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Du « conglomérat » à la « nébuleuse »
communiste
Axelle Brodiez-Dolino
Dans Académique 2006, pages 183 à 208
Éditions Presses de Sciences Po
ISBN 9782724609859
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
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Chapitre 10
DU « CO N G L O M ÉR A T »
À LA « NÉBULEUSE » COMMUNISTE
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É
lu secrétaire général en 1955 et depuis lors constamment au
pouvoir, Julien Lauprêtre semble avoir joué un rôle fonda-
mental – et le revendique comme tel – dans l’ouverture au
domaine social comme dans la « rupture du cordon ombilical » reliant
l’association au parti :
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stratégies divergentes le mécanisme central et inéluctable de
régulation de l’ensemble 2. »
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réaction produite. Cette évolution est enfin replacée dans le cadre plus
général de la nouvelle « nébuleuse », pour mesurer l’éventuelle origina-
lité de l’évolution de l’association et la redéfinition de ses rapports avec
les autres organisations.
PCF et redéfinition
du conglomérat originel (1954-1957)
Durant la période 1945-1955, les appels au militantisme dans les
organisations de masse étaient récurrents, mais sans réflexion spéci-
fique. De fait, en 1944-1947, la situation était au beau fixe et les masses
affluaient ; inversement, de septembre 1947 à 1953-1954, la très grande
fermeture et le discours virulent ont rédhibitoirement entravé, sauf
exception du type Campagne Henri Martin, toute velléité d’attraction au
communisme d’éléments qui ne soient déjà convaincus. La conception
qui prévalait alors était celle, léniniste, d’organisations de masse tenues
par les communistes et pour le communisme, dans un plurimilitantisme
à visée prosélyte. Or le contexte évolue à partir de 1954, après la mort
de Staline puis avec la guerre d’Algérie, conduisant le PCF à mener une
politique de main tendue aux socialistes et aux chrétiens, et à tenir des
discours plus ouverts. Dès juillet 1954, des réflexions sont menées sur la
nature du lien entre organisation matricielle et de masse, tantôt d’ordre
général, tantôt appliquées à des cas spécifiques. La nécessité du pluri-
engagement est réitérée : « sur la base d’exemples précis, souligner dans
France-Nouvelle la nécessité pour les communistes de participer plus
largement au travail des organisations de masse » (mars 1955) 3 ; « par
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F a i b l e s se s i n h é r e n t e s
à l a c o n c e p t i o n t r a d i t i o n n e ll e
Le conglomérat est alors perclus de dysfonctionnements, souvent
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exacerbés par la spécificité du contexte de guerre froide, mais pour
certains structurels. Ainsi, la logique de « courroie de transmission »
fait-elle du parti l’instance d’où partent les décisions et les moyens,
notamment humains (militants et cadres), aboutissant à une dépendance
quasi-totale des organisations satellites :
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La nécessité de réformer semble patente sur le terrain. C’est dans ce
cadre de difficultés structurelles et de mutation conjoncturelle que le
PCF entame un aggiornamento dans sa conception des relations
internes au conglomérat.
U n p r o g r a m m e e n c in q i d é e s - f o r c e s
La conception défendue tient en cinq idées-forces, les trois premières
mettant en avant la liberté et l’ouverture des organisations de masse, les
deux dernières en posant les limites.
La première : les organisations de masse doivent être laissées libres et
la prise de décision interne aussi autonome que possible : « Faire
respecter la démocratie et la direction collective afin que les organismes
élus (bureau et comité national) prennent seuls les décisions et partici-
pent effectivement à la direction et au travail de l’association […]. Créer
les conditions permettant d’obtenir une direction plus large et plus
effective » (juillet 1954) 7 ; « Le parti n’intervient pas en tant que tel dans
la vie et l’action quotidienne des organisations et mouvements de masse
[…]. Le respect de l’indépendance des organisations et mouvements de
masse, le respect de leurs statuts et de leur programme n’est pas une
clause de style pour les communistes. Ils considèrent cela comme une
nécessité » (mai 1957) 8. Mais cette directive prévaut toujours dix ans
plus tard, suggérant soit une non-application, soit un retour en arrière
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diverses, un nombre plus grand de personnes de toutes conditions
sociales, d’opinions politiques différentes […]. Demander aux commu-
nistes qui participent à la direction nationale de créer les conditions
pour la direction collective, et d’établir des liens de collaboration frater-
nelle avec les non-communistes qui collaborent à cette direction »
(novembre 1954) 10 ; « recommander aux camarades qui sont à la direc-
tion de l’ARAC de s’efforcer, lors du prochain congrès, d’élargir la
composition politique de la direction nationale » (novembre 1955) 11 ;
« l’UFF est une organisation de masse démocratique, qui tend à rassem-
bler largement toutes les femmes sans distinction de croyance ou
d’opinion » (février 1956) 12.
