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TRAVAIL ORIGINAL
Octogone-CERPP, université de Toulouse II-Le Mirail, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse, France
Reçu le 30 novembre 2010 ; avis du comité de lecture le 7 janvier 2011 ; définitivement accepté le 13 janvier 2011
Disponible sur Internet le 16 février 2011
Summary
KEYWORDS Objectives. — Desptite medical and scientific advances in the field of obstetrics, psychological
Miscarriage; trauma following a miscarriage may result in feelings of guilt. The objective of this research
Guilt; was an in-depth examination of the different expressions of feelings of guilt, and the factors,
Responsibility; which are associated, and their consequencies.
Interview Patients and methods. — Thirty-one semi-directive interviews were transcribed and analysed to
study themes associated with guilt.
Results. — About one third of women question themselves and interpret some level of personal
responsibility for their miscarriage. Many women evoke psychological causes of miscarriage.
In all cases, guilt is expressed more or less directly. The lack of medical explanations for
miscarriage is particularly difficult for women.
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : natalene.sejourne@laposte.net (N. Séjourné).
0368-2315/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jgyn.2011.01.010
Avortement spontané et culpabilité 431
Conclusion. — The results of the current study underline the importance for careful conside-
ration of any expressed feelings of guilt by women experiencing miscarriage; increasing basic
medical information and providing overall psychoeducational support can help women better
understand their experience and perhaps avoid excessive feelings of responsibility.
© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
et il semble donc important de se pencher plus précisément les patientes mais n’était en aucun cas exclusive. Ainsi, les
sur les facteurs qui y sont associés et sur les conséquences femmes étaient encouragées à développer d’autres points
que celui-ci peut occasionner. De plus, toutes les femmes ne pertinents par rapport à leur expérience et l’ordre des ques-
ressentent pas de culpabilité et le pourcentage de femmes tions n’a pas toujours été respecté afin de leur laisser un
exprimant ce sentiment diffère selon les études amenant espace de parole le plus libre possible.
à s’interroger sur les modalités de son expression et de
ses manifestations. Cette étude qualitative vise donc à Déroulement et analyse des résultats
appréhender de manière plus approfondie le sentiment de
culpabilité éprouvé par certaines femmes à la suite de leur Tous les entretiens ont été menés par la même personne,
fausse couche ainsi que les différentes caractéristiques qui titulaire du titre de psychologue et investigatrice de l’étude.
y sont rattachées. Après avoir été informée de l’objectif de l’étude, de la
méthodologie et de leurs droits (anonymat, confidentialité,
Patientes et méthodes droit de se retirer de l’étude, possibilité d’obtenir plus
d’informations auprès de l’investigatrice), toutes les parti-
Participantes cipantes ont donné leur accord de participation et ont signé
un consentement éclairé. La durée moyenne des entretiens
L’étude s’est déroulée entre octobre 2005 et mars 2007 dans était de 38,5 minutes (ET : 16,5 ; 20—90). Les 31 entretiens
deux cliniques privées de la région toulousaine. Dans le ont été enregistrés à l’aide d’un magnétophone et ont été
cadre d’une étude plus large sur le vécu psychologique retranscrits intégralement dans un second temps. Grâce
de la fausse couche, toutes les femmes majeures, par- à une analyse de contenu, les différents thèmes permet-
lant français et traitées par curetage ou aspiration après tant de rendre compte de l’expérience des femmes ont été
l’arrêt précoce involontaire d’une grossesse ont été sollici- recensés. Seuls les six thèmes se rapportant à la culpabilité
tées. Dix femmes ont refusé de prendre part à l’étude et et au sentiment de responsabilité des femmes sont abordés
66 ont participé à l’entretien. Vingt-trois femmes n’ont pas dans cet article.
