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Lacan, les femmes

Esthela Solano-Suárez
Dans La Cause freudienne 2011/3 (N° 79), pages 272 à 277
Éditions L'École de la Cause freudienne
ISSN 1240-1684
ISBN 9782905040732
DOI 10.3917/lcdd.079.0272
© L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 15/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.16.72.198)

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Esthela Solano-Suárez

Le péché originel

La question Was will das Weib , considérée par Jacques Lacan comme « ce que
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1

Freud a expressément laissé de côté »2 dans le champ de la psychanalyse, et l’explo-


ration de ce champ font la matière du Séminaire Encore3. Lacan aboutit à la forma-
lisation du régime spécifique de la jouissance féminine, comme étant radicalement
Autre dans sa différence d’avec la jouissance mâle, ce qui ne va pas sans comporter
des conséquences cruciales pour la psychanalyse elle-même. Par le biais des femmes
et de leur jouissance, Lacan déplace l’axe de la psychanalyse, et par conséquent, celui
du symptôme vers le réel comme étant hors sens4.
La mise en question de ce point où Freud « nous abandonne », là où « il aban-
donne la question autour de la jouissance féminine »5, avait déjà conduit Lacan vers
le questionnement du désir de Freud6. En effet, c’est en écoutant l’hystérique que
Freud a trouvé le chemin vers l’inconscient, puisque son désir à lui y était engagé. En
formalisant la logique du désir de l’analyste, Lacan opère une scission afin de
disjoindre ce désir inédit comme cause inaugurale de la chose freudienne de ce qu’il
appelle le « péché originel de l’analyse », qui réside dans la particularité du désir de

Esthela Solano-Suárez est psychanalyste, membre de l’ECF.


1. Cf. Jones E., La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, t. II, Paris, PUF, 1972, p. 445.
2. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 75.
3. L’élaboration de la logique de la sexualité féminine s’accomplit tout au long du Séminaire, livres XVIII, XIX, XX, et XXI,
aussi bien que dans l’écrit qui porte le titre « L’étourdit ».
4. Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre de l’Université
populaire Jacques Lacan, leçon du 25 mai 2011, inédit.
5. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 81.
6. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 16-17.

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Freud. Tout en étant enraciné dans le fantasme paternel, le désir de Freud est resté
retenu dans la logique œdipienne. C’est donc pour cela que « le rapport que la femme
entretient à son désir lui est resté opaque »7.
Si Freud n’avait pas substitué « au savoir qu’il a recueilli de toutes ces bouches d’or,
Anna, Emmy8, Dora, ce mythe, le complexe d’Œdipe »9, il aurait pu conduire les
hystériques au-delà de « ce qu’il épingle du Penisneid »10 : point de butée de l’analyse
freudienne.

De l’impuissance à l’impossible

Le désir de Lacan sera, en revanche, d’extraire la psychanalyse du champ du mythe


freudien – l’Œdipe et Totem et Tabou – pour l’emmener vers un au-delà du mythe,
dégageant le champ de la jouissance. Dans ce cheminement, Lacan repoussera la
limite de la fin de l’analyse.
Rappelons que le champ de la jouissance implique la prise en compte du corps.
Il n’y a donc de jouissance que du corps vivant. Ce corps, d’habiter le langage, est pris
dans le lien social, au sens de ce qui, du langage, s’ordonne en discours. Il en résulte
que la jouissance va tomber sous le coup de la castration, « opération réelle introduite
de par l’incidence du signifiant quel qu’il soit, dans le rapport du sexe »11.
Le mythe freudien énonce en termes de fiction l’opération réelle du signifiant sur
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le corps.
Le signifiant inscrit une trace de jouissance sur le corps. Sa répétition entraîne une
« déperdition de jouissance »12 corrélative de son annulation. À la place de cette perte,
surgit « la fonction de l’objet perdu, de ce que j’appelle le a »13, dit Lacan. Le signi-
fiant morcelle la jouissance, découpe le corps14 en faisant passer un organe au rang
de signifiant, d’où il prend fonction15.
Cette fonction répartit les corps des êtres sexués, indépendamment de leur
anatomie, en deux moitiés16 dont le rapport au sexe « ne suffit pas à [les] rendre parte-
naires »17. Le patatras de la jouissance sexuelle trouve alors sa cause dans l’opération
du signifiant sur le corps.
L’économie de jouissance chez les êtres parlants, du fait de l’impossible du rapport
sexuel, va donc en passer par la suppléance d’un symbole qui donne au phallus le
statut d’un semblant. La jouissance phallique s’articule au symbole, tandis que l’effet

7. Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’École [2000] », La Cause freudienne, n° 74, mars 2010, p. 137.
8. Ou Emmie, l’orthographe varie selon les éditions.
9. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, op. cit., p. 112-113.
10. Ibid., p. 112.
11. Ibid., p. 149.
12. Ibid., p. 51.
13. Ibid., p. 54.
14. Cf. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 512.
15. Cf. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 456.
16. Cf. ibid.
17. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 528.

