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Fiorenza Gamba
Résumé : Cet article donne un aperçu des transformations dans la société postmoderne
des rituels les plus traditionnels, les rituels funèbres. La mort, maîtrisée dans la modernité
jusqu’au refoulement, acquiert une importance émotionnelle très forte. Ainsi le besoin
postmoderne d’une reliance avec ses propres morts, et aussi avec les autres vivants à
l’égard des morts, s’exprime dans des espaces insolites, c’est-à-dire technologiques, capa-
bles de satisfaire ce besoin. L’insuffisance des rituels traditionnels conjuguée à la diffusion
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1. Cet article présente en forme résumée et, surtout, séminale, le travail d’une recherche dans
laquelle je me suis engagée depuis 2004, menée dans le cadre d’une bourse de la Fondation
Ariodante Fabretti de Turin (Italie), à laquelle vont tous mes remerciements pour le soutien
qu’elle a bien voulu accorder à mon étude peu usuelle.
2. Fiorenza Gamba (docteur en philosophie, Sorbonne - Paris IV et en sociologie, Université
de Turin, Italie) est professeur agrégé de sociologie des procès culturels à la Faculté de sciences
de la communication de l’Université “Sapienza” de Rome (Italie). Son domaine d’étude, qui
envisage l’impact social de les NICT (New Information and Communication Technology),
s’étend des effets sur les rituels et la transformation des espaces quotidiens – publics et privés
– liés aux nouvelles technologies. Elle a publié L’oblio dell’origine (Trauben, 2000), La conos-
cenza della Rete (Stampatori, 2002), Effets de la contre-intentionnalité. L’éthique de Levinas
(ANRT, 2003), Lo spazio dello schermo (Celid, 2004), Sociologia. Cinque nodi, una rete
(Celid, 2005, avec A. Milanaccio), Il gioco e il tabù (Ipermedium, 2007) ; ainsi que plusieurs
articles dans des revues internationales.
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Abstract : This paper presents the transformations, in postmodern society, of the most tradi-
tional rituals, even the burial rites. In modernity age the death, dominated as far as repression,
acquire a great emotional importance. In this way the postmodern need of reliance with our
own dead, and even with the others alive about the dead, express itself on unusual spaces,
which means that technological, able to satisfy this need. The traditional rituals inadequacy
unit to Internet diffusion shows a death re-sacralization that activates more personal and more
close rituals, but also shared with anyone. The virtual cemeteries – mysterious objects midway
between the video games and the data base – are the technological tools that give rise to deep-
est emotions and realize, by these immortality postmodern rituals, that living memory (of dead
and alive), witness the more and more urgent need of re-sacralization.
Keywords : re-sacralization, ritual, death, Internet.
Les cimetières virtuels sont des lieux presque inconnus et très mystérieux. Pour
ceux qui n’en ont jamais visité, leur représentation peut être plutôt incertaine et
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3. Selon une perspective de scolastique académique, les cimetières virtuels ne sont pas
un « bon » (à savoir sérieux) objet de recherche. Il n’y a pas de littérature scientifique très
étendue sur l’argument : à notre connaissance, ce sujet, hormis l’auteur du présent article,
a été traité seulement par Gianfranco Pecchinenda, de l’Université Federico II de Naples
(dans le cadre de ses études sur la mort et la mémoire), par Hans Geser de l’Université de
Zurich qui a rédigé un recueil, Virtually Yours for ever, de sites de mémoires dédiées à la
mort et aux mortes, et par Albert Benschop, de l’Université d’Amsterdam, qui a publié un
document on-line Death in Cyberspace. Fort heureusement, la recherche ne s’effectue pas
de manière scolastique et les cimetières virtuels sont un bon prétexte pour décrire et com-
prendre des transformations des rituels de la postmodernité.
4. On accueille ici l’invitation qui Michel Maffesoli nous délivre dans Le rythme de la vie :
« il faut savoir élaborer une pensée radicale... » (Maffesoli, 2004, p. 21).
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5. Défunt est un adjectif généralement associé aux personnes mais il y a aussi sur Internet
des cimetières concernant les animaux défunts et les objets défunts. Dans la présente étude,
nous nous sommes bornés à considérer les personnes, même virtuelles.
