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AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ : LE

CADRE DE SANTÉ, PIVOT DE L’ORGANISATION

Isabelle Franchistéguy-Couloume

De Boeck Supérieur | « Projectics / Proyéctica / Projectique »

2015/1 n°13 | pages 37 à 50


ISSN 2031-9703
ISBN 9782807303683
DOI 10.3917/proj.013.0037
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-projectique-2015-1-page-37.htm
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AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

AU CŒUR DE LA
COMPLEXITÉ DES
ORGANISATIONS DE SANTÉ :
LE CADRE DE SANTÉ,
PIVOT DE L’ORGANISATION

Isabelle Franchistéguy-Couloume
Maître de conférences habilité à diriger les recherches en sciences de gestion
Laboratoire CREG UPPA EA 4580, Estia-Recherche
IUT de Bayonne Pays Basque,
21 Place Paul Vert,
64100 Bayonne
Courriel : isabelle.franchisteguy@iutbayonne.univ-pau.fr
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Grandement bouleversées profondément modifiés.
RÉ SUM É par les évolutions techno- À partir d’une étude de
logiques, scientifiques et cas, nous avons cherché
En recherche perma- la nécessité de maîtriser à identifier et analyser les
nente d’efficacité et d’ef- les dépenses, les organi- mutations de la fonction
ficience, le secteur de la sations de santé sont obli- de cadre de santé. L’objec-
santé est souvent consi- gées de mettre en place tif de cet article est de faire
déré comme un secteur de nouvelles modalités le point sur les mutations
d’activité complexe pour d’organisation. La fonc- en cours dans la définition
de nombreuses raisons. tion de cadre de santé de la fonction de cadre de
De multiples logiques déjà au carrefour des dif- santé, mais aussi de pro-
managériales sont en férentes logiques profes- poser des clés de lecture
œuvre dans un contexte sionnelles voit son rôle à l’attention des cadres de
où le facteur humain de pivot de l’organisation santé pour faciliter l’évolu-
accentue la difficile ratio- renforcé. Les contours tion des organisations de
nalisation de l’activité. de cette fonction sont santé dans leur ensemble.

Mots clés : Cadre de santé, complexité, dialogie, évolution des établissements de santé

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ISABELLE FRANCHISTÉGUY-COULOUME

rationalizaton. Healthcare more pivotal. The bound-


ABSTRACT organizations have been aries of their function have
turned upside down by been deeply modified.
Effectiveness and effi- technological and scien- This paper rests on a case
ciency are two key words tific developments and by study. It aims at analysing
for the healthcare sec- the need to control expen- the occurring mutations of
tor, which is often consid- diture. They have to set the duties of health exec-
ered as complex for vari- up new modes of organi- utives. It also aims at pro-
ous reasons. While many zation. Health executives viding a framework for
managerial logics are at are already at the inter- helping the health execu-
implemented, the human section between the var- tives to deal with the evo-
factor increases the dif- ious professional logics; lution of healthcare orga-
ficulty of the activity’s they become more and nizations.

Keywords: Health executives, complexity, dialogy, evolution of healthcare organizations

tecnológicas, científicas y caso, intentamos identifi-


RE SUME N la necesidad de controlar car y analizar las transfor-
los gastos, las organiza- maciones de la función de
En busca permanente de ciones de salud no tienen ejecutivo de salud. El obje-
eficacia y eficiencia, se con- otra opción que implemen- tivo de este artículo es de
sidera a menudo el sector tar nuevas modalidades de describir las transforma-
de la salud como un sec- organización. La función ciones pendientes en la
tor complejo por muchas de ejecutivo de salud, ya definición de la función de
razones. Numerosas lógi- en la encrucijada de las ejecutivo de la salud pero
cas de Management están diferentes lógicas profe- también de proponer cla-
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en acción en un contexto sionales ve que se conso- ves de lectura dirigidas
en que el factor humano lida su rol de bisagra de la a los ejecutivos de salud
acentúa la difícil raciona- organización. Quedan pro- para propiciar la evolución
lización de la actividad. fundamente modificados de las organizaciones de
Fuertemente desorgani- los límites de esta función. salud en su conjunto.
zada por las evoluciones A partir del estudio de un

Palabras clave: Ejecutivo de salud, complejidad, dialogía, evolución de las organizaciones


de salud

INTRODUCTION
En France, les organisations de santé sont soumises à de multiples turbu-
lences organisationnelles. À la recherche de la performance économique,
bouleversées par les évolutions technologiques et scientifiques, elles sont
contraintes de réviser en profondeur leurs modalités d’organisation et de
fonctionnement. Fortement incitées en cela par les tutelles, elles sont aussi
accompagnées par des organismes tels que l’Agence Nationale d’Appui à la
Performance des établissements de santé (ANAP) ou la Haute Autorité de

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AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

