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Girard
Jacques Lacan
Dans La Cause du Désir 2023/1 (N° 113), pages 12 à 48
Éditions L'École de la Cause freudienne
ISSN 2258-8051
DOI 10.3917/lcdd.113.0012
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PRÉSENTATION
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Chacun pourra constater que cette présentation clinique est d’une saisissante actualité
concernant la question trans ou celle des addictions. La surprise provient encore de la centralité
d’un objet pulsionnel et génialement cerné au fil d’un entretien unique. Les commentaires
de Jacques Lacan faisant suite à cette rencontre font valoir que celui-ci n’exclut pas qu’un
transfert, au sens analytique du terme, soit une option possible. Il s’agit donc aussi d’une
grande leçon de psychanalyse.
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Présentation de M. Girard
— M. Girard : J’ai presque agi… Évidemment, j’avais un peu de salaire, alors évidemment,
vous savez, c’est une possibilité, toujours… Il me dit : « Tu peux pas me passer cinq
francs ? ». Mais vous savez, cinq francs et cinq francs, ça fait dix, et puis au bout d’un
certain temps, ça fait beaucoup de somme.
— Docteur Lacan : Dites-moi, là, vous parlez de qui ?
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— Avant quoi ?
— Avant cette dernière liaison, celle dont je parlais. C’était la toute dernière. Après, je
suis venu ici. Celle dont j’ai eu à T*.
— Pourquoi dites-vous : « Dont j’ai eu » ?
— Celle que j’ai eue à T*, je veux dire.
— Oui…
— J’en ai eu également une première à T*. Avec un Vietnamien. Lui me faisait payer,
mais il était conscient. C’était un garçon, quand il prenait une décision, il la prenait en
pesant ses mots. Je n’ai jamais eu à constater de défaut. Vous comprenez, il me dit :
« Je serai là à telle heure », il était là pas avant, ni après, il était là juste à l’heure. Il prenait
une décision, il m’avait dit c’était oui, c’était oui. Il m’avait dit non, c’était non. Vous
comprenez ? Il m’a dit : « Je veux bien accepter avec toi, et même de rester avec toi, à
condition qu’il y ait des arrangements entre nous. »
— Oui…
— De vivre… Parce qu’il avait l’avantage.
— Il avait l’avantage.
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— Je ne l’ai jamais cherché. Je l’avais remarqué. Mais, tout comme une chose qu’on ne
connaît pas bien, on se méfie. J’étais confiant, je suis beaucoup plus méfiant maintenant.
J’étais très confiant, trop confiant.
— Hmm.
— Je l’avais remarqué dans un café. Comme ça, à un angle. Il jouait tout le temps au
billard, avec d’autres. Et puis un jour, ma foi… Je me disais toujours : oh, ce garçon est
trop bien pour moi, je l’aurai jamais. Je me suis dit en moi-même. Et puis une fois, je
suis rentré au bar, et comme c’était un billard, on jouait à plusieurs, quatre joueurs, et
qu’il n’y en avait que trois, j’ai été le quatrième, évidemment.
— Oui.
— Et je lui ai parlé, comme ça… Et quand je lui ai… Un jour je l’ai emmené faire une
promenade en voiture, et puis ensuite, quand je lui ai demandé où il adressait…
— Oui ?
— Quelle était son adresse. Il m’a donné une fausse adresse. Et un faux nom. Enfin, il m’a
pas donné son nom, mais un prénom. Et alors, c’est seulement quelques mois plus tard
que j’ai commencé à avoir des relations avec lui. Alors là, justement, il avait d’abord…
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te donne une nuit, tu peux faire ce que tu veux. Nous dirons que nous avons été au bal,
ou quelque chose comme ça, on invente quelque chose et puis c’est tout. » Comme ça
personne n’est au courant, c’est en toute discrétion. Mais alors, euh…
— Alors ?
— Alors, j’ai eu des relations avec lui.
— Sur cette base ?
— Oui, évidemment… j’ai continué comme ça pendant dix mois.
— Ah oui…
— Oui, quelques fois, avec lui.
— Qu’est-ce que veut dire que vous avez continué ? Qu’ à chaque fois, c’était sur cette base
d’un tarif de deux cents francs ?
— Oui. Mais il savait fort bien que je ne cherchais pas seulement qu’un amour physique.
