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© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
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I - 1945-1955
LE SECOURS POPULAIRE
DANS LE CONGLOMÉRAT
COMMUNISTE
02-BRODIEZ_Ch01.fm Page 27 Mercredi, 5. avril 2006 1:10 13
Chapitre 1
R E T OU R SU R L ’AV A NT 1 9 4 5
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L’
immédiat après-guerre scelle, peu après la création de la
IIIe Internationale puis des partis communistes européens,
l’échec de la stratégie révolutionnaire en Europe. La répres-
sion s’avérant davantage à l’ordre du jour que la révolution, le Komin-
tern décide en 1922 la création d’organisations de secours, Secours
ouvrier international (SOI), puis Secours rouge international (SRI). Créé
en 1921, le SOI agit principalement en faveur des enfants d’ouvriers
emprisonnés, des grévistes et des chômeurs ; mais tôt mis en veilleuse,
concurrencé par le SRI, il est dissous en 1935. Le SRI est quant à lui créé
en 1922 1. Organiquement lié à l’IC, il prend une part active au mouve-
ment prolétarien international et devient une véritable organisation de
masse, avec pour objectif la solidarité aux victimes de la répression
capitaliste et aux combattants révolutionnaires emprisonnés, la défense
de l’URSS, l’aide aux minorités nationales et aux peuples coloniaux en
lutte pour leur libération.
Sa section française, officiellement créée en 1923 sur directive du
Komintern, est organiquement liée au parti communiste. Elle épouse les
retournements tactiques du communisme international et français, qui
se traduisent par une alternance entre phases de fermeture et d’ouver-
ture. Son changement d’appellation en 1936-1938, de « Secours rouge »
en « Secours populaire de France et des colonies », n’en est à cet égard
qu’une vicissitude, dont la force symbolique sera cependant utilisée
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Le Secours rouge, organisation partisane
(1923-1934)
Durant sa première année, l’activité de la section française du SRI se
réduit à la rédaction d’articles et à l’envoi de manifestes. Elle ne tient
son congrès constitutif qu’en 1925, et ne sont jusque-là autorisés que
les adhérents collectifs. Ce n’est qu’en juillet 1926, sur décision du
second congrès, qu’elle s’ouvre aux adhésions individuelles. Son essor
ne débute réellement qu’en 1927, année où coïncident la tactique du
front unique, la campagne pour sauver Sacco et Vanzetti de la chaise
électrique et une escalade de répression.
Fondements
Il semble qu’aient compté parmi les premières personnalités diri-
geantes Henri Barbusse, vice-président et cofondateur du journal La
Défense en 1926-1927, Romain Rolland et Paul Langevin, dont on
ignore les rôles exacts, Francis Jourdain et l’avocat Georges Pitard.
Moins connu, Lucien Chauvet est d’abord chargé du développement
puis Jean Chauvet, dont on ignore le lien de parenté avec le précédent,
devient secrétaire général dans les années 1930.
Le Secours rouge se développe dans un contexte d’ouverture, la ligne
politique de 1926-1927 qui succède à la « bolchévisation » prônant une
plus grande adaptation à la réalité sociale et politique. Il doit alors
constituer l’un des médiateurs du « front unique à la base ». Il a aussi
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organisation de secours philanthropique qui vient en aide seulement
lorsque le combat est terminé. Il prend une part active aux batailles de
la classe ouvrière et des nations opprimées, ainsi qu’à la lutte contre les
préparatifs de guerre 5 ». Se trouve donc, dès les débuts, cette dualité qui
frôle l’antinomie entre une action a posteriori d’arrière-front, bien
résumée par le qualificatif de « Croix-Rouge du peuple 6 », et la volonté
d’être partie intégrante d’un combat d’avant-garde.
Le rapport à l’IC est lui aussi constitutivement ambigu. Le lien est de
fait organique, et revendiqué tant en interne qu’au travers des actions
menées. Le besoin de croissance implique cependant d’atteindre des non
communistes et de leur offrir une marge de liberté, d’où des discours
d’ouverture récusant l’idée de « courroie de transmission ». C’est toute la
question du positionnement politique et partisan de l’organisation de
masse, par essence interface entre le parti et la société, qui se trouve
d’emblée posée et ne cessera dès lors d’être sous-jacente.
