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Offres de soin traditionnelles et prise en charge des

troubles de fertilité féminine à Bamako

Bréhima Chaka TRAORE


Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB )
bréhimafr@yahoo.fr
Issa DIALLO
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)
issossfr@yahoo.fr
Lamine Boubakar TRAORE
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)
laminebt@hotmail.com

Résumé

Les troubles de fertilité des couples constituent un réel problème de santé de la


reproduction. Les femmes, pour des raisons socioculturelles, sont les plus touchées
par ses effets néfastes. La prise en charge de leurs troubles de fertilité par la médecine
traditionnelle s’accompagne de contraintes et de perceptions diverses. Ce présent
article se veut une compréhension des rapports existant entre les thérapeutes et les
femmes victimes d’infertilité à travers les perceptions qu’ils développent lors de la
prise en charge. L’atteinte de cet objectif a été possible avec la mise en pratique des
méthodes qualitatives de collecte des données et un recours aux théories existantes
dans le domaine. Les entretiens semi-directifs ont été utilisés à cet effet. Il ressort des
enquêtes que les thérapeutes et les femmes victimes se jettent mutuellement les
responsabilités des problèmes liés à la prise en charge de ces infertilités. Les
thérapeutes passent par l’autocritique avant de dénoncer les attitudes des leurs
patientes. Ces dernières s’attaquent aux approches des thérapeutes et de la qualité
des médicaments qui peuvent avoir des répercussions sur la bonne marche de la prise
en charge.

Mots clés : Bamako, Femmes, médecine traditionnelle, perception, trouble de


fertilité

Abstract

Fertility disorders in couples are a real reproductive health problem. Women, for
socio-cultural reasons, are the most affected by its harmful effects. The management
of female fertility disorders by traditional medicine is accompanied by various
constraints and perceptions. This article seeks to understand the relationship between
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therapists and women who are victims of infertility through the perceptions they
develop during treatment. The achievement of this objective was possible with the
implementation of qualitative methods of data collection and the use of existing
theories in the field. Semi-structured interviews were used for this purpose. It appears
from the surveys that the therapists and the women victims mutually blame each other
for the problems linked to these infertilities. The therapists go through self-criticism
before denouncing the attitudes of their patients. The latter are attacking the
approaches of therapists and the quality of medicines which can have repercussions
on the smooth running of care.

Keywords: Bamako, Women, traditional medicine, perception, fertility disorder

Introduction

Au Mali, comme dans beaucoup de pays d’Afrique : « le désir d’enfant


est socialement encouragé, comme une norme sociale, il répond à un
certain conformisme, il est un puissant facteur d’intégration sociale »
(Goussault et Jacob, 2011 : 126). Ce désir touche particulièrement les
femmes. Les infécondités féminines se caractérisent par leurs
invalidités, leurs souffrances, et par-dessus leurs pouvoirs de
contraintes sociales qu’elles exercent sur les victimes. Elles
constituent une menace pour le bien être des femmes qui en souffrent.
Les représentations sociales légitiment cette souffrance à travers la
prééminence des hommes (Wade, 2008) sur les femmes dans le
domaine de la procréation.
Les troubles de fertilité figurent parmi les principales causes de rejet
des victimes. Car les représentations sociales maliennes ne sont pas
loin de la réflexion de F. Bourbon (2016 : 306) selon laquelle : « la
façon dont les médecins hippocratiques désignent les individus stériles
fait apparaître que la stérilité est principalement imputée au corps
féminin et qu’elle se définit par rapport à la grossesse inexistante ou
interrompue ».
Les soignées, en fonction de leurs possibilités d’accès aux soins et à
la préservation de leur intimité, apprécient ou non les produits
pharmacologiques de la médecine traditionnelle. L’usage fait de la
médecine traditionnelle répond à la satisfaction des besoins sociaux
autres que sanitaires chez les usagers. Car pour Assogba, (1999 : 15) :
« l'acteur n'est ni aveugle ni incapable, il sait généralement reconnaître
les éléments de son contexte, évaluer les chances et les obstacles et
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prendre les décisions qui lui paraissent les plus efficaces ». Les
thérapeutes et les victimes d’infertilité agissent en réponse à cette
logique. La culture locale en est pour beaucoup dans ce recours aux
soins thérapeutiques traditionnels. Elle facilite l’accès aux services de
la médecine traditionnelle. Certains usagers pensent que cette
médecine produit des effets positifs plus que son challenger (médecine
moderne) en matière de stérilité. Ces effets visibles ou invisibles sont
de nature subordonnés à la volonté divine. Cette perception influence
les pratiques. Mais il existe, en dehors de cette perception, des modes
d’intervention propres à chaque thérapeute construit en fonction des
expériences particulières. Ainsi, les thérapeutes, en fonction de leurs
expériences particulières, développent des méthodes de prise en
charge qui leurs sont propres. A ce niveau, la prise en charge semble
présentée des contraintes de la part des thérapeutes.
Egalement, les pratiques des femmes telles que évoquées par les
thérapeutes, sont de nature à rendre difficile leur relation.
Parallèlement, les femmes infertiles ont une autre perception des soins
que leur offre ces thérapeutes. En effet, face à ces problèmes, nous
sommes en droit de se poser un certain nombre de questions : quelles
sont les contraintes évoquées dans le cadre de la prise en charge des
femmes ? Quelle est la perception des thérapeutes sur les pratiques de
ces femmes ? Et enfin comment est perçue l’offre de soin
traditionnelle par les femmes ?
Cet article cherche à comprendre l’interface entre les troubles de
fertilité féminine et les recours aux offres de soin traditionnelles. Il se
propose spécifiquement de saisir les contraintes que les thérapeutes
rencontrent lors de la prise en charge avant d’évoquer leurs
perceptions sur les pratiques de leurs patientes. Parallèlement, les
perceptions développées par les victimes d’infertilité sur les offres de
soin traditionnelles et les comportements des praticiens sont aussi
analysées.

