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Méthodologie de l’intervention

Méthodologie
en travail social
Cristina De Robertis

D epuis 35 ans, par une approche globale qui prend en compte


l’intervention
de

Méthodologie de l’intervention en travail social • Cristina De Robertis


les dimensions individuelle, familiale et de groupe, ce manuel

travail social
demeure la référence pour la formation aux méthodes du travail
social. Traduit en plusieurs langues, il représente une contribution
fondamentale à la construction internationale du travail social.
Cette nouvelle édition a été révisée et actualisée en tenant compte
des évolutions récentes des problématiques et des terminologies. en
Parce qu’une profession n’existe pas sans un ensemble de connais-
sances transmissibles et un cadre conceptuel général intégrant la
diversité des approches et des modèles, ce livre contient les éléments
de base indispensables pour le savoir-faire professionnel (processus Cristina De Robertis
historique de construction de la méthodologie, liens entre travail
social et sciences sociales, concepts et élaboration de la méthodo-
logie d’intervention et étapes du processus d’intervention), tout
en contribuant à la construction d’une professionnalité créative Nouvelle édition
et impliquée.
Les étudiants et praticiens du travail social (re)découvriront ici un
véritable manuel de formation professionnelle, initialement destiné
aux futurs assistants de service social, mais dont l’audience s’est
depuis élargie à d’autres formations en travail social. Ils y trouveront
un outil d’analyse et de réflexion proposant des repères pour une
plus grande aisance pratique, et un cadre conceptuel général pour
penser leur savoir-faire professionnel.
Cristina De Robertis, assistante sociale et ancienne directrice d’un Institut
de formation en travail social, a enseigné la méthodologie d’intervention
individuelle et collective et a écrit plusieurs livres et articles sur ce thème.
Henri Pascal, sociologue, ancien formateur-chercheur dans des centres
de formation et président du Groupe de recherche en histoire du service
social (GREHSS), a enseigné la méthodologie d’intervention collective
et l’histoire du travail social.
Françoise Lesimple, assistante sociale, titulaire du diplôme supérieur en
travail social et ancienne chef du service d’action sociale à l’ordre des avocats
au Barreau de Paris, a enseigné en formation initiale et supérieure dans
un centre de formation à Paris, dont elle a été directrice adjointe.

ISBN : 978-2-8109-0684-0

35 € www.presses.ehesp.fr

Couv_PIS imposition.indd 1 23/05/2018 10:23:20


Collection dirigée par

Cristina De Robertis

Didier Dubasque

Henri Pascal
Méthodologie
de l’intervention
en travail social
Cristina De Robertis
Nouvelle édition

Avec la collaboration de
Françoise Lesimple
et Henri Pascal

2018
PRESSES DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SANTÉ PUBLIQUE
Le photocopillage met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.
Toute reproduction, même partielle, à usage collectif de cet ouvrage est strictement interdite sans auto‑
risation de l’éditeur (loi du 11 mars 1957, code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992).

©ISBN :
 2018, Presses de l’EHESP – 2 avenue Gaston-Berger – CS 41119 – 35011 Rennes Cedex
978‑2-8109‑0684‑0
ISSN : 1281‑5845
www.presses.ehesp.fr
Introduction à la nouvelle édition

J’ai été élevée dans la conviction que ma réalisation personnelle était


conditionnée par trois productions : faire un enfant, planter un arbre et
écrire un livre. Ce fut ainsi. Mais, une fois élevé, planté ou écrit, ils marchent
dans le monde, ils prennent racine, ils font leur vie. Ils ne nous appar-
tiennent plus. C’est ce qui s’est passé avec ce livre dont je vous présente une
nouvelle actualisation révisée et mise à jour.
Ce livre a, depuis plusieurs décennies, vécu sa propre vie, il a fait son
chemin bien au-delà de ce qui était mon espoir et mon projet. Transformé
en texte de base de la formation des assistants de service social en France,
et, plus récemment, de celle des conseillères en économie sociale et familiale
(CESF), il a été régulièrement réimprimé. Il a aussi été traduit en espagnol,
en italien, en polonais et en portugais. Il est l’objet de très nombreuses
citations et figure dans grand nombre de bibliographies d’auteurs de par le
monde.

Comment peut-on analyser un tel succès ?


Quatre éléments explicatifs nous semblent s’articuler pour répondre.
Ce livre, lors de sa première parution en 1981, constitua une réponse au
questionnement du travail social des années 1970‑1980. Au cours de cette
période, le travail social fut analysé par les courants de sociologie « cri-
tique » en termes de contrôle social et de normalisation des populations. Il
fut critiqué pour son rôle de reproduction et de soumission des personnes
aux normes établies. Ces attaques ont bouleversé les professionnels de
l’époque. Comment concilier le travail quotidien et une analyse critique ?
Comment exprimer ce qu’est la profession non seulement dans des termes
super-structurels ? Quelle est la réalité concrète de ces analyses au niveau
des personnes en souffrance sociale ? Toutes ces interrogations ont été

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Méthodologie de l’intervention en travail social

f­ ertiles, elles ont produit une grande créativité et une élaboration théorique
du travail social dont ce livre s’est nourri.
La complexité croissante du monde de cette époque montrait déjà les
prémices de la crise économique qui donnera, au cours des années sui-
vantes, les « nouveaux pauvres » et la « nouvelle question sociale » et le
délitement de l’État-providence. Face à tous ces changements sociaux qui
ont entraîné exclusion, pauvreté et précarité, et grâce à ce livre, le travail
social a pu s’accrocher à des connaissances propres, systématisées et
reconnues, qui apportaient l’assurance du métier et la possibilité de
­créativité.
Les travailleurs sociaux avaient aussi une parole confisquée. Confisquée
par les employeurs, les universitaires et d’autres professions établies. Les
institutions sont frileuses lorsqu’il s’agit de communiquer ce qu’on fait en
leur sein : obligation de réserve, confidentialité, censure préalable… Les
universitaires, notamment les sociologues, analysaient le travail social dans
les termes que nous avons déjà mentionnés. Les autres professionnels au
statut établi, aux connaissances respectées et sollicitées (médecins, juges,
psychiatres) considèrent souvent le travail social comme l’exécutant de leurs
décisions et diagnostics, et non comme un collaborateur à part entière
ayant un champ spécifique de compétences complémentaire au leur.
À cette époque, les écrits des professionnels étaient rares, souvent réduits à
des livres de méthodologie traduits de l’anglais ou en provenance du Québec.
Mais à la fin des années 1970, les travailleurs sociaux ont pris la plume et
ont écrit sur leur profession et leur action. Plusieurs livres ont alors vu le
jour, dont celui-ci.
La dernière explication de l’impact de cet ouvrage peut être aussi le
programme d’études de 1980 des assistants de service social. Ce programme
a employé pour la première fois officiellement les termes de « théorie et
pratique de l’intervention en service social » pour nommer l’unité de forma-
tion centrale. Le contenu de ce livre, publié un an après, était en phase
complète avec le programme et il a été rapidement transformé en texte de
référence pour les professeurs et les étudiants. Cette adéquation a été confor-
tée des années plus tard avec la réforme des études de 2004 qui désigne deux
grands groupes méthodologiques d’égales importance et valeur : l’interven-
tion sociale d’aide à la personne (ISAP) et l’intervention sociale d’intérêt
collectif (ISIC). En effet, l’articulation des méthodes individuelles et collec-
tives présente dans ce livre s’est vue légitimée par ces évolutions dans le
programme officiel d’études.

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Introduction à la nouvelle édition

 ourquoi présentons-nous une nouvelle version mise à jour


P
de cet ouvrage ?
Le monde et le travail social ont beaucoup évolué au cours de cette
période et il nous a semblé important de tenir compte de ces évolutions
majeures dont nous pouvons ici énumérer quelques aspects.
Les problèmes sociaux se sont aggravés et ont changé de nature. D’une
société de quasi plein emploi nous sommes passés à une société où l’exclu-
sion et la précarité dans l’emploi sont devenues la règle, avec leurs consé-
quences de désaffiliation et de paupérisation de pans entiers de la
population. De plus, des changements ont eu lieu au niveau de la famille
(accroissement des divorces, familles monoparentales, naissances hors
mariage devenues la norme), de la démographie (allongement de l’espérance
de vie), de la santé (toxicomanies, procréation assistée, accès aux soins,
dépendance).
Parallèlement, les politiques sociales se sont modifiées et diversifiées,
de nombreux dispositifs ont vu le jour pour traiter, parfois de façon
fragmentaire, les divers problèmes sociaux émergents. À l’empilement
de dispositifs par problème ou par catégorie de population, s’est ajoutée
l’orientation managériale des institutions d’action sociale qui appliquent
les modèles d’organisation des entreprises et cherchent la rationalisation,
l’efficacité et l’efficience, le tout sous l’injonction de réduction des coûts
et de budgets contraints. Les missions confiées et attendues du travail
social ont été redéfinies dans ces politiques sociales en termes d’accès
aux droits, de création ou de rétablissement du lien social, d’aide à
l’insertion, de préservation de la cohésion sociale. Ainsi, le Conseil éco-
nomique et social a pu dire : « Le travail social a pour vocation première
d’aider à ce qu’une personne, une famille ou un groupe de personnes ait
accès aux droits que la société lui confère, et crée ou recrée des liens
sociaux 1. »
Les pratiques des travailleurs sociaux se sont aussi modifiées, reflétant
de nouvelles approches et de nouvelles méthodologies. Malgré une certaine
dispersion des dispositifs d’action sociale, des méthodes plus flexibles, plus
centrées sur l’usager et ses besoins, articulant mieux les aspects individuels
et collectifs, ont été mises en place. Les années 1980 ont vu la publication
d’un nombre important d’ouvrages sur le travail social de groupe et com-
munautaire que les travaux du Conseil supérieur du travail social (CSTS)
ont renommé « intervention sociale d’intérêt collectif ». Des méthodologies
ont été élaborées sur l’intervention en réseau, la médiation familiale et
sociale, et le CSTS a revisité l’aide psychosociale individuelle en termes
« d’intervention sociale d’aide à la personne ».

1. Conseil économique et social (2000), « Mutations de la société et travail social », rap-


port présenté par D. Lorthiois, Paris, Journaux officiels.

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Méthodologie de l’intervention en travail social

Enfin, corollaire d’une certaine manière de tous ces changements, des


nouveaux textes régissent depuis 2004 l’accès au diplôme d’État d’assistant
de service social et le nouveau référentiel de formation affirme à parité les
enseignements d’ISAP et d’ISIC et la complémentarité des formes d’inter-
vention individuelles et collectives.
Il était important de tenir compte de toutes ces transformations et de les
réintroduire dans cet ouvrage ; c’est ce qui nous a motivés à revisiter le texte
et à l’actualiser. Bien que la structure générale du livre n’ait pas été modifiée,
il a été enrichi afin d’intégrer les évolutions de terminologie, de probléma-
tiques et de références documentaires et bibliographiques.
Ce livre, conçu comme un manuel, est un instrument de réflexion et
d’analyse de la pratique du travailleur social, et aussi un outil de formation.
Il s’adresse principalement aux professionnels qui cherchent à conceptua-
liser et systématiser leur pratique et à ceux qui sont encore en formation.
Son objectif est l’acquisition d’un savoir-faire et d’un comment-faire métho-
dologiques. Aussi ce texte est-il centré sur l’un des protagonistes de l’inter-
vention : le travailleur social professionnel. Les autres acteurs (usager et
institution) ne seront abordés qu’indirectement. Le travailleur social est la
figure centrale de ce livre, mais cela ne signifie pas que nous minimisons
l’importance des autres acteurs dans l’intervention, bien au contraire.
Nous regroupons ici des interventions destinées à différents types d’usa-
gers : la personne, la famille et aussi le petit groupe. Il s’agit d’interven-
tions qui s’adressent à une réalité microsociale et qu’il faut distinguer de
celles centrées sur des ensembles plus vastes tels que l’intervention sociale
d’intérêt collectif 2 ou le développement social, qui font appel à des cadres
théoriques et techniques quelque peu différents. Nous tentons de faire
ressortir ce qui est commun à ces différentes dimensions de travail en
mettant ­l’accent sur les activités et procédés applicables à l’ensemble de
ces interventions.
Les références théoriques de cet ouvrage sont multiples, éclectiques. Il
adopte la complexité comme cadre de réflexion, la contradiction comme
trame d’analyse et la dynamique comme tension créatrice de changement.
Il est influencé par les contributions des théories sociologiques et psycho-
sociologiques qui analysent les relations et les interactions sociales, et aussi
par l’analyse systémique qui étudie l’interdépendance des parties et les
transformations de l’ensemble à partir des variations localisées.
En tant que praticiens, les travailleurs sociaux sont familiers des analyses
exhaustives de situations particulières, des analyses des pratiques. Leurs
écrits sont souvent des monographies et des études de situation. La démarche

2. De Robertis C., Pascal H. (1987), L’intervention collective en travail social. L’action


auprès des groupes et des communautés, Paris, Bayard, coll. « socioguides » ; De Robertis C.,
Orsoni M., Pascal H., Romagnan M. (2014), L’intervention sociale d’intérêt collectif. De la
personne au territoire, Rennes, Presses de l’EHESP, coll. « Politiques et interventions sociales ».

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Introduction à la nouvelle édition

que nous proposons dans ce livre est, au contraire, centrée sur le général,
ce qui est commun à toutes les situations particulières de l’action quoti-
dienne. Nous partons d’un cadre conceptuel général et nous l’illustrons avec
quelques exemples particuliers. Loin d’unifier ou de réduire, ce passage du
général au particulier nous semble pouvoir enrichir la diversité des pratiques
et apporter des points de référence et des pistes de réflexion. Nous nous
sommes efforcés de partir de la réalité et de la systématiser, de construire
les éléments de la méthodologie à partir de notre expérience pratique per-
sonnelle et de celle d’autres travailleurs sociaux. La synthèse de ces apports
a permis une approche de la complexité des situations et de clarifier les
processus et les dynamiques.
Cette tentative d’articuler pratique et théorie, mais aussi théorie et pra-
tique, est un élément essentiel pour comprendre ce qui est en jeu dans ce
livre. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’un côté des théoriciens
lucides et de l’autre des praticiens besogneux. Il n’y a pas de conflit entre
l’activité théorique et la pratique, il y a rupture, mais aussi complémentarité.
Il y a une dialectique entre la théorie appliquée à la pratique et la pratique
créatrice de nouvelles connaissances qui se transformeront en théories
systématisées.
Il nous semble nécessaire aussi de démystifier la théorie. Même celle
élaborée à partir des pratiques, opératoire et utilisable dans l’action, se
présente souvent comme un univers fini et clos. Un livre publié est parfois
considéré comme une « vérité », les paroles imprimées sont investies d’un
pouvoir magique. Le lecteur se situe alors en disciple et la théorie ainsi
sacralisée se transforme en doctrine, en dogme. Il ne s’agit plus de savoirs,
mais de croyances. Ce processus de sacralisation est stérile. Toute théorie
est partielle et provisoire, elle apporte des concepts et explications inédits,
mais il s’agit seulement d’une pierre de plus dans la construction du savoir.
Elle existe comme référence pour être dépassée par l’actualisation de nou-
velles recherches et élaborations.

Présentation
Ce livre est divisé en onze chapitres, dont les deux premiers situent le
contexte historique et théorique. Le premier décrit l’évolution historique des
méthodes du service social en France et le deuxième aborde les rapports
entre travail social et sciences sociales. Le troisième est une présentation
globale de la méthodologie de l’intervention, ses concepts et ses phases.
Chaque étape de la méthode sera ensuite analysée dans un chapitre parti-
culier. Seront ainsi présentés l’analyse de situation, l’évaluation diagnos-
tique et le contrat en travail social. L’intervention proprement dite fait l’objet
de trois chapitres, dont le premier est une introduction, centrés sur les
interventions directes et indirectes. Les étapes finales de la méthodologie
seront présentées dans les chapitres sur l’évaluation des résultats et la fin
de l’intervention.
Chapitre 1

L’évolution de la méthodologie de service


social en France
Henri Pascal

L’histoire de la méthodologie d’intervention en service social commence


véritablement après la Première Guerre mondiale mais on peut dater ses
débuts aux États-Unis dès la fin du xixe siècle 1. Avant 1914, il s’agit d’expé-
rimentation sociale et de début de conceptualisation de ces expérimenta-
tions, ces dernières étant souvent issues des divers courants de la
philanthropie du xixe siècle et inscrites dans l’une des idéologies marquant
l’époque 2. Les écoles fondées dans cette période sont les lieux où savoir et
savoir-faire commencent à être enseignés. Après la guerre de 1914‑1918,
l’histoire de la méthodologie est celle de la construction de la profession-
nalité des assistantes sociales (AS) et de leur autonomie technique. Dans
cette histoire, nous pouvons distinguer cinq étapes :
–– l’élaboration d’une méthodologie (1919‑1939) puisée à des sources
nord-américaines et à la méthode de l’enquête sociale ;
–– l’analyse du service social en termes d’actes (1940‑1950) ;
–– la domination du case work (1951‑1961) ;
–– la découverte (ou redécouverte) des méthodes de groupe et de com-
munauté à l’« approche globale » (1962‑1981) ;
–– la montée de l’exclusion et la mise en place de dispositifs d’action
sociale (à partir des années 1980).
Ce découpage chronologique ne signifie pas que l’année citée comme fin
ou début d’une période soit une frontière qui marque nettement un après et
un avant ; ces étapes, en fait, se chevauchent ; les trois années qui ont une

1. Bouquet B. (2000), « Individu, groupe, communauté. Un regard historique sur les


méthodes d’intervention du travail social », Informations sociales, n° 83.
2. Rater-Garcette C. (1996), La professionnalisation du travail social. Action sociale,
syndicalisme, formation 1880‑1920, Paris, L’Harmattan.

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Méthodologie de l’intervention en travail social

réelle signification quant à l’histoire de la méthodologie sont 1962 (réforme


du diplôme d’État et introduction des méthodes), 1980 (réforme du diplôme
d’État) et 2004 (nouveau référentiel d’activité et de compétences).
Ce chapitre est consacré à l’histoire de la méthodologie en France, mais
il ne faut pas oublier que cette histoire est internationale. L’élaboration de
la méthodologie du service social est le fruit d’un processus qui s’est déve-
loppé simultanément dans plusieurs pays, commençant au début par, outre
la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, et s’étendant
progressivement à de nombreux autres pays et continents.

1.1. L’élaboration d’une méthodologie


La période qui va de l’après-Première Guerre mondiale (1918) à l’avant-
Seconde Guerre mondiale (1939) s’ouvre par la reconnaissance par l’État de
la profession dans deux secteurs : les usines et le champ médico-social. En
1917, est créée à Paris l’École des surintendantes de France 3 qui formera les
« surintendantes d’usine et de services sociaux », et, en 1922, le ministère
de l’Hygiène crée le diplôme d’infirmière visiteuse. Cette dernière applique
le traitement préconisé par le médecin qui a établi son diagnostic : leur
compétence se construit sur le comment mettre en œuvre le traitement. Dans
ce champ de l’hygiène sociale, l’influence des techniques importées des
États-Unis est assez importante, comme en témoigne le rôle de la mission
Rockefeller, de 1919 à 1922, notamment pour mettre en œuvre la prévention
de la tuberculose, prise en charge ensuite par le Comité national de défense
contre la tuberculose.
À côté de ce secteur médico-social, les surintendantes et celles qui
allaient devenir les assistantes sociales développaient une autre démarche.
Face aux « fléaux sociaux » qui affectent des personnes et des familles, elles
établissent, grâce à leur savoir, un diagnostic et élaborent un « traitement »
qu’elles mettent en œuvre grâce à leur savoir-faire 4. Cette démarche pro-
fessionnelle sera celle de Mary Richmond, dont le livre sera traduit en
français en 1926 5. Celle-ci a élaboré une méthodologie pour les « cas indi-
viduels » et a ainsi défini le « service social des cas individuels » : « Le service
social des cas individuels est l’ensemble des méthodes qui développent la
personnalité en rajustant consciemment et individuellement entre eux
l’homme et son milieu social 6. »

3. Aujourd’hui : École supérieure de travail social (ETSUP).


4. « À l’aube des savoirs en service social », Vie sociale, no 4, 1996.
5. Richmond M. E. (2002), Les méthodes nouvelles d’assistance. Le service social des cas
individuels, Rennes, Éditions ENSP, coll. « Politiques et interventions sociales » (1re édition,
Paris, Félix Alcan, 1926).
6. Richmond M. E. (2002), op. cit., p. 48.

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L’évolution de la méthodologie de service social en France

La méthodologie du case work a connu une diffusion importante lors de


la première conférence internationale de service social qui se tient à Paris
en juillet 1928 7. La délégation française est particulièrement nombreuse :
1 033 délégués ; parmi ces délégués, on retrouve presque toutes les fonda-
trices (et fondateurs) des divers services et écoles de service social. 361 délé-
gués sont mentionnés avec un titre assimilable à assistante sociale 8. Sur les
2 458 pages du compte rendu, 287 sont consacrées aux « méthodes du ser-
vice social des cas individuels ».
Cette méthodologie, telle qu’elle était théorisée par M. Richmond, était
connue dans quelques services, dont le service social de l’enfance et le
service international d’aide aux émigrants. Elle était enseignée dans
quelques écoles de service social, dont l’École pratique de service social  9,
l’École d’action sociale 10 et, sans doute, quelques autres. L’enseignement de
cette méthodologie était fortement lié à la professionnalité des assistantes
sociales comme en témoigne un entretien publié dans le livre d’Yvonne
Kniebielher 11 :
« Nous étions à cette époque (1934) fortement en réaction contre ce qu’on appe-
lait “les dames d’œuvres”. Nous avions un grand désir de professionnalisation,
et pour cela l’acquisition d’un savoir et d’une compétence nous paraissait indis-
pensable. Le terme de “dame d’œuvre” était pour nous péjoratif ; ces dames
n’étaient pas formées et nous les accusions, avec l’intolérance de la jeunesse, de
rechercher dans leur action “charitable” des satisfactions personnelles, mal défi-
nies dans notre esprit. La comparaison avec l’enseignement tiré du livre de Mary
Richmond ne pouvait que justifier notre rejet de ces pauvres “dames d’œuvres”.
Nous souhaitions également nous affirmer différentes des “infirmières visi-
teuses”, vues par nous comme les successeurs des “dames d’œuvres”, profession-
nellement qualifiées, mais mises en tutelle par le corps médical. »

Ces « méthodes de service social des cas individuels » seront traitées au


cours de la première conférence internationale de service social. Dans la
partie consacrée à ce thème, les phases de la méthode sont décrites et
explicitées :
« Le service social familial des cas individuels comporte trois phases successives :
– l’enquête (analyse) ;
– l’appréciation (diagnostic) ;
– le traitement (thérapeutique).

7. Première conférence internationale de service social, 8‑13 juillet 1928, 3 volumes,


Paris, éd. de Paris, 1929.
8. Assistante sociale, visiteuse, visiteuse d’hygiène sociale, infirmière visiteuse, surinten-
dante. Soulignons que parmi ces 361 délégués, il y a un seul « assistant social ».
9. Cheminée L. (1999), « Historique de l’évolution du case work en France », Vie sociale,
no 1 (article paru en 1957).
10. Kniebiehler Y., Nous les assistantes sociales. Naissance d’une profession, Paris, Aubier,
1980.
11. Idem.

13
Méthodologie de l’intervention en travail social

Le but de l’enquête est la connaissance des conditions qui sont décisives pour
apprécier le besoin d’assistance. […] Après avoir éclairci la situation dans laquelle
se trouve le nécessiteux et dépisté les facteurs qui ont amené cette situation, on
cherche à connaître l’enchaînement de ces divers facteurs. […] C’est seulement
lorsque les recherches menées dans ces diverses directions ont dévoilé les fac-
teurs dont l’action a entraîné l’état de besoin que la voie est ouverte à l’appré-
ciation et au traitement du cas 12. »

Parmi les moyens d’action est tout d’abord citée « la première entrevue
personnelle avec l’indigent ». La conférence est traversée par la volonté de
construire « la science de l’assistance 13 ».
La démarche méthodologique nous la retrouvons, en des étapes claire-
ment formulées, dans certains des mémoires des étudiantes en service social
du diplôme d’État de 1932 :
« L’observation des faits servira de base à l’action du service social. […]. Cette
recherche des causes, qui est le deuxième temps de l’action du service social,
nécessitera une connaissance approfondie, à la fois de la personne humaine avec
toutes ses tendances, tous ses besoins, toutes ses réactions individuelles et col-
lectives, et aussi de l’anatomie et de la physiologie du corps social. […] Les causes
trouvées, il faut chercher les moyens de guérir le mal. Or, cette recherche des
moyens est pour le service social une difficulté toute particulière. Il se trouve,
en effet, en présence de tout un ensemble de valeurs qu’il doit respecter, et de la
multitude de lois et d’institutions qui s’offrent à lui comme remèdes. […] Le
remède trouvé, il faudra l’appliquer ; la quatrième étape sera donc l’utilisation
des moyens 14. »

Le fait de trouver une telle approche du service social et de la méthodo-


logie dans des mémoires d’élèves signifie que la démarche méthodologique
était largement diffusée et enseignée. Cette démarche n’est pas sans rappeler
les principes de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), résumée en trois
verbes : « Voir, juger, agir ». Elle s’accompagnait d’une distinction de deux
« catégories » du service social : le service social direct et le service social
indirect (parfois nommé service social des collectivités). Là encore citons un
mémoire d’élève 15 : dans le service social direct « l’assistante est en contact
immédiat et fréquent avec ceux qui ont besoin d’elle » tandis que « le service
social indirect vise les individus à travers leurs milieux ». Les exemples cités
de service social indirect sont la création d’« œuvres » telles que « Goutte de
lait » (protection du nouveau-né), colonies de vacances, centres sociaux.

12. Wronsky W., Muthesius Dr (1928), « Les méthodes du service social des cas individuels
en Allemagne », Paris, première conférence internationale de service social, 8‑13 juillet, volume II.
13. Arlt I. (1928), « La standardisation du service social des cas individuels », Paris, pre-
mière conférence internationale de service social, op. cit.
14. Lalouette J. (1937), « Le service social en France. Sa technique. Ses tendances
actuelles. Les moyens d’action dont dispose l’assistante de service social », mémoire DEAS,
Paris, École normale sociale.
15. Duroy de Bruignac M. (1938), « Action d’une assistante sociale auprès d’œuvres de
jeunesse », mémoire DEAS, Paris, École normale sociale.

14
L’évolution de la méthodologie de service social en France

Cependant, cette démarche est dominée par la prégnance de l’enquête


sociale, héritée de Frédéric Le Play 16 et théorisée, pour les travailleurs
sociaux, par l’abbé Viollet 17 et par le docteur Paul Armand-Delille 18. La
démarche méthodologique de Mary Richmond est fortement biaisée.
Produisant un canevas général de recueil des données, l’enquête telle qu’elle
est formalisée devient un cadre obligé qui débouche presque automatique-
ment sur l’un des diagnostics possibles préétablis 19.
La quasi-totalité des ouvrages publiés dans l’entre-deux-guerres traite
des méthodes d’interventions individuelles et familiales, mais il existait
aussi des pratiques d’interventions collectives, visant les habitants d’un
quartier, et ces pratiques s’organisaient à partir des centres sociaux 20, des
dispensaires dans les cités ouvrières, notamment celles des cheminots 21. Ces
interventions ont été très peu formalisées, en dehors de traces que l’on peut
repérer dans l’enseignement de quelques écoles comme l’École normale
sociale. Rappelons également que les deux conférences internationales qui
ont suivi celle de Paris portent l’une sur « Le service social et la famille »
(Francfort, 1932), l’autre sur « Le service social et les collectivités »
(Londres, 1936).

1.2. Le service social en termes d’actes


Après cette période où l’enseignement d’une méthodologie profession-
nelle, qui va chercher son inspiration chez Mary Richmond et Frédéric Le
Play, est fortement présent dans les écoles de service social, le contraste est
frappant quand on compare ces mémoires d’élèves avec les thèmes des pre-
miers congrès de l’Association nationale des assistantes sociales (ANAS), du
premier en 1946 à ceux du début des années 1950. Le modèle théorique pour
analyser les « fonctions de l’assistante sociale » est l’étude de poste classique,
comme l’organisation scientifique du travail l’a introduite dans l’analyse du
travail industriel. La méthodologie disparaît et l’on voit l’assistante sociale
accumuler une série d’actes (la visite, la permanence, l’enquête, etc.) sans

16. Le Play F. (1989), La méthode sociale, Paris, Méridiens Klincksieck (première édition
1879).
17. Viollet J. (1931), Petit guide du travailleur social. Formation morale et méthode
d’action, Paris, Confédération des familles.
18. Armand-Delille P. (1922), L’assistante sociale et ses moyens d’actions, Paris, Félix
Alcan.
19. Perrot G., Fournier O., Salomon G.-M. (2006), L’intervention clinique en service social.
Les savoirs fondateurs (1920‑1965), Rennes, Éditions ENSP, coll. « Politiques et interventions
sociales ».
20. Durand R. (1996), Histoire des centres sociaux. Du voisinage à la citoyenneté, Paris,
Syros, coll. « Alternatives sociales ».
21. Charrier M.-F., Feller É. (dir.) (2001), Aux origines de l’action sociale. L’invention des
services sociaux aux Chemins de fer, Toulouse, Érès.

15
Méthodologie de l’intervention en travail social

que les liens internes entre eux soient clairement identifiés. De longs exposés
sont consacrés à l’analyse de ces actes, à les quantifier. Le travail de l’assis-
tante sociale c’est, sur une période donnée, tant pour cent d’enquêtes, tant
pour cent de visites… Le mot « méthode » disparaît au profit de « techniques »,
toujours au pluriel. Si nous prenons, par exemple, le congrès de Bordeaux
de l’ANAS, en 1948, consacré au « Service social et techniques 22 », les expo-
sés de la partie « Les techniques du service social » sont les suivants :
–– « La visite familiale et la permanence », par Mlle Naillon ;
–– « L’enquête et les démarches », par Mlle Raoux ;
–– « Fiches et supports administratifs », par Mlle Robert.
Mais, rapidement, les assistantes sociales prennent conscience que le
service social risque d’éclater en des actes divers ; il faut donc chercher ce
qui fait l’unité du service social. Cette question sera au centre des débats des
trois congrès suivants de l’ANAS. Celui de 1949 traite de « La liberté et ses
limites », mais porte aussi en sous-titre « Le service social. Fonction et sta-
tut 23 ». Le questionnement sur la fonction du service social est fortement
présent dans les travaux de ces premières années de l’ANAS mais sans que
cette fonction soit liée à une méthodologie d’action. Le congrès de 1950 est
consacré à une réaffirmation de l’unité du service social : « Le service social,
unité de fonction, diversité de réalisations 24. »
Le congrès de 1952 renoue avec le questionnement sur les méthodes. Il
prend pour thème « L’enquête en service social 25 ». Plusieurs rapports traitent
des divers aspects de l’enquête :
–– « L’enquête : base objective du travail », par Mlle Benoid, assistante
sociale du travail ;
–– « L’enquête : ses méthodes, sa marche et sa valeur », par M. G. Célestin
d’Économie et humanisme ;
–– « Les enquêtes en service social : origine, nature, but », par Mlle Pierre,
assistante sociale familiale ;
–– « La valeur de l’enquête : problèmes posés, solutions envisagées », par
Mlle Hancart, assistante sociale du tribunal.
Sous l’influence de quels facteurs, entre 1939 et le début des années 1950, les
professionnelles de service social semblent-elles avoir oublié la démarche métho-
dologique qui était la leur avant la Seconde Guerre mondiale ? La profession

22. Association nationale des assistantes sociales (1948), Service social et technique, Paris.
23. Association nationale des assistantes sociales (1949), Service social – Fonction et statut,
Paris.
24. Association nationale des assistantes sociales (1950), Service social – Unité de fonction –
Diversité de réalisations, Paris.
25. Association nationale des assistantes sociales (1952), L’enquête en service social, Paris.

16
L’évolution de la méthodologie de service social en France

d’assistante sociale va connaître de profonds bouleversements. Ce sont ces


bouleversements et les inquiétudes qu’ils ont suscités qui ont pu amener
« l’oubli » de la démarche méthodologique connue et enseignée avant la
Seconde Guerre mondiale, au moins dans un certain nombre d’écoles de
service social. Nous pouvons présenter quelques-uns de ces bouleversements
et leurs conséquences sur l’histoire de la méthodologie.

1.2.1. La fusion des assistantes sociales et des infirmières


visiteuses
Il existe peu de statistiques sur le nombre respectif d’assistantes sociales
et d’infirmières visiteuses lors de la fusion des deux diplômes (celui de 1922
des infirmières visiteuses et de 1932 des assistantes sociales) en 1938. Les
témoignages partiels d’anciennes infirmières visiteuses ou assistantes
sociales montrent qu’il y avait beaucoup plus, de l’ordre de 1 à 10 ou 15,
d’infirmières visiteuses que d’assistantes sociales lors de cette fusion. Ainsi,
par exemple, à la Compagnie des chemins de fer du Nord, il y avait, en
1934‑1935, 1 assistante sociale pour 22 infirmières visiteuses. Des chiffres
précis existent pour les écoles : au moment de la fusion des deux diplômes,
il y avait 11 écoles (7 à Paris, 4 en province) d’assistantes sociales et
32 écoles (7 à Paris, 25 en province) d’infirmières visiteuses 26.
Cette fusion des deux professions, jusqu’alors séparées, a considérable-
ment changé la physionomie du corps professionnel. À l’inverse des assis-
tantes sociales, encore relativement proches du bénévolat, les infirmières
visiteuses sont salariées de longue date, et, relativement souvent, dans le
secteur public (État ou municipalités). La nouvelle profession d’assistante
sociale aura, à la fusion, les traits caractéristiques des infirmières visiteuses.
Dans le domaine de la méthodologie, cela aura d’importantes conséquences.
Les assistantes sociales se considéraient avant tout comme des « réforma-
trices sociales », elles intervenaient seules dans un champ jusque-là réservé
à la charité individuelle, et, pour intervenir, elles devaient élaborer une
méthodologie leur permettant de se différencier des anciennes « dames
d’œuvres » dont elles critiquaient l’inefficacité. Face à une situation donnée,
elles posaient un « diagnostic » et décidaient du « traitement ».
Les infirmières visiteuses n’étant pas maîtres du « diagnostic », elles
devaient mettre en application un traitement décidé par d’autres. Le modèle
professionnel était l’infirmière, assistante du médecin, subordonnée à lui
(même si, dans leurs activités professionnelles, les infirmières visiteuses
pouvaient travailler dans un autre cadre que la dépendance à un médecin).
La méthodologie, pour les infirmières visiteuses, était définie à l’extérieur
de la profession et par d’autres. Leurs tâches et fonctions étaient définies
par les médecins, qui ont été nombreux à écrire sur ce thème.

26. Braquehais C. (1978), « Évolution du nombre des écoles de service social en France »,
La Revue française de service social, no 118, 2e trimestre.

17
Méthodologie de l’intervention en travail social

1.2.2. Médicalisation et extension numérique de la profession


La guerre va accélérer le poids du médical dans la profession. Cela tient,
en grande partie, au type de problèmes auxquels devaient faire face les
services sociaux (dont l’activité était centralisée par le Secours national) :
la situation sanitaire et les nécessités du ravitaillement ont été au centre des
préoccupations des assistantes sociales, notamment au début de la guerre
avec les réfugiés. Cette médicalisation de la profession se poursuit après la
guerre ; là encore, la situation sanitaire de la population française (mortalité
infantile, recrudescence de la tuberculose) oriente les assistantes sociales
vers des tâches d’hygiène publique. En 1948, sur les 65 écoles préparant au
diplôme d’État, 40 forment également des infirmières ; de plus, sur ces
65 écoles, 12 dépendent d’hôpitaux, 1 de l’Assistance publique et 12 de la
Croix-Rouge 27. Le résultat de ce système d’enseignement est clair : une
enquête de l’Institut national d’études démographiques 28 (INED) indique que,
en 1951‑1952, 65 % des AS ont aussi le diplôme d’infirmière hospitalière,
pourcentage beaucoup plus important en zones rurales (84 % dans la Haute-
Vienne) qu’en zones urbaines (43 % à Issy-les-Moulineaux).
En même temps qu’elle se médicalise, la profession croît numérique-
ment : on passe de 8 000 à 9 000 assistantes sociales en 1939 aux environs
de 14 000 au début des années 1950. Mais ce corps professionnel n’est pas
homogène. Il a été profondément affecté pendant la guerre comme en
témoigne Christine Delacommune qui fut une des fondatrices de l’ANAS :
« Pendant la période de guerre, les assistantes diplômées avaient été trop peu
nombreuses en face de la multiplicité des besoins. Autour d’elles, auprès d’elles,
de multiples bonnes volontés avaient surgi. Si elles n’avaient pas le titre, elles
exerçaient la fonction ; les unes, qui avaient eu antérieurement une certaine
fonction de caractère médical ou social, avaient acquis une expérience
­indéniable, d’autres avaient surtout leur dévouement. Elles se nommaient ou
étaient désignées “assistantes sociales” ou “auxiliaires” 29 ».

Dans son étude de 1950, l’INED 30 donne des précisions statistiques sur
les assistantes sociales et auxiliaires qui sont au nombre de 14 806 à cette
date, réparties ainsi :

27. Idem.
28. « Les assistantes sociales et médico-sociales en France. Enquête conduite en
1951‑1952 dans cinq départements sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé
et la fondation Rockefeller », Paris, INED, 1954.
29. Delacommune C., « La création de l’Association nationale des assistantes sociales
diplômées d’État du 9 décembre 1944 au 16 juin 1945 », in Association nationale des assis-
tants de service social (1985), Nouveaux contextes nouveaux rapports avec la population,
Paris, ESF.
30. « Les assistantes sociales et médico-sociales en France. Enquête conduite en
1951‑1952 dans cinq départements sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé
et la fondation Rockefeller », op. cit.

18
L’évolution de la méthodologie de service social en France

–– assistantes sociales et auxiliaires : 14 806, dont assistantes autorisées : 1 500 ;


–– auxiliaires sociales : 1 400.
En ce début des années 1950, le corps des auxiliaires sociales disparais-
sait progressivement. Suite à la promulgation de la loi du 8 avril 1946
réservant le titre d’assistante sociale aux titulaires du diplôme d’État de
service social, celles qui n’avaient pas le diplôme et avaient exercé avec le
titre d’auxiliaires durent passer devant une commission d’examen de leur
dossier 31. Chaque département avait sa commission et une commission
nationale tranchait en dernière instance. L’ANAS a participé à ces commis-
sions du niveau départemental au niveau national.
Après étude du dossier (environ 10 000 dossiers ont été déposés) les
auxiliaires pouvaient se voir :
–– octroyer le titre d’assistante sociale à titre définitif ;
–– octroyer le titre d’assistante sociale après passage d’un examen ;
–– renvoyer à la filière normale de scolarité ;
–– autoriser à exercer comme auxiliaire sociale.
À la fin de ses travaux, la commission a accordé : 1 580 autorisations
définitives d’exercer comme assistante sociale, dont environ 200 avec dis-
pense d’examen ; 647 autorisations définitives d’exercer comme auxiliaire
sociale et 3 500 autorisations temporaires d’exercer comme auxiliaire.
Parmi les autorisations temporaires, nombreuses furent celles qui aban-
donnèrent la profession, tandis que d’autres s’inscrivirent dans les écoles
pour suivre la formation et passer le diplôme d’État.

1.2.3. Le passage au secteur public


Parallèlement à la médicalisation et à la croissance numérique de la
profession, un autre changement va achever de transformer le corps pro-
fessionnel : à partir de 1946 et, notamment, de la mise en place des orga-
nismes nationaux de sécurité sociale et d’allocations familiales, la majorité
des assistantes travaille dans le secteur public ou parapublic. Parallèlement,
le financement privé des diverses associations de service social va progres-
sivement se tarir et c’est l’État qui finance une grande partie des services
sociaux privés. À cette dépendance financière directe ou indirecte vis-à-vis
de l’État, va s’ajouter l’extension de la législation sociale, que les assistantes
sociales auront pour mission d’appliquer, en particulier les ordonnances sur
l’organisation de la Sécurité sociale et la charte de la Protection maternelle
et infantile.

31. Pascal H. (2012), La construction de l’identité professionnelle des assistantes sociales.


L’Association nationale des assistantes sociales (1944‑1950), Rennes, Presses de l’EHESP,
coll. « Politiques et interventions sociales ».

19
Méthodologie de l’intervention en travail social

Le recensement de 1954 du ministère de la Santé permet de voir le poids


dominant des services publics parmi les employeurs d’assistantes sociales 32.
Les services départementaux d’hygiène sociale emploient 2 972 assistantes
sociales, la mutualité agricole, les caisses d’allocations familiales et les
caisses de sécurité sociale en occupent 3 191, les services des départements
ministériels et des entreprises publiques en emploient 2 385.
Dans cette liste de services, si on ne prend que ceux qui appartiennent
au secteur public (État, départements et municipalités), semi-public et natio-
nalisé, on a 9 372 assistantes sociales (soit 63,30 % du total) auxquelles il
faut ajouter ou retrancher celles dont le système de classement ne permet
pas de déterminer à quel secteur précis elles appartiennent.

1.2.4. La profession face à la nouvelle situation


Dans un contexte de bouleversements politiques et sociaux et de chan-
gements dans la profession, les assistantes sociales s’organisent. Après le
projet avorté d’ordre professionnel sous le gouvernement de Vichy, la très
grande majorité des assistantes sociales s’organise dans l’Association natio-
nale des assistantes sociales diplômées d’État (ANASDE), créée en
décembre 1944. L’objectif est de regrouper les assistantes en vue de
défendre la profession. Leurs premiers combats portent sur la défense du
titre (obligation du diplôme pour exercer) et sur le secret professionnel, les
deux revendications sont obtenues par la loi d’avril 1946 ; l’ANASDE
devient l’ANAS puisqu’il ne peut plus y avoir d’assistantes sociales non
diplômées. Face aux mesures de nationalisation, d’instauration de système
de protection sociale collective, à la création des comités d’entreprise,
mesures prises à la Libération par un gouvernement de gauche au sein
duquel le Parti communiste pèse fortement, les assistantes sociales s’inter-
rogent sur leur rôle dans les nouvelles institutions. L’ANAS se dit favorable
à ces nouvelles institutions. Par la voix d’Hélène Naegelen 33, directrice de
l’École normale sociale, l’ANAS affirme sa position au congrès de 1948 de
l’association :
« Retenons d’abord, avec plusieurs de nos collègues, que, dans l’état actuel de
collectivisation ; le service social a plutôt gagné dans l’ensemble. De plus en plus
intégré à la vie du pays, il ne doit plus vivre en franc-tireur, en marge des ins-
titutions. Le temps n’est plus du splendide isolement. Il s’agit de travailler pour
tous et avec tous, en conservant une grande lucidité. Si le service social sait
prendre sa place, il est mieux placé qu’auparavant pour collaborer aux réformes
sociales et même les susciter.

