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CHAPITRE 4 

APPROCHE METHODOLOGIQUE ET CIRCONSCRIPTION DU


CONTEXTE DE LA RECHERCHE
Introduction

Notre démarche méthodologique émane d’un protocole de recherche qui se base


essentiellement sur un ensemble des étapes, des outils de recherche que nous
allons adopter pour appréhender et saisir le mode vie des PSH ainsi que les
facteurs d’inclusion/d’exclusion des personnes en situation d’handicap dans la
société à laquelle ils appartiennent.

Nous présenterons dans un premier temps, le contexte où a dû prendre naissance


notre questionnement, notre problématique autour de laquelle s’articule notre
travail, les hypothèses qui l’orientent, nos motivations personnelles et
scientifiques qui fondent notre choix et le protocole qui définit un ensemble de
précautions méthodologiques que respectent notre démarche ( section1) La
deuxième section sera consacrée à la délimitation des échantillons ciblés par nos
enquêtes.

D’une part, celui visé par l’entretien semi-directif. D’autre part, l’échantillon
que nous allons sélectionner dans le cadre de l’enquête qualitative. Par ailleurs,
nous avons décrit le déroulement des enquêtes et les instruments exploités en
l’occurrence les questionnaires destinés aux présidents des associations œuvrant
dans le handicap et le récit de vie auprès PSH.

Il importe de souligner que nous allons également procéder à l’analyse de la


consigne selon laquelle les informateurs devraient raconter leurs expériences de
vie ainsi que le regard de l’ « autre » vis-à-vis d’eux. Nous allons enfin
expliquer les conditions dans lesquelles nous allons réaliser les enquêtes étant
donné les circonstances et les défis majeurs auxquels nous nous sommes
affrontés lors de l’entretien semi-directif avec les PSH et la question d’handicap
qui reste jusqu’à présent, chez certains, un sujet « tabou ». Eu égard à ce
contexte assez délicat, nous exposerons les différents écueils rencontrés au fil de
ce travail de terrain.
Section 1. Contexte et Motivations, Problématiques, Hypothèses et Objectifs

1. 1. Contexte et Motivations du choix

Ce travail de recherche s’inscrit dans un contexte assez particulier, Au Maroc,


comme dans le monde les PSH sont exposées à toutes formes d’exclusions et de
marginalisations, ce qui rend leurs participations dans la société est difficiles
voire impossible. En raison de la méconnaissance, la non compréhension, la
perception négative et la représentation du handicap qui sont multiples et se
diffère en fonction de groupe social et des normes sociales dominantes dans la
société. D’où Plusieurs qualification sont attribuées aux PSH tels que : l’infirme,
le fou, le handicapé, l’invalide …etc.

Cette conception reconnaisse le rôle décisif des facteurs de l’environnement de


l’individu, tout en mettant en exergue que le handicap se crée via l’interaction
entre les facteurs personnelles et ceux de l’environnement. Dans ce sens, comme
nous l’avons déjà signalé au 1er chapitre, il n y a plus du handicap mais des
situations du handicap. Le handicap n’est plus la responsabilité de l’individu
mais c’est celle de la société.

Ces facteurs environnementaux pourraient être facilitateurs/ obstacles. ils sont


parfois de :

 d’ordre juridique : les lois ne tiennent pas en compte leurs droits, comme
elles ne les protègent pas en cas de discriminations.
 d’ordre économique lorsque la situation de handicap exige une charge
supplémentaire et que la majorité de ces personnes ne disposent pas de
ressources financières pour recouvrir leurs besoins de santé, d’éducation
…etc.
 d’ordre de l’environnement physique : lorsque les personnes sont
confrontées l’infrastructure non accessible ce qui empêche leurs accès ou
réaliser les habitudes de vie.
 d’ordre culturel lorsque les normes sociales sont porteuses de croyances,
de stéréotypes, de préjugés, d’attitudes négatives et de représentations
sociales péjoratives vis à vis du handicap qui mènent à la stigmatisation et
à l’exclusion de cette frange de la société.
Pour assimiler cette situation des PSH, aussi fragile qu’elle soit, nous
reprenons le terme de « rite de passage » de Arnold Van en 1909, un
concept-clé pour mieux saisir la mutation à laquelle subit les PSH dans le
processus de tentation de résilience. Pour lui, ce rite se subdivise en trois
phases principales :
 -La phase de séparation : au fil de cette étape, l’individu vit séparé de
son environnement et sevré de ses occupations quotidiennes ; il est obligé
de se tenir isolé.
 -La phase de « liminarité ou liminalité » : étymologiquement, ce terme
désigne « seuil ». On l’appelle aussi « période de marge ». Dans cette
phase, l’individu se situe entre deux états différents; il s’agit ici d’une
phase de passage et de transition durant laquelle l’individu vit entre deux
états ou identités ;
 La phase d’incorporation :
Elle renvoie à un état de réintégration de l’individu dans son contexte
familial et social en reconstruisant une identité et un statut transformés. A
ce niveau-là, les PSH peuvent parvenir, grace aux facteurs familiaux,
sociaux et environnementaux, à un dépassement des complexes
psychiques et se trouver par conséquent dans la zone de la normalité dans
son environnement socio-culturel. Quelle fonction peut assumer donc la
médiation en contexte de handicap et dans quelle mesure cette médiation
peut parvenir à maintenir les PSH dans le lien social, indispensable pour
leur résilience ? Toutes ces différentes questions nous amènent à formuler
la problématique suivante.
1.2. Problématique :

De nombreux facteurs sociaux, culturels, économiques… s’interfèrent


pour permettre aux PSH de pouvoir trouver leur statut «normal » dans la
société. Hors, ce statut est loin d’être réalisé malgré les efforts fournis par
le ministère tutelle en partenariat avec l’entraide nationale et bien d’autres
partenaires. ……………………………………………

De là, découle notre souci d’examiner dans quelle mesure la


communication permet-elle de saisir l’expérience des personnes en
situation du handicap, et de l’orienter au profit de la reconstruction ?

1.3. Hypothèses

Trois hypothèses différentes mais complémentaires orientent cette


problématique :

Hypothèse 1 : La représentation sociale serait un obstacle à la


reconnaissance des PSH.

Cette hypothèse met en perspective une équation selon laquelle la


valorisation de l’image des PSH dans la société et la reconnaissance de
leur droit plein et entier serait la garantie d’une résilience réussie.

Hypothèse 2 : La participation sociale serait tributaire d’une


communication positive. Ceci doit commencer depuis le micro
l’environnement qui est la famille et l’entourage familial.

Comme nous l’avons signalé plus haut, le handicap est encore un sujet
tabou dans la société, puisque la plupart du temps, les personnes n’osent
pas en parler et ils se sont gênés d’en aborder les répercussions sur soi.
Même s’il y a des changements notables dans la vision de parler avec les
PSH, grâce aux médias et en l’occurrence aux réseaux sociaux, beaucoup
du travail reste à faire encore surtout dans les médias classiques comme la
télé ou les journaux électroniques suivis par une grande masse de gens.

Hypothèse 3 : La réalisation de la résilience dépendrait du discours sur


soi porté par la PSH. Puisque les facteurs de la réussite de la résilience ne
sont pas uniquement extrinsèques (facteurs familiaux et
environnementaux) mais aussi et surtout intrinsèques (facteurs
psychologiques). Les deux dimensions s’interfèrent et se complètent
parfaitement, la réussite de l’une dépend essentiellement de la réussite de
l’autre. C’est ce qui explique que certains PSH parviennent à réussir leur
résilience au moment où les autres n’y arrivent pas.

