Vous êtes sur la page 1sur 4

Le culturalisme en sociologie pdf

Le adalah. En vs le la les.

Exercice 3 - Les SES c`est capital 1-quest-ce-que-la-socio-schemas-socio-successifs-logiques-de La socialisation selon Guy Rocher Individu et société : approche sociologique Le dispositif ULIS est un dispositif accueillant des jeunes souffrant PROBLEMES CONCERNES Conflits, inégalités hommes / femmes Atelier sociologie : Les processus de
socialisation et la construction EPREUVE COMPOSEE- 3ème partie- Raisonnement s`appuyant sur Synthèse - Les comportements individuels sont PES3 - Evaluation n°2 – Eléments de corrigé Chapitre 2 - Page d`accueil Les politiques locales d`insertion et d`intégration CULTURE ET SOCIALISATION Introduction Au Croissance, développement
durable et lien social Chapitre 1 : La structure sociale Les processus de socialisation et la construction Fiche de révision - Diiférents courants sociologiques 1 : Comment la socialisation de l`enfant s`effectue-t recherche action qualifiante pah 1Cet article examine la manière dont s’articulent dans le contexte hospitalier les catégorisations ethniques et
les pratiques médicales à l’égard des femmes « migrantes »1 en périnatalité. À partir notamment d’entretiens avec les soignants et de séances d’observation des consultations médicales dans trois maternités publiques d’Île‑de‑France, il s’agit d’analyser ensemble les représentations et les pratiques des soignants à l’égard de ce public2. 2Les sciences
sociales et l’épidémiologie ont documenté le fait que dans les pays industriels la situation des femmes migrantes est très défavorable pour de nombreux indicateurs de santé périnatale (Gagnon et al., 2009), et que les systèmes de santé contribuent par leur fonctionnement à renforcer ces inégalités (Bollini et al., 2009 ; Sparks, 2009). Les données
périnatales sur les femmes migrantes sont peu nombreuses en France. Cependant, les études existantes mettent en évidence des disparités importantes en ce qui concerne le risque de mortalité maternelle, qui est double pour les femmes de nationalité étrangère (Philibert et al., 2008), risque associé à une qualité de soins inférieure pour ces femmes
et qui demeure significatif même après contrôle du niveau socioéconomique. Des différences importantes existent pour le recours au dépistage d’anomalies comme la trisomie 21 (Vigan et al., 2008). D’autres particularités sont à relever comme le taux de recours à la péridurale sensiblement inférieur à la population générale ou le risque plus élevé de
césarienne (données de l’enquête périnatalité, communication personnelle de M.‑J. Saurel‑Cubizolles, Inserm). 3Parallèlement, des travaux d’anthropologie médicale ont montré la prégnance des catégories ethniques dans les politiques de santé publique, dans les discours des professionnels de santé et dans la prise en charge des patientes, catégories
souvent empreintes de culturalisme, compris comme une approche essentialiste voire naturaliste des identités (Fassin, 1999 ; Briggs et Mantini-Briggs, 2003). En déconstruisant ces catégories, ces travaux montrent comment la production et la reproduction par les institutions sanitaires de ces taxinomies contribuent à conditionner la relation patient
médecin (Balshem, 1993 ; Bonnet, 2005 ; Borovoy et Hine, 2008), ainsi que les effets de ces catégorisations sur la reproduction ou le renforcement des inégalités de santé. 4Comme toute taxinomie, les catégorisations ethniques orientent la connaissance humaine et sont agissantes (Desrosières et Thévenot, 1988 ; Bowker et Star, 1999). Elles sont
d’autant plus puissantes dans le contexte étudié qu’elles correspondent à une tendance bien établie du raisonnement clinique à la typification et à la standardisation (Grenier, 1990, 2004). Cependant, dans les institutions observées elles apparaissent aussi comme largement informelles et non soumises à la critique. À cet égard, cet article pointe le
danger qu’elles comportent en véhiculant des stéréotypes qui orientent les pratiques médicales. 1. Question et méthode 5En nous fondant sur ces acquis, nous voudrions aller plus loin dans l’analyse des rapports entre catégorisation des patients et pratiques médicales. Nous nous intéressons ici aux conditions de reproduction de ces catégorisations
dans le contexte de la santé périnatale et à leur traduction dans les pratiques médicales. Sans prétendre retracer la généalogie de ces catégories qui ont déjà fait l’objet de nombreuses recherches en sciences sociales (Guénif‑-Souilamas, 2006 ; Simon, 1998 ; Felouzis et al., 2005), il s’agit d’analyser leur impact dans le contexte de l’institution
hospitalière. Pourquoi l’approche culturaliste de cette population vient-elle si « naturellement » aux soignants ? Dans quel contexte ces taxinomies sont-elles produites, diffusées, renforcées ou nuancées ? Quels sont leurs effets sur la relation soignant patient, notamment au regard de certaines évolutions récentes : remise en question du paternalisme
médical, émergence d’une figure du patient autonome dans sa décision (Barbot, 2008) ? Au centre de ces interrogations se situe l’articulation entre catégorisation et routines médicales. Si l’on remarque globalement une cohérence entre la catégorisation des patientes et ces routines, il y a aussi des moments où les deux sont disjointes : qu’en est-il de
ces moments, et quel est leur effet sur ces catégorisations ? 6Des entretiens approfondis avec les soignants et autres personnels du secteur médicosocial (n = 50), dont des gynécologues-obstétriciens (n = 9) et des sages-femmes (n = 21), ont été menés dans trois maternités franciliennes et dans leur secteur sanitaire d’implantation (structures de ville
qui orientent les patientes vers ces maternités). L’hôpital A est situé en centre‑ville dans un quartier en voie de gentrification, et d’après le personnel les femmes migrantes représentent environ 50 % des patientes3. L’hôpital B est situé dans un arrondissement populaire, proche de la banlieue dont provient une partie significative de ses patientes. Les
femmes migrantes y seraient présentes en proportion de 70 %. Enfin, l’hôpital C est situé dans une banlieue populaire à forte tradition d’immigration. Les femmes migrantes d’après les déclarations y représentent 95 % des patientes. Ces entretiens ont été complétés par des observations des consultations médicales concernant deux groupes
spécifiques de patientes : une consultation obstétrique accueillant principalement des femmes séropositives originaires d’Afrique sub‑saharienne dans l’hôpital B et les consultations obstétriques avec des patientes roms originaires des Balkans dans l’hôpital C. Cette dernière observation a été participante, l’auteur étant interprète bénévole dans une
association médicosociale. 7Cet article puise dans l’ensemble de ces sources. Si la plupart des propos cités appartiennent aux sages-femmes, c’est que ce travail reflète avant tout la composition du monde professionnel de la périnatalité : l’on trouve dans les services beaucoup plus de sages-femmes que d’obstétriciens. Ce monde a connu des
restructurations récentes, qui confirment le monopole de la compétence scientifique liée à l’accouchement par les gynécologues‑obstétriciens, alors même que les sages-femmes, dont le mode de recrutement a changé, connaissent une professionnalisation accrue, ce qui donne lieu à de nouveaux clivages et formes de mobilisation (Carricaburu, 2005 ;
Charrier, 2007). Si ces développements ne constituent pas le cœur de ce travail, nous les évoquerons lorsque cela permettra d’éclairer l’objet de l’analyse. 8Dans ce travail, nous prenons le terme de catégorisation dans un sens à la fois statique et dynamique : une catégorisation est d’une part un cadre cognitif et d’autre part un dispositif pratique
orientant l’action, au besoin à travers une inscription institutionnelle explicite. La catégorisation ethnique des patientes dans les maternités est à la fois formelle et informelle. En effet, l’une des maternités enregistre explicitement « l’origine » des patientes lors de leur inscription, élément qui est intégré dans le dossier médical. L’existence de ce
dispositif est justifié dans les entretiens par le dépistage de certaines pathologies en rapport avec la région d’origine et notamment la drépanocytose4, mais aussi par d’autres pratiques moins courantes comme l’adaptation du calcul du terme de la grossesse au groupe ethnique5. Une autre forme de catégorisation des femmes migrantes est celle qui
est opérée par leur couverture sociale. En effet, les femmes sans couverture sociale ou bénéficiaires de l’Aide Médicale État sont presque toujours des femmes migrantes en situation irrégulière. 9Mais la catégorisation ethnique est aussi largement informelle, utilisée au quotidien dans les échanges entre soignants. Elle est remarquablement
cohérente entre les trois maternités. Elle recouvre des typologies ethnico‑géographiques : « africaine », « maghrébine », « asiatique », ou nationales : « chinoise », « camerounaise », « algérienne ». Ces classifications, dont les sources sont multiples6, faisant partie de ce que Véronique De Rudder appelle « les rapports sociaux interethniques » (De
Rudder et al., 2000, p. 38) sont très présentes dans le quotidien des services, où elles servent à désigner les patientes dans les échanges entre soignants. Les termes « migrantes » « immigrées » ou « étrangères » sont également utilisés pour se référer de manière générale à la population de l’hôpital. 10Cet article est structuré en trois parties : la
première présente le contexte institutionnel et les multiples contraintes qu’il fait peser sur les pratiques médicales, ainsi que son impact sur les diverses formes de catégorisation des patientes. La deuxième va plus loin dans l’analyse des taxinomies en montrant comment la notion d’« observance » s’articule à la production de catégories culturalistes.
