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JEAN FOURASTIÉ OU LE PROPHÈTE REPENTI

Régis Boulat

Presses de Sciences Po | « Vingtième Siècle. Revue d'histoire »

2006/3 no 91 | pages 111 à 123


ISSN 0294-1759
ISBN 2724630327
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Jean Fourastié
ou le prophète repenti
Régis Boulat

Au sortir de la seconde guerre mondiale, Jean action aux côtés de Gabriel Chêneaux de Ley-
Fourastié prophétise l’avènement d’un nou- ritz, directeur des Assurances, aboutit à des
vel humanisme optimiste, en plaçant au cœur réformes importantes. En témoignent le
de sa réflexion l’articulation entre accroisse- décret-loi du 14 juin 1938 qui crée un nouveau
ment de la consommation et augmentation de régime juridique d’assurance ou la rédaction,
la productivité. Vingt ans plus tard, alors que avec Maxime Malinski, d’un plan comptable
les critiques se multiplient à l’encontre de la pour les assurances censé combler le fossé exis-
« civilisation de la consommation », Fourastié tant, selon Fourastié, entre le concret et la
s’alarme lui aussi des excès les plus aberrants science économique. Pendant la seconde
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du consumérisme. Une relecture attentive de guerre mondiale, il renforce sa réputation
l’ensemble de son parcours intellectuel per- d’expert en participant aux travaux du Comité
met de nuancer ce revirement et de rendre d’organisation des assurances, à ceux de la com-
justice à la cohérence de son œuvre. mission du Plan comptable et en publiant des
ouvrages sur la comptabilité 5. Son parcours et
Jean Fourastié est né le 15 avril 1907 dans un son amitié avec Chêneaux de Leyritz lui
petit village de la Nièvre, au sein d’une famille ouvrent les portes du Conservatoire national
aux racines paysannes et catholiques. Il fut tou- des arts et métiers (Cnam) où il devient chargé
jours très attaché à la propriété familiale de de cours en 1941, en remplacement de Malinski,
Douelle, dans le Quercy 1. Déçu par l’École cen- frappé par la loi du 3 octobre 1940.
trale, ne se sentant pas une vocation d’ingé- À la Libération, « l’expert » connaît enfin la
nieur 2, il poursuit ses études à l’École libre des consécration avec la parution de L’Économie
sciences politiques. Il suit peu les cours, sauf française dans le monde, essai de géographie éco-
ceux de Charles Rist et de Jean Romieu sur le nomique qui s’appuie sur des indices fondamen-
service public, qui renforcent sa conviction taux (tel le rendement du travail) pour tenter de
d’entrer au service de l’État 3. Commissaire rassurer l’homme « quant au pouvoir qu’il peut
contrôleur des assurances en 1932, il devient exercer sur les esclaves mécaniques que sa
rapidement un expert reconnu. Sa thèse sur le science a créés » et appeler à un plan de rénova-
contrôle par l’État des sociétés d’assurances 4
fait l’objet de comptes rendus élogieux et son
(4) Jean Fourastié, Le Contrôle de l’État sur les sociétés d’assu-
rances, thèse de doctorat, Paris, faculté de droit, 1937.
(1) Jean et Jacqueline Fourastié, Jean Fourastié entre deux (5) Olivier Dard, « Le comité d’organisation des sociétés
mondes, Paris, Beauchesne, 1994. Sur Fourastié, voir la récente d’assurances et de capitalisation entre technique et politique »,
anthologie présentée par Jean-Louis Harouel, Jean Fourastié, in Hervé Joly (dir.), Les Comités d’organisation et l’économie diri-
productivité et richesse des nations, Paris, Gallimard, 2005. gée du régime de Vichy, Caen, Centre de recherche d’histoire
(2) Jean Fourastié, Le Progrès technique et l’évolution économi- quantitative (CRHQ), 2004, p. 191-199 ; id., « Fourastié avant
que, cours de l’Institut d’études politiques de Paris, Paris, Les Fourastié : la construction d’une légitimité d’expert », French
Cours de droit, 1957, p. 19. Historical Politics. Culture and Society, 22 (1), printemps 2004,
(3) Jean et Jacqueline Fourastié, op. cit., p. 39. p. 3-17.

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tion économique s’opposant « à la philosophie Ainsi, il nous semble légitime d’étudier ce


des coteaux modérés » 1. L’ouvrage, auquel la qui, dans les premiers travaux de Fourastié,
critique réserve un bon accueil, attire l’attention concerne le développement d’une consomma-
de Jean Monnet qui lui demande de rejoindre tion de masse, avant de développer les réserves
son « club des optimistes ». Désormais homme qu’il formule dans les années 1960, réserves
d’action, économiste non conformiste et profes- dont les Quarante Mille Heures (1965), constitue
seur, Jean Fourastié peut promouvoir, tant une synthèse intéressante.
auprès des élites que du grand public, une syn-
thèse subtile fondée sur les rapports existants La « faculté de consommer »
entre production croissante, consommation Au début des années 1950, sous l’influence de
croissante, productivité et migrations profes- Jean Fourastié et de la campagne franco-améri-
sionnelles. Il est alors convaincu que la hausse du caine d’accroissement de la productivité, la
niveau de vie entraîne une consommation de France prend conscience du caractère interactif
masse et amène « l’homme moyen », dont il a du phénomène « consommation » et attache
une conception élitiste, à transformer son genre une importance grandissante à cerner les ten-
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de vie. Toutefois, à la fin des années 1950 dances de la demande, même si le consomma-
(période qui peut être considérée comme teur reste, au final, le grand absent des débats 4 .
« bissectrice des Trente Glorieuses 2 »), cet
« humanisme optimiste 3 » est tempéré par de Un nouvel humanisme optimiste
sérieuses réserves. Fourastié découvre, après Au Plan, Jean Fourastié travaille notamment
Keynes, que l’homme n’est décidément pas un avec René Magron, polytechnicien chargé par
acteur économique rationnel puisque la con- Monnet de mener des études sur la main-
sommation de masse donne naissance à une d’œuvre et la productivité, ou avec Robert Mar-
« civilisation de consommation » dont il est le jolin qui lui prête, au début de l’année 1946, les
« roi illusoire ». Cette dénonciation d’une alié- Conditions du progrès économique de Colin Clark
nation par les objets s’insère dans un courant de paru en 1940. Admiratif, Fourastié considère
critiques diverses – la filmographie de Jacques que les travaux pionniers de Clark – qui utilise la
Tati en constitue un bon exemple. S’il est pro- productivité comme mesure de la croissance –
fondément déçu, Fourastié n’en renie pas pour rejoignent ses propres recherches sur l’évolu-
autant ses essais antérieurs destinés au grand tion du progrès technique, son intensité varia-
public. Surtout, ses critiques ne se teintent pas ble dans différents secteurs économiques. Il en
d’anti-américanisme : les États-Unis restent rédige un compte rendu enthousiaste, signalant
pour lui le pays où règne une mentalité que l’évolution des niveaux de production et de
« progressiste ». consommation en France ont été largement
sous-estimés par les économistes 5. Parallèle-