1.4. Le protocole de la recherche

L’objet de notre investigation consiste à examiner l’Etat des lieux et le


statut des PSH dans la société marocaine et les représentations que ceux-
ci ont sur soi ainsi que celles des « autres » à leur égard: en d’autres
termes, nous souhaiterions savoir comment les PSH se perçoivent et
perçoivent le monde via la situation à laquelle ils sont et à quelles
pratiques cela a donné lieu. Ensuite, il s’agit de voir en quoi la médiation
pourrait aider ces personnes vivant la rupture engendrée par le handicap.
La question principale qui oriente ainsi notre recherche est de voir en quoi
cette phase transitoire de rupture et/ou résilience, constitue un rite de
passage et de transition et quelles transformations en sont induites. Pour
circonscrire ce questionnement, nous apportons des précisions qui
définissent le protocole méthodologique et cernent le positionnement
épistémologique.

Il est à souligner que nous n’avons pas pour objectif de travailler sur la
vie des PSH en elle-même mais plutôt d’examiner les facteurs favorisant
la résilience et du coup l’intégration des PSH dans la société. Nous
portons notre attention prioritairement sur le processus d’intégrations des
PSH en inféodant tacitement les facteurs intérieurs et extérieurs dans le
but de passer de la phase de la normalité à l’anormalité.

Dans les limites de notre investigation, il s’agira de mettre en évidence le


fonctionnement des représentations sociales constituées par les PSH.
Cette expérience caractérisée par l’exception, d’une part ; d’autre part,
nous tenterons selon une approche mixte alliant étude quantitative et
exploration qualitative, de déceler les impacts de cette expérience
« pénible » et examiner comment les PSH se sont conduits face à cette
épreuve. - Précisons que dans ce travail, nous ne nous situons pas au
niveau des parents des handicapés même si ceux-ci ont, certes, vécu et
enduré l’épreuve de leur enfants.

Nous focalisons particulièrement l’expérience des étudiants marocains en


situation d’handicap. Nous nous sommes contentés par conséquent à
mener nos enquêtes auprès des étudiants marocains et les présidents des
associations œuvrant dans ce champ.

Autrement dit, nous voudrions examiner les enjeux liés à cette rupture sur
les plans personnel et pédagogique du vécu de l’étudiant en situation de
handicap. Le point de vue des parents peut être une source d’informations
précieuses concernant notre questionnement ; toutefois, tel n’est pas notre
choix. C’est une autre perspective de recherche qui mériterait d’être
exploitée. Pour mettre en évidence les enjeux qui sous-tendent le vécu des
PSH, nous avons construit notre investigation sur deux paradigmes qui
nous semblent nécessaires : le paradigme psychologique et socio-culturel.
Ces deux paramètres se complètent et élucident notre approche plurielle
qui prend en compte non seulement l’environnement et le microsystème
des PSH, mais également la dimension psychologique de la personne elle-
même. Autrement dit, la singularité de notre travail de recherche se traduit
par une approche de « dedans» via laquelle les PSH expriment ce qu’ils
ressentent vis-à-vis du monde qui les entoure.

Vu sous cet angle, la médiation consisterait à construire du lien, à agir sur


des représentations, à initier de nouvelles pratiques et à favoriser la
résilience. Toutefois, les limites de cette recherche ne nous permettent pas
d’interroger les pratiques de cette médiation en milieu familial pour
examiner quel rôle jouent les parents de près ou de loin dans ce sens.

1.5. Objectifs :

Notre investigation tentera de satisfaire aux objectifs suivants, dans les


limites que permet notre questionnement :

 Appréhender auprès des étudiants en situation de handicap la


complexité de leur vécu vu aux lunettes de handicap et les répercussions
que cela induit dans leur vie quotidienne.

.  Cerner les processus transformationnels induits par les facteurs


environnementaux et sociaux auxquels vivent les PSH

 Déceler les enjeux qui sous-tendent l’expérience des PSH en tant que
stratégie contre le refoulement.

Examiner le rôle de la médiation en tant que démarche favorisant la


résilience aux étudiants en situation d’handicap.

 La mise en perspective de la démarche rétroactive et inversée appelée


« approche de dedans» qui permet à la personne elle-même- sans une
personne médiatrice- de révéler ses sentiments et comment elle perçoit le
regard de la société.

 Ouvrir d’autres pistes de recherche sur l’accès des PSH aux services
publiques : santé, éducation, emploi, formation…et mettre en exergue
les obstacles qui bloquent leur accès et leur garantir l’accessibilité aux
services publics.

Section 2. Echantillonnage et méthodologie de recueil des données

2.1. L’échantillonnage

Nous avons mené notre enquête dans les établissements que nous
présentons dans le tableau suivant:

Tableau 5 : Listes des présidents des associations, œuvrant dans le domaine du


handicap, à rencontrer pour réaliser des entretiens semi directifs .

Nom de Lieu / ville Nom du N° : Date du Réaliser Pourqu Reporter


l’Association président Téléphone RDV ou oi ? au..
NON ?
INZGANE Mounir 0661285884
AMDDAH
Ass .ESSALAM

Taroudant Ali Moudaoui 0667998921

A.S.P.H

SEBT Abdrahim 0691811162


ASS ALAML ELGUERDAN BAHBOU

OULED MOUMEN 0672109065


TEIMA
ASS FADAA ARRIAAYA

Latifa 0666114002

ASS ibtissama OULED


TEIMA

ASS BASSMA OULED 0630623315


TEIMA
Rachid

ASS AIT MATHEN TAFRAOUT 0690893244

Samira

ASS CHTOUKA AZIZ 0661613807

ASS LE Défi TIZNIT Houssine 0618244611

ASS ALHANAN Tétouane Via Hossein


ASRIH

ASS DES PSH ZAGOURA HAFID 0661829534

ASS ALAMAL TATA ATMANE Via AEH


MAISSOU

AGADIR NORA VIA kerroum


Nora
ASS D’autisme

ASS des handicapés AGADIR ABDRRAHIM 0672172872


DRARGA

2.2 Critères du choix des associations interviewées

Notre choix des associations qui s’occupent des handicaps est dicté à un
ensemble de variants. Tout d’abord, nous avons collecté les associations
qui se trouvent dans la région de Souss Massa, étant donné que notre
investigation se coïncide avec la crise sanitaire du Covid19 et ses
retombées négatives qui rendent nos déplacements quasiment impossible.
Ce qui réduit naturellement notre champ de recherche à la région dont
nous faisons partie.

Vient, ensuite, le deuxième paramètre lié aux associations bénéficiant du


programme de la cohésion sociale lancé par le ministère tutelle dans le
cadre d’un partenariat avec l’entraide nationale. Notre échantillon est
constitué de dix associations dont deux ont refusé notre demande et
annulent le rendez-vous sans pour autant nous montrer un justificatif
comme le montre le tableau plus haut.

Il importe de souligner que, pour avoir ces pourcentages, nous avons dû


revenir à la charge plusieurs fois pour relancer les participants à l’enquête.
Rappelons à ce propos que selon Van Der Maren (2003), cette contrainte
de recueillir le nombre représentatif de l’échantillon peut s’expliquer en
ces termes : « Si l’ensemble des individus (que ce soient des sujets, des
situations ou des questions) est hors d’atteinte, on doit se résoudre à
travailler avec une portion d’entre eux. C’est à dire avec un échantillon
que l’on souhaite représentatif de la population visée »1

Or, le chercheur risque de ne pas satisfaire à cette contrainte de


représentativité pour des raisons relatives aux conditions d’accès à cet
échantillon en l’occurrence la résistance des répondants à participer ou la
confidentialité imposée par la nature du phénomène. Toutefois, des
chercheurs postulent que même réduit ou minoritaire, l’échantillon ne
manque pas d’intérêt informatif par rapport à l’objet d’étude. A cet égard,
Thévenin (1980 :60-61) stipule : « ce sont les fractions qu’il convient
d’étudier, sans doute, moins du point de vue de leur nombre que du point
de vue de leur situation, de leur statut ou de leur prestige (…)
Quelquefois, c’est un seul individu jouissant d’un statut particulier, à

1
Ibid, p. 321.
qu’il incombe de jouer un rôle acculturatif considérable : un homme de
religion, un enseignant »2

Signalons que les mesures sanitaires étaient pour nous un obstacle majeur,
qui, à cause des barrières sanitaires, nous a empêcher d’élargir le champ
au niveau national pour avoir une vision globale plus crédible et de se
contenter à l’aspect régional.