Enfin, la troisième recadre ces processus dans le contexte de l’émergence d’un nouveau paradigme de la relation thérapeutique, celui du « choix », et propose pour finir une hypothèse d’explication des comportements qualifiés comme irrationnels par certains soignants. 2. Une sélection sociale par la négative dans des établissements sous contrainte
11Les entretiens font apparaître les patientes « migrantes » comme des patientes à problèmes, imposant souvent une charge de travail plus lourde pour les soignants, et ce d’autant plus que les maternités publiques tendent à recevoir une part importante de cette population. 2.1. Une sélection qui ne s’avoue pas : « ici, on prend tout le monde » 12La
patientèle des maternités publiques de la région parisienne ne reflète que partiellement la population de la zone d’implantation de l’hôpital, car ces établissements attirent aussi une population en moyenne plus précaire provenant des secteurs environnants. Les femmes étrangères y représentent d’après les soignants une part importante, voire
majoritaire, des patientes. C’est un public en partie captif pour lequel le « choix » de la maternité publique de leur secteur d’habitation est le seul possible. « Pourquoi il y a tellement de femmes migrantes ? Parce qu’ici, contrairement à d’autres endroits, on prend un peu tout le monde, et ça se sait bien dans les communautés. » (Sage-femme, A)
13Cette non-sélection équivaut à une sélection par la négative : c’est justement parce qu’on « prend tout le monde » que le nombre de migrants est plus grand. Plus précaire que la population générale, cette population est aussi davantage susceptible d’être dépourvue de couverture sociale. Dans l’extrait précédent, il est fait implicitement référence
au fait que l’hôpital accueille favorablement les femmes sans couverture sociale, dont de nombreuses femmes en situation irrégulière, à travers un service de PASS (Permanence d’accès aux soins) particulièrement développé. 14La sélection concerne aussi, au sein des établissements, les différents services et consultations des trois maternités. La
sélection sociale des malades selon la hiérarchie des services, en fonction de leur degré de prestige, de technicité ou de spécialisation, est un phénomène identifié de longue date (Herzlich, 1973). Dans ce sens aussi, la maternité publique fonctionne de façon quelque peu similaire aux urgences, attirant une grande part de populations précaires, où les
femmes étrangères sont surreprésentées. Ainsi, dans l’hôpital A, le contraste est saisissant entre la salle d’attente de la consultation d’obstétrique, où les femmes blanches sont minoritaires, et celle de la consultation de gynécologie, où elles sont majoritaires. 15Dans les trois maternités, les femmes migrantes sont parfois vues comme un fardeau,
notamment en raison de leur statut social plus précaire, imposant un travail et des dépenses supplémentaires pour l’établissement. La présence de patientes qui ne parlent pas français conduit parfois les hôpitaux à employer des interprètes vacataires. De telles vacations existent dans les trois hôpitaux, mais sont particulièrement utilisées dans
l’hôpital C. « À [l’hôpital C] on a un véritable envahissement. Nous avons un taux faramineux, beaucoup plus que dans les autres hôpitaux du département. C’est la réputation de C d’être très accueillant. Tous les jours, on a deux vacations pour les Chinoises, une de tamoul. [...] et puis l’accueil appelle l’accueil, les migrants appellent les migrants. Il y
a des matinées où on ne voit pas un blanc. » (Gynécologue, C) 16La difficulté de prendre en charge les dépenses spécifiques occasionnées par les populations précaires est accrue dans le cadre des nouveaux modes de tarification à l’activité, qui ne prennent pas en compte la précarité et le poids supplémentaire qu’elle peut représenter pour l’activité
des services (Castiel et al., 2007). La limitation de la durée de séjour, actuellement de trois jours suite à un accouchement normal, impose des contraintes supplémentaires sur le travail des soignants. 17Certains établissements pratiquent à cet égard une politique de sélection plus active qui ne s’avoue pas toujours : celle‑ci se traduit par des pratiques
de guichet (Spire, 2007) inadaptées aux situations spécifiques des groupes qui sont considérés comme non-observants (par exemple les femmes roms provenant d’Europe de l’Est). Cela peut passer par le fait de proposer un premier rendez-vous très éloigné dans le temps, ce qui conduit de fait à l’abandon des soins par la patiente potentielle. La
difficulté de prendre en compte les patientes sans couverture sociale7 conduit les établissements à émettre des factures pour ces patientes ou à mettre en place des systèmes plus ou moins complexes de sas en faisant précéder chaque consultation par un passage au service social, dispositif en vigueur dans l’hôpital C. Nombre de femmes, notamment
les plus précaires et les plus récemment arrivées en France, peinent à s’orienter dans ce système complexe et renoncent aux consultations de suivi de grossesse. 2.2. Une population présentée comme « plus difficile » 18Dans la majorité des entretiens, les soignants font état de la difficulté de « faire de la prévention », d’« assurer le suivi » auprès de
certaines femmes étrangères. Par exemple, il est généralement affirmé que les femmes étrangères ne participent pas aux cours de préparation à la naissance. Les raisons peuvent en être linguistiques ou financières, certains cours étant payants. D’autres soignants se plaignent de la difficulté de pratiquer les dépistages dont certains, comme celui de
la trisomie 21, sont rentrés dans la routine de la surveillance anténatale, et dont d’autres, comme celui de la drépanocytose, sont liés à la spécificité d’un groupe ethnique. Les entretiens font état de manque d’intérêt de ces patientes pour la question du dépistage. « La demande de dépistage, en fait, si la patiente n’a pas déjà un enfant atteint et
malade, c’est très difficile d’avoir un discours efficace sur le dépistage. » (Sage‑femme, B) 19Chaque ouverture de dossier médical lors d’une inscription à la maternité comprend un entretien pendant lequel un questionnaire détaillé est rempli, comportant notamment les antécédents des parents et de leurs enfants précédents. Ce moment du
questionnaire fait l’objet d’une attention particulière, car il est incriminé au cas où un élément permettant de déceler une anomalie échapperait au professionnel de santé qui le remplit, en général une sage-femme, ce qui arrive fréquemment. « Elles ne nous les citent pas. Et de même, si on ne fait pas extrêmement attention quand on leur demande
comment vont les enfants précédents, ça nous est arrivé plusieurs fois [...], que des patientes ne nous signalent pas qu’un des enfants avait un handicap, par exemple, éventuellement, c’était un handicap qui pouvait nécessiter un dépistage génétique, et en fait, on l’apprenait en examinant ce nouveau-né. C’est‑à‑dire on trouvait ce nouveau-né avec des
symptômes qui ne nous plaisaient pas du tout, et là, la mère vous disait : “Oui, c’est comme le deuxième.