Santé (HAS) d’un point de vue financier et méthodologique sur différents pro-
jets. Ces projets relèvent aussi bien du financement de projets de rénovation
immobilière ou d’innovation technologique que de mise en œuvre de modali-
tés communes d’organisation, comme les Groupements de Coopération Sani-
taire (GCS), ou encore de proposition d’outils diagnostiques aidant à la mise en
place de nouvelles pratiques.
Simultanément, les personnels de santé voient non seulement leur
contexte de travail évoluer, mais aussi parfois la nature des tâches qui leur
incombent. Ainsi, le spectre d’activités à réaliser pour les cadres s’est enrichi
des activités de gestion budgétaire et de management des équipes (Dumas et
Ruiller, 2011). Les cadres de santé, très engagés dans l’organisation des acti-
vités de soins et du parcours des patients, sont désormais mobilisés pour des
activités de contrôle de gestion alors que la définition de leur rôle au sein de
l’organisation reste souvent ambiguë (Coulon, 2011).
Nous avons eu l’occasion de rencontrer une quinzaine de cadres de santé
à l’occasion de la fusion et de la restructuration de quatre établissements
de santé rachetés par un cinquième. L’équipe de direction de la nouvelle
entité souhaitait comprendre et analyser le positionnement des cadres au
moment de la préparation du rapprochement des activités similaires décou-
lant de la fusion, et avant la définition d’une organisation nouvelle envisagée
avec la construction d’un établissement neuf sur un nouveau site. Cette ana-
lyse devait identifier pour mieux les anticiper les facteurs freins et leviers de
l’implication de l’équipe de cadres dans l’élaboration commune de ce nou-
veau projet. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des cadres,
enregistrés, retranscrits, validés par les personnes concernées avant d’être
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anonymisés et analysés selon les principes d’analyse qualitative (Miles et
Huberman, 2003).
Un an après, nous avons revu les cadres soignants dans les mêmes condi-
tions. Nous avons ainsi pu mesurer le chemin parcouru depuis notre première
rencontre.
Acteur pivot de l’organisation des établissements de santé, les cadres sont
confrontés à une évolution de leur fonction dans un contexte de complexité
croissante. Nous leur proposons ici des clés de lecture dans la perspective
d’une meilleure appréhension de leur fonction.

LE CADRE DE SANTÉ :
LES CONTOURS D’UNE FONCTION
EN PROFONDE ÉVOLUTION
La fonction de cadre de santé recouvre des réalités très différentes en fonc-
tion du contexte dans lequel elle est exercée  : du cadre infirmier qui s’ac-
corde encore un peu de temps pour accompagner le médecin lors de la visite
des patients dans un établissement de petite taille encore empreint d’un

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ISABELLE FRANCHISTÉGUY-COULOUME

management paternaliste, au cadre supérieur de santé dans un grand CHU,


la répartition entre tâches administratives, d’encadrement des personnels, de
lien avec les patients et les familles n’est pas la même.
Cette fonction est d’ailleurs empreinte de façon plus ou moins marquée par
une coloration soignante ou managériale selon l’établissement dans lequel
elle est exercée, mais aussi selon la sensibilité de la personne qui l’occupe.
Après avoir rappelé les contours de cette fonction tels qu’ils sont définis de
façon réglementaire dans les textes, nous évoquerons les modalités de sa mise
en œuvre sur le terrain à travers les différents entretiens que nous avons réalisés.

La fonction de cadre de santé :


une fonction bien délimitée dans les textes
La fonction d’encadrement est définie par Chantal de Singly dans le rapport
identifié du même nom comme « l’ensemble des activités, permanentes ou
ponctuelles, qui consistent à organiser, coordonner, cadrer puis contrôler le
travail des personnels ainsi encadrés » (De Singly, 2009, p. 20). Quatre mis-
sions principales sont ensuite dégagées dans le même rapport (p. 24) pour
définir de façon thématique la fonction de cadre hospitalier :
■■ Une mission de management d’équipe et d’organisation
du travail des infirmiers et aides-soignants : c’est ce que
réalise le cadre de santé lorsqu’il supervise l’organisa-
tion du travail, mais aussi lorsqu’il établit les plannings
et prévoit les remplacements pour maladies ou congés.
Une mission transversale ou de responsabilité de projet :
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■■
le cadre infirmier participe au déploiement de nombreux
projets, par exemple dans le contexte de définition d’un
nouveau projet d’établissement ou du développement
d’actions ponctuelles autour de l’hygiène et de la qualité.
■■ Une mission d’expert : le cadre infirmier a un rôle d’ex-
pert dans la fonction infirmière et peut être mobilisé à
chaque instant au sein de l’établissement.
■■ Une mission de formation : le cadre infirmier va accompa-
gner les infirmiers et aides-soignants dans le développe-
ment de nouvelles pratiques ou tout simplement accueillir
de nouveaux embauchés ou des élèves-stagiaires au sein
de son établissement.
Ce découpage reste très général puisque les quatre missions telles
qu’elles sont définies correspondent peu ou prou à la définition des fonctions
d’un cadre intermédiaire dans n’importe quel contexte d’entreprise.
Dans le contexte des activités de santé, cette fonction de cadre peut-elle
être définie et exercée comme dans n’importe quel autre contexte d’activité ?
Les activités de santé sont des activités complexes pour de multiples raisons.
Elles ont pour principal objectif de soigner ou d’accompagner des personnes
et ne peuvent être entièrement rationalisables. Certes, des parcours de prises
en charge peuvent être définis, des protocoles de soins ont été établis, mais