donné leur accord pour l’enregistrement et 12 entretiens
se sont avérés inexploitables dans leur intégralité. Ainsi, Résultats
les entretiens de 31 femmes ont pu être retranscrits et
ont été analysés dans cette étude (âge moyen : 30,77 ans ; Des causes variées
ET : 3,72 ; 26—40). L’échantillon analysé ne présentait pas
de différences notables concernant les profils des partici- Au moment de l’entretien, seule une femme connaissait la
pantes et la structure générale des entretiens. Le terme cause de l’arrêt de la grossesse, survenue après une électro-
de la grossesse au moment de la fausse couche était en cution, et dix femmes (32,2 %) s’interrogeaient sur la cause
moyenne de 9,24 semaines d’aménorrhée (ET : 2,12 ; 4—12). de la fausse couche en raison de leur comportement, de
Toutes les femmes sauf une vivaient en couple (96,8 %) et leur attitude envers la grossesse, de leur état de santé ou
la moitié n’avaient pas d’enfant (n = 16 ; 51,6 %). La majo- de leur état d’esprit. Ainsi, si la plupart des femmes ont
rité des femmes avait désiré leur grossesse (n = 28 ; 90,3 %). été informées, connaissent les principales causes des avor-
Six femmes avaient déjà fait au moins une fausse couche tements spontanés précoces et évoquent « une anomalie
auparavant (19,3 %). chromosomique », « un problème », « une cause biologique »
ou simplement « la nature », certaines s’interrogent sur
Instrument d’autres causes possibles qui engagent plus ou moins leur
responsabilité.
Afin de d’accorder une part importante à la subjecti- Ces explications concernent la consommation de sub-
vité une grille d’entretien semi-directif a été élaborée stance comme l’alcool ou la cigarette (« Je fumais juste
spécifiquement pour cette étude. Bien que n’ayant pas une cigarette par jour et je me suis dit est-ce que c’est
fait l’objet d’une validation, celle-ci permettait de réper- ça, est-ce que c’est parce que je n’ai pas su faire cet
torier les principaux thèmes et de les aborder de effort là ? ») ou encore les médicaments (« J’ai pris beau-
façon systématique. L’entretien débutait par des ques- coup d’aspirine quand je ne savais pas encore que j’étais
tions permettant de recueillir les informations générales enceinte et comme je sais que ce n’est pas très bon »). Moins
(âge, situation familiale, activité professionnelle, nombre fréquemment, quelques femmes évoquent des éléments de
d’enfants, antécédents gynécologiques) puis se poursuivait l’environnement liés à la vie moderne : « Après on se pose
par des questions relatives à la fausse couche (durée de la toujours des questions, le portable, des choses comme ça ».
grossesse, signes annonciateurs, cause éventuelle, type de Pour beaucoup de femmes, la fatigue, surtout lorsqu’elle
traitement). L’expérience des femmes était ensuite abor- est liée à la vie professionnelle est une cause possible de
dée avec des questions sur la signification de la perte, la fausse couche : « C’est vrai que j’étais fatiguée et je me
le vécu émotionnel, les sentiments de culpabilité et les disais est-ce que ce n’est pas parce que tu es fatiguée et que
démarches utilisées pour faire face à la fausse couche. Afin ça ne tient pas ? » ; « Comme j’ai une activité professionnelle
de favoriser leur expression, les femmes étaient question- assez prenante, je me suis dit que bon, peut-être ».
nées directement sur les sentiments éventuels de culpabilité La prise de la pilule contraceptive est avancée par beau-
qu’elles auraient pu éprouver et ceux-ci étaient ensuite coup de femmes : « J’ai quand même pris la pilule pendant
discutés. La grille d’entretien est présentée en Annexe 1. près de 17 ans donc aussi est-ce que. . . une grossesse après
Celle-ci permettait d’aborder l’ensemble des thèmes avec juste deux cycles hors pilule, bon, on dit qu’il n’y a pas de
Avortement spontané et culpabilité 433
risque » ; « L’arrêt de la pilule a eu lieu juste avant alors ça Ainsi, une femme relie sa fausse couche aux difficultés pas-
peut être ça aussi ». sées que sa mère a eues pour concevoir un enfant : « C’est
Les transports et les longs trajets peuvent également être vrai qu’elle nous en parlait tout le temps, elle nous a tou-
évoqués par des femmes qui sont amenées à se déplacer jours dit qu’elle avait eu du mal, elle nous a toujours
pour leur travail ou par celles qui ont entrepris un voyage raconté cette histoire donc c’est vrai que moi j’ai pensé,
au début de leur grossesse : « On est parti en Pays X et on j’avais peur que pour moi ce soit pareil ». Pour d’autres,
n’a pas fait trop attention là-bas, parce qu’on ne pouvait c’est l’écartèlement entre le désir de maternité et les pres-
pas vraiment faire attention, ce que j’ai mangé, c’est pas sions liées à la fonction professionnelle qui est exprimé :
trop ça mais j’ai fait beaucoup de route par exemple, et les « J’ai toujours travaillé et bon je pense qu’effectivement les
routes là-bas, c’est pas comme ici, c’est vraiment chaotique femmes qui travaillent et qui ont une grossesse en parallèle
donc je me suis demandée si ça pouvait pas être lié à ça ». sont très sollicitées ». En s’interrogeant sur l’origine psycho-
gène de sa fausse couche, une femme a évoqué son histoire
L’absence de cause passée d’anorexique et son besoin de contrôle sur son corps :
« C’est surtout que j’ai peur que ce soit psychologique, que
ce soit parti [. . .] et du coup j’arrive à me demander est-ce
Les causes d’une fausse couche ne sont pas toujours connues
que je le veux vraiment ? ».
