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La place de la sexualité dans le travail infirmier :

l’érotisation de la relation de soins


Sexuality in Nursing: The Eroticisation of the Healthcare Relationship
Alain Giami, Pierre Moulin et Émilie Moreau
p. 20-38
https://doi.org/10.4000/sdt.12902
Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Annexe | Notes | Citation | Cité par | Auteurs
Résumés

FrançaisEnglish
Partant du constat de la quasi-absence de travaux sociologiques sur la place de la sexualité dans la pratique
infirmière, une enquête psycho-sociologique de terrain a été menée en 2007 et 2008 auprès de 64 infirmières et
soignants travaillant dans le champ du cancer. La théorie des scripts de la sexualité (Gagnon, 1990) qui propose
une distinction entre scénarios culturels, scripts interpersonnels et intra-psychiques a été appliquée à ce terrain.
Elle a été complétée et développée avec la notion de « scénario professionnel ». L’enquête a permis de faire
apparaître des problèmes liés à la communication sur la sexualité et à l’érotisation de la relation de soins, qui ont
révélé une double opposition : a) entre des scénarios culturels où l’infirmière fait l’objet de fantasmes sexuels et des
scénarios professionnels visant à désexualiser la relation au patient ; b) entre une érotisation vécue comme facilitant
les relations de soins ou pouvant les entraver. La prise en compte de l’érotisation de la relation de soins peut se faire
de façon positive, au bénéfice du patient et de l’infirmière, quand elle est intégrée aux scénarios professionnels des
infirmières.
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Mots-clés :
Infirmières, Sexualité, Scripts de la sexualité, Trajectoires professionnelles, Érotisation, Genre
Keywords :
Nurses, Sexuality, Sexual Scripts, Professional Scenarios, Eroticisation, Gender
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Plan

1. Introduction : les infirmières et la sexualité


2. Les scénarios professionnels de la sexualité
2.1. Sexualité et érotisation
2.2. L’érotisation de la relation dans les scénarios professionnels
2.3. L’érotisation comme fondement de la relation de soins
2.4. Les réactions institutionnelles à l’érotisation
2.5. L’érotisation : une dimension du contre-transfert des infirmières
3. Enquêter sur la sexualité : une forme de communication sur la sexualité
3.1. L’échantillon et la stratégie de recherche
3.2. Analyse des entretiens
4. Le point de vue des infirmières sur la sexualité : un paradoxe
4.1. Quand l’érotisation de la relation est vécue de façon positive
4.2. Les limites à ne pas franchir : « rester professionnelles »
4.3. La survenue involontaire du sexe dans la relation de soins
4.4. Harcèlements sexuels subis par les infirmières
4.4.1. L’exhibitionnisme des patients
4.4.2. La masturbation
4.4.3. La séduction forcée : une forme de harcèlement sexuel
4.4.4. Les plaisanteries salaces et grivoises, les attouchements
4.5. Faire face à la sexualisation indésirable de la relation de soins
5. Conclusion
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1. Introduction : les infirmières et la


sexualité
1En dépit d’évolutions récentes, la profession d’infirmière est toujours assimilée à une profession
féminine et pratiquée en majorité par des femmes (Barlet et Cavillon, 2010 ; Bessière, 2005). Cette
pratique professionnelle reste cependant placée sous le signe d’une forte ambivalence entre l’image
du dévouement, souvent rattachée à ses origines religieuses et qui renvoie à l’histoire de cette
profession d’une part (Knibiehler, 2008 ; Petitat, 1994), et celle de la figure érotique, abondamment
illustrée dans la culture populaire et dans la pornographie et qui n’a sa place ni dans l’histoire officielle
ni dans les représentations culturelles dominantes de la profession d’infirmière, notamment lorsque
ces scénarios sont véhiculés par les médecins (Godeau, 2007). L’historienne Yvonne Knibiehler avait
déjà noté que la majorité des infirmières préféraient ne pas évoquer la sexualité et a fortiori leur
propre vie sexuelle dans la mesure où l’opinion publique leur avait longtemps prêté des « mœurs
dissolues ». Cette image les avait exposées à la « la suspicion et au mépris » (Knibiehler, 1984).
Robert Kolodny, partenaire de l’équipe des sexologues américains William Masters et Virginia
Johnson, avait lui aussi noté, dans le contexte des États-Unis, que les stéréotypes associant les
infirmières à l’érotique et à la pornographie constituaient des freins puissants à l’implication active
des infirmières dans le domaine de la santé sexuelle et de la médecine sexuelle (Kolodny et al.,
1979).

1 C’est le cas au moins dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou le Brésil où les infirm (...)

2La situation ne semble plus aussi univoque, aujourd’hui. Une analyse de la littérature
professionnelle et scientifique internationale produite dans le champ de la recherche infirmière a mis
en évidence que, depuis le début des années 1990, les infirmières elles-mêmes ont publié de
nombreuses études sur le thème de la sexualité et qu’elles ont développé des savoirs et des
protocoles de soin associés à la spécificité de leur pratique (Giami et al., 2007). Ceci montre que la
prise en charge des problèmes et des questions liés à la sexualité n’est pas nécessairement en
contradiction avec les protocoles de travail des infirmières, et que cette prise en charge peut y trouver
sa place en dépit de fortes résistances personnelles ou professionnelles1.

2 Cet article est fondé sur les résultats d’une recherche financée par l’Institut national du cancer (...)

3Partant du constat de l’absence de travaux infirmiers publiés en France sur le sujet, nous avons
cherché à comprendre la place que le thème de la sexualité occupe dans les scénarios professionnels
des infirmières travaillant en France2.

2. Les scénarios professionnels de la


sexualité
4Les sociologues et les anthropologues qui ont travaillé sur les infirmières n’ont pas estimé que la
sexualité constituait un enjeu important au sein de cette profession, confrontée pourtant à la
recherche d’un équilibre entre autonomie professionnelle et construction du « rôle propre » d’une
part, et soumission dans des postures subalternes à l’ordre médical et aux médecins d’autre part
(Acker, 1991, 2005 ; Chauvenet, 1974 ; Douguet et Vilbrod, 2007 ; Drulhe, 2008 ; Lert, 1996 ;
Petitat, 1994 ; Véga, 1997). En dehors de quelques rares travaux (Mercadier, 2002 ; Molinier, 2009),
les dimensions érotiques ou potentiellement érotiques des scénarios professionnels qui orientent les
pratiques des infirmières n’ont pas leur place dans la compréhension sociologique et psycho-
sociologique de leur travail en France.

3 La dimension « intra-psychique » des scripts professionnels de la sexualité chez les infirmières fe (...)

5La « théorie des scripts de la sexualité » développée par les sociologues américains John Gagnon
et William Simon depuis le milieu des années 1970 a servi de point de départ à nos analyses (Gagnon,
1990, 2008 ; Simon et Gagnon, 1986). Elle articule trois niveaux d’analyse : les scénarios culturels
qui renvoient aux représentations générales de la sexualité telles que celles-ci sont développées dans
l’espace public et qui incluent les savoirs savants aussi bien que le sens commun ; les scripts
interpersonnels qui orientent et codifient les relations entre individus placés dans différents contextes
et notamment les interactions entre les partenaires sexuels ; et les scripts subjectifs (terme que
nous préférons à celui de scripts intra-psychiques3 utilisé par les auteurs) qui concernent les formes
d’intériorisation et d’appropriation subjective des scénarios culturels.
6Dans la mesure où J. Gagnon et W. Simon n’ont pas travaillé spécifiquement sur les professionnels
de la santé, nous avons revisité cette théorie pour y inclure un niveau d’approche intermédiaire qui
n’est réductible ni aux « scénarios culturels » ni aux « scripts interpersonnels » et qui renvoie aux
« scénarios professionnels » (Giami, 1983). Les scénarios professionnels qui seront plus
particulièrement abordés dans ce travail sont composés d’un ensemble de représentations, de
normes et de valeurs qui définissent les identités et les compétences et qui orientent les conduites
professionnelles et les relations avec les patients. Ces scénarios professionnels ne sont cependant
pas réductibles aux dimensions professionnelles stricto sensu : ils incluent des composantes
personnelles et subjectives à l’œuvre dans l’activité professionnelle. Les scénarios professionnels
comprennent aussi bien des prescriptions que des pratiques, des protocoles de travail, les conduites
à tenir, leur interprétation et leur mise en œuvre par les infirmières. De plus, et par rapport à la
perspective de J. Gagnon et W. Simon, nous avons considéré que les scripts professionnels étaient
porteurs de contradictions entre des scénarios dominants ou hégémoniques et des scénarios
minoritaires [ou alternatifs] occupant une place moins importante.

