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L'ORIGINE DES INÉGALITÉS

Religion et innovation à l'âge du cuivre


Pascal Barbe et Stéphane Callens

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2008/1 n° 27 | pages 11 à 25
ISSN 1267-4982
ISBN 9782804158002
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L’ORIGINE DES INÉGALITÉS.
RELIGION ET INNOVATION
À L’ÂGE DU CUIVRE
Pascal BARBE
Stéphane CALLENS
Centre EREIA, Université d’Artois
ereia@univ-artois.fr

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INTRODUCTION
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La question sur l’origine de l’inégalité reçoit des réponses contradictoires.


Apparition de l’arme et affirmation d’une hiérarchie sociale semblent
conjointes : des conquêtes et des résistances aux conquêtes devraient donc
expliquer les naissances des organisations sociales hiérarchisées, selon Jared
Diamond (1997). Un autre type de réponse invoque de mauvaises institu-
tions, sur le modèle du pacte social injuste apporté par le « fer et le blé » dans
le célèbre Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
de Rousseau (1755).
Une question proche, celle de la datation de l’apparition de l’inégalité,
quant à elle, peut recevoir une réponse plus consensuelle. Le « fer », c’est
trop tard – les sociétés maîtrisant la métallurgie du fer sont toutes complexes
et hiérarchisées – et le « blé », c’est trop tôt, les premiers agriculteurs restent
égalitaires. Un premier ensemble d’innovations majeures, celui des débuts de
l’agriculture, n’apporte pas en règle générale de hiérarchie sociale. Un
deuxième ensemble d’innovations majeures démarre avec les métallurgies de
l’or et du cuivre pour se poursuivre avec celles du bronze et du fer. Dès la
phase initiale de cette deuxième grande transformation technologique, hié-
rarchie et inégalité sociales sont présentes. Les civilisations précolombiennes
étaient déjà très hiérarchisées, alors qu’elles ne connaissaient que la métallur-
gie de l’or et du cuivre. En Europe, la nécropole de Varna (Bulgarie) datant de
l’âge du cuivre contient 6 kilos d’or très inégalement répartis dans 294 tom-
bes. D’autres régions du monde, comme l’Ouest de l’Europe ou la Chine
reçoivent de façon plus tardive une métallurgie sans connaître une période de
transition longue comme dans le cas des Balkans. Le contraste n’en est que

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Pascal BARBE et Stéphane CALLENS

d’autant plus fort entre des sociétés néolithiques peu hiérarchisées et peu spé-
cialisées et des sociétés de l’âge du bronze spécialisées et hiérarchisées.
L’archéologue ou l’anthropologue associe le constat de l’apparition de
biens luxueux pour une élite avec un ensemble de faits tels que le passage de
la tribu à la chefferie, du clan à la classe, un début de centralisation géographi-
que avec parfois une petite bureaucratie, une justification par la religion d’une
hiérarchie cléricale, tandis que la production agricole s’intensifie, ainsi que la
division du travail (Diamond, 1997, résumé du tableau des pages 268-269).
De Rousseau à Diamond, la méthodologie utilisée pour répondre à la ques-
tion de l’origine des inégalités a été d’abord anthropologique. Les approches
privilégiées peuvent être celles d’une anthropologie normative, comme celle
du Bon Sauvage de Rousseau, ou d’observation, comme Jared Diamond, spé-

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cialiste de la Nouvelle-Guinée. L’archéologue a l’avantage d’avoir accès aux
archives des toutes premières formations de l’inégalité, bien que l’interpréta-
tion des relevés obtenus soulève de grandes difficultés. Cependant, une
modification importante de ce désavantage des méthodes archéologiques est
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issue de la découverte fortuite en 1991 de la dépouille et des outils d’un


homme de l’âge du cuivre dans un état de conservation exceptionnel : le
« maitre du feu » Ötzi.
Le corps momifié d’Ötzi a été daté de l’âge du cuivre 1, vers -3300 av. J.C.
Il s’agit d’un homme du chalcolithique doté d’une hache de cuivre, d’un
petit couteau de silex, d’un arc en cours de fabrication, de petits outils, ainsi
qu’un porte-braises. Le Cuivre constitue la première métallurgie véritable,
avec un côté magique de la transformation d’une roche mélangée à du char-
bon de bois, qui devient un métal rouge. Ötzi a une hache composée d’un
cuivre presque pur avec des traces d’arsenic, élément chimique qui se retrouve
dans sa chevelure, signe d’une activité métallurgique. Son habillement et ses
chaussures lui ont permis de circuler à plus de 3200 m d’altitude. Sa mort a
été causée par une flèche dans l’omoplate amenant une hémorragie fatale.
Ötzi maîtrise des savoirs efficaces. Il porte des séquelles de travaux métallur-
giques, la métallurgie du cuivre à l’arsenic étant spécifique au début des âges
métalliques. Il porte sur lui des champignons, des polypores du bouleau, qui
ont des vertus thérapeutiques adaptés à la pathologie dont il souffrait. Des
scarifications faites sur certaines parties du corps ont servi à lutter contre la
douleur. Il s’agit d’une personne de haut rang, doté d’un équipement sophis-
tiqué et d’une hache de cuivre. Une compétition politique locale l’a sans
doute amené à être pourchassé et abattu d’une flèche dans le dos. L’âge du
Cuivre 1 est l’époque d’une transition d’une société égalitaire néolithique à
une inégalité des statuts sociaux. Ötzi le puissant est assassiné ; la société du
début de l’âge du Cuivre a une structure égalitaire qui résiste, en incorporant
sans doute les notables dans son économie sacrificielle.