La gémination avec le parti communiste est d’emblée patente :
mêmes zones d’implantation, mêmes remaniements organisationnels,
identité des dirigeants et des militants, contemporanéité des fluctuations
d’effectifs. L’organisation compterait, avec les précautions qui s’impo-
sent sur les chiffres de l’époque, environ 40 000 adhérents en 1927, puis
46 000 en 1929, pour retomber à 30 000 en 1931-1933 et remonter à
40 000 l’année suivante. Deux périodes s’individualiseraient alors : de
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bulletin à parution irrégulière qui donne ensuite naissance au journal
bihebdomadaire La Défense, dont le premier numéro paraît le
4 décembre 1927. À des dates inconnues, l’organisation redéménagera,
au 71 rue de Chabrol, au 97 rue Lafayette, puis au 17 rue de Lancry.
Si la situation organisationnelle et financière se dégrade considéra-
blement à partir de 1929, la parution du journal n’en devient pas moins
hebdomadaire en 1931, absorbant dès lors une large part du budget.
Dans la lignée de l’éviction du « groupe fractionnel » Barbé-Célor du
bureau politique de la SFIC (août-décembre 1931), la direction du SR est
en 1932 elle aussi soumise à la purge. Son assise reste cependant
incertaine : les sections d’entreprise sont un échec et la région parisienne
comptabilise presque la moitié des effectifs. La faiblesse des cadres est
également patente : tous les postes à responsabilité étant fermés jusqu’en
1934 aux non communistes, les membres du parti sont accaparés par
une multitude de tâches dans diverses organisations et l’activité du SR se
résume le plus souvent à un simple travail de collecte, aux dépens des
tâches politiques. On voit ainsi, dès le début des années 1930, combien le
pluri-engagement s’avère préjudiciable à l’association la moins
considérée, devenant un problème intrinsèque aux organisations de
masse les moins prestigieuses.
C a m p a gn e s
En 1928, l’adoption du « classe contre classe » met à l’ordre des prio-
rités la défense de l’URSS et la lutte contre le « social-fascisme ». Dans
l’objectif de la réalisation d’un « front unique à la base », le SR se voit
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par la mobilisation pour sauver Sacco et Vanzetti. La plupart des
campagnes sont cependant plus explicitement partisanes et centrées sur
la lutte contre la « terreur blanche » en Europe centrale et orientale, par
envoi d’avocats pour assister les inculpés ou de délégations d’enquête ;
nombre de ces actions sont menées en coopération avec l’Association
internationale juridique, les avocats communistes faisant le lien entre
les deux structures 9. Autre versant de la solidarité internationale, le SR
se voit confier un rôle, parallèle à celui du parti et des syndicats, de
prosélytisme auprès des immigrés économiques. Trois sous-sections sont
ainsi créées en 1926-1927 au sein de la direction nationale (polonaise,
italienne et hongroise), accompagnées de structures souples sur le
modèle italien, les patronatis, qui visent à grouper les travailleurs étran-
gers non organisés et à les conduire progressivement à l’adhésion – sans
grand succès semble-t-il. Les résultats sont plus palpables auprès des
immigrés politiques : campagnes contre les extraditions et les expul-
sions, défense du droit au travail, à la coalition et à l’activité politique ;
la lutte contre le fascisme se concentre également sur les principales
figures de la répression, ainsi Dimitrov, Thälmann ou Gramsci.
En France, les campagnes pour l’amnistie des détenus politiques sont
continues. D’autres sont plus ponctuelles, engagées contre des mesures
législatives (contrainte par corps, « lois scélérates ») ou au cas par cas
pour la défense de militants emprisonnés, l’exemple le plus notoire
étant celui d’André Marty, président d’honneur du SR et incarcéré à
répétition. Mordant sciemment sur les prérogatives du SOI, l’association
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communiste depuis 1925, il est emprisonné pour son action contre la
guerre coloniale au Maroc et devient lui aussi à sa libération secrétaire
national, puis directeur de La Défense.