Troisième idée, ces organisations ne doivent pas prendre de positions
politiques trop larges, mais en rester à leur propre terrain : « [France-
URSS] n’est pas destinée à faire de la propagande en faveur du socia-
lisme […], son activité a pour objet de développer les connaissances
ainsi que les sympathies pour l’URSS » (mai 1955) 13.
Pourtant, quatrième idée, si les organisations de masse sont libres et
ouvertes, elles n’en restent pas moins contrôlées par le parti, qui se
donne pour « devoir » d’« aider » les dirigeants à avoir une « juste »
orientation : « aider les communistes qui travaillent dans les organisa-
tions de masse à avoir une juste orientation politique […], ce qui
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Ce condensé des principales directives entérinées en secrétariat ou en
bureau politique montre que la ligne est fixée et stabilisée entre
juillet 1954 et mai 1957, qui constitue donc la période charnière. En
1957, se joue le dernier grand acte de la fixation théorique, lors du
comité central des 14-16 mai. Selon Marcel Servin, « l’état des organisa-
tions de masse autour du parti n’est pas pleinement satisfaisant », même
si des progrès ont été faits par rapport à l’avant-guerre. Ces organisa-
tions constituent un enjeu, tant comme lien entre le parti et les masses
que dans la concurrence que se livrent socialistes, communistes voire
radicaux pour le contrôle de certaines ; les fédérations, sections et
cellules du parti doivent donc s’en sentir responsables, les aider et leur
fournir des cadres solides, et les camarades doivent surmonter leurs
« réticences » à y accepter des responsabilités. Car « avec les masses on
peut beaucoup, sans les masses on ne peut rien ». Maurice Thorez lui-
même confirme les principes fixés depuis 1954 : France-URSS est criti-
quée pour « la volonté hégémonique de sa direction » d’agir sur tous les
problèmes au lieu de se consacrer à promouvoir l’URSS ; il est reproché
aux organisations de masse de trop s’appuyer sur les communistes pour
fonctionner ; les militants ne doivent pas confondre parti et organisa-
tions de masse, mais doivent travailler, dans celles-ci, à diffuser le
communisme, et le PCF doit y avoir un rôle moteur.
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plus lâche, destinée à élargir le filet et les prises, n’est cependant qu’une
impulsion décisionnelle et nécessite la présence, à la tête des différentes
organisations, de communistes ayant saisi la subtilité du nouvel
équilibre politique à instaurer et capables de le mettre en œuvre.
U n e « c a r r i è r e 18 » m ili t a n t e
Né le 26 janvier 1926 dans le 12e arrondissement de Paris, ses
grands-parents sont d’origine paysanne et ses deux parents montés à
Paris pour trouver du travail. Son père, Jean Lauprêtre, ressort de la
Grande Guerre pacifiste et syndicaliste ; cheminot, il adhère à la CGTU,
lors de la scission syndicale puis, en février 1926, au PCF. Résistant de
la première heure, il poursuit son engagement après guerre en cumulant
des fonctions syndicales, de conseiller municipal de Paris et de
conseiller général de la Seine, puis de responsable national à l’Union
des vieux de France. Julien, son fils unique, se souvient avoir baigné
dès l’enfance dans la socialisation politique, entre les manifestations et
les réunions animées au domicile paternel. À l’été 1936, il part avec le
Secours ouvrier international (SOI) en colonie à l’Ile-de-Ré, où sont
également accueillis des enfants de républicains espagnols, et où il
rencontre une fillette qui deviendra en 1947 sa femme.
18. Nous usons évidemment de ce terme dans son sens sociologique. Voir
Howard S. Becker, Outsiders. études de sociologie de la déviance, Paris,
Métailié, 1985.
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centrale de la jeunesse et devient responsable national. Il s’engage contre
la guerre d’Indochine, créant pour sensibiliser les jeunes recrues l’Associa-
tion parisienne des amicales de conscrits puis son pendant national. En
dépit de la faiblesse du salaire proposé, alors qu’il a déjà trois enfants, il
accepte en 1951 de devenir permanent du parti, comme secrétaire du
député de Paris Raymond Guyot, puis passe fin 1953 par l’École centrale
de quatre mois.