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L’origine des inégalités

VIOLENCE ET HIÉRARCHIE
Les réponses à la question de l’origine de l’inégalité s’appuient généralement
sur une histoire de la violence. Deux principaux schémas d’évolution sont
utilisés. Dans la tradition de Rousseau, une phase de non-violence s’achève
par un péché originel institutionnel, comme la propriété dans le Discours sur
l’origine et les fondements de l’inégalité de 1755. Dans la tradition de Hobbes, la
violence est première, si bien qu’une explication de l’inégalité s’appuie sur
une logique du plus fort. Pour Diamond qui se situe dans cette perspective,
le niveau technologique de l’armement est décisif. Si les conquistadores bat-
tent les Aztèques, ce serait, selon Diamond, à cause des canons et d’une
métallurgie sophistiquée, d’un système immunitaire renforcé par des domes-

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tications plus nombreuses et plus anciennes (Diamond, 1997).

Effet Hobbes, effet Rousseau


Dans l’ouvrage de Rousseau, le « fer » vient avant « le blé », c’est-à-dire que
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l’humanité est souffrante depuis les premiers métallurgistes apportant une


définitive corruption des mœurs par leur technologie. Une inégalité écono-
mique injuste est issue de cette révolution technologique, se substituant à
une égalité naturelle, selon le schéma de Rousseau. La période finale de
sociétés néolithiques se caractérise par l’impossibilité d’intensifier des res-
sources agricoles alors que la population continue à croître : les premiers
agriculteurs défrichent et s’installent sur les meilleurs terrains jusqu’à ce que
tous les terrains soient occupés. Les restrictions à la mobilité accroissent les
tensions. La seconde grappe d’innovations majeures, celles des premiers
métallurgistes, vient soulager ces tensions : perfectionnement d’un droit
privé du contrat, roue, traction animale, navigation à voile, stabulation,
araire, agriculture de montagne et des zones lacustres, écriture, métallurgie,
nouveaux outils, construction en briques, amélioration des procédés de tis-
sage. D’autre part, de nombreuses preuves existent de conflits armés dans les
différentes phases de la protohistoire, et par conséquent, cela invalide en
grande partie les tentatives de faire revivre une conception du Bon Sauvage.
La thèse de Diamond semble être moins délicate à soutenir dans le cas de
l’Europe chalcolithique. Une conquête de l’Europe par des envahisseurs
Pontiques aurait remplacé les sociétés égalitaires par des sociétés guerrières
inégalitaires. Les premiers agriculteurs défrichent, les premiers métallurgistes
prospectent. La progression des installations des métallurgistes dans les
Alpes peut s’expliquer par la recherche du minerai à la source de leur acti-
vité. Raids et razzias sont cependant fréquents et interviennent sans aucun
doute dans cette période de l’âge du Cuivre. La mort d’Ötzi témoigne cepen-
dant directement de la faible valeur au combat des armes de cuivre, et même

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Pascal BARBE et Stéphane CALLENS

d’un alliage supposant une bonne maîtrise de cette métallurgie. Elle témoi-
gne aussi contre les approches modérant l’aspect violent des temps protohis-
toriques, et directement contre Rousseau, puisque la guerre totale dans les
sociétés protohistoriques se déroule dans des espaces non appropriés comme
la haute montagne.
Les schémas d’évolution du Bon Sauvage ou de la Conquête ne peuvent
rendre compte que d’une tendance générale. Ceci rend difficilement compte
du caractère contagieux et brusque de la propagation de la violence collec-
tive, et de l’allure générale non linéaire des courbes établies sur longues
périodes. Les études sur la fréquence des guerres dans des sociétés premières
selon le type d’organisation politique et le type d’activité économique indi-
quent que la transition métallurgique améliore fortement la stabilité des

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sociétés de type néolithique (un effet Hobbes : un pacte social qui fait passer
de la plus mauvaise situation à la meilleure) mais qu’elle ne parvient pas à
rétablir un état de paix antérieur à la révolution néolithique. Pour le type
d’organisation politique, le maximum de guerres se situe avant la transition
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métallurgique, le maximum de paix, après.