Et le deuxième, il est en institut depuis 4 ans” ». (Cadre sage‑femme, B) 20Le fait de déroger à certaines étapes de la surveillance anténatale pose des problèmes de plusieurs ordres aux services : en dehors des risques médico‑légaux, une patiente qui n’a pas la totalité de ses examens à jour oblige les soignants à les demander en urgence ou à devoir
s’en passer lors des consultations : « Quand on a commencé à voir arriver les filles roms à la maternité, ça a été un choc pour nous, on comprenait pas ce qui nous arrivait : il y avait tout d’un coup ces filles, beaucoup étaient des ados, enceintes et qui arrivaient pour accoucher, en plein travail.
Je pense qu’elles sont nées sous une bonne étoile, parce que dans des cas pareils on s’attendrait à ce qu’il y ait des complications, et en fait la plupart du temps elles s’en tirent bien. Mais pour nous c’est très stressant, il faut imaginer : la fille nous arrive aux urgences et on n’a rien sur elle, ni groupe sanguin, ni échographie, elle ne parle pas français
donc on n’a vraiment aucune information. Il faut demander des examens en urgence et, comme l’hôpital est vraiment débordé, ça embête tout le monde. » (Sage‑femme, hôpital C) 21Ces patientes apparaissent parfois dans les discours des professionnels de santé comme une présence troublante qui remet en question les routines médicales –
comprises dans le sens de comportements de nature automatique qui s’appuient sur des règles (Reynaud, 1998). Nous allons à présent nous intéresser à la manière dont les soignants donnent sens à ces perturbations.
3. Culturalisme et « observance » : un rapport ambivalent 22Le contexte décrit dans la première partie constitue l’arrière-plan sur lequel se construisent les catégorisations des patientes. Le « manque d’observance » de certaines catégories de femmes migrantes est souvent évoqué dans les entretiens. Les explications proposées par les médecins et
sages‑femmes vont des problèmes de communication imputés à la langue ou au niveau d’éducation des patientes à des hypothèses culturalistes plus englobantes. Des comportements tendent à être attribués à ces diverses catégories, selon une logique reposant sur des stéréotypes récurrents : les femmes africaines allaiteraient naturellement sans
problèmes, les femmes asiatiques seraient stoïques et distantes, etc. Le principe d’explication des comportements est souvent culturaliste dans le sens d’une assignation essentialiste des identités qui devient le principal élément de repérage et d’explication des comportements. Ces discours des soignants sont à replacer dans une tendance
contemporaine à « culturaliser » les populations d’origine étrangère, qui s’est cristallisée dans une forme sophistiquée dans les travaux d’ethnopsychiatrie (Fassin, 1999). 23Le culturalisme semble avant tout être invoqué comme principe explicatif aux comportements vus comme déviants par rapport aux routines médicales.

Ainsi, pour expliquer les retards ou absences de femmes africaines aux consultations de suivi anténatal, une sage-femme émet l’hypothèse suivante : « Les Maliennes, elles n’ont pas la notion du temps, pas la même que nous. Elles ne comprennent pas pourquoi on les suit autant, pourquoi on leur demande tout c¸a. » (Sage-femme, A) 24Ces propos
montrent comment la catégorisation introduit des effets normatifs, avec un effet d’assignation des comportements ; si elles sont en retard ou s’absentent, l’explication en est attribuée à des capacités cognitives différentes : « elles n’ont pas la notion du temps ». Dans les discours des soignants, la figure de « l’Africaine » constitue souvent, comme
l’avait relevé Didier Fassin, l’archétype de l’altérité (Fassin, 1999). 25Nombreux sont les soignants qui font état de besoins de connaissances sur les patients dans le même registre culturaliste, où les sessions de formation correspondent à des catégories mutuellement exclusives de populations : « Je suis venue travailler à B pour ça, déjà, la
population, et j’ai fait plusieurs formations sur, justement, les différences culturelles au niveau de l’Asie et au niveau de l’Afrique. Au sein même d’une formation inter-hospitalière, une formation qui est dédiée aux sages‑femmes et qui fait partie de la formation continue. Donc deux années, de suite, j’ai fait l’Asie et l’Afrique. » (Sage‑femme, B) 26Cet
entretien évoque l’existence de formations destinées aux soignants et portant sur les groupes de patients. D’après nos observations, ces formations, effectuées par des intervenants dont chacun présente une aire géographique communément désignée comme « culture » (l’Asie, l’Afrique subsaharienne, le Maghreb) s’adressent surtout aux sages-
femmes, qui en pratique sont amenées à s’investir dans la relation à la patiente beaucoup plus que les gynécologues-obstétriciens, dont l’intervention dans le cadre des accouchements est souvent ponctuelle et de nature techniciste, conséquence du monopole qu’ils se sont arrogé sur ce rôle au cours des dernières décennies (Dagnaud et Mehl, 1988 ;
Schweyer, 1996). Ainsi, en pratique, l’aspect « relationnel », faisant appel à des compétences « féminines » est souvent délégué aux sages‑femmes (Charrier, 2007). 27Certains soignants, dans le même registre culturaliste, font appel à la « religion » ou à l’« ethnie » comme facteur d’explication se confondant avec la « culture ». « Si on prend les
patientes d’origine africaine, elles s’en remettent très souvent à la volonté divine. C’est vrai qu’on a certains discours, nous, Européens, qui leur semblent hors de propos. Par exemple le dépistage de certaines maladies génétiques.
Parfois, elles le refusent parce que, justement, il est inenvisageable pour elles, de toute manière, d’avoir une intervention du type interruption de grossesse. Et là, au-delà de l’ethnie, c’est aussi la religion qui va choisir. “Dieu m’a donné un enfant, je le prends tel qu’il est”. Donc voilà, ça nous met face à nos limites, quoi... Vous pensez que cette
réticence par rapport [au dépistage de] la Trisomie 21, ça vient d’où ?... C¸ a vient du fait, peut-être, qu’elles n’en ont pas rencontré ? Si, je pense que c’est connu quand même mais que, culturellement, c’est comme ça. Elles le disent, elles le disent très bien : “C’est comme ça. Dieu m’a donné cet enfant-là”. Ça nous arrive, bien entendu. Je ne vais pas
faire une généralité. Ça nous arrive de faire des interruptions de grossesse sur des patientes africaines mais c’est moins courant. » (Sage‑femme, B) 28Ici, un trait caractérisant l’islam selon les soignants est érigé en principe de comportement qui prend le pas sur le choix individuel : « c’est aussi la religion qui va choisir ». S’il n’y a pas de différence
de distribution notable entre sage‑femme et médecin dans le recours aux explications culturalistes, tous les soignants n’adoptent pas le paradigme culturaliste au même degré. Chez certains soignants, minoritaires dans les entretiens, c’est l’interrogation ou la perplexité qui prédomine et l’explication des comportements est laissée ouverte : « Le
dépistage des anomalies peut être beaucoup plus difficile [pour les femmes migrantes]. En France, on ne veut pas de handicap, pas d’enfant trisomique. Mais parmi les patientes, certaines populations... il y a beaucoup de gens qui ne savent pas. On le leur décrit, et là, soit ça parle, soit non. [...] on explique le risque de fausse couche pour
l’amniocentèse8, et là souvent on a un refus. » (Gynécologue‑obstétricienne, A) 29Le culturalisme semble donc globalement détenir une place importante dans les représentations des soignants.
