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CENTRE DE TELE-ENSEIGNEMENT
M1 GESTION
RELATIONS SOCIALES
COURS et ANNEXES
Françoise PIERS0N
2011-2012
Les contenus d’enseignement fournis aux étudiants dans le cadre de leur
formation restent la propriété des enseignants. Ils ne doivent, sous
aucune forme, être réutilisés à des fins autres que la formation. En
particulier, la publication sur Internet de ces documents fournis est
formellement interdite.
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UNIVERSITE DE FRANCHE-COMTE
MASTER 1 « SCIENCES DE GESTION »
COURS DE FRANCOISE PIERSON
RELATIONS SOCIALES
POLYCOPIE
ANNEE UNIVERSITAIRE 2011 / 2012
Ce polycopié comprend :
Le plan du cours,
Une bibliographie,
Le cours présenté sous forme de chapitres distincts.
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PLAN DE COURS
INTRODUCTION
1) Définition des relations sociales
2) Objectifs du cours
3) Plan
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3) Les conséquences du harcèlement moral
a) Pour la victime
b) La gestion du harcèlement moral
C) Les conflits collectifs
1) Rappels juridiques
2) Etat des lieux de la conflictualité collective française
3) Tentative d’explication
4) Quatre modes de gestion des conflits collectifs
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BIBLIOGRAPHIE
1) OUVRAGES
Adam G. (2002), La refondation sociale à réinventer-Le renouveau du dialogue social au
coeur du débat public, Liaisons, Paris.
Crozier M., Friedberg E., L’acteur et le système – Les contraintes de l’action collective,
Paris : Editions du Seuil, 1977.
Fillieule O. et Péchu C., Lutter ensemble – Les théories de l’action collective, Paris :
L’Harmattan, 1993.
Groux G., Vers un renouveau du conflit social ?, Paris : Bayard Editions, 1999.
Hirigoyen M.-F., Malaise dans le travail - Harcèlement moral, Paris : Syros, 2001.
Lhuilier Dominique, Placardisés – Des exclus dans l’entreprise, Paris : Seuil, 2002.
Morel C., La grève froide - Stratégies syndicales et pouvoir patronal, Paris : Les Editions
d’Organisation, 1981.
Pélissier J., Supiot A., Jeammaud A., Droit du travail, Dalloz, 2011.
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Reynaud J.-D., Sociologie des conflits du travail, Paris : PUF, « Que sais-je ? », 1982.
Reynaud J.-D., Les règles du jeu – L’action collective et la régulation sociale, Paris :
Armand Colin, 1997.
2) REVUES
3) ADRESSES INTERNET
www.travail.gouv.fr
www.anact.fr
www.liaisons-sociales.com
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INTRODUCTION
1) DEFINITION DES RELATIONS SOCIALES
En Sciences de gestion, les relations sociales sont les relations qui prennent place
entre deux ou plusieurs acteurs au sein d’une organisation. On parle aussi de relations de
travail, de relations professionnelles ou encore de relations industrielles (« Industrial
Relations »). A l’occasion du cours, nous utiliserons indistinctement ces différentes
expressions. Il s’agit d’un domaine bien spécifique de la Gestion des Ressources
Humaines qui joue un rôle très important dans les entreprises (bien qu’en France il existe
peu de spécialistes de ce domaine en Sciences de gestion). Les relations sociales sont
pourtant très importantes en gestion puisqu’elles ont trait notamment au processus de prise
de décision au sein de l’organisation. On peut en effet distinguer les décisions unilatérales
(prises par un seul individu du fait de sa position hiérarchique) et les décisions négociées
(au sens large) c’est-à-dire qui supposent une communication dans l’entreprise avec
d’autres acteurs (salariés directement ou encore leurs représentants). Il s’agit d’un sujet
d’actualité qui concerne par exemple la formation professionnelle ou encore les 35 heures.
Mais nous verrons qu’il ne touche pas seulement des aspects sociaux de la gestion mais
aussi des aspects plus économiques ou organisationnels : par exemple, les tensions qui
peuvent apparaître entre deux ou plusieurs services dans une entreprise (par ex, le service
marketing et le service production). A l’occasion de ce cours, nous nous intéresserons
beaucoup aux conflits et aux phénomènes de pouvoir et cela à tous les niveaux : sur un
plan collectif mais aussi sur un plan interindividuel.
Au niveau de l’organisation, on peut définir les relations sociales de la manière
suivante : il s’agit des relations qui se nouent entre quatre catégories d’acteurs : la
Direction, les salariés, les Institutions de Représentation du Personnel (IRP), et
l’encadrement.
DIRECTION
INSTITUTIONS DE
ENCADREMENT REPRESENTATION
DU PERSONNEL
SALARIES
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2) OBJECTIFS DU COURS
En fait, nous voyons bien ici que l’enjeu essentiel (et notamment l’enjeu
gestionnaire) est celui du passage de l’individuel au collectif. A l’occasion de ce cours,
nous étudierons ainsi la problématique de l’action collective qui est une problématique
essentielle des sciences sociales et peut-être la problématique essentielle des relations
sociales. Il s’agit de s’interroger sur les raisons pour lesquelles un phénomène collectif
apparaît. Par exemple, pourquoi une grève se déclenche-t-elle ? S’agit t-il d’une somme de
décisions individuelles (chaque salarié ferait un calcul et déciderait totalement librement
de se mettre en grève) ou résulte-t-elle de phénomènes d’influence entre personnes voire
d’une simple appartenance à un groupe qui conduirait chacun à décider d’agir dans le
même sens que les autres membres du groupe par conformisme ou parce qu’il partagerait
les mêmes valeurs que les autres membres de ce groupe. Dans ce dernier cas, l’individu ne
se rend pas compte que son comportement est déterminé. On aborde cette problématique
principalement en sociologie (et en psychologie sociale) mais aussi en économie. Il s’agit
d’une question déterminante en Sciences de gestion puisqu’une entreprise (et plus
généralement une organisation) est un collectif. Le rôle du gestionnaire est de gérer ce
collectif et de faire en sorte qu’il atteigne ses objectifs (économiques notamment). Peut-on
considérer que l’objectif d’une organisation n’est que la somme d’objectifs individuels ou
est d’une autre nature ? Nous verrons qu’en fonction de la réponse que nous apportons à
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cette question, les actions gestionnaires mobilisées seront différentes. En outre, il est
possible de se demander si les conflits (individuels ou collectifs) sont susceptibles de
mettre à mal l’atteinte par une organisation de ses objectifs. Comment faire pour que ce ne
soit pas le cas. Il faut donc avant tout comprendre comment les acteurs (individuels ou
collectifs) qui le composent agissent. Une grève est d’une certaine façon une rupture de
l’action collective poursuivie par une entreprise puisque certains de ses membres ne sont
pas en accord avec les objectifs poursuivis par l’entreprise. Pourtant, la grève est en elle-
même une action collective.
Etudier les relations interindividuelles de travail (ou même les relations
collectives), suppose que l’on s’interroge également sur la nature de ces relations. La
question qu’il faut se poser est la suivante : les relations de travail sont-elles par essence
des relations harmonieuses ou des relations conflictuelles ? On peut en effet considérer
que le conflit est présent à tout moment au sein d’une organisation et que la collaboration
au sein d’une entreprise (et plus généralement d’une organisation) ne va pas de soi mais
est le résultat d’une construction. Il est possible également de considérer que les relations
humaines et sociales sont par essence harmonieuses et que le conflit n’est qu’un accident.
Il existe une autre raison pour laquelle on peut analyser la question des relations
sociales à partir de différentes approches : en effet, une des caractéristiques essentielles de
ce domaine est d’être pluridisciplinaire voire interdisciplinaire : on peut en effet adopter
une approche juridique, économique, sociologique et psychosociologique. En France, ce
sont plutôt les approches sociologiques et juridiques qui dominent. Ce sont aussi celles
que nous retiendrons à l’occasion de ce cours.
Ce cours est donc une suite logique du cours de « Management des relations
professionnelles » de L3 AES-AGE mais peut-être suivi indépendamment de celui-ci. Il
n’est donc pas nécessaire d’avoir suivi le cours de L3 AES-AGE. Il vient en complément.
Afin de mieux appréhender la question de l’action collective qui est donc centrale
dans ce cours de M1, nous avons choisi d’illustrer notre propos de cas pratiques. Il ne
s’agit pas seulement d’exemples mais de situations concrètes dont la lecture est nécessaire
et qui sont susceptibles d’entraîner chez le lecteur de la réflexion personnelle. Ils ont aussi
pour objet d’illustrer certaines approches théoriques. Sur un plan pédagogique, nous
conseillons à chaque étudiant de lire le cas puis d’y réfléchir seul environ ½ h ou 1 h. Il
pourra ensuite se reporter à la proposition d’analyse que nous fournissons en annexe mais
qui n’est qu’une solution parmi d’autres. Cette recommandation pédagogique est surtout
applicable aux cas « Barnel » et « Le déménagement de la cage ».
3) PLAN
Afin de traiter de la question des relations sociales en Sciences de gestion et de
l’action collective en particulier, nous approfondirons dans un premier temps la
problématique de l’action collective (I) puis dans un second temps sa gestion (II).
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I) LA PROBLEMATIQUE DE L’ACTION COLLECTIVE
Cette première partie a pour objet de cerner la problématique de l’action collective
(et de l’action organisée) en étudiant les différentes manières de l’appréhender.
ALPOBOIS
L’entreprise Alpobois emploie 120 salariés et est située dans les Alpes. Elle
fabrique des meubles en bois destinés aux particuliers. Elle est réputée pour son savoir-
faire et la qualité de ses meubles à travers toute la France. En ce jour de juin, tandis que la
sonnerie retentit et annonce l’heure du déjeuner, des salariés se rassemblent dans le
réfectoire de l’entreprise et affichent clairement leur mécontentement.
Gaston Jostand est dans l’atelier de montage. Il a 57 ans et est salarié de
l’entreprise depuis 37 ans. Il a appris son métier sur le tas et a progressivement gravi les
échelons dans l’entreprise. Il y a 2 ans, il a été promu chef d’atelier et encadre désormais
une équipe de 15 ouvriers.
Tandis qu’il se prépare pour aller déjeuner, Gaston entend des voix s’élever du
type « On nous prend pour des ânes » et même « Mon chef m’en demande toujours plus.
Nous les ouvriers, on nous traite mal. Mettons-nous en grève ». Gaston comprend alors
qu’un mouvement de grève est déclenché parmi les ouvriers et concerne différents ateliers
de l’entreprise dont l’atelier de montage. Il entend soudain « Viens avec nous, Gaston !!! »
Le mouvement de grève dure et Gaston ne sait que faire. Après deux jours de
réflexion, il décide de soutenir le mouvement mais il ne parvient pas à convaincre les
autres chefs d’atelier.
Que dire de cette grève et de cette décision prise par Mr Jostand ? Que proposez-
vous pour gérer ce mouvement ?
On peut distinguer deux pôles explicatifs distincts qui proposent tous deux une
manière de comprendre les phénomènes collectifs et donc de gérer des difficultés telle que
celle qui apparaît au sein de l’entreprise ALPOBOIS.
Il faut préciser quand même que la grève n’est pas le seul phénomène collectif qui
peut apparaître au sein d’une organisation. On peut, à l’inverse, s’interroger sur la bonne
entente qui règne entre plusieurs salariés et ainsi essayer de faire en sorte que cette bonne
entente perdure. De même, on peut dire aussi que si plusieurs salariés se mettent en grève
ensemble c’est bien qu’il existe une certaine entente entre eux. Si l’on veut gérer cette
grève, il va donc, dans un premier temps, falloir comprendre les raisons de cette entente.
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a) L’individualisme méthodologique
Un des plus célèbres représentants est Raymond Boudon. Pour lui, le principe de
l’individualisme méthodologique est le suivant : pour expliquer un phénomène social, il
faut reconstruire les motivations des individus concernés. Le collectif est le résultat de
l’agrégation de comportements individuels. Un groupe ou un collectif n’est pas, par
principe, un acteur doté d’une identité, d’une conscience et d’une volonté.
Dans l’exemple de la société Alpobois, le conflit collectif (ou grève) doit être
expliqué par l’agrégation de décisions individuelles (c’est-à-dire celles des grévistes).
Chaque salarié a effectué un calcul en tentant d’optimiser sa décision au regard des
contraintes du système. Dans un premier temps, si Gaston Jostand ne s’est pas mis en
grève, c’est parce qu’il a considéré les deux premiers jours qu’il y avait pour lui plus
d’inconvénients à faire grève que d’avantages. Certains éléments du système d’interaction
qui l’entourent ont changé ensuite et il a dû revoir son calcul et modifier sa décision.
Gaston Jostand n’est pas le seul à agir comme cela. C’est le cas de tous les individus qui
composent l’entreprise.
Si l’on veut analyser la situation à la lecture de l’individualisme méthodologique, il
va falloir saisir la rationalité des individus (dont celle de Gaston Jostand, notamment). Si
l’on veut agir (donc gérer), on tentera par exemple de jouer sur les ressources et
contraintes dont dispose l’individu pour qu’il ne réalise plus le même calcul. Par exemple,
on va augmenter les salaires de chacun des grévistes pour que chacun considère que sa
rétribution dans l’entreprise est supérieure à sa contribution (puisque chaque gréviste fait
un calcul et que chacun est rationnel).
b) Le holisme
Ce courant est l’opposé du précédent en ce sens qu’il part du collectif pour
expliquer les phénomènes sociaux et les comportements individuels et collectifs. Emile
Durkheim, considéré comme le père de la sociologie en France, est à l’origine de ce
courant. Dans Les règles de la méthode sociologique il a énoncé que la société n’est pas
une simple somme d’individus mais qu’elle a son caractère propre. Pour lui, des manières
de penser, d’agir voire même de sentir existent en dehors des consciences individuelles et
s’imposent à l’individu. C’est donc une conception déterministe qu’il défend. Il définit
d’ailleurs ainsi un fait social : « Est fait social toute manière de faire, fixée ou non,
susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est
générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre,
indépendante de ses manifestations individuelles ».
Durkheim explique le suicide ainsi. D’ailleurs, certaines décisions individuelles de
participer à des mouvements de grève ressemblent parfois à des suicides professionnels.
Les explications de l’action à partir de l’identité vont également dans le sens d’une
conception holiste. Ainsi par exemple, la conception de l’action collective proposée par
Alessandro Pizzorno montre que l’action individuelle ou collective peut être considérée
comme ne résultant pas d’un calcul rationnel mais d’un besoin de reconnaissance. Plus
précisément, pour le sociologue Alessandro Pizzorno, la constance de l’identité et la
permanence des préférences est à l’origine de l’action collective. Pourquoi les individus
continuent-ils sur une période longue à agir de la même manière tandis que certaines de
leurs caractéristiques ou certains éléments du contexte ont changé ? Par exemple, Pizzorno
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se pose la question suivante : pourquoi les électeurs continuent-ils pendant des décennies à
voter majoritairement pour la même famille politique, alors que les caractéristiques socio-
démographiques ont été bouleversées ? Notre identité serait définie par les autres, ou
plutôt par la reconnaissance que les autres ont de notre identité, par les intentions ou les
qualités qu’ils nous attribuent. Notre identité est en quelque sorte définie par les autres. Il
existe donc une permanence de la reconnaissance des autres qui s’incarne dans la
communauté et qui s’inscrit dans des symboles (langue…). Ainsi, lorsqu’il y a
participation d’un individu à une action collective, celui-ci cherche à bénéficier d’une
reconnaissance qui définit ses valeurs. Pour qu’il y ait action collective, il faut une volonté
de reconnaissance réciproque. Nous participons à une action collective avant tout pour
exister.
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sein d’une organisation ? Quels buts poursuivent-elles ? Leurs buts individuels, ceux de
leur communauté d’appartenance ? Peut-on, en tant que gestionnaire, orienter ces buts ? Si
des conflits de buts (ou encore par exemple de valeurs) apparaissent, comment les gérer ?
Le problème est de savoir par exemple si une culture d’entreprise existe. Si c’est le
cas, les décisions gestionnaires que l’on prendra seront soit de renforcer cette culture (pour
que tout le monde poursuive les mêmes buts), soit de la construire (ex : je viens de créer
une entreprise et je veux que tout le monde s’entende bien et ne cherche pas à poursuivre
ses propres buts au lieu de ceux de l’entreprise) ou encore de faire en sorte que cette
culture n’empêche pas l’organisation d’atteindre ses objectifs.