32. « Les assistantes sociales et médico-sociales en France. Enquête conduite en


1951‑1952 dans cinq départements sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé
et la fondation Rockefeller », op. cit.
33. Naegelen H., « L’évolution économique et sociologique. Son influence sur le service
social », in Association nationale des assistants de service social (1948), Service social et
technique, Paris.

20
L’évolution de la méthodologie de service social en France

« Seulement, interroge l’une d’entre nous, notre corps professionnel aura-t‑il,


dans son ensemble, assez de valeur pour acquérir autorité et profiter de sa
situation favorable ? »
Enfin, chacune d’entre nous a-t‑elle toujours la claire conscience de tout ce que
le mouvement de collectivisation pose comme problème de fond au service social
et aux AS, ce qu’il implique comme exigences : évolution, adaptation, élargis-
sement, collaboration, tout cela dans le maintien rigoureux d’une ligne droite et
exacte tant pour le service social lui-même que pour les institutions dans les-
quelles désormais il s’intègre ? »

Durant la période de guerre et d’occupation et dans les premières années


qui suivirent la Libération, les assistantes sociales durent faire face aux
multiples tâches provoquées par la gravité des situations vécues par la
population. Et les changements politiques de l’après-guerre les amenèrent
à mettre au centre de leurs préoccupations le statut et la fonction de la
profession, réclamant une autonomie technique pour la profession, comme
l’affirme Ruth Libermann qui fut la première présidente de l’ANAS
(1944‑1949) :
« Si nous réclamons pour les assistantes sociales, dans l’exercice de leurs fonc-
tions, une indépendance complète malgré une dépendance administrative iné-
vitable vis-à-vis de leurs employeurs, c’est que, sans elle, il n’est plus de service
social digne de ce nom. Accepter des employeurs ou chefs de service : l’ouverture
de notre courrier, la communication des rapports d’enquêtes individualisés et
complets, la mainmise sur les dossiers sociaux, une subordination hiérarchique
totale à l’autorité des supérieurs étrangers au service social lui-même, c’est trahir
le confident. C’est, à plus ou moins brève échéance, briser les liens de confiance
qui sont à la base même du service social. C’est donc anéantir les bienfaits et
l’efficacité de sa mission. L’enquête, le contrôle ont sans doute leur raison d’être
et sont nécessaires, mais il faut les confier à d’autres 34. »

Dans ce contexte la réflexion sur la méthodologie passait au second plan.

1.3. La domination du case work


Dans la conjoncture bien précise du début des années 1950, l’influence
des États-Unis en Europe occidentale n’est pas seulement politique, les
modes d’action nord-américains sur le social se diffusent également. Après
la période des années 1930 où le case work a été enseigné dans certaines
écoles et pratiqué dans quelques services de protection de l’enfance, des
contacts avec des assistantes sociales et des psychanalystes nord-
américaines, au lendemain de la Libération, le réintroduisent en France. Au
tout début des années 1950, ce mouvement ne touche que de rares

34. Libermann R. (1949), « Nature et buts du service social », Droit social, t. XXXIV,
février 1949. Texte publié dans La Revue Française de Service Social (2017), n° 266,
3e ­trimestre.

21
Méthodologie de l’intervention en travail social

assistantes sociales françaises qui s’organisent pour se former. Parlant des


« adeptes des premières heures », Jacqueline Perles et Georges-Michel
Salomon – qui en furent – présentent ainsi les premières formations :
« La formation au case work était alors une “initiation” – au sens plein du terme.
On entrait dans un cercle privé, puisqu’il s’agissait au tout début de petits
groupes, qui se tenaient au domicile des initiatrices nord-américaines ou psy-
chanalystes qui transmettaient leur propre compréhension des éléments d’une
nouvelle approche du service social. Comme on n’y faisait pas de cours, mais
qu’on mettait l’accent – de façon inductive (ce qui était inhabituel) – sur le
“vécu”, le “ressenti”, on était dans le domaine de l’indescriptible et on avait
beaucoup de mal à communiquer avec les autres –, les “non-initiés” –, qui n’y
voyaient que mystifications.
Il se créait ainsi, au fil des mois, au fil même des ans une « chapelle » de mino-
ritaires, éprouvant le besoin d’échanger régulièrement et de remettre en question
les visites à domicile, les enquêtes, les dossiers, la PMI, les placements 35… »

Ainsi, au départ, le case work – qui deviendra, sous l’influence de la


psychanalyste Myriam David, « l’aide psychosociale 36 » – est de l’ordre de
l’initiative personnelle de quelques assistantes sociales. Dans les années 1950,
le case work va lentement pénétrer les associations professionnelles et les
institutions sociales 37. Auparavant il avait été introduit à l’école Paul-
Baerwald de Versailles, école financée par des capitaux nord-américains et
ayant pour objectif de préparer des travailleurs sociaux, pour la plupart
d’origine juive, pour les communautés juives d’Israël et d’Afrique du Nord
(école fermée en 1953). Après la Conférence internationale de 1950 à Paris,
c’est l’Organisation des Nations unies (ONU) qui sera le principal canal, dans
les années 1950‑1952, de diffusion du case work. Quelques assistantes
sociales, boursières, suivent des séminaires de l’ONU (Vienne, 1950 ;
Hollande, 1951 ; Finlande et Genève, 1952). Ces boursières, très peu
­nombreuses (une vingtaine), seront à l’origine de la formation du case work.
C’est, en effet, à la suite du compte rendu du séminaire organisé en Hollande,
qu’un cours de psychologie est organisé par l’ANAS. À la suite de ce cours,
des participantes se regroupent, en petits groupes informels, autour de la psy-
chanalyste Myriam David, pour approfondir la méthode. En même temps, les
assistantes sociales, ayant participé au séminaire de Genève, créent le Groupe
de Genève qui, s’élargissant, deviendra en 1954 le Groupement de recherche
en case work. Le relais est pris ensuite par des services sociaux comme ceux
de l’Union nationale des caisses d’allocations familiales (UNCAF),
de la SNCF, par des écoles de service social ou par des organisations

35. Perles J., Salomon G.-M. (1994), « Une page fondamentale de l’histoire du service
social français », La Revue française de service social, n° 173‑174, 2e et 3e trimestres.
36. Perrot G., Fournier O., Salomon G.-M., L’intervention clinique en service social,
op. cit.
37. Perles J. (1979), « Chronologie de la formation permanente et supérieure en service
social », in Forum, n° 10, Comité de liaison des centres de formations permanentes et supé-
rieures en travail social.

22
L’évolution de la méthodologie de service social en France

professionnelles tels que le Comité national d’entente des écoles de service


social (CNESS), l’Union catholique internationale de service social (UCISS),
l’ANAS 38.
Quelles sont les raisons du succès du case work tel qu’il était enseigné
en France ? Elles sont multiples et d’importance diverse.
Il faut tout d’abord resituer cette période dans son contexte politique
international. Le monde était alors en pleine guerre froide, profondément
divisé en deux blocs antagonistes dominés l’un par les États-Unis, l’autre
par l’URSS. En France, l’influence nord-américaine dominait. Ce pays était
un modèle pour la majorité des hommes politiques, des employeurs, des
intellectuels, bref, l’idéologie dominante était imprégnée par ce modèle.
Vu leurs origines sociales et idéologiques, il est normal que les assistantes
sociales aient subi fortement l’influence nord-américaine. Cela d’autant plus
qu’il n’y avait aucun modèle de travail social opposé au modèle nord-
américain, abondamment diffusé par les organisations internationales.
Il faut remarquer que la quasi-totalité des premières enseignantes de case
work, en France, étaient des psychologues de formation psychanalytique,
ce qui a donné une forte tournure psychanalytique à son enseignement.
Cependant, un case work plus proche du modèle américain et en continuité
avec les enseignements de Mary Richmond a été enseigné dans un certain
nombre d’écoles (l’école Paul-Baerwald, l’École technique des surintendantes
d’usines et de services sociaux, l’École départementale de service social) par
une assistante sociale nord-américaine, Mme Goldsmith.
L’obstacle qui aurait pu s’opposer à l’introduction de cette méthode for-
tement inspirée par la psychanalyse n’existait plus. L’Église catholique, après
la Seconde Guerre mondiale, a commencé à accepter, non sans débats, la
psychanalyse. La majorité des assistantes sociales françaises étant catho-
liques, une opposition de l’Église aurait bloqué son développement. Mais ce
ne fut pas le cas, et l’Union catholique internationale de service social a été
un des principaux propagandistes du case work. Au IXe congrès mondial
(Bruxelles, 18 au 25 août 1958), les participants au groupe de travail
« Case work et conception chrétienne de l’homme » concluent en ce sens :
« Les participants au groupe de travail ont été unanimes à reconnaître que
les principes de la pratique du case work pleinement compris ne posent pas
de problèmes quant à la possibilité de leur intégration à la conception
chrétienne de l’homme 39. »

38. Vie sociale (1999), « Éléments pour une histoire du case work en France (1945‑
1970) », no 1.
39. Recommandations du groupe 6 : Case work et conception chrétienne de l’homme,
IXe Congrès mondial de l’UCISS. « L’affrontement des techniques et des valeurs dans le service
social », Bruxelles (Belgique), 28‑29 août 1958. Voir aussi : Collectif (1954), « Esquisse d’une
psychologie de l’homme – Réflexion sur le case work », Pages documentaires (bulletin de
l’UCSS), n° 3).

23
Méthodologie de l’intervention en travail social

Le case work a également permis de commencer à sortir la profession


d’un moralisme pesant et à resituer le client, comme individu, au centre de
leur préoccupation. Cette démarche a eu d’autant plus de succès que pesaient
sur les assistantes sociales les contraintes administratives. C’est au moment
où l’assistante sociale devient agent d’application d’une législation sociale
– à l’élaboration de laquelle elle n’a aucune part – qu’elle centre son atten-
tion sur le client individu singulier. Dans une certaine mesure, l’introduction
du case work a construit le regard professionnel sur la relation client/­
assistante sociale, pas toujours située dans son cadre institutionnel. Pour le
psychosociologue marxiste Gilbert Mury :
« Le case work représente pour la profession la plus grande libération possible
dans les conditions de l’après-guerre. D’abord, parce qu’il a renforcé, accentué,
porté au rang de vérité scientifique la priorité au client. Dès son apparition, il
est clair que l’autre doit être aidé, soutenu, porté en avant pour lui-même et non
pas en fonction d’une politique institutionnelle. C’est installer le client dans la
position de pôle dominant dans la contradiction où il s’oppose à la “société”, ce
terme vague, prudemment imprécis, confondant toutes les forces antagonistes
dont l’affrontement constitue l’histoire et permettant d’identifier, à peu de frais,
les intérêts de la classe dominante à l’intérêt général 40. »

Cette occultation des contraintes de type administratif a pu d’autant plus


jouer que les tâches des assistantes sociales ont changé. Avant la guerre,
c’étaient souvent des assistantes qui organisaient des colonies de vacances,
mettaient en place des organismes mutuels de sécurité sociale ou d’alloca-
tions familiales, des « bourses au logement ». Tout cela est repris par diverses
institutions : les colonies de vacances, par exemple, sont désormais organi-
sées par des comités d’entreprise, des municipalités, ou des caisses d’allo-
cations familiales ; les prestations de la Sécurité sociale et des Allocations
familiales sont généralisées. Ainsi l’assistante sociale a-t‑elle l’impression
d’être dépossédée de nombreuses tâches ; il ne lui reste, semble-t‑il, que ce
qui n’est pas pris en charge par des institutions : l’« aide psychologique ».
Une enseignante en case work, Mme Sailer, résume bien cette idée qui a fait
le succès du case work :
« Les nouvelles situations sociales et économiques nous libèrent d’une partie de
nos tâches d’autrefois, mais nous mettent également devant de nouvelles. Les
problèmes auxquels nous avons affaire sont de moins en moins des problèmes
économiques, mais des problèmes de relations humaines 41. »

Dans une profession qui avait des difficultés à se situer en tant que telle,
souvent réduite à des tâches d’aide matérielle, le case work est apparu

40. Mury G. (1974), « Les travailleurs sociaux », Droit social, n° 11.


41. Mlle Nampon, « Compte rendu de la conférence de Mme Sailer au séminaire sur le case
work organisé par l’École nationale de santé publique et le Comité d’entente des écoles de
service social – sous le patronage de l’Office européen des Nations unies », 30 ­janvier-9 février
1957, texte ronéotypé, s. d.

24
L’évolution de la méthodologie de service social en France

comme « la » technique propre à la profession, il lui permettait de présenter


son action comme autre chose qu’une accumulation de tâches. C’était
l’accession au niveau de la connaissance scientifique de l’individu et, ainsi,
le service social devenait une démarche de type scientifique. Ce n’était plus
de « la charité à la sauce mode ». Cette accession au niveau de la science
avait un autre avantage que celui de définir la profession. Au moment où
la profession est de plus en plus encadrée par une hiérarchie de type admi-
nistratif, le case work permettait de reconstituer une hiérarchie interne à la
profession, hiérarchie liée au savoir et non au pouvoir administratif.
Le temps n’était plus où les assistantes sociales pouvaient créer des œuvres,
les diriger, les étendre, accéder à de hautes fonctions de responsabilité dans
des œuvres privées et, parfois, au ministère. Maintenant les possibilités de
s’élever au sein de la profession jusqu’à des postes de haute responsabilité
deviennent nettement plus rares.
Le case work entraîne aussi un repliement de la profession sur elle-même
et sur la seule tâche qui lui est assignée : l’aide psychologique. Même si
toutes les assistantes sociales étaient loin de pratiquer le case work, ce
dernier était le modèle dominant diffusé par les organisations d’employeurs
(UNCAF) et surtout, les groupes idéologiques (UCISS) les plus importants.
Ce n’est sans doute pas un hasard si, au moment même où le case work se
répand parmi les assistantes sociales, d’autres professions de travailleurs
sociaux prennent de l’extension. De nombreux autres facteurs, économiques
et historiques, expliquent certes le développement des différents travailleurs
sociaux. Mais, souvent, ils remplissent des tâches antérieurement dévolues
aux assistantes sociales : avant la Seconde Guerre mondiale et dans les
premières années qui l’ont suivie, c’étaient des assistantes qui animaient les
centres sociaux, qui avaient des fonctions éducatives auprès d’adolescents,
etc. Ce relatif retrait d’un certain nombre de champs s’accompagne d’une
focalisation du regard de l’assistante sociale sur elle-même agissant. Celle-ci
doit sans cesse s’autoanalyser ; les rapports superviseur/supervisé s’éta-
blissent très souvent sur le modèle psychanalyste/patient. Écoutant le client,
l’assistante sociale centre son analyse plus sur ses réactions que sur ce que
lui dit le client :
« L’objectivité pour l’assistante sociale, c’est essentiellement prendre conscience
de sa propre subjectivité. Pour cela, il est nécessaire que l’assistante sociale
accepte la conception des besoins psychosociaux comme motivation du com-
portement pour elle-même comme pour les autres, et qu’elle essaie de com-
prendre ses propres réactions et actions pour établir dans quelle mesure elles
expriment ses propres besoins et risquent d’aller à l’encontre de la satisfaction
des besoins du client 42.

42. Idem.

25
Méthodologie de l’intervention en travail social

1.4. Des méthodes de groupe et de communauté


à l’approche globale
À la fin des années 1950 et au début des années 1960, le case work
commence à être intégré dans les programmes d’enseignement du service
social des écoles. Il est devenu le modèle dominant de traitement social.
Mais, déjà, on commence à enseigner les autres méthodes : service social de
groupe et service social communautaire. La réforme du diplôme d’État
d’assistant de service social de 1962 introduit dans le programme officiel
l’enseignement des cinq méthodes : « service social individualisé, service
social de groupe, service social de communauté, administration, recherche. »
Bien qu’ils soient au programme, les enseignements de service social de
groupe et de communauté se développent lentement dans les écoles de
service social, des formations sont organisées pour les assistantes sociales
en poste dans un certain nombre de services sociaux. Le contexte national
et international permet de comprendre pourquoi ces méthodes sont apparues
comme progressistes par rapport au service social individualisé.

1.4.1. Les formations au service social de groupe


et de communauté
Avec la réforme de 1962 introduisant la formation aux méthodes, les
écoles de service social organisent, avec une ampleur plus ou moins grande,
l’enseignement de groupe et de communauté 43. L’ONU avait impulsé ce
phénomène en publiant, en 1955, une brochure largement diffusée sur le
thème : « Le progrès social par le développement communautaire. » La même
année, l’ONU organise le premier séminaire sur le service social de groupe
(Helsinki/Finlande) suivi de trois autres sur le même thème (1956, Leicester/
Grande-Bretagne ; 1959, Oslo/Norvège ; 1959, Sèvres/France). Le service
social de communauté fait également l’objet de séminaires des Nations unies
sur le développement et l’organisation communautaire en 1958 à Palerme
(Italie), en 1959 à Bristol (Grande-Bretagne), en 1961 à Athènes (Grèce). Ces
séminaires, notamment celui de Sèvres, auront une certaine répercussion
sur l’enseignement de groupe et de communauté en France.
Dès l’année scolaire 1961‑1962, l’Institut de service social et de recherche
sociale (ISSRS de Montrouge) traite, dans sa formation de cadres, du travail
social communautaire. C’est à partir de l’année suivante – et jusqu’à l’année
scolaire 1966‑1967 – que l’ISSRS et l’École normale sociale (ENS) organisent
en commun, chaque année, un séminaire de trois jours pour les étudiants
en formation initiale de troisième année, sur le service social de commu-
nauté. Le séminaire essaye d’intégrer à l’enseignement une pratique en stage.

43. Gibeaux D. (1983), « Histoire du travail social de groupe et évolution de son ensei-
gnement en France », Forum, no 26, octobre.

26
L’évolution de la méthodologie de service social en France

Par ailleurs, la Mutualité sociale agricole organise, dès 1960, un ensei-


gnement au service social de groupe et des services comme l’UNCAF ; le
Service social d’aide aux émigrants (SSAE) et l’Association pour le logement
familial (ALFA) essayent de développer une pratique de groupe et de com-
munauté. Il est significatif que ce soit ces services sociaux qui essayent de
dépasser le case work. Ils sont, en effet, confrontés aux profondes mutations
du monde rural, au développement de nombreux organismes ayant pour
objectif de faciliter l’exode rural, c’est-à-dire le passage des jeunes ruraux
de l’agriculture à l’industrie. L’urbanisation confronte l’UNCAF, l’ALFA, et
le SSAE à des problèmes collectifs.
L’UNCAF et l’ALFA développent des centres sociaux dans les nouveaux
ensembles urbains ; la fonction d’animation devient un de leurs axes de tra-
vail privilégiés. L’UNCAF a mis en place, après plusieurs années de recherche
sur le profil de poste, une formation de responsables de centres sociaux. Dans
cette formation, des enseignants français et étrangers (notamment un
Hollandais) abordaient les méthodes de travail social communautaire. Le
SSAE est confronté à la politique de résorption des bidonvilles et au reloge-
ment des travailleurs immigrés : là encore il y a nécessité d’aborder les pro-
blèmes sous un angle collectif et non individuel. Les services sociaux de la
SNCF, eux aussi implantés dans des concentrations urbaines (les cités de
cheminots) et, par là, confrontés à des problèmes d’animation, commencent
à s’intéresser au service social de communauté. En 1963, l’École des surinten-
dantes ouvre une formation au travail social de groupe pour des profession-
nels. Enfin, les journées pédagogiques de 1965 du Comité d’entente des écoles
de service social ont, à leur programme, des cours sur ces deux méthodes.
Ce qu’on appelle « les événements de mai 1968 » a bousculé l’ensemble des
travailleurs sociaux tout comme le reste de la population française, d’autant
plus que le baby-boom de l’après-guerre et la très forte croissance des postes
ouverts aux professionnels dans ces années-là ont fait que la majorité des
travailleurs sociaux était jeune. De nombreux travailleurs sociaux s’interrogent
sur leur rôle politique ; cette interrogation a fortement porté sur l’action quo-
tidienne et remis en cause le service social individualisé. De nombreux tra-
vailleurs sociaux, refusant un rôle de « replâtrage de la société » pour le service
social, ont cru pouvoir transformer ce rôle par un changement de méthodo-
logie. Schématiquement, au service social individuel qu’ils considéraient
comme « réactionnaire », ils ont opposé le travail social de groupe et de com-
munauté considéré comme « progressiste ». De là, un engouement se développe
pour ces méthodes parmi les professionnel(le)s et surtout les étudiant(e)s en
service social, comme en témoigne une enquête réalisée en 1970 44 : 19 % des

44. Courtecuisse N., Brams L. (1972), Les assistantes de service social : 1970. Contribution
à la sociologie d’une profession, Paris, éditions INSERM ; Courtecuisse N. (1973), « Avant de
transformer, et pour transformer, il faut d’abord connaître », La Revue française de service
social, n° 97, 1er trimestre.

27
Méthodologie de l’intervention en travail social

étudiant(e)s expriment un choix préférentiel pour le service social de groupe


(10 %) et de communauté (9 %), 30 % expriment un choix pour « plusieurs
méthodes » contre 32 % pour le service social de cas individuel.
À partir de 1969, les formations en SSG et SSC (principalement au niveau
de la formation permanente) se multiplient d’autant que, cette même année,
la suppression de la première année commune avec les infirmières augmente
les temps d’enseignement et de stages consacrés au service social, mais la
formation en service social individuel reste dominante parmi les centres de
formation permanente :
« En 1973, quatre centres ont formé trente-huit assistantes au travail social de
groupe (en formation longue, plus de 480 heures), pendant que quatorze centres
formaient cinq cent dix assistantes à l’aide psychosociale individualisée et six
centres formaient au travail social de groupe cent trente-quatre assistantes en
formation courte (entre 160 et 140 heures) pendant que deux centres formaient
quarante-cinq assistantes sociales à l’aide psychosociale 45. »

Des centres de formation se spécialisent selon l’une ou l’autre méthode,


des services poussent leur personnel vers ces formations spécialisées.
L’influence des professionnels nord-américain et québécois reste très forte.
À titre d’exemple, nous pouvons citer un événement qui a touché surtout
les formateurs des écoles : la conférence de Gisèle Konopka, le 26 février
1971 à l’ISSRS de Montrouge, sur « L’utilisation des groupes dans la pratique
du service social et de l’éducation 46 ».
Le passage des méthodes de service social individuel (SSI), de groupe
(SSG) et de communauté (SSC) à ce qui sera appelé l’« intégration des
méthodes » ou « approche globale » se fait, dans les centres de formation
(principalement de formation permanente), vers le milieu des années 1970.
Ce passage se réalise sous la double influence, d’une part, des courants théo-
riques venus des États-Unis et, d’une manière plus diffuse, de l’Amérique
latine 47, et, d’autre part, des problèmes rencontrés par les travailleurs sociaux
dans leur pratique. En effet, il devenait de plus en plus difficile, dans la
pratique, de maintenir une cloison étanche entre l’approche des individus et
des groupes. Seul le travail social communautaire paraissait une méthode
spécifique, par ailleurs très peu pratiquée en France. Ainsi, l’intégration des
méthodes consistait davantage en l’intégration du SSI et du SSG. La démarche
suivie par l’École des surintendantes pour passer, en 1971, de l’enseignement
séparé du SSI et du SSG à un enseignement à l’approche globale qui, selon

45. Leplay É. (1976), « La formation à la méthodologie d’intervention en service social »,


La Revue française de service social, n° 112, 4e trimestre.
46. Konopka G. (1974), « Dynamique de groupe et travail social. Journée d’étude du
26 février 1971 », Montrouge, ISSRS, document ronéotypé.
47. Les coups d’État dans les pays du cône sud de l’Amérique latine (Uruguay, 1973 ;
Chili, 1973 ; Argentine, 1976) ont conduit à l’exil, en France et en Europe, de nombreux
travailleurs sociaux originaires de ces pays.

28
L’évolution de la méthodologie de service social en France

la définition adoptée par l’école, vise à resituer l’acte professionnel dans son
contexte global – illustre les raisons de cette évolution :
« L’analyse de la pratique réelle des assistantes nous faisait constater que le
cloisonnement des modes d’intervention n’était pas une bonne chose.
– Considérant qu’environ 50 % des assistantes sont polyvalentes, que la politique
ministérielle allait dans le sens du développement de cette polyvalence, il nous
semblait qu’une spécialisation dans un seul mode d’intervention ne correspondait
plus à la réalité de la pratique.
– Tout travailleur social ou presque est en situation d’utiliser les deux formes de
travail avec les individus ou avec des groupes, qu’il vaut mieux choisir en
fonction des besoins des clients qu’en fonction de ce que la formation reçue
permet ou non de faire.
– En raison de l’impossibilité ou de l’inutilité de faire deux formations succes-
sives de trois ans chacune avec le gaspillage de temps et d’argent que cela aurait
représenté.
– Le constat d’un certain nombre de points communs entre les contenus des deux
formations.
– Et surtout le désir de prendre davantage en compte la réalité des institu-
tions 48. »

1.4.2. Le contexte idéologique et social du développement


de ces méthodes
Peut-être plus que pour le case work, le développement du service social de
groupe, du service social communautaire et de l’approche globale a été
influencé par la conjoncture sociopolitique. Pour analyser ces relations entre
le contexte et le développement de ces méthodes, on ne peut se limiter à n’étu-
dier que la situation française. Moins qu’à une autre période, on ne peut isoler,
dans les années 1950‑1970, les processus de changement dans de nombreux
pays, comme nous le développerons dans les paragraphes qui vont suivre.
Plus que jamais, l’évolution des idéologies, des techniques, des situations
économiques et politiques ignore les frontières. Aussi aborderons-nous tout
d’abord – et très schématiquement – la crise des valeurs qui, peut-on dire,
a touché le monde, puis nous ferons une rapide description de la situation
en Amérique latine et aux États-Unis, zones clés si on veut étudier les
relations entre changements sociaux et méthodologie de service social, et,
pour terminer, nous reviendrons sur quelques changements sociaux et poli-
tiques en France.

nnLa crise des valeurs


La fin des années 1950 et le début des années 1960 sont marquées par
une « crise des valeurs » touchant particulièrement les intellectuels – dont
le rôle a changé et le nombre s’est accru – et la jeunesse – dont le poids

48. Leplay É. (1976), op. cit.

29
Méthodologie de l’intervention en travail social

démographique est important. À l’origine de cette crise des valeurs, de


nombreux facteurs, parfois particuliers à un pays ou un groupe de pays ;
parmi les facteurs principaux d’ordre international, citons :
–– le vent de réforme et de transformation qui bouleversera l’Église
catholique sous le pontificat de Jean XXIII (1958‑1963) et avec le concile
Vatican II (1962). Ce vent de réforme a profondément modifié la pratique
des militants catholiques – clercs et laïcs – et a donné une forte impulsion
à une recherche théologique multiple. Il a également permis et favorisé la
diversification des Églises nationales ;
–– la fin du monolithisme stalinien avec, notamment, la « dénonciation
des crimes de Staline » par les xxe et xxiie congrès du Parti communiste de
l’Union soviétique (1956 et 1961), et les insurrections de Pologne et de
Hongrie en 1956. Cette période a été à l’origine de nombreuses crises et
ruptures au sein de la plupart des partis communistes. Mais, surtout, cette
période est pour les nombreux intellectuels militants ou sympathisants des
partis communistes, le début du « dégel » : la recherche pouvait repartir sans
les limitations et sans les interdits de la « science prolétarienne » chère à
Staline. Par exemple, la psychanalyse cessait ainsi d’être condamnée comme
« bourgeoise ». Parallèlement, le climat de la guerre froide disparaissait ; on
ne demandait plus aux intellectuels de « choisir leur camp », le choix étant
limité à deux options. Pour reprendre Sartre du début des années 1950, le
choix n’était plus posé entre accepter « les mains sales » (c’est-à-dire les
crimes du régime stalinien et la « raison du parti ») et être ainsi aux côtés du
prolétariat et de la révolution, ou se mettre au service de l’impérialisme avec
son exploitation et ses guerres coloniales ;
–– la fin des empires coloniaux et l’entrée en force du dénommé « tiers-
monde » sur la scène politique et économique internationale. La période qui
va de 1950 au début des années 1960, ouverte par l’indépendance de l’Inde
(1945) et la victoire de la révolution chinoise (1949), voit la quasi-totalité
des colonies européennes (Grande-Bretagne, France, Pays-Bas, Belgique)
accéder à l’indépendance, soit à l’issue de luttes armées (Vietnam, Laos,
Cambodge, Tunisie, Maroc, Algérie), soit à l’issue d’un processus négocié
(colonies françaises d’Afrique noire). La revendication nationale et l’acces-
sion à l’indépendance de ces colonies provoquent une forte remise en ques-
tion dans l’opinion occidentale. Ces « gens-là », qu’on était allé « civiliser »,
rejetaient la tutelle, s’affirmaient – malgré la persistance de liens néocolo-
niaux pour certains – sur un pied d’égalité avec les ex-puissances coloni-
satrices et remettaient en question, en fait ou en théorie, l’universalité des
valeurs du monde occidental. Bien qu’ayant peu retenu l’attention de l’opi-
nion publique lors de son déroulement, la conférence de Bandung en
Indonésie (1955), qui réunit de nombreux pays du tiers-monde, marquait la
fin d’un monde bipolaire. L’analyse du « sous-développement » et les « voies
du développement » devenaient une question d’actualité en Occident.

30
L’évolution de la méthodologie de service social en France

nnL’Amérique latine
L’événement qui ébranla toute l’Amérique latine fut l’entrée victorieuse,
en janvier 1959, des colonnes de guérilleros castristes à La Havane. Mais
cet événement n’était pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Dès la
fin de la Seconde Guerre mondiale était posé à l’Amérique latine son pro-
blème central : sa dépendance économique et politique vis-à-vis des États-
Unis. Des mouvements populistes (Perón en Argentine, Vargas au Brésil),
des essais de réforme agraire (Guatemala réprimé par une intervention
militaire des États-Unis en 1954), des luttes agraires (Argentine, Colombie,
Uruguay, Pérou, etc.) avaient été des signes annonciateurs de la révolution
cubaine. En référence à cette révolution, toute une génération critique s’est
formée en Amérique latine à partir des années 1960. En même temps que
des mouvements de guérilla rurale puis urbaine se développaient, une
recherche d’identité latino-américaine était menée dans les domaines de la
culture, des sciences humaines, de la théologie, par la majorité des
intellectuels.
Parallèlement, la politique des États-Unis vis-à-vis de l’Amérique latine
changeait. Ce fut la politique de l’alliance pour le progrès (1960) lancée par
John Fitzgerald Kennedy. Cette politique visait à répondre politiquement à
la révolution cubaine par des expériences de développement sans change-
ment de régime (le cas le plus typique fut la politique de la démocratie
chrétienne au Chili) et par l’aide à la chute de certaines dictatures – pas
toutes – comme celles de Saint-Domingue ou du Venezuela. Cette politique
répondait aussi aux nécessités (pour les États-Unis) d’une nouvelle politique
économique en Amérique latine. Le continent ne devait plus rester qu’un
producteur de matières premières brutes ; une certaine industrialisation – et
donc la création d’un marché intérieur restreint touchant les classes
moyennes – devenait rentable. Cette politique de réformes dura peu ; face
à la « montée des périls », la politique du « gros bâton » fut de nouveau en
vigueur. Ce furent le coup d’État au Brésil en 1964, l’intervention armée à
Saint-Domingue en 1965, puis, au début des années 1970, la série de coups
d’État dans le cône sud (Bolivie, Uruguay, Chili, Argentine).
Ce contexte latino-américain va déboucher directement, chez les travailleurs
sociaux de ce continent, sur une interrogation sur leur rôle et une nouvelle
définition de ce rôle. Le travailleur social, au milieu des années 1960, se situe
comme un « agent de changement », dans le processus de développement :
« À la lumière du phénomène particulier latino-américain consistant en un chan-
gement social, conséquence du développement qui se produit, le rôle du travail-
leur social s’élargit ; il ne doit plus être seulement un technicien du service social,
il doit aussi contribuer aux programmes de développement, à leur élaboration
et leur application, orientant la population dans la compréhension des problèmes
et des solutions qui contribuent à l’amélioration du niveau de vie ; cela au moyen
d’un processus socio-éducatif destiné à former une attitude mentale, individuelle
et collective, adaptée au changement qui se produit. En même temps, il doit
promouvoir l’adaptation sociale, aussi bien au plan individuel que collectif, par

31
Méthodologie de l’intervention en travail social

sa participation aux programmes de réforme agraire, logement, santé, éducation


et autres qui font partie du macroplan de développement 49. »

Rapidement, cette définition du travailleur social comme agent de chan-


gement dans un processus de développement amène les travailleurs sociaux,
dans la période des années 1960 début des années 1970, à s’interroger sur
la nature du développement et les obstacles qui s’y opposent. Le dévelop-
pement est-il le « miracle brésilien » qui voit le pays s’industrialiser, mais au
prix d’une dégradation de la situation des plus pauvres et d’une dictature
militaire ? Cette interrogation, portée par de nombreux professionnels et
étudiants, rencontre dans les sciences sociales un mouvement de renouveau
théorique enraciné dans la réalité latino-américaine et rompant avec les
modèles conceptuels importés des puissances dominantes. Dans un autre
domaine, s’élabore la théologie de la libération, s’enracinant, elle aussi, dans
la réalité latino-américaine. De là naît le mouvement de « reconceptualisa-
tion du service social » qui débouchera sur l’« intégration des méthodes ».
Ainsi, on peut dire que l’« intégration des méthodes » naît, en Amérique
latine, d’un double mouvement :
–– la constatation que les différentes méthodes ne sont pas incompatibles
entre elles et qu’elles peuvent être employées, simultanément ou successi-
vement, dans une situation donnée ;
–– la volonté de situer le travail social au service d’une politique de
changement global de la société, adaptée à la réalité latino-américaine.

nnLes États-Unis
Aux États-Unis, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, le
grand facteur de bouleversement est l’émergence du mouvement des Noirs
américains revendiquant l’égalité raciale (Martin Luther King), mouvement
s’orientant vers l’affirmation de leur identité propre (Black Power, Black
Panthers). Ce mouvement fut un rude coup pour les mythes fondateurs de
la conscience (blanche) nord-américaine. Des millions de « citoyens améri-
cains » n’étaient pas passés à la moulinette du melting-pot, l’égalité entre les
citoyens était fonction – entre autres – de la couleur de leur peau. Dans la
foulée du mouvement noir, les États-Unis redécouvraient leurs pauvres. Là
encore choc important : comment, dans le pays le plus riche du monde, des
millions de citoyens pouvaient-ils vivre au-dessous du seuil de pauvreté ?
La lutte pour l’égalité raciale et la lutte contre la pauvreté deviennent des
aspects importants de la politique fédérale sous les présidences de John
Fitzgerald Kennedy (1960‑1963) et de Lyndon Baines Johnson (1963‑1968).
Puis vient le troisième élément qui amena les États-Unis à douter d’eux-
mêmes : la guerre du Vietnam. De très nombreux intellectuels et une bonne

49. Élèves de l’Institut de travail social de Buenos Aires (1965), « Objetivos y perspectivas
del Servicio Social », Hoy en el Servicio Social, Buenos Aires, n° 3.

32
L’évolution de la méthodologie de service social en France

partie de la jeunesse se trouvent en opposition avec le gouvernement fédéral.


Enfin, le mouvement de libération des femmes apporta sa contribution à
l’ébranlement des idées reçues et des normes sociales.
Ainsi peut-on dire que le renouveau de la méthodologie en travail social
est impulsé par l’irruption collective, sur la scène sociopolitique, des « mar-
ginaux » noirs et pauvres, et la remise en cause des valeurs traditionnelles.
Alors que le service social de groupe, déjà connu et pratiqué depuis long-
temps, est mis en œuvre par des travailleurs sociaux dans le cadre de ser-
vices sociaux travaillant principalement dans les activités de réinsertion
(prison, psychiatrie) ou d’organisation des loisirs de jeunes (centres sociaux).
Le service social communautaire est surtout porté par des militants des
mouvements noirs ou des animateurs, comme Saul Alinsky 50, mêlant étroi-
tement une action de type politique et une action de type social. Les luttes
pour l’égalité raciale et les programmes de « lutte contre la pauvreté » vont
amener une nouvelle génération dans les écoles de service social. Il s’agit
d’étudiants qui viennent y chercher une méthodologie pour l’action au
service d’objectifs sociopolitiques. Un double mouvement se produit ainsi
vers le service social : les militants des mouvements noirs ou chicanos y
vont pour développer leur conscience et capacité d’action, tandis que des
étudiants s’y dirigent, pour des objectifs de changement social, plutôt que
vers d’autres carrières plus rentables en termes de salaire et de promotion
sociale. Ainsi, en 1970, l’école de service social de l’université de New York
compte parmi ses élèves un tiers de Noirs et de Portoricains 51, proportions
éloignées du pourcentage de ces ethnies dans la population globale, mais
proches sans doute de leur pourcentage dans la clientèle des services
sociaux. Au même moment où, en France, on commençait à connaître le
service social de groupe et de communauté, une des théoriciennes du service
social de groupe, Gisela Konopka donnait, en automne 1961, devant le
« chapitre » de Toronto de l’Association canadienne des travailleurs sociaux,
une conférence intitulée : « On demande une méthode générique de service
social 52 », où elle souligne les aspects communs aux méthodes de service
social individuel et de groupe, ainsi que leurs spécificités. Le texte de cette
conférence a été assez largement diffusé dans les écoles de service social en
France.

50. Alinsky S. (1976), Manuel de l’animateur social. Une action directe non violente,
Paris, Seuil, coll. « Points Politique », (publié aux États-Unis sous le titre Rules for Radicals
en 1971 et réédité en 2012 sous le titre Être radical. Manuel pragmatique pour radicaux
réalistes par Aden Éditions, Bruxelles).
51. Bemheim N. (1970), « Les services sociaux américains sont engagés dans une course
contre la montre », Le Monde, 1er-2 novembre.
52. Konopka G. (1974), « On demande une méthode générique de service social »,
Montrouge, ISSRS, document ronéotypé.

33
Méthodologie de l’intervention en travail social

La nouvelle génération de travailleurs sociaux entrés dans les centres de


formation nord-américains va donner une forte impulsion à la recherche
méthodologique. Ce type de recherche en travail social n’était, à cette
époque, pas une nouveauté aux États-Unis : formés dans un cadre univer-
sitaire, ayant des liens étroits avec les sciences sociales (psychologie et
sociologie) et bénéficiant de plus, depuis Mary Richmond, de solides tradi-
tions de recherche, les travailleurs sociaux nord-américains ont fortement
développé la recherche théorique en travail social.

nnLa France
En France, trois séries d’événements vont amener de profonds change-
ments dans les modes de vie et dans l’idéologie. Il s’agit :
–– d’une crise politique ;
–– de changements socio-économiques ;
–– d’une crise morale.
La crise politique se développe au milieu des années 1950. L’instabilité
gouvernementale permanente, l’influence des divers groupes de pression
sur le pouvoir, le fractionnement des organisations politiques et les fluctua-
tions d’alliance conduisent l’opinion vers un profond mépris des politiciens
et un fort antiparlementarisme. Cette faiblesse et cette incohérence du pou-
voir politique sont d’autant plus ressenties que ce dernier est confronté à
des événements graves (guerre froide, guerre d’Indochine, lutte de libération
nationale en Tunisie et au Maroc, début de la guerre d’Algérie). Cette crise
politique est résolue, d’une certaine manière, par le coup d’État du 13 mai
1958 qui amènera de Gaulle au pouvoir. Désormais, la nouvelle Constitution
dotait le pays d’un pouvoir exécutif fort permettant un suivi de la politique
gouvernementale et une élaboration de projets à long terme.
Les changements socio-économiques peuvent être perçus dès le début
des années 1950, mais ils s’accélèrent fortement à partir de 1958. La France
connaît un mouvement de développement industriel, accompagné de
concentrations d’entreprises et de modification des sources d’énergie (domi-
nation du pétrole) ; ce mouvement permet une élévation notable du niveau
de vie, favorise la concentration de l’habitat dans les villes grandes et
moyennes et accélère l’exode rural. Désormais, la majorité des Français vit
dans des villes. De plus, le développement économique (nécessitant de plus
en plus de personnel hautement qualifié) et l’essor démographique de
l’après-guerre sont à l’origine d’un très fort accroissement du nombre
d’étudiants.
La crise morale atteint son sommet avec la guerre d’Algérie, mais elle a
des racines plus profondes. On peut dire que le premier ébranlement dans
la conscience des Français fut la défaite de mai 1940. L’armée française, une
des plus puissantes d’Europe, était balayée en quelques semaines par l’armée
allemande qu’elle avait vaincue vingt-deux ans plus tôt. Le pays était à

34
L’évolution de la méthodologie de service social en France

moitié puis totalement occupé, les oppositions politiques se sont transfor-


mées, entre 1940 et 1944, en affrontement armé, en une guerre civile. En
1945, un consensus se fait autour du mythe de la résistance unanime de
tous les Français face à l’occupant. Malgré tout, ce consensus est rapidement
brisé par les débuts de la guerre froide en 1947, et la guerre d’Indochine qui
se termine par une nouvelle défaite de l’armée française à Diên Biên Phu en
1954. Mais c’est surtout la guerre d’Algérie qui va approfondir cette crise
morale. La guerre d’Algérie, par la participation massive du contingent à la
« pacification », va susciter des débats qui iront au-delà des prises de posi-
tion politiques. Le débat sur l’utilisation de la torture va progressivement
prendre de l’ampleur parmi les intellectuels et surtout au sein de la jeunesse
directement concernée.
Sous l’impulsion de ces trois séries d’événements, on assiste à une cer-
taine coupure entre la jeunesse et le reste de la population, coupure se
manifestant, entre autres, par des oppositions entre des organisations de
jeunesse – Union d’étudiants communistes (UEC) et Jeunesse étudiante
chrétienne (JEC) –, et les organisations adultes (Parti communiste français,
PCF, ou hiérarchie catholique), et par l’apparition de nouveaux courants
politiques comme, entre autres, le Parti socialiste unifié (PSU) qui fusionne,
en son sein, des courants marxistes et des courants chrétiens.
Les assistantes sociales, comme le reste de la population, seront touchées
par ces événements, d’autant plus que la profession s’est fortement rajeunie
à partir du milieu des années 1960. Tout d’abord, les changements socio-
économiques et le développement d’une programmation de l’action gouver-
nementale vont modifier leur milieu de travail et leur encadrement
institutionnel, tandis que vont se développer les autres professions de tra-
vailleurs sociaux. Mais aussi, la crise morale ne les épargnera pas : l’ANAS
doit se prononcer sur des événements liés à la guerre d’Algérie  53 .
L’association opposera la déontologie professionnelle à un ordre de réqui-
sition demandant aux assistantes sociales à participer, en 1956 à la casbah
d’Alger, à la fouille des femmes aux côtés de parachutistes fouillant les
hommes 54. D’une manière plus diffuse, les assistantes sociales seront tou-
chées par les changements et les ébranlements de l’Église catholique.
N’oublions pas que, selon l’enquête de l’Institut national de la santé et de la
recherche médicale (INSERM) de 1970 55, 89 % des assistantes en activité à
cette date ont été élevées dans la religion catholique et que 79 % de celles
qui ont entre 20 et 29 ans, et 80 % de celles qui ont entre 30 et 39 ans et

53. Voir l’éditorial des Feuillets de l’ANAS, n° 32, de juillet 1956 et le rapport moral
d’Agnès de Laage, à l’assemblée générale de l’ANAS de 1956 dans les Feuillets de l’ANAS,
n° 34, de janvier 1957.
54. APREHTS (2006), « La “bataille d’Alger” : des assistantes sociales réquisitionnées.
Témoignages et position de l’ANAS », La Revue française de service social, n° 221,
septembre.
55. Courtecuisse N., Brams L., Les assistantes de service social : 1970, op. cit.

