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COMMENT RÉUSSIR UNE MÉDIATION DANS LE CONTEXTE D'UNE

STRUCTURE HIÉRARCHIQUE ?

Jean Poitras et Vivian Wiseman

De Boeck Université | Négociations

2005/1 - no 3
pages 71 à 80

ISSN 1780-9231

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-negociations-2005-1-page-71.htm
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Pour citer cet article :
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Poitras Jean et Wiseman Vivian , « Comment réussir une médiation dans le contexte d'une structure hiérarchique ? » ,
Négociations, 2005/1 no 3, p. 71-80. DOI : 10.3917/neg.003.0071
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Comment réussir une médiation
dans le contexte d’une structure
hiérarchique ?
Jean Poitras1

Vivian Wiseman2

Cet article examine le rôle que joue le pouvoir dans le processus et la dynamique de médiation.
Plus précisément, il se penche sur les mesures qu’un médiateur peut prendre pour équilibrer les
pouvoirs entre les parties à une médiation tout en respectant la structure hiérarchique en place
dans l’organisation. Il y est suggéré que si les exigences de la médiation ne tiennent pas compte
des réalités de la structure organisationnelle, les parties risquent de s’engager dans une épreuve
de force une fois à l’extérieur du contexte de la médiation.
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Mots-clefs : médiation, pouvoir, hiérarchie, organisation.

Un directeur et un employé acceptent de participer à un processus de média-


tion pour régler un différend en milieu de travail. Comme les décisions en
médiation sont de nature consensuelle, la relation d’autorité doit être mise de
côté au profit d’une approche de résolution de problème. Le directeur accepte
de jouer le jeu et l’employé apprécie l’occasion de pouvoir discuter franche-
ment de la problématique. À la satisfaction du médiateur, les parties font des
progrès considérables. Cependant, l’employé prend goût à la discussion
spontanée et décide de traiter avec ses autres directeurs en ignorant les rap-
ports hiérarchiques. Ceux-ci n’apprécient pas le nouveau mode de communi-
cation et font alors pression sur le directeur pour qu’il mette fin au processus
de médiation. À sa grande surprise, le médiateur est informé que la médiation
est avortée et que des mesures disciplinaires seront prises contre l’employé.
Cet exemple de médiation en milieu de travail, inspiré d’un cas réel, sou-
lève deux questions importantes : Comment une médiation ayant si bien com-
mencé ait-elle pu se détériorer au point de se transformer en épreuve de
force ? Qu’aurait pu faire le médiateur pour prévenir un tel aboutissement ? En
effet, la médiation favorise l’équilibre des pouvoirs, une participation à part
entière, l’aplanissement des rapports hiérarchiques et une prise de décisions
démocratique. La médiation est donc considérablement différente des modes

1. Jean Poitras est professeur adjoint en résolution de conflits à HEC Montréal (Canada). Courriel :
jean.poitras@hec.ca
2. Vivian Wiseman travaille comme médiatrice communautaire et formatrice pour le Centre Saint-Pierre
de Montréal (Canada). Courriel : vwiseman@centrestpierre.ca.org

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72 Jean Poitras, Vivian Wiseman ————————————————————————————————

conventionnels de gestion hiérarchique. Elle risque même de contredire ouver-


tement certains styles de gestion. Le dilemme auquel nous – médiateurs –
sommes confrontés est le suivant : Comment pouvons-nous équilibrer les pou-
voirs et encourager une communication horizontale dans le contexte d’une
médiation sans pour autant nuire à la prise de décisions centralisée et l’écart
structuré du pouvoir dans le contexte de l’organisation ?
Cet article a pour objectif d’étudier les fondements de ce paradoxe et de
mieux comprendre les processus qui mènent à des issues aussi désastreuses.
Il vise également à proposer des stratégies aux médiateurs pour les aider à évi-
ter de créer des conditions propices à de telles épreuves de force. Dans un pre-
mier temps, nous suggérons d’entreprendre une analyse du rôle du pouvoir et
de ses répercussions sur le processus de médiation en milieu de travail. De
plus, nous offrirons aux médiateurs des suggestions pour éviter des luttes de
pouvoir tant à l’intérieur du cadre d’une médiation qu’à l’extérieur de celui-ci.
Ces stratégies d’intervention seront d’autant plus nécessaires au médiateur
que la médiation aura lieu dans une organisation fortement hiérarchisée.
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1 COMPRENDRE LE RÔLE DU POUVOIR