Tableau 1 – L’effet Hobbes

Type d’organisation
Guerre continue Guerre fréquente Paix
politique première

80 % (maximum pour
Tribu
tout type d’organisation 8% 12 %
(avant)
sociale première)

17 % (maximum pour
Chefferie
50 % 33 % tout type d’organisation
(après)
sociale première)

Source : Keeley, 2002.

Le passage de la situation de chasseur-cueilleur à une première agriculture


est la pire dégradation en matière de violence collective : un effet Rousseau
qui n’est pas entièrement compensé par l’intensification de l’agriculture
apportée par la transition métallurgique. Pour les sociétés premières, l’effet
Hobbes est d’importance moindre que l’effet Rousseau. Les sociétés premiè-
res les plus portées sur les conflits armés comportent les caractéristiques
suivantes : ce sont des sociétés agricoles traditionnelles pratiquant une agri-
culture de type extensif avec élevage ou jachère dépourvue de toute forme
d’organisation des pouvoirs.

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L’origine des inégalités

Tableau 2 – L’effet Rousseau

Type d’organisation
Guerre continue Guerre fréquente Paix
économique première

30 % (maximum pour
Chasseurs-cueilleurs 20 % 50 % tout type d’organisation
sociale première)

86 % (maximum pour
Élevage, jachère
tout type d’organisation 11 % 3%
(avant)
sociale première)

Agriculture intensive
47 % 47 % 6%
(après)

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Source : Keeley, 2002.

Du prestige de la lignée à la hiérarchie


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Le fond protohistorique n’apparaît pas dans le vocabulaire de la guerre et de


l’armement, ni dans les caractéristiques des croyances religieuses favorables
à la guerre et l’homicide : tous ces apports proviennent des sociétés histori-
ques (Vennemann, 2003 ; Jensen, 2006). En fait, l’âge de Cuivre est un âge
de prêtre, et ses plus grands trésors, comme celui de Nahal Mishmar, sont des
objets cérémoniels. Ötzi n’est pas un guerrier, il a cherché à se fabriquer un
arc, mais a été abattu avant d’avoir une arme équivalente à celle de son ou
ses agresseurs. Mircea Eliade avait dressé un profil du Forgeron, qui s’inter-
cale entre le Shaman et le Prêtre, dans l’histoire de la fonction religieuse,
profil qui correspond bien au cas d’Ötzi (Eliade, 1977).
Les historiens de la Rome Antique ont décrit les Celtes avec un fonction-
nement du druide lui permettant de retirer un droit de sacrifier à une per-
sonne. L’apparition de cette forme d’incapacité juridique est importante
pour la question de l’origine de l’inégalité. L’économie de ces sociétés est
d’abord sacrificielle : qu’une personne puisse perdre son statut trahit l’exis-
tence d’une hiérarchie et institue de fait des classes différentes de personnes.
Les sociétés néolithiques premières sont d’abord construites autour d’un
exercice domestique de la religion. Chaque maison a son culte des ancêtres,
généralement sous la responsabilité de la maîtresse de maison. Ces cultes
domestiques persisteront jusqu’au Moyen-Âge, affaiblis progressivement par
la hiérarchie – au sens premier du mot, l’existence d’un commandement
sacré.

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Pascal BARBE et Stéphane CALLENS

Tableau 3 – Inégalités et relations entre religion et innovation à l’époque d’Ötzi

Type Site Religion Type d’organisa- Innovation


d’inégalité de référence et innovation tion économique de référence

Inégalité Commune Le marqueur de Agriculture La roue :


de type 1 : à l’époque lignée est un extensive attelage
le marqueur néolithique, instrument de de bœufs,
de lignée conduit au prestige attaché à araire, joug,
mégalithisme un rite. Par exemple, chariot
Par exemple : une hache d’apparat
Locmariaquer utilisée lors d’un rite
(Morbihan) aux débuts
des moissons,
ou un charriot solaire

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Inégalité de Par exemple, L’innovation intensifie Situation d’introduc- Le métier
type 2 : Chalain 19 l’agriculture tion d’innovation à tisser
l’innovation (Jura) et forme un nouveau qui intensifie de haute lice
consacrée symbolisme religieux une agriculture
rudimentaire
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Inégalité Site de Une religion savante Des ressources La métallur-


de type 3 : référence : de métallurgistes diversifiées. gie du cuivre
la hiérarchie Vucedol avec panthéon et La spécialisation et de l’or
simple (Vukovar, Croatie) cosmologie. reste limitée

