Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
1. Ce texte, paru en 1999 dans le numéro 66 de la revue Sociétés, est repris avec des
précisions, des modifications et des compléments.
* Université Marc Bloch / CNRS, Misha, Strasbourg.
explicative qui doit toujours revenir aux individus, les atomes de l’action, alors que
Durkheim insiste sur des contraintes et des habitudes collectives. Quelles que soient
les tentatives de concilier ces deux points de vue, il n’en reste pas moins que des
auteurs aussi avertis que N. Luhmann et A. Giddens soulignent toujours l’opposi-
tion entre les points de vue de Durkheim et de Weber. Une discipline telle que la
sociologie n’a à mon sens rien à gagner à vouloir euphémiser les courants contra-
dictoires et les sources diverses qui ont conduit à son développement. Il est parfois
plaisant de voir des détracteurs de la pensée unique prétendre à tout prix réaliser
une synthèse pour assurer un conformisme logique de la discipline, alors que sa
richesse et sa particularité tiennent à mon sens pour une grande part aux proposi-
tions diverses qui ont voulu la fonder. Jean-Marie Vincent a ainsi souligné qu’il ne
faudrait pas priver la pensée wébérienne de « ses arêtes et de ses aspérités, et au
fond, de sa véhémence critique. Autrement dit, il ne faut pas faire de Weber un
contributeur, bien sage malgré lui, à une sorte de “vulgate” sociologique où l’on
associe des élaborations théoriques fort éloignées dans des buts didactiques, dans
l’indifférence aux différences » 2.
Cela étant, une théorie, mais précisément parce qu’elle part d’un autre cadre,
peut voir ce qu’une autre ne voit pas, et nous pouvons tirer profit des éclairages
complémentaires qu’elles apportent : dire cela ne revient pas cependant à nier les
oppositions épistémologiques qui les soutiennent. S. Moscovici a bien remarqué
que nous faisons trop souvent une hypothèse hasardeuse sur l’unité de l’objet, et
que « nous devons toujours nous méfier de l’idée qu’elles partent d’un même
objet, qu’elle ont en vue la même réalité, comme ce serait le cas en physique ou
2. J.-M. Vincent, Max Weber ou la démocratie inachevée, Paris, Éditions du Félin, 1998,
p. 27.
Pour rendre compte du caractère plus indéterminé du monde, chacun des deux
sociologues aurait pris une position particulière : « Max Weber se tint décisivement
au sens subjectif visé de l’activité comme le seul fait donné et chercha à partir de
lui à construire des figures sociales idéal-typiques et entreprit à l’aide des idéaux
types de grandes recherches comparatives. Émile Durkheim masqua la contingence
à travers sa conception du caractère objectif des réalités sociales 4. » Partant du sens
visé, Weber crée des types idéaux d’activité, Durkheim par contre réifie, de manière
méthodologique, le social pour pouvoir le saisir. Il y a, selon Luhmann, incompa-
tibilité entre les deux positions.
De son côté, et en traversant cette fois-ci le Channel, A. Giddens a relevé que
les tirades wébériennes contre les conceptions holistiques dans l’analyse de la
société, même si elles ne visent pas nommément Durkheim, sont en partie dirigées
contre ce que représente l’École durkheimienne. Pour Giddens, la thèse de la con-
vergence entre Durkheim et Weber, forgée par Talcott Parsons, ne repose sur rien
d’autre que les propres objectifs de Parsons, car en fait « la méthode sociologique
de Durkheim aurait été pour Weber inacceptable, comme l’on peut être à peu près
sûr que Weber était familier des travaux de Durkheim et de certains de ses élèves
les plus connus, on peut se douter que les tirades de Weber contre l’utilisation de
conceptions holistiques pour l’analyse sociale sont en partie dirigées contre l’École
durkheimienne ; même si n’existe à ce propos aucun renvoi direct 5. » Dans un arti-
cle du recueil M. Weber et ses contemporains, A. Giddens insiste sur l’inscription
culturelle et sociale des deux hommes et montre leur opposition dans la conception
de la méthode et le style de leur travail. Durkheim ne s’intéresse pas à une fonda-
tion des sciences de la culture et à leur particularité, ses études visent à exemplifier
les principes de sa méthode, plus qu’à effectuer des recherches historiques détaillées,
comparatives et concrètes telles que Weber en avait le projet. Les conceptions de
l’État sont également divergentes, de même que le rapport à la démocratie 6.