2.1. Sexualité et érotisation


7Aborder la question de la sexualité à partir des scénarios professionnels des infirmières permet de
penser la sexualité, et plus largement l’érotique, au-delà et indépendamment de ses composantes
comportementales et a fortiori strictement génitales — sans toutefois les exclure. Il s’agit surtout de
prendre en compte tout un registre de significations, de sentiments, d’émotions, de fantasmes et de
pensées qui peuvent être attribués à des conduites sociales ou associés à des pratiques
professionnelles considérées socialement comme non sexuelles ou n’entrant pas nécessairement
dans le registre du sexuel (Clark, 2008).

2.2. L’érotisation de la relation dans les scénarios


professionnels
4 Le cas de Gilbert Tordjman, un des principaux acteurs de la sexologie française des années 1970 est (...)

8Dans les scénarios professionnels dominants chez les infirmières, on considère généralement que
les pratiques de soins ignorent l’érotique : ainsi le thème de la sexualité n’apparaissait pas,
initialement, dans la liste des « 14 besoins fondamentaux » dressée par Virginia Henderson et qui
sert toujours de guide à la pratique des infirmières (Henderson et Nite, 1978). On sait par ailleurs
que la limite entre le soin et la vie érotique est parfois difficile à établir, et que certains médecins
continuent à « jouer au docteur », c’est-à-dire à érotiser, consciemment ou inconsciemment, leur
pratique professionnelle, à « passer à l’acte » comme le disent certains psychanalystes (de Urtubey,
2006 ; Valabrega, 1962)4. On peut aussi considérer que c’est l’interprétation personnelle qui joue
un rôle fondamental : la barrière entre le soin corporel et l’érotisation est soumise à de nombreuses
variabilités intersubjectives. C’est la tension entre des scénarios professionnels qui excluent
l’érotique et la survenue de situations vécues comme érotiques dans la pratique infirmière qui est
ressentie comme problématique et que nous avons tenté d’explorer à l’aide de notre enquête.

5 La littérature nord-américaine traitant de la sexualité dans les soins infirmiers véhicule le plus (...)

9Les conduites et les sentiments érotiques dans le domaine du soin peuvent être distingués de
plusieurs façons. Il peut s’agir de conduites à contenu et intention explicitement sexuels, souvent
vécues comme une agression5 : harcèlement verbal ou physique de la part des patients, de leur
entourage ou des professionnels de santé. Il peut s’agir aussi de l’érotisation, c’est-à-dire de
l’établissement de relations à contenus émotionnel et affectif positifs, tels que des rapports de
séduction, qui peuvent faciliter et compliquer, en même temps, le travail professionnel des
infirmières. Il peut s’agir enfin de contacts corporels établis à l’occasion des soins et notamment de
pratiques soignantes impliquant un contact avec la sphère pelvienne, les organes génitaux ou les
seins. Ces formes d’érotisation peuvent avoir une dimension volontaire ou involontaire et être à
l’initiative du soignant ou du patient. Ce que nous avons défini comme une érotisation de la situation
et de la relation de soins peut être vécu de façon différente et même contrastée selon le contexte :
de façon positive lorsque l’érotisation ne vient pas contredire le scénario professionnel dominant de
la pratique infirmière et qu’elle peut même favoriser son exercice ; de façon négative lorsque
l’érotisation est vécue comme une intrusion, une irruption, un dérapage qui viennent contrecarrer,
brouiller et menacer l’accomplissement des scénarios professionnels (Lawler, 1991 ; Higgins et al.,
2009a, 2009b). En d’autres termes, il s’agit des moments où l’infirmière a l’impression de ne plus
être dans la pratique du soin, et la plupart du temps à son corps défendant, contrairement à d’autres
situations de sympathie, y compris associées à des contacts corporels qui ne font pas partie du soin
mais qui y ont pour effet d’y contribuer de façon positive (Giuffre et Williams, 2000).

2.3. L’érotisation comme fondement de la relation de


soins
10Dans sa redéfinition du travail du care, nouveau paradigme de la relation de soins, Pascale Molinier
replace l’érotique au fondement de la relation de soins et de la théorie du care : « Le care est un
travail qui ne peut être pensé indépendamment du sexuel » (Molinier, 2009). Cet auteur poursuit en
considérant que la prise en compte du « sexuel » dans la pratique de la relation de soins est l’une
des conditions centrales de la compétence professionnelle. L’attention et la sensibilité au sexuel
constitueraient l’expression et le fondement de la compétence dans ce type de métier.

« Avec l’irruption du sexuel dans le pré carré du care, me reproche-t-on, je donnerais à voir des
travailleuses déchues de leur respectabilité parce que sensiblement troublées, ne serait-ce qu’un petit
peu, par le désir d’un vieillard gâteux, donc pas “professionnelles”. Or, c’est exactement le contraire que
je cherche à montrer, sous conditions de parvenir à le faire entendre. Quand cet arrangement ou ce
compromis réussit, cette habileté à donner de soi pour pacifier un vieillard est l’expression même du
professionnalisme et de la bien-traitance, au sens concret et non idéologique du terme » (Molinier,
2009).

11La situation décrite par P. Molinier dans cet article (l’histoire de « Monsieur Georges », un vieux
monsieur qui a bénéficié de soins personnels intenses et attentifs de la part de l’équipe des aides-
soignantes qui s’occupaient de lui) peut être renforcée par le fait que les infirmières sont souvent
considérées comme des symboles érotiques, personnages pouvant entrer dans des scénarios
culturels pornographiques où la situation de soins, le costume et la posture de l’infirmière sont
construits comme des postures et des représentations érotiques en soi. Dans ce type de scénarios,
les infirmières sont représentées comme les initiatrices des actes et des situations érotiques. Cette
situation a déjà été analysée comme un frein à la prise en charge effective de la sexualité par les
infirmières en milieu professionnel. Cet évitement (car il ne s’agit pas ici de donner des satisfactions
génitales directes) montrerait que les infirmières combattent un stéréotype touchant l’ensemble de
la profession au lieu de répondre à certains des « besoins des patients » (Kolodny et al., 1979). Mais,
de surcroît — pourrait-on dire —, la situation décrite et analysée par P. Molinier représente
l’archétype de la situation érotique/sexuelle rejetée de la façon la plus véhémente par les infirmières
et par les professionnelles de la santé dans leur ensemble : les contacts érotiques avec un vieux
monsieur (« un vieux cochon ») établis ou instaurés à l’initiative de celui-ci et dont les infirmières
sont les objets, à leur corps plus ou moins défendant. Ce type de situation représente une double
condensation de ce qu’elles rejettent : une relation sexuelle « normale » et consentie avec un tel
personnage est impensable pour une « femme raisonnable », peut même susciter du dégoût, et le
fait de rendre un service sexuel gratuit en dehors du rôle et du scénario professionnel — officiel —
des infirmières reste aussi impensable.