Un amour physique, mais aussi une entente morale. Or, la première fois, il m’avait dit :
« Écoute, je te dis tout de suite, il se peut que je revienne avec toi, comme je ne revienne
pas avec toi. Ça dépend tout comment tu vas agir avec moi. »
— Hmm hmm.
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— Quand vous avez commencé le cours. Qu’est-ce que veut dire « le cours » ?
— Le cours, parce que c’était un cours donné par Monsieur N*., dans un centre,
l’institut D*. Maintenant ce monsieur-là ne fait plus le cours. Mais quand je me suis
adressé à lui, il existait, la section hatha-yoga existait, maintenant elle n’existe plus.
— C’était ce que je vous demandais en vous disant « à quelles conditions ». Donc, vous ne
faisiez pas ça tout seul ?
— Je le faisais par cours seulement. On m’indiquait une posture. C’était un homme,
toujours le même homme, qui était photographié… il nous faisait des indications…
— Mais quoi, c’est un cours par correspondance ?
— Oui, exactement. Tous les quinze jours, je recevais…
— De l’institut D* qui est situé où ?
— Je ne sais pas.
— Il était situé à T* ?
— Non. À P*.
— P* ?
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— Et alors il m’a dit : « Mais vous venez sur un coup de tête. » Et en réalité, je venais
presque sur un coup de tête. Mais quand je suis revenu après, je ne suis plus revenu sur
un coup de tête. Parce que je suis revenu à T* et puis ma mère m’a dit : « Oh ben écoute,
tu vas essayer, tu vas y aller une quinzaine de jours et puis après tu reviendras, tu verras
que c’est pas pour toi. » Je n’étais pas aussi sûr. Et puis, j’ai écrit une quinzaine de jours
plus tard à mes parents et je leur ai dit : « C’est bon, je ne reviens plus. » Alors évidem-
ment, ils étaient très… Et alors justement…
— Ils étaient très quoi ?
— Ils étaient très… déçus. Et désappointés.
— Hmm.
— Même très désappointés. Et j’ai cherché du travail à P*. Parce qu’on m’a dit : « On
vous acceptera au centre V* que si vous avez vécu pendant un certain temps, un ou
deux ans, en prouvant que vous pouvez gagner vous-même votre vie. Tout seul. Sans vos
parents. » Et justement, je n’étais pas en état. Mais alors il s’est passé ceci : c’est que cette
méditation, d’abord, imposait une chasteté absolue… Alors, évidemment, j’ai essayé de
le pratiquer, désespérément, mais j’y arrivais quand même, parce qu’il fallait de la
volonté. La méditation m’y encourageait. Ensuite, j’ai trouvé que cette méditation me
donnait un calme, une paix d’esprit, mais surtout… Je me suis enfoncé dans la médi-
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ça normalement. J’usais d’ailleurs beaucoup de lait. Je buvais au moins un litre de lait par jour.
D’ailleurs, ça me faisait déjà beaucoup de bien déjà. Mais quand j’ai recommencé la viande,
j’ai tout de suite vu. La méditation était tout de suite troublée. Parce que la viande… Voyez,
j’aurais pris n’importe quel médicament, le plus petit calmant, tout de suite j’aurais été
incapable d’avoir une méditation soutenue. Même des quantités d’une plante non toxique
comme la valériane… J’aurais pris trente gouttes de valériane, je serais sorti de la médita-
tion. C’est pour ça que je ne prenais aucun médicament. Absolument aucun. Je prenais, si
parfois je me sentais fatigué, un tout petit café, quelques cuillerées seulement à café.
— Bon. Ceci au moment du retour chez vos parents alors ?
— Oui.
— C’est eux dont il s’agissait quand vous m’avez dit : « Ils m’ont accepté comme végétarien » ?
— Oui.
— Et alors ?
— Alors, il y a une chose que j’ai oubliée. Bien avant que nous soyons à T*, nous étions à St*.
— C’est de ça que vous n’aviez pas parlé à…
— Non, ça j’en ai parlé avec la doctoresse.
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voulait agrandir son magasin qui était à côté, et qui a fait des transformations. Et nous
avons fait hôtel-bureau. Seulement hôtel-bureau. Et alors j’ai voulu trouver un dérivatif,
des stimulants qui me faisaient travailler apparemment mieux. J’ai commencé par la
vitamine C, et puis ensuite j’ai pris de l’acétate de désoxycorticostérone par voie perlinguale.
