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Résumé
Abstract
Fertility disorders in couples are a real reproductive health problem. Women, for
socio-cultural reasons, are the most affected by its harmful effects. The management
of female fertility disorders by traditional medicine is accompanied by various
constraints and perceptions. This article seeks to understand the relationship between
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therapists and women who are victims of infertility through the perceptions they
develop during treatment. The achievement of this objective was possible with the
implementation of qualitative methods of data collection and the use of existing
theories in the field. Semi-structured interviews were used for this purpose. It appears
from the surveys that the therapists and the women victims mutually blame each other
for the problems linked to these infertilities. The therapists go through self-criticism
before denouncing the attitudes of their patients. The latter are attacking the
approaches of therapists and the quality of medicines which can have repercussions
on the smooth running of care.
Introduction
1. Méthodologie
2. Résultats
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Mais, un autre handicap s’interpose entre les patientes et les praticiens.
Il s’agit du fait que : « beaucoup de patientes sont habitué à l’achat de
faux médicaments et à bas prix. Quand tu essayes de leur expliquer les
conséquences de ces pratiques, elles disent que c’est la même chose »
(E.I., Thérapeute traditionnel-géomancien, 49 ans, Lafiabougou
Djissourountoun). On constate, à travers ce discours, l’existence des
médicaments de la rue dans le domaine de la médecine traditionnelle.
Ils sont nombreux à se promener dans les rues de Bamako avec des
médicaments traditionnels à vendre. Il existe, en dehors de ces
difficultés, des facilités lors de la prise en charge. U.I., un
phytothérapeute de 45 ans avec 15 années d’expérience et domicilié à
Kabala l’exprime en ces termes : « La prise en charge de la patiente
qui arrive avec des analyses de la médecine moderne est relativement
facile. Comme je t’avais dit, je suis technicien supérieur en
laboratoire. Je comprends aisément les analyses de la médecine
conventionnelle. Mais avant l’arrivée de cette médecine
conventionnelle, il existait des techniques de diagnostic que j’utilise.
Il s’agit de l’échange avec la personne sur son mal. Une fois le
diagnostic posé, la patiente est mise sous traitement ».
Une possible collaboration entre la médecine moderne et celle
traditionnelle est décrite dans ce discours. Comme U.I., ils sont
nombreux, les thérapeutes à exprimer avoir recouru à certaines
compétences de la médecine moderne. Mais, l’analyse du discours
montre que l’usage de ces compétences à un niveau maximal est
proportionnel au degré d’imprégnation des thérapeutes qui savent lire
et interpréter les résultats des analyses venant des laboratoires
médicaux conventionnels. Outre, cette approche est un complément
aux méthodes traditionnelles de diagnostic et de traitement. Les
ingrédients rentrant dans la fabrication de ces médicaments
traditionnels restent les matériaux de base pour les thérapeutes : « Il
existe des plantes pour traiter. Quand la femme parvient à les utiliser
à bon escient, elle engendrera une progéniture. Le traitement peut
prendre un à deux mois. Au fait, la médecine traditionnelle est la partie
intégrante de nous les africains » (O.O., Thérapeute, 49 ans, 12 ans
d’expérience, Sangarébougou). L’attachement des populations à la
médecine traditionnelle tient son essence dans leurs reconnaissances
aux principes et valeurs qu’elle véhicule et entretient. De cet fait,
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toutes ou presque toutes les catégories socioprofessionnelles et
couches sociales font recours à leurs services.
De ce point de vue, les cas de réussite lors de la prise en charge de
certaines formes de troubles de la fertilité font l’objet d’une
magnification de la culture locale par les représentations collectives.
Les savoirs locaux sur les troubles de la fertilité laissent croire à des
pathologies purement africaines et maliennes. Les thérapeutes sont des
acteurs potentiels ayant des compétences dans la lutte contre ces
maladies. Ils ne manquent, de ce fait, des moyens de vulgarisation de
leurs exploits. Or, dans les pratiques, les médecins pensent que les
guérisons réalisées par les thérapeutes sont des cas isolés et demeurent
des faits de hasards. Ainsi, il est possible de déduire que les activités
d’offres de soins sont opérationnelles quand elles sont plutôt porteuses
de résultats probants. La notion de rationalité dans l’exercice ne serait
qu’une illusion si elle n’est pas accompagnée de succès.