6. Sur cette dématérialisation voir l’essai de Gianfranco Pecchinenda (2002).
7. Il s’agit ici, comme le remarque Lev Manovich, de la structure de database et, par con-
séquent, de la procédure d’informations retrieval, qui définissent les nouveaux médias
(Manovich, 2001).
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Conditions d’immortalité
La peur de la mort et le besoin/désir d’immortalité qui la maîtrise sont indubitable-
ment des traits partagés par les hommes de tous temps et de tous lieux, au moins
à partir du moment où la mort devient un événement dont l’homme a conscience,
voire peur, et elle devient donc un fait qui affirme son individualité. Comme Edgar
Morin l’a bien souligné, la peur de la mort est la peur de la perte d’individualité et
parmi les différents moyens de la surmonter, comme la philosophie par exemple,
on trouve aussi les rituels funèbres entendus comme stratégies d’immortalité, qui
déterminent le passage du traumatisme de la mort à la survie de l’immortalité. Un
passage qui se fonde sur la reconnaissance de la mort et son institutionnalisation à
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travers des rituels bien définis, figés 10. On pourrait dire aussi que l’immortalité serait
la tentative culturelle de dépasser un fait naturel ; de manière plus particulière, le
rituel funèbre serait la transformation symbolique de la mort en immortalité. Comme
tout fait culturel, les rituels funèbres montrent eux aussi une certaine immuabilité,
une permanence temporelle, favorisée par leur enracinement dans la tradition.
Néanmoins, leur variabilité et leur transformation historico-culturelle sont tout aussi
évidents, car la mort n’est jamais un simple fait naturel. Au contraire, elle déclenche
un processus qui est situé dans le temps et qui la transfigure en artefact culturel, ou
plutôt, en « l’artefact culturel », puisqu’elle donne lieu à de multiples stratégies de
vie : institutions, liens sociaux, comportement et imagination aussi (comme activité
de l’imaginaire) 11.
Par conséquent les rituels funèbres, que nous pouvons définir (à juste titre)
comme une forme de stratégie d’immortalité, montrent toute l’inquiétude de notre
époque : nécessaires par leur fonction de stabilisation, ils sont encore, et parfaite-
ment, consolidés dans des formes traditionnelles. C’est-à-dire que le traitement des
cadavres, les interdictions, les fonctions religieuses, les lieux spéciaux, voire les
cimetières, demeurent les moyens universellement utilisés pour transformer l’inac-
ceptabilité de la mort en l’acquisition de l’immortalité. Insuffisants par leur rigidité
et leur immuabilité, ces rituels vont assumer, très rapidement, des formes nouvelles
pour répondre aux exigences et surtout aux urgences de la postmodernité. C’est
pourquoi, à coté des cimetières réels, qui ne sont pas destinés à disparaître, surgis-
sent les cimetières virtuels, qui sont voués à se multiplier.
Cette transformation des rituels, à peine perçue et tout à fait accomplie (à jamais),
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10. Edgar Morin dans son ouvrage L’homme et la mort, encadre la mort dans la charnière
bio-anthropologique : « La mort […] est le trait le plus humain, le plus culturel de l’anthro-
pos ». Voir aussi sa Préface à la deuxième édition. Sur le traumatisme et l’individualité, voir
Introduction générale (anthropologie de la mort). Sur l’élaboration de la mort avec l’outil
de la philosophie, voir Morin (2002), et spécialement les paragraphes « La mort est moins
que rien (la sagesse antique) » et « La mort et la “culture” ».
11. Zigmunt Bauman (1992) définit la mort comme événement-limite, artefact culturel qui
active le travail de la culture, d’une part comme la tentative de donner un sens à la vie, de
l’autre comme l’effort pour réprimer la conscience de la fragilité de ce sens. Nombreuses sont,
d’après Bauman, les stratégies de vie activées par ce travail. Parmi celles-ci, bien que dans
une tout autre perspective, nous avons cru pouvoir comprendre l’imaginaire tel que Gilbert
Durand (1984) l’entend : pouvoir euphémique de « transformer le monde de la mort et des
choses en celui de l’assimilation à la vérité et à la vie ».