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Portrait de l’analyste en caméléon

de perte sera pris dans la dérive qui tourne autour de l’objet pulsionnel, objet par
excellence « a-sexué »18. Dès lors que ses formations sont interprétées, l’inconscient
en témoigne, faisant venir au jour une satisfaction « qui se supporte du langage »19.
La jouissance « se satisfait du blablabla »20 et parce que ladite jouissance parle, « lui,
le rapport sexuel, n’est pas »21.
Une part de la jouissance, passée au signifiant, ne se tait pas : « elle parle d’autre
chose. C’est ce qui fait de la métaphore le ressort »22, d’où résultent, selon Lacan,
« toutes les insanités mythiques »23. À suivre la pente de l’inconscient, on croit à sa
rhétorique, laquelle couvre de sa Bedeutung le réel de l’impasse sexuelle.

L’objection de la jouissance féminine

C’est là que la jouissance féminine fait objection à dire qu’elle ne relève pas de ce
qui s’articule dans l’inconscient. Il s’agit du témoignage essentiel des mystiques, selon
lequel ils éprouvent une jouissance dont ils ne savent rien24. Le coup de force de
Lacan sera de traiter le témoignage des mystiques par la voie de la logique.
En faisant subir une torsion à la logique aristotélicienne, Lacan écrira les formules
de la sexuation.
A Du côté mâle s’affirme l’universel de la castration : Pour tout x, phi
de x ( x . Fx). Ce qui se traduit par : « tout sujet […] s’inscrit dans la fonction
phallique pour parer à l’absence du rapport sexuel »25. Le « tout » repose ici sur l’ex-
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ception posée par le « au moins un » qui s’inscrit par la négation de la castration, c’est-
à-dire qu’il existe un x pour qui non phi de x26 ( E x . Fx). Sur cette exception repose,
selon Lacan, ce que l’on appelle la fonction du père27.
Nous trouvons ici une reprise logique de la fonction du mythe.
Et du coup, ce qui reste en dehors du champ de l’universel, dont la limite de
l’exception trace le pourtour, est une jouissance qui, de n’être pas toute phallique,
A n’est
pas toute symbolisable : pas tout x ne s’inscrit dans la fonction phi de x ( x . Fx).
. La jouissance féminine fait valoir alors un au-delà de l’Œdipe, un au-delà du phallus
et du père, dès lors qu’une part de cette jouissance échappe à la castration. Une part
seulement y échappe, car elle a aussi partie liée au phallus, mais de cette jouissance
pas toute, l’inconscient ne souffle mot ; d’où l’impossibilité d’attraper cette jouis-
sance par la voie de sa rhétorique.
18. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 115.
19. Ibid., p. 49.
20. Ibid., p. 53.
21. Ibid., p. 57.
22. Ibid.
23. Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 149.
24. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 71. C’est ce dont témoigne Thérèse d’Avila dans sa Vie écrite
par elle-même, particulièrement dans le chapitre XX où elle rend compte du ravissement, état de jouissance fait de
douleur et de délices, qui la transporte en dehors d’elle-même, tout le corps y étant pris. « Personne ne peut le croire,
à moins de l’avoir éprouvé », dit-elle [Vie Écrite par elle même, Paris, Seuil, coll. Points, 1995, p. 207].
25. Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 458.
26. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 74 & Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et L’Un », op.
cit., leçon du 2 mars 2011, inédit.
27. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 74.

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Si la jouissance pas toute échappe au savoir, alors elle nous met sur la voie de
l’ex-sistence28, car celle-ci se réfère au signifiant qui manque dans l’Autre.