Il coexiste dans les faits avec l’universalisme formel qui caractérise par ailleurs le système sanitaire français (Fassin et Rechtman, 2005). Cette essentialisation, avec ses modalités et ses effets spécifiques dont une tendance à la stigmatisation, a été étudiée dans d’autres contextes institutionnels (De Rudder et al., 2000 ; Eberhard, 2001), y compris
dans le contexte sanitaire (Bonnet, 2005 ; Kotobi, 2000). 30Pourquoi cette propension à considérer les patientes comme faisant avant tout partie d’un groupe ethnique ? Rappelons d’abord que standardisation et classification sont consubstantielles à la connaissance humaine (Bowker et Star, 1999). Leur rôle est accentué dans le raisonnement clinique
(Grenier, 1990, 2004), qui procède par typification de catégories mutuellement exclusives et par conformation des décisions médicales à ces taxinomies. Le partage des patientes en groupes discrets connaissables imposant le cas échéant des conduites à tenir spécifiques rentre tout à fait dans cette logique du raisonnement clinique. Ainsi, un
gynécologue-obstétricien interrogé envisageait positivement l’éventualité de la mise en place d’un « item » sur l’origine de la patiente qui viendrait compléter l’âge, les renseignements sur la gestité et la parité et les autres antécédents médicaux. 31La culturalisation des populations immigrées permet aussi de donner des principes d’explication de
comportements en apparence irrationnels, mais aussi de ramener l’inconnu au connu. Par exemple, les Roms représentent un groupe nouveau pour la plupart des professionnels de santé, qui commencent à en rencontrer à partir des années 2000. En conséquence, il y a souvent un transfert de perceptions d’expériences précédentes avec d’autres
groupes ethniques, que ce soit pour contraster ou pour assimiler ces expériences. Lors d’un entretien, une sage-femme qualifia ainsi les femmes roms : « Les femmes plus âgées, elles sont comme les femmes africaines : elles accouchent vite, elles accouchent bien. Mais les plus jeunes, elles ont peur, elles pleurent. » (Sage‑femme, mars 2008). Ces
catégorisations permettent de réduire la complexité à laquelle les soignants sont confrontés. 3.2. Manque d’observance ou précarité qui révèle des dysfonctionnements hospitaliers ? 32La culturalisation des patientes migrantes peut aussi être une manière de leur imputer une partie de la responsabilité pour certains dysfonctionnements qui
surviennent dans l’institution, et lors desquels les routines médicales ne parviennent plus à répondre aux nécessités de la situation dans le contexte difficile décrit dans la première partie. 33Par exemple, la survenue d’une patiente sans couverture sociale remet en question la division du travail entre services.

La segmentation des services se révèle alors encore plus lourde de conséquences. Ainsi, dans l’exemple suivant, une sage‑femme prend une initiative qui déroge à ses routines de travail afin de faciliter l’accès à la contraception d’une jeune mère sans couverture sociale : « Vous vous occupez de la question de la contraception après l’accouchement ?
SF 1 : On pose la question mais des fois on sait bien que ce ne sera pas suivi. Par exemple on fait l’ordonnance pour la pilule, mais si la femme n’a pas de couverture sociale, on sait qu’elle ne la prendra pas. Mais pour ces questions-là vous n’êtes pas en relation avec le planning familial9 ? SF 1 : Qu’est-ce que tu veux, on ne va pas passer son temps à
monter au planning. Si, je l’ai fait l’autre jour. Y’a une fille, une Indienne, 16 ans, elle arrive pour accoucher, aucune couverture sociale, rien. Aucun suivi, on l’avait jamais vue, alors je me suis dit “c’est pas possible, cette fille, elle sortira pas sans une contraception”. Alors je suis montée à l’étage [du planning], j’ai fait du charme au médecin, tu sais,
X qui est adorable, je me suis même pas arrêtée aux accueillantes, je suis allée voir X directement. Et elle a eu un papier de prise en charge pour son Implanon [implant contraceptif], les fameux papiers du département, elle a eu son Implanon gratuitement. Mais tout ça avant je ne le savais même pas, je l’ai appris à [une association où A. a été un
temps bénévole], mes collègues ils le savent même pas. SF 2 : Ben oui, moi je ne savais pas. SF 1 : Ben oui, là je l’ai fait parce qu’il y avait cette fille, 16 ans, sinon on va pas s’amuser à faire tout ça pour toutes les femmes. » (Deux sages‑femmes, hôpital C) 34La situation décrite par les soignants de l’hôpital C'est celle d’une pénurie chronique de
personnel alors que la population qu’il reçoit nécessite parfois, comme le montre l’exemple précédent, du temps et des interventions supplémentaires. Le manque d’information sur la prise en charge des patientes transparaît aussi à travers la réplique de la deuxième sage‑femme. Cette situation montre aussi le caractère contingent de l’intervention :
la sage‑femme prend l’initiative de « monter au planning » à titre exceptionnel, en raison de ce qu’elle perçoit comme une situation particulièrement choquante, en utilisant son capital relationnel pour faire appel au médecin. Cela jette aussi une zone d’ombre sur la liberté de choisir de la patiente et sur l’effectivité de son consentement éclairé dans
un tel contexte, car son avis n’est pas évoqué : souhaitait-elle vraiment cette contraception ou a-t-elle subi l’indignation bien intentionnée de la soignante selon qui « elle sortira pas sans une contraception » ? 35Un autre exemple de perturbation des routines est l’extrême difficulté pour les hôpitaux à prendre en charge les soins périnataux au titre de
soins urgents pour les patientes sans couverture sociale. Ainsi, un médecin du service mobile d’urgence et de réanimation (Smur) rencontré à l’hôpital C lors d’une observation expliquait la fréquence des accouchements pré-hospitaliers des femmes roms est-européennes ainsi : « Il y a une peur de l’hôpital chez les femmes roms, c’est culturel chez
elles ».

En interrogeant les femmes roms à la suite des séances d’observation aux urgences, celles-ci affirmaient pourtant vouloir accoucher à l’hôpital et d’autres explications de ce comportement apparaissaient, ne faisant pas appel à une volonté d’éviter l’hôpital : expulsions des squats rendant difficile leur orientation dans la ville, manque de connaissances
sur l’emplacement de l’hôpital, absence de couverture sociale non palliée par les services sociaux hospitaliers, non maîtrise du français, attente d’être certaines qu’elles sont en train d’accoucher pour éviter un déplacement inutile et parfois coûteux. La « culturalisation » de la non-observance d’un groupe, en opposition à un modèle médical du patient
qui cherche à « maximiser » sa santé a été observée pour d’autres groupes de migrants, comme dans l’étude d’Amy Borovoy et Janet Hine sur les émigrés juifs russes aux États‑Unis (Borovoy et Hine, 2008). La question du genre est également à prendre en compte dans l’explication de ce recours au raisonnement culturaliste. Celui-ci s’applique de
manière particulièrement forte aux femmes, pour qui les facteurs « culturels » sont souvent surinterprétés (Briggs et Mantini-Briggs, 2003). 36Ainsi, pour les soignants, la culturalisation des patientes contribue à l’adaptation à un contexte professionnel présenté par la plupart des interviewés comme tendu, difficile et en voie de dégradation. Le fait de
travailler dans le secteur public, synonyme de « cadences », de « stress » et d’une patientèle plus précaire, est présenté comme à la fois un choix et un sacrifice. Cependant, ce choix comporte au dire des soignants des avantages, ce que nous allons développer à présent. 3.3. Une observance à géométrie variable 37Les analyses précédentes montrent
de quelle manière les taxinomies culturalistes sont invoquées pour expliquer les dérogations aux routines médicales et pour justifier le maintien de ces routines, dans un renforcement mutuel entre pratiques et stéréotypes. Cependant, tous les moments de la trajectoire de soins ne sont pas caractérisés par les soignants comme marqués par
l’inobservance des patientes.
