Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Dominique Lhuilier
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Cliniques du travail
Dominique LHUILIER
180
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1
aux autres les instances qui poursuivent chacune des finalités qui leur
sont propres, le « Je » se trouvant en charge de signifier entre elles
quelque cohérence. Un sujet social qui ne peut se construire hors du
rapport à l’autre. Le social, tel que nous l’entendons, recouvre à la fois
des rapports d’échanges (le symbolique) et des rapports de transforma-
tion de la réalité (praxis). Il ne se réduit pas aux « déterminations
sociales » qui enferment le sujet dans un ensemble d’interdits, de
contraintes, et/ou qui façonnent son aliénation. Il assure aussi une fonc-
tion d’étayage essentielle à la construction du sujet et constitue une
ressource centrale pour l’action. L’épreuve que constitue l’affrontement
au réel ne peut être individuelle au sens où son dépassement suppose une
progression de la symbolisation. Un sujet doté d’un corps, enfin, dimen-
sion vitale de la réalité humaine, un corps sur lequel s’étayent les fonc-
tions psychiques. Ce corps bio-psycho-social est la première inscription
de l’identité et il oriente la relation à autrui et au monde. Il s’agit bien d’in-
sister ici sur l’importance à accorder au corps (bien souvent l’objet d’un
impensé en sociologie ou en psychanalyse, notamment lacanienne), à
l’engagement de l’économie psychosomatique dans le travail.
Si les conceptions du sujet apparaissent dans les cliniques du travail
182
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1
Il nous faut aller plus loin. Dire que la démarche clinique s’oppose à
la démarche positiviste de la science, qu’elle est analyse du particulier
plutôt que du général, qu’elle est qualitative (fondée sur l’expression
symbolique) plutôt que quantitative (fondée sur la mesure), qu’elle privi-
légie la compréhension plus que l’explication causale, laisse en suspens
la question du régime de production du savoir et le rapport dialectique
entre connaissance et action. La production de connaissance est le résul-
tat d’une activité réflexive dans l’action et, réciproquement, cette
dernière est source de validation de la connaissance. Il y a nécessaire-
ment un travail d’analyse des « données », mais qui n’est pas seulement
le fait des cliniciens. Que le dispositif soit celui de l’entretien individuel
ou collectif, de groupes d’analyse des pratiques ou d’une observation
participante, il s’agit bien de favoriser la coproduction de la compréhen-
sion du sens des conduites en situation. Dispositif qui introduit à des rela-
tions nouvelles entre cliniciens et praticiens dans la mesure où ceux-ci
sont à la fois sujets et objets de la recherche. Dispositif qui crée une
situation en décalage à l’intérieur du cadre habituel et induit ainsi une
rupture par rapport à l’ordinaire. C’est ce décalage qui favorise l’émer-
gence d’une réflexivité subjectivante.
il a émergé, ainsi que des effets qu’il produit sur la réalité. Le savoir, a
fortiori le savoir sur les pratiques, est indissociable des conditions de son
émergence. Reconnaître la différenciation entre savoir-expérience et
savoir-objet théorique ne signifie pas qu’ils sont en rupture : « La
recherche-action est fondée sur l’hypothèse que des savoirs de portée
générale peuvent être produits à partir de l’expérience directe des acteurs
et relativement à des situations singulières » (Dubost, Lévy, 2002). Ce
qui engage à un type de relation de coopération entre chercheurs et
acteurs, au fondement duquel se trouve la demande : le travail d’élabo-
ration, de symbolisation proposé dans cette démarche ne peut être validé
que s’il permet de renforcer le pouvoir d’agir des professionnels sur les
situations-problèmes auxquelles ils sont confrontés, s’il « permet aux
potentialités étouffées de l’acte de commencer à se développer »
(Mendel, 1999).
On aborde ici une autre dimension de la clinique, sa visée. Référée à
ses origines brièvement rappelées, le « soin » pourrait bien soutenir cette
démarche. D’autant que la demande sociale est forte. L’émergence sur la
scène sociale de la souffrance au travail sollicite les cliniciens : accom-
pagnement post-traumatique des accidentés du travail, des profession-
184
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1
186
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1
sens donné par le sujet à son action, autour de l’énigme des rapports
entre activité et subjectivité dans le travail humain ?