Outre ces campagnes répondant à sa spécialisation fonctionnelle,
l’association participe de l’investissement communiste de l’espace public
(Premier mai, anniversaires de la mort de Lénine ou de la Révolution
russe, etc.) ; le 18 mars, date anniversaire de la Commune et, symboli-
quement, de la fondation du SRI, donne lieu tous les ans jusqu’en 1934
à une journée internationale de manifestation contre la répression.
L’organisation soutient en outre les campagnes électorales du parti
communiste.
En 1934, le bilan reste pourtant décevant. « Brancardier de la
révolution » même s’il se défend de n’être que cela, le SR doit porter
assistance aux victimes prolétariennes de la lutte des classes. Cette soli-
darité semble en pratique bénéficier quasi uniquement aux militants
communistes, les rares cas de défense de non-membres du parti prenant
des allures de parade (dans les deux sens du terme) et de caution. L’élar-
gissement est une difficulté permanente, la base est « léthargique »,
l’organisation d’une faiblesse chronique. Le SR est en fait presque
exclusivement devenu « une association de collectage, de secours et
d’assistance de classe 10 ». Les principaux lieux de militantisme ne sont
pas les meetings et les manifestations, mais les goguettes et les fêtes qui
permettent la vente du matériel et la circulation de listes de pétition et
souscription. La direction se plaint que trop de comités locaux et dépar-
tementaux soient davantage des « mutuelles » que des lieux de lutte. Le
travail de recrutement en direction des entreprises est faible et sans
effet, les principales commissions (agit-prop, journal, organisation) ne
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La lente gestation du Secours populaire
(1934-1938)
1934 constitue un tournant qui, pris de Moscou, réoriente la trajec-
toire de l’ensemble du conglomérat communiste français. Impulsée par
le discours de Thorez du 26 juin, la nouvelle ligne prône la lutte antifas-
ciste et le front unique de la base au sommet avec le frère ennemi
socialiste ; elle se traduit par un passage sémantique de la « classe » au
« peuple 11 », dont l’une des traductions est la transformation du Secours
« rouge » en « populaire ». Dès la fin 1934, sont ainsi mis en veilleuse les
discours de classes, au profit d’une approche large et ouverte, dégagée
des options strictement partisanes ; l’aide aux communistes empri-
sonnés se restreint fortement, à l’instar de la solidarité juridique, tandis
que croissent les actions en faveur des émigrés politiques antifascistes
et, surtout, de l’Espagne républicaine.
La débaptisation du Secours rouge en Secours populaire de France et
des colonies s’étire sur deux ans puisqu’elle tarde, une fois décidée, à être
avalisée. Elle ne fait qu’entériner la ligne à l’œuvre depuis juillet 1934.
Elle est justifiée lors de la conférence nationale élargie du 31 octobre-
1er novembre 1936, qui préconise d’adopter « un titre d’organisation qui
corresponde à notre physionomie actuelle, à notre langage, à nos réali-
sations, à la tâche sacrée : la solidarité […]. Toujours unir pour mieux
secourir, sans qu’à aucun moment le titre de l’association pouvant
réaliser ce but ne soit une tendance en lui-même […]. À ceux qui pour-
raient voir là je ne sais quelle manœuvre, nous déclarons tout de suite
qu’il ne s’agit pas seulement d’un changement d’appellation de l’orga-
nisme […] mais vraiment d’arriver à doter la France de la plus puissante
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« Le Secours populaire de France […] a pour principe et pour but
d’unir tous les gens désireux d’apporter leur solidarité matérielle, juri-
dique et morale aux emprisonnés, aux émigrés, aux déportés, aux
défenseurs de la liberté, en un mot aux victimes du fascisme et aux
persécutés par la réaction, sans oublier les victimes de l’injustice sociale
et des calamités naturelles. Cette aide s’entend pour les victimes de
toutes conditions sociales, sans distinction d’opinion, de races ou de
religions, dont le mérite est d’avoir lutté pour le bien-être du peuple et
réalisé sa volonté de paix, de justice et de liberté ».