Trois formes d’inégalités peuvent être distinguées à l’époque d’Ötzi et


correspondent sans doute à des étapes de l’affirmation d’un pouvoir sacré. Le
premier niveau d’inégalité correspond au prestige inégalement partagé de
participation à des grands rituels religieux. Le deuxième niveau à une pre-
mière forme de spécialisation religieuse, mais respectant une polyactivité
générale. Le troisième niveau à une hiérarchie la plus simple possible, il
existe un chef prêtre et un seul. L’existence de pouvoirs différenciés, d’une
classe sacerdotale pourraient constituer des niveaux d’inégalité supérieurs à
ceux qui sont envisagés ici, où subsistent les principes généraux d’organisa-
tion des petites sociétés néolithiques : des maisons qui sont souvent des lieux
de naissance et parfois de sépulture, la pratique de rites sacrificiels, y compris
des sacrifices humains dans la période, des rituels collectifs plus importants
en certaines occasions.
Schématiquement, trois innovations majeures, la roue, le métier à tisser
de haute lice, la métallurgie de l’or et du cuivre correspondent à ces trois for-
mes d’inégalité. Les contextes technologiques et sociétaux diffèrent, ainsi
que leur localisation géographique. La roue est attestée dans la culture des
gobelets à entonnoir dans la grande plaine Nord européenne (Allemagne et
Pologne), deuxième moitié du quatrième millénaire avant J.-C. La métallur-
gie de l’or et du cuivre a connu une première phase de développement dès le
milieu du cinquième millénaire dans les Balkans. Le perfectionnement du
tissage vient d’horizons méditerranéens.

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L’origine des inégalités

Dans les sociétés néolithiques, une compétition de prestige existe entre


des maisons ou des clans différents. Les tombes mégalithiques les plus impo-
santes sont plutôt aménagées près des meilleures terres, tandis que les ter-
rains plus ingrats, occupés bientôt par des éleveurs de porcs ou de moutons,
auront des sépultures plus modestes. Des objets cérémoniels, comme les
haches de prestige destinées à certains grands rituels collectifs, sont particu-
lièrement recherchés, source de prestige pour toute la lignée. Ces marqueurs
sociaux peuvent déjà séparer des autres des personnes accédant à un rôle
majeur dans les rites collectifs. Les représentations d’objets techniques sont
très nombreuses durant l’âge du Cuivre, et servent de repères pour des ins-
criptions rupestres où se superposent des figurés cadastraux du néolithique,
les symboles d’objets techniques du chalcolithique, et un retour des figurés

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de l’orant à l’âge de bronze. Dans le néolithique de l’arc atlantique ou celui
de la culture des gobelets à entonnoir, les symboles d’objet technique ont
une place importante, comme la hache-charrue du menhir de Locmariaquer
ou le chariot solaire du vase de Bronocice. Cette poterie constitue la plus
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ancienne représentation connue d’un véhicule à roue. Une panoplie compo-


sée d’un baudrier, d’un arc, de deux flèches et de deux haches est représentée
sur le bloc 24 du dolmen de Gavrinis. Ces attributs de prestige servent soit à
consacrer un espace ou un rite, à insérer un ancêtre dans la lignée, et à magni-
fier la lignée tout entière. Des stèles-menhirs attachées à un ancêtre sont
réemployées dans le dolmen, la tombe collective de la lignée. La figuration
néolithique des objets techniques reste proche de celle d’un blason clanique.
Les stèles d’Ossimo datent d’un sanctuaire utilisé pendant l’âge du Cuivre
2 et encore utilisé dans la période Cuivre 3, la stèle 7 présente une figuration
explicite d’une triade divine, centrée sur un dieu solaire, accompagné d’une
déesse féminine reconnaissable par une représentation de ses bijoux et d’un
troisième personnage masculin identifié par un manteau décoré de bandes
verticales et de franges latérales. Les productions artisanales servent à iden-
tifier de façon conventionnelle un membre du clan divin. Le manteau frangé
est plusieurs fois représenté en compagnie d’un troupeau de biches mené par
un grand cerf : ce membre du clan divin possède sans doute un mythe dans
lequel la figure de ces animaux permet d’en résumer le récit.
Une conclusion de Jean Guilaine, « un lignage plus important avec par-
fois un bâtiment prestigieux mais sans doute pas un clergé » (Guilaine,
1994), vaut sans doute pour cette inégalité de deuxième niveau. Le site de
Chalain dans la vallée de l’Ain témoigne d’une transition entre deux régi-
mes d’occupation de ce site lacustre, d’une agriculture rudimentaire à l’adop-
tion de l’araire, du débardage avec un attelage de bœufs et du tissage avec un
métier de haute lice. La maison du métier à tisser se singularise dans son
architecture et son organisation. Il y a eu un sacrifice humain de fondation,

