisible que
vient l’expérience ; comme tous les yogins en conviennent, c’est dans l’eau paisible que se reflète
exactement le soleil, dans la coupe vidée au préalable que le soma-rasa de l’esprit peut être versé.
Préparez le mental et le cœur jusqu’à ce que les choses commencent à s’y écouler en un courant
spontané lorsque tout sera prêt. (II, 286)

292. – La plupart des gens associent la conscience au cerveau ou au mental parce que c’est le
centre de pensée intellectuelle et de vision mentale, mais la conscience ne se limite pas à ce genre de
pensée ou de vision. Elle se trouve partout dans le système et elle comprend plusieurs centres ; par
166
exemple le centre de la concentration intérieure n’est pas dans le cerveau, mais dans le cœur. Le
centre d’où provient le désir vital est encore plus bas.
Les deux endroits principaux où l’on peut centrer sa conscience dans le yoga sont la tête et le
cœur – le centre mental et le centre de l’âme. (III, 187)

293. – S’il y a capacité de méditation prolongée, le sâdhak s’y adonnera naturellement et ne


s’intéressera guère à la lecture, à moins qu’il ne soit parvenu au stade où tout fait partie de la
conscience yoguique parce que celle-ci est permanente. C’est la sâdhanâ et non le développement
mental qui est le but du sâdhak. Mais s’il a du temps de libre, celui qui possède une tournure d’esprit
mentale utilisera naturellement son temps à lire ou à étudier une chose ou une autre. (III, 90)

167
E. – Nirvâna et vacuité

294. – Au-dessus du mental humain, il y a beaucoup d’autres plans – le Supramental n’est pas le
seul. Et l’on peut réaliser son Moi sur chacun d’eux, car tous sont des plans spirituels.
Ce n’est que dans la conscience de surface que le mental, le vital et le physique sont
inextricablement enchevêtrés ; le mental intérieur, le vital intérieur et le physique intérieur sont
distincts les uns des autres. Ceux qui sont à la recherche du Moi par d’anciens yogas se séparent du
mental, de la vie et du corps pour réaliser un Moi de l’ensemble qui est différent de ces trois
éléments. Il est très facile de séparer le mental, le vital et le physique les uns des autres sans l’aide
du Supramental. C’est ce que font les yogas courants. La différence entre notre yoga et les anciens
yogas n’est pas que ces derniers en soient incapables – ils le peuvent parfaitement – mais qu’ils
partent de la réalisation de leur Moi pour atteindre le nirvâna ou un paradis et abandonner la vie. Le
Supramental est nécessaire pour transformer l’Être et la vie terrestres, non pour atteindre le Moi. Il
faut d’abord réaliser son Moi ; ce n’est qu’après qu’on peut réaliser le Supramental. (III, 8)

295. – Dans notre yoga, le nirvana est le début de la Vérité supérieure, car c’est le passage de
l’ignorance à la Vérité supérieure. L’ignorance doit être éteinte afin que la Vérité puisse se
manifester. (II, 29)

296. – Je ne crois pas avoir écrit, mais j’ai dit une fois, que les âmes qui ont passé dans le
nirvâna peuvent (et non pas doivent) en revenir pour compléter la plus vaste courbe vers en haut. Je
crois avoir écrit quelque part que, pour notre yoga (on pourrait aussi ajouter dans l’ordre complet de
la manifestation) l’expérience du nirvâna ne peut être qu’une étape ou un passage vers la réalisation
complète. J’ai dit aussi qu’il y a beaucoup de portes par lesquelles on peut entrer dans la réalisation
de l’Absolu (Parabrahman), et que le nirvâna en est une, mais en aucune façon la seule. Vous pouvez
vous rappeler ce que disait Râmakrishna, que le jîvakoti peut monter les escaliers mais ne peut plus
revenir, tandis que l’îshvarakoti peut à sa volonté monter et descendre. S’il en est ainsi, le jîvakoti
peut désigner ceux qui ne décrivent que la courbe depuis la matière et à travers le mental jusque dans
le Brahman silencieux, et l’îshvarakoti ceux qui parviennent à la Réalité intégrale, qui peuvent par
conséquent combiner la montée et la descente et contenir « les deux bouts » de l’existence dans leur
être unique. (II, 29 sq.)

168
297. – Le yoga que nous pratiquons ici comprend à la fois la libération et la transcendance, mais
il prend la libération, ou même un certain nirvana, si celui-ci se produit, comme un premier pas et
non pas comme le dernier pas de sa siddhi. La sortie vers le transcendant ou en lui, que réalise notre
yoga, est une montée qu’accompagne une descente du pouvoir, de la lumière, de la conscience qui ont
été réalisés, et c’est par de telles descentes que s’accomplit ici la transformation spirituelle et
supramentale. (II, 41)

298. – Le sâdhak du yoga intégral qui s’attarde dans l’Impersonnel cesse d’être un sâdhak du
yoga intégral. Réaliser l’Impersonnel, c’est réaliser le Moi silencieux, l’Existence, la Conscience et
la Béatitude pures en elles-mêmes sans qu’intervienne une perception quelconque d’un Existant, d’un
Conscient, d’un Bienheureux. Cela conduit donc au nirvâna. Dans la connaissance intégrale, la
réalisation du Moi ou du Sachchidânanda impersonnel n’est qu’une étape, quoique très importante, ou
une partie de la connaissance intégrale. C’est le début et non la fin de la réalisation suprême. (III, 12)

299. – Par vacuité on veut dire absence de tout contenu autre que l’existence pure et simple. On
ne peut sans cela réaliser le Brahman silencieux. (III, 121 sq.)

300. – Il est très bon d’être la coupe vide, si l’on sait comment utiliser cette vacuité. (III, 122)

301. – Bien que la vacuité n’arrête pas (à moins d’être complète) l’action mécanique récurrente
du mental, elle a pour résultat habituel d’apaiser toute agitation vitale. (III, 122)

302. – Il n’y a aucune raison pour que la vacuité soit un état triste ou malheureux. Le mental et le
vital ont, en général, l’habitude d’associer le bonheur ou l’intérêt uniquement à l’activité ; mais la
conscience spirituelle ne connaît pas de telles restrictions. (III, 123)

303. – Ce que vous décrivez n’est pas du tout un retrait de l’énergie vitale ; c’est tout
simplement un état de vide et d’immobilité provoqué dans les parties inférieures par le fait que la

169
conscience est située plus haut. Cela est parfaitement compatible avec l’action ; il s’agit seulement de
s’habituer à l’idée qu’on peut agir dans de telles conditions. (III, 77)

304. – Il est parfaitement possible de travailler dans un état de vide complet, sans que les
parties inférieures de la conscience interviennent ou agissent. (III, 78)

305. – S’il s’agit d’une vraie vacuité, on peut y rester au repos pendant des années de suite ; si
les choses sont comme vous les décrivez, c’est parce que le vital est agité et plein de désirs – et non
vide. Il y a aussi que le mental physique n’est en aucune façon au repos. Si l’on rejetait les désirs, si
l’on rendait l’ego moins actif et si l’on mettait le mental physique au repos, la connaissance viendrait
d’en haut remplacer les stupidités du mental physique, le mental vital pourrait être calme et paisible,
la Force de la Mère se chargerait de l’action et la conscience supérieure commencerait à descendre.
Telles sont les suites que doit avoir la vacuité. (III, 122)

170
F. – Mantra, japa, cultes, prière

306. – Le pouvoir de la Gâyatrî est la Vérité divine. C’est un mantra de connaissance. (II, 455)
307. – OM est le mantra, le son-symbole expressif de la Conscience de Brahman dans ses
quatre domaines, du turîya 19 au plan extérieur ou matériel. Le rôle d’un mantra est de créer dans la
conscience intérieure des vibrations qui la préparent à la réalisation de ce que le mantra symbolise
et est censé porter en soi. Le mantra OM devrait par conséquent conduire vers l’ouverture de la
conscience à la vue et au sens de la Conscience une dans les choses matérielles, dans l’être intérieur
et dans les mondes supraphysiques, dans le plan causal au-dessus qui nous est actuellement
supraconscient et, finalement, à la transcendance suprême libérée au-dessus de toute existence
cosmique. C’est cette dernière qui est généralement la préoccupation principale de ceux qui utilisent
le mantra.
Dans notre yoga, il n’est pas fixé de mantra, on n’insiste pas sur les mantras, bien que les
sâdhaks puissent en utiliser un s’ils le trouvent utile, ou tant qu’ils le trouvent utile. Nous insistons
plutôt sur une aspiration dans la conscience et une concentration du mental, du cœur, de la volonté, de
tout l’être. Si l’on trouve un mantra qui y aide, on l’emploie. Si on utilise bien OM (pas
mécaniquement) il pourrait fort bien aider à l’ouverture vers le haut et vers l’extérieur (conscience
cosmique) ainsi qu’à la descente. (I, 186)

308. – Généralement le japa ne réussit qu’à l’une de deux conditions : ou bien si on le répète
avec la conscience de ce qu’il signifie, en faisant appuyer quelque chose de mental sur la nature, la
puissance, la beauté, l’attraction de la Divinité qu’il désigne et qu’il doit faire entrer dans la
conscience (c’est la manière mentale), ou bien s’il monte du cœur ou y résonne avec une certaine
sensation ou un certain sentiment de bhakti qui le rend vivant (c’est la manière émotive). Il faut que
le mental ou le vital lui fournisse un support et une nourriture. Mais s’il rend le mental aride et le
vital agité, il doit n’avoir ni ce support, ni cette nourriture. Il y a évidemment une troisième manière,
la confiance dans le pouvoir du mantra, du nom, en soi, mais alors il faut continuer jusqu’à ce que ce
pouvoir ait suffisamment imprimé ses vibrations sur l’être intérieur pour le faire, à un moment donné,
s’ouvrir brusquement à la Présence et au Toucher. Si l’on se débat ou si l’on insiste trop sur le
résultat cherché, cet effet en est gêné, car il nécessite une tranquille réceptivité dans le mental. C’est
pourquoi j’ai tellement insisté sur la quiétude mentale, sur la nécessité d’éviter trop de tension et
d’effort, de donner le temps au psychique et au mental pour qu’ils acquièrent la condition nécessaire
de réceptivité, une réceptivité aussi naturelle que lorsqu’on reçoit une inspiration en poésie ou en
musique. C’est aussi pourquoi je ne veux pas que vous cessiez votre activité poétique ; elle aide à
cette préparation et ne la gêne pas, parce qu’elle est un moyen d’acquérir la juste attitude de
171
réceptivité et de faire sortir la bhakti qui est dans l’être intérieur. Si l’on dépense toute son énergie
en japa et en méditation, c’est une tension que même les gens accoutumés à méditer avec succès
trouvent difficile de maintenir – excepté dans les périodes où il arrive d’en haut un flot ininterrompu
d’expériences. (I, 184 sq.)

309. – Si le culte est célébré comme partie de la méditation, ou avec une véritable aspiration à
la réalité spirituelle et à la conscience spirituelle, avec la soif du contact et de l’union avec le Divin,
alors il peut être spirituellement efficace. (I, 73 sq.)

310. – Qu’entend-on par bahyapûjâ (culte extérieur) ? S’il est purement extérieur, c’est
naturellement la forme la plus basse ; mais s’il est fait avec la conscience vraie, il peut rendre
l’adoration aussi complète qu’il est possible en permettant au corps et à la conscience la plus
extérieure de participer à l’esprit et à l’acte d’adoration. (II, 184)

311. – Dans notre yoga, on n’est pas limité au culte intérieur ni à la méditation. Comme c’est un
yoga pour l’être tout entier, et non pas seulement pour l’être intérieur, il ne saurait prévoir aucune
restriction de ce genre. Les formes anciennes des diverses religions peuvent nous quitter, mais
l’absence de toute forme n’est pas une règle de la sâdhanâ. (II, 184 sq.)
312. – Quant à la prière, on ne peut donner aucune règle absolue. Certaines prières sont
exaucées, toutes ne le sont pas. Vous pourriez demander pourquoi toutes les prières ne sont pas
exaucées. Mais pourquoi le seraient-elles ? Ce n’est pas un distributeur où l’on glisse une prière dans
la fente et on tire le résultat. D’ailleurs, si l’on pense à toutes les choses contradictoires pour
lesquelles l’humanité prie au même instant, Dieu serait bien embarrassé s’Il devait toutes les exaucer.
Cela n’irait pas. (II, 117)

313. – La prière, oui, mais non la prière qui exige d’être immédiatement exaucée ; plutôt la
prière qui est elle-même une communion du mental et du cœur avec le Divin et qui peut tirer joie et
satisfaction d’elle-même en s’en remettant au Divin pour qu’Il l’exauce quand Il le jugera bon. (II,
286)

172
1. Connaissance de la Vérité. Pris ici dans le sens de Jnâna-Yoga, le yoga qui procède par la recherche de cette connaissance.
(N.D.T.)
2. Sentiment d’une union durable au-dedans avec le Divin.
3. L’âtmâ-jnâna est littéralement la connaissance de l’âtman, mais désigne plus généralement le yoga qui conduit à cette
connaissance. (N.D.T.)
4. Les principaux ennemis de Vishnou dans ses incarnations de Râmachandra, Nrisimha et Vâmana respectivement. (N.D.T.)
5. Dans ce passage, Shrî Aurobindo fait allusion à la « bhakti à l’envers », dans laquelle le sâdhak est obsédé par la forme du
Divin qu’il hait. Ce genre d’obsession est reconnu dans l’Hindouisme comme aussi puissant et efficace que l’obsession du
Bien-aimé, mais il est considéré comme extrêmement dangereux. Pour les hindous, c’est une attitude qui était celle de saint
Paul avant sa conversion. (N.D.T.)
6. La forme la plus exigeante et intransigeante de la Shakti de Shiva. (N.D.T.)
7. Divinité d’élection.
8. Allusion à un épisode de l’enfance de Krishna. Cf. Le yoga de l’amour (Paris, Albin Michel, 1973), pp. 183-189 et 219-224.
9. L’adhikâra est l’attitude de celui qui s’ouvre à l’influence du Divin ou du gourou ; l’adhikâribheda est la technique ou la voie
de l’adhikâra. (N.D.T.)
10. Voir note 1 ci-dessus.
11. Purification de la chitta, c’est-à-dire « de la substance de la conscience intérieure ». Cf. § 678.
12. Cf. note p. 47.
13. Le paradis de Krishna.
14. Poète mystique bengali moderne.
15. Yogin mythologique célèbre pour avoir atteint la libération tout en continuant à exercer ses fonctions de souverain.
16. L’immobile, l’immuable.
17. L’âsana, au sens étroit, signifie une posture dans le Yoga ou la méditation, ou encore le siège sur lequel s’assied le méditant.
Au sens large toutefois il peut désigner aussi toute l’attitude du méditant. (N.D.T.)
18. Les apsaras sont des êtres semi-divins généralement représentés sous la forme de danseuses célestes, qui ne sont pas
normalement hostiles aux hommes, mais peuvent parfois être utilisés pour les tenter et les écarter de la recherche spirituelle.
(N.D.T.)
19. État supraconscient.

173
174
IV

DISCIPLINES

175
A. – Purification

314. – Il n’y a aucune impossibilité à cette purification du cœur qui était la chose à laquelle
vous vous efforciez. Quand le cœur sera purifié, d’autres choses qui vous semblaient impossibles
auparavant deviendront faciles, et même le don de soi intérieur qui maintenant vous semble
irréalisable.
C’est un fait d’expérience courante que si l’humilité et la résignation sont solidement ancrées
dans le cœur, d’autres choses, comme la confiance, suivent naturellement. Une fois que la lumière et
le bonheur psychiques – qui sont le bienfait de ces choses – sont installés, il n’est pas facile à
d’autres forces d’obnubiler cet état et il ne leur est pas possible de le détruire. Telle est l’expérience
habituelle.
La purification et la consécration sont deux grandes nécessités dans la sâdhanâ. Ceux qui ont des
expériences avant la purification courent de grands risques ; il vaut beaucoup mieux que le cœur soit
d’abord rendu pur, car alors la voie devient sûre. C’est pourquoi je conseille d’abord la
transformation psychique de la nature tout entière vers le Divin, la soumission du mental et du vital à
la maîtrise de l’être intérieur, de l’âme. Lorsque l’âme est en avant, on a toujours la juste direction
venant de l’intérieur sur ce qui doit être fait, ce qui doit être évité, ce qui est la chose juste ou la
chose fausse dans la pensée, le sentiment, l’action. Mais cette direction intérieure apparaît dans la
mesure où la conscience devient de plus en plus pure. (II, 254 sq.)

315. – Ce que j’entends par méthodes subtiles, ce sont des processus psychologiques non
mécaniques, par exemple la concentration dans le cœur, le don de soi, la purification de soi,
l’élaboration par des moyens intérieurs de la transformation de conscience. Cela ne signifie pas qu’il
n’y a pas de transformation extérieure ; la transformation extérieure est nécessaire, mais comme
partie de la transformation intérieure. S’il y a au-dedans impureté ou manque de sincérité, la
transformation extérieure ne sera pas effective, mais s’il y a une élaboration intérieure sincère, la
transformation extérieure y aidera et accélérera le processus… La chose la plus important pour la
purification du cœur est une sincérité absolue. Pas de faux-semblant avec soi-même, rien que l’on
cache au Divin ou à soi-même ou au gourou, une vision droite de ses propres mouvements, une
volonté droite de les rendre droits. S’il faut du temps cela n’importe guère, on doit être prêt à faire de
la recherche du Divin sa tâche pour toute la vie. Purifier le cœur signifie après tout une œuvre assez
considérable et il ne sert à rien de se décourager, de désespérer, etc., parce qu’on trouve en soi des
choses qui ont encore besoin d’être transformées. Si l’on maintient la volonté vraie et l’attitude juste,
les intuitions ou intimations venant du dedans commenceront à croître, deviendront claires, précises,
reconnaissables avec certitude, et la force pour les suivre croîtra également. Alors, avant même que
176
vous ne soyez satisfait de vous-même, la volonté divine sera satisfaite de vous et commencera à
retirer le voile par lequel elle protège ses chercheurs et elle-même contre l’appréhension prématurée
et périlleuse de la chose la plus grande à laquelle puisse aspirer l’humanité. (II, 256 sq.)

316. – Je ne sais pas ce que K a dit, ni dans quel article ; je ne l’ai pas ici. Mais si ce qu’il a dit
est que nul ne peut avoir une méditation réussie ni réaliser quoi que ce soit avant d’être pur et parfait,
je ne peux pas le suivre car cela contredit ma propre expérience. J’ai toujours eu la réalisation par la
méditation d’abord, et la purification a commencé ensuite comme résultat. J’ai vu beaucoup de gens
obtenir des réalisations importantes et même fondamentales par la méditation alors qu’on ne pouvait
dire d’eux qu’ils avaient un grand développement intérieur. Tous les yogins qui ont médité avec
succès et qui ont une grande réalisation dans leur conscience intérieure sont-ils parfaits dans leur
nature ? Cela ne m’en a pas l’air. Je suis incapable de croire dans ce domaine à des généralisations
absolues parce que le développement de la conscience spirituelle est une affaire extrêmement vaste et
complexe, où peuvent se produire toutes sortes de choses, et l’on pourrait presque dire qu’elle est
différente pour chacun selon la nature de l’individu et que tout ce qui est essentiel, c’est l’appel
intérieur et l’aspiration, la persévérance de toujours le suivre, quelque temps que cela prenne et
quelles que soient les difficultés ou les entraves, parce que rien d’autre ne satisfera l’âme en nous.
Il est parfaitement vrai qu’un certain degré de purification est indispensable pour continuer et
que plus la purification est complète, mieux cela vaudra parce qu’alors, lorsque commenceront les
réalisations, elles pourront continuer sans grandes difficultés, sans rechutes et sans aucune possibilité
de chutes ou d’échecs. Il est vrai également que pour beaucoup de gens la purification est la nécessité
première ; certaines choses doivent être écartées de la voie avant qu’on puisse commencer une
expérience intérieure suivie quelconque. Mais le besoin principal est une certaine préparation de la
conscience afin qu’elle soit capable de répondre de plus en plus librement à la Force supérieure.
Dans cette préparation beaucoup de choses sont utiles ; la poésie et la musique que vous faites
peuvent aider, car cela agit comme une sorte de shravana et manana, et même, si le sentiment
provoqué est intense, une sorte de nididhyâsana 1 naturel. La préparation psychique, le nettoyage des
formes les plus grossières d’ego mental et vital, l’ouverture du mental et du cœur au gourou, et
beaucoup d’autres choses sont des aides considérables. Ce qui est le préliminaire indispensable, ce
n’est pas la perfection ni une libération complète des dualités ou de l’ego, mais la préparation, une
aptitude de l’être intérieur qui rend possibles les réponses spirituelles et permet de les recevoir. (II,
258 sqq.)

177
B. – Réceptivité, aspiration, ouverture

317. – Conscience et réceptivité ne sont pas la même chose ; on peut être réceptif et pourtant
extérieurement inconscient de la manière dont les choses se font et de ce qui se fait. Comme je l’ai
écrit à maintes reprises, la force œuvre de derrière le voile. Les résultats restent entassés par
derrière et ne sortent qu’ensuite, souvent lentement, peu à peu, jusqu’à ce qu’il y ait une telle pression
qu’elle fasse une percée, d’une manière ou d’une autre et qu’elle s’impose à la nature extérieure. (II,
298)

318. – J’entends une certaine réceptivité dans la conscience, dans le mental, le vital ou le
physique, selon les besoins du moment. La Mère [de l’âshram] ou moi-même envoyons une force. S’il
n’y a pas d’ouverture, la force peut être rejetée ou revenir (à moins que nous ne mettions une grande
force, ce qui n’est pas toujours recommandable) à cause d’une obstruction ou d’une résistance ; s’il y
a quelque ouverture, le résultat peut être partiel ou lent ; s’il y a pleine ouverture ou réceptivité, le
résultat peut être immédiat. Certes il y a des choses qui ne peuvent être éliminées du premier coup
parce qu’elles font depuis longtemps partie de la nature ; mais, avec de la réceptivité, on peut
s’occuper plus efficacement et plus rapidement de celles-là aussi. Il y a des personnes qui sont si
ouvertes qu’en écrivant elles se libèrent, avant même que le livre ou la lettre ne nous parvienne. (III,
305 sq.)

319. – L’aspiration constante et sincère et la volonté de se tourner vers le seul Divin sont les
meilleurs moyens pour faire passer le psychique en avant. (II, 78)

320. – Je n’ai pas voulu dire qu’il soit mal d’aspirer à l’ânanda. Ce que je voulais faire
observer, c’était la condition pour la possession permanente de l’ânanda (on peut auparavant en
avoir des intimations, des visites, des irruptions). La condition essentielle en est un changement de
conscience, la venue de la paix, de la lumière, etc., tout ce qui provoque le passage de la nature
normale à la nature spiritualisée. Cela étant ainsi, il vaut mieux faire de ce changement de conscience
le premier objet de la sâdhanâ. D’autre part, insister pour obtenir immédiatement un ânanda constant
dans une conscience qui n’est pas encore en état de le conserver, et moins encore de le substituer aux
moindres joies et plaisirs (vitaux) peut fort bien arrêter le flot de ces expériences spiritualisées qui
rendent essentiellement possible l’extase continue. Je n’ai certainement jamais voulu dire qu’il ne
178 vous vous orientiez vers un Brahman sans joie
fallait pas atteindre l’ânanda, ni insister pour que
(nirânanda). J’ai dit au contraire que l’ânanda est la couronne du yoga, ce qui signifie assurément
qu’il fait partie de la siddhi la plus haute.
Quoi que ce soit que l’on veuille sincèrement et obstinément obtenir du Divin, le Divin le donne
sûrement. Si donc vous voulez l’ânanda et si vous continuez à le vouloir, vous finirez certainement
par l’obtenir. La seule question est de savoir ce qui doit être le principal pouvoir dans votre
recherche, un appétit vital ou bien une aspiration psychique qui se manifeste par le cœur et qui se
communique à la conscience mentale, vitale et physique. C’est cette aspiration qui est la puissance la
plus grande et qui passe par la voie la plus courte – et d’ailleurs il faut bien passer par là un jour ou
l’autre. (I, 69 sq.)

321. – C’est le psychique qui donne la véritable aspiration. Si le vital est purifié et soumis au
psychique, alors c’est le vital qui donne l’intensité, mais s’il n’est pas purifié, il amène une intensité
rajasique avec des impatiences et des réactions d’abattement et de déception. Quant au calme et à
l’égalité d’humeur nécessaires, cela doit venir de plus haut, à travers le mental. (III, 99 sq.)

322. – Que la paix aille en croissant est actuellement la chose la plus désirable. Vous pouvez
avoir une aspiration paisible, mais il n’est pas nécessaire d’entreprendre en ce moment une lutte et un
effort pénible. (III, 100 sq.)

323. – L’impatience et l’inquiétude agitée proviennent du vital, qui les introduit jusque dans
l’aspiration. L’aspiration doit être intense, calme et forte (telle est aussi la nature du vrai vital) et non
inquiète et impatiente ; alors seulement elle peut être stable. (III, 100)

324. – Il ne sert à rien de tenir des âsanas ou de faire du prânâyâma. 2 Une passion ardente n’est
pas nécessaire. Ce qu’il faut, c’est acquérir patiemment le pouvoir de concentration et l’aspiration
soutenue, pour que le silence dont vous parlez s’établisse dans le cœur et se propage aux autres
parties du corps. Le mental physique et le subconscient peuvent alors se clarifier et s’apaiser. (III,
101)

179
325. – Mais pourquoi permettre quoi que ce soit, à n’importe quelle idée ou incident
d’intervenir entre vous et le Divin ? Lorsque vous êtes en pleine aspiration, en pleine joie, que rien
ne compte, que rien n’ait aucune importance, excepté le Divin et votre aspiration. Si l’on veut le
Divin rapidement, absolument, entièrement, tel doit être l’esprit dans lequel on l’aborde, absolu, qui
vous prend tout entier, qui en fait le seul point sur lequel rien d’autre ne doit influer. (II, 197)

326. – La montée ou mouvement vers en haut se produit lorsqu’il y a une aspiration suffisante
venant de l’être, c’est-à-dire des différents plans mentaux, vitaux et physiques. Chacun d’eux à son
tour s’élève au-dessus du mental jusqu’au lieu où il rencontre le Supramental et peut alors recevoir
d’en haut l’initiation de tous ses mouvements. Le supérieur descend lorsque vous avez une paix
réceptive dans les différents plans de votre être préparés à le recevoir. Dans les deux cas, que l’on
aspire vers en haut pour s’élever au supérieur, ou que l’on reste passif et ouvert pour recevoir le
supérieur, un calme complet dans les différentes parties de l’être est la vraie condition.
Si vous n’avez pas la force suffisante dans une volonté ou une aspiration paisibles, ou si vous
trouvez qu’une certaine quantité d’effort vous aide à vous élever, vous pouvez continuer d’en faire
usage comme d’un moyen temporaire jusqu’à ce que se produise l’ouverture naturelle dans laquelle
un appel silencieux ou une simple volonté sans effort suffit à provoquer l’action de la Shakti
supérieure. (II, 89 sq.)

327. – En l’âdhar tout dans la sâdhanâ tend, à un moment donné, à s’élever et à rejoindre sa
source au-dessus. (III, 141)

328. – S’ouvrir soi-même à la descente de la conscience supérieure (l’être vrai) est l’unique
chose nécessaire, et, même si cela n’arrive qu’après un long effort et beaucoup d’échecs, cela vaut
mieux qu’un galop fiévreux qui ne conduit nulle part. (II, 257)

329. – Je puis dire que l’ouverture vers en haut, la montée dans la lumière et la descente qui suit
dans la conscience ordinaire et la vie humaine normale sont très fréquemment la première expérience
décisive dans la pratique du yoga. Cela peut même se produire sans pratique de yoga chez ceux qui
sont destinés à la transformation spirituelle, surtout s’il existe quelque part en eux un mécontentement
de la vie ordinaire et une aspiration à quelque chose de plus, de meilleur ou de plus grand. Cela se
180 et la cessation de l’expérience et la descente se
produit souvent exactement de la façon qu’elle décrit
produisent aussi de la même manière. Cette première expérience peut être suivie d’une très longue
période pendant laquelle elle ne se répétera pas et où il n’y aura pas d’expériences nouvelles. Dans
le cas d’une pratique constante du yoga cet intervalle n’est pas nécessairement aussi long ; mais
même ainsi il est souvent assez long. La descente est inévitable parce que ce n’est pas l’être tout
entier qui s’est élevé, mais seulement quelque chose en lui, et que tout le reste de la nature est non
préparé, absorbé dans la vie ordinaire ou attaché à elle, et dirigé par des mouvements qui ne sont pas
en harmonie avec la Lumière. Cependant le quelque chose au-dedans est quelque chose de central
dans l’être, et c’est pourquoi l’expérience est dans un sens définitive et décisive. Elle se produit en
effet comme une intimation décisive de la destinée spirituelle et une indication de ce qui devra être
atteint dans la vie à une certain moment. Une fois que cela a existé, quelque chose doit se produire
qui ouvrira la voie, déterminera la juste connaissance et la juste attitude permettant d’avancer sur la
voie, et apportera une aide. Après cela peuvent commencer et s’acheminer vers leur achèvement
l’enlèvement des obstacles qui empêchent le retour à la lumière et l’ascension de l’être tout entier et,
ce qui est tout aussi important, la descente de la lumière dans l’être entier. Cela peut prendre
longtemps ou être rapide selon la poussée intérieure et aussi les circonstances extérieures, mais
l’aspiration intérieure et l’effort comptent plus que les circonstances, car celles-ci peuvent
s’accommoder au besoin intérieur si ce besoin est très fort. Le moment est venu pour elle, ainsi que
l’aspiration et la connaissance nécessaires, et aussi l’influence qui peut l’aider. (II, 88 sq.)

181
C. – Abandon et don de soi

330. – La seule chose qui soit réellement importante pour nous est d’entrer dans la lumière plus
grande et l’Union divine, de nous tourner vers le seul Divin, de mettre en lui seul notre confiance, que
ce soit pour nous-même ou pour les autres. (II, 426)

331. – Ce n’est que par une relation psychique totale de don de soi que l’unité et l’intimité avec
le Divin peuvent être maintenues. (III, 111)

332. – C’est le psychique qui, en passant en avant, amène la force d’abandon. (III, 107)

333. – Par quelque moyen qu’il se fasse, l’abandon est bon ; mais il est évident que
l’impersonnel ne suffit pas, car le fait de s’y abandonner peut n’avoir de résultat que sur l’expérience
intérieure, sans transformation aucune de la nature extérieure. (III, 108 sq.)

334. – Oui, l’abandon au Divin impersonnel (sans formes) laisserait certaines parties de l’être
sujettes aux gunas et à l’ego – parce que les parties statiques seraient libres dans cette absence de
formes, tandis que la nature active participerait encore au jeu des gunas. Nombreux sont ceux qui
pensent être libérés de leur ego parce qu’ils ont ce sens de l’existence sans formes. Ils ne voient pas
que des éléménts d’égoïsme demeurent dans leur action tout comme auparavant. (III, 109)

335. – Il peut y avoir dévotion et abandon dans l’expérience du mental supérieur, mais ce n’est
pas inévitable comme dans le psychique. Dans le mental supérieur, on peut être trop conscient de son
identité avec le Brahman pour avoir dévotion et abandon. (III, 108)

336. – S’il y a identification quelconque avec les exigences et les réclamations du vital, la
capacité d’abandon en est nécessairement réduite pendant un temps. (III, 110 sq.)

*
182
337. – Si vous êtes abandonné seulement dans la conscience supérieure et qu’il n’y ait ni paix ni
pureté dans la conscience inférieure, cela ne suffit certainement pas, et il vous faut aspirer à la paix et
à la pureté partout. (III, 110)

338. – S’il n’y a pas abandon complet, il n’est pas possible d’adopter l’attitude du chaton 3 ;
cela ne devient qu’une passivité tamasique qui s’intitule abandon. Si l’abandon complet n’est pas
possible dès le début, il s’ensuit que l’effort personnel est nécessaire. (III, 107)

339. – Lorsque l’être psychique, le cœur et le mental pensant se sont rendus, le reste n’est
qu’une question de temps et de continuation et il n’y a pas de raison de se troubler. L’abandon central
et effectif a déjà eu lieu. (III, 107)

340. – L’abandon absolu doit être non seulement une expérience dans la méditation, mais un fait
gouvernant toute la vie, toutes les pensées, tous les sentiments et actions. Jusque-là, l’usage de notre
propre volonté et de notre propre effort est nécessaire, mais un effort dans lequel il y a aussi un esprit
d’abandon, un appel à la Force pour qu’elle soutienne la volonté et l’effort, effort que ne troublent ni
le succès ni l’échec. Lorsque la Force prend en mains la sâdhanâ, l’effort peut en effet s’arrêter, mais
il subsistera quand même la nécessité de l’assentiment constant de l’être et de sa vigilance pour qu’en
aucun point ne soit admise une Force fausse. (III, 106)

341. – L’abandon et l’amour-bhakti ne sont pas deux choses contraires ; ils vont de pair. Il est
vrai qu’au début l’abandon peut s’effectuer par le mental au moyen de la connaissance, mais cela
implique une bhakti mentale ; dès que l’abandon atteint le cœur, la bhakti se manifeste comme
sentiment, et avec ce sentiment de bhakti, l’amour vient. (III, 108)

342. – On dit que l’abandon au gourou est un abandon qui surpasse tous les autres abandons
parce que c’est grâce à lui que vous vous abandonnez non seulement à l’Impersonnel mais au
Personnel, non seulement au Divin en votre Moi, mais au Divin en dehors de vous. Vous avez
l’occasion de dépasser votre ego en vous réfugiant non seulement dans le Moi où l’ego n’existe pas,
mais dans la nature personnelle où l’ego règne en maître. C’est un signe de volonté que de
183
s’abandonner complètement au Divin total, samagram mâm mânushîm tanum âshritam. Évidemment,
pour qu’il en soit ainsi, il faut que ce soit un abandon spirituel authentique. (III, 109)

343. – Non, l’abandon au Divin et l’abandon au gourou ne sont pas la même chose. En
s’abandonnant au gourou, c’est au Divin en lui que l’on s’abandonne ; si ce n’était qu’à l’entité
humaine, cela n’aurait pas d’effet. Mais c’est la conscience de la présence divine qui fait d’un gourou
un vrai gourou, de sorte que même si le disciple s’abandonne à lui en pensant à l’être humain auquel
il s’abandonne, la Présence rendra quand même cet abandon efficace. (III, 110)

344. – Il est impossible de devenir comme l’enfant qui se donne totalement avant que le
psychique ait pris la direction et soit plus fort que le vital. (III, 107)

345. – La vie de samsâra est, dans sa nature même, un domaine sans repos. Pour la traverser de
la meilleure façon, il faut offrir sa vie et ses actions au Divin et prier pour avoir, intérieurement, la
paix du Divin. Lorsque le mental s’apaise, on peut sentir que la Mère divine soutient la vie et laisser
toutes choses entre ses mains. (III, 487 sq.)

346. – Avec l’ouverture il doit y avoir le total don de soi à ce qui descend, ce qui est la
condition de la transformation complète. C’est la dernière étape qui est la réelle difficulté, et c’est là
que tout le monde trébuche jusqu’à ce qu’on en ait triomphé. (II, 108)

347. – L’essence du don de soi consiste à accepter de tout cœur l’influence et la direction
lorsque descendent la joie et la paix, à les accepter sans poser de question ni en dire de mal et à les
laisser croître, lorsqu’on sent œuvrer la Force à la laisser faire sans opposition, lorsque la
Connaissance est donnée à la recevoir et à la suivre, lorsque la Volonté est révélée à se faire son
instrument. (II, 213)

348. – Quant au reste et en dehors de ces circonstances, vous n’avez pas besoin de rien changer
au but intérieur, à la concentration de votre volonté et aux efforts à faire pour la seule chose qui
184
compte : le total don de soi et la totale autoconsécration de l’être intérieur et de l’être extérieur au
Divin. Si vous pouvez fermement adopter l’attitude intérieure juste, cela pourra même se faire plus
facilement que si vous adoptez pour directive une règle extérieure. (III, 349)

349. – Nous n’exigeons pas le complet don de soi immédiatement et nous nous contentons d’un
peu pour commencer ; le reste viendra quand il le pourra. (II, 343)

350. – Votre idée que le don de soi ne peut venir que par l’amour est un exemple. Il est
parfaitement vrai dans l’expérience yoguique que le don de soi par amour vrai – ce qui signifie
amour psychique et spirituel – est le plus puissant, le plus simple et le plus efficace de tous. Mais on
ne saurait avancer cela comme une formule où l’on arrive par la raison ordinaire, et enfermer en elle
toute expérience possible du don de soi ni annoncer, sur la base de cela, qu’avant de pouvoir faire le
don de soi, il faut attendre d’aimer parfaitement. L’expérience yoguique montre que le don de soi peut
aussi s’effectuer par le mental et la volonté, un mental clair et sincère qui en voit la nécessité et une
volonté claire et sincère qui l’impose aux membres récalcitrants. L’expérience montre aussi que non
seulement le don de soi peut venir par amour, mais que l’amour peut résulter du don de soi, ou croître
avec lui pour passer d’un amour imparfait à un amour parfait. On commence par une idée et une
volonté intenses de connaître ou d’atteindre le Divin et l’on abandonne de plus en plus les idées,
désirs, attachements, mobiles et habitudes d’action qui vous sont personnels et ordinaires afin que le
Divin puisse s’emparer de toutes choses. C’est cela que signifie le don de soi : abandonner notre
petit mental et ses idées et préférences mentales en une Lumière divine et une plus vaste
Connaissance, notre volonté personnelle mesquine, troublée, aveugle et trébuchante en une grande
Volonté et Force calme, tranquille, lumineuse, nos petits sentiments agités et tourmentés en un vaste
Amour et Ananda intense et divin, notre petite personnalité souffreteuse en l’unique Personne dont
elle est un obscur produit. (I, 255 sq.)

351. – Dans le yoga, le don de soi est le principal pouvoir, mais ce don de soi est forcément
progressif. Au début, un don complet de soi n’est pas possible ; il ne peut y avoir qu’une volonté en
l’être de faire ce don complet. En fait, cela prend du temps. Et pourtant ce n’est que lorsque ce don
de soi est complet qu’est possible le plein flot de la sâdhanâ. Jusqu’alors il faut l’effort personnel,
avec une réalité croissante du don de soi. On appelle le pouvoir de la Shakti divine, et dès qu’il
commence à pénétrer dans l’être il soutient d’abord l’effort personnel, puis peu à peu se charge de
sâdhak reste toujours nécessaire. En travaillant, la
l’action tout entière, bien que le consentement du185
Force amène les différents processus qui sont nécessaires au sâdhak, processus de connaissance, de
bhakti, d’action spiritualisée, de transformation de la nature. C’est une erreur de penser qu’ils ne
peuvent pas se combiner. (II, 8 sq.)

352. – S’accrocher au sentier signifie le suivre sans l’abandonner ni s’en écarter. C’est un
sentier de don de soi pour tout l’être, dans toutes ses parties, l’offrande du mental pensant et du cœur,
de la volonté et des actions, des instruments intérieurs et extérieurs, afin que l’on puisse parvenir à
l’expérience du Divin, à la Présence au-dedans, à la transformation psychique et spirituelle. Plus on
donne de soi-même de toutes les manières, mieux cela vaut pour la sâdhanâ. Mais tous ne peuvent pas
le faire au même degré, avec la même rapidité, de la même manière. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter
de la manière dont les autres le font ou y échouent ; la seule chose importante, c’est comment le faire
soi-même fidèlement. (II, 19 sq.)
353. – L’Amour divin, différent en cela de l’humain, est profond, vaste et silencieux. Pour en
être conscient et y répondre, il faut être paisible et vaste. Il faut avoir pour tout but de s’abandonner
afin de pouvoir devenir un vaisseau et un instrument, en laissant à la Sagesse et à l’Amour divins le
soin de remplir ce qui est nécessaire. Il faut aussi bien se mettre dans la tête que l’on ne doit pas
exiger de progresser, de se développer, d’obtenir la réalisation dans un délai donné. Quelque temps
que cela prenne, on doit être prêt à attendre et à persévérer, à faire de toute sa vie une aspiration et
une ouverture pour une seule et unique chose, le Divin. Se donner est le secret de la sâdhanâ, non pas
exiger et obtenir. Plus on se donne, plus la capacité de recevoir se développe. Mais pour tout cela
impatience et révolte doivent s’en aller. Il faut rejeter toute idée que l’on ne reçoit pas, que l’on n’est
pas aidé, que l’on s’en va, que l’on abandonne la vie ou l’effort spirituel. (I, 199)

354. – Si l’on voulait le Divin, le Divin se chargerait lui-même de purifier le cœur et de


développer la sâdhanâ, il fournirait les expériences dont on a besoin. Cela peut se produire et cela se
produit en fait si l’on a pleine confiance dans le Divin, et la volonté de s’abandonner. Car une telle
prise en charge implique que l’on se place entre les mains du Divin plutôt que de compter seulement
sur ses propres efforts ; et cela nécessite que l’on mette sa confiance dans le Divin et dans un
progressif don de soi. C’est en fait le principe de la sâdhanâ que j’ai moi-même suivie et c’est le
processus central du yoga tel que je le conçois. Je suppose que c’est ce qu’entendait Shrî
Râmakrishna dans son image, par la méthode du chaton 4. Mais tout le monde ne peut pas
immédiatement agir de la sorte ; il faut aux gens du temps pour y arriver ; et cela se développe surtout
lorsque le mental et le vital tombent dans le calme.

186
Ce que j’entends par don de soi est ce don de soi intérieur que font le mental et le vital. Il y a
évidemment aussi le don de soi extérieur ; l’abandon de tout ce qui s’avère être en conflit avec
l’esprit ou les besoins de la sâdhanâ, l’offrande, l’obéissance à la direction du Divin – que ce soit
directement, si l’on est arrivé à cette étape, ou par le psychique – ou à la direction du gourou. Je peux
dire que les jeûnes de longue durée (prayopaveshana) n’ont rien à voir avec le don de soi ; ils
correspondent à une forme de tapasya d’un genre très austère et à mon avis très excessif, souvent
dangereux.
Le centre de l’abandon intérieur est la confiance dans le Divin. Il faut prendre pour attitude :
« Je veux le Divin et rien d’autre. Je veux me donner entièrement à Lui, et puisque mon âme veut cela,
il se trouvera forcément que je le trouverai et que je le réaliserai. Je ne demande rien que cela et son
action en moi pour m’amener à Lui, son action secrète ou ouverte, voilée ou manifeste. Je n’insiste
pas pour que cela se produise au moment ou par la voie que je souhaite ; qu’il fasse tout quand et
comme Il le voudra. Je croirai en Lui, j’accepterai sa volonté, j’aspirerai avec constance à sa
lumière, à sa présence et à sa joie, je traverserai toutes les difficultés et toutes les lenteurs, je
compterai sur Lui et je ne renoncerai jamais. Que mon mental soit paisible, ait confiance en Lui et Le
laisse l’ouvrir à sa lumière ; que mon vital soit paisible et se tourne vers Lui seul et Le laisse l’ouvrir
à son calme et à sa joie. Tout pour Lui et moi pour Lui. Quoi qu’il arrive, je maintiendrai cette
aspiration et ce don de moi-même, et je persévérerai dans la parfaite assurance que ce sera fait. »
Telle est l’attitude vers laquelle on doit progresser. Car elle ne peut certainement pas être
rendue parfaite tout de suite – les mouvements du mental et du vital se mettent en travers – mais si
l’on garde la volonté d’y arriver, elle se développera dans notre être. Le reste est affaire
d’obéissance à la direction quand elle se manifeste, de ne pas permettre à des mouvements mentaux et
vitaux de se mettre en travers.
Je ne prétends pas que cette voie soit la seule voie, et que le sâdhanâ ne puisse pas se faire
autrement : il y a tant de voies par lesquelles on peut s’approcher du Divin ! Mais celle-ci est la
seule que je connaisse où la prise en charge de la sâdhanâ par le Divin devienne un fait perceptible
avant que soit achevée la préparation de la nature. Avec d’autres méthodes, on peut sentir de temps à
autre l’action divine, mais elle reste surtout derrière le voile jusqu’à ce que tout soit prêt. Dans
certaines sâdhanâs, l’action divine n’est pas reconnue, tout doit se faire par tapasya. Dans la plupart,
il y a un mélange des deux ; le tapasya finit par un appel à l’aide et à l’intervention directes. L’idée et
l’expérience du Divin qui fait tout appartiennent au yoga dont la base est le don de soi. Mais quelle
que soit la voie que l’on suive, la seule chose à faire est d’être fidèle et d’aller jusqu’au bout.
Si l’on s’abandonne à Lui avec confiance, le Divin peut tout accomplir : purification du cœur et
de la nature, éveil de la conscience intérieure, enlèvement des voiles. Et même si l’on ne peut pas le
faire pleinement tout de suite, plus on le fait, plus l’aide et la direction divines viennent, plus
l’expérience du Divin croît en nous. Si le mental questionneur devient moins actif, si l’humilité et la
187
volonté d’abandon se développent, cela devrait être parfaitement possible. Alors il n’est besoin
d’aucune autre force, d’aucun autre tapasya ; cela suffit. (I, 62 sqq.)

188
D. – Le détachement

355. – La conscience n’est pas, de par sa nature même, détachée du mental et des autres
activités. Elle peut être détachée, elle peut être évoluée. Dans la conscience humaine elle est, en
principe, toujours engagée, mais elle a acquis le pouvoir de se détacher, chose que la création
inférieure semble incapable de faire. Au fur et à mesure que la conscience se développe, ce pouvoir
de détachement se développe aussi. (III, 476)

356. – Évidemment, l’état dans lequel vous êtes tombé résulte d’un jaillissement d’éléments
inhibés dans la nature inférieure. Elle a été obligée par le mental et le vital supérieur en vous à
renoncer aux petits « plaisirs et joies » auxquels elle était habituée, mais elle l’a fait (ou tout au
moins l’élément subconscient en elle, qui est souvent le plus puissant) sans une entière conviction,
probablement avec des « réserves » et des « sauvegardes », et en échange d’une promesse de
compensations, d’autres joies et plaisirs plus grands, pour remplacer tout ce qu’elle perdait. Cela est
évident d’après ce que vous écrivez. Votre description de la nature de la dépression, le retour de ce
que vous appelez des pensées impures, qui sont simplement des indices de complexes de désirs dans
le vital inférieur subconscient, le doute projeté sur la générosité du Divin, l’exigence d’une
compensation pour les pertes subies, de quelque chose comme un marchandage avec le Divin, d’un
pacte de troc, sont sans aucune ambiguïté. Récemment il s’était produit une combinaison de
circonstances qui assez brusquement a accru la privation d’anciennes soupapes de sûreté ; cette
attaque est sa manière de ne pas coopérer ou de protester. Il n’y a qu’une seule façon de traiter le cas,
c’est de rejeter tout cela, dépression, exigences, doutes, pensées sexuelles, tout ce bagage
indésirable, et de mettre à la place l’unique mouvement vrai, l’appel à la conscience et à la présence
du Divin.
Il se peut que derrière cette persistance de l’exigence vitale inférieure à être satisfaite, il y ait eu
quelque chose qui n’était pas tout à fait clair dans la partie obscure de votre mental physique en ce
qui concerne votre attitude mentale envers le yoga. Vous semblez considérer cette exigence que les
anciennes satisfactions vitales inférieures soient remplacées par d’autres plaisirs et d’autres joies
comme quelque chose de tout à fait légitime. Mais les joies et les plaisirs ne sont pas le but du yoga,
et un marchandage ou une exigence pour un remplacement de cet ordre ne peut pas être un élément
légitime ou sain dans la sâdhanâ. Si cela subsiste, cela entravera certainement le flot de l’expérience
spirituelle. L’ânanda, oui, mais l’ânanda et le bonheur spirituel qui le précède (adhyâtma sukham)
sont quelque chose de tout à fait différent des joies et des plaisirs. Et même on ne peut exiger
l’ânanda ni en faire une condition pour la continuation de la sâdhanâ ; il vient comme couronnement,
comme résultat naturel, et sa vraie condition est la croissance de la vraie conscience, de la paix, du
189
calme, de la lumière, de la force, de l’équanimité, qui résiste à tous les chocs et qui persiste à travers
succès et échecs. Ce sont ces choses qui doivent être les premiers buts de la sâdhanâ, et non pas une
expérience hédoniste, même de la plus haute espèce, car cela doit venir tout seul comme résultat de la
Présence divine.
En attendant, la première chose que vous ayez à faire est de chasser cet élément périlleux de
découragement et ce qui l’accompagne et de recouvrer un équilibre tranquille et clair. Un mental
tranquille et un vital tranquille sont les conditions premières pour réussir dans la sâdhanâ (II,
281 sqq.)