1. Méthodologie

Le présent travail utilise exclusivement la méthode qualitative. La


recherche documentaire et l’observation directe ont été les techniques
qui nous permis respectivement de saisir l’originalité du sujet et de
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mieux comprendre la question de perception. Nous nous sommes
entretenus avec douze (12) femmes au total, toutes atteintes
d’infertilité. Les femmes atteintes de troubles de fertilité ont été
sélectionnées à cause des épreuves qu’elles traversent dans la
recherche de solutions à leur problème. Ces femmes ont été choisies
au hasard à l’aide de la technique boule de neige. Cette technique
consiste pour chaque femme interrogée de nous conduire vers une
autre infertile. Aussi, 8 thérapeutes ont été interrogés de manière
raisonnée avec des personnes de relais et suite à des informations
données par les usagers. Ces thérapeutes ont été intégrés dans cette
étude en raison de leur participation à la prise en charge de cette
pathologie. Egalement, par le fait qu’ils rencontrent des contraintes
liées à leur intervention auprès de ces femmes infertiles. Ces
thérapeutes ont été interviewées au niveau des communes 1, 2 et 4 de
la rive gauche du district de Bamako. Le choix de ces catégories de
personnes s’explique par le fait qu’elles sont les interlocutrices
privilégiées dans cette étude consacrée à la perception sur les offres de
soin traditionnelles. Pour la collecte des données, deux types de guide
d’entretien leur a été administré. Il s’agit des interviews faites avec les
femmes et ceux administrés aux thérapeutes. L’analyse de contenu des
discours a été utilisée afin de pénétrer les perceptions de nos
interlocutrices sur les offres de soin. Les données de terrain ont été
traitées manuellement. Les discours ont été catégorisés avant d’être
commentés et analysés.