2.3 La consigne de l’entretien :

Il ne s’agit pas d’un questionnaire mais d’une liste de sujets importants, en


rapportant à la thématique du handicap, à aborder lors des entretiens avec les
responsables /les présidents des OPH (Organisations des Personnes
Handicapées) qui guident notre entretiens :

L’identité de l’interviewé :

Association : l’âge : Niveau


scolaire : Diplôme académique :
Ancienneté dans l’association :
Les sujets à aborder :
 Pourquoi la création de l’association ?
 Les objectifs prévus à atteindre par l’ OPH ?
 Que représente le handicap pour vous ?
 Que pensez de la question du handicap au MAROC ? Dans votre région
d’intervention ?
 Que pensez-vous de la scolarisation des enfants en SH, en terme des
démarches administratives, les comportements des profs / les parents
des élèves dites « normaux’ »…
 Quelles sont les activités proposées par votre association qui favorise la
reconnaissance des PSH.
2
Marc, B.: Le management interculturel, 1993, Paris, Nathan, p127
 Que pensez de l’employabilité des PSH : trouvent –ils facilement le
travail décent….
 Que pensez de la situation de la femme en SH dans la société / y a-t-il
des femmes en SH mariées ?
 Pourriez-vous nous décrire le regard /la perception que porte l’autre sur
les PSH /femmes en SH / Leur mariage /leur scolarisation …
 Quelles sont les obstacles rencontrées par les PSH dans leur quotidiens,
notamment les femmes en SH ?

Comme nous l’avons vu précédemment, huit présidents d’associations sur dix


qui ont répondu à notre rendez-vous d’entretien. Rappelons qu’il s’agit d’un
entretien semi-directif qui a pour objectif, comme le montre les questions ciblées
en haut, de guider les personnes interviewées vers tout ce qu’ils entreprennent
comme activités pour offrir aux PSH les moyens, non seulement logistiques
mais aussi le soutien psychique, leur permettant de passer de l’état de d’anormal
à l’état normal dans.

Bref, cet entretien semi-directif avec les présidents des associations en question
vise essentiellement à mettre en relief le rôle médiateur que peuvent jouer ces
dernières entre les PSH d’une part, et la société à laquelle ces personnes
appartiennent d’autre part. Ce qui nous permettrait par la suite d’en faire le
contraste avec les récits de vie des personnes en situation de handicap.

2.4 Méthodologie du recueil des données

Tout chercheur, après avoir défini les contours de son objet d’investigation et
clarifié son questionnement, est appelé à construire sa posture méthodologique
en arrêtant « sa boîte à outils ». A ce titre, Marc Bosch recommande « le
chercheur doit pouvoir clarifier ses propres préférences méthodologiques. Il ne
suffit pas d’écrire que l’on procède à une analyse interculturelle, encore faut-il
préciser « d’où l’on va parler » : du niveau de l’anthropologue, de celui du
sociologue, de celui du psychologue social ».3

Comme nous l’avons signalé plus haut (cf. Protocole méthodologique), nous
avons opté pour une double approche qui consiste d’une part, à examiner le
handicap en empruntant à l’anthropologie le concept de « liminarité » théorie
par Gennep. D’autre part, nous tenterons de mettre en évidence à la fois les
représentations que se font les étudiants en situation d’handicap à propos de leur
expérience et les pratiques auxquelles celle-ci a donné naissance. Par ailleurs, en
nous situant au plan sociologique, il s’agira d’interroger la démarche de la
médiation comme démarche tributaire aux associations œuvrant dans le
handicap.

Ainsi, trois questions déterminent le choix de nos outils méthodologiques :

- Quelles représentations sociales ont les étudiants marocains en situations de


handicap sur l’expérience de leur résilience? Et quelles pratiques ont mises en
place pendant cette période ?

– la résilience fonctionne-t-elle comme rite de transition entre un état de


perturbation et un état d’incorporation ?

- La médiation peut-elle se présenter comme démarche réparatrice du lien social


menacé par la rupture ?

Pour recueillir un corpus valide et consistant, nous avons fait appel à une
approche qualitative « C’est une méthode où le chercheur détermine sur la base
de réflexions théoriques ou d’enquêtes socio-structurelles préalables les
dimensions de comparaison. Leur croisement permettant de construire un
tableau des constellations qu’il prévoit d’étudier ».4

3
Marc, B.: Le management interculturel, 1993, Paris, Nathan, p127
4
BÜHLMANN & TETTAMANTI / Le statut de l’approche qualitative.p 195
Dans cette méthodologie, le processus de recherche suit généralement une
logique circulaire. Le chercheur alterne constamment entre la visite du terrain et
l’analyse du matériel récolté, dans le but d’utiliser les connaissances obtenues
pour réorienter la recherche (Strauss & Corbin, 1990).

Ce processus d’échantillonnage ouvert visant à maximiser les contrastes entre


les unités de recherche ou au contraire à consolider la connaissance d’un certain
type de phénomène par minimisation des différences est profondément marqué
par un esprit exploratoire et revient chaque fois à une sorte de voyage dans
l’inconnu.

En adoptant l’enquête qualitative, le chercheur s’offre la possibilité de


confronter les résultats issus du questionnaire à ceux récoltés via les récits de
vie. Cet instrument qualitatif permet d’approfondir en cherchant les
significations subtiles que les chiffres et les statistiques ne font que décrire.

Dans le cadre de notre investigation, nous avons opté pour cette double
démarche à la fois exploratoire par l’usage de l’entretien semi-directif, et
compréhensive en recourant au récit de vie. Notre ambition souscrit à ce
principe énoncé par De Ketele et Maroy (2006 :225 : « la vision la plus proche
de la réalité justifie l’association de ces deux paradigmes différents, mais
complémentaires ».

Ainsi, si le l’entretien semi-directif nous permettra de recueillir des données


qualitatives à propos des associations œuvrant dans le champ de le handicap et
ses différents enjeux et impacts auprès des participants aux enquêtes, le récit de
vie, en invitant ceux-ci à s’exprimer, à relater leur relation à cette expérience et à
rendre compte de leurs ressentis et de leurs expériences ainsi que de leur vécu
quotidien, nous sera d’une grande utilité pour saisir leurs attitudes et leurs
représentations et comprendre les pratiques engendrées par le vécu des PSH.

2.5 La préenquête
Travailler sur la question du handicap se présente comme un défi à relever voire
un pari à réussir pour diverses raisons. D’une part, nous avons choisi de mener
cette étude en pleine période « d’enfermement » généralisé. Se pose ainsi la
difficulté de savoir si notre choix est pertinent et faisable. D’autre part, nous
étions incertains d’obtenir l’implication des informateurs à parler de leurs
souffrances, de leurs vécus personnels.

Par ailleurs, à ce caractère privé, voire confidentiel de trente expérience de récit


de vie des personnes en situation de handicap dont l’ensemble sont des
étudiants, s’ajoute les mesures anti-coronavirus nous imposait une barrière à tel
point qu’il faudrait vérifier la possibilité de nous engager dans une telle
investigation. C’est en cela que la préenquête ne fut point un choix mais une
grande nécessité non seulement pour vérifier la validité de notre questionnement
et la pertinence de nos hypothèses mais aussi pour nous assurer de l’accessibilité
aux terrains d’enquête et aux répondants ciblés. L’enquête exploratoire permet
donc d’asseoir les bases fondamentales de la réalisation de l’enquête proprement
dit. Dans cette phase exploratoire qui a commencé en (avril 2019) pendant le pic
du Covid19 et s’étend sur toute la période de la crise sanitaire. Pendant ce
moment déterminant, nous nous sommes appuyés sur une approche formelle à
travers laquelle nous avons contacté difficilement quelques parents des PSH,
qui, après avoir entendu que nous faisons une enquête sur cette catégorie de
personnes et leur montré l’utilité de celle-ci sur l’avenir de leur enfants, ils
refusent catégoriquement sous différents prétextes dont le plus récurrent est la
volonté de ne pas exposer la personne en situation de handicap devant
« l’autre ».