C’est l’hormone même produite par la glande surrénale. Et ensuite…
— Vous vouliez stimuler votre glande surrénale ?
— Non, je voulais trouver un stimulant du système nerveux central.
— Qui est-ce qui vous a dit d’employer ce médicament ?
— J’avais déjà étudié les plantes et ensuite je me suis mis à la pharmacie. J’aimais beau-
coup ça et je me complaisais à étudier ces choses-là.
— Oui, oui.
— Plutôt que la médecine, je dis bien. Plutôt ça que la médecine.
— Oui. Et alors ?
— Ensuite, j’ai pris de la vitamine C. Je me suis senti stimulé. Ça a duré quatre jours,
parce que j’en prenais des doses évidemment un petit peu inconsidérées. Ensuite, j’ai pris
de l’hormone surrénale, l’acétate de désoxycorticostérone. Et puis ensuite, j’ai pris des
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faisait pas voir la réalité. Je prenais de la Corydrane qui contient de l’acide acétique
salicylique. Parce qu’autrefois, elle n’était pas au tableau. Elle était au tableau à cause
de l’amphétamine qu’il y avait. Je mettais ça dans un verre d’eau, je remuais bien ça, je
laissais déposer l’acide acétique salicylique et je buvais le reste. Alors évidemment, j’avais
juste l’amphétamine. Après j’ai pris Maxiton, j’ai été de plus en plus fort. Je prenais
toujours quand même des fortifiants, parce que sans quoi, je n’aurais jamais…
— Pendant cette période où vous étiez donc de plus en plus fort…
— Enfin, fort… C’était factice.
— C’était le sentiment que vous en aviez. Et le sentiment aussi que vous cultiviez, si je puis dire.
— Oui. Parce que je ne voyais pas que j’arrêterais.
— Oui. Mais pendant ce temps-là, est-ce que vous aviez des besoins d’ordre sexuel ?
— Oui, évidemment, mais je les satisfaisais moi-même.
— À ce moment-là, vous vous satisfaisiez vous-même ?
— Oui.
— Écoutez, appelons les choses par leur nom, ça veut dire que vous vous masturbiez ?
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Parce que la strychnine, j’avais pris quand même la dose jusqu’à presque dix tablettes par
jour. Là, je me suis dit, ça ne peut plus continuer. Alors mon père a dit : « Écoute, on
va appeler un docteur. »
— Vous aviez un docteur pendant ce temps-là ?
— Oui.
— Qui c’était, votre docteur ?
— Je donne pas de nom.
— Non, mais c’était un docteur…
— Un docteur de quartier.
— Comment ? Un docteur de quartier ? Où : à T* ?
— Non, à St*.
— À St* ?
— Et alors…
— C’est à St* qu’était l’hôtel en question ?
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et puis un moral épouvantable. Et alors, j’arrive sur… À midi, je me suis mis à trembler,
parce que je n’avais pris aucun stimulant, rien du tout, je me levais, je tremblais de tout
le corps.
— Arrêt total et brusque.
— Ah oui, tout à fait, totalement.
— Et alors ?
— J’ai tenu. Deux jours. Ça a pris deux jours. Au bout de deux jours, je me suis dit :
je m’ennuie dans ce lit. Je n’arrivais pas à dormir. La nuit, j’étais tout le temps en bas et
le jour, j’étais tout le temps au lit. Alors je me suis dit que j’allais acheter une bouteille
de codéine, parce que j’étais enrhumé. Or cette bouteille de codéine était quand même
confortablement remplie. Je me suis dit je vais prendre ça une fois pour…
— Pour ? Pour… ?
— Dormir. Enfin avoir la tête plus… Mais quand j’ai… à la place de prendre la dose…
— Vous auriez eu autre chose que de la codéine, ça aurait été le même prix ?
— Non, non, non, je prenais la codéine, la codéine. Parce que je savais les effets.
— Vous saviez les effets de la codéine ?
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— Oui. Je n’en avais plus besoin. Je n’en avais plus besoin physique. J’avais remarqué
auparavant que dans l’opiomanie, je n’en prenais plus non pas pour le plaisir que ça
pouvait me procurer, mais par le besoin physique. J’avais remarqué.
— Bon.
