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Esthela Solano-Suárez
Dans La Cause freudienne 2011/3 (N° 79), pages 272 à 277
Éditions L'École de la Cause freudienne
ISSN 1240-1684
ISBN 9782905040732
DOI 10.3917/lcdd.079.0272
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Le péché originel
La question Was will das Weib , considérée par Jacques Lacan comme « ce que
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Freud. Tout en étant enraciné dans le fantasme paternel, le désir de Freud est resté
retenu dans la logique œdipienne. C’est donc pour cela que « le rapport que la femme
entretient à son désir lui est resté opaque »7.
Si Freud n’avait pas substitué « au savoir qu’il a recueilli de toutes ces bouches d’or,
Anna, Emmy8, Dora, ce mythe, le complexe d’Œdipe »9, il aurait pu conduire les
hystériques au-delà de « ce qu’il épingle du Penisneid »10 : point de butée de l’analyse
freudienne.
De l’impuissance à l’impossible
7. Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’École [2000] », La Cause freudienne, n° 74, mars 2010, p. 137.
8. Ou Emmie, l’orthographe varie selon les éditions.
9. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, op. cit., p. 112-113.
10. Ibid., p. 112.
11. Ibid., p. 149.
12. Ibid., p. 51.
13. Ibid., p. 54.
14. Cf. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 512.
15. Cf. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 456.
16. Cf. ibid.
17. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 528.
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de perte sera pris dans la dérive qui tourne autour de l’objet pulsionnel, objet par
excellence « a-sexué »18. Dès lors que ses formations sont interprétées, l’inconscient
en témoigne, faisant venir au jour une satisfaction « qui se supporte du langage »19.
La jouissance « se satisfait du blablabla »20 et parce que ladite jouissance parle, « lui,
le rapport sexuel, n’est pas »21.
Une part de la jouissance, passée au signifiant, ne se tait pas : « elle parle d’autre
chose. C’est ce qui fait de la métaphore le ressort »22, d’où résultent, selon Lacan,
« toutes les insanités mythiques »23. À suivre la pente de l’inconscient, on croit à sa
rhétorique, laquelle couvre de sa Bedeutung le réel de l’impasse sexuelle.
C’est là que la jouissance féminine fait objection à dire qu’elle ne relève pas de ce
qui s’articule dans l’inconscient. Il s’agit du témoignage essentiel des mystiques, selon
lequel ils éprouvent une jouissance dont ils ne savent rien24. Le coup de force de
Lacan sera de traiter le témoignage des mystiques par la voie de la logique.
En faisant subir une torsion à la logique aristotélicienne, Lacan écrira les formules
de la sexuation.
A Du côté mâle s’affirme l’universel de la castration : Pour tout x, phi
de x ( x . Fx). Ce qui se traduit par : « tout sujet […] s’inscrit dans la fonction
phallique pour parer à l’absence du rapport sexuel »25. Le « tout » repose ici sur l’ex-
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Si la jouissance pas toute échappe au savoir, alors elle nous met sur la voie de
l’ex-sistence28, car celle-ci se réfère au signifiant qui manque dans l’Autre.
L’existence concerne le réel. Cerner le réel suppose d’en passer par la logique,
laquelle fait appel non pas au signifiant rhétorique, mais au signifiant mathéma-
tique29, lequel se supporte de la fonction de l’écrit.
Sur cette lancée, Lacan procédera à la scission de l’être et de l’existence afin de
toucher, dans l’expérience analytique, le réel de la jouissance qui échappe au
semblant. C’est ce qui, d’introduire l’hétéros – qui relève « de l’incompatibilité de
l’Un à l’Être »30 – fait valoir la jouissance pas toute.
C’est dans la doctrine de l’Un, élaborée par Plotin à partir du Parménide de
Platon31, que Lacan trouve à fonder la fonction de l’Un, du signifiant Un tout seul
qui ex-siste au langage. Son Y a d’l’Un comporte que si l’Un ex-siste, l’Autre n’existe
pas. Le signifiant Un tout seul permettra à Lacan de vider le champ de l’expérience
analytique des mirages de l’être dont se nourrit l’ontologie.
En effet, le langage fait être. Il n’y a d’être que d’être dit. La fonction de la signi-
fiance crée des êtres, les rêves en donnent la preuve, les fantasmes aussi. La question
réside dans le fait de savoir si ces êtres de langage ont une quelconque existence, ou
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Elle peut croire alors que l’amour la sauve, là où le désir de l’homme, en dehors
de l’amour, la damne. L’amour fait croire à l’Un, et en tant que tel, il fait suppléance
au rapport des deux sexes, lequel n’existe pas35.
Mais l’imaginaire de l’Un ne l’assure pas pour autant de son ex-sistence.
Dans la visée d’atteindre l’Autre, l’amour s’adresse au semblant. Mais si l’Autre ne
s’atteint « qu’à s’accoler » à l’objet cause du désir, l’amour, du coup, s’adresse au
« semblant d’être » supposé à l’objet. D’où l’impasse imaginaire de l’amour, à ne
consister que « de l’habillement de l’image de soi qui vient envelopper l’objet cause
du désir »36.
Une fois que Lacan a dégagé ce point d’impasse qui s’accomplit dans l’amour par
le biais de l’objet, il conclut que c’est à cause de la fonction de l’être que dans la
psychanalyse le « a a pu prêter à confusion avec le S(A/ ) »37. Enlever au symbolique
le bouchon de l’être serait la condition pour Lacan à ce que le symbolique ne se
supporte que de l’ex-sistence du dire38. C’est ainsi que l’orientation vers le réel se
dégage.
Cerner le réel, qui ne peut s’inscrire que par une impasse de la formalisation,
comporte un usage du signifiant qui n’emprunte pas la voie du sens, mais plutôt
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35. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 44.
36. Ibid., p. 85.
37. Ibid., p. 77.
38. Cf. ibid., p. 108.
39. Cf. ibid., p. 85.
40. Cf. Miller J.-A., « Lire un symptôme », présentation du thème du prochain congrès de la NLS [Tel-Aviv 2012] au
congrès de Londres [3 avril 2011], Mental, Paris, Seuil, no 26, juin 2011, p. 49-58.
41. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 36.
42. Ibid., p. 116.
43. Lacan J., « … ou pire », Autres écrits, op. cit., p. 550.
44. Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, op. cit., p. 573.
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45. Freud S., « La féminité », Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, p. 166.
46. Cf. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 465 & Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005,
p. 101, où Lacan dit que « l’homme est pour une femme […] une affliction […] un ravage ».
47. Cf. Samuel Beckett, Oh les beaux jours, Paris, Éd. de Minuit, 2010, p. 26-27. L’auteur met en scène un supposé
dialogue du couple, où il ne s’agit en fait que de l’Une qui parle toute seule. Winnie, s’adressant à son partenaire
Willie, énonce : « De sorte que je peux me dire à chaque moment, même lorsque tu ne réponds pas et n’entends peut-
être rien, Winnie, il est des moments où tu te fais entendre, tu ne parles pas toute seule tout à fait, c’est-à-dire dans
le désert ».
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