2.4. Les réactions institutionnelles à l’érotisation


12Compte tenu des responsabilités professionnelles qui incombent aux soignants en raison de leur
accès privilégié à l’intimité corporelle et psychique des malades, la codification poussée qui encadre
les actes de soin a pour effet principal d’exclure la question de l’érotisation du champ de la pratique
professionnelle. Ceci est d’autant plus vrai dans le climat actuel où tout « dérapage » et même toute
ambigüité ou sous-entendu repéré dans une relation professionnelle ou d’accompagnement — qu’elle
soit sanitaire, médicale, psychologique, éducative, policière, bénévole ou ecclésiastique — se voit
sévèrement sanctionnée au plan pénal. Et lorsqu’il s’agit effectivement d’un délit ou d’un crime
sexuel, la confiance accordée par la victime à la personne engagée dans la relation est susceptible
de créer une situation de dépendance et de vulnérabilité accrue : elle constitue une circonstance
aggravante pour la personne qui a pour mission de gérer la relation (Py, 2011). Les recommandations
pratiques existantes renforcent l’idée d’une contradiction de nature entre les scripts érotiques et les
scénarios professionnels.
13Dans un avis rendu en 2000, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a bien mis en
garde les médecins du fait que « la pratique médicale expose à des contacts intimes susceptibles de
dégénérer en relation sexuelle ». Ce faisant, les auteurs de ce document ne prennent absolument
pas en compte cette dimension érotique potentielle inhérente à l’acte même de soin et n’en
retiennent que les « dérapages » qui constituent autant de détournements de l’essence même de
l’acte de soin. En estimant qu’il s’agit d’une « dégénérescence », le CNOM exprime ici une conception
tout à fait négative de l’émergence du sexuel ou de l’érotique dans l’acte et la relation de soins, qui
doit susciter des sanctions. L’érotisation, associée ici à des actes corporels, paraît faire irruption dans
le champ de la pratique médicale, une irruption qui n’a pas lieu d’être et qui est définie comme une
transgression d’un ordre et d’une éthique. Il importe aussi d’observer que dans ce texte, c’est bien
le médecin, et de façon plus générale, tout professionnel de santé qui se trouve placé en situation
d’acteur de ces transgressions et de coupable potentiel. Par ailleurs, toujours dans ce document du
CNOM, l’érotisation n’est pas considérée uniquement comme un attentat sur la personne du patient
mais comme un acte qui vient remettre en cause la nature même de la relation de soins. « Il existe
peut-être des transgressions heureuses non signalées, ce qui ne les excuse ni ne les autorise pour
autant. Plus souvent, on en connaît les fâcheuses conséquences, pour tous : patients, médecins et
leurs proches respectifs, mais d’abord pour la relation de soins qui s’en trouve pervertie ».
L’érotisation n’est pas pensée ou pensable dans ce contexte comme attribuable au patient et
adressée au professionnel de santé. Celui-ci peut alors se trouver dans la posture de la victime de
l’abus ou du harcèlement sexuel. Toute possibilité de compréhension positive de l’érotique dans ce
contexte est impossible.

14Cette position est aussi développée par des anthropologues qui se sont interrogés sur la présence
du sexuel et des subjectivités érotiques dans le contexte du travail de terrain ethnographique. Sans
nier l’éventualité d’éléments érotiques dans la relation entre l’anthropologue et l’informateur de
terrain, les anthropologues Don Kulick et Margaret Willson considèrent que cette occurrence constitue
le reflet des rapports de domination établis entre anthropologues et informateurs et le signe des
rapports sociaux de sexe marqués par la « domination masculine » (Kulick et Willson, 1995). Ces
auteurs s’inscrivent dans le courant de pensée qui voit dans l’irruption du sexuel un accident non
souhaitable dont les conséquences sont le plus souvent néfastes sur les informateurs aussi bien que
sur les anthropologues. Certains travaux ont repris l’idée selon laquelle les infirmières et les femmes
médecins étaient exposées à du harcèlement sexuel et devaient systématiquement être considérées
comme des victimes de l’érotisation (Dionne, 2007 ; Picot, 2005 ; Schneider et Philips, 1997).

2.5. L’érotisation : une dimension du contre-


transfert des infirmières
15L’érotisation de la relation de soins — au sens où nous allons la développer dans cet article — n’est
plus pensée comme un dérapage, comme un détournement pervers ou comme un accident dans la
relation de soins mais bien comme un élément central à la fois de la relation de soins et de la
compétence professionnelle (certes impliquant la dimension de la subjectivité) (Molinier, 2006). Il
s’agit ainsi de mieux comprendre d’une part les conditions et les situations dans lesquelles
l’érotisation apparaît comme une coloration subjective, et parfois émotionnelle, de la pratique et de
la relation de soins et comme un élément qui prend place de façon entière et nécessaire dans le
travail et, de l’autre, celles dans lesquelles l’érotisation est vécue et représentée comme un élément
perturbateur du bon déroulement de la pratique (Valabrega, 1962).

16Postuler que l’érotisation est au cœur de la relation et de la pratique de soins conduit à modifier
la problématique centrale de ce travail. Notre question initiale, à savoir « quelle est la place de la
sexualité dans la pratique professionnelle dans le champ du cancer ? » devient : « comment les
infirmières arrivent-elles à concilier des scénarios culturels et les scénarios professionnels alternatifs,
cohérents, signifiants et fonctionnels qu’elles doivent incarner ? » Il n’est donc plus question de
s’interroger pour savoir si la sexualité a une place ou non dans la pratique professionnelle, mais bien
plutôt d’essayer de comprendre en quoi consiste cette « sexualité » et comment les infirmières s’en
arrangent ou non dans la pratique. L’érotisation n’est donc pas incompatible en soi avec
l’accomplissement des scénarios professionnels des infirmières : tout dépend du contexte, de
l’intensité, des personnages impliqués et donc des scripts interpersonnels, des zones corporelles
concernées et des interprétations que vont en donner les protagonistes au travers de leurs récits.
3. Enquêter sur la sexualité : une forme de
communication sur la sexualité
6 L’enquête s’est aussi déroulée auprès d’un groupe de 9 hommes dont les entretiens n’ont pas été ret (...)

17Les résultats présentés dans cet article sont fondés sur une recherche menée en France entre
2007 et 2008 auprès d’un échantillon de 64 infirmières et de soignants travaillant dans le champ du
cancer6.

3.1. L’échantillon et la stratégie de recherche


18L’échantillon réuni au cours de ce travail peut être caractérisé comme étant qualitatif et
contrasté dans la mesure où nous avons tenté d’obtenir la plus grande diversité (socio-
démographique, professionnelle, institutionnelle et géographique) de situations possibles relative
aux infirmières évoluant dans le cadre du cancer (voir en annexe 1, le descriptif de l’échantillon).
Ces entretiens ont été réalisés dans le cadre d’une recherche portant plus précisément sur la place
de la sexualité dans la pratique des infirmières travaillant principalement dans des structures
hospitalières en cancérologie. Compte tenu du fait que le thème de la sexualité paraissait peu abordé
dans la littérature infirmière publiée en France ou dans la littérature sociologique et psycho-
sociologique sur les infirmières, il nous a semblé pertinent de focaliser les entretiens directement et
de façon explicite sur ce thème, de façon à « contraindre » les infirmières à y réagir et à obtenir un
discours sur ce thème. Les entretiens semi-directifs recueillis par trois chercheurs distincts du point
de vue de leur sexe, leur âge, leur expérience professionnelle et leur statut, ont permis
d’expérimenter en direct, dans le cadre des interactions mises en place pour le recueil de ce matériau
très riche, les difficultés, les dispositions et les résistances à communiquer verbalement sur ce sujet.
Ces entretiens ont ainsi permis la mise en scène de situations d’interlocution différentes en fonction
des variables incarnées par les enquêteurs. L’enquête de terrain fonctionne ainsi comme une forme
d’ethnographie permettant de mettre en scène de façon métaphorique l’objet observé (Demazière et
al., 2011 ; Giami et al., 1998 ; Hérault, 2011). La grande majorité des infirmières interrogées ont
accepté volontiers de participer à ces entretiens, de nous faire part de leurs idées, souvenirs,
interrogations, expériences et doutes en y voyant l’occasion de réfléchir plus ou moins librement
avec un interlocuteur étranger à leur pratique quotidienne et à leur hiérarchie. Une petite partie
d’entre elles ont peu abordé cette question, estimant que celle-ci ne se posait pas dans leur pratique
ou qu’elles n’avaient pas grand’chose à en dire. Leurs entretiens sont plus brefs. En revanche, tout
en partant du même constat initial, d’autres infirmières ont livré des entretiens significativement plus
longs (jusqu’à deux heures), le temps nécessaire pour effectuer un authentique travail de
remémoration des situations vécues (sur le plan professionnel et/ou personnel) et d’élaborer au fil
des propos, une réflexion critique sur leurs propres représentations de la sexualité, sur leurs propres
pratiques de soin et parfois même sur leur propre implication personnelle.