— Ce n’est plus le plaisir qui m’attirait, mais c’était le besoin physique.
— Mais cet état de besoin n’a pas cessé avec l’instauration de vos relations.
— J’en avais déjà pris, je vous ai bien dit tout à l’heure, plus que tous les quinze jours.
— Oui.
— Et après toutes les trois semaines.
— Oui.
— Alors après, j’ai laissé tomber complètement, parce que j’avais ce Vietnamien. Je
trouvais ça plus naturel. Un peu plus naturel. Et alors après, j’ai connu…
— Donc à ce moment-là, quand vous avez eu votre liaison avec le Vietnamien, vous avez
laissé tomber, sans difficultés ?
— Oui, sans difficultés. Et ensuite, j’ai été à G*, j’avais laissé tomber ce Vietnamien, j’ai
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La confiance régnait entre nous. Parce qu’il était correct avec moi et j’étais correct
avec lui. Sans quoi il aurait été incorrect et moi aussi. Vous comprenez ? Et alors,
justement… Ensuite, j’ai…
— Bon. Et alors ? Ceci a duré jusqu’au moment…
— … où j’ai été au centre V* de G*. Et ensuite, j’ai repris. Alors j’ai totalement rompu
avec l’opium pendant cinq mois.
— Qu’est-ce qui vous a poussé à changer un ordre de vie, qui avait l’air d’une petite vie bien
installée avec ce Vietnamien ?
— Oui, mais…
— Ça ne vous satisfaisait pas ?
— J’avais déjà auparavant lu les effets de la méditation. Et je me suis dit : ça serait peut-
être… Je me suis dit : si je m’y mettais. Mais je n’ai pas songé un seul instant que ça
pouvait être un dérivatif. Et c’est seulement après que j’ai eu cette méditation, que je
prolongeais de plus en plus longtemps, que j’ai commencé à cinq minutes, qui durait
après trois heures – pas trois heures d’affilée quand même : une heure le matin, une heure
à midi, une heure le soir –, qui était une méditation qui éduquait mon cerveau, parce
que j’arrivais à me concentrer sur une chose, sans presque pas avoir de parasites. Donc,
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— Oui. Et il y avait surtout un entêtement, parce qu’il était né de là une… Elle était…
Mes parents étaient butés avec ça. Mais moi aussi, j’étais buté. Il y avait un conflit.
— Qui est-ce qu’il y a dans la famille, en dehors de vous trois ?
— Nous étions seulement tous les trois. Il n’y avait pas de frères et sœurs.
— Vous n’avez aucun frère et sœur ? Vous n’en avez jamais eu ?
— Non.
— Oui.
— Et alors justement, je dis… Justement, il y avait un conflit entre nous.
— Mais, si vous me parliez de votre mère ?
— Mais je continue… Ma mère aurait été plus compréhensive que mon père, mais mon
père c’était pète-sec, vous comprenez ? Alors évidemment, je leur rendais coup pour
coup. Ça allait très mal à chaque coup. On se disputait, on se battait, c’était épouvan-
table. Jusqu’au moment où on a conclu ce pacte, et là, on est resté chacun sur nos positions.
Ma mère disait « Moi, je suis une chrétienne » et elle aurait été à la messe rien que pour
me montrer qu’elle allait à la messe. Rien que pour ça ! Moi, je fais toujours ma prière
du soir, je trouve ça naturel. Je disais :« Si tu veux, on peut prier ensemble », mais ça la
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vais bientôt repartir en Amérique. » Et j’ai reçu une lettre, me conviant un certain jour à
rencontrer les élèves. Alors j’ai été là-bas, et là, j’ai fait la connaissance d’un Chinois. D’un
Chinois qui faisait des études de psychologie. Quand il a su véritablement mes sentiments
pour lui, il me dit : « D’abord, je ne veux pas t’encourager dans ton vice ; deuxièmement,
je ne suis pas comme toi ; et troisièmement, je t’accepte comme mon ami, comme avant,
mais rien de plus ; et quatrièmement, je veux que tu ailles voir un psychologue. » Parce qu’il
avait beaucoup d’amitié pour moi, et moi réciproquement. Mais alors…
— Ça, c’est depuis votre dernière liaison ?