2. Résultats

2.1. Contraintes de la prise en charge soulevées par les


thérapeutes
Les infertilités touchent une franche partie de la population malienne
et bamakoise en particulier, même s’il n’existe pas de statistiques
fiables pour déterminer le nombre de femmes ou d’hommes victimes.
En raison de la spécificité des causes de ces infertilités, les stratégies
d’accès aux soins des patientes diffèrent. Les spécialistes des offres de
soin (médecins et thérapeutes) diversifient leurs interventions auprès
de leurs patientes pour les raisons ci-dessus évoquées. Ainsi, le cas
particulier de la prise en charge des infertilités féminines par la
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médecine traditionnelle intéresse l’analyse de cette rubrique. Les
approches thérapeutiques que ces praticiens (thérapeutes) développent
sont de nature à influencer leur perception sur les offres de soin livrées.
Les propos recueillis auprès de certains thérapeutes montrent à
suffisance des insuffisances et incohérences dans la prise en charge
des infertilités féminines. Par exemple, O. I., un thérapeute, domicilié
à Korofina-Nord et âgé de 37 ans avec 6 ans d’expérience dans le
métier, livre un point de vue qui est révélateur dans le
domaine : « Nous croyons que chaque maladie a ses médicaments.
Nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu’un seul médicament peut
guérir plusieurs maladies. A titre d’illustration, il y a certains
thérapeutes qui proposent un médicament contre plusieurs maladies.
C’est du mensonge. Il existe des bonnes et des mauvaises personnes
dans l’exercice de tous les métiers. Des mauvaises graines de ce genre
entrainent le discrédit sur l’ensemble des thérapeutes. Vous savez, je
suis membre de l’association des thérapeutes traditionnels de
Koutiala. La recherche est l’une des activités clefs de notre
association. Nous menons des recherches sur les maladies et les
plantes. Dans notre logique, chaque maladie a son médicament ».
Ce discours évoque l’impertinence du marketing que font certains
thérapeutes traditionnels de leurs médicaments. Ceux-ci prétendent
soigner plusieurs pathologies avec un seul produit pharmacologique.
Il est également possible de rencontrer l’idée inverse selon laquelle un
thérapeute peut se glorifier avoir des remèdes pour toutes les maladies.
Or, ces prétentions sont de nature à mettre en mal les interventions
médicales des autres thérapeutes qui se spécialisent de plus en plus
dans le traitement des maladies. De telles attitudes dans le domaine de
la santé sont assimilées à la tromperie pouvant avoir des effets négatifs
sur les relations de confiance entre les thérapeutes et leurs patients.
C’est la raison pour laquelle le thérapeute, O. I., privilégie la recherche
comme alternative à des fausses généralisations des vertus
médicamenteuses de certaines plantes et des compétences des
thérapeutes. Le respect de ce principe, une fois acquis, permet
d’adopter de saints comportements thérapeutiques de certains
praticiens traditionnels. Cette idée de rendre plus opérationnel
l’intervention à travers la précision dans la distribution des offres de
soin est prise en charge dans les propos qui suivent : « Pour traiter
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l’infertilité d’une femme chez moi, je cherche d’abord à savoir : Si la
cause de son trouble de fertilité est naturelle ou accidentelle. C’est-à-
dire si cela n’est pas due au planning lors de la jeunesse ou si la
personne n’a pas fait l’avortement ou d’autres causes volontaires
possibles. Si tel n’est pas le cas, on commence le traitement mais par
contre si c’est une cause volontaire on ne traite pas. Telle est notre
règle propre à nous-mêmes ». (S. A., Thérapeute traditionnelle, 67 ans,
Niaréla).
Le besoin d’être logique dans les soins, anime ce thérapeute de 67 ans.
Il s’identifie à un mode de traitement des infertilités dont il maîtrise.
Il s’agit de faire des offres de soin pour des cas d’infertilité liés aux
« causes naturelles ». L’objectif du type de traitement adopté est
d’éviter toutes les pathologies liées à des comportements structurels
de la victime, donc volontaires. C’est la raison pour laquelle, le
planning familial et l’avortement sont considérés comme des choses
voulues et décidées par la victime. De ce point de vue, les troubles
liées aux effets néfastes de ces deux pratiques ne figurent pas parmi
les pathologies qu’il soigne. Au-delà de cette restriction que ce
thérapeute s’impose, le planning familial et l’avortement ne font pas
bonne figure aux yeux de la majorité des maliens. Les discours publics
et officiels les acceptent dans des conditions et circonstances
particulières. Mais, la pratique sociale s’insurge impitoyablement
contre eux. Ainsi, toute anomalie issue du planning familial et de
l’avortement s’inscrit dans le registre de la déviance sociale que la
société condamne. L’usage du planning familial est souvent
assimilable à de la débauche. Quant à l’avortement, il est carrément
prohibé au regard de la sacralité de l’humain dans la société.
Par ailleurs, la prise en charge des femmes infertiles demande
beaucoup d’efforts de la part des thérapeutes. Elles ont, pour la
plupart, été bernées plusieurs fois par des catégories de guérisseurs qui
ne comptent que sur le gain facile. Il leur est très difficile d’accorder
leur confiance immédiatement à un autre thérapeute, même si ce
dernier a des compétences. C’est à cet effet que la recherche de la
confiance des patientes est nécessaire pour les thérapeutes. Une fois
cette confiance acquise, la prise en charge s’exécute dans les
meilleures conditions.