19Les entretiens réunis présentent de ce fait une grande diversité de contenus et de dynamique
interlocutoire. Cette diversité est en partie liée à la variété des situations contextuelles (services
médico-hospitaliers ou soins à domicile, types de cancers pris en charge, expériences présentes ou
passées, etc.) dans lesquelles les interviews ont eu lieu. Mais cette diversité est aussi liée à celle des
scripts subjectifs et aux différences individuelles qui se sont exprimées sur un tel sujet qualifié par
de nombreux auteurs comme relevant de l’intime et donc situé hors champ professionnel. On a ainsi
été frappés par la grande variété des expressions et des propos tenus dans les entretiens recueillis
auprès de cinq infirmières travaillant dans un même service d’urologie de la région Île-de-France.
Certaines d’entre elles ont exprimé un grand intérêt pour le sujet, marqué par la richesse de leurs
propos, une réflexion sur leurs prises d’initiatives, l’exploration de leurs propres sentiments et de
leurs difficultés professionnelles ou personnelles. D’autres au contraire ont livré des discours plus
réservés, témoignant d’une moindre réflexivité, voire ont même estimé que la question de la
sexualité ne se posait pas dans leur travail. Il faut cependant rester prudent sur le sens à donner à
ces différences interindividuelles et éviter d’en conclure à un manque d’intérêt ou à un malaise lié au
contexte de l’entretien.

3.2. Analyse des entretiens


20Dans la perspective d’une triangulation des analyses (Denzin, 1978), les entretiens ont fait l’objet
de plusieurs types d’analyses : analyse de contenu thématique exhaustive assistée du logiciel
Nvivo7, analyse textuelle assistée du logiciel Alceste, analyse qualitative et quantifiée des récits
d’expérience produits par les infirmières. La triangulation des données a plusieurs objectifs,
notamment d’identifier les dimensions sous-jacentes de phénomènes complexes, d’accroître la
validité des données, de dépasser la faiblesse et/ou les biais liés à l’emploi d’une seule méthode et
d’un unique observateur, d’un seul cadre théorique et de susciter de nouvelles hypothèses de
recherche.

21Concernant plus précisément les analyses effectuées à l’aide du logiciel Nvivo7, nous avons
d’abord procédé selon une approche inspirée de la grounded theory (Strauss, 1997) ce qui nous a
permis d’en optimiser l’utilisation. Ainsi, à partir des retranscriptions complètes des entretiens
effectués et de leur lecture répétée afin de nous imprégner des discours des infirmières, nous avons
élaboré et testé une grille d’analyse de contenu thématique hiérarchisée selon une quinzaine de
grandes catégories d’analyse. Cette grille a ensuite été transposée dans le logiciel Nvivo7 grâce
auquel le corpus a été exploité de façon exhaustive. Ce logiciel ne « produit » pas d’analyses
automatiques en tant que telles, son utilisation étant subordonnée à la construction d’une grille
d’analyse par les chercheurs. Une fois le codage effectué, plusieurs opérations nous ont aidés à
produire les résultats de cette recherche : le repérage des principales catégories d’analyse, le
croisement de catégories thématiques selon nos hypothèses de recherche ou encore la mise en lien
de catégories thématiques avec les caractéristiques socio-démographiques recueillies auprès des
interviewés : sexe, âge, situation maritale, fonction exercée, service et structure d’exercice, région,
etc. Précisons ici que les résultats exposés dans ce travail représentent une synthèse de ces
différentes analyses complémentaires.

4. Le point de vue des infirmières sur la


sexualité : un paradoxe
7 Le concept de « santé sexuelle », défendu par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Associat (...)

22On observe un premier paradoxe dans le discours des infirmières interrogées dans notre enquête
qui considèrent, globalement, dans le registre de l’idéel, la sexualité de façon très positive, comme
un besoin fondamental de l’être humain, contribuant à la qualité de vie, au bien-être, à l’équilibre
personnel, comme le fondement du couple et garante de son harmonie, et comme un moyen de
communication intime. Le nouveau discours de la « santé sexuelle7 » (Giami, 2002) apparaît ici avec
force. Mais dès que les propos concernent plus directement l’expérience professionnelle des
infirmières et sont associés au cancer, la thématique de la sexualité devient plus problématique. Elle
est alors vue sous l’angle d’une diminution et d’une altération d’une dimension nécessaire de
l’existence humaine, causées par la maladie et les traitements invalidants. Enfin, quand elle est
pensée dans le cadre de l’univers hospitalier, la sexualité devient taboue, interdite,
déplacée/obscène, rendant la communication difficile entre patients et soignants (gênante,
déstabilisante, difficile à aborder). L’érotisation qui peut se manifester lors de l’accomplissement du
travail et des relations interpersonnelles engagées avec les patients constitue alors une difficulté
supplémentaire, voire une entrave à l’offre de soins et aux routines professionnelles instituées. Une
contradiction centrale se noue alors entre les scénarios dominants de la « santé sexuelle » et les
relations interpersonnelles évoquées par les infirmières.

23Cependant, si l’on adopte une conception plus large de l’érotisation, non réduite aux actes sexuels
ni à la sexualité des patients objectivée médicalement et qui englobe les sentiments, les émotions
et les réactions subjectives des infirmières face aux patients, les choses ne sont pas vécues
uniquement sur le versant négatif. Dans la très grande majorité des cas évoqués par les infirmières,
l’érotisation de la relation de soins et les problèmes qui en découlent sont attribués aux patients et
surtout aux hommes (rarement aux femmes) et peuvent être ressentis par elles selon des modalités
différentes, de façon positive, neutre ou négative. Par ailleurs, on observe un second paradoxe :
dans de nombreux entretiens, les infirmières commencent par affirmer que les questions liées à la
sexualité ne sont pas abordées sur le lieu de leur pratique, et ensuite, tout au long de l’entretien ces
mêmes infirmières nous rapportent de nombreux récits de situations (passées ou présentes) ayant
trait à la sexualité. En d’autres termes, nombreuses sont celles qui peinent à reconnaître la part de
la sexualité dans l’activité professionnelle et qui peinent à en parler.
4.1. Quand l’érotisation de la relation est vécue de
façon positive
24Dans certains cas, l’érotisation, vécue comme une forme de sympathie et d’attitude positive de la
part des patients, peut faciliter les soins en créant une connivence/ complicité entre les infirmières
et les patient(e)s, et notamment lorsque les patients font explicitement des compliments gratifiants
aux infirmières qui les soignent… ou blaguent avec elles (blagues légères, humoristiques, drôles et
agréables permettant de se détendre) :

« Souvent, c’est plutôt des compliments gentils, très simples. Genre : “Ah ben, y a que des top
models dans cette équipe !”… [Rires] Ça fait plaisir ! Oui, c’est des petits mots gentils qui restent
vraiment sympas. Ben, ça détend. Ah oui, oui, ça détend et on en rigole. Oui, c’est agréable, ça fait
plaisir de les revoir, après, et puis on se sent tout de suite mieux quand ça arrive dans la journée, c’est
une bonne journée » [P31, infirmière, 27 ans].

25On voit ainsi s’instaurer entre les infirmières et les patients une certaine intimité à la fois physique
(du fait de la proximité de l’infirmière avec le corps malade qu’elle lave et soigne) et subjective
(connivences/complicité/réassurance) qui peut s’exprimer par des marques de tendresse/attention
(bises, câlins, réconfort que l’on s’autorise notamment avec des patients jeunes ou des personnes
âgées ou en fin de vie). Ces actes et ces paroles ne sont pas considérés comme sexuels par les
infirmières et l’on perçoit ici l’importance de la perspective des scripts et des scénarios de la sexualité
tels qu’ils ont été conceptualisés par J. Gagnon : le sexuel reste ce qui considéré comme sexuel par
les acteurs d’une situation. Lorsque des propos ou même des actes ne sont pas considérés comme
sexuels, et même s’ils engagent un contact avec les organes génitaux, ils entrent dans un autre type
de scénarisation des interactions qui ne semble pas en contradiction avec les scénarios professionnels
et peuvent même contribuer au bon déroulement des soins.

« Autrement, je trouve qu’on est très, très libres, on est... et c’est pas forcément avec une arrière-
pensée quand on touche la main de quelqu’un... quand... on touche et qu’on caresse quelqu’un. Mais
caresser le visage ou prendre quelqu’un... ça m’est déjà arrivé de prendre un patient qui pleurait dans
mes bras. Il n’y a eu aucune connotation... sexuelle, c’était simplement chaleureux et il n’y avait rien
d’autre. Voilà. Je crois qu’il y a aucun “tabou”, entre guillemets, au niveau corps » [P02, infirmière, 48
ans].

26Dans certains cas, la proximité avec le malade est même délibérément recherchée par les
infirmières qui veulent leur procurer du bien-être et certaines d’entre elles sont alors amenées à
rejeter le port des gants et de la blouse considérés comme des formes de mise à distance qui
empêchent l’intimité et l’accès à un plaisir partagé, toujours vécu comme non sexuel, malgré le
sentiment d’érotisation positive qui l’accompagne.