et si les médecins peuvent informer les femmes des raisons
Bien que très différents les uns des autres, ces points
médicales générales, ils ne peuvent pas toujours leur fournir
soulignent le poids du passé et de l’histoire personnelle
une explication concernant leur propre cas. Cette incerti-
des femmes dans l’expérience de la fausse couche et dans
tude est particulièrement difficile pour les femmes : « Ce
la survenue du sentiment de culpabilité. Une femme qui
qui serait bien avec les nouvelles technologies, c’est qu’ils
a déjà fait plusieurs fausse couche a alors mis en avant
sachent, qu’ils soient capables de voir ces choses là, qu’ils
l’importance du suivi psychologique dont elle a bénéficié :
puissent le dire le premier mois » ; « Au moins que je sois
« Je pense qu’on a tous nos bagages antérieurs et ça remonte
fixée, si on a une incompatibilité de chromosomes ou un
quand on passe le pas d’être mère ».
truc comme ça, qu’on le sache ». Cela est encore plus dif-
ficile lorsque les femmes ont fait plusieurs fausses couches
qui restent inexpliquées : « C’est vrai qu’à chaque fois c’est Différentes expressions du sentiment de
le pourquoi, pourquoi ? [. . .] de ne pas avoir d’explication
culpabilité
c’est vachement dur » ; « Si jamais on ne trouve rien, ce qui
est la plus forte probabilité, bon ben voilà, on va avoir peur
Si la culpabilité et le sentiment de responsabilité sont
pour la prochaine fois, en se disant après tout, ce n’est pas
fréquents après une fausse couche, il est important de pré-
parce que j’en ai fait trois que je ne peux pas en faire une
ciser qu’ils semblent avoir différents modes d’expression et
quatrième ».
que toutes les femmes ne les ressentent pas de la même
manière.
La causalité psychogène et les interprétations Les interrogations des femmes concernant la cause de la
psychologiques fausse couche les mènent rapidement à questionner leur res-
ponsabilité et ce sentiment semble inévitable pour plusieurs
Certaines femmes de l’échantillon ont évoqué une cause d’entre-elles : « C’est vrai qu’on se pose des questions quand
qu’elles ont qualifié de « psychologique ». Ainsi, le simple même, on y réfléchit, pourquoi c’est arrivé, on se demande
fait d’avoir pensé à la fausse couche pourrait en avoir été ce qu’on a pu faire » ; « Je vois toutes les copines, elles ont
la cause : « Parce que j’ai ma belle-sœur, ça lui est arrivé des bébés, tout va bien, qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » ;
le mois dernier et je me suis dit que peut-être le fait d’y « C’est vrai qu’on cherche toujours mais bon c’est normal
avoir pensé, psychologiquement, ça a atteint le fœtus et je pense » ; « Je me culpabilise un peu quand même, même
que c’est ça qui a provoqué. . . ». si normalement, il n’y a pas à culpabiliser, je ne peux pas
De même, les femmes relient souvent la perte de la gros- m’en empêcher ».
sesse à d’autres événements de leur vie et lorsqu’elles ont Cependant, la culpabilité apparaît parfois de manière
fait une interruption volontaire de grossesse dans le passé, sous-jacente. Par exemple, beaucoup de femmes expliquent
celle-ci ressurgit souvent lors de la fausse couche et peut au cours de l’entretien qu’elles prenaient toutes les précau-
accroître le sentiment de culpabilité : « Aujourd’hui c’est tions nécessaires concernant leur grossesse, justifiant leurs
différent mais c’est vrai qu’on repense à l’événement, il comportements et mettant ainsi en évidence leurs interro-
y a un poids qui fait que c’est beaucoup plus culpabilisant gations : « Moi je pense que je n’ai rien à me reprocher, j’ai
aujourd’hui » ; « Ça revient complètement et on s’en veut tout fait comme il fallait, j’ai fait très attention » ; « Moi je
énormément, parce qu’on se dit, celui-là il était là et tu ne fais de la rando d’équitation, et depuis trois mois je n’en fais
l’as pas gardé alors que s’il faut, il aurait tenu, et on s’en plus [. . .] j’ai vraiment pris toutes les précautions, toutes les
veut quoi, mais bon, ce n’était pas le moment ». L’arrêt précautions au niveau alimentaire, au niveau médicamen-
de la grossesse est alors ressenti par quelques femmes teux et au niveau de tout ».