La culture, c’est l’ensemble des normes, des valeurs, des représentations partagées
qui existent au sein d’un groupe, d’un collectif ou d’une société. Le terme important ici est
le terme « partagé » car lorsque l’on parle de culture, on sous-entend que ces normes et ces
valeurs sont présentes au sein de chacune des entités qui composent le groupe, le collectif
ou la société. C’est en quelque sorte un trait commun.
La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure le concept de culture est
utile au gestionnaire et notamment au gestionnaire des ressources humaines. Si gérer c’est
prendre des décisions et agir, alors il convient dans un premier temps d’analyser la réalité
sociale. Si l’on considère par exemple qu’il est important et possible de faire en sorte que
certaines valeurs soient partagées par l’ensemble des acteurs au sein d’une organisation,
alors on essaiera de décider et d’agir en ce sens, en tentant de diffuser certaines valeurs.
Si l’on veut par exemple introduire un changement au sein d’une entreprise et plus
généralement d’une organisation, il faut tout d’abord analyser l’état de cette organisation
du point de vue social et envisager un changement de l’entité en elle-même. Il faut donc
s’interroger sur l’existence même du collectif.
Si par exemple l’entreprise existe depuis de très nombreuses années et que la
plupart de ses salariés et de ses dirigeants y sont présents également depuis longtemps, on
peut supposer qu’un certain nombre de normes et d’habitudes sont présentes. Mais est-il
possible de les faire changer et comment ? C’est la question que doit se poser le
gestionnaire.
Cette question est fondamentale car elle renvoie à une question que nous avons
déjà abordée à l’occasion du cours de management des ressources humaines : la question
de la cohésion entre les buts de l’organisation et ceux de ses membres. Une telle cohésion
est-elle possible ? Est-elle nécessaire ?
La problématique de la logique de l’action collective doit être remise en avant ici.
Il s’agit de s’interroger sur les raisons pour lesquelles plusieurs individus agissent d’une
manière similaire à un moment donné.
En outre, nous avons vu que deux écoles s’affrontaient : selon l’approche
utilitariste, seul le calcul rationnel et de recherche de maximisation des utilités de la part
des individus (approche économique) permet d’expliquer un tel mouvement social. Par
contre, l’approche holiste tend à insister sur le rôle joué par les valeurs des participants à
une action collective et par conséquent sur la détermination de leurs comportements du
fait de leur appartenance à un groupe social particulier dans lequel ils sont noyés. Selon
cette seconde approche, ils ne disposent d’aucune marge de liberté voire de décision.
En réalité, il s’agit de deux pôles explicatifs extrêmes. Il est possible de considérer
qu’une analyse basée sur la rationalité des acteurs et en même temps leur appartenance à
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un groupe social véhiculant des valeurs est possible. En effet, les positions défendues par
les participants ne peuvent pas être expliquées exclusivement à partir de la recherche
d’une maximisation des résultats de leur part. Une action collective suppose l’existence de
collectivités concrètes de référence auxquelles les acteurs s’identifient. On parle alors de
« communauté pertinente de l’action collective » (Denis Segrestin).
Mais la résolution d’un conflit du travail au sein d’une entreprise nécessite une
analyse des enjeux qu’il représente pour les acteurs. La direction d’une entreprise devra
partir d’une telle analyse pour gérer un conflit collectif. Elle devra déterminer si en
l’espèce elle se trouve face à un problème (ou enjeu) particulier ou à un problème (ou
enjeu) plus profond voire de principe qui est susceptible de remettre en cause des pans
entiers de sa politique gestionnaire.
D’autre part, l’enjeu n’est pas définitif et l’évolution des coalitions et des
négociations (formelles et informelles) nécessite un suivi constant du mouvement collectif
afin d’adapter les outils permettant sa résolution.
a) Le comportement collectif
Ce premier groupe d’approche rassemble des auteurs qui prétendent expliquer les
phénomènes collectifs en partant du principe qu’il existe un comportement collectif qui est
différent de la somme des comportements individuels et qui a son existence propre. Mais
dans tous les cas, il se situe en dehors d’un calcul ou d’une stratégie quelconque des
participants. Il peut être le résultat d’une contagion mutuelle des participants. Ils se sont
penchés notamment sur le phénomène de la foule.
Trois auteurs défendant cette thèse sont très connus :
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Gabriel TARDE : dans les années 1890, il démontre que toute collectivité
humaine repose sur les « lois de l’imitation ». Il compare l’imitation à un
état somnambulique voire hypnotique qui permet une contagion mentale (le
contexte est celui des expériences du psychiatre CHARCOT à la
Salpêtrière).
Pour TARDE, deux conditions doivent être réunies pour qu’une
foule naisse : il faut tout d’abord que préexiste une communauté qui les
prédispose à s’assembler (langue, nationalité, origine sociale…). Il faut
ensuite que le contexte soit propice à la contagion. TARDE parle
d’« atmosphère morale du moment ». Cela signifie qu’il y a des
circonstances, un faisceau d’évènements allant dans un même sens qui
favoriseront la propagation des idées. Dés lors, la foule se caractérisera par
l’existence d’une « âme collective ».
Mais TARDE va plus loin et démontre qu’il existe toujours un
meneur qui sollicite les membres de la foule. C’est la naissance de la
théorie du leadership.
Gustave LE BON : C’est sans doute le plus connu des trois. Il a lui aussi
étudié les foules. Il a mis en avant la « loi de l’unité mentale des foules ».
Au sein d’une foule, l’individu libère ses instincts et l’anonymat produit un
sentiment d’impunité. Il existe également au sein d’une foule un
phénomène de contagion mentale. Tout comme TARDE, il accorde une
grande importance au meneur et à sa capacité à manipuler les foules. LE
BON distingue deux types de croyances : les grandes croyances
permanentes sur lesquelles la civilisation repose, et les croyances
momentanées qu’un meneur peut manipuler.
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D’autres auteurs ont enrichi l’approche du comportement collectif mais nous ne les
étudierons pas : SMELSER, TURNER et KILLIAN…
De nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre des théories du
comportement collectif. La plus importante est peut être la suivante : ces approches
laissent dans l’ombre les stratégies mises en œuvre par les mouvements sociaux et les
acteurs de ces mouvements. Surtout, elles ne partent pas du postulat de la rationalité de
l’acteur. Elles n’étudient pas, par exemple, les ressources qu’ils mobilisent pour faire vivre
et évoluer ces mouvements sociaux.
Des approches plus récentes ont développé cet aspect de l’action collective et des
mouvements sociaux : le courant de la mobilisation des ressources.
D’autres auteurs méritent que l’on s’y arrête un peu. C’est le cas de Charles TILLY
et d’Anthony OBERSCHALL.
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révolution ou d’autres phénomènes macrosociaux qui impliquent
l’interaction entre plusieurs communautés.
Par ailleurs, on rencontre dans tout groupe des niveaux de participation
différents (notamment entre les leaders et la base) et il existe toujours des
individus ayant intérêt à initier la mobilisation. Ensuite, les phénomènes de
mobilisation trouvent souvent leur origine dans une aide extérieure au
groupe (ressources matérielles ou leadership).
OBERSCHALL propose d'étudier le processus de mobilisation
(contestataire) plutôt que les causes du conflit. Pour qu'une action
collective soit durable il faut qu'elle ait une base organisationnelle. Il met
alors en avant en deux dimensions (l'une verticale et l'autre horizontale)
pour montrer l'importance de facteurs structurels dans le cadre de la
mobilisation.
Selon OBERSCHALL, certaines communautés (ethnies, villages ou
groupes professionnels ou religieux...) se caractérisent par des liens de
solidarité qui peuvent être activés pour la poursuite de buts collectifs et la
formation de groupes de conflit. OBERSCHALL appelle ce type de lien
des « liens horizontaux ». Ils favorisent l’existence d’un réseau de
communication préétabli, des ressources déjà partiellement mobilisées, la
présence d’individus ayant les compétences de leaders et une tradition de
participation parmi les membres de la collectivité.
Parallèlement, il existe aussi une dimension verticale à la
collectivité : plus elle sera stratifiée et segmentée (entre les élites et la
base), plus l’action collective (protestataire) sera probable car on
rencontrera des objectifs communs d’opposition et d’hostilité.
Le croisement de la dimension horizontale et verticale de la
collectivité favorise ou pas le développement de mouvements d’opposition
ayant une base stable et une force particulière. OBERSCHALL propose
ainsi certaines situations idéales typiques relatives à la mobilisation. Le
tableau ci-dessous permet de visualiser ces situations.
Dimension Horizontale:
Liens au sein des collectivités
Organisation Absence Liens
communautaire ou faible associatifs
organisation
Dimension Integrée A B C
verticale:
Liens entre les
Segmentée D E F
collectivités
1
Oberschall A. (1973), Social conflict and social movements, Englewood Cliffs., N.J. : Prentice-Hall, p.
120.
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Ch. TILLY (dés le milieu des années 70) : cet auteur a, à l’origine, une
formation d’historien. Cela lui a permis d’avoir une perception très globale
des phénomènes d’action collective, et aussi avec beaucoup de recul. Cela
lui a permis également de construire une typologie des formes d’action
collective. Selon lui, les individus choisissent dans des « répertoires »
existants. Ils varient en fonction des époques, des lieux ou encore de
l’attitude adoptée par les autorités.
Il arrive que les individus innovent et créent de nouvelles formes
d’action collective. Il s’agit dans ce cas d’une « extension des limites des
formes d’action qui appartiennent déjà au répertoire.
Ajoutons que le choix d’un type d’action par les participants à une
action collective est le résultat d’une stratégie de la part des acteurs.
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Le point de départ de cette démarche théorique n’est pas de considérer
l’organisation comme un phénomène naturel dont l’existence va de soi mais comme un
problème qu’il faut expliquer.
En effet, dans « L’acteur et le système », Crozier et Friedberg débutent leur
démonstration par la question suivante : « A quelles conditions et au prix de quelles
contraintes l’action collective, c’est à dire l’action organisée des hommes est-elle possible
? ». Ils poursuivent en affirmant que l’action collective n’est pas un phénomène naturel
mais un construit social.
Dés lors, l’analyse stratégique met au premier plan un certain nombre de concepts
que nous allons développer et expliquer de façon approfondie. Ils fournissent une grille de
lecture au gestionnaire du fonctionnement de son entreprise du point de vue des relations
de travail.
① Le concept d’acteur
L’homme n’est pas considéré exclusivement comme un individu mais comme un
acteur doté d’une marge de liberté et donc d’un certain pouvoir sur les autres acteurs.
L’acteur c’est celui, individu ou groupe, qui participe à une action et qui a des intérêts
communs pour cette action. Par conséquent, on ne peut énumérer les acteurs qu’en
fonction de l’action envisagée. Cela signifie que tout acteur n’est pas forcément pertinent
dans toutes les situations possibles. Par exemple, si il y a un conflit collectif au sein d’une
entreprise, les organisations syndicales constituent-elles des acteurs pertinents de ce
conflit ? (En France, nous adoptons une conception non-organique du droit de grève c’est-
à-dire que juridiquement, les salariés peuvent se mettre en grève en dehors de tout mot
d’ordre des organisations syndicales. Mais sur un plan sociologique, les organisations
syndicales peuvent très bien être à l’origine de ce mouvement collectif).
Second élément essentiel de l’analyse stratégique : au sein d’une organisation, tout
acteur dispose d’une marge de liberté et donc d’une possibilité de jeu autonome. Cela
signifie que l’on part du principe que l’individu est libre. Donc les acteurs sont libres et ne
sont pas prédéterminés et ont toujours le choix entre plusieurs actions.
Mais un troisième élément est fondamental : cette liberté n’est pas totale car elle
dépend quand même des limites posées par les structures de l’organisation formelle. Cette
capacité d’action, cette marge de liberté peut à son tour agir sur les structures de
l’organisation car elle n’est ni immuable, ni totalement prévisible.
② Le concept d’objectif
Nous venons de voir que chaque acteur dispose toujours d’une certaine marge de
liberté qu’il négocie constamment avec les autres acteurs. Mais cet acteur est rationnel,
c’est à dire qu’il poursuit des objectifs. Bien sûr, il s’agit d’une rationalité limitée au sens
de Simon. Cela signifie qu’aucun acte n’est gratuit, qu’aucun acte n’est effectué sans que
derrière se cache une rationalité. On voit bien ici l’intérêt du concept de rationalité
limitée : on affirme implicitement que tout jugement est une erreur. Pour comprendre le
fonctionnement d’une organisation il ne faut surtout pas émettre un quelconque jugement
de valeur, mais il faut analyser et comprendre car tout acte, tout comportement est le
résultat d’une stratégie.
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Donc tout comportement est orienté vers un ou plusieurs buts, mais avoir des buts
ne signifie pas forcément que les objectifs soient clairs ou explicites. Tout comportement
est au contraire diffus, changeant. Les buts sont même fréquemment inconscients.
D’autre part, les objectifs de chaque individu sont multiples et peuvent même être
contradictoires. Mais ces buts orientent clairement le comportement de chacun. Ils existent
au niveau de l’acteur et sont matérialisés sous forme de préférences concrètes et à court
terme, et non sous forme de préférences théoriques et lointaines.
Il faut noter également que les objectifs sont fonction du contexte et sont construits
au fur et à mesure que la situation organisationnelle évolue. Rappelons ici que les acteurs
sont mis en relation les uns avec les autres car ils sont dans une situation
organisationnelle, ils sont impliqués dans une démarche collective. L’action collective
n’est pas un phénomène naturel, c’est un construit social. Cela signifie que l’organisation
se définit avant tout comme un lieu ainsi que le résultat d’interactions entre différents
acteurs.
Donc dans ce contexte de négociation constante entre les différents acteurs,
l’objectif étant de négocier sa propre marge de liberté, chaque acteur n’a pas intérêt à
montrer ses objectifs réels (qui sont latents) car sinon, cela donne aux autres acteurs des
capacités plus importantes d’action sur lui.
On distingue donc les objectifs latents qui sont les objectifs réels de l’acteur, et les
objectifs manifestes qui sont mis en avant par l’acteur pour expliquer son action.
En d’autres termes, cela signifie que les relations entre les individus sont toujours
des relations de pouvoir. Un individu dépend des autres à travers la perception que les
autres ont de lui. Cela signifie aussi que l’information n’est jamais concrète ou parfaite,
mais qu’il faut toujours réinterpréter. Ainsi, la communication totale est impossible car on
essaye de se cacher ou en tout cas de cacher ses objectifs latents (qui sont les objectifs
réels).
Chaque acteur a donc des objectifs, il est doté d’une rationalité limitée au sens de
Simon et il fonctionne par petits objectifs qui sont séquentiels (et non synoptiques) et qui
sont donc réajustés continuellement en fonction de la situation.
On peut aller très loin avec ce type de raisonnement et considérer par exemple que
l’affectif ne précède pas l’objectif, mais que l’affectif est une rationalisation en fonction
des enjeux recherchés et en fonction des objectifs de l’acteur.
20
règlement intérieur est une source de contrainte pour l’acteur. L’acteur dispose donc de
ressources au sein de l’organisation qui peuvent être inhérentes à sa personne ou
extérieures à lui. Mais il est également soumis à des contraintes qui limitent ses degrés de
liberté et qui contraignent ses possibilités d’action au sein de l’organisation.
Ces contraintes peuvent être, comme nous venons de le voir, extérieures à lui, mais
elles peuvent également être inhérentes à l’acteur. Elles proviennent là encore de ses
capacités personnelles qu’il puise très souvent dans son vécu extérieur à l’organisation (sa
vie de famille, son expérience en tant qu’étudiant, en tant que membre d’une organisation
syndicale etc.).
Enfin, toujours en ce qui concerne les ressources et les contraintes dont dispose
l’acteur au sein de l’organisation, il faut là encore remettre au premier plan la notion de
pertinence. On a vu tout à l’heure que tout acteur n’était pas forcément pertinent dans
toutes les situations possibles et qu’on ne pouvait énumérer les acteurs qu’en fonction de
l’action envisagée. L’acteur ne va pouvoir puiser des ressources et des contraintes dans la
situation organisationnelle dans laquelle il se trouve que si ces ressources et ces
contraintes sont pertinentes à la situation. Par exemple, il ne sert à rien d’être chef de
service si on ne dispose d’aucune possibilité d’action ou d’autonomie. Par contre, un
salarié (subordonné) peut exercer un leadership réel et disposer ainsi d’une ressource
fondamentale qui est une source potentielle de pouvoir.
Chaque acteur dispose donc d’une marge de liberté au sein de l’organisation qui
dépend de ses objectifs, mais aussi des ressources et des contraintes dont il dispose.