« Parce qu’une fois que la maladie prend le devant du tableau, je pense que tout ce qui est sexualité et
tout ce qui est plaisir physique, enfin, quand on... je pense, en très fin de vie, le plaisir physique, ça peut
être un massage, ça peut être un bain, un shampooing, si on en fait un. Et on essaye de leur faire des
plaisirs comme ça. Parce qu’on sait que c’est agréable aussi » [P03, infirmière, 42 ans].

27L’expérience professionnelle aidant, une infirmière en arrive à considérer que des situations de
contact avec les organes génitaux peuvent être désexualisées et intégrées de façon non
contradictoire dans les scripts professionnels.

« Oui, au début, je mettais la distance professionnelle, quand j’étais étudiante en médecine... Et puis...
ben c’est aussi parce qu’on n’était pas du tout en rapport avec le... enfin, pas trop... avec le corps des
gens. Et le fait de... de faire les toilettes et tout ça, justement, ça met beaucoup plus à l’aise et... Ben, je
trouve ça... enfin, c’est un rapport qui est... avec l’intimité, la nudité qui... qui est quand même... les
gens sont complètement..., ils se mettent à nu physiquement mais psychologiquement aussi, c’est
quelque chose de... qui est pas... de l’ordre de la confiance... Ouais, c’est un contact qui est vraiment...
qui est essentiel... Enfin, qui est essentiel... qui est très important voilà » [P01, infirmière, 40 ans].

28La désexualisation des actes et des relations est le produit d’un processus acquis lentement au fil
de l’expérience et qui autorise une proximité plus grande avec le patient. Cette proximité, empreinte
de sympathie, semble liée à l’identité de genre. Les infirmières relatent que les patientes se confient
plus facilement et plus fréquemment à elles sur leur intimité/sexualité — leurs difficultés à vivre avec
un corps mutilé, la mise à mal, voire la fin de leur vie sexuelle conjugale, leurs craintes envers leurs
conjoints, leurs questions relatives à d’éventuelles rechutes ou une possible reconstruction
mammaire, leurs doutes quant à l’avenir, etc. — que ne le font les hommes malades souvent décrits
comme plus discrets en la matière.

29Ainsi, l’érotisation de la relation de soins, telle qu’elle est décrite ici dans sa version « soft »
composée de sentiments plaisants, de paroles légères, de contacts tendres et peu soutenus est vécue
agréablement, de manière gratifiante. Elle allège la charge de travail, facilite la relation de soins,
crée une connivence entre les partenaires du soin, concourt nettement à la satisfaction au travail et
donne le sentiment qu’une relation « humaine » s’est établie avec le patient, au-delà des rôles
impartis à chacun dans la relation de soins.

4.2. Les limites à ne pas franchir : « rester


professionnelles »
30Mais cette proximité agréable, cette intimité avec certains patients ne doit pas dépasser certaines
limites : il faut trouver et maintenir une certaine distance avec les patients afin que l’infirmière puisse
rester dans son rôle professionnel et donc contribuer à aider le patient :

« Ben, pour nous, il faut faire attention parce que... il faut quand même qu’on reste des professionnelles,
quoi, parce que des fois, ils auraient tendance à essayer d’aller plus loin et déjà, il y en a qui... bon, pas
tous, mais quand ils sont plus jeunes, bon, ils essayent de nous tutoyer et puis après, de faire copain-
copine. Et nous, on est... on leur sert à rien si on devient leur copain. On n’a plus le même regard, on
n’est plus professionnelles » [P19, infirmière, 58 ans].

31Nous voyons bien ici toute la difficulté qu’expriment les infirmières à rester à la fois proches des
patients sans s’identifier totalement à eux, à trouver cette « bonne distance thérapeutique » qui
constitue un scénario dominant chez les professionnels de santé (médecins, infirmières et autres
soignants) et du travail social. Ce scénario interpersonnel est enseigné dès l’école d’infirmières,
répété par les professionnels sur le terrain clinique, et vient encadrer le colloque singulier avec le
patient. Cela dit, ce script se trouve aussi être largement critiqué par les infirmières qui se trouvent
tiraillées entre leur propre subjectivité et la nécessité de rester « d’authentiques professionnelles » :

« C’est pas évident de... le relationnel patient. Surtout que je dirais qu’on a... Alors, maintenant, je sais
pas qu’est-ce qui est enseigné au niveau des écoles, mais nous, vous savez, on nous a toujours dit :
“Attention, il faut savoir mettre des barrières, entre le patient et le professionnel. Vous n’êtes pas un bon
professionnel si vous vous laissez trop aller. Si vous faites part de vos sentiments, si vous...” voilà »
[P06, cadre infirmière, 48 ans].

32L’expression d’une forte implication personnelle et de sentiments positifs envers les patients, ou
envers certains d’entre eux, expose les infirmières à deux types de risques : d’une part, perdre la
dimension professionnelle de leurs interventions (si la distance affective envers le patient est abolie)
et d’autre part, s’exposer au risque du harcèlement et des abus sexuels. Comme on peut le noter à
partir des extraits précédents, le premier danger de l’érotisation réside dans la proximité et
l’implication affective et émotionnelle avec le patient qui ont un effet déstabilisant.

4.3. La survenue involontaire du sexe dans la


relation de soins
33L’expression sexuelle des patients peut déstabiliser l’infirmière (surtout en début de carrière) mais
cette expression peut être excusée ou même tolérée quand elle est perçue comme involontaire de la
part du patient, non intentionnelle ou accidentelle. Dans certains cas, les infirmières trouvent ainsi
les ressources pour intégrer des situations imprévues dans le script interpersonnel du soin. C’est le
cas notamment des érections réflexes qui peuvent survenir durant les examens, des soins tels que
les toilettes intimes ou les massages et notamment chez de jeunes patients atteints de cancer
testiculaire ou de patients souffrant de priapisme pathologique et qui peuvent mettre mal à l’aise les
infirmières les moins expérimentées ; ce malaise se dissipera ensuite avec l’expérience, avec
l’acquisition de stratégies d’adaptation et de compétences relationnelles permettant de faire face à
ce type d’imprévu :
« Ben là, il y a une collègue actuellement, qui me disait justement qu’elle posait un Péniflo, enfin, c’est
un... un étui pénien pour récupérer les urines, à un patient, hier et en fait, il a eu une érection parce que
ben... avec le toucher, quoi, logique, réflexe. Et en fait, elle... du coup, elle lui a dit : “Ben, vous
inquiétez pas, prenez votre temps”, enfin, elle a souri, ils ont discuté et voilà… » [E09, infirmière,
27 ans].

34Il peut s’agir également de patients qui n’ont pas toute leur conscience et ne réalisent donc pas la
portée de leurs propos/actes, tels que des patients atteints de troubles psychiatriques ou
neurologiques importants (cancers cérébraux, personnes âgées atteintes de maladie d’Alzheimer) et
qui agrippent le corps des infirmières ou qui ont des mains baladeuses durant les
soins/mobilisations… Il est aussi question de patients fortement désinhibés car alcoolisés ou sous
l’emprise de certains gaz ou médicaments qui occasionnent parfois des délires érotiques iatrogènes
(notamment certains produits anesthésiques).

« Oui, oui, ça arrive alors, essentiellement, donc, avec un type de produits, avec un médicament, le
Deprivan, et puis en fonction des... de la chirurgie ou des explorations qui ont lieu. […] Chez l’homme ou
chez la femme, on a souvent des délires érotiques, oui. Parce que c’est le produit, plus la zone opérée.
Oui. Il y a... Voilà. Mais ça peut être aussi avec l’hypnotique, ça... pour une fracture ou pour euh... Il
faut pas que les gens soient très douloureux parce que la douleur prend le dessus mais ils sont semi-
conscients […] mais quand on les porte pour les remettre dans le lit, alors, des fois, c’est des... des
brancardiers qui portent des femmes qui disent : “Qu’est-ce qu’il est beau, cet homme-là !” Enfin, on voit
que c’est... Au début, on est un... toujours un peu surpris et après, c’est vrai que ça passe relativement,
ça devient classique ! » [P25, cadre infirmière, 38 ans].