35
Méthodologie de l’intervention en travail social

81 % de celles qui ont entre 40 et 49 ans ont été membres d’un mouvement
de jeunesse de type confessionnel.
Pour terminer ce tableau de la France, il faut rappeler mai 1968 qui fut
la conclusion logique des profonds bouleversements des années précé-
dentes. L’après-Mai 1968 voit les travailleurs sociaux s’interroger sur leur
rôle. Les années 1970‑1979 voient aussi la publication de nombreux livres
et articles illustrant le « malaise » de la profession et une offensive idéolo-
gique, surtout menée par des sociologues, condamnant le travail social qui
n’est à leurs yeux qu’un instrument du « contrôle social » exercé sur le
peuple, au nom de la bourgeoisie. Malgré cette offensive critique, la
recherche en travail social fait un bond en avant avec la création du
diplôme supérieur en travail social (DSTS, 1978), qui est sanctionné par un
mémoire de recherche.

1.5. L’intervention face à la montée de l’exclusion


Les vingt dernières années du xxe siècle vont profondément bouleverser
les perspectives qui se dessinaient à la fin des années 1970. En cette période
le progrès économique et social allait de pair, participant à la résorption
progressive des dernières poches de pauvreté et à l’amélioration continue
des conditions de vie de la population. La victoire de la gauche, espérée dans
les années 1970 et réalisée aux élections présidentielles et législatives de
mai et juin 1981, allait permettre de « changer la vie ». Changement il y a
eu effectivement, mais pas tout à fait celui qui était espéré. Le chômage
poursuit et accélère sa progression jusqu’à atteindre et dépasser les 10 % de
la population active. D’importants secteurs industriels comme la sidérurgie,
le textile, les chantiers navals cessent leurs activités condamnant des zones
de vie à un chômage de masse et, dans les autres secteurs, précarisant le
statut de salarié 56. Les zones urbaines qui regroupaient une population
ouvrière, dont une partie d’origine étrangère, deviennent des ghettos à chô-
meurs enfermant ceux qui n’ont pu s’installer dans d’autres quartiers. En
même temps, le bâti de ces cités ghettos se dégrade. La pauvreté, que l’on
croyait en voie de résorption, réapparaît et se développe en France comme
dans les autres pays industriels.
Pour tenter de faire face à cette dégradation sociale, les gouvernements
français successifs vont découper la politique sociale en un très grand
nombre de dispositifs traitant d’une catégorie de population et/ou d’un
« problème social », dispositifs ayant chacun leur procédure spécifique et,
pour certains, leurs agents. Ainsi, sont mis en place la politique de la ville,
la politique de lutte contre la délinquance, la politique d’insertion de jeunes,

56. Castel R. (1995), Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard.

36
L’évolution de la méthodologie de service social en France

les politiques de lutte contre l’exclusion 57. Comment parler, dans ce contexte,


d’approche globale ? D’autant plus que la décentralisation de 1982‑1983
(qui est prolongée par celle de 2005) ajoute le morcellement territorial au
morcellement des politiques sociales. Chaque conseil général 58 imprime sa
marque à l’organisation des services sociaux. Les assistantes sociales vont,
pour une grande partie d’entre elles, basculer de la fonction publique d’État
à la fonction publique territoriale, sous la dépendance politique du conseil
général. Ces derniers vont attendre des professionnels du travail social qu’ils
se comportent en agents du conseil, appliquant ses directives, avant d’être
assistante sociale ou éducateur spécialisé. Face à la marée montante des
« nouveaux pauvres », l’appel aux bénévoles et le développement des asso-
ciations caritatives vont aussi bousculer le statut professionnel des assis-
tantes sociales ainsi que des autres travailleurs sociaux diplômés, d’autant
que « l’efficacité » affirmée des bénévoles est opposée, par les politiques, à
« l’inefficacité » des travailleurs sociaux. Les politiques sociales territoriali-
sées vont aussi faire appel au secteur associatif, créant parfois de toutes
pièces des associations dans des quartiers. Mais, au fil du temps, les asso-
ciations caritatives et les associations agissant soit dans les quartiers soit
dans le champ de l’insertion sociale et professionnelle vont faire appel à des
professionnels pour faire face à la mission qui leur est confiée et, pour cela,
recevoir des fonds publics.
La mise en place des dispositifs et les réorganisations successives des
services sociaux dans les conseils généraux vont conduire à la mise en place
de procédures rigides découpant l’intervention sociale en une série d’actes.
Ainsi, des circulaires ministérielles vont définir, en termes d’actes, ce que
sont l’accompagnement social, le développement social local, le contrat. Par
ailleurs, la volonté de réduire les coûts va souvent transformer l’évaluation
du travail social, qui se développe durant cette période, en contrôle.
Dans ce contexte difficile, les travailleurs sociaux ne vont pas rester
passifs. Des grèves ont lieu à plusieurs reprises, telle celle des assistantes
sociales en 1991, des mouvements alliant travailleurs sociaux et usagers
sont créés dans des champs comme le logement, la santé, la lutte contre le
chômage, etc. Par ailleurs, la démarche méthodologique est l’objet de
recherche et de formation 59. La réforme du diplôme d’État d’assistant de
service social (DEAS) de 1980 introduit au cœur du programme de formation
« Théorie et pratique du service social » avec l’épreuve « Situation sociale »
au diplôme, tandis que l’initiation à la recherche débouche sur l’épreuve
mémoire. L’enseignement de la méthodologie occupe une place centrale dans

57. Parodi M., Richez-Battesti N., Oppenheim J.-P., Langevin P., (2000), La question
sociale en France depuis 1945, Paris, Armand Colin, coll. « U ».
58. Actuellement : conseil départemental.
59. « Service social en 2005. Les fondements de la méthode. Méthodologie et techniques »,
La Revue française de service social, n° 217, juin 2005.

37
Méthodologie de l’intervention en travail social

les enseignements de centres de formation. Des manuels, dont la première


édition de ce livre, sont publiés et plusieurs collections sont fondées, au
cours des années 1990, chez divers éditeurs. Cela témoigne de la vitalité de
la recherche en et sur le travail social.
La politique de la ville et les politiques d’insertion suscitent des pratiques
d’intervention de groupe qui se multiplient et sont théorisées 60. La métho-
dologie d’intervention collective (groupe et communauté) est explorée et
fait également l’objet de publications 61. L’imposition d’un contrat d’insertion
dans le dispositif du revenu minimum d’insertion (RMI) lance un débat sur
la nature du contrat en travail social et met en lumière l’intérêt de cette
technique 62. Issue d’un regard sur les pratiques collectives, l’intervention de
réseau 63 se met en place et se développe, notamment dans le secteur de la
santé. Pour reconstruire les liens, pour désarmer les conflits, la médiation 64
s’étend progressivement de la médiation familiale à la médiation sociale.
Par ailleurs, dans cette même période, le Conseil supérieur du travail
social, créé par décret le 17 juillet 1984 65, devient un des lieux où les études
sur le travail social et sur la méthodologie sont reprises, confrontées et font
l’objet d’une nouvelle élaboration débouchant sur des propositions d’orien-
tations. Si le premier rapport sur l’intervention collective 66 a connu une
diffusion plutôt restreinte, celui sur « l’intervention sociale d’aide à la per-
sonne 67 » connaît une très large diffusion et devient un manuel très utilisé
par les étudiants et les professionnels. Cette théorisation de l’intervention
en deux volets – l’individuel et le collectif – va déboucher, en 2004, sur la
réforme du diplôme d’État de service social et va poser à égalité l’interven-
tion sociale d’aide à la personne (ISAP) et l’intervention sociale d’intérêt
collectif (ISIC) dans l’enseignement de la méthodologie et dans les stages.

60. Turcotte D., Lindsay J. (2001), L’intervention sociale auprès des groupes, Québec,
Gaëtan Morin Éditeur ; Massa H. (2001), Le travail social avec les groupes, Paris, Dunod.
61. De Robertis C., Pascal H. (1987), L’intervention collective en travail social. L’action
auprès des groupes et des communautés, Paris, Centurion ; Blanc B. et des travailleurs sociaux
du Groupe d’étude des actions collectives (1986), Actions collectives et travail social. T. 1 :
Contextes et réalisations, Paris, ESF éditeur.
Blanc B., Dorival M., Gérard R., Roux S., Ullern M.-C. (1989), Actions collectives et travail
social. T. 2 : Processus d’action et d’évaluation, Paris, ESF éditeur.
62. C. De Robertis (1993), Le contrat en travail social, Paris, Bayard.
63. Sanicola L. (dir.) (1994), L’intervention de réseaux, Paris, Bayard.
64. Freynet M.-F. (1995), Les médiations du travail social. Contre l’exclusion, (re)
construire les liens, Lyon, Chronique sociale.
65. « Vingt ans de Conseil supérieur du travail social », Vie sociale, n° 2, 2005.
66. Conseil supérieur du travail social (1987), Intervention sociale d’intérêt collectif,
ministère des Affaires sociales et de l’Emploi, Paris.
67. Conseil supérieur du travail social (1998), L’intervention sociale d’aide à la personne,
Rennes, Éditions ENSP, coll. « Politiques et interventions sociales » (nouvelle édition 2014).

38
L’évolution de la méthodologie de service social en France

1.6. Changements sociaux et évolution


de la méthodologie en travail social
En conclusion de ce bref survol historique, on peut dire qu’à la base de
toute évolution de la méthodologie, il y a trois séries de facteurs d’inégale
importance selon la période :
–– les questionnements issus de la pratique et les savoirs issus de cette
pratique ;
–– les acquisitions théoriques et les outils d’analyse des différentes
sciences humaines ;
–– les changements sociopolitiques au niveau global et leurs consé-
quences sur la situation institutionnelle du travail social.
Nous verrons au chapitre suivant les relations entre sciences sociales
(dont l’évolution n’est, elle-même, pas indépendante de la conjoncture
sociopolitique) et travail social. Si nous nous limitons à la France, nous
pouvons voir que le développement de la méthodologie suit la profession-
nalisation du service social. Ce n’est que lorsque le service social est devenu
une profession salariée, reconnue par un diplôme national et qu’il a été
enseigné dans les écoles, que la nécessité d’une méthodologie propre s’est
manifestée et que cette méthodologie a été, par la suite, élaborée grâce à des
apports successifs internes et externes à la profession.
Chapitre 2

Le travail social et les sciences sociales


Henri Pascal

Depuis la rédaction de la première édition de ce livre à la fin des années


1970, le débat sur les rapports entre le travail social et les sciences sociales
a fortement évolué et les termes se posent d’une manière très différente.
Avant de présenter quelques éléments sur la problématique actuelle, une
précision des termes s’impose. Pourquoi parler de sciences sociales et non
de sciences humaines, ou de sciences sociales et humaines ? Dans un article
sur les rapports entre sciences sociales et l’État, Robert Fraisse établit une
liste de ce qu’il nomme les sciences sociales, définies comme des sciences
« qui, étudiant les sociétés, s’occupent de notre présent » : économie, socio-
logie, psychologie, psychologie sociale, géographie humaine, sciences poli-
tiques et juridiques, démographie, histoire et ethnologie. La distinction entre
sciences sociales et sciences humaines est réfutée par Jean Piaget :
« On ne saurait retenir aucune distinction de nature entre ce que l’on appelle
souvent les “sciences sociales” et les “sciences humaines” car il est évident que
les phénomènes sociaux dépendent de tous les caractères de l’homme, y compris
les processus psychophysiologiques, et que, réciproquement, les sciences
humaines sont toutes sociales par l’un ou l’autre de leurs aspects. »

Poursuivant la thèse de Piaget, nous pouvons dire que l’humain est social
car il est construit par le social et le social est construit par lui. Pour
reprendre en d’autres termes une affirmation que faisait Karl Marx il y a plus
d’un siècle et demi, l’homme est à la fois produit et producteur de la société.
Dans ce chapitre nous commencerons par porter un regard sur l’état du
travail social et sur celui des sciences sociales pour ensuite aborder les
débats théoriques sur les questions épistémologiques et terminer sur les
modes d’articulation entre travail social et sciences sociales.

41
Méthodologie de l’intervention en travail social

2.1. Travail social et sciences sociales en débats


2.1.1. Travail social : de l’éclectisme à la discipline
Dans la première édition de cet ouvrage, ce deuxième chapitre se donnait
comme objectif de présenter des théories en sociologie, psychologie et psy-
chologie sociale, nous le terminions par le paragraphe ­suivant :
« Ce livre ne situe pas l’intervention en travail social dans le cadre d’une seule
référence théorique. Au contraire ses références théoriques sont éclectiques car
nous pensons que c’est grâce à cet éclectisme théorique que le client peut être
compris dans sa globalité. Des références théoriques diverses enrichissent l’inter-
vention tandis qu’une intervention fondée sur une seule référence théorique est
mutilée parce qu’elle ignore des pans entiers du champ social et psychologique
du client. »

Le mot pluridisciplinarité n’était pas utilisé mais l’idée était sous-jacente.


Cependant la question de l’organisation des savoirs issus de disciplines et
de théories différentes n’était pas posée. Les avancées théoriques des
­premières années de ce siècle ont apporté un autre regard en affirmant
l’existence des savoirs du travail social. Une telle affirmation n’est pas
nouvelle ; il y a de nombreuses années qu’elle a été proclamée. En 1971,
Marie-Antoinette Rupp appelait les travailleurs sociaux à cette tâche : « Les
travailleurs sociaux se tiennent en trop pauvre estime pour oser penser qu’ils
possèdent un savoir qui leur est propre, et qu’il dépend d’eux de développer
ce savoir 1. » Mais ce qui a été nouveau, ce sont les efforts théoriques et
leurs traductions institutionnelles de ces vingt-cinq dernières années.
L’instauration en 1978 du mémoire de recherche comme unique mode de
certification du diplôme supérieur en travail social (DSTS) et, en 1980, du
mémoire comme l’une des trois épreuves du diplôme d’État d’assistant de
service social (DEAS) a suscité et alimenté les débats sur la recherche en
travail social qui ont marqué les années suivantes.
Ces débats ont permis d’avancer sur la question de l’articulation entre
les références théoriques mises en œuvre dans la pratique du travail social.
C’est la logique d’action de toute intervention en travail social qui permet
d’articuler les analyses issues des différentes sciences sociales et des diffé-
rentes théories qui les traversent. L’organisation des unités de formation
dans la réforme du DEAS de 2004 témoigne de ce nouveau regard sur les
rapports travail social et sciences sociales. L’enseignement théorique est
découpé en « une unité de formation principale » (« Théorie et pratique de
l’intervention en service social ») et « sept unités de formation contributives »
(qui recouvrent les sciences sociales, la philosophie, la santé et le droit et
législation) 2 ; ce découpage pose une double affirmation : affirmation de

1. Rupp M.-A. (1971), Les groupes dans le travail social, Toulouse, Privat, coll. « Mésope ».
2. Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, « Arrêté du 29 juin 2004
relatif au diplôme d’État d’assistant de service social ».

42
Le travail social et les sciences sociales

l’existence d’une « théorie » du service social et affirmation de la contribu-


tion des sciences sociales à cette théorie et à sa pratique. Nous reviendrons
plus loin sur cette affirmation.
Dans le mouvement qui va du travail social pratique mettant en œuvre des
savoirs issus des sciences sociales au travail social comme discipline, deux
moments ont été particulièrement marquants. Les trois colloques du Comité de
liaison des centres de formation permanente et supérieure sur la recherche en
travail social, en 1983, 1984 et 1987, ont véritablement permis d’organiser les
débats, de les étendre à tous les acteurs concernés (travailleurs sociaux, forma-
teurs des centres de formations initiales et supérieures, universitaires). Les
débats de ces colloques ont été prolongés et systématisés dans le livre de Michel
Duchamp, Brigitte Bouquet et Hervé Drouard sur la recherche en travail social 3.
Le deuxième moment a été la création, en 2001, de la chaire « Travail
social » au sein du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Avec
cette dernière création, la France approchait de la situation de très nom-
breux pays d’Amérique du Nord et du Sud, d’Asie et d’Europe 4 où il existe,
parfois depuis de très nombreuses années, des doctorats en travail social.
Depuis, plusieurs centres de formation en travail social ont créé des dépar-
tements de recherche.

2.1.2. Les questionnements des sciences sociales


Les sciences sociales sont nées, à partir de la fin du xixe siècle, dans un
mouvement de rationalisation, semblable à celui des sciences de la matière ;
ce mouvement constitue une rupture avec l’explication par le divin et avec
une vision cyclique du temps. Sciences de la matière et sciences de l’homme
se construisent sur le même modèle positiviste qu’Auguste Comte va théo-
riser, imaginant une pyramide des sciences incluant sciences de la matière
et sciences sociales, ces dernières étant établies sur le modèle des précé-
dentes. Les deux postulats de base seront que la réalité existe indépendam-
ment de l’observateur et que la recherche doit dévoiler les lois explicatives
des phénomènes dans une vision déterministe : telle cause produit tel effet,
et seulement cet effet. La sociologie naissante, tout comme les autres
sciences sociales, va entrer dans ce moule. Ainsi, Émile Durkheim fondera
la sociologie sur trois postulats.
La connaissance des faits sociaux n’est possible que si on les considère
comme des choses : « La première règle et la plus fondamentale est de consi-
dérer les faits sociaux comme des choses 5. »

3. Duchamp M., Bouquet B., Drouard H. (1989), La recherche en travail social, Paris,
Bayard, coll. « Travail social ».
4. Laot F. (2000), Doctorats en travail social : quelques initiatives européennes, Rennes,
Éditions ENSP, coll. « Politiques et interventions sociales ».
5. Durkheim É. (1983), Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, coll. « Quadrige »
(1re publication, Félix Alcan, 1894).

43
Méthodologie de l’intervention en travail social

Dans une démarche déterministe, les faits sociaux sont définis par la
contrainte qu’ils imposent. Pour Durkheim « est fait social toute manière de
faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte exté-
rieure 6 » tandis que ses disciples, Paul Fauconnet et Marcel Mauss, défi-
nissent ainsi le social : « Sont sociales toutes les manières d’agir et de penser
que l’individu trouve préétablies et dont la transmission se fait le plus
généralement par la voie de l’éducation 7. »
Le social objet de la sociologie est une réalité objective qu’il faut décou-
vrir tout comme le biologiste découvre la cellule grâce à son outil qu’est le
microscope. Dans ce sens, Durkheim, affirmant que la sociologie est une
science, définit comme premier caractère d’une science l’existence de l’ob-
jet dans la réalité : « Une science, en effet, se définit par son objet ; elle
suppose par conséquent que cet objet existe, qu’on peut le désigner du doigt,
en quelque sorte, marquer la place qu’il occupe dans l’ensemble de la réa-
lité 8. »
Près de cinquante ans après, le sociologue Georges Gurvitch réaffirme,
avec de nombreux autres théoriciens, que « la sociologie est une science
essentiellement explicative. En tant que telle elle ne peut être que détermi-
niste 9 », tout en nuançant la vision étroite du déterminisme défini par des
lois causales. Sa définition du déterminisme est plus large :
« Le déterminisme est l’intégration des faits particuliers dans l’un des multiples
cadres ou univers réels (vécus, connus, construits) qui restent toujours contin-
gents ; il situe ces faits, c’est-à-dire les explique en fonction de la compréhension
du cadre. Cette intégration présuppose, en effet, la compréhension de la cohésion
relative du cadre contingent en question 10. »

Cette définition introduit un élément nouveau : le cadre explicatif peut


être construit. Cette construction ne peut qu’être le fait de l’observateur.
C’est là une première mise en cause de l’objectivité et de l’extériorité du réel
social.
Un autre questionnement touchant l’observateur a traversé les sciences
sociales. Tous les théoriciens ont fini par reconnaître que, dans toutes les
sciences sociales, l’observateur fait partie de la réalité observée. Comment
peut-on être observateur d’une réalité dans laquelle on est inclus ? Après
Durkheim proclamant que la science étudie les faits « pour les connaître, et

6. Idem.
7. Fauconnet P., Mauss M. (1901), « Sociologie », in Grande Encyclopédie, vol. 30, Paris,
(texte réédité dans Mauss M. (1971), Essais de sociologie, Paris, Seuil, coll. « Points »).
8. Durkheim É. (1911), « Nature et méthode de la pédagogie », in É. Durkheim (1985),
Éducation et sociologie, Paris, PUF, coll. « Quadrige ».
9. Gurvitch G., « Les règles de l’explication en sociologie. Les variations des formules
du déterminisme sociologique », in G. Gurvitch (dir.) (1962), Traité de sociologie, t. 1,
Paris, PUF.
10. Idem.

44
Le travail social et les sciences sociales

seulement pour les connaître, d’une manière absolument désintéressée 11 »,


la formule magique a été « la rupture épistémologique ». L’économiste étu-
diant le fonctionnement du marché n’est, à ce moment-là, absolument pas
concerné par l’achat des légumes de son souper et par la vente de ses livres,
le psychologue a mis ses affects entre parenthèses pour étudier les affects
de la personne en face de lui et théoriser sur ce sujet, le sociologue étudie
le délitement du lien social en oubliant qu’il ne connaît pas ses voisins de
palier. Et plus heureux, l’ethnologue peut tranquillement affirmer que les
« primitifs » dont il étudie la culture sont sur une autre planète que lui.
Aujourd’hui, ce type de comportement, que nous avons certes caricaturé,
est reconnu comme impossible. À la question : « Le sociologue peut-il,
doit-il s’exclure de sa vision de la société ? », Edgar Morin répond par la
négative, réponse qui peut s’étendre à toutes les sciences sociales, sans
compter que l’observateur perturbe l’objet observé.
Le mouvement des sciences sociales, tout comme celles de la matière, est
un mouvement de spécialisation de plus en plus poussé. L’objet de la disci-
pline se découpe en une multitude d’objets de recherche, créant chacun son
corps de spécialistes, ses filières institutionnelles, ses publications. Ce mou-
vement pour les sciences sociales s’est d’autant plus accéléré que les théories
de portée générale, comme le fonctionnalisme, le structuralisme, le
marxisme et d’autres, ne constituent plus les cadres globaux de l’explication.
Or ce mouvement de production de connaissances spécialisées, très pointues,
a produit une méconnaissance de la société. Ce mécanisme, baptisé « effets
Lukács », avait été très bien perçu par les théoriciens de l’analyse institu-
tionnelle dans les années 1970 :
« Le non-savoir croissant de la société sur elle-même est la conséquence du
progrès de la science. Plus une science est formalisée, quantifiée, rigoureuse, et
plus elle perd de vue les conditions sociales de sa naissance, de son développe-
ment. Plus elle se veut rigoureuse, et plus la science méconnaît les rapports entre
genèse sociale et genèse théorique des concepts. La rigueur, tant vantée par les
scientistes, n’est donc que l’envers de cette méconnaissance 12. »

Non seulement le mouvement de spécialisation efface la connaissance


du tout, mais il fait également disparaître le processus de construction
sociale de la discipline scientifique.
Enfin, un dernier questionnement a secoué les sciences sociales : celui
des rapports entre la science et l’action, entre recherche fondamentale et
recherche appliquée. Certes, tous les fondateurs des différentes sciences
sociales et leurs successeurs ont reconnu qu’en dernière instance les
connaissances produites devront améliorer la société, participer au progrès.
Depuis Auguste Comte, science et progrès ont partie liée. En continuateur

11. Durkheim É., « Nature et méthode de la pédagogie », op. cit.


12. Hess R. (1978), « Lexique de l’analyse institutionnelle », Pour, n° 62‑63, novembre-
décembre.

45
Méthodologie de l’intervention en travail social

de Comte, Durkheim confirme que le but suprême de la sociologie, c’est de


résoudre les problèmes sociaux :
« Mais de ce que nous nous proposions avant tout d’étudier, la réalité, il ne s’ensuit
pas que nous renoncions à l’améliorer ; nos recherches ne méritent pas une heure
de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif. Si nous séparons avec
soin les problèmes théoriques des problèmes pratiques, ce n’est pas pour négliger
ces derniers ; c’est au contraire pour nous mettre en état de les mieux résoudre 13. »

Cette séparation théorie/pratique s’est durcie au fil des temps : sur le


modèle des sciences de la nature, il y avait, dans les sciences sociales, d’un
côté les savants en blouse blanche faisant de la recherche fondamentale,
pure, et d’un autre côté les tâcherons du social, les mains dans le cambouis,
plongés dans la pratique et essayant d’opérationnaliser les connaissances
issues de la recherche fondamentale. Cette dichotomie ne résiste pas à l’ana-
lyse : la recherche fondamentale ne se développe pas dans le ciel pur des
idées, elle ne peut que se développer en réponse à la demande sociale, qui,
très concrètement, se manifeste par des financements pour tel ou tel secteur
de recherche, des restrictions budgétaires, dans tel autre. De plus, progres-
sivement, une très forte demande d’expertise s’est développée : les chercheurs
en sciences sociales ont été sollicités pour étudier tel ou tel phénomène social
afin d’apporter des connaissances, quand ce n’est pas des propositions
d’action, destinées à éclairer le politique. Plus particulièrement depuis vingt-
cinq ans, des découpages politico-administratifs sont devenus des décou-
pages d’objets de sciences, principalement, mais pas exclusivement, dans les
politiques sociales où sociologues, psychologues, ethnologues, psychosocio-
logues ont multiplié les rapports étudiant les violences urbaines, les violences
domestiques, l’échec scolaire, les mécanismes d’insertion et de désinsertion,
le chômage, examiné également par les économistes. Il a été demandé aux
sciences sociales de fournir non seulement des clés de compréhension des
phénomènes sociaux, mais aussi des technologies clés en main pour agir sur
ces phénomènes. Posant la question : « À quoi servent les sciences
humaines ? », un dossier de la revue Sciences humaines tente d’y répondre :
« Dans les différents domaines – l’entreprise, l’école, la justice, les médias et même
dans des endroits plus inattendus comme le sport de haut niveau ou les négociations
internationales –, les connaissances issues des sciences humaines sont désormais
mobilisées pour fournir des cadres d’analyse, proposer des techniques et agir sur les
conduites. […] Une manière de se repérer parmi l’infinie variété des situations consiste
à les classer selon les types d’influence que les sciences humaines exercent sur le
corps social. On peut alors repérer quatre formes spécifiques d’intervention : 1) celle
de l’information et de la formation ; 2) celle du conseil et de l’expertise ; 3) celle des
techniques appliquées ; 4) celle enfin de l’engagement militant 14. »

13. Durkheim É. (2004), De la division du travail social, Paris, PUF, coll. « Quadrige.
Grands textes » (1re édition, Félix Alcan, 1893).
14. Dortier J.-F. (1999), « À quoi servent les sciences humaines ? », Sciences humaines,
hors-série, n° 25, juin-juillet.

46
Le travail social et les sciences sociales

À force d’être partout, à force de sollicitations pour éclairer, et souvent


légitimer, l’action politico-administrative, les sciences sociales ne risquent-
elles pas de voir leur scientificité s’effriter ?
Ainsi, au terme de ce double parcours, très rapide, du travail social et des
sciences sociales, nous pouvons observer un double mouvement : une légi-
timité grandissante de l’affirmation du caractère disciplinaire, donc scien-
tifique, du travail social  15 et un questionnement sur la légitimité des
fondements des sciences sociales. Ce double mouvement est éclairé par les
débats sur l’épistémologie des sciences sociales.

2.2. Débats épistémologiques


2.2.1. Des sciences de l’action
Au sein des sciences sociales, avait été créée une « science » – terme qu’elle
revendiquait – qui n’était pas assimilable aux disciplines classiques telles que
la sociologie, la psychologie, l’économie, etc. Il s’agissait des « sciences poli-
tiques » – au pluriel – qui mêlaient sociologie politique, économie politique,
histoire… Surtout, ce qui caractérisait les sciences politiques, c’est qu’elles
formaient des acteurs de l’action politique, des professionnels du politique
(à divers niveaux). Cette science est reconnue comme une discipline scienti-
fique, légitimée et institutionnalisée dans un cadre universitaire. Il en fut de
même dans le champ de l’éducation. Au départ, il y eut séparation entre la
formation des acteurs, réalisée dans les écoles normales, et celle des cher-
cheurs inscrits dans une discipline (sociologie, psychologie, économie). Les
sciences de l’éducation – toujours au pluriel – se développèrent et furent
immédiatement confrontées à la question de la pluridisciplinarité. Le cher-
cheur en sciences de l’éducation peut puiser dans les différentes disciplines
telles que sociologie, psychologie… Mais il ne peut limiter – s’il veut faire des
sciences de l’éducation et non de la sociologie de l’éducation, de la psycho-
logie de l’éducation – son cadre théorique à une seule discipline. L’objet des
sciences de l’éducation est la pratique éducative, or, selon Michel Vial :
« Trois données semblent régir les pratiques éducatives que les sciences de l’édu-
cation étudient :
– l’institution dans laquelle se place la pratique éducative étudiée ;
– la politique de formation que les acteurs sociaux déploient dans cette institu-
tion : le projet de former, affiché et endossé par les acteurs ;
– la provocation ou l’impulsion des réactions de celui qui apprend, qu’on éduque,
qu’on forme 16. »

15. Rullac S. (2014), La scientifisation du travail social, Rennes, Presses de l’EHESP, coll.
« Politiques et interventions sociales ».
16. Vial M. (1998), « Aller sur le terrain ? Quelle posture pour le chercheur ? », En question,
cahiers n° 20, département des sciences de l’éducation, université de Provence-Aix-Marseille.

47
Méthodologie de l’intervention en travail social

Nous pourrons voir plus loin que le regard sur les pratiques d’interven-
tion sociale peut être construit sur le même modèle que les pratiques édu-
catives. Soulignons, à propos des sciences de l’éducation, que leur objet de
recherche porte sur la pratique et que la pratique éducative, comme toute
pratique sociale, est orientée et éclairée par des valeurs. Monique Linard
définit ainsi le champ de travail du chercheur en sciences de l’éducation :
« Le chercheur en sciences de l’éducation travaille davantage sur des processus
que sur des objets, sur des dynamiques que sur des états ; son observation même
modifie la situation observée ; les entités observées (artefacts et humains) évo-
luent dans le temps à partir des dynamiques d’interactions réciproques ; les
processus d’interaction dynamique entre entités sont des processus de perception,
d’action, de représentation qui constituent des objets mentaux, symboliques et
non symboliques ; les sujets sont doués d’intentionnalité ; ils sont motivés par
des valeurs et animés par des finalités et des projets intéressants pour eux ; les
affects sont partie intégrante de l’acte d’apprendre au même titre que les aspects
cognitifs 17. »

Dans ces sciences qui ont pour objet une pratique, nous pourrions aussi
citer les sciences de l’information et les sciences de la gestion. Qu’en est-il
du travail social ? L’intervention en travail social vise à aider les usagers
(personne, groupe, communauté) à faire face à des situations problèmes,
situations qui ne peuvent être régulées par les réseaux primaires de soli-
darité. Le travail social apparaît quand « une situation problématique […]
appelle une intervention explicite et volontaire sur les relations sociales
pour préserver l’équilibre social 18 ». Cette intervention « suppose une capa-
cité à connaître et à comprendre une réalité complexe, qui présente des
dimensions multiples, dotée d’une pluralité de liens et de correspondances
et caractérisée par un processus de changement continu 19 ». Ainsi, « la
pratique des travailleurs sociaux est plus qu’une “application” d’une
science pure : elle est une action consciente, intentionnelle, orientée, orga-
nisée et potentiellement efficace 20 » et, de ce fait, « l’intervention sociale,
s’appuyant sur une pluralité de sciences exige un savoir “fédératif”, réap-
proprié, réaménagé, reconstruit, réunifié par l’acte de faire 21 ». Nous pou-
vons conclure que le travail social relève du même champ scientifique que
les sciences politiques, les sciences de l’éducation, les sciences de

17. Linard M. (2004), « La relation entre praticiens et chercheurs en sciences de l’éduca-
tion : une séquelle de vieilles questions épistémologiques », Éduquer, n° 8, L’Harmattan.
18. Soulet M.-H. (1996), « La recherche peut-elle être sociale ? », Vie sociale, n° 2‑3.
19. Sanicola L., « Processi interattivi tra discipline professionali e discipline di base nel
Servizio sociale », in Cellentani Guidicini P. (dir.) (1989), Il Servizio sociale tra identita e
prassi quotidiana, Milan, Franco Angeli.
20. Zúñiga R. (1994), L’évaluation dans l’action, Montréal, Presses de l’université de
Montréal.
21. Amer M., « Recherche en service social : du savoir au savoir-agir », Chroniques
sociales, vol. III-IV, n° 15‑16‑17‑18, Beyrouth, École libanaise de formation sociale, univer-
sité Saint-Joseph, 2000‑2001‑2002.

48
Le travail social et les sciences sociales

l’information, les sciences de la gestion : leur objet est une pratique sociale
dont la compréhension passe par la mobilisation de connaissances prove-
nant des sciences sociales classiques, par la construction de savoirs à partir
de la pratique et par la prise en compte des finalités poursuivies dans
l’action.

2.2.2. Rapports théorie/pratique et multiréférentialité


L’existence des sciences de l’action pose sous un jour nouveau l’éternelle
dichotomie entre la théorie et la pratique ainsi que la question de la pluri-
disciplinarité. La théorie serait une espèce d’idéal, une construction abstraite
loin de la réalité, domaine des sciences pures, tandis que la pratique, plus
ou moins aveugle, serait du domaine de l’empirie, que seule l’expérience
pourrait guider. La séparation se ferait entre d’un côté les savoirs et de
l’autre l’action. Or il est évident que, pour qu’il y ait action, il faut mobiliser
des savoirs plus ou moins construits, plus ou moins théorisés, et que la
théorie est une réponse à des questions nées de l’action. De plus, du côté du
pôle qu’on pourrait qualifier de théorique dans les sciences sociales, on se
heurte à l’arbitraire du découpage des phénomènes sociaux en dimensions
s’autonomisant chacune dans une science sociale particulière. En suivant
Edgar Morin, « il s’agit de mettre en question le principe de disciplines qui
découpent au hachoir l’objet complexe, lequel est constitué essentiellement
par les interrelations, les interactions, les interférences, les complémentari-
tés, les oppositions entre éléments constitutifs dont chacun est prisonnier
d’une discipline particulière  22 ». Pour dépasser ce cloisonnement, la
démarche pluridisciplinaire a été privilégiée dans des recherches portant sur
les phénomènes sociaux, recherches souvent menées par des équipes de
chercheurs issus des différentes disciplines des sciences sociales. On a pu
avoir ainsi, côte à côte, un discours sociologique sur la jeunesse – par
exemple, ou sur tout autre objet –, un discours psychologique, un discours
économique, un discours ethnologique ; chaque discipline apportant son
éclairage. Cette démarche a permis de multiplier les éclairages sur un même
phénomène, reconnu comme complexe. Jacques Ardoino l’a théorisée sous
l’appellation d’approche multiréférentielle :
« Assumant pleinement l’hypothèse de la complexité, voire de l’hypercomplexité,
de la réalité à propos de laquelle on s’interroge, l’approche multiréférentielle se
propose une lecture plurielle de ses objets (pratiques ou théoriques) sous
­différents angles, impliquant autant de regards spécifiques et de langages,
­appropriés aux disciplines requises, en fonction de systèmes de référence dis-
tincts, supposés, reconnus explicitement non réductibles les uns aux autres,
c’est-à-dire hétérogènes 23. »

22. Morin E. (1973), Le paradigme perdu : la nature humaine, Paris, Seuil.


23. Ardoino J. (1993), « L’approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives
et formatives », Pratiques et formations, n° 25‑26.

49
Méthodologie de l’intervention en travail social

Cette approche multiréférentielle permet de faire le tour d’un objet de


recherche, mais reste la question de l’organisation de ces savoirs discipli-
naires aux fins de l’action. Ce sont les fins poursuivies dans l’action, dans
une pratique sociale, qui vont permettre de hiérarchiser ces savoirs hétéro-
gènes, de les articuler d’une certaine forme.

2.2.3. Du côté de l’épistémologie


En arrière-plan des débats autour des dichotomies recherche fondamen-
tale/recherche opérationnelle, théorie/pratique, connaissance/action, mono-
disciplinarité/pluridisciplinarité, science/technique, il y a la question du
mode de production des connaissances et des schémas explicatifs : domaine
de l’épistémologie que Pierre Bourdieu définit simplement : « L’épistémologie,
c’est le fait de travailler à savoir ce que l’on fait 24. » Elle est l’étude des
principes fondateurs d’une discipline scientifique, des conditions de sa
scientificité. Elle définit un mode de connaissance théorique. Chacune des
disciplines scientifiques s’inscrit dans l’un des paradigmes définissant cha-
cun une vision de ce qu’est la connaissance scientifique et donc aussi, ce
qui n’est pas de l’ordre de la connaissance scientifique. « Nous pouvons
considérer le paradigme comme la fondation sur laquelle la maison des
interprétations sera construite », déclare Robert Merton 25. Plus précisément,
nous adopterons la définition que donne un théoricien argentin du travail
social, Natalio Kisnerman :
« Un paradigme est le système de concepts essentiels d’une théorie, ainsi que de
ses valeurs, problèmes et procédures, qui, comme référence, permet de la préciser
et orienter et ordonner notre pensée pour faire des interprétations ou lectures
d’une réalité concrète 26. »

Un paradigme peut aller, selon Morin, au-delà du champ de la science :


« Un grand paradigme détermine, via théories et idéologies, une mentalité, un
mindscape, une vision du monde. C’est pourquoi un changement dans le
­paradigme se ramifie dans l’ensemble de notre univers. Une révolution paradig-
matique change notre monde 27. »

L’ensemble des sciences a été construit sur le paradigme positiviste, que


le développement scientifique lui-même et les rapports entre connaissance
et action ont questionné. D’autres paradigmes ont été développés et systé-
matisés au cours des cinquante dernières années : la complexité, la praxéo-
logie et le constructivisme. Nous présenterons rapidement – pour chacun

24. Bourdieu P. (1980), « Le marché linguistique », in Questions de sociologie, Paris, Minuit.
25. Merton R. (1965), Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Plon.
26. Kisnerman N. (2005), Pensar el Trabajo Social. Una introduccion desde el constucio‑
nismo, Buenos Aires, Lumen-Humanitas.
27. Morin E. (1991), La méthode. Les idées, leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur orga‑
nisation, t. IV, Paris, Seuil.

50
Le travail social et les sciences sociales

un ouvrage serait nécessaire – ces quatre paradigmes qui constituent quatre


des fondations possibles – pour employer l’image de Merton – des sciences
en général et donc des sciences sociales.
Le positivisme est le paradigme qui a été à l’origine de la démarche
scientifique telle qu’elle s’est construite à partir du xviiie siècle et a été théo-
risée au xixe siècle. Il est celui des quatre qui a été le plus développé, le plus
exposé. Il a été forgé à partir d’un certain nombre de postulats fondateurs,
dont le principal est l’existence d’une réalité – sociale pour les sciences
sociales – existante indépendamment de l’observateur. Du fait de cette affir-
mation, le positivisme se situe dans une approche philosophique matéria-
liste. Le sujet connaissant est distinct et extérieur à l’objet de connaissance.
Chaque science construira son objet en découpant un élément de cette
réalité, élément considéré comme une réalité autonome. Les phénomènes
sociologiques seront distingués des phénomènes psychologiques, différents
eux-mêmes des phénomènes linguistiques, des phénomènes économiques.
Chaque science cherchera au sein du phénomène étudié des lois invariantes
s’appliquant à des éléments constitutifs de ce phénomène découpé aux fins
d’analyse. Ces lois, pour être explicatives, devront être de nature causale et
ordonnées dans un raisonnement déterministe : si A explique B, on peut dire
que A est la cause – la seule – de B, donc que A détermine B. La démarche
scientifique sera construite selon un modèle hypothético-déductif : à partir
des connaissances de la réalité acquises précédemment et à partir de la
théorie explicative construite en référence à ces connaissances, le chercheur
déduit l’hypothèse que le phénomène x est la cause du phénomène y. Il ne
lui reste plus, avec l’aide d’une technique appropriée, qu’à aller voir dans la
réalité si son hypothèse est validée. Enfin, la science est hors du champ des
valeurs, le questionnement sur les finalités est philosophique et non scien-
tifique ; la seule fin de la science est de produire des connaissances.
Ce paradigme positiviste a été mis en question par plusieurs types de
critiques. La démarche de délimitation des objets de la science, de taylori-
sation des connaissances – pour reprendre l’expression d’Ardoino – mutile
la connaissance de l’ensemble :
« Chaque discipline construit son “objet”, délimite son “champ”, forge ses “outils
méthodologiques”, élabore ses “notions” et ses “concepts” en conséquence. La
cohérence et la validité épistémologique sont obtenues à ce prix. Mais, en
revanche, aucune intelligence d’ensemble ne peut résulter de la juxtaposition de
ces connaissances segmentaires. La réalité, pour devenir intelligible, sort
constamment appauvrie d’un tel découpage 28. »

Par ailleurs, la distinction observateur/objet observé a été mise en cause


car l’observateur est inclus, comme affirmé précédemment pour les sciences
sociales, dans l’objet observé et, de plus, l’acte d’observation perturbe l’objet

28. Ardoino J. (1980), Éducation et relations. Introduction à une analyse plurielle de


situations éducatives, Paris, Gauthier-Villars.