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Mais, un autre handicap s’interpose entre les patientes et les praticiens.
Il s’agit du fait que : « beaucoup de patientes sont habitué à l’achat de
faux médicaments et à bas prix. Quand tu essayes de leur expliquer les
conséquences de ces pratiques, elles disent que c’est la même chose »
(E.I., Thérapeute traditionnel-géomancien, 49 ans, Lafiabougou
Djissourountoun). On constate, à travers ce discours, l’existence des
médicaments de la rue dans le domaine de la médecine traditionnelle.
Ils sont nombreux à se promener dans les rues de Bamako avec des
médicaments traditionnels à vendre. Il existe, en dehors de ces
difficultés, des facilités lors de la prise en charge. U.I., un
phytothérapeute de 45 ans avec 15 années d’expérience et domicilié à
Kabala l’exprime en ces termes : « La prise en charge de la patiente
qui arrive avec des analyses de la médecine moderne est relativement
facile. Comme je t’avais dit, je suis technicien supérieur en
laboratoire. Je comprends aisément les analyses de la médecine
conventionnelle. Mais avant l’arrivée de cette médecine
conventionnelle, il existait des techniques de diagnostic que j’utilise.
Il s’agit de l’échange avec la personne sur son mal. Une fois le
diagnostic posé, la patiente est mise sous traitement ».
Une possible collaboration entre la médecine moderne et celle
traditionnelle est décrite dans ce discours. Comme U.I., ils sont
nombreux, les thérapeutes à exprimer avoir recouru à certaines
compétences de la médecine moderne. Mais, l’analyse du discours
montre que l’usage de ces compétences à un niveau maximal est
proportionnel au degré d’imprégnation des thérapeutes qui savent lire
et interpréter les résultats des analyses venant des laboratoires
médicaux conventionnels. Outre, cette approche est un complément
aux méthodes traditionnelles de diagnostic et de traitement. Les
ingrédients rentrant dans la fabrication de ces médicaments
traditionnels restent les matériaux de base pour les thérapeutes : « Il
existe des plantes pour traiter. Quand la femme parvient à les utiliser
à bon escient, elle engendrera une progéniture. Le traitement peut
prendre un à deux mois. Au fait, la médecine traditionnelle est la partie
intégrante de nous les africains » (O.O., Thérapeute, 49 ans, 12 ans
d’expérience, Sangarébougou). L’attachement des populations à la
médecine traditionnelle tient son essence dans leurs reconnaissances
aux principes et valeurs qu’elle véhicule et entretient. De cet fait,
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toutes ou presque toutes les catégories socioprofessionnelles et
couches sociales font recours à leurs services.
De ce point de vue, les cas de réussite lors de la prise en charge de
certaines formes de troubles de la fertilité font l’objet d’une
magnification de la culture locale par les représentations collectives.
Les savoirs locaux sur les troubles de la fertilité laissent croire à des
pathologies purement africaines et maliennes. Les thérapeutes sont des
acteurs potentiels ayant des compétences dans la lutte contre ces
maladies. Ils ne manquent, de ce fait, des moyens de vulgarisation de
leurs exploits. Or, dans les pratiques, les médecins pensent que les
guérisons réalisées par les thérapeutes sont des cas isolés et demeurent
des faits de hasards. Ainsi, il est possible de déduire que les activités
d’offres de soins sont opérationnelles quand elles sont plutôt porteuses
de résultats probants. La notion de rationalité dans l’exercice ne serait
qu’une illusion si elle n’est pas accompagnée de succès.