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Dans la documentation sur la résolution de conflits, les définition du pouvoir
gravitent habituellement autour des notions de domination et de coercition. Au
centre de cette perspective est la définition du pouvoir comme la capacité
d’exercer une influence sur le comportement d’autrui (Yarn, 1999). Ce concept
est similaire à celui de Fisher en matière de pouvoir de négociation, soit la
communication « aux fins d’influencer la décision d’autrui » (Fisher, 1991,
p. 127). Cette notion est également reprise dans l’analyse structurale de la
négociation, laquelle définit le pouvoir comme « la capacité relative des parties
de faire prévaloir leurs options » (Zartman, 1991, p. 148). Ainsi, selon cette
définition conventionnelle, les personnes en pouvoir ont la capacité d’imposer
leur point de vue sur les autres dans le cadre d’un processus relationnel inin-
terrompu tel qu’une médiation ainsi que dans un cadre organisationnel. Toute-
fois, le pouvoir a des répercussions plus subtiles et complexes sur le
processus de médiation que la simple capacité d’une partie d’imposer sa
volonté sur une autre. Le pouvoir exerce également une influence sur la façon
dont se dérouleront les négociations dans le cadre d’un processus de média-
tion. Nous examinerons particulièrement de près le rôle que joue le pouvoir
dans le processus et la dynamique de la médiation.

1.1 Le pouvoir et le processus de négociation


Les relations de pouvoir asymétriques sont d’une importance particulièrement
capitale. Une hypothèse fondamentale sur l’importance d’équilibrer les pou-

—— Comment réussir une médiation dans le contexte d’une structure hiérarchique ? 73

voirs en négociation est la théorie de la prépondérance des pouvoirs (Yarn,


1999). Selon ce principe général de la médiation, si l’une des parties à la
médiation exerce une influence beaucoup plus forte qu’une autre, il est peu
probable que la négociation puisse avoir lieu et aboutir. En plus de nuire à la
probabilité de conclure une entente négociée, un déséquilibre des pouvoirs a
plusieurs répercussions sur le processus de médiation. Dans le cas d’une
répartition inégale des pouvoirs :
– La médiation devient ardue
– Les chances d’en arriver à une entente par la médiation sont minces
– Ceux qui détiennent le gros des pouvoirs sont peu intéressés par les
besoins de ceux qui détiennent peu de pouvoir
– Ceux qui détiennent le gros des pouvoirs ne sont habituellement pas prêts
à faire des concessions
– Il est peu probable que ceux qui détiennent le gros des pouvoirs proposent
une solution favorable aux parties en présence
Se fondant sur des études antérieures, Deutsch et Coleman (2000) éclair-
cissent les tendances en matière d’élaboration de propositions en situation de
déséquilibre des pouvoirs : les personnes détenant plus de pouvoirs sont
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habituellement moins intéressées à tenir compte des besoins de celles ayant

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moins de pouvoir. En conséquence, elles sont moins prêtes à faire des
concessions. De plus, une personne en meilleure position de pouvoir sera
moins intéressée à accepter une solution conjointe pouvant satisfaire toutes
les parties. En conséquence, là où les pouvoirs ne sont pas équilibrés ou
encore lorsque la partie détenant le gros des pouvoirs n’est pas encline à tenir
compte des besoins des autres, c’est souvent à la partie ayant le moins de
pouvoir à formuler des propositions pouvant mener à une entente mutuelle-
ment satisfaisante.
Il faut s’y attendre, l’asymétrie des pouvoirs et les tendances qui en résul-
tent sont problématiques pour le médiateur. En fait, se fondant sur les
conditions nécessaires à une médiation efficace, Kressel fait valoir l’expé-
rience commune des praticiens pour arriver à la conclusion qu’une stratégie
de résolution de conflits sera moins efficace pour mettre fin à un litige entre
des parties qui se partagent les pouvoirs de façon asymétrique (Kressel,
2000). De noter Kressel, central à cette expérience est le fait que lorsqu’une
partie est articulée, confiante ou capable d’encaisser les conséquences éco-
nomiques ou politiques de maintenir une position adversative, la médiation
deviendra plus problématique. Le cas échéant, les médiateurs avouent que
les interactions relationnelles sont difficiles. C’est d’ailleurs pour cette raison
que les médiateurs tentent souvent d’équilibrer les pouvoirs.
L’équilibrage des pouvoirs est un processus par lequel le médiateur tente
de répartir les pouvoirs de sorte à assurer une négociation équitable (Yarn,
1999). Les techniques couramment utilisées à cette fin incluent la gestion de
l’attribution des sièges ou d’autres aspects relatifs au lieu physique ainsi que
l’établissement et la mise en application de règles comportementales de base
74 Jean Poitras, Vivian Wiseman ————————————————————————————————