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Pascal BARBE et Stéphane CALLENS

et de la découpe rituelle de grands animaux, ce qui témoigne d’une spéciali-


sation religieuse partielle. Il est probable que la production artisanale de tis-
sus de lin avait aussi une finalité cérémonielle. Une innovation majeure
comme la traction animale a été d’abord adoptée seulement par quelques-
uns uns. Il faudra trois siècles pour que toutes les conséquences de l’innova-
tion se fassent sentir (Petrequin, 2005).
Le troisième niveau d’inégalité est celui d’une spécialisation religieuse
attestée. La société de référence est celle de la culture de Vucedol, dont le
site se trouve près de l’actuelle Vukovar en Croatie. Au troisième millénaire
avant notre ère, il s’agissait d’une communauté fabricant des outils à partir
d’alliage de cuivre à l’arsenic. La cité est menée par un chef-prêtre. Une
cérémonie d’initiation des jeunes enfants était réalisée avec du cuivre en

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fusion versé sur le front. De grandes cérémonies ont laissé une vaisselle
rituelle qui comporte en particulier la plus ancienne représentation connue
d’un calendrier en Europe. Les activités restent peu spécialisées comme dans
toute société néolithique. La polyactivité est plus différenciée, une diversifi-
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cation qui permet de mieux gérer les aléas agricoles. Ce type de société se
déplace en raison de la recherche et de l’épuisement des ressources en mine-
rai, et peut donc essaimer très loin, car ce sont des minerais très particuliers
qui sont recherchés – la spécialisation métallurgique est très forte, il s’agit
uniquement d’un certain type de minerai de cuivre qui est prospecté.
La mort d’Ötzi est sans doute à replacer dans ce contexte de formation
d’une hiérarchie. La société néolithique a pu dans une certaine mesure per-
mettre à ce que des magiciens voient leur puissance s’accroître dans le cadre
d’une compétition entre des maisons. La transition vers un pouvoir sacré
supérieur est une source potentielle de conflits majeurs, qui semblent bien
s’être généralisés à la fin de la période du Cuivre 1, l’époque d’ Ötzi.

CONVENTIONS RELIGIEUSES
Nous partons d’une idée de Thomas Schelling : l’extrême (eschatos en grec)
génère des conventions constitutionnelles, par exemple, l’arme nucléaire
qui génère une convention de non-prolifération. Dans son discours de récep-
tion du Prix Nobel de sciences économiques en 2005, il évoque la termino-
logie de « tabou », d’une convention religieuse qui se trouve de fait mise en
œuvre dans ces situations extrêmes. Lorsqu’un armement d’un niveau
inconnu jusqu’alors se met en place, les protagonistes agissent en dévelop-
pant des armes d’un niveau moindre en se comportant de telle sorte que ce
sont ces conflits du niveau inférieur qui vont se produire et se produisent de
fait. Les couloirs des états majors sont pleins de propos qui disent qu’il ne

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L’origine des inégalités

faut pas respecter le tabou, mais en pratique, les demandes budgétaires de ces
états majors s’inscrivent dans les schémas conventionnels de conflits armés.
Ce type particulier de conventions permet d’expliquer une vitesse très
lente de diffusion de l’innovation. Les données disponibles laissent soupçon-
ner deux périodes d’introduction du cuivre, deux périodes séparées par une
crise guerrière (Guilaine, 1994). L’arc date environ de 10 000 ans, et il a été
probablement l’instrument du repli et de la quasi-disparition des premiers
outils-armes en cuivre comme le laisse supposer les circonstances de la mort
d’Ötzi. Le « maître du feu » n’a pas eu le temps de confectionner un arc et sa
puissance qui devait être très redoutée n’en a pas moins été abattue à distance
par un archer. Les sociétés néolithiques sont basées sur des conventions
domestiques et de domestication. La grande déesse néolithique transforme le

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grand fauve en animal de compagnie, une violence sauvage guerrière ne peut
qu’y faire problème. La délimitation d’un espace régulé, là où le pouvoir
sacrificiel suit des règles et dicte des formes d’affrontement, et de confins a
pu prendre différentes formes. La question est en particulier celle d’un mal
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développement européen vis-à-vis de la Mésopotamie et de l’Egypte,


l’Europe qui connaît très tôt la roue et le métal mais développe très peu des
organisations urbaines et politiques.

