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M.

WEBER : ANALYSTE ET CRITIQUE DE LA MODERNITÉ


Patrick Watier

De Boeck Supérieur | « Sociétés »

2008/2 n° 100 | pages 15 à 30


ISSN 0765-3697
ISBN 9782804157739
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Dossier

M. WEBER : ANALYSTE ET CRITIQUE


DE LA MODERNITÉ 1

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Patrick WATIER *
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Les travaux concernant la sociologie de Weber se sont multipliés ces dernières


années et un petit panorama non exhaustif des recherches et de la littérature inter-
nationale permet de signaler les thèmes récurrents, de comprendre les controverses
sur le sens de l’œuvre et également de sortir Weber des interprétations scolaires qui
laissent de côté des pans entiers de l’œuvre, ou se bornent toujours aux mêmes
morceaux choisis, « à quelques passages canoniques de virtuose ou de manuel »,
sans chercher l’intention directrice, pour reprendre la thèse centrale de l’ouvrage
stimulant de W. Hennis (p. 15).
Il ne s’agit pas au sens propre d’un compte rendu d’ouvrages, mais plutôt d’un
voyage dans la réception de Weber, qui signalera aussi certaines mises au point
permettant d’échapper aux mornes répétitions sur la neutralité axiologique, sans
que l’on mesure ce qu’il entendait par là ; ou encore de dire aux lecteurs franco-
phones qui traitent de l’objectivité selon Weber, ce qu’ils ne savent pas, que les
guillemets, toujours présents, ont disparu dans la traduction française. Un signe
typographique qui indiquait un problème, une difficulté particulière liée au
domaine d’études, celui des sciences de la culture est purement et simplement sup-
primé. Il est banal de dire que les grandes œuvres présentent des tensions non
résolues, mais cette banalité a au moins le mérite de maintenir ouverte la réception,
elle permet de souligner les contradictions. Les lignes de fuite présentes ne doivent-
elles pas être préférées à une présentation qui, privilégiant certains aspects, tend à

1. Ce texte, paru en 1999 dans le numéro 66 de la revue Sociétés, est repris avec des
précisions, des modifications et des compléments.
* Université Marc Bloch / CNRS, Misha, Strasbourg.

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transformer le prophète, fût-il à vocation scientifique, en administrateur d’un patri-


moine sociologique ramené à sa plus simple expression ou à des slogans.
Max Weber est sans doute l’un des auteurs les plus commentés, si ce n’est
l’auteur le plus commenté, en sociologie. L’éthique puritaine et l’esprit du capita-
lisme est aussi un des livres qui a fait couler le plus d’encre. Considéré à l’instar
d’É. Durkheim comme un des fondateurs de la discipline, la controverse sur le sens
de son œuvre n’a pas cessé. À l’origine et jusqu’aux années 1960 – en retraçant la
situation à grands traits –, c’est surtout la confrontation avec Marx qui domine : au
matérialisme et à l’économisme de ce dernier s’opposeraient l’idéalisme et le cul-
turalisme de Weber, à une explication économique une explication en termes de
croyances religieuses ou de valeurs. Une opposition un peu simple qui s’inscrit
dans une conjoncture politico-scientifique, car Weber, s’il critique le matérialisme
historique, le fait à cause de son monocausalisme, mais n’en considère pas moins

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qu’il a une importance heuristique certaine.
À cette première opposition s’en superpose une seconde en sociologie, puis-
que, comme le dit W. Mommsen, la méthode de Weber est à bien des égards à
l’opposé de celle de Durkheim. En effet, Weber plaide pour une compréhension
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explicative qui doit toujours revenir aux individus, les atomes de l’action, alors que
Durkheim insiste sur des contraintes et des habitudes collectives. Quelles que soient
les tentatives de concilier ces deux points de vue, il n’en reste pas moins que des
auteurs aussi avertis que N. Luhmann et A. Giddens soulignent toujours l’opposi-
tion entre les points de vue de Durkheim et de Weber. Une discipline telle que la
sociologie n’a à mon sens rien à gagner à vouloir euphémiser les courants contra-
dictoires et les sources diverses qui ont conduit à son développement. Il est parfois
plaisant de voir des détracteurs de la pensée unique prétendre à tout prix réaliser
une synthèse pour assurer un conformisme logique de la discipline, alors que sa
richesse et sa particularité tiennent à mon sens pour une grande part aux proposi-
tions diverses qui ont voulu la fonder. Jean-Marie Vincent a ainsi souligné qu’il ne
faudrait pas priver la pensée wébérienne de « ses arêtes et de ses aspérités, et au
fond, de sa véhémence critique. Autrement dit, il ne faut pas faire de Weber un
contributeur, bien sage malgré lui, à une sorte de “vulgate” sociologique où l’on
associe des élaborations théoriques fort éloignées dans des buts didactiques, dans
l’indifférence aux différences » 2.
Cela étant, une théorie, mais précisément parce qu’elle part d’un autre cadre,
peut voir ce qu’une autre ne voit pas, et nous pouvons tirer profit des éclairages
complémentaires qu’elles apportent : dire cela ne revient pas cependant à nier les
oppositions épistémologiques qui les soutiennent. S. Moscovici a bien remarqué
que nous faisons trop souvent une hypothèse hasardeuse sur l’unité de l’objet, et
que « nous devons toujours nous méfier de l’idée qu’elles partent d’un même
objet, qu’elle ont en vue la même réalité, comme ce serait le cas en physique ou

2. J.-M. Vincent, Max Weber ou la démocratie inachevée, Paris, Éditions du Félin, 1998,
p. 27.

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en astronomie. En effet, dans chaque théorie, il y a un peu de toutes les autres,


mais il y a beaucoup plus qui leur est particulier, et c’est moins une affaire de pers-
pective que de ressources d’arrière-plan initial » 3. Il ne va pas de soi que tous les
sociologues observent la même chose ou veulent résoudre un même problème.
Passer de l’autre côté du Rhin est alors salutaire, et les développements de
N. Luhmann sur l’Aufklärung sociologique, le type d’éclaircissements que procure
la sociologie lors de son avènement, précisent l’opposition. Selon lui, la sociologie
s’est constituée tout compte fait sur le mode suivant : comment saisir l’extrême
complexité d’un monde social contingent. Pour penser une telle situation, deux
moyens furent utilisés : une réduction subjective et une réduction objective qui sont
irréconciliables et inamicales l’une envers l’autre. Ces deux formes de réduction
renvoient bien entendu à Weber d’une part, à Durkheim de l’autre. Le monde
social en gestation correspond à une différenciation des sphères culturelles et des

