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XIXE SIÈCLE
Pablo Cuartas
Résumé : Quelle est la valeur des objets de mémoire ? Comment structurent-ils l’imagi-
naire d’une ville ? À travers une proposition d’une phénoménologie sociale, nous montre-
rons de quelle manière l’enracinement de la mémoire incarné dans l’objet, amène à une
réflexion sur les formes d’habiter l’espace quotidien et les pratiques culturelles fondant
aussi une analyse historiographique.
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Abstract : What is the value of objects of memory? How do they structure the imaginary
of a city? Through a proposition of a social phenomenology, we will show how the root-
ing of memory, embodied in the object, leads to a reflection on forms of inhabiting the
everyday space and cultural practices, while at the same time building a historiographical
analysis.
Keywords : objects of memory, city, flea market
Il importe donc de saisir les composantes d’une panoplie assez variée de métiers,
pratiques et objets, dont l’enchevêtrement apporte les caractères spécifiques au
collectionnisme d’objets de mémoire au XIXe siècle. Seule une telle description
de ce commerce, et des acteurs qu’il implique, permettrait de bien comprendre
l’ampleur mystique que certains accordaient à la passion antiquaire des Parisiens
au XIXe siècle :
« Des cultes évanouis, un nouveau culte est né. L’Idole, jadis vénérée, a encore
ses fervents, mais l’Idole est devenue bibelot. Dans ce culte, la statuette d’un
dieu jadis redouté se confond, d’ailleurs, avec l’éventail enguirlandé d’une
marquise ou la bonbonnière peinte par Blarenberghe3. »
C’est ainsi qu’un écrivain et journaliste, Paul Ginisty, introduit Le dieu bibelot.
Les collections originales, ouvrage visiblement inspiré des « tableaux des mœurs »
et consacré à déceler tous les aléas du collectionnisme d’antiquités à la fin du
XIXe siècle. Outre le caractère « sacré » dont le bibelot est désormais investi, Ginisty
observe que ce culte est en quelque sorte à contre-pied de la modernité, même s’il
en reste indissociable : « Culte étrangement moderne que celui-là, dont les autels
sont les boudoirs où s’étale, dans un amusant pêle-mêle, un joli et chatoyant fouil-
lis de très anciennes choses4 ». L’écrivain tient tout de même à préciser, non sans
humour, quel était le véritable objet du culte : « Ce n’est pas au passé que nous
sommes fidèles, c’est à la “vieillerie” chèrement acquise ! »5, tout en se montrant
sensible au besoin de distinguer les aspects que comportait cette ferveur, car « le
dieu Bibelot a, lui aussi, son Temple, ses rites, ses mystères, ses solennités… »6. Si
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3. P. Ginisty, Le dieu bibelot. Les collections originales, A. Dupret Éditeur, Paris, 1888,
p. 5.
4. Ibid., p. 5.
5. Ibid., p. 6.
6. Ibid., p. 6.
7. M. Charpy. « Restaurer le passé. Marché des antiquités et pratiques de la restauration
à Paris au XIXe siècle », op. cit., p. 331.
« dès les années 1830, les brocanteurs visitent châteaux, églises et chapelles
de banlieue pour collecter des pièces qu’ils revendront aux antiquaires qui à
leur tour les offriront au chaland […]. Le terme de “chineur” est lié à la ban-
lieue. Il désignait d’abord le brocanteur parisien qui s’échinait à aller chercher
de la marchandise. À la fin du siècle, suite à l’engouement pour les objets
exotiques, chiner devient synonyme de quête d’objets chinois10. »