51
Méthodologie de l’intervention en travail social

observé. Enfin, les sciences de la matière elles-mêmes se sont trouvées


confrontées à rechercher d’autres schémas explicatifs que la loi causale.
Pour conclure ce paragraphe, nous pouvons dire que si le positivisme a
permis le développement des sciences, il est aujourd’hui en crise comme seul
paradigme garantissant la scientificité et il ne peut fournir un cadre de
compréhension satisfaisant pour les sciences de l’action.
Déjà en 1934, Gaston Bachelard mettait en cause le processus de simpli-
fication, fruit du découpage de l’objet en ses éléments constitutifs : « En
réalité, il n’y a pas de phénomènes simples ; le phénomène est un tissu de
relations. Il n’y a pas de nature simple, de substance simple ; la substance
est une contexture d’attributs 29. » Trente ans plus tard, c’est Edgar Morin
qui développe la pensée complexe reprenant d’ailleurs l’image du tissu dans
l’une des définitions de la complexité :
« Qu’est-ce que la complexité ? Au premier abord, la complexité est un tissu
(complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparable-
ment associés ; elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. Au second abord, la
complexité est effectivement le tissu d’événements, actions, interactions, rétroac-
tions, déterminations, aléas, qui constituent notre mode phénoménal 30. »

La pensée complexe met en cause le processus de décomposition du réel


en éléments simples, le déterminisme et l’invariance de la loi scientifique,
la séparation observateur/objet observé. Elle se construit, selon Morin 31, sur
trois principes :
–– le principe dialogique : il « permet de maintenir la dualité au sein de
l’unité. Il associe deux termes à la fois complémentaires et antagonistes »
tels, par exemple, qu’ordre et désordre ;
–– le principe de récursion organisationnelle : « un processus récursif est
un processus où les produits et les effets sont en même temps causes et
producteurs de ce qui les produit » ;
–– le troisième principe est le principe hologrammatique : « le tout est
dans la partie qui est dans le tout » : la connaissance du tout et de la partie
se réalise dans un même mouvement producteur de connaissance.
La pensée complexe a été d’un grand apport pour penser l’action : l’ac-
teur, pour agir, doit nécessairement étudier tous les éléments du segment de
réalité sur lequel il agit et dont il fait partie, les interactions entre ces élé-
ments, les effets de son action, et il doit faire face à tous les aléas provoqués
par son action.

29. Bachelard G. (1987), Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, coll. « Quadrige »
(1re édition, 1934).
30. Morin E., Thèse pour la pensée complexe, Comité de liaison des centres de formation
permanente et supérieure en travail social, « Colloque de la recherche en travail social. Les
actes du 2e colloque des 9‑10‑11 mai 1984 ».
31. Morin E. (2005), Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil coll. « Points essais ».

52
Le travail social et les sciences sociales

La question de l’action est au cœur de la praxéologie. Elle pose la ques-


tion de l’articulation entre la connaissance et l’action, l’une et l’autre liées
dialectiquement : l’action produit de la connaissance et la connaissance
éclaire l’action en un mouvement continu. Dans les débats entre matéria-
lisme et idéalisme qui traversaient la philosophie au xixe siècle, Karl Marx
tente de trancher en mettant la pratique comme critère de vérité :
« La question de savoir si la pensée humaine peut aboutir à une vérité objective
n’est pas une question théorique, mais une question pratique. C’est dans la
pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité et la puis-
sance, l’en deçà de sa pensée. La discussion sur la réalité ou l’irréalité de la
pensée, isolée de la pratique, est purement scolastique 32. »

Dans la vision praxéologique, il y a cette dimension philosophique qui


fait de la praxis le fondement de la connaissance. Par ailleurs, il y a, dans
le champ des pratiques sociales, la recherche de production des savoirs de
l’action. L’enjeu est de construire des savoirs théorico-pratiques qui arti-
culent des connaissances issues des sciences sociales et des connaissances
formalisées issues de l’action. La démarche praxéologique veut rendre
compte de la pratique, c’est-à-dire du sujet agissant visant un changement
dans l’objet cible de l’action, elle s’oppose à la démarche qui prône la simple
connaissance des objets de la pratique. Elle va donc intégrer la visée de
l’action, son sens, les stratégies. La praxéologie n’est pas contradictoire à la
pensée de la complexité ; pour rendre compte de la pratique, elle doit faire
sienne une vision focalisée sur la complexité, mettant en lien tous les élé-
ments constitutifs d’un processus d’action.
Les épistémologies constructivistes ont été élaborées à partir d’une remise
en cause du statut de la connaissance de l’approche positiviste. Alors que
pour cette dernière la connaissance est un dévoilement d’un réel existant,
la connaissance, pour l’approche constructiviste, est construite par le sujet
connaissant. Pour ce dernier, « la connaissance qu’il peut construire du réel
est celle de sa propre expérience du réel 33 ». La valeur de cette connaissance
implique le sujet connaissant, et cette valeur « pour un sujet connaissant
dépend en pratique de son appréciation des conséquences des actions qu’il
élabore en se référant consciemment à cette connaissance 34 ». L’action se
trouve là placée au cœur de la construction de la connaissance. Reste à
passer de la validité de la connaissance pour le sujet connaissant à la vali-
dité de la connaissance partagée socialement, reconnue comme légitime. La
légitimité d’une connaissance est toujours contextualisée : l’affirmation de
la vérité objective d’une connaissance dépend du contexte socioculturel.

32. Marx K., « Thèses sur Feuerbach », in Engels F. (1976), Ludwig Feuerbach et la fin de
la philosophie classique allemande, Paris, Éditions sociales.
33. Le Moigne J.-L. (1999), Les épistémologies constructivistes, Paris, PUF, coll. « Que
sais-je ? ».
34. Idem.

53
Méthodologie de l’intervention en travail social

Dans chaque contexte, la connaissance construite par un sujet est accessible


par la médiation de représentations bâties par ce même sujet : la représen-
tation construit la connaissance et permet de la partager. Connaissance et
représentation sont inséparables, car la représentation montre la
connaissance :
« Cette inséparabilité de la connaissance et de la représentation entendues dans
leur distinguable activité, l’expérience intentionnelle du sujet connaissant et la
construction tâtonnante du sujet représentant la connaissance constituent sans
doute l’hypothèse fondatrice forte sur laquelle se définissent aujourd’hui les
connaissances enseignables, scientifiques et communes que légitiment les épis-
témologies constructivistes 35. »

2.3. Intervention en travail social et disciplines


contributives
Les différentes épistémologies abordées dans le paragraphe précédent
apportent des modes de lecture de la réalité sociale dans laquelle est
immergé le travailleur social en situation d’intervention auprès d’un sujet
(personne, groupe ou communauté). Le positivisme introduit une démarche
analytique de décomposition des différents éléments en jeu dans l’action.
La complexité rappelle que le tout n’est pas la somme des parties et que ces
parties sont en interaction, traversées de tensions et de contradictions,
incluses dans un processus où cause et effets se mêlent. La praxéologie
focalise sur le faire, sur les connaissances produites par l’action, sur les
finalités en jeu dans toute action. Le constructivisme insiste sur le fait que
connaissance et représentation sont liées, que les connaissances sont
construites par l’acteur dans un contexte socioculturel précis. Armés de ces
regards épistémologiques, nous pouvons essayer de déconstruire l’interven-
tion en travail social et, par là, voir quelles contributions les différentes
sciences sociales disciplinaires peuvent apporter à cette intervention.

2.3.1. La déconstruction de l’intervention en travail social


Le « social » du travail social se définit comme l’objet d’intervention.
Comme l’affirme Brigitte Bouquet lors de sa leçon inaugurale de la chaire
« Travail social » du CNAM :
« Le “social” dont je parle se caractérise par un ensemble d’interventions et de
pratiques particulières qui prennent en charge des populations diverses en dif-
ficulté et par un secteur professionnel qui mène ces interventions. Le “social”
dont je parle, c’est le champ d’activité des travailleurs sociaux 36. »

35. Idem.
36. Bouquet B. (2003), « Le “social” objet d’intervention et de savoir », Forum, n° 101,
janvier.

54
Le travail social et les sciences sociales

Ce champ d’activité est inscrit dans ce que Robert Castel nomme le


« social assistantiel 37 ». L’intervention est une action qui met en présence un
travailleur social porteur de cette intervention et un usager, cible de cette
intervention. En agissant, le travailleur social met en lien des éléments de
natures différentes :
–– les politiques sociales décidées par les pouvoirs publics, à des niveaux
différents, de l’État aux collectivités locales, de la région à la municipalité,
en passant par le département. Entre ces différents niveaux de décision
peuvent exister des tensions, des contradictions ;
–– des dispositifs organisés par les administrations chargées de mettre en
place les diverses politiques sociales ;
–– les institutions employeurs du travailleur social mandatées pour mettre
en œuvre ces dispositifs, institutions qui ont des marges de manœuvre plus ou
moins grandes dans la mise en œuvre des dispositifs, qui font des choix idéo-
logiques, qui ont une histoire influant sur leur mode de fonctionnement ;
–– le travailleur social lui-même chargé de concrétiser le mandat insti-
tutionnel sur le terrain, qui a des connaissances issues de sa formation et de
son expérience, qui développe des stratégies, qui possède un système de
valeurs, une idéologie, qui agit en un moment précis de l’espace et du temps,
qui possède des représentations du social, de l’usager.
En face, le sujet-objet d’intervention n’est pas une page blanche ; son
action va être construite à partir de lui-même en tant qu’acteur développant
une stratégie, mobilisant des ressources, ayant une histoire, possédant des
représentations de la société, du travail social, de ses droits, inscrits dans un
environnement proche. Et cette interaction entre le travailleur social et
l’usager baigne dans un contexte local et global lié à des dimensions poli-
tiques, économiques, culturelles.
Ainsi, l’intervention du travailleur mobilise la connaissance indispen-
sable des diverses dimensions qui éclairent l’intervention. Mais la forme de
mobilisation de ces connaissances va être fonction de la singularité de
chacune des situations rencontrées : il s’agit toujours de l’interaction entre
un travailleur social singulier et un usager singulier en un moment donné,
dans un lieu précis et dans un contexte plus ou moins spécifique. Cette
singularité de chaque intervention interdit-elle de théoriser l’action, de
construire un savoir de l’action ? L’enjeu est de construire des modèles de
compréhension de l’action qui vont au-delà de la singularité du cas. Ces
modèles peuvent être construits en suivant le schéma d’élaboration de l’idéal
type par Max Weber :
« On obtient un idéal type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points
de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus
et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et

37. Castel R. (1995), Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard.

55
Méthodologie de l’intervention en travail social

par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue
choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. On ne
trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle :
il est une utopie. Le travail historique aura pour tâche de déterminer dans chaque
cas particulier combien la réalité se rapproche ou s’écarte de ce tableau 38. »

La connaissance des dimensions mises en jeu dans l’intervention ainsi


que la construction de modèles d’action passent par la mobilisation de
connaissances et de théories issues des principales disciplines des sciences
sociales (sociologie, psychologie, psychosociologie, etc.), mais ne se
réduisent pas à cette mobilisation : l’action est également productrice de
savoirs et de théories : « Par les contextes institutionnels dans lesquels elles
s’inscrivent, les idéologies qu’elles véhiculent, les savoirs qui les fondent,
les légitimations a posteriori qu’elles produisent, les pratiques profession-
nelles sont produites de théorie et productrices de théorie 39. » Ainsi le travail
social se construit comme l’une des sciences de l’action dans « un processus
de production endogène et d’assimilation de théories exogènes dialectique-
ment structuré 40 » ; ce processus, poursuit l’auteur latino-américain Boris
Lima, « permettra de dépasser la dépendance du travail social par rapport
aux autres disciplines, qui ont maintenu jusqu’à présent le travail social
comme une espèce de colonie professionnelle ».
La rupture du rapport de dépendance du travail social aux sciences
sociales n’est pas seulement revendiquée par les travailleurs sociaux, ce
discours peut parfois se retrouver parmi les chercheurs de ces disciplines.
Le chemin parcouru en ce sens est important depuis le début des années
1980. À titre d’exemple, concernant la sociologie, nous retiendrons deux
titres d’ouvrage qui nous paraissent significatifs. En 1985, sous le titre
Lectures sociologiques du travail social 41, des sociologues apportaient les
fruits de leur recherche sur différents éléments du travail social, notamment
sur les usagers, sans oublier de traiter la notion, à la mode en cette période,
de « contrôle social ». Exactement vingt ans après, est publié un livre dont
le titre est tout un programme : La sociologie au service du travail social 42,
dans lequel l’auteur trace « quelques pistes de rapprochement pour le
xxie siècle » entre les deux disciplines.

38. Weber M. (1992), « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique


sociales (1904) », in Essai sur la théorie de la science, Paris, Presses Pocket.
39. Berger G., « Pratique professionnelle et formation permanente », in Boutinet J.-P. (dir.)
(1985), Du discours à l’action. Les sciences sociales s’interrogent sur elles-mêmes, Paris,
L’Harmattan, coll. « Logiques sociales ».
40. Lima B. (1983), Epistemologia del Trabajo Social, Buenos Aires, Humanitas.
41. Bailleau F., Lefaucheur N., Peyre V. (1985), Lectures sociologiques du travail social,
Paris, CRIV/Éditions ouvrières.
42. Dubechot P. (2005), La sociologie au service du travail social, Paris, La Découverte,
coll. « Alternatives sociales ».

56
Le travail social et les sciences sociales

2.3.2. Les disciplines contributives au travail social


Affirmer la discipline travail social, ce n’est pas présenter ce dernier
comme autosuffisant sur le plan des théories et des méthodes. Au contraire,
c’est aussi mettre en lumière les contributions que les diverses disciplines
des sciences sociales peuvent apporter au travail social. Sans prétendre
établir une liste exhaustive de ces disciplines et voir en quoi chacune
d’entre elles contribue au travail social, nous souhaitons donner quelques
éléments sur ces contributions. Pour établir la liste de ces disciplines, nous
retiendrons celles qui sont citées dans les sept unités de formations contri-
butives à l’unité de formation « Théorie et pratique d’intervention en service
social » du texte 43 de 2004 présentant le contenu de la formation prépara-
toire au diplôme d’État d’assistant de service social. Dans cette liste nous
trouvons :
–– la philosophie limitée à la philosophie de l’action et à l’éthique ;
–– des disciplines fondamentales en sciences sociales : sociologie, ethnologie/
anthropologie, psychologie, psychologie sociale, économie, démographie ;
–– des sciences de l’action : sciences de l’éducation et sciences de l’informa-
tion ;
–– deux champs de la réalité sociale : la santé et le droit (déclinés dans
leurs différentes branches) auquel on peut rattacher la législation et les
politiques sociales.
Nous pourrions retrouver dans toutes les formations initiales en travail
social de niveau équivalent (éducateur spécialisé, éducateur de jeunes
enfants, conseillère en économie sociale et familiale) les mêmes disciplines,
avec des pondérations différentes. À partir de cette liste des disciplines, nous
pouvons apporter quelques éléments sur leurs contributions respectives.
Pour les disciplines fondamentales en sciences sociales – soit sociologie,
psychologie, psychologie sociale, économie, démographie, ethnologie/
anthropologie –, nous pouvons affirmer en préambule qu’elles regardent
toutes le même objet : l’humain social par opposition à l’humain biologique.
Ce qui diffère, ce sont leurs points de vue sur cet objet commun. Ces disci-
plines apportent au travail social des corpus théoriques de compréhension
des phénomènes sociaux (dont des corpus théoriques différents si ce n’est
opposés, pour comprendre le même phénomène social), des modèles d’inter-
vention, des méthodes et techniques de recherche.
nnLa sociologie
Revenant sur chacune d’entre elles, nous pouvons dire que l’apport de la
sociologie est de donner quelques clés de compréhension (avec des auteurs
comme Erving Goffmann sur l’interaction, Howard Becker sur l’étiquetage,

43. Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, op. cit.

57
Méthodologie de l’intervention en travail social

Pierre Bourdieu sur l’habitus et de nombreux autres sur l’articulation entre


le microsocial et le macrosocial). La sociologie montre également comment
la réalité sociale est construite socialement 44 ; Robert Merton 45, avec ce qu’il
a nommé « le théorème de Thomas », tire les conclusions de cette affirma-
tion : « Quand les hommes définissent une situation comme réelle, elles sont
réelles dans leurs conséquences. » Ce « théorème » devrait inciter les travail-
leurs sociaux à considérer à la fois la situation objective d’un usager telle
qu’elle peut être vue de l’extérieur mais aussi la situation perçue comme
objective par l’usager. Enfin, la sociologie a produit des modèles d’interven-
tion sur le social 46, comme l’intervention sociologique d’Alain Touraine et
de son école, la socioanalyse issue de l’analyse institutionnelle de René
Lourau, Georges Lapassade et Rémi Hess, la sociologie clinique de Vincent
de Gaulejac ; ces types d’interventions ne sont pas seulement une applica-
tion sur le terrain d’un cadre théorique préétabli, elles sont également pro-
ductrices de connaissances comme en témoigne le livre classique de François
Dubet sur les jeunes de banlieues 47.

nnLa psychologie
La psychologie a été et reste encore une discipline dominante dans le
travail social, favorisant parfois des dérapages de l’intervention sociale vers
la thérapie. Ce dérapage est d’autant plus facilité que la psychologie est à la
fois une science produisant des connaissances et une pratique d’intervention
thérapeutique, et que ces deux moments, connaissances et action, sont
fortement liés. Par ailleurs, la psychologie est la science sociale qui est la
plus diffusée dans l’ensemble de la population, produisant ainsi une grille
de lecture du psychisme largement partagée, même si c’est au prix de fortes
simplifications. Parmi les apports de la psychologie au travail social, nous
pouvons dire que le plus important est la réflexion sur le rapport à l’autre
et donc sur les attitudes de l’intervenant face à l’usager. Les concepts d’em-
pathie, d’écoute, les techniques d’entretien couramment utilisées par les
travailleurs sociaux, sont issus de la psychologie. Les apports sur les cogni-
tions et les affects sont d’une utilité permanente pour la pratique du travail
social. De plus, les violents affrontements entre les courants de la psycho-
logie, entre comportementalisme et psychanalyse, permettent d’une part de
comprendre clairement que toute interprétation des faits est liée à un corpus
théorique et, d’autre part, que, à l’arrière-plan des théories en sciences
sociales, nous trouvons des idéologies, c’est-à-dire des visions du monde.

44. Berger P., Luckmann T. (1996), La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens
Klincksieck, coll. « Sociétés ».
45. Merton R., Éléments de théorie et de méthode sociologique, op. cit.
46. Herreros G. (2001), Pour une sociologie d’intervention, Ramonville, Érès, coll.
« Sociologie clinique ».
47. Dubet F. (1987), La galère, jeunes en survie, Paris, Fayard, coll. « Mouvements ».

58
Le travail social et les sciences sociales

nnL’économie
Cette dernière affirmation est également très fortement présente en ce
qui concerne l’économie : les théories économiques fondamentales sont la
projection dans le champ de l’échange de biens et de services d’idéologies
mêlant vision des rapports entre l’homme et la société et système de valeurs.
L’apport de l’économie est d’abord de contextualiser la situation des usagers,
de comprendre cette situation dans son rapport à des données globales
(emploi, production, type d’entreprises…). Le vécu d’une personne varie
fortement selon la situation économique du moment. L’économie a aussi
apporté des techniques de gestion comptable applicables dans la lecture de
budgets familiaux, de l’endettement.
nnLa démographie
Les apports de la démographie paraissent plutôt faibles pour le travail
social. Là encore, le principal apport reste la contextualisation (formes fami-
liales, taux de natalité et de mortalité, espérance de vie) permettant de situer
le singulier par rapport au général.
nnLa psychologie sociale
Il n’en est pas de même pour la psychologie sociale. Cette dernière naît
en même temps que le travail social d’une matrice commune : la philosophie
sociale. Elle partage avec lui une volonté d’intervention. Les interactions
interpersonnelles présentes dans toutes les interventions peuvent être lues
grâce à la grille de lecture psychosociale. L’étude des groupes et l’interven-
tion en leur sein, développés par cette science, ont été à la source du travail
social de groupe. Les notions d’identité, de statut et de rôle, de représenta-
tions sociales, d’influence sont fondamentales dans l’intervention en travail
social. Enfin, la psychologie sociale a créé des méthodes d’intervention 48
qui peuvent être transposées sans grandes difficultés au travail social.
nnL’ethnologie/anthropologie
Terminons ce rapide panorama des contributions des sciences sociales
au travail social par l’ethnologie/anthropologie. La distinction entre les deux
est plus sémantique (ethnologie en langue française et anthropologie en
langue anglaise) qu’épistémologique (objet différent). Cependant, nous pou-
vons dire que l’ethnologie s’est construite dans l’observation des peuples
dits « primitifs » et que l’anthropologie s’est voulue science totale de
l’homme. La contribution essentielle de cette discipline est d’apporter un
regard sur l’altérité, sur l’autre considéré à la fois comme semblable et dif-
férent. La prise en compte des identités et appartenances culturelles est à
mettre au crédit de cette discipline, tout en mettant en garde contre le

48. Mendel G., Prades J.-L. (2002), Les méthodes de l’intervention psychosociologique,
Paris, La Découverte, coll. « Repères ».

59
Méthodologie de l’intervention en travail social

danger de réduire le sujet à son appartenance, réelle ou attribuée, à une


culture, qui, de plus, peut être réduite à une essence intemporelle 49.
nnL’histoire
Dans les disciplines citées et enseignées, il y a une discipline oubliée :
l’histoire. Cette dernière pourrait cependant être utile au travail social en
construisant un regard toujours contextualisé. La critique des sources,
démarche fondamentale en histoire, pourrait également être présente à
l’esprit de tout travailleur social – et des chercheurs et praticiens des autres
disciplines – quand il se trouve face à des documents divers. Enfin, l’histoire
apporte des éléments de compréhension des phénomènes identitaires et
l’histoire du travail social 50 peut être considérée comme un réservoir d’expé-
riences utiles pour construire les interventions d’aujourd’hui.
nnLes sciences de l’action
Après ce tour d’horizon des disciplines des sciences sociales, nous pou-
vons passer aux sciences de l’action que sont les sciences de l’éducation et
les sciences de l’information. Outre les apports sur les processus formatifs
pour la première et les processus de communication pour la seconde, l’ap-
port principal de ces deux sciences (elles sont nommées comme telles) est
de l’ordre de l’épistémologie. Elles apportent un champ de réflexion sur la
théorisation et la construction des savoirs de l’action, sur l’articulation des
savoirs issus des disciplines fondamentales et des savoirs issus de l’action.
En ce sens, chercheurs en travail social, en sciences de l’éducation et en
sciences de l’information – auxquels devraient se joindre chercheurs en
science de la gestion – ont un très grand intérêt à réfléchir ensemble sur les
fondements épistémologiques communs de leurs sciences.
nnLa philosophie
La philosophie a toujours été présente dans l’enseignement du travail
social et des sciences sociales, mais c’était comme un soubassement plus ou
moins profond qu’on laisse, la plupart du temps, dans l’ombre. Son appari-
tion dans le programme de la formation 2004 préparatoire du diplôme d’État
d’assistant de service social devrait s’élargir à la formation aux autres pro-
fessions sociales. L’apport essentiel de la philosophie au travail social est de
l’ordre du domaine de la philosophie morale, c’est-à-dire l’interrogation sur
les valeurs, sur leur universalité, sur l’éthique. La réflexion sur l’éthique est
d’autant plus importante que les travailleurs sociaux sont confrontés, avec
des intensités diverses selon les périodes historiques et les contextes, à des
choix d’intervention mettant en tension, parfois en contradiction, légalité

49. Guelamine F. (2006), Le travail social face au racisme. Contribution à la lutte contre
les discriminations, Rennes, Éditions ENSP, coll. « Politiques et interventions sociales ».
50. Pascal H. (2014), Histoire du travail social en France. De la fin du xixe siècle à nos
jours, Rennes, Presses de l’EHESP, coll. « Politiques et interventions sociales ».

60
Le travail social et les sciences sociales

(rapport à la loi) et légitimité (rapport aux valeurs). La déontologie est une


réponse construite à partir de ces réflexions. Une autre branche de la phi-
losophie, la philosophie de la connaissance, pourrait être enseignée, car elle
est à la source des débats sur l’épistémologie des sciences.
nnLe droit et la santé

Restent dans la liste issue du programme de formation 2004 des assis-


tants de service social, le droit, la législation et les politiques sociales, la
santé. S’agit-il de sciences ou d’un champ d’action découpé dans la réalité
sociale ? Il n’est peut-être pas utile de trancher la question qui nécessiterait
de longs débats. Nous nous limiterons à regarder ce que les enseignements
de droit (dans lequel nous incluons législation et politiques sociales) et de
santé peuvent apporter à l’intervention du travailleur social. Il est certain
que le droit donne le cadre politique, juridique et administratif dans lequel
se déploie l’intervention sociale et fournit une part des outils mis en œuvre
dans l’intervention. En des temps où l’accès aux droits des usagers du tra-
vail social est un problème récurrent, la connaissance des droits et de la
législation sociale est plus indispensable que jamais pour les travailleurs
sociaux quel que soit leur champ d’intervention. Mais l’enseignement du
droit et de la législation sociale peut aussi apporter un regard distancié sur
la loi. Le processus d’élaboration de la loi, de son adoption, de sa promul-
gation est toujours à situer en relation aux rapports de force sociaux et aux
valeurs dominantes existant à un moment donné. Cela est particulièrement
vérifiable dans le champ des législations sociales, mais pas seulement. Il
faut rappeler que n’est délit que ce qui est défini comme tel par la loi et que
ce qui était délit peut devenir acte légal et inversement. Pour démontrer cette
affirmation, nous pouvons citer, parmi de nombreux autres cas, l’histoire
de l’avortement qui était un délit jusqu’à la loi sur l’interruption volontaire
de grossesse (IVG) de 1975 autorisant cet acte sous certaines conditions.
Les enseignements liés au champ de la santé peuvent, en premier, appor-
ter des éléments de connaissances pour évaluer une situation : l’impact
d’une maladie, d’un handicap est utile pour poser une évaluation de la
situation sociale d’un usager. Même si l’on n’est plus au temps des « fléaux
sociaux », le champ de la santé publique peut être investi par les travailleurs
sociaux, notamment dans les actions de prévention ; des connaissances du
champ sanitaire sont nécessaires pour cela. Ce champ a pris une nouvelle
actualité avec la diversification des conduites addictives, avec le vieillisse-
ment de la population entraînant une croissance des situations de dépen-
dance et avec les maladies à fort impact social. De plus, les politiques
d’organisation des soins à domicile ont multiplié les réseaux santé au sein
desquels les travailleurs sociaux ont une place centrale de coordination.

61
Méthodologie de l’intervention en travail social

En conclusion de ce chapitre, nous pouvons dire que les savoirs issus des
sciences sociales – savoirs théoriques et savoirs d’action – sont indispen-
sables pour l’intervention des travailleurs sociaux. Mais ces savoirs doivent
être agencés de manière à pouvoir répondre aux questions suscitées par
l’intervention, et cet agencement est chaque fois spécifique à la singularité
qui caractérise chaque intervention.
Chapitre 3

La méthodologie de l’intervention

Nous partons ici du postulat que le travail social utilise dans son activité
une ou plusieurs méthodes qui lui sont propres et que celles-ci peuvent être
explicitées, décrites, analysées autant au niveau de la pratique qu’au niveau
de la théorie.
Cette affirmation n’est pas gratuite car fort souvent le travailleur social
est perçu comme un agent d’application des politiques sociales des institu-
tions, défini comme un exécutant, son action se limite à la mise en œuvre
des dispositifs, la distribution des prestations. Son rôle est alors indiqué
comme celui d’un gestionnaire régulant les « flux » et des places en fonction
des impératifs financiers et contraintes budgétaires. Un autre courant pri-
vilégie la spontanéité et la cordialité d’une relation interpersonnelle forte
entre le travailleur social et la personne susceptible de les faire évoluer et
progresser en autonomie et insertion dans une vision un peu hors contexte
et refusant les contraintes.
Ces deux courants de pensée – que nous ne pouvons développer ici,
malgré le risque évident de ne présenter qu’une caricature déformée de l’un
et de l’autre – ont en commun le fait de nier qu’il existe une méthode de
travail social, méthode pouvant être décrite, étudiée, aux niveaux pratique
et théorique, méthode extérieure au contexte institutionnel et de politique
sociale où il s’applique.
À notre avis, le premier, ne tenant compte que du statut salarié des tra-
vailleurs sociaux, nie toute marge de liberté d’action entre le professionnel
et le service employeur ; présuppose le premier en accord et en lien symbio-
tique avec le second, et fait fi de l’autonomie de pensée et d’action tant du
travailleur social que de l’usager, et des contradictions et conflits innom-
brables qui existent dans la pratique sociale.

63
Méthodologie de l’intervention en travail social

Le second – en réduisant l’action du travailleur social à un développe-


ment des capacités relationnelles (de lui-même et de l’usager) – nie dans les
faits les aspects institutionnels et sociétaux, ainsi que les capacités de tout
individu d’apprendre en utilisant l’intellect et l’expérience.
Il faut néanmoins ajouter que ces deux courants ont apporté au travail
social un questionnement riche de répercussions positives, ils ont obligé les
travailleurs sociaux à regarder et à interroger leur pratique, à analyser leur
statut et leur rôle, à se pencher sur leurs contradictions et à mieux cerner
les difficultés et la complexité de leur profession.
Nous pensons que le travail social ne peut s’enrichir que sous la triple
influence de ces deux courants et de l’apprentissage de la méthodologie,
non pas comme des approches opposées et s’excluant réciproquement, mais
comme des éclairages divers d’une même réalité où chacun trouve sa signi-
fication en complémentarité avec les autres.
Dans ce chapitre, seront présentés les manières d’élaboration de la
méthodologie, les définitions, les modèles en présence et quelques concepts
clés. Les phases et le processus de la méthodologie seront explicités et
développés ensuite dans les chapitres suivants.

3.1. Élaboration de la méthodologie


La méthodologie en travail social n’a pas surgi du néant, elle a été éla-
borée à partir de l’accumulation et de la systématisation des expériences
pratiques, et à partir des contributions apportées par les différentes sciences
sociales 1 (psychologie, sociologie, psychosociologie, et plus récemment
géographie, économie, ethnologie et anthropologie). Cet effort de systéma-
tisation, avec l’élaboration conceptuelle qui en découle, a été particulière-
ment important aux États-Unis depuis la deuxième décade du xxe siècle, et
s’est manifesté en France dans la période des années 1930‑1940 et ensuite
vers les années 1950 avec les formations au case work.
Le travail social utilise deux formes de systématisation de la pratique et
d’élaboration méthodologiques. La première tient compte d’une approche
pragmatique : confronté à la réalité complexe et vivante des problèmes
individuels et sociaux, le travailleur social procède par l’accumulation
d’expériences et par la démarche de l’essai et de la réflexion sur les résultats
positifs ou négatifs. Ce qui s’avère donner les résultats espérés sera réutilisé,
ce qui, en revanche, se révèle ne pas être concluant, ne sera plus essayé. La
répétition cumulative de cette forme de systématisation permet ensuite
d’élaborer, sur le plan général, des idées forces applicables à différentes
situations.

1. Se référer au chapitre 2.

64
La méthodologie de l’intervention

La seconde forme de systématisation de la pratique utilise une approche


plus « scientifique » avec les outils mis à sa disposition par les disciplines
contributives en sciences sociales et particulièrement par l’utilisation des
méthodes de recherche en travail social. L’ouvrage de Mathilde Du Ranquet,
Nouvelles perspectives en « case work 2», fait état dans sa deuxième partie
de plusieurs recherches de ce type ayant abouti à des apports considérables
sur le plan de la méthodologie professionnelle. De même, une publication
de Laurence Schulman intitulée Étude sur le processus d’aide  3 fait une
analyse fouillée et exhaustive des différentes variables intervenant dans le
processus d’aide. Également au Canada et aux États-Unis, les articles publiés
sur l’intervention à court terme, l’intervention en situation de crise, l’utili-
sation du contrat écrit avec l’usager sont le fruit de l’expérimentation de
nouvelles formes de travail analysées et systématisées par une recherche
appliquée à l’intervention en travail social.
En France, il existe des recherches sur la clientèle des travailleurs
sociaux 4 ou sur les caractéristiques des diverses professions sociales 5, ainsi
que de nombreuses études de besoins, études de milieu, réalisées dans le
cadre des différents services employeurs. Depuis la mise en place du diplôme
supérieur en travail social (DSTS) en 1978 6, de la réforme des études d’assis-
tant de service social de 1980 et ensuite celle de 2004, rendant obligatoire
un mémoire final d’initiation à la recherche, et de la formation de nombreux
professionnels dans le cadre d’un cursus universitaire, la recherche en travail
social s’est beaucoup développée. Les organismes de formation, les associa-
tions professionnelles, les associations de « praticiens-chercheurs » y ont
largement contribué dans le cadre de séminaires, journées d’études, col-
loques. Entre 1980 et 2000, le travail social a conquis une place et une
visibilité dans le domaine de la recherche en travail social, notamment avec
la publication d’ouvrages sur ce thème 7.
Cet enrichissement s’est poursuivi et approfondi avec la création, en
2001, de la première chaire en travail social dans le cadre du Conservatoire
national des arts et métiers (CNAM) qui a mis en place des master et, plus

2. Du Ranquet M. (1975), Nouvelles perspectives en « case-work », Toulouse, Privat, coll.


« Nouvelle recherche ».
3. Schulman L. (1977), Étude sur le processus d’aide, Vancouver, School of Social Work,
university of British Columbia (traduit en français), édition ronéotypée.
4. Bobroff J., Luccioni M. (1976), La clientèle du travail social : assistés marginaux ou
travailleurs à intégrer ?, Paris, ESF éditeur, coll. « Pratiques sociales ».
5. Voir notamment : Courtecuisse N., Brams L. (1972), Les assistantes de service social :
1970. Contribution à la sociologie d’une profession, Paris, éditions INSERM.
6. Il sera remplacé par l’arrêté du 2 août 2006 qui donnera naissance au diplôme d’État
d’ingénierie sociale (DEIS).
7. Duchamp M., Bouquet B., Drouard H. (1989), La recherche en travail social, Paris,
Bayard ; Lièvre P. (1998), Manuel d’initiation à la recherche en travail social, Rennes,
Éditions ENSP. Voir aussi les publications de Recherches historiques du travail social dans
la revue Vie sociale du CEDIAS.

65
Méthodologie de l’intervention en travail social

tard, une option travail social de deux doctorats (sociologie et sciences de


l’éducation). La question de la reconnaissance, dans le cadre des cursus
européens de licence, master et doctorat (LMD), encourage l’accroissement
de la part de la recherche intrinsèque en travail social.
Une profession se définit – entre autres choses – par un corps de connais-
sances et de techniques transmissibles, un savoir suffisamment élaboré pour
pouvoir constituer une matière d’enseignement et d’apprentissage pour les
nouvelles générations. Mais le dynamisme vital d’une profession se mesure
aussi à sa capacité de création et d’expérimentation, à l’élaboration qu’elle
fait de sa théorie à partir de sa pratique, à la définition de ses méthodes en
fonction des buts poursuivis. Cela implique un effort collectif important, et
aussi de vaincre de nombreux obstacles tant objectifs que subjectifs. Mais
l’effort en vaut la peine, d’autant plus que l’élaboration d’une méthode de
travail est à renouveler constamment car elle n’est qu’un moyen, un chemin
pour arriver à un but. Le corps de connaissances théoriques transmissibles
ne représente pas une vérité absolue, elle ne peut se définir que dans le
temps et dans l’espace (ici et maintenant), elle est sujette à des modifications
sous des influences diverses. Si cette condition est oubliée, nous ne sommes
plus devant un corps de connaissances théoriques, mais devant une
doctrine.
En Amérique latine, il existe de nombreux écrits exposant le travail
social comme une science en utilisant la « méthode scientifique » de
recherche-action comme base méthodologique. Or, la plupart de nos aîné(e)s
de par le monde avaient défini le travail social soit par ses intentions
avouées, soit en tant qu’art. Mais dire que la pratique du travail social est
un art, avec tout ce que cela comporte de création, d’expérience unique,
d’habileté, ne nie pas pour autant la nécessité incontournable d’apprendre
et de savoir. Combien d’années d’étude, d’exercice, de concentration et
d’efforts ne sont-elles pas nécessaires au musicien pour devenir un virtuose,
au peintre pour enfin produire une toile exprimant toutes ses capacités
créatives ?
Comme le dit Ricardo Zúñiga :
« Un roman, une symphonie ou une sculpture ne sont pas des simples effusions
d’un esprit créateur : ce sont aussi des structures planifiées, testées, des “argu-
mentations” d’un artisan qui les a construites selon un plan, un plan qui assure
l’unité en fonction d’une idée, d’un but et qui la développe par un processus
planifié de réalisation dans le temps, d’utilisation prévue des ressources… Pour
chaque peinture célèbre, on retrouve des dizaines d’ébauches, des croquis et des
études préparatoires, de vraies comparaisons des hypothèses, de véritables éva-
luations des différentes voies considérées 8. »

8. Zúñiga R. (1994), Planifier et évaluer l’action sociale, Montréal, Presses de l’université


de Montréal.

66
La méthodologie de l’intervention

3.2. Définition des termes


Le travail social a été décrit en termes d’« actes professionnels » (entre-
tiens, démarches, visites à domicile, courrier, constitution des dossiers), et
aussi en termes de rôles et de fonctions (rôle d’information, d’orientation,
rôle d’aide, de mise en relation, etc. 9). Ici nous allons aborder le travail social
en termes de méthode et de processus.
La méthode est « la manière de faire (dire ou enseigner) une chose suivant
certains principes et avec un certain ordre 10 ». Selon Madeleine Grawitz, il
s’agit « d’un ensemble concerté d’opérations, mises en œuvre pour atteindre
un ou plusieurs objectifs […]. Elles [les méthodes] constituent de façon plus
ou moins abstraite ou concrète, précise ou vague, un plan de travail en
fonction du but 11 ». La méthode en travail social est, en effet, le principe
organisateur, la façon de faire du travailleur social depuis sa première ren-
contre avec la personne jusqu’à la clôture de l’action avec elle. On peut
aisément découper la méthode en diverses phases, à des fins d’étude et
d’approfondissement, mais l’approche du travail social que nous proposons
ici essaie de relier chaque acte professionnel de nature différente, et chaque
étape de la méthode, afin de rendre à l’action du travailleur social sa cohé-
rence et sa continuité.
La méthodologie est « la partie d’une science qui étudie les méthodes
auxquelles elle a recours 12 », et c’est dans cette acception du terme que nous
emploierons ce mot. La méthodologie nous permet ainsi de cerner et d’étu-
dier la ou les « manières de faire » en travail social, la façon de procéder
selon un certain ordre et suivant certains principes, c’est-à-dire la (les)
méthode(s).
Il est essentiel de se rappeler qu’une méthode est toujours un moyen et
non une fin en soi ; la méthode en travail social est la façon de faire, mais
elle ne définit pas les objectifs à atteindre et les valeurs auxquelles on se
réfère. La méthode est un instrument pour atteindre des objectifs préalable-
ment définis, elle est subordonnée aux valeurs et aux fins, mais il existe une
relation étroite entre les objectifs poursuivis et la façon de faire telle que
Gisela Konopka l’explicite :
« Notre façon d’agir doit être conforme aux fins que nous poursuivons […]
Gandhi s’est exprimé à ce sujet d’admirable façon : “Les moyens ressemblent à
la semence, le but ressemble à l’arbre”, et il existe la même relation inviolable
entre les moyens et la fin qu’entre la semence et l’arbre 13… »

9. Étude de l’ANAS, « La fonction sociale », La Revue française de service social, Paris,
n° 98, 2e trimestre 1973.
10. Nouveau Petit Larousse, 1970.
11. Grawitz M. (1981), Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz.
12. Nouveau Petit Larousse, op. cit.
13. Konopka G. (1971), « On demande une méthode générique de service social »,
Montrouge, ISSRS, document ronéotypé.

67
Méthodologie de l’intervention en travail social

Jusqu’au début du xxie siècle, les méthodes de travail social se définis-


saient selon la dimension de l’usager auquel avait affaire le travailleur
social. Ainsi, la méthode d’aide psychosociale individualisée s’adressait à
des personnes en difficulté et était parfois élargie aux familles. La méthode
de travail social de groupe s’adressait à des personnes dans une structure
de petit groupe, celui-ci étant le moyen de relation privilégié dans cette
approche, la méthode de travail social communautaire définissait les béné-
ficiaires en termes de collectifs territoriaux ou institutionnels et en termes
de groupes en interrelation. Cette définition de la méthode en fonction de
la dimension de l’usager n’est plus utilisée en France, où le processus d’uni-
fication des différentes méthodes s’est fait jour quelques années après que
la même recherche eut commencé aux États-Unis et en Amérique latine.
Aux trois « méthodes classiques » vient peu à peu se substituer la recherche
d’une méthodologie unique appelée parfois « approche globale », parfois
« méthodologie générique ou intégrée 14 ». C’est au cours des années 1980 et
1990, que les travaux du Conseil supérieur du travail social ont apporté une
riche théorisation des méthodes d’intervention du travail social en les revi-
sitant et en actualisant leur dénomination : intervention sociale d’intérêt
collectif (ISIC) et intervention sociale d’aide à la personne (ISAP) 15. Cette
théorisation des méthodes en travail social a été incorporée aux référentiels
de formation des assistants de service social (2004) et des conseillères en
économie sociale et familiale (2009).

3.3. Deux modèles en présence


3.3.1. Le modèle médical
La méthodologie en travail social a, pendant une très longue période,
emprunté au modèle de traitement médical bon nombre de ses références et
de sa terminologie. La méthode se divisait en plusieurs phases ou étapes
– étude (ou recherche) de la situation, diagnostic social, traitement, évalua-
tion et fin du traitement – empruntées directement du langage médical.
Le modèle médical se base sur une série de savoirs théoriques accumulés
(biologie, physiologie et pathologie). Le médecin connaît le corps sain, les
différentes fonctions et les différentes maladies. De ces dernières, il connaît
les causes, les manifestations ou symptômes et les moyens de traitement. Ces
connaissances sont limitées, bien entendu, à ce que la recherche et la pra-
tique médicale ont permis de mettre en lumière et à ce que le développement

14. Voir à ce sujet le chapitre 1 : « L’évolution de la méthodologie de service social en


France ».
15. Conseil supérieur en travail social (1987), Intervention sociale d’intérêt collectif, Paris,
ministère des Affaires sociales et de l’Emploi, et Intervention sociale d’aide à la personne,
Rennes, Éditions ENSP, 1998 (nouvelle édition 2014).