(1) Jean Fourastié et Henri Montet, L’Économie française dans


le monde, Paris, PUF, 1945. (4) Alain Chatriot, Marie-Emmanuelle-Chessel et Matthew
(2) Jean-François Sirinelli, « 1965, l’aube des vingt Hilton, « Introduction », in Alain Chatriot, Marie-Emma-
décisives », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli nuelle Chessel et Matthew Hilton, Au nom du consommateur.
(dir.), La France d’un siècle à l’autre, Paris, Hachette Littératu- Consommation et politique en Europe et aux États-Unis au XXe siè-
res, 2002, p. 81-88. cle, Paris, La Découverte, 2004, p. 7-25.
(3) Nous empruntons cette formule à Pierre Bize, (5) Jean Fourastié, « Le livre de Colin Clark, les conditions
« L’humanisme optimiste de Jean Fourastié », Humanisme et du progrès économique », Revue d’économie politique, 2, avril-
Entreprise, 1990. juin 1946, p. 206.

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JEAN FOURASTIÉ

ment, à la fin de l’année 1946, Jean Monnet ses conférences et de la parution de La Civilisa-
l’envoie, à sa demande, en mission en Suède et tion de 1960. Lors d’une conférence faite au
aux États-Unis. La solidité des institutions éco- Cnam en avril, il présente sa Théorie générale de
nomiques américaines, les parkings de voitures l’évolution économique contemporaine en période
des ouvriers et des employés des grandes firmes de progrès technique. Celle-ci repose sur la
(« les voitures des manœuvres sans qualifica- notion de valeur et sur celle du progrès techni-
tion ou des balayeurs étaient aussi belles que que mesuré par les rendements en nature et par
celles des cadres et des dirigeants ») ou encore les rendements horaire du travail humain 3. À
l’abondance des magasins de New York retien- partir de ces deux postulats, il développe sa théo-
nent son attention. À son retour, il publie une rie générale, divisée en quatre théories principa-
série d’articles qui soulignent d’une part, « les les et en dix théories dérivées. La première théo-
différences de plus en plus sensibles qui s’éta- rie principale, dite « de la période transitoire »,
blissent entre le niveau de vie et le genre de vie est fondée sur l’accroissement du rendement
des habitants de ces pays et les nôtres » et, horaire qui permet le transfert de la main-
d’autre part, « ce fait fondamental » qu’est le d’œuvre des secteurs vite saturés (agriculture)
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haut niveau du rendement du travail américain, vers des secteurs nouveaux. Il s’en suit un désé-
dont les conséquences sur le niveau de vie puis quilibre qui s’étend des facteurs de production à
sur le genre de vie sont manifestes 1. Pour Fou- la consommation, sans oublier les prix, le niveau
rastié, cette évolution progressive du niveau de de vie, la répartition professionnelle de la popu-
vie conduit de façon certaine « à une nouvelle lation active ou la durée du travail 4 . Caractéris-
forme de civilisation » : examinant successive- tique de la période transitoire, ce déséquilibre
ment la production industrielle américaine, la s’achève seulement lorsque 85 à 95 % de la
consommation et le niveau de vie, le rendement population active est engagée dans la produc-
du travail humain, le genre de vie et la vie intel- tion tertiaire. La seconde théorie générale con-
lectuelle, il conclut que le temps dégagé grâce cerne, d’un côté, la production et ses facteurs (la
aux bénéfices du progrès technique est investi nature, le travail et le progrès technique qui
dans des activités culturelles. Refusant d’ironi- modifie inlassablement les bases naturelles et les
ser sur « la civilisation du chewing-gum et l’aris- effets du travail), de l’autre, la consommation
tocratie du base-ball », il prie enfin son lecteur dont les deux éléments sont la production et le
de réfléchir à l’évolution de l’état intellectuel besoin (théorie de la valeur) 5. Fourastié sépare
des États-Unis depuis 1945. Selon Jean Fouras- clairement le démarrage de la période transi-
tié, « parce que le plaisir grossier ne convient toire – pendant lequel les gains de productivité
pas aux longs loisirs, la civilisation est la fille de obtenus dans le secondaire sont presque entiè-
l’oisiveté, parce qu’elle est le seul remède dura- rement absorbés par l’équipement et où le
ble contre l’ennui » 2. niveau de vie moyen n’augmente que très peu
En 1947, la place que Fourastié accorde à la (s’il ne réduit pas) – de la suite de cette période,
consommation se précise à l’occasion de diver- pendant laquelle la production de biens de
consommation démarre réellement en raison

(1) Jean Fourastié, Regards sur les nouvelles formes de la civilisa-


tion économique, Paris, A. Lahure, 1947, p. 1. (Il s’agit d’un tiré à (3) Jean Fourastié, Esquisse d’une théorie générale de l’évolution
part des articles parus dans Productions françaises en février et économique contemporaine, Paris, PUF, 1947.
mars 1947.) (4) Ibid., p. 11-12.
(2) Ibid., p. 28. (5) Ibid.