Face à cette résistance de l’entourage familial, nous nous sommes trouvés dans
l’obligation de changer l’angle d’attaque en réorientant notre boussole vers les
associations qui s’occupent des personnes en situation d’handicap. Cette piste,
elle aussi, nous a amené nulle part, de par la complexité d’y accéder et prendre
contact avec les personnels de l’association afin d’organiser des rencontres avec
les PSH mais en vain. La plupart des présidents des associations ont montré leur
réticence vis-à-vis de notre demande, eu égard aux conditions pandémiques
qu’impose le Coronavirus d’une part, et d’autres considérations éthiques,
sociales et organisationnelles qu’ils préfèrent ne pas révéler en détail.

Pour ces considérations et bien d’autres, nous avons découvert les insuffisances
de l’approche formelle puisque ses résultats n’étaient pas tout-à-fait probants et
concrets. Par conséquent, nous avons reporté notre recherche-terrain à l’année
suivante(2021).

Notre deuxième tentative de rencontrer les PSH cette fois-ci a été brillamment
réussi grâce au recourt à l’approche informelle5 via personnes médiatrices (des
amis des PSH, des médecins, des professeurs universitaires…) par le truchement
desquelles les rencontres ont eu lieu. Cependant, il s’est avéré que notre
cheminement n’était pas aussi facile que l’on pense auparavant, car d’autres
défis d’ordre logistiques et organisationnels se posent avec acuité. En effet, Les
rencontres avec les PSH se sont déroulées dans des lieux publics qui respectent
au même temps leurs spécificités (passage des tapis roulants, les WC propres
aux personnes en situation d’handicap…). Dans cette perspective, beaucoup de
PSH ont voulu annuler notre rendez-vous sous prétexte des moyens du
transport. Nous nous trouvons obligés, par conséquent, de se déplacer chez eux
pour les amener au lieu du rendez-vous.

Pour une raison géographique et pratique, l’enquête exploratoire a été limitée


aux étudiants universitaires à la région de Sous Massa. Les trente récits de vie
ont concerné essentiellement quatre aspects : les représentations de la personne
handicapée, ses impacts, ses difficultés et les enjeux qui le sous-tendent.

5
Nous entendons par l’approche informelle, des canaux indirects, des médiateurs qui nous ont facilité
d’organiser des rencontres avec les PSH sans pour autant que ceux-ci aient des contraintes psychologiques et
de leur garantir l’anonymat de leur témoignage.
L’analyse des données recueillies nous a été d’une grande utilité car elle nous a
permis de dégager les informations suivantes :

-la nécessité de développer en items les questions relatives aux représentations


sociales à propos de l’expérience du confinement, celle qui porte sur les impacts.
-l’importance d’approfondir la question des enjeux et des difficultés de cette
expérience inédite.

-l’intérêt d’interroger la résilience et son rapport au vécu de cette expérience.

-L’utilité du rôle de la médiation en temps de rupture vécue par des étudiants


universitaires marocains.

. L’enquête qualitative par le récit de vie nous a ainsi aidé à améliorer notre
instrument méthodologique en ajoutant d’autres questions, en reformulant
d’autres, voire à supprimer certaines qui s’avéraient inadéquates.

Par ailleurs, cette outil méthodologique de recherche nous permis à développer


et enrichir notre analyse qualitative( l’entretien semi-directif), , nous avons tenu
à utiliser dans cette étape le récit de vie lequel nous semble un outil
méthodologique pertinent pour appréhender comment se vit le handicap sous ses
différentes formes par les étudiants. Nous pensons que le récit de vie peut aider
à mettre en lumière les univers mentaux, psychologiques, symboliques voire
culturels dont peuvent s’organiser les représentations et les pratiques.

Il importe de rappeler que dans cette phase, ce récit de vie a été orienté par une
consigne qui invite les répondants à raconter leur expérience de vie et à décrire
en quoi cette expérience a transformé ou non leur vécu en indiquant s’ils ont été
accompagnés par des médiateurs pour favoriser la transition entre une situation
de perturbation inhabituelle et une situation d’équilibre recherché.

La consigne à donner à la personne handicapée est de raconter son récit de vie


sur le handicap. Il est important que la personne handicapée décrive la manière
dont elle a fait face à cette situation, ses difficultés et ses réussites, et comment
elle a géré le handicap au cours de sa vie. Elle doit également expliquer
comment son handicap a influencé sa vie et comment elle a réussi à s'adapter à
sa situation. La personne handicapée doit également expliquer ce qu'elle a appris
et ce qu'elle aimerait partager avec les autres.

La consigne proposée initialement a été formulée comme suit : « Commencez


par prendre le temps de réfléchir à votre histoire et à ce que vous aimeriez
partager. Une fois que vous avez réfléchi à ce que vous aimeriez dire, prenez le
temps d'écrire votre récit. Vous n'avez pas besoin de le rédiger parfaitement,
vous pouvez le réviser à votre guise. Essayez de vous concentrer sur votre récit
de vie et sur la façon dont le handicap a affecté votre vie personnelle et
professionnelle. Vous pouvez également parler des obstacles que vous avez
rencontrés et des réussites que vous avez obtenues en dépit de votre handicap.
N'oubliez pas d'inclure vos réflexions et vos sentiments à propos de votre
handicap. Tu peux aussi parler de la façon dont le handicap t'a aidé à devenir
plus fort et à te développer en tant que personne

. Parle des personnes qui t'ont aidé et comment tu as pu faire face aux préjugés
de la société envers les personnes handicapées. Explique comment tu as appris
à t'accepter et à vivre avec ton handicap. Partage aussi les moments positifs que
tu as vécus et ce qui te rend fier d'être qui tu es aujourd'hui

En mentionnant la perception de la société sur le handicap et sur toi en


décrivant les gens qui t’ont considéré et comment cela t’a touché
personnellement ; parle des préjugés rencontrés et dites-nous comment tu as pu
faire face à la perception de la société et comment tu as réussi à te construire
malgré tout.

Veuillez répondre aux questions suivantes pour nous aider à comprendre votre
expérience du handicap :
1. Quels sont les principaux défis auxquels vous avez été confronté en raison de
votre handicap ? 2. Quels sont les domaines où votre handicap vous a le plus
touché ? 3. Quelles sont les solutions que vous avez trouvées pour surmonter les
obstacles liés à votre handicap ?? 5. Quels sont les plus grands avantages que
vous avez tirés de votre handicap ? 6. Quels conseils donneriez-vous aux
personnes handicapées qui souhaitent surmonter leurs difficultés ?
…) »

Convaincue de l’intérêt que présente le récit de vie, nous l’avons choisi comme
deuxième outil méthodologique en vue d’approfondir les informations obtenues
par l’entretien semi-directif et saisir les différentes significations données à
l’expérience de résilience à travers une approche subjective qui met le point de
vue personnel au cœur de notre questionnement sachant que le récit de vie
favorise plutôt une approche individuelle.

L’exploration par récit de vie a concerné trente étudiants universitaires. Il


importe de préciser que nous avons soumis la consigne à 120 étudiants. Malgré
nos multiples retours et nos rappels réitérés, nous n’avons obtenu que trente
récits de vie eu égard aux absences injustifiées des uns et le refus catégoriques
des autres.

Cette enquête exploratoire par récit de vie fut, pour nous, l’occasion de
découvrir combien cet instrument est délicat et combien c’est difficile de
mobiliser les répondants à se mettre à parler de soi. Cela nous a aidé à mettre en
évidence plusieurs aspects spécifiques soit au récit lui-même, soit à la nature du
phénomène que nous prétendons étudier, ou encore à la situation dans laquelle
s’inscrit cette étude.