Chaque acteur (individu ou groupe) tente constamment de négocier sa propre marge de
liberté au sein de cette organisation. Il adopte surtout un comportement rationnel (au sens
de Simon) et par conséquent un comportement stratégique.
④ Le concept de stratégie
Ainsi, les stratégies des acteurs inspirent leurs comportements. Il n’y a pas de
bonne organisation permettant d’obtenir le meilleur comportement d’un salarié, car les
individus agissent en fonction de leurs objectifs (il n’y a pas de one best way). Ici, avec
l’analyse stratégique, on considère que l’homme n’est pas une main (OST), n’est pas un
cœur (mouvement des relations humaines), mais c’est un cerveau. Les individus acteurs
sont libres de choisir, de décider, de désobéir aux règles (bien sûr dans les limites fixées
par l’organisation c’est à dire dans les limites des contraintes qu’elle met en avant).
C’est la stratégie de l’acteur qui lui permet de gagner ses enjeux, d’adapter ses
conduites à celles des autres acteurs et donc de négocier sa propre marge de liberté. Bien
sûr, cette stratégie est basée sur une rationalité limitée, elle est difficilement discernable,
mais pour l’individu qui agit, cette stratégie est rationnelle alors que d’autres personnes
pourraient parfois croire que l’acteur est irrationnel (par ex bête ou fou). Cela est dû
notamment au fait que chaque acteur tente de cacher ses objectifs latents qui sont ses
objectifs réels. Il ne faut donc jamais effectuer un jugement de valeur sur les autres mais
toujours essayer de comprendre car tout comportement est une stratégie, tout
comportement est rationnel.
Cette stratégie peut être offensive c’est à dire que chaque acteur va chercher à
contraindre les autres membres de l’organisation pour satisfaire ses propres exigences, et
simultanément, souvent, il adopte une stratégie défensive c’est-à-dire qu’il essaye
21
d’échapper à la contrainte des autres acteurs. Il s’agit donc bien d’un processus de
négociation (négociation de sa propre marge de liberté).
Bien sûr, cette marge de liberté est négociée dans les limites fixées par
l’organisation et dans les limites des ressources et des contraintes qui fixent les règles du
jeu, mais aussi dans sa capacité de négociation.
Enfin, il faut noter que ces stratégies s’intègrent entre elles. L’organisation se
caractérise par un jeu entre les différents acteurs. On dit que l’organisation est un système
d’action concret, c’est à dire qu’elle se caractérise par un jeu de coopération entre tous les
acteurs. Ces relations ne sont pas prévues par l’organisation formelle (par exemple les
définitions de postes). Il s’agit de relations informelles qui sont constantes au sein de
l’organisation. Mais surtout, dans cette conception de l’organisation, les relations entre les
acteurs sont avant tout des relations de pouvoir.
⑤ Le concept de pouvoir
Dans l’analyse stratégique, le pouvoir est l’élément central de l’organisation.
L’acteur qui cherche à remplir ses objectifs et à conserver et élargir sa propre zone de
liberté ne peut le faire qu’en fonction du pouvoir dont il dispose. Mais qu’est-ce que le
pouvoir ?
Tout d’abord, on peut dire qu’il existe différentes définitions du pouvoir. Mais
d’une façon générale, le pouvoir a 4 caractéristiques :
* Le pouvoir de A sur B, c’est la capacité d’obtenir que B fasse quelque chose qu’il
n’aurait pas fait sans l’intervention de A. Le pouvoir peut aussi être défini comme étant la
capacité de A d’obtenir que, dans sa relation avec B, les termes de l’échange lui soient
favorables. Donc le pouvoir n’est pas un attribut, mais il apparaît dans une relation.
Pour l’analyse stratégique, le pouvoir est un rapport de force dont l’un peut retirer
davantage que l’autre. Mais dans ce rapport de force, aucun des acteurs n’est jamais
totalement démuni face à l’autre.
Le pouvoir est relatif c’est à dire qu’il est fonction de la situation dans laquelle se
trouve l’acteur. Le pouvoir est relatif aux individus, il est relatif aux situations et il
est relatif aux enjeux. Par exemple, un supérieur hiérarchique peut parfois avoir
plus de pouvoir que son subordonné. Certes, sa position lui permet de prendre un
certain nombre de décisions qui peuvent aller à l’encontre de son subordonné, mais
ce dernier peut disposer de certaines ressources qui n’ont rien à voir avec sa
position hiérarchique mais qui sont dues par exemple aux types de relations qu’il
entretient avec le supérieur hiérarchique de son supérieur hiérarchique, ou encore
qui sont dues à sa capacité à mobiliser l’ensemble de ses collègues contre son
supérieur hiérarchique et à déclencher un mouvement collectif.
Le pouvoir est subjectif c’est-à-dire que ce qui compte, c’est le pouvoir qui est
perçu et non celui qui existe réellement. Ce qui compte avant tout, c’est que l’autre
s’en rende compte. Par exemple, si l’autre croit que je suis faible, peu importe que
je sois fort, car je reste faible tant que je n’ai pas prouvé le contraire. A l’inverse,
ce qui est important c’est de faire croire à l’autre que je suis fort même si je ne le
suis pas (et également si je le suis).
22
Le pouvoir est intransitif : c’est-à-dire que si A exerce un pouvoir sur B et que B
exerce un pouvoir sur C, ça ne signifie pas que A exerce un pouvoir sur C. Le
pouvoir est inhérent à la relation que A entretien avec B. La relation que A
entretient avec C peut être d’une tout autre nature et faire intervenir des ressources
et des contraintes totalement différentes.
23
recrutement est un échec. Il faut donc l’aider à réaliser cela, surtout si l’on sait que
la personne a un gros potentiel).
Après avoir présenté ces différentes sources de pouvoir, on peut dire que
l’organisation apparaît comme une interaction d’incertitudes : chaque action dépend
toujours de l’existence ou de l’action d’une ou plusieurs autres personnes. D’autre part, le
24
pouvoir de chacun dépend de sa capacité à faire régner l’incertitude. Enfin, le pouvoir est
proportionnel à l’autonomie vis à vis des règles : plus un individu est libre d’agir comme
les autres ont besoin qu’il agisse, plus son action est imprévisible et plus il a de pouvoir
sur eux.
Il est possible de représenter ces différents concepts sous forme de tableau et ainsi
de construire une grille d’analyse d’une situation sociale prenant place au sein d’une
organisation (par exemple d’une entreprise) :
Avec cette approche, on part d’un postulat très fort : l’organisation n’est pas par
essence un lieu d’harmonie, c’est un lieu par essence conflictuel. Ce conflit peut-être
latent ou manifeste mais il est constamment présent. Il faut donc le gérer.
« Cas Barnel »
Cas rédigé par
Françoise BELLE et Annie GIRAUD-HÉRAUD
E S. A. - U. P. M. F. - Grenoble
La Société BARNEL est une entreprise qui produit une gamme importante de
matériels électroniques. À l'origine, ces matériels étaient pour la plupart destinés à
l'industrie militaire. Au cours des années 90, dans un double souci de diversification et de
taille critique, elle a absorbé une entreprise moyenne de la même branche travaillant
essentiellement pour une clientèle civile. Puis elle a pris le contrôle de deux entreprises
plus petites qui l'ont positionnée sur des créneaux intéressants du marché de
l'informatique. Aujourd'hui, BARNEL est une entreprise relativement importante. Elle
regroupe douze usines (compte non tenu de ses filiales nouvellement créées en Espagne et
au Portugal). Quatre de ses usines sont dans la région parisienne, deux dans le Nord (à la
suite de la décentralisation) et les six autres sont très disséminées.
La Direction générale met souvent en avant l'esprit "décentralisateur" qui anime la
direction du groupe. Certes les flux financiers sont régis par la politique du siège et
BARNEL présente depuis trois ans des bilans consolidés ; quelques procédures de
contrôle ont été instituées et la création récente d'une direction centralisée des Études et du
Marketing va dans le sens d'une coordination croissante de la politique commerciale. Mais
la Direction Générale de l'entreprise a toujours encouragé chacun des directeurs d'usine à
25
considérer son usine comme une unité indépendante et la plus grande initiative leur est
laissée en matière de fabrication, de recherche, de brevets, de passation des marchés et de
recrutement de personnel.
Ce n'est pas le cas des achats. Dans cette entreprise, les procédures d'achat n'ont
jamais été vraiment coordonnées. Vers le milieu des années 90, il est apparu évident que
l'entreprise aurait à faire face à des difficultés sans cesse croissantes pour se procurer
certains composants essentiels fabriqués en Asie du Sud-Est. Monsieur MANCEAU, P.D.-
G. de la Société décida alors d'embaucher Monsieur PORTAL, un brillant gestionnaire qui
avait fait une longue carrière dans une entreprise nationalisée et qui pouvait apporter à
l'entreprise BARNEL une solide expérience des achats et de très utiles relations d'affaires.
Sur la suggestion de monsieur MANCEAU, le Comité de Direction accueillit Monsieur
PORTAL au sein de la Direction générale avec le rang de Directeur des Achats et institua
une Commission centrale des Achats dont il proposa la constitution et l'animation à
Monsieur PORTAL.
M. MANCEAU laissa à M. PORTAL une grande liberté d'action dans
l'organisation de son travail et désigna Monsieur LAURENT comme son adjoint. M.
LAURENT travaillait dans la Société BARNEL depuis de nombreuses années ; il y avait
exercé diverses responsabilités (notamment financières et juridiques) dans plusieurs des
usines de l'entreprise ; et il connaissait personnellement la plupart des membres de la
direction de chacune des usines.
Dès son arrivée, Monsieur PORTAL décida de revoir les procédures d'achat de la
Société en les centralisant. Puisque la Direction Générale voulait aboutir à une certaine
coordination, il estima nécessaire de faire passer par le siège les commandes excédant 20
000 Euros et d'être avisé de ces commandes une semaine au moins avant leur conclusion.
Il discuta de cette proposition avec Monsieur MANCEAU qui lui demanda de la soumettre
au Comité de Direction qui approuva cette disposition. Au cours de cette séance, il fut
rappelé que les achats se répartissaient tout au long de l'année avec une crête saisonnière
qui devait s'amorcer trois semaines après l'adoption de cette nouvelle procédure.
Monsieur PORTAL prépara immédiatement à l'intention des douze Directeurs des
Achats de l'entreprise une lettre circulaire libellée comme suit :
Cher Monsieur,
Le Comité de Direction de notre Société a récemment autorisé un changement
dans les procédures à suivre pour effectuer les Achats. A l'avenir, le Directeur des Achats
de chaque usine devra aviser le Directeur Général des Achats de toute commande
excédant 20 000 €, et ce huit jours au moins avant la date de la signature des contrats
d'achat.
Je suis certain que vous comprendrez que les difficultés d'approvisionnement sans
cesse croissantes rendent cette procédure indispensable à la coordination de nos achats.
Cette procédure nous donnera, au Siège Social, les informations qui nous permettront
d'assurer à chaque usine le moyen de se procurer le meilleur approvisionnement en
composants. De cette façon, les intérêts de chaque usine autant que ceux de la Société
dans son ensemble seront assurés.
26
M. LAURENT jugea cette lettre excellente ; mais il fit remarquer à M. PORTAL qu'il
n'avait rencontré que quelques Directeurs des Achats, et, qu'il apprécierait peut-être de
faire le tour des usines afin de rencontrer tous les Directeurs des Achats et discuter du
changement de procédures avec chacun d'entre eux. Monsieur PORTAL rejeta l'idée
immédiatement parce qu'il avait trop à faire. Il signa donc chaque lettre et la fit adresser
aux personnes concernées.
Au cours des deux semaines suivantes, il reçut des réponses de toutes les usines,
sauf deux ou trois. De façon plus ou moins développée, la teneur générale peut en être
résumée ainsi :
Cher Monsieur,
Nous accusons réception de votre récent courrier nous demandant d'aviser le siège
une semaine à l’avance de notre intention de signer des commandes. Cette suggestion
nous semble fort judicieuse.
Soyez assuré que vous pouvez compter sur notre coopération.
27
ceux-ci sont conscients d’avoir été sélectionnés et distingués des autres pour devenir un
objet d’étude. Dans le domaine de la gestion, on dira plutôt que la productivité des salariés
est susceptible de changer lorsqu’ils savent que leurs comportements intéressent la
direction (voire même la personne chargée de les encadrer).
* Ces expériences ont également permis de mettre en avant les relations qui se nouent à
l’occasion du travail et qui sont déterminantes : les relations informelles. De même, les
bonnes relations entre l’encadrement et les ouvrières sont très importantes (c’était le cas
de l’observateur qui s’était transformé en conseil). L’«organisation informelle » est le
produit des interactions entre les membres d’un groupe de travail.
* L’encadrement joue alors ici un rôle de leader. Mais un leadership au sein du groupe des
salariés peut également apparaître. Une norme de productivité est établie de manière
informelle entre les salariés eux-mêmes, les contraignant par exemple à ne pas produire
trop.
De nombreuses critiques ont été réalisées à l’encontre du courant des relations
humaines.
28
Cas « Le déménagement de la cage »
La Compagnie des Assurances Atlantiques occupait les anciens locaux d'une banque
et comptait, parmi ses services, un bureau dont la tâche était d'enregistrer et de classer des
chèques encaissés par la compagnie et des récépissés envoyés en retour. La fonction
essentielle du service qui était de permettre, chaque fois qu'il en était besoin, la
vérification des paiements, exigeait la tenue à jour d'un fichier informatisé et d'un
classement des récépissés. Il y avait quotidiennement une dizaine de demandes émanant
des autres services concernant des chèques. C'était le plus souvent pour déterminer si des
gens qui formaient un recours contre la compagnie avaient bien effectué le règlement de
leur prime. Ce bureau travaillait donc directement pour la clientèle : l'exactitude et la
diligence avec lesquelles on pouvait donner satisfaction au client dépendaient du délai que
le bureau mettait à fournir les renseignements demandés.
L'installation du bureau était particulière. Il y avait des cloisons sur trois côtés
(avec des fenêtres au Nord, pleine à l'Ouest, et au sud comportant une porte qui donnait
sur le couloir), mais le quatrième côté était constitué d'une grille métallique allant d'un
mur à l'autre et du sol au plancher. A cause de cette grille, on appelait habituellement le
bureau « la cage aux reçus ». La cage communiquait avec le reste du service (situé au
même étage) par une porte découpée dans la grille.
Pour empêcher toute intrusion, les deux portes étaient toujours fermées à clé ; seules
pouvaient y accéder quelques personnes dont les noms figuraient sur une liste que
Mademoiselle DUNE avait en sa possession. La porte dans la grille était utilisée pour les
besoins du service ; le courrier et les garçons des autres services sonnaient à la porte du
couloir.
La grille métallique était doublée à l'intérieur par des rangées de casiers dans
lesquels étaient classés les doubles des listes d'ordinateur. Grâce à ces casiers, les 9
employés de la cage pouvaient travailler à l'abri des regards. Invisibles même du chef de
section chargé de surveiller l'ensemble de son service, surveillance habituelle dans les
compagnies d'assurances.
Un employé de la « cage » avait eu l'idée d'empiler par dessus les casiers des boîtes
de carton vides servant au transport des documents à classer, sous prétexte que ces boîtes
pourraient servir ultérieurement au dégagement des archives.
Les employés, afin d'échanger quelques mots avec les garçons de courses, s'étaient
installés près de la porte du couloir. C'était aussi par cette porte que l'on se glissait
subrepticement pour aller chercher, l'après-midi, du café ou des gâteaux. A l'intérieur du
bureau, on se faisait volontiers de petites farces, comme de s'envoyer des boulettes de
papier à coup d'élastiques. C'était une petite équipe très unie. Le reste du service enviait
les employés de la cage où, disait-on, les gens étaient « Sympas » et l'ambiance agréable.
Le travail était accompli avec régularité et sans difficultés apparentes.
Au cours des mois qui précédèrent ce début d'année, on dut se rendre compte que le
fonctionnement du service « contrôle » de la compagnie suivait de plus en plus mal le
développement des services « clients ». Le contrôle comportait un certain nombre de
divisions réparties çà et là dans les 12 étages de la compagnie. Pour communiquer de l'une
29
à l'autre, il fallait téléphoner, envoyer des coursiers ou se déplacer continuellement, et tout
cela prenait du temps. C'était sans importance au temps où la compagnie ne traitait pas un
grand volume d'affaires. Mais depuis lors, ce volume avait considérablement augmenté et
la dispersion géographique du service apparaissait de plus en plus gênante.