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d’une baisse de plus en plus sensible des prix de dentes, par les économistes anglais et améri-
revient, puis, par suite de la concurrence ou des cains 4 ». Comme en 1945, Fourastié utilise quel-
décisions administratives, des prix de vente (les ques indices statistiques fondamentaux pour
salaires étant supposés stables). Les deux derniè- aider ses contemporains à se faire une idée claire
res théories principales sont consacrées à la de l’évolution économique et prophétiser l’avè-
monnaie et aux prix, et à la population. Les théo- nement d’une « nouvelle civilisation ». Alors
ries dérivées concernent le niveau de vie, la pro- que la première partie du livre est consacrée à
ductivité par personne active, les crises, le com- l’amélioration du niveau de vie de l’homme
merce extérieur et l’équilibre mondial, le depuis la révolution industrielle, la seconde par-
capital, la fiscalité, les régressions économiques, tie traite des principaux changements techniques
la planification économique. Pour Fourastié, la qui l’ont rendu possible. Qu’il y ait ou non une
période transitoire s’achève avec un retour à nouvelle guerre mondiale, « et même quel que
l’équilibre et l’avènement d’une véritable civili- soit son vainqueur », « les caractères fondamen-
sation tertiaire, « civilisation intellectuelle de taux de la future civilisation seront définis par
l’homme moyen 1 ». une faculté de consommation dont le taux est
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Mise en perspective, cette théorie générale, encore en partie imprévisible mais sera certaine-
qui prend « le contre-pied de l’économie politi- ment supérieur de 20 ou 30 fois aux taux anté-
que classique, jugée non seulement dépassée rieurs » 5, écrit Jean Fourastié. Cette faculté est
mais presque au fond nulle et non avenue », est génératrice d’une civilisation intellectuelle :
moins novatrice qu’il n’y paraît 2. Comme Fisher « C’est parce que la révolution industrielle engen-
(qu’il ne connaît pas encore) et Clark (qu’il vient dre des loisirs que la nouvelle civilisation n’est
de découvrir), Fourastié fait de la division tripar- pas et sera de moins en moins une civilisation
tite des activités « une des clefs de l’économie matérielle 6. » À ses détracteurs, il oppose qu’on
contemporaine » ; il élargit toutefois le débat en ne doit pas juger de cette évolution sur la période
lui donnant une portée sociologique et philoso- transitoire qui donne des loisirs à ceux qui ne
phique qui n’existe pas chez Clark. C’est le cas savent pas les utiliser (les adultes) et n’en donne
avec la parution, au mois de juin 1947, de La Civi- pas assez à ceux qui le savent (les jeunes) : la géné-
lisation de 1960, dont le titre est presque calqué ration qui se lève, « découvre que seul le plaisir
sur le livre de Colin Clark (« Économie » intellectuel est susceptible de durer aussi long-
devient « Civilisation ») 3. Selon Pierre Jaccard, temps que le long loisir de l’homme nouveau 7 ».
« le savant français met[tait] à la portée du plus Si les comptes rendus relèvent la parenté des
large public l’essentiel des faits découverts et des idées de Fourastié avec celles de Clark et saluent
théories formulées, au cours des années précé- la prouesse du vulgarisateur, ils n’en sont pas
moins critiques à l’égard de son « optimisme
technocratique 8 ».
(1) Ibid., p. 28.
(2) Olivier Dard, « Techniciens et praticiens de l’économie,
un changement de paradigme », in Serge Berstein et Pierre
Milza (dir.), L’Année 1947, Paris, Presses de Sciences Po, 2000,
p. 95-97. (4) Pierre Jaccard, Politique de l’emploi et de l’éducation, Paris,
(3) Jean Fourastié, La Civilisation de 1960, Paris, PUF, 1947. Payot, 1957, p. 31.
Édition remaniée en 1953 sous le titre La Civilisation de 1975 et, (5) Jean Fourastié, La Civilisation de 1960, op. cit., p. 68.
en 1974, sous le titre La Civilisation de 1995. Au total, on ne (6) Ibid.
compte pas moins de dix éditions jusqu’en 1974 et de nombreu- (7) Ibid., p. 69.
ses traductions (en espagnol, japonais, arabe, hébreu, allemand, (8) Jean Piel, « Vues sur le Monde en 1960 », Critique,
serbo-croate, portugais, turc…). 22 (4), mars 1948, p. 264-272.

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JEAN FOURASTIÉ

Tandis que ses recherches sur les prix lui sée où Claude Steinberg voit dans le Grand
confirment l’intérêt d’utiliser le progrès techni- Espoir une systématisation d’idées fausses, un
que et la productivité comme facteurs de réno- livre destiné aux élites justifiant la lutte entre-
vation de la science économique, Jean Fourastié prise par les capitalistes pour augmenter leurs
(qui s’est rapproché tactiquement des Annales profits et ne prenant pas en considération
et de l’École pratique des hautes études) achève l’aspect humain du progrès technique, et en
d’obtenir la reconnaissance de l’opinion publi- Jean Fourastié un « économiste bourgeois »
que, à défaut d’obtenir totalement celle de ses « présentant n’importe quelle théorie générale
pairs, avec la parution au début de l’année 1949 pour ne pas examiner honnêtement la situation
du Grand Espoir du XXe siècle 1. Dans cet ouvrage, économique présente » 5. Bref, « il n’y a pas
qui aborde successivement les bases de la vie d’espoir dans le Grand Espoir du XXe siècle […].
économique, ses mécanismes et les modifica- Incapable de présenter un modèle de société
tions du genre de vie, Fourastié réaffirme future […] Fourastié se contente de prophétiser
notamment que « l’accroissement du niveau de qu’elle sera une civilisation de travail et de dis-
vie ne se traduit pas simplement par l’évolution cipline avec les formes qu’ils ont actuellement
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de la nature et l’importance relative des et qu’il y aura encore des crises économiques ».
consommations », car « l’observation montre Ainsi, « Fourastié n’offre rien, mais se fait l’avo-
que l’homme, dont le revenu réel s’accroît, tend cat du Diable ; cela suffit à la bourgeoisie qui n’a
à chercher d’autres satisfactions que celles qu’il plus de penseurs » 6.
tire d’un revenu monétaire » 2. Ce texte, qui En 1950 paraît un nouveau « Que sais-je ? »,
reçoit le prix Mercet de la Société de statisti- rédigé avec sa femme et consacré aux Arts ména-
ques de Paris, fait l’objet d’une centaine de gers, c’est-à-dire à l’ensemble des techniques qui,
comptes rendus tant en France qu’à l’étranger : dans le cadre du foyer familial, permettent de
alors que ses collaborateurs du Plan saluent la soutenir la vie physique, d’alimenter la vie intel-
tentative de faire naître chez les Français « une lectuelle et d’étudier l’évolution du comporte-
conscience nouvelle, une soif d’efficience », ment humain dans la vie privée, dans la vie
son ami Alfred Sauvy le considère comme l’un sociale et dans l’activité professionnelle 7. L’élé-
des principaux novateurs économiques du vation du niveau de vie entraîne une modifica-
20 e siècle 3. De son côté, Léon Blum qualifie Le tion du genre de vie et fait évoluer la notion à la
Grand Espoir de « livre impressionnant et qui fois de confort et de loisir(s) : si ce dernier,
laisse le lecteur presque étourdi sous le flot d’abord identique au repos, puis considéré
d’idées originales qu’il énonce 4 ». Seule note comme une victoire de l’homme sur le travail
discordante dans cette impressionnante succes- servile, tend à devenir la base d’une nouvelle
sion de comptes rendus plutôt positifs, La Pen- forme de travail non rétribué (le travail néces-
saire au perfectionnement individuel, à la culture
intellectuelle, morale et physique) ; le confort,
(1) Jean Fourastié, Le Grand Espoir du XXe siècle. Progrès tech- un moment envisagé comme une modalité du
nique, progrès économique, progrès social, Paris, PUF, 1949. Sur cet
ouvrage, voir Philippe Hugon « L’histoire du Grand Espoir »,
in Jean Fourastié, quarante ans de recherches, Paris, Dalloz, 1978,
p. 17 sqq.
(2) Jean Fourastié, Le Grand Espoir…, op. cit., p. 270. (5) Claude Steinberg, « Jean Fourastié et Le Grand Espoir »,
(3) Alfred Sauvy, « Progrès technique et répartition profes- La Pensée, 31, juillet-août 1950, p. 140.
sionnelle de la population », Population, 1949, p. 310. (6) Ibid.
(4) Léon Blum, « À Washington », Le Populaire, 6 septem- (7) Jean et Françoise Fourastié, Les Arts ménagers, Paris,
bre 1949. PUF, 1950.