La psychosociologie et la psychologie sociale clinique n’ont pas « fait
du travail un objet spécifique d’investigation » (Amado, Enriquez, 1997)
et elles « s’intéressent, de façon plus générale, aux relations entre le sujet
et son environnement, et considèrent le travail comme un aspect de celui-
ci ». Leurs objets sont, de façon privilégiée, les relations interperson-
nelles, le groupe, l’institution, l’organisation. Le « groupe », en tant
qu’objet de connaissance et lieu d’une pratique, a donné lieu à nombre
d’expérimentations et d’expériences dont la clinique du travail peut tirer
profit dans son investigation des dynamiques collectives mobilisées
autour, à l’occasion du travail. Pourtant, ces apports, par ailleurs incon-
testables, ont aussi leurs limites. L’histoire de la dynamique des groupes,
tout entière absorbée par les interactions, puis par une investigation de la
vie fantasmatique groupale, a laissé dans l’ombre la question de l’action
(Amado, 1999). Et ce d’autant plus que les dispositifs instaurés pour l’in-
vestigation des fonctionnements de groupes induisent des processus
régressifs favorisant l’interprétation « psychofamilialiste » (Mendel,
1992) et écartent à la fois la réalité sociale et l’action. Pourtant, l’action
188
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1
mais d’une production collective, et enfin parce que le possible fait partie
du réel. Reconnaître la centralité du réel dans l’expérience du travail, c’est
reconnaître cette place structurale d’une aire d’inconnu, toujours déplacée,
jamais résorbée et qui garantit l’existence même du champ de la pensée et
de la technique. C’est bien le réel qui, par sa résistance, empêche l’infinie
reproduction du même dans la pensée et dans l’acte. Le déni du réel ravale
le champ du savoir à l’exercice d’une connaissance ne visant que le retour
de l’identique. Les séductions d’un univers de certitudes ne sont pas que
le fait de l’organisation prescrite du travail. Quand la théorie d’une manière
générale, celle que constitue la tâche d’une certaine manière, mais aussi
celle qui représente le sens commun auquel chacun se réfère, quand les
théories donc se prennent pour le réel, elles abolissent les conditions de leur
propre ressourcement, de leur propre efficience.
Ce sont les filtres du connu et du vraisemblable qui orientent le
rapport au réel à partir de choix donnant lieu à des conventions, des
modèles d’actions et de valeurs, des pactes dénégatifs aussi. Et les actes
tranchent dans le réel informe, taillent dans les broussailles du possible
pour une mise en forme signifiante qui extrait une part du réel. L’inconnu
est un moteur fondamental pour toute remise en cause et progression.
Lors de sa découverte par l’expérience des limites du connu, plusieurs
attitudes sont possibles : il peut être refusé et ce refus se soldera par la
fuite ou le recours à des systèmes de défense ; il peut être occulté par
Maquette psychosociologie 14/04/06 10:56 Page 190
190
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1
met le sujet aux prises avec les réalités objectives du monde des choses
et des hommes, occasions et obstacles à son développement ».
G. Mendel tire ce même fil en soulignant qu’« avec l’acte nous entrons
en contact avec l’énigme du réel » (1999). L’acte « mendelien » est
processus d’interactivité entre un sujet porté par un projet d’action et la
réalité matérielle et sociale impliquée par cette action. La rencontre est
mise à l’épreuve : « C’est dans l’acte et uniquement dans l’acte que l’être
humain est amené à “prendre acte” de la dimension d’une réalité étran-
gère à son moi et qui résiste très déplaisamment à ses désirs, ses
concepts, ses projets » (1988). L’expérience pratique enseigne que le réel
dépasse toujours la pensée qu’on peut s’en faire. Et c’est bien l’indéter-
minisme partiel de l’acte qui ouvre à l’imprévu, occasion essentielle de
développement de la subjectivation, voie d’accès privilégiée à la liberté
susceptible de nous arracher à la répétition.
Ici apparaît dans les textes de Mendel « le vouloir de création »,
conceptualisé dans la référence à l’œuvre de Winnicott comme capacité
humaine à l’invention. L’objet sur lequel le sujet agit devient le successeur
très lointain de l’objet transitionnel d’autrefois. Il est à là fois soi et non-
soi, à la fois trouvé et créé. Et ce dans la même nécessité que par le passé :
devenir le créateur du monde. La mise en perspective du jeu winnicottien
et des processus transitionnels avec l’activité, puisant à la fois dans l’in-
ventaire des ressources disponibles et dans l’invention, permet d’échapper
Maquette psychosociologie 14/04/06 10:56 Page 191
POUR CONCLURE
BIBLIOGRAPHIE
192
Nouvelle Revue de psychosociologie - 1
ger des fondations communes mais aussi des divergences, matières à débats et
progression de la réflexion sur cette question centrale en clinique du travail : quelles
sont les ressources pour l’action en milieu de travail ? Deux axes sont ici privilé-
giés : les différentes conceptions de la clinique spécifiées par leurs objets, leurs
démarches et leurs visées ; les conceptions du travail comme environnement-
contexte, comme réalisation d’une tâche ou comme action et confrontation au réel.
MOTS-CLÉS
Clinique, travail, psychique, social, réel.
ABSTRACT
Various approaches deal with the development of the « work clinics » : the clini-
cal approach to activity, the social clinical psychology, work psychodynamics,
sociopsychoanalysis, sociology… Their exploration may allow to point out
common foundations but also divergences, a case for debates and development
of the thinking about this central question in work clinics : what are the resources
for action in the workplace ? Two issues are privileged here : the various concep-
tions of the clinical approach identified through their objects, their methods, their
aims and the conceptions of work as an environment, as the enacting of a task
or as action and confrontation to the real.
KEYWORDS
Clinical, work, psychic, social, real.