12. Nous ne pouvons ici que renvoyer aux importantes études de Philippe Ariès (1975,
1977) et de Michel Vovelle (1983).
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ainsi non seulement un espace virtuel mais aussi un espace augmenté comme cela
est représenté par certains cas de télé-expérience et de simulation.
Il ne faut pas oublier que l’autre élément fondamental du paysage postmoderne
c’est une nouvelle sensibilité esthétique. Esthétique qui n’étant ni éducation, ni goût,
réalise l’irruption de la sensibilité organique dans la vie sociale, comme forme d’hé-
donisme quotidien, « en tant que culture des sentiments » 21. À cette puissance de la
sensibilité correspondent tout autant une modalité émotionnelle de création de liens
sociaux, que la reconnaissance des passions – les affectations de la sensibilité – qui
se manifestent, en reprenant une sensibilité primitive, dans les fêtes, les excès, les ri-
tes, le sacré. Affirmation d’un hic et nunc postmoderne qui fonde le système d’orien-
tation de la personne sur l’immédiateté et l’exaltation des émotions.
C’est bien dans ces tendances que se manifeste la crise des rituels d’immorta-
lité modernes. Si le lieu fait lien par sa capacité d’enracinement, s’il révèle aussi une
re-destination en raison de sa multifonctionnalité, voire de sa possibilité de déve-
lopper et de réunir en même temps des fonctions différentes, les cimetières sont
clairement des lieux inadéquats pour assumer la tâche d’activation et de maintien
de l’immortalité postmoderne. Figés en leur spécificité, laquelle est réglée par un
calendrier rituel rigide, presque exclusivement public, ils sont peu fréquentés, à peu
d’exceptions près 22. Ils activent la reliance non seulement entre les morts et les
vivants, mais aussi entre les vivants et les vivants. Ces rituels opèrent un refoule-
ment tout moderne, de plus en plus marqué, de la mort. La mort n’existe pas dans
le paysage quotidien, sinon en ces lieux séparés, éloignés et bien cachés : on se
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rituels plus personnels, plus intimes, mais que l’on peut aisément partager avec
n’importe qui 25 dans le partage égalitaire de privé et de public, qui révèle une
osmose entre les deux secteurs.
Les cimetières virtuels constituent un exemple de l’affirmation de ces tendan-
ces de transformation et de mutation des rituels d’immortalité. Les insuffisances
dénoncées plus haut sont surmontées par cet outil informatique, qui devient ins-
trument de satisfaction du désir de la sensibilité postmoderne à l’égard d’un fait qui
possède le plus haut niveau d’implication émotive parmi les hommes : la mort. Tout
cela met l’accent sur ce que l’on pourrait appeler les technologies de la mémoire,
puisque les cimetières virtuels, à cause de leur structure informatique, re-sacralisent
les rituels d’immortalité par un élargissement de la dimension de la mémoire qu’une
méconnaissance banale ne conçoit que quantitativement.
Technologies de la mémoire
La différence la plus importante entre un cimetière (réel) et un cimetière virtuel
réside dans l’interactivité, qui permet d’accomplir un nombre d’activités impensa-
bles dans les cimetières. Ce mot clef, passe-partout indispensable des secrets de
l’informatique, dévoile, à l’égard de la phénoménologie des rituels funèbres vir-
tuels, deux dimensions importantes qui ressortent de ces objets à rituels postmo-
dernes : la dimension ludique et la dimension de la mémoire.
On peut observer que le mode de l’interactivité est généralement ludique, du
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25. Le thème de la personnalisation des rituels est abordé par Jeffrey (2003).
26. Une logique à laquelle se sont intéressées dernièrement les sciences de l’éducation, puis-
que les produits informatiques sont utilisés non seulement pour l’enseignement à distance
mais sont aussi considérés comme de véritables jeux pour l’enseignement en présence. Il suf-
fit de rappeler à cet égard les travaux du pionnier Seymur Papert.