À sa sortie, il est affecté au Secours populaire, mutation qu’il juge
dégradante et vit avec amertume et déception. De fait, fils d’un respon-
sable communiste engagé dès la première heure et élu du parti, lui-même
ancien résistant resté fidèle durant les heures sombres de la guerre froide,
ancien dirigeant national de l’UJRF puis secrétaire d’un député membre
du bureau politique, ayant même été proposé pour relever son père
comme conseiller municipal de Paris, puis fait l’École centrale de quatre
mois, il paraît confortablement installé sur une pente ascensionnelle et ne
comprend pas cette affectation perçue dans l’ensemble du conglomérat
au mieux comme peu prestigieuse, au pire comme franchement dégra-
dante. Cette mutation répond pourtant vraisemblablement au souci du
parti, depuis 1953, de réhabiliter la petite association très écornée ; placer
un ténor à sa tête aurait été considéré comme une incontestable mise au
placard, mais dans le cas d’un jeune cadre, aux conceptions ouvertes déjà
perceptibles, elle semble avoir surtout fonction de probation.
19. Geneviève Poujol, Des élites de société pour demain ?, Ramonville, Érès,
1996.
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sous cet angle, la situation à son arrivée en 1954 s’éclaire d’un jour
nouveau : l’association est petite, perçue comme sectaire ; ses actions,
sans dimension sociale, sont exclusivement politiques et partisanes ; ne
s’y trouvent que des communistes, l’union et l’ouverture ont disparu. Aux
antipodes en somme de l’image qu’il pouvait en avoir.
Tirant les leçons de l’organisation chétive dont il hérite et de son expé-
rience à l’UJRF, il postule qu’une organisation « de masse » ne saurait être
efficace qu’en étant ouverte aux non-communistes, sous peine d’être
coupée desdites « masses », de n’être qu’une sous-section à spécialisation
fonctionnelle du parti et de tomber dans l’étroitesse. Il se saisit alors plei-
nement des nouvelles directives du parti, mais va jusqu’à revendiquer,
selon ses propres termes, une « rupture du cordon ombilical » mettant fin
à l’inféodation inconditionnelle. Il récuse tout prosélytisme et prône
l’apolitisme, pour le respect des opinions de chacun :
« Bon, j’ai mes opinions : j’ai été plus de trente ans membre du
comité central du parti communiste, donc je suis communiste ; mais
je n’ai jamais confondu les casquettes. Tu n’as personne dans toute
l’histoire du Secours qui dira : “Oui, mais un jour il nous a dit…”
Non, non, non. Moi, quand j’étais au Secours populaire, j’étais au
Secours populaire. Et j’ai toujours défendu cette thèse que le curé
qui est au Secours populaire n’est pas un représentant de l’Église, le
pasteur n’est pas représentant de son Église, le communiste n’est pas
représentant du parti communiste, le socialiste… Bon. Et c’est ça qui
a tout changé, tu vois ; c’est une nouvelle notion. C’est vraiment une
association qui n’est ni traversée, ni conduite, par des idées hors
solidarité. Nous, on fait la solidarité, point final […]. Mais je n’ai
jamais rien fait qui soit en contradiction avec mes idées 20. »
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soit relativement peu suivi. Le parti veille à conserver pour l’organisa-
tion des cadres compétents 21 et pense de surcroît à faire dans sa presse
la promotion de son organisation. Il envoie toujours des représentants
et des messages de sympathie lors des congrès : Henri Martin, Léon
Feix, Victor Joannès et Waldeck l’Huillier en 1955, puis Camille Vallin
porteur d’un message de François Billoux en 1957.
Le tournant a lieu début 1959. Le 4 février, Julien Lauprêtre est
convoqué au secrétariat du parti. Il expose sa conception, mais en
ressort persuadé de s’être heurté à un mur :
« Et alors par rapport au parti, une fois j’ai été les voir, j’ai été reçu
par le secrétariat du parti, Maurice Thorez devait être encore malade
ou je ne sais pas. J’ai expliqué au secrétariat du parti que le Secours
populaire ne grandirait jamais si à chaque fois qu’il avait l’occasion
de se développer on créait autre chose ; puisque c’était la maladie
infantile : à chaque fois qu’il y avait un événement, on créait un
comité. J’ai vu qu’ils levaient les yeux au ciel […]. J’ai été voir le res-
ponsable des organisations de masse, Victor Michaut, et j’ai dit à
Victor Michaut : “moi j’abandonne”. Il m’a dit : “ah non, ne fais pas
ça, c’est toi qui as raison”. Je dis : “ben attends, je ne vais pas avoir
raison contre le secrétariat du parti”. Il a dit : “c’est toi qui as
raison 22”. »
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1959, les archives du PCF témoignent ensuite de six autres directives
venant dans l’intervalle confirmer celle du 4 février 24, ce qui est
exceptionnellement important.