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sphères d’activité, à un nouveau rapport des individus entre eux, ainsi qu’à de
nouvelles relations avec les institutions différenciées.
La saisie de ce nouvel état social dont la contingence, selon Luhmann, est une
caractéristique centrale, va produire deux attitudes méthodologiques opposées.
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Pour rendre compte du caractère plus indéterminé du monde, chacun des deux
sociologues aurait pris une position particulière : « Max Weber se tint décisivement
au sens subjectif visé de l’activité comme le seul fait donné et chercha à partir de
lui à construire des figures sociales idéal-typiques et entreprit à l’aide des idéaux
types de grandes recherches comparatives. Émile Durkheim masqua la contingence
à travers sa conception du caractère objectif des réalités sociales 4. » Partant du sens
visé, Weber crée des types idéaux d’activité, Durkheim par contre réifie, de manière
méthodologique, le social pour pouvoir le saisir. Il y a, selon Luhmann, incompa-
tibilité entre les deux positions.
De son côté, et en traversant cette fois-ci le Channel, A. Giddens a relevé que
les tirades wébériennes contre les conceptions holistiques dans l’analyse de la
société, même si elles ne visent pas nommément Durkheim, sont en partie dirigées
contre ce que représente l’École durkheimienne. Pour Giddens, la thèse de la con-
vergence entre Durkheim et Weber, forgée par Talcott Parsons, ne repose sur rien
d’autre que les propres objectifs de Parsons, car en fait « la méthode sociologique
de Durkheim aurait été pour Weber inacceptable, comme l’on peut être à peu près
sûr que Weber était familier des travaux de Durkheim et de certains de ses élèves
les plus connus, on peut se douter que les tirades de Weber contre l’utilisation de

3. S. Moscovici, Sociologie et caractère, Annales de l’Institut International de Sociologie,


nouvelle série, vol. IV, 1994, 100 ans de sociologie : rétrospective et prospective, p. 115.
Sur le rôle des intérêts de connaissance dans l’analyse de la religion, cf. P. Watier, « Erkennt-
nisinteressen der klassischen Religions-soziologie : Durkheim, Simmel, Weber », in Reli-
gionskontroversen in Frankreich und Deutschland. Soziologische Perspectiven, hrsg. von
Matthias Koenig und Jean-Paul Willaime, Hamburger Edition, 2008, p. 206-238.
4. N. Luhmann, Soziologische Aufklärung, Opladen, Westdeutscher Verlag, Band I,
1970, p. 69.

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conceptions holistiques pour l’analyse sociale sont en partie dirigées contre l’École
durkheimienne ; même si n’existe à ce propos aucun renvoi direct 5. » Dans un arti-
cle du recueil M. Weber et ses contemporains, A. Giddens insiste sur l’inscription
culturelle et sociale des deux hommes et montre leur opposition dans la conception
de la méthode et le style de leur travail. Durkheim ne s’intéresse pas à une fonda-
tion des sciences de la culture et à leur particularité, ses études visent à exemplifier
les principes de sa méthode, plus qu’à effectuer des recherches historiques détaillées,
comparatives et concrètes telles que Weber en avait le projet. Les conceptions de
l’État sont également divergentes, de même que le rapport à la démocratie 6.
Une autre appréciation des deux positions, qui se rapproche des deux précé-
dentes, est celle de G.H. von Wright : « Des deux grands sociologues du tournant
du siècle, É. Durkheim en ce qui concerne la méthode était un positiviste, tandis
que chez Weber une apparence positiviste est combinée à des accents téléologi-

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ques (“l’activité par finalité”) et à une mise en évidence d’une compréhension
empathique (“la sociologie compréhensive”) 7. »
Si Weber était critiqué par les marxistes qui le soupçonnaient de faire volens
nolens l’apologie de la société capitaliste, ses positions conservatrices, de droite en
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politique, confirmaient le jugement. Son nationalisme, ses conceptions sur la puis-


sance, la domination, la lutte, la défense d’une forme d’impérialisme, ses propos
pour le moins pleins de condescendance à propos des Polonais – ainsi en novem-
bre 1896 : « Man hat gesprochen von einer Herabdrückung der polen zu deuts-
chen Staatsbürgern zweiter klasse. Das Gegenteil ist wahr : wir haben die Polen aus
Tieren zu Menschen gemacht 8. » –, à peine plus aimables pour les Alsaciens, sur-
tout ceux de la région de Saverne, tout cela nous donne un portrait pour le moins
complexe.
Sans entrer dans une étude de son évolution politique, j’ai choisi un certain
nombre de prises de positions pour éclairer l’homme. Pendant la Première Guerre,
il expose le premier août 1916 à Nuremberg des thèses sur les objectifs de guerre
de l’Allemagne qui se concluent ainsi : « Ce serait une honte éternelle que de ne
pas avoir le courage d’empêcher que la barbarie russe d’un côté, la monotonie
anglaise d’un autre, et le verbiage français pour finir ne dominent le monde. C’est
pour ces raisons que nous faisons cette guerre. » Propos excessifs dus à la situation,

5. A. Giddens, “Die klassische Gesellschaftstheorie und der Ursprung der modernen


Soziologie”, in Geschichte der Soziologie. Studien zur kognitiven, sozialen und historischen
Identität einer Disziplin, herausgegeben von W. Lepenies, Band 1, Frankfurt am Main,
Suhrkamp, 1981, p. 126. Original : “Classical Social Theory and the Origins of Modern
Sociology”, in American Journal of Sociology, 81, 1976, p. 703-729.
6. A. Giddens, “Max Weber und Emile Durkheim : divergierende Zeitgenossen”, in
M. Weber und seine Zeitgenossen, herausgegeben von W.J. Mommsen und W. Schwenkter,
Göttingen-Zurich, Vandenhoeck & Ruprecht, 1988, p. 276.
7. G.H. von Wright, Erklären und Verstehen, Königstein/Ts, 1974, p. 20.
8. Max Weber Gesamtausgabe I/4, Tübingen, Mohr, p. 626-627, trad. : « On a parlé d’un
abaissement des Polonais en citoyens de l’État allemand de seconde zone. C’est l’inverse
qui est vrai : nous avons transformé les Polonais d’animaux en êtres humains. »