357. – Il y a un vaïrâgya sattvique, mais beaucoup de gens ont le rajasique ou le tamasique. Le


rajasique est provoqué par une révolte contre les conditions de notre propre vie, le tamasique
provient du mécontentement, de la déception, d’un sentiment d’incapacité à réussir ou à faire face à la
vie, de ce qu’on se sent broyé dans les griffes et les douleurs de la vie. Cela amène un sentiment de la
vanité de l’existence ; on désire chercher quelque chose de moins misérable, de plus sûr et joyeux, ou
encore chercher à se libérer de l’existence ici-bas, mais cela n’amène pas immédiatement une
aspiration lumineuse ni une aspiration pure, avec paix et joie, à la réalisation spirituelle. (II, 307 sq.)

358. – Non, je n’ai pas dit que vous avez choisi le vaïrâgya rajasique ou tamasique. J’ai
seulement expliqué comment il est venu tout seul comme résultat du mouvement du vital, au lieu du
vaïrâgya sattvique qui est censé précéder et causer, ou accompagner ou suivre un abandon du monde
pour chercher le Divin. Le vaïrâgya tamasique provient du recul du vital lorsque celui-ci a
l’impression de devoir abandonner la joie de la vie et devenir terne et sans joie ; le vaïrâgya
rajasique se produit lorsque le vital commence à perdre la joie de la vie, mais se plaint de ne rien
obtenir pour la remplacer. Personne ne choisit de tels mouvements ; ils viennent indépendamment du
mental comme réaction habituelle de la nature humaine. (II, 307)

359. – Si l’ego et le désir sont des choses qui diffèrent des gunas, alors il peut y avoir une
action des gunas dépourvue d’ego et de désirs et, par conséquent, d’attachement. Tel est le genre
d’action qu’ont ces gunas chez le yogin libéré et non attaché. Si cela n’était pas possible, il serait
absurde de parler de yogins comme étant non attachés, car il y aurait encore de l’attachement dans
une partie de leur être. Dire qu’ils sont détachés quant au Purusha et attachés quant à la Prakriti et
que, par conséquent ils sont non attachés ne tient pas debout. L’attachement, c’est l’attachement, en
quelque partie de l’être qu’il soit. Pour être détaché,
190
il faut être détaché en tout, dans l’action du
mental, du vital, du physique, et non pas seulement dans l’âme silencieuse quelque part à l’intérieur.
(III, 471 sq.)

360. – À l’état libéré, ce n’est pas seulement le Purusha intérieur qui reste détaché (le Purusha
intérieur est toujours détaché, mais on n’en a pas conscience à l’état ordinaire). C’est aussi la Prakriti
qui n’est pas troublée par l’action des gunas ni attachée à elle ; le mental, le vital, le physique
(quelle que soit la Prakriti) commencent à avoir la même sérénité, le même détachement et la même
paix imperturbable que le Purusha, mais il s’agit de sérénité dans l’action même. S’il n’en était ainsi,
ce que j’ai écrit dans l’Arya, qu’il peut y avoir une action libérée ou sans désir sur laquelle je fonde
la possibilité d’une action libre (mukta) serait faux. Tout l’être, Purusha-Prakriti, se détache (n’ayant
plus ni désirs ni attachements) lors même de l’action des gunas.
L’être extérieur aussi est détaché ; tout l’être est sans désir ni attachement et cependant l’action
est possible, l’action sans désir est possible, l’action sans attachement est possible, l’action sans ego
est possible. (III, 472)

361. – Se détacher de l’action de surface est plus difficile pour la Prakriti que pour le Purusha,
car son jeu ordinaire est celui de l’être de surface. Il lui faut se diviser en deux pour s’en détacher.
Quant au Purusha, il est au contraire silencieux et détaché par nature ; il lui suffit donc de retourner à
sa nature originelle. (III, 474)

362. – Le vaïrâgya est certainement une façon de progresser vers le but ; c’est la façon
traditionnelle, et si elle est douloureuse elle est radicale. Perdre le désir de jouissances vitales
humaines, perdre la passion pour des succès littéraires ou autres, pour la louange et la gloire, perdre
même l’exigence du succès spirituel, le bhoga 5 intérieur du yoga, tout cela a toujours été considéré
comme des pas vers le but – à condition que l’on maintienne l’insistance unique d’atteindre le Divin.
Personnellement je préfère la voie plus calme de l’égalité, la voie que montre Krishna, plutôt que la
voie douloureuse du vaïrâgya. Mais si c’est dans cette direction que la poussée dans notre nature, ou
la poussée dans notre être intérieur, se fraie un chemin, à travers les difficultés de la nature, il faut
reconnaître que c’est une voie valable. (II, 303)

363. – Dans le passé, je me suis opposé au vaïrâgya du genre ascétique et du genre tamasique…
Le vaïrâgya de celui qui a goûté aux dons et aux191
prix qu’offre le monde et les a trouvés insuffisants
ou insipides et s’en détourne vers un idéal plus élevé, le vaïrâgya aussi de celui qui a joué son rôle
dans les combats de la vie et vu que l’on attend de l’âme quelque chose de plus grand, sont
parfaitement utiles et offrent une bonne porte d’entrée dans le yoga… Par vaïrâgya ascétique,
j’entends celui qui renie complètement le monde et la vie et qui veut disparaître dans
l’Indéfinissable ; je m’y oppose parce que mon but est de faire entrer le Divin dans la vie. Mais si
l’on est satisfait de la vie telle qu’elle est, il n’y a pas de raison de chercher à y faire entrer le Divin.
Aussi le vaïrâgya au sens de dissatisfaction de la vie telle qu’elle est est-il parfaitement admissible
et même, dans un sens, indispensable pour mon yoga. (I, 79 sq.)

364. – Ce passage décrit l’état de conscience où l’on est détaché de toutes choses alors même
que l’on est situé au cœur, où tout semble irréel et rien qu’illusion. Il n’y a alors ni préférence ni
désir parce que les choses sont trop irréelles pour qu’on en désire une ou qu’on la préfère à une
autre. Mais en même temps, on n’éprouve pas la nécessité de s’évader du monde, ni de s’abstenir de
toute action parce que, une fois libéré de toute illusion, on ne sent plus l’action ou le fait de vivre
dans le monde peser sur soi, on ne se sent plus lié par cela ni engagé dans cela. Ceux qui s’évadent
du monde ou se dérobent à l’action (les sannyâsins) le font parce qu’autrement ils seraient engagés
ou liés ; ils croient que le monde est irréel, mais en fait il pèse sur eux comme une réalité tant qu’ils
sont dedans. Celui qui est parfaitement libéré de l’illusion de la réalité des choses ne doit plus les
sentir peser sur soi, ni se sentir lié par elles. (III, 471)

365. – J’admets parfaitement l’utilité d’un état temporaire de vaïrâgya comme antidote à la
traction trop forte du vital. Mais le vaïrâgya tend toujours à détourner de la vie, et l’élément
tamasique en lui (découragement, désespoir, etc.) dilapide le feu de l’être et peut conduire dans
certains cas à vous faire asseoir entre deux chaises, si bien qu’on perd la terre et qu’on rate le ciel.
C’est pourquoi je préfère remplacer le vaïrâgya par un rejet ferme et tranquille de ce qui doit être
rejeté (sexe, vanité, égocentrisme, attachement, etc.), mais cela ne comporte pas le rejet des activités
et puissances qui peuvent être rendues des instruments de la sâdhanâ et de l’œuvre divine, telles que
l’art, la musique, la poésie, etc., bien que ces dernières doivent trouver une base nouvelle spirituelle
ou psychique, une inspiration plus profonde, une orientation vers le Divin ou ce qui est divin. Le yoga
peut se faire sans rejeter la vie, sans tuer ni mutiler la joie de vivre et la force vitale. (II, 306)

366. – Manier brutalement, casser ou gaspiller avec insouciance et mal utiliser les choses
physiques, c’est nier la conscience yoguique ; c’est
192
un gros obstacle à la descente de la Vérité divine
sur le plan matériel. (III, 465)

193
E. – La foi

367. – Pour moi, la foi n’est pas une croyance intellectuelle, mais une fonction de l’âme. (II,
235)

368. – Quant à la foi, la foi au sens spirituel n’est pas une croyance mentale qui puisse onduler
et changer. Elle peut revêtir cet aspect dans le mental, mais cette croyance n’est pas la foi elle-même,
elle n’en est que la forme extérieure. Tout comme dans le corps, la forme extérieure peut changer
alors que l’esprit reste le même, ainsi dans ce cas. La foi est dans l’âme une certitude qui ne dépend
pas du raisonnement, de telle ou telle idée mentale, des circonstances ou de tel ou tel état passager du
mental ou du vital ou du corps. Elle peut être cachée, éclipsée, et peut même sembler éteinte, mais
elle reparaît après l’orage ou l’éclipse, on la voit briller dans l’âme lorsqu’on a pensé qu’elle était
éteinte à jamais. Le mental peut être une mer mouvante de doutes et pourtant cette foi peut se trouver
en lui, et dans ce cas elle maintiendra sur la voie même le mental secoué de doutes, si bien que
malgré lui il continuera d’avancer vers le but qui lui est réservé. La foi est une certitude spirituelle du
spirituel, du Divin, de l’idéal de l’âme, quelque chose qui s’y attache même lorsqu’elle ne se réalise
pas dans la vie, même lorsque les faits immédiats ou les circonstances persistantes semblent lui
donner un démenti. C’est là une expérience courante dans la vie de l’être humain ; s’il en était
autrement, l’homme serait le jouet d’un mental changeant ou le hochet des circonstances. (II, 205 sq.)

369. – Il me semble que par foi vous entendez une croyance mentale qui est en fait placée devant
le mental et les sens sous la forme douteuse d’une affirmation non étayée. Par la foi j’entends dans
l’être intérieur une conviction intuitive dynamique de la vérité de choses suprasensibles qui ne
peuvent être établies par aucune preuve physique, mais qui sont un sujet d’expérience. Ce que je
prétends, c’est que cette foi est un préliminaire extrêmement désirable (sinon absolument
indispensable, car il peut y avoir des cas d’expériences que la foi n’ait pas précédés) pour
l’expérience désirée. (II, 225)

370. – Si cette plus grande conscience de lumière, de paix et de joie doit être acquise, ce ne
peut être par les questions et le scepticisme, qui ne peuvent que retomber sur ce qui est et dire :
« C’est impossible, ce qui n’a pas existé dans le passé ne pourra exister dans l’avenir ; ce qui
jusqu’ici n’a été réalisé que si imparfaitement ne pourra pas se réaliser mieux dans l’avenir. » Ce
194 une exigence et une aspiration persistantes, un
qu’il faut, c’est une foi, une volonté, ou tout au moins
sentiment que cela, et cela seulement, me satisfera, et une impulsion vers cela qui ne cessera pas
avant d’être satisfaite. C’est pourquoi un esprit de scepticisme et de dénégation nous barre la route ;
il s’oppose en effet à la création des conditions dans lesquelles peut se dérouler l’expérience
spirituelle. (II, 46)
371. – Si l’on ressent l’appel, on le suit ; s’il n’y a pas d’appel, il n’y a pas de besoin de
chercher le Divin. La foi est suffisante pour commencer ; l’idée qu’on doit d’abord comprendre et
réaliser avant de chercher est une erreur mentale qui, si elle était vraie, rendrait impossible toute
sâdhanâ. La réalisation ne peut venir que comme un résultat de la sâdhanâ et ne peut en être le
préliminaire. (II, 234)

372. – À quoi bon médire de la foi, qui après tout donne quelque chose à quoi s’accrocher au
milieu des contradictions d’un univers énigmatique ? Si l’on peut parvenir à une connaissance qui
connaît, c’est autre chose, mais tant que nous n’avons qu’une ignorance qui discute, il y a encore
place pour la foi. Et même, la foi peut être une étincelle de la connaissance qui connaît, si éloignée
qu’elle en soit, et en attendant il n’y a pas le moindre doute qu’elle aide à accomplir. (II, 227)

373. – Si j’insiste tellement sur la foi – mais moins encore sur la foi positive que sur le rejet du
doute et de la dénégation a priori – c’est parce que je trouve que ce doute et cette dénégation sont
devenus un instrument dans les mains des forces obstructrices. (II, 225)

374. – J’ai parlé d’une forte foi centrale, si possible complète, parce que votre attitude semble
être que vous ne vous intéressez qu’à la pleine réponse, c’est-à-dire la réalisation, la présence, et que
vous considérez tout le reste comme tout à fait insuffisant ; or votre prière ne vous l’apportait pas.
Mais en général la prière par elle-même ne l’amène pas immédiatement ; c’est seulement s’il y a une
foi brûlante au centre ou une foi complète dans toutes les parties de l’être. Cela ne signifie pas que
ceux chez qui la foi n’est pas aussi forte ou l’abandon aussi complet ne peuvent pas arriver, mais en
général il faut qu’ils avancent d’abord par petites étapes et qu’ils affrontent les difficultés de leur
nature jusqu’à ce que, par la persévérance ou le tapasya, ils fassent une ouverture suffisante. Même
une foi hésitante et un don de soi lent et partiel ont une force et un résultat ; sinon rares seraient ceux
qui pourraient faire une sädhanâ quelconque. Ce que j’entends par la foi centrale est une foi dans
l’âme ou dans l’être central qui est par derrière, une foi qui reste là même quand le mental et le vital
désespèrent et que le physique veut s’écrouler et qui, après que l’attaque est passée, réapparaît et
195
recommence à nous pousser sur la voie. Cette foi peut être forte et claire, elle peut aussi être pâle et
en apparence faible, mais si chaque fois elle persiste à continuer, c’est la chose vraie. (II, 232 sq.)

375. – La foi est une chose qui précède la connaissance ; elle ne vient pas après la
connaissance. C’est un aperçu d’une vérité dont le mental ne s’est pas encore emparé comme d’une
connaissance.
Ce n’est pas par l’intellect qu’on peut avancer dans le yoga, mais par la réceptivité psychique et
spirituelle. Quant à la connaissance et à la vraie compréhension, elles croissent dans la sâdhanâ par
la croissance de l’intuition et non par celle de l’intellect physique. (II, 228)

376. – Les expériences ne conduisent pas nécessairement à la foi. Un sâdhak m’écrit : « Je sens
la grâce de la Mère qui descend en moi, mais je ne peux pas y croire parce que ce peut être mon
imagination vitale ». Un autre a eu des expériences pendant des années de suite et puis tombe parce
que, dit-il, il a « perdu la foi ». Ce ne sont pas là des produits de mon imagination, ce sont des faits et
ils sont éloquents. (II, 235)

377. – Quant à l’idée que l’expérience est nécessaire pour la foi et que nulle foi n’est possible
sans elle, cela contredit complètement la psychologie humaine. Des milliers de gens ont la foi avant
d’avoir eu l’expérience. La doctrine « pas de croyance sans expérience » serait désastreuse en
matière spirituelle, ou même dans le domaine de l’action humaine. Le saint ou le bhakta ont la foi en
Dieu longtemps avant d’avoir eu l’expérience de Dieu ; l’homme d’action a foi dans sa cause
longtemps avant que cette cause soit couronnée de succès. Sans cela ils n’auraient pas pu lutter avec
persistance pour obtenir ce qu’ils veulent en dépit des défaites, des échecs et des périls mortels. (II,
234 sq.)

378. – Seule une foi concentrée ou une volonté obstinée peut vous ouvrir la voie du yoga. Si
vous ne réussissez pas, c’est que vos idées et votre volonté sont constamment en état de fluctuation et
d’oscillation. Même si la foi est insuffisante, un mental et une volonté obstinés peuvent permettre à
l’individu de continuer et provoquer les expériences grâce auxquelles une foi incertaine se change en
certitude. (III, 104)

*
196
379. – Les larmes qui accompagnent le sentiment dont vous parlez sont le signe d’un chagrin
psychique, car elles traduisent une aspiration de l’être psychique. Mais la dépression et le désespoir
ne devraient pas venir. Il faut plutôt vous accrocher à la foi que l’aspiration vraie qui est en vous se
réalisera certainement, quelles que soient les difficultés de la nature extérieure. Dans cette foi vous
devez recouvrer la paix et le calme intérieurs, tout en gardant une claire vision de ce qui doit être fait
et une ferme aspiration pour la transformation intérieure et extérieure. (II, 274)

197
F. – Calme, paix, égalité, silence

380. – La quiétude est quelque chose de plutôt négatif, c’est l’absence d’agitation.
Le calme est une tranquillité positive qui peut durer en dépit de l’agitation superficielle.
La paix est un calme qui s’approfondit en quelque chose de très positif, équivalent presque à un
ânanda tranquille et sans remous.
Le silence est l’absence de tout mouvement de la pensée ou autre vibration d’activité. (III,
120 sq.)

381. – Le premier est le calme fondamental ordinaire de l’âdhar individuel ; le second est le
calme fondamental et illimité de la conscience cosmique, un calme qui subsiste, soit séparé de tous
mouvements, soit les portant tous.
C’est le calme de l’Atman, le Moi d’en haut, silencieux, immobile et infini. (III, 125)

382. – Vous devriez vous rendre compte que si un entourage tranquille est souhaitable, la
véritable tranquillité est en vous, et rien d’autre ne vous fournira l’état que vous désirez. (III, 120)

383. – Quelle que soit la chose que vous voyiez, ne vous laissez ni troubler ni déprimer. Si l’on
voit un défaut, il faut le regarder avec le plus grand calme et appeler et faire descendre davantage de
force et de lumière pour s’en débarrasser. (III, 275)

384. – La paix et le silence doivent s’établir très profondément, si profondément que tout ce qui
vient de l’extérieur ne puisse que glisser sur la surface sans troubler le calme établi au-dedans. Il est
bon aussi que la méditation vienne d’elle-même ; cela signifie que la Force yoguique commence à
prendre en main la sâdhanâ. (III, 118)

385. – Vous avez atteint la conscience intérieure silencieuse, mais cela peut être recouvert par
l’agitation. L’étape suivante consiste à établir le calme et le silence comme base dans la conscience
toujours plus externe… Alors le jeu des forces ordinaires ne se déroulera qu’en surface et il vous
sera plus facile de vous en occuper. (III, 119)
198
*

386. – Il faut simplement un rejet continu et calme et un appel calme et continu pour faire
descendre la vraie Force. Toute cette promptitude à s’émouvoir doit être calmée ; c’est elle qui fait
que le vital s’ouvre à ces forces. Sans elle, tous les défauts de la nature pourraient être calmement
observés et on pourrait calmement y remédier. (III, 276)

387. – La paix est plus positive que le calme. Il peut y avoir un calme négatif, qui est
simplement une absence d’agitation ou de trouble, mais la paix est toujours quelque chose de positif
qui amène non seulement une libération, comme le fait le calme, mais une certaine joie ou ânanda
d’elle-même.
Il y a aussi un calme positif, quelque chose qui résiste à tout ce qui voudrait le troubler ; il n’est
pas mince et neutre comme le calme négatif, mais fort et massif. (II, 114)

388. – Ce qui barre la route, c’est le cercle récurrent du vieux mélange. Pour le briser et en
sortir, il est très nécessaire d’arriver à un calme et une paix yoguiques intérieurs que ces choses ne
troublent pas. (II, 275)

389. – Ce dont on a le plus besoin dans cette sâdhanâ, c’est la paix, le calme, en particulier dans
le vital – une paix qui ne dépend ni des circonstances ni de l’entourage, mais du contact intérieur
avec une conscience supérieure qui est la conscience du Divin, celle de la Mère. (III, 120)

390. – Le sens de la paix, de la pureté et du calme est amené par l’union de la conscience
inférieure avec la supérieure. En général, ou bien il est intermittent, ou bien il reste dans une
conscience plus profonde, souvent voilé par les orages et les agitations de la surface ; au début il est
rarement permanent, mais il peut le devenir par une fréquence et une durée accrues des périodes de
calme et de paix, et finalement par la pleine descente en la nature inférieure de la paix, du calme et du
silence éternels de la conscience supérieure. (I, 115)

391. – La première chose est de faire descendre la paix et le silence supérieurs dans l’être
extérieur de sorte que celui-ci n’exige plus de mener
199
les choses à son gré. (III, 119 sq.)
*

392. – C’est cela, conserver la paix de la conscience supérieure. Alors, quand bien même il y
aurait des troubles vitaux, ils ne seraient qu’en surface. La base demeurera jusqu’à ce que la Force
puisse libérer le vrai vital. (III, 118)

393. – La paix doit d’abord être ramenée au niveau du cœur et du nombril. C’est ce qui lui
donne une sorte de stabilité intérieure – qui n’est pourtant pas absolue. Il n’y a pas d’autre méthode
que l’aspiration, la volonté ferme et paisible et le rejet de tout ce qui n’est pas tourné vers le Divin
dans ces parties mêmes en lesquelles vous appelez la paix ; il s’agit ici de l’émotif et du vital
supérieur. (III, 118 sq.)

394. – Il serait plus facile de se débarrasser des faux mouvements en faisant descendre une paix
stable et une égalité d’humeur dans cette partie de l’être. Alors de tels mouvements seront repoussés
plus automatiquement et il y aura moins besoin de tapasya. (III, 275)

395. – Oui, la véritable base, c’est une paix et une force bien établies servant de support à
l’intensité et à l’équilibre, où se détache et tombe tout ce qui est étranger. (III, 117)

396. – C’est une action paisible et spontanée qui est l’action divine caractéristique. Il n’y a
action agressive, comme vous le dites, que lorsqu’il y a résistance et lutte. Cela ne veut pas dire que
la force paisible ne puisse pas être intense. Elle peut être encore plus intense que l’action agressive,
mais son intensité ne fait qu’accroître l’intensité de la paix. (III, 124)
397. – Si vous ne possédez pas la paix, vous pouvez toujours commencer par aspirer, et une
aspiration sincère ramènera cette paix. (III, 380)

398 – Il est évident que vous chérissez encore certaines fausses interprétations de la paix, de la
joie et de l’ânanda. Soit dit en passant, la paix n’est pas la joie, car la paix peut être présente même
quand la joie est au repos. Ce n’est pas un fait qu’on ne doive pas prier ou aspirer pour la paix ou la
joie spirituelle. La paix est la base même de toute la siddhi dans le yoga, et alors pourquoi ne
prierait-on pas ou n’aspirerait-on pas à ce qui est200
la base du yoga ? La joie spirituelle ou un profond
bonheur intérieur (non troublé même lorsque viennent des orages ou des perturbations superficiels)
accompagne constamment le contact ou l’union avec le Divin, et alors pourquoi serait-il interdit de
prier ou d’aspirer au contact avec le Divin et à la joie qui l’accompagne ? Quant à l’ânanda, j’ai
déjà expliqué que par ânanda j’entends quelque chose de plus grand que la paix ou la joie, quelque
chose qui est, comme la vérité et la lumière, la nature même du Divin supramental. Il peut venir par
des irruptions ou des descentes fréquentes, partiellement ou pour un temps, même maintenant, mais il
ne peut pas rester dans le système tant que le système n’y a pas été préparé. En attendant, paix et joie
peuvent y être en permanence, mais la condition de cette permanence est qu’on doit avoir un contact
avec le Divin, et cela se produit naturellement non pas par le mental ou le vital extérieurs, mais par
l’âme intérieure ou être psychique. Par conséquent, celui qui veut que son yoga soit un sentier de paix
ou de joie doit se préparer à demeurer en son âme plutôt qu’en son mental ou sa nature émotive
extérieurs.
Je me suis opposé dans une lettre précédente non pas à l’aspiration, mais à une exigence, à ce
qu’on fasse de la paix, de la joie ou de l’ânanda une condition pour suivre le yoga. Et cela est
indésirable parce que, si vous le faites, c’est le vital et non le psychique qui prend la direction.
Lorsque le vital prend la direction, l’agitation, le découragement, l’état de souffrance, peuvent
toujours venir, car ces choses sont de la nature même du vital. Le vital ne peut jamais rester
constamment dans la joie et la paix, car il a besoin de leur contraire pour avoir le sentiment du drame
de la vie. Et pourtant, lorsque viennent l’agitation et l’état de souffrance, le vital s’écrie aussitôt :
« Je ne reçois pas ce qui m’est dû ; à quoi sert que je fasse du yoga ? » Ou encore il fait un évangile
de son état de souffrance et déclare que la route vers l’accomplissement doit être un chemin tragique
à travers le désert. Et pourtant, c’est précisément cette prédominance du vital en nous qui nous rend
nécessaire la traversée du désert. Si le psychique était toujours en avant, le désert ne serait plus un
désert et il fleurirait avec la rose. (II, 283 sqq.)

399. – En imposant la paix de l’être supérieur aux parties inférieures jusque dans le physique, il
devient possible : (1) de créer cette séparation qui empêche l’être intérieur d’être affecté par le
trouble et la résistance superficiels, et (2) de rendre plus facile la descente de la Force et des autres
pouvoirs de l’être supérieur. (III, 156)

400. – La paix passive n’est pas censée faire quelque chose. Ce n’est que si la présence solide
de la paix est complète que toute agitation peut être repoussée à la surface ou hors de la conscience.
(III, 123)

201
*

401. – La paix passive n’a pas pour trait caractéristique habituel de pouvoir se concentrer
uniquement dans l’inactivité. Elle peut être présente et se concentrer aussi dans l’action ou derrière
l’action. (III, 123 sq.)

402. – Équanimité et paix en toutes circonstances, dans toutes les parties de l’être, sont la base
primordiale de la condition yoguique. Ensuite peuvent venir, selon les tendances de la nature, soit la
Lumière (qui amène la connaissance), soit la Force (qui amène puissance et dynamisme de beaucoup
de sortes), soit l’Ananda (qui amène amour et joie de vivre). Mais la paix est la condition première
sans laquelle rien d’autre ne peut être stable. (III, 117)

403. – Être plein de paix, le cœur tranquille, ni troublé par le chagrin, ni excité par la joie est
une excellente condition. Quant à l’ânanda, il peut venir non seulement avec son intensité la plus
entière, mais avec une persistance plus durable lorsque le mental est en paix et le cœur délivré de la
joie et du chagrin ordinaires. Si le mental et le cœur sont agités, changeants, inquiets, il peut venir un
certain genre d’ânanda, mais il est mêlé d’excitation vitale et il ne peut pas durer. Il faut d’abord
fixer dans sa conscience la paix et le calme ; alors il y a une base solide sur laquelle l’ânanda peut
se répandre et à son tour devenir un élément permanent de la conscience et de la nature. (I, 177 sq.)

404. – Lorsque descend la paix de la conscience supérieure, elle amène toujours cette tendance
à l’égalité, samatâ, parce que sans samatâ la paix risque toujours d’être attaquée par les vagues de la
nature inférieure. (III, 119)

405. – L’égalité est le principal soutien de la conscience spirituelle vraie ; c’est d’elle qu’un
sâdhak dévie lorsqu’il laisse un mouvement vital l’emporter, dans le sentiment, la parole ou l’action.
L’égalité n’est pas la même chose que la longanimité, bien que sans nul doute une égalité stable
développe énormément, et même illimitablement, la faculté qu’a l’homme d’endurer et de supporter.
Égalité signifie mental et vital tranquilles et non troublés, ne pas être affecté ni dérangé par ce
qui se passe, par ce qu’on vous dit ou ce qu’on vous fait, mais regarder cela en face, sans aucune
distorsion née de sentiments personnels, essayer de comprendre ce qui est derrière, pourquoi cela se
produit, ce qu’on peut en apprendre, contre quoi en nous-même cela est projeté, quel profit ou
202
progrès intérieurs on peut en retirer. Égalité signifie empire de soi sur les mouvements vitaux (colère,
sensibilité, orgueil, ainsi que désir et tout le reste), ne pas les laisser s’emparer de l’être émotif et
troubler la paix intérieure, ne pas parler ou agir sous l’impulsion et la poussée de ces choses, mais
toujours agir et parler du fond d’un calme équilibre intérieur de l’esprit. Il n’est pas facile d’avoir
cette égalité à aucun degré de pleine perfection, mais on doit toujours essayer d’en faire de plus en
plus la base de son état intérieur et de ses mouvements extérieurs.
Égalité signifie autre chose encore : avoir une vision égale des hommes, de leur nature et de
leurs actes et des forces qui les meuvent. Cela aide à voir la vérité sur eux, en chassant du mental tout
sentiment personnel et même tout parti pris mental dans notre vue et notre jugement. Le sentiment
personnel déforme toujours et fait voir dans les actions des hommes, non seulement les actions elles-
mêmes, mais des mobiles, qui le plus souvent n’y sont pas. Le résultat en est des malentendus, de faux
jugements qui auraient pu être évités ; des choses de petite importance assument de vastes
proportions. J’ai vu que plus de la moitié des événements malheureux de ce genre dans la vie
proviennent de là. Mais dans la vie ordinaire le sentiment et la sensibilité personnels font
constamment partie de la nature humaine et peuvent y être nécessaires pour l’autodéfense, bien qu’à
mon avis, même là, une attitude forte, large et égale envers hommes et choses fournirait une bien
meilleure ligne de défense. Pour un sâdhak en tout cas, les surmonter et vivre plutôt dans la calme
force de l’esprit est un élément essentiel de progrès.
La première condition du progrès intérieur est de reconnaître tout ce qui est ou a été un faux
mouvement dans une partie quelconque de la nature : idée fausse, sentiment faux, parole fausse,
action fausse – et par « faux » j’entends qui s’écarte de la vérité, de la plus haute conscience et du
Soi le plus haut, de la voie du Divin. Une fois qu’on l’a reconnu, on l’admet, on n’épilogue pas et on
ne le défend pas, et on l’offre au Divin pour que Lumière et Grâce descendent et lui substituent le
juste mouvement de la vraie Conscience. (I, 237 sqq.)

406. – Il faut longtemps pour établir une complète samatâ ; cela dépend de trois choses : le don
de soi de l’âme au Divin par un abandon intérieur, la descente d’en haut du calme et de la paix
spirituels, et le rejet continuel, long et persistant de tous sentiments égoïstes rajasiques et autres qui
vont à rencontre de la samatâ.
La première chose à faire est une pleine consécration et offrande du cœur. L’accroissement du
calme spirituel et le don de soi sont la condition pour que le rejet de l’ego, du rajoguna, 6 etc., soit
effectif. (I, 239)

203
407. – Haïr et maudire n’est évidemment pas l’attitude juste. Il est vrai aussi que considérer
toute personne avec une vision calme et claire, ne pas se laisser impliquer, être impartial dans ses
jugements est une attitude yoguique parfaitement juste. Un état de parfaite samatâ peut être établi dans
lequel on voit tout comme égal, y compris les amis et les ennemis, et où l’on n’est pas troublé par ce
que font les hommes, par ce qui se passe. La question est de savoir si c’est là tout ce qui nous est
demandé. Dans ce cas, l’attitude générale sera d’indifférence neutre à toutes choses. Mais la Gîtâ, qui
insiste fortement sur une samatâ parfaite et absolue, dit ensuite : « Combats, détruis l’adversaire,
sois victorieux. » S’il n’est demandé aucune sorte d’action générale, aucune loyauté à la Vérité contre
la fausseté, excepté pour notre sâdhanâ personnelle, aucune volonté pour que la Vérité l’emporte,
alors la samatâ d’indifférence suffira. Mais il y a une œuvre à accomplir, une Vérité à établir contre
laquelle sont disposées des forces immenses, des forces invisibles qui peuvent employer comme
instruments des choses et des personnes et des actions visibles. Si l’on est au nombre des disciples,
des chercheurs de cette vérité, il faut prendre parti pour la Vérité, s’opposer aux forces qui
l’attaquent et qui essaient de l’étouffer. Arjuna ne voulait prendre parti pour aucun des deux côtés, il
voulait se refuser à toute action hostile, même contre des assaillants. Shrî Krishna, qui insistait
tellement sur la samatâ, a fortement blâmé son attitude et a insisté également pour qu’il lutte contre
l’adversaire. « Aie la samatâ, dit-il, et voyant clairement la Vérité, lutte ! » Par conséquent, prendre
parti pour la Vérité, refuser toute concession à la fausseté qui attaque, être inébranlablement loyal et
opposé à ce qui est hostile et qui attaque n’est pas inconciliable avec l’équanimité. Ce qu’il faut
rejeter, c’est le sentiment personnel et égoïste ; il faut rejeter la haine et l’antipathie vitale. Mais la
loyauté et le refus de tout compromis avec les assaillants et les ennemis, le refus de jouer avec leurs
idées et leurs exigences et de leur dire : « Après tout, nous pouvons faire un compromis sur ce que
vous demandez », ou de les accepter comme compagnons ou comme faisant partie de nous – tout cela
est d’une importance considérable. Si l’attaque était une menace physique contre le travail et ses
chefs et contre les ouvriers du travail, on s’en apercevrait immédiatement. Une attitude passive peut-
elle être juste parce que l’attaque est d’un genre plus subtil ? C’est une bataille spirituelle vers
l’intérieur et vers l’extérieur. Par la neutralité et le compromis, ou même par la passivité, on peut
permettre aux forces ennemies de passer et d’écraser la Vérité et ses enfants. Si vous vous placez à
ce point de vue, vous verrez que si l’égalité spirituelle intérieure est juste, la loyauté active et la
prise de fermes positions est tout aussi juste et que les deux ne peuvent être incompatibles.
Naturellement j’ai parlé ici de la question générale, en laissant de côté tous les cas particuliers
et les questions personnelles. C’est un principe d’action qui doit être vu dans sa juste lumière, dans
ses justes proportions. (II, 461 sqq.)

204
408. – Tout devrait se faire tranquillement de l’intérieur : travailler, parler, lire, écrire, tout cela
devrait faire partie de la vraie conscience, et ne devrait pas s’effectuer avec les mouvements
dispersés et agités de la conscience ordinaire. (III, 459 sq.)

409. – Il ne faut pas se laisser aller à ce mouvement vital d’agitation. Ce n’est pas ainsi que
vous obtiendrez l’union avec la Mère. Votre aspiration doit être calme ; mangez, dormez, faites votre
travail. La chose qu’il vous faut demander en ce moment, c’est la paix. C’est seulement sur la base de
paix et de calme que peuvent venir le progrès et la réalisation véritables. Il ne doit pas y avoir
d’excitation vitale dans votre recherche ou votre aspiration vers la Mère. (III, 100)

410. – Le mental et le vital sont toujours plus ouverts que le matériel aux forces universelles.
Mais ils peuvent être plus agités que le matériel aussi longtemps que la paix venue d’en haut ne les a
pas soumis. (III, 124)

411. – À lui seul, le mouvement d’universalité ne peut pas empêcher les perturbations provenant
du vital ; cela ne peut s’obtenir que par l’abandon complet et la descente complète de la paix dans
tout l’être jusqu’au plus matériel. (III, 124)

412. – Si une partie de vous, l’être intérieur, garde son calme, le reste peut être pris en main.
Aussi le plus important est-il de ne pas permettre au vital de s’irriter et de ne pas laisser l’agitation
recouvrir l’être intérieur. Persistez toujours à repousser. (III, 275)

413. – Le silence passif est celui dans lequel la conscience intérieure reste vide et au repos, n’a
pas de réaction aux choses et aux forces de l’extérieur.
Le silence actif est celui dans lequel il y a une grande force qui se dégage sur les choses et les
forces, sans troubler le silence. (II, 115)

205
G. – Patience et persévérance

414. – Un yoga comme celui-ci nécessite de la patience parce qu’il signifie une transformation à
la fois des mobiles radicaux et de chaque partie, chaque détail de la nature. (II, 264)

415. – Cette sâdhanâ est difficile et il ne faut pas lui marchander son temps. Ce n’est qu’aux
dernières étapes que l’on peut s’attendre avec confiance à avancer selon un rythme à la fois très
rapide et régulier (III, 114)

416. – « J’essaierai encore » ne suffit pas ; ce qu’il faut, c’est essayer toujours, incessamment,
le cœur libre de découragement, comme dit la Gîtâ, anirvinnena chetasa. Vous parlez de cinq années
et demie comme si c’était une période formidable pour un tel but, mais un yogin qui pourrait dans ce
laps de temps transformer radicalement sa nature et obtenir l’expérience décisive concrète du Divin
devrait être considéré comme un des rares qui peuvent parcourir la Voie spirituelle au galop. Nul n’a
jamais dit que la transformation spirituelle était une chose facile. Tous les chercheurs spirituels vous
diront qu’elle est difficile, mais qu’elle en vaut suprêmement la peine. Si le désir pour le Divin est
devenu en nous le maître désir, alors on peut sûrement lui consacrer toute sa vie sans renâcler, sans
se plaindre du temps, de la difficulté ou du travail. (II, 229 sq.)

417. – Huit années représentent très peu de temps pour une transformation. La plupart des gens
en prennent au moins autant pour se rendre compte de leurs défauts et pour acquérir la ferme volonté
de changer. Après cela il faut beaucoup de temps pour que cette volonté se transforme en une
réalisation pleine et définitive. (III, 115)

418. – Il en est de même pour toutes choses sur la voie de la sâdhanâ : on doit persévérer, quel
que soit le temps qu’on y mette. Ainsi seulement on peut aboutir. (III, 114)

419. – C’est exact, il est inutile de se presser ; ce qui importe le plus, c’est une solide
préparation psychique. (III, 115)
206
*

420. – Votre attitude envers le changement et la vie nouvelle qui s’impose est juste. Le meilleur
moyen pour y parvenir, c’est une persistance calme, vigilante, que rien ne vient assombrir.
Pour que l’intimité intérieure [avec le Divin] soit rétablie, la quiétude doit pénétrer plus
profondément pour permettre au psychique de se manifester dans le physique comme il l’avait déjà
fait dans les parties supérieures. (III, 115 sq.)

421. – Le pouvoir dont on a besoin dans le yoga, c’est celui qui permet de supporter l’effort, la
difficulté ou les ennuis sans se fatiguer, se laisser déprimer, se décourager ou s’impatienter et sans
relâcher l’effort ni renoncer à son but ou à sa résolution. (III, 116)

422. – Si vous voulez faire quelque chose sur la voie du yoga, il faut déterminer une fois pour
toutes la voie que vous entendez suivre. Il ne sert à rien de diriger votre visage vers l’avenir pour
toujours vous retourner vers le passé, car ainsi vous n’arriverez nulle part. Si vous êtes attaché à
votre passé, retournez-y et suivez la voie que vous aurez alors choisie, mais si, au lieu de cela, vous
choisissez cette voie-ci, il faut vous y consacrer exclusivement et ne pas regarder en arrière à chaque
instant. (I, 75)

423. – Ce que je vous demande en plus d’aspirer à la foi ? Tout juste un peu de travail
consciencieux et de persévérance dans la méthode ! N’aspirez pas pendant deux jours pour ensuite
vous effondrer et invoquer un évangile de tremblement de terre et de Schopenhauer avec en plus
l’ânerie et tout le reste. Donnez au Divin sa chance en sportsman. Lorsqu’il éclaire quelque chose en
vous ou qu’il prépare une lumière, n’arrivez pas avec une couverture toute trempée de découragement
que vous jetez sur la malheureuse flamme. Vous me direz : « C’est tout juste une chandelle qu’il a
allumée, c’est rien du tout ! » Mais en cette matière, lorsqu’il s’agit de dissiper l’obscurité du mental,
de la vie et du corps chez l’homme, une chandelle est toujours un commencement ; peut-être une
lampe suivra-t-elle, et ensuite un soleil. Mais il faut permettre au commencement d’avoir une suite et
ne pas le couper de ses suites naturelles par des amas de tristesse, de doute et de désespoir. Au début
et pendant longtemps, les expériences viennent généralement en petits quanta et sont séparées par des
intervalles vides, mais si on les laisse faire, les espaces diminueront et la théorie des quanta fera
place à la continuité newtonienne de l’esprit. Mais vous ne les avez vraiment jamais laissés faire.
Les espaces vides ont été peuplés de doutes et de dénégations, et ainsi les quanta sont devenus rares,
207
le commencement est resté un commencement. Vous avez fait face à d’autres difficultés et vous les
avez rejetées, mais vous avez trop joué avec celle-ci pendant longtemps et elle est devenue forte. Il
faut vous y attaquer avec un effort persévérant. Je ne dis pas que tous les doutes doivent disparaître
avant que rien ne puisse venir ; ce serait rendre la sâdhanâ impossible, car le doute est l’assaillant
persistant du mental. Tout ce que je vous dis, c’est : ne laissez pas l’assaillant devenir un compagnon,
ne lui ouvrez pas la porte et ne l’invitez pas au coin de votre feu. Par-dessus tout, ne chassez pas le
Divin qui entre, avec cette décourageante couverture trempée de tristesse et de désespoir !
En termes plus sobres, admettez une fois pour toutes que cela doit se faire, que c’est la seule
chose qui reste pour vous ou pour la terre. Au dehors, ce sont les tremblements de terre, les Hitler, la
civilisation qui s’écroule, et d’une façon générale, l’ânerie et l’inondation. Il faut d’autant plus tendre
vers l’unique chose qui est à faire, la chose que vous avez été chargé d’aider à s’accomplir. C’est
difficile, la route est longue, et maigre l’encouragement reçu. Et alors ? Pourquoi vous attendriez-
vous à ce qu’une chose si grande soit facile ou à ce qu’il y ait ou bien un succès rapide ou bien pas
de succès du tout ? Il faut faire face aux difficultés, et plus joyeusement on le fait, plus vite on en
triomphe. La seule chose à faire est de conserver le mantra du succès, la détermination de vaincre, la
résolution fixe : « Il faut que je l’aie, et je l’aurai. » Impossible ? Il n’existe pas d’impossibilités ; il
y a des difficultés et des choses de longue haleine, mais il n’y a pas d’impossible. Ce qu’on est
fermement décidé à faire se fera tôt ou tard, cela devient possible. Chassez le sombre désespoir et
continuez courageusement votre yoga. Quand les ténèbres disparaîtront, les portes intérieures
s’ouvriront. (II, 262 sqq.)

424. – Je n’ai certainement jamais dit que vous ne deviez pas désirer la réponse divine ; c’est
pour elle qu’on fait le yoga. Ce que j’ai dit, c’est que vous ne deviez pas l’attendre ou l’exiger
immédiatement ou prochainement. Elle peut venir tôt ou elle peut venir tard, mais si l’on est fidèle
dans son appel, elle viendra, car il ne faut pas seulement être sincère, mais aussi fidèle à travers tout.
Si je déconseille l’insistance, c’est parce que j’ai toujours constaté qu’elle fait naître des difficultés
et des retards par suite d’une tension et d’une agitation qu’elle crée dans la nature et des
découragements et révoltes du vital lorsque l’exigence n’est pas satisfaite. Le Divin sait mieux que
nous ; il faut avoir confiance dans sa sagesse et se mettre au diapason de sa volonté. L’attente qu’il
nous impose n’est pas une preuve qu’il soit finalement incapable de venir. C’est simplement un signe
qu’il y a en nous quelque chose qui doit être surmonté et qui peut l’être si nous avons la volonté
d’atteindre le Divin. (II, 173)

208
H. – Volonté

425. – Vous aviez écrit : « Je n’ai pas besoin de m’en inquiéter ; si la paix est nécessaire, elle
viendra d’elle-même. » Certes, c’est sur la Force qu’il faut insister le plus, mais le consentement
actif du sâdhak est nécessaire ; pour certaines choses, sa volonté peut être nécessaire comme
instrument de la Force. (III, 308)

426. – Aussi longtemps que la conscience supérieure ne s’est pas ouverte, on doit faire usage de
la volonté mentale, soutenue par le psychique pour provoquer un changement préliminaire dans le
mental et le vital. Par la suite, c’est d’en haut que doit venir la Force d’illumination et de purification
(III, 136)

427. – Ne vous laissez pas diriger par ces idées fausses et ces sentiments faux, ne laissez pas
votre état de dépression vous dicter vos décisions ; essayez de garder une volonté centrale ferme
dirigée vers la réalisation ; vous le pouvez si vous vous y décidez, ces choses ne sont pas
impossibles. Vous verrez qu’à la fin la difficulté spirituelle disparaîtra comme un mirage. (II, 174)

428. – Il y a tapasya lorsque la volonté et l’énergie sont concentrées et utilisées pour diriger le
mental, le vital et le physique et les transformer ou pour faire descendre la conscience supérieure ; ou
pour atteindre tout autre but élevé ou yoguique. (III, 106)

429. – La Force non plus ne produit aucun fruit définitif et durable à moins qu’il n’y ait chez le
sâdhak la volonté et la résolution d’accomplir. (III, 309)

209
I. – Sincérité

430. – Il y a une condition indispensable, la sincérité. (III, 99)

431. – La sincérité centrale est la première chose ; elle suffit pour qu’une aspiration soit
éprouvée. Il faut une sincérité totale pour que l’aspiration se réalise. (II, 43)

432. – Il est vrai qu’une sincérité centrale ne suffit pas, sinon pour commencer et comme base ;
la sincérité doit se répandre, comme vous l’indiquez, dans la nature tout entière. Néanmoins, à moins
qu’il n’y ait nature double (sans conscience centrale qui l’harmonise) la base suffit généralement pour
que cela se produise. (II, 175)

433. – Être absolument sincère, droit, ouvert n’est pas d’une réalisation facile pour la nature
humaine. C’est seulement par l’effort spirituel que l’on peut y arriver. Et pour faire cela, il faut une
sévérité dans la vision introspective de soi et une observation de soi qui ne se dispense de rien
scruter, qualités dont beaucoup de sâdhaks et même de yogins ne sont pas capables. Cela peut se
faire uniquement par une Grâce illuminatrice qui révèle le sâdhak à lui-même et transforme ce qui en
lui est déficient. Et même alors, seulement s’il y consent et se prête entièrement à l’action divine. (I,
222)

434. – Vous parlez de manque de sincérité dans votre nature. Si cela signifie qu’une partie de
l’être n’est pas disposée à vivre selon la lumière la plus haute qu’on ait, ou à mettre l’homme
extérieur en accord avec l’homme intérieur, c’est un manque de sincérité qui existe en tous. Le seul
moyen est d’insister sur l’être intérieur et d’y développer la conscience qui chassera les ténèbres
hors de l’homme extérieur également. (II, 175)

210
J. – Vie dans le monde et isolement

435. – Si l’on choisit pour voie un yoga uniquement des œuvres, alors on peut rester dans le
samsâra, mais ce sera librement, en le prenant comme champ d’action, et non pas parce qu’on sent
une obligation. Intérieurement le yogin doit en effet être libre de tout lien et attachement. Par contre, il
n’est pas nécessaire de vivre la vie de famille ; on peut la quitter et prendre n’importe quelle sorte de
travail comme champ d’action.
Dans le yoga que nous faisons ici, le but est de s’élever à une conscience supérieure et de vivre
uniquement de cette conscience supérieure, non avec les mobiles ordinaires. Cela signifie un
changement de vie aussi bien qu’un changement de conscience. Mais tous ne sont pas dans des
circonstances telles qu’ils puissent se détacher de la vie ordinaire ; ils l’acceptent donc comme
champ d’expérience et de formation de soi dans les premières étapes de la sâdhanâ. Mais ils doivent
prendre bien soin de la considérer uniquement comme champ d’expérience et de se dégager des
désirs ordinaires, des attachements et des idées qui généralement l’accompagnent ; sans cela ce sera
un élément retardateur et une entrave dans leur sâdhanâ. Lorsqu’on n’y est pas obligé par les
circonstances, il n’est pas nécessaire de poursuivre la vie ordinaire. Lorsqu’on quitte la vie et les
actions ordinaires, on ne devient tamasique que si le vital est tellement habitué à puiser dans la
conscience ordinaire ses mobiles d’énergie, ses désirs et ses activités que s’il les perd il perd aussi
toute joie, tout charme et toute énergie d’existence. Mais si l’on a un but spirituel et une vie intérieure
et que la partie vitale les accepte, alors on tire ses énergies de l’intérieur et il n’y a pas de danger de
devenir tamasique. (II, 371 sq.)