Le ciel n’est pour autant pas totalement serein. Julien Lauprêtre
récuse en effet les injonctions du parti, lorsqu’il les juge contraires à ses
conceptions, refusant notamment rapidement de participer aux meetings
ne comprenant que des intervenants communistes ou de signer les péti-
tions à caractère partisan, ou de se rendre aux convocations du secréta-
riat du parti lorsqu’il les juge abusives. Ainsi, suite au congrès national
de 1961, dont les orientations avaient été préalablement avalisées :
« La règle était… depuis les années 1960, j’ai arrêté avec ça. Le
congrès se préparait, j’allais voir la direction du parti et je leur
disais : “voilà ce que j’envisage comme orientations”. Et quant à la
direction, je mettais “NC” quand c’était un non communiste, pour
bien montrer les efforts que je faisais pour qu’il y ait des non
communistes qui participent à la direction. Ils me voient la veille du
congrès de Marseille, ils me disent : “c’est formidable, c’est bon tu
peux y aller, si tu réussis ça c’est formidable”. C’était les premières
années, c’était le troisième congrès où j’étais élu, j’essayais de faire
avancer la ligne pour s’occuper aussi des gens malheureux et tout
ça. Je reviens du congrès, ça s’était bien passé ; je reçois un coup de
téléphone du secrétariat de Raymond Guyot qui me dit : “Ben dis
donc, qu’est-ce qu’il s’est passé à ton congrès ? Ça ne va pas du tout,
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il faut que tu viennes nous voir”. Alors là, j’ai refusé d’aller à une
convocation […]. Pourquoi il y a eu ça ? Parce que le secrétaire fédé-
ral du parti des Bouches-du-Rhône, il s’appelait Lazzarino 25, avait
fait un rapport en disant qu’il ne comprenait rien du tout à l’orienta-
tion du Secours populaire. Je ne sais même pas s’il ne disait pas qu’il
y avait des vagues anticommunistes… enfin que ça ne correspondait
pas du tout à la politique du parti. Ils reçoivent donc son rapport, et
ils veulent me convoquer pour que je m’explique. Et là, j’ai refusé
d’y aller. J’ai dit : “Non, ça je n’y vais pas. Moi j’ai fait les choses en
règle avec vous 26”. »
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Le Secours populaire accepte donc la tutelle, mais récuse la sujétion.
Et l’épisode du rapport de Lazzarino montre combien cette nouvelle
ligne suscite des interrogations. À aucun moment pourtant, une archive
nationale du PCF ne remet Julien Lauprêtre en cause, et il a dans son
entreprise d’ouverture jusqu’à l’appui de Maurice Thorez. Lors du
congrès de 1963, ce sont des « grandes pointures », Raymond Guyot
(bureau politique) et Waldeck Rochet (secrétaire général adjoint), qui
envoient des messages de sympathie. En 1964, après neuf ans de proba-
tion et des résultats patents, Julien Lauprêtre est proposé comme
suppléant au comité central, puis titularisé en 1968.
Le SPF au regard
des autres organisations de masse
La proposition de Julien Lauprêtre au comité central, incontestable
promotion, fut probablement également un moyen de s’assurer du
maintien du Secours populaire dans le giron du parti, voire de tenter la
greffe de résultats exceptionnels. L’approche par les chiffres montre en
effet une forte croissance de l’ensemble des organisations de 1945 à
1947, puis une décrue plus ou moins drastique – le premier étiage se fait
entre 1951 (Secours populaire), 1953 (PCF, FSGT, UFF) et 1955 (CGT) – ;
le Secours populaire et la FSGT reprennent ensuite une courbe durable-
ment ascendante, tandis que le PCF et la CGT connaissent un second
25. Membre du comité central, mandaté par le secrétariat du PCF pour assister
au congrès du Secours populaire et en faire le rapport.