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à l’atmosphère de propagande ou aux idées de fond, peu importe, il adhère aux


buts de guerre, même s’il n’est pas d’accord sur les moyens ; (Mommsen, 1988,
p. 271). Il considère en 1918 le bolchevisme comme une dictature militaire qui en
tant que telle s’écroulera comme toutes les autres. En décembre 1918, il tonne con-
tre les spartakistes : « Liebknecht a sa place dans une maison de fous et Rosa
Luxembourg au jardin zoologique. » Mélange d’imprécations et de lucidité, de
fureur et d’analyse prémonitoire.
Karl Jaspers, dans son essai sur Max Weber, raconte la conversation suivante
entre Max Weber et Joseph Schumpeter : « Les deux hommes se rencontrèrent
dans un café de Vienne en présence de Ludo Moritz Hartmann et de Félix Somary.
Schumpeter souligna combien la révolution socialiste de Russie lui procurait une
grande satisfaction. Désormais, le socialisme ne se bornerait plus à un programme
sur le papier, il aurait à prouver sa viabilité. » Ce à quoi Weber répondit, en témoi-

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gnant de la plus grande agitation, que le communisme à ce stade de développe-
ment en Russie constituait virtuellement un crime, qu’emprunter cette direction
conduirait à une misère humaine sans équivalent et à une terrible catastrophe.
« Cela se passera tout à fait ainsi », répondit Schumpeter, « mais quelle parfaite
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expérience de laboratoire. » « Un laboratoire où s’entasseront des montagnes de


cadavres », répondit Weber fiévreusement. « On pourrait dire la même chose de
n’importe quelle salle de dissection », répliqua Schumpeter.
Cet échange se situe au tout début du régime bolchevique, puisque Max
Weber est mort en 1920. Ainsi, l’un des plus grands sociologues et l’un des plus
grands économistes de notre siècle étaient d’accord pour ne nourrir par avance
aucune illusion sur le communisme et pour en déceler les dispositions criminogè-
nes. Un point, cependant, les séparait : Schumpeter conservait encore une illusion
que Weber n’avait pas, l’illusion que les échecs et les crimes du communisme ser-
viraient de leçon à l’humanité. Exaspéré, le pauvre Weber ne put se maîtriser. Jas-
pers poursuit : « Toute tentative pour les détourner vers d’autres sujets de
conversation échoua. Weber parlait de plus en plus fort et avec violence. Schum-
peter demeurait silencieux et de plus en plus sarcastique. Les autres participants
attendaient, écoutant avec curiosité, jusqu’à ce que Weber se lève brutalement,
s’écriant : “Je ne peux en entendre davantage”, et quitte les lieux, suivi de Hart-
mann qui portait son chapeau. Schumpeter, resté sur place, remarqua en souriant :
“Comment un homme peut-il crier si fort dans un café ?” » 9.
Et pour ajouter encore une autre touche au tableau, il offre à de jeunes intel-
lectuels qui voulaient fonder une communauté communiste en Sibérie en 1920,
son assistance comme conseiller économique (Lebensbild). Un peu plus tôt, il
s’était fâché avec E. Troeltsch, son voisin, qui partageait avec lui la vieille maison
Fallenstein à Heidelberg, parce que ce dernier ayant en charge la direction d’un

9. K. Jaspers, Three Essays : Leonardo, Descartes, Max Weber, New York, Harcourt,
Brace & World, 1964, p. 222. L’auteur renvoie à Félix Somary, Erinnerungen, p. 171-172.
Trad. fr. de Commentaire, n° 55, automne 1991, p. 178.

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hôpital – et en tant que tel dépendait de Weber qui chapeautait plusieurs hôpitaux
– refuse sous la pression publique que des prisonniers français blessés soient visités
par des civils allemands. Weber qui autorisait de telles visites dénonce violemment
cette interdiction, la considérant comme non-germaine, lâcheté bourgeoise, (Bür-
gerfeigheit) déshonorante, cas pitoyable de chauvinisme. (Eduard Baumgarten, Max
Weber, Werk und Person Tübingen 1964 p. 624.) Esprit chevaleresque d’une
part, hystérie anti rouge de l’autre, pouvant dénoncer l’antisémitisme, défendant
son collègue et ami Simmel qui eut à souffrir de l’antisémitisme et, plein de mépris
pour les Polonais, les Sénégalais ou les Alsaciens. Les passages suivants de lettres
à ses parents sont exemplaires : Das Volk in der Gegend (von Haguenau) ist sehr
schlecht und wenig gutwillig. 2 septembre/1884. La population dans les environs
de Haguenau est mal disposée et peu coopérative. Die Schattenseite an diesem
Volk ist seine grassliche Schmutzigkeit. Eine in dieser Beziehung widerwaertigere

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Bevölkerung als die von Zabern kann es kaum geben. 9 août/1884. Le mauvais
côté de ce peuple tient à son épouvantable saleté. Sous ce registre une population
aussi désagréable que celle des environs de Saverne ne peut guère exister.
Dagegen sind die Leute in Baden die Freundlichkeit selbst. Und überhaupt ein viel
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netteres Volk als dies niedertraechtige Pack hier. À Alfred le 8 août 1884. A
l’encontre les gens du pays de Bade sont l’amitié même et surtout un peuple beau-
coup plus gentil que la vile populace d’ici. (Indiquons que Pack peut aussi être tra-
duit par canaille). Discours classique du colonisateur et de l’occupant. Pendant la
guerre, comme nous l’avons vu, il s’occupe de l’administration d’hopitaux et il est
chevaleresque pour les ennemis, mais cela dépend desquels. « Les hommes qui
vivent au centre d’une civilisation raffinée, qui tout de même sont à la hauteur de
l’horreur de la guerre au-dehors, (ce qui n’est pas une performance pour un nègre
sénégalais) et qui malgré cela se ressaisissent, reviennent comme la plus grande
partie de nos hommes aussi foncièrement honnêtes, voilà la véritable humanité »
(Lebensbild p. 531).
Dernier avatar de la réception de l’œuvre, les controverses à propos des rela-
tions entre Weber et Nietzsche : à quel point Weber fut-il influencé, quels sont les
thèmes nietzschéens présents dans l’œuvre de Weber ? Si l’on en croit un de ses
biographes, E. Baumgarten, Weber se promenant avec O. Spengler en janvier
1920 se serait exprimé de la sorte : « Die Redlichkeit eines heutigen Gelehrten und
vor allem eines heutigen Philosophen kann man daran messen wie er sich zu
Nietzsche und Marx steht […]. Die Welt in der wir selber geistig existieren ist
weitgehend eine von Marx und Nietszche geprägte Welt […] » 10. Tout le problème
est bien entendu de savoir comment interpréter et quelle place faire à cette parole
rapportée. Un exercice d’herméneutique et de sociologie compréhensive implique
de saisir la portée d’une telle affirmation et de voir comment elle éclaire l’œuvre.
Sur ce point la controverse entre W. Hennis et W. Schluchter est vive, elle est pas-
sionnante, car elle se pose la question d’une imputation et de la place que l’on peut
faire à la description qu’un auteur établit de son rapport à l’histoire intellectuelle.