Les classeurs, les bureaux, les chaises et même les corbeilles à papier furent ainsi
numérotés dans chaque unité, afin d'être transportés et replacés, suivant les plans, sous la
surveillance des chefs. On fit une réunion d'information pour indiquer aux employés quel
serait l'emplacement de chacun et par quel ascenseur ils devraient passer. Et, au cours du
week-end qui suivit, tout l'attirail - y compris la cage - fut ainsi transféré avec plein succès
d'un étage à l'autre. Le vendredi soir, les employés avaient quitté leur vieille « cage ». Ils
en trouvèrent une nouvelle en arrivant le lundi matin.
Les murs du nouveau local étaient, comme dans l'ancien, composés de trois cloisons
pleines et d'une grille mais il n'y avait plus qu'une porte - celle découpée dans la grille - et
qui communiquait avec le reste du service. Les dimensions du bureau étaient plus réduites,
et plusieurs rangées de casiers avaient été laissées sur place à la disposition des
successeurs. La nouvelle installation ne comportait plus de casiers sur la face grillagée. Il
n'y avait ainsi plus d'obstacle visuel entre l'ensemble du service et la « cage ».
Le désordre était l'une des bêtes noires de RICARD, qui ne pouvait supporter de voir
traîner les corbeilles et les dossiers. Il se garda bien d'intervenir directement mais il
« invita » Mademoiselle DUNE à « exercer son autorité » : il fallut ranger complètement
le bureau chaque soir au lieu de laisser les piles de travail en cours comme on le faisait
avant ; les boîtes vides, évidemment, ne pouvaient plus être conservées sur les casiers.
30
Quant aux « goûters » de l'après-midi, ils connurent eux aussi un triste sort. Comme
il n'y avait plus de sortie sur couloir, il fallait s'aventurer à travers tout le bureau, plateau
en main et dévoiler ainsi un privilège ignoré jusque là des autres employés ; lesquels
s'empressèrent d'en adopter l'idée et se mirent à réclamer l'autorisation d'en faire autant. Le
chef de section, furieux interdit aux employés de la « cage » de continuer leur petit
manège.
Monsieur RICARD finit par établir un règlement qui autorisait l'un d'eux à sortir de
la « cage » une fois par jour, à heure fixe pour aller chercher à goûter pour les autres. Cela
n'arrangea rien, car le personnel de la « cage » prenait son goûter à des heures variables,
au gré de sa fantaisie et la rigidité de ce règlement ne fit que l'irriter.
D'un autre côté, il fut impossible à RICARD, après cette concession, d'empêcher les
autres employés de son service d'imiter ceux de la « cage » et bientôt l'habitude du goûter
-qui était restée jusque là limitée à ce petit bureau de classement - s'étendit à l'ensemble de
la section.
31
Après avoir analysé le phénomène de l’action collective voyons maintenant
comment il peut être géré.
32
Mais dans ce cas, le gérer, ce n’est pas forcément le faire disparaître. D’ailleurs, on
ne peut pas le faire disparaître, on pourra seulement aboutir à un compromis provisoire qui
pourra sauter à tout moment.
On a ici deux conceptions opposées qui permettent d’expliquer les conflits qui
peuvent intervenir sur le lieu de travail. Le mode de gestion des conflits différera selon
que l’on opte pour l’un ou pour l’autre de ces deux modèles d’analyse. Si l’on considère
que l’individu est un simple agent calculateur totalement libre de choisir telle ou telle
solution alors il conviendra, pour gérer un conflit existant, d’agir sur les utilités et les
intérêts de chacun des protagonistes. Par contre, si l’on considère que le conflit n’est
qu’une opposition de valeurs, alors il faudra faire évoluer ces valeurs en tentant
d’inculquer certaines valeurs communes aux individus au travail
Dans un cas il s’agit d’une gestion ponctuelle des conflits (les conflits
n’apparaissant que lorsque les buts, utilités ou intérêts des individus sont différents). Dans
l’autre cas, il faut mettre en place une politique de gestion prévisionnelle des conflits en
tentant de diffuser des valeurs culturelles qui vont alors limiter les risques d’apparition des
conflits. En tout cas, on voit bien que pour proposer des outils et des méthodes de gestion
des conflits au sein d’une entreprise, il faut d’abord s’interroger sur les raisons pour
lesquelles ces conflits sont apparus et donc sur les raisons pour lesquelles un individu agit
de telle ou telle manière (ce raisonnement est valable pour la gestion des conflits
individuels mais aussi collectifs).
33
β) Les conflits positifs et les conflits négatifs
On peut considérer qu’un conflit n’est pas forcément négatif surtout lorsqu’il
devient manifeste. En effet, on a parfois intérêt, en tant que gestionnaire, à ce qu’un conflit
apparaisse au grand jour car il est plus facile de le gérer. Un conflit latent est très difficile
à gérer surtout parce qu’il est très difficile à déceler. D’autre part, le conflit peut avoir une
valeur abréactive c’est-à-dire qu’il peut permettre d’extérioriser des tensions internes très
fortes. Si ces tensions ne sont pas extériorisées, elles peuvent être très destructrices pour le
sujet lui même et par conséquent pour l’ensemble de l’entreprise si cette extériorisation
n’est pas contrôlée. En effet, plus des tensions internes sont accumulées (rancœur, haine,
frustration...) plus elles risquent de faire des dégâts le jour où elles apparaissent au grand
jour. Car en général, lorsqu’on a laissé ces tensions s’accumuler, c’est que l’on n’a pas
pratiqué de gestion prévisionnelle des conflits et surtout que l’on n’a pas été à l’écoute des
conflits latents.
Si on ne parvient pas à contrôler le conflit, il peut donc être destructeur. Le
harcèlement au travail est un exemple.
L’école dite « traditionaliste » qui considère que les conflits doivent être évités à
tout prix car ils sont malsains et potentiellement destructeurs. Cette approche des
conflits est issue de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) et du courant des
relations humaines. Elle a été dominante jusqu’à la fin des années 40 (mais
beaucoup de gestionnaires raisonnent encore comme cela, sans doute parce qu’ils
ont peur des conflits).
L’approche « behavioriste » considère que le conflit est inévitable et qu’il faut s’en
accommoder. Bien entendu, il est préférable de l’éviter mais il fait partie du
fonctionnement « normal » d’une relation, d’un groupe ou d’une organisation.
Contrairement au courant traditionaliste, on n’a pas peur du conflit mais on va y
faire face et tenter de le gérer (jusqu’aux années 70).
L’approche « interactionniste » : le conflit n’est pas forcément une mauvaise
chose, bien au contraire. Il est parfois nécessaire de le stimuler voire même de le
déclencher. Mais il doit absolument être encadré si on ne veut pas qu’il devienne
destructeur.
Cette troisième approche devient de plus en plus dominante. Elle postule en fait
qu’il ne faut pas à tout prix éviter les conflits mais parfois les laisser venir pour mieux les
gérer. Cela suppose d’être capable de les prévenir, de les résoudre et parfois de les
déclencher. C’est avant tout le rôle du cadre.
34
b) Trois manières de gérer les conflits
α) La prévention des conflits
C’est la première démarche qu’il convient d’adopter pour gérer les conflits au sein
d’une entreprise, quelque soient ces conflits.
Prévenir les conflits ne signifie pas forcément les éviter. Il s’agit de les prévoir
pour mieux les gérer c’est-à-dire mieux les résoudre, voire même être capable de les
déclencher au bon moment.
Le premier outil permettant de prévenir les conflits (et sans doute le plus
important) est l’écoute constante. Pour ce faire, il ne faut pas nier l’existence des conflits
(beaucoup de chefs d’entreprise ou de managers réagissent ainsi). Il ne faut surtout pas en
avoir peur. Il faut aussi savoir les détecter avant même qu’ils ne deviennent manifestes.
Pour ce faire, plusieurs démarches sont possibles :
* Favoriser la négociation entre les membres du groupe, même si il n’y a pas de conflit
ouvert. Le cadre doit encadrer cette négociation constante. De toutes les façons, comme
nous l’avons vu (analyse stratégique), la négociation (et donc d’une certaine façon le
conflit) est présente à tout moment. Mais le rôle du cadre est non seulement d’être
conscient de cela mais aussi d’encadrer ces relations basées sur le pouvoir et l’incertitude.
En effet, l’intérêt de l’analyse stratégique est notamment de prendre conscience
que chaque acteur au sein de l’organisation cherche à atteindre ses propres objectifs (et
non ceux du groupe ou de l’entreprise). Si on laisse ces interactions basées sur le pouvoir
et l’incertitude se développer, il n’est pas certain que le compromis auquel les acteurs
aboutiront (si compromis il y a) aille dans le sens des intérêts de l’entreprise, et
notamment des intérêts économiques de l’entreprise. Le cadre doit donc encadrer ces
relations et jouer en quelque sorte un rôle de médiateur entre les acteurs qui sont en
relation, mais aussi entre ces mêmes acteurs et l’entreprise.
Favoriser la négociation pour prévenir les conflits ce n’est donc pas éviter les
conflits à tout prix mais au contraire les encadrer pour qu’ils ne portent pas atteinte aux
buts de l’entreprise voire même aillent dans son sens.
* Pour prévenir les conflits, il faut aussi favoriser l’équité. Car si il n’y a pas équité non
seulement il risque de ne pas y avoir de motivation mais il risque aussi d’y avoir conflit
(manifeste dans le meilleur des cas, latent dans le pire des cas). Si un conflit apparaît du
fait de l’iniquité, ce n’est pas un conflit « naturel » car il ne résulte pas des relations de
pouvoir « normales » entre les acteurs. Il s’agit souvent d’une erreur de gestion car il est
rare que l’on veuille intégrer de l’iniquité. On peut vouloir favoriser la concurrence entre
les acteurs (c’est d’ailleurs une forme de conflit). Mais la concurrence ne suppose pas
l’iniquité.
* On peut dire, et c’est fondamental, que la plupart des décisions prises en matière de
gestion des ressources humaines sont directement liées à la question de la gestion des
conflits. En effet, la plupart des outils que nous avons étudiés jusqu’alors qu’il s’agisse du
recrutement, de l’appréciation du personnel ou encore de la rémunération sont directement
liés au conflit.
EX1 : Lorsque l’on recrute quelqu’un et que l’on cherche à mettre en adéquation le profil
du poste et le profil du candidat, on prend en compte la capacité de la part du candidat non
35
seulement à être efficace sur son poste mais aussi à s’intégrer à une équipe de travail
(savoir, savoir-faire, savoir-être). Lorsqu’une personne est parfaitement adaptée à un poste
mais risque d’adopter un comportement de retrait au sein d’un groupe de travail, a-t-on
intérêt à recruter cette personne ?
De toutes les façons, et c’est cela qui est fondamental, la plupart des outils utilisés
en gestion des ressources humaines sont des outils de prévention des conflits car ce sont
des outils qui permettent de fixer les règles du jeu. Il s’agit ici du jeu des acteurs
(rappelons que selon l’analyse stratégique, les acteurs se saisissent des ressources et des
contraintes et donc jouent avec pour atteindre leurs objectifs). Encadrer ces relations et
donc prévenir les conflits passe donc par la fixation des règles du jeu des acteurs. Pour ce
faire, il faut faire circuler correctement l’information et notamment informer les acteurs
sur les règles du jeu. Il faut donc contrôler l’incertitude.
Mais si des conflits apparaissent au grand jour (c’est-à-dire s’ils ne restent pas à
l’état de latence), que faire ?
36
c’est lui qui va devoir encadrer cette négociation. Les étapes qu’il doit suivre peuvent-être
les suivantes :
Faire se rencontrer les acteurs en conflit dans un cadre formel : cela revient à
reconnaître l’existence du conflit (par les parties en conflit notamment).
Les faire s’exprimer à tour de rôle sur ce conflit : ce qui leur semble être la
cause du conflit, pourquoi il s’est étendu...
Faire en sorte que chacun reconnaisse la légitimité de la position de l’autre
partie (étape fondamentale) : reconnaître son adversaire et la logique (ou
rationalité) de sa version des faits, c’est déjà un très grand pas en avant vers la
résolution du conflit.
Trouver une solution : la meilleure solution est sans doute la solution négociée
mais il arrive que cela ne soit pas possible et que l’encadrement soit obligé de
trancher.
Ajoutons que pour être capable de résoudre un conflit, il faut être légitime aux
yeux des parties. Un cadre qui n’est pas légitime aux yeux de ses subordonnés (en d’autres
termes qui n’est pas crédible) aura beaucoup de mal à résoudre le conflit (et parfois ne
parviendra pas à le résoudre voire même l’empirera). Tout le monde n’est pas capable de
gérer un conflit. Cela demande des capacités et des compétences (en termes de savoir,
savoir-faire et savoir-être) que peu de personnes possèdent. Cela suppose que l’on soit
capable d’avoir du charisme et d’asseoir sa légitimité. Quand on recrute un cadre, on
prend en compte ces capacités là (à condition que l’on confie un véritable rôle
d’encadrement au cadre).
Lorsque l’on se sépare d’un salarié, il s’agit également d’une procédure de
résolution de conflit. Il doit y avoir une cause réelle et sérieuse de licenciement puis il faut
respecter une procédure.
Un troisième mode de gestion des conflits réside dans le déclenchement de ceux-ci.
37
n’est pas considéré ici comme mauvais mais il doit être canalisé, extériorisé. Il est porteur
d’une énergie psychique qui doit être mieux orientée.
On peut aussi déclencher un conflit et le stimuler en plaçant des individus dans une
situation de concurrence. Certains considèrent que c’est en plaçant des individus en
concurrence que l’on va obtenir le meilleur d’eux-mêmes. On cherchera donc à éviter
l’harmonie pour favoriser la performance.
On peut aussi chercher à introduire une situation conflictuelle, par exemple au sein
d’un groupe, pour favoriser le changement. Le conflit peut en effet être un moteur de
changement. Un groupe dans lequel les normes sont très fortes mais aussi très stables
pourra constituer un réel danger si l’entreprise veut introduire du changement en son sein
(par exemple, de nouvelles méthodes de travail). On pourra alors par exemple tenter de
modifier le leadership qui existe au sein du groupe. On va par exemple essayer de placer
en concurrence le leader formel avec un leader informel que l’on introduit dans le groupe
(et qui a toutes les qualités d’un leader, notamment le charisme). Ce leader informel
pourra être introduit dans le groupe mais il existe parfois dans le groupe et aimerait
remplacer le leader formel et prendre sa place depuis quelques temps.
D’un point de vue gestionnaire, tout cela est très difficile à contrôler et demande
une capacité d’analyse de ces phénomènes de leadership très précise. Mais cela est
possible. De même qu’il est possible d’introduire au sein d’un groupe une nouvelle
dynamique de groupe pour faire en sorte qu’il accepte le changement.
Une autre manière fondamentale de jouer avec le conflit voire même de le déclencher est
de jouer avec l’information. On peut par exemple pratiquer une rétention sélective de
l’information en ne diffusant qu’à certains des informations voire des informations
erronées. On « monte » alors les personnes les unes contre les autres et on déclenche ainsi
un conflit.
Rappelons que le contrôle de l’information (et donc de l’incertitude) et sans doute
la source de pouvoir la plus importante au sein d’une organisation. C’est peut-être elle qui
est à l’origine du fonctionnement ou du dysfonctionnement d’une organisation.
2
Il est remarquable ici que le harcèlement peut-être volontaire ou involontaire. La volonté de harceler n’a
donc pas à être établie par la victime.
38
Cette même loi prévoit certaines règles destinées à permettre la prévention du
harcèlement. Elle impose donc certaines obligations à l’employeur 3. Il doit :
Prendre toute disposition nécessaire en vue d’empêcher et de prévenir les
agissements constitutifs d’un harcèlement moral. Il s’agit d’une obligation de
résultat. En d’autres termes, il engage sa responsabilité même si il n’a pas commis
de faute.
Rappeler dans le règlement intérieur l’interdiction de toute pratique de harcèlement
moral dans l’entreprise et y reproduire le texte intégral des articles L. 1152-1,
L. 1152-2, L. 1152-3, L. 1152-5 et L. 1154-1 du Code du travail.
Sanctionner de façon disciplinaire tout salarié ayant procédé à des agissements de
harcèlement moral (art L. 1152-5 du Code du travail). Il s’agit d’une faute grave.
3
Cf. également l’encadré relatif aux obligations de l’employeur en matière de sécurité.
39
justifiés par des motifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est puni d’un
an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Ajoutons que dans un arrêt du 21 juin 2006, la chambre sociale de la Cour de
cassation a affirmé la responsabilité de l’employeur en cas de harcèlement moral, même
sans faute de sa part.
