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seul avez vu clair » – on pense aux dernières paroles prononcées par Pec-
queux, avant la scène finale où il tuera Jacques : « Faut ouvrir l’œil quand
on veut voir clair » (1301).
Ouvrir ou fermer l’œil, voir ou ne pas voir, l’acte judiciaire dépend de
ce jeu du regard. Mais, plus encore, le juge est capable de dévoiler un cri-
minel dans son regard même : « Moi, c’est aux yeux que je les reconnais »
(1103). Or c’est là l’opinion reçue puisque même Jacques, interrogé à
propos de Roubaud, pense ainsi : « Lui aussi aurait pu tuer : cela ne se
lisait-il pas dans ses yeux ? » (1094). Le lien de la vision avec la vérité
judiciaire ou romanesque est exprimé le plus simplement par Misard, le
seul criminel du roman qui ne sera jamais vu par personne. Croyant
avoir vu sur la voie un individu étalé, il va chercher sa lanterne car « faut
voir clair pour savoir » (1048).
Tout ce qui a trait à la bonne marche du train dépend de l’acuité de
la vision du mécanicien et du conducteur : « sur la Lison, Jacques […] ne
quittait plus la voie des yeux […] toutes les forces de son être étaient
dans ses yeux qui veillaient » (1131-1132). Jacques est donc devenu un
regard, indispensable à la sécurité des voyageurs du train, suivant le repé-
rage des signaux. L’enjeu du voyage mythique est dans la capacité du
héros de voir les signaux d’où dépendent la vie et la mort. On retrouve la
même fixité du regard quand Flore guette le train de Jacques afin de le
détruire, « toute à l’attente, […] les yeux fixés au bout de la voie » (1253).
Après l’accident, Flore, cherchant Jacques avec frénésie, fouillant ardem-
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recoucher pour ne plus l’avoir sous ses yeux. Quand celle-ci se lève et
s’approche de lui, la lampe à la main, il s’écrie : « Non, non ! Pas la
lampe ! » Jacques, « voyant cette chair blanche […] leva le poing, armé
du couteau. Mais elle avait aperçu l’éclair de la lame ». La lumière permet
à Jacques de voir son désir tout comme elle permet à Séverine de voir sa
mort et son meurtrier (1292-1297).
Mais si le regard joue un rôle crucial dans le roman, le temps est
l’autre vecteur fondamental à toute enquête judiciaire : temps de la mort
de la victime, emploi du temps des suspects, temps de l’investigation. La
Bête humaine est le roman du Temps par excellence, où le passage des
trains se fait à heures régulières, où les criminels comptent les minutes
qui les séparent de leur acte, où les enquêteurs vérifient les emplois du
temps des uns et des autres, où certains vivent hors du temps, tel Misard.
Les allusions aux bruits qui marquent le déroulement du temps abon-
dent ; l’image de la marche du temps est récurrente, l’horaire des trains
est précis à la minute près et la seconde devient une entité toute puis-
sante. Séverine avoue à Jacques avoir senti la mort de Grandmorin « qui
est venue en trois hoquets, avec un déroulement d’horloge qu’on a cas-
sée » (1202). Tandis que Séverine et Jacques épient Roubaud faisant sa
ronde de nuit afin de l’assassiner, la marche de ce dernier est assimilée au
temps qui les sépare de leur acte : « chaque pas diminuait la distance,
rythmé comme par le balancier inexorable du destin » (1241). Et le soir
où les amants ont projeté de le tuer à la maison de Grandmorin, la mar-
che de la future victime est accompagnée de celle de Jacques, qui l’attend
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que décrit Zola aux moments les plus dramatiques de sa narration. Ainsi
Jacques, voyant « défiler les compartiments pleins de voyageurs dans un
tel vertige de vitesse, que l’œil doutait ensuite des images entrevues »,
aperçut « à ce quart précis de seconde […] un homme qui en tenait un
autre […] et qui lui plantait un couteau dans la gorge » (1047). Convo-
qué par le juge à propos de cette affaire, Jacques « répétait que la scène
du meurtre était restée pour lui la vision d’une seconde à peine, une
image si rapide qu’elle demeurait comme sans forme, abstraite, dans son
souvenir » (1094). Cette idée de la « seconde » fatidique réapparaît
quand, attendant Roubaud avec Jacques à la Croix-de-Maufras, Séverine
fait le compte à rebours : « Embrasse-moi, mon chéri, pendant que nous
avons une minute encore […] Maintenant, s’il a marché vite, d’une
seconde à l’autre, il peut frapper » (1296).
Or cette « seconde » fatale, autour de laquelle pivotent plusieurs
actions de la narration, est essentiellement le produit du hasard. Même
dans les crimes dont l’espace temporel a été soigneusement minuté par
les assassins, l’ultime seconde n’est pas déterminée par l’action humaine.
Séverine le reconnaît, en parlant de son mari : « Il est vrai que, s’il a
réussi, c’est bien le hasard qui l’a voulu […] À cette minute, il se décida,
me poussa dans le coupé » (1198). La première fois que Jacques ressent
en lui le besoin de tuer Séverine, il s’enfuit par les rues, en quête d’une
proie. Une femme qu’il suit se retourne et, par ce geste d’une seconde, lui
fait changer sa trajectoire, ignorante que le hasard lui ait ainsi sauvé la
vie. Il en poursuit une autre, « cela sans raison […] parce qu’elle passait
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alors une telle horreur en voyant Flore que celle-ci, désespérée, se suici-
dera. Le regard de Jacques produit donc un « choc » photographique, ne
pouvant entraîner que la mort de celle à laquelle il s’adresse. Car la
« vision photographique », qui appartient à une mesure du temps impos-
sible à quantifier, relève d’une vision mortifère où le Temps s’abolit.
Ainsi, dans La Bête humaine, l’instant de la mort du Président, dans
le train en mouvement, a été enregistré par l’œil de Jacques, pratique-
ment à son insu, mais en imprimant sur la plaque grise de sa mémoire
une image qui, ayant le pouvoir de se reproduire à l’infini, sera finale-
ment développée par lui dans la chambre noire (et non pas rouge) de sa
psyché criminelle. Son acte inhumain, bestial, déclenché par la vue de
l’objet qu’il désire posséder, fige ce dernier dans la mort, tout comme le
déclic de l’appareil-photo arrête le temps à jamais. Le crime, « photogra-
phié » par Jacques, pourrait alors s’expliquer dans les termes de Roland
Barthes : « J’imagine […] que le geste essentiel de l’Operator [le photo-
graphe] est de surprendre quelque chose ou quelqu’un […] et que ce
geste est donc parfait lorsqu’il s’accomplit à l’insu du sujet photographié.
De ce geste dérivent ouvertement toutes les photos dont le principe (il
vaudrait mieux dire l’alibi) est le “choc” : car le “choc” photographique […]
consiste moins à traumatiser qu’à révéler ce qui était si bien caché, que
l’acteur lui-même en était ignorant ou inconscient » (57) 8. Le mot
« alibi » est adapté à la situation de Jacques pour qui, avoir vu le crime
auquel a participé la jeune femme, le prédispose au meurtre de celle-ci.
Ainsi, après que Séverine lui a raconté le crime, il ne peut dormir : « une
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10. Colette Becker, « Zola et le mélodrame », dans Zola and the Craft of Fiction. Essays in
Honour of F.W.J. Hemmings, Lethbridge and Keefe (éd.), Leicester University Press, 1990,
p. 53-66.
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