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repos et de la paresse, est appréhendé en tant que travaux de la sous-commission de la producti-


facteur d’action, évitant la dissipation stérile des vité de la main-d’œuvre et profiter des bonnes
forces physiques et des activités subalternes, mais dispositions américaines. Dirigé par Jean Fou-
favorisant par la même une activité maximum rastié, ce groupe se compose d’ingénieurs et
des facultés proprement dites. Toute une partie d’experts familiers du « modèle américain » qui
de l’ouvrage est reprise en 1951 dans Machinisme ont pris la mesure des contraintes internationa-
et Bien-être, ouvrage pour lequel Fourastié fait les et du retard économique français. Ils sont
des recherches en archives et dépouille les comp- non seulement chargés de concevoir un plan
tes du château de Versailles pour y trouver le prix national d’accroissement de la productivité,
des miroirs de la galerie des glaces 1. mais aussi d’organiser la visite en France de
James Silberman, expert américain du Bureau
Consommation et productivité of Labor Statistics (BLS) et conseiller de Paul
Alors que les « hommes du Plan » imposent Hoffman, administrateur de l’ECA. Au début
leur expertise en matière de productivité, ils de l’année 1949, Jean Monnet utilise ses pou-
deviennent, grâce aux réseaux démocrates et voirs réglementaires et législatifs, ainsi que ses
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rooseveltiens de Jean Monnet, les interlocu- pouvoirs « invisibles », pour créer un Comité
teurs privilégiés de l’Economic Cooperation provisoire de la productivité dirigé par Fouras-
Administration 2. Chargé de piloter le plan tié et chargé d’organiser l’envoi des premières
Marshall, l’ECA est désireux de promouvoir, à missions de productivité, conformément aux
travers les aides économiques à l’Europe, « un désirs de l’ECA et aux conclusions des experts
art du bon gouvernement économique » qui du groupe de travail. Après le démarrage labo-
repose sur une augmentation de la productivité rieux des premières missions et face à l’impa-
et une libéralisation des échanges dans un tience américaine grandissante, les Français
contexte de lutte contre le communisme 3. On finissent par créer en 1950 une Association fran-
assiste donc en 1948 à l’apparition d’un pro- çaise pour l’accroissement de la productivité
gramme franco-américain de modernisation (AFAP), « paravent 4 » destiné à recevoir les
fondé sur la notion de productivité. En témoi- subventions et à organiser les missions outre-
gne la réunion par Jean Monnet d’un groupe de atlantiques, et un Comité national de la produc-
travail sur la productivité, censé prolonger les tivité. Structure tripartite, le CNP est conçu
comme un terrain de rencontre entre les parte-
naires sociaux non communistes en proie à une
(1) Jean Fourastié, Machinisme et Bien-être, Paris, Éd. de « valse-hésitation » et les acteurs historiques de
Minuit, 1951. la rationalisation, avec lesquels le ministre des
(2) Sur le programme d’assistance technique mis en place
par l’ECA, voir Jacqueline McGlade, The Illusion of Consensus. Affaires économiques Robert Buron, impliqué
American Business, Cold War Aid and the Industrial Recovery of personnellement dans la croisade pour
Western Europe 1948-1958, Ph-D Dissertation, sous la dir. de
William H. Becker, Washington D. C., université George l’accroissement de la productivité, est très lié
Washington, 1995. depuis les années 1930.
(3) Gérard Bossuat, « Les États-Unis et le bon gouverne-
ment économique de la France au temps des aides », in Domi-
Le Comité national de la productivité créé par
nique Barjot, Isabelle Lescent-Giles et Marc de Ferrière le le gouvernement Bidault se compose notam-
Vayer (dir.), L’Américanisation en Europe au XXe siècle : économie,
culture, politique, Lille, Centre de recherche historique sur
ment d’une commission Consommation, com-
l’Europe du Nord-Ouest (CRHENO), 2002, p. 113-135. Du
même auteur, voir surtout La France, les États-Unis et l’unité
européenne, Paris, Comité pour l’histoire économique et finan- (4) Archives nationales, 81 AJ 208, lettre de Pierre Bize à
cière de la France (CHEFF), 1992, 2 vol. Rostislaw Donn, 20 février 1950.