2.2. Perceptions des thérapeutes des pratiques des femmes


infertiles
Les populations construisent des mécanismes d’appréciation des
systèmes de santé. Les modes d’accès et de distribution des offres de
soin conventionnelles et traditionnelles occupent une place importante
dans cette appréciation. Les comportements, attitudes et pratiques des
médecins et thérapeutes font l’objet de jugement dans ce processus.
Ainsi, les médecins et les thérapeutes ne manquent pas également
d’observer des absurdités dans les comportements des patientes qui
affectent la prise en charge efficace et efficiente de ces dernières. De
ce fait, les interventions des thérapeutes auprès des femmes infertiles
ne sont pas exemptes de nuisances. Les raisons de ces nuisances sont
multiformes. Elles se situent aux niveaux des responsabilités des
thérapeutes mais surtout des attitudes et comportements des femmes
lors la prise en charge. Cette situation est décriée par plusieurs
thérapeutes. Ils fondent leurs argumentaires sur certains constats faits
à propos des comportements des femmes par rapport à leur sexualité
en général : « Les femmes souffrent beaucoup à cause des mauvaises
images (films pornographiques) qu’elles regardent. Elles surestiment
la performance des hommes des films pornographiques. Elles
prennent et font prendre leurs maris des produits aphrodisiaques pour
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améliorer les performances. Ce qui complique les problèmes. J’ai
rencontré des cas de maladie liés à ces produits ». (C. A., Thérapeute,
39 ans, 14 ans d’expérience, Niamana).
Ce discours évoque certaines pratiques que les patientes s’adonnent en
méconnaissance de leurs effets néfastes sur leur vie sexuelle future.
Cette pratique consiste à un usage disproportionné de l’appareil
génital avec des produits stimulant le désir sexuel intense. Ce qui n’est
pas sans effet sur la pérennisation de l’accomplissement de l’acte
sexuel chez les personnes concernées. Une fois que cette dernière
affectée, les femmes éprouvent des peines à procréer. Il est difficile
pour les thérapeutes d’intégrer ce dernier aspect dans leur prise en
charge. Il est tout même compliqué de saisir les problèmes liés à cette
pratique. Le thérapeute l’évoque sans spécifier la pathologie ou les
destructions hormonales qui lui sont associées. Ce qui nous conduit à
une autre pratique des patientes dénoncée par les thérapeutes. « Nous
avons l’habitude de rencontrer des problèmes avec des patientes qui
font recours à des thérapeutes médiocres en premier lieu. Elles
reçoivent des médicaments de tout genre. Au lieu de recouvrer la
santé, la situation se détériore. Or, il n’est pas très facile de guérir après
une complication due aux mauvais traitements. C’est là que je
demande à mes patients de consulter les médecins pour que je puisse
mieux intervenir ». (O. O., Thérapeute, 49 ans, 12 ans d’expérience,
Sangarébougou).
Ce thérapeute démontre que certains modes de traitement même
traditionnels ne font pas bon ménage avec les logiques de soin
traditionnelles classiques. Il met à nu la prolifération des thérapeutes
incompétents et cupides. Les connaissances ésotériques ne sont pas à
leur état maximal chez ces derniers et les frais de soin qu’ils proposent
aux patientes sont considérés exorbitants. Le hic est que ces
thérapeutes détériorent la santé de leurs patientes avant que ces
dernières ne se rendent compte de leur faiblesse. Les complications
issues des traitements sont placées sous le signe des faillites de
certaines interventions. Cette situation impacte sur les relations entre
les patientes et les thérapeutes. O. I., un Thérapeute traditionnel de 53