436. – Il n’est pas absolument nécessaire d’abandonner la vie ordinaire afin de chercher la
Lumière ou de pratiquer le yoga. Ceux qui le font sont généralement ceux qui veulent une rupture
nette, qui veulent vivre une vie purement religieuse ou exclusivement intérieure et spirituelle, qui
veulent renoncer entièrement au monde et quitter l’existence cosmique par la cessation de la
naissance humaine, par le passage en quelque état supérieur ou dans la Réalité transcendante.
Autrement, cela n’est nécessaire que lorsque la pression de l’impulsion intérieure devient si forte que
l’exercice de la vie ordinaire n’est plus compatible avec la recherche du but spirituel dominant.
Jusque-là, ce qui est nécessaire, c’est le pouvoir de pratiquer un isolement intérieur, de savoir se
retirer en soi et se concentrer en n’importe quel instant sur le but spirituel nécessaire. Il doit aussi y
avoir le pouvoir de traiter la vie extérieure ordinaire dans une nouvelle attitude intérieure, et on peut
alors faire de ce qui se passe dans cette vie même un moyen pour transformer intérieurement la nature
et pour croître en expérience spirituelle. (II, 372)

211
*

437. – On peut répondre ainsi à la question sur les devoirs familiaux : ceux-ci existent aussi
longtemps que l’on se trouve dans la conscience ordinaire du grihastha 7 ; que l’on continue à les
observer lorsque se fait entendre l’appel à la vie spirituelle, dépend en partie de la voie yoguique
que l’on suit et en partie de ses propres nécessités spirituelles. Il y en a beaucoup qui suivent
intérieurement la voie spirituelle et observent leurs obligations familiales, non pas en tant
qu’obligations sociales, mais comme terrain pour la pratique du Karma-Yoga ; d’autres abandonnent
tout pour répondre à l’appel ou pour suivre la voie spirituelle, et ils ont raison si cela leur est
nécessaire pour le yoga qu’ils pratiquent ou si c’est une exigence impérieuse de l’âme en eux. (III,
50)

438. – Quant à votre question sur l’âme complémentaire et le mariage, la réponse est facile : la
route de la voie spirituelle conduit pour vous dans une certaine direction et le mariage dans une autre
qui est à l’opposé. Tout ce qu’on raconte sur les âmes complémentaires est un camouflage par lequel
le mental cherche à dissimuler les désirs sentimentaux, sensoriels et physiques de la nature vitale
inférieure. C’est cette nature vitale en vous qui pose cette question et qui voudrait une réponse
conciliant ses désirs et ses exigences avec l’appel en vous de l’âme vraie. Mais il ne faut pas vous
attendre à recevoir d’ici une approbation pour une réconciliation aussi incongrue. La voie du yoga
supramental est claire ; elle ne passe pas par des concessions à ces choses (c’est-à-dire, dans votre
cas, par la satisfaction, si possible sous un déguisement spirituel, de ces appétits pour les conforts et
les plaisirs d’une vie domestique et conjugale et pour les jouissances des désirs émotifs ordinaires et
des passions physiques), mais par la purification et la transformation des forces que ces mouvements
pervertissent et mésusent. La grande chose que l’aspiration de l’être vital doit exiger chez le sâdhak,
ce ne sont pas ces appétits humains et animaux, mais le divin ânanda qui est au-dessus d’eux et au-
delà d’eux, et que la complaisance pour ces formes dégradées empêcherait de descendre. (II, 191 sq.)

439. – Vous ne devriez pas tellement dépendre des choses extérieures ; c’est cette attitude qui
vous fait attribuer aux circonstances une importance excessive. Je ne dis pas que les circonstances ne
peuvent pas aider ou obstruer, mais ce sont des circonstances et non la chose fondamentale en nous, et
l’aide ou l’obstruction qu’elles apportent ne devrait pas être d’importance primordiale. Dans le yoga,
comme dans tout effort humain important ou sérieux, on trouve toujours forcément une foule
d’interventions adverses et de circonstances défavorables qui doivent être surmontées. Si on leur
donne trop d’importance, on accroît leur importance et leur faculté de se multiplier ; en fait, on leur
donne confiance en elles-mêmes et elles prennent 212 l’habitude de venir. En leur faisant face avec
sérénité (si l’on ne réussit pas à leur opposer cette persistance joyeuse de la volonté confiante et
résolue) on diminue, au contraire, leur importance et leurs effets et à la fin, sinon tout de suite, on se
débarrasse de leur ténacité et de leur caractère récurrent. C’est donc un principe du yoga, de
reconnaître le pouvoir déterminant de ce qui est en nous (car c’est une vérité plus profonde) pour
corriger les mouvements faux et affermir la force intérieure contre le pouvoir des circonstances
extérieures. La force est là, même chez les plus faibles ; il faut la découvrir, la dévoiler et la
maintenir en avant tout au long du voyage et de la bataille. (III, 293 sq.)

440. – Il est sage, aussi, que vous vous soyez fait à cet endroit et que vous vous sentiez la force
d’y prendre la situation en main. Il est nécessaire d’avoir une certaine puissance d’adaptation et
d’harmonisation avec son entourage ; vous l’aviez déjà à un degré très poussé et c’est pourquoi vous
réussissiez partout où vous alliez. Le fait d’avoir reculé devant votre situation antérieure vous a
rendu inquiet et déprimé et a gâté, pendant un certain temps, l’action de cette puissance en vous. Avec
l’attitude nouvelle que vous avez adoptée, j’espère qu’elle reviendra et qu’elle apportera la solution
de toutes vos difficultés. (III, 466)

441. – Si certains trouvent que la retraite est le meilleur moyen de se donner au Supérieur, au
Divin, en écartant autant que possible les occasions de laisser bouillonner l’intérieur, pourquoi pas ?
Le but pour lequel ils sont venus est présent ; pourquoi blâmer ou regarder avec méfiance et soupçons
les moyens qu’ils trouvent les meilleurs, ou leur assener des épithètes péjoratives qui les
discréditeraient : sinistre, inhumain, etc. ? C’est votre vital qui en éprouve un recul, et votre mental
vital fournit ces épithètes, qui n’expriment que votre recul, et non pas ce que la retraite est en réalité.
Car c’est le vital ou son élément social qui recule devant la solitude ; le mental pensant ne le fait pas,
il flirterait plutôt avec elle. Le poète cherche la solitude avec lui-même ou avec la Nature pour
écouter son inspiration ; le penseur plonge dans la solitude pour méditer sur les choses et communier
avec une connaissance plus profonde ; le savant s’enferme dans son laboratoire pour explorer par
l’expérience les secrets de la Nature. Ces retraites ne sont ni sinistres, ni inhumaines. Pas davantage
la retraite du sâdhak dans la concentration exclusive dont il éprouve le besoin ; c’est un moyen pour
une fin, la fin à laquelle il est attaché de tout son cœur. Quant au yogin ou bhakta qui a déjà
commencé d’avoir l’expérience fondamentale, il n’est pas dans une solitude sinistre ou inhumaine ; le
Divin et le monde entier sont présents dans l’être de l’un, le suprême Bien-aimé ou son Ananda
habite le cœur de l’autre. Je dis cela en réponse à votre condamnation de la retraite, condamnation
qui repose sur votre ignorance de ce qu’elle est en réalité. (I, 256 sq.)

213
*

442. – Tout dépend du but que vous vous assignez. Si pour la réalisation de notre but spirituel il
est nécessaire de renoncer à la vie ordinaire de l’Ignorance (samsâra) il faut le faire ; les
revendications de la vie ordinaire ne peuvent s’opposer à celles de l’esprit. (II, 370 sq.)

443. – Comme je vous l’ai souvent dit, je ne recommande pas l’isolement complet, car je le
tiens pour un expédient dangereux qui peut conduire à un état morbide et à beaucoup d’erreur. Je
n’impose à personne la retraite comme méthode, et je ne l’approuve pas à moins que l’intéressé ne la
cherche lui-même, ne la sente nécessaire, n’en éprouve de la joie et n’ait la preuve que c’est une aide
pour son expérience spirituelle. Il ne faut l’imposer à personne par principe, car ce serait la façon
mentale d’agir, la méthode mentale ordinaire. Il ne faut l’accepter que comme un besoin, quand on la
ressent comme telle, et non en vertu d’une règle ou loi générale. (I, 257)

444. – Une fois que l’être intérieur s’est complètement installé dans son isolement, même des
océans d’inertie ne peuvent l’empêcher de s’y maintenir. C’est la première chose à faire pour avoir
une base sûre dans le yoga : établir complètement cet isolement. Cela se produit le plus souvent
lorsque la paix est parfaitement fixée dans les parties intérieures ; alors cet isolement devient, lui
aussi, assuré et permanent. (III, 399)

214
215
K. – Rapports avec autrui

445. – L’idée que tous les sâdhaks doivent s’éviter mutuellement et être à couteaux tirés est un
préjugé auquel il faut renoncer. La loi de la vie yoguique est l’harmonie et non la lutte. Ce préjugé
provient peut-être de l’ancienne notion du nirvâna comme but, mais ici notre but n’est pas le nirvâna.
Ici, le but est l’accomplissement du Divin dans la vie, et pour cela l’union et la solidarité sont
indispensables.
L’idéal du yoga est que tous aient leur centre dans le Divin et autour du Divin, et la vie des
sâdhaks doit reposer sur cette base stable ; leurs relations personnelles doivent aussi avoir le Divin
pour centre. En outre, toutes relations doivent passer de la base vitale à la base spirituelle, avec le
vital uniquement comme forme et instrument du spirituel. Cela signifie que, quels que soient leurs
rapports entre eux, il faut renoncer à toute jalousie, toute lutte, toute haine, toute aversion, toute
rancune et tout autre sentiment vital mauvais, car il ne peut y avoir place pour cela dans la vie
spirituelle. De même aussi devront disparaître tout amour et tout attachement égoïstes, l’amour qui
n’aime que pour l’amour de l’ego et qui cesse d’aimer ou même accueille la rancune et la haine dès
que l’ego est blessé et mécontent. Derrière l’amour il doit y avoir une unité réelle vivante et durable.
Il doit être clair aussi que des choses telles que l’impureté sexuelle doivent disparaître.
Tel est l’idéal, mais quant à la manière de l’atteindre, elle peut différer selon les gens. Dans une
de ces manières on abandonne tout le reste pour ne chercher que le seul Divin. Cela ne signifie pas
une aversion pour qui que ce soit, pas plus que cela ne signifie une aversion pour le monde et la vie.
Cela signifie seulement une absorption dans le but central, avec cette idée qu’une fois ce but atteint il
sera facile de fonder toutes relations sur la base véritable, de devenir véritablement uni avec les
autres dans le cœur, l’esprit et la vie, uni dans la vérité spirituelle et dans le Divin.
L’autre méthode consiste à partir d’où l’on est en cherchant le Divin centralement et en y
subordonnant tout le reste, mais sans rejeter tout le reste, bien plutôt en cherchant à transformer
graduellement et progressivement tout ce qui est capable d’une telle transformation. Toutes les choses
qu’on ne désire pas dans le rapport (impureté sexuelle, jalousie, colère, exigences égoïstes) nous
quittent au fur et à mesure que l’être intérieur devient plus pur et qu’il est remplacé par l’unité entre
âme et âme, par la capture de la vie sociale dans les filets du Divin.
Cela ne signifie pas qu’on ne puisse avoir aucun rapport avec des gens en dehors du cercle des
sâdhaks, mais là aussi, si la vie spirituelle croît à l’intérieur, elle doit nécessairement affecter la
relation et la spiritualiser du côté du sâdhak. Et il ne doit y avoir aucun attachement qui puisse faire
de la relation un obstacle ou un rival pour le Divin. L’attachement à la famille, etc. est souvent tel, et
dans ce cas il quitte le sâdhak. C’est une exigence qu’à mon avis on ne devrait pas juger excessive.
Tout cela peut se faire progressivement ; la rupture des relations existantes est nécessaire pour

216
certains, mais non pour tous. Une transformation, si progressive soit-elle, est indispensable, et la
rupture là où celle-ci est la chose juste.
P.-S. Je dois répéter aussi que chaque cas est différent. Il n’est ni pratique, ni praticable, d’avoir
une seule règle pour tout le monde. L’unique desideratum dont il faille tenir compte est ce dont chacun
a besoin pour son progrès spirituel. (II, 187 sqq.)

446. – L’amour humain est surtout vital et physique avec un soutien mental ; il ne peut prendre
une forme et une expression non égoïstes, nobles et pures que s’il est touché par le psychique. Il est
exact, comme vous le dites, que c’est le plus généralement un mélange d’ignorance, d’attachement, de
passion et de désir. Mais quoi qu’il soit, celui qui désire atteindre le Divin ne doit pas s’alourdir
d’amours et d’attachements humains, car ils forment autant de chaînes et entravent sa marche, et en
outre le détournent de la concentration de ses émotions sur l’objet suprême unique de l’amour.
Il existe un amour psychique, pur, sans exigences, sincère dans le don de soi, mais généralement
il ne reste pas pur dans l’attraction qu’ont les humains l’un pour l’autre. Il faut aussi être sur ses
gardes contre la profession d’amour psychique lorsqu’on fait une sâdhanâ, car la plupart du temps ce
n’est qu’un déguisement et une justification pour céder à une attraction ou un attachement vitaux.
L’amour universel est le spirituel reposant sur le sens de l’Unique et du Divin partout et la
transformation du personnel en une conscience universelle vaste, libre d’attachement et d’ignorance.
L’amour divin est de deux sortes : l’amour divin pour la création et pour les âmes qui en font
partie, et l’amour du chercheur, l’amour pour le divin Bien-aimé ; il a à la fois un élément personnel
et un élément impersonnel, mais ici le personnel est libre de tous éléments inférieurs et de tout
asservissement aux instincts vitaux et physiques. (II, 193 sq.)

447. – Il y a un amour divin qui est personnel, mais il ne dépend pas, comme l’amour humain
personnel, de ce que la personne aimée donne en retour ; il est personnel, mais non égoïste : il va de
l’être réel dans l’un à l’être réel dans l’autre. Mais pour le trouver, il faut s’être libéré du mode
humain ordinaire d’aborder l’amour. (I, 199)

448. – C’est en partie ce que je voulais dire quand je parlais d’Amour transcendant – bien que
ce ne soit là qu’un aspect de sa transcendance. Cet Amour transcendant, existant en soi, se répandant
sur tout, se tournant partout pour contenir, embrasser, unir, aider, élever vers l’amour et la béatitude et
l’unité, devient l’Amour divin cosmique ; lorsqu’il se fixe intensément sur l’un ou l’autre pour se
trouver, pour réaliser une unification dynamique 217
ou atteindre ici à l’union de l’âme avec le Divin, il
devient l’Amour divin individuel. Mais il en existe malheureusement des réductions dans le mental
humain, le vital humain, le physique humain ; là l’essence divine de l’Amour se mêle facilement à des
imitations, s’estompe, se cache ou se perd dans les mouvements torves nés de la division et de
l’ignorance. (I, 202 sq.)

449. – Surtout dans l’amour pour le Divin ou pour quelqu’un qu’on sent être divin, le bhakta
éprouve pour le Bien-aimé une intense vénération, un sens de quelque chose immensément grand,
beau ou précieux, et pour lui-même une forte impression de sa propre relative indignité, et un désir
passionné de croître à l’image de ce qu’il adore. (I, 203)

450. – L’amour, quand il est digne de ce nom, est toujours la recherche de l’union, de l’unité,
mais aussi, dans son fondement secret, la recherche du Divin – même dans un maladroit tâtonnement.
Dans ses profondeurs, l’amour est un contact de la Possibilité ou de la Réalité divines en soi avec la
Possibilité ou la Réalité divines en l’objet aimé. C’est par incapacité d’affirmer ou de maintenir ce
caractère que l’amour humain est éphémère, ou frustré de sa pleine signification ou condamné à
sombrer dans un mouvement moins exalté, ramené à la capacité du récipient humain. (I, 204)

451. – L’amour supramental signifie une unité intense d’âme à âme, de mental à mental, de vie à
vie, et une totale inondation de la conscience du corps par l’expérience physique de l’unité, la
présence du Bien-aimé dans chaque partie et chaque cellule du corps. (II, 252)

452. – D’abord à propos de l’amour humain dans la sâdhanâ. L’orientation de l’âme vers le
Divin à travers l’amour doit se faire à travers un amour essentiellement divin, mais comme
l’instrument d’expression est au début une nature humaine, cet amour prend la forme d’amour et de
bhakti humains. C’est seulement lorsque la conscience s’approfondit, s’élève et se transforme que cet
amour éternel plus grand peut y croître et ouvertement changer l’humain en divin. Mais dans l’amour
humain lui-même, il y a plusieurs sortes de mobiles. Il existe un amour humain psychique qui monte
des profondeurs, qui est le résultat de la rencontre de l’être intérieur avec ce qui l’appelle à une joie
et une union divines. Une fois qu’il est devenu conscient de lui-même, c’est quelque chose de
durable, existant en soi, qui ne dépend pas de satisfactions extérieures, que des causes extérieures ne
peuvent amoindrir, non préoccupé de soi-même, non enclin à exiger ou à marchander, mais qui se
218
donne simplement et spontanément, qui n’est ni poussé aux malentendus, aux déceptions, aux luttes, à
la colère, ni brisé par eux, mais qui va toujours tout droit, avec force, vers l’union intérieure. C’est
cet amour psychique qui est le plus proche du divin, et c’est par conséquent la juste et la meilleure
voie d’amour et de bhakti. Mais cela ne signifie pas que les autres parties de l’être, y compris le
vital et le physique, ne doivent pas être utilisées comme moyens d’expression, ni qu’ils ne doivent
pas prendre part au plein jeu et au plein sens de l’amour, et même de l’amour divin. Ils sont au
contraire un moyen pour la complète expression de l’amour divin et peuvent en être une grande partie
– à condition qu’ils aient le mouvement juste et non le mouvement faux.
Il y a dans le vital lui-même deux sortes d’amour. L’un est plein de joie et de confiance et
d’abandon, généreux, qui ne marchande ni ne lésine, très absolu dans sa consécration ; cet amour est
apparenté au psychique, propre à le compléter et à servir de moyen d’expression à l’amour divin. Et
ni l’amour psychique, ni l’amour divin ne méprisent un moyen physique d’expression toutes les fois
que ce moyen est pur, juste, possible. Ils n’en dépendent pas, ils ne diminuent ni ne se révoltent ni ne
s’éteignent comme une chandelle lorsqu’on les prive de tout moyen de cet ordre, mais lorsqu’ils
peuvent en utiliser, ils le font avec joie et gratitude. On peut utiliser des moyens physiques pour
approcher l’amour et le culte divins et on le fait. Ces moyens n’ont pas été autorisés simplement
comme une concession à la faiblesse humaine, et il n’est pas vrai que dans la voie psychique il n’y ait
pas place pour ces choses. Elles sont au contraire un moyen d’approcher le Divin, de recevoir la
Lumière, de matérialiser le contact psychique, et tant qu’elles sont utilisées dans l’esprit juste et pour
le but véritable, elles ont leur place. C’est seulement si elles sont mal utilisées ou si l’approche n’est
pas juste – parce qu’entachée d’indifférence ou d’inertie, de révolte ou d’hostilité ou de quelque
désir grossier – qu’elles sont déplacées et peuvent avoir un effet contraire.
Mais il y a un autre mode d’amour vital qui est plus couramment celui de la nature humaine,
c’est une voie d’ego et de désir. Cet amour est plein d’appétits, d’exigences et de désirs vitaux ; sa
continuation dépend de la satisfaction de ses exigences ; s’il n’obtient pas ce qu’il réclame ou si
même il s’imagine ne pas être traité comme il le mérite – car il est plein d’imaginations, de
malentendus, de jalousies, d’interprétations fausses – il est tout de suite sujet à chagrins, vexations,
colères, toutes sortes de désordres, et finalement il cesse et disparaît. Par sa nature même, un amour
de ce genre est éphémère et inconstant et ne peut pas servir de fondement à l’amour divin… C’est
pour cette raison que nous décourageons ce mode vital inférieur d’amour humain et que nous
voudrions voir les gens expulser, éliminer ces éléments de leur nature le plus tôt possible. L’amour
doit être une floraison de joie, d’union, de confiance, de don de soi, d’ânanda, mais ce mode vital
inférieur n’est qu’une source de souffrance, de trouble, de déception, de désillusion, de désunion.
Même un petit élément de cet amour ébranle les fondations de la paix et substitue au mouvement vers
l’ânanda une chute vers la douleur, le mécontentement et le nirânanda. (I, 188-191)

*
219
453. – Je suppose qu’« amour » exprime quelque chose de plus intense que « sympathie », qui
peut n’embrasser qu’une simple affection. Mais qu’il soit amour ou sympathie, le sentiment humain
est toujours soit basé sur l’ego, soit fortement mêlé d’ego ; c’est pourquoi il ne saurait être pur… Il y
a généralement un espoir de retour, de profit ou avantage de quelque sorte, ou de certains plaisirs ou
agréments, mentaux, vitaux ou physiques, que peut donner la personne aimée. Si vous écartez ces
choses, très vite l’amour sombre ou diminue ou disparaît ou se transforme en colère, reproche,
indifférence, voir même haine. Mais il y a aussi un élément d’habitude, quelque chose qui rend la
présence de la personne aimée en quelque sorte nécessaire, parce qu’on l’a toujours eue. Et c’est
parfois si fort que cela dure en dépit d’une entière incompatibilité d’humeur, d’un violent
antagonisme, de quelque chose qui ressemble à de la haine ; même ces gouffres de discorde ne
suffisent pas à ce que les gens se séparent. Dans d’autres cas, ce sentiment est plus tiède et au bout de
quelque temps on s’habitue à la séparation ou l’on accepte un remplaçant. Souvent aussi il y a un
autre élément : quelque sorte d’attraction ou d’affinité spontanée, mentale, vitale ou physique, qui
donne à l’amour une plus forte cohésion. Enfin, dans le plus haut ou le plus profond genre d’amour, il
y a l’élément psychique, qui vient du cœur et de l’âme les plus intimes, une sorte d’union intérieure
ou de don de soi, ou tout au moins l’effort pour les obtenir, un lien – ou une poussée – indépendant
des autres conditions ou éléments, existant pour lui-même et non en vue d’un plaisir, d’une
satisfaction, d’un intérêt ou d’une habitude d’ordre mental, vital ou physique. Mais en général, dans
l’amour humain, l’élément psychique, même lorsqu’il est présent, est tellement mélangé, surchargé,
caché par les autres qu’il n’a guère de chances de s’accomplir ou de réaliser la pureté et la plénitude
qui lui sont naturelles. Ce qu’on appelle l’amour est donc tantôt une chose, tantôt une autre, le plus
souvent un mélange confus. (I, 194 sq.)

454. – Quel que puisse être l’éclat d’un amour vital, une fois qu’il nous a quitté et qu’on est
passé à un niveau supérieur, il faut voir qu’il n’a pas été la grande chose qu’on imaginait. En
conserver cette appréciation exagérée, c’est retenir la conscience quand elle est attirée vers la chose
plus grande avec laquelle on ne saurait faire un instant la comparaison. Si l’on conserve un tel
sentiment exagéré pour un passé inférieur, cela rend forcément plus difficile le développement de la
personne entière pour un avenir plus élevé. (II, 192 sq.)

455. – Ce qu’il décrit est une exigence de l’ego pour une satisfaction émotive ; c’est Mâyâ. Ce
n’est pas l’amour vrai, car l’amour vrai cherche l’union et le don de soi, et c’est cet amour qu’il faut
apporter au Divin. Ce prétendu amour vital n’apporte que souffrances et déceptions ; il n’apporte pas

220
le bonheur ; il ne se satisfait jamais, et même lorsqu’on lui accorde quelque chose qu’il réclame il
n’en est jamais content. (II, 161)

456. – Vous ne devriez pas vous laisser aller à ce sentiment d’affliction. Restez en toutes
circonstances calme, confiant et tourné vers la Volonté unique ; c’est la façon de s’assurer que chaque
pas se fera avec l’ampleur qui lui convient et produira les meilleurs résultats possibles. Considérez
désormais le problème d’Y et vos relations avec Y comme un élément secondaire et subsidiaire dans
l’aspect extérieur de votre sâdhanâ. Si vous prenez cela comme un problème de première importance,
cela le deviendra et fera obstacle à nouveau sur votre voie. Voyez cela comme un problème du passé,
qui a été définitivement résolu et mis à sa place, et tournez-vous vers le but central de votre sâdhanâ.
(III, 348 sq.)

457. – Mais y a-t-il jamais eu une époque où la politesse et les bonnes manières ont été
considérées comme une partie ou un critérium de l’expérience spirituelle ou du vrai siddhi
yoguique ? Ce n’en est pas plus un critère que l’habileté à bien danser ou à bien s’habiller. Tout
comme il y a des hommes très bons et généreux qui ont un comportement brusque et rude, il peut aussi
y avoir des hommes très spirituels (j’entends ici par hommes spirituels ceux qui ont une profonde
expérience spirituelle) qui n’ont aucune maîtrise sur la vie ou l’action physique (soit dit en passant,
c’est aussi le cas de beaucoup d’intellectuels) et qui ne se préoccupent aucunement de leurs manières.
Je suppose qu’on m’accuse moi-même de me conduire avec rudesse et arrogance parce que je refuse
de voir les gens, que je ne réponds pas aux lettres, et pour une foule d’autres fautes de conduite. J’ai
entendu parler d’un ermite célèbre qui jetait des pierres à quiconque s’approchait de sa retraite parce
qu’il ne voulait pas de disciples et ne trouvait pas d’autre moyen de détourner le flot des candidats.
Personnellement tout au moins, j’hésiterais à déclarer que ces gens-là n’ont pas de vie ou
d’expérience spirituelles. Je préfère évidemment que les sâdhaks se témoignent mutuellement une
certaine considération, mais ce la est pour la règle de vie et d’harmonie collectives, ce n’est pas
comme siddhi du yoga ni comme signe indispensable de l’expérience intérieure. (II, 211 sq.)

458. – Mais je vous ai déjà dit que les querelles, les ruptures, ne font pas partie de la sâdhanâ.
Les conflits et la friction dont vous parlez sont, tout comme dans le monde extérieur, des frottements
de l’ego vital. Les antagonismes, les antipathies, les animosités, les querelles ne peuvent pas plus
être proclamées parties de la sâdhanâ que les impulsions sexuelles ou les actes sexuels. L’harmonie,
la bonne volonté, la patience, l’équanimité, sont 221
des idéals nécessaires dans les rapports entre
sâdhaks. On n’est pas obligé de se mêler aux autres, mais si l’on s’isole, ce doit être pour des
raisons de sâdhanâ et non pour d’autres motifs ; en outre, cela doit être sans aucun sentiment de
supériorité ou de mépris pour les autres… Si quelqu’un trouve qu’une association avec un autre, pour
quelque raison que ce soit, fait surgir en lui des sentiments vitaux indésirables, il (ou elle) peut
certainement se retirer de cette association pour des raisons de prudence jusqu’à ce qu’il (ou elle)
triomphe de cette faiblesse. Mais cette nécessité ne comporte pas qu’on évite l’autre ostensiblement
ou qu’en public on feigne de ne pas le voir ; cela trahit des sentiments qui doivent aussi être
surmontés. (II, 189 sq.)

459. – Votre surprise à la manière dont s’est conduit X montre que vous ne savez pas encore de
quel genre est la nature humaine moyenne. N’avez-vous jamais entendu rapporter la réponse de
Vidyâsâgar lorsqu’on lui raconta qu’un certain homme disait du mal de lui ? « Pourquoi dit-il du mal
de moi ? Je ne lui ai jamais rendu service (upakâr) ? » Le vital non régénéré n’est pas reconnaissant
d’un bienfait, il est mécontent de se sentir obligé. Tant que le bienfait continue, il est plein d’effusion
et dit des douceurs, mais dès qu’il n’attend rien de plus, il se retourne et mord la main qui le
nourrissait. Parfois même il le fait plus tôt lorsqu’il croit qu’il peut le faire sans que le bienfaiteur
sache l’origine de la médisance, de la critique ou de l’injure. Dans tout ce qui vous est arrivé il n’y a
rien d’inusité, rien qui soit, comme vous le pensez, particulier à vous. La plupart des gens ont ce
genre d’expérience et peu y échappent complètement. Naturellement, les gens qui ont un élément
psychique développé sont reconnaissants par nature et ne se conduisent pas de la sorte. (II, 318 sq.)

460. – Ces mouvement font partie de la nature vitale ignorante de l’homme. L’amour que les
êtres humains éprouvent l’un pour l’autre est aussi, d’habitude, un amour vital égoïste, et ces autres
mouvements tels que revendications, exigences, jalousies, abhimâna, colère, etc. constituent son
cortège habituel. Il n’y a pas place pour eux dans le yoga, ni dans l’amour vrai, psychique ou divin.
Dans le yoga, tout l’amour devrait être tourné vers le Divin, et vers les humains et les autres êtres
seulement en tant que réceptacles du Divin ; l’abhimâna, et tout ce qui s’ensuit ne devrait y avoir
aucune place. (III, 448 sq.)

461. – Il n’est pas recommandé de couper court complètement à toute association avec les
autres. Vous devez demeurer dans la conscience supérieure même lorsque vous vous trouvez avec des
gens. (III, 217)
222
*

462. – Lorsqu’on vit dans le monde on ne peut pas faire comme dans un âshram ; on doit se
mêler aux autres et conserver, extérieurement tout au moins, des rapports ordinaires avec autrui. Ce
qui est important, c’est de maintenir la conscience intérieure ouverte au Divin et croître en elle. Au
fur et à mesure qu’on le fait, et plus ou moins rapidement selon l’intensité intérieure de la sâdhanâ,
l’attitude envers les autres change. Tout sera vu de plus en plus dans le Divin, et les sentiments, les
actions etc. seront de plus en plus déterminés non seulement par les anciennes réactions externes,
mais par la conscience croissante en vous. (II, 376)

463. – La solitude intérieure ne peut être guérie que par l’expérience intérieure de l’union avec
le Divin ; aucune association humaine ne peut combler ce vide. De même pour la vie spirituelle :
l’harmonie avec les autres doit reposer, non sur des affinités mentales ou vitales, mais sur la
conscience divine et l’union avec le Divin. Lorsqu’on sent le Divin et qu’on sent les autres dans le
Divin, alors commence la réelle harmonie. En attendant, ce qu’il peut y avoir, c’est la bonne volonté
et l’unité reposant sur le sentiment d’un but divin commun et sur la sensation que nous sommes tous
des enfants de la Mère… La réelle harmonie ne peut venir que d’une base psychique ou spirituelle.
(II, 186 sq.)
464. – Vous semblez ne pas avoir compris le principe de notre yoga. L’ancien yoga exigeait un
renoncement complet qui allait même jusqu’à l’abandon de la vie dans le monde. Notre yoga au
contraire vise à une vie nouvelle et transformée, mais il insiste tout aussi inexorablement sur un
complet rejet du désir et de l’attachement dans le mental, la vie et le corps. Son but est de refondre la
vie dans la vérité de l’esprit, et pour cela de transférer les racines de tout ce que nous sommes et
faisons du mental, de la vie et du corps en une conscience plus grande au-dessus du mental. Cela
signifie que dans la vie nouvelle tous les rapports doivent être fondés sur une intimité spirituelle et
une vérité tout autre qu’aucune de celles qui soutiennent nos rapports actuels. Quand vient l’appel
plus haut, il faut être prêt à renoncer à ce que l’on appelle les affections naturelles. Même si elles
sont conservées, ce ne peut être qu’avec un changement qui les transforme complètement. Mais, que
l’on doive y renoncer ou les garder en les changeant, cela ne dépend pas du désir personnel mais de
la vérité au-dessus. Il faut tout abandonner au Maître suprême du yoga.
Le pouvoir à l’œuvre dans notre yoga a un caractère exhaustif et ne tolère finalement rien de
grand ni de petit qui fasse obstacle à la Vérité et à sa réalisation. (II, 185 sq.)

465. – C’est ce que l’on entend par contact, et c’est ainsi qu’il vient. Quant au fait de ne pas
l’avoir toujours, c’est parce qu’il y a des parties 223
de l’être qui sont encore inconscientes ou que peut-
être surviennent des états d’inconscience. Par exemple, les gens s’écrivent des lettres, mais ils sont
tout à fait inconscients de ce qu’en ce faisant ils échangent des forces. Vous en êtes devenu conscient
à cause du développement par le yoga de votre conscience intérieure ; cependant il y aura
vraisemblablement des moments où vous écrirez encore avec votre conscience extérieure seulement
et alors vous ne verrez que les mots sans être conscient de ce qu’il y a derrière. Grâce au
développement de la conscience intérieure vous êtes ainsi en mesure de comprendre ce que
représentent les contacts et d’avoir le contact vrai, mais par moments la conscience externe peut être
plus forte que la conscience interne et, tant que cela dure, vous n’êtes plus capable d’obtenir le
contact. (III, 313 sq.)

466. – On ne peut pas dire que ces affinités sont bonnes ou mauvaises d’une façon générale.
Elles dépendent de la personne, des effets et de bien d’autres choses. Comme règle générale, toutes
ces affinités doivent être abandonnées au Divin en même temps que le reste de l’ancienne nature, de
sorte que seul ce qui est en harmonie avec la Vérité divine puisse être gardé et transformé pour le
travail qu’Elle doit effectuer en vous. Toutes relations avec les autres doivent être des relations dans
le Divin et non pas garder leur ancien caractère personnel. (III, 449)

467. – Une relation personnelle se crée lorsque chacun des deux ne regarde que l’autre. Dans
notre yoga, il faut appliquer à ces relations personnelles la règle suivant : (1) Toutes relations
personnelles doivent disparaître dans la relation unique entre le sâdhak et le Divin ; (2) Toutes
relations personnelles (psychiques-spirituelles) doivent prendre leur point de départ en la Mère
divine, doivent être déterminées par elle et faire partie de l’unique relation entretenue avec la Mère
divine. La relation personnelle peut exister dans la mesure où elle se conforme à cette double règle et
n’admet aucun relâchement physique, déformation ou mélange vital.
Or, comme le Supramental n’a pas encore pris possession, mais ne fait que descendre, et que la
lutte se prolonge encore sur les plans vital et physique, il faut exercer une grande prudence, qui ne
serait pas nécessaire si la transformation supramentale était déjà accomplie. (III, 449 sq.)

468. – Pour ce qui est de tout diriger vers le Divin, c’est là un conseil de perfection pour ceux
qui n’aiment pas emporter de bagages. Mais autrement l’amitié entre homme et homme, ou entre
homme et femme, ou entre femme et femme, n’est pas interdite, pourvu que ce soit la chose vraie et
que le sexe n’intervienne pas, et aussi pourvu qu’elle ne détourne pas du but. Si le but central est fort,
cela suffit… Quand j’ai parlé de rapport personnel,
224
je n’entendais certainement pas la pure
indifférence, car l’indifférence ne crée pas un rapport, elle tend à supprimer tout rapport. L’amitié
émotive n’est pas nécessairement un obstacle. (II, 191)
469. – En général, la seule méthode pour réussir à obtenir entre un homme et une femme les
relations yoguiques naturelles et libres qui devraient exister entre un sâdhak et une sâdhikâ de notre
yoga est de pouvoir se rencontrer sans songer du tout que l’un est un homme et l’autre une femme ;
tous deux ne sont qu’êtres humains, sâdhaks tous deux, s’efforçant tous deux de servir le Divin,
recherchant le Divin seul et rien d’autre. Soyez pleinement conscient de cela en vous-même et aucune
difficulté ne risque de se présenter. (III, 450)

470. – Il y a beaucoup de femmes qui peuvent aimer avec le mental, le psychique, le vital (le
cœur), mais qui reculent devant un contact corporel et pour qui, même lorsque cela n’est plus le cas,
l’acte physique inspire une répulsion. Elles peuvent céder sous une certaine pression, mais cela ne
les réconcilie pas avec l’acte, qui leur semble toujours animal et dégradant. Les femmes le savent,
mais les hommes trouvent difficile de le croire ; et pourtant c’est parfaitement vrai.
« Anormal » est un mot que vous pouvez appliquer à tout ce qui n’est pas absolument ordinaire
et banal. Dans ce sens, le génie est anormal et aussi la spiritualité, et aussi la tentative pour se guider
par des idéals élevés. La tendance à la chasteté physique chez les femmes n’est pas anormale, elle est
assez commune et elle comprend un type féminin très élevé.
Le mental est le siège de la pensée et de la perception, le cœur est le siège de l’amour, le vital,
du désir. Mais comment cela empêcherait-il l’existence d’un amour mental ? Tout comme le mental
peut être envahi par les sentiments de l’émotif ou du vital, de même le cœur peut être dominé par le
mental et mû par des forces mentales.
Il y a un amour vital, un amour physique. Il est possible au vital de désirer une femme pour
diverses raisons vitales sans amour : afin de satisfaire l’instinct de domination ou de possession, afin
d’absorber les forces vitales d’une femme, afin d’échanger des forces vitales, de satisfaire sa vanité,
par instinct du chasseur pour la chasse, etc., etc., cela en se plaçant au point de vue de l’homme, mais
la femme aussi a ses mobiles vitaux. On appelle souvent cela de l’amour, mais ce n’est qu’un désir
vital, une sorte de luxure. Si cependant une émotion du cœur s’éveille, cela devient un amour vital,
quelque chose de mêlé avec ces mobiles vitaux ou quelques-uns d’entre eux, forts, mais de l’amour
vital néanmoins.
Il peut aussi y avoir un amour physique, l’attraction de la beauté, le sex-appeal physique, ou
n’importe quoi de ce genre qui éveille une émotion du cœur. Si cela ne se produit pas, le besoin
physique est tout et c’est de la pure luxure, rien d’autre. Mais l’amour physique est possible.
De la même manière il peut y avoir un amour mental. Il provient de la tentative faite pour
chercher son idéal chez quelqu’un d’autre ou de quelque forte passion mentale d’admiration ou
225
d’étonnement ou de ce que le mental cherche un camarade, un complément qui achève notre propre
nature, un sahadharmi, 8 un guide, une aide, un chef et un maître, ou pour cent autres mobiles mentaux.
En soi, cela ne représente pas de l’amour, bien que souvent ce soit tellement ardent qu’on ne puisse
guère l’en distinguer et que cela puisse même pousser à sacrifier sa vie ou se donner totalement, etc.,
etc. Mais lorsque cela éveille une émotion du cœur, cela peut conduire à un amour très puissant qui
reste néanmoins mental dans sa racine et son caractère dominant. En général toutefois ce sont le
mental et le vital qui se combinent, mais cette combinaison peut exister en même temps qu’une
antipathie ou une véritable répulsion pour l’acte physique et ce qui l’accompagne. Sans doute, si
l’homme insiste, la femme a des chances de céder, mais c’est à contre-cœur, comme on dit, à
l’encontre de ses sentiments et de leurs instincts les plus profonds.
C’est une psychologie bien ignorante que celle qui ramène toute chose au mobile sexuel et à
l’impulsion sexuelle. (II, 328 sqq.)

471. – Dans le yoga, l’amitié peut subsister, mais l’attachement doit tomber, ainsi que toute
affection absorbante qui nous lierait à la vie et à la conscience ordinaires. (II, 191)

472. – L’amitié et l’affection ne sont pas exclues du yoga. L’amitié avec le Divin est un rapport
reconnu dans la sâdhanâ. Les amitiés entre sâdhaks existent et sont encouragées par la Mère [de
l’âshram]. Seulement nous cherchons à les fonder sur une base plus sûre que celle sur laquelle
s’appuie, sans sécurité, la masse des amitiés humaines. C’est précisément parce que nous
considérons l’amitié, la fraternité, l’amour comme des choses sacrées que nous voulons cette
transformation, parce que nous ne voulons pas les voir brisés à tout moment par les mouvements de
l’ego, salis et gâtés et détruits par les passions, les jalousies, les traîtrises auxquelles le vital est
enclin. C’est parce que nous voulons les rendre véritablement sacrés et sûrs que nous voulons qu’ils
aient leur racine dans l’âme, qu’ils soient fondés sur le rocher du Divin. Notre yoga n’est pas un yoga
ascétique ; il vise à la pureté mais non à une austérité froide. Amitié et amour sont des notes
indispensables dans l’harmonie à laquelle nous aspirons. Ce n’est pas un vain rêve, car nous avons
vu que, même dans des conditions imparfaites, quand il y a à la racine un peu de l’élément
indispensable, la chose est possible. C’est difficile, et les vieux obstacles se raccrochent
obstinément ? Mais aucune victoire ne saurait être gagnée sans une fidélité stricte au but et un long
effort. Il n’y a pas d’autre moyen que de persévérer. (II, 190 sq.)

226
473. – Il est certainement plus facile d’avoir une amitié entre homme et homme ou entre femme
et femme qu’entre homme et femme, parce que l’intrusion sexuelle en est normalement absente. Dans
une amitié entre homme et femme, l’aspect sexuel peut se glisser à tout moment de façon subtile ou
directe et amener des perturbations. Mais il n’est pas impossible d’avoir entre homme et femme une
amitié libre de cet élément ; de telles amitiés peuvent exister et ont toujours existé. Tout ce qu’il faut,
c’est que le vital inférieur ne jette pas un coup d’œil par la porte de derrière et ne soit pas admis.
Entre une nature masculine et une nature féminine, il y a souvent une harmonie, une attraction ou une
affinité qui repose sur autre chose qu’une base vitale inférieure (sexuelle) ouverte ou cachée.
Quelquefois cela dépend pour sa substance surtout du mental ou du psychique ou du vital supérieur,
parfois aussi d’un mélange des trois. Dans de tels cas, l’amitié est naturelle et il n’y a guère de
danger que d’autres éléments y pénètrent pour la rabaisser ou la briser.
C’est aussi une erreur de penser que le vital seul a de la chaleur et que le psychique est quelque
chose de frigide, où ne brûle aucune flamme. Une sympathie claire et limpide est chose fort bonne et
souhaitable, mais ce n’est pas cela qu’on entend par amour psychique. L’amour, c’est l’amour, et ce
n’est pas simplement de la sympathie. L’amour psychique peut avoir une flamme et une chaleur aussi
intenses et plus intenses que l’amour vital, seulement c’est un feu pur, qui ne dépend pas de la
satisfaction du désir témoigné par l’ego, ni de la consommation du combustible qu’il enveloppe.
C’est une flamme blanche et non rouge, mais la chaleur blanche ne le cède pas en ardeur à la variété
rouge. Il est vrai qu’en général l’amour psychique n’a pas libre jeu dans les rapports humains et la
nature humaine ; il trouve plus facilement la plénitude de son feu et de son extase lorsqu’il est élevé
vers le Divin. Dans les rapports humains, il se mêle à d’autres éléments qui cherchent aussitôt à
l’utiliser et à le mettre dans leur ombre. Ce n’est qu’à de rares instants qu’il trouve un débouché pour
les pleines intensités qui lui sont propres. Autrement, il n’intervient que comme un élément, mais
même comme tel, il fournit toutes les choses supérieures dans un amour fondamentalement vital.
Toutes les douceurs et tendresses plus subtiles, la fidélité, le don de soi, le sacrifice, la recherche des
contacts d’âme à âme, les sublimations idéalisantes qui élèvent l’amour humain au-delà de lui-même,
tout cela vient du psychique. S’il pouvait dominer, gouverner, transmuer les autres éléments –
mentaux, vitaux, physiques – de l’amour humain, l’amour pourrait être sur terre un reflet ou une
préparation de la chose vraie, une union intégrale de l’âme et de ses intruments dans une vie duelle.
Mais il est rare d’en trouver même une apparence imparfaite.
Notre point de vue est que normalement, dans le yoga, toute la flamme entière de la nature doit
être tournée vers le Divin et que le reste doit attendre la vraie base. Il n’est pas prudent de bâtir des
choses supérieures sur le sable et la boue de la conscience ordinaire. Cela n’exclut pas
nécessairement amitiés et camaraderies, mais elles doivent être complètement subordonnées au feu
central. Si pendant ce temps l’on fait du Divin le seul but qui nous absorbe, c’est tout à fait naturel et
cela donne pleine force à la sâdhanâ. L’amour psychique se trouve lui-même complètement quand il
227
est la radiation de la conscience plus divine que nous cherchons ; jusqu’alors, il lui est difficile de
faire apparaître son être et sa silhouette intégralement sans qu’ils soient estompés. (I, 196 sq.)
474.– Dans l’expérience mentale, la bienveillance et la sympathie doivent être distinguées de
l’amour, mais il me semble qu’au-delà du mental diviseur, là où commence le vrai sens de l’unité,
bienveillance et sympathie deviennent, à une plus haute intensité de leur mouvement, des valeurs
caractéristiques de l’amour. La bienveillance devient une obligation intense imposée par l’amour, de
toujours chercher le bien de l’être aimé ; la sympathie devient le sentiment qui, par amour, nous fait
contenir tous les mouvements de l’aimé et tout ce qui le concerne, nous y fait prendre part et nous fait
les accueillir comme une partie de notre propre existence. (I, 201 sq.)

475. – Naturellement, l’être intérieur qui se tourne vers le Divin se retire des anciennes
relations vitales et des mouvements et contacts extérieurs jusqu’au moment où il peut apporter une
nouvelle conscience dans l’être externe. (III, 448)

476. – Cela ne sert à rien d’écouter ce que les gens disent ou de suivre leurs suggestions. Il faut
apprendre à ne se laisser influencer ni par l’un ni par l’autre. Dans ces cas, une certaine samatâ est
nécessaire pour acquérir le ferme équilibre. La seule chose qui importe est la réalisation du Divin.
(II, 272)

477. – La nécessité première pour le sâdhak, c’est de se concentrer surtout sur sa croissance et
son expérience spirituelles ; être désireux d’aider les autres détourne du travail intérieur. Croître
dans l’esprit est la plus grande aide qu’on puisse donner à autrui, car alors il s’écoule naturellement
quelque chose qui aide ceux qui nous entourent. (II, 370)

478. – Désirer fermement et ardemment, à la fois dans sa tête et dans son cœur, le bien-être d’un
autre, est la meilleure aide qu’on puisse lui donner. (III, 488)

479. – Après tout, la meilleure façon de faire progresser l’humanité est d’avancer soi-même.
Cela peut paraître individualiste ou bien égoïste, mais cela ne l’est pas. C’est tout simplement du bon
sens. Comme le dit la Gîtâ, « ce que font les meilleurs est pris pour modèle par les autres ». (II, 50)
228
*

480. – En général il n’est pas bon de communiquer ses expériences aux autres. Cela affaiblit
l’expérience et tend à faire redescendre la conscience. (III, 443)

481. – Il n’est pas bon de trop parler de sa sâdhanâ et de ses expériences. Il peut y avoir des
exceptions à cette règle, mais cela dépend de la personne et des circonstances. (III, 444)

482. – Je croyais qu’il était entendu que vous deviez garder pour vous ce que je vous écrivais
sur d’autres. On ne devrait pas parler de ses propres expériences, ni faire qu’elles – ou celles des
autres pour autant qu’on en ait eu connaissance – deviennent un sujet de commérage. On ne peut en
parler que si un profit spirituel peut en résulter pour les autres, et même alors seulement s’il s’agit
d’expériences passées. Autrement, cela devient comme des nouvelles d’Abyssinie ou d’Espagne,
quelque chose de commun et de trivial que le mental de la masse peut ressasser ou dont il peut se
gargariser. (III, 444)

483. – Discipliner ses subordonnés doit être fait dans le bon esprit, et les subordonnés doivent
être en mesure de le sentir, c’est-à-dire qu’ils sont traités avec une parfaite équité et par quelqu’un
qui a de la sympathie et de la compréhension, et pas seulement de la sévérité et de l’énergie. C’est
une question de tact vital ; il faut un vital puissant et vaste qui trouve toujours la meilleure façon de
traiter les autres. (III, 465 sq.)

484. – La photographie n’est qu’un véhicule, mais si vous avez la conscience qu’il faut, vous
pouvez mettre en elle quelque chose de l’être vivant ou prendre conscience de l’être qu’elle
représente et en faire un moyen de contact. C’est comme le prâna pratishthâ 9 de l’image dans le
temple. (III, 448 sq.)