— Non, la dernière liaison de T* a été après. Alors, il m’a dit : « Je t’en conjure, écoute
Laurent, vraiment tu me ferais plaisir. » Je dis : « Ça doit coûter quelque chose d’aller
chez un psychologue, ça doit coûter beaucoup de sous. » Il m’a dit : « Je ne sais pas, mais
renseigne-toi. » Alors je me suis renseigné. J’étais tout droit le soir même, pour le
contenter, à l’hôpital de T* et on m’a dit qu’il y avait un dispensaire. Il fallait s’adresser
le lundi. Je ne sais plus comment il s’appelle. Enfin, il y avait un dispensaire d’hygiène
mentale. Alors là, j’ai étudié le cas avec une psychologue. Au bout de quelques mois,
quand j’ai parlé d’opération, elle m’a dit : « Surtout pas, surtout pas ! » [Cette dernière
phrase est dite très vite, elle est à peine audible]
— Comment ? Comment ?
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— Vous aviez…
— Et alors là, évidemment, dans des cas pareils, vous comprenez, j’étais un peu surpris,
mais ça m’a un peu mis en face des choses.
— Oui. C’est ça que vous appelez le trait capital de votre expérience avec lui ?
— Non seulement ça, mais il m’a sorti, il m’a emmené dans des boîtes de nuit, il m’a
sorti un petit peu. Il m’a dit : « Si tu restes dans ton trou, tu n’apprendras jamais rien,
viens avec moi. » Il m’a emmené au café, il me forçait à boire du whisky. Je ne m’enivrais
pas, remarquez.
— Vous le payiez lui aussi, pour appeler les choses par leur nom ?
— Oui, je le payais. Je vais d’abord continuer, parce que sans quoi après, on va pas
comprendre, et puis… Je reprends mon fil.
[Interruption de l’enregistrement]
— Mais ça n’a pas marché. Sans quoi ça aurait été un fiasco.
— Ça aurait été un fiasco ?
— Oui, les médicaments, ça donne l’impression. Parfois ça réussit, parfois ça réussit pas.
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la personne à fond pour savoir comment il fonctionne, pour trouver, pour voir s’il y
aurait possibilité d’une fissure.
— Oui…
— Mais j’ai dit à la doctoresse : « Il faudrait quand même faire vite, parce que je ne veux
plus perdre mon temps. »
— Oui. Et vous ne voulez plus perdre votre temps à cause du point dont nous sommes partis.
— Parce que déjà pour ça, je me suis fait interner. C’est pour ça que je me suis fait
radicalement interner.
— Oui.
— Et comme mes parents ne sont pas au courant et que je ne veux pas qu’ils soient au
courant…
— Ne sont pas au courant de quoi ?
— Que je suis homosexuel.
— Oui.
— Mon père ne s’en doute pas. Ma mère peut-être, je ne sais pas.
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— Le dernier, oui. Et alors, il m’a dit « Je viendrai », parce qu’il était deux jours à M*…
Il m’a dit pour une fois, il voulait coucher avec moi. Et encore…
— Quelle sorte de relations proprement physiques avez-vous avec ces garçons ? Il faut bien que
j’aborde ce sujet.
— Ils se laissaient faire. Ils se laissaient caresser. Ils me caressaient au besoin. Pour se
faire… Pour jouer la comédie.
— C’est-à-dire ? Vous considérez qu’aucun d’entre eux n’avait vraiment…
— Aucun. Sauf le dernier, qui me faisait croire ça. Alors là, je le croyais.
— Vous croyiez qu’il avait vos goûts ?
— Oui. Mais justement, c’était l’inverse. Il me l’a dit il y a quelques jours, quand je l’ai
rencontré.
— Mais en somme, vous vous en passez assez bien que ces garçons aient vos goûts ? Puisque
c’est toujours avec des garçons qui n’ont pas vos goûts que vous frayez.
—…
— C’est un fait. À travers tout ce que vous me dites, ça paraît éclatant.
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— Oui…
— Dans tous les points de vue.
— Oui. Vous savez ce que veut dire – parce que vous êtes un homme qui avez assez
d’informations –, vous savez ce que veut dire le terme « sodomiser » ?
— Pardon ?
— Vous savez ce que veut dire le terme « sodomiser » ?
—…
— Non, vous ne savez pas ? Vous n’avez jamais entendu parler de ça ?