visant à décourager le recours à des tactiques de négociation coercitives. Une


autre technique consiste à encourager les parties détenant le moins de pouvoir
de faire valoir leur point de vue et celles ayant le plus de pouvoir d’écouter et
de s’abstenir d’user de leurs pouvoirs pour s’imposer dans le processus de
communication. Bien que ces techniques utilisées pour rééquilibrer les pouvoirs
puissent susciter de nombreuses questions éthiques, le médiateur intervient à
intervalles réguliers de diverses façons qui influencent l’utilisation du pouvoir
par les parties. À tout le moins, le médiateur peut sensibiliser les parties au fait
que la dynamique des pouvoirs risque de miner le processus de médiation.

1.2 Le pouvoir et la dynamique de la médiation


C’est la forme que prend la dynamique des pouvoirs qui dicte en bonne mesure
le déroulement de la médiation. La documentation consacrée à la résolution de
conflits propose quatre perspectives supplémentaires de la manifestation de
cette dynamique. La première dimension concerne l’attribution des pouvoirs
hiérarchiques. Il est important que les gens reconnaissent l’importance d’un dif-
férentiel clair des pouvoirs, sans quoi une épreuve de force s’ensuivra. Deuxiè-
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mement, il est peu probable que les gens optent pour la conciliation au lieu de

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la concurrence s’ils sont engagés dans une épreuve de force. Leur réaction à
une épreuve de force constitue la troisième dimension. Au fur et à mesure que
les parties deviennent consommées par leur lutte, elles ont fréquemment
recours à de tels comportements, où les personnes ayant le moins de pouvoirs
utilisent le blâme pour s’affirmer tandis que la partie détenant le gros des pou-
voirs préconise l’imposition de sanctions. Enfin, la souplesse stratégique revêt
une grande importance. Lorsque les gens se disputent le pouvoir, ils tendent à
répéter la même stratégie plutôt que de tirer profit d’une multitude de réponses
possibles. Cette rigidité nuit au bon déroulement de la négociation. En résumé
du rôle que joue le pouvoir dans la dynamique de la négociation :
– La non-reconnaissance d’un différentiel clair du pouvoir mène à une
épreuve de force.
– Une épreuve de force réduit la probabilité d’opter pour la coopération au
lieu de la concurrence.
– Les personnes ayant le moins de pouvoir utilisent le blâme pour s’affirmer
auprès de ceux qui détiennent le gros des pouvoirs.
– Les détenteurs des grands pouvoirs utilisent la coercition pour s’affirmer
auprès de ceux qui ont le moins de pouvoir.
– L’épreuve de force mène à l’utilisation de stratégies rigides et mine l’effica-
cité du processus.
Nous commençons par étudier les répercussions de l’attribution de pou-
voirs hiérarchiques sur la dynamique de la négociation. Selon Augsburger,
reconnaître l’existence d’une hiérarchie favoriserait la coopération (1992). En
effet, le fait de percevoir soi-même et les autres parties à un conflit comme

—— Comment réussir une médiation dans le contexte d’une structure hiérarchique ? 75