10. E. Baumgarten, Max Weber, Werk und Person, Tübingen, 1964, p. 554.

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Elle pose aussi la question du statut des conversations, pour la reconstitution d’une
problématique, et de la mémoire des participants.
La complexité des positions de Weber conduit Turner à nous proposer un
Weber à deux faces : d’un côté, un libéral individualiste préoccupé du destin des
individus dans ce qu’il appelle la cage d’acier du futur, la production incessante de
biens, la pétrification mécanique, la régulation bureaucratique et la perte de sens
pour tout individu pris dans ce mécanisme. Ne remarque-t-il pas que le dévelop-
pement de l’activité scientifique en expulsant l’hypothèse de dieu conduit à une
remise en cause de la morale et de l’éthique. « Là où la connaissance rationnelle –
empirique – a totalement réalisé le désenchantement du monde et la transforma-
tion de celui-ci en un mécanisme causal, surgit finalement la tension avec les pré-
tentions du postulat éthique, selon lequel le monde est un cosmos ordonné par
Dieu, ayant par conséquence un certain sens sur le plan moral. […]. La vision

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empirique du monde et particulièrement la vision mathématique tend par principe
à récuser toute façon de voir qui exigerait principiellement un sens pour ce qui
advient dans le monde 11. » Interrogation sur les conséquences d’une sortie de
l’organisation religieuse du monde et sur le sens de l’existence, sur la possibilité
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d’une morale et de comportements fraternels, là où règne l’air glacé du calcul éco-


nomique. Cette interrogation n’est pas propre à Weber à l’époque. En ce sens,
Weber aurait produit une critique avant la lettre d’une société de consommation
généralisée, société repue et sans passions. L’autre face, c’est le nationaliste ardent,
obsédé par la politique de puissance nécessaire au maintien de l’Allemagne comme
centre de pouvoir mondial, le politique qui n’imagine pas d’autres relations entre
états, mais aussi entre les groupes, que les rapports de force et la rivalité inexorable
pour la domination.
Aux différents éléments rappelés jusqu’à présent, il faut encore ajouter d’autres
touches, puisque depuis les années soixante-dix, Greer, dans les sœurs von Rich-
toffen, W. Schwenkter dans son article sur La passion comme forme de vie, ont,
ramenant Weber dans son temps, montré son intérêt pour la sexualité et l’érotisme
après sa maladie nerveuse et souligné les relations qu’il pouvait entretenir avec cer-
taines fractions de l’avant-garde qui avait ses quartiers à Ascona sur les rives du Lac
Majeur. W. Lepenies avait déjà fait remarquer que : sa vie et son oeuvre étaient si
intimement mêlées que, tant dans ses analyses historiques que dans ses travaux sur
la théorie de la science et la méthodologie, on voyait transparaître des traits auto-
biographiques, en dépit de son renoncement ascétique à tout jugement de valeur 12.
Lors de son séjour à Ascona en 1914, Max Weber parle dans une lettre à Marianne
Weber (le 9 avril 1914) de cet endroit plein d’enchantements, de grâce, de danger,
de désir, de bonheur. D’une oasis de pureté, de la beauté de ce monde humain
fondé sur des sensations dépourvues de toute profondeur. Plus tard, il se proposait
de servir de conseiller financier à des Allemands s’étant installé en communauté en

11. M. Weber. G. A. zur Religionsoziologie, p. 564. Considération intermédiaire, p. 27.


12. W. Lepenies, Les trois cultures. Entre science et littérature l’avènement de la sociolo-
gie, Editions de la MSH, Paris, 1991, p. 285.

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Russie après la prise de pouvoir par la révolution, un anti bolchevique conseiller


juridique financier d’une espèce de kolkhose ! Ce dernier sujet est alors à mettre
en relation avec un intérêt de Weber pour tout ce qui sort du monde de la rationa-
lisation, un intérêt puissant et passionné pour de telles tentatives, dont la « contre
culture anarchiste » des rives du lac Majeur. J. Weiss le souligne, « Weber a com-
mencé à découvrir la puissance particulière et la beauté de l’érotique seulement
dans ces dernières années, et malgré de fortes résistances internes, – et c’est seule-
ment à ce moment qu’il peut écrire la considération intermédiaire, oui qu’il peut
l’imaginer » 13. Considération qui comme nous le verrons reconnaît une place cen-
trale à l’amour. Cette sympathie est néanmoins mêlée de scepticisme quant aux
réelles possibilités de réalisation. L’ouvrage édité par S. Whimster permet d’éclairer
son rapport à ce monde aux antipodes du sien et se propose de réaliser un pro-
gramme dont Mommsen soulignait l’urgence, ne pas isoler les conceptions socio-

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logiques mais les traiter en relation avec les idées, valeurs, conceptions esthétiques
de base, bref replacer la sociologie dans la culture du temps. Pour ce faire, les
auteurs explorent les relations entre les marges et le centre, se proposent de voir
comment des individus qui exploraient de nouveaux modes d’existence pouvaient
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directement ou indirectement influencer les personnes apparemment socialement


intégrées 14. Comment ceux qui étaient décrits par le Winterhur Tagblatt (Whimster,
p. 8) comme d’éminents représentants de la maladie urbaine, de la perversion
sexuelle et de la prostitution homosexuelle pouvaient-ils fasciner ou au moins inté-
resser Weber ? S. Whimster prend comme point de départ de son explication un
habitus culturel partagé, dont un indicateur est l’éducation classique du Gymna-
sium, un autre l’appartenance à la classe moyenne cultivée, qui ouvre par exemple
la possibilité de lire Nietzsche, et qui constitue la toile de fond, l’arrière plan sur
lequel une compréhension de positions opposées est concevable. L’habitus expli-
cite ce qui est commun, partagé comme allant de soi, mais cela étant, un arrière-
plan ne peut pas déterminer un monde en train de se construire, et surtout un
monde plongé dans la crise comme l’époque wilhelmienne. La référence à
P. Bourdieu, appelé à la rescousse, est pour le moins assez lâche, puisque tant pour
Franziska zu Reventlow dont l’auteur nous dit qu’à travers sa lutte contre les con-
ventions patriarcales elle crée et forme un nouvel habitus culturel, que pour Else

13. J. Weiß, « Ein Weber für Herz, Sinn und Gemüt ? », in W. Gephart, Gründer Väter,
Leske Dudrich, 1998, p. 36.
14. Weber dans son article Le sens de la neutralité axiologique dans les sciences sociolo-
giques et économiques donne peut-être une des clés de son intérêt lorsqu’il indique qu’un
anarchiste à condition que sa conviction soit authentique comme elle « est située en dehors
des conventions et des présuppositions qui paraissent si évidentes à nous autres, peut lui
donner l’occasion de découvrir dans les intuitions fondamentales de la théorie courante du
droit une problématique qui échappe à tous ceux pour lesquels elles sont par trop éviden-
tes. En effet, le doute le plus radical est le père de la connaissance. Le sens de la neutralité
axiologique dans les sciences sociologiques et économiques , in Essais sur la théorie de la
science, p. 411. Le doute radical qu’ils émettent sur la famille ou l’ordre social stimule la
réflexion sur les relations entre ordres de vie.