Une autre appréciation des deux positions, qui se rapproche des deux précé-
dentes, est celle de G.H. von Wright : « Des deux grands sociologues du tournant
du siècle, É. Durkheim en ce qui concerne la méthode était un positiviste, tandis
que chez Weber une apparence positiviste est combinée à des accents téléologi-
9. K. Jaspers, Three Essays : Leonardo, Descartes, Max Weber, New York, Harcourt,
Brace & World, 1964, p. 222. L’auteur renvoie à Félix Somary, Erinnerungen, p. 171-172.
Trad. fr. de Commentaire, n° 55, automne 1991, p. 178.
hôpital – et en tant que tel dépendait de Weber qui chapeautait plusieurs hôpitaux
– refuse sous la pression publique que des prisonniers français blessés soient visités
par des civils allemands. Weber qui autorisait de telles visites dénonce violemment
cette interdiction, la considérant comme non-germaine, lâcheté bourgeoise, (Bür-
gerfeigheit) déshonorante, cas pitoyable de chauvinisme. (Eduard Baumgarten, Max
Weber, Werk und Person Tübingen 1964 p. 624.) Esprit chevaleresque d’une
part, hystérie anti rouge de l’autre, pouvant dénoncer l’antisémitisme, défendant
son collègue et ami Simmel qui eut à souffrir de l’antisémitisme et, plein de mépris
pour les Polonais, les Sénégalais ou les Alsaciens. Les passages suivants de lettres
à ses parents sont exemplaires : Das Volk in der Gegend (von Haguenau) ist sehr
schlecht und wenig gutwillig. 2 septembre/1884. La population dans les environs
de Haguenau est mal disposée et peu coopérative. Die Schattenseite an diesem
Volk ist seine grassliche Schmutzigkeit. Eine in dieser Beziehung widerwaertigere
netteres Volk als dies niedertraechtige Pack hier. À Alfred le 8 août 1884. A
l’encontre les gens du pays de Bade sont l’amitié même et surtout un peuple beau-
coup plus gentil que la vile populace d’ici. (Indiquons que Pack peut aussi être tra-
duit par canaille). Discours classique du colonisateur et de l’occupant. Pendant la
guerre, comme nous l’avons vu, il s’occupe de l’administration d’hopitaux et il est
chevaleresque pour les ennemis, mais cela dépend desquels. « Les hommes qui
vivent au centre d’une civilisation raffinée, qui tout de même sont à la hauteur de
l’horreur de la guerre au-dehors, (ce qui n’est pas une performance pour un nègre
sénégalais) et qui malgré cela se ressaisissent, reviennent comme la plus grande
partie de nos hommes aussi foncièrement honnêtes, voilà la véritable humanité »
(Lebensbild p. 531).
Dernier avatar de la réception de l’œuvre, les controverses à propos des rela-
tions entre Weber et Nietzsche : à quel point Weber fut-il influencé, quels sont les
thèmes nietzschéens présents dans l’œuvre de Weber ? Si l’on en croit un de ses
biographes, E. Baumgarten, Weber se promenant avec O. Spengler en janvier
1920 se serait exprimé de la sorte : « Die Redlichkeit eines heutigen Gelehrten und
vor allem eines heutigen Philosophen kann man daran messen wie er sich zu
Nietzsche und Marx steht […]. Die Welt in der wir selber geistig existieren ist
weitgehend eine von Marx und Nietszche geprägte Welt […] » 10. Tout le problème
est bien entendu de savoir comment interpréter et quelle place faire à cette parole
rapportée. Un exercice d’herméneutique et de sociologie compréhensive implique
de saisir la portée d’une telle affirmation et de voir comment elle éclaire l’œuvre.