68
La méthodologie de l’intervention

de la biochimie a permis comme élaboration de médicaments. Ces connais-


sances s’articulent autour de la notion de norme. La norme, dans le modèle
médical, est la frontière qui sépare la santé de la maladie. Pour le médecin,
il s’agit tout d’abord d’appliquer la norme et le savoir à la situation particu-
lière du patient, il s’agit ensuite de dire ce dont la personne souffre, de dia-
gnostiquer sa maladie. Après quoi, prenant toujours appui sur ces
connaissances, un traitement sera prescrit au malade ayant comme but de
le guérir et donc de le ramener à la norme. Dans cette perspective, le médecin
est celui qui sait, celui qui prescrit, celui qui guérira les maux dont l’autre
souffre.
Dans ce modèle, et à l’instar du médecin, il s’agit pour le travailleur
social de « traiter » une « maladie sociale ». Il est celui qui est capable d’ap-
porter des réponses ou des solutions, « des remèdes », à celui qui souffre
d’une carence ou d’un dysfonctionnement social. Le « traitement » est « pres-
crit » par celui qui peut définir dans le « diagnostic » social, le mal dont
souffre l’autre. Le service social essaye alors d’établir des typologies de
diagnostic et de systématiser les réponses (traitements) susceptibles de
résoudre chaque type de « maladie » sociale 16.
Ce modèle de traitement social à forte connotation médicale s’est modifié
sous l’influence des courants psychanalytiques et psychothérapeutiques pos-
térieurs, sans pour autant perdre ses principales caractéristiques. Le terme
« traitement » fut alors remplacé par celui de « thérapie », et on parla de thé-
rapie sociale, de sociothérapie, de psychothérapie, de thérapie de soutien.
Dans leur livre Social Case Work, Léo de Bray et Julia Twerlinckx 17 nous
expliquent qu’il y a deux formes de traitement social : 1) le traitement indi-
rect, appelé aussi sociothérapie, centré sur l’environnement extérieur à la
personne et opérant par la modification du milieu, et 2) le traitement direct
ou psychothérapie, centré sur la personne et consistant à apporter du soutien
psychologique et à développer la compréhension de soi et de sa situation.
Ce modèle médico-psycho-thérapeutique adoptait des termes renforçant
encore le modèle lorsqu’on parlait des objectifs du traitement. Ces objectifs
étaient définis comme curatifs, préventifs et promotionnels. Les traitements
« curatifs » s’adressaient aux personnes en situation de « maladie sociale »
avérée, il s’agissait de guérir une situation de fait. Les traitements à but
préventif étaient utilisés lorsqu’il existait une situation de risque de maladie
– ou de dégradation – et il s’agissait de procéder à des « dépistages pré-
coces ». Les objectifs promotionnels, qui ont toujours accompagné les deux
autres, ont probablement leurs origines dans les courants d’éducation popu-
laire et d’éducation sanitaire (hygiène, diététique).

16. Voir Richmond M. E. (1917), Social. Diagnosis, New York, Russel Sage Foundation
(réimpression 1955).
17. De Bray L., Tuerlinckx J. (1955), Social case work, Bruxelles, Éditions COMETS.

69
Méthodologie de l’intervention en travail social

3.3.2. Le modèle d’intervention


Un autre modèle est venu remplacer progressivement le modèle médical.
Ses contours et ses références se sont affirmés et délimités au fur et à mesure
des évolutions des politiques sociales et des élaborations méthodologiques.
Le changement qui s’est produit au niveau de la terminologie du travail
social est très sensible et révélateur. Il s’agit bien de l’élaboration d’un
modèle différent de pratique sociale.
Le modèle d’intervention en travail social se distingue du modèle médical
par deux éléments de fond : premièrement, la place et le pouvoir attribués
au travailleur social, et deuxièmement, la prise en considération prioritaire
des aspects positifs et dynamiques de la situation de la ­personne.
Dans ce modèle, l’action du travailleur social ne débute pas après le dia-
gnostic, son intervention est en œuvre dès le premier contact : le regard,
l’accueil, la façon de se présenter, la qualité de l’écoute, les questions posées,
modifient déjà quelque chose, changent l’image que la personne a d’elle-même
et de son entourage, introduisent une donne nouvelle dans la situation pré-
sente. L’intervention sociale est en œuvre immédiatement, sans attendre des
étapes préliminaires de recueil des données, sans que le travailleur social ait
eu le temps de connaître les personnes ou les situations de façon approfondie.
Comme nous le précise Ronald Laing, dans une situation sociale, « on se trouve
en présence d’une situation définie d’abord par ceux qui y sont impliqués […]
Dès l’instant où l’on est confronté à une situation quelconque, on s’y trouve
mêlé et, à partir de là, qu’on le veuille ou non, on y intervient. Dès l’instant où
l’on intervient, la situation se trouve modifiée si peu que ce soit. Un médecin
d’ordinaire n’a pas le sentiment d’intervenir de cette façon […] son intervention
véritable ne commence qu’avec le traitement après qu’il a fait le nécessaire
pour arriver à un diagnostic. […] En revanche nous, nous intervenons et modi-
fions la situation dès l’instant où nous entrons en scène, que nous le voulions
ou non. En outre, notre intervention commence déjà à nous transformer en
même temps que la situation, par le fait des relations réciproques 18 ».
Alors, la position du travailleur social n’est plus celle de la personne qui
sait, qui va porter remède, qui va guérir. Il est devenu celui qui va découvrir
une situation inconnue, qui va examiner cette réalité avec les intéressés
eux-mêmes, qui va les solliciter pour trouver les solutions les plus adaptées,
et qui – au cours de ce processus – va introduire des changements et va se
trouver lui-même modifié grâce à l’échange.
Le deuxième élément de fond distinguant le modèle d’intervention du
modèle médical est la prise en considération prioritaire des aspects positifs
et dynamiques de la situation des personnes. En effet, l’empreinte du modèle
médical et psychothérapeutique nous a fortement conditionnés à analyser

18. Laing R. D. (1975), La politique de la famille, Paris, Stock, p. 53.

70
La méthodologie de l’intervention

toute situation sociale en termes de pathologie et de carences. Nous sommes


devenus capables de percevoir tout « ce qui ne va pas », tout ce qui s’écarte
des normes sociales admises dans un lieu et un temps donnés. Le modèle
d’intervention en travail social prend comme base d’appui les éléments
positifs et dynamiques existant aussi bien dans une intervention auprès
d’individus et de familles qu’auprès d’unités de vie sociale plus vastes. Au
lieu de focaliser l’action sur les points « malades » ou « désorganisés », il
focalise sur les changements en cours, sur les forces en présence, sur les
modalités particulières de communication et de relation entre les personnes
et les groupes, sur leurs potentialités, sur leurs dynamismes. Cette volonté
de focaliser sur le positif constitue un changement radical d’approche en
travail social et nécessite un déconditionnement et un nouvel angle de
perception et d’analyse des situations. En effet, le regard posé sur une situa-
tion la colore et lui donne des jeux d’ombre divers. La situation est peut-être
la même, mais notre façon de la voir la transformera, la rendra différente.
Edgar Morin a utilisé une image forte sur le changement de perspective et
de vision du monde et qui illustre notre propos :
« Au moment incertain du passage de la vision géocentrique (ptolémaïque) à la
vision héliocentrique (copernicienne) du monde, la première opposition entre les
deux visions résidait dans le principe de sélection/rejet des données ; les géo-
centriques rejetaient comme non significatives les données inexplicables selon
leur vision, tandis que les autres se fondaient sur ces données pour concevoir le
système héliocentrique. Dès lors, la simple permutation entre terre et soleil fut
beaucoup plus qu’une permutation puisqu’elle fut une transformation du centre
(la terre) en élément périphérique et d’un élément périphérique (le soleil) en
centre. Le nouveau système comprend les mêmes constituants que l’ancien, il
utilise souvent les mêmes calculs, mais toute la vision du monde a changé 19. »

Pareillement en travail social, l’accent mis sur les aspects positifs et


dynamiques n’élimine pas les problèmes existants, c’est la centration qui
change. Ce qui dans l’une est central devient dans l’autre un phénomène
secondaire et périphérique : une véritable révolution copernicienne !
À la base du modèle d’intervention, il y a la conception du rôle du tra-
vailleur social comme « agent de changement » (changements personnels
ou individuels, changements familiaux, changements sociaux). L’objectif de
changement remplace les objectifs curatifs, préventifs et promotionnels du
modèle médical 20.
Le travailleur social, à partir de sa compréhension de la dynamique
sociale et psychologique dans laquelle se trouve la personne, va définir les
objectifs précis de changement à atteindre et les moyens pour y parvenir.

19. E. Morin (1984), Thèses pour la pensée complexe, 2e colloque sur la recherche en
travail social, Paris, Comité de liaison des centres de formation supérieure et permanente des
travailleurs sociaux, mai.
20. Perlman H. H. (1973), La personne. L’évolution de l’adulte et de ses rôles dans la vie,
Paris, Centurion, coll. « Socioguides ».

71
Méthodologie de l’intervention en travail social

Cette définition des objectifs et des moyens est souvent appelée projet du
travailleur social ou projet d’intervention. Mais le travailleur social n’est
qu’un des protagonistes en présence, les autres sont l’organisme employeur
qui embauche des professionnels pour mettre en œuvre sa politique sociale,
et l’usager qui peut aussi bien être un groupe, une famille, une personne ou
une communauté. La définition des objectifs et le choix des moyens sont
alors établis en confrontant les projets des différents acteurs en présence, la
négociation aboutissant à un projet commun.
D’autres termes aussi s’inscrivent dans ce nouveau modèle : pour exercer
ce rôle d’agents de changement, les travailleurs sociaux mènent des « inter-
ventions ». Parler d’intervention équivaut à « vouloir agir », intervenir dans
une affaire veut dire « prendre part volontairement, se rendre médiateur,
interposer son autorité 21 ». C’est donc mettre l’accent sur l’action, sur ce que
le travailleur social fait. Ce qui est mis en relief est la volonté consciente de
modifier par son action la situation de la personne. Mais, en aucun cas cela
veut dire faire à la place ou imposer des solutions aux personnes concernées.
Comme le dit Jacky Beillerot, des intervenants « estiment que l’intervention
exige la collaboration entre agents et sujets avec lesquels l’intervention est
faite. Dans ce cas, l’intervention se définit par l’attention aux problèmes des
demandeurs, ce qui l’inscrit dans une relation d’aide ; les sujets de la demande
sont visés comme êtres autonomes et considérés comme des agents principaux
de leur évolution ; enfin, le refus d’une perspective instrumentale, de l’appli-
cation d’un savoir (ici le faire précède le savoir), conduit l’intervenant à ne
pas définir a priori l’état où les sujets adviendront par le processus dont il est
le facilitateur. Une telle perspective met, bien sûr, en œuvre une dimension
éthique et démocratique, en particulier d’autonomisation des dominés 22 ».
Dans le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2005,
l’usager est considéré comme « co-constructeur » du processus d’aide. « Car
l’intervention sociale n’est pas la délivrance d’une prestation à un bénéfi-
ciaire passif, elle s’analyse comme une coproduction de la personne concer-
née, du travailleur social qui l’accompagne, et plus largement du service
d’intervention sociale tel qu’il est organisé 23. »
Le mot intervention est, à notre avis, plus fort que celui d’action, bien
qu’il soit souvent employé comme synonyme.
La combinaison de ces éléments du modèle – changement, projet, inter-
vention – leur mise en relation, fait apparaître le dernier mot clé de ce
modèle de référence : la stratégie.

21. Nouveau Petit Larousse, op. cit.


22. Beillerot J., « L’intervention », in Duchamp M., Bouquet B., Drouard H. (1989),
La recherche en travail social, Paris, Bayard.
23. Ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, ministère de la Santé
et des Solidarités, Inspection générale des affaires sociales (2006), « L’intervention sociale,
un travail de proximité », rapport annuel 2005, Paris, La Documentation française.

72
La méthodologie de l’intervention

La stratégie est définie comme l’« art de combiner, en vue de la victoire,


l’action des forces militaires, politiques, morales, économiques, impliquées
dans la conduite d’une guerre moderne. […] Art de diriger un ensemble de
dispositions 24 ». En travail social, une stratégie peut se définir comme « l’art
de faire concourir un ensemble de moyens à une fin. […] La stratégie prend
en compte des éléments de nature différente tels que les ressources humaines
et matérielles, le temps, la personnalité. Elle essaie de prévoir l’évolution et
les interactions dynamiques entre ces éléments 25 ». L’accent est mis sur les
aspects dynamiques et changeants, sur la définition des buts à atteindre et
sur l’analyse des différents éléments qui composent la situation. Le concept
de stratégie renvoie à la notion d’art, de création ; si la stratégie est de
l’ordre de l’art, elle ne peut être unique ni certaine de sa réussite. Plusieurs
stratégies sont possibles pour arriver à une même fin, chaque « stratège » en
concevra éventuellement une différente ; l’essentiel, c’est de concevoir celle
qui a les plus grandes chances d’aboutir. « Le concept de stratégie, plus que
celui de méthode, met l’accent sur celui qui a l’initiative 26. »
Si l’usage des mots changement, projet et intervention, s’est rapidement
implanté dans le milieu du travail social, en revanche celui de stratégie ne
s’est pas répandu. Toutefois, l’engouement actuel pour la réflexion sur le
« positionnement professionnel » renvoie aussi à l’art de conjuguer les forces
contradictoires en tension dans l’intervention sociale ayant comme but de
faire valoir une affirmation professionnelle.

3.4. Quelques concepts clés de la méthodologie


d’intervention
Dans ce paragraphe sont présentés les cinq concepts qui sous-tendent
les orientations et propositions de cet ouvrage, ce sont les fils conducteurs
qui donnent cohérence à l’ensemble ; ils sont les piliers qui soutiennent et
les gonds qui articulent la conception du travail social développée dans ce
livre. Il s’agit des concepts d’aide, de changement, de contradiction, d’inter-
dépendance et d’équilibre dynamique.

24. Nouveau Petit Larousse, op. cit.


25. Blanc B., De Robertis C.( 1976), Les stratégies et les interventions en travail social,
Créteil, Coordination du Val-de-Marne, Centre de formation des travailleurs sociaux, texte
ronéotypé.
26. Idem.

73
Méthodologie de l’intervention en travail social

3.4.1. Le concept d’aide


Le terme « aide  27 » est fort utilisé dans la pratique des travailleurs
sociaux, tantôt il exprime une action (aider), tantôt un objectif (l’aide). Ce
terme signifie « assistance momentanée ou accidentelle, secours », le verbe
aider veut dire « prêter son concours à quelqu’un, joindre ses efforts à
ceux d’un autre  28 ». Les synonymes d’aide sont : assistance, secours,
concours, protection, soulagement, appui, coopération, renfort, collabo-
ration, soutien.
Le mot aide est donc riche en synonymes, et dans sa définition il s’agit
bien de la collaboration apportée par une personne à une autre qui éprouve
une difficulté momentanée. Nous retiendrons aussi que la personne qui aide
est celui qui prête son concours, qui joint ses efforts à ceux de l’autre.
L’acteur principal reste l’autre, celui qui aide est là pour seconder, pour
coopérer, pour soutenir.
En travail social, l’aide est l’ensemble des processus et actes organisés
par la finalité de rendre une personne capable d’autonomie personnelle. Ou,
dit autrement, « l’aide est le produit d’une interaction dynamique de pensée
et d’acte entre un travailleur social et un usager, qui a permis à ce dernier
de trouver, ou de retrouver, ses capacités d’agir et de penser ou de résoudre
un problème social 29 ». Le support relationnel est indispensable à cette inte-
raction productrice d’aide, à la fois il donne sens et constitue le moyen
indispensable au changement. Comme le dit Caroline Helfter :
« Dans la logique traditionnelle du travail social, l’essentiel du métier est la
qualité de la relation avec la personne, généralement établie dans la durée. Au
fil de cette relation l’intervenant social aide celui qui pose la question à
construire sa propre réponse 30. »

N’y a-t‑il pas contradiction à utiliser le concept d’aide dans le cadre de


l’intervention du travailleur social ? Bien au contraire, « le terme interven-
tion se conjugue bien avec aide, puisque l’intervention du travailleur social
consiste à permettre à la personne de développer ses capacités, à l’aider à
modifier sa situation et à résoudre les problèmes qu’elle rencontre. Cette
intervention fait place à la personne, puisque le travail social postule que
les personnes ont en elles-mêmes les capacités et que l’intervention sociale

27. Voir sur ce sujet : De Robertis C. (1983), « Définition du concept d’aide et d’accom-
pagnement en service social », La Revue française de service social, n° 138, et « La relation
d’aide », in Gouhier A. (dir.) (1993), La relation d’aide en travail social, Nancy, Presses uni-
versitaires de Nancy, coll. « Forum de l’IFRAS ».
28. Encyclopédie Larousse, 1977. Voir aussi Barreyre J.-Y., Bouquet B. (dir.) (2006),
Nouveau dictionnaire critique d’action sociale, Paris, Bayard.
29. Michelfelder Y. (1985), « Dynamique de la pensée et de l’acte au cours de l’interven-
tion sociale », Forum, n° 34, novembre.
30. Helfter C. (2005), « Et quelle place pour l’action sociale ? », ASH Magazine, n° 12,
cahier spécial anniversaire, novembre-décembre.

74
La méthodologie de l’intervention

consiste moins à agir sur la personne que sur les conditions qui permettent
à cette personne de mettre en œuvre ses propres capacités 31 ».
L’aide est un processus qui se déroule dans le temps et dans l’espace. Elle
comprend trois protagonistes principaux : la personne, le travailleur social
et l’organisme d’action sociale.
L’aide peut s’adresser à une ou plusieurs personnes – individu, famille,
groupe –, confrontées à une situation de carence ou de difficulté qui entraîne
un besoin qu’elles ne peuvent satisfaire seules dans la conjoncture où elles
se trouvent au moment présent.
Le travailleur social est un professionnel titulaire d’un diplôme reconnu
qui atteste de ses compétences acquises. Il s’inscrit dans les missions définies
par les politiques sociales et mobilise, au bénéfice de la personne, les
diverses mesures et dispositifs existants. Il participe aussi à la création de
nouvelles ressources, si nécessaire, dans le cadre de projets avec la partici-
pation des populations. Les objectifs d’aide du travailleur social sont de
permettre aux personnes de trouver ou de retrouver leur place dans la
société en fonction de leurs capacités et de leurs potentialités, et en repous-
sant autant que possible les limites dues à l’histoire personnelle et aux
handicaps éventuels. Le travailleur social a pour but d’aider à l’insertion, de
créer des opportunités de développement personnel et social, d’accompagner
les personnes vers l’acquisition de nouvelles compétences et une plus grande
autonomie.
L’organisme d’action sociale, employeur des travailleurs sociaux, est
aussi présent dans le processus d’aide, il met à la disposition des usagers un
professionnel travailleur social chargé de la mise en œuvre de ses orienta-
tions d’action sociale et capable d’adapter celles-ci de manière personnali-
sée, aux situations et besoins existants.
Malheureusement, le contenu du concept d’aide a été souvent dichoto-
misé en « aide matérielle » et « aide psychologique », comme si le travailleur
social était un pourvoyeur soit de ressources financières, soit de soutien
affectif et de compréhension. Or, le contenu de l’aide ne peut être séparé en
matériel et psychologique simplement parce que l’aide ne s’adresse pas à
des problèmes (financiers, relationnels ou affectifs, de logement, d’accès aux
droits…), mais à des personnes. Les personnes ont peut-être des difficultés
semblables, mais elles ont chacune leur propre façon de les ressentir, de les
combattre et de se mobiliser pour trouver des solutions.
La focalisation sur la personne implique que seul l’usager, parmi les
protagonistes mentionnés ci-dessus, est acteur du changement de sa situa-
tion. Le travailleur social qui se précipite pour trouver des solutions à des
problèmes (placement d’enfant, logement, secours financier) au lieu de

31. Conseil supérieur de travail social (1998), L’intervention sociale d’aide à la personne,
Rennes, Presses de l’EHESP (nouvelle édition 2014).

75
Méthodologie de l’intervention en travail social

s’atteler à la tâche, ô combien plus passionnante et difficile, d’accompagner,


de soutenir la personne dans sa recherche de ses propres solutions, sera
souvent confronté à l’échec et à l’inutilité de réponses prématurées et ino-
pérantes.
« Rien n’est plus difficile en réalité pour le travailleur social, que de faire
confiance à ce que Rogers appelle la tendance actualisante de l’autre, à cette
capacité de trouver, de créer, d’inventer la riposte qui correspond au système de
contraintes dont il est accablé […] chacun se précipite pour répondre en lieu et
place de celui vers qui tout un chacun se précipite pour retirer la parole. […] En
fin de compte, c’est à Rogers que nous devons la thèse fondamentale selon
laquelle dans le retour à la capacité d’affronter le monde, c’est le client qui joue
seul un rôle actif, la présence du travailleur social ayant pour seule fonction de
libérer l’expérience vécue individuelle avec sa dimension collective 32. »

L’aide ne peut être imposée, l’adhésion, explicite ou implicite, de la per-


sonne est une condition indispensable. Comme le précise le code de déon-
tologie, « l’assistant de service social doit rechercher l’adhésion des intéressés
à tout projet d’action les concernant, en toutes circonstances et quelle que
soit la façon personnelle dont ils peuvent exprimer leur adhésion 33 ».
L’aide peut revêtir plusieurs formes ou activités. Il y a des fonctions
constitutives de l’aide, parmi lesquelles l’accompagnement 34. Dans son rap-
port Intervention sociale d’aide à la personne, le Conseil supérieur en travail
social refuse de voir l’action du travailleur social réduite au terme « accom-
pagnement » comme c’est souvent le cas aujourd’hui 35. Dans ce rapport au
ministre, seul le terme « aide » apparaît avec force. « L’accompagnement
social n’est pas réductible et ne rend pas suffisamment compte des pratiques
complexes et variées des intervenants. En revanche, il s’agit d’une démarche
et d’une fonction partiellement constitutives de l’ISAP 36 », nous disent
Brigitte Bouquet et Christine Garcette. D’ailleurs, les textes régissant les
études préparatoires au diplôme d’État d’assistant de service social de 2004 37
définissent dans le référentiel d’activité six fonctions pour ces profession-
nels, parmi lesquelles accueil/évaluation, information/orientation, accom-
pagnement social/médiation, expertise/travail en réseau/conduite de projets.
Ces fonctions sont les diverses manières d’apporter une aide aux personnes.

32. Mury G. (1975), « Remarques d’un sociologue à propos du service social », Connexions,
n° 14, Paris.
33. ANAS (1994), « Code de déontologie des assistants de service social », art. 11.
34. De Robertis C. (2005), « L’accompagnement : une fonction du travail social », La Revue
française de service social, n° 217.
35. Conseil supérieur du travail social, L’intervention sociale d’aide à la personne, op. cit.
36. Bouquet B., Garcette C. (1998), Assistante sociale aujourd’hui, Paris, Maloine.
37. Décret n° 2004‑533 du 11 juin 2004, JO du 15 juin 2004 et arrêté du 29 juin 2004,
JO du 23 juillet 2004.

76
La méthodologie de l’intervention

3.4.2. Le concept de changement


Changement « signifie une modification, un remaniement, une variation,
un déplacement dans la nature ou la direction d’une structure ou d’un
processus. Développement, à la différence de “changement”, implique un
changement continu dans le temps 38 ». Ainsi le concept de changement
explicite une modification qui peut aussi bien être brusque, rapide, et même
inattendue, que progressive, s’inscrivant dans une évolution lente que l’on
appelle alors développement.
Le concept de changement ne définit ni la direction exacte du déplace-
ment, ni la nature des modifications ou variations ; il ne précise pas non
plus si les modifications ou la direction des déplacements sont positives ou
négatives ; il désigne simplement un degré de transformation. Cela nous
semble être l’un des éléments essentiels du concept de changement et qui le
différencie fondamentalement d’autres termes utilisés en travail social tels
que « amélioration », « progrès ». Cet avantage se transforme cependant en
une difficulté et une exigence supplémentaire dès lors qu’il est employé en
tant que concept opératoire en travail social. Alors l’usage du concept de
changement nécessite la définition préalable de ce que l’on veut changer,
pour quoi et avec qui on veut le changer, ce que l’on veut atteindre comme
nouvelle situation.
Par ailleurs, le maniement de ce concept nous apporte un outil valable de
mesure et d’évaluation, car l’évaluation des résultats pourra se faire alors en
termes de mesure du changement – des variations et des modifications – entre
la situation de départ et la situation à la fin de l’intervention du travailleur
social. Mais, là aussi, l’utilisation devient ardue car l’on ne peut mesurer la
transformation qu’en ayant les mêmes points de repère avant et après, c’est-
à-dire, ayant défini au préalable les variables susceptibles d’être modifiées ou
changées. À cela s’ajoute « la difficulté supplémentaire et contraignante d’avoir
à la fois un aspect subjectif et un aspect objectif 39 » : s’il est relativement facile
de mesurer la transformation d’éléments objectifs ou observables dans la situa-
tion de la personne (déménagement, séparation du couple, présence des enfants
à l’école, obtenir un travail, ou leurs contraires), il est en revanche bien plus
difficile de mesurer les changements subjectifs liés à la façon dont la personne
perçoit et vit elle-même sa situation.
« Une personne peut affirmer se sentir changée et apparaître à l’observateur
pareille et égale à elle-même. […] Une autre peut changer de comportement
manifeste et visible […] et conserver en elle ses tensions aussi fortes, voire
aggravées. Pourtant ses observateurs affirmeront qu’elle est “changée” 40. »

38. Perlman H. H., La personne. L’évolution de l’adulte et de ses rôles dans la vie, op. cit.
39. Idem.
40. Ibidem, p. 27.

77
Méthodologie de l’intervention en travail social

Les questions constamment posées par le concept de changement sont alors :


« De quelle transformation s’agit-il ? Qui définit le ­changement ? Comment
le mesurer ? »
Dans le modèle médical, l’accent est constamment mis sur la pathologie,
même les traitements à but préventif et promotionnel se définissent par
rapport à l’absence ou au risque de « maladie » sociale. Les travailleurs
sociaux ont été pendant de très longues années imprégnés par cette « défor-
mation » professionnelle consistant à ne voir que les carences, ce qui ne va
pas, ce qui est en dehors de la norme sociale. Au contraire, l’utilisation du
modèle d’intervention, et particulièrement le concept de changement, nous
permet de porter un regard attentif sur ce qui est de l’ordre de la vie, sur ce
qui est dynamique et positif. Rien de plus courant, de plus habituel, en fait,
que le changement, que la mouvance et la transformation d’une situation.
Rien de plus puissant que les forces qui incitent habituellement les gens
à changer.
« Les gens sont incités à changer par différentes forces motrices. L’une d’elles
joue quand ils veulent ou désirent quelque chose de plus, de mieux ou de diffé-
rent de ce qu’ils ont. Une autre quand ils craignent de perdre quelque chose à
quoi ils tiennent profondément […] [ou encore lorsqu’ils] se trouvent dans une
situation ou des circonstances qui leur sont suffisamment inhabituelles pour leur
sembler mettre en jeu leur intégrité physique ou psychologique 41. »

Le repérage de la motivation du client pour changer devient alors une


clé essentielle pour le travailleur social dans son intervention, le niveau de
malaise ressenti dans la situation actuelle et le degré d’espoir d’atteindre
un changement satisfaisant sont des données importantes et dynamiques
dans le projet d’intervention 42. En contrepartie, le repérage des freins et
­résistances au changement, tant individuels que collectifs, est tout aussi
­important, car toute situation de changement entraîne inévitablement des
tensions, des sentiments ambivalents ou hostiles, des conflits. « Changement
signifie mouvement et mouvement friction. Ce n’est que dans le vide que
changement et mouvement pourraient se produire sans la rudesse et le feu
du conflit 43. » Que ce conflit soit au niveau social, au niveau individuel ou
au niveau relationnel (rapport entre deux ou plusieurs personnes), il est
toujours présent dans toute situation de changement entre les forces qui
poussent vers le changement et celles qui y résistent.

41. Ibidem, p. 28.


42. Voir Du Ranquet M., Nouvelles perspectives en « case-work », op. cit., p. 40. Voir aussi
le chapitre 5 : « L’évaluation diagnostique ».
43. Alinsky S. (1976), Manuel de l’animateur social, Paris, Seuil, coll. « Points politiques ».

78
La méthodologie de l’intervention

3.4.3. Le concept de contradiction


Ce qui précède nous amène à regarder un autre concept clé de la pratique
sociale : celui de la contradiction. La plupart d’entre nous avons été éduqués
de façon à constamment dissocier chaque chose de son contraire et de ne
regarder le monde qu’en termes de dichotomie : nous séparons la vie de la
mort, ce qui est beau de ce qui est laid, ce qui est bon de ce qui est mauvais.
Mais, en fait, depuis la naissance nous mourons chaque jour un peu, ce
que nous considérons beau n’est beau que parce qu’il existe le laid pour pou-
voir le comparer, ce qui est bon pour soi peut être mauvais pour quelqu’un
d’autre. Le concept de contradiction nous amène à regarder tout ce qui nous
entoure comme indissolublement lié à son contraire ; à percevoir chaque
événement dans son rapport contradictoire entre le positif et le négatif, le
bon et le mauvais. Cette façon de voir nous permet aussi de saisir les situa-
tions dans toute leur complexité et leur dynamique.
Un exemple banal peut illustrer ces propos : une famille déménage
– situation de changement courante tant dans la vie quotidienne que dans
la pratique du travail social. Si l’on regarde ce déménagement à travers le
concept de la contradiction, nous verrons que la famille en question a plus
d’espace, plus de confort, toutefois le loyer a sensiblement augmenté et
risque de déséquilibrer le budget familial ; nous verrons aussi que les trajets
du domicile au lieu de travail sont plus longs et plus chers, que les enfants
ont dû changer d’école, que les relations avec le voisinage, les commerçants
ont été rompues, que les habitudes de vie ont varié. En affinant notre ana-
lyse nous trouverons que ce qui est positif pour un membre de la famille
l’est moins pour un autre, ce qui est bon pour l’ensemble ne l’est plus pour
chacune des parties, etc.
« C’est en voyant chaque chose dans sa dualité que l’on commence à déceler un
sens et à s’y retrouver. Ce sont les contradictions, et l’effet réciproque de leurs
tensions constantes qui constituent le terrain propice à la créativité. Dès que
nous acceptons le concept de contradiction, nous commençons à percevoir
chaque problème comme un ensemble dont le sens est dialectique. Nous admet-
tons alors que pour chaque positif, il existe un négatif. […] C’est ce que Bohr
appelle la complémentarité, signifiant que le jeu de forces apparemment conflic-
tuelles ou effectivement contraires constitue la véritable harmonie de la
nature 44. »

En travail social, nous sommes davantage entraînés recourir au concept


de contradiction au plan des forces psychoaffectives opposées, au plan des
sentiments conflictuels. Nous parlons alors d’ambivalence comme la coexis-
tence à un même instant de sentiments opposés : amour/haine, joie/tristesse.
Il nous est moins familier de percevoir le concept de contradiction au niveau
des événements courants de la vie quotidienne ou au niveau des phénomènes

44. Ibidem, p. 78.

79
Méthodologie de l’intervention en travail social

sociaux globaux. Nous avons alors tendance à les regarder de façon figée et
normative, les teintant de jugements moralisateurs : les événements sont
bons ou mauvais, sont normaux ou anormaux. L’utilisation du concept de
contradiction nous permet en revanche de relativiser les jugements norma-
tifs, de percevoir toute situation dans sa complexité et dans le jeu des forces
contraires qui s’y affrontent, tant sur le plan psycho-affectif que sur un plan
social.
Lorsqu’un adolescent fugue du domicile parental, il provoque une rup-
ture importante et un changement accéléré. La question de ce qu’a pu ame-
ner une telle crise se pose, quels sont les effets pour les uns et les autres et
comment assurer un changement positif durable. Le jeune en fugue peut
être mobilisé par un sentiment de désespoir et de colère qui couvait peut-
être depuis longtemps. En même temps, sa fugue est un défi lancé à ses
parents et à la société. C’est aussi une manière d’affirmation personnelle et
de démonstration de force. Les parents, de leur côté, ne s’attendaient pro-
bablement pas à une telle manifestation de leur fils (ou fille), ils sont dans
l’incompréhension et le doute. Ils peuvent se sentir très en colère ou cou-
pables de n’avoir pas compris ou prévu le désarroi de l’adolescent et des
conséquences des dernières disputes et remontrances. Dans le conflit qui les
oppose, comment trouver une source d’apaisement et dépasser la rupture
pour aller vers une meilleure compréhension réciproque ? Quelle médiation
mobiliser pour renouer le dialogue et mettre des mots sur les sentiments
contradictoires vécus par les uns et les autres ?
Ainsi nous nous trouvons face à un fait dont la complexité s’éclaire et
prend tout son sens à la lumière du concept de la contradiction.

3.4.4. Le concept d’interdépendance


Les différents travaux de psychologie sociale de Kurt Lewin et de ses
collaborateurs nous ont laissé une riche matière conceptuelle qui peut être
utilisée au niveau du travail social. Et plus particulièrement ce qui concerne
la notion de champ social et celle d’interdépendance.
La notion de champ social est un instrument de base pour l’analyse de
la vie de groupe : « Cela veut dire que l’on considère l’événement social
comme se produisant dans – et étant le résultat de – un ensemble d’entités
sociales coexistantes, telles que les groupes, les sous-groupes, les membres,
les barrières, les canaux de communication 45. »
Cette notion de champ social nous permet de regarder la problématique
individuelle ou collective insérée dans un ensemble de forces coexistantes,
dans un ensemble dynamique. Les rapports entre les différentes parties qui
le composent, leurs relations et influences réciproques peuvent être étudiés
à partir du concept d’interdépendance.

45. Lewin K. (1959), Psychologie dynamique, Paris, PUF.

80
La méthodologie de l’intervention

Celui-ci signifie qu’il existe entre les individus et leur environnement,


entre différents individus et le milieu social, entre des groupes divers dans
un même champ social, des relations et des influences réciproques. On
comprend mieux quelle est la nature d’un ensemble dynamique en ayant
recours à ce concept d’interdépendance.
« On dit souvent qu’un ensemble a quelque chose “de plus” que les parties qui le
composent. Un ensemble ne peut être étudié et défini que sur la base de l’inter-
dépendance des parties qu’il comprend. On doit simplement admettre qu’un
ensemble a des propriétés différentes de celles de ses parties 46. »

Le concept d’interdépendance – relations et influences réciproques entre


les différentes parties d’un ensemble – nous est particulièrement utile en
travail social pour analyser la vie des groupes et du groupe familial. Il nous
permet aussi de regarder les personnes, non plus comme des entités auto-
nomes et atomisées, mais comme des unités en rapport d’interdépendance
avec d’autres individus au sein de multiples groupes d’appartenance (famille,
voisinage, amis, travail) et au sein d’un environnement social donné. Ainsi
notre travail avec un groupe tiendra compte non seulement des interrela-
tions entre les différents membres du groupe, mais aussi des liens de chaque
individu avec d’autres groupes auxquels il appartient, des rapports du
groupe dans son ensemble avec d’autres groupes et avec des institutions du
champ où il exerce ses activités.
Même notre travail avec une personne tiendra compte de son insertion
dans des groupes multiples, du fait qu’il exerce des rôles sociaux divers
[époux(se), travailleur(se), père, mère] avec divers niveaux de succès ou
d’échec pour les uns et les autres, du fait qu’il est constamment sous l’in-
fluence de ces relations diverses, que lui-même il influence en retour les
personnes et groupes avec lesquels il est en rapport, le tout constituant
un ensemble dynamique (changeant) où les différentes parties sont inter­
dépendantes 47.

3.4.5. L’équilibre dynamique


Les trois derniers concepts que nous venons d’évoquer – changement,
contradiction, interdépendance –, lorsque nous les appliquons au travail
social, nous permettent de percevoir la situation de l’usager en termes d’équi-
libre dynamique. Une situation en équilibre est celle où les forces contradic-
toires en présence s’annulent réciproquement, il n’y a pas de ­variation, pas
de mouvement. Mais, l’équilibre en question est constamment menacé, il
suffit que l’une des forces s’intensifie, qu’un événement inattendu sur­
gisse, ou qu’un nouvel élément apparaisse, pour que l’équilibre soit
rompu. Une très grande proportion des demandes qui parviennent aux

46. Idem.
47. Ce concept d’interdépendance a été aussi développé dans la théorie des systèmes.

81
Méthodologie de l’intervention en travail social

travailleurs sociaux est due à une rupture de l’équilibre dans la situation de


la personne.
Cette rupture peut être due à des phénomènes divers : faits inattendus
(décès, maladie, hospitalisation, licenciement) ; faits attendus qui modifient
la structure d’une famille ou d’un groupe (naissance, placement d’un enfant,
séparation du couple, incorporation ou départ d’un membre d’un groupe,
cessation de vie active, retraite) ; modification du rapport des forces au sein
d’une famille ou d’un groupe (alliance des enfants contredisant le couple
parental, alliance père/fille contrariant la mère).
La rupture entraîne la recherche d’un nouvel équilibre. Nous sommes
alors en pleine période de changement intense, de réajustement, de conflit,
de mobilisation personnelle. La contradiction et l’interdépendance entre les
différents éléments de la situation deviennent clairement perceptibles pour
les intéressés. Mais une fois ce nouvel équilibre obtenu, d’autres situations
de rupture d’équilibre entraîneront à nouveau le changement et la recherche
d’un nouvel équilibre, cela à l’infini, dans une dynamique constante à
laquelle tous les êtres humains sont soumis. C’est dans cette mouvance que
s’inscrit le chemin que l’usager et le travailleur social feront ensemble, il
s’agit d’un chemin court et partiel, qui n’englobe pas toutes les situations
de changement qui seront vécues par l’un et par l’autre, mais seulement
quelques-unes.
Nous avons tenu à développer ici quelques concepts utilisés en travail
social, et plus particulièrement liés au modèle d’intervention. Nous ne pré-
tendons pas en faire une liste exhaustive, mais plutôt exposer ceux qui nous
ont semblé les plus opérationnels (directement exploitables dans notre
intervention). Trois idées nous semblent essentielles et nous tenons à les
souligner de nouveau :
–– le travail social intervient dans une réalité complexe aux facettes
multiples, où les aspects objectifs et subjectifs ne peuvent pas être dissociés ;
–– le travail social intervient dans des situations qui ont une dynamique
propre, qui changent, de façon brusque ou progressive, qui varient en fonc-
tion des diverses forces en présence, ces forces étant souvent contradictoires,
voire opposées ;
–– le travail social intervient aussi au niveau de « la vie », quel que soit
le degré de détérioration ou de carence perceptible dans la situation des
personnes, il suffit de chercher pour trouver des aspects dans lesquels elles
peuvent puiser les forces vitales nécessaires à la transformation de leur
situation.

82
La méthodologie de l’intervention

3.5. Les phases de la méthodologie d’intervention


en ordre logique
Comme nous venons de le dire, dans la pratique professionnelle, le tra-
vailleur social est confronté à une réalité dynamique et contradictoire, en
mouvance constante. Son intervention vise à produire, à susciter ou à ren-
forcer des changements préalablement définis, sur différents plans : au plan
des relations interpersonnelles, de la situation matérielle des familles, de
l’utilisation de ressources collectives par les usagers, au plan des organismes
s’occupant des personnes, de la législation sociale. À ces différents niveaux,
les travailleurs sociaux mènent des actions en fonction d’objectifs précis à
atteindre.
Leur action sera alors conditionnée par plusieurs variables : la population
concernée, la dimension du problème ou de la demande, le temps disponible,
la compétence de l’organisme employeur, le poste et statut professionnel du
travailleur social, la formation du travailleur social, les objectifs spécifiques
à atteindre.
Malgré cette mouvance et les variables qui vont conditionner son action,
le travailleur social suit une démarche méthodique dont les phases diffé-
rentes sont repérables et peuvent être séparées aux fins d’étude et d’analyse.
Or, dans la pratique elle-même, ces phases se confondent, se chevauchent
et se présentent de façon simultanée, comme nous le verrons plus loin. En
fait, la démarche de séparer et de délimiter chaque phase de la méthode est,
malgré son caractère artificiel, utile dans un but de formation et dans un
but de systématisation de la pratique. C’est cette systématisation, cette éla-
boration à partir des expériences pratiques spécifiques, qui nous permet de
retrouver les points communs entre des situations dissemblables, de retrou-
ver le général en partant du particulier. Elle nous permet aussi d’appréhen-
der notre travail, non plus comme des actes isolés, chacun unique de son
espèce, mais comme une suite logique et cohérente d’actions qui s’im-
briquent et tendent vers un but.
Les phases de la méthode ont été décrites depuis Mary E. Richmond  48
comme étant l’analyse de la situation, le diagnostic social et le traitement.
Certains auteurs ajoutent l’évaluation et la fin du traitement. Ces trois
phases correspondent, dans la pratique, aux étapes du début, milieu et fin
de l’accompagnement, où à chaque moment l’accent porte davantage sur
l’analyse de ce qui se passe, l’élaboration d’une opinion professionnelle et
la mise en œuvre d’un plan d’action à court, moyen ou long terme. Bien
que ce découpage ait été élaboré dans le cadre du modèle médical dont
nous parlions ci-dessus, celui que nous proposons n’en diffère pas
fondamentalement.

48. Richmond M. E. (1917), Social diagnosis, New York, Russel Sage Fondation.

83
Méthodologie de l’intervention en travail social

Les phases de la méthode d’intervention peuvent se décrire, en ordre


logique, de la façon suivante :
–– repérage du problème social ou de la demande ;
–– analyse de situation ;
–– évaluation diagnostique (diagnostic social) ;
–– élaboration d’un ou plusieurs projets d’intervention co-construits par
l’usager et le travailleur social, confrontation de ce projet avec celui de
l’organisme employeur, aboutissant au contrat ;
–– mise en œuvre du projet commun et des interventions choisies ;
–– évaluation des résultats ;
–– clôture de l’action.
Chacune des phases décrites est étudiée et analysée dans un chapitre
séparé, nous ne ferons ici que les mentionner rapidement.