Plusieurs fois reporté jusqu’à juin 1938, le congrès constitutif de la
nouvelle association affirme pour la première fois ce qui deviendra sa
devise : « tout ce qui est humain est nôtre ». Toute évocation du centra-
lisme démocratique disparaît statutairement et l’association n’est plus
une section émanant du SRI, mais une organisation ayant librement
choisi de s’y affilier. L’aval du PCF est de nouveau confirmé, si besoin
en était, par la présence à la tribune du congrès de Jacques Duclos
(secrétariat national du PCF), Gaston Monmousseau (bureau politique)
et Georges Cogniot (rédacteur en chef de L’Humanité). Marcel Cachin,
Paul Langevin, Romain Rolland, André Viollis, Francis Jourdain et
Gaston Buisson, tous peu suspects d’hétérodoxie à l’égard du parti,
entrent au « conseil d’honneur » ; André Marty, Eugène Hénaff, Henri
Wallon et Marcel Willard sont parmi les membres du conseil central
12. Siège du SPF, sans cote, rapport de Jean Chauvet, secrétaire général du
Secours rouge, à la conférence nationale élargie.
13. Le comité central élargi du 31 octobre est précédé la veille d’une réunion
au comité central du parti communiste, rue Lafayette ; le changement d’appel-
lation y est voté par 150 voix pour, 10 avec réserve et 3 contre (Frédéric
Genevée, thèse citée).
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L ’ e sp r i t u n i t a i r e : c r o i s sa n c e e t o u v e r t u r e
Une vague de croissance se réenclenche, portée par la vague de
rassemblement/Front populaire : de 40 000 adhérents en 1934, l’asso-
ciation passe à 150 000 en 1936, et 183 000 en 1938. Exponentielle
entre mai 1935 et mai 1936, la croissance accompagne une politique
volontariste de développement (décentralisation, constitution de
sections au sein des organisations de masse, y compris groupes sportifs
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et mouvement Amsterdam-Pleyel, intensification des campagnes de
recrutement, élaboration d’un nouveau système de cartes dont le prix
est adapté au pouvoir d’achat de la catégorie sociale, etc.). En vertu du
nouveau mot d’ordre « ne rien faire seuls 14 », des coopérations se déve-
loppent avec le monde socialiste notamment via la LDH. Après avoir été
âprement fustigée au début des années 1930, celle-ci se trouve soudain
courtisée, non sans que les dirigeants du Secours populaire ne se
plaisent à rêver d’une fusion-absorption 15, puis soient rapidement
rabroués.
Cette politique d’ouverture n’en a pas moins in fine des résultats
modérés, l’exceptionnel questionnaire administré lors du congrès de
juin 1938 révélant des membres au profil très majoritairement commu-
niste ou sympathisant : pour 40 % de délégués adhérant au PCF, seuls
2,3 % sont membres de la SFIO et 2 % du parti radical-socialiste –
restent 30 % n’adhérant à aucun parti et 25 % de non-répondants. Les
68 % membres de la CGT éclairent les sympathies politiques de ces deux
dernières catégories en montrant un fort taux de pluri-engagement
(CGT et Secours populaire, voire PCF). La très faible proportion de mili-
tants se revendiquant socialistes ou radicaux doit ici certes à la rupture
du Front populaire, mais surtout à la forte concurrence exercée par la
LDH, et l’hypothèse d’une proportion d’au moins deux tiers de commu-
nistes et sympathisants semble probable. On note en outre une faible
représentation de femmes (9,3 %), même s’il est difficile de savoir si le
chiffre reflète une sous-représentation au congrès ou simplement la
proportion moyenne au sein de l’association.
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E n t r e o u v e r t u r e a u so c ia l e t a c t i o n s p a r t i sa n e s
L’ouverture de la SFIC (1934) et l’enterrement du Secours ouvrier
international (1935) induisent le développement au Secours rouge
d’actions sociales. À partir de 1934, dans un contexte de crise écono-
mique aiguë, se développent ainsi des collectes pour les familles de
chômeurs : fêtes de Noël, vacances des enfants, repas et colis… Après
une mise en sommeil en 1937, l’association réactive en mars 1938, à
l’heure où se brise définitivement le Front populaire, ses actions apoliti-
ques et de proximité, en concurrence directe avec les associations
« charitables » : en faveur de « l’enfance malheureuse », de familles
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nécessiteuses, de mères seules avec enfants, de malades, etc. ; elle orga-
nise même une « journée nationale pour les familles malheureuses ».
