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D’un dire qui fait événement à l’événement de dire

Laurent Dupont
Dans La Cause du Désir 2018/3 (N° 100), pages 80 à 83
Éditions L'École de la Cause freudienne
ISSN 2258-8051
ISBN 9782374710167
DOI 10.3917/lcdd.100.0080
© L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)

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D’UN DIRE QUI FAIT ÉVÉNEMENT À L’ÉVÉNEMENT DE DIRE
Laurent Dupont

U ne analyse est faite de paroles. l’invitation à l’association libre n’est pas un vouloir
dire quelque chose, encore moins un devoir dire quelque chose, mais énoncer tout
ce qui vous passe par la tête. le pari est que de cette parole pourra émerger un dire
qui fera événement, soit produire un avant et un après. c’est donc sous transfert,
toujours, que peut surgir le dire qui fera événement dans l’analyse.
une analyse débute presque toujours sur un défaut de signification, la jouissance
incluse dans le symptôme étant opaque au sens 1, quelque chose fait énigme ou trou,
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laissant le sujet manquant d’une parole, d’un sens, d’une explication. ce défaut de
signification prend la tournure d’une demande adressée à l’analyste. « vous avez
rencontré un signifiant dont vous ne savez pas ce qu’il veut dire, vous allez chercher
un autre signifiant pour qu’il s’articule au premier. autrement dit, le signifiant du
transfert vous motive à aller chercher ce qu’il veut dire auprès d’un analyste comme
autre signifiant. 2 » on va en analyse avec un S1, à la recherche d’un S2 et ce que l’on
découvre au cours de son analyse et qui se révèle à sa fin, c’est que le transfert, ce
n’est pas le S2, mais la recherche elle-même.

De l’énigme à l’indicible

or, aujourd’hui, alors que l’adresse se fait davantage à un psychologue qu’à un


psychanalyste, cette demande s’accompagne souvent d’un « comment faire ? », soit
que l’interprétation se double d’un mode d’emploi. en répondant à la demande de
sens et de mode d’emploi, le psychologue bouche l’espace ouvert du sens, laissant
l’inconscient en rade du travail qui s’opère et réduit la rencontre à l’idée d’un échange
autour de la demande, d’une communication, d’une intersubjectivité, verroteries
offertes à l’angoisse.

laurent dupont est psychanalyste, ae de l’école de la cause freudienne.


1. cf. lacan J., « Joyce le Symptôme », Autres écrits, paris, Seuil, 2001, p. 565-570.
2. miller J.-a., « Come iniziano le analisi », La Cause freudienne, no 29, février 1995, p. 13.

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Laurent Dupont, d’un dire qui fait événement à l’événement de dire

le premier paradoxe de l’analyse, c’est justement ce défaut de sens qui produit


le transfert, en tant que le S2 tant attendu se fait attendre. le transfert repose donc
sur l’énigme que le sujet est à lui-même et la fin de l’analyse s’opère, une fois tous
les sens épuisés, toutes les constructions élaborées, élucubrées, sur ce point central
de l’indicible, là où la part de jouissance opaque incluse dans le symptôme témoigne
du plus singulier de chacun. il y a donc un au-delà du sens qui permet d’atteindre ce
point qui, s’il ne peut se dire, peut s’éprouver d’un effet de dire. dans sa « préface à
l’édition anglaise du Séminaire XI », lacan va proposer la chose ainsi : « Quand l’esp
d’un laps […] n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on
est sûr qu’on est dans l’inconscient. 3 » Être dans l’inconscient, c’est être au-delà du
langage, percer le mur du langage 4. dans le langage porté par une parole, ce qui se
vise, ce n’est pas le sens véhiculé par la parole, ni non plus l’essaim de S1 produit par
le S1, mais c’est la lecture de la séance telle que proposée par lacan dans
« l’étourdit », qui fait surgir la solitude radicale, le silence, la non-articulation. alors,
ce dire-là, fait événement dans la rétroaction vide, faisant surgir soudain, dans un
aperçu, l’inexistence de l’autre.