Sur ce point la controverse entre W. Hennis et W. Schluchter est vive, elle est pas-
sionnante, car elle se pose la question d’une imputation et de la place que l’on peut
faire à la description qu’un auteur établit de son rapport à l’histoire intellectuelle.
10. E. Baumgarten, Max Weber, Werk und Person, Tübingen, 1964, p. 554.
Elle pose aussi la question du statut des conversations, pour la reconstitution d’une
problématique, et de la mémoire des participants.
La complexité des positions de Weber conduit Turner à nous proposer un
Weber à deux faces : d’un côté, un libéral individualiste préoccupé du destin des
individus dans ce qu’il appelle la cage d’acier du futur, la production incessante de
biens, la pétrification mécanique, la régulation bureaucratique et la perte de sens
pour tout individu pris dans ce mécanisme. Ne remarque-t-il pas que le dévelop-
pement de l’activité scientifique en expulsant l’hypothèse de dieu conduit à une
remise en cause de la morale et de l’éthique. « Là où la connaissance rationnelle –
empirique – a totalement réalisé le désenchantement du monde et la transforma-
tion de celui-ci en un mécanisme causal, surgit finalement la tension avec les pré-
tentions du postulat éthique, selon lequel le monde est un cosmos ordonné par
Dieu, ayant par conséquence un certain sens sur le plan moral. […]. La vision
13. J. Weiß, « Ein Weber für Herz, Sinn und Gemüt ? », in W. Gephart, Gründer Väter,
Leske Dudrich, 1998, p. 36.
14. Weber dans son article Le sens de la neutralité axiologique dans les sciences sociolo-
giques et économiques donne peut-être une des clés de son intérêt lorsqu’il indique qu’un
anarchiste à condition que sa conviction soit authentique comme elle « est située en dehors
des conventions et des présuppositions qui paraissent si évidentes à nous autres, peut lui
donner l’occasion de découvrir dans les intuitions fondamentales de la théorie courante du
droit une problématique qui échappe à tous ceux pour lesquels elles sont par trop éviden-
tes. En effet, le doute le plus radical est le père de la connaissance. Le sens de la neutralité
axiologique dans les sciences sociologiques et économiques , in Essais sur la théorie de la
science, p. 411. Le doute radical qu’ils émettent sur la famille ou l’ordre social stimule la
réflexion sur les relations entre ordres de vie.
vie religieuse, dans leur tradition familiale conditionnée par la religion, dans le style
de vie, également influencé par la religion, de leur entourage. » (Sociologie des reli-
gions, Gallimard, Paris, p. 155.) Remplaçons vie religieuse par anarchisme, tradi-
tion familiale par lutte contre les conventions etc., et l’on saisit comment, placés
dans cet environnement qu’ils contribuent à créer, les « anarchistes » adoptent une
nouvelle manière d’être dont ne peuvent rendre compte les conceptions de l’habi-
tus à tout bout de champs. Ce que les habitants d’Ascona recherchent, ce sont de
nouveaux principes de conduite de vie (Lebensfuhrung) et cela ne pouvait qu’inté-
resser Weber, lui-même plongé dans une interrogation sur les relations entre ordres
de vie et principes de conduite de vie : ils inventent de nouvelles manières d’être
(habitus), ce que la conception de l’habitus chez Bourdieu rend difficilement
pensable 15.
Le rapport à l’art de Weber se serait aussi modifié après le recouvrement de
ses facultés intellectuelles. On le sait, H. Rickert tenta de lui faire lire George en
15. Weber utilise ce terme comme G. Simmel dans sa Soziologie : « Ce qui est secret dans
les sociétés est un fait sociologique primaire, une certaine manière d’être ensemble, une
coloration, une qualité formelle des relations, qui déterminent, dans une action réciproque
directe ou indirecte avec d’autres, l’habitus du membre du groupe ou du groupe lui-
même. » Secret et sociétés secrètes, Circé, p. 89. La conception de Husserl dans les médi-
tations cartésiennes est un bon exemple de la variabilité potentielle des habitus p. 56-57.
