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Alexandre Stevens
Dans La Cause freudienne 2009/2 (N° 72), pages 137 à 140
Éditions L'École de la Cause freudienne
ISSN 1240-1684
ISBN 9782905040664
DOI 10.3917/lcdd.072.0137
© L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 17/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 81.64.43.151)
L’interprétation lacanienne
Alexandre Stevens*
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*
Alexandre Stevens est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de la New lacanian School (NLS).
Ce texte a été présenté lors du VIIe Congrès de la NLS, ayant pour thème L’interprétation lacanienne, les 9 et 10 mai
2009 à Paris.
1. Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, no 32, Paris, Navarin / Seuil, février 1996, p. 13.
2. Miller J.-A., « L’or à gueule de la Lituraterre », in L’orgueil de la littérature, Genève, Droz, 1999, p. 125.
Alexandre Stevens
supérieur – ce que l’inconscient vient de dire. Pour eux, l’interprétation est peu ou
prou un métalangage qui dit mieux une vérité déjà énoncée par l’inconscient.
L’interprétation reformule alors les dits de l’inconscient, dans un autre langage,
méta donc, un métalangage.
Lacan s’est démarqué de cette conception dès le début de son enseignement, que ce
soit au moyen de la « parole pleine » ou de la ponctuation. Il s’est opposé à l’idée
que l’interprétation serait un métalangage. L’interprétation n’est pas un mieux-dit
ou un dit plus vrai que celui de l’inconscient. Elle est plutôt une ponctuation
introduite dans la phrase de l’analysant qui équivoque et ouvre le sens sur un peu
de hors-sens, qui fait glisser ce sens ou le dé-fixe.
En dessinant cette perspective, Lacan a donné ce qu’on peut appeler les modes de
l’interprétation. Ce sont, dans « L’étourdit », les trois points-nœuds de l’équivoque :
l’homophonie, la grammaire et la logique. L’interprétation n’est pas hors sens, au
sens où elle devrait être incompréhensible ; elle rase plutôt le sens avec l’équivoque.
Pour l’homophonie : « Je tiens, dit Lacan, que tous les coups sont là permis. »3 Cette
formule nous rappelle la manière dont il présentait l’interprétation de l’analyste
dans « La direction de la cure… » – « libre toujours du moment et du nombre,
autant que du choix de mes interventions »4. Pour la grammaire – dont le mode
interprétatif minimum est un « Je ne te le fais pas dire »5, c’est-à-dire un « Tu l’as
dit » –, Lacan renvoie quasi explicitement à ce qu’il développait également dans
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interprétation, viser aussi un au-delà, une vérité pas-toute ou un réel selon les
moments de l’enseignement de Lacan ; c’est ce que porte la logique dans
l’équivoque interprétative.
Ces règles de l’interprétation par l’équivoque restent-elles pertinentes aux différents
moments de l’enseignement de Lacan ? Homophonie, grammaire et logique sont
trois noms de la ponctuation qui, selon leur place dans la phrase, en modifie le sens.
Or, si – comme l’avance J.-A. Miller dans « L’interprétation à l’envers » – « l’âge de
l’interprétation est derrière nous »7, cela concerne aussi l’interprétation par la
ponctuation. « La ponctuation, appartient au système de la signification ; elle est
toujours sémantique ; elle effectue toujours un point de capiton. »8 C’est dire que
la ponctuation reste toujours dans la structure de l’inconscient, S1 S2.
L’interprétation prise à l’envers est dès lors coupure. C’est, nous dit encore J.-A.
Miller, « retenir S2, ne pas l’ajouter, aux fins de cerner S1 »9. L’enjeu est de saisir S1,
tout seul, en n’ayant pas permis que le sens se boucle sous le signifiant suivant, S2.
Alors que ponctuer, mettre un point de capiton, c’est boucler d’une certaine
manière le sens, c’est-à-dire le refermer et le fixer. Couper la séance permet en
revanche de rompre avec le sens. Pour obtenir cela, il faut donc que la séance soit
courte, ou plutôt qu’elle soit écourtée, littéralement, que la coupure ait lieu avant
que le sens ne se boucle, ne se complète. La séance restera ainsi a-sémantique, non
clôturée par un sens.
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capiton ? Poser cette question, c’est déjà faire entendre que la réponse dépendra de
la situation clinique et de la manière dont le sujet est pris dans une jouissance. Et
ce, d’autant plus que l’interprétation est elle-même au principe de la psychose
paranoïaque. Je propose de prendre ici un éclairage du texte d’Éric Laurent sur le
traitement des psychoses, paru dans un numéro des Feuillets du Courtil11, où il
introduit le terme de « traduction » de la jouissance. Ce qu’on peut attendre du
psychanalyste dans ces cas-là, c’est qu’il mène le sujet à traduire en signifiants la
jouissance qui le saisit, pour la recouvrir par des semblants.
Bien-dire, c’est ici traduire au plus près de la jouissance éprouvée, subie par le sujet.
Traduire peut permettre au sujet de trouver un point de capiton – au moins
provisoire, en attendant le suivant – au sens qui file. Avec cette tentative de
capitonnage, nous produisons – ou plutôt nous laissons produire par le sujet – un
certain bouclage du sens qui situe la séance analytique comme une unité
sémantique, bouclée par le sens, plutôt que comme a-sémantique, c’est-à-dire non
clôturée par le sens. Mais la traduction peut aussi se saisir hors sens : c’est la lettre
qui vient, de son tracé, limiter la jouissance, c’est le S1 qui fonctionne sans se fermer
sur un S2. Il constitue alors un point d’ancrage pour la jouissance, à savoir un point
qui l’arrête, la limite, la fixe pour un temps, sans capitonner le sens pour autant.
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11. Cf. Laurent É., « Les traitements psychanalytiques des psychoses », Les feuillets du Courtil, février 2003, p. 7-24.
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