Elle soutient pour la première fois les sinistrés au lendemain de la
conférence élargie de novembre 1936, portant la solidarité aux victimes
de l’explosion de la poudrerie de Saint-Chamas et de l’incendie
d’Angers (participation aux collectes et aux comités ad hoc créés sous
l’égide de la CGT), puis en juin 1939 aux victimes d’avalanches dans les
Hautes-Pyrénées. Elle inaugure parallèlement le soutien moral et maté-
riel aux victimes des attentats, ainsi lors de la fusillade de Clichy en
mars 1937. Si l’aspect partisan y est difficilement dissimulable, le
Secours populaire revendique pourtant de « se placer sur un terrain
strictement humanitaire pour secourir et protéger les familles 16 ». Enfin,
il participe à la campagne lancée par le parti communiste contre les
bagnes d’enfants.
L’ouverture au social est donc réelle, à tel point que des organisa-
tions situées sur la gauche du PCF tentent de profiter de la désorienta-
tion de certains militants pour s’immiscer dans l’espace laissé vacant :
début 1937, le parti ouvrier socialiste crée un « Secours rouge », et en
1938 est attestée l’existence d’un « Secours international solidarité
liberté » pour les victimes de la répression – même si, selon F. Genevée,
les deux organisations ne font sans doute qu’une.
En dépit des dénis récurrents d’affiliation partisane et de l’affirmation
non moins régulière d’être une véritable « maison de verre », l’organisa-
tion n’en reste pas moins très politique, affiliée au SRI et suivant fidèle-
ment les directives du PCF. D’Hélène Stassova et de Clara Zetkin à la
Commune de Paris, les éloges et commémorations traduisent une
mémoire bien communiste. Si les exaltations récurrentes des grandes
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Pauker, Mathias Rakosi, Ernst Thälmann ou Carlos Prestes sont les
présidents d’honneur de toutes les réunions nationales jusqu’à la
guerre), de la dénonciation persistante de la « terreur blanche », du
soutien sans faille apporté à l’URSS comme au PCF. Entre éloges du
système soviétique, défense du bien-fondé des procès de Moscou 18,
dénonciation des « espions du POUM (Parti ouvrier d’unification
marxiste) 19 », dithyrambes sur la verve d’André Marty lors de son procès
début 1939 ou exaltation de Fils du peuple, le positionnement partisan
ne laisse place au doute. De même pour les sympathies syndicales, sans
ambiguïté CGT(U). Les phases de dénonciation politique coïncident
enfin avec celles du PCF : approbation globale de la politique gouverne-
mentale jusqu’au printemps 1937, puis constatation des espoirs déçus,
critique ouverte, enfin, à partir de juillet 1937.
L a g u e r r e d ’ E sp a g n e ,
« p r é h u m a n i t a i r e » ve r s i o n c o m m u n i s t e
La principale campagne des années d’avant-guerre, par son ampleur
comme par sa durée, reste cependant le soutien à l’Espagne républicaine.
Elle scelle une dichotomie naissante, dans les discours comme dans les
actes, entre un parti qui prône l’action politique et militaire (« Des
canons, des avions pour l’Espagne ! ») et ses organisations de masse,
principalement Secours populaire et Jeunes filles de France, qui inaugu-
rent des pratiques humanitaires sans toutefois en adopter la posture
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radical et radical-socialiste. Chaque association mène sa propre action,
mais l’inscrit au bilan commun, développant ainsi un ersatz de solida-
rité du « Front populaire » au « Frente popular ». Les principales initia-
tives sont destinées aux combattants (envoi de chirurgiens, infirmières,
médecins, matériel sanitaire) comme aux populations civiles. Le
1er novembre 1936, est organisée une journée internationale de collecte
(sucre, lait, œufs, lainages, pansements), puis le 4 avril 1937, une
« journée nationale pour l’enfance espagnole ».