26. Entretien avec Julien Lauprêtre du 19 août 2003.
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Les pentes des courbes montrent d’abord que, hormis l’UFF, les orga-
nisations de masse ont proportionnellement une décrue moins forte que
celle du parti et qu’elles surmontent la crise plus rapidement. Les situa-
tions n’en sont pas moins très hétérogènes et, le monde communiste repo-
sant en partie sur l’émulation, on se priverait d’éléments d’explication si
27. Sources : pour le PCF, Philippe Buton, « Les effectifs du Parti communiste
français (1920-1984) », Communisme, 7, 1985, et « Le Parti communiste
français depuis 1985, une organisation en crise », Communisme, 18-19,
1988 ; pour la CGT (chiffres toujours divisés par 10), Guy Groux et René
Mouriaux, La CGT, crises et alternatives, Paris, Économica, 1992 ; pour la
FSGT, Marianne Borel, Sociologie d’une métamorphose : la FSGT, entre
société communiste et mouvement sportif (1964-1992), thèse de sociologie,
IEP de Paris, octobre 1999.
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tions différentes.
Les deux grandes perdantes sont l’UFF, longtemps dirigée par
Jeannette Vermeersch, et le Mouvement de la paix, deux organisations
fortement soumises au parti.
Le Mouvement de la paix est alors dirigé par André Souquières.
Violemment rappelé à l’ordre, lors du comité central de janvier 1961
pour son positionnement sur le référendum sur l’autodétermination de
l’Algérie (le PCF appelait à voter NON et le Mouvement de la paix était
perçu comme ayant, en des termes très ambigus, suggéré de voter
OUI) 28, en pleine intrication avec l’affaire Casanova-Servin, le Mouve-
ment est ensuite dompté et constitue, durant la guerre du Viêtnam, une
organisation docile aux mots d’ordre politiques du parti. Ce n’est qu’au
départ d’A. Souquières, durant la seconde moitié des années 1970, que
les choses semblent commencer à changer. Si nous ne connaissons pas
l’évolution des effectifs, il est visible que l’organisation suit un fonc-
tionnement cyclique, activée en cas de tension (1948-1953, 1960-1962,
1965-1975), puis mise en sommeil, ce qui rejaillit sur ses structures : en
1970, alors qu’elle est en « recul sérieux dans l’ensemble des
départements 29 », elle nécessite d’être épaulé par le parti pour son
redressement 30. Outre la forte politisation, ses faiblesses peuvent
renvoyer à une explication corrélative :
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à une réunion, aux états généraux du Mouvement de la paix, et moi
ça m’a semblé des discours ; on fait des discours. Ça me semblait
creux, les discours. Tandis qu’au Secours populaire, on disait : “Bon
ben il y a ça à faire, Jacques Alexandre il a besoin…”. Ça c’est terre à
terre [sic], voyez. Les pieds sur terre […]. Et alors c’est les états géné-
raux qui m’ont ouvert… Je me suis dit : “Mais ils parlent bien tous
ces gens-là, ils font des grands discours… mais où ça nous mène ? où
ça nous mène ?” Tandis qu’au Secours j’avais l’impression de faire
quelque chose d’utile 31. »
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partisans (pour la paix, contre le réarmement allemand, pour la défense
de l’URSS) et des activités locales apolitiques (organisation de goûters
pour enfants, arbres de Noël, fêtes pour les anciens et autres cours de
danse) 35. Cette dichotomie se retrouve entre les cadres de l’association,
souvent des militantes communistes, et les adhérentes locales venues
pour exercer une activité sociale dans une ambiance amicale. Le
congrès de 1971 décide alors de « faire adhérer sans tenir compte de la
motivation » politique, ce qui « ne rencontre pas l’assentiment général
des militantes 36 ». Le redressement progressif des années 1970
s’explique vraisemblablement par la conjonction de cette mesure et du
contexte politique spécifique sur la condition des femmes, que l’UFF ne
parvient cependant pas, en raison de prises de positions à contre-
courant des évolutions sociétales, à négocier de façon optimale.
La question de l’équilibre entre positions partisanes et strictement
fonctionnelles s’était pourtant déjà posée à la CGT, les années 1949-
1952 (lutte pour la paix), 1954 (reprise de la thèse thorézienne de la
paupérisation relative et absolue des travailleurs, alors que ces derniers
viennent d’obtenir de substantielles augmentations de salaire) ou 1967
(violente diatribe de B. Frachon contre Israël lors du congrès), ayant
créé des malaises notables et été in fine un frein au développement 37.
M. Pigenet souligne quant à lui le « recentrage » opéré par la CGT en
1953 sur la question des salaires et des problèmes quotidiens, après une
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l’ouverture aux socialistes, dès 1934. Il est aussi celui qui ouvre la
centrale à des terrains sociaux, proches de la vie quotidienne des
ouvriers. Le Secours populaire reprend ses méthodes de direction : les
dirigeants se répartissent les postes, « qu’ils soient ou non communistes.