Concernant la nature du récit de vie, il importe de souligner que, si ce dernier est


un outil précieux puisqu’il constitue la voie privilégiée pour accéder à l’univers
subjectif des PSH, il n’en demeure pas moins que son témoignage s’oppose à
une grande résistance de la part des informateurs. En tant qu’exercice difficile, il
semble que le récit reste une pratique peu investie dans le quotidien des PSH.
Certains nous avouent explicitement « je n’ai jamais une expérience pareille».
Quant à la nature du phénomène objet de notre recherche à savoir le vécu des
handicapés, il importe de souligner le caractère privé et confidentiel des
informations que sont invités à relater les répondants.

Parler de soi pour révéler ses propres sentiments, ses souffrances, c’est mettre à
nu son monde intime ou sa sphère privée. Le dernier point est relatif à la
situation dans laquelle nous menons notre enquête : en effet, l’informateur est
convoqué à parler de son expérience personnelle de sa vie publique mais aussi
privée autant que faire se peut. A cet égard, le recul par rapport à l’expérience,
grâce à l’extériorité qu’il offre, peut favoriser une certaine prédisposition de
l’individu à raconter sa souffrance, à décrire l’épreuve, voire à l’analyser.

Or, ce qui nous a incité à mener les enquêtes sur la vie des PSH, c’est justement
pour dégager le processus de rupture engendrée par cette expérience
exceptionnelle et pouvoir répondre aux objectifs de notre investigation.

Par ailleurs, il faudrait reconnaître que cette phase d’exploration a permis


également de réviser la consigne en apportant des précisions et une
reformulation de certains éléments6. Pour récapituler, nous soulignons que, eu
égard à la nature de notre objet de recherche caractérisé à la fois par son aspect
d’actualité et de confidentialité, l’enquête exploratoire a permis de réajuster
notre protocole méthodologique, de contourner les difficultés liées à la
formulation de nos questions et à être consciente des enjeux psychologiques,
symboliques et culturels de notre investigation. Les précautions et les mesures
qu’elle nous a aidé à prendre constituent la base de l’élaboration de l’enquête
proprement dite que nous présentons subséquemment.

2.6 L’enquête proprement dite : les outils de recherche

6
Nous présenterons cette consigne revue et réajustée dans la suite de ce chapitre
Le protocole méthodologique adopté emprunte donc une approche mixte. Car
d’une part, nous avons eu recours à l’entretien semi-directif ; d’autre part, pour
compléter et approfondir notre investigation, nous avons jugé pertinent et
nécessaire d’investir le récit de vie. Une telle complémentarité permettrait
d’enrichir la recherche et d’en déceler un contraste entre les déclarations des
présidents des associations des PSH et la réalité vécue et avouée grâce à
l’approche de « dedans »par les PSH. Il est à signalé que l’entretien semi-directif
que nous adoptons ici a un fait spécifique (entretien à réponses ciblées).

2.7 Présentation du récit de vie et consigne de production

Nous nous attarderons ici sur le récit de vie en tant qu’outil méthodologique
permettant d’accéder selon une approche « introspective » aux différentes
dimensions de l’expérience vécue par les PSH. Nous exposerons ensuite, la
consigne qui propose le cadre général de « narration » ou de mise en récit aux
sujets sans pour autant les priver de leur liberté de s’exprimer ; condition
essentielle qui garantit au récit son authenticité.

2.7.1 Le récit de vie, définition et enjeux

En quoi consiste le récit de vie ? Quelle en est la fonction et quelle utilité peut-il
présenter en termes scientifiques ? Mais également, quels enjeux le sous-tendent
? Comment le chercheur peut-il l’exploiter en tant qu’outil permettant
d’appréhender la complexité du réel ? Sachant que le récit de vie initie une
approche de l’intérieur de l’objet scientifique, comment favoriserait-il une étude
de cet objet à partir du point de vue « personnel subjectif » ? Selon Legrand
(1993 :180) le récit de vie est « l’expression générique où une personne raconte
sa vie ou un fragment de sa vie à un ou plusieurs interlocuteurs » en recourant à
son choix personnel soit à l’oral soit à l’écrit.

D’ailleurs, dans ce sens, Juan (1999 :119) le présente comme « discours libre
par lequel se déroule le film de l’existence ». De ce fait, il est l’outil privilégié
par le sujet pour replonger dans le parcours que retracent ses expériences
subjectives ancrées dans la mémoire. Mais à travers ce récit, le narrateur initie sa
propre relecture de la réalité. En mettant en exergue cette relecture personnelle
du locuteur-narrateur, Lalive d’Epinay (1983) cité dans Juan 1999 :119,
explique qu’en puisant dans sa mémoire, « il raconte en sélectionnant, donc en
taisant; il ordonne, valorise, hiérarchise donc élague, écarte, dévalorise » C’est
dire toute l’importance de cet outil à aller en profondeur dans le vécu subjectif
du sujet narrateur : cela aiderait à comprendre les manipulations opérées, les
choix faits et les transformations que l’expérience personnelle apporte au sujet.
Le récit de vie n’est donc pas une copie de l’histoire vécue mais une mise en
discours organisée par un « je » conscient qui reconfigure cette histoire et lui
trouve un « nouvel agencement » qui souligne les apprentissages qui en sont
induits.

Leray (2000: 4) dans cette perspective, précise que l’individu, via son récit,
construit « sa version à la fois singulière et sociale de vivre son humanité ».
Delphine Burrick souligne, à ce propos, que ce récit « fondamentalement
subjectif, il nous confronte à l’analyse de données fortement ancrées dans les
perceptions de celui qui se raconte. »7 . C’est en cela qu’il présente un intérêt
particulier permettant au chercheur d’aller plus loin dans son investigation en
faisant émerger les dimensions subjectives, identitaires de celui qui relate le
souvenir ou l’expérience.

Ainsi, le récit se présente comme « une source d’informations » précieuses non


pas sur le plan de l’histoire des événements vécus mais surtout au niveau du
profil identitaire qui se dessine grâce à au travail de réflexivité opéré par le
locuteur. Il s’agit selon Kaufmann d’une identité narrative constituée « de
séquences, le plus souvent très courtes, sans beaucoup de suite entre elles (...) »
dont le sujet élabore « l’idée d’une suite biographique qui fait sens »
7
Burrick, D., Une épistémologie du récit de vie, RECHERCHES QUALITATIVES –Hors Série– Numéro 8 – pp. 7-36,
2010
( Kaufmann, 2004 : 156-157) Or, outil méthodologique qualitatif, en quoi
consiste l’utilité du récit de vie ? Comment en tirer profit étant donné son
caractère délicat et complexe mettant le chercheur face aux enjeux de la
subjectivité et de la confidentialité.

Car d’un côté, le sujet face au chercheur, est producteur et objet de la narration ;
et de l’autre, le chercheur est appelé à convaincre ce même sujet à accepter de se
raconter authentiquement en lui assurant anonymat et confidentialité. Le récit de
vie a plusieurs avantages. En l’occurrence, d’après Rappaport (1987) cité par
Rhéaume (2008 :71), « il favorise le développement personnel des individus qui
s’y prêtent, il est un fondement à la vie cognitive et émotive, il est agent de
mémoire, il génère du sens et, enfin, il soutient, porte le processus de
construction identitaire » Au titre de tous ces avantages qui sont à la fois liés au
développement des dimensions psychoaffectives et à la construction de soi, le
récit de vie aux yeux de Leray (Idem. p4) laisse voir également la place cruciale
du lien social pour cette construction « car c’est bien la relation sociale […]
entre les personnes qui permet […] de se construire […] jusqu’à élaborer le
sens de son action à la fois dans la temporalité courte et dans le continuum de
l’Histoire »

En recherche scientifique, cet instrument qui permet l’accès au monde intérieur


du sujet narrateur, est, d’après Legrand (1993 : 182) « suscité à la demande d’un
chercheur à des fins de connaissance scientifique » Si le souci du chercheur est
évidemment de parvenir à la vérité des faits, le travail scientifique sur le récit de
vie le confronte d’après Lainé (2007 :143) à l’authenticité de ce dernier.