De la galerie des ancêtres au clan des dieux


Les stèles anthropomorphes de la région au pied du massif de l’Ötz peuvent
être réparties en plusieurs types. Il semble qu’une série de six statues trouvée
à Arco, au nord du lac de Garde, proviennent d’un même sanctuaire. La plus
grande des statues, Arco I, est composée de la représentation d’une divinité
solaire présentant une panoplie de quatorze outils-armes de quatre types dif-
férents (7 dagues, 1 marteau, 3 haches, 4 faux-hallebardes). A l’âge de Bronze,
toute la région des Alpes du nord et de ses piémonts va être couverte de
toponymes dédiés au grand dieu Lug (comme la ville de Lyon, anciennement
Lugdunum), grand dieu fédérateur polymathe, réunissant les savoirs, les pou-
voirs et les différentes fonctions sociales. Ce dieu souverain est à la tête d’un
clan solaire : deux statues féminines, deux statues difficilement interpréta-
bles, et sans doute une statue de guerrier au marteau complétant la série du
sanctuaire d’Arco.
Les autres sites où des statues du même type que la grande stèle d’Arco
ont été découvertes se situent le long du chemin qui monte au massif de
l’Ötz, en particulier à Laces, à l’embranchement du chemin menant au gla-
cier où a été trouvée la momie d’Ötzi. Ces statues-stèles seraient datées de
l’époque du Cuivre 2, c’est-à-dire qu’elles seraient bien postérieures à Ötzi. Il
est supposé qu’à l’époque du Cuivre 1, les sanctuaires étaient réalisés à partir

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Pascal BARBE et Stéphane CALLENS

de statues de bois dont on a retrouvé quelques trous de fondation. L’épisode


n’est pas documenté, mais il s’agit semble-t-il d’une évolution lente des pro-
totypes divins et des représentations mégalithiques. Il est fait l’hypothèse
que deux facteurs ont été sous jacents à cette transformation :
– La reconnaissance de la connaissance, des conséquences utilitaires
de certains savoirs. Parmi les dieux archaïques de la Mésopotamie,
nous trouvons aussi un dieu polymathe, Enki-Ea, un dieu ami des
hommes qui sauve l’espèce humaine de la destruction par le Déluge.
– Ce dieu polymathe mésopotamien est lié à un réseau fédérateur, le
réseau d’irrigation. Dans le cas des piémonts alpins, la période de l’âge
de Cuivre est celle de la mise en place du pastoralisme. Les sanctuaires

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se trouvent systématiquement sur les chemins d’accès aux alpages et de
transhumance des troupeaux. Ces longues routes n’appartiennent pas
à un clan particulier, et seraient un lieu privilégié pour des cérémonies
collectives en continuité avec les grands rites du mégalithisme.
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Dans les sites rupestres, l’âge du Cuivre 2 correspond à l’apparition de l’asso-


ciation du soleil avec des outils ou des animaux. La société reste peu spécialisée,
la rudesse des temps fait que la diversification d’une polyactivité se montre plus
adéquate qu’une spécialisation professionnelle. Les prototypes divins se diffé-
rencient grâce à un symbole unique, comme par exemple l’association d’un
soleil et d’un manteau, mais sont aussi sous la coupe de grands dieux polyactifs.
L’horizon du Cuivre 3 représente un soleil qui couronne un petit bonhomme
stylisé, et correspond à la période de très large diffusion dans tout le continent
européen de cultes funéraires nouveaux (vases cordés et campaniformes).
Métal, roue, tissu : la région des Alpes centrales à l’âge du cuivre est celle qui
connaît la première rencontre de toutes les innovations majeures de cette tran-
sition de la fin du néolithique. Cette avance technologique se traduit en
Europe dans une modification religieuse, où un dieu souverain polymathe sup-
plante la traditionnelle déesse de la fertilité des premiers agriculteurs.

L’impossible contrat de Hobbes en Europe


Un pacte de Hobbes fonde l’Egypte pharaonique, réunissant des sites néoli-
thiques de la haute Egypte et un centre du commerce du cuivre, Maadi
(aujourd’hui faubourg du Caire) en basse Egypte. Les premiers rois réunissent
haute et basse Egypte en fédérant dans un panthéon complexe les divinités
locales. Une garde royale unifie le royaume. Les objets en cuivre sont des
objets de consommation courante. Dans l’Egypte prédynastique (période
Nagada I), il y a un commerce sur des longues distances comme dans les sites
européens. Il évolue cependant autour d’un marché spécialisé à Maadi dès la

20 innovations 2008/1 – n° 27
L’origine des inégalités

période Nagada II (contemporaine de l’épisode Ötzi) – alors que ce type de


relations marchandes intensifiées ne se fera que dans la période celtique (par
exemple, Argenton sur Creuse qui était le marché de l’argent).
La violence est un phénomène contagieux, contagion qui est une condi-
tion habituelle de solutions plus centralisées. L’Europe du cinquième millé-
naire avant J.-C. a disposé d’agglomérations dans un territoire qui correspond
à l’actuelle Ukraine et la basse vallée du Danube. La sécurité collective va
être apportée par un réseau de villages fortifiés, stratégie plus décentralisée
qui n’a pas pu faire émerger l’Europe d’alors, et a fait subsister un niveau
élevé de violence. Dans l’anthropologie contemporaine, il est indiqué pour-
quoi une société de guerriers ne peut pas souscrire un pacte de Hobbes. Le
shaman, le chef de guerre trop puissant concentre les attaques. Il se main-