En l’espèce, des salariés avaient saisi le conseil de prud’hommes afin d’obtenir
réparation du préjudice subi du fait d’un harcèlement moral commis par un directeur d’une
association (lui-même salarié de celle-ci). L’action des salariés qui s’estimaient victimes
était dirigée à la fois contre le directeur (salarié) en question et contre l’association
(employeur).
L’employeur (association) avait contesté sa responsabilité, en mettant en avant
qu’il avait déchargé le directeur de ses fonctions d’encadrement, puis l’avait licencié un
peu plus tard. La cour d’appel avait refusé de condamner l’employeur, en soutenant que
dans la mesure où il n’avait commis aucune faute, l’association n’était pas responsable du
harcèlement moral dont ses salariés avaient été les victimes.
La Cour de cassation a invalidé cette solution. Elle affirme en effet que
l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en
matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise,
notamment en matière de harcèlement moral. L’absence de faute de sa part ne peut
l’exonérer de sa responsabilité.
De son côté, le directeur objectait que les fautes qui lui étaient reprochées n’étaient
pas détachables de la mission dont son employeur l’avait chargé et que ce dernier pouvait
seul être condamné. Selon la Cour de cassation, le salarié qui fait subir sciemment des
agissements répétés de harcèlement moral à des salariés qui lui sont subordonnés engage
également sa responsabilité.
4
Ces différentes obligations sont applicables au harcèlement moral.
5
Il y a réparation intégrale du préjudice par la sécurité sociale qui se retourne contre l’employeur pour être
remboursée.
40
Il doit en particulier (quelle que soit la taille de l’entreprise), prévenir les risques
professionnels. Il doit évaluer les dangers pour la santé la sécurité des salariés ainsi que
les facteurs de risques. Plus précisément, il doit réaliser un inventaire précis (document
unique) et exhaustif des risques identifiés et analysés dans chaque unité de travail.
Cette évaluation doit être réalisée à quatre occasions :
* Au moins une fois par an,
* Lors du choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances et
préparations chimiques,
* Lors de l’aménagement des lieux de travail et de la définition des postes de travail,
* A l’occasion de toute transformation importante des postes.
L’employeur doit consigner ces résultats dans un document unique qui dresse
l’inventaire des risques dans chaque unité de travail. Ce document doit être mis à jour
régulièrement (au moins une fois par an) et lorsqu’une modification survient. Le Code du
travail ne prévoit pas de conditions de forme mais exige seulement que le document soit
cohérent (regroupement des données), lisible (il doit faciliter la prévention dans
l’entreprise) et permettre la traçabilité (c’est-à-dire reporter systématiquement les résultats
de l’évaluation). L’employeur doit, dès qu’il occupe au moins 20 salariés, élaborer un
règlement intérieur écrit dans lequel il fixe les mesures d’application de la réglementation
en matière d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise. Il doit rappeler également les
dispositions relatives à l’interdiction de toute pratique de harcèlement.
L’employeur doit également mettre en œuvre des actions de prévention en
établissant un programme annuel de prévention des risques professionnels (dans les
entreprises de 50 salariés et plus). Cette obligation concerne bien entendu également le
harcèlement moral (Article L 4121-2 du Code du travail).
Il doit aussi organiser la formation à la sécurité des salariés lors de l’embauche,
en cas de changement de poste ou de technique et enfin si le médecin du travail le
demande (après un arrêt de travail d’une durée d’au moins 21 jours). Le financement de
ces actions est à la charge de l’employeur (pas de prise en charge par un organisme
collecteur).
Il faut enfin ajouter qu’un salarié dispose d’un droit de retrait en cas de danger
grave et imminent. Le salarié peut se retirer dès lors qu'il apprécie la situation comme
dangereuse pour sa vie ou sa santé, dès lors qu'il a un motif raisonnable pour le faire. Il
doit avertir immédiatement l’employeur ou son représentant du danger de la situation mais
il n’a pas besoin de l’accord de l’employeur pour user de son droit de retrait. Ce droit de
retrait n’entraîne ni sanction, ni retenue sur salaire.
41
a) Les pratiques de harcèlement moral
6
L’INRS distingue plusieurs formes de harcèlement :
Ces différentes formes de harcèlement ne sont pas exclusives les unes des autres.
Elles sont même souvent enchevêtrées. Il est parfois difficile de distinguer le harcèlement
et une situation professionnelle dominée par les relations de pouvoir qui sont souvent
inhérentes au monde du travail. C’est une des raisons pour lesquelles la preuve n’est pas
aisée à établir. Il convient de rappeler et d’insister sur le fait que la répétition des actes
constitue un élément nécessaire pour que le harcèlement soit reconnu juridiquement.
6
Grenier-Peze M. et Soula M.-C., « Approche pluridisciplinaire du harcèlement moral », INRS – Documents
pour le Médecin du Travail – Etudes et enquêtes, n° 90, 2ème trimestre 2002.
7
Op. cit.
42
moquer de lui à propos de son physique ou encore d’émettre des jugements sur
sa façon de vivre…
Les techniques persécutives : on fouille dans ses tiroirs, dans son sac, dans ses
placards ; on contrôle ses conversations, ses relations avec ses collègues…Ces
techniques peuvent même aller jusqu’à l’intrusion dans la vie privée (ex : un
collègue qui prend contact avec un proche, le conjoint par exemple, pour
dénigrer la victime).
Le tableau suivant propose une autre typologie d’actes malveillants qui, s’ils sont
répétés, peuvent être à l’origine d’un harcèlement.
8
Extrait de Hirigoyen M.-F., Malaise dans le travail, Syros, Paris, 2001.
43
2) Isolement et refus de communication
* On interrompt sans cesse la victime.
* Ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus.
* On communique avec elle uniquement par écrit.
* On refuse tout contact même visuel avec elle.
* On l’installe à l’écart des autres.
* On ignore sa présence en s’adressant uniquement aux autres.
* On interdit à ses collègues de lui parler.
* On ne la laisse plus parler aux autres.
* La direction refuse toute demande d’entretien.
3) Atteinte à la dignité
* On utilise des propos méprisants pour la qualifier.
* On utilise envers elle des gestes de mépris (soupirs, regards méprisants, haussements
d’épaules...).
* On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés.
* On fait courir des rumeurs à son sujet.
* On lui attribue des problèmes psychologiques (on dit que c’est une malade mentale).
* On se moque de ses handicaps ou de son physique ; on l’imite ou on la caricature.
* On critique sa vie privée.
* On se moque de ses origines ou de sa nationalité.
* On s’attaque à ses croyances religieuses ou à ses convictions politiques.
*On lui attribue des tâches humiliantes.
* On l’injurie avec des termes obscènes ou dégradants.
44
rumeurs. Il peut s’agir également de l’isolement du salarié : par exemple un salarié qui
rentre de week-end et qui le lundi matin n’a plus de bureau (ou trouve quelqu’un à sa
place).
Ces pratiques sont extrêmement courantes. Elles peuvent résulter d’un calcul de la
part de la hiérarchie, elles peuvent également s’inscrire dans un comportement
pathologique de la hiérarchie. Le problème est de gérer ces situations là, le problème est
aussi pour la personne de faire face à ces situations et de s’en sortir. Car ni les
gestionnaires, ni la personne elle-même ne sont forcément capables de se rendre compte
qu’il y a harcèlement. Il pourra s’agir d’un harcèlement larvé qui va complètement
déstabiliser la personne sans même qu’elle ne s’en rende compte.
Exemple : L’injonction paradoxale (double bind) : il s’agit de placer un individu face à
deux ordres qui se contredisent. Par exemple, on accorde une responsabilité (« Vous serez
responsable de tel service ») à une personne mais on ne lui laisse en fait aucune marge de
manœuvre pour agir et on va même jusqu’à revenir sur les décisions de cette personne. Ou
encore « Vous devez adhérer librement aux objectifs de l’entreprise ». (Contradiction)
Bien entendu, il s’agit d’un processus qui est caché et dont la « victime » est
rarement consciente. (Parfois, la personne qui institue l’injonction paradoxale n’est pas
non plus consciente de ce qu’elle fait).
L’injonction paradoxale aboutit à déstabiliser la personne sur un plan psychique
car quelle que soit la décision qu’elle va prendre, sa décision ne sera pas légitime. Elle est
donc dans une situation d’impuissance. Une injonction paradoxale peut aboutir à une
désorganisation psychique de la personne dans la mesure où elle n’a plus de repères.
D’autre part, c’est un processus qui conduit à rendre la personne responsable d’un échec
presque inévitable. C’est une façon de développer un complexe de culpabilité chez
quelqu’un. On a constaté qu’une telle injonction pouvait conduire à une hyperactivité de la
part de la personne ou encore à un auto-isolement (c’est-à-dire à une mise à l’écart
spontanée).
L’injonction paradoxale peut donc être un moyen de harceler un salarié sur son lieu
de travail sans même qu’il ne s’en rende compte.
* Mais un tel harcèlement peut provenir également des collègues de travail. Cela est
également très courant. Prenons l’exemple d’un nouvel embauché qui intègre un bureau
dans lequel travaillent ensemble depuis plusieurs années les personnes déjà présentes. En
plus, ces personnes s’entendent très bien et ont des valeurs communes très fortes (cf. les
expériences d’Elton MAYO à la Western electric). Le nouveau venu a intérêt à partager
ces valeurs et à ne pas trop afficher sa différence, sinon il sera exclu.
Pour exclure ce nouveau venu, les membres du groupe vont déclencher un conflit
interne. Son rôle sera en fait de maintenir l’équilibre interne du groupe. Lewis COSER a
très bien montré cela dans « Les fonctions du conflit social ».
Dans cet ouvrage, L. COSER fait toute une série de propositions :
Un conflit déclenché par un groupe avec d’autres groupes (cela peut-
être le cas dans une entreprise) sert à maintenir l’identité de ce groupe,
Principe de la « soupape de sûreté » emprunté à G. SIMMEL : le conflit
sert en fait d’exutoire aux hostilités qui sinon briseraient les rapports
entre les antagonistes. Il joue un rôle de catharsis sociale. L. COSER
45
montre que le bouc émissaire au sein d’un groupe sert à cela. Donc non
seulement le conflit au sein du groupe permet de libérer des sentiments
refoulés et donc de maintenir les rapports entre les membres. En plus, il
existe des « institutions spécifiques » qui permettent d’évacuer ces
sentiments agressifs et hostiles. Il s’agit d’un objet de substitution sur
lequel il y aura déplacement des sentiments hostiles.
C’est sans doute une façon d’expliquer le harcèlement (très courant) dont certains
salariés font l’objet sur leur lieu de travail.
46
car dans ce cas il n’a pas à respecter une quelconque procédure de licenciement ni même
des indemnités. La personne est parfois tellement poussée à bout qu’elle part sans
précaution (« départ sans filet »).
La plupart du temps, le harcelé ne comprend pas ce qui lui arrive. S’il parvient à
comprendre qu’il est victime d’un harcèlement et qu’on cherche à le déstabiliser, il a déjà
fait un grand pas en avant. En effet, le harcèlement a pour caractéristique de déclencher
chez la victime un sentiment de culpabilité qui est particulièrement destructeur. Prendre
conscience du phénomène, c’est déjà se donner les moyens de lutter en se déculpabilisant
et ainsi en désarmant l’adversaire.
Une phase d’alerte : elle se caractérise par de l’anxiété, de la fatigue, des troubles
du sommeil, un désengagement social, une prise d’alcool ou de médicaments. A ce
stade, le salarié n’en parle pas à son entourage ou à ses collègues ; il résiste, parfois
par une hyperactivité au travail afin d’éviter les critiques.
Le salarié doit à tout prix sortir de l’isolement et en parler autour de lui, dans
l’entreprise et en dehors de celle-ci (médecins, représentants du personnel, avocats,
associations...). Il lui est recommandé de tenir un journal détaillant la chronologie des faits
survenus dans leurs moindres détails et de rassembler des documents objectifs (notes de
service, e-mails, lettres…). Il doit aussi tenter de recueillir des témoignages de salariés
actuellement en poste ou d’anciens salariés voire de clients ou de fournisseurs (sachant
qu’ils peuvent être difficiles à récolter dans le milieu professionnel).
9
Op. cit.
47
Il ne faut pas hésiter à sanctionner lorsqu’une telle situation se produit. Cela
participe également à la politique préventive car il faut lever le tabou en faisant
réfléchir et en faisant prendre conscience des conséquences de ses actes. Ne pas
donner l’impression que l’on cautionne ce type de comportement. L’employeur
ainsi que tout salarié est d’ailleurs responsable (cf. le droit du travail).
Il peut être utile de mettre en place des groupes de parole et d’une façon générale
de favoriser la parole et l’échange. Il convient de gérer les conflits latents c’est-à-
dire les conflits qui ne se sont pas encore manifestés avant qu’ils ne s’enveniment.
Il faut que la parole « sorte ».
Il faut jouer sur le recrutement et insister sur le savoir-être lors de la sélection des
candidats, s’assurer de leur sensibilité à ces questions et comment ils réagiraient
face à celle-ci (notamment l’encadrement). En profiter à ce moment là également
pour l’informer des sanctions encourues.
Ne pas croire tout ce que l’on nous dit !!! Cela est valable pour tout le monde. Pour
discréditer quelqu’un, on peut chercher à l’humilier et à l’isoler par rapport aux
autres : elle devient la personne à fuir, ou le « vilain petit canard ». Il faut toujours
vérifier une information.
48
1) Rappels juridiques
Sur un strict plan juridique, un conflit collectif désigne une grève. En France, le
droit de grève est un droit constitutionnellement reconnu puisqu’il figure dans le
préambule de la Constitution de 1946 repris en 1958.
La Constitution énonce que ce droit « s’exerce dans le cadre des lois qui le
réglementent ». Pourtant, le législateur est peu intervenu en la matière et les règles du jeu
relatives au droit de grève sont essentiellement fixées par la jurisprudence.
Le droit de grève français est un droit individuel qui s’exerce collectivement.
Ainsi, toute personne titulaire d’un contrat de travail peut se mettre en grève sans pour
autant en demander l’autorisation à une organisation syndicale (conception non organique
du droit de grève). Néanmoins, ce droit doit s’exercer collectivement c’est-à-dire qu’un
salarié ne peut pas faire grève seul (sauf si c’est le seul salarié de l’entreprise). Mais le
mouvement peut tout de même être minoritaire cela signifie que la grève n’a pas besoin de
toucher toute une entreprise : elle peut par exemple, toucher certains services ou certains
ateliers ou encore certaines catégories de personnels. Il suffit que plusieurs salariés
arrêtent en même temps de travailler. La grève peut être tournante c’est-à-dire par exemple
toucher certaines catégories puis d’autres ou un service puis d’autres (mais la grève
tournante est interdite dans le secteur public).
Les grévistes peuvent rentrer à leur domicile ou encore rester sur le lieu de travail
(grève sur le tas).
Le mouvement de grève doit correspondre à une cessation de travail (quelque soit
sa durée) et non à un ralentissement des cadences ou encore de la production. D’autre part,
les grévistes doivent mettre en avant des revendications professionnelles. Ainsi, la grève
politique est illicite et les grèves perlées interdites. Ces dernières consistent à exécuter le
travail au ralenti ou dans des conditions défectueuses. Elles correspondent à une exécution
fautive du contrat de travail et peuvent donner lieu à des sanctions. En ce qui concerne la
grève de solidarité, dans les deux cas les grévistes doivent présenter des revendications
professionnelles. Il faut distinguer la solidarité interne et la solidarité externe. Quant à la
grève de solidarité interne, elle est illicite si les salariés prennent seulement la défense
d’autres (ou d’un autre) salarié(s) 10. Par contre, si les grévistes prennent la défense
d’autrui en présentant des revendications professionnelles, la grève est licite. Quant à la
grève de solidarité externe, il faut que les salariés soient concernés par les revendications
professionnelles mais la jurisprudence semble être partagée quant à ce type de grève.
Dans le secteur privé, il n’y a pas de préavis mais des revendications doivent avoir
été présentées à l’employeur. Néanmoins, l’arrêt de travail doit suivre et non précéder la
présentation de ces revendications.
10
Par exemple si elle a seulement pour but de protester contre le licenciement d’un salarié.
49
prestation de travail l’employeur est dispensé de le payer. La retenue doit être
strictement proportionnelle à la durée de l’interruption de travail. Enfin,
l’employeur doit conserver leur emploi et leur ancienneté aux grévistes. Il ne peut
pas modifier leur emploi ni les rétrograder.