De l’événement de parole au dire

avant d’en arriver là, il y a d’un côté l’événement de dire et, d’un autre, le dire qui
fait événement. c’est-à-dire qu’il y a une trajectoire qui va du symptôme avec sa part
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interprétable, le symptôme de l’inconscient structuré comme un langage, au
sinthome en tant que trace d’un corps marqué, répétant sans fin la marque trauma-
tique de la rencontre initiale de ce corps avec le langage. et c’est par cette répétition
même que se repère cet au-delà du sens.
durant l’analyse, des phrases entendues, des mots, des souvenirs surgissent, se
dessinent, se désunissent, s’estompent… la certitude d’un souvenir peut se voiler,
perdre de sa substance, se transformer. pourtant, dans la séance, cette parole
énoncée du souvenir, par la présence de l’analyste, peut faire événement, se faisant
dire. on découvre alors qu’une parole entendue dans l’enfance a fait événement,
marquant le corps d’une morsure qui ne peut se retrouver que dans le dispositif
même de l’analyse, là où le désir de l’analyste est justement de maintenir la brèche
ouverte du S2 pour viser, au-delà, la singularité absolue. le désir de l’analyste « c’est
d’obtenir le plus singulier de ce qui fait votre être 5 ». c’est une visée plus qu’un
vouloir. les ae témoignent de ces moments qui peuvent se cristalliser dans un nom
qui vient encapsuler la jouissance. noms à la frontière de la part interprétable du
symptôme et de sa part à jamais opaque. très peu restent au final et, même dans le
travail de passe, dans l’outrepasse, ces noms trouvent encore à se dévoiler autre-
ment, à perdre leur éclat d’événement. il y a donc un double mouvement, un énoncé

3. lacan J., « préface à l’édition anglaise du Séminaire Xi », Autres écrits, op. cit., p. 571.
4. cf. miller J.-a., « l’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, no 88, février 2015, p. 105.
5. miller J.-a., « l’orientation lacanienne. choses de finesses en psychanalyse », enseignement prononcé
dans le cadre de l’université paris viii, cours du 19 novembre 2008, inédit.

la cause du désir no 100 81


événements de dire

dans l’analyse prend valeur d’événement de dire dans l’instant de ce dire lui-même,
contraction du temps logique qui résulte d’un au-delà du sens où l’instant de voir se
fait effet.
le souvenir, la parole entendue, venant de l’autre et qui nous revient sur le divan,
ou que l’on énonce comme jamais on ne l’avait énoncée avant, pourrait laisser à
croire que c’est là la résolution d’une analyse. or, cette parole n’est énoncée et
repérée comme telle, que parce que le sujet est en analyse, pris dans le dispositif,
que parce qu’il y a transfert et ce transfert repose sur ce désir de l’analyste de laisser
la production toute entière à l’analysant : « “l’analyste ne pense pas.” dans son acte
il s’efface, il efface sa pensée, il retient sa volonté de penser, et reste sa présence, il
doit être là 6 ». d’une certaine façon, ces paroles prononcées par l’autre, les parents
par exemple, n’existent pas, elles sont, elles ont été, mais elles n’existent pas, elles
ne sont que les pelures discrètes ou bruyantes de l’enveloppe qui recouvre la jouis-
sance opaque du symptôme. c’est la trace, la morsure, l’éprouvé qui témoigne de
l’au-delà de ce dire qui a fait événement et se repère dans ce qui, de ces noms, se
répète, itère. ce double mouvement implique de ne pas trop croire à l’histoire que l’on
se raconte, c’est « un discours où les semblants coincent un réel, un réel auquel
croire sans y adhérer 7 ». les noms deviennent des points de repère qui permettent
de lire la logique du témoignage pour qu’ils nous mènent au-delà, là où ayant perdu
leur éclat, plus de balises, plus de sens, au seuil de l’inexistence de l’autre, on
entr’aperçoit la solitude radicale de celui qui témoigne. là encore, ne pas trop se
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laisser fasciner, entr’apercevoir n’est pas s’y installer, nul ne vise à errer dans les
horizons déshabités de l’être. « Quand on vous nomme ae, analyste de l’école, c’est
qu’on estime que vous êtes désormais en mesure de poursuivre seul votre travail
d’analysant. et pas autre chose ! 8 » vous voilà donc analyste-analysant. c’est juste
qu’à ce moment, on ne peut plus l’ignorer de le savoir, s’engager dans la procédure
de la passe, vouloir témoigner, d’abord auprès des passeurs, puis, dans l’escabeau
de la passe 9, c’est se confronter à l’expérience de l’événement de dire, dire par le
témoignage. « [Faire] de son symptôme un escabeau, n’est-ce pas précisément ce
dont il est question dans la passe 10 » ? il y a dans la passe, dans le témoignage public,
un événement de dire, un corps qui prend la parole. c’est ainsi que Jacques-alain
miller propose ce moment de témoignage comme une démonstration que nous pour-
rions nommer : dé-monstration, soit quelque chose qui se montre en creux, dans le
creux de ce que la parole ne peut rendre, mais que le dire, en tant qu’il inclut le corps
permet de faire passer, ou pas. nulle garantie dans les témoignages, juste un événe-
ment, porter une parole qui peut ou pas faire événement. « [il] reste encore au
parlêtre analysé à démontrer son savoir-faire avec le réel, son savoir en faire un objet