Que se passe‑t‑il dans les moments où les patientes se conforment au mode de fonctionnement des services ? Les taxinomies des soignants en sont-elles affectées ? De manière surprenante, le moment de l’accouchement n’est pas pointé du doigt par les soignants de la même manière que le déroulement de la surveillance anténatale. Il ne semble pas
faire l’objet de la même réticence des patientes aux procédures pourtant souvent contraignantes qui le caractérisent. Il n’est pas non plus présenté par les soignants comme objet de négociations, alors que les travaux sociologiques montrent que dans les pays occidentaux le moment de l’accouchement est de plus en plus investi par les futures mères
et fait l’objet de négociations de plus en plus intenses sur son déroulement et les procédures employées (Jacques, 2007). Par exemple, plusieurs sages-femmes affirment que c’est le moment où les difficultés linguistiques sont le moins saillantes car « à ce moment-là, on se comprend » (Sage‑femme, C). « Elles se laissent beaucoup faire, je trouve. Elles
s’adaptent vraiment, à peu de choses près, elles s’adaptent vraiment à notre façon de travailler. [...] Elles sont moins nerveuses. Elles sont beaucoup moins demandeuses. » (Sage‑femme, A) 38Dans l’extrait précédent la coopération des patientes est vue comme une forme de passivité, une absence de participation : « elles sont moins demandeuses »,
« elle se laissent faire ». Plusieurs fois dans les entretiens transparaît l’affirmation que cette conformité aux pratiques médicales pendant l’accouchement est appréciée des sages-femmes : « Si je suis venue à B, c’est vraiment pour la population. Avant, j’étais à X [une maternité privée parisienne], et j’avais des bourgeoises qui venaient avec des
revendications, “pas d’épisiotomie, pas de césarienne”. Ça me gênait beaucoup, je trouvais que c’était quand même un manque de confiance. » (Sage‑femme, B) 39On voit dans cet extrait qu’il ne s’agit pas uniquement d’une plus grande facilité du travail auprès de ces femmes mais d’une relation soignant-patient qui est vue comme plus satisfaisante
en raison de la « confiance ». 40Le moment de l’allaitement semble également caractérisé comme un moment où le public des femmes migrantes ne pose pas de problème particulier. L’allaitement fait dans les hôpitaux l’objet d’une attention particulière, les politiques de santé publique actuelles ayant fait de sa promotion l’une des missions des
sages‑femmes. Cette mission est renforcée par des formations et des évaluations régulières des maternités sur ce chapitre. Tous les entretiens avec des professionnels de santé pointent la plus grande facilité de certains groupes, avec une insistance sur les « Africaines » : « L’Africaine, l’allaitement, c’est la même chose que la grossesse : l’enfant est
là, on met l’enfant au sein. L’Afrique du Nord aussi, en général, c’est comme ça. Et elles ont du lait parce que toutes les Africaines ont du lait.
C’est dans le cadre de quelque chose de tellement naturel... » (Cadre sage‑femme, B) 41La focalisation des politiques de santé sur l’allaitement est aussi source d’ambivalence chez les soignants, qui désignent des effets pervers de cette importance croissante de l’allaitement en parlant d’« intellectualisation » de l’allaitement. Les exemples en sont
nombreux dans les entretiens : « Aujourd’hui on surintellectualise l’allaitement. Les femmes se posent plein de questions. » (Infirmière, A). « C’est trop intellectualisé » (Sage‑femme, B). L’« intellectuel » est opposé au « charnel » ou au « naturel » dans l’extrait précédent qui caractériserait la relation à l’allaitement de femmes récemment arrivées en
France. 42Si l’allaitement semble plus « facile » pour les femmes migrantes, il ne se déroule pas nécessairement selon les modalités préconisées par les normes sanitaires actuelles. Ainsi, les recommandations du ministère de la Santé affirment l’importance, pour la réussite de l’allaitement, de mettre l’enfant au sein dès la naissance. Par exemple,
dans les trois maternités, un poster affichant l’importance de la mise de l’enfant au sein « dès les premières minutes de la vie » est en bonne place dans les cabinets médicaux. La plupart des entretiens signalent que ceci n’est pas toujours le cas des mères qui sont considérées comme ayant cette relation « charnelle » à l’allaitement. Ainsi, certaines
femmes originaires d’Afrique sub-saharienne attendent le troisième jour après la naissance pour mettre l’enfant au sein.
Ceci semble aussi être le fait d’autres groupes : « Et l’allaitement, par exemple. Les Sri Lankaises on sait que les 48 premières heures, elles ne vont pas mettre l’enfant au sein (alors qu’on vous décrit partout que l’allaitement ne peut être réussi que si l’enfant est mis la première heure). Et puis, en fait, il y a un moment donné où elles décident que
c’est bon et elles mettent l’enfant au sein. Et vous, vous avez déjà envisagé... enfin, pour les jeunes sages-femmes qui arrivent, de leur donner un médicament, un inhibiteur pour la montée de lait, et en fait, vous trouvez l’enfant au sein.
Vous n’avez rien compris mais... » (Cadre sage‑femme, B) 43Dans ce dernier extrait le fait que la femme désobéisse au précepte médical et décide elle-même du moment de début de l’allaitement est donc vu comme positif. C’est là une confirmation de l’observation précédente, selon laquelle les comportements des femmes migrantes sont qualifiés de
« non-observants » lorsqu’ils dérogent aux routines médicales, comme dans le cas de la surveillance anténatale, et valorisés comme contribuant autrement à l’observance lorsqu’ils se conforment à ces routines. Cependant, le savoir profane des femmes migrantes dont il est question ici n’est pas réellement reconnu, par exemple dans ce qu’il pourrait
apporter au savoir médical sur l’allaitement.
44En somme, l’implication des patientes est valorisée lorsqu’elle ne contrarie pas les normes médicales et critiquée lorsqu’elle les conteste. Dans le cas de l’allaitement, les comportements déviants par rapport aux normes médicales ne sont plus qualifiés d’inobservants, car ils permettent d’atteindre l’objectif de l’institution médicale qu’est la mise en
place de l’allaitement. Ceci n’est pas le propre du groupe des femmes migrantes. Le caractère construit de l’« observance » et l’évolution de sa définition par le monde médical ont été mis en évidence à maintes reprises (Fineman, 1991 ; Lerner, 1997). Les pratiques qui s’écartent de la norme sont tolérées parce qu’elles contribuent au succès de
l’allaitement, pratique que les maternités sont censées favoriser. 3.4. Les soignants entre culturalisme et universalisme 45Si la « culture » est fréquemment mobilisée par les soignants dans le domaine de la périnatalité, tous ne partagent pas cette posture. En effet, ceux‑ci semblent relativement polarisés en deux groupes : ceux qui sont intéressés par
une approche « culturelle » des migrants et ceux qui insistent sur les facteurs « sociaux », notamment la pauvreté et l’exclusion sociale, qui seraient les vraies sources des spécificités des migrants. Entre ces deux pôles, il existe aussi une masse de soignants qui « bricolent » leur position par rapport à ce débat. 46Une gynécologue bénévole dans une
association répondit ainsi à la question de savoir pourquoi les femmes roms continuent à utiliser l’IVG comme méthode contraceptive : « On refuse, on ne les prend pas dans leur dimension humaine, c’est-à-dire que ce sont des femmes, des êtres humains, qui ont un corps, qui ont un esprit, qui ont une psychologie, qui ont un mode de vie, qui est très
très difficile. Et toute cette dimension humaine de leur vie, on ne la prend pas en charge. [.. .] Leur rapport à la médecine, pourquoi elles font des avortements ? Parce qu’elles n’ont pas été informées de la contraception, parce qu’elles n’ont pas eu accès à la contraception, et que finalement c’est la moins mauvaise des solutions pour elles. Comment
elles faisaient, nos grand-mères ? Moi je suis de la génération qui a vécu les deux périodes, la loi avant [le droit à] l’avortement et la loi après [le droit à] l’avortement, j’ai fait partie d’une association qui organisait des charters pour la Hollande, je n’ai pas l’impression qu’on était tellement différentes de ce que sont ces femmes aujourd’hui. Elles ont
cinquante ans d’écart avec nous, c’est tout. » (Gynécologue, association médicale10) 47On voit qu’ici, l’explication « culturelle » est rejetée au profit d’un recours à l’universalisme de la condition humaine et féminine. La différence des comportements est expliquée avant tout par l’environnement : les conditions de vie difficiles d’une part et
l’inadaptation du système de santé vis-à-vis de ce public (« elles n’ont pas été informées ») d’autre part. Dans cet extrait, le médecin situe la spécificité de la patiente dans un cadre explicatif plus vaste, en passant par un moment d’identification de la gynécologue avec ces femmes, dans une posture réflexive. Cependant, le point de vue de ce médecin
est minoritaire parmi l’ensemble des soignants rencontrés au cours de cette étude. 48Ces différences de posture sont à mettre en rapport avec les parcours des soignants. L’objet de cette recherche n’a pas été d’étudier les trajectoires sociales des soignants, mais force est de constater que cette position universaliste se rencontre surtout chez des
soignants dont le parcours comporte des engagements dans les mouvements de défense des immigrés ou de combats pour des droits sociaux tels que le droit à l’avortement ou l’accès aux soins, et qui peut s’accompagner d’une critique du modèle médical occidental : « Moi, dans ma formation de sage-femme, il y a plein de choses que je ne remettais
pas en question.