Frachon affirme y tenir d’autant plus qu’il lui apparaît que la présence de
non-communistes dans cette instance peut refléter la véritable situation
de la classe ouvrière qui ne s’identifie pas avec les idées communistes 41. »
Corrélativement, Julien Lauprêtre évite, à l’instar de Frachon, de prendre
position sur des questions directement politiques, qui par essence divi-
sent. On pourrait mettre dans la bouche de Julien Lauprêtre pour le
Secours populaire les mots de Benoît Frachon pour la CGT, qui :
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Du « conglomérat » à la « nébuleuse » communiste
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lors des événements de Hongrie. « Accusée d’être avant tout une organi-
sation politique, la fédération essaie de donner des gages de son indé-
pendance, en modérant désormais ses interventions dans des domaines
extra-sportifs ; mais il s’agit aussi de ménager bon nombre d’adhérents
non communistes, voire apolitiques, à un moment où les effectifs sont
au plus bas 44. » À partir du milieu des années 1960, la FSGT fait montre
d’une réelle capacité d’innovation dans son domaine d’action et enre-
gistre des succès dus autant au stage Maurice Baquet qu’au développe-
ment d’une pratique sportive de loisir et à l’appui de la CGT aux clubs
d’entreprise. Les effectifs se féminisent et s’embourgeoisent. Comme
pour le Secours populaire, c’est par le recentrage sur la spécialisation
fonctionnelle que militants et cadres se renouvellent en profondeur,
avec l’arrivée massive d’enseignants d’éducation physique (bien que
largement communistes). L’association se lance alors dans « une vaste
opération de rénovation politique », par démocratisation du fonctionne-
ment et revendication de l’indépendance vis-à-vis du PCF (refus de
communiquer les documents préparatoires au congrès, rupture de la
courroie de transmission avec les municipalités communistes, refus de
soutenir officiellement le Programme commun, prise de distance dans la
coopération avec les pays de l’Est).
Il semble donc que les principaux facteurs pénalisants pour les orga-
nisations de masse soient une activité trop politique, trop théorique et,
de façon plus évidente, une opposition aux lames de fond sociétales. La
réussite du Secours populaire et de la FSGT semble a contrario résider
dans sa capacité à être passé du politique et du partisan à la stricte
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
Étiolement de la solidarité
aux victimes de la répression
En rompant avec le fonctionnement des Vingt et une Conditions et
en défendant l’apolitisme, le Secours populaire ne choisit pas de faire
cavalier seul, mais de distendre ses liens avec le conglomérat.
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U n e r e d é f i n i t i o n d e s li e n s a v e c l e s sy n d i c a t s
Ainsi avec la CGT, dont les relations deviennent non exclusives. À
partir du début des années 1960, le Secours populaire décide de « prêter
une grande attention aux mouvements sociaux, fermetures d’usines,
lock-out, licenciements 45 » ainsi qu’aux victimes d’accidents du travail.
Il affiche cependant désormais autant que possible une relation équili-
brée avec les différents syndicats et semble peiner à trouver sa juste
place, entre concurrence et complémentarité. Ce flottement est mis à
jour en 1965 : un article écrit pour Le Peuple précise que « quoi que
s’exerçant plus particulièrement au bénéfice du monde ouvrier, le plus
souvent frappé, l’action [du Secours populaire] ne fait nullement double
emploi avec les actions syndicales de solidarité » ; le même mois, le
rapport d’activité au congrès national précise au sujet des accidents du
travail que « les syndicats se battent et chacun sait qu’il n’est pas le
moins du monde dans notre intention de les concurrencer » ; puis au
sujet des licenciements que « notre association n’est pas apte à inter-
venir sur des questions relevant du syndicalisme, mais notre devoir est
d’organiser tout de suite la solidarité aux familles dans le besoin 46 ».
L’enjeu est alors autant d’afficher une solidarité strictement avale que
de transformer le lien privilégié CGT-Secours populaire en coopération
avec l’ensemble des syndicats ; l’association s’insère dans les comités
intersyndicaux, ne publie plus d’articles signés par des dirigeants CGT
sans les mettre au regard d’autres syndicats et souligne autant que
possible la participation d’associations non communistes.
45. Roubaix, CAMT, fonds SPF, 1998 020 0027, congrès national des 29-30
avril 1967.