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merce et qualité qui est dirigée par Paul Gros, Si plusieurs missions de productivité sont
directeur des approvisionnements à la SNCF et consacrées aux problèmes de la consommation
auteur de diverses études sur le rôle du consom- (qualité, différences de structures commerciales,
mateur dans l’économie. On trouve à ses côtés études de marché), toutes s’accordent sur la
diverses personnalités dont Pierre Benaerts, nécessité de faire naître la même logique d’inter-
délégué général du Conseil national du com- dépendance entre les acteurs du système com-
merce et du Centre d’étude du commerce, ou mercial en France qu’aux États-Unis, où les mis-
André Romieu, chef du bureau Consommation sionnaires ont découvert une « République de
et distribution à la Direction des programmes consommateurs 3 ». Si en avril-mai 1950, une
économiques 1. Cette commission doit étudier premier mission Distribution, dirigée par
les mesures propres à améliorer les services ren- Robert Catherine, retient du commerce améri-
dus aux consommateurs et à provoquer la baisse cain qu’il est l’auxiliaire efficace d’une produc-
des prix de vente. Elle est divisée en cinq groupes tion évoluée, les missionnaires sont aussi frappés
de travail 2. Le premier groupe, « Connaissance par la place et le rôle du consommateur, « clef de
de la demande », dont le rapporteur est voûte de l’économie des États-Unis 4 ». Une
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M. Brousse de l’Insee, doit réfléchir aux modali- autre mission Consommation privée, dirigée par
tés d’une meilleure appréhension de la demande ; André Romieu lui-même en 1952, étudie de
le second, « Connaissance des produits » dont le quelle manière l’économie américaine répond à
rapporteur général est Birle, président de la demande du consommateur : à son retour,
l’Afnor, a pour objectif d’étudier le problème de Romieu lance un appel en faveur de l’avènement
la demande en se plaçant du point de vue du con- d’un « gouvernement de consommateurs ». De
sommateur et ainsi « contribuer à orienter le son côté, Lucien Dufourq-Lagelouse, lui aussi
choix de ce dernier de façon plus rationnelle » ; membre de la mission, signale qu’aux États-
le troisième groupe, « Technique et méthodes Unis, « le consommateur se voit offrir ce qui lui
du commerce », dont le rapporteur est la direc- convient ».
trice du Centre d’études du commerce, analyse Ces missions, où les consommateurs brillent
les techniques de gestion, de vente, d’achat, les d’ailleurs par leur absence, ne manquent pas de
problèmes de personnel et d’installation ; le qua- heurter des conceptions sérieusement ancrées,
trième groupe, présidé par Jean Martin, prési- les Français étant habitués à considérer le mar-
dent du Comité de liaison production-com- ché comme un facteur presque statique et cons-
merce du Conseil national du patronat français a tant, largement déterminé par une population
pour objet la structure des circuits dont le niveau de vie n’évolue qu’avec beaucoup
commerciaux ; le cinquième groupe, enfin, a de lenteur 5. Jusqu’alors, dans cette optique, il fal-
pour but de s’interroger sur les rôles respectifs
des professions et des pouvoirs publics dans la
recherche d’une meilleure productivité au (3) Lizabeth Cohen, A Consumer’s Republic. The Politics of Mass
niveau de la distribution et de la consommation. Consumption in Postwar America, New York, Alfred A. Knopf,
2003.
(4) Commerce américain et productivité, rapport de la mission
d’étude des techniques commerciales américaines, Paris, PUF,
(1) Docteur en droit, partisan de l’organisation professionnelle 1951, p. 9.
dans les années 1930, André Romieu participe à la création de (5) Pour un bilan non exhaustif sur le marché intérieur fran-
l’Office des comités sociaux pendant la seconde guerre mondiale çais et ses logiques aux XIXe et XXe siècles, voir Jean-Claude
avant d’intégrer, en 1945, le ministère des Affaires économiques. Daumas, « De la production à la consommation : les logiques
(2) Comité national de la productivité, Actions et problèmes de du marché (France, XIXe-XXe siècles) », Historiens et Géographes,
productivité, Paris, Sadep, 1953, p. 28. 378, mai 2002, p. 165-173.

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RÉGIS BOULAT

lait bien davantage le protéger et le partager que pas partie du schéma développé jusque-là par
provoquer une dynamique pouvant lui assurer Jean Fourastié. Comment ce dernier analyse-t-il
une expansion soutenue. Il s’agit désormais de ces transformations ? Rejoint-il le courant de cri-
faire bénéficier autant le consommateur de la tiques diverses émanant de l’extrême droite, des
baisse des prix à la production que de faire béné- communistes ou des néocatholiques ? Fait-il par-
ficier la production d’un marché en expansion. tie de cette « cohorte de sémiologues ronchons
La connaissance de l’évolution structurelle de la qui dénoncent la rupture diabolique, traquent
consommation exige aussi de reposer sur des tous les symptômes de l’aliénation, s’emploient à
fondements rationnels. C’est pourquoi il devient contester ce quotidien normalisé, cette morale
indispensable de créer un organisme chargé utilitaire et ces satisfactions grégaires5 » ?
d’étudier l’ampleur du marché et l’élasticité de la
demande : le Centre de recherche pour l’étude et Consommation et civilisation
l’observation des conditions de vie. Le Credoc Dès le milieu des années 1950, alors que Jean-
connaît un démarrage un peu difficile, mais il Marie Domenach stigmatise dans la revue
publie rapidement des études sur la consomma- Esprit « une société de consommation semblant
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tion par produits ou sur les comportements des promettre à ses membres une acquisition sans
consommateurs avant de mettre en place, à par- limite 6 », Fourastié s’alarme lui-aussi d’un
tir de 1978, un dispositif d’enquête permanent excès permanent du désir sur les possibilités
sur les modes de vie et de consommation des réelles de consommation. Cet excès lui paraît
Français 1. révélateur des conceptions erronées du grand
public quant aux problèmes économiques et
Le « roi illusoire » sociaux contemporains et l’amène à accorder
Si la décennie 1945-1955 est celle de la recons- une importance croissante à l’enseignement
truction et de l’effort, « les fruits de la croissance « des bases essentielles » d’une culture écono-
conquérante sont encore, dans la vie quotidienne, mique. C’est ainsi qu’en 1954, dans le cadre
des fruits verts2 ». Il faut en outre attendre le d’un colloque international consacré à l’éduca-
milieu des années 1950 pour assister à un change- tion et aux problèmes de la vie quotidienne
ment des comportements sociaux : une civilisa- moderne, il est rapporteur des travaux de la
tion de relative pénurie économique « où la fru- commission « Problèmes économiques et
galité et la prévoyance, bref le report de la sociaux de la consommation » présidée par
satisfaction, étaient des vertus cardinales3 » fait l’économiste belge Léon Dupriez (1901-1986).
place à des valeurs et des comportements hédo- Cette commission diagnostique d’abord un
nistes, à une « course au bonheur 4 » qui ne fait décalage entre d’importants besoins de culture
générale en matière économique ou sociale, et
« la relative précarité » d’une science économi-
(1) Pour plus de détails, nous nous permettons de renvoyer à que classique au degré d’abstraction élevé et sa
Régis Boulat, « Jean Fourastié et la naissance de la société de tendance à dégénérer en doctrines politiques 7.
consommation en France », in Alain Chatriot, Marie-Emma-
nuelle Chessel et Matthew Hilton (dir.), op. cit., p. 98-114 ; et à
Alain Drouard, « Lieux et domaines de la recherche : le
Credoc », Bulletin de l’IHTP, 4, juin 1981, p. 9-14. (5) Ibid.
(2) Jean-François Sirinelli, op. cit., p. 81-88. (6) Jean-Marie Domenach, « Esprit nouvelle série », Esprit,
(3) Ibid. novembre 1957, p. 480.
(4) Jean-Pierre Rioux, « L’évolution de la consommation », (7) L’Éducation devant les problèmes de la vie quotidienne
in Jacques Marseille, Puissances et faiblesses de la France indus- moderne, Sèvres, Centre international d’études pédagogiques,
trielle XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1997, p. 253-275. 1954, p. 15.