Il est interdit de licencier un salarié gréviste sauf s’il a commis une faute lourde. Si
le salarié est licencié sans avoir commis de faute lourde, le juge des référés peut
ordonner la poursuite du contrat de travail c’est-à-dire la réintégration du salarié.
Il convient de préciser ici que la définition traditionnelle de la faute lourde en droit du
travail qui correspond à une intention de nuire, ne s’applique pas en matière de droit de
grève. Il s’agit, selon la jurisprudence, d’actes portant atteinte à l’intégrité des personnes, à
leur liberté d’aller et venir, à leur liberté de travailler ou encore à une dégradation
matérielle volontaire.
Depuis la loi du 21 août 2007, il existe une obligation de service minimum dans les
transports terrestres réguliers de voyageurs. Sont concernées par cette loi, les entreprises
qui contribuent à la mise en œuvre des transports terrestres réguliers de personnes. Les
transports scolaires, les entreprises qui participent à une mission de service public dans le
secteur des transports terrestres réguliers de personnes ainsi que les entreprises qui
50
assurent la gestion de transports terrestres réguliers de voyageurs à vocation non
touristique entrent dans le champ d’application de la loi. Par contre, ne sont pas
concernées les entreprises relevant des activités de fret ou des transports maritimes et
aériens ni même les entreprises relevant d’une activité de transports terrestres à caractère
commercial (autocars de liaison par exemple).
Cette loi a prévu les conditions de l’organisation de la continuité du service
(public). Elle poursuit trois objectifs :
3- Garantir aux usagers une information de qualité sur les services assurés.
La loi impose aux entreprises de transport la réalisation d’un plan de transport
adapté fixant les conditions exactes du trafic dans ces circonstances. Il existe aussi un droit
à l’information gratuit, précis et fiable pour les usagers qui passe par le « plan
51
d’information des usagers » qui fixe les conditions exactes d’information en cas de
perturbation prévisible.
A défaut d’accord cadre, le décret du 24 janvier 2008 fixe les règles auxquelles
doivent obéir les entreprises de ce secteur. Il insiste tout particulièrement sur la
négociation préalable. Ainsi, l’organisation syndicale représentative notifie à l’employeur
les motifs pour lesquels elle envisage de déposer un préavis de grève. Elle y fait figurer
également les revendications et les catégories d’agents, services ou établissements
concernés par ces revendications. Les parties disposent d’une durée de huit jours francs (à
compter de la notification) pour mener à son terme la négociation préalable.
Au niveau de l’entreprise, les grands réseaux de transports ont conclus des accords
avant le 1er janvier 2008. C’est le cas en particulier de :
La RATP qui a signé le 24 décembre 2007 avec cinq organisations syndicales un
avenant au protocole d’accord relatif au droit syndical et à l’amélioration du
dialogue social, dit « d’alarme sociale ». Le protocole d’accord prévoit que la
concertation doit se tenir dans les cinq jours suivant la notification (alors que la loi
prévoit un délai de trois jours). Il comporte aussi certaines obligations que la loi ne
prévoit pas (par exemple, rendre irrégulier le préavis de grève qui interviendrait plus
d’un mois après la notification du motif en soutenant l’activation de l’alarme
sociale).
La SNCF a signé un avenant le 13 décembre 2007 rendant obligatoire la procédure
d’alerte.
52
Une étude plus récente réalisée par le ministère du travail11 fait état d’une
diminution du nombre de grèves pour l’année 2006. Plus précisément, selon cette enquête,
Les entreprises ayant déclaré au moins une grève est de 1,9 % en 2006, soit une baisse de
29 % par rapport à 2005. Il est également particulièrement remarquable que plus la taille
de l’entreprise augmente, plus la conflictualité collective s’accroît (tableau suivant).
L’accroissement de la taille de l’entreprise conduit en effet à une formalisation plus
importante des relations sociales (création de certains organes de représentation à partir de
certains seuils). Cela résulte également de la spécificité des relations sociales dans les
PME. Dans ces dernières, les relations sont en effet plus directes et plus informelles. La
conflictualité y prend donc une autre forme. Enfin, parmi les entreprises comptant au
moins une Instance de Représentation du Personnel, 5 % déclarent une grève en 2006.
Cette part est de 11 % lorsque les représentants des salariés sont syndiqués. Ainsi, la
présence de délégués syndicaux constitue un facteur important.
11
Enquête « Négociation et représentation des salariés » réalisée depuis 2006 dans le cadre des enquêtes
« Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre » (ACEMO). L’échantillon interrogé est représentatif
des 200 000 entreprises d’au moins dix salariés.
53
Selon le Bilan de la négociation collective publié tous les ans par le Ministère du
travail12, la part des entreprises déclarant une grève a progressé en 2008 puisque 2,4 % des
entreprises de 10 salariés et plus du secteur marchand non agricole ont déclaré une grève
en 2008 contre 1,8 % en 2007. L’effet taille est confirmé par cette étude puisque comme le
montre le tableau suivant, la proportion d’entreprises ayant déclaré une grève en 2008 était
de 1 % pour les entreprises de 10 à 49 salariés et de 39 % pour celles de 500 salariés et
plus. Ainsi, la fréquence des arrêts collectifs de travail a progressé en 2008 dans les
entreprises de toutes tailles (sauf dans celles de 10 à 49 salariés) : de 1,9 point dans les
entreprises de 50 à 199 salariés, de 2,4 points dans les entreprises de 200 à 499 salariés, et
de 7,6 points dans les entreprises de 500 salariés ou plus.
12
Ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction Publique, Bilans et Rapports - La négociation
collective en 2009, Direction générale du travail, DARES, Paris, 2009.
13
Cet indicateur mesure l’ensemble du temps de travail non effectué par les salariés impliqués dans des
grèves et est exprimé en jours. Par exemple, si dans une entreprise 60 salariés ont débrayé une demi-journée
en 2006, le nombre de JINT à déclarer est de 30 (calcul : 60 x 0,5 = 30 JINT).
54
2006 par rapport à 2005. Il passe de 1 835 000 jours en 2005 à 1 415 000 en 2006 (cf.
graphique suivant).
Cette évolution est sans due à une division par deux du nombre de journées de
grève dans les transports mais le nombre de Journées Individuelles Non Travaillées
diminue dans l’ensemble des secteurs (cf. graphique 2 suivant).
Les salaires sont le principal motif des grèves. En effet, quatre sur dix entreprises
déclarant une grève font état de revendications relatives aux salaires et aux primes. On
constate également que contrairement à 2005, les revendications touchent plus les
conditions de travail que l’emploi (cf. tableau 2 suivant).
55
Comme le montre le tableau ci-dessous, en 2008 les revendications ont surtout
porté sur les rémunérations (58 % des entreprises) dans un contexte de baisse du pouvoir
d’achat. Il est également remarquable que le temps de travail est un motif de grève peu
mentionné (7 % des entreprises ayant connu une grève, après 8 % en 2007).
14
Ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction Publique, Bilans et Rapports - La négociation
collective en 2009, Direction générale du travail, DARES, Paris, 2009.
15
Les chiffres figurant ici sont tous issus du ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement et
en particulier des enquêtes « REPONSE » de 1998-1999 et de 2004-2005. Celles-ci ont conduit à interroger
des représentants de la direction, des représentants du personnel et des salariés.
56
Les arrêts de travail (grèves et débrayages) sont les plus fréquents mais d’autres formes se
développent telles que le refus d’heures supplémentaires et la pétition. Ainsi, des
débrayages ont eu lieu dans 10 % des établissements entre 2002 et 2004, contre 7,5 %
entre 1996 et 1998. Mais ce sont surtout les actions collectives sans arrêt du travail qui ont
contribué à la hausse globale de la conflictualité, surtout les pétitions et le refus d’heures
supplémentaires. Selon l’enquête REPONSE du ministère du travail, entre 2002 et 2004,
30 % des établissements de plus de vingt salariés ont connu au moins un conflit collectif
selon les déclarations des représentants de la direction. Ils étaient 21 % entre 1996 et 1998.
En outre, le nombre d’établissements qui connaissent des conflits a augmenté dans
tous les secteurs d’activité. Mais les conflits collectifs ont plus de chances d’apparaître là
où une représentation syndicale est présente et les relations sociales formalisées. Ils sont
ainsi plus nombreux dans les grands établissements où la négociation collective est
présente et où l’implantation syndicale est forte (industrie, transports etc.).
La taille de l’établissement joue donc un rôle central dans l’apparition des conflits
collectifs. Ils sont ainsi trois fois plus fréquents dans les établissements de plus e 500
salariés que dans ceux de 20 à 49 salariés. Ainsi, le graphique ci-dessous montre que plus
la taille de l’entreprise est grande, plus le nombre de conflits collectifs est important. A
contrario, plus la taille de l’entreprise est petite, moins les conflits collectifs font leur
apparition. Cela n’est pas forcément lié au nombre de salariés mais plutôt à la spécificité
des relations de travail dans ces organisations. En effet, les relations professionnelles sont
plus directes dans les organisations de petite taille (moins voire absence d’intermédiaires
tels que l’encadrement intermédiaire et les institutions de représentation du personnel) et
plus informelles. Les grèves auront donc moins tendance à y naître et les relations
interindividuelles y jouent un rôle essentiel. La présence ou l’absence dans l’établissement
de représentants du personnel, et surtout de délégués syndicaux, contribue largement à ce
phénomène. En effet, selon les directions, 15 % des établissements qui n’ont aucun
représentant élu ou désigné ont connu un conflit collectif au cours des trois dernières
années, tandis que 19 % des établissements qui ont uniquement des représentants élus et
50 % de ceux qui ont à la fois des délégués syndicaux et des représentants élus ont connu
un conflit collectif.
57
Toutes les formes de conflits ont progressé sauf des grèves de deux jours et plus
qui ont légèrement diminué. Ainsi, la grève ne disparaît pas, mais prend une forme
différente : elle est moins longue et prend souvent la forme de débrayages. Mais surtout,
les actions collectives sans arrêt de travail ont augmenté : grève du zèle (ralentir le travail
sous prétexte du respect scrupuleux du règlement), grève perlée (baisse concerté des
cadences et ralentissement du travail), manifestation, et surtout pétition et refus d’heures
supplémentaires. De même, les conflits individuels ont augmenté : sanctions prises à
l’encontre des salariés allant de l’avertissement écrit jusqu’au licenciement.
Enfin, comme le montre le tableau suivant, la France se situait de 1970 à 1993 au
neuvième rang des pays européens (sur dix-huit) concernant le nombre de conflits
collectifs enregistrés dans quinze pays de l’Union européenne (plus l’Irlande, la Norvège
et la Suisse). Etant pourtant réputée pour être particulièrement conflictuelle, la France se
situe donc dans la moyenne des pays européens loin derrière la Grèce, l’Espagne ou
encore la Finlande.
58
3) Quelles sont les causes de la conflictualité collective ?
Plusieurs pistes d’explication peuvent être avancées pour expliquer l’apparition
d’un conflit collectif :
* Tout d’abord, les différents facteurs que nous avons précédemment soulevés pour
expliquer la crise du syndicalisme français (cf. le cours de L3 AES-AGE de
« Management des relations professionnelles ») sont sans doute transposables ici.
Rappelons-les brièvement : le développement de l’individualisme au travail et plus
généralement dans la société toute entière, la précarisation de l’emploi (développement
des contrats à durée déterminée et des contrats d’intérim), le développement du secteur des
services…
* Ensuite, l’évolution de l’intensité conflictuelle est souvent dépendante de la conjoncture
économique. En effet, on a constaté que lorsque la conjoncture économique était
favorable, le nombre de grèves avait tendance à augmenter. Par exemple au cours des
années 60 et au début des années 70, on a assisté à un nombre élevé de grèves. Avec la
crise économique, le nombre de jours perdus pour fait de grève a chuté. En période de
reprise économique, le nombre de grèves tend à remonter.
D’ailleurs, dans la plupart des pays industrialisés, le niveau des grèves a baissé
depuis le début des années 70 du fait de la dégradation de la situation économique.
* La taille de l’entité est fondamentale : plus l’entreprise est petite, plus les risques de
conflits collectifs diminuent. Le type de relations professionnelles qui prend place dans les
PME (relations directes, informelles) accroît l’importance du regard de l’autre et de la
pression sociale. Les risques sont moins grands de faire grève dans ces organisations.
* Enfin, certains soutiennent que la conflictualité d’un pays, qu’elle soit collective ou
interindividuelle, trouverait son origine dans la culture du pays. Ainsi, certains pays
seraient par essence conflictuels, d’autres pas.
En Suisse par exemple16, la conflictualité collective est particulièrement basse si on
la compare à la France. En France, de 1986 à 1994, on comptabilisait en moyenne par
année 1532 grèves et lock-out contre 2,33 en Suisse ce qui correspondait pour la même
période à 786 450 journées non effectuées en moyenne par année en France du fait de
grèves et lock-out contre 2 270 en Suisse.
Mais ce qui importe ce ne sont pas les chiffres mais l’interprétation de ces chiffres.
En réalité, il existe potentiellement en Suisse autant de conflits qu’en France. Mais ces
conflits demeurent à l’état de latence. Tout est fait en Suisse pour éviter que les conflits ne
deviennent manifestes.
Tout d’abord, il existe depuis 1937 en Suisse une obligation de paix au travail qui
interdit aux partenaires de déclencher un conflit du travail durant toute la vie d’une
convention collective. Ainsi, lorsque la convention n’est plus en application et qu’il s’agit
d’entamer de nouvelles négociations, les relations entre partenaires deviennent plus
tendues voire extrêmement conflictuelles.
D’autre part, l’histoire suisse montre que les conflits ont été parfois très durs avant
l’accord de paix de 1937. Il en va ainsi par exemple de la grève générale de 1918 qui
16
Cf. Pierson Françoise, « Essai de comparaison entre les systèmes suisses et français de relations
professionnelles : quelques remarques sur la place du conflit » in Allouche J. et Sire B. (éd), La GRH
éclatée, Paris, Economica, 1998, pp. 255-272.
59
aboutit à l’arrestation et à la comparution devant les tribunaux des leaders. Ainsi, la Suisse
n’a pas toujours enregistré un nombre aussi restreint de conflits du travail. Les conflits qui
ont pris place durant cette période dans les montagnes du Jura démontrent la réalité de ce
phénomène.
De même, on peut sans doute expliquer l’état de la conflictualité d’un pays à partir
de son système de régulation (c’est-à-dire de la production des règles du jeu). Les
systèmes de régulation de la Suisse et de la France dans le domaine du travail sont
nettement distincts. Tout d’abord, le système suisse ne favorise pas le développement de la
conflictualité collective en ne lui donnant pas de légitimité juridique (en tout cas, il offre la
possibilité de contester cette légitimité). Par contre, le système français accorde aux
acteurs le droit de faire grève sans que des sanctions ne soient envisageables à leur
encontre (sauf dans des cas rares : par exemple en cas de faute lourde du salarié gréviste).
Ensuite, ces deux systèmes sont différents : tandis que l’Etat est à l’origine de
l’essentiel de l’activité de régulation en France par le vote de textes législatifs, la Suisse
privilégie la négociation (ou régulation conjointe). D’autre part, la gestion des conflits est
beaucoup plus décentralisée et préventive en Suisse qu’en France car elle fait intervenir
directement les individus concernés. C’est ce caractère décentralisé du système suisse de
régulation qui entraîne une certaine faiblesse de la conflictualité. A l’inverse, le système
français de relations professionnelles privilégie la centralisation de la régulation (qui passe
essentiellement par la loi et par des représentants plutôt que les salariés eux-mêmes). Un
système dans lequel cette régulation est sans cesse reformulée et de manière décentralisée
permet d’aboutir à des compromis qui sont certes provisoires mais qui éloignent, pour un
temps, le conflit.
En effet, les relations professionnelles en Suisse se caractérisent par une très faible
intervention du législateur. Celui-ci n’intervient que de manière sporadique. Il n’existe pas
de réglementation d’ensemble et le droit du travail est constitué par la législation de droit
civil et par les conventions collectives de travail. Le droit de grève n’est « garanti »
qu’indirectement. De même, il n’existe aucune législation spécifique en matière de droit
syndical. Enfin, l’Etat se mêle très peu des conventions collectives de travail et laisse une
grande liberté aux organisations pour négocier. La tradition est celle du « volontarisme »,
l’Etat n’intervenant pas dans les relations entre patronat et syndicats. Le rôle de la loi est
celui de définir le cadre à une libre négociation collective. Celle-ci prévoit souvent des
règles de procédure permettant de gérer voire de prévenir les conflits.