Sociétés n° 100 — 2008/2


PATRICK WATIER 23

von Richtoffen dont le choix d’entrer dans le monde de l’éducation supérieure


« signifie se rééquiper d’un nouvel habitus » (Whimster p. 15). Il semble assez dif-
ficile de concevoir ces transformations si l’on suit la définition de Bourdieu :
« l’habitus se détermine en fonction d’un avenir probable qu’il devance et qu’il
contribue à faire advenir parce qu’il le lit directement dans le présent du monde
présumé, le seul qu’il puisse jamais connaître. » (le sens pratique, p. 108). Pour
comprendre les modifications tant personnelles que sociales, il faut entendre ce
terme plus classiquement comme une manière d’être acquise, un système de dis-
positions qui n’échappe pas tant que cela à la conscience, ni à l’action de la
volonté, car son contenu n’est pas fixé une fois pour toutes. Puisque le livre est con-
sacré à Weber, il aurait été à mon sens plus judicieux de se saisir de la manière dont
il se sert de l’acception classique du terme d’habitus pour traiter de l’apparition
d’un « esprit nouveau », d’un nouvel habitus orientant les comportements des puri-

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tains. On voit comment de nouvelles solutions sont possibles, sans pour autant
avoir été sciemment recherchées, car « cette direction n’a pas représenté le simple
encouragement pour une disposition psychique déjà existante par elle-même […]
nous voyons ici des hommes adopter un habitus qui prend son origine dans leur
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vie religieuse, dans leur tradition familiale conditionnée par la religion, dans le style
de vie, également influencé par la religion, de leur entourage. » (Sociologie des reli-
gions, Gallimard, Paris, p. 155.) Remplaçons vie religieuse par anarchisme, tradi-
tion familiale par lutte contre les conventions etc., et l’on saisit comment, placés
dans cet environnement qu’ils contribuent à créer, les « anarchistes » adoptent une
nouvelle manière d’être dont ne peuvent rendre compte les conceptions de l’habi-
tus à tout bout de champs. Ce que les habitants d’Ascona recherchent, ce sont de
nouveaux principes de conduite de vie (Lebensfuhrung) et cela ne pouvait qu’inté-
resser Weber, lui-même plongé dans une interrogation sur les relations entre ordres
de vie et principes de conduite de vie : ils inventent de nouvelles manières d’être
(habitus), ce que la conception de l’habitus chez Bourdieu rend difficilement
pensable 15.
Le rapport à l’art de Weber se serait aussi modifié après le recouvrement de
ses facultés intellectuelles. On le sait, H. Rickert tenta de lui faire lire George en

15. Weber utilise ce terme comme G. Simmel dans sa Soziologie : « Ce qui est secret dans
les sociétés est un fait sociologique primaire, une certaine manière d’être ensemble, une
coloration, une qualité formelle des relations, qui déterminent, dans une action réciproque
directe ou indirecte avec d’autres, l’habitus du membre du groupe ou du groupe lui-
même. » Secret et sociétés secrètes, Circé, p. 89. La conception de Husserl dans les médi-
tations cartésiennes est un bon exemple de la variabilité potentielle des habitus p. 56-57.
On peut historiciser et sociologiser cette notion mais il ne faudrait pas oublier cette dimen-
sion fondamentale de l’habitus et le rôle de la pensée. Cf M. Foucault ; « II faut s’affranchir
de la sacralisation du social comme seule instance du réel et cesser de considérer comme
du vent cette chose essentielle dans la vie humaine et dans les rapports humains, je veux
dire la pensée. » (DE, IV, Gallimard, p. 597,) Pour une réflexion qui tente une appropria-
tion des conceptions de Husserl et de Bourdieu cf B. Bégout, La découverte du quotidien,
Allia, Paris, 2005.

Sociétés n° 100 — 2008/2


24 M. Weber : analyste et critique de la modernité

1897, mais il ne manifesta aucun intérêt et c’est seulement après sa maladie ner-
veuse qu’il semble pour reprendre des termes de Marianne Weber, que « des res-
serres secrètes et jusqu’ici closes de son âme » s’ouvrirent : « Les formes créées par
l’art qui sans cesse approfondissent à nouveau la sensibilité y pénétrèrent ».
(Lebensbild 1926, p. 463.) Il lui est arrivé d’écrire à Frieda Gross, im Wonnemonat
1916, épouse du psychanalyste médecin et anarchiste autrichien Otto Gross, 16
gourou d’une communauté sexuelle à Ascona : « Oh que les belles femmes ren-
dent compliqués les problèmes de la vie ! Et pourtant que serait la vie sans elles »
(fonds Merseburg). L’admiration passée pour la grandeur de l’ascèse rationalisée
se conjugue avec la découverte que le mysticisme et l’éros sont interchangeables,
ce sont deux expériences d’extase, toutes les deux permettent une sortie du monde
réifié pour accéder au cœur de la vie, et toutes deux s’opposent à l’ascèse active,
l’une, le mysticisme dans le domaine religieux proprement dit, l’autre en dehors de