ans avec 15 années d’expérience et domicilié à Madina-coura évoque
cet aspect dans son discours : « Sur le plan relation soigné-soignant le
problème se pose également. Quand je leurs dit de faire un sacrifice
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de mouton, certaines femmes gèrent avec le coq et d’autres préfèrent
le faire étape par étape au lieu de faire tout ensemble. D’autres pensent
même que c’est à cause de la viande que je leurs impose ces sacrifices,
alors que c’est pour elles-mêmes en réalité ».
Le discours mentionne l’indiscipline des usagères lors de leur prise en
charge. Cette indiscipline tire ses origines dans un premier temps de
l’état des capacités financières des patientes à assurer les dépenses
liées aux sacrifices et l’achat des médicaments. Elle est également liée
aux préjugés faites par les patientes à propos de l’usage que les
thérapeutes font des sacrifices. Ces derniers tireraient des avantages
des sacrifices. Ce qui n’est pas de l’avis des thérapeutes. Cette relation
de méfiance entre les thérapeutes et leurs patientes est reprise par un
autre thérapeute en ces termes : « Leur prise en charge n’est pas facile
parce que les prix des médicaments ne sont pas les même et les
méthodes de traitement sont aussi différentes. Si l’infertilité est un cas
qui demande des méthodes compliquées ou spécifiques, je demande à
la patiente de rester chez moi pendant quelques jours. Cela ne plait pas
à certaines femmes ou à leurs maris. Ils croient qu’on n’a d’autres
idées en tête et certaines femmes ne respectent pas les consignes du
traitement ». (O. O., Thérapeute traditionnel, 48 ans, Bagadadji).
En évoquant la spécificité des cas de troubles de fertilité, O. O. essaie
de mettre en exergue la diversité des médicaments dont les thérapeutes
font recours pour soigner leurs patientes. Il s’en suit le plus souvent
des complications liées à la mauvaise organisation des soins. Chacun
cherche à faire porter l’autre les responsabilités de ces mauvais
traitements. Il est difficile voire impossible de rencontrer un
thérapeute qui affirme d’être la personne responsable des
complications de la maladie d’une telle personne. On indexe toujours
un tiers thérapeute. A défaut de trouver l’alibi auprès des autres
thérapeutes, l’indiscipline des patientes est montrée du doigt pour
justifier certains méfaits des médicaments donnés aux patientes.
Par ailleurs, les échecs existent dans le domaine des offres de soin
traditionnelles. Ils relèvent, dans les représentations collectives, des
considérations indépendantes de la volonté du thérapeute et de
l’usagère. Il est facile pour l’imaginaire collectif de l’accepter. Les
erreurs des thérapeutes sont assimilables à la volonté des êtres
surnaturels. Ce fatalisme de la population face aux échecs lors de la
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prise charge médicale par la médecine traditionnelle s’organise autour
du même phénomène de reproduction humaine. Les contraintes liées
à ce phénomène s’expliquent plus avec des raisonnements teintés dans
des considérations sociales et culturelles. Ce qui donne une certaine
légitimité aux thérapeutes de trouver des arguments nécessaires pour
se mettre dans des positions de force par rapport aux patientes. Les
échecs sont de ce fait considérés comme normaux dans la logique de
la plupart des thérapeutes. L’efficacité des offres de soin
traditionnelles se trouve donc hypothéquée à cause de la grande marge
de manœuvre dont disposent les thérapeutes pour imposer leurs modes
d’intervention auprès des femmes victimes d’infertilité. Or, il est
reconnu que tous les thérapeutes ne répondent pas aux normes
traditionnelles de soin.