229
L. – Études, activités littéraires et artistiques

485. – La lecture et l’étude ne nous servent qu’à être mieux informés et à étendre les données de
notre connaissance. Mais cela ne signifie rien si l’on ne sait pas discerner et distinguer, juger, voir ce
qu’il y a au fond des choses et derrière elles. (III, 93)

486. – Dans notre yoga, le dhyâna 10 et le travail sont tous deux utiles à ceux qui peuvent faire
les deux. La lecture peut aussi être rendue utile. (III, 456)

487. – C’est un mouvement tout à fait normal. En lisant ces livres, vous entrez en contact avec la
Force qui est derrière eux, et c’est ce qui vous pousse à la méditation et à une expérience
correspondante. (III, 92)

488. – C’est selon la nature de ce qui est lu que la lecture est utile ou non à la croissance de
l’être. On ne peut établir aucune règle générale. On ne peut pas dire qu’il faudrait ou ne faudrait pas
lire, lire de la poésie ou du théâtre – cela dépend du poème et de la pièce – et il en est de même pour
le reste. (III. 92)

489. – Pour qui veut pratiquer la sâdhanâ, celle-ci doit passer avant tout ; lecture et
développement mental ne peuvent avoir qu’un caractère subsidiaire. (III, 89)

490. – L’étude n’a d’importance que si vous étudiez de la bonne façon, en recherchant la
connaissance et la discipline mentale. (III, 93)

491. – On n’apprend pas l’anglais ou le français pour que cela nous aide dans notre sâdhanâ ;
on le fait pour développer son mental, comme une partie de l’activité assignée à l’individu. À cette
fin, apprendre le français vaut autant qu’apprendre l’anglais et même davantage si on le fait
convenablement et si l’on possède les facultés nécessaires. Il n’y a pas, non plus, de raison pour se
limiter à l’étude d’une seule langue. (III, 95) 230
*

492. Votre objection avait trait à l’étude des langues – et en particulier du français – comme
incompatible avec la paix et le silence parce qu’impliquant activité. Lorsqu’il n’est pas en méditation
ou dans un silence complet, le mental est toujours actif pour une chose ou une autre : ses propres
idées ou désirs, d’autres personnes ou choses, conversation, etc. Rien de cela n’est moins inactif que
l’étude des langues. Maintenant vous changez de terrain et vous répliquez que si vous y trouvez à
redire, c’est parce que ces études ne laissent pas de temps pour méditer. Ceci est absurde, car ceux
qui veulent méditer organisent leur programme d’études en conséquence ; ceux qui ne veulent pas
méditer doivent avoir pour cela une autre raison que l’étude, et s’ils n’étudient pas ils continueront
tout simplement à occuper leur pensée de choses sans importance. Le manque de temps n’est pas la
cause de ce qu’ils ne méditent pas, et la passion de l’étude n’en est pas la cause non plus. (III, 91)
493. – Je ne crois pas que vous devriez cesser de lire tant que le mental ne cesse pas de lui-
même de se passionner pour la lecture ; c’est ce qui se produit lorsqu’un ordre supérieur de
conscience et d’expérience prend naissance en l’être. Il n’est pas bon non plus de trop vous forcer à
ne faire que de la peinture. Une pareille contrainte exercée sur le mental et le vital tend en général,
soit à échouer et à les rendre plus agités, soit à créer une espèce de torpeur et d’inertie. (III, 466)

494. – Tout dépend du but de la vie. Pour celui de qui le but est de découvrir et posséder la
vérité spirituelle suprême et la vie divine, je ne crois pas qu’un poste dans une université puisse
compter pour grand-chose, et je ne vois pas qu’il y ait entre les deux aucun rapport pratique. Il pourra
en être autrement si l’on a pour but la vie d’écrivain et de penseur sur le seul niveau intellectuel, sans
aucune envolée plus haute ni recherche plus profonde. Je ne vois pas que votre répugnance à vous
engager dans cette sorte de travail résulte d’une faiblesse quelconque. C’est plutôt qu’une faible
partie de votre nature – et pas la partie la plus profonde ni la plus forte – serait seule à se contenter
de ce travail ou de l’atmosphère dans laquelle il devrait se faire.
En cette matière, ce n’est pas le mental pensant, mais l’être vital (la force de vie et la nature de
désir, en tout cas en partie) qui détermine généralement l’action et le choix des hommes – quand ce
n’est pas quelque nécessité ou pression extérieure qui oblige à la décision ou exerce l’influence
prépondérante. Le mental n’est qu’un agent interprétateur, justificateur, qui dresse des plans. Lorsque
vous vous êtes engagé dans la sâdhanâ, cette partie de votre être vital a subi une pression imposée
d’au-dessus et d’au-dedans qui a découragé son ancienne orientation de désirs et de tendances dans
de vieilles ornières, celles qui auparavant auraient déterminé sa direction ; comme cela en est
souvent le premier résultat, le vital est devenu silencieux et neutre. Il ne se sent plus fortement poussé
vers la vie ordinaire ; il n’a pas encore reçu du centre psychique ou de la volonté mentale supérieure,
ou à travers eux, une illumination et une impulsion suffisantes pour s’engager dans un nouveau
231
mouvement vital et pour s’élancer vigoureusement sur la route qui conduit à une vie nouvelle. C’est
la raison de l’apathie dont vous parlez et du caractère brumeux de l’avenir… (II, 308 sq.)
495. – Naturellement, la littérature et l’art sont, ou peuvent être, une première introduction à
l’être intérieur – le mental intérieur, le vital intérieur ; car c’est de là qu’ils viennent. Si l’on écrit des
poèmes de bhakti, des poèmes de recherche du divin, etc., ou si l’on compose de la musique de ce
genre, cela signifie qu’il y a à l’intérieur un bhakta ou un chercheur qui se soutient par ce mode
d’expression de lui-même. (II, 18)

496. – La conscience dont proviennent ces expériences est toujours présente et exerce une
pression pour les amener. Si elles ne viennent pas librement et ne durent pas, c’est à cause de
l’activité du mental et du vital qui sont toujours à courir de tous côtés, à penser ceci et à vouloir cela,
à chercher à accomplir des acrobaties d’alpiniste sur toutes les petites collines de la nature inférieure
au lieu de nourrir une aspiration forte et simple et de s’ouvrir à la conscience supérieure pour qu’elle
puisse entrer et faire son travail. Le rasa de la poésie, de la peinture ou du travail physique n’est pas
ce qu’il faut chercher. Ce qui donne de l’intérêt au yoga, c’est le rasa du Divin et de la conscience
divine, ce qui signifie le rasa de la paix, du silence, de la lumière et de la béatitude intérieures, de la
connaissance intérieure croissante, du pouvoir intérieur grandissant, de l’amour divin, de tous les
champs infinis d’expérience qui s’ouvrent à nous avec l’ouverture de la conscience intérieure. On
trouve le véritable rasa de la poésie, de la peinture et de toutes autres activités lorsque ces activités
font partie de l’action de la Force divine en nous, quand on les sent comme telles et qu’on y éprouve
la joie de cette action. (II, 134 sq.)

497. – Je vous ai toujours dit que vous ne deviez pas cesser votre poésie et vos autres activités
analogues. C’est une erreur de le faire par ascétisme ou avec l’idée du tapasya. On peut cesser ces
choses quand elles vous abandonnent d’elles-mêmes parce qu’on est plein d’expérience et qu’ainsi
on s’intéresse tellement à sa vie intérieure qu’on n’a plus d’énergie pour le reste. Et même alors il
n’y a pas de règle qui oblige à renoncer, car il n’y a aucune raison pour que la poésie, etc., ne fasse
pas partie de la sâdhanâ. L’amour des applaudissements, le désir de gloire, la réaction de l’ego
doivent être abandonnés, mais cela peut se faire sans renoncer à l’activité elle-même. Votre vital a
besoin de quelque activité (c’est le cas chez la plupart des gens) et si vous le privez de cette soupape
(soupape qui peut être utile et non nuisible), vous l’amenez à bouder, à être indifférent, découragé, ou
encore à vouloir se révolter à tout instant et à jeter l’éponge. Sans l’assentiment du vital, il est
difficile de faire de la sâdhanâ. Il fait de la non-coopération ou il surveille avec un mécontentement
amer (même s’il est silencieux), prêt à exprimer à tout moment le doute et la dénégation ; ou encore il
232
fait un effort furieux et puis retombe en disant : « Je n’ai rien obtenu. » De lui-même le mental ne peut
pas faire grand chose ; il lui faut le soutien du vital, et pour cela le vital doit être dans un état
d’acquiescement joyeux. Il a la joie de la création, et il n’y a rien de spirituellement faux dans
l’action créatrice. Pourquoi refuser à votre vital cette joie de manifestation ?
Je vous ai déjà suggéré que pour vous la meilleure voie était de pouvoir attendre la grâce divine
(non pas dans un esprit tamasique, mais avec une confiance sattvique). (II, 285 sq.)

498. – Je vous répète que nous n’avons pas d’objection à ce que vous écriviez, que ce soit de la
poésie, des nouvelles ou des romans. Notre impression était que cette espèce d’absorption et de
possession totales par votre travail n’était pas quelque chose de bon pour votre état spirituel, qu’elle
faisait passer au premier plan une chose de moindre importance, une chose qui occupait même, la
plupart du temps, tout ce premier plan de la conscience au lieu de se situer à la place qui lui revient
dans le cadre d’une saine harmonie spirituelle. (III, 468 sq.)

499. – La musique, la peinture, la poésie et beaucoup d’autres activités qui sont du domaine du
mental et du vital peuvent être utilisées comme faisant partie du développement spirituel ou du
travail, et cela pour une fin spirituelle ; cela dépend de l’esprit dans lequel on les fait. (II, 363)

500. – En ce qui concerne votre chant, je ne parlais pas de création nouvelle du point de vue
esthétique, mais de la transformation spirituelle. La forme qu’elle prendra dépendra de ce que vous
aurez trouvé en vous lorsque la base plus profonde sera établie.
Je ne vois pas la nécessité de renoncer complètement au chant ; ce que j’ai voulu dire (c’est la
conclusion logique de ce que je vous ai écrit, non pas maintenant seulement, mais auparavant aussi),
c’est uniquement que la transformation intérieure doit être la première considération et que le reste
doit en découler. Si le fait de chanter devant un public vous fait sortir de votre état intérieur, vous
devez remettre cela à plus tard et ne chanter que pour vous-même et pour le Divin jusqu’à ce que
vous soyez capable, même en faisant face à un public, d’oublier ce public. Si vous êtes troublée par
l’échec ou stimulée par le succès, il vous faut surmonter cela aussi. (III, 460 sq.)

501. – Ce que vous écrivez sur le chant est parfaitement exact. Vous chantez au mieux lorsque
vous vous oubliez et que vous laissez venir votre chant de l’intérieur sans penser à la nécessité de le
233
rendre parfait ou à l’impression qu’il peut faire. La cantatrice extérieure doit disparaître dans le
passé ; ainsi seulement la cantatrice intérieure pourra prendre sa place. (III, 461)

234
M. – Alimentation et sommeil

502. – La première chose que je dis aux gens lorsqu’ils veulent cesser de manger et de dormir,
c’est qu’on ne peut faire aucun yoga si on ne dort ou ne mange suffisamment. (Sur ce point voir la
Gîtâ.) Jeûner ou rester éveillé rend les nerfs morbides et excités, affaiblit le cerveau et conduit à des
visions fausses et à des fantaisies. La Gîtâ dit : le yoga n’est pas pour celui qui mange trop ou dort
trop ; il n’est pas non plus pour celui qui ne mange pas ou ne dort pas, mais c’est lorsqu’on mange et
dort de façon adéquate (yuktahari yuktanidrah) qu’on est dans le meilleur état. Il en est de même
pour tout le reste. Ne vous ai-je pas dit bien souvent qu’une retraite excessive m’est suspecte et que
de ne rien faire d’autre que méditer constitue une sâdhanâ boiteuse et par conséquent malsaine ? (II,
331)

503. – J’admets que l’ascétisme peut être exagéré. Il a sa place comme l’un des moyens (et non
le seul) d’acquérir la maîtrise de soi. Mais l’ascétisme qui tranche la vie est un excès, bien qu’il ait
produit beaucoup de résultats remarquables que l’on n’aurait peut-être guère pu obtenir autrement.
Dans ce monde-ci, le jeu des forces est énigmatique, il échappe à toute règle rigide de la raison, et
même une exagération comme celle-là est souvent utilisée pour produire un résultat nécessaire au
plein développement de l’accomplissement de la connaissance et de l’expérience chez l’homme. Ce
n’en reste pas moins une exagération et non pas, comme on le prétend, le sentier indispensable pour
atteindre le vrai but. (I, 273)

504. – De nouveau, lorsqu’il s’agit d’appliquer une vérité donnée, il est nécessaire de lui
donner sa signification précise. Il est tout à fait exact que « dans notre voie, l’attitude à prendre n’est
pas celle de la suppression violente, nigraha » ; il ne s’agit pas d’exercer une contrainte selon une
règle mentale ou un principe mental sur un être vital non convaincu. Mais cela ne veut pas dire non
plus que le vital doit suivre son propre chemin et n’en faire qu’à sa tête. Le meilleur moyen n’est pas
la contrainte, mais une transformation intérieure où le vital inférieur est conduit, éclairé, transformé
par une conscience supérieure détachée des objets du désir vital. Mais pour que cela se développe il
faut adopter une attitude qui attache toujours moins d’importance à la satisfaction des exigences du
vital inférieur et dans laquelle une certaine maîtrise, samyama, placée au-dessus du vacarme de ces
choses, situe des choses telles que la nourriture à la place qui leur revient. Le vital inférieur a sa
place, il ne faut ni le broyer ni le tuer, mais le transformer, « le saisir par les deux bouts », maîtrise et
contrôle par le bout supérieur, bon usage par le bout inférieur. Le principal est de se débarrasser de
l’attachement et du désir ; ce n’est qu’alors que devient
235
possible un usage totalement juste. Par quels
moyens effectifs, dans quel ordre, par quels procédés cette maîtrise du vital inférieur viendra, cela
dépend de la nature, de l’effort de développement, du mouvement présent dans le yoga.
Ce n’est pas de manger ou de ne pas manger quelque chose qui importe ; l’important est la façon
dont vous affecte cette question de nourriture – ou toute autre –, quel est votre état intérieur et
comment des complaisances envers soi-même telles que cuisiner et manger vous gênent ou ne vous
gênent pas dans votre chemin vers le progrès et votre transformation, quelle est pour vous la
meilleure discipline yoguique. (III, 365 sq.)

505. – Je suppose que vous êtes devenu conscient du principe de la faim dans le physique-vital.
En réalité, ce n’est ni en le satisfaisant ni en le niant énergiquement que vous le ferez partir ; c’est si
vous lui imposez la volonté de se transformer et si vous faites descendre en lui une conscience
supérieure qu’il pourra changer. (III, 419 sq.)

506. – Ne pas manger pour se débarrasser de l’avidité de nourriture, c’est la méthode ascétique.
La nôtre est l’équanimité et le non-attachement. (III, 418)

507. – Il faut renoncer à l’attachement à la bonne nourriture tout comme à l’attachement


personnel à la situation et à l’emploi ; mais pour cela il n’est pas indispensablement nécessaire de
suivre un régime ascétique ou de renoncer à tous les moyens d’action tels qu’argent et emploi. Il faut
que le yogin devienne nihsva en ce sens qu’il sente que rien ne lui appartient en propre, mais que tout
est Divin, et qu’il soit prêt à renoncer à tout pour le Divin, à n’importe quel moment. Mais rejeter
toutes choses sans raison impérieuse pour être nihsva extérieurement est dépourvu de sens. (III,
418 sq.)

508. – Trop de nourriture alourdit le corps et le rend matériel ; pas assez de nourriture l’affaiblit
et le rend nerveux. Il faut trouver l’harmonie et l’équilibre vrais entre les besoins du corps et la
nourriture absorbée. (III, 419)

509. – Cela dépend de ce que vous pouvez digérer. Si vous pouvez le digérer, il n’y a pas de
mal à manger davantage puisque vous avez faim. Toutes ces choses dépendent de ce que sont les vrais
236
besoins du corps, ils peuvent varier selon les cas, d’après la constitution du corps, la quantité de
travail fourni ou l’exercice physique que l’on prend. Il est possible que vous ayez par trop réduit la
quantité de nourriture que vous consommez ; vous pouvez donc essayer d’en prendre davantage. (III,
419)

510. – Il vaut mieux faire attention à ces questions de nourriture, etc., car le stade par lequel
votre sâdhanâ est en train de passer comprend une sensibilité considérable dans la partie physique-
vitale de l’être, qui peut facilement être dérangée par une fausse manœuvre ou un faux mouvement tel
qu’une alimentation trop abondante. (III, 420 sq.)

511. – Il est vrai qu’au fur et à mesure que l’on avance en âge, il peut être préférable de moins
manger. (III, 421)

512. – Il n’est pas bon de refouler ainsi la faim ; il en résulte très souvent des troubles. Je doute
que d’être sainement gras dépende de la quantité de nourriture absorbée. Il y a des gens qui mangent
bien et qui restent maigres tandis que d’autres ne s’accordent qu’un repas par jour et restent gros. En
se sous-alimentant (c’est-à-dire en absorbant moins que ce dont le corps a besoin) on peut devenir
émacié, mais on n’est pas en bonne santé. Les docteurs disent que cela dépend surtout du
fonctionnement de certaines glandes. Quoi qu’il en soit, ce qui importe pour l’instant, c’est que vous
retrouviez votre force nerveuse.
Quant au foie, manger peu ne l’aide pas, mais très souvent le rend paresseux, de sorte qu’il
fonctionne encore moins bien. Pour les crises de foie, il est recommandé d’éviter les nourritures
grasses, trop de sucreries – ce qui est aussi une façon de trop engraisser. Mais il n’est pas bon de ne
pas manger assez. Cela peut être nécessaire pour des maladies d’estomac ou d’intestins, mais pas
pour une maladie de foie courante. (III, 420)

513. – Je crois qu’on a exagéré l’importance de la nourriture sattvique du point de vue spirituel.
L’alimentation est plutôt une question d’hygiène, et beaucoup des sanctions et prohibitions
promulguées par les anciennes religions résultaient de considérations plus hygiéniques que
spirituelles. Les définitions de la Gîtâ semblent avoir la même orientation : les aliments tamasiques,
semble-t-elle dire, sont ce qui n’est pas frais, qui est pourri, qui a perdu ses vertus ; la nourriture
237
rajasique est ce qui est trop âcre, épicé, etc., qui échauffe le sang et gâte la santé ; la nourriture
sattvique est celle qui est agréable, saine, etc.
Il se peut fort bien que des genres différents d’aliments nourrissent l’action des différents gunas
et ainsi indirectement soient utiles ou nuisibles en dehors de leur action physique. Mais c’est là aussi
loin qu’on peut aller avec assurance. Quant à savoir quels aliments particuliers sont ou non
sattviques, c’est une autre question et il est plus difficile de se prononcer. Spirituellement, je dirai
que l’effet des aliments dépend davantage de l’atmosphère et des influences occultes qui les
accompagnent que de rien qui se trouve dans l’aliment lui-même. Le végétarisme est un tout autre
problème. Il repose, comme vous le dites, sur une volonté de ne pas faire de mal aux formes les plus
conscientes de la vie pour satisfaire son ventre.
Quant à la question de s’exercer à prendre toutes sortes d’aliments avec un égal rasa, cet
exercice n’est pas nécessaire et ne donne d’ailleurs pas le résultat voulu. Il faut acquérir l’égalité au-
dedans de soi dans la conscience et au fur et à mesure que croît cette égalité, on peut l’étendre ou
l’appliquer aux différents domaines d’activité de la conscience. (II, 330 sq.)

514. – Il n’y a rien de mal à prendre soin de son corps pour être en bonne santé, et si le foie ne
va pas, l’instinct qui pousse à refuser des nourritures trop lourdes, trop grasses ou trop sucrées est un
instinct juste… Pendant une crise de foie, il est souvent nécessaire de s’abstenir. Seulement il ne faut
pas, par des idées fausses, créer une incapacité nerveuse de l’estomac ou une dyspepsie nerveuse
chronique. (III, 405)

515. – Un jeûne prolongé peut conduire à une excitation de l’être nerveux, ce qui provoque des
hallucinations et imaginations frappantes que l’on prend pour des expériences véritables ; de tels
jeûnes sont fréquemment suggérés par les entités vitales parce qu’ils mettent la conscience dans un
état de déséquilibre qui favorise leurs desseins. C’est pourquoi nous conseillons de ne pas y avoir
recours. La règle à suivre est celle posée par la Gîtâ qui dit que le « yoga n’est ni pour celui qui
mange trop ni pour celui qui ne mange pas » donc un usage modéré de nourriture, assez pour
entretenir la santé et la force du corps.
Le jeûne n’est pas non plus permis dans l’âshram parce que dans l’effort spirituel l’usage s’en
est avéré plus souvent dangereux qu’utile. (III, 42 et 40)

516. – Dans notre yoga, les austérités physiques n’ont pas à être pratiquées pour elles-mêmes.
Le sommeil est nécessaire au corps au même titre238
que la nourriture. Il faut dormir suffisamment, mais
pas trop. La dose de sommeil dépend des besoins du corps. (III, 421)

517. – Si vous ne dormez pas suffisamment, le corps et l’enveloppe nerveuse s’affaibliront ; or


le corps et l’enveloppe nerveuse sont la base de la sâdhanâ. (III, 421)

518. – Ce doit être un manque de sommeil qui maintient votre système nerveux exposé à la
faiblesse ; c’est une grave erreur de ne pas dormir suffisamment. Sept heures représentent le minimum
dont on a besoin. Lorsqu’on possède un système nerveux très puissant, on peut le réduire à six,
parfois même à cinq heures, mais cela est rare et il ne faut pas s’y exercer sans nécessité. (III, 422)
519. – C’est un manque de sommeil qui provoque lui-même ces symptômes de malaise. En soi,
l’action de la sâdhanâ ne peut pas entraîner ce genre de réaction ; ces choses ne viennent que lorsque
le corps est épuisé par un manque de sommeil, une nourriture insuffisante, du surmenage ou une
surexcitation nerveuse. C’est probablement parce que les nerfs sont tendus pendant le jour et que
vous ne parvenez pas à vous détendre dans le repos qu’il vous est difficile de dormir. (III, 422)

520. – Vous ne devez pas vous empêcher de dormir la nuit ; si vous persistez à le faire, des
résultats fâcheux n’apparaîtront pas immédiatement, mais votre corps s’épuisera, il y aura une
prostration nerveuse qui risquera de détruire tout ce que vous avez obtenu par votre sâdhanâ.
Si vous voulez rester conscient pendant la nuit, entraînez-vous à rendre votre sommeil
conscient ; ne l’éliminez pas complètement, transformez-le. (III, 422 sq.)

521. – Il n’y a absolument pas de raison pour que l’intensité de la sâdhanâ entraîne un manque
de sommeil. (III, 423)

522. – Il est difficile pour la plupart des gens de garder leur conscience pendant la nuit ; c’est
parce que la nuit est l’heure du sommeil et de la détente et que le subconscient vient à la surface. La
vraie conscience vient, au début, à l’état de veille ou pendant la méditation ; elle s’empare du mental,
du vital, du physique conscient, mais le vital et le physique subconscients demeurent obscurs et cette
obscurité vient à la surface lorsqu’il y a sommeil ou inertie de détente. Lorsque le subconscient est
éclairé et imprégné de vraie conscience, cette différence disparaît. (III, 213 sq.)
239
*

523. – En général, ce n’est que lorsque la sâdhanâ est très active pendant le jour qu’elle s’étend
également au sommeil. (III, 423)
524. – Lorsqu’on est pleinement engagé dans la sâdhanâ, le sommeil en fait partie tout autant que
l’état de veille. (III, 423)

525. – Bien. Cela prouve que votre sâdhanâ est en train de devenir continue, que vous êtes
conscient et que vous employez une volonté consciente aussi bien dans le sommeil qu’à l’état de
veille. C’est un pas en avant très important dans la sâdhanâ. (III, 423 sq.)

526. – Lorsqu’on essaie de méditer, il y a une pression à aller vers l’intérieur, à perdre la
conscience de veille et à s’éveiller intérieurement en une conscience intérieure profonde. Mais au
début le mental prend cela pour une poussée au sommeil puisque le sommeil est la seule espèce de
conscience intérieure à laquelle il soit habitué. C’est pourquoi dans le yoga par la méditation le
sommeil est souvent la difficulté première, mais si l’on persévère le sommeil se change
progressivement en un état conscient intérieur. (II, 332)

527. – Une telle pression pour s’intérioriser se produit souvent (1) lorsque le corps a besoin de
sommeil, soit qu’il n’en ait pas eu assez, soit qu’on ne lui donne pas assez de repos, (2) lorsque le
corps veut récupérer après une maladie ou une grande fatigue. (III, 424)

528. – Non, ce n’est pas le sommeil. Mais lorsque la pression provoque une tendance à
l’intériorisation (samâdhi) l’être physique, n’étant pas habitué à rentrer à l’intérieur si ce n’est sous
la forme de sommeil, traduit cela en termes de somnolence. (III, 424)

529. – Ce sont certaines forces qui travaillent et certaines parties de la personnalité qui les
utilisent. Dans la conscience ordinaire, ces personnalités propres à chaque partie sont voilées et les
forces limitées par le mental extérieur, mais lorsqu’une d’entre elles passe derrière le voile cette
limitation disparaît, l’action des forces se développe et ce qui doit être fait se fait automatiquement.
240
Mais alors chacune de ces forces ne se soucie que du travail qu’il lui faut accomplir et de rien
d’autre ; dans ce cas par exemple, elles négligent les besoins de sommeil et de repos du corps, ce qui
est mauvais. La conscience centrale doit intervenir et dire : « Non, c’est le moment de dormir ;
gardez ces activités pour le moment et le lieu qui leur conviennent. » (III, 424 sq.)

530. – C’est l’agitation en vous qui vous empêche de rester endormi intérieurement et
extérieurement. Pour que l’on dorme bien, le vital, le physique et le mental doivent apprendre à se
détendre et à rester tranquilles. (III, 425)

531. – Des rêves de ce genre proviennent du subconscient. Un des éléments les plus gênants de
l’expérience yoguique est de découvrir combien le subconscient retient obstinément ce qui a été réglé
et achevé dans les couches supérieures de la conscience. Mais précisément pour cette raison ces
rêves sont très souvent des indications utiles, car ils nous permettent de poursuivre ces choses
jusqu’à leurs racines obscures dans ce monde inférieur et de les en extirper. Non, cela ne signifie pas
que dans une partie quelconque de votre conscience vous vous serviez de votre poursuite actuelle du
yoga pour boucher un trou, mais tout simplement que vos anciennes tendances et activités vitales sont
encore là, dans les limbes obscurs et mystérieux du subconscient et que leurs fantômes s’élèvent
jusqu’à la surface en émettant des sons inarticulés lorsque la volonté consciente n’est pas aux aguets.
Que le rêve ait été trivial semblerait prouver que ce spectre n’est pas un puissant démon à la manière
des revenants militants de la Saga norvégienne, mais plutôt de quelque Hadès dépourvu de substance.
(III, 425 sq.)

532. – Les rêves formés d’impressions subconscientes (du mental, du vital ou du physique
subconscients) assemblées au hasard ou bien n’ont aucune signification, ou bien ont une signification
difficile à trouver, et pas très utile à connaître en supposant même qu’on la trouve. D’autres rêves
sont tout simplement les événements des mondes mentaux, vitaux ou physiques subtils, ou bien ils
appartiennent aux plans mentaux, vitaux ou physiques subtils plus vastes ; ils ont une signification que
les images du rêve essayent de communiquer. (III, 426)

533. – Le mental physique (ou bien le subconscient) s’immisce presque toujours au rêve dont il
donne sa propre version. Ce n’est que lorsqu’il se produit une expérience claire sur le plan mental ou
vital qu’il n’essaye pas d’intervenir. (III, 426) 241
*

534. – Ce sont des rêves des plans supérieurs mentaux et vitaux où les choses arrivent avec un
autre rythme qu’ici et avec des forces plus libres ; mais quelques-uns sont des éléments formatifs de
choses et d’événements qui se produisent ici – non pas qu’ils s’accomplissent exactement comme des
prophéties, mais qu’ils créent les forces nécessaires à leur accomplissement. (III, 427)

1. Ce sont trois stades dans la réception de l’enseignement du gourou. En shravana. le disciple écoute ce que dit le gourou ; en
manana il y réfléchit et en nidhidhyâsana il médite sur l’enseignement reçu. (N.D.T.)
2. Dans le Râja-Yoga et le Hatha-Yoga postures et exercices de maîtrise de la respiration.
3. Dans l’Hindouisme on oppose l’attitude du chaton, qui se laisse passivement transporter par sa mère quand elle le prend dans
sa gueule, et l’attitude du petit singe, qui doit s’accrocher désespérément au dos de sa mère pour ne pas tomber. (N.D.T.)
4. Cf. note au § 338.
5. Jouissance, généralement entendu au sens de jouissance sensuelle. (N.D.T.)
6. Le guna rajasique.
7. Le deuxième des quatre stades (âshramas) dans la vie traditionnelle de l’hindou, celui où il doit fonder une famille et gagner sa
propre subsistance et celle de sa famille par le travail. (N.D.T.)
8. Compagnon dans l’accomplissement du dharma. (N.D.T.)
9. Prise de conscience d’une Présence puissante.
10. Pris au sens large de méditation. Cf. § 281.

242
243
V

OBSTACLES

244
A. – Les forces hostiles

535. – La difficulté est qu’en chacun de nous il y a, pour en dire le moins, deux individus : l’un
réside dans le vital et le physique extérieurs, s’accroche au Moi antérieur et essaye d’obtenir ou de
conserver le consentement du mental et de l’être intérieur, l’autre, qui est l’âme, demande une
nouvelle naissance. Ce qui a parlé en vous et qui a fait cette prière, c’est l’être psychique s’exprimant
avec l’aide du mental et du vital supérieur ; il devrait toujours s’élever en vous par la prière et, en se
tournant vers la Mère, vous donner l’idée juste et l’impulsion juste.
Il est vrai que si vous refusez toujours l’action suggérée par le vieil Adam, vous aurez fait un
grand pas en avant. La lutte se transposera sur le plan psychologique, où l’affaire sera réglée
beaucoup plus facilement. Je ne nie pas que pendant quelque temps ce sera difficile ; mais s’il y a
contrôle de l’action, le contrôle de la pensée et du sentiment suivra forcément. Si au contraire vous
cédez, le vieux moi en aura un regain de vie. (III, 279 sq.)

536. – Ce que vous dites du « double mauvais » m’intéresse grandement parce que cela répond
à mon expérience uniforme qu’une personne très douée pour le travail a toujours ou presque toujours
(peut-être en cette matière ne faut-il pas être trop absolu) un être qui lui est attaché, qui apparaît
parfois comme une partie de lui, et qui est exactement le contraire de la chose qu’il représente
centralement dans le travail à faire. Ou bien, si cet être n’est pas là au début, s’il n’est pas lié à sa
personnalité, une force de cette espèce entre dans son entourage dès que commence son mouvement
de réalisation. Cet être semble avoir pour but de s’opposer, de lui créer des embûches et de
mauvaises conditions, en un mot, de placer devant lui tout le problème du travail qu’il a entrepris. Il
semblerait même que dans l’économie occulte des choses le problème ne puisse se résoudre
autrement que par l’instrument prédestiné qui fera sienne la difficulté. Cela expliquerait bien des
choses qui semblent si déconcertantes au premier abord. (III, 286 sq.)

537. – Il est impossible de traiter des choses pour les fins du yoga si l’on se borne uniquement à
la conscience de surface ; il est également parfaitement conforme à la règle de ces réactions que votre
découragement se soit produit immédiatement après un progrès considérable dans la bhakti et dans la
volonté de don de soi dans l’être intérieur, car cela vient de l’esprit de ténèbres, qui attaque le
sâdhak toutes les fois qu’il le peut, et cet esprit s’irrite férocement de tout progrès fait ; il considère
avec haine l’idée même du progrès, et toute sa politique est de convaincre le sâdhak par ses attaques
et ses suggestions qu’il n’a pas fait de progrès, ou que le progrès fait est après tout nul et non
concluant. (II, 295) 245
*

538. – Ignorance signifie avidyâ, la conscience séparatrice et le mental et la vie égoïstes qui en
découlent et tout ce qui est naturel à la conscience séparatrice et au mental et à la vie égoïstes. Cette
ignorance est le résultat d’un mouvement par lequel l’intelligence cosmique s’est séparée de la
lumière du Supramental (la gnose divine) et a perdu la Vérité (vérité d’être, vérité de conscience
divine, vérité de force et d’action, vérité d’ânanda). Par suite, au lieu d’un monde de vérité intégrale
et d’harmonie divine créé dans la lumière de la gnose divine, nous avons un monde fondé sur les
vérités partielles d’une intelligence cosmique inférieure dans laquelle tout est mi-vérité, mi-erreur.
C’est cela que certains des anciens penseurs, comme Shankara, qui ne percevaient pas la plus grande
force de vérité qui est par derrière, ont stigmatisé comme Mâyâ et ont cru être le plus haut pouvoir
créateur du Divin. Dans la conscience de cette création, tout est soit limité, soit perverti, par la
séparation d’avec la lumière intégrale ; même la vérité qui y est perçue n’est qu’une demi-
connaissance. C’est pourquoi on l’appelle l’ignorance.
La fausseté au contraire n’est pas cette avidyâ, mais en est un résultat extrême. Elle est créée par
un pouvoir asurique qui intervient dans cette création et qui est non seulement séparé de la vérité, et
par conséquent limité en connaissance et ouvert à l’erreur, mais en révolte contre la vérité ou
accoutumé à ne saisir la vérité que pour la pervertir. Ce pouvoir, la Shakti asurique ténébreuse ou
Mâyâ râkshasique, met en avant sa propre conscience pervertie comme connaissance véritable, et ses
distorsions ou inversions volontaires de la vérité comme vérité des choses. Ce sont les pouvoirs et
personnalités de cette conscience pervertie et pervertissante que nous appelons des êtres hostiles, des
forces hostiles. Toutes les fois que ces perversions créées par eux avec la matière de l’ignorance sont
mises en avant comme vérité des choses, c’est la fausseté au sens yoguique, mithyâ 1, moha. (II,
137 sq.)

539. – Ce sont les forces et les êtres qui ont intérêt à maintenir les faussetés qu’ils ont créées
dans le monde de l’ignorance, et à les mettre en avant comme la vérité que doivent suivre les
hommes. Dans l’Inde, on les appelle asuras, râkshasas, pishâchas (qui sont respectivement des êtres
du plan vital mentalisé, du plan vital moyen et du vital inférieur) et ils s’opposent aux Dieux, aux
pouvoirs de lumière. Ce sont aussi des pouvoirs, car eux aussi ont leur domaine cosmique dans
lequel ils exercent leur fonction et leur autorité, et certains d’entre eux furent jadis des pouvoirs
divins (les anciens Dieux, pûrve devah, comme on les appelle quelque part dans le Mahâbhârata) qui
sont tombés vers les ténèbres en se révoltant contre la volonté divine qui est derrière le cosmos. Le
terme « apparences » se réfère aux formes qu’ils prennent pour dominer le monde, formes souvent
fausses et incarnant toujours la fausseté, quelquefois pseudo-divines. (II, 138 sq.)

246
540. – Profitant de ce que vous n’étiez pas sur vos gardes, les forces hostiles ont poussé leur
offensive jusqu’à l’intérieur. Elles ont toujours l’œil ouvert pour saisir les occasions et il faut, chez
le sâdhak, une surveillance suffisante pour ne pas leur en offrir. (III, 335)

541. – Ce but qui vous a été suggéré semble faire partie d’une recherche de pouvoirs occultes.
Une telle recherche est mal vue de la plupart des maîtres spirituels dans l’Inde parce qu’elle
appartient aux plans inférieurs et qu’elle entraîne généralement celui qui s’y adonne sur un chemin qui
peut le conduire très loin du Divin. En particulier, un contact avec les forces et les êtres du plan
astral (ou vital, comme nous l’appelons) s’accompagne de grands dangers. Les êtres de ce plan sont
souvent hostiles au vrai but de la vie spirituelle ; ils établissent un contact avec le chercheur, lui
offrent des pouvoirs et des expériences occultes uniquement pour pouvoir l’éloigner de la vie
spirituelle, ou bien pour établir leur propre autorité sur lui ou encore prendre possession de lui pour
leurs propres fins. Souvent, se donnant pour des pouvoirs divins, ils induisent en erreur, font des
suggestions et provoquent des impulsions déroutantes et corrompent la vie intérieure. Nombreux sont
ceux qui, attirés par ces pouvoirs et ces êtres du plan vital, ont fini dans une déchéance spirituelle
définitive ou dans la corruption et le dérèglement mentaux et physiques. On entre inévitablement en
contact avec le plan vital et on y pénètre lors de l’expansion de conscience qui résulte d’une
ouverture intérieure, mais on ne devrait jamais se mettre entre les mains de ces êtres et de ces forces
ni se laisser guider par les suggestions et impulsions qui viennent d’eux. C’est un des principaux
dangers de la vie spirituelle, et le chercheur qui désire parvenir au but doit, absolument, être sur ses
gardes pour y faire face. Il est vrai que de nombreux pouvoirs supraphysiques et supranormaux
accompagnent l’expansion de la conscience dans le Yoga ; s’élever au-dessus de la conscience
corporelle, agir par des moyens subtils sur les plans supraphysiques, etc., sont pour le yogin des
activités naturelles. Mais ces pouvoirs ne sont pas recherchés ; ils viennent naturellement et ne sont
pas de caractère astral. Par ailleurs, ils doivent être utilisés dans un sens purement spirituel, c’est-à-
dire par la volonté divine et la force divine, en tant qu’instruments – et ne jamais être mis au service
des forces et êtres du plan vital. Rechercher leur aide pour obtenir de tels pouvoirs est une grave
erreur. (III, 40 sqq.)

542. – L’attitude où l’on est le plus fort consiste à envisager ces choses pour ce qu’elles sont :
des forces de ténèbres qui viennent de l’extérieur et font irruption en profitant de certaines ouvertures
dans le mental physique ou dans la partie vitale, mais qui ne sont pas une partie réelle de l’individu
ni une création spontanée dans sa propre nature. Jeter la confusion et l’obscurité dans le mental
physique, créer ou éveiller en lui des pensées erronées, des idées noires, des impressions fausses,
247
constitue la méthode favorite de ces assaillants ; et s’ils peuvent obtenir l’appui de ce mental grâce à
une trop grande confiance qu’il a en sa propre exactitude ou en la justesse qu’ont par nature ses
impressions et ses déductions, alors ils se déploient – jusqu’à ce que le vrai mental se resaisisse et
chasse les nuages. Une autre de leurs tactiques est d’éveiller dans le vital inférieur un ressentiment ou
une rancœur quelconques et de les entretenir comme tels aussi longtemps que possible. Dans ce cas,
il faut découvrir, dans sa propre nature, ces ouvertures, apprendre à les fermer de façon permanente à
de telles attaques ou expulser ces intrus immédiatement ou aussitôt que possible. Ce caractère
chronique n’est pas la preuve d’une incapacité fondamentale ; il suffit de prendre l’attitude intérieure
appropriée pour que cela puisse être surmonté et le soit en fait. Il faut avoir confiance en le Maître de
notre vie et de nos œuvres, même si pendant longtemps Il se cache ; et alors, à Son heure, Il révélera
Sa présence. (III, 30 sq.)

543. – Tout ce que vous nous avez écrit est parfaitement exact. C’est ainsi, en se tenant à l’écart
de ces forces, en ne se laissant ni attirer, ni troubler par elles, que l’on obtient la liberté, que l’on
perçoit leur fausseté ou leur imperfection et que l’on est en mesure de s’élever au-dessus d’elles et
de les surmonter. La conscience qui passe en avant peut être soit le mental psychique, soit le mental
spiritualisé – c’est probablement le premier des deux. (III, 271)

248
B. – Le découragement

544. – La paix était la toute première chose que demandaient les yogins et les chercheurs de
jadis ; c’était un mental paisible et silencieux (et cela apporte toujours la paix) qu’ils déclaraient être
la condition la meilleure pour réaliser le Divin. Un cœur joyeux et ensoleillé est le vaisseau qui
convient pour l’ânanda, et qui dira que l’ânanda ou ce qui le prépare est un obstacle à l’action
divine ? Quant au découragement, c’est sans aucun doute un terrible fardeau à porter sur la route. Il
faut quelquefois le traverser, comme dans Pilgrim’s Progress Christian traverse les marais du
désespoir, mais ses répétitions continuelles ne peuvent pas être autre chose qu’un obstacle. La Gîtâ
dit expressément : « Pratiquez le yoga avec un cœur qui ne connaît pas le découragement »,
annirvinnena chetasa. Je sais parfaitement bien que la douleur, la souffrance, la lutte, les accès de
désespoir sont naturels (mais non inévitables) sur la route, non pas parce qu’ils nous aident, mais
parce qu’ils nous sont imposés par l’obscurité de notre nature humaine, obscurité dont nous devons
nous dégager par la lutte pour arriver dans la Lumière. Je ne suppose pas que Râmakrishna ou
Vivekânanda auraient proposé les incidents que vous citez comme exemples que d’autres doivent
suivre ; ils auraient certainement dit que la foi, le courage, la persévérance étaient un meilleur
chemin. Après tout, c’est à cela qu’ils se sont finalement attachés, malgré ces mauvais moments. En
tout cas, Râmakrishna racontait, en en approuvant la morale, l’histoire de Nârada, de l’ascète yogin et
du bhakta vishnouïte 2. Je la raconterai à ma façon, mais sans en modifier la substance. En allant à
Vaïkuntha 3, Nârada rencontra un yogin qui pratiquait dans les montagnes un dur tapasya. « Nârada,
cria le yogin, tu vas à Vaïkuntha et tu verras Vishnou. J’ai pratiqué toute ma vie d’effroyables
austérités, et pourtant je ne suis pas encore arrivé à lui. Demande-lui au moins de ma part quand je
parviendrai à lui. » Ensuite Nârada rencontra un vishnouïte, un bhakta qui chantait les louanges de
Hari et qui dansait en chantant. « Ô Nârada, s’écria-t-il aussi, tu vas voir mon Seigneur Hari,
demande-lui quand je parviendrai à lui et quand je verrai son visage. » En revenant, Nârada
rencontra d’abord le yogin. « J’ai posé la question à Vishnou, dit le sage, tu le réaliseras après
encore six existences. » Le yogin se lamenta bruyamment : « Quoi ! Tant d’austérités ! Tant d’efforts
gigantesques ! Comme le Seigneur Vishnou est dur pour moi ! » Ensuite Nârada rencontra le bhakta et
lui dit : « Je n’ai pas de bonnes nouvelles à t’annoncer ; tu ne verras le Seigneur que dans cent mille
existences. » Mais le bhakta sauta en l’air en poussant un grand cri de joie : « Je vais voir mon
Seigneur Hari ! Dans cent mille existences je vais voir mon Seigneur Hari ! Grande est la grâce du
Seigneur ! » et il se mit de nouveau à danser et à chanter dans l’extase. Alors Nârada lui dit : « Tu es
arrivé. Tu verras le Seigneur aujourd’hui même. » Vous pouvez bien dire : « Cette histoire est
extravagante et bien contraire à la nature humaine ! » Pas si contraire que cela, et en tout cas à peine
plus extravagante que les histoires de Harishchandra et de Shibi 4. Néanmoins, je ne vous donne pas
le bhakta comme exemple, car personnellement j’insiste sur la réalisation dans cette vie-ci et non pas
249
dans six vies ou dans cent mille. Mais ce qui est important dans ces histoires, c’est la morale, et je
suis bien sûr que, lorsque Râmakrishna les racontait, il n’ignorait pas qu’il existe un chemin
ensoleillé du yoga. Il semble même dire que ce chemin est non seulement le meilleur chemin, mais
aussi le plus rapide. Aussi la possibilité du chemin ensoleillé n’est-elle pas une découverte ou une
invention originale que j’ai faite. Les tout premiers livres que j’ai lus sur le yoga, il y a plus de trente
ans, parlaient du chemin obscur et du chemin ensoleillé et soulignaient la supériorité du second sur le
premier. (II, 168 sq.)

545. – La soif du Divin est une chose et la dépression en est une toute différente. Et cette
dépression n’est pas la conséquence nécessaire de ce que la soif ne soit pas étanchée. Ce dernier état
peut conduire à une soif plus ardente ou à une résolution fixe et un effort persistant, ou à une
aspiration plus vibrante, ou à un chagrin psychique qui n’est pas du tout identique à la dépression et
au désespoir. La dépression est par nature un état gris nuageux, et il est plus difficile à la lumière de
traverser des nuages et de la grisaille qu’une atmosphère limpide. C’est un fait d’expérience générale
que la dépression obstrue la lumière intérieure. La Gîtâ dit expressément : « Le yoga doit être
pratiqué avec persistance, le cœur libre de dépression », anirvinnena chetasa. Dans son Pilgrim’s
Progress, Bunyan le symbolise comme la Mare fangeuse de la Désespérance, un des périls dont il
faut triompher sur la route. Sans doute est-il impossible d’échapper à toute attaque de dépression ;
presque tous les sâdhaks en traversent, mais le principe, c’est qu’il faut réagir contre elles et ne pas
leur permettre de durer ou de devenir chroniques en leur donnant quelque sorte d’encouragement
mental ou en acceptant leurs suggestions.
Ce n’est guère un fait que le chagrin soit nécessaire pour que l’âme puisse chercher le Divin.
C’est l’appel de l’âme, au-dedans, vers le Divin qui la fait ainsi s’orienter, et cela peut se produire
dans n’importe quelles circonstances, en pleine prospérité et en pleine jouissance, au sommet de la
conquête et de la victoire extérieure, sans nul chagrin ni déception, mais par une illumination
soudaine ou progressive, par un éclair de lumière au milieu de la passion sensuelle, comme chez
Vilvamangal, par la perception qu’il y a quelque chose de plus grand et de plus vrai que cette vie
extérieure passée dans l’ego et l’ignorance. Aucun de ces changements de direction ne s’accompagne
nécessairement de tristesse et de dépression. Souvent, on « tourne » ainsi en se disant : « Cette vie va
très bien comme jeu et elle est assez intéressante comme telle, mais ce n’est qu’un jeu ; la réalité
spirituelle est plus grande que la vie du mental et des sens. » De quelque façon que cela vienne, ce
qui compte, c’est l’appel du Divin, ou l’appel de l’âme au Divin, et l’attraction en est quelque chose
de bien plus vaste que ce qui généralement a emprise sur la nature. Si l’on est satisfait de la vie, et
tellement ravi par elle qu’elle bouche le sens de l’âme au-dedans ou qu’elle gêne l’attraction vers le
Divin, une période de vaïrâgya, de chagrin, de dépression, une rupture douloureuse des attaches
250
vitales peut certainement être nécessaire, et beaucoup passent par là. Mais une fois que le tournant est
pris, ce devrait être vers la direction unique et l’on n’a pas besoin d’un perpétuel vaïrâgya. Et quand
nous parlons de la joie comme de la meilleure condition, nous n’entendons pas la joyeuse poursuite
de l’existence vitale, mais un joyeux cheminement sur le sentier conduisant au Divin – ce qui n’est
pas impossible si le mental et le cœur adoptent la vision juste et la juste attitude. De toute façon, si la
joie positive n’est pas possible dans un certain cas, on ne doit pas pour cela acquiescer à une
dépression et à une tristesse constantes, ni leur apporter un appui mental. Ce n’est pas du tout
indispensable pour rester tourné vers le Divin. (I, 224 sqq.)