3.5.1. Le repérage du problème social ou de la demande


Le point de départ de l’action du travailleur social est la rencontre avec
la personne, mais cette rencontre peut survenir de façon très différente.
Il peut s’agir d’une demande directe formulée par l’usager, d’une commande
du service employeur, d’une demande formulée par une autre personne ou
service (signalement), il peut s’agir d’un mandat légal (protection de l’en-
fance, justice, tutelle) ou encore, d’un problème social perçu par le travail-
leur social lui-même ou par une équipe de travailleurs sociaux.
Le repérage du problème social visé ou de la demande formulée nécessite
de la part du travailleur social de clarifier : Qui demande quoi ? Pour qui ?
À qui est adressée la demande ? Ce point de départ conditionnera inévita-
blement la suite de la démarche professionnelle.

3.5.2. L’analyse de situation


L’analyse de situation consiste en un recueil d’informations sur la per-
sonne, sa situation, le contexte global, les institutions et organismes sociaux
(incluant l’organisme employeur du travailleur social).
C’est au niveau de l’analyse de situation que les connaissances en sciences
sociales apportent leur contribution à la pratique des travailleurs sociaux.
Les éclairages apportés par les différentes connaissances permettent de rendre
significatives les données recueillies et de les resituer dans un ensemble.
Ainsi, le travailleur social utilisera les connaissances issues de la psychologie,
la sociologie, la psychosociologie, l’économie, la géographie, la santé, ses
connaissances sur la législation sociale sur les institutions, afin de com-
prendre et cerner la réalité sociale complexe dans laquelle il intervient 49.

49. Voir le chapitre 2 : « Le travail social et les sciences sociales ».

84
La méthodologie de l’intervention

L’analyse de situation se bâtit à partir de deux axes interdépendants :


d’une part l’analyse globale du secteur d’intervention (secteur géographique
ou territoire, organisme employeur, institutions, catégorie de populations),
d’autre part la demande ou le problème visé.

3.5.3. L’évaluation diagnostique


Il s’agit ici de construire, à partir des éléments recueillis dans l’analyse
de situation, une synthèse et une interprétation des données, de formuler
des hypothèses de travail. L’évaluation diagnostique est opérationnelle, c’est
une synthèse explicative : le travailleur social met en rapport les différents
éléments repérés, tant sur le plan particulier que sur le plan général, il
s’attache particulièrement à mettre en lumière les interrelations entre les
divers facteurs (matériels, affectifs, sociaux, physiques, intellectuels, rela-
tionnels) et de les saisir dans leur dynamique. Seront ainsi décryptées les
forces internes et externes sur lesquelles l’intervention pourra s’appuyer de
même que les points plus faibles ou les freins.
L’évaluation diagnostique organise la connaissance compréhensive de la
situation et aboutit à l’élaboration d’un projet d’intervention.

3.5.4. L’élaboration du projet d’intervention


Cette élaboration peut difficilement être séparée de l’évaluation diagnos-
tique, c’est-à-dire celle qui aboutit à définir des objectifs précis de change-
ment. Elle en découle et en fait partie.
L’élaboration du projet d’intervention suppose trois opérations :
–– la détermination d’objectifs d’intervention spécifiques, soit des objec-
tifs partiels, centrés sur un aspect ou un problème délimité (en fonction de
la demande et des moyens dont on dispose), soit des objectifs successifs dans
le temps (à court, moyen et long terme) ;
–– la détermination du niveau d’intervention, c’est-à-dire la définition
de l’usager. Les travailleurs sociaux peuvent centrer leur action sur un
individu, une famille, un groupe, une communauté, une institution sociale,
sur l’environnement. La détermination du niveau d’intervention implique
la définition de à qui s’adresse l’intervention, et cette définition est essen-
tielle pour le choix des moyens ultérieurs. Il faut se rappeler qu’ici nous
n’aborderons que le niveau d’intervention microsocial, c’est-à-dire l’aide à
la personne et à la famille ;
–– le choix des types d’interventions. Les différentes formes d’interven-
tions sont longuement expliquées dans d’autres chapitres auxquels vous
pouvez vous référer.
L’élaboration du projet d’intervention que nous venons de décrire est
celui du travailleur social, les projets de la personne existent et peuvent ne
pas correspondre avec ceux du professionnel. De même, le projet de

85
Méthodologie de l’intervention en travail social

l’organisme employeur peut ne pas être identique à celui du travailleur


social ou celui de l’usager. La confrontation de ces différents projets, leur
réajustement, la recherche d’une base d’accord aboutissent à un projet com-
mun co-construit et à l’élaboration du contrat entre la personne, le travail-
leur social et l’organisme employeur.

3.5.5. La mise en œuvre du projet commun


Pendant la mise en œuvre de l’action, le travailleur social mobilise dif-
férentes formes d’interventions en fonction des objectifs de changement
poursuivis et du niveau d’intervention choisi. Les interventions peuvent se
diviser en interventions directes ou indirectes selon qu’il s’agisse d’inter-
ventions où la personne est présente et actrice autant que le travailleur
social, ou qu’il s’agisse d’interventions en dehors de sa présence directe.

3.5.6. L’évaluation des résultats


Cette évaluation consiste à mesurer le chemin parcouru, à évaluer les
changements produits dans la situation entre le début et la fin de l’inter-
vention. L’évaluation des résultats peut être partielle, établie en cours de
route pour faire le point et éventuellement réajuster les objectifs de travail,
ou finale lorsqu’il s’agit de clore l’intervention.

3.5.7. La clôture de l’action


L’intervention du travailleur social dans une situation individuelle ou
familiale, ou encore de groupe, ne peut être que limitée dans le temps. Toute
vie a un début, un développement et une fin, et fort paradoxalement peu
d’auteurs en travail social ont parlé réellement de la clôture de l’interven-
tion. Cette fin peut aussi bien être perçue comme une mort ou comme une
renaissance. Ce qui est certain, c’est que la clôture de l’action est présente
dès le premier contact entre le travailleur social et la personne, elle existe
de façon implicite, non dite, non avouée. Elle peut être prévue, servir de
repère dans le temps lorsque le contrat entre travailleur social, la personne
et l’organisme prévoit une durée préétablie.

3.6. Le processus d’intervention en ordre chronologique


Les phases de la méthodologie d’intervention sont repérables au niveau
de la pratique, elles peuvent être séparées aux fins d’étude et d’approfon-
dissement, les chapitres qui suivent le prouvent. Mais, lorsqu’un travailleur
social et l’usager se trouvent face à face, ce qui prédomine est le bouillon-
nement dynamique de la vie en changement constant, en mouvance ; tous
deux sont aux prises avec une réalité qui bouge, qui se transforme, qui ne
sera pas égale à elle-même le lendemain. Le travailleur social se trouve non

86
La méthodologie de l’intervention

seulement confronté à cette réalité changeante, mais il est amené aussi à la


saisir, à la comprendre et à la transformer tout à la fois. Dans la pratique,
les différentes phases de la méthodologie ne sont pas confondues, elles sont
simultanées, elles se présentent au même moment.
Lors d’un entretien, le travailleur social repère une demande, l’évalue et
dresse une évaluation diagnostique, exploite diverses formes d’interventions
en fonction de ses hypothèses (clarification, soutien, information, orienta-
tion, persuasion…), recueille des données significatives, les ordonne dans
un essai de compréhension, réévalue la situation en fonction des nouvelles
données, modifie sa perception initiale de la demande, bâtit et propose un
plan de travail, le confronte avec celui de la personne, clôture la rencontre.
Et ensuite il réfléchit, essaie de comprendre ce qui s’est passé et de prévoir
ce qu’il fera à la prochaine rencontre.
Dans un seul entretien, quelle que soit sa durée, nous pouvons retrouver,
de façon presque simultanée, toutes les phases de la méthodologie décrites
auparavant en ordre logique. De même, lorsqu’il s’agit d’une réunion d’un
groupe, nous retrouvons des éléments de chacune des étapes précédemment
citées.
Le travail social s’adresse, comme nous l’avons déjà explicité, à une
réalité dynamique et changeante, où les différents éléments qui la com-
posent ont des liens interdépendants et mouvants. Il est plus aisé alors de
le définir en termes de processus. Un processus est une « marche », un
« développement 50 ». Cette notion d’évolution, de déroulement dans le temps,
de paliers qui s’interfèrent et s’enchaînent, s’imbriquant les uns dans les
autres et constituant néanmoins un tout cohérent, est celle qui reflète le
mieux la réalité de la pratique. Réalité complexe et mouvante ; réalité qui
ne se laisse pas figer, qui refuse de s’enfermer dans des catégories et des
étiquetages ; réalité dans laquelle la personne et le travailleur social sont
coproducteurs, ensemble, pour la durée de leur action commune.
Même au cours de ce processus d’intervention, on peut repérer des
accents plus ou moins spécifiques selon que l’on est en début, au milieu ou
à la fin du travail. En début d’action, l’accent est inévitablement mis sur le
recueil des données, sur la compréhension de la demande et de la situation,
sur l’évaluation diagnostique. Vers le milieu de l’intervention, l’accent est
davantage porté sur l’élaboration du projet d’intervention, l’établissement
du contrat et la mise en œuvre des stratégies d’intervention, cette période
pouvant être plus ou moins longue. Vers la fin de l’intervention, l’accent
sera porté sur la mise en œuvre de l’intervention, sur la préparation à la
clôture et sur l’évaluation des résultats. Mais, même si l’on peut distinguer
les accents mis sur ces trois périodes, les différentes phases se présentent
dans la pratique de façon plus ou moins simultanée.

50. Nouveau Petit Larousse, op. cit.

87
Méthodologie de l’intervention en travail social

Le processus méthodologique peut être décrit graphiquement comme un


mouvement en spirale avec un point de départ (la demande ou le problème
social), et un point d’arrivée (la clôture), où les différentes phases de la
méthode se traversent sans se confondre ni s’exclure. Tandis que la démarche
en ordre logique peut être représentée de façon linéaire, avec des phases qui
se suivent les unes après les autres.

Figure 1. Le processus d’intervention en ordre chronologique

Demande ou problème social

Analyse de situation

Évaluation préliminaire et opérationnelle

Élaboration du projet d’intervention et contrat

Mise en œuvre des stratégies d’intervention

Évaluation des résultats

Clôture

3.7. La méthodologie dans les divers champs


d’application du travail social
Les étapes de la méthode et le processus d’action varient-ils selon les
divers champs d’application du travail social ? Les champs d’application du
travail social sont multiples et variés, ils se définissent par la compétence
du service employeur, par la catégorie de population à laquelle le travailleur
social s’adresse, et, en conséquence, par les types de problèmes sociaux à
traiter. Ainsi, le travail en polyvalence de secteur couvre un des champs les
plus vastes, incluant tout type de situation ou problème social individuel,
familial ou collectif, sur un territoire donné. De plus, se superposent à
celui-ci des champs d’intervention plus spécialisés dans une catégorie de
population ou dans un type de problème : la santé, l’hygiène mentale, le
travail social en faveur des élèves en milieu scolaire et universitaire, le
logement, l’exclusion, la protection de l’enfance avec des travailleurs
sociaux exerçant un mandat administratif ou judiciaire.

88
La méthodologie de l’intervention

À notre avis, dans ces divers champs d’application, la marche suivie par
le travailleur social est toujours la même, les diverses phases de la méthode
ne sont pas différentes. En revanche, selon le champ d’application, les
connaissances mises à profit de façon prédominante seront différentes ainsi
que le cadre institutionnel et les dispositifs de législation sociale auxquels
on peut avoir recours. De même, certaines formes d’interventions seront
davantage privilégiées dans certains champs plutôt que dans d’autres. Nous
soutenons que la démarche méthodologique en travail social est une ; elle
s’applique dans les divers champs avec des adaptations quant aux types de
problèmes sociaux abordés, aux institutions et aux législations utilisées. La
démarche reste la même, elle peut s’appliquer à des situations différentes,
dans des champs différents et autant en intervention sociale individuelle
que collective. La méthode et les différentes étapes qui la constituent sont
perceptibles dans l’action des travailleurs sociaux.
Chapitre 4

L’analyse de situation
Françoise Lesimple

4.1. Définition des termes


Par les termes « analyse de situation », nous entendons le recueil de tous
les éléments relatifs à un problème, une demande, posés par une personne
ou un groupe, à un travailleur social et la réflexion sur ces éléments, la mise
en relation de ceux-ci les uns par rapport aux autres. Cette analyse de
situation constitue la toute première phase du processus méthodologique et
il nous apparaît primordial de lui accorder une place importante.
Quels peuvent être ces « éléments relatifs à un problème, une demande »
dont il est question dans la définition de l’analyse de situation ? Comment
les choisit-on ? En fonction de quels critères ? La réflexion sur les termes
de « problème », « demande » peut nous donner des éléments de réponse.
Il reste que les mêmes éléments réapparaissent toujours (travailleur social,
personne, environnement, demande…), revenons-en donc à la définition de
ces termes que nous avons choisi d’étudier plus particulièrement.
Problème : « Difficulté qu’il faut résoudre pour obtenir un certain résultat.
Situation instable ou dangereuse exigeant une décision. Tout ce qui est
difficile à expliquer ou à résoudre 1. »
Le mot problème fait ressortir la notion de difficulté et de nécessité de
changer les choses. Dans la terminologie sociale, il recouvre aussi une
notion de carence objective par rapport à des normes sociales ; ainsi parlera-
t‑on de problèmes de logement là où les conditions sanitaires et de confort
de l’habitat ne correspondent pas aux normes acceptées dans une société
donnée, ou quand le nombre d’habitants par pièce est trop élevé selon les

1. Robert P. (1977), Dictionnaire, Paris, Société du Nouveau Littré.

91
Méthodologie de l’intervention en travail social

normes d’utilisation de l’espace d’une culture donnée. Actuellement, quand


la carence se retrouve sur tous les plans, on parle d’habitat indigne.
Besoin : « Aspiration naturelle et souvent inconsciente, désir ardent, ce
qui est nécessaire. » « Exigence née de la nature ou de la vie sociale. Au
pluriel : les choses considérées comme nécessaires à l’existence obtenues
par de l’argent 2. »
Le terme besoin fait donc référence à un aspect subjectif (aspiration,
désir, exigence), soit de la personne, soit d’un groupe d’individus. C’est
l’aspect subjectif qu’il nous semble essentiel de faire ressortir car, en travail
social, le terme besoin (individuel ou collectif) recouvre une notion de
carence ou de manque, ou frustration qui entraîne une souffrance. Le pro-
blème de logement évoqué dans le paragraphe précédent est devenu dans
bien des cas « besoin » de logement.
Demande : « Action de demander, de faire savoir ce que l’on souhaite ou
désire. » « Action de demander, de faire connaître à quelqu’un ce qu’on
désire de lui 3. »
Une demande est une action, un acte accompli par la personne (quand
c’est elle qui a l’initiative de la rencontre avec le travailleur social). Faire
une demande au travailleur social implique une mobilisation de la personne
(ou du groupe) afin de trouver une solution au problème qu’il veut résoudre
et ainsi de réduire la frustration et la souffrance qu’entraîne le besoin.
Le binôme « problème/besoin » prend des significations fort différentes
dans l’activité des travailleurs sociaux selon celui qui le perçoit, le définit,
l’évalue. En effet, lorsque la personne fait elle-même la démarche de définir,
analyser ses difficultés, elle prend conscience de son désir de changement
et elle agit en conséquence. Cette action peut alors se traduire par une
demande aux travailleurs sociaux.
Mais la personne n’est pas la seule à percevoir, définir et avoir des désirs
de changement. Le ou les travailleurs sociaux de par leur activité profes-
sionnelle sont en contact direct avec les réalités sociales de leur secteur
géographique ou de la catégorie de population concernée par leur interven-
tion, et peuvent ainsi appréhender des problèmes sociaux et les évaluer en
termes de besoins de la population. La plupart des actions de groupe ou
collectives s’inscrivent dans cette démarche. Lorsqu’un travailleur social est
confronté à la même demande individuelle en provenance de différentes
familles de son secteur (par exemple, dettes de loyer entraînant l’expulsion,
ou difficultés pour résoudre des problèmes de garde d’enfants en bas âge en
raison de l’absence ou l’insuffisance des équipements), il peut être envisagé
de proposer aux personnes concernées une ou plusieurs rencontres afin de
mener ensemble une action collective, ou de constituer un groupe qui leur

2. Petit Larousse illustré, Paris, Librairie Larousse, 1978.


3. Robert P., Dictionnaire, op. cit.

92
L’analyse de situation

permette d’élaborer avec d’autres les solutions nécessaires. Cette proposition


de service de nature différente de la réponse à la demande qui a été à l’ori-
gine conduit à une démarche professionnelle impliquant, le plus souvent,
un ensemble de partenaires exerçant dans le champ du social et souvent
au-delà.
Il est à remarquer qu’une frange de la population ne manifeste aucune
demande alors même qu’elle rencontre parfois des problèmes sociaux très
lourds. Ce silence est motivé soit par crainte d’être identifié (problèmes des
sans-papiers), soit par honte d’avoir affaire aux services sociaux (les pro-
fessions libérales), soit en raison d’une marginalisation complète (personnes
exclues, parfois sans domicile). Les services sociaux institués touchent peu
ces populations prises en charge par des mouvements associatifs et/ou
bénévoles 4.
La notion de besoin peut-être également définie en amont : les décideurs
estimant que des personnes, des groupes, des ensembles géographiques « ont
besoin de ». Une politique sociale est alors mise en place à un moment de
l’évolution d’une société, une législation sociale précise est établie qui va
répondre aux besoins réels ou supposés d’une population. Les travailleurs
sociaux interviennent alors sur mandat ou dans le cadre de dispositifs
encadrés.
Par ailleurs, chaque institution adopte, dans le cadre de sa politique de
service, une série de mesures concrètes d’action, et demande à ses salariés
de les mettre en œuvre. Nous trouverons alors des services qui mandateront
les travailleurs sociaux pour intervenir auprès de certaines catégories de
population, qui définiront la forme d’action à mener en cas de signalement
d’une famille par le voisinage ou par une autre institution sociale, qui
donneront des consignes précises sur la façon d’appliquer un mandat légal
(protection de l’enfance).
À travers ces définitions et une première réflexion, il apparaît que plu-
sieurs niveaux interfèrent dans les termes « demande » et « problème » : la
personne et son environnement bien sûr, mais aussi le travailleur social et
le service auquel il appartient et, plus généralement, le contexte global dans
lequel cet ensemble se situe.
Ce sont ces différents niveaux, ces différents partenaires qui sont consti-
tutifs de l’analyse de situation et ce sont eux que nous développerons dans
les pages suivantes. Quelques remarques sont cependant à faire au préalable
qui portent sur les liens existants entre les différents éléments de l’analyse
de situation. Une grande partie de celle-ci, en fait, peut se situer avant de
recevoir le moindre usager. Elle devrait d’ailleurs être réfléchie par tout

4. Voir à ce sujet : Inspection générale des affaires sociales (IGAS) (2005), Rapport inter-
médiaire, « Quelle intervention sociale pour ceux qui ne demandent rien ? ». Disponible sur
le site de La Documentation française : www.ladocumentationfrancaise.fr.

93
Méthodologie de l’intervention en travail social

travailleur social qui arrive dans un service et réactualisée régulièrement au


fil des événements ou changements qui adviennent dans le secteur de
travail.
Cette analyse est dynamique, elle doit être perpétuellement complétée,
affinée, revue au fur et à mesure que le travailleur social s’intègre dans son
service et exerce son activité. Cela est particulièrement net, par exemple, en
ce qui concerne la connaissance des équipements : nous pouvons en avoir
un aperçu à travers un document papier mais ce savoir deviendra exploi-
table une fois que le travailleur social aura visité l’équipement en question,
pris contact avec l’équipe qui y travaille, rencontré les usagers qui le
fréquentent.
Notre exemple pourrait être repris à tous les instants de l’analyse de
situation. En fait, c’est une des caractéristiques du travail social de fonc-
tionner sur et avec cette mouvance.
L’usager se trouve au centre de cet ensemble, c’est lui qui sollicitant le
service social va obliger le travailleur social à mobiliser toutes ses connais-
sances pour mieux le comprendre, mieux l’aider.
Au cours de l’analyse de situation, il y a donc un double processus : celui
du recueil d’un certain nombre d’éléments mis, si l’on peut dire, en mémoire,
puis réutilisation de ceux-ci au bénéfice de l’usager précis qui vient au
service social.
Ces éléments mis « en mémoire » peuvent être, si l’on se réfère aux
quelques définitions mentionnées en début de chapitre, répertoriés ainsi :
–– le contexte global ;
–– le secteur géographique où se situe cette action ;
–– le service auquel appartient le travailleur social, et à qui s’adresse
l’usager ;
–– le travailleur social en relation avec cet usager ;
–– l’usager en tant que tel.
Ce sont ces derniers points que nous allons considérer plus en détail dans
les paragraphes qui suivent.

4.2. Le contexte global


Par contexte global, nous faisons référence à un ensemble de données
d’une société qui, sans être forcément en lien étroit avec le travail social, le
conditionne néanmoins en grande partie. Il s’agit du type de pays où
s’exerce ce travail social, de son développement, de son régime politique…
En effet, un ensemble de mesures prises à l’égard de la population tant au
niveau social que sanitaire ou d’éducation va induire la demande des usa-
gers et conditionner l’action des travailleurs sociaux.

94
L’analyse de situation

C’est également à ce niveau que nous situerons l’histoire de notre pro-


fession et l’évolution du statut des travailleurs sociaux, de leur formation,
des courants théoriques qui l’influencent. Cet aspect est à ce point important
à connaître que nous lui avons consacré un chapitre spécial en début d’ou-
vrage. Il conditionne, en effet, selon nous, de manière importante, l’en-
semble de la démarche méthodologique et, dans celle-ci, l’analyse de
situation.

4.3. Analyse du secteur de travail


Par secteur de travail, nous entendons le lieu où se situe l’intervention
du travailleur social. Ce lieu peut être défini, suivant le cas, par un certain
nombre de textes législatifs qui le limitent géographiquement (exemple :
unités territoriales sociales) ou qui définissent son type de clientèle
(exemple : service social en faveur des élèves) ou le type de missions qui lui
sont dévolues (exemple : service d’aide sociale à l’enfance).
Les éléments qui vont être donnés dans les pages suivantes sont plus
exploitables dans le premier cas cité que dans les autres, encore que, même
avec une clientèle très spécifique ou très dispersée, il est utile d’avoir un
certain niveau de connaissances sur l’environnement des personnes afin de
mieux cerner leur problématique.
Nous considérons cet environnement, c’est-à-dire « l’ensemble des condi-
tions naturelles (physique, chimique, biologique) et culturelles (sociolo-
giques) susceptibles d’agir sur les organismes vivants et les activités
humaines 5 », à plusieurs niveaux : d’abord géographique et politique, puis
sur le plan de la vie du travail et de la vie résidentielle ; pour finir nous nous
centrerons sur les équipements et la population.

4.3.1. Les moyens d’analyse du secteur de travail


Parler d’analyse de secteur, sans donner au travailleur social les moyens
qui lui permettront de le réaliser, risque d’apparaître comme une duperie.
Aussi, quitte à en rester à un aspect très sommaire, dans la mesure où
d’autres ouvrages traitent de ce sujet, nous nous limiterons à donner une
liste, non exhaustive, des sources auxquelles il peut être fait appel.
Il existe en effet plusieurs moyens pour connaître et appréhender le
milieu dans lequel le travailleur social exerce, certains sont d’ordre scienti-
fique et objectif, d’autres seront plus empiriques et subjectifs.

5. Robert P., Dictionnaire, op. cit.

95
Méthodologie de l’intervention en travail social

nnMoyens « scientifiques »
Nous faisons référence ici à l’utilisation de statistiques ou de recherches
diverses dont principalement celles de l’INSEE avec pour chaque commune
les tableaux dits « communaux », celles faites par les mairies, les chambres
des métiers, chambres de commerce, par les directions départementales du
travail, divers observatoires… Chacun de ces organismes met à notre dispo-
sition des informations très riches, destinées à être exploitées par de nom-
breux spécialistes et qui doivent de ce fait être réinterprétées à notre profit.
C’est là qu’intervient ce que nous appellerons l’utilisation de moyens
« empiriques ».
nnMoyens « empiriques »
Par cette appellation nous entendons les outils que le travailleur social
peut se donner et utiliser personnellement pour connaître l’environnement
dans lequel il exerce son activité. Il part de l’observation de celui-ci, de la
manière dont il le perçoit. Ces premières impressions doivent être confron-
tées aux renseignements objectifs apportés par d’autres sources : en effet,
repérer sur papier qu’un quartier de la ville est essentiellement constitué
d’habitations à loyer modéré (HLM) ne donne aucun élément pour situer
plus concrètement l’aspect dégradé ou non, dispersé ou non de ses habita-
tions. Il suffit de penser à la différence entre certaines « barres » de la ban-
lieue parisienne, composée de plusieurs centaines de logements et certains
logements sociaux de petites tailles et dispersées sur l’ensemble d’une
commune.
De la conjugaison de ce double apport, peuvent naître des informations
permettant un repérage plus systématique du lieu où le travailleur social
exerce sa fonction.

4.3.2. Le repérage de l’environnement au plan géographique


Savoir dans quel contexte géographique s’effectue notre travail est
nécessaire : s’agit-il d’une commune rurale ou d’une ville et, dans ce cas,
est-elle de moyenne importance ou est-ce une grande métropole ? Celle-ci
est-elle située dans un département français considéré comme « riche » ou
au contraire « laissé-pour-compte » ? S’agit-il d’une ville ou d’un village qui
se développe ou, au contraire, qui stagne ou régresse ? Certaines particula-
rités géographiques doivent-elles aussi être considérées : un fleuve, des
remparts, une route à grande circulation qui forment parfois des enclaves
naturelles au-delà même des structures de quartiers produites par un plan
d’urbanisme.
Ces différents éléments vont intervenir sur le vécu des usagers qui, dans
certains cas, apparaîtront comme des exclus, avec tout ce que cela sous-
entend de sentiments d’injustice mais aussi de résignation devant une situa-
tion qui les dépasse complètement et sur laquelle ils n’ont aucune prise.

96
L’analyse de situation

nnRepérage de l’environnement au plan politique

Il est à ce point évident qu’un travailleur social doit connaître l’appar-


tenance politique de la commune dans laquelle il travaille, qu’il paraît à
peine utile de le rappeler. Cependant, cette appartenance politique peut
amener une municipalité à faire un certain nombre de choix que nous
oublions parfois de considérer. Choix quant à une politique sociale qui, par
exemple, va favoriser les personnes âgées au détriment d’autres catégories
de population. Choix des priorités ou mode d’intervention quand, non seu-
lement la commune est lieu d’exercice professionnel, mais aussi employeur
du travailleur social.
Il est également intéressant de connaître comment les habitants vivent
leur municipalité, son dynamisme, ses tensions, la participation possible à
la vie municipale ou non… Les usagers ont, en effet, le plus souvent, le
sentiment d’être exclus de cet ensemble décisionnel tant au niveau de la
prise en compte de leurs problèmes globaux qu’à celui du choix de la solu-
tion à apporter à ces derniers. Le travail accompli en matière de développe-
ment local permet de repérer et de prendre en compte cette dimension.
nnSur le plan de la vie du travail

La connaissance de notre environnement passe aussi par le repérage des


entreprises qui existent sur le secteur : leur répartition par types d’activités
(industrielles, commerciales, administratives, agricoles). Ces entreprises
sont-elles en expansion ou au contraire en régression, sont-elles la principale
source d’emploi pour les habitants de la commune et lesquels : hommes,
femmes, jeunes gens… ? Attirent-elles des travailleurs de l’extérieur ou,
inversement, sont-elles en nombre si faible que l’ensemble de la population
doit effectuer chaque jour des migrations importantes pour exercer son
activité ? Ces migrations journalières ont été abondamment décrites et nous
n’y reviendrons pas ; il reste néanmoins que beaucoup de personnes les
vivent et qu’elles se répercutent très lourdement sur leur vie personnelle mais
aussi sur la forme de travail que nous désirerions parfois envisager : travail
avec le groupe familial, par exemple, rendu impossible dans certains cas.
nnSur le plan de la vie résidentielle

Dans la vie résidentielle nous considérons le type d’habitat (ancien,


récent de type HLM ou non, pavillonnaire ou non) qui existe sur une com-
mune, leur répartition, leur nombre, leur densité. Il est également intéressant
d’obtenir un certain nombre de précisions sur le niveau d’habitabilité de ces
logements, leur degré de modernisation et leur taux de peuplement.
Outre ces logements de type classique, le travailleur social doit repérer
s’il existe dans la commune des foyers pour étrangers, personnes âgées,
d’hébergements, des hôtels meublés, des squats et quelles sont leur implan-
tation géographique et leur capacité d’accueil. Un dernier point reste à

97
Méthodologie de l’intervention en travail social

considérer à ce niveau : celui de l’aménagement de l’espace résidentiel,


espaces verts, parkings…
nnLes équipements

Par équipements, nous entendons aussi bien les réalisations purement


sociales ou médicales, les associations diverses, que celles liées aux loisirs,
aux sports, à l’éducation et même à l’infrastructure commerciale d’une ville.
En effet, chacun de ces éléments influence d’une manière ou d’une autre la
vie des habitants d’un quartier. L’absence, l’éloignement de l’un d’entre eux
peut être source de problème et amener le travailleur social à modifier, soit
son plan de travail à l’égard d’une personne ou famille, soit sa méthode de
travail.
Le repérage de ces équipements peut se faire à partir d’un certain nombre
de documents, entre autres, ceux fournis par les mairies. Cependant, il est
surtout nécessaire de resituer ces équipements par rapport au lieu d’habita-
tion de notre clientèle, de connaître leur fréquentation, les exclusions qui
peuvent se provoquer en leur sein. Il faut, à ce propos, essayer de connaître
comment les habitants vivant à un certain endroit perçoivent leur environ-
nement et leur désir ou leur besoin d’utiliser ou non les équipements qui
leur sont offerts.
nnLa population

Pour connaître la population de notre secteur d’activité, les indications


qui ont été données dans les paragraphes précédents restent valables ici
encore. En effet, c’est essentiellement dans les statistiques de l’INSEE que
nous trouvons les renseignements les plus appropriés, par exemple les don-
nées sur la répartition par âges, par sexes, par catégories socioprofession-
nelles, actifs, non actifs…
Ces données sont à mettre en corrélation avec les propres observations
que nous avons pu faire au sein de notre lieu de travail. Nous ne pouvons
en effet nous permettre d’agir en fonction d’impressions et l’utilisation des
statistiques du service est, entre autres, indispensable pour connaître la
frange de population qui constitue notre clientèle. En l’absence de statis-
tiques, la consultation du fichier, des cahiers de permanence, du carnet de
bord… peut déjà fournir une information précieuse, un bon outil de
travail.
À travers les observations réalisées peu à peu par le travailleur social,
des données surprenantes peuvent apparaître : ainsi, une absence de concor-
dance entre une population importante dans le secteur et qui pourrait être
usagère du service social (personnes âgées, femmes seules…) et la clientèle
connue du service social. Cette constatation doit alerter les travailleurs
sociaux et les pousser à chercher les raisons d’une telle situation : option
du service, option des travailleurs sociaux, mauvaise implantation du

98
L’analyse de situation

service, mauvais choix des horaires d’ouverture… Tout cela afin d’y chercher
remède.
Les éléments apportés dans les paragraphes qui précèdent sont immédia-
tement applicables quand il s’agit d’un travail exercé sur un secteur géo-
graphique donné. Chacun d’entre eux doit être transposé en fonction du lieu
précis d’intervention : l’assistante sociale d’entreprise va ainsi se préoccuper
de l’accessibilité de celle-ci, des migrations quotidiennes des salariés, des
nuisances dans l’entreprise, des services offerts par celle-ci, de l’existence
d’une politique sociale…

4.4. Analyse du service


Précisons, tout d’abord, ce que nous entendons par service : il s’agit d’un
« organisme qui fait partie d’un ensemble dans une administration ou dans
une activité d’ordre économique 6 ». Il nous faudra donc à la fois considérer les
deux niveaux précisés par cette définition avant de parvenir à l’analyse même
du service dans ce qu’il a de plus concret, le lieu où agit le travailleur social.
Effectivement, en France, le travailleur social ne peut agir seul, sans
aucun lien institutionnel. Même s’il existe quelques assistantes de service
social exerçant en libéral, cette forme de travail est encore rare et de fait est
souvent mise en place sous forme de prestations de service à des entreprises
ou institutions qui évitent ainsi d’instituer un travail social en leur sein. Le
travailleur social est donc presque toujours dépendant d’un organisme,
lui-même rattaché soit à une administration, soit à une association, à une
entreprise. Certains sont privés, d’autres publics ou semi-publics et, partant
de là, le financement et les pouvoirs des sources de financement vont influer
sur le degré d’autonomie du service social. Ces administrations ou associa-
tions diverses ont pour mission de mettre en application l’ensemble des
« dispositions législatives et réglementaires qui font intervenir en faveur des
individus et des foyers la solidarité de la collectivité organisée 7 » ; citons
par exemple les directions d’action sanitaire et sociale, les caisses d’alloca-
tions familiales, les conseils départementaux. D’autres se donnent pour objet
un service spécifique soit en rapport à une catégorie de population, soit à
un type de problème, soit à un type de salarié.
Dans chacun de ces cas, le pouvoir du travailleur social dans son service,
sa marge de manœuvre, sera conditionné par la politique générale de l’entre-
prise ou administration ou association à laquelle il appartient. Celle-ci peut,
d’ailleurs, varier très rapidement, pensons par exemple aux changements
successifs de tutelle vécus, à une certaine époque, par les assistantes sociales
travaillant en milieu scolaire.

6. Petit Larousse illustré, op. cit.


7. Idem.

99
Méthodologie de l’intervention en travail social

Ces différentes données, même si le travailleur social a peu de pouvoir


pour les infléchir, sont à connaître, car elles induisent directement une
bonne part des directives qui vont leur être imposées par leurs tutelles
respectives. Réfléchissons donc aux moyens qui nous sont donnés pour
mieux connaître notre service.
Ces moyens sont très divers : les uns ont un caractère objectif, ils partent
d’écrits, de tableaux… Les autres sont plus subjectifs et proviennent de
l’observation du travailleur social qui pondère, d’une certaine manière, ce
qu’a de statique un texte, ou un organigramme. Par textes, nous entendons,
bien sûr, l’ensemble de lois, règlements, circulaires officielles, le statut pour
les associations ayant permis la création puis l’évolution du service dans
lequel s’inscrit le travailleur social, mais aussi les écrits élaborés par le
service lui-même : son règlement intérieur, le projet social ou les objectifs
que le service se donne.
Ces différents documents sont à mettre en relation, entre autres, avec les
rapports d’activité. Ces derniers, en effet, traduisent le passage entre l’abstrait
d’un projet et le concret d’une activité réalisée au cours d’une année. Il est
intéressant, pour le travailleur social, de réfléchir à la distorsion qui s’intro-
duit, déjà, souvent à ce niveau. Citons un exemple pour illustrer cela : tel
service social note dans son projet qu’une des formes de travail qu’il désire
adopter à l’égard de sa clientèle est un travail d’équipe pluridisciplinaire avec,
entre autres, des éducateurs et des assistantes sociales. En observant atten-
tivement les rapports d’activité, on constate que, dans les faits, ces deux types
de travailleurs sociaux fonctionnent presque systématiquement de manière
isolée dans les familles et ont à l’égard de ces familles des projets semblables,
ne faisant pas appel à leur spécificité particulière. Peut-on dans ce cas parler
de travail d’équipe pluridisciplinaire ? Comment s’étonner également de la
confusion des rôles qui s’est introduite dans ce service, amenant à un malaise
certain produit, entre autres, par le décalage entre ce que les travailleurs
sociaux ont l’impression qu’ils pourraient réaliser et la réalité des faits.
C’est également dans les rapports d’activité qu’apparaissent les différents
types de salariés d’un service : leur nombre, leur importance respective, leur
forme de travail, les usagers qu’ils reçoivent en majorité… D’emblée ces
documents permettent de saisir l’importance d’un service, sa vie, mais ils
peuvent être également étudiés d’une autre manière, à savoir comme nous
l’écrivions précédemment, en corrélation avec le projet social. Celui-ci défi-
nit un certain nombre de lignes directrices, d’objectifs divers qui vont orien-
ter le devenir d’un service, la lecture des rapports d’activité va permettre de
voir si le service s’est donné ou non les moyens d’atteindre ses objectifs :
moyens en personnel, en locaux, en matériel… si les usagers définis comme
prioritaires apparaissent effectivement les plus aidés… Une autre lecture de
ce document peut être faite, de manière longitudinale, en comparant année
après année les différents rapports qui ont été écrits. Cela permet de saisir
l’évolution du service au niveau des faits et non du ressenti.

100
L’analyse de situation

Une remarque reste à faire à propos de ces textes : certains d’entre eux
sont quasi inaccessibles aux travailleurs sociaux de base et la difficulté pour
les obtenir est elle-même en soi révélatrice. D’autres documents sont parfois,
également, difficiles à obtenir : il s’agit des organigrammes, tableaux du
personnel… Les organigrammes font apparaître la hiérarchie officielle d’un
service : il est intéressant d’étudier qui y figure et où, ainsi, par exemple, le
psychiatre, le superviseur. S’agit-il d’une organisation de type horizontale
ou pyramidale ? Comment se rattache-t‑elle à l’organigramme plus général
de l’administration dont elle dépend ? On s’aperçoit assez fréquemment que
le travailleur social opère dans des systèmes différents, l’un se rattachant à
un niveau fonctionnel et l’autre à un niveau hiérarchique. Cela n’est pas de
nature à permettre à ce dernier de se situer facilement. Citons à titre
d’exemple l’assistante sociale hospitalière : cette travailleuse sociale peut se
trouver écartelée entre une hiérarchie technique et une hiérarchie médicale.
Une autre façon de regarder les organigrammes apparaît instructive, bien
que subjective : il s’agit de comparer l’organigramme officiel du service à
celui imaginé par les différents membres de ce service, les zones d’influence
de certaines personnes, les groupes de pression, les rôles que se donnent ou
qui sont donnés à certains salariés.
Certaines autres sources de renseignements existent selon les services
(grille de salaire, tableaux du personnel…). Au travailleur social d’être
curieux et de les connaître. Il lui revient également de regarder son lieu de
travail de l’extérieur : son implantation, son architecture, sa taille… Est-ce
un lieu de travail agréable pour les salariés et accueillant pour la
clientèle ?
Au fur et à mesure, le travailleur social devra être attentif à mieux
connaître quelle est l’intégration de son service dans le quartier, son rapport
aux autres services, à la municipalité…
Ces différents niveaux de connaissances partent bien sûr d’écrits, mais
sont interprétés par le travailleur social. Lui aussi doit donc se connaître
pour limiter au mieux les gauchissements des faits liés à sa personnalité.

4.5. Le travailleur social


Le travailleur social fait appel, dans sa fonction d’aide, à un certain
nombre de connaissances en sciences sociales, mais aussi en santé, en droit,
en législation sociale… La réalité est perçue et analysée en fonction de ces
connaissances contributives des autres disciplines et c’est grâce à elles que
le travailleur social est capable d’effectuer une analyse de situation globale :
la sociologie lui permettra d’acquérir des outils de compréhension des phé-
nomènes sociaux dont il est question dans le point sur l’environnement ;
grâce à la psychologie, qui constitue une bonne part de l’enseignement reçu
par les travailleurs sociaux, c’est la complexité des problèmes individuels

101
Méthodologie de l’intervention en travail social

qui sera rendue plus compréhensible… Ces connaissances seront rendues


plus ou moins utilisables par le jeu de la relation qui s’introduit entre lui,
travailleur social, et l’usager.
Se connaître soi-même, savoir que chacun d’entre nous est intégré dans
un jeu de représentations sociales, peut donc permettre de décoder plus
facilement ce qui se joue dans cette relation. Sans inciter chaque travailleur
social à entrer en analyse, un minimum de regard sur soi-même est
indispensable.
Cela va des données qui peuvent apparaître les plus banales, jusqu’à des
questions beaucoup plus subtiles. Les plus faciles à percevoir relèvent de ce
que tout le monde connaît du travailleur social : son âge, son sexe, sa for-
mation, sa fonction dans le service, mais déjà là s’introduit un certain
nombre de distorsions suivant que l’on se place au niveau du service, de
l’usager ou du travailleur social lui-même. Nous prendrons successivement
ces trois dimensions pour la facilité de l’analyse tout en étant bien conscients
que ces différents niveaux s’enchevêtrent et retentissent les uns sur les
autres.

4.5.1. Le travailleur social et son service


Avant même d’être identifié dans son service par ses collègues, le tra-
vailleur social qui vient d’être recruté va, de par sa fonction, son âge, son
sexe, être assimilé à des images préexistantes : celle des jeunes, des chefs,
avec tout ce dont celles-ci sont porteuses. Ces différentes représentations
ne sont pas forcément négatives et correspondent souvent à des faits objec-
tivables : un assistant social et un éducateur ne reçoivent pas la même
formation au cours de leurs études, ils ne sont pas astreints au même code
de déontologie… Même si, au fil du temps, ces professionnels finissent par
se rapprocher pour certaines tâches, il reste que le choix de leur formation
initiale les a infléchis d’une certaine manière.
D’autres éléments doivent être considérés à ce niveau : celui, par
exemple, des formations complémentaires que les différents travailleurs
sociaux ont reçues. Qu’elles soient de type universitaire ou de type profes-
sionnel, le travailleur social sera enrichi, modifié par ces apports supplé-
mentaires, mais ces modifications seront plus ou moins bien ressenties par
le service et les collègues : soit que des rivalités, des peurs, ou des rejets
s’introduisent, soit encore qu’inconsciemment le travailleur social en ques-
tion devienne, dans l’imaginaire de ses collègues ou dans la réalité des faits,
le responsable non officiel du service.
Dans le même ordre d’idée, une fonction particulière, celle de chef de
service, par exemple, ne peut être neutre, car elle provoque des réactions
liées à la notion de pouvoir qui, faute d’être repérée et analysée, sont sus-
ceptibles de nuire à la bonne marche d’un service. Ces réactions seront

102
L’analyse de situation

d’autant plus vives si les critères de recrutement de ce responsable ne sont


pas clairs et acceptés par le personnel.
Il reste que, quel que soit son niveau dans le service, le travailleur social
doit toujours avoir à l’esprit qui il est, jusqu’où il adhère aux objectifs du
service, comment il est perçu par les autres, qui sont ses collègues et com-
ment ils sont perçus par l’ensemble du personnel et par lui-même.
Certains postes tenus par des assistants de service social ont la caractéris-
tique de devoir constamment être explicités, les fonctions tenues être légiti-
mées : il est ici question, entre autres, des assistantes sociales en entreprise.