2.3. Perceptions des femmes infertiles des offres de soin


traditionnelles
Il existe en matière de santé des actes par lesquels les acteurs
(médecins, thérapeutes, malades, populations) prennent connaissances
des contours des maladies qui ont préalablement fait l’objet de
construction de sens. Ces constructions de sens sont puisées dans les
expériences sociales à propos des maladies, de leurs causes, de leurs
manifestations et traitements. Elles se baignent dans les idéologies
sociales à partir desquelles la société se représente. Mais ces
idéologies sociales n’évoluent pas le plus souvent au même rythme
que la réalité sociale. Les représentations sociales construites autour
des offres de soin traditionnelles marquent un pont entre la réalité
pratique et certaines mésaventures subies par les victimes d’infertilité
à la suite des consultations et des traitements donnés par les
thérapeutes : « J’ai consulté les devins qui jetaient des cauris.
D’autres, par contre, font la géomancie sur le sable. C’est à partir des
signes que ces géomanciens me faisaient des révélations. Ces devins
m’ont fait le plus souvent savoir que je suis ensorcelé. Certains m’ont
testé positive à la possession par les djinns. Mais mes coépouses
avaient au même moment des difficultés à enfanter également. Donc
les histoires d’envoutement et de djinns ne tenaient pas la route ».
(S.O., usagère, 55 ans, greffière)

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Les consultations faites par des thérapeutes ne sont pas toujours
exemptes de faux diagnostics. La maîtrise des signes géomantiques
permettant de poser le diagnostic réel n’est pas le plus souvent au
rendez-vous. Les questions de djinns, d’envoutements, d’esprits des
ancêtres sont des réalités sociales ancrées dans la saisie des causes et
le traitement des maladies. Certains thérapeutes profiteraient de cette
réalité sociale pour poser des diagnostics en attribuant les causes des
infertilités aux éléments ci-dessus évoqués. L’objectif recherché est de
pouvoir soutirer de l’argent aux victimes. Les femmes étant dans des
positions de faiblesse sont rapidement acquises pour la cause. Mais les
logiques des femmes excèdent souvent les objectifs des thérapeutes.
Le mobile de recours de ces femmes est de tester dans la mesure du
possible les compétences de chaque thérapeute qui se présente à elles.
Selon cette usagère : « J’ai l’habitude de prendre l’eau sainte d’un
marabout. C’était pour tester son produit. Sinon, je n’aime pas ce
genre de médicament. Je ne peux pas apprécier si son médicament est
bon ou mauvais. Mon mari était absent au moment de la prise » (A.I.,
usagère, 45 ans, sociologue, Banankabougou). Cette usagère s’inscrit
dans une double logique. Elle est hostile aux médicaments
traditionnels. Ce qui ne l’empêche pas d’en faire usage. Mais
contrairement à cette usagère, A.A, une autre usagère de 32 ans,
technicienne de sport domiciliée à Niaréla est favorable aux
médicaments : « J’aime la médecine traditionnelle. Parce que les
plantes que les thérapeutes donnent sont généralement dépourvues de
produits chimiques. La transformation de ces plantes est artisanale et
traditionnelle sans l’ajout des produits chimique. Il y a peu d’effet
secondaire grave à leur propriété naturelle. Ce que je n’apprécie pas
c’est le problème de dosage. Maintenant ça commence à aller.
Beaucoup d’entre eux donnent des dosages à leurs produits. Avant, on
te donnait en quantité suffisante de décoction de plante à boire. C’est
ce qui n’était pas bien. De nos jours, la plupart des thérapeutes, surtout
ceux qui sont spécialisés, commencent à donner les médicaments avec
des mesures ».
La majeure partie de la population bamakoise s’inscrit dans la même
logique de cette usagère. Les médicaments traditionnels sont appréciés
et sollicités dans la mesure où l’imaginaire collectif accorde une
importance capitale aux plantes et autres matériaux qui rentrent dans
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la fabrication de ces médicaments. La raison fondamentale est que les
populations s’y connaissent dans ces produits. Les médicaments
traditionnels sont épargnés, selon les représentations collectives, des
produits chimiques ont des effets secondaires. Le hic dans prise de ces
médicaments est lié au problème de dosage que beaucoup de
personnes décrient. La lueur d’espoir suscitée vient du fait que les
thérapeutes commencent à réorganiser la fabrication, la conservation
et le dosage. En dehors de ces nouvelles mesures, les populations
pensent toujours que la médecine traditionnelle coûte moins chère. Les
propos de M. O., une usagère de 34 ans, ménagère et domicilié à
Niaréla, sont sans équivoques : « personnellement, j’apprécie la forme
traditionnelle. Parce que chez eux, il y a vraiment du confort. Tu es
guéri sans faire beaucoup de dépense et avec un cœur remplit de joie ».
Cette position est défendue par beaucoup de patientes qui font recours
à la médecine traditionnelle.
Les raisons économiques font couler de suspicion quant à l’efficacité
des activités des thérapeutes traditionnels. La population décrie les
manipulations faites dans ce domaine. Les observations montrent un
phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur. Il s’agit des
personnes intermédiaires entre soignants et soignés qui participent à
renforcer cette situation. Dans un premier temps, ceux-ci contribuent
à amener les clients chez les tradi-thérapeutes. Dans un second temps,
ils sont facilitateurs entre les usagers et les praticiens. Car, la majeure
partie de thérapeutes mettent des barrières en place entre eux et leurs
clients aux fins de mystifier leurs professions. L’argent joue un rôle
essentiel dans cette manipulation. Le niveau de revenu n’est pas la
condition première dans les offres de soin. En d’autres termes, il est
difficile qu’une personne manque d’offre de soin traditionnelle pour
des raisons économiques.