détenant soudainement des pouvoirs égaux provoque souvent un esprit de


concurrence. Voyant leur influence défiée, les détenteurs du gros des pou-
voirs tentent de réaffirmer leur autorité et leur légitimité soit directement soit
indirectement. Ainsi, la reconnaissance par les parties de l’existence d’une
structure hiérarchique tend à accroître la probabilité d’un modèle décisionnel
axé sur la collaboration. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est pourtant logi-
que lorsque vu de la perspective d’une clarification des principales sources
structurales d’une différentiation des pouvoirs.
Une deuxième dimension concerne les choix que font continuellement les
gens d’utiliser leur pouvoir afin d’influencer l’aboutissement d’une négociation.
Selon Lulofs et Cahn (2000), si les parties sont engagées dans une épreuve
de force, il est peu probable qu’elles optent pour la coopération au lieu de la
concurrence. Bien que ce constat ne surprenne aucunement, la probabilité
d’éviter une lutte concurrentielle est plutôt faible une fois qu’une épreuve de
force a été engagée puisque la concurrence provoque habituellement une
réaction concurrentielle. Les parties peuvent facilement s’embourber dans
une dynamique de négociation improductive, voire destructive.
La troisième perspective du pouvoir qui doit être comprise concerne les
tendances relationnelles souvent antagonistes mais complémentaires des
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parties. Le comportement des gens dans le jeu dynamique réciproque du con-
flit social est lié au pouvoir qu’ils détiennent, que ce pouvoir soit réel ou perçu.
En situation de déséquilibre, les personnes détenant le moins de pouvoir
tendent à être craintives et stimulées par l’aversion (Coleman, 2000). Au cen-
tre de cette perspective sociopsychologique est le concept que les personnes
détenant le moins de pouvoir tentent de dissiper leur colère et leurs craintes
en projetant le blâme sur les autres. Néanmoins, comme façon de s’affirmer,
faire porter le blâme de leur situation insatisfaisante sur les personnes déte-
nant le gros des pouvoirs a tendance à se retourner contre ceux qui ont
recours à cette technique, puisque cette dernière contribue souvent à une
intensification de l’antagonisme, voire à des représailles non déguisées. Sur la
base de cette perspective, nous pouvons conclure que le blâme nuit à la pos-
sibilité qu’ont les parties d’opter pour l’habilitation mutuelle et la conciliation.
Dans le jeu des tendances relationnelles opposées, les personnes déte-
nant le gros des pouvoirs cherchent à dominer et tendent à avoir recours à la
coercition (Salacuse, à paraître). Dans cette perspective, une personne en
meilleure position de pouvoir tentera d’exercer une influence écrasante afin de
forcer une décision qui lui sera favorable. Si elle fait l’objet d’attaques ou de
blâme, cette personne se mettra sur la défensive et aura tendance à affirmer
son pouvoir en invoquant de possibles sanctions. Si la personne ayant moins
de pouvoir cède, il en résultera une injustice (qu’une entente soit conclue ou
non). Par ailleurs, si cette même personne dénonce la coercition dont elle est
l’objet, la relation risque de se rompre. Ainsi, peu importe le scénario, les
répercussions sur la négociation seront majeures. En réalité, la coercition blo-
quera la collaboration, nonobstant que la partie ayant le moins de pouvoir
décide de plier ou de résister.
76 Jean Poitras, Vivian Wiseman ————————————————————————————————

La quatrième et dernière dimension concerne les problèmes qui survien-


nent lorsque les gens se concentrent sur une seule et unique approche stra-
tégique. Les parties finissent par se faire prendre dans le paradigme de vouloir
pousser plus fort plutôt que d’essayer une approche différente. Dans le cas où
une stratégie est utilisée à répétition et exclusivement de toute autre appro-
che, la créativité en souffre et le conflit devient plus difficile à résoudre. Se fier
de façon rigide à une seule stratégie a pour effet de cristalliser les réactions
comportementales. Une fois que les parties se trouvent au cœur d’une
épreuve de force, elles tendent à devenir intraitables, à adhérer à une seule
stratégie et à ainsi travailler moins efficacement. McClelland (1975) nous per-
met de conclure que plus une personne compte de stratégies de négociation
dans son répertoire, plus il est probable qu’elle fasse preuve d’imagination
pour résoudre une situation conflictuelle.

2 LEÇONS ET STRATÉGIES À L’INTENTION


DES MÉDIATEURS
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La notion de l’équilibre des pouvoirs est centrale à la théorie et à la pratique
de la médiation. Notre travail de médiateur consiste à soutenir les parties qui
tentent de se constituer un ensemble de pratiques pour éviter les répercus-
sions négatives d’un pouvoir asymétrique. À l’aide de diverses techniques, le
médiateur cherche à bâtir de nouvelles relations qui promeuvent un dialogue
ouvert entre les parties. De plus, chaque partie finit par se rendre compte
qu’elle a un pouvoir de veto sur toute proposition puisque l’entente est le fruit
d’un consensus. L’objectif est de maintenir un équilibre des pouvoirs est de
promouvoir la créativité comme outil de résolution de problèmes dans le
contexte de la médiation. Toutefois cette stratégie peut se retourner contre les
parties si ces dernières perdent de vue la structure organisationnelle dans
laquelle elles évoluent.
En tentant d’établir et d’éclaircir les rouages du pouvoir, l’omission de
reconnaître la structure hiérarchique peut précipiter l’échec de la médiation.
En effet, lorsque les parties se mettent à parler d’égal à égal avec leurs
patrons en dehors de la médiation, il peut y avoir problème. Comment un média-
teur peut-il assurer l’équilibre des pouvoirs dans une médiation tout en respec-
tant la structure hiérarchique de l’organisation ? La dernière section du
présent article tente de répondre à cette question capitale.