—…
— Bon. Eh bien, disons que c’est, pour un homme, un homme qui se met dans une position
passive. Pour un homme, être pris par derrière. Quel rôle cela joue-t-il ?
— Sur quel plan ?
— Pénétrer par derrière ?
— C’est-à-dire… vous parlez de relations anales, au point de vue sexuel ?
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— Je ne connais pas de femme. Je n’ai jamais connu de femme vraiment… que comme
ça, en parlant.
— Mais quand vous me parlez d’une opération, vous voulez dire quoi ?
— Changer absolument d’organe… sexuel.
— Vous voulez dire, donc, que par une opération chirurgicale…
— Et des hormones, évidemment…
— … et des hormones, on arriverait à quelle sorte de transformation ? Vous vous feriez enlever
l’organe masculin ?
— Évidemment.
— Bon, mais…
— Pour le remplacer.
— Comment ?
— Pour le remplacer. Ou je ne sais quoi. Enfin, je sais plus… je vous dis, je n’ai jamais…
— Parce que vous ne savez pas par quoi il serait remplacé ? Il serait remplacé par quelque
chose qui pourrait vous donner la même jouissance ?
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— Je suis inscrit Laurent Désiré Girard, je serai toujours Désiré. Mais Désiré peut être :
Désirée, é-e. Mais sur l’état civil, je suis toujours homme.
— Oui. Alors l’avantage…
— L’avantage : vous savez qu’en France, il n’existe pas de carte n’est-ce pas…
— Comment ? Il n’existe… ?
— Il n’existe pas de carte d’identité double. Si quelqu’un change de sexe, il est marqué
sur son état civil : masculin. De sexe masculin. Alors évidemment, si on me demande
ma carte d’identité, en étant femme, en étant devenu une femme, j’ai tout de suite
quelques petits ennuis. Après, si c’est accordé, j’ai des ennuis quand même.
— Après que soit accordé quoi ?
— Je veux dire, j’aurais des ennuis si un agent me demande ma carte d’identité, et que
je sois femme, et que je lui présente une carte d’identité masculine !
— Parce que quoi ?
— Il dira : « C’est pas normal ça, d’où ça vient ? » Évidemment, je lui expliquerais mon cas.
— De toute façon, c’est le terme « légaliser » que vous avez employé : ça ne légalisera pas votre
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— Évidemment.
— À produire selon les circonstances ? Quoi, c’est ça ?
— Mais évidemment. Exactement. Parce que sans quoi quelqu’un peut avoir des ennuis.
On lui dit : « Comment, vous êtes une femme ? Prouvez-moi que vous êtes vraiment
cette personne-là. » Si on tombe sur quelqu’un de pointilleux…
— Comment imaginez-vous ça ? Que vous vous habilleriez en femme ?
— Oui, si j’étais femme. Parce que je ne me vois pas me travestir. Si je reste homme, je
m’habille en homme. Je ne veux pas me travestir. Je n’aime pas ça. Ça me paraît une
mascarade.
— Oui. Est-ce que ça ne serait pas une mascarade de toute façon ?
— Non… je ne suppose pas. Écoutez, une opération, c’est quand même pas quelque
chose à envisager à la légère ! C’est quand même quelque chose de…
— Bon. Alors, quand vous parlez de quelque chose de durable, vous voulez dire que vous
rêvez d’une espèce de mariage ?
— Évidemment.
— C’est à ça que vous pensez ?
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— Justement, ça ne vous frappe pas le caractère très suspect, très douteux, de ces liaisons où
c’est vous qui payez ? Mais le fait que c’était vous qui payiez ne change rien à l’indignité de
la chose ! Vous vous êtes bien rendu compte que, tout de même, ces garçons vous exploitaient.
— Sauf le dernier, je croyais.
— Vous le croyiez. Mais justement, vous ne le croyez plus.
— Je le croyais plus. La prochaine fois, je ferai beaucoup plus attention. Ça coûte cher
à chaque fois.
— Oui, mais c’était quand même de l’ordre d’une prostitution. C’est pas parce que c’était pas…
— Il me demandait de l’argent : « Je dois ceci, je dois cela. » Alors, comme je pouvais,
je lui donnais.
— Vous vous trouviez participer à un lien très équivalent à celui de la prostitution.