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AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

l’urgence, la réponse individuelle et parfois inattendue à un traitement ne


peuvent complètement être anticipées. De ce fait, le travail dans l’urgence,
l’implication émotionnelle générée par le fait de soigner des êtres humains,
l’évolution des technologies et des pratiques et la nécessité de rendre compte
et d’assurer la traçabilité, sont autant de paramètres qui se superposent pour
générer des situations qualifiées de complexe en tout cas telles qu’elles le
sont éprouvées par l’acteur (Martinet, 1993).
Les contours de la fonction de cadre ont évolué en pratique sur les trente
dernières années. Nous présentons ci-après la complexité inhérente à l’exer-
cice de cette fonction dans le contexte d’une étude de cas.

La fonction de cadre de santé :


une fonction complexe sur le terrain
Dans les établissements de santé du secteur privé, les cadres de santé sont
souvent sollicités pour réaliser des missions de management sans pour
autant bénéficier de formations spécifiques au management même si, en réa-
lité, cette pratique tend à disparaître. Sollicités pour des missions de natures
très variées, les cadres de santé ont parfois du mal à répondre de façon équi-
valente à l’ensemble des missions qui leur incombent. Et ceci d’autant plus
qu’apparaît un décalage entre ce qui est prescrit et attendu des cadres et la
réalité de l’activité (Bourret, 2006).
La fonction de cadre de santé est d’ailleurs en pratique bien plus disparate
que ce que laissent entendre les quatre dimensions proposées dans le rap-
port De Singly.
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Au cours des différents entretiens menés auprès des cadres soignants,
nous avons ainsi pu mesurer que la fonction de cadre soignant se définit
comme une fonction centrale du management d’un établissement de santé.
Par exemple, une cadre nous raconte : « C’est comme si on était responsable
de A à Z, c’est-à-dire que l’on s’occupe du personnel, du recrutement de per-
sonnel, organisation de service, réunion de service, le management dans toute
sa globalité au niveau de chaque service qui nous est attribué » (cadre D).
Mais cette fonction se complète d’activités spécifiques aux activités de
santé. Une autre cadre nous décrit ainsi sa fonction : «  Je suis responsable
de plusieurs services : un de médecine, une unité de soins continus, un de
chirurgie et les urgences. J’ai également des équipes à manager : des infir-
mières, des aides-soignantes, des ASH. Je dois donc suivre leur travail, établir
les plannings, gérer les vacances et les RTT. C’est une gestion quotidienne. Il y
a également une gestion des lits à réaliser : en particulier trouver des places
quand la clinique est pleine, trouver des places dans les centres de soins de
suite pour libérer des lits, mais aussi suivre les indicateurs comme la DMS, les
entrées/sorties » (cadre Q).
Pour certains cadres, cette fonction a évolué depuis le début de leur car-
rière. Ils évoquent pourtant, avec une pointe de regret, les années de cette
période où ils étaient plus dans le soin et l’accompagnement des patients.

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ISABELLE FRANCHISTÉGUY-COULOUME

« Avec les médecins, ça a quand même pas mal changé puisqu’autrefois je fai-
sais la visite avec les chirurgiens, tout ça, ça a évolué quand même pas mal…
je passe quand même un petit peu dans les chambres, voir certains patients,
jeter un œil aussi sur l’entretien des chambres » (cadre N).
De façon plus générale, les cadres de santé que nous avons rencontrés se
considèrent comme « patron de leur entreprise » dans le sens où on leur fixe
des objectifs à travers des tableaux de bord financiers : « Notre fonction, c’est à
la fois le rôle de surveillante qui existait avant et à la fois un petit peu aussi, à ce
jour, on commence à être le patron de notre entreprise, c’est-à-dire qu’on nous
fixe des objectifs avec des tableaux de bord, des indicateurs, tout un côté finale-
ment financier, qui se rapporte à l’argent, en plus de notre rôle de surveillante,
c’est-à-dire contrôle des soins, le management des équipes, des infirmières
aides-soignantes et ASH » (cadre M). Ils prennent en charge le management des
équipes de soignants, l’établissement des plannings, la gestion des absences
pour congés, RTT ou maladie. Mais ils considèrent qu’ils ont également un rôle
de formation de leur équipe et d’accueil d’élèves-stagiaires, (cadre N).
Dans le contexte de notre étude de cas, les cadres de santé ont été égale-
ment sollicités pour la gestion de l’évolution de l’organisation vers la phase inter-
médiaire d’une part, puis le développement d’une nouvelle organisation à moyen
terme d’autre part. Cette sollicitation se rajoute au travail habituel du cadre de
santé déjà très mobilisé dans les divers projets de l’établissement (projets d’éta-
blissements, mise en place de différents projets transversaux à l’établissement…).
Les entretiens que nous avons réalisés ont mis en exergue le rôle de pivot
du changement organisationnel exercé par les cadres. En effet, des rapproche-
ments ont d’abord eu lieu concrètement autour de services comme la mater-
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nité, puis une grande phase de déménagement a permis d’établir une nouvelle
organisation en rapprochant les équipes de spécialité identiques. La définition
de cette nouvelle organisation a été réalisée par la direction en concertation
forte avec les cadres de santé et les médecins. Cette nouvelle organisation a
permis d’assurer la transition jusqu’à l’emménagement dans le nouvel éta-
blissement, mais a constitué une phase importante de changement organisa-
tionnel. Le cadre de santé est alors à l’interface des différentes strates de l’or-
ganisation : direction, médecins, opérationnels de santé et cadres des autres
activités de support le sollicitent pour toute problématique d’organisation.