Les impasses logiques de l’amour

L’existence concerne le réel. Cerner le réel suppose d’en passer par la logique,
laquelle fait appel non pas au signifiant rhétorique, mais au signifiant mathéma-
tique29, lequel se supporte de la fonction de l’écrit.
Sur cette lancée, Lacan procédera à la scission de l’être et de l’existence afin de
toucher, dans l’expérience analytique, le réel de la jouissance qui échappe au
semblant. C’est ce qui, d’introduire l’hétéros – qui relève « de l’incompatibilité de
l’Un à l’Être »30 – fait valoir la jouissance pas toute.
C’est dans la doctrine de l’Un, élaborée par Plotin à partir du Parménide de
Platon31, que Lacan trouve à fonder la fonction de l’Un, du signifiant Un tout seul
qui ex-siste au langage. Son Y a d’l’Un comporte que si l’Un ex-siste, l’Autre n’existe
pas. Le signifiant Un tout seul permettra à Lacan de vider le champ de l’expérience
analytique des mirages de l’être dont se nourrit l’ontologie.
En effet, le langage fait être. Il n’y a d’être que d’être dit. La fonction de la signi-
fiance crée des êtres, les rêves en donnent la preuve, les fantasmes aussi. La question
réside dans le fait de savoir si ces êtres de langage ont une quelconque existence, ou
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non.
Si, du côté mâle, l’objet petit a se substitue au partenaire manquant32, alors le
fantasme chez l’homme fait venir à l’être La femme qui n’existe pas. Et c’est préci-
sément pour cela que l’Autre reste « dans la théorie freudienne un problème, celui qui
s’est exprimé dans la question que répétait Freud – Que veut la femme ? »33 Lacan
dégage de façon limpide l’impasse freudienne, du fait que l’objet cause du désir se
substitue à l’Autre et, lui donnant support, produit alors la coalescence de l’Autre et
de l’objet.
C’est dans cette impasse qu’une femme s’embrouille autant que l’homme. Devant
passer par la voie du désir de l’homme, venant à la place de l’objet cause du désir pour
accéder au phallus, elle risque de choir dans le désêtre, l’instant d’après, dès lors que
le mirage sera consommé, ce qui la désole, et bien plus, la ravage. Mais la chute et le
ravalement sont déjà au rendez-vous, à partir du moment où elle se prête à ce que
« le fantasme de L’homme en elle trouve son heure de vérité »34.

28. Ibid., p. 71.


29. Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », op. cit., leçon du 9 mars 2011 ; lire aussi à ce propos Miller
J.-A., « Un rêve de Lacan », Le réel en mathématiques, Paris, Agalma, 2004.
30. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 467.
31. De cette scission de l’être et de l’existence dans l’enseignement de Lacan, Jacques-Alain Miller a fait « un jardin à la
française » dans son cours de l’année 2011. Lire à ce propos Armand Zaloszyc, Freud et l’énigme de la jouissance,
Nice, Éd. du Losange, 2009.
32. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 58.
33. Ibid., p. 115.
34. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 540.

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Portrait de l’analyste en caméléon

Elle peut croire alors que l’amour la sauve, là où le désir de l’homme, en dehors
de l’amour, la damne. L’amour fait croire à l’Un, et en tant que tel, il fait suppléance
au rapport des deux sexes, lequel n’existe pas35.
Mais l’imaginaire de l’Un ne l’assure pas pour autant de son ex-sistence.
Dans la visée d’atteindre l’Autre, l’amour s’adresse au semblant. Mais si l’Autre ne
s’atteint « qu’à s’accoler » à l’objet cause du désir, l’amour, du coup, s’adresse au
« semblant d’être » supposé à l’objet. D’où l’impasse imaginaire de l’amour, à ne
consister que « de l’habillement de l’image de soi qui vient envelopper l’objet cause
du désir »36.
Une fois que Lacan a dégagé ce point d’impasse qui s’accomplit dans l’amour par
le biais de l’objet, il conclut que c’est à cause de la fonction de l’être que dans la
psychanalyse le « a a pu prêter à confusion avec le S(A/ ) »37. Enlever au symbolique
le bouchon de l’être serait la condition pour Lacan à ce que le symbolique ne se
supporte que de l’ex-sistence du dire38. C’est ainsi que l’orientation vers le réel se
dégage.