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toute religion instituée. On retrouve une thématique qui parcourt les conversations
entre Agathe et Ulrich dans L’homme sans qualités.
L’amour, l’érotique apparaissent alors comme des éléments qui entrent en ten-
sion avec l’idéal du héros bourgeois ascétique, ce sont les pendants et les équiva-
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lents fonctionnels du mysticisme pour un monde désenchanté. Dans les cultures que
Weber nomme intellectualisés, l’érotique et l’homme professionnel au sens puri-
tain entrent en collision, qui ne verrait là une autobiographie à peine voilée, l’éro-
tique libère de l’ascèse rationnelle au sein même du monde. L’ascèse donnait un
sens au monde, mais dorénavant cette ascèse n’a plus le soutien des conceptions
religieuses et le travail que le puritain effectuait pour la gloire de dieu ou pour son
salut n’est plus qu’une contrainte. « Le destin de notre civilisation » du fait de la
perte de force de l’éthique chrétienne est le suivant : « il nous faut à nouveau pren-
dre plus clairement conscience de ces déchirements que l’orientation prétendue
exclusive de notre vie en fonction du pathos de l’éthique chrétienne avait réussi à
masquer pendant mille ans » 17. « La plus grande force vitale irrationnelle : l’amour
sexuel », dont il traite dans sa considération intermédiaire de la sociologie des reli-
gions entre en conflit plus ou moins direct, avec tous les ordres de vie, cette force
canalisée par des formations religieuses, semble même assurer par bien des aspects
des fonctions que remplissait la religion : « La communication d’âme à âme » « au
sein de l’amour, le don de soi, l’évanouissement du tu, autant de critères qui assurent
à l’amant qu’il est […] implanté au sein de ce qui est la vie véritable éternellement
inaccessible à toute sollicitation rationnelle ayant ainsi échappé aux froides mains
squelettiques des règles rationnelles comme aux sollicitations du quotidien. » 18
L’amour transcende le quotidien, donne à l’individu l’idée et la sensation d’autres
mondes, il est l’expérience de sortie de soi, de participation à un tout qui fait oublier

16. Sur les relations entre O. Gross et M. Weber on consultera J. Le Ridder, « Modernité
viennoise et crises de l’identité », Revue française de sociologie, Paris, PUF, coll.
« Quadrige », 2000, p. 164-165.
17. M. Weber, Le savant et le politique, Plon, Paris, p. 95.
18. M. Weber, Considération intermédiaire, p. 24.

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PATRICK WATIER 25

le monde du calcul rationnel, du labeur, de l’ethos professionnel. Théoriquement


le protestantisme a fourni un cadre tyrannique à la vie émotionnelle où le labeur
quotidien intégrait la créature dans un monde ordonné selon la gloire de dieu. La
tension ainsi jugulée est selon Weber en train de se transformer en conflit ouvert.
Comme le remarquait Mitzman, dans l’introduction à la seconde édition de The iron
cage, la sociologie de Durkheim a ses racines dans la troisième république et a des
prémisses différentes de celles de Weber, car cette dernière par certains aspects exhibe
une forme de fascination pour des alternatives au rationalisme ascétique et à la
transcendance en Occident.
Les thèmes de recherche et l’ampleur des thématiques approchées par Weber
ne sauraient être détachées, selon Hennis, de l’ambiance dans laquelle il écrit, « un
parfum acre de tragédie de la culture, de basculement d’un monde, et de résistance
stoïque face au polythéisme des valeurs et au fait que plus nous en savons sur la

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réalité, plus les antagonismes entre valeurs ultimes se révèlent inéluctables. »
En ce qui concerne la méthode de Weber il n’est pas inutile, selon W. Hennis
de revenir sur la neutralité axiologique et de ramener cette formulation à une « exi-
gence extrêmement triviale », (Weber), l’absence de parti pris et en même temps
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un plaidoyer pour « la liberté intellectuelle à une époque où la science (« bour-


geoise ») avec son propre genre de parti pris ; la foi au progrès qu’elle croyait pro-
duire, se déposait sur les esprits comme le mildiou. » La demande de neutralité
axiologique implique de pouvoir se distancier des idées les plus communément
partagées du temps, une liberté par rapport à un certain conformisme intellectuel.
Sur ce point apparaissent comme chez Simmel des critiques de la perfectibilité
méthodologique qui ne produit que des résultats insignifiants. Ce qui a pu être pré-
senté comme une démarche peu ou prou de type objectiviste serait paradoxale-
ment une défense de la liberté d’émettre des jugements pratiques en dehors de la
juridiction scientiste en train de s’instaurer. R. Dahrendorf de manière sobre remar-
que que le terme de compréhension qui implique une « combinaison d’empathie
et de faits avérés », durs au sens des sciences du même nom, a toujours paru sus-
pect à certains alors qu’il ne manque pas de tranchant. La méthode si elle est sim-
ple à saisir est cependant difficile à enseigner, de plus une utilisation trop à la lettre
d’une telle logique de recherche pourrait bien se révéler stérile » 19.
La méthode de la compréhension ne doit pas selon Hennis faire oublier son
statut d’outil méthodologique, elle est inséparable des buts de la recherche et pour
Hennis le cœur des recherches de Weber porte sur les conséquences culturelles de
l’organisation du monde moderne. Pour illustrer ce point, il s’appuie sur l’introduc-
tion méthodologique de 1908, à l’enquête sur les ouvriers d’industrie, du Verein für
Sozialpolitik qui débute par ces mots « La présente enquête cherche à établir : d’une
part quelle influence la grande industrie privée exerce sur le caractère personnel, le

19. R. Dahrendorf, Max Weber und die moderne Sozialwissenschaft, in M. Weber und
seine Zeitgenossen, Herausgegeben von W. J. Mommsen und W. Schwenkter, Vanden-
hoeck & Ruprecht, Göttingen-Zurich, 1988, p. 783.

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26 M. Weber : analyste et critique de la modernité

destin professionnel et le « style de vie » de son personnel, quelles qualités psychi-


ques elle développe en eux et comment celles-ci se manifestent dans l’ensemble de
la conduite de vie de ces personnes. » Se poser de telles questions conduira à se
demander « quel genre d’hommes la grande industrie crée-t-elle en vertu de sa
spécificité immanente et quel destin professionnel et donc aussi indirectement
extraprofessionnel) leur prépare-t-elle. » L’analyse de l’influence des conditions
dans lesquelles les hommes sont placés autorise des développements sur les rela-
tions entre ce que Weber nomme ordre de vie : les formes institutionnelles qu’elles
soient économiques, administratives ou religieuses ; et les individus situés dans ces
ordres.
Weber ne cesse de le rappeler, toute analyse doit être sans parti pris, mais elle
doit permettre aussi de porter un jugement sur la réalité, jugement qui se donne
comme tel. Elle se doit d’être la plus objective possible, mais une fois l’étude menée