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tient à la fois un régime de vendetta incessante, et une égalité de condition
libre entretenue par la disparition sélective des puissants lors de ces multiples
conflits (Descola, 2006). Pierre Clastres avait développé l’idée de l’impossibi-
lité de la formation de l’Etat à partir des sociétés premières d’un type guerrier.
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Une forte conflictualité entre de petites chefferies fournit un premier


équilibre de ces sociétés premières guerrières : mais à partir des prémisses
semblables – croissance endogène néolithique et choc technologique métal-
lurgique – Nagada indique la possibilité d’une fédération entre la partie
métallurgique et la partie céréalière – symbolisée dans la coiffe du Pharaon
qui réunit symboliquement la haute et la basse Egypte. Une armée sacrée,
celle d’Horus, combat les ennemis et fédère le pays.
Ce qui différencie semble-t-il les deux équilibres guerriers est l’existence
ou non d’un front technologique. La fédération politico-religieuse des pre-
miers rois égyptiens a aboli toute espèce de différenciation technologique. La
fédération religieuse et linguistique des européens de l’âge du Cuivre laisse sub-
sister des différences technologiques pendant de longues périodes. La situation
en Europe a été celle d’innovateurs marginalisés, contenus dans les confins.
La situation de front technologique a pu perdurer très longtemps – et sans
doute dans une fin « révolutionnaire », une diffusion éclair des procédés
métallurgiques succédant à de très longues périodes de stagnation.
Pour avoir une situation de type féodale, il faut avoir un flux très faible de
communication interrégionale : la vallée du Nil canalise les communica-
tions et les intensifie, circonstance favorable pour la fédération autour d’une
armée royale. Le culte unificateur, se prolonge dans une armée qui monopo-
lise la chasse aux ennemis sous l’effigie du dieu attaché à la personne royale.
L’Europe connaît aussi des transformations religieuses qui ont une portée
unificatrice à l’époque de l’âge du Cuivre. La diffusion très lente des innova-
tions y perpétue une fragmentation technologique, qui s’est révélée être en
longue période, une source majeure d’instabilité pour le continent européen.

n° 27 – innovations 2008/1 21
Pascal BARBE et Stéphane CALLENS

La fragmentation technologique peut provoquer un effet dissuasif, le pays


ou la tribu en retard technologique est dissuadé de mener une razzia, et un
effet belliqueux, le pays ou la tribu en avance peut être tenté d’en tirer avan-
tage. Tant que la tribu ou le pays bénéficiant de l’avance technologique est
de taille démographique petite, l’équilibre se fait en rejetant les innovateurs
aux confins avec une supériorité des effets dissuasifs. Il est rompu dès que les
innovateurs sont suffisamment nombreux. Les forgerons innovateurs ont
sans doute été les énigmatiques indo-européens qui ont provoqué une grande
unification linguistique du quatrième au premier millénaire avant J.-C. Leur
convention constitutionnelle est du type « dumézilien » avec une sacralisa-
tion d’une hiérarchie sociale mettant au rang le plus élevé ceux qui ont le
monopole sacrificiel ou orant, puis viennent dans un statut ambigu, les guer-

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riers, et enfin les artisans. Les premiers puissants ont sans doute été liés à la
prise de conscience de l’efficacité de savoirs pratiques, prise de conscience
qui caractérise l’âge du Cuivre.
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Le pacte Dumézilien
Colin Renfrew avait proposé de faire coïncider unification linguistique et
front pionnier, le front de défrichement de la forêt primaire par les colons
agriculteurs : les premiers agriculteurs auraient formé une pression démogra-
phique suffisante pour imposer une langue unique, le proto-indo-européen
(Renfrew, 1990). Ils ont en face des chasseurs-cueilleurs moins nombreux,
suppose-t-il. Il est bien connu qu’ils forment une mosaïque linguistique qui se
serait effacée devant la langue des agriculteurs. L’hypothèse de Colin Renfrew
fait vieillir le proto-indo-européen de 4000 ans environ, cela mais ne corres-
pond en rien avec les données linguistiques, mythologiques et archéologi-
ques. Citons par exemple un des multiples arguments qui s’opposent à la thèse
de Renfrew : la langue proto-indo-européenne ne contient pas de termes pour
les céréales et les techniques agricoles courantes – par contre beaucoup de
termes pour les milieux sylvestres. Les locuteurs du proto-indo-européen
apparaissent comme des néolithisés (religion sacrificielle) vivant dans des
confins, porteurs d’une partie de la grappe d’innovation majeure de l’âge du
cuivre (métallurgie, traction animale, intensification de l’élevage, boissons
fermentées et conditionnées, droit privé). La seule manquante est l’écriture
qui est liée à un fort flux de communication (Egypte, Mésopotamie) et
d’échanges commerciaux. Les travaux de Theo Vennemann identifient au
moins deux groupes linguistiques chez les néolithiques européens : une forme
ancienne du basque (les mots « Alpes », « Ebre/Elbe », « Cannes » sont d’ori-
gine basque) et un groupe méditerranéen, chamitique – apparenté aux langues
du Proche-Orient.