546. – La tristesse et les autres difficultés proviennent d’une résistance d’inertie dans le vital
inférieur et la conscience physique. Ce que vous avez à faire est de préparer la conscience en vous
débarrassant de l’inertie. Un bonheur, un calme et une confiance sattviques, tel est le tempérament qui
convient à notre yoga ; il ne faut pas se laisser aller à la tristesse, à la dépression et aux larmes, car
elles se mettent en travers de l’ouverture, à moins que les larmes ne soient les pleurs psychiques de
libération ou d’adoration, ou d’un amour et d’une bhakti émus. Les progrès réalisés dans la maîtrise
du sexe et des autres mouvements rajasiques du vital inférieur sont une bonne préparation, mais ne
suffisent pas ; en eux-mêmes ils ne sont que l’aspect négatif, bien qu’ils soient indispensables.
Aspirez à une ouverture sattvique positive à la force, la lumière, la paix, et ne vous inquiétez pas si le
progrès est d’abord lent ; ne refusez pas non plus le temps et l’effort de préparation nécessaires afin
qu’il puisse y avoir une avance rapide dans le yoga. (II, 291)

547. – La conscience terrestre ne désire pas changer, et c’est pourquoi elle rejette tout ce qui
descend en elle d’en haut. Elle l’a toujours fait. Cette mauvaise volonté ne peut disparaître que si
ceux qui se sont engagés dans notre yoga s’ouvrent et sont disposés à transformer leur nature
inférieure. (II, 338)

548. – J’objecte à l’évangile du chagrin et à toute sâdhanâ qui fait du chagrin l’un des thèmes
principaux (abhimâna, révolte, viraha). Car, comme l’a fait observer Spinoza, le chagrin n’est pas un
passage vers une perfection plus grande, une voie vers siddhi ; il ne peut pas l’être, car il rend confus
le mental, affaiblit et distrait, déprime les forces vitales, obscurcit l’esprit. Une rechute depuis la
joie, l’élasticité vitale, l’ânanda dans le chagrin, la méfiance de soi, le découragement et la faiblesse
de ces humeurs montre que quelque chose dans le vital s’accroche à des mouvements plus petits, plus
obscurs, sombres et découragés, et le but même du251 yoga est d’en sortir. (II, 297)
*

549. – Cet état mélangé dure plus longtemps qu’il ne le devrait. Non pas parce que vous ne
pouvez retrouver l’attitude vraie, mais parce que vous admettez dans une partie de votre mental
l’impression fausse de votre incapacité. C’est une partie de votre conscience physique qui a gardé le
souvenir des anciens mouvements, qui a l’habitude de les admettre et qui les estime inévitables. Vous
devez insister sur la Vérité vraie avec la partie la plus éclairée de votre conscience, en rejetant
constamment ces impressions et ces sentiments jusqu’à ce que cette partie obscure s’ouvre aussi et
admette la Lumière. (III, 296)

550. – Ce qui se met en travers, c’est cette idée que vous êtes désemparé parce que le vital
consent aux mouvements faux. Vous devez appliquer au vital votre volonté intérieure et la lumière de
la Mère pour qu’il change et ne pas le laisser libre de faire ce qui lui plaît. S’il faut être
« désemparé » et à la merci de n’importe quelle partie de l’être instrumental, comment peut-il y avoir
transformation ? La force de la Mère ou le psychique peuvent agir à condition qu’il y ait
consentement de l’être. Si on laisse le vital faire ce qui lui plaît, il suivra toujours ses vieilles
habitudes ; il faut arriver à ce qu’il sente la nécessité pour lui de se transformer. (III, 295 sq.)

551. – Si vous acceptez votre faiblesse, ce qui signifie accepter la chose même (quelque partie
de votre nature l’accepte et vous lui cédez), à quoi bon vous dire ce qu’il faut faire ? Cette partie de
votre vital pourra toujours dire : « J’étais trop faible pour l’accomplir ». La seule façon de vous en
sortir, c’est de cesser d’être faible, de congédier cette partie sentimentale en vous, d’appeler la force
pour qu’elle remplace cette faiblesse et de le faire avec une intention sérieuse et bien arrêtée. Si nous
ne pouvons obtenir que vous surmontiez cet élément en vous, vous qui avez eu quelques éléments de
base dans la sâdhanâ, comment pouvez-vous vous attendre à ce que nous obtenions cela de D, qui dit
n’avoir aucune base et qui flotte encore ? (III, 295)

552. – Les pensées et les sentiments exprimés dans votre lettre proviennent de votre dépression
et n’ont, en dehors de cela, aucune vérité en eux-mêmes. Votre personne ici n’occupe pas le moins du
monde une place que pourraient utiliser de meilleurs sâdhaks. Pour un bon sâdhak il y aura toujours
de la place, d’une façon ou d’une autre. L’incapacité que vous découvrez en vous-même n’est autre
que la résistance de la nature d’habitudes, externe et physique, que tout le monde a et que personne, si
bon sâdhak soit-il, n’a pu transformer radicalement, parce que c’est la dernière chose à se
252
transformer. Sa résistance en ce moment est aiguë parce que c’est à elle que le pouvoir de la sâdhanâ
s’attaque pour que le changement puisse se faire. Lorsque cette partie se présente, elle essaye
toujours de paraître quelque chose d’immuable, incapable de changement, fermé à la sâdhanâ. Mais
en réalité il n’en est pas ainsi et il ne faut pas se laisser prendre par cette apparence. Quant à la peur
de la folie, ce n’est qu’une impression nerveuse que vous devriez éliminer. Ce n’est pas la faiblesse
vitale qui conduit à ce genre de dérèglements, c’est une obscurité et une faiblesse du mental physique,
accompagnées par les mouvements d’une nature vitale exagérée (par exemple une ambition spirituelle
exagérée), mouvements qui sont trop puissants pour que le mental les supporte. Ce n’est pas votre
cas. Vous avez une longue expérience de la paix intérieure, de l’épanouissement, de l’ânanda et
d’une vie intérieure tournée vers le Divin. Celui qui a connu cela ne devrait pas parler d’incapacité
générale, quelles que soient les difficultés de la nature externe – difficultés qui, sous une forme ou
une autre, sont communes à tous. (III, 296 sq.)

553. – Je n’ai pas le moindre doute que vous puissiez faire la sâdhanâ si vous vous y attelez,
non pas certes de par votre seule force non aidée, car cela personne ne le peut, mais de par la volonté
de l’être psychique en vous, aidé de la Grâce divine. Il y a en tout être humain une partie de la
conscience physique et vitale qui ne le veut pas, qui ne se sent aucune aptitude pour cela, se méfie de
tout espoir ou de toute promesse d’avenir spirituel, et qui est inerte et indifférente à tout ce genre de
choses. Il y a dans le développement de la sâdhanâ une période où cette partie se soulève et l’on
s’identifie alors avec elle. C’est ce qui vous est arrivé, mais avec, en plus, une crise de mauvaise
santé et d’indisposition nerveuse qui a fait de ce passage à travers le physique obscur une agitation
sombre et intense. Avec suffisamment de sommeil, en calmant vos nerfs et avec le retour de l’énergie
physique, tout cela devrait disparaître et il serait possible de faire descendre la Lumière et la
Conscience dans cette partie obscure. Une intense concentration qui amènerait une lutte n’est pas ce
dont vous avez besoin ; ce qu’il vous faut, c’est une attitude très calme d’ouverture de soi : aucun
effort dans la sâdhanâ pour le moment, mais récupérer la tranquillité et le repos pour rétablir
l’ouverture de la nature. (III, 297 sq.)

554. – Le sentiment que vous avez, que pour vous encourager je vous dis des choses inexactes,
est une manifestation de la stupidité habituelle du mental physique. Si c’était vraiment le cas, ce n’est
pas vous qui ne seriez pas fait pour le yoga, c’est moi qui, dans ma recherche de la Vérité divine, ne
serais pas digne de guider qui que ce soit. Car on peut montrer le chemin à partir d’une vérité
moindre vers une vérité supérieure, mais non pas à travers l’erreur vers la Vérité. Quant à votre
capacité ou incapacité à poursuivre le yoga, ce n’est pas une question dont votre mental physique soit
253
juge ; il ne juge que d’après l’apparence immédiate des choses et n’a aucune connaissance des lois
qui régissent la conscience ni des pouvoirs qui agissent dans le yoga. En fait, ce n’est pas une
question de capacité ou d’incapacité, mais d’acceptation de la Grâce. Il n’y a pas d’être humain dont
la conscience physique extérieure (c’est-à-dire la partie de vous-même dans laquelle vous vivez en
ce moment) soit capable de suivre le yoga. C’est par la Grâce et par la Lumière d’en haut qu’elle
peut en devenir capable, et pour cela il est nécessaire d’être persévérant et de l’ouvrir à la Lumière.
Quiconque entre dans la conscience physique éprouve la même difficulté, se sent incapable, a
l’impression que rien n’a été fait ni changé en lui depuis qu’il s’est adonné au yoga. Il lui arrive alors
d’oublier tout ce qui s’est passé auparavant ou de sentir qu’il a tout perdu ou que tout était faux et
irréel.
Je suppose que c’est pourquoi vous objectez à la phrase dans laquelle je vous disais que vous
avez été si loin. J’ai voulu dire que vous avez eu des ouvertures et aussi des expériences dans votre
mental pensant, votre cœur et votre vital supérieur, que vous avez vu très lucidement l’état de votre
propre être et de votre propre nature et que vous avez été si loin que ces parties étaient toutes prêtes
à la transformation spirituelle. Ce qui reste à faire, c’est forcer la conscience physique et extérieure à
accepter la nécessité de la transformation. C’est sans doute la partie la plus difficile du travail, mais
c’est aussi la partie qui, une fois accomplie, rend possible la transformation totale de l’être et de la
nature. J’ai donc dit qu’ayant été si loin, il serait absurde de rebrousser chemin et de renoncer parce
qu’il y a là une résistance. Cela résiste toujours chez tout le monde et avec beaucoup d’obstination.
Ce n’est pas une raison pour renoncer à la tentative.
Dans votre lettre, c’est cette conscience qui s’est exprimée ou sa partie obscure qui se
cramponne à son ancienne attitude. Elle ne veut pas effectuer la sâdhanâ si elle ne peut par ce moyen
obtenir les choses qu’elle veut. Elle veut la satisfaction de l’ego, « l’accomplissement de soi-
même », l’estime, l’exaucement de ses désirs. Elle évalue l’amour divin d’après les faveurs
extérieures qu’il déverse sur elle et elle observe jalousement pour voir qui en obtient davantage, puis
elle déclare que le Divin n’éprouve pas d’amour pour elle et elle donne des raisons qui, ou bien sont
désobligeantes pour le Divin ou bien (comme dans votre lettre) incitent au dénigrement de soi-même
et au désespoir. Ce n’est pas seulement chez vous que cette partie sent et agit de la sorte, c’est à peu
près chez tout le monde. Si c’était la seule chose présente en vous ou chez les autres, alors vraiment
le yoga serait impossible. Mais quand même elle est forte, elle n’est pas tout. Il y a un être psychique
qui influence et illumine un mental et un cœur, et qui éprouve d’autres sentiments, qui a une autre
vision des choses et un autre but dans la sâdhanâ. Tout cela en ce moment est recouvert en vous par la
montée houleuse de cette partie qui doit se transformer. Elle est tamasique et elle ne veut pas changer,
elle ne veut pas croire à moins que cela puisse se faire en rassurant l’ego vital. Mais il n’y a rien de
nouveau dans tout cela ; c’est une partie de la nature humaine qui a toujours été là, entravant et
limitant la sâdhanâ. Son existence n’est pas une raison pour désespérer ; nous l’avons tous, et la
sâdhanâ doit se faire malgré elle, malgré le mélange 254 qu’elle apporte jusqu’au moment où elle doit
être définitivement éliminée. C’est difficile, mais c’est parfaitement faisable. Ces choses-là, je les
connais et je m’en rends compte, et c’est pourquoi j’insiste pour que vous persévériez et je vous
encourage à continuer. Ce n’est pas mon diagnostic de la situation qui est faux, c’est la façon dont
cette partie obscure de votre être le comprend qui est défectueuse et erronée. (III, 288 sqq.)

555. – Ce dont il faut se débarrasser dans ce cas, c’est la note de désespoir dans le vital qui
répond au cri dont vous parlez – qu’on n’atteindra jamais le Divin parce qu’on n’a pas encore obtenu
le Divin ou qu’il n’y a eu aucun progrès. Il y a certainement eu progrès, cette grande poussée du
psychique, ce détachement même qui pousse toujours quelque part en vous. Ce qu’il faut faire, c’est
s’accrocher et non pas couper la corde qui vous tire en haut parce qu’elle vous fait mal aux mains ; il
faut conserver l’insistance unique même si tout le reste vous échappe.
Il est évident que quelque chose en vous, poursuivant la courbe non terminée d’une vie passée,
vous pousse sur le chemin de vaïrâgya et sur la voie plus orageuse de bhakti (malgré notre
préférence, et la vôtre aussi, pour une voie moins douloureuse), quelque chose qui est décidé à se
montrer radical avec la nature extérieure afin de se rendre libre pour réaliser son aspiration secrète.
N’écoutez pas cependant cette suggestion de la voix qui vous dit : « Tu ne réussiras pas et il ne sert à
rien d’essayer. » C’est là une chose qu’il ne faut jamais dire sur le chemin de l’esprit, si difficile que
ce chemin puisse sembler pour le moment. À travers tout, conservez l’aspiration que vous exprimez
avec tant de beauté dans vos poèmes, car elle est certainement présente et provient des profondeurs,
et si elle est la cause de la souffrance (comme le sont les grandes aspirations dans un monde et une
nature où elles rencontrent tant d’opposition), elle est aussi la promesse et l’assurance d’une
émergence et d’une victoire dans l’avenir. (II, 304 sq.)

556. – Doutes, luttes, efforts et échecs, défaillances, alternance d’états heureux ou malheureux,
bons ou mauvais, lumière ou obscurité – c’est le sort commun à tous les êtres humains. Cela ne
provient ni du yoga, ni de l’effort vers la perfection. Seulement, dans le yoga, on devient conscient de
leurs mouvements et de leurs causes au lieu de les subir aveuglément et on finit par en sortir pour
pénétrer dans une conscience plus claire et plus heureuse. La vie ordinaire reste, jusqu’au bout, une
succession de tourments et de luttes, mais le sâdhak du yoga émerge de ces tourments et de ces luttes
pour se retrouver sur un terrain de sérénité fondamentale que l’agitation de surface peut encore
atteindre, mais non détruire et, pour finir, l’agitation cesse complètement. (II, 282 sq.)

255
557. – Quant à ses difficultés et à ses ennuis, il y a peu d’espoir pour qu’il les surmonte jamais
s’il ne se rend pas compte qu’ils proviennent de l’intérieur et non de l’extérieur. C’est la faiblesse de
sa nature vitale, son être nerveux désemparé et inefficace qui toujours pleure, se lamente et se plaint
au lieu de faire face à la vie et d’en surmonter les difficultés, c’est son attitude sentimentale
larmoyante qui font que ses ennuis se perpétuent sans trouver de solution. C’est un tempérament que
les Dieux n’aideront pas parce qu’ils savent que l’aide est inutile ; ou bien elle ne sera pas
accueillie, ou bien elle sera perdue et gâchée ; et tout ce qu’il y a de rajasique et d’asurique dans le
monde méprise et piétine cette sorte de caractère.
S’il avait appris à avoir une force calme et un courage tranquille sans faiblesse, sans histoires,
sans violence, le tout basé sur la confiance en l’aide qu’il aurait toujours pu recevoir d’ici et en
l’ouverture à la force de la Mère, les choses se seraient déjà bien arrangées. Mais il ne peut tirer
parti d’aucune aide qui lui est offerte parce que sa nature vitale chérit cette faiblesse à laquelle elle
se laisse constamment aller, tout en l’exprimant avec emphase au lieu de la rejeter avec mépris
comme une chose indigne d’un homme et inadmissible chez un sâdhak. C’est seulement s’il la rejette
ainsi qu’il pourra recevoir de la force et se maintenir ferme dans la vie ou progresser dans la
sâdhanâ. (III, 294)

558. – Tous ont dû traverser les épreuves et ordalies que vous traversez en ce moment. Nous
vous les aurions évitées si cela avait été possible, mais puisqu’elles sont venues, nous attendons de
vous que vous persistiez et triomphiez. La patience, l’endurance tranquille, la résolution calme
d’aller jusqu’au bout et de triompher, telles sont les qualités qui vous sont maintenant demandées ;
parmi les vertus du guerrier ce sont les moins spectaculaires, mais les plus substantielles.
Aussi la perspicacité et la vigilance. Ne fermez pas les yeux à la difficulté qui est en vous et ne
vous détournez pas d’elle, mais ne la laissez pas non plus vous décourager. La victoire est certaine si
nous persévérons, et quel prix en difficulté et en efforts serait trop élevé pour une telle conquête ? (II,
346)

559. – Faire une vâda 5 ou un évangile du chagrin est dangereux si on s’y laisse aller, devient
une habitude, colle après vous, et il y a peu de choses plus collantes une fois qu’elle se met à coller.
(II, 291)

560. – Le mental et le physique de l’homme n’aiment pas la souffrance, car s’ils l’aimaient, ce
ne serait plus la souffrance ; mais cette chose dans
256
le vital la veut afin de donner du piment à la vie.
C’est pour cette raison que les dépressions peuvent constamment revenir et revenir encore, même
lorsque le mental a grande envie de s’en débarrasser, parce que cette chose dans le vital réagit,
continue à répéter le même mouvement, comme un gramophone dès qu’il est mis en route, et insiste
pour répéter dans sa totalité le disque si souvent entendu. En réalité, cela ne dépend pas des raisons
que donne le vital pour recommencer la tournée, car celles-ci ont souvent le caractère le plus trivial
et sont tout à fait insuffisantes pour la justifier. Ce n’est que par une forte volonté de se détacher et
non de justifier, de rejeter et non d’accueillir, qu’on peut finalement se débarrasser de ce trait
tellement ennuyeux et dangereux dans la nature humaine. (II, 294 sq.)

561. – Dans l’état où elle se trouve, la seule chose qu’elle puisse faire pour entreprendre la
sâdhanâ est de toujours se rappeler le Divin, prendre ses difficultés comme des épreuves à travers
lesquelles il lui faut passer, constamment prier, rechercher l’aide et la protection divine, demander
l’ouverture de son cœur et de sa conscience à la Présence divine qui soutient. (III, 487)

562. – Une chute de conscience provient ordinairement de quelque inertie amenée dans la
conscience par la fatigue, ou d’une simple habitude de détente, ou de quelque réaction vitale que l’on
peut ou non remarquer, ou bien d’un faux mouvement du mental. Ce sont là les causes positives qui
abaissent la conscience, mais derrière elles il y a le fait que ces alternances sont presque inévitables
tant que la conscience est, d’une façon quelconque, sujette à l’ancienne nature. Les intervalles de non-
sâdhanâ peuvent cependant être courts ou prolongés selon les circonstances intérieures (le pouvoir de
la volonté, du psychique ou de l’être supérieur à rétablir calmement l’équilibre véritable.) (III, 171)

563. – Si conscience et énergie étaient une seule et même chose, il n’y aurait pas de raison de
les désigner par deux mots différents. Dans ce cas, au lieu de dire : « Je suis conscient de mes
défauts », l’on pourrait dire : « Je suis énergique de mes défauts. »… La conscience est ce qui se
rend compte des choses ; l’énergie est une force mise en action qui fait des choses. La conscience
peut avoir de l’énergie et l’intérioriser ou l’extérioriser, mais cela ne veut pas dire qu’il lui faille
s’extérioriser quand l’énergie s’extériorise ni qu’elle ne puisse alors se retrancher à l’intérieur et
observer l’énergie en action. Vous êtes plein d’inertie ; mais cela ne veut pas dire que vous et
l’inertie soyez une seule et même chose et que lorsque l’inertie se soulève et vous emporte, c’est
vous-même qui vous soulevez et vous emportez. (III, 474 sq.)

*
257
564. – Je vous ai expliqué pourquoi tant de gens (mais non pas tout le monde) sont dans cet état
lugubre, ternes et découragés. C’est le tamas, l’inertie de l’Inconscient, qui s’est emparé d’eux. Mais
c’est aussi le petit vital physique qui ne s’intéresse qu’aux choses petites et triviales de la vie
ordinaire quotidienne et de la vie sociale et à rien d’autre. (II, 343)

565. – Il faut que le tamas se transforme en shama, en la paix et le repos de la Prakriti


supérieure, puis se remplisse de tapas et de jyotish 6. Mais cela ne peut se faire complètement dans le
physique que lorsque le physique est totalement transformé par le pouvoir supramental. (III, 397 sq.)

566. – C’est d’habitude lorsque quelque chose dans le mental et le vital accepte ou tolère les
forces inférieures que cette incapacité à retourner dans la vraie conscience persiste aussi
obstinément. Le tamas physique peut produire de longs interrègnes de conscience obscure, mais
d’ordinaire ce n’est pas accompagné d’une obstruction aussi violente ; en général c’est morne et
tenace. (III, 171)

567. – Ce sont les nuits les plus obscures qui préparent les aurores éclatantes, et il en est ainsi
parce que c’est dans l’inconscience la plus épaisse de la vie matérielle qu’il nous faut amener, non
pas une lueur intermédiaire, mais le plein jeu de la Lumière divine. (III, 53)

258
C. – Le doute

568. – Le doute existe pour lui-même. Son rôle même est de toujours douter, et même lorsqu’il
est convaincu, de continuer encore à douter. Quand il prétend être une honnête recherche de la vérité,
ce n’est que pour convaincre celui qui l’accueille de le loger et de le nourrir. C’est ce que m’a
enseigné l’expérience à la fois de mon propre mental et du mental des autres. (II, 215)

569. – Les doutes des sâdhaks proviennent plus souvent du vital que du vrai mental ; lorsque le
vital va de travers ou est troublé ou déprimé, les doutes s’élèvent et se répètent sous la même forme
et dans les mêmes termes, quelle que soit la conviction qu’ait reçue le mental, soit de preuves
évidentes, soit de réponses intellectuelles. J’ai observé que le vital est toujours irrationnel – même
lorsqu’il emploie la raison pour se justifier – et qu’il croit ou ne croit pas selon son sentiment et non
selon la raison. (II, 289)

570. – C’est sur cette base, du point de vue de la nécessité de cette conscience plus grande, que
nous pouvons voir si le doute présente une utilité quelconque dans la vie spirituelle. On ne demande
certainement pas au chercheur spirituel de croire tout et n’importe quoi ; une telle promiscuité et
crédulité imbécile seraient non seulement non-intellectuelles mais non spirituelles au dernier degré.
À chaque instant de la vie spirituelle et jusqu’à ce qu’on soit parvenu pleinement dans la lumière
supérieure, il faut être sur ses gardes et pouvoir distinguer la vérité spirituelle de ses imitations
pseudo-spirituelles ou de ce que le mental ou le désir vital installent pour la remplacer. Pouvoir
distinguer entre les vérités du Divin et les mensonges de l’asura est une nécessité cardinale dans le
yoga. La question qui se pose est de savoir si cela peut se faire mieux par la méthode négative et
destructrice du doute qui souvent tue la fausseté mais rejette la vérité aussi par un même coup
impartial, ou si l’on peut trouver un pouvoir plus positif, plus utile et cherchant plus lumineusement,
qui ne soit pas contraint par son ignorance inhérente à faire face à la vérité et à la fausseté également
avec le stylet du doute et la massue de la dénégation. (II, 221 sq.)

571. – Le yoga n’est pas un champ d’argumentation ou de dissertation intellectuelles. Ce n’est


pas en exerçant son mental de logique ou de controverse que l’on peut arriver à une vraie
compréhension du yoga et à le suivre. Un esprit douteur, un doute sincère, la prétention que l’intellect
soit satisfait et appelé à se prononcer sur chaque point, tout cela est fort bien dans le domaine de
l’action mentale extérieure. Mais le yoga n’est259pas un domaine mental ; la conscience qui doit
s’élaborer n’est pas une conscience mentale, logique ou contradictoire. Le yoga stipule même que
jusqu’à ce que le mental (y compris le mental intellectuel et logique) se taise et s’ouvre dans la paix
et le silence à une vision, à une connaissance et à une conscience supérieures et plus profondes, la
sâdhanâ ne peut pas parvenir à son but. Pour cette même raison, la tradition spirituelle hindoue exige
un abandon aveugle au gourou ; on considérait le blâme, la critique et l’attaque contre le gourou
comme reprehensibles et comme l’obstacle le plus certain dans la sâdhanâ.
Si l’on pouvait venir à bout de l’esprit de doute en lui opposant des arguments, il y aurait peut-
être quelque justification à vouloir l’écarter en lui donnant satisfaction par la logique. Mais l’esprit
de doute doute pour son propre plaisir, pour le plaisir de douter ; il emploie simplement le mental
comme instrument pour son dharma particulier, notamment lorsque ce mental pense sincèrement
chercher une solution à ses doutes, honnêtes et irrépressibles. D’ailleurs, les positions mentales
varient toujours et il est bien connu que les gens peuvent discuter à perte de vue sans que l’un
parvienne à convaincre l’autre… Si quelqu’un surmonte ses doutes fondamentaux, il le fait par le
développement du psychique en lui ou par l’élargissement de sa conscience, pas autrement. Pour les
questions qui proviennent d’un esprit curieux, non agressif, non autoritaire et qui fait partie d’une soif
de connaissance, on peut y répondre, mais « l’esprit de doute » ne saurait être ni assouvi ni apaisé.
(III, 74 sq.)

572. – Je n’ai jamais dit qu’il soit facile de surmonter le doute ; c’est difficile parce qu’il est de
la nature de quelque chose dans le mental physique humain de s’accrocher au doute pour lui-même.
(II, 293)

260
D. – L’ego

573. – La chit-shakti ou bhâgavata-chetana est la Mère, le jîvâtman en est une portion, le


psychique ou âme une étincelle. L’ego est l’image pervertie du psychique ou du jîvâtman. (III, 133)

574. – L’ego implique l’identification de notre existence avec le moi extérieur, l’ignorance de
notre vrai Moi au-dessus et de notre être psychique au-dedans de nous… C’est l’ego mental, vital,
physique que nous prenons pour notre être jusqu’à ce que nous ayons la connaissance. (I, 123 sq.)

575. – L’ego est une bien curieuse chose, plus que tout dans la manière dont il se cache et
soutient qu’il n’est pas l’ego. Il peut toujours se cacher, même derrière une aspiration à servir le
Divin. La seule chose à faire est de le chasser de derrière tous ses voiles et tous ses recoins. Vous
avez raison aussi de penser que c’est là en réalité la partie la plus importante du yoga. (II, 236)

576. – Le vrai « Je », si vous tenez à utiliser ce terme, n’est pas « individuel clair », c’est-à-
dire n’est pas un ego séparateur limité bien défini ; il est aussi vaste que l’univers et même plus
vaste, il peut contenir l’univers en lui-même, mais ce n’est pas l’ahamkâra, c’est l’Atman. (I, 85)

577. – Le mental et le vital sont beaucoup plus pleins d’ego que le corps (II, 310)

578. – Être libéré de l’ego est précieux au point de vue spirituel parce qu’alors on peut se
centrer non plus dans son moi personnel mais dans le Divin. (II, 235)
579. – L’ego n’est pas si facile à éliminer. Il subsiste non seulement en dépit du travail, mais en
dépit de la connaissance ou de la bhakti. La disparition de l’ego signifie complète mukti. Même le
yogin qui sent son être séparé avalé dans la conscience cosmique ou dans quelque sorte de
conscience transcendante trouve cependant l’ego superficiel présent lorsqu’il passe à l’action et à la
réaction extérieures. C’est pourquoi l’ascète a une horreur de l’action et dit qu’elle ne peut pas être
faite sans ego. Elle le peut, mais cela n’est pleinement le cas que lorsque ces choses les plus
extérieures sont entièrement prises en main par la conscience supérieure dans leur totalité. (II,
310 sq.)
261
*

580. – Je pense que vous accordez encore une importance et une attention exagérées à l’ego et
aux autres éléments qui sont tissés dans la nature de l’humanité et dont on ne peut se débarrasser
complètement que par l’arrivée d’une conscience nouvelle, qui leur substitue des mouvements plus
élevés. Si l’on rejette centralement et en toute sincérité l’ego et la rajas, leurs racines se relâchent et
le sattva peut dominer dans la nature, mais on ne peut expulser tout ego et tout rajas par la volonté et
son effort. Aussi faut-il, après un certain stade de préparation, insister davantage sur le côté positif de
la sâdhanâ que sur le côté négatif du rejet – bien que celui-ci doive naturellement subsister pour aider
l’autre. Ce qui est important, c’est de développer le psychique au-dedans et de faire descendre d’en
haut la conscience supérieure. À mesure qu’il croît et se manifeste, le psychique décèle
immédiatement tous mouvements ou éléments faux et en même temps fournit presque automatiquement
l’élément ou mouvement vrai qui les remplacera ; et ce processus est beaucoup plus facile et efficace
qu’un sévère tapasya de purification. En descendant, la conscience supérieure amène la paix et la
pureté dans toutes les parties intérieures ; l’être intérieur se sépare de la conscience extérieure
imparfaite, et en même temps la paix qui vient porte en elle une Puissance capable d’expulser ce qui
va à l’encontre de la paix et de la pureté. L’ego peut alors disparaître, lentement ou rapidement, mais
sûrement ; le rajas et le tamas peuvent se transformer en leurs divins remplaçants. (I, 222 sq.)

581. – Quant au sens de supériorité, il est un peu difficile de l’éviter lorsque des horizons plus
vastes s’ouvrent devant la conscience, à moins qu’on n’ait déjà une disposition sainte et humble. Il y
a des hommes comme Nâg Mahâshâya (parmi les disciples de Shrî Râmakrishna) chez qui
l’expérience spirituelle crée de plus en plus d’humilité ; il y en a d’autres, comme Vivekânanda, chez
qui elle crée un grand sentiment de force et de supériorité ; les critiques européens l’en ont accusé
assez sévèrement. Il y en a d’autres chez qui cette expérience fixe un sens de supériorité envers les
hommes et d’humilité envers le Divin. Chacune de ces positions a sa valeur. Prenons la fameuse
réponse de Vivekânanda au pandit de Madras qui refusait d’accepter une de ses affirmations et
disait : « Shankara ne l’a pas dit. » À quoi Vivekânanda répliqua : « Non, mais moi, Vivekânanda, je
le dis. » Et le pandit ne trouva rien à répondre. Ce « moi, Vivekânanda » se présente à l’œil ordinaire
comme un Himâlaya de confiance en soi, d’égoïsme. Mais il n’y avait dans l’expérience spirituelle
de Vivekânanda rien qui soit faux ou malsain. Ce n’était pas un simple égoïsme, mais le sentiment de
ce qu’il représentait et l’attitude du lutteur qui, en tant que représentant quelque chose de très grand,
ne pouvait pas se laisser abattre ou minimiser. Ceci n’est pas pour nier la nécessité du non-égoïsme
et de l’humilité spirituelle, mais pour montrer que la question n’est pas aussi facile qu’elle semble
l’être à première vue. En effet, si je dois exprimer mes expériences spirituelles, je dois le faire avec
vérité ; je dois les rapporter avec leur bhâva 7, leurs pensées, leurs sentiments, les développements
262
de conscience qui les accompagnent. Que dois-je faire de l’expérience dans laquelle on sent le
monde entier en soi-même ou la force divine qui s’écoule dans notre être et notre nature, ou la
certitude de notre foi envers et contre tous les doutes et tous les douteurs, ou notre unité avec le
Divin, ou la petitesse de la pensée et de la vie humaines comparées avec cette plus grande
connaissance et cette plus grande existence ? Et il faut que j’emploie le mot « je ». Je ne peux pas
chercher un refuge en disant « ce corps » ou « cette apparence », d’autant plus que je ne suis pas un
mâyâvâdin 8. (II, 237 sq.)

582. – Ce qui demeurera après la libération, c’est l’être central, non l’ego. L’être central vivra
dans la conscience du Divin partout et dans tous les autres êtres aussi ; de sorte qu’il n’aura pas
conscience d’être un ego séparé, mais un centre, parmi beaucoup d’autres, de la multiplicité divine.
(III, 223)

583. – Dans la connaissance cosmique le « je » personnel disparaît dans le Moi unique de tous.
Le seul « je » qui existe n’est pas celui de la personne, le « je » individualisé mais le « Je »
universalisé, identique à tous et au Moi cosmique (Atman). (III, 222)

584. – Après la libération, l’ahamkâra ne subsiste pas, mais le moi individuel en tant que
portion ou centre du Divin est toujours là. (III, 223)

585. – Quant à la timidité, il y en a deux espèces : l’une est égoïste, on a honte d’exprimer la
vérité ou de montrer qu’on s’y soumet d’une façon que les autres ne comprendraient pas ; l’autre est
une certaine réserve, une hésitation à exposer ses sentiments les plus profonds à la vue d’autrui, le
désir de conserver sacrés et secrets les rapports d’amour avec le Divin ; c’est un sentiment
psychique. (II, 214)

263
E. – Émotivité

586. – L’émotion est nécessaire dans le yoga ; c’est seulement la sensibilité émotive exagérée
qui nous plonge dans le désespoir sur les petites choses et dont il faut triompher. La base même de
notre yoga est la bhakti, et si l’on tue l’être émotif il ne peut plus y avoir de bhakti. Il n’y a donc
aucune possibilité d’exclure l’émotion de notre yoga. (II, 158)

587. – Quant à la gratitude, elle est un sentiment psychique, et tout ce qui est psychique aide
l’âme à fleurir. Du point de vue psychique, il n’y a rien de mal dans l’émotion. La seule chose, c’est
qu’elle ne doit pas devenir un lien de servitude sur la voie. (II, 334)

588. – L’émotion a son rôle, mais il ne faut pas toujours la jeter vers l’extérieur, il faut la
presser vers l’intérieur afin d’ouvrir pleinement les portes psychiques. (II, 235 sq.)

589. – L’amour humain est fait d’émotion, de passion et de désir – qui sont tous des mouvements
vitaux – et par conséquent il est lié aux incapacités de la nature vitale humaine. L’émotion est dans la
nature humaine une chose excellente et indispensable, malgré toutes ses imperfections et tous ses
dangers, tout comme dans leur propre domaine les idées mentales sont à l’étape humaine des choses
excellentes et indispensables. Mais notre but est de passer au-delà des idées mentales pour pénétrer
dans la lumière de la Vérité supramentale, qui existe non par la pensée idéative, mais par la vision et
l’identité directes. De même, notre but est de passer au-delà de l’émotion pour atteindre la hauteur, la
profondeur et l’intensité de l’Amour divin, et là sentir par le cœur psychique intérieur une
inépuisable unité avec le Divin, unité que les bonds spasmodiques de l’émotion vitale ne peuvent ni
atteindre, ni éprouver.
De même que la Vérité supramentale n’est pas simplement une sublimation de nos idées
mentales, l’Amour divin n’est pas simplement une sublimation des émotions humaines, c’est une
conscience différente, avec une qualité, un mouvement et une substance tout différents. (I, 188)

590. – Seules doivent être découragées les émotions vitales ordinaires qui gaspillent l’énergie
et qui troublent la concentration et la paix. L’émotion elle-même n’est pas une chose mauvaise, c’est
une partie nécessaire de la nature ; l’émotion psychique est l’une des aides les plus puissantes dans la
264
sâdhanâ. Il ne faut pas refouler l’émotion psychique, celle qui fait jaillir des larmes d’amour pour le
Divin ou des larmes d’ânanda. Seul un mélange vital apporte du trouble dans la sâdhanâ. (II, 158)

591. – S’adonner aux émotions, amour, chagrin, tristesse, désespoir, joie émotive, etc., pour
elles-mêmes en leur accordant une sorte d’importance exagérée vitale-mentale, c’est ce que l’on
appelle la sentimentalité. Dans les sentiments profonds il doit y avoir un calme, une maîtrise, une
retenue et une mesure purifiantes. Il ne faut pas être à la merci de ses émotions et de ses sentiments ;
il faut toujours être maître de soi. (II, 164)

592. – La sensibilité est un des obstacles les plus persistants pour beaucoup de sâdhaks. Il y a
deux remèdes : la confiance du psychique en la Mère et le don de soi qui l’accompagne, c’est-à-dire
« tout ce qu’Elle veut est ce qui vaut le mieux pour moi », et la vastitude que vous éprouvez
maintenant. C’est l’ampleur du vrai Moi, du véritable être mental, vital, physique également, d’où
toutes ces choses tombent comme de la poussière, car elles ne lui sont absolument d’aucune
importance.
C’est la seule chose à faire : entrer de façon permanente dans la vastitude, la paix et le silence,
et laisser l’ego s’y dissoudre et les attachements tomber. (II, 316)

265
F. – Sexualité

593. – Le mouvement sexuel terrestre est une utilisation par la nature de l’énergie physique
fondamentale aux fins de procréation. Le frisson dont parlent les poètes et qu’accompagne une
excitation très grossière est l’appât par lequel la nature fait consentir le vital à cette opération
autrement déplaisante. Il y a beaucoup de gens qui éprouvent après l’acte un recul de dégoût, bien
qu’ils y reviennent lorsque ce dégoût s’est émoussé sous l’effet de l’appât présenté.
L’énergie sexuelle est elle-même une grande puissance, avec deux composantes dans sa base
physique : l’une destinée à la procréation et à l’opération qui lui est nécessaire, l’autre qui alimente
les énergies générales du corps, du mental et du vital, et aussi les énergies spirituelles. Les anciens
appelaient ces deux composantes retas et ojas. D’une façon générale, les savants européens se sont
moqués de cette idée, mais ils commencent maintenant à découvrir eux aussi la même chose. Quant au
frisson, qu’exaltent tant les poètes, c’est tout simplement une déformation et dégradation très
grossière de l’ânanda physique qui peut par le yoga s’installer dans le corps, mais cela ne peut pas
se faire tant qu’existe la déviation sexuelle. (II, 321)

594. – C’est exact : si la liqueur sexuelle est empêchée de se gaspiller elle se transforme en
tejas 9 et ojas. C’est sur cela que les yogins font reposer toute la théorie du brahmacharya. S’il en
était autrement, il n’y aurait pas besoin de brahmacharya pour produire tejas et ojas. Il n’est pas
question de vigueur et d’énergie en soi, mais du soutien physique. Dans le soutien physique, l’ojas
produit par le brahmacharya compte beaucoup. La transformation du retas en ojas est une
transformation d’une substance physique en une énergie physique (qui produit nécessairement aussi
une énergie physique-vitale). L’énergie spirituelle elle-même ne peut qu’actionner le corps, comme le
vital et le mental, mais en l’actionnant elle l’épuiserait s’il n’avait pas un soutien physique. (Je parle
naturellement de l’énergie spirituelle ordinaire, non de la supramentale qui doit venir et qui doit non
seulement transmuer le retas en ojas, mais l’ojas en quelque chose de plus sublimé.) (II, 321 sq.)

595. – En de telles matières, la première chose nécessaire est d’être parfaitement calme et de
refuser de se laisser troubler par ces difficultés. Si elles s’élèvent, il faut admettre qu’elles le font
pour être résolues. S’il n’y a rien dans la conscience de veille qui encourage la difficulté sexuelle,
ces rêves ou ces émissions sans rêves ne peuvent être qu’une montée de vieilles impressions
assoupies dans le subconscient. De telles montées ont souvent lieu lorsque la Force travaille dans le
subconscient pour le nettoyer. Il est aussi tout juste possible que les émissions soient dues, surtout
lorsqu’il n’y a pas de rêve, à des causes purement266
matérielles, par exemple la pression d’urine ou de
matière fécale dans la proximité de la vessie. Mais en tout cas, l’essentiel est de ne pas se troubler et
d’appliquer une force et une volonté sur les centres sexuels ou l’organe sexuel pour que cela cesse.
On peut le faire juste avant de s’endormir. En général, si on le fait régulièrement pendant quelque
temps, cela donne des résultats. Il faut appliquer une pression générale calme de la volonté ou de la
force sur le subconscient physique. Le subconscient peut être souvent obstiné dans sa persistance
continuelle, mais il peut s’adapter et il s’adapte plus ou moins vite à la volonté de l’être conscient.
(II, 325 sq.)

596. – Est-ce parce que le corps n’accepte pas les pensées et désirs sexuels ? Dans ce cas, vous
avez le droit de les rejeter comme quelque chose d’extérieur à vous ou qui existe tout au plus dans le
subconscient. Car ce que nous pouvons encore appeler nôtre, c’est uniquement ce que quelque chose
en nous accepte, soutient, apprécie ou accueille encore avec des réactions mécaniques. S’il n’y a rien
de tout cela, ces choses appartiennent à la nature générale, mais non à nous. Naturellement elles
retournent et essaient de récupérer le terrain perdu, mais c’est une invasion étrangère. La règle de ces
choses, c’est qu’elles doivent être projetées hors de la conscience individuelle. Rejetées par le
mental et par le vital supérieur, elles essaient encore de s’accrocher au vital inférieur et au physique.
Rejetées du vital inférieur, elles s’accrochent encore au corps par un désir physique. Rejetées du
corps, elles se retirent dans la conscience du milieu (parfois aussi dans le subconscient, où elles
s’élèvent en rêve), et essaient de nous envahir depuis là. (Par conscience du milieu, j’entends une
sorte d’atmosphère enveloppante que nous portons avec nous et par laquelle nous communiquons
avec les forces universelles.) Rejetées de cette conscience du milieu, elles deviennent à la fin trop
faibles pour être autre chose que des suggestions extérieures, et cela se termine aussi ; elles sont
alors finies et non existantes. (II, 326 sq.)

267
G. – La morale stéréotypée

597. – Ce qui doit être installé, c’est brahmacharyam shamad satyam prashântir
âtmasamyama. Brahmacharya, c’est-à-dire pureté sexuelle complète. Shama, c’est-à-dire paix et
harmonie dans l’être dont les forces sont conservées, mais maîtrisées, harmonisées, disciplinées.
Satya, c’est-à-dire vérité et sincérité dans la nature tout entière. Prashântih, c’est-à-dire état général
de paix et de calme. Atmasamyama, c’est-à-dire pouvoir et habitude de maîtriser tout ce qui a besoin
d’être maîtrisé dans les mouvements de la nature. Lorsque ces qualités sont assez bien établies, on a
construit le fondement sur lequel on peut développer la conscience yoguique, et avec celle-ci vient
une ouverture facile à la réalisation et à l’expérience. (II, 258)

598. – Le principe de vie que je cherche à établir est spirituel. La moralité est affaire du mental
et du vital de l’homme ; elle appartient à un plan inférieur de conscience. C’est pourquoi une vie
spirituelle ne saurait être fondée sur une base morale ; elle doit être fondée sur une base spirituelle.
Cela ne signifie pas que l’homme spirituel doive être immoral – comme s’il n’y avait pas d’autres
lois de conduite que la loi morale. La loi d’action de la conscience spirituelle est plus haute que la
loi morale, et non plus basse ; elle est fondée sur l’union avec le Divin et sur la vie dans la
conscience divine, et son action est fondée sur l’obéissance à la volonté divine. (II, 48)

599. – Quant à la morale conventionnelle, toute moralité est une convention ; l’homme ne peut
pas vivre sans conventions mentales et morales, car autrement il se sent perdu dans la mer agitée des
forces anarchiques de la nature vitale. (II, 387)

600. – Une norme morale universelle n’existe pas puisque la norme change avec l’époque et la
latitude. (II, 390)

601. – Le vice et la vertu n’ont rien à voir avec l’obscurité et la lumière, la vérité et le
mensonge. L’homme spirituellement évolué s’élève au-dessus du vice et de la vertu, mais il ne
s’élève pas au-dessus de la vérité et de la lumière – à moins que vous n’entendiez par vérité et
lumière la vérité humaine et la lumière mentale. Elles doivent être transcendées, tout comme le vice
et la vertu doivent être transcendés. (III, 479 sq.)
268
*

602. – Les vices ne sont qu’un débordement d’énergie dans des canaux non réglés. (III, 480)

603. – Vous vous en tenez à votre tension éthico-intellectuelle de la vision intérieure de soi ?
Sèche ? Sergent de ville ? Criminelle ? Seigneur ! Si elle l’était, elle cesserait complètement d’être
une vision de soi, car dans toute vraie vision de soi il n’y a ni police ni criminalité. Tout cela
appartient à la manigance éthico-intellectuelle « vertu et péché », qui est uniquement une construction
mentale de valeur pratique pour la vie extérieure, mais non une vérité de valeurs intérieures réelles.
Dans la vraie vision de soi nous ne voyons qu’harmonies et discordes, nous corrigeons les fausses
notes et nous les remplaçons par les notes justes. Mais si je dis cela, c’est parce que c’est vrai et non
pour vous persuader de commencer l’effort de la vision de soi, car si vous le faisiez avec les idées
que vous en avez, vous commenceriez inévitablement sur la base « sergent de ville » et vous auriez
des ennuis. En outre, dans le yoga vous préférez évidemment être le piano et non le pianiste, ce qui
est bel et bon, mais implique un total don de soi et l’intervention du musicien et harmoniste suprême.
Puisse-t-il en être ainsi !
Chacun est plein de ces contradictions parce qu’il est une seule personne évidemment, mais
composée de personnalités différentes. La composition de la personnalité multiple commence
maintenant d’être bien connue des psychologues qui, d’une façon générale, sont en désaccord entre
eux. Tant qu’on ne vise pas à l’unité, dans une intention unique et dominante, comme celle de chercher
le Divin et de se dédier à lui, elles arrivent à s’entendre, parlant à tour de rôle ou se querellant ou
pataugeant, ou l’une d’elles prenant la direction et obligeant les autres à ne jouer qu’un rôle
secondaire ; mais dès que vous essayez de les unir pour un seul but, alors le trouble devient évident.
(II, 272 sq.)

604. – Chaque défaut dans la nature de l’Ignorance est une déformation de quelque chose
appartenant à la nature supérieure – une déformation qui va même jusqu’à la perversion. Vous en avez
eu une perception symbolique dans votre expérience. (III, 490)

605. – Je ne fais jamais remarquer à quelqu’un ses défauts à moins qu’il ne m’en fournisse
l’occasion. Un sâdhak doit devenir conscient, se présenter à la lumière, voir, rejeter, se transformer.
(III, 369)

*
269
606. – Les défauts devraient être observés et rejetés, mais la concentration devrait être positive,
porter sur ce que vous devez être, c’est-à-dire sur le développement de la nouvelle conscience plutôt
que sur le côté négatif…

Par négatif, j’entends se borner à réprimer les désirs et les faux mouvements de l’égoïsme ; par
positif, j’entends faire descendre en ces parties la lumière, la paix, la pureté. Je ne veux pas dire que
ces mouvements ne doivent pas être rejetés, mais que l’énergie tout entière ne devrait pas être
employée uniquement pour ce rejet. Il faut aussi qu’elle soit dirigée vers un remplacement positif de
ces mouvements par la conscience supérieure. Plus cette conscience descend, plus l’élimination se
fera facilement. (III, 269)

607. – Ce n’est pas une question de faute ni de châtiment. S’il nous fallait condamner et punir
les gens pour leurs fautes et traiter les sâdhaks comme un tribunal, aucune sâdhanâ ne serait possible.
(III, 367)

1. Mensonge cosmique, illusion au sens yoguique.


2. Cf. « L’Enseignement de Râmakrishna » (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1972), § 728.
3. Vaïkuntha est le paradis de Vishnou.
4. Deux héros de la mythologie hindoue que les Dieux ont soumis à de cruelles épreuves. (N.D.T.)
5. Doctrine, voie, discipline.
6. Lumière, le principe de la lumière spirituelle dans la Nature supérieure ou divine.
7. Cf. note au § 189.
8. Le mâyâvâdin est celui qui suit la voie du Mâyâvâda, selon laquelle le monde n’est qu’une illusion. (N.D.T.)
9. Force, énergie.