LE CADRE DE SANTÉ :
UN ACTEUR PIVOT DU CHANGEMENT
Organisateur de l’activité, à l’interface des différentes cultures profession-
nelles, à la fois gestionnaire et soignant, le cadre de santé est un élément clé
dans le bon fonctionnement d’une organisation de santé. Au cours des der-
nières décennies, cette fonction s’est enrichie de multiples activités, en même
temps que sa dénomination évoluait, laissant transparaître ce changement de
nature profond de définition de la fonction.

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AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

Le rôle pivot du cadre


Comprendre, intégrer, voire traduire les logiques médicale, gestionnaire et
soignante, sont autant de rôles qui incombent au cadre de santé, cadre qui
se situe au carrefour de différentes logiques professionnelles. Le cadre doit
relayer et transcrire les décisions du médecin, transmettre et expliquer les
outils de gestion, suivre et garantir les protocoles de soins sans oublier son
rôle d’organisateur de l’activité.
Positionné comme « dirigeant d’une équipe », le cadre est chargé d’impli-
quer et motiver ses collaborateurs. Il est souvent chargé d’expliquer les évo-
lutions en cours, c’est un véritable relais de la direction, mais il souffre parfois
de sa position « intermédiaire » entre médecins et direction. « Il y a beaucoup
de tergiversations du fait de la mauvaise volonté des médecins. La commu-
nauté médicale a freiné des quatre fers depuis le début, donc à mon senti-
ment, on a perdu trop de temps » (cadre C).
Le cadre de santé reste un acteur important de la gestion du change-
ment et de la circulation de l’information (Douguet et Munoz, 2005), dans ces
périodes critiques d’évolution de l’organisation. Les cadres se retrouvent sou-
vent en première ligne et en interaction directe avec les équipes : « On essaie
de faire en sorte que cela se passe le mieux possible. On essaie de se baser
sur les expériences antérieures, le transfert des maternités par exemple, pour
accompagner au mieux les équipes. Ça reste quand même des transferts très
difficiles, autant humainement que matériellement, qu’organisationnels, ça
c’est sûr, c’est très difficile. On essaie de donner les informations au fur et à
mesure aux salariés qui sont vraiment dans l’angoisse et dans le questionne-
ment, mais ce n’est pas toujours facile parce que les équipes vont changer,
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vont se casser, certaines vont aller sur d’autres sites alors qu’elles n’étaient
pas forcément intéressées, ce n’était pas leurs vœux… » (cadre M). L’activité
des cadres comporte bien un « travail de lien » (Bouret, 2008). Les cadres ren-
contrés dans notre étude de cas ont aussi accompagné le rapprochement des
équipes, l’harmonisation des pratiques. Ils ont participé aux réunions d’enca-
drement et de préparation de la nouvelle organisation, puis organisé des réu-
nions de service pour transmettre l’information auprès de leurs équipes et les
rassurer concernant les évolutions en cours. Ils confient que l’intégration des
personnes du fait du rapprochement des activités s’est bien passée même si
cela a été une étape difficile à passer pour tout le monde.
Soumis à des injonctions paradoxales (Bouret, 2008), les cadres de santé
sont écartelés entre les impératifs de gestion imposés dans les organisations
par l’administration et les besoins de prise en charge des patients, l’accom-
pagnement des personnels… Ces cadres restent tiraillés entre deux manières
de penser l’organisation (Coulon, 2011) : l’une focalisée sur la coordination des
parcours de patients au sein d’un réseau de soins ; l’autre centrée sur l’optimi-
sation de la gestion des ressources matérielles et humaines, comme l’indique
le témoignage du cadre M ci-dessus.
De plus en plus accaparé par des tâches de management, le cadre a ten-
dance à s’écarter de la scène de travail de son équipe (Detchessahar et Grevin,
2009) pour intégrer plus d’activités liées au management.