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l’appréciation et la prise de position sont à son sens nécessaire.
Il n’est sans doute pas faux de remarquer que les critiques apportées au pro-
cessus de rationalisation peuvent s’interpréter en terme d’aliénation face à des sys-
tèmes autonomisés, qui ne fonctionnent plus en fonction des tâches qu’ils sont
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censés remplir, mais simplement en vue de leur perpétuation. On le voit la crainte


vis-à-vis de ce mécanisme performant, trop performant, qu’il en vient à devenir la
fin à la place du moyen qu’il était censé être n’est pas mince en même temps
qu’apparaît à nouveau la valorisation de l’élément individuel. Le concept d’indivi-
dualité n’est pas seulement l’objet de ses travaux de sociologie culturelle, mais
comme D. Henrich l’a montré un présupposé de toute sa théorie 20. M. Weber s’est
interrogé sur la possibilité d’une conduite de vie personnelle, et ce thème de la
place de la personnalité se retrouve au niveau de l’appréhension des catégories
fondamentales de la sociologie. Weber interroge toute organisation en fonction de
ses conséquences anthropologiques et alors sourd la crainte d’une pétrification
mécanisée de l’existence. Une machine inanimée n’est que de l’esprit pétrifié
« Eine leblose Maschine ist geronnener Geist » – et le développement de la bureau-
cratie le conduit à imaginer une situation comparable pour l’avenir à celle des fellahs
de l’ancienne Égypte si jamais les hommes étaient soumis à une administration
rationnelle de fonctionnaires et à une administration de prévoyance qui pour eux
seraient la seule et dernière valeur à laquelle ils se remettraient corps et âme pour
trancher de la manière de conduire leurs affaires 21. Tout au long de l’œuvre réap-
paraissent des interrogations sur le type d’humanité produit par les conditions de
vie moderne. Un point commun de ces sorties touche à la question de la person-
nalité, à la question du type d’humanité qui sortira de ce nouvel ordre social : « Nul
ne sait encore qui à l’avenir habitera la cage, ni si, à la fin de ce processus gigantes-
que, apparaîtront des prophètes entièrement nouveaux, ou bien une puissante
renaissance des pensers et des idéaux anciens, ou encore – au cas où rien de cela
n’arriverait – une pétrification mécanique, agrémentée d’une sorte de vanité convul-

20. Dieter Henrich, Die Einheit der Wissenschaftslehre Max Webers, Tübingen, 1952.
21. M. Weber, G.P.S., ibid., p. 320.

Sociétés n° 100 — 2008/2


PATRICK WATIER 27

sive. En tout cas, pour les « derniers hommes » de ce développement de la civilisa-


tion, ces mots pourraient se tourner en vérité : « Spécialistes sans vision et voluptueux
sans cœur (« Fachmenschen ohne Geist, Genussmenschen ohne Herz ») ce néant
s’imagine avoir gravi un degré de l’humanité jamais atteint jusque-là » 22. C’est
aussi pourquoi il faut selon lui interpréter tous les débats actuels, c’est-à-dire de son
temps, sur la nature de la formation comme une lutte entre le « type » homme spé-
cialisé et l’ancien homme de culture 23. De tels jugements confortent l’approche de
Hennis qui considère que tout ce que « la sociologie actuelle privilégie « la société »
était indifférent à Weber dont l’interrogation principale portait sur les relations
entre individus et société, comment préserver un tant soit peu l’individualité, la per-
sonne, et ce par rapport aux nouveaux modes d’organisation sociale qui prenaient
de plus en charge la formation caractériologique des individus. Weber n’était ni
scientiste, ni positiviste – si tant est que ces notions aient même un sens. Car rien ne

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rattache sa profusion d’interrogations scientifiques aux chichis sur le « standard », la
« fiabilité », etc., qui sont devenus de règle dans la manie de réglementation de la
sociologie actuelle ce dernier avatar du conformisme et de l’obscurantisme acadé-
miques » 24.
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En d’autres termes, Weber s’intéresse à des problèmes de civilisation et pour


Hennis cela signifie qu’» intellectuellement, Weber et la sociologie actuelle vivent
chacun de son côté, sans contact. Une sociologie dont le courant dominant a
incontestablement comme objet primordial la « société », qui dans son orientation
devenue essentielle, veut explicitement être « sociologie et uniquement sociologie »
une tendance qui […] s’oppose expressément à la sociologie « historico-existenti-
aliste », ne peut pas du tout suivre les traces de Weber. » 25 Comme la sociologie
actuelle considère comme philosophie sociale tout ce qui appartient aux problè-
mes de civilisation, elle ne peut qu’être sourde face à ce thème central chez Weber.
L’importance de Weber comme celle de Simmel tient sans doute à cette tension
entre réaction à une situation d’une part et volonté de l’autre de construire des
cadres pour rendre compte de manière plus « objective », sans parti pris de la réa-
lité. La réaction subjective immédiate qui donne l’impulsion et se retrouve souvent
dans les conclusions est comme filtrée par le processus de cadrage des données,
l’objectivité revendiquée dans l’analyse ne doit pas empêcher de prendre parti même
vigoureusement lorsque cette analyse souligne les dangers pour le type humain sou-
mis à telles ou telles conditions. Objectivité, qui il faut le souligner est toujours mise
entre guillemets, ce que la traduction française oublie systématiquement. 26

22. M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Plon, Paris, 1964, p. 251.
23. M. Weber, Wirtschaft und Gesellschaft, Zweiter Halband, J. C. Mohr, Tübingen, 1956,
Kieppenheuer & Witsch Köln, Berlin, 1964, p. 737.
24. W. Hennis, La problématique de Weber, Paris, PUF, 1996, p. 69.
25. Ibid., p. 73.
26. Je me permet de renvoyer à mon ouvrage, une introduction à la sociologie compré-
hensive, Circé 2002, pour plus d’indications.

Sociétés n° 100 — 2008/2


28 M. Weber : analyste et critique de la modernité

Hennis rappelle que « L’ambiance de crise existentielle et de critique de la civi-


lisation propre à Weber ne peut que heurter une sociologie plus aseptisée – dans
la mesure où elle a même un sens de telles ambiances – lui paraître étrangère pour
parler poliment et sinon douteuse du moins dangereuse. » 27
Par bien des aspects Weber exprime et porte des courants qui traversent son
époque, il peint le malaise dans une civilisation perdant toujours davantage son
sens à force de progresser dans le déploiement et la différenciation. La science et
la technique scientifique réalisent une rationalisation et une intellectualisation qu’il
ne faudrait pas confondre avec « une connaissance générale croissante des condi-
tions de vie dans lesquelles nous vivons. Elles signifient bien plutôt que nous savons
ou que nous croyons qu’à chaque instant nous pourrions, pourvu seulement que
nous le voulions, nous prouver qu’il n’existe en principe aucune puissance mysté-
rieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie ; bref que nous pouvons