— Non ! Vous me comprenez mal. J’avais commencé par ce garçon. Je le prenais pour
un homme, un homosexuel, et moi aussi. Je le regardais comme si ça avait été pour
toujours. Mais je n’ai pas eu de relations sexuelles avec lui.
— Oui.
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— C’est ça.
— Mais je lui donnais parce que je savais que je ferais ma vie avec lui. Parce que je pars
toujours de cette idée.
— Faire votre vie ?
— Avec quelqu’un d’autre.
— Oui.
— Maintenant je dois envisager… Avec une femme, ou avec un homme, suivant…
C’est pour ça que je suis ici dans un hôpital, interné même. Je m’ennuie, mais je préfère
m’ennuyer.
— Qu’est-ce que vous faites toute la journée, en dehors des entretiens que vous avez eus ici ?
— Pour l’instant, je lis des… Parce qu’apprendre une langue, pour moi c’est un plaisir.
Peut-être que pour certains, c’est un exercice, c’est un travail. Pour moi, c’est une distrac-
tion.
— Bon. Vous avez été ici en traitement. Ce traitement-là doit naturellement, bien sûr, être
poursuivi dans la ligne de ce qui a été instauré. Voilà.
— Ça me réussit, j’espère.
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DISCUSSION
La clinique. C’est celle de quelqu’un qui est présenté devant quelqu’un qui est avant
tout psychiatre. C’est-à-dire moi-même, qui dans l’occasion fonctionne comme tel.
C’est assez différent de ce que nous appelons un entretien psychanalytique, s’il est orienté
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vers l’inauguration d’un traitement. Ce n’est évidemment pas comme ça que j’aurais vu
ce garçon, s’il s’était agi de le prendre en traitement. Il y a des précisions dont je me serais parfai-
tement dispensé, puisqu’elles sont de celles qui auraient eu à venir dans le traitement.
Par contre, il y a d’autres registres sur lesquels j’aurais éprouvé ce qu’on peut attendre
de la relation analytique dans un cas pareil.
Est-ce que c’est à ce titre que vous l’avez pris en charge, madame ?
— D r D* : Non. Je le vois régulièrement depuis qu’il est arrivé, mais pas…
— D r Lacan : Parce que lui a l’idée que vous avez entrepris un traitement. On pourrait
poser la question en ces termes : indication ou non de la psychanalyse ? Cela ne me
paraît pas impensable. Voilà tout ce que je peux en dire. Encore, ça ne veut pas dire que
ce soit ni franchement indiqué ni qu’on puisse trancher après ce seul entretien.
Pour rester dans ce registre que j’ai qualifié tout à l’heure de vague : il pourrait
ne pas être vague du tout. Mais il est resté vague parce qu’on ne l’a pas précisé. Pour ce
qui est de la clinique psychanalytique, pour tous ceux qui, ici, ont quand même une
petite idée de l’ordre dans lequel la psychanalyse permet de ranger les choses : en fin de
compte, c’est ça ce qu’on appelle clinique psychanalytique. C’est l’idée d’une certaine
classification, classification qui ajoute quelque chose au registre classique.
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Caractère d’équivalence – c’est pas moi qui le dis, c’est lui qui l’a porté ici en avant
– de l’addiction. De l’addiction dans son ensemble, de l’addiction orale. Toutes les
choses qu’il s’est envoyé dans le coco, pourquoi ? Pour satisfaire quelque chose. De dire
qu’il s’agissait de suppléer à son asthénie, à sa fatigue, etc. : tout ça, ce sont des expli-
cations qu’on se donne. Mettons que ce ne soit pas complètement injustifié, ça ne suffit
pas à motiver la chose. On voit combien ses habitudes, ses addictions orales, jouent un
rôle tout à fait prévalent à certains moments. Le fait de ce qui se substitue dans un
certain type de relations – dont ce n’est pas du tout par hasard qu’elles prennent cette
forme de la sportule, du petit argent qu’on donne – , et dont on voit très bien se révéler
le fond : il les nourrit ! Dans certains cas, c’est devenu tout à fait patent : le gars venait
s’installer chez les parents, qui, comme par hasard, sont bistrotiers, qui sont nourrisseurs,
qui vendent leurs salades. Le plan oral est toujours là, tout à fait présent, dominant. Là,
il y a presque une notion de centre de gravité, d’axe principal. Cet axe pulsionnel
s’accompagne de tout un élément de rêverie, des éléments cogitatifs. C’est ce qui nous
renseigne aussi sur les rapports d’un certain type de cogitation avec la pulsion orale.