270
271
VI

LES AIDES

272
A. – Le jeu de la force yoguique

608. – La force invisible qui produit des résultats tangibles tant au dedans qu’au dehors est toute
la signification de la conscience yoguique. Votre question sur le yoga, qui amènerait simplement un
sentiment de Puissance sans aucun résultat, était en réalité fort étrange. Qui se contenterait d’une telle
hallucination dépourvue de sens et l’appellerait Puissance ? Si nous n’avions pas eu des milliers
d’expériences montrant que le Pouvoir au-dedans pouvait modifier le mental, développer les
pouvoirs, en ajouter de nouveaux, amener de nouveaux registres de connaissances, maîtriser les
mouvements vitaux, changer le caractère, influencer hommes et choses, diriger les conditions et le
fonctionnement du corps, travailler comme force dynamique concrète sur les autres forces, modifier
les événements, etc., nous n’en parlerions pas comme nous le faisons. En outre, ce n’est pas
seulement dans ses résultats, mais dans ses mouvements que la Force est tangible et concrète. Quand
je parle de sentir la Force ou le Pouvoir, je n’entends pas simplement en avoir une vague impression,
mais la sentir concrètement, et par conséquent pouvoir la diriger, la manipuler, surveiller ses
mouvements, avoir conscience de sa masse et de son intensité, et de même façon pour d’autres forces,
peut-être opposées. Par le développement yoguique, toutes ces choses sont possibles et courantes.
À moins qu’il ne s’agisse de la Force supramentale, ce n’est pas une force qui agit sans
conditions ni limites ; les conditions et limites dans lesquelles doit s’élaborer le yoga ou la sâdhanâ
ne sont ni arbitraires ni capricieuses ; elles proviennent de la nature des choses. Celles-ci – y
compris la volonté, la réceptivité, l’assentiment, l’ouverture de soi et le don de soi du sâdhak –
doivent être respectées par la force yoguique, à moins que le Suprême ne l’autorise à passer outre à
tout pour faire quelque chose, mais cette autorisation n’est accordée que parcimonieusement. C’est
uniquement si la Puissance supramentale descendait pleinement, et n’envoyait pas seulement ses
influences à travers le Surmental, que les choses pourraient être dirigées très radicalement vers cet
objet – car autrement l’autorisation ne serait pas rare ! En effet la Loi de Vérité serait à l’œuvre sans
avoir constamment pour contrepoids la loi de l’ignorance.
Pourtant la force yoguique est toujours tangible et concrète de la façon que j’ai décrite, et elle
produit des résultats tangibles. Mais elle est invisible. Elle n’est pas, comme un coup assené ou
l’arrivée d’une voiture qui renverse un piéton, quelque chose que les sens physiques peuvent
percevoir immédiatement. Comment le simple mental physique peut-il savoir qu’elle est là et à
l’œuvre ? Par ses résultats ? Mais comment peut-il savoir que ce sont les résultats de la force
yoguique et non d’autre chose ? Il y a deux possibilités. Ou bien il doit permettre à la conscience de
pénétrer au-dedans, de se rendre compte de choses intérieures, de croire à l’expérience de l’invisible
et du supraphysique, après quoi, par l’expérience, par l’ouverture de facultés nouvelles, elle prend
conscience de ces forces et peut voir, suivre et utiliser leur jeu tout comme le savant utilise les forces
invisibles de la Nature. Ou bien il doit avoir foi et veiller et s’ouvrir, et alors il commencera de voir
273
comment les choses se passent, il observera que lorsque la Force a été appelée, un résultat a
commencé de se manifester, au bout de quelque temps, puis des répétitions, puis davantage de
répétitions, des résultats plus clairs et plus tangibles, avec une fréquence accrue, une cohérence
croissante des résultats, un sentiment et une conscience de la Force au travail, jusqu’à ce que
l’expérience devienne quotidienne, régulière, normale, complète. Ce sont là les deux méthodes
principales, l’une interne, œuvrant du dedans vers l’extérieur, l’autre externe, œuvrant du dehors et y
appelant la force intérieure jusqu’à ce qu’elle pénètre dans la conscience extérieure et y soit visible.
Mais on ne peut appliquer ni l’une ni l’autre si l’on insiste toujours sur l’attitude extravertie, le
concret extérieur seulement, et si l’on refuse de le joindre au concret intérieur ou si à chaque pas le
mental physique soulève une sarabande de doutes qui refusent de laisser se développer l’expérience
naissante. Même le savant qui procède à une expérience nouvelle n’y réussirait jamais s’il laissait
son mental se comporter de la sorte. (I, 291 sqq).

274
B. – L’aide du Divin

609. – L’action de la Force divine n’exclut pas le tapasya, la concentration et le besoin de


sâdhanâ. Son action vient plutôt comme réponse ou comme aide à tout cela. Il est vrai que la Force
agit parfois sans eux ; très souvent elle répond chez ceux qui ne se sont pas préparés et qui ne
semblent pas prêts. Mais elle n’agit pas ainsi toujours ni fréquemment, et ce n’est pas non plus une
sorte de magie qui agit dans le vide ou sans aucun processus. Ce n’est pas non plus un mécanisme qui
agit de la même manière sur tout le monde ni dans toutes conditions et circonstances. Ce n’est pas une
force physique, mais une force spirituelle, et son action ne saurait être ramenée à des règles. (II,
202 sq.)

610. – L’être extérieur peut croître en foi, fidélité au Divin, respect, amour, culte et adoration,
qui sont de grandes choses en elles-mêmes (bien qu’au fond ces choses aussi viennent de l’intérieur),
mais la réalisation ne peut se produire que lorsque l’être intérieur est éveillé avec sa vision et son
sentiment de choses qui ne sont pas vues. Jusque-là on peut sentir les résultats de l’aide divine et, si
on a la foi, savoir qu’ils sont l’œuvre du Divin, mais c’est ensuite seulement qu’on peut sentir
clairement la Force à l’œuvre, la Présence divine, la communion directe. (II, 236 sq.)

611. – Il ne faut pas trop exiger de la protection divine, car, constitués comme nous le sommes et
le monde étant ce qu’il est, la Protection divine doit agir dans certaines limites. Certes il se produit
des miracles, mais nous n’y avons aucun droit. (III, 310)
612. – Vous parlez de l’Impersonnel comme si c’était une Personne. L’Impersonnel n’est pas du
genre masculin, mais du genre neutre. Comment un Cela neutre peut-il guider ou aider ? Le Brahman
impersonnel est inactif, lointain, indifférent et ne s’occupe pas de ce qui se produit dans l’univers. Le
Permanent du Bouddha fait de même. Quelque vérité ou lumière impersonnelle qu’il puisse y avoir, il
vous faut la trouver, l’employer, en faire ce que vous pourrez. Elle ne se soucie pas d’aller vous
chercher. C’est l’idée bouddhique que vous devez tout faire pour vous-même. (II, 204)

613. – La Force cosmique élabore tout et l’Esprit cosmique (Virât Purusha) soutient son action.
La Force cosmique est une puissance qui œuvre dans les conditions de l’Ignorance ; elle apparaît
comme nature inférieure, et la nature inférieure vous fait faire des choses fausses. Le Divin permet le
jeu de ces forces tant que vous ne désirez vous-même rien de mieux. Mais si vous êtes un sâdhak,
275vous vous tournez au lieu vers la Mère divine et
vous n’acceptez pas le jeu de la nature inférieure,
vous lui demandez de travailler à travers vous plutôt que la nature inférieure. C’est seulement lorsque
vous vous êtes entièrement tourné, avec toutes les parties de votre être, vers la Mère divine et elle
seule que le Divin fera toutes actions à travers vous. (II, 97)

276
C. – La descente

614. – La descente est celle des pouvoirs de la conscience supérieure qui est au-dessus de la
tête. Elle descend généralement de centre en centre jusqu’à ce qu’elle ait occupé l’être tout entier.
Mais au début son action est très variable. Il n’y a action continue que lorsque la Paix d’en haut non
seulement est descendue, mais s’est installée dans le système tout entier. La descente vient pour
transformer la conscience, mais la transformation prend du temps. Cela ne s’accomplit pas en un
instant. (II, 103 sq.)

615. – Une fois que le pouvoir de la conscience supérieure commence à venir, il croît
généralement en force parallèlement à la réceptivité du sâdhak jusqu’à ce qu’il puisse venir à tout
moment et dans toutes conditions et rester de plus en plus longtemps, jusqu’à ce qu’il soit stable. De
son côté, le sâdhak doit garder sa conscience aussi paisible et tranquille que possible pour le
recevoir.
La Paix, la Puissance, la Lumière, l’Ananda de la conscience spirituelle supérieure sont là, en
tous, voilés, au-dessus. Une certaine ouverture est nécessaire pour qu’elle puisse descendre ; le
calme du mental et une certaine passivité large et concentrée à l’Influence qui descend sont les
conditions les meilleures pour la descente. (II, 106)

616. – Le courant paisible est nécessaire pour imprégner les parties inférieures. Les grandes
descentes ouvrent la voie, apportent des renforts constants et la force culminante à la fin – mais le
courant tranquille est aussi nécessaire. (II, 105)

617. – Il y a longtemps que sont descendus [les plans supérieurs entre le mental et le surmental].
Cela ne veut pas dire qu’ils soient à la portée de tous ni qu’ils soient développés jusqu’à la pleine
mesure de leurs pouvoirs, mais qu’on peut les compter au nombre des choses accessibles par
tapasya. Quant au Supramental, peut-être est-il en train de descendre, mais il n’est pas encore
descendu. (III, 173)

618. – Qu’elles soient bonnes ou qu’elles soient mauvaises, les forces cosmiques d’ici-bas sont
des forces de l’Ignorance. Au-dessus d’elles est la Vérité consciente qui ne peut se manifester que
277
lorsque l’ego et le désir ont été surmontés. C’est la forme de la Vérité consciente divine qui doit
descendre. La Paix, la Lumière, la Connaissance, la Pureté, l’Ananda supérieurs doivent travailler
sur les forces cosmiques de l’individu de façon à les transformer et à substituer la Vérité-Force au
travail ordinaire. (III, 157)
619. – La sâdhanâ dans le physique est plutôt une nécessité même du travail pour la descente
supramentale. L’effet sur une personne particulière dépendra toujours de la personne elle-même, bien
que les possibilités soient beaucoup plus grandes et plus rapides que maintenant.
Effets de la descente : de plus grandes possibilités que maintenant pour avancer rapidement
dans la sâdhanâ. (III, 175)

620. – Il y a rapport indirect avec le Divin lorsqu’on vit sur le plan de conscience ordinaire,
sans être capable de s’élever au-dessus de ce plan et que l’on reçoit les influences d’en haut sans
savoir d’où elles viennent ni sentir la source dont elles proviennent. (III, 488)

621. – La Force descend pour deux choses : (1) pour transformer la nature ; (2) pour accomplir
le travail par l’instrument.
Au début, on n’a conscience ni de l’une ni de l’autre ; ensuite on devient conscient de ce que la
force agit, mais non de la manière dont elle agit. Finalement, on devient conscient entièrement et en
détails. (II, 104)

622. – De même que la Paix et l’Ananda peuvent se déverser dans le système tout entier et
finalement se stabiliser, si bien qu’ils sont dans le corps et que le corps et l’être tout entier sont en
eux – on pourrait presque dire sont cela, sont la Paix et l’Ananda – il peut en être de même de la
Lumière. Elle peut se déverser dans le corps, rendre chaque cellule lumineuse, se fixer et entourer de
tous côtés en une masse lumineuse de lumière. (II, 107)

623. – Je suppose que c’est le développement du Pouvoir de Vérité et du Pouvoir d’Ananda


dans la conscience surmentale qui est en train de se préparer. L’Ananda transcendant ne pourrait lui-
même descendre qu’après la supramentalisation complète de l’être, et cela signifierait une
transformation prodigieuse dans la conscience terrestre. C’est la Vérité divine dans le Surmental et le
divin Ananda qui peuvent à présent préparer leur manifestation ; c’est ce qu’indiquent ces
expériences. (III, 175 sq.) 278
*

624. – Il est tout à fait possible, si l’on permet un ânanda trop intense avant que la pureté et la
paix soient dans la nature, que cet ânanda trouble le système, bien que je ne sache pas qu’il en soit
jamais résulté aucun cas de folie. En tout cas, c’est un fait que normalement l’ânanda vient (je veux
dire, naturellement, si on ne le tire pas pour le faire descendre) seulement par instants, aussi
longtemps que la paix et la pureté ne sont pas présentes comme base. Il est probablement bon qu’il en
soit ainsi. (II, 335)

625. – Lorqu’il vient en sa vérité et sa puissance divines, l’Amour divin descend d’abord
comme quelque chose de transcendant et d’universel et, partant de cette transcendance et de cette
universalité, il s’applique à des personnes selon la Vérité et la Volonté divines, créant un amour
personnel plus vaste, plus grand, plus pur qu’aucun mental ou cœur humain ne peut actuellement
imaginer. C’est lorsqu’on a senti cette descente que l’on peut vraiment être un instrument pour la
naissance et l’action de l’Amour divin dans le monde. (I, 187)

626. – Votre propre expérience en a été, dites-vous, celle d’une irruption de l’Infini dans le fini,
d’une plus grande Puissance qui descendait sur vous ou vous élevait à elle. En fait, c’est toujours
cela pour l’expérience spirituelle, et c’est pourquoi j’en parle comme du Transcendant. Il se révèle
comme une telle Puissance descendante et élévatrice, ou un Amour descendant et élévateur ou une
Lumière, une Paix, une Béatitude, une Conscience, une Présence. Il n’est pas limité par sa
manifestation dans le fini. On sent qu’il est – lui ou la Paix, la Puissance, l’Amour, la Lumière ou
Béatitude, ou la Présence en laquelle ils sont tous – une infinité existant en soi, et non pas quelque
chose de constitué ou de limité par la première vision que nous en avons ici… Une fois qu’ont eu lieu
cette irruption, cette descente et cette élévation, cela devient forcément à la fin l’unique chose réelle,
car par cela seulement le reste peut trouver sa propre réalité plus grande et durable. C’est la descente
de la Conscience divine, et la montée ou l’élévation en elle dont nous parlons dans notre yoga. Tout
le reste ne peut tenir, réussir, s’accomplir que s’il peut s’élever pour faire partie de cette réalisation
divine ou de sa manifestation, et pour cela il lui faut accepter une grande transformation et perfection.
Mais la réalisation centrale doit être l’unique but central, et c’est seulement cette réalisation qui
rendra divinement possibles les autres choses, tout ce qui est destiné à en faire partie. (I, 207 sq.)

279
627. – Une descente dynamique amène le tapas et non le shama. C’est une descente toujours
plus grande de la paix qui amène le shama ; la descente dynamique y aide en dispersant les éléments
de trouble rajasique et en changeant rajas en tapas. (III, 398)

280
D. – La Grâce

628. – Il ne peut y avoir aucun doute sur la Grâce divine. Il est aussi parfaitement vrai que si un
homme est sincère il atteindra le Divin, mais il ne s’ensuit pas qu’il l’atteindra immédiatement,
facilement et sans délai. C’est là qu’est votre erreur, de fixer à Dieu un terme, cinq ans, six ans, et de
douter parce que l’effet ne s’est pas produit. Un homme peut être centralement sincère, et pourtant il
peut y avoir en lui beaucoup de choses qui doivent être changées avant que puisse commencer la
réalisation. Sa sincérité doit lui permettre de toujours persévérer, car c’est une soif du Divin que rien
ne peut faire cesser, ni retard, ni déception, ni difficulté, ni quoi que ce soit. (II, 197 sq.)

629. – Rares sont ceux dont la Grâce se retire, mais nombreux ceux qui se retirent de la Grâce,
(III, 303)
630. – La Grâce divine vient d’elle-même par une intervention soudaine ou avec une force
croissante lorsque tout est prêt. En attendant, elle est présente derrière toutes les luttes, et
« l’aspiration invincible pour la lumière » dont vous parlez est le signe extérieur qu’elle viendra. (II,
265)

631. – L’existence des difficultés est bien connue dans le yoga. Il n’y a pas là de raison de
mettre en doute la victoire finale ni l’efficacité de la Grâce divine. (II, 199)

632. – Chaque mental peut avoir sa propre voie d’approche à la Vérité suprême, et il y a une
porte pour chacun, de même que des milliers de routes y conduisent. Il n’est pas nécessaire de croire
à la Grâce, ni d’admettre un Dieu qui diffère de notre Soi le plus haut ; il y a dans le yoga des voies
qui n’acceptent pas ces choses. Pour beaucoup de gens aussi, aucune espèce de yoga n’est nécessaire.
On peut arriver à une certaine réalisation par une sorte de pression du mental ou du cœur ou de la
volonté qui brise l’écran les séparant de ce qui est à la fois au-delà d’eux et leur propre source. Ce
qui se passe après la rupture de l’écran dépend du jeu de la Vérité sur la conscience et du tour de la
Nature. Il n’y a donc aucune raison pour que la réalisation par X de son être ne vienne pas à sa
propre manière, par croissance du dedans, non pas par la Grâce divine si son mental refuse cette
désignation, mais, disons, par le mouvement spontané du Soi au-dedans de lui.
En ce qui concerne cette « Grâce », en effet, nous l’appelons ainsi parce que nous sentons dans
l’Esprit ou Soi ou Existence infinis une Présence ou un Être, une Conscience qui détermine – c’est de
cela que nous parlons comme le Divin –, non pas 281
une personne séparée, mais l’Être unique dont notre
Moi individuel est un fragment ou un récipient. Mais il n’est pas nécessaire que tous voient les
choses ainsi. En supposant que ce soit seulement le Soi impersonnel de tous, l’Upanishad dit
cependant de ce Soi et de sa réalisation : « Cette compréhension ne peut pas être acquise par
raisonnement ou par tapasya ou par beaucoup de science, mais celui que ce Soi choisit, à lui il
révèle son propre corps. » Eh bien, c’est la même chose que nous appelons la Grâce divine ; c’est
une action d’en haut ou du dedans, indépendante de causes mentales, et qui décide son propre
mouvement. Nous pouvons l’appeler Grâce divine ; nous pouvons l’appeler le Soi intérieur qui
choisit son heure et son moyen pour se manifester à l’instrument mental en surface ; nous pouvons
l’appeler l’épanouissement de l’être intérieur ou de la nature intérieure en réalisation de soi ou
connaissance de soi. Selon la façon dont quelque chose en nous l’approche ou dont il se présente à
nous, ainsi le mental le voit. Mais en réalité c’est la même chose et le même processus de l’être dans
la Nature. (I, 279 sqq.)

633. – Ce que Brahmânanda 1 dit du tapasya est naturellement vrai. Si l’on n’est pas disposé au
travail et au tapasya, à la maîtrise du mental et du vital, on ne saurait exiger de grands progrès
spirituels, car le mental et le vital trouvent toujours des trucs et des excuses pour prolonger leur
propre règne, pour imposer leurs sympathies et leurs antipathies et pour retarder le jour où ils
devront devenir des instruments obéissants et des canaux ouverts pour l’âme et l’esprit. La Grâce
peut apporter parfois des fruits immérités, mais on ne peut exiger la Grâce comme un droit ou un
privilège, car alors ce ne serait pas la Grâce. Comme vous l’avez vu, on ne peut prétendre qu’il suffit
de crier et que la réponse est obligée de venir. D’ailleurs j’ai toujours constaté qu’avant que la Grâce
n’intervienne il y a eu en réalité une longue préparation non observée, et aussi qu’après l’intervention
de la Grâce on a encore beaucoup de travail à faire pour conserver et développer ce qu’on a obtenu –
ce qui est le cas pour toutes autres choses jusqu’à ce qu’on ait atteint la siddhi complète. Alors
naturellement le travail prend fin et l’on possède avec sécurité. Ainsi on ne peut éviter le tapasya
d’un genre ou d’un autre. (II, 201)

634. – Je suppose que c’est là le miracle supramental de la Grâce, ce que demande toujours en
vous quelque chose – quelque chose qui supporte mal l’exigence du tapasya, de la perfection de soi
et d’un long travail. Cela peut se produire et cela s’est produit pour plusieurs disciples ici, après des
années et des années d’échecs continuels et de difficultés ou de terribles luttes. Mais cela se produit
généralement de cette manière (par opposition à une Grâce qui se développe lentement) après
beaucoup de difficultés et non pas immédiatement. Si vous continuez à l’appeler, malgré l’absence
apparente de réponse, elle viendra sûrement… (II, 233)
282
*

635. – Je voudrais vous dire quelque chose sur la Grâce divine, car vous semblez croire qu’elle
devrait être quelque chose comme une raison divine qui agit selon des directives ne différant pas
beaucoup de celles de l’intelligence humaine. Mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas non plus une
compassion divine universelle agissant impartialement sur tout ceux qui s’adressent à elle et exauçant
toutes les prières. Elle ne choisit pas le juste et ne rejette pas le pécheur. La Grâce divine est venue à
l’aide du persécuteur (Saul de Tarse), elle est venue à saint Augustin le débauché, à Jagaï et Madhaï
d’infâme réputation, à Vilvamangal et à beaucoup d’autres dont la conversion pourrait fort bien
scandaliser le puritanisme de l’intelligence morale humaine. Mais elle peut venir aussi aux justes, en
les guérissant de leur satisfaction d’être justes et en les conduisant à une conscience plus pure au-delà
de ces choses. C’est une puissance qui est supérieure à toute règle et même à la loi cosmique, car
tous les voyants spirituels ont distingué la loi de la Grâce. Pourtant elle n’est pas sans discrimination,
mais elle a une discrimination qui lui est propre, qui voit les choses et les gens, et les moments et les
époques justes, avec une vision autre que celle du mental ou de toute autre puissance morale. Un état
de grâce est souvent préparé dans l’individu derrière des voiles épais, par des moyens que ne saurait
calculer le mental, et lorsque vient l’état de grâce, la Grâce agit elle-même. Il y a trois puissances :
(1) la Loi cosmique du karma ou d’autre chose ; (2) la Compassion divine agissant sur tous ceux
qu’elle peut atteindre avec les filets de la loi et qui leur donne leur chance ; (3) la Grâce divine qui
agit de façon plus incalculable, mais aussi plus irrésistible que les autres. La seule question est de
savoir s’il y a derrière toutes les anomalies de la vie quelque chose qui puisse répondre à l’appel et
s’ouvrir – si difficilement que ce soit – jusqu’à ce qu’on soit prêt pour l’illumination de la Grâce
divine. Ce quelque chose doit être non pas un mouvement mental et vital, mais une chose intérieure
qui peut être bien vue par l’œil intérieur. Si cela est présent, et lorsque cela devient actif en avant,
alors la Compassion peut agir, bien que la pleine action de la Grâce puisse encore attendre la
décision ou transformation décisives. En effet, cela peut être reporté à un moment ultérieur parce que
certaine portion ou certain élément de l’être peut encore venir s’interposer ; il peut y avoir quelque
chose qui ne soit pas encore prêt à recevoir. (II, 195 sqq.)

636. – Il n’est pas indispensable que la Grâce fonctionne d’une manière que le mental humain
puisse comprendre. Ce n’est généralement pas le cas, elle œuvre de sa propre façon « mystérieuse ».
En général, elle travaille d’abord derrière le voile à préparer les choses sans se manifester. Ensuite
elle peut se manifester, mais le sâdhak ne comprend pas très bien ce qui se passe. Finalement,
lorsqu’il en est capable, il sent et comprend à la fois, ou tout au moins commence à le faire. Certains
sentent et comprennent dès le début ou très tôt, mais tel n’est pas le cas général. (II, 199)

283
*

637. – J’ai dit aussi que la Grâce peut agir brusquement à tout moment, mais nous n’avons sur
elle aucune emprise parce qu’elle se produit par une volonté incalculable qui voit des choses que le
mental ne saurait voir. C’est précisément pour cette raison qu’il ne faut jamais désespérer, pour cela
et aussi parce que nulle aspiration sincère tournée vers le Divin ne peut finalement échouer. (II,
173 sq.)

638. – Il n’y a rien d’inintelligible dans ce que je dis de la Grâce et de la Force. La Force a une
valeur pour la réalisation spirituelle, mais dire que celle-ci peut se faire par la seule Force et par
aucun autre moyen est une violente exagération. La Grâce n’est pas une invention, c’est un fait
d’expérience spirituelle. Beaucoup, que le sage et le fort auraient considérés comme rien du tout, ont
été atteints par la Grâce. Des illettrés, sans puissance ni formation mentales, sans force de caractère
ni volonté, ont pourtant aspiré et brusquement ou rapidement accédé à la réalisation spirituelle parce
qu’ils avaient la foi ou qu’ils étaient sincères. Je ne vois pas pourquoi ces faits tout à fait courants
d’histoire spirituelle et d’expérience spirituelle devraient être mis en discussion et niés et
controversés comme si c’étaient de simples spéculations.
La Force, si elle est spirituelle, est un pouvoir de réalisation spirituelle ; un pouvoir plus grand
est la sincérité ; le plus grand pouvoir de tous est la Grâce. J’ai répété d’innombrables fois que si un
homme est sincère, il arrivera malgré les longs délais et d’écrasantes difficultés. J’ai à maintes
reprises parlé de la Grâce divine. J’ai renvoyé je ne sais combien de fois au verset de la Gîtâ : « Je
te délivrerai de tout péché et de tout mal ; ne t’afflige pas. » (II, 200)

639. – « L’action ordinaire du Divin est une intervention constante dans la loi réelle des
choses » – cela peut être, mais ce n’est pas ce qu’on appelle généralement la Grâce divine. La Grâce
divine est quelque chose qui n’est pas calculable, qui n’est lié par rien que l’intellect puisse poser
comme condition, bien qu’en général quelque appel, aspiration, intensité de l’être psychique puisse
l’éveiller ; et pourtant elle agit parfois sans aucune cause apparente, même de ce genre. (II, 199)

284
E. – Le gourou

640. – Tous les vrais gourous sont le même, l’unique Gourou, parce que tous sont l’unique
Divin. C’est là une vérité fondamentale et universelle. Mais il y a aussi une différence qui est vraie :
le Divin habite des personnalités différentes, avec des esprits, des enseignements, des influences
variés, si bien qu’il peut conduire les disciples différents, avec leurs besoins, leur destinée et leur
caractère particuliers, par des voies différentes vers la réalisation. Parce que tous les gourous sont le
même Divin il ne s’ensuit pas que le disciple fasse bien de laisser le gourou qui lui est destiné pour
en suivre un autre. La fidélité au gourou est exigée de tout disciple selon la tradition indienne. « Tous
sont le même » est une vérité spirituelle, mais vous ne pouvez pas la traduire en action sans
discrimination ; vous ne pouvez pas traiter tous les individus de la même manière parce qu’ils sont
l’unique Brahman ; si on le faisait pragmatiquement le résultat serait un horrible gâchis. C’est une
logique mentale rigide qui crée la difficulté, mais en matière spirituelle la logique mentale se trompe
facilement. Ici, l’intuition, la foi et une raison spirituelle plastique sont les seules guides. (II, 205)

641. – Oui, c’est une imperfection dans le vital, un manque de volonté de se discipliner. Il faut
apprendre du maître et agir conformément à ses instructions, parce que le maître connaît le sujet et
sait comment il faut l’apprendre – tout comme dans les choses spirituelles on doit suivre un gourou
qui a la connaissance et qui connaît la voie. Si l’on apprend tout seul, le plus probable est que l’on
apprendra tout de travers. À quoi sert une liberté d’apprendre de travers ? Naturellement, si l’élève
est plus intelligent que le maître, il apprendra plus que le maître, tout comme une grande capacité
spirituelle peut conduire à une réalisation que le gourou n’a pas, mais même dans ce cas-là maîtrise
et discipline sont indispensables aux premières étapes. (II, 204)

642. – Quant à la limitation du pouvoir du gourou à celui d’un professeur qui montre la voie,
mais ne peut ni aider ni guider, c’est la conception de certaines voies de yoga, telles que l’advaïtisme
pur et le Bouddhisme, qui disent qu’il faut compter sur soi-même et que personne ne peut nous aider.
Cependant, même le pur advaïtiste s’en remet à son gourou, et le principal mantra du Bouddhisme
insiste sur la sharana 2 auprès du Bouddha. Pour d’autres voies de sâdhanâ et surtout pour celles qui,
comme la Gîtâ, admettent la réalité de l’âme individuelle comme « portion éternelle » du Divin ou
qui croient à la réalité du Bhagavân et de la bhakti, on a toujours compté sur l’aide du gourou comme
un secours indispensable. (II, 203)
643. – Je crois que cette pensée de Râmakrishna 3 se rapporte à un certain événement particulier
dans la sâdhanâ et ne peut être interprétée dans un285
sens général et absolu, car de cette manière cela ne
pourrait guère être vrai. Que toutes difficultés disparaissent en un instant ? Vivekânanda avait bien
dès le début la grâce de Râmakrishna, et pourtant je crois que son problème de doute a duré quelque
temps, et jusqu’à la fin de sa vie la peine qu’il a eue à maîtriser sa colère ! C’est pourquoi il disait
que tout ce qu’il y avait de bien en lui était un don de son gourou, mais que ces choses-là (colère,
etc.) lui appartenaient en propre. Ce qui pourrait être vrai, c’est que la difficulté centrale disparaisse
par un certain contact entre gourou et disciple. Mais qu’entend-on au juste par kripâ ? Si c’est la
compassion et la grâce générale du gourou, on pourrait supposer qu’elles sont toujours sur le
disciple ; son acceptation même est un acte de grâce, et l’aide est là à sa disposition. Mais le toucher
de la grâce, de la Grâce divine, venant directement ou par l’intermédiaire du gourou est un
phénomène spécial qui a deux faces : d’un côté la grâce du gourou ou du Divin, en fait les deux à la
fois, et de l’autre un « état de grâce » chez le disciple. L’état de grâce est souvent préparé par un long
tapasya, ou purification, où rien de décisif ne paraît se produire, sauf tout au plus des contacts
rapides, des aperçus, des expériences fugitives, après quoi il arrive brusquement, sans prévenir. Si
c’est à cela que se réfère la parole de Râmakrishna, il est vrai que lorsque cela se produit les
difficultés fondamentales peuvent disparaître en un instant, et généralement le font. Ou en tout cas il
se passe quelque chose qui rend le reste de la sâdhana – si longtemps que cela doive durer – certain
et assuré.
Ce toucher décisif vient généralement aux gens du type « chaton » 4, ceux qui ont à quelque point
entre le psychique et le vital émotif un mouvement rapide et décisif d’abandon au gourou ou au Divin.
J’ai vu que lorsque cela est présent, et qu’il y a aussi la dépendance centrale consciente, qui contraint
aussi le mental et le reste du vital, la difficulté fondamentale disparaît. Si d’autres subsistent, on ne
les voit plus comme difficultés, mais simplement comme des choses qui restent à faire et dont il n’y a
pas lieu de s’inquiéter. Parfois il n’est besoin d’aucun tapasya, on se contente de renvoyer ces choses
au Pouvoir que l’on sent guider ou accomplir la sâdhanâ et on le laisse agir, en rejetant tout ce qui lui
est contraire. Alors ce Pouvoir ôte tout ce qui doit être ôté, ou change ce qui doit être changé, vite ou
lentement, mais vitesse et lenteur ne semblent pas avoir d’importance, puisque l’on est sûr que ce
sera fait. Si un tapasya est nécessaire, il se fait avec un tel sentiment d’être fortement appuyé qu’il
n’y a en lui rien de dur ou d’austère.
Pour les autres, du type « jeune singe » 5, ou ceux qui sont plus indépendants encore, qui suivent
leurs propres idées, font leur propre sâdhanâ, ne demandent qu’un peu d’aide ou d’instructions, la
grâce du gourou est bien présente, mais elle agit selon la nature du sâdhak, et elle compte plus ou
moins sur l’effort de celui-ci. Elle aide, secourt en temps de difficultés, sauve au moment du danger ;
le disciple ne se rend peut-être pas toujours compte – ou peut-être presque pas – de ce qui se fait, car
il est absorbé en lui-même et en son effort. Dans ces cas, le mouvement psychologique décisif, le
toucher qui rend toutes choses claires, peut se faire attendre plus longtemps.
Mais avec tout cela, la kripâ est présente, agissant d’une façon ou d’une autre, et elle ne peut
abandonner le disciple que si celui-ci lui-même l’abandonne
286 ou la rejette, par une révolte décisive et
définitive, par le rejet du gourou, en coupant les amarres et en déclarant son indépendance, ou par un
acte ou un mode de trahison qui le sépare de son propre être psychique. Même alors, sauf peut-être
dans le dernier cas s’il est poussé à l’extrême, un retour de la Grâce n’est pas impossible.
Voilà la connaissance et l’expérience que j’ai en la matière. Mais je ne veux pas me prononcer
sur ce qu’il y avait derrière les paroles de Râmakrishna, ni dire s’il entendait faire une affirmation
absolue et générale. (I, 231-234)

644. – Beaucoup de gens ont l’habitude de faire du yoga selon leur propre idée et sans se
soucier de la direction du gourou – de qui néanmoins ils attendent une protection totale et le succès
dans la sâdhanâ même s’ils dansent ou gambadent sur les voies les plus fausses possibles. (II,
255 sq.)
645. – Lorsqu’on s’attache sincèrement au don de soi, rien ne doit être caché qui ait une
importance quelconque pour la vie de la sâdhanâ. La confession aide à purger la conscience des
éléments qui l’encombrent, elle purifie l’air intérieur et contribue à créer entre gourou et disciple un
rapport plus étroit, plus intime et efficace. (II, 214)

646. – Quant au secret : il est toujours recommandé d’observer une certaine discrétion ou de
garder le silence sur les instructions du gourou et sur ses propres expériences, mais il ne faut pas
garder un secret absolu ni en faire un mystère. Une fois qu’on s’est choisi un gourou, on ne doit rien
lui cacher. Cette idée de secret absolu est souvent un tour que jouent les pouvoirs astraux pour
empêcher que l’on demande des éclaircissements et du secours. (III, 42)

647. – Il n’y a pas de raison pour que vous cessiez d’écrire des lettres. Une seule sorte de lettre
est mise en question, et elle ne représente pas un très bon moyen de prendre contact ; vous-même avez
senti que la réaction n’était pas favorable. Je vous ai demandé d’écrire parce que, à l’époque, le
besoin de vous décharger de la matière dangereuse en vous était très grand. Quand bien même cela ne
vous soulageait pas immédiatement, cela me renseignait exactement sur la tournure que prenait la
bataille et me permettait d’exercer, au moment critique, une certaine pression sur les forces
assaillantes. Mais je crois qu’aucune de ces nécessités n’existe plus. Ce dont vous avez besoin
maintenant, c’est plutôt de décourager en vous la source de ces mouvements, mais les exprimer en
mots ne ferait, comme je l’ai dit, que leur donner plus de corps et de substance.
Des centaines de cas ont indubitablement prouvé que, pour beaucoup de gens, formuler
exactement leurs difficultés pour nous les expliquer
287
constitue le plus souvent (mais pas toujours) une
façon immédiate ou même instantanée de s’en débarrasser. Des sâdhaks l’ont souvent constaté – ceux
qui sont ici comme ceux qui sont loin – non seulement pour des difficultés intérieures, mais pour des
maladies et pour la pression extérieure de circonstances défavorables. Mais pour cela une certaine
attitude est nécessaire : ou bien une profonde foi dans le mental et le vital, ou bien l’habitude de
recevoir et de réagir dans l’être intérieur. J’ai vu que cette habitude, partout où elle était établie, était
presque infailliblement efficace, même lorsque la foi était incertaine ou l’expression extérieure dans
le mental vague, ignorante ou fausse et inexacte dans sa forme. En outre, là où cette méthode réussit le
mieux, c’est lorsque celui qui écrit peut le faire en tant que témoin de ses propres mouvements et les
présenter avec une précision exacte et presque impartiale comme phénomène de sa nature ou
mouvement d’une force qui l’affecte et à laquelle il veut échapper. Par contre, si pendant qu’il écrit
son vital se laisse prendre par ce qu’il est en train d’écrire, s’empare de la plume à sa place et
exprime – souvent défend – le point de vue du doute, de la révolte, de la dépression, du désespoir,
c’est une tout autre affaire. Même dans ce cas l’expression agit parfois comme une purge, mais
l’exposé de la situation peut aussi donner de l’énergie à l’attaque (pour le moment du moins) et
semble l’accroître et la prolonger ; elle peut faire que pour un temps cette attaque s’épuise par sa
propre violence et qu’il en résulte finalement un soulagement, mais c’est au prix onéreux de
bouleversements et de tumultes, et au risque de provoquer des retours jouant selon le rythme d’une
fraction périodique, parce que le soulagement n’a été obtenu que par épuisement temporaire de la
force assaillante et non par le rejet et la purification dûs à l’intervention de la Force divine aidée par
le consentement aveugle et l’appui du sâdhak. Une bataille confuse a eu lieu, une intervention
désordonnée et non un alignement net des forces, et dans la confusion et le tourbillon on ne sent pas
l’intervention de la force qui aide. C’est ce qui se produit habituellement dans vos crises ; le vital en
vous était profondément affecté et il commençait à appuyer et exprimer les raisonnements de la force
assaillante, au lieu d’une observation et d’une expression claires de la difficulté par le mental
vigilant exposant en pleine lumière l’état des choses pour que la Lumière et la Force supérieures
agissent sur elles ; la thèse du parti de l’opposition était exposée avec véhémence.
Beaucoup de sâdhaks (même parmi les « avancés ») avaient pris l’habitude d’exprimer leurs
difficultés de la sorte, et quelques-uns le font encore ; ils n’arrivent pas encore à comprendre que ce
n’est pas ainsi qu’il faut faire. Il y eut un temps dans l’âshram où l’on jugeait parfaitement orthodoxe
d’agir ainsi – je ne sais pas pourquoi, car cela n’a jamais fait partie de mon enseignement du yoga –
mais l’expérience a démontré que cela ne réussissait pas ; on aboutit à la fraction périodique, à la
chaîne ininterrompue de luttes. C’est tout à fait différent du mouvement d’ouverture de soi qui réussit
(là encore pas nécessairement sur-le-champ, mais sensiblement et progressivement), et auquel
pensent ceux qui insistent pour que tout soit ouvert au gourou, afin que l’aide puisse parvenir plus
efficacement.
Il est inévitable que doutes et difficultés surgissent dans une entreprise aussi ardue que la
transformation de la nature normale de l’homme288 en une nature spirituelle, le remplacement de son
système de valeurs extériorisées et de son expérience intérieures plus profondes. Mais doutes et
difficultés ne peuvent pas être surmontés en leur permettant toute leur force ; c’est plutôt en apprenant
à s’en écarter et à refuser de se laisser emporter par eux qu’on en triomphe. Alors il y a encore
quelque chance pour que la petite voix douce, à l’intérieur, se fasse entendre et pour qu’elle repousse
cette clameur de voix et de mouvements bruyants qui proviennent de l’extérieur. Vous devez faire
place à la lumière qui vient du dedans ; la lumière du mental extérieur est tout à fait insuffisante pour
découvrir les valeurs intérieures et pour juger de la vérité de l’expérience spirituelle. (III, 310-313)

648. – Quant au sentiment qui vient du dedans, cela dépend de la possibilité de pénétrer au-
dedans. Parfois il vient tout seul avec un approfondissement de la conscience par la bhakti ou
autrement ; parfois il vient par la pratique, si en quelque sorte on soumet la question et l’on écoute la
réponse. Écouter est naturellement une métaphore, mais il est difficile de s’exprimer autrement. Cela
ne signifie pas que la réponse vienne nécessairement sous forme de mots parlés ou non parlés, bien
que ce soit le cas parfois ou pour certains ; elle peut prendre n’importe quelle forme. La principale
difficulté pour beaucoup est d’être sûrs de la réponse juste. Pour cela il est nécessaire de pouvoir
prendre contact intérieurement avec la conscience du gourou : c’est par la bhakti que cela se fait le
mieux. Autrement la tentative d’obtenir ce sentiment de l’intérieur par la pratique peut devenir un
travail délicat et scabreux. Obstacles : (1) l’habitude normale de compter sur les moyens extérieurs
en toutes choses ; (2) l’ego qui substitue ses suggestions à la juste réponse ; (3) l’activité mentale ;
(4) l’intrusion de nuisances. Je crois que vous n’avez pas besoin d’en être très anxieux, mais que
vous devez compter sur la croissance intérieure. Ce qui précède a seulement le caractère d’une
explication générale. (II, 276)

649. – On peut avoir un gourou inférieur en capacité spirituelle (inférieur au disciple ou à


d’autres gourous), portant en lui de nombreuses imperfections humaines, et pourtant, si l’on a la foi,
la bhakti, la vraie matière spirituelle, on peut à travers lui toucher le Divin, parvenir à des
expériences, à la réalisation spirituelle avant le gourou lui-même. Observez bien le « si », car cette
réserve est nécessaire ; ce n’est pas n’importe quel disciple qui peut faire cela avec n’importe quel
gourou. D’un charlatan on ne peut tirer que son charlatanisme. Il faut que le gourou ait en lui quelque
chose qui rende possible le contact avec le Divin, quelque chose qui œuvre en lui, même si dans le
mental extérieur il n’est pas tout à fait conscient de cette action. S’il n’y a en lui rien du tout de
spirituel, ce n’est pas un gourou, mais une imitation. Sans aucun doute il peut y avoir des différences
considérables de réalisation spirituelle entre un gourou et un autre, mais beaucoup dépend du rapport
intérieur entre le gourou et le shishya. On peut aller trouver un très grand homme spirituel et ne rien
289
obtenir de lui, ou n’obtenir que très peu ; on peut aller trouver un homme dont la capacité spirituelle
est moindre et recevoir de lui tout ce qu’il peut donner, et davantage. Les causes de cette inégalité
sont diverses et subtiles, je n’ai pas besoin de m’y attarder ici. Cela diffère pour chaque homme. Je
crois que le gourou est toujours prêt à donner ce qui peut être donné si le disciple peut recevoir. Si le
disciple refuse de recevoir ou se conduit intérieurement ou extérieurement de telle sorte qu’il rende
la réception impossible, ou s’il n’est pas sincère, ou s’il prend une attitude fausse, alors les choses
deviennent difficiles. Mais si l’on est sincère et fidèle, si l’on a l’attitude juste, si le gourou est un
vrai gourou, alors, quelque temps qu’il faille attendre, cela viendra. (II, 209)

650. – Ce ne sont pas les défauts humains du gourou qui peuvent barrer la route lorsqu’il y a
ouverture psychique, confiance et don de soi. Le gourou est le canal, ou le représentant, ou la
manifestation du Divin, selon la mesure de sa personnalité ou de sa réalisation ; mais quoi qu’il soit,
c’est au Divin qu’on s’ouvre lorsqu’on s’ouvre à lui, et si quelque chose est déterminé par le pouvoir
du canal, davantage est déterminé par l’attitude inhérente et intrinsèque de la conscience qui reçoit ;
c’est un élément qui apparaît dans le mental superficiel comme simple confiance ou don de soi direct
et inconditionné, et une fois que cela est présent, l’essentiel peut être obtenu, même d’un maître qui
paraît, à d’autres que le disciple, une source spirituelle inférieure ; et le reste croîtra de lui-même
dans le sâdhak par la Grâce du Divin, même si l’être humain dans le gourou ne peut pas le donner.
C’est cela que K semble avoir fait, peut-être dès le début. Mais chez la plupart des gens maintenant
cette attitude ne parait venir qu’avec difficulté, après beaucoup d’hésitations et de troubles. Dans
mon propre cas, je dois le premier tournant décisif de ma vie intérieure à quelqu’un qui m’était
infiniment inférieur en intellect, en éducation, en capacité, et qui n’était aucunement parfait ni
suprême spirituellement. Mais, ayant vu derrière lui une puissance et ayant décidé de me tourner vers
elle pour être aidé, je me suis remis entièrement en ses mains et j’ai suivi ses instructions avec une
passivité automatique. Lui-même en fut stupéfait et dit à d’autres qu’il n’avait jamais rencontré
personne auparavant qui pût s’abandonner de façon si absolue, sans réserves et sans questions, à la
direction de celui qui l’aide. Le résultat en fut une série d’expériences de transmutation d’un
caractère si radical qu’il était incapable de les suivre et qu’il dut me dire de m’abandonner dans
l’avenir au guide intérieur avec un abandon aussi complet que j’avais témoigné au canal humain. Je
donne cet exemple pour montrer comment cela fonctionne ; ce n’est pas de la manière calculée que
veut dicter la raison humaine, mais selon une loi plus grande et plus mystérieuse. (II, 207 sqq)

1. Cf. Swâmi Brahmânanda – « Disciplines monastiques » (Paris, Adrien-Maisonneuve, 1949). Le swâmi était le fils spirituel de
Shrî Râmakrishna et le premier Abbé de l’Ordre monastique
290 de Râmakrishna.
2. Refuge.
3. « Avec la grâce du gourou, toutes difficultés peuvent disparaître en un clin d’œil, tout comme une obscurité séculaire disparaît
dès l’instant que vous frottez une allumette. » N.D.T. : Ce texte, dont l’authenticité est douteuse, n’a pas, pour cette raison, été
admis dans l’édition française de « L’Enseignement de Râmakrishna » (op. cit.).
4. Cf. note au § 338.
5. Cf. note au § 338.

291
292
VII

DIVERS

293
A. – Intuitions

651. – Pour avoir une intuition vraie, il faut se débarrasser de la volonté-de-soi du mental et
aussi de celle du vital, de leurs préférences, caprices, fantaisies, insistances répétées et éliminer la
pression de l’ego mental et vital qui fait que la conscience travaille au service de ses propres
réclamations et désirs. Autrement, ces choses pénètrent avec force, prétendant être des intuitions, des
inspirations et tout le reste. Ou bien, si quelques intuitions arrivent, elles risquent d’être déformées et
gâtées en se mélangeant à ces forces de l’Ignorance. (III, 217)

652. – Une impulsion dominatrice n’est pas nécessairement une inspiration provenant de la
bonne source. En suivant toujours de telles impulsions on risque plutôt de devenir une créature à
caprices imprévisibles. Une énergie inépuisable est une excellente chose, mais pas une énergie
indisciplinée. (III, 333 sq.)

653. – En ce qui concerne les voix, il y en a beaucoup ; chaque Force, chaque mouvement du
plan mental, vital ou physique peut s’équiper d’une voix. Vos voix n’étaient même pas à l’unisson ;
l’une disait quelque chose et lorsque cela ne réussissait pas, l’autre disait quelque chose
d’incompatible avec la première ; mais vous vous attachiez à vos formations mentales et essayiez
malgré tout de les suivre.

Tout cela se produit parce que dans ces exaltations de la tension de la sâdhanâ le mental et le
vital deviennent très actifs. C’est pourquoi il est nécessaire, d’abord, de baser votre sâdhanâ sur un
grand calme, une grande égalité d’humeur, de ne pas rechercher avidement les expériences et leurs
fruits, mais de les regarder, de les observer, en appelant toujours davantage de lumière, en essayant
de devenir toujours plus large, plus ouvert, plus calmement et plus judicieusement réceptif. Si l’être
psychique est toujours en avant, les difficultés sont grandement diminuées parce qu’il y a une lumière
que le mental et le vital n’ont pas, une perception psychique naturelle et spontanée de ce qui est divin
et de ce qui n’est pas divin, du vrai et du faux, de l’imitation et de l’aide authentique. C’est aussi la
raison pour laquelle j’insiste pour que vous nous fassiez part dé vos expériences, parce que, toutes
autres considérations mises à part, nous avons la connaissance et l’expérience de ces choses et nous
pouvons immédiatement enrayer toute tendance vers l’erreur. (III, 384)

*
294
654. – Dans un esprit vide (vide mais non inerte, cela est important), les intuitions ont une
chance de pénétrer vivantes et entières. Mais n’allez pas vous imaginer que tout ce qui entre dans un
esprit vide est intuitif. Il peut venir n’importe quoi, n’importe quelle sorte d’idée imaginable. Il faut
être vigilant et demander au visiteur son passeport. En d’autres termes, l’être mental doit être présent,
silencieux mais vigilant, impartial mais discriminateur. (II, 452)

655. – L’intuition est une chose que peuvent facilement imiter beaucoup d’autres mouvements de
conscience qui sont beaucoup plus faillibles. (II, 454)

656. – Le cœur a ses intuitions aussi bien que le mental et elles sont aussi vraies que n’importe
quelles perceptions mentales. (II, 384)

657. – Vous parlez d’intuition en ce qui concerne l’indication du temps. Il y a une intuition du
Temps qui n’est pas celle du mental, et lorsqu’elle joue elle est toujours précise à la minute près ou,
si c’est nécessaire, à la seconde près ; mais il ne s’agissait pas de cette Intuition – car elle n’était pas
toujours exacte ; peut-être a-t-elle été précise un certain nombre de fois, mais elle a commencé à être
trompeuse, à vous mettre en retard pour le pranâm 1 ; elle a commencé à incliner vers le retard pour
le déjeuner du midi, vous a mis en opposition avec les nécessités pratiques de ceux qui s’occupent de
la salle à manger. Elle vous a poussé à être en retard le soir, et vous a abandonné complètement, de
sorte que vous avez fini par ne plus avoir de repas le soir. Mais votre mental s’était attaché à ses
propres formations, essayait de les justifier, de donner une signification à ces caprices chaotiques, de
les expliquer par la volonté (très changeante) de la Mère. Tout cela est très connu de ceux qui ont une
expérience du yoga ; cela signifie que ces choses n’étaient pas des intuitions, mais des constructions
du mental, des formations mentales. Si l’intuition y était pour quelque chose, c’était un mouvement du
mental intuitif, mais ce que le mental intuitif nous donne, c’est une intuition de possibilités dont
certaines se réalisent, d’autres pas ou partiellement seulement, tandis que d’autres échouent
totalement. Derrière ces constructions mentales il y a des Forces qui veulent se réaliser et qui
essaient d’employer les humains comme instruments de leur réalisation. Ces forces ne sont pas
nécessairement hostiles, mais c’est leur propre jeu qu’elles jouent ; elles veulent dominer, utiliser, se
justifier, créer leurs propres résultats. (III, 382 sq.)