Cette authenticité, d’après le même auteur, constitue un « souci de fidélité


descriptive » La mise en récit, étant une opération spécifiquement subjective,
assumée entièrement par le sujet narrateur, ce chercheur est tenu, selon Delphine
Burrick (2010) à respecter le principe de « neutralité bienveillante ». C’est ce
principe qui garantit à ce type de corpus constitué de récit de vie sa valeur
scientifique. Celle-ci selon la théorie habermasienne sur l’agir
communicationnel (1987) se fonde sur quatre éléments essentiels :

- « L’intelligibilité » nécessaire à l’intercompréhension en tant qu’enjeu entre les


interactants.

- « La validité objective » qui repose sur le caractère véridique de l’énoncé

. - « La validité normative », qui renvoie à la justesse du récit et sa légitimité.

-Et « la validité subjective », qui réfère aux points de vue, aux ressentis du sujet
narrateur de l’expérience.

Cependant, ces quatre exigences ne sont pas toujours faciles à remplir. Selon
Legrand (1993) le récit de vie, en tant que corpus, est confronté à deux défis
majeurs : un récit de vie n’a aucune valeur en l’absence de détachement ou «
d’arrachement ». Le deuxième pose la distance réflexive comme condition sine
qua non en dehors de laquelle le récit de vie n’a aucune validité. Ainsi, le
détachement et la prise de distance réflexive constituent les fondements
indispensables du récit de vie et sa scientificité.

Les critères et les composantes du récit de vie

Nous souscrivons à la vision de Legrand (1993), qui postule que la consigne de


narration doit être formulée de façon ouverte en veillant à conserver un
minimum d’ambiguïté. Autrement dit, c’est grâce à cette ouverture et à cette
souplesse qu’on assure au sujet narrateur informateur une liberté d’expression ;
et donc, il va jouir de la possibilité et de la capacité de lire, de comprendre et
d’interpréter, via ses schèmes mentaux, cette consigne en s’appuyant sur les
informations qui lui ont été fournies sur le thème d’investigation.

La consigne que nous avons proposée à nos informateurs, en conservant la


flexibilité, s’articule autour d’axes importants dont le but est d’orienter le sujet.
La grille suivante reprend ces axes et en fonction des énoncés, précise les
paramètres de la consigne :

Tableau 11 : Axes fondamentaux de la consigne des récits de vie

Paramètres de la consigne Enoncé Paradigmes ou axes de rédaction

1. Définition du contexte Vous êtes une personne en Situer l’informateur dans le contexte général du
situation de handicap, vous demandé (comment on se perçoit et on perçoit la
combattez chaque jour société ?)
pour faire face aux normes
sociales « discriminants »
pour réussir votre
résilience

2. Etablissement du fait Ainsi, vous avez été On souligne à la fois les facteurs intrinsèques et
contraint(e) de façon extrinsèques qui influent son prise de décision
imprévue, de se mettre
face à un défi qui vous a
obligé de se cloitrer/ d’y
faire face»

3. Formulation de la . Commencez par prendre On définit les conditions du récit attendu


demande (requête) le temps de réfléchir à
votre histoire et à ce que
vous aimeriez partager

Une fois que vous avez


réfléchi à ce que vous
aimeriez dire, prenez le
temps d'écrire votre récit.

4. Précisions du contenu de Essayez de vous Relater le sens et la perception de le handicap ch


la demande (requête) concentrer sur votre récit PSH
de vie et sur la façon dont
le handicap a affecté votre
vie personnelle et
professionnelle.

En décrivant vos Exprimer les sentiments Exposer les difficultés


sentiments, les difficultés Relater les effets/conséquences
et les effets qu’elle a pour
vous (peur, panique, choc
émotionnel, stress,
solitude,… etc.)

et en expliquant en quoi le Rendre compte des transformations engendrées


handicap a modifié vos cette expérience
habitudes quotidiennes

comment vous êtes resté(e) Expliquer le type de médiation qui a permis de g


en lien avec vos proches, la relation avec la famille, les ami(e)s...
vos ami(e)s

5. Expression de la nouvelle Vous pouvez enfin, Définir, si possible, ce que le handicap a permis
vision exprimer la nouvelle construire comme vision future
vision que le handicap
vous a aidé à construire
pour la vie normale après

Le narrateur/ informateur se trouve ainsi clairement situé de telle sorte qu’il ne


risque pas d’être hors sujet en écrivant en dehors du cadre. Tout en jouissant
d’une souplesse, il a à sa disposition des éléments qui orientent sa narration. De
façon synthétique, les 5 paramètres peuvent être ramenés à trois points majeurs :
a. La contextualisation de la demande (1,2 et 3)

b. La circonscription du contenu de la demande

(4) c. La formulation de la nouvelle vision(5)


Il importe de noter que, formulée de cette façon, le narrateur/locuteur se trouve
situé dans l’esprit général de ce qui lui est demandé de raconter sans être
contraint à suivre scrupuleusement tous les points susmentionnés mais d’en
sélectionner ceux qui s’adaptent à son vécu étant donné que chaque informateur,
chaque informatrice peuvent avoir des expériences différentes.

Echantillon des récits de vie

Tableau 6: échantillon des récits de vie (nombre retenu)

Public cible Récits prévus Récits recueillis Récits rejetés R. Retenus

Etudiants
marocains en
situation de
handicap

Total

Comme le montre ce tableau, nous avions prévu au total X récits de vie. Or, en
dépit de nos rappels réitérés, malgré nos aller-retours auprès des informateurs
des PSH, nous n’avons pu récolter que X récits, soit X%. Après traitement
manuel des récits recueillis, nous avons été amené à n’en retenir que X au total.
Ce qui représente environ X/%. Le traitement appliqué à notre corpus a permis
de mettre en quarantaine X récits de vie. Ces Xrécits de vie ont été rejetés vu les
raisons suivantes :

Tableau 13 : Raisons de rejet des récits de vie

Nombre de récits Raisons de rejet

3 Ils racontent l’expérience en utilisant le pronom indéfini « on


»
8 Ils ne dépassent pas un paragraphe de 4 lignes et donc ils
manquent de consistance

10 Ils comportent des propos qui ne respectent pas la


déontologie et certains contiennent des insultes.

11 Ils adoptent majoritairement un point de vue général et


traitent leur expérience de handicap en se focalisant sur les
changements sur les plans social et économique et refusent
de répondre aux questions d’ordre personnelles

Ces 32 récits dérogent donc à l’esprit de la consigne et de ce fait, nous estimons


qu’ils ne peuvent être retenus dans notre corpus définitif. Ainsi, nous
soumettrons à l’analyse uniquement les récits de vie qui respectent l’esprit ou le
cadre général de la consigne de rédaction (soit X% de récit de vie.

Nous présentons ces récits de vie en Annexe. Or comment avons-nous pu


parvenir à recueillir ces récits ? Comment était-il possible de réussir ces
enquêtes sachant que les circonstances liées à la covid19, aux mesures barrières,
au confinement imposé constituaient un obstacle majeur face à notre entreprise ?
Pour rendre compte des difficultés de cette investigation nous consacrons le
point suivant à l’explication des conditions ayant marqué l’enquête consciente
que ces éléments peuvent impacter les données récoltées.

Conditions d’investigation en temps de confinement

Mener une recherche en plein contexte de crise sanitaire relève d’une gageure
difficile à réussir. En effet, d’une part, les mesures drastiques imposées par les
Autorités à tous les niveaux laissent au chercheur un accès limité aux terrains
pour effectuer ses enquêtes ; d’autre part, les conditions psychologiques et
morales liées aux risques épidémiques de la covid19 retiennent les informateurs
dans leurs bulles ou dans les limites de leurs zones de sécurité.

Notre investigation en elle-même constitue un grand défi qui consiste à nous


prémunir de ses risques et à respecter la vie des informateurs. Autrement dit,
cette recherche s’affronte à un paradoxe car, tout en travaillant sur les PSH, elle
semble contraindre le chercheur à trouver le moyen adéquat d’arriver aux
informateurs et les impliquer positivement dans son investigation sans
enfreindre ce confinement.