35Face à ces différents cas de figure, les infirmières vont déployer des stratégies diversifiées pour
assurer la cohérence entre la sexualité et les scripts professionnels. La première forme de réponse
consiste à médicaliser l’apparition de ces érections, c’est à dire de donner une signification médicale
et non érotique du surgissement de cette érection. La médicalisation de l’érection apparaît ainsi
comme une forme de banalisation et d’intégration de ce phénomène dans le scénario professionnel
qui constitue un véritable « cadre de l’expérience » du travail infirmier (Goffman, 1991). L’humour
devient alors possible et contribue à la banalisation d’un phénomène qui est considéré comme
« normal ».

« C’est déjà arrivé quand vous faites un rasage, qu’il y ait un homme qui ait une érection, ce genre de
truc. Bon, généralement, ça passe bien parce que on fait pas... Humour. Humour direct. Je sais pas,
enfin, un truc con : “Il est en forme aujourd’hui... !” Et puis hop, là, ça y est, ça passe, c’est fini ! Ou
bien le mec, on voit qu’il est super gêné... Ça m’est déjà arrivé de dire à un bonhomme : “C’est bon,
c’est pas grave, c’est normal, vous avez une réaction humaine, vous inquiétez pas ! Et puis au contraire,
c’est valorisant, puis...” Voilà, puis on rigole, hein... Voilà, bon, ça, c’était quand on faisait des rasages,
des trucs comme ça » [P17, infirmière, 32 ans].

4.4. Harcèlements sexuels subis par les infirmières


36Il s’agit ici de ce qui est souvent vécu de façon négative par les infirmières, comme une forme de
harcèlement sexuel et difficilement acceptable pour elles. Dans ce cas, le déni de la survenue de
l’événement, sa banalisation ou son intégration dans les scénarios professionnels ne s’avère pas
possible. Le harcèlement sexuel est vécu de façon radicalement différente de l’érotisation involontaire
et qualifié de « dérapage » lors des actes routiniers du soin. Différentes situations ou pratiques
renvoyant à des actes sexuels considérés comme des « perversions » sont évoquées par les
infirmières. Ce n’est plus la maladie, ou les traitements prodigués au patient qui sont la cause
d’érections ou d’actes involontaires. Il s’agit d’actes dont la responsabilité et l’intentionnalité
incombent pleinement au patient. Le statut de malade et la maladie elle-même ne sont plus en
mesure d’excuser et même de justifier ces comportements. Ainsi, dans les discours infirmiers, il
apparaît une équivalence entre érotisation involontaire/excusable et sexualisation
volontaire/condamnable qui rappelle la dichotomie « mad »/« bad » mise en évidence par Higgins et
al. (2009a) pour désigner les différentes tentatives de sexualisation de la relation de soins par des
malades mentaux irlandais.

4.4.1. L’exhibitionnisme des patients


37Il s’agit de situations concernant des patients (quasi exclusivement des hommes) perçus par les
infirmières comme des « exhibitionnistes » qui sont/restent volontairement nus sur leur lit en dépit
de la présence d’un tiers (patient ou soignant), se promènent (partiellement ou entièrement) nus
dans leur chambre ou dans les couloirs de l’hôpital, contrevenant ainsi aux règles sociales d’usage
qui exigent une certaine pudeur dans les espaces publics :

« Ça arrive que les gens n’aient vraiment aucune gêne. Oui, ils déballent tout, comme ça. On a beau être
infirmière… la nudité ne me pose pas de problème. En général, j’essaie de mettre les gens à l’aise plus
qu’autre chose, mais il ne faut pas non plus… Si je rentre dans une chambre, que la femme — même une
femme — n’a pas de slip, que la chemise est ici et qu’elle a les jambes écartées et je ne sais pas quoi,
j’ai beau être une femme, il y a aussi un minimum de réserve à avoir, par respect de l’être humain, tout
simplement ! » [P23, infirmière, 27 ans].

38La nudité intentionnellement imposée par certain(e)s patient(e)s en dehors de toute justification
thérapeutique, est jugée incorrecte voire obscène et choquante par les infirmières (même si elles en
rigolent après coup en équipe) car une telle impudeur est considérée comme l’expression d’une forme
de déviance inacceptable et « malsaine », émanant d’individus jugés « pervers », « cochons »,
« coquins » :

« Et par contre, ce qui est déjà arrivé, c’est des patients qui mettent mal à l’aise… parce qu’il n’y a pas
de pathologie localement, mais ils sont tout le temps tout nus dans le lit, on rentre, on sort, on rentre,
on sort, ça ne les perturbe pas. C’est plus ça, je veux dire, le… Ben, ça me gêne, oui et non, mais je leur
dis : “Mettez au moins le drap”, enfin voilà. […] Donc on se dit : c’est peut-être une provocation, donc
des fois, on feint l’ignorance. Parce que des fois, je me demande si le patient, il ne fait pas exprès de
nous pousser un peu à bout pour qu’on aborde le sujet ou… […] Oui, c’est intentionnel et pervers…
enfin… Je trouve que c’est malsain… » [P35, infirmière, 39 ans].

39En contrepoint, la pudeur manifestée par de jeunes patients lors de soins intimes sera non
seulement respectée (conformément aux enseignements des écoles d’infirmières) mais fortement
valorisée par les personnes interrogées :

« … Il y a des patients… on a eu des jeunes qui se font opérer d’un testicule, on a un pansement à faire
pendant quelques temps suite à l’opération, je veux dire, ils ne se mettent plus à poil pour autant…
enfin, “à poil” : ils n’enlèvent pas tout… Le jeune, j’avais un pansement à lui faire, je n’ai jamais vu son
sexe, voilà. Mais parce que c’était bien, il descendait le caleçon à l’endroit où j’avais besoin de faire le
pansement, voilà. Donc, je me dis : lui, il pourrait être obligé de tout enlever, il ne le fait pas, et d’autres
patients qui ne sont pas du tout obligés de tout enlever, ils enlèvent tout, donc… » [P35, infirmière, 39
ans].

4.4.2. La masturbation
40Un autre type d’érotisation imposée aux infirmières concerne des patients (là encore
principalement des hommes et très rarement des femmes) que les infirmières surprennent à se
masturber dans leur lit d’hôpital, soit lorsque le patient est seul dans son lit, soit au cours d’un soin :

« C’est déjà arrivé à une collègue à moi où un homme... je m’en rappelle,... c’était carrément... il s’est
carrément branlé... quand elle était en train de lui masser le dos, quoi ! Là, ça avait été loin, super loin.
Oh ! Oh là là !, elle était arrivée dans tous ses états en salle de soins, je m’en rappellerai toute ma vie.
Et du coup, il avait été catalogué, le gars, de “gros cochon” ! Plus personne ne voulait rentrer dans la
chambre ! [Elle rit, inaudible]. Je me rappelle. Je me rappelle d’une collègue à moi qui y avait été, puis
elle lui avait dit : “Je vous préviens, je vous fais la toilette et vous ne vous touchez pas, et vous ne faites
rien, vous mettez les mains au-dessus du drap !” [elle rit] On était... voilà, quoi ! » [P17, infirmière, 32
ans].

41Ces deux types de conduites (exhibitionnisme et masturbation en public) sont considérées comme
des déviations au regard des scénarios culturels de la sexualité « normale ». Les réactions des
infirmières sont donc les réactions communes à toute expression déviante de la sexualité et, dans le
cas de ces pratiques, le contexte médical et les scénarios professionnels ne parviennent pas à les
intégrer dans un univers de justification. Elles ne peuvent être pensées comme une conséquence de
la maladie mais uniquement comme des conduites « perverses » et la maladie n’excuse pas la
« perversion ».
4.4.3. La séduction forcée : une forme de harcèlement sexuel
42Enfin, dans de très nombreux cas, nous trouvons une érotisation qui s’exprime essentiellement à
travers des scènes de séduction lourdes, des avances trop insistantes, des blagues vulgaires, des
propos et de gestes déplacés (insultes, mains aux fesses), des demandes précises de services sexuels
(masturbations ou de « petites gâteries »/ fellations) adressées aux jeunes infirmières, des
comportements de harcèlement. Les infirmières déclarent vivre ces situations de façon pénible et
humiliante.