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Les consultations faites par des thérapeutes ne sont pas toujours
exemptes de faux diagnostics. La maîtrise des signes géomantiques
permettant de poser le diagnostic réel n’est pas le plus souvent au
rendez-vous. Les questions de djinns, d’envoutements, d’esprits des
ancêtres sont des réalités sociales ancrées dans la saisie des causes et
le traitement des maladies. Certains thérapeutes profiteraient de cette
réalité sociale pour poser des diagnostics en attribuant les causes des
infertilités aux éléments ci-dessus évoqués. L’objectif recherché est de
pouvoir soutirer de l’argent aux victimes. Les femmes étant dans des
positions de faiblesse sont rapidement acquises pour la cause. Mais les
logiques des femmes excèdent souvent les objectifs des thérapeutes.
Le mobile de recours de ces femmes est de tester dans la mesure du
possible les compétences de chaque thérapeute qui se présente à elles.
Selon cette usagère : « J’ai l’habitude de prendre l’eau sainte d’un
marabout. C’était pour tester son produit. Sinon, je n’aime pas ce
genre de médicament. Je ne peux pas apprécier si son médicament est
bon ou mauvais. Mon mari était absent au moment de la prise » (A.I.,
usagère, 45 ans, sociologue, Banankabougou). Cette usagère s’inscrit
dans une double logique. Elle est hostile aux médicaments
traditionnels. Ce qui ne l’empêche pas d’en faire usage. Mais
contrairement à cette usagère, A.A, une autre usagère de 32 ans,
technicienne de sport domiciliée à Niaréla est favorable aux
médicaments : « J’aime la médecine traditionnelle. Parce que les
plantes que les thérapeutes donnent sont généralement dépourvues de
produits chimiques. La transformation de ces plantes est artisanale et
traditionnelle sans l’ajout des produits chimique. Il y a peu d’effet
secondaire grave à leur propriété naturelle. Ce que je n’apprécie pas
c’est le problème de dosage. Maintenant ça commence à aller.
Beaucoup d’entre eux donnent des dosages à leurs produits. Avant, on
te donnait en quantité suffisante de décoction de plante à boire. C’est
ce qui n’était pas bien. De nos jours, la plupart des thérapeutes, surtout
ceux qui sont spécialisés, commencent à donner les médicaments avec
des mesures ».
La majeure partie de la population bamakoise s’inscrit dans la même
logique de cette usagère. Les médicaments traditionnels sont appréciés
et sollicités dans la mesure où l’imaginaire collectif accorde une
importance capitale aux plantes et autres matériaux qui rentrent dans
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la fabrication de ces médicaments. La raison fondamentale est que les
populations s’y connaissent dans ces produits. Les médicaments
traditionnels sont épargnés, selon les représentations collectives, des
produits chimiques ont des effets secondaires. Le hic dans prise de ces
médicaments est lié au problème de dosage que beaucoup de
personnes décrient. La lueur d’espoir suscitée vient du fait que les
thérapeutes commencent à réorganiser la fabrication, la conservation
et le dosage. En dehors de ces nouvelles mesures, les populations
pensent toujours que la médecine traditionnelle coûte moins chère. Les
propos de M. O., une usagère de 34 ans, ménagère et domicilié à
Niaréla, sont sans équivoques : « personnellement, j’apprécie la forme
traditionnelle. Parce que chez eux, il y a vraiment du confort. Tu es
guéri sans faire beaucoup de dépense et avec un cœur remplit de joie ».
Cette position est défendue par beaucoup de patientes qui font recours
à la médecine traditionnelle.