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répète une tendance bien postmoderne présente aussi dans la réalité. L’adhésion à
la vie et la passion qui en dérive manifestent dans le quotidien une fluidité pénétrante
et déclare en toute son amplitude, même en toute son inconscience, l’acceptation du
mythe de Dionysos. D’ailleurs, on retrouve intacte cette adhésion passionnante dans
la réaffirmation de la manifestation de la culture en tant que jeu, qui a aussi bien
caractérisé l’Antiquité et qui revient dans la sensibilité postmoderne, de sorte que
l’homo ludens ancien revient de nos jours, en croisant la technologie, comme homo
game 27.
De la deuxième dimension issue de l’interactivité des cimetières virtuels, à
savoir celle de la mémoire, il est intéressant de souligner que son élargissement est
la mesure d’une transformation. La mémoire du décédé sur le web – qui est à la
fois souvenir, conservation et immortalité – approche la mort en dialoguant avec
elle. Les fréquentations des cimetières virtuels insèrent la mort, comme un phéno-
mène humain habituel, dans l’espace du quotidien rassurant. Un espace apparem-
ment moins sacré, mais en revanche doué d’une sacralité toute autre, une re-sacralité
formée par de nouveaux rituels. Comment ne pas voir en tout cela une inversion du
refoulement de la mort ? Une inversion qui montre une attention et une ouverture,
irréfléchies peut-être, mais tout à fait nouvelles par rapport aux représentations tra-
ditionnelles de peur, de refus et de négation (déniement).
Cette transformation accomplie par la technologie informatique se répand sur
l’activation, sur l’expansion et sur la diversification de la mémoire.
L’activation de la mémoire, que l’on peut observer en se connectant sur le site
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27. La référence est évidemment à Johan Huizinga (1946). Cf. aussi Eco (1973), dans son
« Introduction » à l’édition italienne) et à Pecchinenda (2003) qui théorise « La naissance
de l’homo game ».
28. Les cimetières virtuels exhibent des structures fort diverses. Pour en avoir une idée, on
peut consulter, à simple titre d’exemple, les sites de la webographie donnée en fin d’article.
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puisque cette pratique le replace dans la maison, la demeure, l’un des endroits les
plus intimes et les plus réservés de la communauté 29. Peu importe s’il arrive que le
défunt soit replacé dans une demeure qui n’est pas sa demeure d’origine ou s’il est
placé dans plusieurs demeures à la fois, car il peut être commémoré en même
temps aussi bien par des proches que par des inconnus, par hasard ou longue-
ment. Ce qu’il convient de retenir, c’est que l’abandon de la séparation de l’espace
quotidien est vital pour regagner l’inclusion permanente dans la communauté.
Mais en même temps on assiste, et pour les mêmes raisons, à une socialisation
de la mémoire, puisque le souvenir du défunt ne se borne plus à son statut de fait
privé, local, qui concerne seulement ses parents et ses connaissances directes. Au
contraire, le rituel d’immortalité devient un moment de vie communautaire, du
moment où le cimetière virtuel est un instrument dont la disponibilité est immédiate,
quelques minutes n’importe quand pour y accéder contre la quantité de temps
nécessaire pour se rendre au cimetière réel, et dont l’usage implique des personnes
qui, même si elles sont inconnues et éloignées physiquement l’une de l’autre, déci-
dent d’activer la mémoire, le souvenir pour des raisons bien différentes, certaines
fois par curiosité, d’autres fois pour partager des intérêts, des valeurs (au sens le plus
large du terme), des émotions, c’est-à-dire pour se reconnaître dans une commu-
nauté, pour transitoire que cela puisse être.
L’expansion de la mémoire est évidemment un effet de l’évolution de nouvel-
les technologies : les data base fonctionnent comme storage et information retrieval
presque illimités. Et pourtant, une telle expansion référée aux cimetières virtuels
rejaillit sur la forme sociale et culturelle de la mémoire, en particulier sur ses impli-
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29. Sur le sens et l’importance de ce mot je renvoie à l’œuvre de Levinas (1961), en par-
ticulier au paragraphe intitulé « La demeure ».