« Quand j’étais étudiante, il y en a un qui m’a carrément demandé de lui faire une “petite gâterie”, quoi.
Donc moi, j’étais jeune infirmière, étudiante encore, premier stage, donc… un monsieur d’une
soixantaine d’années, qui était veuf depuis un moment et qui m’a demandé carrément, quoi ! Moi, très
naïve, je n’ai pas bien compris ce qu’il voulait ! [rires]. Quand j’ai compris, je lui ai dit : “Ben… non !
Non, non ! On est juste infirmière, en fait”. Oui, j’étais un peu mal à l’aise » [P31, infirmière, 27 ans].

4.4.4. Les plaisanteries salaces et grivoises, les attouchements


43Dans les scénarios évocateurs de harcèlements subis par les infirmières, les plaisanteries sexuelles
appuyées et les demandes de service sexuel (une fellation) sont généralement attribuées à des
hommes mûrs ou plus âgés, jugés « malsains » ou « pervers » :

« Oui, parce qu’on avait des patients un peu « pervers pépères », des fois, donc… mais nous, ça nous
gêne un peu qu’il regarde un film porno, par exemple. Oui, ils peuvent regarder des films pornos sur
Canal+, le samedi… [rires]… je ne sais pas, mais… Ce n’est pas que ça me choque, ça me gêne. Ben, on
en train de faire un soin et puis ça en fond d’écran, c’est un petit peu gênant… Et ce qui me gêne aussi,
c’est que c’était une chambre de patients, ils étaient deux et du coup, ils étaient… enfin, un peu
désinhibés, je ne sais pas, mais… Ils en plaisantaient beaucoup, quoi. Donc, quand c’est entre eux,
quand c’est sur des gens que je ne connais pas, ce n’est pas le problème, mais quand ça commence à
venir sur nous, là non, quoi. Ben, ils nous donnent des petits surnoms, des “petites cocottes”, des petits
machins… Ben, on leur dit stop ! » [P31, infirmière, 27 ans].

44Ces comportements sont expliqués tour à tour par les infirmières comme le symptôme d’un
manque, par le fait que ces hommes veulent se prouver à eux-mêmes qu’ils sont encore des hommes
malgré le cancer (affirmation d’une identité virile chancelante car mise à mal par la maladie et les
traitements), et tentent ainsi de masquer leurs angoisses, ou bien comme une volonté de se prouver
que l’on est toujours séduisant… Cependant au-delà de la gêne qu’elles éprouvent parfois de façon
véhémente, les infirmières semblent avoir une attitude de compréhension compassionnelle envers
ce type de demande et de situation.

« Hum et c’est assez surprenant finalement... Et ils font le fanfaron devant d’autres femmes et puis
quand leur femme n’est pas là... Malgré la maladie... Peut-être justement pour occulter leur angoisse.
C’est un peu, c’est peut-être aussi un peu pour ne pas... pas trop être dans la... maladie parce que c’est
souvent justement des patients qui sont là et pis que peut être on... ils sont en train de se dire
intérieurement “Bah j’ai fait des conneries, j’ai..., je suis là c’est peut-être un peu par ma faute” » [E01,
infirmière, 53 ans].

45Mais ce type de conduite est aussi expliqué par les scénarios culturels dominants relatifs aux
infirmières assimilées à des filles/femmes faciles, nues sous leur blouse et à la sexualité insatiable.

« Le côté infirmière... comme on peut l’imaginer... Voyez, j’avais un mot vulgaire qui me venait à l’esprit
l’infirmière “chaudasse”, excusez-moi, vous pourrez l’enlever... “Chaude”. Hein, voyez, l’infirmière
chaude... comme quand, des fois, quand on voit les... soirées infirmières avec l’infirmière... l’infirmière
qu’on voit dans les pornos, quoi... je vous dis, voilà » [A01, infirmière, 33 ans].

46Cette forme d’érotisation caractérisée par l’émergence de demandes sexuelles et associée aux
scénarios culturels de la pornographie, est subie par les infirmières. Elle renvoie à des formes de
sexualité qui ont pour effet d’annuler toute érotisation positive de la situation. Contrairement aux
autres formes d’érotisation plus « soft » qui ont pour effet de maintenir une sorte de continuum
d’humanité entre les infirmières et les patients dans des formes contenues qui viennent renforcer la
signification des soins holistiques (« traiter le patient comme un être humain »), les demandes de
service sexuel n’entrent pas dans les scripts professionnels dominants du rôle et des attributions que
les infirmières incarnent et viennent ainsi les déstabiliser dans l’accomplissement de leur activité
professionnelle.

47On note ici une dichotomie importante entre, d’une part, des « récits » (cas vécus d’interactions
singulières avec tel ou tel patient) qui mettent en scène des situations de communication avec des
femmes, dans le registre de la confidence, doublées d’interrogations sur les dimensions relationnelles
et psychologiques de la sexualité, sur les incapacités et les dysfonctions associées aux cancers et à
leur traitement, et les anxiétés et incertitudes qui émergent à ce propos. Si les femmes apparaissent
comme étant les principales actrices et initiatrices de ce type de communication intime, les hommes
sont présentés comme plus discrets et peu engagés dans ce type de communication avec les
infirmières. On observe ici une attitude qui valorise une communication qui s’établit à propos de la
diminution des capacités et des fonctions sexuelles des patients. À l’opposé de ce type de situation,
les comportements qui donnent la représentation d’une sexualité violente et agressive, sans retenue
et sans respect pour l’autre, sont dans la majeure partie des cas attribués aux hommes et vécus et
évalués très négativement par les infirmières.

4.5. Faire face à la sexualisation indésirable de la


relation de soins
48Aussi, différentes conduites à tenir sont adoptées individuellement et collectivement pour prévenir
ou parer à de telles éventualités. Dans pareils cas, il s’agit ainsi de n’être ni trop éloigné du patient
pour rester empathique et attentif à son état, ses désirs, besoins, et demandes, ni trop proche afin
de maîtriser ses émotions, de rester ancré dans le scénario professionnel pour prendre les décisions
qui s’imposent et ne pas souffrir en cas d’événement néfaste. Il s’agit de garder la tête froide et de
ne pas verser dans l’émotionnel ou l’affectif (considéré comme une source de biais et d’erreurs par
les infirmières). Ceci qui va pouvoir se faire à travers toute une série de mises à distance physiques
et psychiques du patient : ne pas porter de tenues provocantes (pour ne pas être « aguichantes »)
et utiliser une blouse et des gants pour tout contact intime ; désérotiser la situation en portant un
regard clinique sur le corps d’autrui, ne jamais parler de soi/sa vie privée ; « recadrer » le patient
pour le remettre à sa place en lui rappelant les rôles impartis à chacun dans la relation de soins ;
éviter le patient ou restreindre le temps passé auprès de lui ; recourir à l’équipe qui jouera le rôle
de tiers régulateur dans le colloque singulier devenu dangereux ; ne pas faire le soin seul(e) avec le
patient mais en présence d’un(e) collègue, voire en cas d’impossibilité majeure, lui passer le relais ;
avoir des discussions collectives pour définir la conduite à tenir en équipe dans les cas difficiles.
Autant de stratégies qui montrent que les infirmières ne sont pas dépourvues pour faire face au
« danger » potentiel que représentent les tentatives indésirables d’érotisation de la relation de soins
par les patients, et à ce titre, ces professionnelles ne peuvent être considérées comme de simples
« victimes » des conduites de harcèlement des patients.

5. Conclusion
49Le recours à la théorie des scénarios de la sexualité (Gagnon, 2008) pour l’analyse de la place de
la sexualité dans la pratique professionnelle des infirmières a permis d’identifier un ensemble de
contradictions auxquelles celles-ci sont confrontées. Tiraillées entre la pression sociale observée au
plan international en vue de la promotion de la « santé sexuelle » et les résistances à l’érotisation
de la figure de l’infirmière, les infirmières interrogées dans cette étude manquent de formation sur
les questions de la sexualité qui apparaissent dans la relation de soins. Si elles se trouvent impliquées
personnellement dans des situations d’érotisation et de sexualisation qu’elles ne maîtrisent pas
toujours, elles ne peuvent se reporter à des recommandations professionnelles qui leur permettraient
de mieux les intégrer à leur pratique.

50La dimension du genre paraît alors centrale pour comprendre la capacité des infirmières à gérer
ces questions en leur donnant un sens. L’expression verbale sous forme de confidences notamment,
traditionnellement attribuée aux femmes, permet ainsi d’intégrer plus facilement les difficultés
relationnelles du patient, ou encore celles qui sont liées à l’image de soi, dans les scénarios
professionnels des infirmières, qui en sortent renforcés.