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JEAN FOURASTIÉ

Relayant ainsi les idées développées par Jean rastié craint qu’ils ne soient les dupes d’une
Fourastié depuis 1944 relatives à la sclérose de confusion entre consommation et civilisation :
l’économie politique française et sa nécessaire « Il est possible que la consommation de masse
rénovation par de nouveaux objets et de nouvel- soit la condition inéluctable de la civilisation
les méthodes, la commission examine quels des masses ; elle n’en est pourtant nullement ni
sujets pourraient être introduits dans les pro- le signe, ni le moyen 4 . »
grammes et quels pourraient être la méthode et Sa participation aux travaux de la Commis-
les moyens d’enseignement 1. sion 1985 censée éclairer les orientations du
Il faut attendre le début des années 1960 pour Cinquième Plan lui donne l’occasion d’appro-
trouver une condamnation explicite de ce que fondir cette réflexion. D’après les instructions
Fourastié appelle, non une société, mais une officielles de Pierre Massé, elle est chargée
« civilisation de consommation ». Il perçoit d’étudier, « sous l’angle des faits porteurs
comme un mauvais signe que cette dernière d’avenir », ce qu’il serait utile de connaître de la
expression soit devenue usuelle car « dans leur France de 1985. Présidée par Pierre Guillau-
sens profond », ces deux termes « jurent entre mat 5, on y trouve notamment Bertrand de Jou-
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eux : le second élément dément le premier » 2. venel, Claude Gruson, Eugène Claudius-Petit,
Selon Fourastié, la consommation désigne selon les termes de Fourastié, « des hommes
« l’emploi avec distinction », c’est-à-dire d’action ». Le groupe se réunit une vingtaine de
« utiliser, user ». Dès lors, il ne peut concevoir fois entre janvier 1963 et février 1964 en pré-
qu’une civilisation se réduise à l’un de ses fac- sence de Massé, qui suggère à Guillaumat de
teurs secondaires, un de ses éléments matériels : charger Bernard Delapalme d’être rapporteur
« Que la consommation soit l’un des traits de la général. Les discussions sont à chaque fois cen-
civilisation, voilà qui n’est pas contestable ; trées sur un sujet particulier, dont les grandes
mais que ce trait en vienne à être considéré lignes sont exposées par une personnalité le
comme dominant au point de caractériser la plus souvent extérieure au groupe, comme Ray-
civilisation du moment, voilà qui est bien mond Aron pour les problèmes de structures
fâcheux », surtout lorsqu’il s’agit d’une con- économiques, ou les statisticiens Jacques Desa-
sommation avant tout matérielle, « sans action bie, Georges Rottier et Jacques Delors – qui fait
intellectuelle, sans effet de promotion à la liaison avec le Plan où il est alors responsable
l’échelle des valeurs de la vie » 3. Jean Fourastié des affaires sociales – pour les problèmes de
considère donc que le temps passé à consom- consommation. Le rapport Réflexions pour 1985,
mer est pris sur le « temps de vivre » et redoute tiré à plus de cent mille exemplaires (le projet
que la croissance indéfinie des besoins matériels initial était de trois cents exemplaires, réservés
retarde indéfiniment le temps des loisirs (au au personnel du Plan), paraît fin 1964. Il a un
sens étymologique du terme) et de la réflexion. certain retentissement et quelques conséquen-
Sans condamner les paysans ou les ouvriers qui ces 6. Si la commission reconnaît que, tout en
achètent à crédit tracteurs et automobiles, Fou-

(4) Ibid.
(1) Ibid. (5) Sur Pierre Guillaumat, voir Georges-Henri Soutou et
(2) Service des archives économiques et financières (SAEF), Alain Beltran (dir.), Pierre Guillaumat. La passion des grands pro-
5 A 136, « Civilisation et consommation », conférence faite jets industriels, Paris, Institut d’histoire de l’industrie-Rive
devant l’Association internationale des journalistes féminins, Droite, 1995.
1963. (6) Réflexions pour 1985, Paris, La Documentation française,
(3) Ibid. 1964.

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RÉGIS BOULAT

s’associant à un déplacement vers la qualité, la La consommation, « variété la moins noble


