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À propos de...

Les paranoïas de Charles Melman


Sidi Askofaré
Dans L'en-je lacanien 2005/2 (no 5), pages 143 à 149
Éditions Érès
ISSN 1761-2861
ISBN 2-7492-0411-9
DOI 10.3917/enje.005.0143
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À propos de…
Les paranoïas
de Charles Melman *

Sidi ASKOFARÉ
S ous le titre Les paranoïas, ont été rassemblées les séances
des deux années du séminaire tenu par Charles Melman, d’octobre
1999 à juin 2001, à l’hôpital Henri-Rousselle et au centre hospitalier
Sainte-Anne.
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Intitulé alléchant à un double titre au moins. D’abord en raison du
statut, de la fonction de la psychose dans l’enseignement de Lacan. Celle-
ci fut en effet pour lui, et contrairement à Freud, le véritable laboratoire
de son concept de la structure. Ensuite parce que ce titre promet à la
fois clarification et approfondissement d’une part et rupture et invention
de l’autre.
Pourquoi ? Parce que de l’enseignement de l’élève fidèle de Lacan
que fut Charles Melman, on peut attendre les commentaires éclairés et
étayés de l’auditeur des séminaires et du participant aux « présentations
de malades ». Et de l’auteur des Nouvelles études sur l’hystérie, un travail
équivalent sur les psychoses. Malheureusement, il n’en est rien.

Sidi Askofaré, psychanalyste à Toulouse, membre de l’École de psychanalyse des Forums


du Champ lacanien.
* Charles Melman, Les paranoïas, séminaires 1999-2000 et 2000-2001, ALI, 2003.
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Examinons d’abord le projet du séminaire. Il est double. D’une


part, il consiste à parler « des paranoïas », thème qu’impose, selon l’au-
teur, le moment historique que nous vivons, moment « où les relations
sociales aussi bien que privées sont marquées par ce style fait d’inter-
prétations suspicieuses et malveillantes, cette « ère du soupçon » qui
semble dominer nos échanges. D’autre part, il s’agissait pour l’auteur, en
se servant du thème de la paranoïa, d’ouvrir « le chapitre clinique des
effets de la déliaison entre symbolique et réel ».
Il apparaît très tôt que ce n’est point la perspective de Lacan, qui
tendait plutôt vers une « unification » au moins étiologique du champ des
psychoses, qui oriente cet ouvrage, mais une optique tout autre. Le pro-
pos de l’auteur se déplace, dirais-je, entre une théorie de la « psychose
sociale » – catégorie introduite par Lacan dans sa « Question prélimi-
naire… » – ou de la paranoïa généralisée et le projet de distinguer dif-
férentes formes de paranoïas, voire de faire éclater l’unicité du concept
« freudo-lacanien » de psychose.
Sur le premier point, l’auteur propose des développements intéres-
sants et fort pertinents mais qui ne font guère avancer la clinique et la
doctrine psychanalytique des psychoses. Par ailleurs, ces points me
paraissent mieux problématisés et plus rigoureusement articulés dans ses
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entretiens avec Jean-Pierre Lebrun parus en 2002 sous le titre L’homme
sans gravité. Jouir à tout prix 1. La lecture de l’ouvrage donne d’ailleurs
le sentiment que c’est moins la paranoïa que les thématiques – relatives
au nouveau malaise dans la civilisation – développées pour faire valoir
et illustrer la « nouvelle économie psychique » dans L’homme sans gravité
qui préoccupent l’auteur. D’où un côté polémique, chronique socio-
logique et commentaire journalistique un peu pesant et lassant pour un
ouvrage qui se veut de clinique et de théorie psychanalytique.
Sur le deuxième point, Charles Melman procède de manière
impressionniste, avec quelques intuitions fulgurantes mais aussi des com-
mentaires interrompus, des démonstrations incomplètes. Le caractère oral

1. Charles Melman, L’homme sans gravité. Jouir à tout prix, entretiens avec Jean-Pierre
Lebrun, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 2002.
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et improvisé du texte devant un public d’élèves – donc d’une certaine