3. Discussion

La quintessence des analyses portées dans cet article rend compte des
rapports existant entre les thérapeutes traditionnels et les femmes
victimes d’infertilité. Il n’est donc pas étonnant qu’il a été nécessaire
de mettre en exergue les contraintes que rencontrent les thérapeutes
lors de la prise en charge des infertilités féminines. L’inexistence d’un
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protocole standard adopté par tous les thérapeutes pour la prise en
charge est un fait. Le système de référence devient compliqué à cause
de cette défaillance théorique, technique et pratique. Or le recours à
un thérapeute répond à trois facteurs selon Hureiki (2000 :134) qui
sont : « le sexe du malade (les hommes vont chez les masculins et
vice-versa), l’économique et enfin le facteur lié à la nature de la
maladie ». Il faut ajouter à cela la discrétion du thérapeute et la
distance (les malades évitent le plus souvent le thérapeute le plus
proche). Ce qui conduit souvent à des accusations mutuelles entre les
praticiens de la médecine traditionnelle. Les causes des infertilités et
les conditions de vie économique des femmes constituent des
handicaps dans l’accès aux offres de soin traditionnelles.
Par ailleurs, les thérapeutes émettent des réserves par rapport aux
comportements de certaines femmes victimes d’infertilité. Les
perceptions développées portent sur les comportements et les attitudes
de ces femmes face à la sexualité avant le mariage. Bourguignon
(2007 :385) avance une réflexion tendant à prendre en compte cette
situation : « Certains individus accorent peu d’entretiens à leurs corps
et la moindre atteinte est source de crainte. C’est une fétichisation du
corps ». Certaines femmes sont donc citées être la cause de leurs
infertilités, car elles auraient adopté des comportements sexuels
néfastes au moment de leur jeunesse. Il s’agit de l’usage des produits
pharmaceutiques modernes et traditionnels sans faire recours aux
spécialistes des deux médecines. Cette situation perdure chez certaines
d’entre elles même après leur mariage. Ce comportement sexuel
pourrait s’apparenter à celui évoqué par Wade (2008 : 58) à propos
des changements dans les comportements sexuels et reproductifs chez
les jeunes de la ville de Ouakam au Sénégal. A Ouakam, ces
changements sont en rapport avec le retard de l’âge d’entrée dans le
mariage, le relâchement des normes de contrôle morales et sociales
traditionnelles et enfin la précarité de la condition sociale des femmes
dans les villes favorisant leur non-respect des règles traditionnelles
érigées par la tradition. De tels comportements et attitudes sont de
nature à saper les relations de confiance entre les thérapeutes et leurs
patientes. L’ignorance et la négligence sont autant de tard qui pouvant
qualifier ces états d’esprit des femmes qui victimes d’infertilité. Les
thérapeutes ne manquent pas tout de même de trouver des arguments
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leur permettant de pointer du doigt les indisciplines sanitaires de leurs
patientes que cela soit avant le déclenchement de leur problème ou
lors de la prise en charge.
Cependant, les offres de soin traditionnelles ne sont pas à l’abri non
plus des reproches faites par les femmes infertiles. Dans l’imaginaire
collectif : « les tradipraticiens sont des personnages omniscients, mais,
non pas omnipotents » (Kalis., 1997 : 280). De ce point de vue, les
populations appuient leurs perceptions sur les modes de consultation
et les résultats produits en conséquence. La précarité des diagnostics
et l’usage des médicaments inappropriés sont souvent des faits réels.
La recherche du gain facile conduit plusieurs tradi-praticiens à ces
actions. Il ressort de cette imbrication du besoin de soin des patientes
et du gain d’argent de thérapeutes un déficit dans l’établissement des
relations de confiance entre eux. Ce qui n’est pas de nature à faciliter
la prise en charge des infertilités. En faisant l’éclectisme de Rocher
(2002), les conflits latents entre les deux acteurs (thérapeutes et
patientes) s’inscrivent dans des logiques d’insuffisance de distribution
équitable des autorités particulières. La méfiance aux thérapeutes, la
volonté d’avoir une longueur d’avance sur les thérapeutes conduisent
les femmes à se frayer des itinéraires thérapeutiques complexes pour
elles et pour les praticiens traditionnels. Mais, l’objectif recherché est
d’éviter d’être sous l’emprise des thérapeutes qui n’est certainement
pas à la portée de leur main vu l’architecture des offres de soin
traditionnelles. Dans la pratique, « au bout de l’itinéraire
thérapeutique, le malade recourt à sa propre initiative pour se guérir
des maladies bénignes ou graves après l’échec de tous les thérapeutes
que la société a mis à sa disposition » (Hureiki., 2000 :138). On est en
droit de s’interroger avec Crozier et Friedberg (1977 : 38) sur le fait
que : « Au lieu de considérer les comportements imprévus comme des
exceptions, n’est-il pas en fin de compte plus fructueux de les utiliser
comme des points de départ pour comprendre les limites et la
signification réelle des contraintes et des conditionnements ? ». Au-
delà de cette situation, la médecine traditionnelle reste priser par
certaines femmes infertiles. Cette double perception développée par
les femmes victimes d’infertilité répond en partie à la satisfaction du
besoin de syncrétisme dans le domaine de la santé emprunté par la
population malienne.
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Conclusion

Aux termes de cette étude, il a été donné de constater que les troubles
de fertilité féminine et le recours à la médecine traditionnelle font
l’objet d’interprétations diverses par les femmes victimes et les
thérapeutes impliqués dans leur prise en charge. La diversité des
approches des thérapeutes et la multiplicité des médicaments utilisés
installent le plus souvent des déficits de confiances entre les
thérapeutes et leurs patientes. Les données empiriques de terrain
montrent des difficultés d’ordre social, psychologique et économique
liées à la prise en charge des troubles de fertilité féminine par les
thérapeutes. Ces derniers (thérapeutes) pointent du doigt les attitudes
des patientes dans la vie pratique et face aux offres de soin
traditionnelles. Il a été question également de la perception des
patientes sur les offres de soin traditionnelles. Les patientes indexent
certaines failles dans les services des praticiens traditionnels avant
d’évoquer quelques biens faits de leurs interventions. Les faux
diagnostics, les arnaques, le manque de confiance aux thérapeutes sont
quelques mésaventures que les patientes racontent. Elles apprécient
positivement, malgré ces insuffisances évoquées, les offres de soin
traditionnelles à cause de leur rapprochement social avec les
thérapeutes.

Références bibliographiques

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de synthèse et application de l'individualisme méthodologique », in
Les presses de l'Université Laval-l’Harmattan, Québec, Site web :
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Consulté le mars 15, 2021, Tome 129 :
doi:https://doi.org/10.3406/reg.2016
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Consulté le fervrier 10, 2021, https://www.cairn.info/revue-dialogue-
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africaine. Le cas de Ouakam, Paris, Le Harmattan.

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