295
658. – Si vous désirez beaucoup la conscience pour les actions vraies et si vous y aspirez, elle
peut venir de plusieurs manières : (1) Vous pouvez acquérir l’habitude ou la faculté de surveiller vos
mouvements de sorte que vous voyez venir l’impulsion à l’action et que vous pouvez aussi en voir la
nature. (2) Il peut apparaître une conscience qui se sent mal à l’aise chaque fois que se présente une
fausse pensée ou une fausse impulsion à l’action ou au sentiment. (3) Quelque chose en vous peut
vous avertir et vous arrêter quand vous allez faire l’action fausse. (II, 276 sq.)
659. – Pour les choses du domaine subtil et qui ont trait au travail de la conscience dans la
sâdhanâ, il faut apprendre à sentir, observer et voir avec la conscience intérieure et à décider
intuitivement en observant les choses avec un regard malléable qui n’établit ni définitions ni règles,
comme on doit le faire dans la vie extérieure. (III, 76)

296
B. – La maladie

660. – Quant à la question sur la maladie, la perfection sur le plan physique fait bien partie de
l’idéal du yoga, mais elle en est le dernier élément, et tant que la transformation fondamentale ne s’est
pas faite dans la conscience matérielle à laquelle appartient le corps, on peut avoir une certaine
perfection sur d’autres plans sans jouir de l’immunité dans le corps. Nous n’avons pas cherché la
perfection pour notre avantage propre, mais comme partie d’une transformation générale, en créant
pour les autres une possibilité de perfection. Cela n’aurait pas pu se faire sans que nous acceptions et
confrontions les difficultés de la réalisation et de la transformation et que nous les surmontions pour
nous-mêmes. Cela s’est fait à un degré suffisant sur les autres plans, mais pas encore sur la partie la
plus matérielle du plan physique. Jusqu’à ce que cela soit fait, la lutte y continue et, bien qu’il puisse
y avoir et qu’il y ait une force d’action et de défense yoguiques, il ne peut y avoir d’immunité. (II,
66 sq.)

661. – Le mieux est évidemment de guérir par la force vraie, la force divine, à condition que le
corps se laisse faire. Le corps a une conscience à lui qui doit être éclairée avant qu’elle puisse réagir
pleinement. On peut certainement agir sur la maladie et la guérir, mais ce n’est pas toujours facile,
car il y a dans la matière beaucoup de résistance, la résistance de l’inertie. Il faut beaucoup de
ténacité. La maîtrise sur le corps ou sur une maladie particulière devient progressivement plus forte.
Par la pratique, il vous faut accroître ce pouvoir jusqu’à ce qu’il devienne capable de guérir.
Observez que tant que le pouvoir n’est pas entièrement présent, il ne faut pas totalement négliger une
certaine aide de la nature physique. La nature physique est une chose d’habitude. C’est par l’habitude
qu’elle répond aux forces de la maladie. Il faut y faire entrer l’habitude contraire de ne répondre
qu’aux forces divines. (II, 447)

662. – Selon la science, le monde entier n’est qu’un jeu de l’Énergie. On l’appelait Énergie
matérielle, mais on doute maintenant que, scientifiquement parlant, la Matière existe autrement que
comme un phénomène de l’Énergie. Selon le Védânta, le monde entier est le jeu de la puissance d’une
entité spirituelle, la puissance d’une conscience originelle, que ce soit Mâyâ ou Shakti, et le résultat
est une illusion, ou bien il est réel. Dans le monde, en ce qui concerne l’homme, nous avons
conscience uniquement de l’énergie mentale, l’énergie de vie et l’énergie dans la matière ; mais on
suppose qu’elles ont aussi derrière elles une force ou énergie spirituelle d’où elles proviennent. Dans
un cas comme dans l’autre, toutes choses sont le résultat d’une Shakti, énergie ou force. Il n’y a pas
d’action sans une Force ou Énergie qui la fasse et297
qui en provoque les conséquences. En outre, tout ce
qui ne contient pas de force en soi est quelque chose de mort, ou d’irréel, ou d’inerte et sans
conséquence. S’il n’existe pas de conscience spirituelle, il ne peut pas y avoir de réalité dans le
yoga, et s’il n’y a pas de force yoguique, de force spirituelle, de Yoga-shakti, le yoga ne peut avoir
aucune efficacité. Une conscience yoguique ou conscience spirituelle qui n’a en elle ni puissance ni
force peut ne pas être morte ni irréelle, mais c’est évidemment quelque chose d’inerte, sans effet ni
conséquence. De même l’homme qui se pose en yogin ou en gourou et qui n’a pas de conscience
spirituelle, ou pas de pouvoir dans sa conscience spirituelle – force yoguique ou force spirituelle – a
une prétention injustifiée ; c’est ou bien un charlatan, ou bien un imbécile qui s’illusionne lui-même ;
plus encore si sans avoir de force spirituelle il prétend avoir tracé un chemin que d’autres peuvent
suivre. Si le yoga est une réalité, si la spiritualité est autre chose qu’une délusion il faut qu’il existe
quelque chose qui soit force yoguique ou force spirituelle.
Il est évident que si la force spirituelle existe, elle doit pouvoir produire des résultats
spirituels ; il n’y a donc rien d’irrationnel dans ce que prétendent les sâdhaks qui disent sentir la
force du Gourou ou la force du Divin œuvrant en eux et les conduisant vers un accomplissement et
une expérience spirituels. Qu’il en soit ou non ainsi dans tel cas particulier est une question
personnelle, mais on ne saurait dénoncer cette affirmation comme incroyable per se, et manifestement
fausse parce que de telles choses ne peuvent pas être. En outre, s’il est vrai que la force spirituelle
est la force originelle et que les autres en sont des dérivées, il n’y a rien d’irrationnel à supposer
qu’elle peut produire des résultats mentaux, des résultats vitaux, des résultats physiques. Elle peut
agir par des énergies mentales, vitales ou physiques et par les moyens que ces énergies utilisent, ou
bien elle peut agir directement sur le mental, la vie et la matière comme champ de sa propre action
spéciale et immédiate. L’une et l’autre manière sont possibles prima facie. Dans un cas de guérison
de maladie, quelqu’un est souffrant deux jours, faible, ayant douleurs et fièvre ; il ne prend pas de
médicament et finalement demande à son gourou de le guérir ; le lendemain matin il se lève rétabli,
plein de force et d’énergie. Il a tout au moins quelque raison de penser qu’une force a été appliquée
sur lui, mise en lui, et que ce qui a agi était un pouvoir spirituel. Mais dans un autre cas on peut avoir
recours à des médicaments, tout en appelant la force invisible au secours des moyens matériels, car
c’est un fait connu que les médicaments peuvent réussir ou échouer ; on n’a pas de certitude. Dans ce
dernier cas, pour la raison d’un observateur impartial (qui ne soit ni celui qui emploie la force, ni le
médecin, ni le malade), il n’est pas certain que le malade ait été guéri par les seuls médicaments, ni
qu’il l’ait été par la force spirituelle se servant des médicaments comme d’un instrument. L’un et
l’autre sont possibles, et l’on ne peut pas dire que parce que des médicaments ont été mis en œuvre
l’action de la force spirituelle soit incroyable per se et démontrablement fausse. Par contre il est
possible que le docteur ait senti une force œuvrant en lui et le guidant, ou il peut voir le malade
récupérer avec une rapidité incroyable pour la science médicale. Le malade peut sentir la force
œuvrant en lui, et apportant santé, énergie, guérison rapide. Celui qui applique la force peut en
surveiller les résultats, voir s’atténuer les symptômes
298 sur lesquels il travaille, s’aggraver ceux sur
lesquels il n’a pas travaillé jusqu’à ce qu’il agisse sur eux, et alors les voir diminuer
immédiatement ; il peut voir le médecin travailler conformément à ses suggestions non exprimées,
etc. jusqu’à ce que la guérison soit achevée. (Il peut aussi voir des forces à l’œuvre contre la
guérison et conclure que la force spirituelle doit se contenter d’un succès imparfait ou battre en
retraite). Dans tout cela, le médecin, le malade ou celui qui utilise la force ont des raisons de croire
que la guérison est due à la force spirituelle, tout au moins partiellement, ou même fondamentalement.
Leur expérience n’a naturellement de valeur que pour eux-mêmes, et non pour l’observateur
rationalisant extérieur. Mais ce dernier n’a pas logiquement le droit d’affirmer que leur expérience
est incroyable et nécessairement fausse.
Autre chose. Il ne s’ensuit pas qu’une force spirituelle doive réussir dans tous les cas, ou sinon
cela prouve sa non-existence. On ne peut dire cela d’aucune force. La force du feu est de brûler, mais
il y a des choses qu’il ne brûle pas ; dans certaines circonstances il ne brûle même pas les pieds de
l’homme qui marche nu-pieds sur des charbons ardents. Cela ne prouve pas que le feu ne puisse pas
brûler, ni que n’existe pas la force du feu, Agni-shakti.
Je n’ai pas le temps d’en écrire davantage, et d’ailleurs ce n’est pas nécessaire. Mon but n’était
pas de montrer qu’il faut croire à la force spirituelle, mais que cette croyance n’est pas
nécessairement délusoire, qu’elle peut être rationnelle ainsi que possible. (I, 287-291)

299
C. – La mort

663. – La mort physique est la dissolution de la forme physique, mais ce ne sont pas toutes les
formes qui disparaissent avec la mort. (III, 418)

664. – Le corps physique lui-même est appelé le fourreau alimentaire et son rejet est ce qu’on
appelle la mort. (III, 184)

665. – Il n’y a rien de difficile à cela. La mort n’a pas d’existence séparée en elle-même ; ce
n’est qu’un résultat du principe de décrépitude du corps et ce principe s’y trouve déjà ; il fait partie
de la nature physique. Néanmoins, il n’est pas inévitable ; si l’on pouvait avoir la conscience et la
force nécessaires, la décrépitude et la mort ne seraient pas inévitables. Mais amener la conscience et
la force dans la nature matérielle tout entière est ce qu’il y a de plus difficile – en tout cas de les
amener de façon à abolir le principe de décrépitude. Celui-ci a surgi parce qu’il se trouve dans le
subconscient et dans la Matière où vous essayez de faire descendre l’intuition et le Surmental ; il a
voulu se glisser dans le centre subjectif pour combattre le pouvoir supérieur dans le mental comme
dans le corps. (III, 417 sq.)

666. – Je puis comprendre le choc que la mort catastrophique de votre femme a dû représenter
pour vous. Mais vous êtes maintenant un chercheur et un sâdhak de la Vérité et vous devez appliquer
votre esprit à vous élever au-dessus des réactions normales de l’être humain et à voir les choses dans
une lumière plus grande et plus vaste. Considérez votre femme comme une âme qui progressait à
travers les vicissitudes de la vie d’ignorance, comme tout autre ici-bas ; dans ce progrès il se produit
des choses qui paraissent regrettables pour le mental humain, et une mort soudaine, accidentelle ou
violente, mettant prématurément fin à cette période toujours brève d’expérience terrestre que nous
appelons la vie, semble particulièrement douloureuse et malheureuse. Mais celui qui passe par
derrière la vision extérieure sait que tout ce qui se produit dans le progrès de l’âme a sa signification,
sa nécessité, sa place dans la série d’expériences qui conduisent l’âme vers le tournant où l’on peut
passer de l’ignorance à la lumière. Il sait que tout ce qui se produit dans la Providence divine est
pour le mieux, même si à notre mental il en semble autrement. Considérez votre femme comme une
âme qui a traversé la barrière entre deux états d’existence. Aidez-la dans son voyage à son lieu de
repos par des pensées calmes et en demandant au Secours divin de l’y aider. Un chagrin qui continue
300
trop longtemps n’aide pas, mais retarde le voyage de l’âme qui est partie. Ne ruminez pas sur votre
perte, pensez seulement au bien-être spirituel de votre femme. (II, 427 sq.)

667. – Il faut maintenant accepter avec calme ce qui s’est produit comme la chose qui était
décrétée et qui était la meilleure pour la progression de son âme de vie en vie, bien que ce ne soit pas
la meilleure pour des yeux humains qui ne considèrent que l’apparence extérieure et le présent. Pour
le chercheur spirituel, la mort n’est qu’un passage d’une forme de vie à une autre, et personne ne
meurt ; on ne fait que partir. Regardez comme tel et secouez de vous toutes les réactions de chagrin
vital, car elles ne peuvent pas l’aider dans son voyage ; et continuez à avancer régulièrement sur le
sentier qui conduit au Divin. (II, 426)

301
D. – Le sacrifice

668. – Le sacrifice a toujours une valeur morale et psychique. Cette valeur reste la même quelle
que soit la cause pour laquelle le sacrifice est fait, à condition que celui qui le fait croie en la vérité,
la justice ou un autre mérite de cette cause. Si l’on fait le sacrifice pour une cause que l’on sait
mauvaise ou indigne, tout dépend du mobile et de l’esprit du sacrifice. Bhîshma 2 acceptant de mourir
pour une cause qu’il savait injuste obéissait à l’appel de la loyauté envers ce qu’il sentait son devoir
personnel. Beaucoup ont agi ainsi dans le passé, et la valeur morale et psychique de leur acte réside
dans la noblesse du mobile, quelle que soit la nature de la cause.
Quant à l’autre question, il n’y a aucun sacrifice, à ce sens du terme, pour l’homme renonçant à
quelque chose qu’il n’apprécie pas, excepté dans la mesure où il subit une perte, s’expose à
l’anathème ou à la calomnie de ses semblables, ou d’autre manière paie quelque chose pour sa
libération. Je puis dire cependant que sans être froid ni dépourvu d’amour, un homme peut être
empoigné par un appel spirituel ou par l’appel d’une grande cause humaine au point que les attaches
familiales ou autres ne comptent pour rien à côté et qu’il abandonne tout, joyeusement, sans
déchirement, pour répondre à la Voix qui l’appelle.
Au sens spirituel néanmoins, le sacrifice a une signification différente ; il n’indique pas tant
l’abandon de ce qui nous est cher qu’une offrande de soi-même au Divin, de son être, de son mental,
son cœur, sa volonté, son corps, sa vie, ses actions. Il a son sens original de « rendre sacré » et on
l’emploie comme équivalent du terme yajna. Lorsque la Gîtâ parle du « sacrifice de la
connaissance », elle n’entend pas que l’on renonce à quoi que ce soit, mais que l’on tourne le mental
vers le Divin dans la recherche de la connaissance et qu’à travers cela on fasse l’offrande de soi-
même. C’est dans ce sens aussi que l’on parle de l’offrande ou du sacrifice des œuvres. La Mère a
écrit quelque part que le sacrifice spirituel est, par nature, joyeux et non douloureux. Très
fréquemment, sur la voie spirituelle, lorsqu’un chercheur sent encore fortement les anciennes attaches
et responsabilités, on ne lui demande pas de les couper ou de les abandonner, mais de laisser l’appel
croître en lui jusqu’à ce qu’intérieurement tout soit prêt. En fait beaucoup de gens arrivent plus tôt
parce qu’ils sentent que se détacher est la seule chance qu’ils ont, et ils doivent quelquefois passer
par une lutte. Mais la douleur, la lutte, ne constituent pas le caractère essentiel de cette spirituelle
offrande de soi. (I, 281 sq.)

302
E. – Humour et gaieté

669. – Le sens de l’humour ? C’est le sel de la vie ; sans lui le monde se serait complètement
déséquilibré (il l’est déjà assez) et il aurait flambé depuis longtemps. (II, 464)

670. – Je n’ai pas constaté que les personnalités hautement évoluées manquent du sens de
l’humour, et je ne vois pas comment on peut dire qu’un individu est intégré lorsque ce sens lui
manque. « Relâché » ne s’applique qu’à une légèreté frivole derrière laquelle il n’y a rien de
substantiel. Aucune loi n’a décrété que la sagesse devait être quelque chose de rigidement solennel et
dépourvu de sourire. (II, 464 sq.)

671. – Il n’est pas nécessaire d’avoir un visage toujours sérieux et d’observer le silence quand
on fait le yoga, mais il est nécessaire de prendre le yoga au sérieux, et le silence et la concentration
intérieure y ont une grande place. On ne peut constamment se projeter à l’extérieur si l’on s’assigne
comme but de rentrer à l’intérieur et d’y trouver le Divin. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille être
grave et sombre tout le temps, ou sombre la plupart du temps, et je ne pense pas que les sâdhaks ici
le soient. C’est l’emphase avec laquelle N a l’habitude d’expliquer sa difficulté : la difficulté d’un
vital qui veut toujours s’élancer vers l’extérieur dans l’action et la création, tandis qu’une autre partie
est mécontente du résultat et a l’impression que son propre mouvement est frustré. Il y a en lui deux
êtres, dont l’un veut une vie d’expansion vitale et l’autre une vie intérieure. Le premier s’agite parce
que la vie intérieure n’est pas une vie d’expansion vers l’extérieur ; l’autre est misérable parce que
son but n’est pas atteint. Dans notre yoga, il n’est pas nécessaire d’éliminer l’une de ces deux
personnalités ; mais il faut que le vital extérieur permette au vital intérieur de s’installer, qu’il lui
donne la première place et consente à n’être que l’instrument de l’âme et à obéir à la loi de la vie
intérieure. C’est ce que le mental de N se refuse encore à comprendre ; il s’imagine qu’il faut ou bien
être tout sombre, froid et grave, ou bien faire entrer dans la vie intérieure le pétillement et le
bouillonnement. Un contrôle calme, heureux et satisfait du vital par l’être intérieur est une chose qu’il
n’est pas encore en mesure de concevoir. (III, 349 sq.)

303
F. – Le rôle des chakras

672. – Dans notre yoga, il n’y a pas d’ouverture des chakras déterminée par la volonté ; ils
s’ouvrent d’eux-mêmes par la descente de la Force. Dans la discipline tantrique ils s’ouvrent de bas
en haut en commençant par le mûlâdhâra ; dans notre yoga, ils s’ouvrent de haut en bas. Mais il y a
montée de la force à partir du mûlâdhâra. (III, 40)

673. – Le centre de la gorge représente le mental extériorisateur (physique), le cœur est le


mental émotif et le début du vital supérieur. Si le centre du cœur est dominé, dans quelque mesure,
par le mental physique, il sera nécessairement exposé aux attaques extérieures qui affectent la
conscience physique et nerveuse. Le cœur doit être relié au psychique et à la conscience supérieure.
(III, 180)

674. – Le cerveau n’est qu’un centre de la conscience physique. On se sent posté là tant que l’on
s’attarde dans le mental physique ou que l’on s’identifie à la conscience corporelle ; alors c’est à
travers le sahasrâdala que l’on reçoit dans le cerveau. Lorsqu’on cesse de stationner dans le corps,
le cerveau n’est plus une station, mais un canal transmetteur passif et silencieux. (III, 179)

675. – Le centre du mental physique ou mental extériorisateur se trouve dans le corps subtil,
dans la gorge, et il est puissamment relié avec la parole – mais il agit en liaison avec le cerveau.
Toutes les forces qui veulent recouvrir la conscience s’élèvent pour le faire en entourant les centres
mentaux et en agissant sur eux, si elles le peuvent – « en les entourant » parce qu’autrement le
recouvrement n’est pas complet. (III, 179)

676. – Le nombril est le centre vital principal au-dessous de l’émotif ; il y a un autre centre de
petits mouvements vitaux au-dessous de lui, entre le nombril et le mûlâdhâra.
C’est l’énergie vitale inférieure qui se précipite dans le cerveau et, ou bien l’embrouille et
empêche la maîtrise mentale de soi-même, ou bien fait du mental son esclave et utilise la raison pour
justifier les passions. (III, 182 sq.)

*
304
677. – Le cœur est le centre de l’être et il commande le reste puisque l’être psychique ou le
chaïtya-purusha s’y trouve. C’est dans ce sens seulement que tout découle de lui, car il est l’être
psychique qui se crée à chaque fois un mental nouveau, un vital nouveau et un corps nouveau. (III,
182)
678. – La chitta n’est pas près du cœur ; si vous voulez parler de la substance de la conscience
inférieure, elle n’a pas de place particulière. Toutes les choses de cette vie-ci s’y trouvent, dans cette
matière de la conscience ; mais le souvenir des vies passées est enveloppé et involué ailleurs.
Naturellement, pour la plupart des hommes, le cœur est le centre principal de cette conscience, de
sorte que vous pouvez sentir ses activitées centrées à ce niveau. (III, 182)

679. – L’être psychique (qui est l’âme) ne se crée pas des centres dans l’âdhâra. Les centres
sont là. L’être psychique peut se rendre maître des centres qui sont déjà là : le cœur, le centre
ombilical et les deux au-dessous du nombril. De même le mental et le vital ne sont pas abolis, ils sont
placés sous l’influence psychique et psychicisés, ou encore ils sont occupés par la conscience
supérieure venant d’en haut et deviennent les instruments de cette conscience. (II, 76)

680. – Dans notre yoga, l’ascension et la descente de la force s’accomplissent à leur manière,
sans que doivent nécessairement se reproduire les détails exposés dans les livres tantriques.
Beaucoup deviennent conscients des centres, mais d’autres sentent simplement la montée ou la
descente d’une façon générale, ou de niveau à niveau plutôt que de centre à centre, c’est-à-dire qu’ils
sentent descendre la force d’abord dans la tête, puis dans le nombril et plus bas encore. Il n’est pas
du tout nécessaire de prendre conscience des divinités qui se trouvent dans les centres d’après la
description tantrique ; certains sentent la Mère dans les différents centres. Pour ces choses, notre
sâdhanâ ne s’attache pas à la connaissance donnée dans les livres ; elle s’en tient simplement à la
vérité centrale qui est derrière eux et la réalise indépendamment, sans se soumettre en aucune
manière aux anciennes formes et aux anciens symboles. Les centres eux-mêmes reçoivent ici une
interprétation différente de celle que leur donnent les livres des tantristes. (II, 22 sq.)

681. – Dans le front, entre les yeux, mais légèrement au-dessus, se trouve l’âjnâ-chakra, centre
de la volonté intérieure et aussi de la vision intérieure, du mental dynamique, etc. (Il ne s’agit pas de
la volonté et de la vision mentales extérieures ordinaires, mais de quelque chose de plus puissant qui
appartient à l’être intérieur). Quand ce centre s’ouvre et que la Force y est active, il y a ouverture
305
d’une volonté plus grande, d’un pouvoir de décision, d’une formation, d’une efficacité plus grands,
au-delà de ce que peut réaliser le mental ordinaire. (II, 93)

1. Réunion quotidienne de méditation en présence de la Mère de l’âshram.


2. Grand sage du Mahâbhârata.

306
307
VIII

SUPPLÉMENT

308
A. – Extraits de « Les éléments du yoga »

682. – Il y a une possibilité future pour tout le monde, même pour l’athée ou pour celui qui ne
pense jamais à Dieu.

683. – Il vaut mieux que le mental soit fort et développé, mais l’érudition ne crée par
nécessairement un mental fort et développé. Ce mental se crée lui-même par la volonté de savoir
correctement, largement et avec une réception simple de la vérité.

684. – La nature du corps est tamasique – c’est le vital qui le met en mouvement et s’en sert
comme instrument. Si le vital est illuminé, la Force divine peut agir toujours dans le corps.

685. – Le vital ne doit pas seulement rejeter tous les mouvements inférieurs, mais il doit
s’ouvrir et recevoir la lumière d’en haut afin qu’il puisse connaître et recevoir la Volonté divine et
ses impulsions. On peut dire alors qu’il est illuminé.

686. – Le vital inférieur prend un vil et mesquin plaisir à chercher les défauts des autres et par
conséquent l’on entrave à la fois son propre progrès et celui de la personne critiquée.

687. – Il y a beaucoup de pouvoirs dans le psychique – la foi, la vision psychique, la gratitude


au Divin, le feu de l’aspiration et beaucoup d’autres.

688. – Chez la plupart des gens le pouvoir agit d’abord dans le mental ; ce n’est que quand le
mental et le vital ont subi un certain degré de changement préliminaire que l’être psychique est prêt à
se mettre en avant.

309
689. – Le mental, le vital et le corps sont les instruments de la manifestation. Bien entendu,
l’être psychique peut, de lui-même, manifester des choses au-dedans et sur son propre plan, mais
pour la manifestation sur le plan physique les autres parties de l’être sont nécessaires comme
instruments.

690. – L’Esprit est la conscience au-dessus du mental, l’Atman ou le Soi qui est toujours uni au
Divin ; une conscience spirituelle est toujours unie au Divin, ou tout au moins en contact avec lui.
L’être psychique est une étincelle du Divin qui est là en toutes choses et, au fur et à mesure que
l’individu se développe, elle croît en lui et se manifeste comme l’être psychique, l’âme, qui cherche
toujours le Divin et la Vérité et répond au Divin et à la Vérité quel que soit le moment et quel que soit
l’endroit où elle les rencontre.

691. – Oui, il y a un chagrin psychique de ce genre, mais les larmes psychiques ne sont pas
nécessairement douloureuses – il y a aussi des larmes d’émotion et de joie.

692. – S’unir pleinement au Divin est le but final. Quand on a une sorte d’union constante, on
peut être appelé un yogin, mais l’union doit être rendue complète. Il y a des yogins qui n’ont l’union
que sur le plan spirituel, d’autres qui l’ont par le mental et par le cœur, d’autres encore qui l’ont dans
le vital aussi. Dans notre yoga, le but est de s’unir au Divin dans la conscience physique également,
aussi bien que sur le plan supramental.

693. – Comment l’amour divin pourrait-il s’exprimer par des émotions humaines ? Il
deviendrait alors humain et non divin. Si vous voulez dire qu’il y a quelque chose de correspondant
mais beaucoup plus grand dans l’amour divin, cela se peut.

694. – Il y a un sentiment intense – il n’y a pas ce que les hommes appellent émotion, car cette
dernière est superficielle et passagère. L’intensité de l’amour divin ne crée jamais une perturbation
nulle part dans l’être.

*
310
695. – La bhakti est une émotion psychique, un sentiment psychique dirigé vers le Divin, le
gourou, etc.

696. – Si l’on essaie d’avancer en se fiant à sa propre force, peu nombreux sont ceux qui
peuvent le faire, mais par la foi en le Divin, par la Grâce du Divin, cela devient possible.

697. – Le passage de l’esprit ordinaire à la conscience spirituelle peut être effectué soit par la
méditation, soit par le travail consacré ou encore par la bhakti pour le Divin. Dans notre yoga, qui
vise non seulement à une paix immobile ou à une absorption mais à une section spirituelle dynamique,
le travail est indispensable. Quant à la Vérité supramentale, c’est une autre affaire ; elle dépend
uniquement de la descente du Divin et de l’action de la Force suprême et n’est pas astreinte à une
méthode ou à une règle quelconque.

698. – L’absence de pensée n’est pas nécessaire. Quand il n’y a pas de pensée, c’est le silence.
Mais on dit que le mental est calme lorsque des pensées, des sentiments, etc., peuvent passer à
travers lui sans qu’il en soit troublé. Il sent que les pensées ne lui appartiennent pas ; il les observe
peut-être, mais rien ne le trouble.

699. – La conscience supérieure est une conscience concentrée ; elle est concentrée dans l’Unité
divine et dans l’exécution de la Volonté divine. Elle ne se disperse pas et ne se précipite pas à la
recherche de telle ou telle idée mentale ou de tel ou tel désir vital ou besoin physique comme le fait
la conscience humaine ordinaire. Cette conscience concentrée n’est pas non plus envahie par mille
pensées, par des impulsions et des sentiments fortuits, mais elle est maîtresse d’elle-même, centrée et
harmonieuse.

700. – La méditation réussit vraiment quand vous entrez dans une conscience plus profonde ou
supérieure ou quand cette conscience descend en vous.

311
701. – La prière est une expression de l’aspiration ou elle peut l’être. Car il y a des prières qui
expriment seulement un désir, par exemple des prières pour la richesse, le succès mondain, etc.

702. – Il est absurde de dire qu’à moins que la nature entière soit purifiée il ne peut y avoir de
vrai commencement du yoga.
703. – La transformation est rendue possible par la purification.

704. – Qui peut rejeter complètement sa nature inférieure ? Tout ce que l’on peut faire est
aspirer, rejeter les impulsions inférieures et appeler le Divin pour qu’il fasse le reste.

705. – L’aspiration est un appel au Divin ; la volonté est la pression d’une force consciente sur
la Nature.

706. – Il n’y a aucun rapport entre l’aspiration et l’ouverture, sauf que l’aspiration produit
l’ouverture. L’ouverture veut dire que la conscience s’ouvre à la Vérité ou au Divin auquel elle est à
présent fermée, elle indique un état de réceptivité. L’aspiration est un appel dans l’être, ce n’est pas
l’ouverture.

707. – L’aspiration vitale est dynamique, un appel de la force de Vie. Celle du cœur est soit
émotive, soit psychique.

708. – L’aspiration représente le même pouvoir chez tout le monde ; elle diffère seulement quant
à sa pureté, son intensité et son objet.

709. – Si votre aspiration ne reste pas constante, la nature retombera dans ses anciens
mouvements inférieurs.

*
312
710. – S’il n’y a pas de soumission, l’être entier ne peut pas être transformé.

711. – Une soumission active est celle où vous associez votre volonté à la Volonté divine, où
vous rejetez ce qui n’est pas le Divin et consentez à ce qui est le Divin. Une soumission passive est
celle où on laisse tout au soin du Divin ; peu nombreux sont ceux qui peuvent le faire car en pratique
il arrive que vous vous abandonniez à la nature inférieure sous prétexte de vous abandonner au Divin.

712. – La foi est un sentiment dans l’être entier. La croyance est mentale. La confiance veut dire
se fier à une personne ou au Divin ou être sûr du résultat de son effort ou de sa recherche.

713. – L’expression « la foi aveugle » n’a pas de vrai sens. Je suppose que lorsqu’on le dit on
entend que l’on ne croit pas sans preuve, mais la conclusion que l’on tire d’une preuve n’est pas la
foi, c’est une connaissance ou une opinion mentale. On possède la foi avant d’avoir des preuves ou
une connaissance et elle vous aide à arriver à la connaissance ou à l’expérience. Il n’y a pas de
preuve que Dieu existe, mais si j’ai la foi en Dieu alors je puis arriver à l’expérience du Divin.

714. – La foi mentale combat le doute et vous aide à vous ouvrir à la vraie connaissance. La foi
vitale empêche les attaques des forces hostiles ou les met en déroute, elle vous aide à vous ouvrir à
l’action et à la volonté spirituelles véritables. La foi physique vous tient ferme dans toute obscurité,
inertie ou souffrance physique et vous aide à vous ouvrir au fondement de la vraie conscience. La foi
psychique vous ouvre au contact direct du Divin ; elle vous aide à atteindre l’union et la soumission.

715. – La paix et l’égalité d’âme sont là au-dessus de vous ; il faut les appeler à descendre dans
le mental, le vital et le corps. Et chaque fois que quelque chose vous trouble, vous devez rejeter ce
qui trouble et aussi le trouble lui-même.
716. – Si l’on agit contre la perturbation, il faut le faire avec calme, sans colère, sans agitation,
tristesse ou tout autre mouvement qui tourmente.

313
717. – La paix est la condition pour l’action juste de la Force. La Force et la Paix sont deux
pouvoirs différents du Divin.

718. – On doit être parfaitement sincère et ne pas légitimer ses désirs et ses défauts propres par
un raisonnement du mental. Il faut s’observer et regarder ses mouvements avec calme,
impartialement, et appeler la Lumière de la Mère ; alors, graduellement, on commencera à tout
discerner dans cette lumière. Même si cela ne peut pas se faire parfaitement tout de suite, le jugement
et le sentiment deviendront plus clairs et plus sûrs, une conscience juste des choses sera établie.

719. – Persister sincèrement dans son effort jusqu’à ce que l’on réussisse complètement est la
seule chose indispensable. Tant qu’il y aura une sincérité intégrale, la Grâce divine sera là et elle
vous aidera à tout moment sur la voie.

720. – L’amour psychique se tourne parfois vers l’être humain, mais il n’atteint jamais sa pleine
satisfaction tant qu’il ne se tourne pas vers le Divin.

721. – Il y a un amour psychique humain également caractérisé par l’absence d’ego, la fidélité et
le don de soi à un être humain.

722. – L’amour humain est vital, émotif, physique et toujours égoïste – une forme de l’amour de
soi. L’élément psychique y est très petit, à quelques exceptions près.

723. – L’amour vital se base sur le désir, sur le sentiment de réclamer ou de posséder ; l’amour
psychique se fonde sur le don de soi.

724. – La lecture est une chose tout à fait secondaire. On peut lire des milliers de livres mais
rester néanmoins étroit et stupide.
314
*

725. – Prendre seulement de la nourriture végétarienne évite quelques-unes des difficultés que
rencontrent ceux qui mangent de la viande, mais cela ne suffit pas.

726. – Notre sâdhanâ n’est pas aidée par le jeûne.

727. – Les gens qui jeûnent s’exaltent facilement et peuvent perdre leur équilibre.

728. – Tant qu’on a un corps qui n’est pas complètement transformé dans toutes ses fonctions, le
sommeil est nécessaire.

729. – Dans le sommeil on passe très généralement d’un niveau de conscience à une conscience
plus profonde dans une longue succession jusqu’à ce que l’on atteigne la conscience psychique où
l’on demeure… ou bien on passe par des états de conscience de plus en plus élevés jusqu’à ce que
l’on arrive au repos dans un silence et une paix quelconques. Les quelques minutes que l’on passe
dans ce repos sont le vrai sommeil qui restaure ; si l’on n’y entre pas, il n’y a qu’un demi-repos.
C’est quand vous vous approchez de l’un ou l’autre de ces domaines de repos que vous commencez à
avoir des sortes de rêves supérieurs.

730. – Dans le sommeil la conscience s’en va dans d’autres plans et y a des expériences ; quand
celles-ci sont traduites parfaitement ou imparfaitement par le mental physique, on les appelle des
rêves. Pendant tout le sommeil de tels rêves viennent ; parfois l’on s’en souvient, à d’autres moments
on ne s’en souvient pas du tout. Parfois aussi, on descend très bas dans le subconscient ; les rêves
sont là, mais si profonds que lorsqu’on sort du sommeil, il n’y a même pas la conscience que l’on a
rêvé.

731. – Quand vous avez un rêve symbolique, c’est une expérience ; quand vous savez ce que
cela veut dire, c’est de la connaissance.
315
*

732. – Un rêve, quand il n’est pas du subconscient, est soit symbolique, soit une expérience d’un
plan supraphysique. Il peut aussi être une formation sur ce plan faite par une force mentale, vitale ou
autre, ou bien, dans de rares cas, une indication d’un événement quelconque, réel ou probable, dans
le passé, le présent ou l’avenir.. Un rêve du plan subconscient n’a pas de sens ; il est simplement un
khinchadi 1 d’impressions et de souvenirs laissés dans le subconscient par le passé.

733. – Les forces adverses ou opposantes attaquent parce qu’elles ont peur que le succès dans la
sâdhanâ leur enlève leur empire sur les hommes.

734. – La fonction que les forces hostiles se donnent est d’attaquer et de troubler les sâdhaks,
mais s’il n’y avait pas en eux de mouvements erronés, d’imperfections et de faiblesses, ils ne seraient
pas troubles.

735. – Samatâ ne veut pas dire absence de l’ego, mais absence de désir et d’attachement. Le
sens de l’ego peut disparaître ou il peut rester sous une forme subtile ou dense, suivant la personne.

736. – Comment l’émotion exprimerait-elle l’ânanda ? L’émotion peut être le résultat d’un
toucher de l’ânanda dans la conscience, mais elle n’exprime pas l’ânanda. L’ânanda est à lui-même
sa propre expression.

737. – Si vous restez plein de pensées sexuelles et si vous essayez de les empêcher de se
manifester dans une action quelconque, vous les tenez au-dedans de vous et vous vous asseyez
dessus. Il en est de même pour la colère ou tout autre passion. Elles doivent être rejetées et non pas
gardées au-dedans de vous.

738. – Si cela (la transformation de reías en ojas) doit être fait par un processus, ce doit être par
le tapasya (le contrôle du mental, de la parole et de l’action) ; l’énergie séminale doit être tirée en
316
haut par la volonté. Mais cela se fait mieux par la descente de la Force, son action sur le centre
sexuel et la transformation qui en résulte, comme pour toutes autres énergies dans notre yoga.

739. – L’expérience est un mot qui peut s’appliquer à presque tout ce qui arrive dans le yoga ;
seulement, quand quelque chose s’établit, ce n’est plus une expérience, mais une partie de la siddhi.
Par exemple, le va-et-vient de la paix est une expérience ; quand elle se fixe et ne s’en va plus, c’est
un siddhi. La réalisation est différente ; elle a lieu quand l’objet de votre aspiration devient réel pour
vous. Par exemple, vous avez une idée du Divin en tout, mais ce n’est qu’une idée, une croyance ;
quand vous sentez ou quand vous voyez le Divin en tout, cela devient une réalisation.

740. – Quand vous voyez la lumière, c’est une vision ; quand vous sentez que la lumière descend
en vous, c’est une expérience ; quand la lumière s’établit en vous et vous apporte l’illumination et la
connaissance, c’est une réalisation. Généralement, cependant, les visions sont également appelées
des expériences.

741. – On peut réaliser le Divin en le sentant ou en le voyant, ou les deux à la fois.

742. – Les visions ne viennent pas du plan spirituel ; elles viennent du plan du physique, du
vital, du mental, du plan psychique ou des plans au-dessus du mental. Ce qui vient du plan spirituel
est l’expérience du Divin, par exemple l’expérience du Soi partout, du Divin en tout, etc.

743. – Les rêves et visions du plan mental aident à un développement au-delà de la conscience
physique ordinaire et limitée, ainsi qu’à la connaissance des choses cachées et des forces qui mettent
l’être en mouvement. À moins de connaître les choses des plans mentaux et vitaux, on ne peut pas
atteindre à une complète connaissance de soi.

744. – Que voulez-vous dire par « voir psychiquement » ? Des visions, la vue psychique de la
Vérité, la perception psychique ? On se développe par la connaissance et par l’expérience
spirituelles qui viennent d’au-delà du mental ou l’on se développe par la perception et par
317
l’expérience psychiques qui viennent d’au-dedans ; ce sont les deux choses principales. Mais il est
également nécessaire de se développer par des expériences du mental et du vital intérieurs ; les
visions et les rêves jouent un grand rôle dans ce domaine. Une chose peut prédominer chez un sidhak,
d’autres choses chez un autre ; chacun se développe selon sa nature.

745. – Le Divin est partout, même dans l’Ignorance. Il n’est pas seulement l’Esprit, mais il est
dans le mental, le vital et le corps. Ce qui se tient derrière le mental, le vital et le corps est l’Esprit.

746. – Ce n’est que par la conquête de la nature matérielle que la maladie peut cesser
complètement de venir.

747. – La plupart des maladies peuvent être éliminées presque immédiatement par la foi et par
un appel à la Force. Celles qui sont chroniques sont plus difficiles à vaincre, mais elles peuvent aussi
être éliminées par les mêmes moyens si ces derniers sont utilisés avec persistance.

748. – Les gens après la mort passent par certains mondes mentaux et vitaux ou par certains états
psychologiques qui sont les résultats de leur nature et de leur action dans la vie. Ensuite ils vont au
monde psychique et retournent plus tard à la terre.

749. – Il n’y a que trois obstacles qui peuvent barrer la voie :


(1) l’absence de foi ou une foi insuffisante ;
(2) l’égoïsme – le mental qui s’accroche à ses propres idées, le vital qui préfère ses propres
désirs à une vraie soumission, l’être physique qui adhère à ses propres habitudes ;
(3) l’inertie ou une résistance fondamentale dans la conscience qui ne veut pas changer parce
que cela demande trop d’effort, ou parce qu’elle ne veut pas croire à sa capacité ou au pouvoir
du Divin, ou pour quelqu’autre raison plus subconsciente.
Il vous faut voir par vous-même laquelle de ces raisons est vraie.

318
750. – L’astrologie est une science occulte ; elle ne fait pas partie du yoga sauf dans le sens que
tout peut être une partie du yoga… si c’est fait dans l’esprit vrai.

751. – L’attitude envers l’astrologie doit être la même que pour tout autre art ou science.

319
B. – Extraits de « The hour of God »

752. – Imperfection, limitation, mort, douleur, ignorance, matière ne sont que les premiers
termes de la formule…, la cacophonie de l’orchestre qui accorde ses instruments. Partant de
l’imperfection nous devons construire la perfection, de la limitation nous devons découvrir l’infini,
de la mort nous devons trouver l’immortalité, de la douleur nous devons recouvrer la divine
béatitude, de l’ignorance nous devons délivrer la divine connaissance de soi, de la matière nous
devons révéler l’Esprit.

753. – Tous ceux qui sortent de la conscience de l’univers ne passent pas nécessairement en le
Parabrahman. Certains passent en la Nature indifférenciée (avyâkrita Prakriti), d’autres se perdent
en Dieu, d’autres en un état sombre de non-reconnaissance de l’univers (asat, shûnya), d’autres en un
état lumineux de non-reconnaissance de l’univers (Atman pur et non différencié, Sat pur ou Existence
base de l’univers), d’autres en un état temporaire de sommeil profond (sushupti), d’autres en les
principes impersonnels d’Ananda, Chit ou Sat.

754. – Entrer en rapport avec Dieu est Yoga… Il y a de ces rapports [avec Dieu] que nous avons
créés dans le cadre de l’humanité, ce qu’on appelle prière, culte, adoration, sacrifice, pensée, foi,
science, philosophie. Il y en a d’autres qui dépassent les facultés déjà réalisées par nous, mais qui
sont dans le cadre de l’humanité en laquelle nous devons évoluer ; ce sont les rapports auxquels on
parvient par les différentes pratiques que l’on appelle généralement yogas.

755. – Accomplir les œuvres en union étroite et profonde communion avec le Divin en nous,
avec l’Universel autour de nous et le Transcendant au-dessus de nous, ne pas se laisser enfermer dans
le mental humain emprisonné et séparateur, ne pas être esclave de ses injonctions ignorantes et de ses
suggestions étroites, c’est le Karma-Yoga.

756. – Dieu utilise Sa Mâyâ sattvique (avoir soif de devenir le Parabrahman) dans certains ego
pour les attirer vers en haut dans le cadre de Son objectif particulier, et pour ces ego c’est la seule
voie juste et possible.

320
C. – Renvois à d’autres volumes

Principaux passages traitant des mêmes sujets dans :


Le guide du yoga (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1970). GY
Métaphysique et psychologie (Albin michel, 1976). MP
La vie divine (Albin Michel, édition de poche, 1973). VD
La Bhagavad-Gîtâ (Albin Michel, édition de poche, 1970). BG
« La Mère » in « De la Grèce à l’Inde » (Albin Michel, édition de poche, 1976). LM

Le but du yoga. GY 131-138, 183-195 ; VD IV 246


Le Supramental. GY 186-190 ; MP §§ 593-597, 1524-1528 et passim
Individualisation du yoga. VD IV 292
Étapes. VD II 74, 439, IV 22
Le rôle du mental. GY 31 sqq., 47, 64 sq., 143 sqq., 160 sq. ; MP §§ 1207-1286 et passim ; LM
95, 98
Le rôle du vital. GY. 66 ; MP. §§ 981-1001 et passim ; VD IV 116
Le corps et la conscience physique. GY. 37 sq., 81, 105-114
Le subconscient. GY. 99, 108-118, 141 sq. ; MP §§ 1296–1307
Le circumconscient. GY 149 ; MP. §§ 570-586, 1385-1403
Le psychique. GY 30, 55, 57 sq., 61, 86, 147, 161 ; MP §§ 755-789
L’être intérieur. MP §§ 726-732
Le rôle de la bhakti. GY 166, 251-255
Krishna. LM 94
L’ignorance. LM 102
Le rôle des œuvres. GY 36, 172-180 ; BG 118 sq., 286-290 et passim
Cultes, mantra, japa, prière. MP § 11
Hatha-Yoga. GY 102
Réceptivité, aspiration, ouverture. GY 34, 40 sq., 49 sqq., 57-62, 153 ; LM 123, 125, 129
Soumission, abandon, don de soi. GY 48 sq., 52-54, 74, 80, 153 ; LM 124-127, 130 sq., 134 ;
VD IV 115
Foi. GY 40, 48, sq., 246-250 ; LM 95, 133 ; BG 194
Calme, paix, égalité, silence. GY 27-46
Patience et persévérance. GY 35, 59 ; LM 116
Effort et volonté. GY 53 sq. ; LM 93 sq., 126, 129 sqq.
321
Sincérité. GY 37, 69 ; LM 134
Rapports avec autrui. GY 92 sq.
Activités littéraires et artistiques. GY 207 sq.
Alimentation et sommeil. GY 89-92, 100-103, 119-124
Ascétisme. GY 210
Obstacles en général. GY 62-83
Lutte contre les forces hostiles. GY 28, 59, 78 sqq., 169, 191 ; MP §§ 466-487 ; LM 166 ; VD IV
288
Dépression et inertie. GY 41, 44 sq., 54 sq., 58, 65 sqq. ; VD IV 98
Doute. GY 31 ; BG 202
Ego. GY 60 sq., 137, 147 ; MP §§ 797-816 et passim ; LM 93, 143 ; BG 313
Morale. MP §§ 929-964
Psychanalyse. GY 115, 118 sq.
Sexualité. GY 92-103
Désir. GY 84-87, 92 ; MP §§ 1002-1010 ; LM 141 sqq. ; BG 107
Expériences. GY 27, 31, 35, 38 sq., 45, 63 sq., 72 ; BG 66
La Mère divine. LM 134-167
L’aide du Divin. GY 36
La descente. GY 166 ; LM 123
La Grâce. GY 30 sq. ; LM 123 sqq., 133 sq.
Le gourou. GY 76, 169
Maladies. GY 125-128
La mort. GY 59, 148 ; MP §§ 1011-1025 ; LM 108 sq.
Le suicide. GY 81
Chakras et kundalinî. MP §§ 910, 1206

1. Nourriture.

322
323
APPENDICES

324
325
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

Des extraits de la correspondance de Shrî Aurobindo avec ses disciples sur le Yoga ont été
publiés en anglais par son âshram, en sept volumes : Bases of Yoga (Calcutta, Arya Publishing House,
1936), Lights on Yoga (Howrah, Sri Aurobindo Library, 1935), More lights on Yoga (Pondicherry,
Sri Aurobindo Ashram, 1948), Elements of Yoga (Pondicherry, Sri Aurobindo Ashram, 1953) et
Letters, vol. I, II et IV (Bombay, Sri Aurobindo Circle, 1947, 1949 et 1951), le volume III de ces
« Letters » ne comprenant que des critiques littéraires et ne traitant pas du Yoga.
La traduction française de ces divers volumes a paru sous les titres suivants : Les bases du Yoga
(Traduction par « La Mère », précédé d’une étude de Nolini Kanta Gupta, Paris, Adrien-
Maisonneuve, 1938, dans la collection « Les grands maîtres spirituels de l’Inde moderne », dirigée
par Jean Herbert), Lumières sur le yoga (Traduction par Jean Herbert et Lizelle Reymond, Paris,
Adrien-Maisonneuve, 1938, dans la même collection), Le guide du yoga (Paris, Albin Michel, 1951,
réédité en volume de poche en 1970), où sont repris « Les bases du yoga », « Lumières sur le yoga »
et où a été ajouté Nouvelles lumières sur le yoga (traduction par Jean Herbert), Lettres, vol. I
(traduction par Jean Herbert, Paris, Adyar, 1950), II (traduction par Jean Herbert, Paris, Adyar,
1952) et III (traduction par Huguette et Jean Herbert, Paris, Adyar, 1958), ce dernier volume
reprenant le vol. IV de l’édition anglaise des « Letters ». La plaquette « Éléments of yoga » fut
traduite en français sous le titre Les éléments du yoga (Pondichéry, Imprimerie de l’âshram, 1953).
Le présent volume reproduit les passages des trois volumes de « Lettres », depuis longtemps
épuisés, qui traitent de la pratique du Yoga de Shrî Aurobindo. Nous y avons ajouté en supplément les
passages pertinents de « Les éléments du yoga » (§§ 682-751) et d’un texte anglais non encore traduit,
« The hour of God » (§§ 752-756), et aussi une liste des passages pertinents des autres volumes parus
dans la collection « Spiritualités vivantes ».
Il faut relever que nous disposons en outre d’importants ouvrages publiés en anglais, du vivant
de Shrî Aurobindo, par ses disciples les plus proches avec son autorisation expresse. Mentionnnons
en particulier les ouvrages de Nolini Kanta Gupta (The Yoga of Sri Aurobindo, 9 volumes,
1939 sqq.), de Shuddhananda Bharati (The Yoga of Sri Aurobindo, 1935) et d’Ambalal Purani
(Technical terms of Sri Aurobindo’s Philosophy, 1942). De nombreux disciples ont en outre publié
d’abondantes études après la mort du Maître, notamment Anilbaran Roy, Purani, Rishabhchand,
M.P. Pandit, Sisirkumar Mitra, Haridas Chaudhuri, Pavitra. Il en existe beaucoup d’autres dans des
langues indiennes, notamment en bengali.
Ce qu’a écrit la Mère de l’âshram de Shrî Aurobindo, Madame Mirra Alfassa, qui a longtemps
vécu auprès du Maître et que l’on considère généralement comme sa plus proche disciple, jette aussi
une lumière intéressante sur son enseignement. 326
Signalons également la précieuse collection des « Sri Aurobindo Mandir Annual » publiés
depuis 1942 par le Sri Aurobindo Pathamandir (Calcutta), qui contient de nombreux articles de
disciples du Maître.
Ce qu’ont écrit plus tard des auteurs qui n’ont pas reçu personnellement les instructions de Shrî
Aurobindo n’a évidemment pas la même autorité.