2.1. Fonder la médiation sur la réalité de l’organisation


Le contexte de la médiation doit être fondée sur la réalité de l’organisation –
notamment sur la hiérarchie du pouvoir. Il s’agit d’un principe directeur. Pour ce
faire, le médiateur peut avancer des questions précises sur le modèle de ges-

—— Comment réussir une médiation dans le contexte d’une structure hiérarchique ? 77

tion de l’organisation dans le contexte d’une discussion conjointe. Le


médiateur peut inviter les participants à réfléchir sur leur position respective eu
égard au processus décisionnel. Le médiateur peut ensuite utiliser cette
information pour créer un modèle visuel de la structure de gestion sous la
forme d’un organigramme à l’intérieur d’un cadre pour ensuite illustrer graphi-
quement et expliquer le processus de médiation dans le contexte d’un cadre
plus restreint à l’extérieur – et fonctionnant en parallèle – du cadre qui
renferme la structure de l’organisation.
Le médiateur peut ensuite définir l’étendue de la médiation de concert
avec les participants. Le dialogue pourrait porter sur la décision de se concen-
trer sur les relations interpersonnelles et de se limiter aux enjeux précis. À ce
stade-ci, il peut s’avérer important pour le médiateur de freiner les attentes des
parties eu égard au contexte organisationnel pour les maintenir à des niveaux
réalistes. En effet, bien que l’interrogation la structure hiérarchique puisse
plaire aux employées, la direction aura probablement l’impression que son
pouvoir est menacé. Une piste de solution serait de s’entendre à l’effet de se
pencher sur la relation de travail en premier lieu.
Un tel portrait de la structure hiérarchique pourrait jouer un rôle de sensi-
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bilisation à deux égards importants. D’abord, le médiateur fait porter l’attention

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des participants sur le fait que la médiation se poursuit à l’intérieur d’un cadre
distinct de celui représentant la structure de l’organisation. Ensuite, le média-
teur porte l’attention sur le fait que les parties continuent de fonctionner à
l’intérieur de la structure hiérarchique. L’idée ici est de fonder le processus de
médiation sur la réalité de l’organisation.

2.2 Analyse de la motivation afin d’aller au-delà de la structure


du pouvoir
La discussion se poursuit ensuite par l’analyse des raisons pour lesquelles cha-
cune des parties a décidé de participer volontairement au processus de média-
tion. La question fondamentale à se poser est la suivante : Pourquoi la partie
ayant le pouvoir de mise en œuvre des politiques a-t-elle accepté la
médiation ? Cet échange peut mener la partie ayant moins de pouvoir à réaliser
que l’autre a l’intention de mettre son pouvoir d’autorité temporairement de côté
dans le cadre de la médiation. Le médiateur peut ensuite demander à l’autre
partie si l’explication qui vient d’être fournie modifie son opinion sur l’autre per-
sonne ou le contexte de médiation. Poser ce type de question peut encourager
chaque partie à reconnaître son propre rôle ainsi que le rôle de l’autre tout en
assurant un équilibre des pouvoirs propice au dialogue dans le cadre du
processus de médiation.
Ce processus peut faire en sorte que les parties se fassent mutuellement
confiance. Une fois que les parties commencent à reconnaître mutuellement
un climat d’équilibre des pouvoirs dans le contexte de la médiation, le défi du
78 Jean Poitras, Vivian Wiseman ————————————————————————————————

médiateur consiste à continuer de saisir les occasions qui permettront aux


parties de rebâtir leur confiance et leur communication. De plus, chaque fois
que les parties tendent à avoir recours à la structure du pouvoir de l’organisa-
tion, le médiateur peut les ramener à la raison pour laquelle elles étaient
prêtes à passer outre à la hiérarchie organisationnelle pendant la médiation.
Inversement, le médiateur peut rappeler que la relation égalitaire se limite au
cadre de la médiation et à l’objectif de trouver une solution mutuellement
satisfaisante. En conséquence, l’étude de la motivation à s’engager dans une
médiation peut contribuer à maintenir les parties sur la bonne voie tout en
aidant à assurer l’équilibre des pouvoirs dans le contexte de la médiation.