Lorsqu’en mai 1937, le front unitaire s’écorne, le Secours populaire
devient la principale organisation chargée par le parti communiste
d’organiser les initiatives. Il ne fait cependant parfois qu’ajouter ses
dons, ainsi à la « journée du lait » des jeunes filles de France ou à
l’opération « des crayons pour l’Espagne » lancée par Henri Wallon. Il
participe en outre à l’accueil en France d’enfants espagnols ainsi qu’au
soutien des réfugiés dans les camps frontaliers, dénonçant des condi-
tions « intolérables » et menant campagne pour faire construire des
installations médicales, sanitaires et scolaires. Les collectes s’intensifient
plus encore en 1938-début 1939, au fil de la dégradation de la situation
militaire et de la réduction des enclaves résistantes : journées nationales
« pour l’Espagne martyre » en février, juin et novembre 1938, puis
janvier 1939, semaines nationales de solidarité en juillet et à la Noël
1938, « semaine du blé » et souscription « pain-lait-santé » en
février 1939, nouvelle « journée du lait » des JFF en octobre 1938,
« journées de la ménagère » et collectes de vivres auprès des paysans en
novembre 1938, etc.
Cette solidarité quasi continue, avant tout axée sur les femmes et les
enfants, se matérialise donc sous des formes humanitaires (médicaments
et équipes médicales, vivres et vêtements) et prend des formes spectacu-
laires. Durant la période unitaire, sont amarrés des bateaux
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(octobre 1936, janvier puis juin 1937) puis, avec la rupture du Front et
la diminution des collectes, partent sept caravanes de camions entre la
fin 1937 et l’été 1938 (quinze camions pour l’initiative Secours popu-
laire/Jeunes filles de France, cinquante camions dans la « caravane des
syndicats », caravane de la Commission de solidarité du rassemblement
populaire, caravane du conglomérat communiste sous l’égide du parti et
de L’Humanité, etc.). Des « raisons techniques 20 » obligent en mai 1938 à
organiser un nouveau bateau, qui peine néanmoins à être rempli.
Ainsi, d’août 1936 à février 1939, soit en trente mois, le Secours
populaire participe, organise ou co-organise vingt et une initiatives. Il
n’est cependant qu’une association parmi d’autres : en juillet 1936, il a
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collecté 20 000 francs, le CVIA 15 000 francs et un camion, la FSGT
10 000 francs… et la CGT 250 000 francs pour l’achat de matériel sani-
taire. S’il semble plus puissant que la LDH (le bilan de la « Commission
de solidarité » fin décembre 1937 est de 4,225 millions de francs reçus
au Secours populaire contre 1 million de francs à la LDH), il l’est bien
moins que la CGT : fin 1936, la centrale a déjà collecté deux fois plus
que le SR et la LDH réunis. Toutes ces initiatives préfigurant l’humani-
taire ne doivent cependant pas faire occulter la persistance d’actions
traditionnelles, notamment via des conférences de dénonciation organi-
sées jusqu’à l’automne 1938 par le Comité de rassemblement populaire
ou par les instances internationales ad hoc, auxquelles le Secours
populaire prend part avant de les organiser.
20. On peut supposer qu’il s’agit des bombardements des troupes alliées des
phalangistes sur les convois de solidarité à l’Espagne républicaine, déjà
dénoncés à plusieurs reprises.
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ont essayé à plusieurs reprises de diffuser, sous le couvert de “comités
de Secours populaire”, des brochures extrémistes 22 », et ont été
rapidement arrêtés et inculpés.
Il en va de même des dirigeants. En 1940, Charles Désirat, Auguste
Gillot et le colonel Dumont sont chargés de réorganiser l’association. Le
premier est arrêté en janvier 1941 et interné à Compiègne. Il s’en évade
en juin 1942, mais est repris et déporté à Sachsenhausen-Oranenburg,
d’où il n’est libéré qu’en 1945. Le second est secrétaire national jusqu’en
mai 1942, mais se voit ensuite confier d’autres fonctions militantes. Le
troisième est fusillé. Le professeur Marcel Prenant 23, un temps président
du Secours populaire de Paris, est lui aussi arrêté, torturé et déporté à
Neuengamme. Ni les mémoires orales ni les archives des Renseigne-
ments généraux ne permettent ensuite de savoir qui furent les dirigeants
de la mi-1942 à la fin 1943 : l’association s’est sans doute trouvée déca-
pitée, repliée sur des bastions départementaux eux-mêmes progressive-
ment décimés. C’est ensuite Pierre Kaldor, qui avait connu le Secours
rouge avant guerre 24, emprisonné politique pendant la « drôle de
guerre », responsable politique et militaire de la prison centrale de
Clairvaux et évadé en novembre 1943, qui est chargé de la direction
clandestine à partir du début 1944. Il est parallèlement membre de la
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semble-t-il autour de l’échelon départemental – les bastions plus actifs
étant la Haute-Vienne, le Puy-de-Dôme, la Côte-d’Or et, surtout, la
région parisienne, fiefs déjà organisés et efficaces avant 1939 et dont
l’implantation solide perdurera. L’action des militants consiste principa-
lement en collectes, impression et distribution de tracts. Ils font porter
des colis aux résistants emprisonnés, mais au même titre que d’autres
organisations et syndicats, la répartition étant semble-t-il surtout fonc-
tion des implantations géographiques.