La question de l’accessibilité est encore plus sensible et plus délicate dans le cas
des étudiants en situation de handicap pour qui, la distanciation sociale s’ajoute
aux souffrances creusant ainsi un double fossé face au chercheur. Nous avons
ainsi été confronté à ce défi d’accéder au terrain pour rencontrer les étudiant(e)s
et effectuer nos enquêtes. Nos aller-retours, nos tentatives réitérées, ont pris
beaucoup de temps. Cela nous a pris presque 4 mois pour réussir à avoir
l’adhésion des étudiant(e)s à participer en acceptant de nous raconter leurs
expériences. Pour la majorité, nous avons eu recours à la technique de la
médiation : ainsi le pont a été établi avec les étudiant(e)s grâce à des médiateurs
qui jouissent d’un ascendant et d’une grande confiance auprès de nos
informateurs. Dans certains cas, la proximité de ces médiateurs par rapport aux
contextes de l’enquête a favorisé la collaboration des étudiants. Certaines PSH,
pour qui le déplacement serait difficile, nous leur facilitons la tâche en
réagissant via internet. Les récits nous sont parvenus ainsi sur notre courriel.

Il importe de souligner qu’au cours de nos enquêtes nous avons pu mettre en


évidence l’impact significatif de la pandémie et du confinement adopté comme
stratégie anti-covid. En tant que chercheur, nous avons mesuré combien les
hommes et les femmes sont saisis de peur et d’insécurité, qui n’aidait pas obtenir
les retours attendus. Des étudiant(e)s n’avaient même pas confiance en nous
quand nous les rassurions qu’il s’agit d’une recherche sur le confinement.
D’autres opposaient leur manque de disponibilité affective et affichaient leur
refus catégorique de participer. Face à ces conditions à la fois psychoaffectives
(l’ambiance due au risque épidémique) et matérielle (la frontière ou la distance
imposée par le confinement), le défi est de mettre nos répondants dans une
situation confortable pour qu’ils puissent s’exprimer librement et de façon
spontanée et relater leurs expériences. A cet égard, et après les efforts déployés,
nous pouvons répartir ceux et celles ayant réagi à notre appel, en deux catégories
distinctes :

La première a préféré rendre compte de son expérience en rédigeant les récits


via Mail. Ces étudiants ne sont pas nombreux mais leur argument est que cette
voie leur évitent le déplacement et garantit l’anonymat des productions. La
deuxième catégorie a accepté de se déplacer pour nous fournir les récits à
travers un contact directe. Il importe de rappeler que tous les étudiants ont
procédé par réponse via la rencontre directe. Nous avons ensuite traité leurs
productions pour supprimer toute trace révélant leur identité personnelle (nom et
prénoms notamment).

Déroulement de l’enquête

Les enquêtes constituent un moment crucial puisqu’elles déterminent le sort et la


qualité de la recherche tout entière. Eu égard à l’état d’Urgence et aux mesures
de sécurités en vigueur, il nous incombait de réussir ces paris importants :
accéder aux informateurs et aux terrains d’enquêtes puis réussir l’administration
des outils de collecte des informations. Nous rappelons tout d’abord que
l’enquête qualitative a eu lieu après la période de pic qui a suivi les premiers cas
covid 19, déclarés au Maroc ; c’est-à-dire entre mi-janvier au mois Mai Cette
première phase s’étale donc sur une durée de 4 mois et demi.
Tableau 14 : Déroulement et durée d’enquête (qualitative et quantitative)

Types d’enquête durée

Par récit de vie De Janvier à fin Mai 2021

Par entretien semi-directif De début juillet au fin Décembre 2021

Comme le révèle ce tableau, l’enquête qualitative s’est étalée sur une durée plus
importante alors qu’elle n’a concerné initialement que 60 étudiant(e)s. Sur ce
nombre, 30 qui ont participé. Toutefois, pour l’entretien semi-directif, nous
avions eu 10 retours. Ces données montrent la difficulté liée à la nature de
l’enquête par récit de vie qui implique l’informateur dans un processus de va-et-
vient non seulement afin de mettre en narration son expérience mais qui plus,
l’introduit dans un travail de réflexion et d’introspection demandant une
disponibilité et une adhésion à l’idée d’écrire sa souffrance ou ses ressentis.

L’administration des entretiens semi-directifs :

Comme nous l’avons susmentionné, il ne nous était pas aisé d’accéder ni aux
terrains d’enquêtes ni aux populations cibles. En plus du confinement, de la
distanciation sociale et des mesures hygiéniques. Face à cette réalité
décourageante, nous avons dû recourir à des médiateurs surtout des étudiants et
des enseignants pour établir les premiers contacts avec les PSH et celles qui se
porteraient volontaires à participer à notre enquête. Nous avons ainsi pu
identifier un premier effectif d’étudiants en situation de handicap à travers cette
médiation sans toutefois parvenir à l’échantillon souhaité (sur 60 nous avons
repéré 30seulement). Pour obtenir le nombre nécessaires, nous avons dû
diversifier les voies d’accès aux différents étudiants.

Pour cela, nous avons réélaboré l’entretien-semi directif sous Google meet pour
contourner les contraintes du confinement d’un côté, et pouvoir récolter un
échantillon important d’entretiens, de l’autre. Le tableau suivant présente les
types d’outils utilisés dans la collecte des informations par entretien semi-
directif :

Tableau 15 : Types d’outils utilisés dans la collecte des informations par


questionnaires

Moyens de diffusion Nombre d’entretien récolté

Assisté ou en face à face 20

Google meet 3

Watsup 7

Total 30

Nous devons souligner ici la grande difficulté à pouvoir administrer les


entretiens directement. Les conditions contraignantes liées à l’état d’urgence
décrété et au confinement, ont empêché plusieurs étudiant(e)s à être au rendez-
vous. Face à cette réalité, nous avons eu recours aux techniques de vidéo-
conférence comme ceux mentionnés ci-dessus. C’est grâce à ces moyens de
diffusion variés qu’il nous a été possible d’obtenir le taux de l’échantillon
escompté.

Réalisation des récits de vie : une entreprise éprouvante


Quant au récit de vie, si l’obtention de l’adhésion de quelques étudiant(e)s)-ceux
qui acceptent notre rencontre par le truchement d’un médiateur- ne présentait
pas de difficulté, le refus des autres était presque majoritaire. Curieusement,
nous avons trouvé chez les étudiants (via médiation) une grande prédisposition à
s’engager dans cette mise en récit de leurs expériences avec le handicap.

Ce désir de se raconter est plus significatif chez les étudiantes notamment.


Concernant les garçons, nous avons dû revenir à la charge et la majorité nous
ont envoyé leurs récits sur notre adresse électronique avec un compte portant
leurs pseudonymes mais le texte joint comporte les initiales du nom de
l’informateur/locuteur. Ce choix peut être justifié par le caractère privé de
certains contenus racontés. Nous avons ainsi recueilli 30 récits.

Toutefois, l’enquête par récit de vie auprès des étudiant(e)s était une vraie mise
à l’épreuve. Nous avons dû relancer maintes fois vainement. Beaucoup étaient
récalcitrants, d’autres n’y voyaient aucun intérêt ; des étudiants considéraient
notre demande comme une volonté d’intrusion dans leur vie intime. Bien plus,
nous avons été confronté à des étudiants qui demandaient à être récompensés
pour répondre à notre appel. Certains refusaient catégoriquement car leur état
affectif et moral ne les prédisposait point à raconter ou à parler. Devant cette
situation délicate, nous avons risqué d’abandonner cette démarche n’était
l’insistance de notre encadrant pour qui toutes ces réactions donnent déjà une
première idée sur l’importance cruciale de cette catégorie de personnes( les
PSH) et renseignent sur sa complexité et les enjeux qui le sous-tendent. Afin de
dépasser cet obstacle, il a donc fallu faire intervenir des personnes médiatrices
pour faire adhérer les étudiants étrangers à notre enquête. Grâce aux
intermédiaires, nous avons reçu 30 récits. Parvenir à ce corpus de récits n’était
pas une tâche aisée. Au-delà, de la situation épidémique et des mesures barrières
en vigueur, la nature de notre objet de recherche relative à l’expérience
personnelle des PSHse présente comme un défi à relever. C’est cette dimension
que nous allons traiter pour expliquer les enjeux de cet objet et les écueils de
l’enquête.