On peut historiciser et sociologiser cette notion mais il ne faudrait pas oublier cette dimen-
sion fondamentale de l’habitus et le rôle de la pensée. Cf M. Foucault ; « II faut s’affranchir
de la sacralisation du social comme seule instance du réel et cesser de considérer comme
du vent cette chose essentielle dans la vie humaine et dans les rapports humains, je veux
dire la pensée. » (DE, IV, Gallimard, p. 597,) Pour une réflexion qui tente une appropria-
tion des conceptions de Husserl et de Bourdieu cf B. Bégout, La découverte du quotidien,
Allia, Paris, 2005.
1897, mais il ne manifesta aucun intérêt et c’est seulement après sa maladie ner-
veuse qu’il semble pour reprendre des termes de Marianne Weber, que « des res-
serres secrètes et jusqu’ici closes de son âme » s’ouvrirent : « Les formes créées par
l’art qui sans cesse approfondissent à nouveau la sensibilité y pénétrèrent ».
(Lebensbild 1926, p. 463.) Il lui est arrivé d’écrire à Frieda Gross, im Wonnemonat
1916, épouse du psychanalyste médecin et anarchiste autrichien Otto Gross, 16
gourou d’une communauté sexuelle à Ascona : « Oh que les belles femmes ren-
dent compliqués les problèmes de la vie ! Et pourtant que serait la vie sans elles »
(fonds Merseburg). L’admiration passée pour la grandeur de l’ascèse rationalisée
se conjugue avec la découverte que le mysticisme et l’éros sont interchangeables,
ce sont deux expériences d’extase, toutes les deux permettent une sortie du monde
réifié pour accéder au cœur de la vie, et toutes deux s’opposent à l’ascèse active,
l’une, le mysticisme dans le domaine religieux proprement dit, l’autre en dehors de
lents fonctionnels du mysticisme pour un monde désenchanté. Dans les cultures que
Weber nomme intellectualisés, l’érotique et l’homme professionnel au sens puri-
tain entrent en collision, qui ne verrait là une autobiographie à peine voilée, l’éro-
tique libère de l’ascèse rationnelle au sein même du monde. L’ascèse donnait un
sens au monde, mais dorénavant cette ascèse n’a plus le soutien des conceptions
religieuses et le travail que le puritain effectuait pour la gloire de dieu ou pour son
salut n’est plus qu’une contrainte. « Le destin de notre civilisation » du fait de la
perte de force de l’éthique chrétienne est le suivant : « il nous faut à nouveau pren-
dre plus clairement conscience de ces déchirements que l’orientation prétendue
exclusive de notre vie en fonction du pathos de l’éthique chrétienne avait réussi à
masquer pendant mille ans » 17. « La plus grande force vitale irrationnelle : l’amour
sexuel », dont il traite dans sa considération intermédiaire de la sociologie des reli-
gions entre en conflit plus ou moins direct, avec tous les ordres de vie, cette force
canalisée par des formations religieuses, semble même assurer par bien des aspects
des fonctions que remplissait la religion : « La communication d’âme à âme » « au
sein de l’amour, le don de soi, l’évanouissement du tu, autant de critères qui assurent
à l’amant qu’il est […] implanté au sein de ce qui est la vie véritable éternellement
inaccessible à toute sollicitation rationnelle ayant ainsi échappé aux froides mains
squelettiques des règles rationnelles comme aux sollicitations du quotidien. » 18
L’amour transcende le quotidien, donne à l’individu l’idée et la sensation d’autres
mondes, il est l’expérience de sortie de soi, de participation à un tout qui fait oublier
16. Sur les relations entre O. Gross et M. Weber on consultera J. Le Ridder, « Modernité
viennoise et crises de l’identité », Revue française de sociologie, Paris, PUF, coll.