comme une punition ou une conséquence de leur acte D’autres femmes cherchent à se protéger et ne sou-
passé. haitent pas avoir d’explication ou évitent de s’interroger
Enfin, bien que ne remettant pas toujours directement en sur la cause par peur de se sentir responsables, laissant là
cause leur responsabilité, au cours de l’entretien, certaines encore la culpabilité apparaître indirectement : « Si je me
femmes abordent des causalités psychogènes qui peuvent posais toutes ces questions, ça me rendrait malheureuse » ;
exacerber ou être à la source du sentiment de culpabilité. « Si jamais il y avait quelque chose, si c’était une cause
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comme ça que ce soit cigarette, alcool, je crois que je perturbe pour le reste, comme je sais que le psycho ça joue
préfèrerais ne pas le savoir ». vachement ».
en évidence le rôle capital de l’accompagnement et de la Comment vous êtes vous sentie dans les jours qui ont
disponibilité des soignants à l’égard des patientes. suivi ?
Si elles permettent d’expliquer l’inexplicable de la perte Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
de la grossesse, les raisons évoquées par les femmes peuvent Certaines femmes expriment qu’elles ont perdu un bébé,
néanmoins entretenir la culpabilité et contribuer à rendre d’autres une grossesse, pour vous que représente cette
l’expérience plus difficile. La culpabilité est en relation avec fausse couche ?
la nature ambivalente de tous les attachements. Un senti- Connaissez-vous les causes générales des fausses
ment de culpabilité passager est fréquent à la suite d’une couches ?
perte et il peut même être nécessaire au cheminement Avez-vous eu une explication concernant la cause de
du travail de deuil. En revanche, dans le cas de la fausse votre interruption de grossesse ?
couche, un sentiment de responsabilité excessif pourrait, Vous-même, avez-vous une idée de ce qui a pu se passer ?
en plus de la souffrance à laquelle il est lié, entraîner des Il arrive parfois que les femmes se sentent coupables
conséquences sur le projet, le déroulement et l’expérience après une fausse couche, avez-vous ressenti un tel senti-
de la grossesse suivante. Garel et al. [3] ont notamment ment ?
rapporté que deux femmes sur trois voyaient leur capacité Parlez-vous de la fausse couche avec votre conjoint ?
de mère remise en cause à la suite d’un avortement spon- Avez-vous parlé de la perte de votre grossesse à votre
tané. Une des préoccupations majeures des femmes à la entourage ?
suite de leur fausse couche est de faire face aux angoisses En parlez-vous souvent ? Vous sentez-vous soutenue ?
qui surviennent lors de la grossesse suivante. Le sentiment Avez-vous cherché des informations sur les fausses
de culpabilité et la souffrance ressentie par les femmes à la couches ?
suite de leur fausse couche pourraient entraver le processus Avez-vous partagé votre expérience avec d’autres
d’attachement envers l’enfant à venir et le sentiment de femmes ayant fait une fausse couche ?
capacité à être mère et il est donc nécessaire d’y attacher Avez-vous recherché du soutien auprès d’une associa-
une importance singulière. tion ? De votre médecin ? D’un psychologue/psychiatre ?
Lorsque le sentiment de culpabilité est trop important
ou trop durable, il peut attirer l’attention sur des problé-
matiques plus profondes et permettre de déceler un conflit Références
psychique non résolu ou réactivé par la fausse couche. De
plus, certaines femmes mettent en avant une cause psycho- [1] Garel M, Legrand H. L’attente et la perte du bébé à naître.
gène de leur fausse couche qui mérite d’être discutée. Les Paris: Albin Michel; 2005.
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leur histoire personnelle et les problématiques qui leurs sont Update Ob Gyns 2000;7:64—9.
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de génération, la maternité soulève de nombreux points qui
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pourront donner lieu à une élaboration plus approfondie lors Int 2004;25:543—60.
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femmes et d’accompagner celles-ci dans leur recherche
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appropriée et spécifique possible. [11] Gélis J. L’arbre et le fruit. Paris: Fayard; 1984.
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