En France, l’Etat est particulièrement interventionniste dans le domaine du travail
et encadre les relations de travail collectives et individuelles. Le système français se
caractérise par une abondance de règles de toute nature décidées par l’Etat.
En termes gestionnaires, la question qu’il convient de se poser est la suivante : si le
système suisse de relations professionnelles parvient à réduire nettement le nombre de
conflits manifestes (sans pour autant éviter qu’ils ne perdurent sous une forme latente),
est-il souhaitable que de tels conflits n’apparaissent pas au grand jour ? En d’autres
termes, quel rôle peut jouer le conflit collectif au sein d’un système de relations
professionnelles ?
60
4) Quatre modes de gestion des conflits collectifs
Traditionnellement, il existe quatre outils de résolution des conflits collectifs du
travail en France : négociation, la médiation, l’arbitrage et la conciliation. Bien qu’ils
soient peu utilisés en France, il est nécessaire de les mentionner ici.
La négociation collective : Elle prend place entre les représentants des salariés
(représentants syndicaux) et les représentants des employeurs à un niveau national
interprofessionnel, de branche ou d’entreprise. Traditionnellement, elle a pour objet de
mettre un terme à un conflit grâce à la conclusion d’une convention ou d’un accord
collectif. Depuis quelques années, elle se développe de plus en plus à froid (en
l’absence de conflit) et non à chaud (pour mettre un terme à un conflit). Elle devient
donc un outil de gestion prévisionnelle des conflits collectifs. Elle lie les parties
contractantes. Depuis le début des années 80, la négociation collective d’entreprise
s’est développée de manière considérable sur un plan quantitatif (en moyenne chaque
année 150 à 300 accords de 1970 à 1982, 20 178 en 2006). En outre, les thématiques
sont devenues de plus en plus qualitatives (le temps de travail par exemple) et moins
quantitatives (salaires) et les accords avec concessions réciproques se sont également
développés. A certains niveaux, il existe des obligations de négociation : au niveau de
l’entreprise, par exemple, loi du 13 novembre 1982 oblige les entreprises où il existe
des délégués syndicaux de négocier tous les ans les salaires effectifs, la durée effective
et l’organisation du temps de travail. Il s’agit d’une obligation de moyen et non de
résultat c’est-à-dire d’une obligation de négocier et non de conclure. Enfin, une
convention ou un accord s’applique à l’ensemble des salariés et pas seulement à ceux
membres d’une organisation syndicale signataire (effet erga omnes). Ainsi, la
négociation collective est un outil fondamental de gestion des conflits même si elle ne
sert plus seulement à les faire disparaître après leur apparition mais à les prévenir.
Les trois modes de gestion suivants des conflits (conciliation, médiation et
arbitrage) sont moins utilisés en France.
61
L’arbitrage : il n’y a arbitrage que si les parties au conflit en ont décidé, en insérant
une clause compromissoire dans la convention collective ou en signant un compromis
après l’apparition du litige. L’arbitre rend une sentence qui doit être motivée. Ses
effets sont ceux d’une convention collective. L’arbitre est un particulier choisi par les
parties.
62
UN CAS DE MEDIATION : 3M17
• Rappel du contexte
Depuis décembre 2008, l’entreprise est concernée par une réduction importante
d’activités et d’emplois et par un transfert d’une partie de ses activités. La première
consultation des institutions représentatives du personnel a eu lieu en décembre 2008. Les
salariés ont usé de leur droit de retrait en février 2009 et ont entamé en mars une grève
très suivie (200 salariés sur 235). C’est dans ce contexte que le directeur industriel de 3M
France s’est déplacé dans l’entreprise pour convaincre les salariés de reprendre le travail.
Les délégués syndicaux, qui avaient fait savoir que cette démarche n’était pas opportune,
ont retenu le directeur industriel sur le site.
• La désignation du médiateur
À la suite de l’annonce de l’action des salariés, le DDTEFP a été désigné par le préfet en
qualité de médiateur pour une intervention programmée le lendemain. Simultanément, un
mandat a été donné au sous-préfet pour tenter d’obtenir le soir même que les agents de
direction retenus puissent quitter les lieux (échec de cette tentative constaté à 3 heures du
matin).
17
Ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction Publique, Bilans et Rapports - La négociation
collective en 2009, Direction générale du travail, DARES, Paris, 2009, pp. 573-574.
63
ANNEXES
64
Annexe 1
« Cas Barnel »
Proposition d’analyse
La société Barnel est une entreprise qui produit du matériel électronique. Elle
regroupe 12 usines. Un changement est introduit au sein de l’entreprise : on embauche un
Directeur Général des Achats (Portal) en vue d’améliorer la coordination des procédures
d’achats. On institue également une commission centrale des achats dont le P.D.G. de la
société Barnel propose la constitution et l’animation au nouveau directeur des achats. Ce
dernier décide de revoir les procédures d’achats en les centralisant. Il informe par courrier
les 12 directeurs des achats de leur obligation, à l’avenir, d’aviser le Directeur Général des
Achats de toutes les commandes excédant 20 000 € et ce huit jours au moins avant la date
de signature des contrats d’achat.
Pourtant, 6 semaines plus tard, cette nouvelle procédure semble être rarement
respectée par les 12 directeurs des achats.
65
GRILLE D’ANALYSE STRATEGIQUE
ACTEURS OBJECTIFS CONTRAINTES CONTRAINTES RESSOURCES STRATEGIE
(REGLES DU JEU) (POUR CHAQUE ACTEUR)
MANCEAU (PDG) Manifestes : Performance de l’entreprise + * Bon fonctionnement de * Position de PDG, * Renforcement de la
meilleur fonctionnement du service achats. l’entreprise, performance * Peut modifier les coordination,
Latents ( ?) : Maintenir sa situation de PDG de l’entreprise. règles du jeu * Recrutement de
(on sait peu de choses). Portal en externe,
* Diversité des filiales, dispersion * Soutien Portal
géographique. quant à la
procédure qu’il veut
utiliser,
PORTAL Manifestes : Performance du service * Dépend de Manceau, * Position de directeur des * Décision formelle et
(DIRECTEUR « achats » de l’entreprise. * Vient d’être recruté : achats, unilatérale = passage en
ACHATS) Latents ( ?) : Création de sa fonction et tout pression pour qu’il * Peut modifier les règles du jeu, force sans diagnostic
ce que cela peut entraîner en terme de réussisse. * Compétence technique préalable,
connaissance et de pouvoir. (« brillant gestionnaire »), * Cherche à imposer ses
* Caractéristiques de * Semble avoir le soutien de décisions aux
l’environnement Manceau, établissements : risques
hétérogène : marché * Réseau de relations avec d’antagonismes.
militaire, civil, l’environnement,
électronique et * Laurent.
informatique : incertitude
et instabilité,
LAURENT Manifestes : Seconder Portal + bon * Dépend de Portal, * Réseau de relations en interne * Souhaite utiliser une
(ADJOINT AU fonctionnement du service « achats » et de * S’entend bien avec les (travaille dans la société depuis procédure basée sur la
DIRECTEUR DES l’entreprise. directeurs de nombreuses années), rencontre et l’explication.
ACHATS) Latents ( ?) : Vient d’obtenir une d’établissement. * Y a exercé des responsabilités
promotion. Egalement enjeux en termes de dans plusieurs usines,
reconnaissance et de pouvoir + voudrait * Connaît personnellement la
peut-être devenir directeur des achats. plupart des membres de la
direction de chaque usine.
RESPONSABLES Manifestes : Bon fonctionnement de leur * Nouvelle contrainte : * Bonne connaissance de leur * Stratégie du « cause toujours »
ACHATS DES service « achats » et de leur filiale. * Esprit de décentralisation dépendent désormais de terrain, et rétention d’informations,
FILIALES Latents ( ?) : Préserver leur autonomie. (autonomie des filiales et de leurs Portal, * Peut-être connaissance * Peuvent essayer de s’allier
responsables) MAIS amorce de * Bon fonctionnement de personnelle de Laurent. avec les directeurs
centralisation. leur service, d’établissement et avec les
autres établissements.
DIRECTEURS Manifestes : Bon fonctionnement de leur * Bon fonctionnement de * Bonne connaissance de leur * Même stratégie que les
DES service « achats » et de leur filiale. leur filiale. terrain, responsables d’achats des
ETABLISSEMENT Latents ( ?) : Préserver leur autonomie, leur * Peut-être connaissance filiales sauf que pas rétention
S (PDG pouvoir sur les filiales. personnelle de Laurent. d’informations (pourraient).
FILIALES ) * Semblent choisir la neutralité.
66
POUVOIR : Les acteurs tentent de jouer avec les ressources et les contraintes pour
contrôler l’incertitude afin d’atteindre leurs objectifs.
Ce tableau constitué des objectifs, des ressources, des contraintes et des
stratégies représente les jeux des acteurs au sein de la société Barnel. Chaque acteur va
jouer avec les règles pour atteindre ses propres objectifs en cherchant à étendre ou à
défendre sa propre marge de liberté. Pour ce faire, il va chercher à contrôler
l’incertitude.
Ce système de jeux est appelé par Crozier et Friedberg un système d’action
concret. Les règles du jeu ne sont pas essentiellement celles qui sont crées par
l’entreprise Barnel (ou certains de ses acteurs), unilatéralement (tel que Portal). Ce sont
en fait les acteurs qui créent les règles du jeu en adaptant les règles existantes, en jouant
avec. Ils créent alors de nouvelles règles qui deviennent informelles (qui plus tard,
d’ailleurs, pourront devenir écrites) et elles deviennent les règles réelles de
l’organisation. Ici, on voit clairement qu’il existe une régulation autonome au sein de
certains établissements puisque non seulement la « routine habituelle » est suivie même
après la circulaire, mais d’autre part cette routine est suffisamment forte pour pouvoir
contourner la nouvelle règle formelle (qui apparemment n’a aucun impact).
La question que doit se poser le gestionnaire est la suivante : comment faire en
sorte que la décision de la direction soit suivie d’effets ?
* La décision de la direction va à l’encontre du système d’action concret existant
car jusque là on accordait une grande importance à l’autonomie et à la décentralisation.
Or subitement, on fait l’inverse.
* Il faut que la direction change de stratégie et joue avec les ressources et
contraintes pour contrôler l’incertitude : de la part de Portal, il faut d’abord qu’il analyse
la situation ; qu’il fasse connaître et reconnaître sa compétence technique... Il faut qu’il
décèle le système d’action concret existant.
Ensuite, il peut se baser sur son adjoint (Laurent) car celui-ci dispose d’un
réseau relationnel très important (Ressource).
Enfin, il ne faut pas remettre en cause l’autonomie à laquelle les différents
établissements semblent être très attachés. Si on veut revenir sur cette autonomie, cela
ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Il faut les informer très clairement des
problèmes rencontrés et insister sur cette autonomie (qui est une véritable règle de
fonctionnement) pour résoudre ces problèmes. Mais cela n’empêche pas le contrôle sur
les résultats. Il faut, en effet, instaurer ce type de contrôle plutôt qu’un contrôle sur les
procédures.
Si Portal (et la direction générale) veulent revenir en arrière et réinstaurer un
contrôle sur les procédures, il faudra le faire lentement : politique d’information et de
communication, nouveaux recrutements, politique de gestion des carrières avec
mobilité...
Le contrôle de l’incertitude peut se faire à deux niveaux :
* Incertitude sur les résultats : Leur dire : « Attention si pas de bons résultats ou
objectifs pas atteints ». Ne pas utiliser le système de menace car il risque d’y avoir
résistance. Insister sur l’autonomie et sur la responsabilité de chaque établissement
67
à la coordination des achats, puis récolter l’information (une contrainte pour la
direction, c’est-à-dire l’autonomie), devient ici une ressource).
* Incertitude sur l’information : contrôler l’information, c’est contrôler l’incertitude. Ici,
Laurent joue un très grand rôle. Les objectifs de l’entreprise doivent être diffusés auprès
de tout le personnel de chaque établissement pur qu’il y ait adhésion à ces objectifs
donc pour éviter que la résistance ne se maintienne au sommet de chaque établissement.
D’autre part, c’est l’information qui permet de contrôler l’incertitude notamment sur les
résultats. Il faut jouer avec cela. Montrer que tout le monde a intérêt à aboutir à un
accord (régulation conjointe ponctuelle).
Mais attention car c’est une négociation constante. La stratégie que met en place
la direction est un coup. Elle joue et essaye de changer les règles du jeu. Elle y
parviendra si elle parvient à contrôler l’incertitude. Mais les autres acteurs vont
répondre à ces coups par d’autres coups. D’autant plus que chacun a des objectifs
individuels (latents) qu’on ne connaît pas ici et qu’il faudrait normalement prendre en
compte.
68
Annexe 2
Cas « Le déménagement de la cage »
Proposition d’analyse
* Propositions :
- être conscient que les salariés peuvent résister à des décisions même si c’est de
manière larvée (courant des relations humaines),
- être conscient que les relations entre les salariés jouent un rôle essentiel quant à
l’efficacité du travail effectué (courant des relations humaines),
- être conscient que l’auto-organisation et ce que Monsieur Ricard considère comme du
fouillis est en fait un indicateur de normes internes au service et qui ont été crées par les
salariés eux-mêmes (courant des relations humaines),
- d’ailleurs, il ne suffit pas, comme somme de le faire Monsieur Ricard à Mademoiselle
Dune d’exercer son autorité. Toute la procédure de prise de décision d’introduction du
changement est d’ailleurs unilatérale et autoritaire depuis le début,
- il ne faut surtout pas, comme veut le faire Monsieur Ricard limiter les communications
aux seuls échanges de service mais faire en sorte qu’il y ait une bonne entente. Mais il
faut que celle-ci soit canalisée pour servir également les objectifs de l’organisation.
69
- pour se faire, il faut au contraire communiquer au maximum, informer les salariés de
ce que l’on veut faire (car ici ils ne comprennent pas pourquoi la direction veut
introduire tous ces changements). Ils doivent penser que c’est uniquement pour mettre
un terme aux avantages qu’ils se sont octroyés et à la bonne entente qui règne entre eux.
Ils doivent penser que ces décisions sont prises contre eux.
- on ne peut donc pas imposer un changement à un ou plusieurs individus au sein d’une
entreprise ou de toute autre organisation. Sinon, on se trouve confronté à des
résistances. Certes, la décision sera prise et le travail sera effectué mais il sera peut-être
mal fait (tout simplement parce qu’il y a réorganisation et changement et qu’il faut un
certain laps de temps pour que les salariés s’adaptent, mais aussi parce qu’ils peuvent
décider de résister de manière manifeste (grève) ou latente (ce qui est le pire, comme
dans la compagnie en question),
- il aurait peut-être été souhaitable non seulement d’informer mais aussi de
communiquer c’est à dire de favoriser les échanges entre les membres du service et de
mettre en place un tel changement de manière plus progressive. Soulignons également
que la direction n’a pas vu le problème de la réorganisation du service (qui est d’ailleurs
nécessaire) assez tôt. Elle aurait donc dû être beaucoup plus à l’écoute de ce qui se
passait dans le service et dans l’ensemble de l’entreprise.
70
Annexe 3
Exemples de harcèlement moral
Exemple 1
Ingrid, les malheurs d’un « second »18
18
Extrait de Leymann H., Mobbing – La persécution au travail, Seuil, Paris, 1996.
71
qu'elle est devenue : à la fois craintive, chicanière, constamment sur la défensive. Nulle
part on ne peut envisager de lui fournir du travail.
Dans cet état d'esprit et sans tâches précises, Ingrid a tout le temps de ressasser
l'injustice dont elle est victime. Elle trouve sans cesse de nouveaux arguments qu'elle
s'efforce de faire valoir auprès du syndicat, du délégué d'entreprise, du bureau du
personnel, dans l'espoir de faire rouvrir son dossier et d'obtenir justice. Car il n'y a pour
elle que deux solutions : se soumettre et tout accepter ou poursuivre son combat, ce qui
ne se fera pas sans graves dommages pour sa carrière et pour sa santé.
Exemple 2
Le calvaire de Marie-Claire19
Marie-Caire, 56 ans, célibataire, vingt ans d'un même emploi, travaille dans une
petite entreprise commerciale familiale qui a pris progressivement beaucoup d'ampleur.
Elle a été embauchée par le patron, pour faire la comptabilité. Sévère, pointilleuse,
rigoureuse, elle est fière de dire qu'on n'a jamais de reproches à lui faire. Dotée d'un fort
caractère, elle réussit à s'imposer et est une des seules employées à dire ce qu'elle pense
au patron. Quand le fils de celui-ci vient travailler avec son père pour prendre sa
succession, il lui arrive très souvent de demander l'avis de Marie-Claire: « Vous
connaissez mieux le service que moi ! ».