Les raisons économiques font couler de suspicion quant à l’efficacité
des activités des thérapeutes traditionnels. La population décrie les
manipulations faites dans ce domaine. Les observations montrent un
phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur. Il s’agit des
personnes intermédiaires entre soignants et soignés qui participent à
renforcer cette situation. Dans un premier temps, ceux-ci contribuent
à amener les clients chez les tradi-thérapeutes. Dans un second temps,
ils sont facilitateurs entre les usagers et les praticiens. Car, la majeure
partie de thérapeutes mettent des barrières en place entre eux et leurs
clients aux fins de mystifier leurs professions. L’argent joue un rôle
essentiel dans cette manipulation. Le niveau de revenu n’est pas la
condition première dans les offres de soin. En d’autres termes, il est
difficile qu’une personne manque d’offre de soin traditionnelle pour
des raisons économiques.
3. Discussion
La quintessence des analyses portées dans cet article rend compte des
rapports existant entre les thérapeutes traditionnels et les femmes
victimes d’infertilité. Il n’est donc pas étonnant qu’il a été nécessaire
de mettre en exergue les contraintes que rencontrent les thérapeutes
lors de la prise en charge des infertilités féminines. L’inexistence d’un
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protocole standard adopté par tous les thérapeutes pour la prise en
charge est un fait. Le système de référence devient compliqué à cause
de cette défaillance théorique, technique et pratique. Or le recours à
un thérapeute répond à trois facteurs selon Hureiki (2000 :134) qui
sont : « le sexe du malade (les hommes vont chez les masculins et
vice-versa), l’économique et enfin le facteur lié à la nature de la
maladie ». Il faut ajouter à cela la discrétion du thérapeute et la
distance (les malades évitent le plus souvent le thérapeute le plus
proche). Ce qui conduit souvent à des accusations mutuelles entre les
praticiens de la médecine traditionnelle. Les causes des infertilités et
les conditions de vie économique des femmes constituent des
handicaps dans l’accès aux offres de soin traditionnelles.
Par ailleurs, les thérapeutes émettent des réserves par rapport aux
comportements de certaines femmes victimes d’infertilité. Les
perceptions développées portent sur les comportements et les attitudes
de ces femmes face à la sexualité avant le mariage. Bourguignon
(2007 :385) avance une réflexion tendant à prendre en compte cette
situation : « Certains individus accorent peu d’entretiens à leurs corps
et la moindre atteinte est source de crainte. C’est une fétichisation du
corps ». Certaines femmes sont donc citées être la cause de leurs
infertilités, car elles auraient adopté des comportements sexuels
néfastes au moment de leur jeunesse. Il s’agit de l’usage des produits
pharmaceutiques modernes et traditionnels sans faire recours aux
spécialistes des deux médecines. Cette situation perdure chez certaines
d’entre elles même après leur mariage. Ce comportement sexuel
pourrait s’apparenter à celui évoqué par Wade (2008 : 58) à propos
des changements dans les comportements sexuels et reproductifs chez
les jeunes de la ville de Ouakam au Sénégal. A Ouakam, ces
changements sont en rapport avec le retard de l’âge d’entrée dans le
mariage, le relâchement des normes de contrôle morales et sociales
traditionnelles et enfin la précarité de la condition sociale des femmes
dans les villes favorisant leur non-respect des règles traditionnelles
érigées par la tradition. De tels comportements et attitudes sont de
nature à saper les relations de confiance entre les thérapeutes et leurs
patientes. L’ignorance et la négligence sont autant de tard qui pouvant
qualifier ces états d’esprit des femmes qui victimes d’infertilité. Les
thérapeutes ne manquent pas tout de même de trouver des arguments
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leur permettant de pointer du doigt les indisciplines sanitaires de leurs
patientes que cela soit avant le déclenchement de leur problème ou
lors de la prise en charge.
Cependant, les offres de soin traditionnelles ne sont pas à l’abri non
plus des reproches faites par les femmes infertiles. Dans l’imaginaire
collectif : « les tradipraticiens sont des personnages omniscients, mais,
non pas omnipotents » (Kalis., 1997 : 280). De ce point de vue, les
populations appuient leurs perceptions sur les modes de consultation
et les résultats produits en conséquence. La précarité des diagnostics
et l’usage des médicaments inappropriés sont souvent des faits réels.