« Quadrige », 2000, p. 164-165.
17. M. Weber, Le savant et le politique, Plon, Paris, p. 95.
18. M. Weber, Considération intermédiaire, p. 24.
19. R. Dahrendorf, Max Weber und die moderne Sozialwissenschaft, in M. Weber und
seine Zeitgenossen, Herausgegeben von W. J. Mommsen und W. Schwenkter, Vanden-
hoeck & Ruprecht, Göttingen-Zurich, 1988, p. 783.
20. Dieter Henrich, Die Einheit der Wissenschaftslehre Max Webers, Tübingen, 1952.
21. M. Weber, G.P.S., ibid., p. 320.
22. M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Plon, Paris, 1964, p. 251.
23. M. Weber, Wirtschaft und Gesellschaft, Zweiter Halband, J. C. Mohr, Tübingen, 1956,
Kieppenheuer & Witsch Köln, Berlin, 1964, p. 737.
24. W. Hennis, La problématique de Weber, Paris, PUF, 1996, p. 69.
25. Ibid., p. 73.
26. Je me permet de renvoyer à mon ouvrage, une introduction à la sociologie compré-
hensive, Circé 2002, pour plus d’indications.
de la vie ? Quant aux questions : cela a-t-il au fond et en fin de compte un sens ?
Devons-nous et voulons nous être techniquement maîtres de la vie ? Elles les lais-
sent en suspens ou bien les présupposent en fonction de leur but » 29. Commentant
les réflexions de Tolstoi sur la possibilité d’un sens de l’existence lorsque celle-ci est
plongée dans le progrès infini, il remarque que « l’homme civilisé […] ne peut
jamais saisir qu’une infime partie de tout ce que la vie de l’esprit produit sans cesse
de nouveau, il ne peut saisir que du provisoire et jamais du définitif » 30. On
retrouve ici la thématique de la tragédie de la culture développée par Simmel, le
fossé se creuse de plus en plus entre la culture subjective de l’individu, ce que celui
ci peut s’approprier pour se former et donner un sens à l’existence et la croissance
de la culture objective ou encore de l’esprit objectif. Une telle thématique incline
vers une sociologie de la réification, la création s’autonomise et le créateur devient
prisonnier de ses créations.
Une dernière remarque lorsque Weber, gravement malade se plonge dans
l’étude et y voit le salut, lettre à Marianne Weber, il travaille sur l’éthique puritaine,
lorsque des émotions amoureuses l’étreignent, en 1910 Else Jaffé, Minas Töbler il
s’interroge sur les conflits entre amour et ascétisme, érotisme et religion, etc. Ne
voit-on pas ici comment une expérience biographique oriente les centres d’intérêts,
il voit des relations ou des situations qui à d’autres moments n’étaient pas pertinen-
tes pour l’intérêt de connaissance. Le fameux rapport aux valeurs qui guide la con-
naissance s’ancre dans la biographie, l’intérêt pour un phénomène provient d’une
action réciproque entre une situation vécue, les questions qu’elle soulève et son
de mes livres est une partie de ma propre histoire. Pour une raison ou une autre,
j’ai eu l’occasion de vivre ou de ressentir ces choses »32. L’objet n’est pas d’abord
construit comme le voulait les positivistes du métier de sociologue, il est approché
et connu par des expériences vécues. En retrouvant M. Weber comment traiter
l’énoncé que l’on trouve dans la considération intermédiaire de novembre 1915
lorsqu’elle se réfère au sentiment communautaire créé par la guerre idéologie, pro-
pagande, expérience ou constat : « la mort sur le champ de bataille se distingue
parce qu’ici, et dans son énormité, seulement ici, l’individu peut croire qu’il sait
qu’il meurt pour quelque chose ». Il ne faudrait pas trop intellectualiser le rapport
aux valeurs, l’intérêt de connaissance ne se limite pas à une curiosité intellectuelle
en quelque sorte détachée, il répond aussi à des expériences émotionnelles. Et
puisque la vie n’est pas faite que d’émotions amoureuses, lire les dernières lignes
du savant et le politique comme une exhortation générale concernant le politique
ou comme l’expression désabusée, d’une vie résignée et mélancolique de quelqu’un
dont le monde s’est écroulé, et qui considère que les dommages de guerre sont
infâmants ne revient pas au même. Lisons des notes de 1919 : Perdu la plus
grande guerre de l’histoire. / Non pas militairement, mais politiquement. Trop
d’ennemis / par injustice ? – alors maintenant / Claque la bouche/ honneur de
chien. Marchander des avantages par manque de dignité !(MWG 1/16, p. 160).