A un retour de vacances, alors qu'elle demande qu'on embauche une personne de
plus pour l’aider, on lui fait remarquer que sa comptabilité est en retard. Un certain
nombre de reproches lui sont adressés qui lui paraissent injustifiés, mais sur lesquels on
refuse d'entendre ses explications. On lui dit qu'on n'est pas content d'elle, mais on ne
précise pas en quoi. Est-ce parce qu'on essaie néanmoins de la ménager ? Les reproches
pleuvent pour des broutilles. Marie-Claire tombe malade. A son retour de congé
maladie, elle reçoit une lettre de licenciement dans laquelle les patrons reconnaissent
qu'ils n'ont aucune faute à lui reprocher. Malgré cela, Marie-Claire est déstabilisée et ne
s'en remet pas. Elle cherche en vain des explications à ce licenciement puisqu'on n'a rien
voulu lui dire :
- Est-ce parce que le jeune patron craint sa forte personnalité et veut avoir la mainmise
sur tout son personnel ?
- Est-ce un coup d'éclat pour remettre d'aplomb les autres salariés pour qui elle
représente un modèle inattaquable, intouchable. Un avertissement, en quelque sorte,
pour les autres ?
- Est-ce une faute qu'on ne lui aurait pas nommée ?
- Est-ce une simple mesure d'économie pour mettre à sa place deux petits jeunes
nettement moins payés ?
C’est le fait de ne pas avoir compris qui empêche Marie-Claire d'accepter et de
tourner la page. Depuis, elle ne dort plus, est angoissée tout le temps et sa santé se
dégrade : hypertension artérielle, diabète, cholestérol... Elle fume et boit trop. Malgré un
traitement antidépresseur prescrit par son généraliste, elle ressasse sans arrêt des
19
Extrait de Hirigoyen M.-F., Malaise dans le travail, Seuil, Paris, 2001.
72
interrogations et ne peut s'investir dans rien d'autre. Ses recherches d'emploi sont
infructueuses. Elle ne désire plus rien, ne croit plus à rien, n'a plus envie de faire l’effort
de vivre.
Exemple 3
Annie20
Annie intègre une PME comme secrétaire commerciale. C’est Nicole, la
collègue occupant le bureau contigu au sien, qui est chargée de la former. Elles font un
travail équivalent. Quand Annie pose des questions sur un logiciel, Nicole râle en disant
qu'elle n'a pas que ça à faire ; ensuite, elle lui donne des explications à toute vitesse, si
bien qu'Annie n'a jamais le temps de noter ce qu'elle dit. Si Annie repose la même
question, Nicole prend un air consterné: « Je te l'ai déjà expliqué ! » Après plusieurs
semaines, Annie surprend Nicole en train de pointer ses erreurs à la hiérarchie et
commentant: « Décidément elle n'apprend pas vite ! On peut se demander si elle a déjà
fait de l'informatique avant ! » Elle finit par profiter d'une erreur dans le financement
d'un dossier pour accuser Annie de malhonnêteté et de tricherie.
Au début, Annie ne comprend pas le comportement hostile de sa collègue. Elle
se remet en question, et essaie d’être plus gentille, jusqu'au jour où elle rencontre la
secrétaire précédente que l'hostilité de Nicole avait poussée à la démission. Annie
réalise que ce n'est pas de sa faute si sa collègue est tellement odieuse.
Exemple 4
Olivier21
20
Extrait de Hirigoyen M.-F., Malaise dans le travail, Seuil, Paris, 2001.
21
Extrait de Hirigoyen M.-F., Malaise dans le travail, Seuil, Paris, 2001.
73
Mais les procédés de harcèlement s'accentuent. Olivier ne peut plus se leurrer : il
est évident que son supérieur hiérarchique ne le supporte plus et essaie de le pousser à la
démission. Mais, même s'il constate que presque tous les membres de l'ancienne équipe
sont mis à l'écart, cela ne l'empêche pas de se tourmenter : « Pourquoi moi ? », «
Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? » Il est épuisé, a des maux d'estomac et des douleurs
musculaires et a la tentation de baisser les bras.
Quand il parle de donner sa démission, son avocat lui conseille de tenir bon et de
pointer par lettre recommandée toute erreur et toute agression. Il écrit alors à
l’inspection du travail qui prend son cas au sérieux et, après l’avoir reçu longuement et
avoir examiné son dossier, envoie une lettre à la direction d'Olivier. Dans cette lettre,
l’inspecteur du travail dénonce les insultes, les menaces, la discrimination et la non
réponse à des demandes professionnelles empêchant le salarié d'exécuter son contrat de
travail dans de bonnes conditions, et rappelle l'employeur à ses obligations.
Le directeur général convoque alors Olivier avec le supérieur hiérarchique qui le
harcèle. Olivier constate qu'il n'avait pas fait remonter les informations, et que le
directeur général ignorait tout du dossier. Même si son « harceleur » nie les faits,
Olivier a alors l'espoir que les choses s'arrangent et que cet homme sera sanctionné,
mais il reçoit en retour une lettre pour un entretien préalable à son licenciement. Sa
direction n'a pas voulu traiter le problème et a préféré se débarrasser de lui.
Néanmoins, Olivier est soulagé par ce licenciement. Il était épuisé
psychologiquement et, se sentant incapable de continuer à travailler dans une telle
atmosphère, ne voyait pas d'autre issue que de donner sa démission. Il a maintenant la
possibilité de partir avec des indemnités. Olivier reconnaît que, sans l'aide des
spécialistes et le soutien de son épouse, il aurait pu faire une bêtise, comme injurier en
retour son agresseur ou donner sa démission.
74
Annexe 4
Le Lien entre travail et conflits sociaux est-il en train d'évoluer ? Depuis les
débuts de la société industrielle, le travail est source de conflits d'intérêts considérables :
salaires, durée, sécurité, licenciements, liberté d'expression ou d'association, les sujets
n'ont pas manqué. Violents, voire meurtriers, ces conflits se sont progressivement
civilisés, du moins en Europe. Tribunaux du travail, institution progressive d'une
représentation collective du personnel, procédures de négociation collectives, systèmes
d'arbitrage ou de médiation, les vingt-cinq et bientôt vingt-sept pays de l'Union
européenne (UE) ont ici un patrimoine commun non négligeable. Seule différence :
dans certains pays de l'Est, le pourcentage des travailleurs hors contrats de travail peut
atteindre le tiers de la population en activité. Les problèmes nés de ce travail informel,
indépendant ou « commercial », échappent en grande partie aux procédures de
règlement et ne se traitent qu'en fonction des rapports de forces, souvent défavorables
au travailleur.
Les chiffres officiels de la conflictualité au travail en Europe sont plutôt
« rassurants », sauf dans le secteur public, marqué par les restrictions budgétaires des
collectivités publiques et une conduite souvent très défaillante des réorganisations. Bien
que la grève touche aussi des professions qui ne la pratiquaient pas - médecins ou
commerçants -, le nombre de journées de grève en Europe a ainsi baissé en moyenne de
plus de 80 % depuis les années 1960 ! Contrairement aux clichés, la France se situe au
10e rang des Vingt-Cinq, en dessous de la moyenne de l'UE : les champions européens
de la grève sont le Danemark, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche et l'Irlande. Au nord et outre-
Rhin, les grèves sont très largement organisées, voire anticipées, en vue de renégocier
des conventions collectives. Au sud, elles sont plus spontanées et déconnectées des
négociations sociales.
Outre la grève, il y a les conflits qualifiés d'individuels, qui portent sur le
licenciement et son motif, le paiement du salaire ou des heures supplémentaires et, de
plus en plus, sur des affaires de discrimination ou de harcèlement. En partie réglés par la
représentation ou la négociation collective, ils sont souvent portés devant des tribunaux
spécialisés, dont les prud'hommes sont l'exemple français. En Europe, les tendances
divergent : hausse légère dans l'UE des Quinze, notamment en Allemagne ou au
Royaume-Uni, croissance sensible en Europe de l'Est liée à la reconnaissance de conflits
autrefois niés et à des institutions où ils peuvent désormais s'exprimer.
Pourtant, ces chiffres peinent à rendre compte de bien des litiges contemporains.
On note ainsi la montée considérable des « transactions », où les parties s'interdisent de
saisir la justice. Le travail d'aujourd'hui expose à « autrui », collègue, client, « manager
de proximité », et multiplie les occasions de frictions et les sources de responsabilité.
Nombre de conflits prennent une dimension psychologique et pathologique, parfois très
intense. A Bruxelles, les partenaires sociaux communautaires, à la légitimité toujours
fragile, voudraient être pionniers en la matière en négociant sur la violence au travail.
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Ce vocabulaire ne traduit-il pas toute la modernité de la question et tout le décalage des
régulations sociales classiques ?
A présent, les litiges se déplacent, s'évitent, s'intériorisent et souvent
s'individualisent, tandis que leur anomie s'étend. Les acteurs de nos économies de
service peuvent y voir la montée des inquiétudes d'un salariat fragmenté ou, au
contraire, une source de progrès, potentiellement féconde de nouveaux rapports sociaux.
Claude-Emmanuel Triomphe
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Annexe 5
77
Un renouveau des minorités actives
En dépit ou peut-être à cause de cette fragilité des groupes traditionnels de
représentation des intérêts, notre pays se trouve périodiquement secoué par des conflits
sociaux d'envergure qui ne laissent pas de surprendre les pays voisins, voire d'y
alimenter le stéréotype d'une fièvre hexagonale permanente. Ce sont les grèves des
cheminots (1986), des instituteurs (1987), des agents d'Air France et de la Snecma, des
infirmières (1988), conduites hors contrôle syndical par des coordinations lors de la
seconde moitié des années 80. C'est, en novembre-décembre 1995, le mouvement de
grèves sans précédent depuis 1968 avec ses 3,7 millions de journées individuelles non
travaillées dans la fonction publique et ses 2 millions dans le secteur privé contre le
projet Juppé de réforme des régimes spéciaux de retraite, dans un conflit qui rebondit
huit ans plus tard avec la réforme Fillon. C'est le mouvement des intermittents du
spectacle de l'été 2003, la fronde des chercheurs du premier trimestre 2004, pour n'en
citer que quelques-uns.
Plus profondément encore, la France connaît depuis une dizaine d'années un renouveau
des minorités actives qui l'a d'abord mise à l'avant-garde, si l'on peut dire, de la
recomposition de l'engagement que l'on observe dans de nombreux autres pays
occidentaux, puis qui lui a permis de jouer un rôle décisif dans le développement de la
contestation antiglobalisation (2). L'émergence de groupes novateurs s'observe pour
l'essentiel dans deux domaines. Celui de la question sociale tout d'abord, avec
l'apparition, à partir de 1988, des syndicats Sud (Solidaires, unitaires et démocratiques)
provenant le plus souvent de scissions internes à la CFDT, ainsi que d'associations de «
sans » : sans-logement avec le Dal (Droit au logement) et le CDSL (Comité des sans-
logis) ; sans-emploi avec le MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires),
l'APEIS (Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et
travailleurs précaires) et AC ! (Agir ensemble contre le chômage). Créé en avril 1993 à
l'initiative de syndicalistes, ce dernier groupe va jouer un rôle pivot entre les deux
champs, syndical et associatif, notamment en cherchant à lier les conflits relatifs à
l'emploi et ceux concernant la vie hors travail, par une synthèse entre mouvement
ouvrier et nouveaux mouvements sociaux.
Les associations de sans, en particulier de chômeurs, qui contribuent à mettre
l'exclusion et la précarité au centre du débat public, secouent le syndicalisme
traditionnel dont elles pointent, par leur existence même, les insuffisances en matière de
représentation et de défense des plus fragiles. Nul doute de ce point de vue qu'elles le
concurrencent sur le terrain de la question sociale. Mais elles vont aussi contribuer à en
redessiner le paysage et pousser les confédérations à s'atteler aux transformations en
cours, notamment à s'intéresser au mouvement antiglobalisation en germe. La CGT, par
exemple, entend les critiques qui lui ont été adressées et les intègre avec succès pour
accomplir la mutation engagée sous le mandat de Louis Viannet (1992-1998). Elle
réactive ses comités de chômeurs et se lance, parallèlement aux associations de sans,
dans le mouvement des occupations d'Assedic de Noël 1997. Au sein de l'entreprise, sa
fonction contestataire lui a été ravie par les Sud qui se font l'écho de toutes les
revendications des salariés, même les plus élémentaires - d'où leur image « jusqu'au-
boutiste » -, tout en soulevant de véritables questions de société par la participation à
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d'autres organisations comme AC ! ou Attac. L'ambition qui anime ces nouveaux venus
de mener un « syndicalisme de transformation sociale », leur investissement sur des
questions sociétales, le souci de conduire avec d'autres des « luttes transversales », sont
autant de traits qui les rapprochent d'un autre acteur central aujourd'hui : la
Confédération paysanne. Elle aussi est née, en 1987, de la contestation d'un syndicat
hégémonique (en l'occurrence la FNSEA), mais aussi d'un modèle professionnel jugé «
productiviste ». Elle aussi réactive avec succès les contacts établis au cours des années
70, par exemple lors de la mobilisation contre l'extension du camp militaire du Larzac,
longue de dix années (1970-1981), avec les nouveaux mouvements sociaux écologistes,
pacifistes et de solidarité avec les pays du Sud.
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antiglobalisation y engrange auprès de l'opinion un net capital de sympathie sans doute
renforcé par les réserves des hommes politiques à l'égard du processus en cours.
En raison de la transformation du modèle d'engagement, désormais plus souple et plus
lâche, mais aussi de la conjoncture qui nécessite des alliances, toutes ces nouvelles
organisations ont très vite pris l'habitude de se retrouver et d'engager des actions en
commun, à l'intérieur ou hors des frontières nationales. Ainsi se sont constitués des
réseaux de familles de mouvements, souvent à l'instigation des Français, comme les
marches européennes de chômeurs ou, en 2002, le réseau européen des sans-voix, No-
Vox, qui regroupe les associations européennes de sans dans une acception plus large
encore que le mouvement français des sans de la fin des années 90 : sans-papiers, sans-
emploi, sans-logement, mais aussi sans-revenu et sans-statut. Cette remobilisation, qui
s'observe également aux Etats-Unis, gagne l'ensemble des nouveaux mouvements
sociaux, comme les femmes ou les pacifistes, que l'on voit resurgir à partir de la fin des
années 90. Pour l'expliquer, on peut reprendre à Verta Taylor son concept de « structure
de rémanence » (ou « structure dormante », abeyance structure) qui éclaire l'efficacité
et la rapidité avec lesquelles se remettent en marche des organisations de mouvements
sociaux qui se sont rétractées une vingtaine d'années auparavant tout en entretenant
répertoire d'action, objectifs et identité collective prompts à se ranimer (3). Dans cette
situation, une organisation jouera un rôle d'autant plus déterminant qu'elle sera capable
de connecter différentes familles de mouvements entre elles, c'est-à-dire à la fois de les
mettre en relation et de faire émerger un enjeu commun. D'où l'importance des liens
acquis avec d'autres mouvements sociaux dans des luttes antérieures - comme nous
l'avons vu pour la Confédération paysanne -, celle de disposer de leaders cumulant les
ressources sociales et culturelles (en particulier linguistiques) que donnent notamment
une longue carrière militante et/ou une profession intellectuelle... Ainsi peut s'expliquer
la relative homogénéité générationnelle et sociale des porte-parole et responsables des
mouvements antiglobalisation qui tranche souvent par rapport à la jeunesse de leurs
rangs. La France ne fait pas exception à ceci près que le renouvellement des sommets
militants (ici comme dans les partis politiques classiques du reste) y est peut-être plus
lent qu'ailleurs...
Isabelle Sommier
NOTES
1
Données reprises à C. Ysmal, « Transformations du militantisme et déclin des partis »,
in P. Perrineau (dir.), L'Engagement politique. Déclin ou mutation ?, Presses de
Sciences Po, 1994.
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2
Sur le renouveau de la critique sociale, voir I. Sommier, Le Renouveau des mouvements
contestataires à l'heure de la mondialisation, Flammarion, coll. « Champs », 2003.
3
V. Taylor, « Social movement continuity: the women's movement in abeyance »,
American Sociological Review, n° 54, octobre 1989. Elle compare ces structures de
rémanence, « dans le domaine de l'espionnage, aux réseaux dormants qui pourront être
réactivés en cas de besoin ».
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