consommation de masse peut engendrer « un de l’instinct de progrès »
climat de bien-être accru » susceptible d’atté- Jean Fourastié utilise les travaux de la Commis-
nuer les tensions et transformer une société des sion 1985 pour les Quarante Mille Heures,
besoins en une « société d’expression, signe de ouvrage qui paraît en 1965, année où le roman
liberté » 1, elle insiste aussi sur la nécessité de sociologique de Georges Perec, Les Choses,
guider, dans une certaine mesure, les choix du obtient le Prix Renaudot. Il s’y fait l’écho d’une
consommateur, en empêchant par exemple question posée par certains de ses étudiants
« un trop grand souci de satisfaction à court l’année précédente : « Vous étiez naguère opti-
terme (la voiture contre le logement) », en limi- miste, vos livres Le Grand Espoir, La Civilisation
tant les influences de la publicité, en assurant la de 1975 le prouvent ; vous l’êtes beaucoup moins
formation des individus considérés comme dans vos cours aujourd’hui. » Or, pour Fouras-
consommateurs, en rendant mieux perceptible tié, ce sont « ses clients » qui ont changé 4 .
le coût des infrastructures nécessaires 2. Les À partir de 1945, constatant que son client
« hommes d’action » de la commission souli- « était sain, jeune et vigoureux », Fourastié avait
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gnent également que le consommateur est vic- développé l’idée que l’économie européenne
time d’un mythe : loin d’être un citoyen exer- pouvait croître fortement, que le progrès techni-
çant pleinement sa souveraineté, il n’est qu’un que était la clef directe du progrès économique
« roi illusoire » tant que ses pratiques ne et social. Si l’homo economicus des années 1940 est
s’accompagnent pas d’une éducation et d’une un « client guéri » qui n’a plus besoin de ses
discipline de décision. Il faut donc lui offrir des soins, l’homme du début des années 1960, qui
choix qui soient de vraies décisions, au lieu de commence à ressentir moins durement les pro-
faire de lui un « roi dérisoire » : « Aujourd’hui, blèmes de rationnement, de consommation et
les décisions lui échappent, les choix qu’il de production, refuse de leur sacrifier d’autres
exprime par la dépense s’exercent sur des cartes préoccupations. « Au fur et à mesure qu’il
truquées par les producteurs et la publicité. » s’habitue à sa consommation croissante, l’homme
La télévision est d’ailleurs perçue comme le prend conscience de la nouveauté que la vie cou-
meilleur moyen de préparer la mise en place de rante et la publicité lui révèlent chaque jour, des
structures de décision qui soient aussi des struc- nouveautés antérieurement inimaginables
tures de participation des consommateurs : deviennent très vite des besoins âprement
« Organiser un débat associant largement le désirés 5 » et, pour le sentiment populaire, la
public à l’appréciation de divers modèles de consommation est désormais de la liberté expri-
genre de vie figurés par des pays étrangers mée en dépense, un domaine où le citoyen croit
pourrait contribuer à former les consomma- exercer sa souveraineté. Fourastié dresse donc le
teurs, en les aidant à formuler un jugement sur portrait d’un « nouvel homo economicus » dont le
leur environnement et sur l’avenir qu’ils imagi- trait essentiel est l’avidité. Il voit dans la crois-
nent pour leurs enfants. » 3 sance indéfinie des besoins humains ce qui
donne à la société française ses caractères pré-

(4) Jean Fourastié, Les Quarante Mille Heures, Paris, Laffont-


(1) Ibid., p. 11. Gonthier, 1965, p. 22 sqq.
(2) Ibid., p. 18. (5) Conférence de Jean Fourastié aux Semaines sociales de
(3) Ibid., p. 63. Dijon en 1951.

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JEAN FOURASTIÉ

pondérants et conditionne très fortement la surface de contact avec l’extérieur s’accroît 3. »


société de demain. Toutes les enquêtes de Ces besoins marginaux, représentés par une
consommation réalisées dans les pays progres- couronne sphérique de volume toujours crois-
sifs semblent confirmer cette croissance indéfi- sant, se différencient en nature au fur et à
nie. Les besoins augmentent lorsque le niveau de mesure de leur développement. Cette abon-
vie s’élève : « Aucune limite, aucune lassitude de dance et cette diversité aboutissent à des cas
l’appétit de consommation, ne s’est jamais laissé aberrants, « dont le spectacle de la rue nous fait
déceler sur les statistiques, quelle que soit quotidiennement les témoins et dont je tire un
l’importance des revenus dépensés 1. » Pour Jean exemple, entre mille, d’un récent hebdoma-
Fourastié, il est essentiel de cerner la significa- daire : “Vernis à ongle pour chien, couleur
tion de cet appétit de consommation, trait si assortie à celui de sa maîtresse”. » La publicité,
important du caractère économique de l’homme le snobisme, la mode et le mauvais goût sem-
et qui remet en cause la personnalité humaine blent se conjuguer avec l’orgueil humain pour
toute entière : « Cet appétit indéfini de consom- coucher sur la liste des besoins des articles que
mer est un aspect particulier de cet instinct pro- Fourastié juge personnellement absurdes, voire
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fond de l’être humain qui le porte à ne pas se scandaleux et nocifs. Pour autant, il est cons-
contenter des résultats acquis, à progresser, à se cient du danger de confier « à de tout-puissants
dépasser, non seulement dans le domaine éco- moralistes le pouvoir de fixer cette liste » car,
nomique, mais aussi dans les domaines techni- en définitive, c’est l’homme moyen qui doit lui-
que, scientifique, esthétique… » Fourastié voit même, peut-être après une période « d’expé-
dans cet appétit de consommation « l’une des riences désordonnées, fixer son échelle de
variétés les moins nobles de cet instinct de valeur » 4 . Ainsi, l’homme oriente sa consom-
progrès » 2. mation à l’intérieur des limites de ses revenus
Dans un chapitre consacré à la condition et, par-delà, oriente la société. Ces choix cau-
humaine en transition, Jean Fourastié compare sent des anxiétés, des regrets, et affectent la
les besoins de l’homme à une série de sphères de consommation croissante qui, en retour, influe
rayon croissant : « Le volume de la sphère sur la production. Jean Fourastié ne voit toute-
représente les besoins satisfaits, donc le niveau fois pas dans cette croissance indéfinie des
de vie ; la surface les besoins subsistants. Au fur besoins « un trait aberrant que l’on puisse aisé-
et à mesure que le rayon de la sphère augmente, ment contrecarrer », car elle forme avec le
le volume des besoins satisfaits augmente, mais besoin d’autonomie et d’« originalité biologi-
les besoins subsistants, loin d’être réduits que » un « complexe vital qui pousse la société
d’autant ne cessent eux-même de croître. Et au développement et à la diversification » 5.
c’est l’élévation même du niveau de vie qui les
fait croître, car l’homme développe concurrem- La fin du Grand Espoir ?
ment ses aptitudes, sa personnalité, sa curiosité, Lorsque Jean Fourastié s’interroge, tout au long
son information sur ce qui est possible ; ce sont des années 1960, sur le désespoir réel ou appa-
en somme les capacités d’échanges et de contact
avec le milieu extérieur qui s’accroissent, de
même que plus une sphère est grosse, plus sa (3) Ibid., p. 182. Cette comparaison est reprise dans Jean et
Jacqueline Fourastié, Jean Fourastié entre deux mondes, op. cit.,
p. 135-136.
(1) Jean Fourastié, Les Quarante Mille Heures, op. cit., 1965. (4) Jean Fourastié, Les Quarante Mille Heures, op. cit., p. 183.
(2) Ibid. (5) Ibid., p. 39 et 42.