La recherche du gain facile conduit plusieurs tradi-praticiens à ces
actions. Il ressort de cette imbrication du besoin de soin des patientes
et du gain d’argent de thérapeutes un déficit dans l’établissement des
relations de confiance entre eux. Ce qui n’est pas de nature à faciliter
la prise en charge des infertilités. En faisant l’éclectisme de Rocher
(2002), les conflits latents entre les deux acteurs (thérapeutes et
patientes) s’inscrivent dans des logiques d’insuffisance de distribution
équitable des autorités particulières. La méfiance aux thérapeutes, la
volonté d’avoir une longueur d’avance sur les thérapeutes conduisent
les femmes à se frayer des itinéraires thérapeutiques complexes pour
elles et pour les praticiens traditionnels. Mais, l’objectif recherché est
d’éviter d’être sous l’emprise des thérapeutes qui n’est certainement
pas à la portée de leur main vu l’architecture des offres de soin
traditionnelles. Dans la pratique, « au bout de l’itinéraire
thérapeutique, le malade recourt à sa propre initiative pour se guérir
des maladies bénignes ou graves après l’échec de tous les thérapeutes
que la société a mis à sa disposition » (Hureiki., 2000 :138). On est en
droit de s’interroger avec Crozier et Friedberg (1977 : 38) sur le fait
que : « Au lieu de considérer les comportements imprévus comme des
exceptions, n’est-il pas en fin de compte plus fructueux de les utiliser
comme des points de départ pour comprendre les limites et la
signification réelle des contraintes et des conditionnements ? ». Au-
delà de cette situation, la médecine traditionnelle reste priser par
certaines femmes infertiles. Cette double perception développée par
les femmes victimes d’infertilité répond en partie à la satisfaction du
besoin de syncrétisme dans le domaine de la santé emprunté par la
population malienne.
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Conclusion
Aux termes de cette étude, il a été donné de constater que les troubles
de fertilité féminine et le recours à la médecine traditionnelle font
l’objet d’interprétations diverses par les femmes victimes et les
thérapeutes impliqués dans leur prise en charge. La diversité des
approches des thérapeutes et la multiplicité des médicaments utilisés
installent le plus souvent des déficits de confiances entre les
thérapeutes et leurs patientes. Les données empiriques de terrain
montrent des difficultés d’ordre social, psychologique et économique
liées à la prise en charge des troubles de fertilité féminine par les
thérapeutes. Ces derniers (thérapeutes) pointent du doigt les attitudes
des patientes dans la vie pratique et face aux offres de soin
traditionnelles. Il a été question également de la perception des
patientes sur les offres de soin traditionnelles. Les patientes indexent
certaines failles dans les services des praticiens traditionnels avant
d’évoquer quelques biens faits de leurs interventions. Les faux
diagnostics, les arnaques, le manque de confiance aux thérapeutes sont
quelques mésaventures que les patientes racontent. Elles apprécient
positivement, malgré ces insuffisances évoquées, les offres de soin
traditionnelles à cause de leur rapprochement social avec les
thérapeutes.
Références bibliographiques
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Crozier Michel et Friedberg Erhard (1977), L'acteur et le système,
Paris : Seuil.
Goussault Bénédiccte et Jacob Bénédicte (2011), « Lorsque
l'enfant ne parait pas. Le couple face à l’infertilité », in Cairn info,
Consulté le fervrier 10, 2021, https://www.cairn.info/revue-dialogue-
2011-1-page-125.htm
Hureiki Jacques (2000), Les médecines touarègues traditionnelles,
approche ethnologique, Paris, Karthala.
Kalis Simone (1997), Médecine traditionnelle, Réligion et
divination chez les seereer SIIN du Sénégal, Paris, Le Harmattan.
Rocher Guy (2002), Le changement social, Paris, seuil.
Wade Kodou (2008), Sexualité et fécondité dans la grande ville
africaine. Le cas de Ouakam, Paris, Le Harmattan.
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