Et puis je suis partie en Angola, et là en travaillant avec les accoucheurs locaux, avec peu de moyens j’ai appris tellement de choses, et surtout un respect infini des femmes. Et je ne voulais plus pratiquer comme on le faisait dans ma maternité. » (Sage-femme, association médicale) 49Dans l’ensemble, le paradigme culturaliste reste consensuel, y
compris chez de nombreux soignants associatifs, où il est souvent connoté positivement et associé à une volonté de respect de la « différence », même s’il n’est pas toujours mobilisé de manière constante et explicite. Ces clivages forts dans la manière de considérer les patients n’empêchent pas les coopérations entre ces différents soignants. Ils ne
sont pas thématisés dans le discours des soignants, ceux-ci les considérant généralement comme secondaires dans les entretiens.
50Ajoutons que nous n’avons pas constaté de clivage entre médecins et sages-femmes sur la question des stéréotypes, si ce n’est un plus grand intérêt des sages-femmes pour les questions de « culture », qui s’explique par la division du travail dans les maternité qui leur réserve l’aspect « humain » mentionné ci‑dessus. 4. « Choix » et rapport à
l’autorité médicale 51La partie précédente montre comment les stéréotypes culturalistes qui ont cours au sujet des femmes migrantes sont maintenus voire renforcés non seulement lorsque le comportement des femmes s’écarte de la norme médicale mais aussi lorsqu’il s’y conforme. En effet, dans ce dernier cas les femmes migrantes sont décrites
comme caractérisées par une attitude passive, à l’opposé de la figure contemporaine de la patiente qui choisit les modalités de son accouchement (Akrich, 1999). Cette figure rejoint ce que des auteurs ont défini comme un nouveau paradigme de la relation médecin malade, celui de la « modernité thérapeutique », présupposant un individu‑patient
autonome, bénéficiant du consentement éclairé, co‑auteur d’une décision médicale pensée comme partagée (Barbot, 2008). Il s’agit à présent de voir comment le fonctionnement de ce paradigme dans le contexte périnatal peut éclairer l’usage de ces stéréotypes par les soignants. 4.1. Un paternalisme médical appliqué sélectivement 52Comme le
montre Annemarie Mol (2008), le « choix » est un principe de plus en plus puissant dans le discours médical occidental contemporain, qui tend à considérer le patient comme un sujet choisissant rationnellement entre plusieurs options.
En pratique cependant, le choix du patient n’est pas uniformément défini, reconnu ou valorisé par le système de santé, mais il est mis en exergue ou occulté selon les situations. On est dès lors conduit à se demander si les femmes migrantes sont réellement « moins demandeuses » à l’égard des institutions médicales ou si dans leur cas les soignants
sont moins sensibles à une demande qui ne trouve pas toujours le moyen de s’exprimer. Pour le comprendre, revenons à l’étape de l’accouchement, qui, on l’a vu, semble caractérisé par une plus grande « observance » des patientes migrantes. Ceci est confirmé par de nombreux entretiens : « C’est toujours pareil. La femme française, elle va être au
dernier... elle a été au courant des dernières méthodes d’accouchement, des dernières positions qui sont recommandées aux dernières statistiques sur l’épisiotomie, enfin, plein de choses comme ça. La patiente migrante qui vient d’arriver en France, elle n’est pas au courant de tout ça, et si elle a confiance, elle se laisse faire, quoi. Elles ont peu de
requêtes vraiment spécifiques. » (Sage‑femme, A) 53Dans cet extrait comme à de nombreuses reprises, les soignants opposent les femmes migrantes à une figure, celle de la femme française pensée par défaut comme blanche11 et appartenant aux couches sociales supérieures. Ceci rappelle la définition de la classification par Geoffrey C. Bowker et
Susan Leigh Star qui montrent qu’une taxinomie idéal typique est aussi exhaustive (Bowker et Star, 1999). À côté des « migrantes » se trouvent effectivement les « Françaises », même si dans les discours culturalistes la présence de ce terme de la comparaison reste parfois implicite voire invisible. « Celles qui nous posent problème, ce sont les
femmes bien de chez nous qui arrivent avec des projets de naissance de quatre pages. On regarde sur leur table de chevet, et là on voit trois bouquins sur l’allaitement, là on se dit : d’accord... » (Sage‑femme, A) 54Comment analyser cette critique du comportement de la « femme française » par les soignants ? Dans les extraits précédents, l’on perçoit
que des pratiques actuellement promues par les politiques de santé publique comme les « projets de naissance », censés rendre la femme « actrice de son accouchement » (Dugnat et al., 2007), semblent heurter les soignants qui y voient une immixtion de la patiente dans les prérogatives médicales dont ils semblent vouloir conserver le monopole. Les
soignants se rapprochent ainsi du modèle paternaliste de la relation au patient décrit par Janine Barbot (2008). On peut rapprocher ce constat de la question de l’autorité médicale analysée par Eliot Freidson (1984), qui montre comment la profession médicale s’est structurée en limitant toute immixtion externe dans la construction de sa légitimité.
Vues sous cet angle, les femmes migrantes apparaissent comme des patientes moins gênantes, car la nécessité de « négocier » avec elles l’ordre hospitalier selon les modalités analysées par Anselm Strauss (1992) est moins pressante pour les soignants : les patientes migrantes, notamment celles récemment arrivées en France, ne connaissent pas les
détails du fonctionnement hospitalier et ne possèdent pas le capital social nécessaire pour avoir un véritable pouvoir de négociation.
55Dès lors, la culturalisation des patientes par les soignants contribue à réaffirmer l’autorité médicale dans un contexte où cette autorité est questionnée par une certaine catégorie de patientes – les femmes blanches de classe moyenne – à un moment historique où elle est ébranlée par des recompositions plus vastes du monde médical et des
institutions hospitalières en particulier : émergence des associations de patients, réorganisation hospitalière, et par des évolutions législatives récentes, à l’instar de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades (Bergeron, 2008). 56Dans ces mêmes entretiens, l’observance des femmes migrantes pendant l’accouchement est décrite comme un
« non-choix » perçu positivement par les soignants comme une marque de confiance. Ainsi, le discours officiel de promotion de la femme « actrice de son accouchement », qu’on retrouve dans Plan Périnatalité notamment au sujet de l’entretien prénatal, censé favoriser « l’expression de leurs attentes, de leurs besoins, de leur projet » (Ministère de la
Santé, 2004) semble s’accommoder en pratique d’une critique de ce modèle par les soignants. Cette critique est d’autant plus facile que le domaine de l’obstétrique est caractérisé en France par la mise à l’écart des femmes des choix de politique sanitaire les concernant (Carricaburu, 2005). La « logique du choix » (Mol, 2008) qui semble caractériser
la politique publique ne se traduit donc pas systématiquement dans la pratique médicale.
57Dans l’exemple suivant, une sage-femme, racontant les cours de préparation à l’accouchement qu’elle anime, met en contraste l’attitude proactive de « la patiente française » qui se renseigne sur internet avec celle de « la patiente africaine » qui est « plus dans le culturel » : « Alors via internet, c’est la patiente qui a mal à la tête, qui va aller
consulter sur internet, qui va voir toutes les pathologies possibles et imaginables pendant la grossesse qui peuvent donner des maux de tête et qui va me demander des explications de tout ce qui peut arriver, pour confronter, en fait, ma réponse, à celle d’internet. Donc elle, elle va au-devant, même, du problème. [...] La patiente africaine, puisque
c’est celle que j’ai le plus en préparation à la naissance, elle, elle va me demander si c’est vrai que si elle a des nausées, c’est parce que l’enfant a des cheveux. — Voilà. Donc on est plus dans le culturel, en fait — et qui va me demander s’il y a certaines plantes médicinales qui peuvent donner des contractions. On est vraiment plus dans la culture. [...]
Elles sont tiraillées entre le culturel qu’elles ont à la maison et l’intégration, en fait, qu’elles ont eue en France. C’est-à-dire que nous, on dit une chose et la famille dit une chose, et je pense que pour elles, c’est très difficile de choisir et de faire la part de l’un et l’autre. » (Sage‑femme, B) 58La sage-femme contraste « le culturel », défini comme non-
choix, obéissance à la tradition, et « le reste ».