4.5.2. Le travailleur social et les usagers


À ce stade de notre travail nous nous limiterons à donner quelques points
de référence sur la connaissance que le travailleur social devrait avoir de la
manière dont il est perçu par les personnes fréquentant son service. Nous
aborderons le problème de l’usager singulier dans le point suivant.
Le travailleur social, en effet, est parfois connu par les usagers potentiels
du service avant même que ceux-ci ne soient venus le rencontrer : soit que
son implantation dans le quartier soit ancienne en tant qu’individu ou en
tant que travailleur social, soit que sa « réputation » ait été faite par un
certain nombre d’usagers. Dans l’un comme dans l’autre cas, des consé-
quences se font assez rapidement jour dont la principale pourrait se résumer
ainsi : « il ne peut décevoir », il doit correspondre à son image de marque,
parfois à celle de sa famille ou à celle d’un groupe dans lequel il milite. Un
travail préalable d’éclaircissement de son statut de professionnel sera à faire,
avant tout accompagnement, si l’on ne veut pas risquer de provoquer chez
l’usager des attentes auxquelles on ne peut répondre. Citons, pour exemple,
ce fait, non caricaturé, de l’assistante sociale d’un secteur rural dont le
beau-père était député dans le même secteur.

4.5.3. Le travailleur social lui-même


Une fois que le travailleur social a pu se repérer dans son service puis
dans son environnement, il lui reste à essayer de se regarder lui-même, dans
ce qu’il est, mais aussi dans ce que cela peut provoquer dans sa relation à
l’autre.
Essayons d’être lucides sur nous-mêmes : comment avons-nous choisi
notre profession ? Les motivations que nous avions à vingt ans ont dû bien
évoluer : se sont-elles transformées en une résignation passive ou en un
activisme forcené ou encore en une froide technicité ? Sommes-nous encore
investis dans notre métier ou est-ce seulement devenu notre gagne-pain ?
Quel a été le poids de notre éducation, de notre religion, de notre idéologie
au moment de nos choix et qu’en est-il à présent ? Quelle représentation
avons-nous du migrant, du pauvre, de la femme seule…

103
Méthodologie de l’intervention en travail social

Ce retour en arrière est indispensable pour éclairer le présent et nous


permettre de comprendre certains de nos comportements à l’égard des
­usagers.
De même, l’évolution rapide de la société actuelle, les changements qui
s’introduisent dans un certain nombre de valeurs sont parfois difficilement
acceptés. Sommes-nous au clair sur notre adhésion ou non-adhésion à ces
valeurs ? Certains changements ont provoqué suffisamment de remous pour
que le travailleur social ait été obligé de réfléchir à son positionnement
personnel : pensons au mariage homosexuel, à la gestation par autrui…
À ce niveau de recherche sur nous-mêmes en tant que professionnel, pen-
sons également aux références théoriques auxquelles nous sommes attachés
dans notre travail : sont-elles plus psychologiques que sociologiques et,
dans ce cas, plus freudiennes que rogériennes… ? Le regard que nous avons
sur l’autre peut induire profondément notre projet.
Nous en arrivons maintenant aux questions les plus difficiles à se poser,
celles qui nous mettent en cause en tant qu’individu et non en tant que
professionnel. Au-delà de toute technique, il y a la personne qui la met en
œuvre et si, dans de nombreuses situations professionnelles, la personnalité
du technicien ne joue pas dans son travail, dans le cas du travailleur social
s’introduit un jeu perpétuel entre sa personnalité et sa technicité.
Nous reconnaissons et acceptons certaines de nos caractéristiques per-
sonnelles, ainsi, par exemple, nos tendances directives, les usagers que nous
apprécions, ceux que nous supportons mal… D’autres sont beaucoup plus
refoulées, soit volontairement en raison d’une trop grande sensibilité devant
certains problèmes, soit involontairement parce que totalement incons-
cientes. Ces tendances se rattachent à notre vécu passé, à notre histoire.
Au travailleur social de choisir s’il désire aller plus loin dans cette recherche
sur lui-même, ou non, mais, dans ce cas, cela se passe dans un tout autre
lieu que celui de l’exercice professionnel.
Il reste pour nous, professionnels, que ce regard sur nous-mêmes et nos
difficultés peut être grandement amélioré grâce, entre autres, à la supervi-
sion, mais aussi au simple retour sur soi-même en relisant des entretiens
que nous avons pris le temps de rédiger : des paroles confiées par une
personne et oubliées qui resurgissent totalement en mémoire, des blocages
systématiques à certains moments d’entretien… peuvent apparaître comme
révélateurs de ce que le travailleur social n’a pas envie d’entendre. Il lui reste
à le comprendre pour mieux aider l’usager dont il va être maintenant
­question.

104
L’analyse de situation

4.6. L’usager (individu ou groupe), sa demande


Précisons tout d’abord qu’à ce niveau de la démarche méthodologique une
demande est rarement apportée par un groupe constitué, mais beaucoup plus
par un individu isolé. La toute première rencontre d’un travailleur social se fait
donc avec des personnes en difficulté. Nous allons donc nous centrer plutôt
sur l’usager pris individuellement ou dans son groupe familial. Les autres
aspects de ce problème, à savoir celui du groupe lui-même, seront vus dans un
autre chapitre 8, y compris dans sa dimension « analyse de situation ».
Avant d’étudier en détail la demande même de l’usager, celle qui va nous
amener à agir, le travailleur social doit s’attacher à recueillir un certain
nombre d’éléments sur celui-ci : son identité, son adresse, son âge, sa situa-
tion de famille, ses ressources… mais aussi sur la manière dont cette per-
sonne se présente, ce qu’elle dit et comment elle le dit, son apparence
(fatigué, triste…) et la conformité de celle-ci avec les éléments que nous
possédons sur l’âge, la situation, le problème de cet usager. Cela permettra
un premier niveau de connaissance de la personne qui se poursuivra au fur
et à mesure du travail entrepris avec elle et, entre autres, au moment de
l’élucidation de sa demande que nous allons étudier maintenant.

4.6.1. Les conditionnements qui pèsent sur la demande 9


Une demande ne s’adresse pas à n’importe quelle institution ni à n’im-
porte quel travailleur social. Une série de conditionnements détermine que
telle demande soit adressée à tel service ou à tel professionnel.
Tout d’abord l’image du service et l’idée que le milieu social se fait de sa
fonction font que des demandes seront adressées plutôt à tel service qu’à
tel autre. Ainsi s’adressera-t‑on aux unités territoriales pour des problèmes
administratifs ou de logement, tandis que des problèmes de scolarité des
enfants donneront lieu à des demandes auprès du service social en faveur
des élèves, des problèmes concernant la vie professionnelle entraîneront des
demandes au service social d’entreprise.
Ensuite, l’image sociale de la profession et de la compétence des diffé-
rentes professions conditionne aussi le type de demande qui nous est
adressé. Personne n’ira voir un avocat pour soigner une mauvaise grippe,
ni un médecin pour entamer une procédure de divorce. Et même si en travail
social les frontières entre les différentes professions sont beaucoup moins
nettes, il est néanmoins vrai que, bien souvent à tort, la profession d’assis-
tante sociale est associée à des problèmes administratifs ou à des problèmes
d’accès aux droits ; la profession d’éducateur est associée à des enfants,

8. Voir le chapitre 9 : « L’intervention indirecte ».


9. Ce passage est emprunté à l’article de Cristina De Robertis (1978), « La demande en
travail social », La Revue française de service social, n° 120, 4e trimestre.

105
Méthodologie de l’intervention en travail social

adolescents, jeunes ; la profession d’animateur est associée à des activités


en groupe dans un centre social ou maison de jeunes.
Le type de travail effectué prioritairement par le travailleur social, qu’il
soit un travail individuel et familial ou un travail de groupe et d’intérêt
collectif, va aussi conditionner les demandes. Bien évidemment, le travail-
leur social dont l’intervention est exclusivement individuelle ou familiale
recevra surtout des demandes de cet ordre, tandis qu’un travailleur social
dont la principale activité est l’animation de groupes ou un travail collectif
sera choisi pour recevoir des demandes de groupes.
La demande adressée aux travailleurs sociaux est aussi conditionnée par
l’image dominante de la fonction du travail social, à savoir : s’occuper des
couches défavorisées de la population. « Le travailleur social s’occupe des
pauvres… », il suffit d’observer la réaction d’étonnement des couches moyennes
et aisées de la population quand ils ont affaire à un travailleur social qui agit
sur mandat ; il n’y a qu’à regarder rapidement les catégories socioprofession-
nelles des usagers qui adressent une demande aux travailleurs sociaux pour
s’en convaincre. Cette image dominante entraîne une sélection naturelle des
demandeurs et des types de sollicitations. En effet, d’autres circuits existent
pour pallier les mêmes difficultés dans les classes aisées : un enfant qui connaît
des difficultés d’apprentissage scolaire sera mené chez le psychologue, il se
verra donner des cours particuliers par des spécialistes, il sera inscrit dans une
école privée appliquant des méthodes de pédagogie active.
On voit cependant apparaître une nouvelle image du travail social liée à
sa fonction d’intermédiaire, de médiateur entre les institutions et les per-
sonnes ou familles. Les dispositifs d’action sociale trop complexes, les
démarches administratives interminables, le fonctionnement bureaucratique
des institutions font que seuls des spécialistes peuvent s’y retrouver. Cette
fonction d’intermédiaire, d’interface, fait surgir des demandes en prove-
nance de couches moyennes de la population dont le fait de demander est
lié à l’idée de faire valoir ses droits plutôt qu’à l’idée d’assistance. Le langage
professionnel, c’est fait d’ailleurs l’écho de ce changement, en remplaçant
le mot « client » signifiant « celui qui bénéficie librement des services d’une
personne ou une organisation 10 », par celui d’« usager », qui fait référence à
« celui qui a un droit d’usage, celui qui a recours à un service public 11 ».

4.6.2. Ce qui se passe avant de faire la demande au service social


L’usager prend contact avec le service, il téléphone, écrit ou se présente,
de sa propre initiative. Il vient faire une demande. « L’individu vient cher-
cher une aide. Cette étape est reconnue, avec raison, comme l’une des plus

10. Ouvrage collectif (1993), Systématisation et évaluation : une grille pour travailleurs
sociaux, Liège, École supérieure d’action sociale.
11. Petit Larousse illustré, op. cit.

106
L’analyse de situation

significatives. L’individu en quelque sorte s’est pris en main et a accompli


un acte de première importance 12. » Pour comprendre la portée et la signi-
fication de cet acte, le travailleur social a besoin d’avoir quelques idées sur
ce qui se passe souvent lorsque quelqu’un formule une demande.
Cette compréhension préliminaire et globale permettra ensuite au tra-
vailleur social d’agir en mettant à profit ses connaissances sur le compor-
tement des personnes confrontées à une telle situation.
Avant de rencontrer le travailleur social, l’usager a déjà franchi plusieurs
étapes. Tout d’abord il a fait face à un problème qu’il ressent en termes de
besoin (ex : un travailleur immigré vivant seul en France ressent son isole-
ment et sa solitude comme de plus en plus intolérables). La difficulté et la
souffrance qu’elle entraîne sont analysées par l’usager en termes de chan-
gements qu’il souhaite afin de résoudre sa situation (ex : il pense pouvoir
vivre plus heureux si sa famille peut le rejoindre et habiter avec lui).
Une fois le changement défini, la personne est mobilisée par la prise de
conscience de son désir et de son but à atteindre. Elle tente alors de trouver
les moyens de concrétiser le changement : elle s’informe, parle à ses amis, en
famille, à ses collègues de travail ; elle accepte volontiers les conseils, effectue
des démarches auprès des personnes et institutions susceptibles de lui apporter
une réponse. Elle investit alors une énergie considérable tant physique que
psychique (le travailleur immigré a parlé avec des collègues qui ont déjà fait
venir leurs familles, a discuté avec des amis, s’est présenté aux institutions
chargées de recevoir ces demandes, a rempli ses papiers, a posé une demande
de logement, a écrit à sa famille pour lui faire part de son projet).
Et dans ce processus, souvent long, la personne se confronte aux diffi-
cultés, aux échecs, aux réponses et résultats insatisfaisants, ou à sa propre
incapacité à transformer son désir de changement en action et bien souvent
aussi, à la peur que tout bouleversement du quotidien connu entraîne.
Parfois, l’usager est amené à poser une demande au service social, car il
affronte un problème grave, inopiné, inattendu, qui sert de révélateur de ses
besoins. Dans ce cas, le processus de mobilisation personnelle préalable suivi
d’échecs n’existe pas. C’est la crise qui tombe sur la famille, consécutive à un
événement inattendu (fugue d’un adolescent, accident de travail, mort d’un
membre de la famille), et qui bouleverse complètement l’équilibre existant.
« L’événement inattendu apporte à l’individu un problème dans sa situation de
vie habituelle. Ce problème peut être vu comme une menace, une perte, un défi.
[…] L’anxiété est la réponse à une menace faite aux besoins fondamentaux ou à
l’intégrité. La dépression répond à la perte ou à la privation. Si le problème est
vu comme un défi, il lui sera vraisemblablement répondu par une mobilisation
de l’énergie et des activités vers la solution du problème 13. »

12. Rogers C. (1971), La relation d’aide en psychothérapie, Paris, ESF éditeur.


13. Voir aussi Du Ranquet M. (1976), « Le modèle d’intervention en temps de crise »,
La Revue française de service social, n° 111, Paris, 3e trimestre.

107
Méthodologie de l’intervention en travail social

Quel que soit le cheminement accompli avant de prendre la décision de


faire une demande au service social, l’usager, pour ainsi dire, a déjà par-
couru la moitié du chemin. Il est en mouvement. Il a effectué une prise de
conscience, souvent douloureuse, de ses besoins, les a analysés, a cherché
(et parfois mis en exécution) des solutions possibles, s’est confronté aux
réalités sociales et affectives ainsi qu’à l’échec. Il a pris une décision de
taille : demander de l’aide. Et il a choisi à qui s’adresser. Son choix du type
de service et/ou travailleur social est souvent lié à ses connaissances anté-
rieures s’il a déjà eu recours au service, il est toujours très conditionné par
l’image de ce service, des travailleurs sociaux et de la fonction sociale du
travail social dont nous avons parlé précédemment.
L’usager est donc mobilisé, son énergie est dirigée vers le changement de
sa situation. Mais au moment de faire sa demande, l’usager est paralysé par
l’angoisse et la peur. Tout se passe « comme s’il s’établissait une lutte entre,
d’une part, sa résolution à faire quelque chose pour obtenir ce qu’il souhaite
et, d’autre part, sa peur de l’inconnu 14 ».
La peur peut être liée au travailleur social que l’on va trouver. Cette
personne jamais vue est pleine de menace. L’usager se demande : « Qui
est-il ? Va-t‑il me comprendre ? Va-t‑il me prendre au sérieux ou au
contraire penser que je le dérange ? Pourra-t‑il me proposer quelque
chose ? »
La peur de la personne peut être aussi liée à sa situation de changement.
Son désir est intense et sa situation insupportable ; néanmoins, elle s’inter-
roge : « Que vais-je devenir ? La vie se transformera en quoi ? Quel est
l’inconnu que j’aurai à la place de la vie actuelle, difficile certes, mais au
moins je sais de quoi il s’agit. » Le proverbe populaire le dit bien : « Mieux
vaut du mauvais connu que du bon à connaître. »
La peur peut aussi être liée à sa situation qui le place dans un rapport de
dépendance et de vulnérabilité. Quelqu’un qui demande se sent vulnérable,
il peut être atteint, il risque de perdre son indépendance, son autonomie. Il
est dans une position de dépendance, d’infériorité, il ne sait pas, ou il a
échoué à se débrouiller tout seul. Il est fort probable que l’usager ait déjà eu
des échecs dans sa démarche pour résoudre son problème avant de faire une
demande au service. Celle-ci est en quelque sorte la concrétisation publique
de son échec : il faut reconnaître, dans la rencontre avec un tiers inconnu,
qu’on n’a pas été capable de s’en sortir seul.
La situation de dépendance et de vulnérabilité ressentie par l’usager le
plonge dans la régression. Elle exacerbe des conflits du passé où être dépen-
dant était à la fois un havre de sécurité et un puissant ressort de révolte et
d’opposition.

14. Hamilton G. (1965), Théorie et pratique du case work, Paris, CFSSAS.

108
L’analyse de situation

« Or, qu’est-ce que venir pour être aidé, sinon s’affronter précisément à ce conflit
éternel entre le désir de rester un enfant et le désir de devenir adulte ? […] Être
aidé, même si on le désire profondément, c’est se trouver plus ou moins confronté
avec un certain aspect de l’immaturité, de l’échec, c’est finalement vivre une
certaine humiliation. Être aidé, c’est redevenir dépendant, c’est revivre un conflit
important du passé au cours duquel donner ou recevoir a soulevé beaucoup
d’ambivalence 15. »

C’est bien cette notion d’ambivalence qui peut nous donner la clé pour
comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe pour la personne qui vient
nous trouver. Pour comprendre en essayant de décoder à travers son com-
portement, sa présentation, le contenu de sa demande, la façon dont il la
formule, les messages non verbaux dont il l’accompagne, le conflit intérieur
et les sentiments contradictoires qui le mobilisent.
Le conflit intérieur de l’usager peut être si fort, si paralysant, qu’il peut
l’empêcher de passer à l’action. Souvent le travailleur social se demande pour-
quoi telle personne ou telle famille est venue le trouver si tard, alors que sa
situation aurait mérité une demande plus rapide. Qu’est-ce qui a empêché la
personne de venir nous trouver avant d’être plongée dans une situation cri-
tique et sans issue, où la détérioration matérielle et/ou relationnelle est telle
que les possibilités de trouver des solutions rapides sont devenues très minces ?
Souvent on pourra découvrir la réponse en explorant les peurs et l’ambiva-
lence ressenties par la personne lors de sa décision de faire une demande.
Nous devrions nous-mêmes, travailleurs sociaux, avoir à l’esprit ce que
nous avons personnellement ressenti dans une situation de demandeur, qu’il
se soit agi d’une consultation médicale ou juridique, ou lors d’un entretien
d’embauche, afin d’imaginer ce qui peut se passer chez la personne.

4.6.3. Le comportement de l’usager lors du premier entretien


Pour comprendre le comportement de la personne qui vient le trouver,
le travailleur social doit garder à l’esprit les éléments du conflit que nous
venons d’évoquer. La lutte entre son désir de s’en sortir, d’obtenir ce qu’il
est venu demander, et sa peur de l’inconnu et du changement, fait que
l’usager prend des attitudes et des comportements particuliers afin de se
protéger et de se prémunir contre ses craintes. Ceux-là ne sont pas aisés à
comprendre. La gamme des comportements de protection, très variable, peut
aller d’une attitude agressive et vindicative, à une attitude séductrice ou
dépendante. Les travailleurs sociaux ont souvent le plus grand mal à bâtir
des hypothèses explicatives du comportement de l’usager lors du premier
entretien, d’autant plus que parfois il semble en contradiction absolue avec
la demande exprimée.

15. Lemay M., « La psychologie de l’aide ou la relation aidant-aidé », Dialogue, n° 25,
« Études et recherches sur les problèmes du couple. Association française des centres de
consultation conjugale », Paris, 1970.

109
Méthodologie de l’intervention en travail social

S’il est presque impossible de parier du comportement de la personne de


façon générale, nous pouvons malgré tout citer quelques comportements
fréquents, sans prétendre dresser une liste exhaustive englobant toutes les
situations particulières.
Ainsi l’usager peut-il être très excité, il parle tout le temps avec un débit
rapide et sur un ton aigu, le travailleur social ne peut pas placer un mot. Ou,
au contraire, il est déprimé, parle peu, est presque muet, et le travailleur
social qui essaie de comprendre de quoi il s’agit a bien l’impression de mener
un interrogatoire coupé de réponses monosyllabiques.
L’usager peut aussi se présenter de façon agressive et s’exprimer avec
véhémence, il crie, revendique, exige, ou au contraire il peut manifester un
comportement de démission totale, avec un discours humble, se remettant
entre les mains du travailleur social. Il peut arriver avec une donnée précise,
formulée sous forme de question restreinte et directe, souvent concernant
une information ; il peut par contre parler longuement d’un problème qui ne
semble pas, de prime abord, correspondre à une demande au service social.
Tous les travailleurs sociaux connaissent des personnes dont l’état
d’angoisse, de souffrance ou de confusion fait qu’il est très difficile de
comprendre tout de suite leur demande et leur attente du service. Ils arrivent
apparemment sans demande. Il s’agit souvent de personnes en proie à une
situation de crise, pour lesquelles une intervention rapide et soutenante peut
être nécessaire afin de permettre un soulagement de la tension et de retrou-
ver un nouvel équilibre. Il peut aussi s’agir de personnes présentant des
problèmes relevant de la santé mentale et pour lesquelles plusieurs entre-
tiens peuvent s’avérer nécessaires avant de comprendre de quoi il s’agit.
Le comportement de l’usager lors du premier entretien nous donne des
éléments importants pour bâtir des hypothèses explicatives sur le conflit qui
l’agite et les forces qui le mobilisent. C’est sur ces hypothèses que le travail-
leur social va intervenir au cours du premier entretien.

4.6.4. L’absence de demande


Il faut ici signaler la situation de certaines personnes ou groupes de per-
sonnes n’ayant aucune demande à l’égard d’un quelconque travailleur social.
Les personnes sans domicile fixe, les toxico-dépendants, les prostitués… n’effec-
tuent pas de démarches spontanées, voire refusent le contact (par exemple les
problèmes des sans domiciles fixes refusant d’être conduits en centre d’héber-
gement durant les périodes de grands froids). Il n’y a aucune demande formulée
alors même que le besoin, soins, hébergement, est clairement identifié.
Pourquoi cette non-demande et comment faire ? Peu d’auteurs abordent
ce problème. L’un d’entre eux 16 propose que le travailleur social centre son

16. Albera N., « Le travailleur social face au client “non demandeur” », in Gouhier A. (dir.)
(1993), La relation d’aide, Nancy, Presses universitaires de Nancy.

110
L’analyse de situation

action « dans le repérage des droits non couverts et les avantages auxquels
ils pourraient prétendre et les informer […] Redonner confiance aux per-
sonnes quant à leur capacité […] Déclencher chez elle une motivation suf-
fisante pour le but recherché […] que le client a déterminé lui-même ».
De fait, il s’agit là de faire une offre de service et de parvenir à l’expres-
sion d’une demande même si celle-ci ne correspond pas à la globalité du
problème identifié.
Le ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement a publié
en ligne un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur
le thème ; ce fait confirme la préoccupation des autorités et des travailleurs
sociaux pour les personnes difficiles à joindre car sans demande ni désir 17.
Malgré la difficulté pour cerner et quantifier le public non-demandeur, les
auteurs estiment que « les diverses études existantes sur le non-recours […]
permettent d’évaluer le nombre de personnes en situation de non-demande
à plusieurs millions ». Il s’agit d’un véritable défi pour l’action sociale.

4.7. La démarche d’analyse de situation


Les divers éléments que nous avons étudiés dans les pages précédentes :
contexte global, analyse de secteur, du service, du travailleur social et de
l’usager lui-même sont à étudier sous deux angles différents. En effet, d’une
part ils vont induire la demande de l’usager, d’autre part ils vont conditionner
la réponse possible à cette demande. C’est la combinaison de cette double
dynamique qui constitue, pour nous, la démarche d’analyse de situation.

4.7.1. L’induction de la demande


L’usager, quand il se présente au service social, est, d’une certaine
manière, conditionné par un ensemble de phénomènes : ce seront les médias
qui lui ont fait connaître tel nouvel aspect de la législation des prestations
familiales auquel il croit avoir droit, ou, plus globalement, qui lui ont donné
l’impression de faire partie d’une catégorie de personnes qui doivent être
aidées (personnes âgées, handicapés). Ce sera, comme nous le citions plus
haut, un aspect de sa vie d’habitant de tel quartier, isolé, rejeté, qui induira
un certain comportement, une certaine attitude face au service social (reven-
dication agressive, dépendance passive…). La demande de l’usager risque
aussi d’être modulée par celui-ci, pour être mieux entendue par le service
auquel il s’adresse : pour rencontrer l’assistant(e) social(e) scolaire à laquelle
il aimerait bien exposer ses problèmes (parce qu’elle est plus proche, par
exemple, que celle du secteur), l’usager choisira d’apporter un problème

17. Inspection générale des affaires sociales, Quelle intervention sociale pour ceux qui ne
demandent rien ?, rapport n° 2005 026, présenté par M. Hautchamp, P. Naves et D. Tricard,
La Documentation française. En ligne : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr.

111
Méthodologie de l’intervention en travail social

concernant ses enfants qui risque d’être entendu par elle, alors que ce n’est
pas forcément son besoin essentiel. De même, bien souvent, le comporte-
ment même du travailleur social permettra ou non de faire affleurer les
besoins profonds de la personne.
C’est donc cette demande, complètement filtrée, qui parviendra au tra-
vailleur social ; à lui de saisir comment, par quoi, pour quoi, elle a été
gauchie, cela pour pouvoir comprendre ce que l’usager attend réellement de
lui et pour pouvoir apporter une réponse. D’une certaine manière, le travail-
leur social doit décoder les dires de la personne.

4.7.2. Le conditionnement de la réponse


La réponse du travailleur social à la demande de l’usager va subir, quant
à elle, les mêmes transformations que celles que nous avons décrites ci-
dessus : elle dépendra, en effet, du travailleur social, de ses possibilités liées
à sa capacité d’écoute, de compréhension, mais aussi à sa formation. Elle
sera également dépendante de son service, de la mission qu’il se donne, des
possibilités offertes par celui-ci. La réponse sera aussi conditionnée par le
secteur où le travailleur social se trouve et la politique sociale du moment.
Le choix du travailleur social d’orienter son évaluation dans tel ou tel
sens ne peut s’effectuer qu’après cette double démarche : l’une tenant
compte de l’induction de la demande et donc du décodage nécessaire pour
comprendre ; et l’autre du conditionnement de la réponse par l’ensemble
des éléments qui entourent le travailleur social. Cela pourrait se traduire en
un schéma qui prend, si l’on veut, la forme d’un sablier.
L’usager se trouve à la partie médiane de ce sablier, là où, tout d’abord,
se rassemble l’ensemble des inductions, puis en retournant le sablier, où se
rassemble également l’ensemble des conditionnements.

Figure 1. Dynamique demande réponse

Contexte global
de l
Ind emand

Analyse du secteur
ad
ucti

Analyse du service
on e

Analyse du TS

Client demandeur
con

TS
Rép nnée p
diti

Service
ons
o

Analyse du secteur
e

Contexte global
ar
Chapitre 5

L’évaluation diagnostique

Le terme évaluation a fait une entrée retentissante dans le social au cours


des années 1980 et perdure depuis. Or ce terme ne désigne plus que la
mesure des résultats d’une action, de l’efficience du travail, du degré d’at-
teinte des objectifs et de l’efficacité d’un service ou de politiques sociales.
L’injonction à évaluer est devenue omniprésente et cache mal la recherche
de diminution des coûts et d’organisation rationnelle du travail. La confu-
sion entre les termes évaluation pour se référer au diagnostic social et
évaluation pour désigner les résultats obtenus nous a fait préférer la nou-
velle formulation d’évaluation diagnostique pour le premier et évaluation
de résultats pour le second.
Malgré son ancrage dans les écrits professionnels depuis Mary Richmond 1,
nous n’avons pas retenu l’expression « diagnostic social », trop entaché
du modèle médical, car la démarche diagnostique du travail social a
des caractéristiques différentes de celle du médecin 2. Le rapport du Conseil
supérieur du travail social 3 sur l’intervention sociale d’aide à la personne
(ISAP) a ­revisité le concept d’aide à la personne dans lequel est utilisée
l’expression « évaluation diagnostique » que nous utiliserons désormais dans
cet ouvrage.
L’expression « évaluation diagnostique » veut aussi affirmer l’autonomie
technique des travailleurs sociaux, notamment des assistants de service

1. Première théoricienne du service social, Mary Richmond écrivit en 1917 une œuvre
monumentale (511 pages). Intitulé Social Diagnosis, ce livre est une référence pour la pro-
fession même s’il n’a pas été traduit en français. Publié par Russel Sage Foundation, New
York, il a été régulièrement réédité.
2. Voir le paragraphe suivant.
3. Conseil supérieur du travail social (1998), L’intervention sociale d’aide à la personne,
Rennes, Presses de l’EHESP (nouvelle édition 2014).

113
Méthodologie de l’intervention en travail social

social 4, dont l’action ne se réduit pas à l’application de techniques ou d’actes


prescrits par d’autres professionnels (médecins, psychiatres, juges, avocats,
cadres administratifs). Cet enjeu de taille est une constante dans l’histoire
de la profession qui a depuis toujours défendu une place de professionnel à
part entière, collaborant avec d’autres sans leur être subordonnés. Ainsi, à
l’aube de la professionnalisation, Mary Richmond défendait déjà « l’auto-
nomie du social par rapport au médical, c’est-à-dire qu’elle veut éviter le
traitement médical [inefficace pense-t‑elle] des causes sociales 5 ».
Aujourd’hui comme hier, ce combat se poursuit même s’il revêt des
formes différentes. La pratique actuelle du travail social est confrontée à
une inflation de procédures définies de manière administrative et bureau-
cratique. Les dispositifs complexes, l’utilisation généralisée du numérique
pour toute demande administrative, obligent les familles à solliciter l’aide
de professionnels pour pouvoir y accéder et pour se repérer dans le laby-
rinthe des politiques sociales. Les travailleurs sociaux se voient ainsi solli-
cités dans un rôle de gestionnaires de dispositifs d’action sociale qui les
détourne de leur fonction d’aide globale aux personnes.
Encore, l’irruption du « management » et de la « démarche qualité », loin
de représenter un atout pour le travail social, se traduit vite en un cortège
d’outils standardisés (grilles, carnets de bord, statistiques, procédures pré-
définies…) tendant à rationaliser et uniformiser des pratiques par la défini-
tion préalable de protocoles de « comment on doit faire ». Toutefois, lorsque
ces outils sont réfléchis, élaborés et choisis par les professionnels eux-
mêmes, ils peuvent s’avérer utiles et tendre à une véritable amélioration des
pratiques et du service rendu aux personnes.
Dans ce contexte, il est indispensable que la profession affirme sa capa-
cité d’expertise et de diagnostic social, mais aussi qu’elle cherche à imposer
une manière de faire diversifiée, adaptée aux personnes et à leurs situations,
avec une panoplie d’outils variés et la responsabilité globale de l’action
menée. Comme l’expriment Jean-Yves Dartigue Nave et Jean-François
Garnier : « La réhabilitation du travail social passe par une reconnaissance
active de sa fonction de diagnostic et d’entremise sociale (nous entendons
par entremise sociale la faculté d’agir en faveur de l’établissement ou du
rétablissement des termes de l’échange social dans les situations de désaf-
filiations identitaires et/ou contributives). » Les auteurs souhaitent « contre-
dire un ordre qui, tout compte fait, nous paraît désordre. C’est-à-dire,
opposer de la résistance et inverser ce qui nous paraît être à l’envers dans
le travail social aujourd’hui 6 ».

4. De Robertis C. (2011), « Autonomie technique et diagnostic social », La Revue française de


service social, n° 240, « Profession assistant de service social, repères et enjeux », 1er trimestre.
5. Fouche N. (2004), « Le case work : circulation transatlantique et réception en France
(1870‑1939) », Revue européenne d’histoire sociale, n° 11, « Histoire et Société », juillet.
6. Dartigue J.-Y, Nave, Garnier J.-F. (2003), L’homme, oublié du travail social, Ramonville,
Érès.

114
L’évaluation diagnostique

Pour les travailleurs sociaux, la reconnaissance de leur compétence, de


leur expertise, de leur autonomie technique, passe nécessairement par un
savoir-faire rigoureux et construit, par l’évaluation diagnostique. Celle-ci
est un des principaux « marqueurs » de toute profession et constitue, pour
le travail social, une des idées structurantes de l’identité professionnelle.
L’objectif de l’évaluation diagnostique est d’élaborer une hypothèse de
travail sur laquelle appuyer son intervention 7. Ces hypothèses traduisent la
compréhension qu’il a de la situation et de la personne.
Mme Y vient pour la première fois à la permanence de l’assistante sociale,
son attitude inquiète, son regard fuyant, sa présentation confuse, son
bégaiement, font que la professionnelle se dit : « Voilà une femme qui a un
problème grave, et qui a du mal à m’en parler. » Cette hypothèse conditionne
l’assistante sociale à agir en accord avec sa compréhension de la situation.
Une enfant de 9 ans suivie par une éducatrice à cause de ses difficultés
scolaires fait des progrès réguliers ; mais à un certain moment, elle s’arrête
brusquement de progresser, tout désir d’apprendre semble bloqué, puis
l’enfant régresse. L’éducatrice se dit : « Il doit se passer quelque chose dans
la famille. » Cette hypothèse l’amène à rencontrer les parents.
Le processus d’évaluation diagnostique – qui consiste à connaître, com-
prendre, émettre des hypothèses et ensuite poser un diagnostic est présent
dès le premier contact avec la personne et dure jusqu’au dernier. C’est une
démarche presque automatique ; tous les travailleurs sociaux font une
appréciation de la situation de manière spontanée.
Mais évaluer c’est aussi savoir faire de façon consciente, organisée et
systématique ce qui, de toute façon, est fait intuitivement 8. Apprendre à
poser une évaluation diagnostique est indispensable pour vérifier le proces-
sus d’action, à savoir : définir avec les personnes les changements à
atteindre, repérer les forces dynamiques et les freins, choisir les types
d’interventions susceptibles de faire aboutir le projet de changement.

5.1. Définition des termes


La plupart des auteurs en travail social séparent deux démarches : a)
comprendre de quoi et de qui il s’agit et énoncer des hypothèses de travail,
qu’ils nomment diagnostic psychosocial, bilan psychosocial et b) mesurer
le chemin parcouru dans l’action, les changements produits, le degré de
résolution des problèmes, qu’ils nomment évaluation des résultats ou éva-
luation périodique ou encore évaluation finale. Certains auteurs utilisent les

7. Voir De Bray L., Tuerlinckx J. (1955), Social case work, Bruxelles, Éditions COMETS.
8. Voir Perlman H. (1972), L’aide psychosociale interpersonnelle, Paris, Centurion, coll.
« Socioguides ».

115
Méthodologie de l’intervention en travail social

termes diagnostic et évaluation comme synonymes ou parlent, comme nous


le faisons ici, d’évaluation diagnostique.
Le terme diagnostic, emprunté au langage médical, signifie « connais-
sance » (dia-gnôsis), il est défini comme l’« identification d’une maladie par
ses symptômes 9 ». Étymologiquement, diagnostiquer vient de dia : à travers,
et de gnossos : connaître. Ce qui pourrait se traduire par « voir à travers ».
« Il ne s’agit donc pas d’un savoir de l’ordre du visible, mais de la radiographie,
comprendre ce qu’il y a “derrière” les apparences, savoir repérer cet “essentiel
invisible pour les yeux” dont parlait le renard dans Le Petit Prince de Saint-
Exupéry. Un “regard en filigrane” à la manière d’un banquier examinant l’au-
thenticité d’un billet de banque par transparence. Ce savoir professionnel requiert
des compétences d’intuition et d’interprétation, et pas seulement d’observation.
Il ne suffit pas de regarder le réel, il faut aussi comprendre ce que signifie ce que
l’on voit. Le diagnostic produit un jugement. Il ne se contente pas d’une lecture
des signes, il procède à leur interprétation 10. »
Le terme « diagnostic » est peu employé en travail social, probablement
à cause de sa référence au modèle médical, mais aussi parce que la démarche
« diagnostique » du travailleur social est de nature différente de celle du
médecin. En effet, nous ne pouvons nullement parler d’une « maladie
sociale » (individuelle ou collective) qui pourrait être décrite d’après ses
symptômes, son étiologie, son évolution et se retrouver, avec des variables
minimes, dans le même « tableau clinique » d’une personne à l’autre ou d’un
groupe social à l’autre. Par ailleurs, la démarche de diagnostic médical et de
diagnostic social est aussi différente quant à son déroulement dans le
temps : le diagnostic médical est un préalable au traitement, la maladie n’est
pas traitée avant d’être définie et connue, elle peut, à la rigueur, être soula-
gée dans ses symptômes, mais nullement guérie. Tandis qu’en travail social,
la connaissance et la compréhension de la situation ne sont pas une étape
séparée de l’action ; l’intervention précède parfois la compréhension et elle
est presque toujours simultanée 11.
Le terme évaluation diagnostique nous semble davantage convenir pour
expliciter la démarche du travailleur social. Évaluation veut dire « estimation
de la valeur, du nombre, de l’importance ou de la grandeur des choses ».
Appréciation et expertise sont ses synonymes 12. Évaluer signifie donc apprécier
de façon approximative, donner une opinion sur quelque chose en tant qu’ex-
pert. « Retenons cependant qu’évaluation indique rarement une possibilité de
mesure exacte, mais plutôt une approximation quantitative ou qualitative 13. »

9. Petit Larousse illustré, 1978.


10. Lorthiois J. (2005), « Diagnostic de territoire : l’art du sur mesure », La Revue française
de service social, n° 217, juin.
11. Voir le chapitre 3 : « La méthodologie de l’intervention », 3.3. Deux modèles en
présence.
12. Petit Larousse illustré, op. cit.
13. Chesne B. (1977), « Le vocabulaire de l’évaluation », Pour, n° 55, « L’Évaluation, ques-
tionnement et pratique », mai-juin.

116
L’évaluation diagnostique

Ainsi que nous l’avons souligné, nous utiliserons l’expression évaluation


diagnostique qui nous semble définir, mieux qu’une autre, ce qu’est la
démarche du travailleur social. Celui-ci face à la situation de la personne,
essaie de connaître, de comprendre et d’agir en fonction des hypothèses de
travail. Dans l’évaluation diagnostique, il y a un essai de définir de la
manière la plus exacte possible la situation sociale et personnelle de l’usager.
C’est cette imbrication de la personne et de sa situation que le professionnel
tente de saisir.
Le principe qui fonde l’évaluation diagnostique est qu’il est nécessaire
de connaître et de comprendre pour agir de manière efficace. Il s’agit bien
de connaître pour faire et non de connaître pour savoir. Ainsi, l’évaluation
diagnostique est un trait d’union, une charnière, entre deux phases du pro-
cessus d’intervention : le recueil des données et le projet d’intervention 14.
C’est le travail qui mène d’une série d’éléments épars recueillis à leur analyse
et au choix des objectifs d’intervention.
Le Conseil supérieur du travail social décrit ainsi l’analyse et l’évaluation
diagnostique : « Les données recueillies doivent être analysées de façon à
devenir signifiantes, et cela notamment, à la lumière des connaissances
pluridisciplinaires (biologie, psychologie, sociologie, psychosociologie, éco-
nomie, droit, anthropologie culturelle, etc.) qui permettent de comprendre
le sens d’une situation sociale complexe ». L’analyse de l’ensemble de la
situation est « le stade des hypothèses diagnostiques qui constituent un
premier essai de clarification, d’interprétation et d’explication des difficultés
des personnes concernées, prenant en compte les facteurs internes autant
qu’externes, subjectifs autant qu’objectifs. L’analyse consiste également à
mettre ces données en relation les unes avec les autres et de dégager aussi
bien :
–– des constantes (un problème chronique faute de solutions offertes, un
type de conduite identique à travers les différents rôles sociaux) ;
–– des variables (les points forts, positifs pour le sujet ; les points faibles,
négatifs, sources d’échecs ou de sentiments d’échec ; les ressources de l’envi-
ronnement).
C’est seulement alors qu’intervient la phase d’évaluation (diagnostique)
qui offre un triple aspect :
–– évaluation d’abord de la « recevabilité » de la demande dans le cadre
du travail social en général, en tenant compte du mandat de l’institution
employeur ;
–– évaluation des capacités du sujet, de son dynamisme, de son désir, de
sa volonté à trouver en lui-même et dans son entourage, et avec l’aide de
l’intervenant, les solutions à ses difficultés ;

14. Aguilar Idañez M. J., Ander-Egg E. (1999), Diagnostico social, conceptos y metodo‑
logia, Albacete (Espagne), Instituto de ciencias sociales aplicadas.

117
Méthodologie de l’intervention en travail social

–– évaluation des problèmes qu’il convient de classer avec la personne


concernée par ordre d’importance 15 ».
Cette élaboration du travailleur social amène à définir les objectifs de
changement et le projet d’intervention.

5.2. Caractéristiques de l’évaluation diagnostique


5.2.1. Une évaluation centrée sur la situation de la personne
L’évaluation diagnostique est une démarche opérationnelle : elle aboutit
à un projet d’intervention ; ce n’est pas un but en soi, c’est un outil pour
mieux travailler. Pour que l’évaluation diagnostique soit utilisable en vue
de l’action, elle doit être centrée sur les obstacles à surmonter dès le premier
contact avec la personne, qu’il s’agisse d’une demande de l’usager, de l’exé-
cution d’un mandat légal ou institutionnel, ou d’un service proposé par le
travailleur social.
Si l’évaluation n’est pas ainsi centrée, on risque fort de se trouver long-
temps paralysé par la recherche de données de la situation : une investiga-
tion « tous azimuts » de la situation et des personnes en cause nous donnera
une connaissance importante, parfois très vaste, mais pas nécessairement
utile car nous serons vite noyés et nous risquons aussi de perdre de vue ce
pour quoi on intervient.
« Cette collecte des données doit être traitée de telle sorte qu’elle débouche sur
une formulation des problèmes. Dans le cas contraire, le risque est grand d’abou-
tir à une accumulation d’informations dont on ne saura que faire, par la suite,
pour passer au stade des décisions 16. »
Centrer l’évaluation diagnostique sur les questions à résoudre n’empêche
pas le travailleur social d’élargir et d’approfondir son appréciation de la
situation, bien au contraire.

5.2.2. Un processus continu, dynamique et toujours provisoire


La vie d’une personne, d’un groupe, dans un contexte donné, est en per-
pétuel changement et devenir. Rien n’est plus complexe et plus mouvant. C’est
sur cette réalité que s’inscrit le processus d’évaluation diagnostique, et, comme
elle, l’évaluation effectuée par le travailleur social change, évolue, se redéfinit
à chaque étape, à chaque rencontre, à la lumière de chaque fait nouveau. C’est
cette dynamique perpétuelle, saisissable aisément dans la pratique quoti-
dienne, qui est si difficile à transmettre, à écrire, à expliciter 17.

15. Conseil supérieur du travail social, L’intervention sociale d’aide à la personne, op. cit.
16. Le Boterf G. (1977), « Réflexion sur l’évaluation et le diagnostic des systèmes éduca-
tifs », Pour, n° 55, « L’évaluation, questionnement et pratique », mai-juin.
17. Avril A.-M., Rouchy J.-C. (1976), « Réflexions sur l’évaluation dans la pratique
sociale », entretien avec Françoise Boudard, Connexion, n° 20, Paris.