C’est ce qui s’impose. Il y a là une sorte de présence.
La façon dont il vit les choses, à savoir même la façon dont se projette pour lui le
présent, l’avenir, le sentiment d’urgence, le besoin d’installation de son existence : tout
ceci a le même centre, est organisé de la même façon.
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Le terme de « désiré » vient là et se trouve comme par hasard dans son nom. Son jeu
de mot sur « désiré », qui pourrait être à la rigueur « désirée », fait partie de ces côtés qu’il
n’y a jamais lieu de refuser et qui sont ces espèces de détails qui collent tellement bien
avec le fond de la question. Comment, en effet, a-t-il été désiré par ses parents ? Ce n’est
certainement pas dénué d’intérêt de le savoir, puisqu’après tout, ce sont ses parents qui
lui ont donné ce nom. Ceci prouve bien qu’il peut y avoir, là-derrière, la question du désir
des parents.
La prévalence, dans toute cette affaire – nous l’avons eue tout de suite dans le creux
de la main – de l’insertion familiale : non seulement il ne peut pas en décoller, mais c’est
pour lui comme ça que se pose le problème. Il nous aborde en nous disant : ils ne vont
pas vivre toujours ; il faudrait que je me refasse une famille. Que ce soit ça qui soit à
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Ceci fait quand même parler de la question diagnostique que j’ai dans la tête, à savoir
le diagnostic de transsexualisme. Ça permet de l’en distinguer : ce n’est pas du tout
comme cela que se présente ce qu’on a épinglé, dans la clinique psychiatrique, sous le
terme de transsexualisme. Je ne suis pas ici pour faire un cours sur le transsexualisme.
Mais enfin, on en parlait hier soir avec nos amis qui m’ont accueilli. Je regrette que la
thèse d’Alby 2 ne soit pas à notre disposition, c’était l’époque où les thèses étaient simple-
ment ronéotypées. C’est une thèse extrêmement remarquable, il faudrait trouver le
moyen qu’elle soit publiée. Enfin, ce n’est pas du tout un transsexuel.
C’est quelque chose qui se situe aux limites de l’addiction, au sens où elle est très
spécifiquement définie dans la psychanalyse par une certain type de relation du sujet à
la pulsion orale. Je ne peux pas pousser les choses plus loin, mais la question de ce qu’est
cette structure, c’est bien sûr de cela qu’il s’agit. Il y a là-dessus tout un travail dans le
champ psychanalytique et cela a eu pour effet de marquer les traits de structure par où
ceci se rapproche de la perversion. Je ne serai donc pas étonné de le voir marié à ce qui
se présente comme plus communément rangeable dans le registre de la perversion sous
le terme, en lui-même tout à fait impropre, d’homosexualité.
2. Cf. Alby J.-M., « Contribution à l’étude du transsexualisme », thèse pour le doctorat de médecine dirigée par le
Pr. Jean Delay, Paris, 1956.
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Si vous avez vu un tant soit peu de malades, vous avez pu vous rendre compte que
ce type-là d’homosexuel n’est pas du tout un type d’homosexuel universel. Cela a un
certain style, qui laisse présumer que les difficultés ne seront pas moins grandes que
dans toute cure psychanalytique concernant ce qu’on voit plus communément comme
homosexualité, mais elles seront certainement axées autrement en raison de la préva-
lence, de la dominance de l’addiction dans ce qui est son centrage.
Je dirais qu’une cure analytique – à laquelle s’adjoindrait peut-être une référence très
discrète, de temps en temps, à un tiers destiné à donner certains conseils quant aux
règles de vie, quant au maintien d’une certaine ligne – ne serait pas impensable. Mais alors,
avec une cure proprement psychanalytique, il faudrait voir comment cela fonctionne, sept
ou huit mois. En d’autres termes, s’il se produit ce qui est essentiel à considérer, à savoir le
transfert. Ce n’est pas exclu. Voilà mon sentiment. Ce n’est pas exclu en raison de ce côté
frontière entre l’addiction et la perversion que présente ce cas.
Voilà, je ne refuse pas de conclure, j’opine sur ce qui, en somme, sanctionnerait ce
qui peut être apporté.
[Fin de l’enregistrement]
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