Les derniers mot du savant et le politique ne prennent-ils pas alors un accent beau-
coup plus personnel : « Celui qui est convaincu qu’il ne s’effrondera pas, si le
monde jugé de son point de vue, est trop stupide ou trop mesquin pour mériter ce
31. M. Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, IV 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 182.
32. M. Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, IV 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 779.
M. Maffesoli a depuis les années 1980 développé le même regard cf notamment La con-
naissance ordinaire, Méridiens Klincksieck, 1982 et Après la modernité, Cnrs édition, Col-
lection Compendium, Paris, 2008.
qu’il prétend lui offrir, et qui reste néanmoins capable de dire « quand même ! »,
celui-là seul a la “vocation” de la politique. »
Pour saisir « l’unité explosive de ses ambiguïtés » celle d’un être humain, non
d’un système, on ne peut que souhaiter avec R. Dahrendorf (M. Weber und die
moderne Sozialwissenschaft, p. 784) que des chercheurs s’attellent à la réalisation
d’une biographie de Weber qui ne soit ni scientiste, ni dévote.
Bibliographie
Dahrendorf R., « M. Weber und die moderne Sozialwissenschaft », in W.J. Mommsen et
W. Schwenkter (hrsg.), M. Weber und seine Zeitgenossen, Göttingen-Zurich, Vanden-
hoeck & Ruprecht, 1988.
Giddens A., « Max Weber und Emile Durkheim : divergierende Zeitgenossen », in
kamp, 1981.
Gilcher-Holtey I., « Max Weber et les femmes », Sociétés, 1990, n° 28, p. 65-74.
Hennis W., La problématique de Max Weber, Paris, PUF, 1996.
Lehmann H. & Roth G. (eds), Weber’s protestant Ethic : Origins, Evidences, Contexts,
Cambridge University Press, 1993.
Löwith K., Max Weber und Karl Marx, Stuttgart, 1960.
Luhmann N., Soziologische Aufklärung, Opladen, Westdeutscher Verlag, Band I, 1970.
Mommsen W.J. & Schwenkter W. (hrsg.), M. Weber und seine Zeitgenossen, Göttingen-
Zurich, Vandenhoeck & Ruprecht, 1988.
Schluchter W., « Zeitgemässe Unzeitgemässe. Von F. Nietzsche über G. Simmel zu
M. Weber », in Revue Internationale de Philosophie, vol. 49, n° 192, 2/1995.
Schwenkter W., Leidenschaft als Lebensform. Erotik und Moral bei Max Weber und im
Kreis um Otto Gross, in W.J. Mommsen et W. Schwenkter (hrsg.), M. Weber und seine
Zeitgenossen, Göttingen-Zurich, Vandenhoeck & Ruprecht, 1988.
Turner B.S., Max Weber. From history to modernity, London, Routledge and Keagan,
1992.
Weiß J., “Ein Weber für Herz, Sinn und Gemüt ?”, in W. Gephart, Gründerväter: soziolo-
gische Bilder, Opladen, Leske-Dudrich, 1998.
Whimster S. (ed.), Max Weber and the culture of anarchy, London, Routledge and Keagan,
1999.