proyéctica / projectics / projectique – n° 13 43


ISABELLE FRANCHISTÉGUY-COULOUME

De cadre à manager : bien plus


qu’un changement d’appellation
Depuis une trentaine d’années, la fonction de surveillante a profondément évo-
lué dans son contenu, mais ce changement s’est aussi accompagné d’un chan-
gement d’appellation. Ainsi, le terme de surveillante a été remplacé par celui
de cadre infirmier pour ensuite laisser la place au terme de cadre de santé.
(Divay et Gadea, 2008). Au sein de la structure que nous avons étudiée, le chan-
gement de dénomination a été encore plus loin. Depuis la fusion des établis-
sements, le cadre de santé est désormais appelé manager d’unité de soins.
Ce changement d’appellation n’est pas neutre et reflète bien l’évolution de la
fonction. Désormais, le manager doit être en mesure d’assurer le développe-
ment des compétences d’une équipe. Les cadres rencontrés dans le cadre de
notre étude de cas ont suivi une formation de management réalisée sur place
par sessions mensuelles de deux jours et animée par un intervenant exté-
rieur, professionnel de la formation en entreprise. Cette formation a permis
aux cadres de prendre conscience de leur rôle d’encadrant auprès des équipes,
les cadres mettent bien en avant les aspects managériaux dans la définition de
leur fonction : « Je m’occupe du personnel, du bon fonctionnement de l’unité,
de toute la gestion que ce soit gestion de personnel, recrutement de person-
nel, organisation de service, réunion de service, le management dans toute sa
globalité au niveau de chaque service qui nous est attribué » (cadre D) ; «  On
commence à être le patron de notre entreprise, c’est-à-dire qu’on nous fixe des
objectifs avec des tableaux de bord, des indicateurs, tout un côté finalement
financier, qui se rapporte à l’argent, en plus de notre rôle de surveillante, c’est-
à-dire contrôle des soins, le management des équipes, des infirmières aides-
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soignantes et ASH » (cadre M) ; cf. le témoignage (cadre Q) ci-dessus.
Les cadres de santé ont expliqué l’évolution de leur fonction à leurs
équipes. Une fois rassurées, les équipes ont pu désamorcer les tensions et
devenir plus autonomes. Les cadres ont appris à déléguer certaines parties
de leurs fonctions afin de dégager du temps sur leur fonction de manager.
Cette délégation s’est très bien passée puisque les cadres ont même identifié
une plus grande autonomie des équipes : «  Moi, j’ai trouvé du fait que j’étais
sur les deux sites, j’ai trouvé que le personnel avait plus d’autonomie, et puis
je leur demandais aussi, j’ai été obligé de déléguer certaines choses, donc de
par le fait que j’étais absente d’un côté ou de l’autre, j’ai trouvé qu’elles s’ap-
pliquaient plus et qu’elles étaient plus autonomes » (cadre R).
Enfin, la fonction de cadre s’est aussi enrichie de fonctions de négociation.
L’étape de déménagement a engendré une refonte des plannings des équipes
auparavant réparties dans des établissements différents avec des spécificités
d’organisation et de gestion du temps de travail différentes. Cette refonte a dû
être négociée avec les équipes afin d’arriver à un compromis acceptable par
toutes les parties.
Peu à peu, les cadres de santé ont « adopté » leur nouvelle fonction de
manager. Les contours de la fonction apparaissent désormais de façon plus
précise. Les cadres reconnaissent que le cadre de santé sur le terrain a laissé
sa place au cadre de santé derrière son ordinateur à qui l’on demande de