327
328
GLOSSAIRE

Nous donnons ici les seules significations dans lesquelles les termes ont été employés par Shrî
Aurobindo dans les passages cités dans le présent volume. Les définitions approuvées par Shrî
Aurobindo lors de l’édition originale de ses œuvres en librairie sont marquées du signe *. Les termes
qui ne figurent qu’une seule fois dans le présent volume sont définis aux paragraphes correspondants
et ne sont pas repris ici.

Abhimâna. – Partie de l’égoïsme vital.*


Ahamkâra. – Sens de l’ego, égoïsme.*
Ananda. – Félicité, béatitude ; félicité divine ou spirituelle.*
Asanas. – Position, posture (dans le yoga).*
Atman. – Le Soi ou Esprit sous ses deux aspects : universel (parâmâtman) et individuel
(jîvâtman).*
Bhakti. – Dévotion du cœur ressentie pour le Divin.*
Bhâva. – État subjectif ou sentiment ; devenir.*
Brahmacharya. – Pureté sexuelle.*
Chakras. – Centres, nœuds, plexus ; centres psychologiques du corps subtil.*
Dhyâna. – Méditation.*
Gunas. – Les trois modes essentiels d’énergie dont le déséquilibre est nécessaire au jeu de la
Nature : sattva germe de l’intelligence qui entretient le jeu de l’énergie, rajas germe de la force et de
l’action qui crée le jeu de l’énergie, et tamas, germe de l’inertie et de la non-intelligence.*
Japa. – Répétition fréquente d’un mantra.*
Jîvâtman. – Le Soi individuel qui, dans sa réalité, est au-dessus de la naissance et de la nature.*
Mantra. – Combinaison de mots ou de sons ayant une signification et un pouvoir spirituels.*
Mâyâvâda. – Doctrine qui tient le monde pour irréel.*
Moksha. – État de celui qui est libéré de Mâyâ ; délivrance hors de l’existence cosmique.*
Mukti. – Synonyme de moksha.
Mûlâdhâra. – Chakra situé à la base de la moelle épinière. *
Nirânanda. – Absence d’ânanda.
Ojas. – Force concentrée pouvant être utilisée pour le développement spirituel.
Pishâcha. – Être hostile vivant dans le monde vital inférieur. *
Rajas, rajasique. Cf. Gunas.
Râkshasa. – Être hostile vivant dans le monde vital moyen. *
Rasa. – Ce qui dans les choses fournit une cause
329 de jouissance ; saveur, goût intime. *
Rishi. – Celui qui voit [la Vérité telle qu’elle est rapportée dans les Védas]. *
Samâdhi. – État de conscience supérieur à celui de l’état de veille.
Samatâ. – Égalité dans l’âme et le mental à l’égard de tous événements. *
Samsâra. – Le monde dans la conscience duquel nous vivons.
Sattva, sattvique. Cf. Gunas.
Satya. – Vérité *
Shama. – Principe du calme et de la paix dans la Nature supérieure ou divine. *
Shishya. – Disciple. *
Siddhi. – Perfection yoguique ; réalisation, accomplissement ; pouvoir occulte obtenu par la
pratique d’un yoga.
Tamas, tamasique. Cf. Gunas.
Tapas. – Concentration de force de volonté spirituelle. *
Tapasyâ. – Pratique d’une discipline et généralement d’austérités pour une fin déterminée. *
Vairâgya. – Aversion pour le monde et la vie ; détachement. *
Viraha. – Dans le Bhakti-Yoga, douleur causée par le sentiment d’être séparé de Dieu.

330
331
INDEX ALPHABÉTIQUE

Abandon, 49, 59, 67, 138, 229, 283, 330-354, 374, 406, 445, 452, 643, 711.
Abhimâna, 224, 460, 548.
Adhikâra, 247.
Adhikâribheda, 247.
Advaïta Védânta, 52, 65, 642.
Adyâ-Shakti, 239.
Affection, 453, 464, 472.
Affinités, 453, 466, 473.
Agni-Shakti, 662.
Ahaïtuki, 232.
Ahambhâva, 189.
Ahamkâra, 576, 584.
Ajna-chakra, 681.
Akshara, 282.
Alimentation, 77, 155, 502-511, 519, 725.
Ambition, 70.
Âme, 20, 48 sq., 87, 131, 188, 190, 193, 202, 210, 225, 231 sq., 252, 279, 296, 314, 316, 359,
367, 368, 374, 438, 445, 452, 473, 535, 545, 573, 642, 671, 690, 715.
Âme de désir, 193.
Amitié, 468, 472 sq.
Amour. Cf. aussi Bhakti, Sexualité. – divin, 2, 4, 151, 193, 222, 353, 446-449, 452 sq., 460,
473, 589, 722 ; – égoïste, 460, 722 ; – éternel, 452 ; – humain, 11, 14, 131, 151, 353, 445 sqq., 450,
452 sq., 460, 473, 589, 722 ; – mental, 470 ; – personnel, 625 ; – physique, 446, 470, 473, 722 ; –
psychique, 446, 452, 460, 473, 720-723 ; – de soi, 722 ; – spirituel, 350, 446 ; – supramental, 231,
451 ; – transcendant, 448 ; – universel, 236, 443 ; – vital, 446, 452, 454 sq., 460, 470, 473, 722 sq. ;
– vrai, 455, 460, 473.
Ananda, 11, 14, 24, 35, 40, 42, 51 sq., 65, 82, 127, 136, 138, 166, 203, 226, 232, 252, 279,
296, 314, 316, 359, 367 sq., 374, 438, 445, 452, 538, 544, 548, 552, 590, 593, 615, 618, 623 sq.,
736, 753.
Anandamaya, 11.
Antahkarana, 189.
Antarâtman, 187.
332
Apathie, 117, 169, 494.
Apsaras, 291.
Arjuna, 407.
Art, 14, 365, 495. Cf. aussi musique, littérature, chant, peinture.
Asanas, 289 sq., 324.
Asat, 753.
Ascétisme, 77, 363, 507, 512, 516 sq., 526, 554, 589.
Aspiration, 47, 65, 67, 69, 72, 115, 138, 153, 160, 186, 193 sq., 208, 213, 229, 248, 265, 277,
279, 307, 316, 318, 322-326, 329, 353 sq., 357, 370, 379, 393, 398, 423, 431, 438, 496, 555, 575,
630, 687, 701, 704-709.
Astral, 541, 646.
Astrologie, 751 sq.
Asuras, 184, 243, 291, 538 sq., 557, 570. Cf. aussi Forces hostiles.
Atma-jnâna, 242.
Atman, 36, 170, 381, 576, 583, 690, 753.
Atmasamyama, 597.
Attitude envers autrui, 69, 76, 686.
Aura, 177.
Austérités. Cf. Ascétisme.
Aversion, 445.
Avidyâ, 538.

Bahyapûjâ, 310.
Baudelaire, 254.
Bhagavad-Gîtâ, 243, 254, 256, 277, 407, 417, 479, 502, 513, 515, 544 sq., 638, 642, 668.
Bhagavân, 59, 642.
Bhâgavata-chetana, 573.
Bhakti, 39, 60, 67, 200, 203, 214, 220-254, 283, 308, 341, 351, 377, 441, 449, 452, 495, 537,
544 sq., 555, 579, 586, 642, 647, 649, 695, 697.
Bhâva, 189, 581.
Bhîshma, 668.
Bhoga, 362.
Bouddhisme, 49, 65, 612, 642.
Brahmacharya, 594, 597.
Brahman, 4, 40, 52, 54, 57, 59, 254, 294, 299,
333
320, 335, 612, 640.
Brahmânanda (Swâmi), 633.
Buddhi, 83.
Bunyan. Cf. Pilgrim’s Progress.

Calme, 11, 86, 111 sq., 124, 159, 263, 269, 321, 326, 379-390, 409, 420, 456, 557 sq., 597,
653, 671, 716.
Camaraderie, 473.
Cellules du corps, 24, 51, 166, 231, 269, 451.
Centre céphalique, 203.
Cerveau, 674.
Chaïtanya, 28, 69, 82.
Chaitya-purusha, 677.
Chakras, 64, 672-681.
Chant, 500 sq.
Charlatans, 649, 662.
Chasteté, 470. Cf. aussi Branmacharya.
Chaton (attitude du), 338, 354, 643.
Chinmaya, 35.
Chit, 753.
Chit-shakti, 573.
Chitta, 678.
Chitta-shuddhi, 253.
Christianisme, 49, 247.
Christine (Sœur), 49.
Circumconscient, 169, 177-183. Cf. aussi Conscience du milieu.
Cœur, 279, 292, 314, 324, 339, 352, 393, 403, 470, 544, 554, 656, 673, 678.
Concentration, 172, 278-293, 324, 348, 436, 441, 553, 590, 609, 671.
Confiance, 314, 330, 353 sq., 415, 424, 452, 456, 542, 545, 557, 581, 592, 650, 712.
Colère, 445, 452 sq., 460, 643, 716, 737.
Connaissance, 4, 11, 35, 38 sqq., 42, 51, 59, 64, 66, 84 sq., 87 sq., 94. 96, 98, 101, 105 sqq.,
117, 119 sq., 124, 126 sq., 152, 188, 193, 203, 212, 218, 221, 223, 227, 241, 279, 283, 298, 305 sq.,
329, 341, 347, 351, 375, 485, 490, 503, 538, 554, 571, 579, 581, 608, 618, 622, 641, 668, 680, 713,
740, 743 sq., 752.
Connaissance (Yoga de la), 221-227.
334
Conscience, – au-dessus du mental, 464 ; – calme, 124 ; – centrale, 432 ; changement de –, 109,
320, 435 ; – concentrée, 690 ; – du corps, 231, 451, 541 ; – cosmique, 38 sq., 41, 43, 62, 65, 162,
307, 381, 579 ; développement de la –, 355 ; – du Divin, 356, 389, 582 ; – divine, 7, 13, 17, 34, 41,
43, 52, 105, 133, 170, 229, 462 sq., 496, 538, 598, 626 ; divinisation de la –, 136 ; – double, 223 ; –
extérieure, 51, 214, 240, 273, 310, 384, 465, 554, 580 ; – extérieure physique, 170 ; – gnostique, 41 ;
– indifférenciée, 52 ; – individuelle, 596 ; – inférieure, 390 ; – intérieure, 7, 51, 62, 203, 254, 316,
337, 354, 385, 413, 462, 465, 496, 526 ; – de lumière, 370 ; – matérielle, 156, 660 ; – mentale, 51,
81 sq., 105, 108, 279 ; – du milieu, 163, 169 (cf. aussi Circumconscient) ; – nerveuse, 673 ; –
nouvelle, 104, 580 ; – ordinaire, 83, 104, 133, 138, 328, 529, 699 ; ouverture de la –, 307 ; – de paix,
370 ; – partagée, 281 ; – personnelle, 157, 177 ; – pervertie, 538 ; – physique, 51, 82, 138, 168 sq.,
175, 208, 229, 279, 545, 549, 553 sq., 673 sq., 743 ; – physique subtile, 51 ; – psychique, 82, 729 ; –
pure, 298 ; registres de –, 81 ; – séparatrice, 538 ; – silencieuse, 384 ; – spirituelle, 34, 82 sq., 123,
203, 205, 271, 302, 309, 316, 405, 598, 615, 662, 690, 697 ; – supérieure, 83, 125, 150, 161, 166,
169, 171, 192, 203, 205, 208, 223, 227, 305, 328, 337, 389 sq., 392, 404, 426, 428. 435, 460, 496,
504 sq., 571, 579 sq., 614 sq., 673, 699, 700 ; – supramentale, 1, 4, 13, 35, 52 ; – de surface, 83,
294, 537 ; – terrestre, 166, 274, 547 ; – transcendante, 579 ; transformation de la –, 315 ; – une, 307 ;
– universelle, 51, 456 ; – de vérité, 24 ; – vitale, 208, 553 ; – vitale animale, 105 ; – vitale inférieure,
170 ; – vraie, 286, 310, 408, 566 ; – yoguique, 47, 272, 293, 366, 597, 608, 662.
Contemplation, 253.
Consécration, 39, 74, 78, 279, 314, 348.
Conversion, 74, 190, 635.
Corps, 4, 24 sq., 28, 32, 51, 125, 131, 154-168, 177, 189, 223, 229, 269, 279, 310, 399, 545,
553, 577, 596, 608, 677, 684, 715, 718. Cf. aussi Alimentation, Maladie, Sommeil.
Corps transcendant, 35.
Cultes, 14, 309 sqq., 610, 753.

Découragement, 49, 110, 155, 165, 315, 356, 383, 417, 421, 423 sq., 427, 537, 544-567, 586,
591, 647.
Défauts, Cf. Morale.
Dépression, Cf. Découragement.
Descente, 35, 64, 138, 152, 203, 224, 265, 279, 326, 614-627 ; – de l’ânanda, 203, 438 ; – du
calme, 145, 390, 406 ; – de la connaissance, 203 ; – de la conscience divine, 17 ; – de la conscience
nouvelle, 15 ; – d’une conscience plus grande, 279 ; – de la conscience supérieure, 55 sq., 66, 125,
171, 203, 208, 223, 328, 404, 428, 700 ; – de la conscience de vérité, 24 ; – de la conscience vraie,
286 ; – du Divin, 697 ; – du Divin supramental, 138,
335
398 ; – de l’égalité d’âme, 715 ; – de l’Esprit,
124 ; – de la Force, 110, 117, 216, 279, 383, 386, 399, 738 ; – de la Grâce, 405 ; – de l’Ishvara-
Shakti, 40 ; – de la Lumière, 35, 138, 152, 203, 383, 405, 606 ; – du Moi supramental, 40 ; – de la
Nature supramentale, 40 ; – de la Paix, 56, 223, 390 sqq., 406, 606, 715 ; – des plans supérieurs,
117, 121, 617 ; – des pouvoirs de la conscience supérieure, 614 sq. ; – du psychique, 197 ; – des
puissances d’en haut, 115, 127 ; – de la pureté, 606 ; – du silence, 115, 390 sq. ; – spirituelle, 40 ; –
du Supramental, 45, 619 ; de la Vérité supramentale, 138.
Désespoir, Cf. Découragement.
Désirs, 11, 165, 169, 180, 193, 229, 247, 277, 292, 305, 350, 359, 405, 416, 424, 435, 438,
446, 452, 464, 470, 473, 504, 570, 589, 606, 618, 699, 701, 718, 723, 735.
Destinée, 70.
Détachement, 355-366, 555.
Détente, 282, 530.
Dévotion, 4, 55, 138, 198, 222 sq., 335. Cf. aussi Bhakti.
Dhyâna, 281, 486. Cf. aussi Méditation.
Discrimination, 87, 206, 279, 285, 635, 640.
Divin cosmique, 42.
Divinisation, 7, 14.
Don de soi, 11, 39, 78, 130, 153, 223, 229, 233, 242, 252, 279, 314, 330-354, 374, 406, 446,
452 sq., 455, 473, 537, 592, 608, 645, 650, 668, 721.
Doute, 49, 124, 138, 165, 240, 356, 368, 373, 423, 497, 556, 568-572, 581, 608, 647.
Dualités, 69, 316.

Échecs, 316, 328, 340, 377, 556.


Égalité, 405.
Ego, 1 sqq., 14, 43, 67, 138, 182, 187, 200, 208, 223 sq., 226, 229, 243, 247, 267 sq., 270, 277,
316, 334, 342, 359 sq., 365, 406 sq., 445, 447, 452 sq., 455, 458, 472 sq., 497, 554, 573-585, 592,
606, 618, 648, 651, 721, 735, 749, 756.
Émotivité, 193, 208 sq., 230, 386, 393, 405, 468, 586-592, 693 sqq., 736.
Enseignement, 494.
Équanimité, 402, 458, 506.
Équilibre, 395, 405, 476.
Érudition, 683.
Esprit, 7, 34, 79, 123 sq., 225 sq., 555, 690, 752.
Être central, 51, 185, 374, 582.
336
Être intérieur, 42, 46, 51, 82, 157, 170, 189, 202, 214 sqq., 224, 273, 279, 281, 307, 311, 314,
316, 348, 369, 399, 434, 444, 452, 475, 495, 535, 580, 610, 612, 647.
Être nerveux, 51.
Études, 485, 492.
Expériences, 51, 105, 109, 117, 124, 180, 314, 316, 320, 329, 335, 350, 353, 356, 369, 376 sq.,
423, 457, 462, 477, 480 sqq., 531, 541, 626, 643, 646 sq., 650, 653, 713, 739 sq.

Famille, 49, 445, 668.


Feu divin, 188.
Foi, 39, 72, 87, 152 sq., 165, 232, 250, 367-379, 423, 544, 640, 647, 687, 696, 712 sqq., 749,
753.
Force, 4, 7, 11, 47, 72, 110, 121, 153, 159 sq., 166, 169, 202, 216, 223, 262, 269, 277, 279,
305, 316, 318, 340, 350 sq., 356, 386, 392, 395, 399, 402, 405, 425 sq., 429, 439, 487, 496, 550 sq.,
557, 596, 608 sqq., 618, 638, 647, 665, 672, 680 sq., 684, 697, 717, 747.
Forces hostiles, 14, 45, 70, 138, 140, 407, 535-543, 647, 657, 733 sq.
Force yoguique, 384.

Gandhi, 49.
Gaspillage, 120, 236, 366, 590.
Gâyatrî, 306.
Gnose, 26, 41, 538.
Gopîs, 247.
Gourou, 14, 46, 65, 76, 202, 243, 279, 315 sq., 342 sq., 353, 581, 640-650, 662, 695.
Grâce, 46, 67, 70, 117, 247, 433, 497, 553 sq., 628-639, 643, 696, 719.
Gratitude, 587.
Grihastha, 437.
Gunas, Cf. Sattva, rajas, tamas.

Habitudes, 49, 132, 138, 146 sq., 157 sq., 160, 169, 171, 180 sq., 303, 350, 453, 531, 550, 552,
559, 647, 658, 661, 749.
Hadès, 531.
337
Hari, 544.
Harishchandra, 544.
Hetu, 232.
Hiranyakashipu, 254, 479.
Hitler, 423.
Humanitarisme, 131, 254, 479.
Humilité, 67, 69, 200, 314, 354, 581.
Humour, 669 sq.

Ignorance, 4, 14, 40, 43, 52, 57, 70, 85, 92, 94, 107, 124, 138, 140, 165, 169, 192, 254, 295,
446, 538 sq., 604, 608, 618, 651, 745, 752.
Illumination, 123, 128, 740.
Imagination, 281, 376.
Inactivité, 86, 401.
Inconscient, 51, 80, 94, 127, 166, 465, 564, 567.
Indifférence, 407, 452 sq., 468, 553.
Individualisation du yoga, 72-79, 221, 258, 316, 352, 362, 445, 497, 504, 632, 753.
Inertie, 166, 169, 218, 452, 545, 553, 562 sqq., 654, 714, 749.
Inframental, 81.
Inspiration, 111, 119.
Instincts, 105, 171.
Intellect, 89, 93, 95, 100, 103 sq., 109 sq., 126, 128, 375, 457, 569, 571, 639.
Intelligence cosmique, 538.
Intuition, 88, 122, 128, 227, 315, 375, 640, 651-659, 665.
Ishta-devatâ, 244.
Ishvara, 51, 60, 225.
Ishvarakoti, 296.
Ishvara-Shakti, 40.
Isolement, 436, 441 sqq., 458, 502.

Jagaï, 69, 635.


Jalousie, 445, 452, 460, 472.
Janaka, 254.
338
Japa, 67, 283.
Jeûnes, 354, 502, 515, 726 sq.
Jîvakoti, 296.
Jîvâtman, 185, 187, 204, 573.
Jnâna, 227.
Joie, 11, 14, 51, 153, 159, 166, 232 sq., 271, 283, 313, 320, 325, 354, 356 sqq., 370, 387, 398,
403, 443, 452, 545.
Jyotish, 565.

Karma, 70, 254, 635.


Karma-Yoga, 67, 224, 254, 437, 755. Cf. aussi Œuvres (Yoga des).
Khichadi, 732.
Kripâ, 643.
Krishna, 11, 19, 225, 239, 243, 245-250, 362, 407.
Kundalinî, 64.

Langues étrangères, 491 sq.


Larmes, 379, 545, 590, 691.
Lectures, 293, 485-489, 493, 723.
Libération, 2, 11, 15, 34, 36, 62, 179, 297, 316, 387, 582. Cf. aussi Moksha, Mukti.
Lîlâ, 249.
Littérature, 14, 119, 224, 226, 254, 278, 308, 316, 365, 495-498.
Logique, 52, 105, 138, 571, 640.
Longanimité, 405.
Lumière, 4, 6 sq., 11 sq., 14, 19, 35, 39 sq., 42 sq., 45, 51 sq., 55, 61, 66, 69, 84, 87, 94, 109,
123, 138, 152, 157, 159 sq., 166, 169, 203, 209, 229, 254, 265, 269, 277, 279, 283, 297, 314,
329 sq., 350, 354, 356, 370, 398, 402, 405, 423, 434, 539, 544 sq., 549 sq., 553 sq., 556, 567, 570,
601, 605, 612, 618, 622, 626, 647, 653, 666, 685, 718, 740.
Luxure, Cf. Sexualité.

Madhaï, 69, 635.


339
Mahâbhârata, 539.
Mahâkâlî, 243.
Maladie, 51, 155, 166, 169, 177, 529, 553, 660 sqq., 746 sq.
Manana, 316.
Manas, 83.
Mariage, 438.
Manomaya purusha, 187.
Mantra, 306 sqq., 423, 643.
Matière, 94, 752.
Mâyâ, 455, 538, 662, 756.
Mâyâvâda, 52, 581.
Méditation, 67, 220, 222 sqq., 253 sq., 258, 272 sq., 278-293, 308 sq., 316, 340, 384, 487, 522,
526, 697, 700.
Mental, 80-128, 158, 183, 185 et passim. Cf. aussi Conscience, Intellect, Logique, Raison.
Abstraction –, 104 ; – actif, 115, 492 ; activités du –, 109 sq., 121, 648 ; affinité –, 453, 463 ; –
analysant, 227 ; – aride, 308 ; attachement –, 464 ; bhakti –, 202, 341 ; – calme, 698 ; canons du –,
123 ; capacité –, 126 ; – clair, 350 ; conceptions –, 12, 100 ; conclusion –, 124 ; connaissance –, 96,
101, 126, 152, 223 ; consentement du –, 535 ; constructions –, 124, 657 ; dérèglement –, 55 ; –
développé, 683 ; développement du –, 89, 293, 489 ; discipline –, 490 ; – diviseur, 272, 474 ; ego –,
651 ; – émotif, 673 ; énergie –, 82, 183 ; être – essentiel, 80 ; exigences du –, 123 ; – extérieur, 51,
110, 264, 398, 529, 571, 649 ; – extériorisateur, 673, 675 ; foi –, 714 ; habitude –, 453 ; idéalisations
du –, 193 ; idées –, 210, 502, 589, 699 ; – ignorant, 192 ; – illuminé, 622 ; – inactif, 114 ; – incertain,
123 ; infra –, 81 ; – intellectuel, 105, 109, 571 ; – intérieur, 187, 189, 214, 279, 294, 495 ; –
interrogateur, 109, 123 ; – intuitif, 622, 657 ; – justificateur, 494 ; limitations du –, 123 ; lumière –,
601 ; maîtrise –, 152 ; – mécanique, 112, 116 ; mouvement du –, 562 ; – non illuminé, 202 ; obscurité
du –, 423 ; opinion –, 613 ; – ordinaire, 279 ; ouverture du –, 316 ; – paisible, 120, 122, 283, 291,
345, 354, 403, 544 ; paix –, 152 ; parti-pris –, 405 ; passion –, 470 ; – pensant, 125, 138, 182, 352,
494, 554 ; – pensée, 83 ; – personnel, 80, 121 ; philosophies –, 254 ; – physique, 51, 83, 112, 152,
158, 183, 240, 265, 305, 324, 356, 533, 542, 554, 571, 608, 673 sqq., 730 ; préjugés du –, 124 ;
principe –, 7, 504 ; – proprement dit, 51, 152 ; purification du –, 203 ; – purifié, 189, 230 ;
raisonnement –, 11, 718 ; réalisation –, 7, 104, 124 ; recherches –, 91, 279 ; règles –, 79, 504 ;
réserves du –, 124 ; sécheresse du –, 202, 227 ; – séparateur, 755 ; – silencieux, 118 sqq., 223, 544 ;
– sincère, 350 ; – spiritualisé, 542 ; – spirituel, 234 ; – subconscient, 99, 116, 183, 532 ; suggestions
–, 119 ; – superficiel, 109, 279, 650 ; – supérieur, 138, 152, 227, 234, 335, 534 sq. ; – de surface, 51,
279 ; – témoin, 110 ; – tranquille, 108, 110, 142, 284, 356, 405 ; – tourné vers l’extérieur, 14 ; travail
–, 90 ; – universel, 51 ; – vital, 51, 113, 125, 305 ; vital intérieur, 111 ; – de vision, 109 ; volonté –,
51, 145, 494. 340
Mère divine, 39, 55, 64, 138, 143, 159, 169, 186, 200, 203, 214, 223, 229, 242, 305, 345, 376,
389, 409, 463, 467, 535, 550, 557, 592, 613, 680, 718.
Milan, 232.
Mithyâ, 538.
Moha, 538.
Moksha, 2, 21, 201, 243. Cf. aussi Libération, Mukti.
Morale, 35, 49, 597-607.
Mort, 4, 663-667, 748, 752.
Mukti, 4, 216, 360, 599. Cf. aussi Libération, Moksha.
Mûlâdhâra, 671, 676.
Musique, 226, 308, 316, 365, 495, 499.
Mystique, 94, 104, 232, 247.

Nâg Mahâshâya, 581.


Nârada, 544.
Nerfs, 24.
Nidhidhyâsana, 316.
Nietzsche, 68.
Nigraha, 504.
Nihsva, 507.
Nirânanda, 11, 320, 452.
Nirvâna, 4, 11, 15, 201, 219, 226, 254, 294-298, 445.
Nivédita (Sœur), 49.
Nrisimha, 243.

Occultisme, 187, 541.


Œuvres (Yoga des), 220-227, 253-277, 435, 697, 755.
Ojas, 593 sq., 739.
OM, 307.
Orgueil, 2, 67, 125, 229, 405.
Ouverture, 165, 223, 279, 326, 328 sq., 346, 353, 374, 433, 541 sq., 546 sq., 549, 553, 561,
608, 650, 706.

341
Paix, 11, 112, 114, 141, 152, 157, 164, 166, 186, 223, 269, 320, 322, 337, 345 sq., 353,
379 sq., 387-395, 397-404, 409, 425, 444, 544, sq., 552, 571, 580, 590, 592, 597, 606, 614 sq., 618,
622, 624, 697, 715, 717, 729, 739.
Parabrahman, 296, 753.
Paradis, 4, 15, 219, 294.
Paramahamsa, 50.
Paresse, 260.
Parole, 120, 218.
Patience, 47, 144, 153, 270, 353, 414-417, 458, 558.
Patriotisme, 11.
Paul (Saint), 246, 635.
Péché, 43, 603. Cf. aussi Morale.
Peinture, 224, 493, 496, 499.
Persévérance, 316, 353 sq., 374, 377, 418-424, 472, 544, 554, 558, 628, 719.
Perspicacité, 558.
Philanthropie, 69, 254.
Physique extérieur, 535.
Physique intérieur, 42, 187, 189, 214, 279, 294.
Physique matériel, 158.
Physique subconscient, 532.
Physique subtil, 137.
Physique vital, 51, 158, 163, 229, 265, 505, 510, 594.
Photographies, 484.
Pilgrim’s Progress, 544 sq.
Pishâcha, 184, 539.
Plotin, 49.
Poésie, Cf. Littérature.
Politesse, 457.
Politique, 69, 95, 254.
Pouvoir divin, Cf. Puissance divine.
Prajnâ, 51.
Prakriti, 35, 61, 82, 170, 180, 188 sq., 221, 223, 255, 359 sqq.
Pranâm, 657.
Pranâmaya purusha, 187.
Prâna pratishthâ, 484.
Prânâyâma, 324.
Prashântih, 597. 342
Prayopaveshana, 354.
Présence divine, 2, 7, 51, 67, 123, 159, 186, 203, 229, 279, 308, 343, 356, 374, 542, 561, 610,
626, 680.
Prière, 67, 250, 283, 312 sq., 374, 398, 535, 561, 635, 701, 753.
Psychicisation, 14, 35, 39, 68, 149, 184, 679.
Psychique, 30, 56, 116, 119, 129, 131, 139, 143, 156, 184-213, 214, 319, 321, 332, 335, 344,
353, 420, 425, 446, 473, 571, 573 sq., 580, 592, 744 et passim. Action –, 189 ; amour –, 229,
234 sq., 720-723 ; aspiration –, 320, 707 ; attitude –, 14 ; base –, 365 ; bhakti –, 202, 227, 234 ;
bonheur –, 314 ; centre –, 203, 226, 234 ; chagrin –, 379, 691 ; changement –, 34, 201 ; conscience –,
41, 150 ; contact –, 452 ; développement –, 40, 208 ; discrimination –, 279 ; direction –, 203 ;
élément –, 453, 459 ; émotions –, 590, 695 ; entité – intime, 279 ; être –, 11, 37, 40, 74, 131, 149.
151, 153, 159, 185-193, 228, 279, 339, 379, 398, 535, 554, 639, 643, 653, 677, 679, 688 sqq. ; feu
–, 208, 213 ; foi –, 714 ; impulsions – 193 ; larmes –, 691 ; mouvement –, 153, 223 ; mobile –, 153 ;
ouverture –, 65, 649 ; ouverture du –, 200 ; perception –, 61, 101, 653 ; plan –, 742 ; pleurs –, 545 ;
portes –, 588 ; poussée –, 209, 555 ; préparation –, 419 ; purusha –, 170 ; raffinement –, 14 ;
réalisation –, 198, 201 ; relation –, 331 ; sens –, 206 ; sentiment –, 194, 585, 587, 695 ; siège du –,
214 ; transformation –, 41, 205, 212, 314, 352 ; tristesse –, 202 ; la voie –, 193, 452.
Puissance divine, 4, 7, 11, 17, 40, 51, 115, 152, 241, 279, 352, 356, 451, 608, 615, 625 sq.,
643.
Puissance supramentale, 4.
Pureté, 4, 159, 337, 390, 453, 580, 597, 606, 618, 624.
Purification, 34, 179, 213, 221, 229 sq., 253, 277, 314 sq., 353 sq., 438, 643, 703 sq.
Purusha, 35, 40, 61, 82, 187, 221, 223, 255, 359 sqq.

Quiétude, 380, 420.

Râdhâ, 14, 232, 252.


Raison, 105, 110, 124, 132, 145, 350, 368, 569, 632, 640.
Rajas, Cf. Sattva, rajas, tamas.
Râkshasas, 184, 243, 539.
Râmachandra, 243.
Râmakrishna, 296, 354, 544, 581, 643.
Râmalingam, 28.
343
Rancune, 445.
Rasa, 227, 250, 496, 513.
Râvana, 243.
Réalisation, 15.
Réalisation supramentale, 8, 27, 138.
Réceptivité, 317 sq.
Rédemption, 4.
Relations personnelles, 445-484.
Religions, 109, 209, 311, 513.
Résignation, 314.
Retas, 593 sq., 738.
Rêves, 169, 531-534, 595, 729-732, 743.
Rishis, 243, 291.
Russell (Lord), 226.

Sachchidânanda, 54, 225, 298.


Sacrifice, 473, 668.
Sadrishya-mukti, 136.
Saga, 531.
Sahadharmi, 470.
Sahasrâdala, 674.
Sainteté, 35, 43, 50, 253, 376.
Samidhi, 218, 528.
Samatâ, 404, 406 sq., 476, 735.
Samsâra, 345, 435, 442.
Samyama, 504.
Sat, 753.
Sauva, rajas, tamas, 69, 138, 161, 165, 183, 243, 255, 321, 334, 338, 357-360, 363, 365, 406,
435, 497, 513, 538, 545 sq., 554, 557, 564 sqq., 580, 627, 684.
Satya, 597.
Scepticisme, Cf. Doute.
Schopenhauer, 423.
Sensibilité, Cf. Emotivité.
Serviteur, 268.
Sex-appeal, 470. 344
Sexualité, 70, 169, 252, 356, 365, 445, 458, 468, 470, 473, 546, 593-597, 737 sq.
Shakti, 82, 138, 140, 153, 168, 239, 351, 538, 662.
Shama, 565, 597, 627.
Shankara, 52, 225, 293.
Sharana, 642.
Shibi, 544.
Shishupâla, 243.
Shishya, 243, 649.
Shiva, 225, 239, 247 sq.
Shravana, 316.
Shûnya, 753.
Siddha, 76.
Siddha-yogin, 50.
Siddhi, 15, 35, 215, 263, 277, 291, 297, 320, 398, 457, 548, 633, 739.
Silence, 49, 86, 94, 110, 112, 114 sq., 117-120, 223, 324, 380, 384 sq., 413, 571, 592, 671,
708, 729, 732.
Sincérité, 47, 68, 315, 424, 430-434, 597, 628, 638, 649, 718 sq.
Soma-rasa, 291.
Sommeil, 51, 77, 117, 155, 169, 502, 516-530, 729 sq.
Soumission, 200, 229, 314, 710 sq., 714.
Spinoza, 548.
Spiritualisation, 4, 35, 42, 68 sq., 243, 320, 351, 445, 543.
Spiritualité, 49 sq., 69, 243, 470, 662.
Spirituel, 131, 247, 266, 271, 640 sq., 668 et passim. Abandon –, 542 ; accomplissement –,
662 ; action –, 131, 697, 714 ; ambition –, 552 ; amour –, 350 ; appel –, 668 ; arrogance –, 69 ;
attitude –, 14 ; avenir –, 553 ; aventure –, 15 ; base –, 445, 463, 598 ; bataille –, 407 ; bonheur –,
356 ; but –, 49, 436, 442 ; calme –, 406 ; capacité –, 641, 649 ; chemin –, 279 ; chercheur –, 69, 94,
416, 570, 667 ; concepts –, 34 ; connaissance – 279 ; conscience –, 34, 82 sq., 123, 203, 205, 271,
303, 309, 316, 598, 615, 662, 690 ; degré d’avancement –, 50 ; déguisement –, 438 ; descente –, 40 ;
destinée –, 69 sq., 329 ; développement – 49, 499 ; difficulté –, 427 ; discipline –, 49 ; domaine –, 3 ;
effort –, 50, 254, 433 ; effort – passé, 15 ; énergie –, 594, 662 ; entité –, 662 ; état –, 498 ; être –, 9 ;
évasion –, 36 ; évolution –, 28, 50 ; expérience –, 9, 11, 49-53, 61, 105, 109, 117, 124, 279, 320,
356, 443, 457, 581, 626, 638, 647, 662, 744 ; faits –, 34 ; fins –, 52, 499 ; force –, 4, 638, 662 ; havre
–, 109 ; histoire –, 69, 638 ; hommes –, 50, 598, 601, 649 ; humilité –, 581 ; idéal –, 50 ; idées –,
109 ; joie –, 398 ; liens –, 49 ; lumière –, 43, 129, 209 ; matière –, 649 ; mobile –, 153, 271 ; monde
–, 17 ; mukti –, 4 ; nécessités –, 437 ; orgueil –, 69 ; orientation –, 69 ; ouverture –, 138 ; paix –, 398,
406 ; passé –, 15 ; pensée –, 49 ; personne –, 43 ;345plans –, 5, 51, 234, 294, 692, 742 ; point de vue –,
193, 513, 578 ; pouvoir –, 662 ; principe – de vie, 598 ; progrès –, 271, 633 ; raffinement – 14 ;
raison –, 640 ; réalisation –, 50, 59, 638, 649 ; réalité –, 309, 545 ; recherche –, 7, 49 ; réponses –,
316 ; sacrifice –, 668 ; sentier –, 69 ; siddhi – 70 ; sommet –, 35 ; source –, 650 ; succès –, 362 ;
tentative –, 69 ; tranquillité –, 117 ; transcendance –, 279 ; transformation –, 34, 39, 298, 329, 352,
500, 554 ; vanité –, 69 ; vérité –, 7, 124, 445, 494, 570 ; vie –, 7, 15, 49 sq., 69 sq., 123, 131, 191,
436 sq., 445, 463, 541, 570, 598 ; vital forme et instrument du –, 445 ; voie –, 437 sq., 668 ; volonté
–, 714 ; voyant –, 635.
Subconscient, 34, 51, 158, 161, 163, 169-176, 265, 324, 356, 522, 531 sqq., 595 sq., 730.
Subliminal, 170.
Submental, 171.
Supraconscient, 5, 51, 127, 169, 307.
Supramental, 4 sqq., 11, 15, 17, 19 sqq., 23-34, 40, 42, 45, 51, 54, 59, 63, 76, 81, 104, 123,
127, 138, 152, 159, 165, 168, 176, 208, 230, 246, 294, 326, 398, 467, 538, 589, 594, 608, 617, 622,
692, 697.
Supramentalisation, 4.
Supranormal, 541.
Supraphysique, 4, 28, 51, 307, 551, 608, 732.
Surhomme, 2 sq.
Surmental, 26, 38, 40, 42, 76, 81, 217 sq., 608, 622 sq., 665.
Sushupti, 753.
Sympathie, 453, 473 sq., 483.

Taittirîya Upanishad, 40.


Tamas, Cf. Sattva, rajas, tamas.
Tantras, 15, 35, 64, 680.
Tapas, 282, 627.
Tapasya, 74, 77, 138, 145, 207 sq., 221, 226, 354, 374, 394, 428, 497, 544, 580, 609, 617,
632 sqq., 643, 738.
Tension, 280, 308, 424, 653.
Tejas, 594.
Théosophie, 177.
Timidité, 585.
Traditions, 16, 71, 571.
Tranquillité, 382.
346
Transformation, 4, 15, 24, 28, 31, 34-43, 74, 138, 159, 171, 176, 190, 208, 315, 329, 352, 414,
417, 467, 500, 504, 554, 580, 614, 623, 635, 660, 704, 712, 729, 738.
Travail, Cf. Œuvres (Yoga des).
Tûrîya, 307.

Upakâr, 459.
Upanishads, 51, 187, 632.

Vacuité, 223, 299-305, 654.


Vâda, 559.
Vaïkuntha, 254, 544.
Vaïragya, 357 sq., 362 sq., 365, 545, 555.
Vanité, 70, 138, 470.
Véda, 64.
Védânta, 49, 64.
Védântisme moniste, 4, 662. Cf. aussi Advaïta.
Végétarisme, 513, 725.
Vérité, 6 sq., 11 sq., 19, 24, 26, 30, 33, 40, 42 sq., 45, 50, 52, 58, 64, 79, 93, 95, 97, 103 sq.,
108 sq., 124, 138, 143, 165, 202, 218, 226, 268, 279, 282, 295, 306, 366, 398, 405, 407, 464, 466,
504, 538, 554, 568, 570, 581, 589, 597, 601, 608, 618, 622 sq., 625, 632, 697.
Vertus, 43, 69. Cf. aussi Morale.
Vices, Cf. Morale.
Vide, 223. Cf. aussi Vacuité.
Videha-bhakti, 243.
Vidyâsâgar, 459.
Vie dans le monde, 435-444.
Vies successives, 544, 666 sq., 677 sq., 748.
Vigilance, 558.
Vilvamangal, 69, 209, 545, 635.
Viraha, 224, 232, 250 sq., 548.
Virât purusha, 613.
Vishnou, 544.
Vishnouïsme, 15, 49, 131, 246, 250, 254, 544.
347
Vision, 39, 47, 49, 94 sq., 172, 282, 589, 603, 635, 681, 740-744.
Visions, 740, 742 sq.
Vital, 11, 14, 129-153, 229, 286, 389, 398, 410 sqq., 435, 497, 589 et passim. – créateur, 258 ;
affinités –, 453, 463 ; amour –, 446 ; appétits –, 320, 452 ; attachements –, 464, 545 ; attraction –,
446 ; base –, 445 ; chagrin –, 667 ; désir –, 291, 452, 470, 504, 570, 699 ; – divin, 136 ; ego –, 458,
651 ; – émotif, 643 ; émotions du –, 590 ; énergie –, 275 ; être –, 494 ; exigences du –, 336, 356, 452,
504 ; expansion –, 671 ; – extérieur, 398, 535, 671 ; foi –, 714 ; habitudes –, 453 ; – ignorant, 192 ; –
illuminé, 685 ; – inférieur, 138-153, 356, 438, 473, 504, 539, 542, 546, 676 ; instinct –, 446 ; –
intérieur, 187, 189, 214, 279, 294, 495, 671 ; jouissances –, 362 ; – matériel, 137 ; mélange –, 467 ; –
mentalisé, 539 ; mouvements du –, 405, 460, 589, 608 ; – moyen, 539 ; nature –, 599 ; – non régénéré,
459 ; – physique, 83, 169 ; plaisirs du –, 320 ; plan –, 541 ; – purifié, 189 ; réaction –, 562 ; recul du
–, 357, 441 ; relations –, 475 ; sentiments –, 458 ; – silencieux, 494 ; – subconscient, 163, 180, 356,
522, 532 ; – subtil, 137 ; – supérieur, 356, 393, 473, 534 sq., 554 ; tendances –, 531 ; – traîtrises du
–, 472 ; – tranquille, 356, 405 ; troubles du –, 392 ; – vrai, 323, 392, 569.
Vivekânanda (Swâmi), 9, 49, 544, 581, 643.
Voix, 653.
Volonté, 115, 145, 153, 171, 206, 221, 230, 236, 246, 272, 315, 318, 326, 340, 347 sq.,
350 sqq., 354, 370, 378, 393, 417, 424-429, 456, 494, 556, 560, 562, 595, 608, 625, 637, 651, 681,
699, 705, 711.

Yajna, 668.
Yoga-Shakti, 662.

348
« Spiritualités vivantes »
Collection fondée par Jean Herbert

au format de poche
101. Et Dieu créa Ève, À Bible ouverte, t. II, de Josy EISENBERG et Armand ABECASSIS.
102. Les Collations de Jean Cassien ou l’unité des sources, textes choisis et présentés par Jean-Yves LELOUP.
103. Praxis et Gnosis, textes d’Évagre le Pontique, choisis et présentés par Jean-Yves LELOUP.
104. Le Centre de l’Être, de K. G. DÜRCKHEIM , propos recueillis par J. CASTERM ANE.
105. Tsimtsoum, introduction à la méditation hébraïque, de Marc-Alain OUAKNIN.
106. La Voie Soufïe, de Faouzi SKALI.
107. Moi, le gardien de mon frère ? À Bible ouverte, t. III, de Josy EISENBERG et Armand ABECASSIS.
108. Sermons sur le Zen, Réflexions sur la Terre Pure, traduits et présentés par Maryse et Masumi SHIBATA.
109. Dhammapada, les Dits du Bouddha, traduits du pali.
110. L’Anneau de la Voie, de Taisen DESHIM ARU, textes rassemblés par E. de SM EDT et D. DUSSAUSSOY.
111. Rubâi’yât, de Djalâl-od-Dîn RÛM Î, traduit et présenté par E. de VITRAY-MEYEROVITCH et D. MORTAZAVI.
112. Vie de Moïse, de Grégoire de Nysse, ou l’être de désir, traduit par J. DANIELOU et présenté par J.-Y. LELOUP.
113. Homélies de Jean Chrysostome sur l’incompréhensibilité de Dieu, traduit par R. FLACELIÈRE et présenté par J.-Y. LELOUP.
114. Le Dharma et la vie, de Lama Denis TEUNDROUP.
115. La Méditation créatrice et la conscience multidimensionnelle, par Lama ANAGARIKA GOVINDA, traduit par Jean HERBERT .
116. Le Puits d’eaux vives, entretiens sur les Cinq Rouleaux de la Bible, de Claude VIGÉE et Victor MALKA.
117. Œuvres, de saint FRANÇOIS D’AASSISE, traduit et présenté par A. MASSERON.
118. La Méditation bouddhique, de Jean-Pierre SCHNETZLER.
119. Zen et samouraï, de SUZUKI SHÔSAN, traduit et présenté par Maryse et Masumi SHIBATA.
120. Le Taoïsme vivant, de J. BLOFELD, traduit par Jean HERBERT .
121. Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’or, de C. G. JUNG.
122. Prière de Jésus, prière du cœur, d’Alphonse et Rachel GOETTM ANN.
123. Moine zen en Occident, de Roland RECH.
124. Le Pèlerin chérubinique, d’Angelus SILESIUS, traduit et présenté par Camille JORDENS.
125. L’Expérience de la transcendance, de K. G. DURCKEIM , traduit par M. P. SCHLEM BACH.
126. Les Gnostiques, de Jacques LACARRIÈRE.
127. Réflexions sur la Bhagavad-Gîtâ, de Jean HERBERT .
128. L’Enracinement et l’Ouverture, de Jean-Yves LELOUP.
129. L’Idée maçonnique, essai sur une philosophie de la franc-maçonnerie, d’Henri TORT -NOUGUÈS.
130. Rire avec Dieu. Aphorismes et contes soufis, de S. B. MAJROUH, texte français de Serge SAUTREAU.
131. La Vision profonde, de la Pleine Conscience à la contemplation intérieure, de THICH NHAT HANH, traduit par P. KERFORNE.
132. Anthologie du soufisme, d’E. de VITRAY-MEYEROVITCH.
133. Expérience chrétienne et mystique hindoue, de Bede GRIFFITHS, préface de M. M. DAVY, traduit par C. H. de BRANTES.
134. Méditation taoïste, d’Isabelle ROBINET .
135. Dzogchen et Tantra, la Voie de la Lumière du bouddhisme tibétain, de Norbu RINPOCHE.

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