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RÉGIS BOULAT

rent d’une partie de plus en plus grande de la l’œuvre de Keynes, seules quelques pensées sim-
population (la jeune génération en particulier) ples et incomplètes, ont été effectivement rete-
pour laquelle l’abondance n’a pas engendré la nues. Cette vulgate s’articule autour des idées de
satisfaction, le « grand espoir » semble avoir dis- la division tripartite des activités, de la producti-
paru. Avec Raymond Aron, on peut néanmoins vité, des prix réels, faisant l’impasse sur la civilisa-
se demander s’« il a jamais été partagé par les tion tertiaire et son « homme nouveau », sur les
masses 1 ». De l’aveu même d’Aron et de Fouras- réserves formulées par Fourastié, dès le milieu
tié, leur « grand espoir » désignait « la transfor- des années 1950, quant au développement inquié-
mation de la psychologie nationale grâce à la tant d’une « civilisation de consommation ».
modernisation de l’économie » : « Nous gar- Ainsi, il se retrouve naturellement au banc des
dions le souvenir des années 1930, des erreurs accusés au lendemain des événements de Mai 68,
commises, du déclin tragique de notre écono- qui accordent « tous les esprits ou presque » sur
mie, nous mettions notre confiance dans ce la « société de consommation ». Pierre Kende et
qu’on appelle expansion ou croissance. » 2 Or, d’autres partisans d’une consommation « ra-
après les événements de Mai 68, Aron a le senti- tionnelle » critiquent dans un numéro spécial
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ment que le progrès économique en lui-même d’Esprit « les adeptes trop enthousiastes de quel-
« n’éveille pas la foi qui soulève les montagnes » : ques auteurs anglo-saxons plus ou moins bien
« Pour éveiller une telle foi, il semble que les compris 4 », qui ont vulgarisé l’idée « d’une mar-
Français exigent en plus l’idée d’un homme nou- che irrésistible vers le bien-être généralisé grâce
veau, même si cette idée amène avec elle terro- aux révolutions industrielles provoquées par le
risme et délire. » D’où sa question : y-a-t-il eu en capitalisme et qui ont porté la productivité du tra-
France un grand espoir partagé par les masses, vail humain à un niveau sans précédent5 ». Pour
par les intellectuels ? Et qu’en reste-t-il 3 ? Plu- le sociologue hongrois disciple d’Aron, grâce au
sieurs raisons profondes expliquent, selon Ray- progrès technique et à la croissance économique,
mond Aron, que l’efficacité en tant que telle ne le capitalisme moderne a dépassé le problème de
suscite pas un « grand espoir » : la rationalité la répartition, « problème social par excellence »,
demeure toujours subordonnée au but, condi- pour lui substituer celui « purement éco-
tionnel, limité et l’efficacité recrée perpétuelle- nomique » de l’accroissement des richesses.
ment la pénurie. Mythe franchement positif, la « société de
Cette question de la postérité du Grand Espoir consommation » a vocation à l’abondance géné-
dissimule, en fait, un autre problème plus vaste : ralisée. Or Pierre Kende conteste, non la réalité
qu’ont retenu l’opinion publique et les intellec- du progrès technico-économique, mais « l’af-
tuels des essais économiques et des théories de firmation d’un rapport quasi automatique
Fourastié qui voient le jour à la fin des années entre progrès et bien-être général » et formule
1940 ? Visiblement, comme dans le cas de trois critiques. La première consiste à faire
remarquer que la répartition des richesses est dis-
symétrique et laisse subsister d’importants îlots
(1) Raymond Aron, Louis Armand, Wilfried Baumgartner de pauvreté. La seconde critique concerne le
et Jean Fourastié, La France dans la compétition économique. Qua- mythe même du « progrès », soupçonné de rele-
tre débats à l’Académie des sciences morales et politiques, Paris, PUF,
1969, p. 106-109.
(2) Ibid., p. 107.
(3) Les ouvrages de Fourastié qui paraissent à la fin des (4) Colin Clark, très certainement.
années 1940 mettent bien l’accent sur un « homme nouveau » (5) Pierre Kende, « Mythes et réalités de la société de
caractéristique d’une civilisation tertiaire. consommation », Esprit, décembre 1969, p. 849.

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JEAN FOURASTIÉ

ver pour une large part de ce que d’aucuns appel- de « vanité triste » pour caractériser l’état des
lent « les mirages de la comptabilité ». La troi- hommes « qui ne sont pas heureux dans le
sième et dernière critique adressée aux thèses monde moderne » 3. Il considère que l’homme
« fourastiennes » de l’abondance renvoie au pro- revendique trop vivement son droit aux besoins
blème des besoins : Kende dénonce « une spirale nouveaux, risquant de déclencher de dures lut-
vicieuse », une « perpétuation dynamique des tes sociales : « Du moment que l’autre possède
différences » 1. quelque chose, je dois l’avoir. La télévision, les
médias, le spectacle de la rue font que les moin-
La pensée de Jean Fourastié évolue considé- dres citoyens, les plus éloignés du centre du
rablement au cours des Trente Glorieuses, qui progrès, connaissent les avantages des autres :
font passer « et Douelle et la France » de la automobiles, télévision, magnétoscopes, voya-
« pauvreté millénaire, de la vie végétative tradi- ges lointains et pensent qu’ils doivent avoir
tionnelle aux niveaux et aux genres de vie cela 4 . » 5
contemporains ». Tout en ne reniant pas ses
essais économiques antérieurs pour le grand
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public, Fourastié fait malgré tout figure de pro-
phète repenti, s’alarmant des « multiples crises Attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER)
à l’université de Franche-Comté, Régis Boulat prépare une
du temps présent » et annonçant la « fin des
thèse sur Jean Fourastié, la productivité et la modernisation
temps faciles » 2. À la suite de Stendhal et de de la France (des années 1930 aux années 1950) sous la direc-
René Girard, il emploie désormais l’expression tion de Jean-Claude Daumas.

(1) Cette troisième critique résume en fait un article de


Kende paru dans la revue Diogène en 1968. Voir Pierre Kende, (3) Jean et Jacqueline Fourastié, Jean Fourastié entre deux
« Libertés et contraintes de la société productiviste », Diogène, mondes, op. cit., p. 304.
63, juillet-septembre 1968, p. 3-30. (4) Ibid., p. 136.
(2) Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses ou la révolution invisi- (5) L’auteur tient à remercier Sophie Chauveau, Jean-
ble de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979. Claude Daumas et Alain Chatriot pour leurs conseils.

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