Le Secours populaire œuvre également en faveur des familles
d’internés, déportés et fusillés, organisant des collectes dans les entre-
prises et au porte-à-porte, distribuant des bons de ravitaillement. Des
enfants de victimes reçoivent des jouets et friandises à Noël, sont
envoyés à la campagne. Les femmes jouent un rôle important, dans les
collectes comme dans la confection de colis ou le tricotage de vêtements
redistribués aux prisonniers ou aux familles. À partir du début 1944 :
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
Les liens semblent être restés étroits avec le parti communiste clan-
destin, notamment via le Front national auquel le Secours populaire
adhère dès sa création. L’association participe même à certaines actions
de Résistance, d’où la fierté affirmée à la Libération, constitutive de
l’identité revendiquée depuis l’entre-deux-guerres de « ne pas nous
contenter d’être des distributeurs de secours, mais des combattants
conscients de la cause française et républicaine 28 ». Elle continue de
tenir des positions très politiques, défend « l’Union soviétique et l’Armée
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rouge qui luttent pour la liberté et l’indépendance de la France »
(juillet 1941). Ses rapports avec le Comité français de libération natio-
nale semblent avoir été le calque de ceux liant le général de Gaulle et le
PCF, l’association se plaignant fortement de la très grande faiblesse des
fonds reçus d’Alger, alors que d’autres organisations de solidarité
semblent pour le moins mieux dotées…
Le Secours populaire sort finalement de la guerre décimé et décapité :
vingt-cinq secrétaires départementaux sont morts en déportation ou ont
été fusillés ; parmi les membres de l’ancien secrétariat national, ont
disparu Me Georges Pitard (fusillé par les nazis au Mont Valérien le
20 septembre 1941), Édouard Planque (condamné aux travaux forcés à
perpétuité, mort au camp d’Herzbruck), Émile Bureau et M. Raymond
(morts en déportation), Robert Blache (arrêté en 1940, torturé, il s’évade
et reprend le travail clandestin ; de nouveau repris en août 1943 par la
Gestapo, torturé sans parler, il est fusillé en août 1944). Charles Désirat,
déporté au camp d’Oranienburg mais rescapé, se retrouve ainsi seul
survivant du secrétariat d’avant-guerre.
27. La Défense clandestine, 53, juin 1944, lettre au président du CNR datée du
15 mars 1944.
28. Rapport présenté à la Conférence régionale du Secours populaire de Paris
le 10 décembre 1944.
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charitables) puis aux populations civiles victimes des guerres (Espagne).
Elle témoigne alors d’une action quasi humanitaire : certes, elle prend
ouvertement parti pour l’un des deux camps, mais elle apporte sans
discrimination aux civils, femmes et enfants d’abord, une aide maté-
rielle sous forme de médicaments, matériel sanitaire, vivres et
vêtements.
Son identité d’entre-deux-guerres est donc fondamentalement
ambiguë. En restera pour certains l’image rouge et la fonction de
brancardier ; pour d’autres au contraire, elle est devenue ouverte,
humaniste voire humanitaire, non discriminante. Cette dualité, qui
constitue davantage une antinomie qu’une possible complémentarité, ne
cessera de servir de référent et d’être alternativement mobilisée, tant
selon les individus que selon les phases politiques traversées par le parti
communiste, dans un mouvement récurrent d’oscillation entre
ouverture et fermeture.