manière acquis d’avance – y est sans doute pour beaucoup. Reste que
tout cela n’est pas sans effet sur l’économie générale du texte et donc des
thèses qui s’en déposent.
Qu’en retenir malgré tout ?
D’abord cette définition de la paranoïa que nous propose
Melman : « […] la paranoïa est l’affirmation qu’il y a dans l’Autre,
quelque part, quelque Un, Un tout seul, mais tout-puissant, tout sachant,
et qui agence toute l’affaire ». Ainsi aussi bien la paranoïa s’oppose-t-elle
à la religion qu’elle se dévoile comme hors-discours, c’est-à-dire hors lien
social et hors semblant.
En effet, pour C. Melman, la religion est la voie privilégiée pour
investir ce lieu de « puissance responsable » et du coup le moyen pour un
sujet et une culture de se défendre contre l’altérité de l’Autre. Ce lien reli-
gieux constitue dès lors ce qui permet au sujet de se défendre contre le
manque propre à ce grand Autre. La névrose – en tant qu’enracinée dans
le Père – en procède selon les deux modalités fondamentales de cette
défense : la névrose obsessionnelle avec la religion privée, voire le rite,
l’hystérie par la tentative de réaliser une certaine positivité qui témoigne
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de ses accointances avec le discours de la science.
Ce à quoi la paranoïa soustrairait le sujet, en même temps qu’au
semblant et au lien social, ce serait la culpabilité et surtout le ressenti-
ment : « Il a de la revendication, il organise sa vie dans la revendication
mais pas dans le ressentiment. Pourquoi ? Autrement dit, que demande le
paranoïaque ? Que revendique-t-il ? Qu’a-t-il à réclamer ? »
À cette question essentielle, C. Melman répond en étendant à
toute la paranoïa ce que Lacan a dégagé dans et pour le cas Aimée :
« […] ce que dans sa position de Un, dans la position donc de complé-
ment qui est la sienne, ce dont il est privé, ce qui lui manque, c’est évi-
demment la castration – il la redoute, mais c’est évidemment aussi ce qu’il
réclame. Ce qu’il réclame, c’est d’être frappé de telle sorte que l’ampu-
tation qui s’ensuivra lui permette justement peut-être de laisser le champ
de la revendication pour passer, s’organiser dans celui du ressentiment ».
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Mais, au-delà de ses analyses et de ses commentaires sur la culture


contemporaine et ses incidences sur la subjectivité de notre époque, au-
delà de la traversée de la littérature et de la clinique analytiques sur les
psychoses, c’est à la thèse terminale de l’ouvrage, qui constitue aussi son
point de capiton, qu’il conviendrait de s’arrêter. Cette thèse énonce rien
moins que l’existence de deux types de psychoses. Pas au sens, bien sûr,
de ce que Lacan affirmait dans le livre III de son Séminaire, à savoir que
« le champ des psychoses se divise en deux ». Sous-entendu : « entre
paranoïa d’un côté et de l’autre, tout […] ce qui correspond très exacte-
ment au champ des schizophrénies ». La thèse de Melman est autrement
plus « radicale » et subversive, pour autant qu’elle met en cause ce qu’il
faut bien appeler l’unité étiologique des psychoses. Je le cite :
« Nous sommes amenés à bien séparer deux types de psychoses :
l’une liée à la forclusion du Nom-du-Père : la signification phallique se
trouve évacuée et c’est effectivement au non-sens de l’Autre que le
malheureux sujet se trouve exposé ; sauf que ce non-sens, ce lieu de
l’Autre reste habité par toute une série de formules, de phrases, de cir-
constances, d’injonctions, etc. qui ne manquent pas de circuler.
« Et puis la paranoïa, en tant que, nous pourrions le dire ainsi,
pour des raisons, pour des circonstances qui peuvent être diverses,
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l’instance phallique fait un peu trop saillie dans le réel. Et il en est assu-
rément ainsi, par exemple pour une femme, c’est un peu trop présent,
c’est un peu trop là, un peu trop obsédant, un peu trop persécutif.
« Je crois que cela peut aussi nous expliquer pourquoi finalement
l’organisation paranoïaque peut constituer le mode de guérison
d’une psychose » (p. 371).
Charles Melman réorganise dès lors le concept de psychose
autour de deux types cliniques fondamentaux. L’un, la paranoïa, serait
une psychose non fondée sur la forclusion du Nom-du-Père – c’est même,
dit-il, « une psychose sans forclusion » (p. 369) : « Elle est fondée sur la
mise en avant de cette instance dans l’Autre responsable de nous
condamner à la petitesse, à la médiocrité, au mensonge. » Et l’autre, les
« schizophrénies paranoïdes », qui procéderaient quant à elles de la for-
clusion. La « paranoïa pure », en tant que psychose essentiellement défi-
nissable par son organisation délirante, serait le mode de stabilisation,
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voire de guérison des psychoses dont la causation est rapportable à la


forclusion du Nom-du-Père.
Je conclus. La promotion de la catégorie de ressentiment le laissait
déjà présager. Ce n’est ni un approfondissement ni une avancée de la
théorie lacanienne de la psychose que nous propose C. Melman au
terme de ces deux années de séminaire. C’est d’une part un retour, une
régression à la catégorie freudienne – tombée en désuétude – de
« psychonévrose narcissique » et d’autre part une interprétation nietz-
schéenne de la psychose, en rupture tant avec la doctrine psychanaly-
tique la plus classique qu’avec les avancées ultimes du Lacan borroméen.
On ne peut que se demander au terme de la lecture de l’ouvrage : qu’est-
ce qui fonde, justifie et étaye une refonte aussi radicale de la doctrine
lacanienne des psychoses ?
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