44 projectique / projectics / proyéctica – n° 13


AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

rendre des comptes sur l’évolution de la durée moyenne de séjour ou d’autres


indicateurs. Est également insérée dans le nouveau périmètre de la fonction
la mise en place des entretiens individuels annuels. Ces entretiens pourront
d’ailleurs être utilisés comme de véritables outils de management, dans le
sens où ils représentent des espaces de reconnaissance scénarisée (Lepine,
2009). L’évolution de la fonction de cadre se fait en profondeur et, pour être
réussie, doit s’accompagner de la part du cadre de l’acquisition et du dévelop-
pement de nouvelles compétences (Dumas et Ruiller, 2011).
De façon plus générale, le risque pour les organisations de santé, embar-
quées dans la course à la recherche de la performance, est de reporter
nombre de tensions sur les cadres de proximité. Ceux-ci se retrouvent pro-
pulsés vers le haut, enfermés dans un fonctionnement de management à dis-
tance et tournés vers les enjeux externes (Grévin, 2012).
Pris à l’étau entre l’évolution des organisations de santé, la nouvelle défi-
nition de leurs propres fonctions et l’apparition de multiples tensions interor-
ganisationnelles, « le personnel est inquiet parce qu’effectivement, les méde-
cins en parlent entre eux et parlent au personnel, donc ça met un climat de
tension » (cadre R) ; « les soignants ne comprennent pas toujours notre nou-
veau rôle » (cadre M).
Dans les établissements de santé, l’introduction d’outils de gestion (T2A,
certification des établissements de santé…) a entraîné une évolution de la
fonction de cadre.
Les cadres de santé sont entraînés dans une complexité organisationnelle
croissante et difficile à maîtriser. Nous leur proposons ci-après des clés de
lecture qui pourront les aider à mieux évoluer dans leur fonction au quotidien.
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UNE APPROCHE DIALOGIQUE
DE LA COMPLEXITÉ : PROPOSITIONS
DE CLÉS DE LECTURE À DESTINATION
DES CADRES DE SANTÉ
Le secteur de la santé est un secteur d’activité complexe pour de nombreuses
raisons. Il a pour mission première de soigner ou d’accompagner des êtres
humains en souffrance, ce qui constitue en soi une mission fort difficile. Au
cœur du processus de production, ce sont des êtres humains qui interagissent
pour créer le processus de transformation. Chaque patient et chaque profes-
sionnel interviennent dans le processus de coproduction avec un ensemble
de paramètres physiologiques ou psychologiques parfois imprévisibles au
départ ou intrinsèquement liés au moment de l’interaction. À cela se rajoute le
caractère difficilement planifiable de l’activité soumise aux aléas de diverses
natures (climatiques, épidémies, accidents…).
À la différence des activités marchandes, les activités de santé ne peuvent
pas déployer de stratégies commerciales classiques, mais certaines pratiques

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ISABELLE FRANCHISTÉGUY-COULOUME

managériales (démarches de projets, démarches qualité, tarification à l’acti-


vité…) démontrent l’immersion des outils de gestion dans les activités de santé.
Les activités de santé sont encore très marquées par des cultures profes-
sionnelles très fortes où les différents regards portés par les différents pro-
fessionnels sur les patients et l’organisation de l’activité ne sont pas toujours
pris en compte à la même « valeur ».
Enfin, de nombreux outils de gestion ont été imposés aux établissements
de santé, accompagnés de l’injonction paradoxale des tutelles d’« augmen-
ter la performance économique en veillant à la qualité des prises en charge ».
Dans ce contexte d’activité, mettre en œuvre un management participatif
constitue un véritable challenge. Nous proposons ici des clés de lecture que
les cadres de santé peuvent s’approprier pour mieux appréhender la com-
plexité de leur environnement. Ces clés de lecture s’appuient sur le principe
dialogique qui «  unit deux principes ou notions antagonistes, qui apparem-
ment devraient se repousser l’une l’autre, mais qui sont indissociables et indis-
pensables pour comprendre une même réalité » (Morin et Le Moigne, 1999,
p. 254). Ce principe dialogique peut aider les cadres de santé à mieux com-
prendre la complexité des situations de gestion auxquelles ils sont confrontés.
Parmi toutes celles identifiables dans de nombreuses situations de gestion,
nous avons choisi de présenter ici trois dimensions dialogiques. Elles pour-
raient être un premier pas pour les managers dans la prise en compte de
la complexité dans leurs fonctions. Il s’agit des dialogies Collectif-Individuel,
Capitalisation-Innovation, Structurel-Émotionnel.

Dialogie Collectif-Individuel
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Lorsque se met en place un changement organisationnel, l’organisation est
envisagée sous un terme unique qui ne prend pas en compte les multiples
individualités qui la composent. Pourtant, selon un principe de structuration
identique à celui d’une image fractale, une organisation est composée d’indivi-
dus qui interagissent au sein d’un ou de plusieurs groupes, interagissant eux-
mêmes au sein d’un ou de plusieurs autres groupes. Derrière toute dimension
collective, ce sont des individus qui pensent et agissent en fonction de leur
perception, de leur réflexion et de leurs représentations personnelles.
Pourtant, les managers des organisations raisonnent souvent en termes
de Collectif pour une organisation en oubliant le pendant Individuel de la déci-
sion prise.
Nous avons évoqué la transformation des cadres en manager d’unités de
soins. Pour les accompagner dans cette mutation, la direction a mis en place
une formation, dont l’objectif était de proposer des outils concrets et des élé-
ments de réflexion sur la fonction, pour une équipe de cadres d’origine dis-
parate puisque n’étant pas tous passés par une école de cadres. Cette action
de formation s’est révélée positive par de nombreux aspects, par exemple la
concrétisation de cette nouvelle équipe de cadres. Des liens se sont créés à
cette occasion entre les personnes contribuant à l’accélération du fonction-
nement en équipe, alors que ces mêmes personnes ne se connaissaient pas