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maîtriser toute chose par la prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde » 28.
Une autre formulation marque la différence entre développement scientifique et
sens de l’existence : « Toutes les sciences de la nature nous donnent une réponse
à la question : que devons-nous faire si nous voulons être techniquement maîtres
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de la vie ? Quant aux questions : cela a-t-il au fond et en fin de compte un sens ?
Devons-nous et voulons nous être techniquement maîtres de la vie ? Elles les lais-
sent en suspens ou bien les présupposent en fonction de leur but » 29. Commentant
les réflexions de Tolstoi sur la possibilité d’un sens de l’existence lorsque celle-ci est
plongée dans le progrès infini, il remarque que « l’homme civilisé […] ne peut
jamais saisir qu’une infime partie de tout ce que la vie de l’esprit produit sans cesse
de nouveau, il ne peut saisir que du provisoire et jamais du définitif » 30. On
retrouve ici la thématique de la tragédie de la culture développée par Simmel, le
fossé se creuse de plus en plus entre la culture subjective de l’individu, ce que celui
ci peut s’approprier pour se former et donner un sens à l’existence et la croissance
de la culture objective ou encore de l’esprit objectif. Une telle thématique incline
vers une sociologie de la réification, la création s’autonomise et le créateur devient
prisonnier de ses créations.
Une dernière remarque lorsque Weber, gravement malade se plonge dans
l’étude et y voit le salut, lettre à Marianne Weber, il travaille sur l’éthique puritaine,
lorsque des émotions amoureuses l’étreignent, en 1910 Else Jaffé, Minas Töbler il
s’interroge sur les conflits entre amour et ascétisme, érotisme et religion, etc. Ne
voit-on pas ici comment une expérience biographique oriente les centres d’intérêts,
il voit des relations ou des situations qui à d’autres moments n’étaient pas pertinen-
tes pour l’intérêt de connaissance. Le fameux rapport aux valeurs qui guide la con-
naissance s’ancre dans la biographie, l’intérêt pour un phénomène provient d’une
action réciproque entre une situation vécue, les questions qu’elle soulève et son

27. W. Hennis, La problématique de Weber, Paris, PUF, 1996, p. 73.


28. M. Weber, Le savant et le politique, op. cit., p. 70.
29. M. Weber, Le savant et le politique, 10/18, Paris, 1979, p. 76-78.
30. M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959, p. 79.

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PATRICK WATIER 29

traitement scientifique, je ne veux pas par là réduire l’analyse culturelle à la vie de


l’individu mais faire saisir que le sujet épistémique de la science qui vise rigueur et
« objectivité » est en relation avec les expériences sociales et individuelles du sujet
particulier, le sociologue ne peut s’abstraire de l’ensemble des conditions culturel-
les, sociales, de ses expériences individuelles. Les énoncés sociologiques sont reliés,
d’une part, à une imagination sociologique qui prend son envol à partir de la vie
pratique et ordinaire, heureuse et banale, avec ses joies, ses chagrins, et de l’autre,
aux expériences plus extraquotidiennes Ausseralltäglichkeit, et parfois catastrophi-
ques. Foucault, par exemple le reconnait « chaque fois que j’ai essayé de faire un
travail théorique, ça a été à partir d’éléments de ma propre expérience : toujours
en rapport avec des processus que je voyais se dérouler autour de moi. C’est parce
que je croyais reconnaître dans les choses que je voyais, dans les institutions aux-
quelles j’avais affaire, dans mes rapports avec les autres des craquelures, des

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secousses sourdes, des dysfonctionnements, que j’entreprenais un tel travail –
quelque fragment d’autobiographie » 31. Cette indication est intéressante car elle
permet de rompre avec une forme d’objectivisme, replaçant l’auteur dans la théo-
rie, la vie dans la pensée, ainsi Foucault en un autre endroit souligne : « Chacun
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de mes livres est une partie de ma propre histoire. Pour une raison ou une autre,
j’ai eu l’occasion de vivre ou de ressentir ces choses »32. L’objet n’est pas d’abord
construit comme le voulait les positivistes du métier de sociologue, il est approché
et connu par des expériences vécues. En retrouvant M. Weber comment traiter
l’énoncé que l’on trouve dans la considération intermédiaire de novembre 1915
lorsqu’elle se réfère au sentiment communautaire créé par la guerre idéologie, pro-
pagande, expérience ou constat : « la mort sur le champ de bataille se distingue
parce qu’ici, et dans son énormité, seulement ici, l’individu peut croire qu’il sait
qu’il meurt pour quelque chose ». Il ne faudrait pas trop intellectualiser le rapport
aux valeurs, l’intérêt de connaissance ne se limite pas à une curiosité intellectuelle
en quelque sorte détachée, il répond aussi à des expériences émotionnelles. Et
puisque la vie n’est pas faite que d’émotions amoureuses, lire les dernières lignes
du savant et le politique comme une exhortation générale concernant le politique
ou comme l’expression désabusée, d’une vie résignée et mélancolique de quelqu’un
dont le monde s’est écroulé, et qui considère que les dommages de guerre sont
infâmants ne revient pas au même. Lisons des notes de 1919 : Perdu la plus
grande guerre de l’histoire. / Non pas militairement, mais politiquement. Trop
d’ennemis / par injustice ? – alors maintenant / Claque la bouche/ honneur de
chien. Marchander des avantages par manque de dignité !(MWG 1/16, p. 160).
Les derniers mot du savant et le politique ne prennent-ils pas alors un accent beau-
coup plus personnel : « Celui qui est convaincu qu’il ne s’effrondera pas, si le
monde jugé de son point de vue, est trop stupide ou trop mesquin pour mériter ce

31. M. Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, IV 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 182.
32. M. Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, IV 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 779.
M. Maffesoli a depuis les années 1980 développé le même regard cf notamment La con-
naissance ordinaire, Méridiens Klincksieck, 1982 et Après la modernité, Cnrs édition, Col-
lection Compendium, Paris, 2008.

Sociétés n° 100 — 2008/2


30 M. Weber : analyste et critique de la modernité

qu’il prétend lui offrir, et qui reste néanmoins capable de dire « quand même ! »,
celui-là seul a la “vocation” de la politique. »
Pour saisir « l’unité explosive de ses ambiguïtés » celle d’un être humain, non
d’un système, on ne peut que souhaiter avec R. Dahrendorf (M. Weber und die
moderne Sozialwissenschaft, p. 784) que des chercheurs s’attellent à la réalisation
d’une biographie de Weber qui ne soit ni scientiste, ni dévote.

Bibliographie
Dahrendorf R., « M. Weber und die moderne Sozialwissenschaft », in W.J. Mommsen et
W. Schwenkter (hrsg.), M. Weber und seine Zeitgenossen, Göttingen-Zurich, Vanden-
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Sociétés n° 100 — 2008/2

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