30. Sur la dimension spatiale de la mémoire, voir Durand (1963, 1984), dans la section
intitulée « L’espace, forme a priori de la fantastique ».
31. Néanmoins, on signale un paradoxe : la simultanéité de ces cimetières est virtuellement
sûre, mais pratiquement incertaine à cause de la rapide obsolescence des sites, autrement
dit : il n’y a aucune raison pour laquelle un site ne puisse soudain disparaître.
32. Consultable à l’adresse www.mifav.uniroma2.it/PLASTI/CONTR/home.html.
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On retrouve dans cette prévalence de l’espace sur le temps, voire en cette spa-
tialisation du temps, une dimension importante de la mémoire qui délimite le pro-
pre de l’immortalité postmoderne comme présence de tous, tous ensemble. Il faut
entendre par là une mémoire qui s’enracine dans un espace, mais un espace pro-
che, toujours accessible, jusqu’à devenir l’espace commun de la mémoire collective
qui relie une communauté. Dans cette perspective, les cimetières virtuels jouent un
rôle fondamental en ce qui concerne les communautés dispersées comme celles
des migrants. Il faut, en effet, souligner que ces communautés dispersées, nomades
– peu importe ici de savoir si c’est sans ou sous contrainte – trouvent dans les lieux
de la mémoire interactive l’instrument qui permet de relier des personnes d’un
bout à l’autre du monde, en reliant entre eux des espaces très éloignés. Ou plutôt
il vaudrait mieux dire que l’interactivité des cimetières virtuels permet de construire
un espace commun qui substitue et remplace aussi l’espace physique qui manque.
La commémoration informatique couvre la distance du lieu d’origine pour recom-
poser, mais aussi composer à nouveau, un lieu commun. Précisément, ces lieux de
la mémoire ce sont des lieux de la mémoire vivante qui en se souvenant des morts
relie les vivants, et cela peut être aisément observé dans les sections spécialisées de
certains sites. Ces sites s’adressent aux communautés qui, au moyen de la mémoire,
à l’instar de l’immortalité, s’enracinent, se rencontrent, se relient.
La structure des cimetières virtuels, qui se limite simplement à redoubler la forme
du Réseau, montre une diversification de la mémoire dont le propre est d’enrichir le
discours sur la mort, de ne pas la refouler et donc de l’accepter. Car à la personna-
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Communication et sensibilité
Il faut être clair. La vitalité dynamique de la mémoire n’est décidément pas exclusive
des cimetières virtuels, bien au contraire elle est une potentialité de chaque rituel de
la mémoire et, pour certains, davantage encore le fondement innervant la vie sociale.
Ce qui est certain, c’est que dans les cimetières virtuels cette potentialité s’actualise
non seulement parce qu’elle est immédiatement disponible, mais aussi parce qu’elle
montre dans une multiplicité d’approches un discours exhaustif sur la mort. Les
cimetières virtuels sont un signe d’une attitude assumée, et à assumer, de la part de
la société postmoderne. Cette attitude se traduit par l’assomption de l’ombre, de la
mort avec un propos dynamique qui range côte à côte des rituels traditionnels, de
deuil, de commémoration et d’enterrement. Tous ces rituels se déroulent encore
dans des espaces traditionnels, comme dans le cas des cimetières réels, avec de nou-
velles technologies de la mémoire, lesquelles forment de nouveaux espaces à rituel,
tout comme les cimetières virtuels. Or, à travers une modalité ludique qui fait com-
muniquer la sensibilité croissante des communautés, ils deviennent des lieux réels de
la mémoire, où la mémoire relie, grâce au jeu et à la communication, dans un espace
commun, les morts et les vivants. Un espace où le temps des vivants rencontre le sou-
venir des morts, en se définissant comme espace entier des relations.
D’ailleurs plusieurs penseurs ont indiqué la mémoire, dans ses différentes dé-
clinaisons, comme la mesure de l’espace social et l’un des fondements de cohésion
et de reconnaissance de toute communauté. Ils considèrent ainsi des conditions
qui, vues de près, sont les mêmes que celles des cimetières virtuels, lesquels se ca-
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