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AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

quelques mois auparavant. Mais cette formation aurait sans doute mérité
d’être complétée ou envisagée selon un angle plus personnalisé de façon à
permettre aux personnes désignées managers d’unités de soins d’acquérir
ou de consolider un certain nombre de compétences indispensables au bon
exercice de cette fonction. Par exemple, et au cas par cas, approfondir la maî-
trise d’outils informatiques, gérer les situations de conflits, accompagner une
équipe dans le changement, communiquer et informer…
La fusion des établissements de santé s’est réalisée à une époque où les
autorités de santé ont imposé la mise en place d’un groupement de coopéra-
tion sanitaire avec l’hôpital voisin pour le secteur de la cardiologie. Là encore,
la réflexion sur la mutualisation et le nouveau mode de fonctionnement s’est
construite à partir de multiples paramètres, mais sur un mode plutôt collectif.
La prise en compte des points de vue individuels des professionnels impliqués
dans ce projet aurait sans doute été nécessaire pour anticiper les résistances
au changement ou les craintes accompagnant ce projet.
Enfin, la conversion des cadres en managers d’unité de soins s’est accom-
pagnée de la mise en place d’entretiens individuels pour l’ensemble du person-
nel des services, à savoir infirmières, aides-soignantes et ASH. Ces entretiens
sont l’occasion de développer une prise en compte de la dimension indivi-
duelle évoquée précédemment. Pour donner corps à la logique dialogique, il
conviendra également que le manager de santé recompose à un niveau col-
lectif l’ensemble des entretiens réalisés. Cette recomposition collective per-
mettra au manager d’avoir un retour sur le management qu’il exerce auprès
de son équipe, mais également d’avoir une appréciation collective du fonction-
nement de son unité de soins.
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La dialogie Collectif-Individuel est à intégrer dans la réflexion à dévelop-
per pour conduire le changement organisationnel. Différents intérêts, diffé-
rentes logiques, stratégies et jeux d’acteurs se superposent à la mise en place
d’un changement organisationnel. Construire collectivement les évolutions
passe par la prise en compte de ces logiques individuelles, mais aussi des
deux aspects individuel et collectif à la fois.
Dans l’étude de cas que nous évoquons ici, la réflexion autour de la mise en
œuvre du nouveau projet est essentiellement menée selon un mode Collectif.
Beaucoup de craintes, résistances au changement, pertes de temps auraient
pu être évitées par une meilleure prise en compte des aspects individuels.

Dialogie Capitalisation-Innovation
Le mot capitalisation doit être compris comme « cultiver pour faire germer,
fructifier » et non comme « collecter, ranger et conserver dans une armoire »
(Prax, 2000). La capitalisation est nécessaire au changement organisation-
nel. Elle amène une phase de stabilisation, de consolidation indispensable à
chaque professionnel ou équipe de professionnels qui se servira ensuite de
cette phase comme d’un point d’appui pour repartir vers de nouvelles évolu-
tions. Pouvoir se raccrocher à des éléments connus, permanents dans l’en-
vironnement est indispensable pour que chaque personne puisse s’investir,

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ISABELLE FRANCHISTÉGUY-COULOUME

construire son rôle, sa place dans des environnements en mouvement. Face


à cette nécessité d’innover, le personnel renvoie le besoin d’appréhender les
évolutions, de prendre le temps de formaliser les évolutions en cours.
Dans notre étude de cas, le passage par la phase intermédiaire qui a
consisté à regrouper des spécialités similaires a nécessité de mettre en place
de nouveaux modes d’organisation, de nouvelles pratiques pour de nombreux
mois. Cette transition a joué le rôle de phase de capitalisation durant laquelle,
des pratiques ont été modifiées ou harmonisées avant d’être stabilisées.
Simultanément, de nouveaux modes de prises en charge des patients ont
amené l’organisation à continuer d’évoluer  : développement des pratiques
ambulatoires avec entrée le matin, intervention dans la journée et sortie le
soir. Le groupe a également mis en place des procédés d’interventions par-
ticulièrement innovants tels que la récupération rapide après chirurgie. Ces
techniques permettent au patient de reprendre une vie normale plus rapide-
ment et diminuent les complications postopératoires. Ces différentes innova-
tions organisationnelles ont été imposées par la direction avec le support des
médecins dans un intervalle de temps assez court au regard de l’ensemble
des évolutions organisationnelles menées.
Inversement, les établissements de santé qui ont fusionné étaient res-
tés auparavant, durant des années parfois, sans mettre en place de nouveaux
modes d’organisation. Cette inertie a sclérosé les organisations qui s’enfer-
maient dans des modalités de fonctionnement reproduites sans autres ques-
tionnements. L’innovation était donc devenue nécessaire et indispensable,
mais difficile à mettre en œuvre.
Cette dialogie Capitalisation-Innovation est importante dans la conduite du
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changement organisationnel. Innover est important, mais il faut aussi laisser
du temps aux personnes pour accepter le changement, capitaliser les évolu-
tions mises en œuvre. Ces deux aspects sont importants à prendre en compte
individuellement, mais aussi l’un en même temps que l’autre.
Dans notre étude de cas, ces deux aspects étaient finalement assez équi-
librés, laissant au personnel le temps de s’adapter et de porter les évolutions
organisationnelles.