Ceci confirme le constat d’Anne marie Mol, selon qui le « choix » est communément vu dans les institutions sanitaires occidentales comme une prérogative des occidentaux séparant « l’Ouest » et « les Autres » (Mol, 2008). Ici, « le culturel » a une fonction d’altérisation (othering, concept développé par Gayatri Spivak, 1988) : dans les discours des
soignants, la « culture » fonctionne souvent comme un euphémisme pour ce qui est perçu comme une altérité radicale et impénétrable.
Le terme de « barrières culturelles » revient fréquemment dans les entretiens. L’altérisation conduit à considérer l’ensemble du comportement de la patiente comme s’écartant de la norme, par exemple en exotisant une croyance populaire couramment rencontrée chez des personnes d’origines variées (« si elle a des nausées, c’est parce que l’enfant a
des cheveux »). Remarquons que dans cet entretien comme chez une grande partie des soignants interrogés, la médecine est vue comme hors de la « culture », qui, elle, reste le propre de l’« Autre ». Janelle S. Taylor (2003) a montré comment aux États-Unis la médecine s’est construite comme une « culture de la non‑culture ».
59Le caractère hautement normé et réglementaire des actes médicaux pendant l’accouchement — considéré comme le moment par excellence où les compétences technicistes des soignants se déploient (Carricaburu, 2005) — de même que le caractère d’urgence qu’on attribue à ce moment contribuent sans doute à ce que le « choix » soit alors moins
valorisé : « Moi je trouve que c’est très bien les projets de naissance, mais ce n’est pas forcément adapté à notre situation ici [à C].
C’est vrai que les femmes qu’on reçoit ici, aussi du fait de la précarité, n’ont pas vraiment le choix. Mais dans l’absolu je trouve ça bien d’avoir le choix. » (Sage‑femme, C) 60Le fait qu’il s’agisse d’une « clientèle captive » n’ayant pas le choix de son lieu d’accouchement et l’inégalité sociale évidente entre soignant et patiente ne font que renforcer
cette impression. 4.2. Un choix souvent non reconnu 61Ce constat des soignants selon lequel les femmes migrantes n’expriment pas de choix concernant l’accouchement doit sans doute être nuancé. Si ces femmes n’adoptent visiblement pas les modalités de dialogue des « femmes blanches » appartenant aux couches supérieures, les séances
d’observation montrent qu’elles expriment des souhaits qui ne sont pas nécessairement requalifiés comme « choix » par les soignants. Par exemple, une femme africaine suivie à B demandait conseil à la gynécologue pour éviter une césarienne au moment de l’accouchement. Une sage-femme de C évoquait des cas rares de femmes africaines
accouchant chez elles par peur de subir une césarienne à l’hôpital, ce qui aurait signifié une remise en question de leur fertilité future. Enfin, on a pu être témoin de plusieurs consultations de femmes roms roumaines refusant la péridurale dans un entretien prénatal. La « logique du choix » (Mol, 2008) est défavorable à ces patientes car leurs
« choix » — même si portant sur les mêmes objets que ceux des femmes françaises, à l’instar du refus de la péridurale — ne sont pas reconnus comme tels mais souvent imputés à l’incompréhension ou à une obéissance passive à la tradition. 62Dans l’exemple suivant, une sage-femme décrit l’expérience d’une jeune femme née en France de parents
immigrés africains, qui souhaite d’abord accoucher sans péridurale en dépit de l’avis de la sage‑femme mais qui pendant l’accouchement revient sur son choix initial en demandant une péridurale. On lui installe un dispositif de PCEA (abréviation de patient‑controlled epidural analgesia), où la patiente doit elle-même s’injecter les doses
d’anesthésiques à l’aide d’une pompe, qui la plonge dans un désarroi encore plus grand. « Je me suis occupée d’une jeune patiente qui est arrivée, qui m’a dit : “Moi, je ne veux pas de la péridurale parce que ça fait mal au dos”. Alors je lui ai expliqué que ça ne faisait pas mal au dos parce qu’on faisait une piqûre et qu’on supprimait la douleur à
l’accouchement, qu’on n’était pas obligé d’avoir mal pendant l’accouchement, la péridurale, ça ne fait pas forcément mal au dos, mais que si c’était son souhait d’accoucher comme ça, on ferait comme ça. Et puis, par contre, si, à un moment donné se posait une question médicale, à ce moment-là, on la ferait. Et au bout d’une heure et demi, la
patiente m’a rappelée en me disant : “Moi, je n’en peux plus”. Elle pleurait, vraiment en pleurant, mais elle ne pleurait pas de douleur. Elle pleurait parce qu’elle était devant la contradiction de ce qu’on lui avait... de la contrainte familiale et de ce qu’elle ressentait, là, sur le moment et qu’elle ne voulait pas vivre. Manifestement, elle ne voulait pas
vivre un accouchement qui fasse aussi mal. Et je lui ai dit : “Écoutez, là vous en avez encore pour quatre heures à avoir mal comme ça”. Elle m’a dit : “Moi, quatre heures, je ne peux pas faire.
Je vous demande la péridurale”. Elle était toute seule. On lui a fait sa péridurale. Et elle a été soulagée. Et on s’est dit : “Maintenant, on va mettre en place ce qu’on appelle la PCEA” [...].
Et puis c’est là que j’ai réinterrogé l’équipe de sages-femmes sur les pratiques parce qu’elles sont parties sur la PCEA pour tout le monde. Et en fait, moi, ce que j’ai observé chez cette jeune africaine, c’est que comme elle était dans une position de contradiction avec ce que sa famille lui avait inculqué : la péridurale, ça fait mal au dos,
l’accouchement, patati, patata, et bien, elle était prête à ce que le soignant injecte le produit, mais elle n’était pas prête, elle, à appuyer sur le bouton. Et au bout d’une heure et demie, elle était de nouveau en larmes et elle tenait sa poire à la main et elle n’y arrivait pas. » (Cadre sage‑femme, B) 63Cet extrait montre que l’usage de certains
stéréotypes n’est pas incompatible avec la nuance et l’adaptation de ces stéréotypes aux situations souvent complexes que rencontrent les soignants. En effet, le refus initial de la péridurale par la patiente est attribué avant tout à « ce que la famille lui avait inculqué », et n’est pas présenté comme un « choix ». L’adaptation de la soignante consiste à
attendre un certain temps puis à proposer la PCEA, dispositif intégré aux routines médicales qui est souvent présenté par les soignants comme une forme de démédicalisation de l’accouchement, puisque la femme peut contrôler elle-même le niveau d’analgésie.