Enjeux et écueils de l’enquête

Réussir à faire parler des étudiants nécessite savoir-faire, doigté et tact. Mais
cela passe aussi par le respect de principes déontologiques qui garantissent un
rapport favorable entre l’enquêteur et les informateurs. Au fil de nos enquêtes
nous avons, par conséquent, souscrit aux principes que nous présentons ci-
après :

a- Le participant ne s’engage à répondre que s’il consent librement et de façon


éclairée ;
b- b- Le participant doit être informé clairement sur les finalités et les résultats
de l’investigation ;
c- c- Le participant a le droit de comprendre suffisamment toute information
relative aux contenus de l’enquête ;
d- d- Il est impératif que l’enquêteur respecte scrupuleusement le principe de
confidentialité dans le déroulement de l’enquête. Dans ce sens, nous avons
veillé à maintenir l’anonymat et à le préserver et conserver le caractère
confidentiel du corpus brut qui nous a été remis. Bien que nous ayons
explicité tous ces éléments déontologiques, nous avons rencontré trois types
d’écueils :
a- L’indisponibilité des informateurs :

En effet, la majorité des étudiants en situation de handicap déclarent leur


indisponibilité soit parce qu’ils suivent des cours soit ils refusent notre rencontre
en justifiant leur indisponibilité par des alibis indéfendables. D’autres surtout
ceux et celles qui résident loin d’Agadir (lieu de nos enquêtes) n’étaient pas
encore rentré(e)s.

L’attitude de résistance
De nombreux étudiants même s’ils ont signifié leur accord de principe de
contribuer à l’enquête par récit de vie, affichaient une grande résistance face à
notre désir de les impliquer et considéraient le fait de relater leurs expériences
du comme un acte relevant de la vie privée. Un nombre important dont
l’expérience était dramatique (perte d’un parent ou d’un être cher, séparation
avec un (e) conjoint(e),...) n’osaient pas en parler même s’ils étaient dans le
besoin psychologique de raconter à une oreille bienveillante, nous expliquaient-
ils

b- Le manque de confiance :

Certains en situation de handicap, n’avaient pas confiance en nous et se


demandaient à quoi allait servir notre enquête, pourquoi nous voulions les
interroger. En dépit de notre transparence à ce sujet et malgré les justificatifs
présentés, ces étudiants demeuraient méfiants à notre égard.

c- Le refus catégorique injustifié :

Le comble est que beaucoup d’étudiants en situation de handicap, ne voulant


même pas savoir en quoi consiste notre enquête, rejettent notre demande
refusant toute discussion. Tous ces facteurs réunis révèlent en fait la sensibilité
de notre objet de recherche mais aussi les conditions spécifiques au contexte
engendré par la covid19 et l’hyper sensibilité au sujet du handicap. Ces
différentes contraintes aussi bien psychoaffectives que morales et matérielles,
nous invitent à nous poser la validité des informations recueillies et à
l’interprétation des résultats de nos investigations. C’est ce que nous allons
exposer.

Validité des informations et interprétations des résultats

Le questionnement autour de vécu des PSH dans une perspective de « dedans »


non exempte de risques touchant à la validité des informations issues des
enquêtes de terrain. En effet, le chercheur se doit d’être vigilant pour se
prémunir contre toute implication subjective pouvant compromettre les résultats
obtenus et l’interprétation qu’il en fera. S’agissant pour nous d’approcher par
une méthodologie mixe, alliant entretien semi-directif et récit de vie,
l’expérience des PSH et leurs représentations vis-à-vis de la société dans
laquelle ils vivent, il importe de rappeler que notre objectif est d’analyser les
impacts et les enjeux de cette 60 expérience chez des étudiants en situation de
handicap.

Se présentant comme une déficience physique, mentales, ou sensorielles . Le


handicap impose un effort de réadaptation, une remise en question d’un mode de
vie au profit d’une nouvelle façon d’être ; et invite à un questionnement autour
des valeurs, des représentations, voire des enjeux liés aux représentations et à
des actions de contournement ou à des comportements de résistance.

Ceci dit, loin de nous est donc l’intention de verser dans une entreprise
comparatiste car comme le stipule Todorov « Théoriquement et
méthodologiquement, la comparaison est dangereuse »8 Le phénomène que nous
interrogeons appelle ainsi cette prise de conscience que la place qui revient au
chercheur dépend largement de la démarche que ce dernier adopte pour
comprendre ce phénomène. Alain Theres, à cet égard, se demande « Comment
découvrir alors ce qui est ou me serait caché ? Quelle démarche, quel outil
méthodologique pour me permettre cette exploration ? De nouveau, la question
de mon statut, ma place s’impose. Il faut pouvoir et vouloir bouger, se déplacer,
physiquement, culturellement, psychologiquement, en un mot se décentrer »9 .
Analyser l’expérience des PSH suppose l’accès à la sphère privée des individus
pour mettre en surface leurs difficultés, leurs souffrances. Rendre compte des
effets de la rupture engagée par cette expérience, c’est alors entreprendre une
action délicate et complexe qui pour « recueillir un discours sur ces objets,

8
Le Français dans le monde 181, 1983 : 41, cité par Todorov 1986, p 11
9
Thers, A. : Le chercheur en psychologie interculturelle: entre objectivité et subjectivité In Les Cahiers
Internationaux de Psychologie Sociale, Numéro 99-100 | pages 314 à 324, PUL, p7
requérait d’être invité chez les personnes et être autorisé à pénétrer leur
intimité. Cela signifie donc avoir avec la personne une relation qui (me) renvoie
à une place particulière » Laplantine (2001 : 194) insiste à ce propos sur « la
distance à prendre, car c’est le propre du langage, et en particulier du langage
scientifique, que d’agir dans le sens d’une séparation » Le chercheur, en effet,
quand il s’aventure à étudier un objet mêlant dimension culturelle symbolique et
dimension psychologique, est contraint à une double démarche : la première
consistant en « la compréhension par le dedans » ; la deuxième réside dans la
construction et le respect d’une distance ou de ce que l’anthropologue français
Laplantine appelle « la compréhension par le dehors » (Ibid.195)

En réussissant ce double mouvement psychocognitif, le chercheur s’assure un


degré de fiabilité et de validité des interprétations qu’il fera subir aux résultats
de son investigation. Etant donné que le confinement soulève la question des
frontières non seulement territoriales mais aussi morales et psychologiques, nous
sommes conscientes de l’importance cruciale qui revient à notre propre posture
et les effets déterminants qu’elle pourrait avoir sur notre approche. Nous
sommes, en conséquence, appelé à saisir les enjeux qui sont liés non seulement à
facteurs extérieurs et à l’aspect psychologique induits par l’expérience
subjective des PSH, mais aussi de ceux relatifs à notre propre posture en tant
que chercheure. Ces précautions épistémologiques et méthodologiques sont
indispensables car notre objet d’étude interroge à la fois le paradigme des
représentations et la dimension psychologique : en effet, le handicap questionne
en même temps les représentations des individus et leurs ressentis
psychoaffectifs sachant que les PSH n’ont pas la même expérience ni même le
même ressenti vis-à-vis de leur handicap. Par ailleurs, pour circonscrire
clairement notre problématique, il importe de passer à la phase d’analyse et
discussion des résultats pour contourner le degré de granularité entre les
déclarations des présidents des associations œuvrant dans le champ de handicap
et le vécu réel des PSH, qui par le truchement duquel, nous débouchons vers une
éventuelle résilience de cette catégorie de personnes.

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