Dialogie Structurel-Émotionnel
La gestion d’un établissement de santé impose de respecter un certain nombre
de règles externes ou internes à l’établissement qui composent la «  vision
structurelle  » ou «  objective  » à laquelle vient parfois s’opposer un certain
nombre d’événements qui renvoient davantage aux aspects « émotionnels »
ou « subjectifs ». Cette dialogie permanente Structurel-Émotionnel se mani-
feste aussi bien au niveau de l’organisation qu’au niveau de l’individu. Règles
d’organisation, respect strict d’un protocole font partie par exemple d’une
composante structurelle qui s’applique tant au niveau global de l’établisse-
ment qu’au niveau de l’infirmière ou de l’aide-soignante. Inversement, dans un
service d’accueil des urgences, « l’attraction » que génère l’urgence vitale, le
polytraumatisé lourd qui vient d’arriver, polarise les ressources au détriment

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AU CŒUR DE LA COMPLEXITÉ DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

de la prise en charge de la personne âgée qui présente une altération de l’état


général. Ceci reflète la composante émotionnelle que l’on retrouve par ail-
leurs à bien des niveaux de l’organisation.
La fusion des établissements de santé à l’origine de notre étude de cas a
été envisagée sous un mode structurel par la définition d’un projet médical et
le dimensionnement de la structure nécessaire à son support. S’est ensuite
enclenchée la réflexion sur le projet architectural qui abritera cette organisa-
tion. Ce travail s’est engagé sans que ne soient mises en place de dispositions
particulières visant à limiter les craintes, les résistances au changement alors
que le personnel exprimait le besoin d’être rassuré face à ce gros projet de
restructuration. De même, la définition des nouvelles organisations, tant pour
la phase intermédiaire que la phase finale a été faite en mettant en place de
nouvelles équipes sans se préoccuper de l’importance de la construction d’un
fonctionnement en équipes ou binômes pour des personnels désirant conti-
nuer à travailler ensemble.
Inversement, nous avons assisté à une manifestation de l’aspect émotion-
nel lorsque, à peine la fusion réalisée et avant même la phase intermédiaire,
une inondation causée par des intempéries a rendu inutilisable le bloc opéra-
toire. Un élan de solidarité s’est alors créé spontanément, puisque dans les
quatre autres établissements fonctionnant encore à cette période, les chirur-
giens, quelques mois auparavant concurrents, ont accepté de libérer du temps
de bloc opératoire pour accueillir leurs nouveaux confrères et leurs équipes
paramédicales. Cette solidarité inattendue a accéléré le fonctionnement en
équipe dans un contexte de fusion jusque-là plutôt tendu.
Envisager un changement organisation du point de vue Structurel est donc
indispensable, mais il est important de prendre en compte les aspects Émo-
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tionnels et également les deux aspects à la fois.

CONCLUSION
Les établissements de santé français sont irrémédiablement sous tensions :
à la recherche du déploiement d’une performance qui permettrait le maintien
voire l’amélioration de la qualité des soins, tout en optimisant l’usage des res-
sources économiques et en répondant aux exigences des « patients-clients »
de plus en plus importantes.
De façon incontestable, les activités de management se sont diffusées à l’in-
térieur de ces organisations. Autrefois réservées aux sphères de la direction,
elles ont essaimé vers les responsables de pôles ou de services et les cadres
intermédiaires de santé. Ceux-ci se sont approprié de nombreux outils de ges-
tion, qu’ils soient de comptabilité analytique, reporting d’activités ou de ges-
tion des ressources humaines. Acteurs pivots des organisations de santé, les
cadres intermédiaires de santé se retrouvent embarqués dans d’importantes
évolutions. Ils opèrent dans une complexité ambiante à laquelle se super-
posent de plus en plus de problématiques de restructurations aussi bien dans
le secteur public que privé (mise en place de Groupements de Coopération

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Sanitaire, rachat et fusion d’établissements de santé…). Ces restructurations


engendrent par ailleurs un malaise qui se reporte à tous les niveaux de l’orga-
nisation des soins (Acker, 2004).
Au cœur des évolutions organisationnelles comme du fonctionnement au
quotidien, les cadres intermédiaires de santé sont des acteurs pivots des éta-
blissements de santé en prise quotidienne avec la complexité des activités.
Intégrer des clés de lecture s’appuyant sur une analyse dialogique de l’activité
et du fonctionnement des établissements de santé leur permettra de mieux
appréhender la complexité qui les entoure. Nous avons mis l’accent ici sur
trois thématiques dialogiques « Collectif-Individuel », « Capitalisation-Innova-
tion », « Structurel-Émotionnel » en regard à la prégnance de leur expression
dans le contexte des activités de santé. Mais il en existe de nombreuses autres
que les cadres pourront déceler et développer dans leur pratique au quoti-
dien. Les activités de santé continuent d’évoluer, mais la multiplicité des para-
mètres à prendre en compte dans des activités à forte interaction humaine les
rend difficilement rationalisables et complexes à organiser.

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