La voie de l’ex-sistence vers le réel du sinthome

Cerner le réel, qui ne peut s’inscrire que par une impasse de la formalisation,
comporte un usage du signifiant qui n’emprunte pas la voie du sens, mais plutôt
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celle du contre-sens39. Cette orientation ne laisse pas indemne le statut de l’interpré-
tation40 dans la mesure où l’opération analytique, de ne pas s’accorder à l’effet de
sens, doit viser un effet de discours autre que le sens, « qui s’appelle l’écriture »41.
Faire passer la parole du côté de l’écriture comporte un sacré tour de force. Prenant
appui dans la matérialité sonore du signifiant, disjointe de sa finalité de significa-
tion, l’interprétation devient alors une opération de lecture. Elle pulvérise le dit afin
de faire résonner, dans le dire, le hors-sens de la jouissance de l’Un, en tant que fonc-
tion de la lettre. La lettre est la trace écrite de l’Un tout seul qui a fait événement de
corps dans le symptôme.
L’Un de la jouissance qui se jouit dans le corps ne se noue avec rien « de ce qui
semble à l’Autre sexuel »42. Dans le trou du symbolique, comme « zéro de sens »43
s’évident les mirages du rapport sexuel, soutenus par le théâtre de « la vérité
menteuse »44. C’est ce qui s’écrit grâce au mathème de Lacan S(A/).

35. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 44.
36. Ibid., p. 85.
37. Ibid., p. 77.
38. Cf. ibid., p. 108.
39. Cf. ibid., p. 85.
40. Cf. Miller J.-A., « Lire un symptôme », présentation du thème du prochain congrès de la NLS [Tel-Aviv 2012] au
congrès de Londres [3 avril 2011], Mental, Paris, Seuil, no 26, juin 2011, p. 49-58.
41. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 36.
42. Ibid., p. 116.
43. Lacan J., « … ou pire », Autres écrits, op. cit., p. 550.
44. Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, op. cit., p. 573.

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Par la voie de l’ex-sistence, Lacan trouve la sortie de l’impasse freudienne concer-


nant la féminité. Il extrait ainsi la jouissance féminine des mirages ontologiques de
l’être qui la retenaient prisonnière de la logique de l’universel.
Si Encore, comme nous l’indique Lacan, est le nom de la faille d’où part l’insatiable
de la demande d’amour, cette demande ne peut trouver de réponse satisfaisante dans
la logique qui relève du discours de l’inconscient, où l’être est attenant au signifiant
m’être. C’est là que gît le malentendu qui noue l’amour, en tant qu’il vise l’être, au
commandement du surmoi.
Freud avait découvert, non sans surprise, « la démesure des revendications
d’amour »45 qui nourrit les malentendus de la relation de la fille à sa mère.
Lacan épingle cette démesure du terme de « ravage »46.
Orientée vers le réel, l’analyse d’une femme peut la conduire jusqu’au terme qui
marque pour elle une satisfaction, laquelle signe la sortie du ravage. Cette solution
résulte de l’opération analytique qui produira une coupure qui sépare ce qui est relatif
à la fonction de la mère, de ce qui provient de la lalangue. Étant donné que c’est la
mère qui a transmis la langue, la fille attribue naïvement à la mère ce qui relève des
effets traçants de la langue sur le corps. Ces effets, comme effets de jouissance qui
affectent, font événement, ce sont des événements de corps.
À procéder de la sorte, on isole le sinthome. Dans une analyse, une femme,
chaque femme, peut cerner à terme sa façon sinthomatique absolument singulière de
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faire avec le réel du rapport sexuel qui n’existe pas.
La fin de l’analyse lui donnera alors la chance d’un savoir y faire avec la solitude
de l’Un47. Dans cette voie, elle peut consentir à sa jouissance qui la fait radicalement
Autre, y compris pour elle-même. Elle pourra aussi consentir au réel de l’amour, se
prêtant à occuper la place du sinthome pour un homme.

45. Freud S., « La féminité », Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, p. 166.
46. Cf. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 465 & Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005,
p. 101, où Lacan dit que « l’homme est pour une femme […] une affliction […] un ravage ».
47. Cf. Samuel Beckett, Oh les beaux jours, Paris, Éd. de Minuit, 2010, p. 26-27. L’auteur met en scène un supposé
dialogue du couple, où il ne s’agit en fait que de l’Une qui parle toute seule. Winnie, s’adressant à son partenaire
Willie, énonce : « De sorte que je peux me dire à chaque moment, même lorsque tu ne réponds pas et n’entends peut-
être rien, Winnie, il est des moments où tu te fais entendre, tu ne parles pas toute seule tout à fait, c’est-à-dire dans
le désert ».

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