Cependant, ici, l’introduction de la PCEA repose sur un paradigme d’individu en charge de sa santé, la femme « actrice de son accouchement » sans remettre en cause les routines médicales. 64Cet exemple fait aussi apparaître les tendances contrastées de la médicalisation de la naissance et la manière dont elles affectent le choix laissé aux
patientes. Voici la réaction d’une sage-femme appartenant à une association humanitaire à qui je racontais ce cas : « Moi ce cas m’interpelle autrement. Si la patiente envisageait la péridurale comme un échec et souhaitait un accouchement non médicalisé, moi je pense qu’on aurait dû l’accompagner dans son choix, lui proposer par exemple de
changer de position, d’utiliser d’autres techniques de maîtrise de la douleur que la péridurale qui visiblement ne lui ont pas été proposées d’après ce que tu dis. » (Sage‑femme, association humanitaire) 65Comme l’a montré Madeleine Akrich au sujet de la péridurale, l’autonomie de la patiente n’est pas toujours là où on le croit. En effet, la péridurale
redéfinit le périmètre de choix des femmes dans un sens qui ne convient pas également à tous les acteurs en présence (Akrich, 1999). Alors que les soignantes voient la PCEA comme une forme d’empowerment de la patiente « actrice », rendue plus autonome, dans cet exemple le dispositif devient une manière d’imposer un modèle de la patiente qui
ne convient pas à la principale intéressée, forme d’injonction contemporaine à l’autonomie qui simultanément fait peser de nouvelles contraintes sur l’individu (Ehrenberg, 1998). L’autonomie de la patiente et son « choix » sont redéfinis par les soignants de manière avant tout techniciste – un choix qui ne s’inscrit pas dans ce cadre étant susceptible
de ne pas être reconnu comme tel. 4.3. Médicalisation, exit et voice 66Ainsi, les patientes migrantes sont moins dans une posture de non-choix que dans celle de choix qui ne sont pas toujours reconnus comme tels. Au‑delà des catégories employées par les soignants, demeure la question de la raison de l’inobservance des femmes migrantes et de la
forte conflictualité qu’elle peut induire entre elles et les soignants. Comment expliquer ce phénomène ? Nous voudrions pour finir cet article proposer une hypothèse explicative. 67Nos observations font apparaître que les femmes migrantes semblent moins prédisposées à entrer dans une relation de négociation avec les soignants. La relation qui
ressort des entretiens ressemble davantage à une relation de fuite ou d’évitement. Pour adopter la terminologie d’Albert O. Hirschman (1995), les patientes migrantes choisissent des solutions d’exit plutôt que de voice. Leur contestation de l’autorité médicale ne passe pas principalement, comme chez les femmes occidentales de la classe moyenne,
par une négociation avec le soignant (Viisainen, 2001). En effet, s’engager dans une telle négociation demande un capital social, dont les migrantes récentes ne disposent pas, qui permet de se renseigner sur les pratiques médicales et leurs alternatives, par exemple sur internet – les entretiens cités ci‑dessus y font référence en passant lorsqu’ils
mentionnent des « projets de naissance de quatre pages » des femmes franc¸aises. Par ailleurs, la relation de négociation présuppose également une acculturation à la médicalisation (Conrad, 1992) qui se traduit par le fait de s’approprier ce processus en assumant une identité de patiente, par exemple en donnant toute son importance à la période de
surveillance anténatale. 68On peut reprendre à Michel Bozon (2004), qui l’a utilisée au sujet de la contraception, l’expression de « carrière de patiente » : prendre une contraception c’est s’inscrire dans une relation durable avec le monde médical. Ceci demande aussi d’accepter un fort contrôle et une normativité qui s’imposent sur la vie sexuelle
(Bajos et Ferrand, 2002).
Or, dans leur grande majorité, les femmes mentionnées par les soignants proviennent de sociétés « en voie de développement » où ces processus, véhiculés par la mondialisation, n’ont pas encore l’ampleur qu’ils connaissent dans le monde occidental, et où ils touchent très inégalement les différentes couches sociales. Ceci est d’autant plus saillant
que les femmes sont arrivées récemment en France. 69En revanche, certaines femmes migrantes ont, par nécessité, une relation beaucoup plus étroite avec le monde médical : il s’agit des femmes séropositives qui constituent notamment à l’hôpital B une minorité significative des patientes (2 %).
Pour ce groupe, pourtant situé en bas de l’échelle socioéconomique des migrantes, les soignants n’identifient pas de problème d’observance pendant la grossesse, sans doute en raison de son étroite fréquentation de l’hôpital et aussi en raison de l’importance de la surveillance médicale prénatale dans la réduction du risque de transmission du VIH à
l’enfant.
70Lorsque l’exit est quasi-impossible, comme lors de l’accouchement ou de l’hospitalisation post-natale, il y a souvent des négociations, même si elles ne sont pas toujours reconnues comme telles par les acteurs concernés comme dans l’exemple de la PCEA. La « non-observance » traduit donc, de la part des femmes migrantes, une stratégie de
recherche de maîtrise de leur vie12, comme cela a été observé à propos d’une large gamme de publics (Conrad, 1985) : elle est donc aussi un choix. Cependant cette stratégie est une stratégie par défaut, car la plupart du temps elle ne permet pas d’influer sur les pratiques des soignants dans le sens souhaité par la patiente. 5. Conclusion 71Nous
avons mis en évidence la prégnance de taxinomies culturalistes ainsi que la manière différenciée dont ces taxinomies sont mises en œuvre en fonction du contexte. Ainsi, les femmes migrantes sont présentées par les soignants à la fois comme « plus difficiles » car moins observantes que la moyenne mais aussi comme « plus faciles » lorsqu’elles
concourent aux routines médicales. Ces taxinomies s’inscrivent dans les routines médicales en les renforçant lorsque les comportements des femmes migrantes viennent perturber l’ordre hospitalier ; même lorsque ceux-ci ne s’y opposent pas, cela a tendance à confirmer voire à renforcer les stéréotypes sur les femmes migrantes, implicitement
définies par opposition à la figure de la femme blanche de classe moyenne. Ainsi, les patientes migrantes sont plus facilement étiquetées comme non observantes et non capables de choix rationnels individuels. 72Si les modalités des catégorisations varient selon les moments de la trajectoire des migrantes, elles varient aussi en fonction de plusieurs
autres éléments, et tout d’abord, du groupe qu’on lui assigne : ainsi, nous avons mis en évidence la manière dont la figure de l’« Africaine » fonctionne à la fois comme exemple type et comme forme extrême de l’altérité dans le discours des soignants. Par ailleurs, l’usage de ces taxinomies n’est pas uniforme parmi la population des soignants : nous
avons mis en évidence une oscillation de ceux-ci entre un intérêt pour les discours culturalistes et une posture « universaliste », qui est surtout le propre d’une minorité de soignants dont la trajectoire comprend souvent des formes d’engagement associatif. Cette polarité transcende la ligne de partage professionnelle entre médecins et sages-femmes.
En revanche, nous avons remarqué peu de variations entre les trois maternités du point de vue des discours recueillis : ceci se comprend, malgré la diversité de la patientèle, si l’on prend en considération les contraintes communes aux établissements décrites dans la partie 1. 73Au-delà des nuances et variations dans les usages des stéréotypes, c’est
sur leur force d’assignation qu’il convient d’insister en conclusion. Pour une majorité de soignants, les adaptations à la diversité des populations et situations rencontrées sont réelles. Cependant, ces adaptations restent souvent dans le registre techniciste et médicalisé, qui ne remet pas en cause les routines médicales. Le paradigme de la « modernité
thérapeutique » défini par J. Barbot s’applique sélectivement en fonction de la position sur l’échelle sociale, mettant en lumière une importante inégalité des patientes face à la possibilité de participer à cette modernité. 74L’analyse de ces catégorisations s’enrichit lorsqu’on les situe dans le cadre des transformations contemporaines des organisations
hospitalières et dans les réorganisations qui caractérisent la profession médicale : on comprend alors comment ces taxinomies permettent aux professionnels de santé de renforcer l’autorité médicale dans un contexte où celle-ci est questionnée et comment la « non-observance » peut constituer pour certaines de ces patientes une stratégie de maîtrise
de leur propre vie. Les soignants des maternités publiques franciliennes sont confrontés à des populations qu’ils n’ont pas toujours le temps ou les moyens de connaître. L’écart social entre soignant et soigné est important. Dans ce contexte, le culturalisme devient pour les soignants une ressource pour donner sens à cette complexité mais aussi,
surtout, pour faire face aux contradictions et aux pressions que ces professionnels doivent affronter au quotidien dans la prise en charge d’une population précaire. Certains établissements commencent à répondre à ces questions par des formations à l’égard des soignants ou le recours à des médiateurs sanitaires. La littérature anthropologique
anglo-saxonne a beaucoup critiqué les formations en cultural competence dispensées aux professionnels de santé, notamment aux États‑Unis où ces enseignements ont été intégrés aux programmes des facultés de médecine (Jenks, 2009). En France, s’intéresser aux aspects culturels de la relation thérapeutique est encore souvent perçu comme
illégitime et confiné à des cercles relativement marginaux. Un savoir basé sur les sciences sociales peine à se développer dans ce domaine. Pourtant, celui‑ci permettrait de comprendre ces phénomènes en restituant les dysfonctionnements décrits ci‑dessus dans des cadres sociaux plus larges, ce qui permettrait de lutter contre la stigmatisation de
ces patientes.

Vous aimerez peut-être aussi