22 innovations 2008/1 – n° 27
L’origine des inégalités

Ainsi, contrairement à la thèse de Renfrew, l’unification linguistique


semble liée à une situation de front technologique de l’époque de la révolu-
tion métallurgique, et non de celle de la révolution néolithique. Les premiers
métallurgistes sont rejetés, contenus dans des confins peu favorables à l’agri-
culture, comme les milieux alpins, par les agriculteurs néolithiques. Ces
populations marginalisées peuvent s’unifier linguistiquement, se concentrer
derrière le front technologique, qui finit par avancer de façon brutale, parfois
après une très longue période de temps. Par exemple, la culture de Vucedol
est celle qui a fourni les Italiotes qui se sont installés dans toute la péninsule
italienne à l’âge de Bronze.
Le pacte triparti des sociétés indo-européennes a une structure de pacte
de service : le service offert est celui des guerriers, il est mis sous la coupe du

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sacerdoce ou d’un chef-prêtre, et les usagers forment une troisième partie.
Un tel pacte de service est avantageux pour les trois parties :
– pour le sacerdoce, qui est très menacé par l’existence d’arme. Le con-
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texte d’ostracisme des puissants « magiciens » est bien réel, comme en


témoigne la mise à mort d’Ötzi. Un tel pacte lui offre la sécurité de leur
personne qui devient sacrée.
– pour les artisans, éleveurs, agriculteurs, qui se retrouvent moins
directement en première ligne dans les conflits, et ils bénéficient
d’une protection aussi bien spirituelle (du chef-prêtre) que matérielle
(les guerriers).
– pour les guerriers, ils bénéficient d’un statut d’exception, leur com-
portement asocial est tout de même intégré ex ante à l’ordre social par
un pacte.

CONCLUSION : RÉVOLUTION
DES TECHNIQUES, RÉVOLUTION
DES SYMBOLES: COMPARAISON
DE LA RÉVOLUTION NÉOLITHIQUE
ET DE LA RÉVOLUTION DE LA MÉTALLURGIE
D’où vient l’inégalité ? D’effets de pouvoir induits par la reconnaissance de
la connaissance qui ne se produit qu’au moment de la révolution de la métal-
lurgie. La révolution néolithique a institué des formes simples de pouvoirs,
une compétition de lignées, sans s’appuyer sur les pouvoirs induits par des
savoirs utiles techniques. La révolution néolithique a été conduite par une
révolution des symboles (nouvelles pratiques religieuses : sacrifice, autel,
offrande, prière à une déesse mère et à un parèdre taureau) qui précède la

n° 27 – innovations 2008/1 23
Pascal BARBE et Stéphane CALLENS

maîtrise du vivant, celle du cycle de reproduction des céréales et des ovica-


pridés (Cauvin, 2000).
Dans la révolution métallurgique, la transformation des symboles semble
toujours retardée. Quelques symboles novateurs s’introduisent lentement
dans une religion néolithique et modifient dans la longue durée la structure
de ses panthéons. Le bouleversement des références symboliques et leur dif-
fusion dans l’ensemble de l’Europe se produit en fin de la grande période de
transition qu’a été l’âge du Cuivre. Le schéma temporel de la révolution
métallurgique est inversé par rapport à la révolution néolithique avec sa pré-
coce révolution des symboles.
La révolution néolithique limitait l’inégalité sociale à des différences de
prestige de lignée. Ces différences pouvaient prendre des formes spectaculai-

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res, comme en témoigne le gigantisme de certaines structures mégalithiques.
Puis viennent roue, métal, tissu : des personnes sont reconnues socialement
par une différence de leur pratique technologique, cette modification de la
relation entre savoir et pouvoir a lieu dans la période où a vécu Ötzi. Les stè-
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les anthropomorphes du Haut Adige témoignent que pour des générations


postérieures à Ötzi, de nouvelles conventions religieuses se sont formées,
insistantes sur l’aspect dissuasif de l’outillage de cuivre. La révolution métal-
lurgique a amené une complexification des assemblages de pouvoirs, instau-
rant pour une très longue période des formes pérennes de hiérarchie sociale.

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