46. Roubaix, CAMT, fonds SPF, 1998 020 0026, congrès national de 1965.
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Du « conglomérat » à la « nébuleuse » communiste
Les grèves de 1968, pour spécifique que soit leur statut, consacrent ce
nouveau mode d’action. Le Secours populaire collecte au porte-à-porte,
auprès des commerçants ou sur la voie publique (marchés, stands, sortie
des églises). Dans plusieurs localités, il est chargé par des associations
ou syndicats de répartir le produit des collectes (à Nanterre à la
demande du Secours catholique, de la Croix-Rouge et de la paroisse ;
par la section Champs-Élysées d’Air France où existe un petit comité
d’entreprise ; par les syndicats des cadres du ministère de l’Équipement,
etc.). En région parisienne, Secours populaire, syndicats et Secours
catholique semblent avoir souvent collecté ensemble. Ce rôle fédérateur
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se retrouve en province, ainsi en Côte-d’Or où les syndicats CGT, CFDT,
FO, SNI, AGED et UNEF soutiennent ses initiatives et lui confient la
répartition des fonds et des collectes alimentaires. Dans la Loire, c’est
encore le Secours populaire qui redistribue, en priorité aux grévistes
ayant des difficultés financières et des enfants en bas âge, les tonnes de
légumes et pommes de terre collectés et se trouve chargé de répartir les
cinquante mille francs versés par les centrales (CGT, FO, CFDT et FEN)
au comité de grève. Au total, le bilan s’élève à 1,1 million de francs 47
collectés et redistribués (65 % en espèces et 35 % en nature) et une aide
à cinquante-deux mille enfants de grévistes (colis, cantines, sorties,
goûters), bénéficiaires presque exclusifs de la Campagne vacances de
1968.
Outre l’organisation d’une solidarité conséquente, c’est alors le relatif
consensus autour du Secours populaire, syndical mais également asso-
ciatif qui transparaît, alors même que tout au long de la crise, les diffé-
rentes centrales défendent des positions sensiblement différentes. Ce
consensus puise à plusieurs sources : le Secours populaire est l’une des
seules grandes associations de solidarité de gauche, il défend depuis la fin
des années 1950 une solidarité apolitique et possède des « entrées » dans
le monde syndical, de tout temps à la CGT et depuis le début des années
1960 à FO et à la CFTC 48. Côté monde associatif, sa coopération depuis le
début des années 1960, certes locale, avec le Secours catholique et la
Croix-Rouge, puis son entrée à l’UNIOPSS, en font l’une des mieux posi-
tionnées pour travailler avec les comités intersyndicaux. La confiance qui
lui est accordée dans plusieurs départements illustre son ouverture, sa
crédibilité et la reconnaissance de son évolution identitaire.
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
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pas été explicitement abordé dans l’association, on peut légitimement
envisager qu’il a conforté la nouvelle ligne.
La création d’un nouveau « Secours rouge », officieuse en
octobre 1969, officielle en juin 1970, peut être lue comme un simple
épisode de la lutte acharnée que se livrent alors communistes et mili-
tants d’extrême gauche. Elle met cependant à jour le vide stratégique
laissé par le Secours populaire dans la solidarité politique aux victimes
de la répression. S’y retrouvent, outre des anciens communistes presti-
gieux (Charles Tillon et Jean Chaintron, ancien secrétaire du Secours
rouge international), plusieurs grands noms ayant par le passé soutenu
le Secours populaire (Jean-Paul Sartre, Yvonne Halbwachs-Basch),
auxquels l’association a témoigné sa solidarité (Robert Davezies) ou
membres de son comité d’honneur (Vercors). Ses actions consistent en
occupation de locaux pour le relogement de personnes défavorisées et
de travailleurs immigrés, dénonciation de la situation dans les prisons,
lutte pour l’obtention du statut de prisonnier politique aux militants
emprisonnés, diverses campagnes anti-impérialistes, « soutien au peuple
palestino-jordanien », aux ouvriers arrêtés en Espagne, etc. ; soit des
actions proches de celles du Secours populaire mais bien plus politisées
et, surtout, se revendiquant comme telles. Sa création est bien une
preuve en creux de la mutation réelle, et non simplement de façade, du
Secours populaire. L’épisode permet de constater les rancœurs et les
déceptions de certains militants désengagés : « il nous a été également
rapporté par un distributeur de tracts du Secours rouge au festival
d’Avignon que d’après lui le SPF avait failli à sa mission, qu’il ne
49. Voir entre autres Michel Dreyfus, Le PCF. Crises et dissidences, Bruxelles,
Complexe, 1990 ; Jeannine Verdes-Leroux, Le Réveil des somnambules. Le
parti communiste, les intellectuels, la culture (1956-1985), Paris, Fayard/
Éditions de Minuit, 1985.