51Dans ce cas, la survenue de ces formes d’érotisation, vécues comme agréables, facilite l’exercice
professionnel. De même, lorsque les manifestations sexuelles sont interprétées dans le registre de
la médicalisation par les infirmières, elles peuvent être excusables car elles entrent dans le schéma
des scénarios professionnels. En revanche, les formes d’expression érotique agressives,
traditionnellement attribuées aux hommes, constituent une érotisation peu compatible avec les
scénarios professionnels dominants, marqués par des formes désexualisées du care. Dans ce cas,
les scénarios professionnels ne permettent pas de surmonter les contradictions liées aux scénarios
culturels dominants de la sexualité, et certaines formes d’érotisation de la relation de soins sont dès
lors rejetées hors du champ du possible.

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Bibliographie

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Annexe

Descriptif de l’échantillon

L’échantillon est composé principalement de femmes (85,9 %) — et à ce titre, il est parfaitement


représentatif de la population des infirmières travaillant en France —, âgées de 38,1 ans en moyenne
(minimum/maximum : 23-58 ans). Sur le plan professionnel, ces personnes exercent principalement
en tant qu’infirmières (79,7 %), mais aussi comme cadres infirmiers (14,1 %), voire beaucoup plus
rarement en tant que manipulateurs/manipulatrices en radiologie ou comme aides-soignantes.
L’ancienneté professionnelle moyenne est de 13,1 ans (mini/maximum = 4 mois / 37 ans) tandis
que l’ancienneté dans le service actuel d’exercice est de 6,8 ans (mini/maximum = 10 mois / 27
ans). Ces personnes travaillent en majorité en Lorraine (68,6 %) — plus rarement en Bretagne
(9,4 %), en Île-de-France (7,8 %), dans les Pays de la Loire (7,8 %) ou en Rhône-Alpes (6,3 %) —
et essentiellement dans le cadre d’une institution hospitalière (Centres hospitaliers universitaires,
Centres hospitaliers régionaux, Centres hospitaliers publics ou privés, Centres hospitaliers
spécialisés), totalisant 54,7 % de l’ensemble, ou d’un Centre de lutte contre le cancer (CLCC)
(37,5 %), voire plus rarement en cabinet libéral (7,8 %). La grande majorité des interviewés
interviennent en milieu hospitalier (78,1 %) et plus rarement à domicile (21,9 %). Une majorité
d’infirmières (59,4 %) affirment avoir suivi des formations complémentaires à leur cursus initial, soit
dans le cadre d’une spécialisation (cadres infirmiers notamment), soit dans le cadre d’une
réorientation professionnelle. Ces formations touchent principalement le domaine psycho-relationnel,
la fin de vie et de façon plus marginale certaines spécialités médicales, voire même des
thérapeutiques spécifiques. En revanche, il convient ici de souligner qu’une très faible minorité
déclare avoir suivi une formation dans le domaine de la sexualité (3,1 %). Enfin, sur le plan
personnel, les infirmières interviewées vivent en couple (79,7 %) avec enfants (67,2 %), disent en
majorité avoir reçu une éducation religieuse (77,6 %), se déclarent « croyantes » (47,2 %) ou
athées (41,5 %), voire agnostiques (11,3 %) — mais s’affirment en revanche moins souvent
pratiquantes (25,9 %).

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Notes

1 C’est le cas au moins dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou le Brésil où les infirmières
reçoivent une formation universitaire et disposent de nombreuses revues de « recherche infirmière », ce
n’est pas (encore ?) le cas en France où il n’existe qu’une seule revue à prétention scientifique dans ce
domaine : la revue de l’Association pour la recherche en soins infirmiers (ARSI).

2 Cet article est fondé sur les résultats d’une recherche financée par l’Institut national du cancer (INCA)
en France qui a donné lieu à un rapport de recherche (A. Giami, P. Moulin, É. Moreau, 2010).
3 La dimension « intra-psychique » des scripts professionnels de la sexualité chez les infirmières fera
l’objet d’une autre étude. Il convient de préciser ici que J. Gagnon et W. Simon n’utilisent pas le terme
« intra-psychique » comme le font les psychanalystes, mais plutôt dans une acception qui renverrait à
l’intra-personnel ou intra-individuel. Ce qui nous a conduits à préférer le qualificatif de subjectif.

4 Le cas de Gilbert Tordjman, un des principaux acteurs de la sexologie française des années 1970 est
exemplaire, bien qu’extrêmement minoritaire dans la profession. Ce médecin a été accusé d’abus sexuel
et de viol par un certain nombre de ses ex-patientes. Il est décédé en 2009 avant d’avoir été jugé aux
Assises.

5 La littérature nord-américaine traitant de la sexualité dans les soins infirmiers véhicule le plus souvent
une représentation spécifique selon laquelle ce type de situation ne peut renvoyer qu’à du « harcèlement »
de l’homme (patient, médecin, collègue) sur la femme (infirmière ou aide-soignante) (Lawler, 1991 ;
Higgins et al., 2009b), comme l’incarnation des pouvoirs masculins en contexte médical, sans prendre en
compte le fait que d’autres aspects éventuellement positifs puissent émerger d’une telle relation.

6 L’enquête s’est aussi déroulée auprès d’un groupe de 9 hommes dont les entretiens n’ont pas été retenus
dans le présent travail centré sur une analyse de la profession d’infirmière en tant que profession féminine.

7 Le concept de « santé sexuelle », défendu par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Association
mondiale de Santé sexuelle et la Chaire Unesco de Santé sexuelle et droits humains, est fondé sur une
définition de travail élaborée par l’OMS en 2006 : un état de bien-être physique, émotionnel, mental et
social en relation avec la sexualité qui n’est pas réductible à une absence de maladie, dysfonction ou
infirmité. La santé sexuelle nécessite une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations
sexuelles, et la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui apportent du plaisir dans un environnement
sain, libre de toute contrainte, discrimination et violence. Afin d’atteindre et de maintenir cet état de santé
sexuelle, les droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et soutenus.
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Pour citer cet article

Référence papier
Alain Giami, Pierre Moulin et Émilie Moreau, « La place de la sexualité dans le travail infirmier :
l’érotisation de la relation de soins », Sociologie du travail, Vol. 55 - n° 1 | 2013, 20-38.

Référence électronique
Alain Giami, Pierre Moulin et Émilie Moreau, « La place de la sexualité dans le travail infirmier :
l’érotisation de la relation de soins », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 55 - n° 1 | Janvier-Mars 2013,
mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 13 octobre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/sdt/12902 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.12902
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Cet article est cité par

• Maamri, A.. Hamdi, G.. Ghazali, I.. Kissi, Y. El. Zalila, H.. (2020) Harcèlement sexuel des
infirmières en milieu psychiatrique. Sexologies, 29. DOI: 10.1016/j.sexol.2019.07.004

• Santos, Sheila Milena Pessoa dos. Freitas, Javanna Lacerda Gomes da Silva. Freitas, Maria
Imaculada de Fátima. (2019) Roteiros de sexualidade construídos por enfermeiros e a interface
com a atenção em infecções sexualmente transmissíveis/HIV. Escola Anna Nery, 23.
DOI: 10.1590/2177-9465-ean-2019-0078pt

• Santos, Sheila Milena Pessoa dos. Freitas, Javanna Lacerda Gomes da Silva. Freitas, Maria
Imaculada de Fátima. (2019) The sexuality scripts constructed by nurses and an interface with
attention of sexually transmited infection/HIV. Escola Anna Nery, 23. DOI: 10.1590/2177-9465-
ean-2019-0078en

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Auteurs
Alain Giami
(auteur correspondant)
INSERM CESP, U1018, Équipe Genre 07, santé sexuelle et reproductive, 82, rue du Général Leclerc, F-
94276, Le Kremlin-Bicêtre, France
alain.giami[at]inserm.fr

Pierre Moulin
INSERM CESP, U1018, Équipe Genre 07, santé sexuelle et reproductive, 82, rue du Général Leclerc, F-
94276, Le Kremlin-Bicêtre, France
Université Paris 8, 93526 Saint-Denis, France

Émilie Moreau
INSERM CESP, U1018, Équipe Genre 07, santé sexuelle et reproductive, 82, rue du Général Leclerc, F-
94276, Le Kremlin-Bicêtre, France
Université de Lorraine, Metz, France

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