2.3 Préparation des parties à « réintégrer » la structure


de l’organisation
Il est important que les parties se rappellent que les personnes n’ayant pas
pris part à la séance de médiation n’ont pas vécu les voies de communication
promues au cours de la médiation. Ainsi, elles ne s’attendent habituellement
pas à des modifications à la structure du pouvoir. Préparer les parties à
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réintégrer l’organisation après une séance de médiation représente donc une

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dernière mesure importante pour prévenir une épreuve de force. Le médiateur
peut convoquer les parties sous forme de « caucus » et leur demander d’éva-
luer les répercussions possibles si les participants tentent de transférer la
communication axée sur l’équilibre des pouvoirs à la réalité du cadre
organisationnel. Cette mesure peut s’avérer nécessaire avec la partie qui a le
moins de pouvoir hiérarchique. Bénéficiant d’une vision plus claire de la
situation, les participants se trouvent en meilleure position de faire des choix
éclairés moins susceptibles de déclencher une épreuve de force.

CONCLUSION

La dynamique du pouvoir peut exercer une grande influence sur le processus


de médiation. La médiation en milieu de travail se limite trop souvent aux
relations interpersonnelles et n’est pas vue comme un processus qui impose
des contraintes organisationnelles telles que la structure hiérarchique. Si les
caractéristiques de cette structure ne sont pas prises en compte, la médiation
risque de causer plus de tort que d’aider la situation puisque le processus de
médiation lui-même encourage les employés à s’interroger sur la direction. Le
principal problème auquel les participants sont confrontés est de délaisser
l’équilibre des pouvoirs en médiation et de fonctionner selon un mode de
résolution de conflits une fois de retour à la réalité de l’asymétrie des pouvoirs
qui prévaut habituellement au sein des organisations. Malgré tout, il existe
plusieurs options pour prévenir une épreuve de force. Le médiateur peut aider
les participants à réintégrer cette réalité de diverses façons.

—— Comment réussir une médiation dans le contexte d’une structure hiérarchique ? 79

D’abord, en considérant la médiation comme un processus qui se déroule


parallèlement à la structure du pouvoir en place, le médiateur permet aux par-
ties de mieux comprendre la véritable nature du pouvoir. Les participants
peuvent ensuite réfléchir sur ce qu’est la médiation : une série d’occasions de
mettre en pratique des interactions relationnelles sur un terrain où les pouvoirs
sont équilibrés. Le processus donne ensuite aux participants un moyen sécu-
ritaire de mettre à l’essai des stratégies de communication propices à rectifier
la situation et à éviter le déclenchement d’une épreuve de force. Une fois de
retour à la structure organisationnelle, les participants peuvent ensuite opter
pour des solutions de rechange pour tenter de mettre fin à leurs conflits.
Lorsqu’ils confrontent la réalité prévalente des pouvoirs, ils peuvent alors uti-
liser leur meilleure compréhension de la structure organisationnelle pour évi-
ter de tomber dans le piège d’une épreuve de force.
Au moment de mener une séance de médiation dans une organisation, le
médiateur doit connaître sa structure hiérarchique. Il est suggéré que le média-
teur fasse la promotion d’une communication ouverte et d’un partage de la
prise de décisions pendant la médiation tout en sensibilisant les parties à
la hiérarchie en place dans leur organisation. En intégrant les stratégies
proposées, le médiateur peut réussir à éviter l’engrenage d’une épreuve de
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force créée lorsque les parties s’attendent faussement à un équilibre des pou-

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voirs dans une structure hiérarchique. Évidemment, le besoin de conscientiser
les parties à la structure hiérarchique dépend de l’organisation, car certaines
ont des structures décisionnelles plus officielles que d’autres.

RÉFÉRENCES

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Breslin, J.W. Breslin et J.Z. Rubin (éd.), Negotiation Theory and Practice. Cam-
bridge, Mass. : Program on Negotiation, 1991.
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