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Du « conglomérat » à la « nébuleuse » communiste
s’occupait que des vieux et des enfants handicapés, et que cela était tout
à fait indigne d’intérêt 50 »… Le Secours populaire n’envisage cependant
plus de revenir sur le terrain abandonné, et revendique clairement son
nouveau cercle d’appartenance : « Le Secours rouge ne peut absolument
pas être classé au même rang que des grandes organisations populaires
de solidarité telles que notre Secours populaire, le Secours catholique,
l’Armée du Salut, les Petits frères des pauvres, la CIMADE ou les
sociétés de Croix-Rouge… Le Secours rouge cru 1970 est une organisa-
tion de caractère politique ». Aux petits le politique, aux « grandes orga-
nisations populaires » le caritatif ?
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La distanciation est également visible dans la timidité de la solidarité
aux militants américains. Ainsi, en faveur d’Angela Davis : immédiate-
ment sollicité par le PCF 51, le Secours populaire ne se mobilise que huit
mois plus tard ; encore l’espace consacré à la campagne dans La
Défense ne dépasse-t-il jamais les quelques lignes. Comme lors de la
campagne pour la libération de Debris et Menras, il semble que ce soit
la fédération du Nord qui ait pris en charge l’action.
Le Secours populaire est enfin confronté à la répression à l’Est. Sans
surprise muet sur les événements de 1956, il l’est aussi, de façon plus
surprenante, sur l’écrasement du Printemps de Prague à l’été 1968. Le
décalage subsiste ensuite, même s’il reste moindre : immédiatement
après l’expulsion d’URSS de l’auteur de L’Archipel du Goulag, l’associa-
tion réagit en exprimant son « indéfectible attachement au respect du
droit d’expression et des libertés démocratiques », alors que le PCF reste
mal à l’aise face à la déferlante d’antisoviétisme. Inversement sur
l’affaire Léonid Plioutch, alors que Pierre Juquin fait une déclaration en
faveur du mathématicien russe persécuté pour avoir réclamé la liberté
d’opinion, le Secours populaire parle simplement d’« émotion ressentie
dans notre pays à propos de l’affaire du mathématicien Léonid Plioutch,
dont les informations en notre possession ne permettent pas de porter
un jugement et témoignent d’une grande incertitude concernant le bien-
fondé des poursuites 52 ». Les positions deviennent ensuite gémellaires à
celles du parti, les années 1977-1978 constituant le point culminant de
la critique : envoi d’un télégramme au président du Soviet suprême de
l’URSS « en protestation contre les arrestations et les poursuites
50. Roubaix, CAMT, fonds SPF, 1998 020 0326, rapport interne.
51. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
PCF du 28 octobre 1970. Le sujet est réabordé dans des secrétariats ultérieurs.
52. La Défense, novembre 1975.
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critique, aussi promptement estompée qu’elle était survenue.
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de relations fortes. Le concept d’« autonomie » semble en revanche
adéquat, toute l’entreprise consistant à rendre à l’association sa capacité
de décision sans contrôle du parti, pour ce qui a trait aux campagnes
comme à l’utilisation de ses finances.
La nouveauté de la période, suite à l’aggiornamento opéré par le
PCF, est donc cette potentielle autonomisation. Le Secours populaire
s’est engouffré dans la brèche, contrairement semble-t-il au Mouve-
ment de la paix ou à l’UFF. Les années 1960 et 1970 voient alors une
hétérogénéisation du « conglomérat » qui se mue progressivement en
« nébuleuse », sous le triple coup de l’autonomisation croissante de
certaines organisations (affaiblissement du lien vertical), de la dilution
du ciment partisan au profit d’une plus grande spécialisation fonction-
nelle (logique non pas de transversalité, mais de secteur) et d’une
distension des coopérations entre organisations (affaiblissement du
lien horizontal). Signe de cette mutation, à partir de 1965-1966, la
rubrique « organisations de masse » disparaît presque totalement des
procès-verbaux de secrétariat du PCF. Le processus ainsi enclenché
porte en germe, voire commence à réaliser durant les années 1970, la
transformation d’« organisations de masse » en simples « organisations
amies ». Ces deux vocables communistes, souvent utilisés de façon
interchangeable, révèlent pourtant bien la nuance, certes existante
entre organisations mais renvoyant aussi à une évolution
chronologique.
Les liens internes persistent néanmoins. Il n’est que de comparer la
liste des « camarades intellectuels » invités aux comités centraux du
PCF, les comités d’honneur du Bol d’air des gamins de Paris, du MRAP
ou du Secours populaire pour s’en convaincre. Ce dernier est tous les
ans présent à la fête de l’Humanité, avec un succès croissant et des
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