6. miller J.-a., « l’orientation lacanienne. l’Être et l’un », enseignement prononcé dans le cadre de
l’université paris viii, cours du 30 mars 2011, inédit.
7. miller J.-a., « l’inconscient et le corps parlant », op. cit., p. 113.
8. miller J.-a., « présentation du thème des Journées de l’ecF 2009. comment on devient psychanalyste
à l’orée du XXie siècle », La Lettre mensuelle, no 279, juin 2009, p. 3.
9. cf. miller J.-a., « l’inconscient et le corps parlant », op. cit., p. 112.
10. Ibid., p. 111.

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Laurent Dupont, d’un dire qui fait événement à l’événement de dire

d’art, son savoir dire, son savoir le bien dire 11 » et il ajoute : « un dire, c’est un mode
de la parole qui se distingue de faire événement. 12 »

Dire l’événement de corps

nous avons vu qu’il y a des dires qui ont fait événement en ce sens qu’ils ont
mordu profondément notre corps, y laissant une trace indélébile – pourquoi celui-là
plutôt qu’un autre ? nous pourrions considérer que tous ces dires, ces phrases, le
fantasme lui-même, ne sont que réticules à partir du point premier, un de la
rencontre première d’un corps jouissant avec le signifiant. ceci introduit un double
registre de la jouissance, la jouissance une, et la jouissance comme trace itérative
de cette rencontre à jamais pour tous singulière. ce point ne peut être dit, il se vise,
se cerne. comment témoigner de ce qui ne peut être dit ? les témoignages sont des
fictions, les noms des semblants. et pourtant, il y a des effets. des effets dans le
corps de celui qui parle, des effets dans le corps de ceux qui écoutent. pas tous les
témoignages font les mêmes effets à tout le monde, pas tous les analystes de l’école
de la cause freudienne témoignent des mêmes effets.
ces effets en-corps tentent de dire, non pas le réel impossible, mais la singula-
rité de chacun qui s’appuie, non pas sur la raison de la démonstration, mais sur la
réson toujours déjà-là que la rencontre avec un analyste a permis d’entendre.
ainsi, l’événement de dire s’entend tout au long de l’analyse, de ce transfert qui
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de la brèche ouverte dans le sens fait sa substance et attrape le corps au-delà de la
parole, le témoignage de l’ae devient alors, dans la parole même qui est prise, réso-
nance du dire qui a fait événement, et événement de dire lui-même.

11. Ibid., p. 112.


12. Ibid.

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