118
L’évaluation diagnostique

De par la mouvance dans laquelle elle s’inscrit, l’évaluation diagnostique


est nécessairement toujours provisoire, toujours soumise à révision lorsque
de nouveaux faits viennent éclairer d’un jour différent une situation qu’on
croyait avoir comprise 18. Face à l’usager, le travailleur social n’a jamais fini
de comprendre « une bonne fois pour toutes » : cette personne dont la
demande était exprimée avec force, dont la motivation pour œuvrer au
changement de sa situation semblait mobilisatrice, se présente à la troisième
rencontre sous un jour différent. Déprimée, légèrement agressive, elle refuse
de parler sur le sujet abordé précédemment. Que s’est-il passé ? Quelle nou-
velle hypothèse nous permettra d’intervenir sur cette réalité qui n’est plus
la même que la fois précédente ?
C’est dans ce changement dynamique que s’inscrit la nécessité pour le
travailleur social de revoir son évaluation diagnostique de la situation après
chaque rencontre, que ce soit un entretien avec une personne ou une réu-
nion avec un groupe. La révision constante de son appréciation permet
d’ajuster l’intervention suivante aux faits significatifs retenus lors de l’inter-
vention qui vient de s’écouler, elle permet aussi de percevoir le lien de
continuité entre des actes différents (entretiens, lettres, démarches, appels
téléphoniques, visites à domicile).

5.2.3. Une démarche subjective du travailleur social


Dans le processus toujours renouvelé de l’évaluation, le travailleur social
tente donc de comprendre. Cette compréhension se situe à deux niveaux :
un premier niveau intellectuel et un second niveau affectif.
La compréhension intellectuelle de la personne et de sa situation consiste
à classer les faits recueillis, à mettre en rapport les données éparses de la
situation ; à faire des liens ; à exploiter les connaissances puisées dans les
sciences humaines et sociales pour éclairer et rendre significatifs les élé-
ments de la situation et des personnes ; à mettre à profit les connaissances
des institutions, de la législation, du secteur géographique ou de la popula-
tion concernée qui permettent de recadrer une situation particulière dans
un ensemble social plus global. En un mot : reconstituer le puzzle de façon
qu’il devienne signifiant, explicatif, compréhensible dans ses facettes mul-
tiformes et parfois contradictoires.
Cette compréhension intellectuelle passe nécessairement par le tri que
fait le travailleur social, aucune généralisation n’est alors permise. Chaque
travailleur social aura, à ce niveau, une démarche propre et unique. Même au
niveau des faits, chaque travailleur social en fera probablement une sélec-
tion différente. Les connaissances, que les uns et les autres feront intervenir,

18. Du Four-Mallet L. (1971), « Processus d’élaboration du bilan psychosocial », commu-


nication faite les 22‑23 novembre 1971, Fédération des services sociaux de protection de
l’enfance, La Revue française de service social, n° 92, 4e trimestre.

119
Méthodologie de l’intervention en travail social

auront des accents divers selon les attachements à des références théoriques
diverses, selon la compétence dans tel ou tel domaine, selon les intérêts
particuliers et selon la propre conception du travail social.
Si la compréhension intellectuelle de la personne et de sa situation est
tellement empreinte de subjectivité, que dire alors de la compréhension
affective, celle qui passe par les sentiments, par les affects. La compréhen-
sion affective est celle qui met en jeu la capacité d’empathie du travailleur
social ; c’est-à-dire sa capacité à se mettre à la place de l’autre et à éprouver
comment, lui, il ressent sa situation, tout en restant extérieur à la situation
elle-même.
« C’est cette démarche empathique qui me fait comprendre que la jeune femme
que j’ai devant moi a peur que, moi aussi, je la considère comme une mère
indigne car elle a laissé sa petite fille chez une voisine et est partie après une
grave dispute conjugale. Elle ressent une culpabilité si grande qu’elle a perdu
tous ses moyens, ne sait plus comment s’occuper de sa petite et doute fortement
de ses capacités en tant que femme et mère ; elle est paralysée dans sa relation
avec son mari, rejetée par sa belle-famille, et déconcertée devant sa fillette. Bref,
je la sens en souffrance, perdue, inquiète et angoissée. Tout cela, je le comprends
sans pouvoir dire à partir de quoi, sans pouvoir énumérer les faits, sans pouvoir
retracer ce qui m’amène à agir à partir de cette compréhension, je le ressens, elle
me le transmet par ses gestes, ses paroles, l’intonation de sa voix. »

Cette compréhension affective est bien là, elle existe et elle permet de
bâtir rapidement des hypothèses de travail. Et évidemment, cette compré-
hension ne passe que par le travailleur social lui-même. La capacité d’empa-
thie, les informations sur les sentiments de la personne qu’elle nous donne
sont avant tout subjectives, liées étroitement à ce que nous sommes, telle-
ment différents les uns des autres, et néanmoins tellement semblables.

5.2.4. Une démarche éthique


Non seulement l’évaluation diagnostique passe par la subjectivité du
travailleur social et dans ce sens aucune évaluation ne sera identique à une
autre, mais, en outre, elle passe aussi par les valeurs éthiques auxquelles ce
travailleur social-là se réfère, c’est-à-dire les normes, valeurs et conceptions
auxquelles il croit et auxquelles il essaie de conformer ses actions.
Les situations sont appréciées à la lumière des convictions et valeurs
auxquelles le travailleur social se rattache : les normes éducatives concer-
nant les enfants, l’accès aux droits, les étrangers et les groupes de culture
minoritaire, les personnes en voie d’exclusion, le chômage, la répartition
des rôles masculin et féminin…
Il faut ajouter que la conception éthique du travailleur social est inter-
dépendante d’avec l’idéologie dominante d’une société donnée à un moment
historique donné. Elle n’est pas nécessairement identique, mais elle subit la
fluctuation des valeurs sociales, et quand les valeurs de la société dominante
basculent, changent, s’aménagent, les travailleurs sociaux sont autant

120
L’évaluation diagnostique

influencés que les autres par ces changements, sinon davantage. D’autre
part, en France, parmi les professions sociales, ce sont les assistants de
service social qui se sont collectivement dotés d’un code de déontologie qui
représente les règles éthiques auxquelles les membres de la profession
doivent se conformer. Ce code élaboré par l’Association nationale des assis-
tants de service social (ANAS) adopté en 1950 a subi plusieurs mises à jour
dont la dernière en 1994 19.
De l’évaluation diagnostique qu’un travailleur social fait de la situation
de l’usager dépend le type d’intervention qu’il mènera. Dire que l’évaluation
diagnostique est un processus subjectif et idéologique, c’est aussi dire que
le choix des interventions à mener l’est aussi. La reconnaissance explicite
de ces caractéristiques n’a, à notre avis, rien de condamnable. Au contraire,
la mise en lumière du caractère subjectif et éthique de l’évaluation diagnos-
tique permet le questionnement sur les valeurs et les idéologies sous-
jacentes, permet l’explicitation et la reconnaissance de celles-ci comme
différentes de ceux des autres (usagers, collègues), permet finalement la
reconnaissance du droit des autres d’être, de penser et d’agir différemment
de nous. « L’évaluation, par ce qu’elle atteste, met à jour son biais idéolo-
gique inévitable, permet le mieux de travailler sur ce questionnement de
l’idéologie et des valeurs 20. »

5.2.5. Une évaluation partagée avec la personne


Si l’évaluation diagnostique nous permet d’énoncer des hypothèses de
travail, celles-ci, par définition, se confirment ou s’infirment, elles restent
toujours à vérifier. Notre compréhension de la situation et les hypothèses
qui en découlent ne peuvent être confirmées ou infirmées que par la per-
sonne elle-même. En effet, elle est la seule à avoir en main tous les tenants
et les aboutissants de sa situation. Cette confirmation ou infirmation par
l’usager peut s’obtenir soit par la confrontation aux faits et à l’évolution
future de la situation, soit par le partage de notre évaluation diagnostique
avec lui. L’hypothèse est souvent confirmée par les faits ultérieurs.
Le partage de l’évaluation diagnostique avec la personne peut prendre
aussi d’autres caractéristiques : nous essayons parfois d’obtenir une confir-
mation de nos hypothèses, d’autres fois, nous tentons d’amener l’usager à
approfondir sa propre compréhension des faits, mais la plupart du temps
nous faisons les deux.
Le partage de l’évaluation diagnostique n’est ni facile ni toujours pos-
sible. Lorsque l’évaluation est appuyée sur des faits irréfutables, et qu’elle
restitue et retrace la dynamique sociale et relationnelle dans laquelle la

19. ANAS, Code de déontologie, www.anas.fr.


20. Ardoino J. (1977), « À propos du sens », Pour, n° 56, « L’évaluation stratégies et pro-
blématiques », septembre-octobre.

121
Méthodologie de l’intervention en travail social

personne se trouve, elle peut être partagée avec les intéressés eux-mêmes
sans difficulté. Cela devient particulièrement possible lorsque le travailleur
social est mobilisé par le désir de comprendre et lorsqu’il est disposé à revoir
et à corriger son appréciation de la situation en fonction de ce partage.
« Mme M. prépare avec moi le retour prochain de son fils (12 ans) au foyer ; cet
enfant est placé depuis 8 ans et visite régulièrement sa mère. Celle-ci vit mari-
talement depuis 6 ans, le couple a un petit garçon de 2 ans. Au fur et à mesure
que le retour s’approche et ensuite lorsqu’il devient une réalité quotidienne, la
relation conjugale de Mme M. avec son compagnon semble se détériorer : plaintes
mutuelles, exposé de plus en plus fréquent des divergences du couple quant à
l’éducation des enfants. Mme M. exprime le désir que son ami parte, et d’organiser
sa vie seule avec ses enfants. Je fais l’hypothèse que le retour de l’enfant pro-
voque une forte rivalité entre le concubin et le fils de Mme M. et que celle-ci tend
à déplacer son affection de son ami vers son enfant. Je partage cette hypothèse
avec Mme M, et de cet échange il ressort que Mme M. pense que la rivalité entre
son fils et son compagnon est très réelle, elle a bien du mal parfois à accepter
les exigences de l’un et de l’autre ; mais elle apporte aussi de nouveaux éléments
quant à sa relation conjugale, qui infirment partiellement l’hypothèse, à savoir :
sa relation avec son ami n’est pas satisfaisante depuis des années, les propos
désobligeants, cris et coups à son égard durent depuis longtemps, elle ne pense
pas que le retour de son fils ait un lien avec la détérioration de son ménage. »

Cet exemple, même schématique, montre néanmoins que les hypothèses


de travail doivent nécessairement être confrontées soit aux faits ultérieurs,
soit à la perception qu’a la personne de sa situation. Cette démarche de
vérification de notre évaluation diagnostique auprès des principaux inté-
ressés est la seule garantie que nous ayons d’être sur la bonne voie dans la
compréhension de leur situation.

5.3. Différents types d’évaluation diagnostique


Nous présentons ici deux classifications d’évaluation diagnostique : dans
la première les différents types d’évaluation sont établis selon le contenu de
celle-ci ; dans la seconde selon le moment du déroulement dans le temps.

5.3.1. La classification selon le contenu


Helen Perlman dans son livre, L’aide psychosociale interpersonnelle,
établit trois types d’évaluation diagnostique (qu’elle appelle diagnostic),
d’après les axes de contenu de celle-ci : l’évaluation dynamique, l’évaluation
clinique et l’évaluation étiologique.
Le diagnostic dynamique est centré sur la dynamique du présent, c’est-
à-dire sur les forces qui entrent activement en jeu dans le complexe per-
sonne/problème/situation. Ce diagnostic « cherche à établir de quelle
difficulté il s’agit, quels facteurs psychologiques, physiques ou sociaux
contribuent à la créer (ou la provoquent), quelle répercussion elle a sur le

122
L’évaluation diagnostique

bien-être de l’individu (et celui des autres), quelle solution est recherchée,
quels moyens existent au niveau du client, dans sa situation, quels orga-
nismes et quelles ressources peuvent influer sur le problème 21 ».
Le diagnostic clinique est centré sur le fonctionnement psychique d’une
personne et, pour l’auteur, revient au psychiatre. Il s’agit d’identifier les
troubles de personnalité et de définir la nature de la maladie dont elle
souffre.
Le diagnostic étiologique est centrée sur les causes des difficultés
actuelles, et cherche dans l’histoire de la personne non pas les causes immé-
diates et récentes, mais celles éloignées appartenant au passé.
« Se rapporte […] plus souvent au début et à l’histoire vécue d’un problème,
d’ordinaire au problème qui réside dans la structure et la personnalité du
client 22. »

5.3.2. La classification selon le déroulement dans le temps


Un autre auteur, Robert Vinter, propose dans son livre sur le service
social de groupe 23 une classification des différents types d’évaluation dia-
gnostique – que lui aussi appelle diagnostic – selon le moment du processus
d’action. L’auteur différencie une première évaluation diagnostique immé-
diate, rapide, faite dès la première prise de contact avec l’usager et qu’il
appelle diagnostic préliminaire. Vient ensuite une évaluation plus fine et
approfondie qui tient compte d’un nombre plus important d’éléments de
l’étude de situation, et qui aboutit à l’énoncé d’hypothèses de travail et à un
projet d’intervention, c’est le diagnostic opérationnel. Et finalement, en
cours et à la fin de l’action, l’évaluation proprement dite qui consiste à
mesurer les changements qui se sont produits et que nous nous appellerons
évaluation des résultats (périodique ou finale).
Nous inspirant de cette classification, essayons de dégager ce qui relève
de ces différents moments d’évaluation.
L’évaluation diagnostique préliminaire est la première appréciation faite
au sujet de la personne et de sa situation. Une toute première réponse – un
peu intuitive, encore fort empreinte « d’impressions » plutôt que de faits – à
la question : « de quoi s’agit-il ? Quelle est la situation de cette personne ? »
Une première réponse aussi aux questions : « Qui est cette personne (famille,
groupe) ? Comment réagit-elle et vit-elle sa situation ? Quelles sont ses
motivations pour changer ? »
Cette évaluation diagnostique préliminaire est nécessairement super­ficielle
et rapide, mélange de sentiments indéfinissables et de « flair professionnel ».

21. Perlman H., L’aide psychosociale interpersonnelle, op. cit.


22. Idem.
23. Vinter R. (1967), Readings in Group Work Practice, Michigan, Campus Publishers
Ann Arbor, (traduction en espagnol, Buenos Aires, Humanitas, 1969).

123
Méthodologie de l’intervention en travail social

Elle doit cependant aboutir à répondre à une question essentielle :


« L’organisme que je représente, dont je dépends, est-il compétent pour entre-
prendre le travail nécessaire afin de modifier la situation ? »
L’objectif, donc, de l’évaluation diagnostique préliminaire est d’aboutir
à une décision concernant l’accompagnement ; éventuellement d’adresser
la personne à l’institution compétente si elle a frappé à la mauvaise porte,
et de lui faciliter le premier contact avec l’autre institution si cette démarche
de la part du travailleur social semble souhaitable.
L’évaluation diagnostique opérationnelle est comme son nom l’indique
celle qui sera utilisable pour spécifier des objectifs et bâtir un projet d’inter-
vention. Elle a lieu au fur et à mesure que se déroulent les premiers contacts
et les premières actions. Elle représente l’effort de compréhension du tra-
vailleur social et synthétise ce qu’il connaît de la situation de l’usager (pro-
blèmes affrontés, origine des difficultés, histoire récente, faits déclenchant),
ce qu’il connaît de la ou des personnes impliquées, motivations et désirs de
changement, ressources personnelles, familiales ou autres (tant au niveau
matériel qu’affectif), forces et dynamismes en présence.
Cette évaluation diagnostique opérationnelle nécessite d’avoir fait « le
tour de la question » avec la personne ; on peut dire qu’elle a lieu après
l’analyse de la situation. Il arrive un moment où le travailleur social sent
qu’il a tous les éléments en main, il est alors temps de se pencher sur l’éva-
luation diagnostique et de l’écrire. Cependant, l’évaluation opérationnelle
se construit au fur et à mesure de l’action et se continue même après la
rédaction écrite consignée dans le dossier. Elle est révisée et ajustée chaque
fois que des faits nouveaux interviennent et modifient la situation.
Malgré cette mouvance dans le temps et cette dynamique, il est néces-
saire de spécifier les objectifs de changement à atteindre et le projet d’inter-
vention sociale, assez rapidement. Car seule la définition de ceux-ci nous
permettra de mener une action indicative d’une direction précise, et ainsi
de pouvoir procéder à l’évaluation des résultats.
L’évaluation des résultats 24 nous permet de faire le point, de mesurer les
changements qui se sont produits et les buts atteints en partant de la
demande de la personne ou des problèmes à résoudre. L’évaluation des
résultats « devrait constituer un automatisme professionnel qui serait à la
fois un garant de protection pour le client et un garant de développement
pour le travailleur social 25 ».
Échelonnée dans le temps, permettant de retracer les étapes parcourues et
celles qui restent à parcourir et vers lesquelles il est nécessaire de cheminer,
l’évaluation des résultats périodique nous mène vers la fin de l’intervention

24. Voir le chapitre 10 : « L’évaluation des résultats de l’intervention ».


25. Du Ranquet M. (1975), Nouvelles perspectives en « case-work », Toulouse, Privat, coll.
« Nouvelle recherche », p. 40.

124
L’évaluation diagnostique

et aboutit à l’évaluation finale. Elle permet à chaque travailleur social d’exa-


miner son intervention auprès des personnes et des groupes, d’ajuster et de
modifier son projet d’action en fonction des changements survenus dans la
période précédente.

5.4. Le contenu de l’évaluation diagnostique


Le contenu de l’évaluation diagnostique diffère selon les circonstances. Il
est parfois difficile de trouver des points communs entre deux évaluations
diagnostiques d’une même situation sociale. Ce fait, bien que déroutant au
premier abord, n’est pourtant pas étonnant si l’on tient compte des nom-
breuses variables qui entrent en ligne de compte.

5.4.1. Les variables


Certaines des variables qui ont une incidence directe sur le contenu
peuvent être énumérées comme suit : le service ou institution d’apparte-
nance du travailleur social ; la demande de la personne ou les questions à
résoudre ; la définition de qui est l’usager et les références théoriques et la
subjectivité du travailleur social 26.
Cette liste n’est pas exhaustive, et bien évidemment, ces variables sont
toutes plus ou moins entremêlées.
nnL’institution d’appartenance
Le contenu de l’évaluation diagnostique est modifié par la compétence
de l’institution sociale ; en effet, l’institution – ses missions, sa population
ressortissante, les ressources financières, matérielles et en personnel dont
elle dispose – est l’élément essentiel de l’évaluation diagnostique prélimi-
naire ; c’est à partir de ce moment que la décision de suivi ou d’orientation
vers un autre service sera engagée. Mais, par la suite, le contenu de l’éva-
luation diagnostique sera aussi modifié par les missions de l’institution.
Imaginons une assistante sociale polyvalente, dont l’employeur est le conseil
départemental, faisant l’évaluation diagnostique d’une famille, et une assis-
tante sociale spécialisée, dont l’employeur est le service de santé mentale
où est suivi le père de ladite famille, elle aussi faisant l’évaluation diagnos-
tique. Le contenu, l’accent porté, variera en fonction des missions de l’ins-
titution d’appartenance.
nnLa demande ou les questions à résoudre
Ils constituent aussi une autre variable au contenu de l’évaluation dia-
gnostique. Focalisée sur la demande ou le problème, l’évaluation diagnostique

26. Voir le chapitre 4 : « L’analyse de situation ».

125
Méthodologie de l’intervention en travail social

sera différente si la personne a été à l’initiative de la rencontre avec le travail-


leur social, si celui-ci intervient sur mandat légal (protection de l’enfance,
justice…), s’il va vers la personne ou s’il fait une proposition de service à une
population donnée (ex : proposition de réunions régulières aux personnes
âgées isolées du secteur, en vue de la création d’un club du troisième âge). Le
point de départ, quel qu’il soit, restera le point central autour duquel se bâtit
l’évaluation diagnostique.
nnLa définition de l’usager
Cette définition précise aussi le niveau de réalité sociale que l’action va
essayer de transformer : Va-t‑on s’adresser à une personne, et laquelle ?
S’adresse-t‑on à un groupe familial dans son ensemble ? À un groupe de
personnes ayant des problèmes et/ou des intérêts communs ?
La définition de l’usager est, en partie, fonction des deux variables pré-
cédentes, l’institution et la demande ou la situation à changer. Mais le choix
du travailleur social lui-même intervient aussi pour une grande partie :
va-t‑on travailler avec chacune des trois femmes, mères de famille, qui nous
ont sollicités pour aborder les questions de logement qui se posent à elles ?
Va-t‑on choisir d’associer à cette action tout le groupe familial, ou au moins
les conjoints, et travailler avec le couple parental ? Ou encore, va-t‑on, à
partir de ces trois femmes, favoriser la prise de contact et l’organisation de
groupes de personnes intéressées sur le quartier afin de chercher ensemble
des moyens de modifier leur situation ? Les trois niveaux d’intervention
sont pertinents, un travailleur social peut les utiliser de façon successive ou
simultanée, ou encore ne choisir que l’un d’entre eux.
Son choix dépend de l’évaluation qu’il fait de la situation, et l’évaluation
diagnostique qui s’ensuivra va dépendre du choix qu’il aura fait quant à qui
il s’adresse.
nnLes références théoriques
Selon les époques, les travailleurs sociaux ont oscillé entre deux courants
théoriques : tout d’abord celui centré sur le milieu et sur tout le contexte de
vie extérieur à la personne. Ce courant donnait priorité aux aspects tels que
logement, hygiène, niveau d’instruction, travail, ressources matérielles,
confort, organisation ménagère…, et l’action du travailleur social se centrait
activement sur la modification du milieu de vie des personnes. Vint ensuite
le courant qui se centrait sur la personne et tout ce qui lui était spécifique :
son passé, ses sentiments face à la situation, ses capacités de mobilisation
et de dynamisme, sa personnalité… L’action des travailleurs sociaux visait
alors à modifier et à dynamiser cette réalité interne.
Depuis déjà quelques années, il s’agit de prendre en compte non plus ces
courants dialectiquement opposés, mais plutôt leur synthèse, c’est-à-dire,
l’interrelation dynamique entre le milieu social (externe) et la (ou les) personne(s)
(interne).

126
L’évaluation diagnostique

Ces différents courants, ainsi que des références plus explicites aux
sources théoriques de certaines sciences humaines (psychanalyse, théorie
des systèmes, sociologie…) ont une influence sur le contenu de l’évaluation
diagnostique, sur la sélection des faits significatifs, sur l’appréciation de la
situation de la personne et sur le projet d’intervention du travailleur social.
nn Quelques repères pour bâtir une grille d’évaluation diagnostique
Cet essai de baliser la construction d’une grille se situe dans ce que nous
avons défini comme courant de synthèse et qui met en lumière l’interaction
dynamique entre la personne et son milieu. Notre démarche peut se rappro-
cher de ce qu’Helen Perlman appelle le diagnostic dynamique 27, centrée, donc,
sur la situation présente et son dynamisme. Par ailleurs, les repères que nous
proposons pour élaborer une grille d’évaluation diagnostique focalisent exclu-
sivement sur la réalité de la personne, et ils ne prennent pas en compte la
réalité propre du travailleur social (sa réalité institutionnelle, ses sentiments
face à la situation de l’usager, sa compétence professionnelle, sa disponibilité
à un moment donné, sa plus ou moins grande aisance dans le travail, sa
propre évolution et son changement au contact de la réalité de l’usager).
Nous proposons ici des repères pour bâtir une évaluation diagnostique
centrée sur quatre questions :
–– De quoi s’agit-il ?
Quelle est la situation-problème, la demande de la personne, le mandat
légal ou institutionnel ?
–– De qui s’agit-il ?
Qui est concerné, qui est l’usager ? Quelle est sa situation ? Quelles sont
ses capacités et possibilités ?
–– Quelles possibilités existent pour transformer la situation ?
Quelle est la dynamique interne et externe ? Quels sont les forces et
atouts en présence ? Quelle prévision peut être conçue ?
–– Comment s’y prendre ?
Que faire, quel type d’intervention choisir, quel plan d’action à court,
moyen et long termes adopter, quels objectifs de travail doit-on se fixer ?

nnDe quoi s’agit-il ?

• Situation – demande
–– Quel est le problème déclaré par la personne ? S’agit-il d’une demande
présentée par elle ? S’agit-il d’une intervention où la demande est absente :
signalement, mandat, proposition de service faite par le travailleur social ?

27. Voir le point 5.3.1. La classification selon le contenu, donné plus haut.

127
Méthodologie de l’intervention en travail social

–– Quels sont les souhaits de changement prioritaires pour l’usager ?


Lesquels sont définis par lui comme essentiels et urgents ?
–– Quels sont les problèmes prioritaires pour le travailleur social ? Les
priorités de la personne et celles du travailleur social coïncident-elles ? Ou
au contraire y a-t‑il une appréciation différente ?
–– S’agit-il de problèmes externes à la personne, à la famille, au groupe ?
De problèmes d’ordre social et/ou collectif, généraux, touchant tout un
secteur ou une catégorie de population ? L’appréciation du problème externe
est relative, elle nécessite la confrontation et la comparaison entre la situa-
tion de la personne et le contexte global dans lequel elle se situe : le chô-
mage d’un jeune dans un contexte de chômage, d’emploi précaire et de
licenciements massifs procède de circonstances externes, mais il peut être
un problème interne dans un contexte de plein-emploi et d’essor écono-
mique. Le logement insalubre dans un quartier de vieux immeubles surpeu-
plés est une condition externe, il peut être un problème interne lorsque les
normes du milieu sont considérées adéquates, mais que certaines familles
vivent dans des conditions déplorables du fait de leur propre inadéquation
à l’usage du logement (détériorations, surpeuplement).
–– S’agit-il de problèmes internes à la personne, à la famille, au groupe ?
Des problèmes d’ordre relationnel et/ou affectif, culturels, particuliers à cet
usager-là ? Des problèmes de relation conjugale, d’éducation des enfants,
de comportements addictifs (alcool, drogues), de conduites déviantes (pros-
titution, délinquance) ?
–– Quels sont les liens et les rapports entre la situation externe et interne,
liens de cause à effet, ou interaction des uns par rapport aux autres ?
• Situation
–– Quelle est la situation de l’usager (personne, famille, groupe) ? Quels
sont les faits significatifs de la situation par rapport au problème préalable-
ment défini ?
Ici, les « faits significatifs » sont d’ordre fort différent :
Les faits objectifs sont ceux qui peuvent être affirmés sans erreurs pos-
sibles : état civil, composition de la famille, âge et sexe, revenus mensuels,
travail, durée d’un placement, adresse et type de logement, etc.
Les faits objectivables sont ceux que le travailleur social peut constater
par son observation et son écoute de la personne, mais dont la signification
attribuée est subjective et donc sujette à caution.
Dans ce cas, la signification attribuée aux faits ne peut être qu’une hypo-
thèse, elle peut se confirmer ou non par la suite 28.

28. Voir aussi au sujet du choix et la sélection des faits significatifs le paragraphe 5.2.
ci-dessus sur les caractéristiques de l’évaluation.

128
L’évaluation diagnostique

Lors de l’évaluation diagnostique, le travail consiste à rendre le subjectif


objectivable, c’est-à-dire à reconnaître son caractère subjectif et à le rendre
explicite.
« Le dilemme classique entre subjectivité et objectivité peut être résolu par la
voie de l’objectivation. Il ne s’agit pas de vouloir rendre objectif le subjectif, mais
dans une démarche d’objectivation, de rendre ce subjectif communicable, objet
de connaissance qui n’appartienne plus seulement au sujet mais puisse être
partagé par d’autres, et par conséquent être opérationnalisé (c’est-à-dire trans-
formé en instrument de travail) 29. »

nnDe qui s’agit-il ?

• Personnes concernées
–– Quelles sont les personnes concernées par la situation ou la demande ?
S’agit-il d’une personne, d’une famille, d’une catégorie de population
(jeunes, handicapés, personnes âgées), d’un groupe de personnes ?
–– Si plusieurs personnes sont concernées, combien sont-elles ? Quelles
sont leurs caractéristiques, leur profil (âge, sexe, milieu professionnel,
niveau culturel et social) ?
Une assistante sociale polyvalente reçoit sur son secteur de multiples
demandes d’aide financière en provenance de femmes seules chargées de
famille. Il s’agit de dix mères, âgées entre 20 et 28 ans, dont huit sont des
familles monoparentales et deux divorcées ou en instance de divorce. Six
d’entre elles ont un seul enfant, trois ont deux enfants et une en a trois à
charge. Tous les enfants ont moins de 9 ans, six ont moins de 5 ans. Toutes
les femmes ont des revenus inférieurs à 800 € par mois sauf une qui est
cadre moyen dans une entreprise. Dans cet exemple, le professionnel allie
une analyse individuelle et des faits objectifs à une quantification plus
globale et collective de la population concernée.
• Vécu de la situation
–– Comment la ou les personnes vivent-elles leurs difficultés et leur situa-
tion ? Quels sentiments soulèvent chez elles ces conditions ? Quelle répercus-
sion affective a le problème en question ?
–– Comment est perçue l’intervention du travailleur social ? Quelle rela-
tion s’établit ? Quelle demande est faite ? Quels sont les attentes et désirs
par rapport au travailleur social ? Quels sont les sentiments soulevés par la
situation d’aide ou par la proposition d’un service ?
C’est à ce niveau qu’il est important de se rappeler que jamais deux
personnes ne réagiront de la même façon face à un problème similaire,
et qu’il ne suffit pas au travailleur social de se dire comment lui-même

29. Favard-Drillaud A.-M. (1991), L’évaluation clinique en action sociale, Toulouse, Érès.

129
Méthodologie de l’intervention en travail social

réagirait, mais bien de déterminer comment cette personne-là réagit et vit


sa situation 30.
• Motivation et mobilisation de la personne
–– Quel est le niveau de motivation de la personne pour changer sa situa-
tion (externe et interne) ? Quel est son désir de modifier ses difficultés ?
–– Quel investissement fait-elle (a-t‑elle déjà fait) pour modifier sa situa-
tion ? Comment s’est-elle mobilisée, qu’a-t‑elle fait comme essais avant de
trouver l’institution et le travailleur social ? Comment se mobilise-t‑elle au
cours, pendant et entre deux rencontres avec le travailleur social (démarches,
contacts, prises de renseignements, changements d’attitude) ?
–– Quel degré de malaise provoque en elle sa situation ?
–– Quel degré d’espoir a-t‑elle de voir sa situation changer et s’améliorer ?
C’est, en effet, cette appréciation du niveau de malaise et d’espoir qui
permettra au travailleur social de mesurer la motivation et la capacité de
l’usager à changer. Un problème qui ne provoque, pour l’usager, que peu de
malaise ne le mobilisera guère, la motivation pour changer sera peu dyna-
misée. Un niveau de malaise trop élevé risque en revanche de le paralyser
complètement, son désir de changer risque d’être remplacé par la résigna-
tion, l’abattement et le laisser-aller 31.
• Capacités de (des) l’usager(s)
–– Quelles sont les forces et les capacités de la personne pour faire face
au problème et agir vers le changement souhaité ? Quelles sont ses capacités
intellectuelles, physiques, affectives, culturelles 32 ?
–– Quelles sont les capacités pouvant être développées, quels sont les obs-
tacles et les freins qui constituent une barrière difficilement franchissable ?
Cette appréciation des forces et capacités est particulièrement importante
lorsqu’on travaille avec des populations très marginalisées, ou avec des
familles de migrants, là où les différences culturelles et de langue posent
souvent problème aux travailleurs sociaux. De même, lorsque le travailleur
social informe la personne de ses droits et des démarches à entreprendre,
il est souvent nécessaire de s’assurer qu’elle a la capacité de les accomplir.
Il est inutile de dire à quelqu’un de remplir un formulaire, s’il ne sait ni lire
ni écrire 33.

30. Voir 5.2. Caractéristiques de l’évaluation diagnostique, 5.2.3. Une démarche subjective
du travailleur social.
31. Du Ranquet M., Nouvelles perspectives en « case-work », op. cit., p. 116‑117.
32. Perlman H. H., L’aide psychosociale interpersonnelle, op. cit., chap. 12.
33. Ripple L. (1964), Motivation, Capacity and Opportunity, Chicago, The University of
Chicago Press.

130
L’évaluation diagnostique

nnLes possibilités pour transformer la situation

• Dynamique interne à la personne


–– Quelles sont les forces et les capacités de la personne mobilisables en
vue du changement ?
–– Quelles sont ses motivations pour entreprendre ce changement (voir
ci-dessus) ?
–– Quelles sont ses résistances, ses peurs, et quels sont les freins qui
risquent de limiter les possibilités de changement ?
• Dynamique externe à la personne
–– Quels sont les appuis, soutiens, conseils, aides, que la personne peut
trouver dans son entourage immédiat (conjoint, famille élargie, relations de
travail, amis, voisins, groupes auxquels elle appartient…) ?
–– Quels sont les freins et les résistances que la personne risque de trouver
au niveau de son entourage immédiat ?
• Ressources
–– Quelles sont les ressources légales auxquelles la personne peut faire
appel (faire valoir ses droits, droit civil et droit de la famille, droit du travail,
protection de l’enfance, législation sociale, couverture médicale…) ?
–– Quelles sont les ressources institutionnelles qui peuvent pourvoir des
ressources et des réponses utilisables dans la circonstance : institutions
sociales, médico-sociales, éducatives, de loisirs, du secteur géographique et
de l’institution employeur du travailleur social consulté ?
–– Quelles sont les ressources financières et matérielles disponibles et
mobilisables au bénéfice de la personne (minima sociaux, secours, alloca-
tions, vestiaire, distribution de repas…) ?
• Possibilités
–– Quelles sont les possibilités offertes à la personne par rapport à la situa-
tion qu’elle veut transformer, en tenant compte des rubriques antérieures ?
–– Quelle est l’occasion qui existe pour changer la situation en tenant
compte des problèmes sociaux globaux du milieu ou de la catégorie de
population ?
• Prévisions
–– Quelles prévisions de changement peut-on faire à partir des éléments
actuels de l’évaluation diagnostique ?
La synthèse des données, regroupées dans cette troisième rubrique de
l’évaluation des possibilités existantes, permet au travailleur social de se
projeter dans l’avenir et de formuler une prévision à court ou moyen terme.

131
Méthodologie de l’intervention en travail social

nnComment s’y prendre ?

–– Quels objectifs de changement se propose-t‑on d’atteindre ?


–– Quelle durée et quel rythme de travail va-t‑on proposer à l’usager ?
–– Quel type d’intervention choisira-t‑on d’utiliser ?
Il est évident qu’un travailleur social n’est pas en mesure de répondre à
tous les points proposés ici comme repères d’évaluation diagnostique dès le
début de son intervention auprès de la personne ou de la famille. Les repères
de contenu proposés ci-dessus sont à baliser au fur et à mesure de l’inter-
vention, chaque entretien – chaque réunion s’il s’agit d’un groupe – nous
apportera des éléments nouveaux qui vont modifier, ne serait-ce que très
légèrement, notre appréciation précédente. Au fur et à mesure de l’interven-
tion, les mêmes éléments d’évaluation diagnostique prendront une colora-
tion différente car ce qui, tout au début de notre contact avec la personne,
n’est qu’une impression un peu intuitive, sera plus tard étayé par des faits
et des circonstances nombreuses, et ainsi cette impression deviendra expli-
cative et favorisera la compréhension globale de la situation.
Plus tard, les explications et la compréhension vont encore changer, et
les évaluations successives des résultats, nous permettront de mesurer cette
évolution. Aucune grille, aucune liste de repères ne pourra fixer une bonne
fois pour toutes ce qui est mouvance et changement constant. La vie ne se
laisse pas emprisonner, ni arrêter dans son devenir, mais nous, en tant que
travailleurs sociaux, nous avons besoin d’outils, nous avons besoin de
jalons ; il nous faut dépasser le stade empirique. Nous devons affiner nos
instruments de travail, les élaborer, les confronter à l’expérience et à la
recherche, les mettre à l’épreuve, afin de développer des critères d’évaluation
diagnostique de plus en plus clairs et précis.
Nous devons proclamer et utiliser le caractère subjectif inhérent à toute
évaluation diagnostique, non pas pour essayer – inutilement d’ailleurs – de
bannir toute tentative d’évaluer une situation, mais, au contraire, pour
mettre en relief son caractère relatif, transitoire et changeant.
À notre avis, il nous reste encore beaucoup à faire dans l’élaboration de
critères d’évaluation diagnostique qui puissent être clairement observables
et transmissibles. Malgré cela, nous pouvons, dès maintenant, expliciter aux
personnes notre évaluation et nos propositions d’intervention, partager et
confronter avec elles les objectifs de changement que nous allons poursuivre
ensemble. Pour ce faire, le contrat avec la personne est un moyen privilégié
s’il est élaboré dans le respect de certaines conditions comme nous le ver-
rons dans le chapitre suivant.
Chapitre 6

Le contrat en travail social

Le contrat est une technique nommément utilisée en travail social depuis


la fin des années 1970. Toutefois, les principes qui fondent sa pratique sont,
eux, présents depuis les origines des professions sociales. En effet, le contrat
avec les usagers se construit sur une série de principes à la fois éthiques et
opérationnels :
–– la participation active des intéressés à la résolution de leurs problèmes ;
–– l’autodétermination des usagers, c’est-à-dire leur droit à choisir en
connaissance de cause, avec toutes les informations pertinentes ;
–– la reconnaissance des personnes en tant que sujets actifs et membres
à part entière d’une société, au sein de laquelle ils doivent trouver une place
où s’insérer en qualité de citoyens porteurs de droits fondamentaux dont la
société doit garantir l’exercice.
Le contrat, comme technique du travail social, est apparu aux États-Unis
et au Canada vers la fin des années 1960 et au début des années 1970.
À l’époque, en adoptant des nouvelles méthodes influencées par la théorie
des systèmes, les travailleurs sociaux ont expérimenté et utilisé cette tech-
nique de manière continue. Ainsi, l’intervention planifiée à court terme
consistait à élaborer un contrat entre l’usager et le travailleur social dès la
première rencontre. Cette intervention, comme son nom l’indique, préconi-
sait un travail intensif (une ou deux rencontres par semaine) de courte durée
globale (deux mois environ). Cette délimitation dans le temps avait pour but
de mobiliser activement les ressources internes et externes de la personne
afin d’obtenir des changements rapides dans sa situation 1. L’intervention à
court terme a surgi dans une période de recherche de nouvelles formes

1. Odette Laviolette et Adrienne Rey (1970), « Intervention clinique à court terme – Une


expérience à la société de service social aux familles », Interventions, n° 29.

133
Méthodologie de l’intervention en travail social

d’aide en travail social et en opposition au suivi de personnes ou familles


qui pouvait durer des années sans résultats mesurables.
En France, le contrat s’est frayé une voie dans la méthodologie profes-
sionnelle de manière progressive et continue. Les premières expériences
d’utilisation ont été diffusées par Aide à toute détresse 2 (ATD Quart Monde)
en 1977. Cette association utilisait systématiquement un contrat écrit avec
les familles relogées temporairement en cité de promotion familiale. Ces
contrats, d’une durée de six mois, étaient renouvelables et les termes pou-
vaient être modifiés 3.
Depuis, l’utilisation du contrat s’est multipliée dans différents services,
soit de manière ponctuelle et expérimentale, soit de manière plus institu-
tionnalisée. Les différents dispositifs d’action sociale prévoyant la passation
obligatoire d’un contrat avec l’usager ont grandement influencé la pratique
du travail social créant des nouvelles possibilités, mais aussi des effets
pervers dénaturant l’esprit même de l’acte contractuel, comme nous l’abor-
derons plus loin.
La technique du contrat s’est ainsi généralisée et répandue ; celui-ci fait
partie de la « boîte à outils » des professionnels.

6.1. Définition des termes


Mais, qu’est-ce qu’un contrat ? Le mot provient du latin contractus (de
contrahere, « prendre engagement »), l’idée est celle de convention, pacte,
accord. Le point commun entre ces termes est l’idée d’entente, de transac-
tion. L’autre composant du sens du contrat, c’est son aspect de créateur
d’obligations. Ce qui fait l’unité de la notion de contrat, c’est qu’il corres-
pond à une action spécifique, à savoir l’accord de volontés, et qu’il est
destiné à créer des effets de droit.
Le titre III du Code civil (Des sources d’obligations) définit le contrat
(article 1101 et suivants) comme « l’accord de volontés entre deux ou plu-
sieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obli-
gations ». Le contrat a une signification juridique et économique, il s’agit
de transactions de biens ou d’argent, telles que le contrat de vente, le contrat
de travail, le contrat de bail.
Pour qu’un contrat soit valable au regard de la loi, il doit remplir cer-
taines conditions 4 :

2. Aujourd’hui cette association a gardé le sigle qui désormais signifie : « Agissons tous
pour la dignité ».
3. Bourreau B., ATD Quart Monde (1977), « Le contrat-projet : évaluation de l’action avec
les familles », TAS, n° 26, juin.
4. Code civil, titre III : « Des sources d’obligations », section II « La validité du contrat »,
articles 1128 et suivants.

134
Le contrat en travail social

–– consentement des parties, (art. 1129) les parties doivent être d’accord


et capables de contracter librement. L’erreur, la tromperie ou la violence sont
des vices au consentement et provoquent l’annulation du contrat ;
–– capacité de contracter, (art. 1145) toute personne physique peut contra­
cter, sauf en cas d’incapacité prévue par la loi, ne sont pas capables de
contracter les mineurs, les majeurs protégés, dans ces cas ils doivent être
représentés par une personne autorisée ;
–– contenu du contrat, (art. 1162) le contrat ne peut déroger à l’ordre
public ni par ses stipulations, ni par son but, la chose sur laquelle les parties
s’obligent doit être déterminée, possible et licite.
En travail social le contrat constitue un accord entre trois parties : l’ins-
titution d’action sociale, le travailleur social et l’usager. Cet accord s’inscrit
dans un processus méthodologique qui comporte différentes étapes :
la phase initiale débute par la prise de contact avec la personne, la phase
finale par la clôture de l’intervention 5. Au cours de ce processus, le contrat
s’élabore après la phase d’évaluation diagnostique, c’est le moment de la
confrontation et de la négociation des projets en présence afin de construire
un projet commun sur une base d’accord réciproque.
Le contrat est un outil, un moyen, en aucun cas il s’agit d’une fin en soi.
C’est un moyen d’aide et il ne peut s’établir que dans le cadre d’une relation
confiante et chaleureuse, car sans confiance, sans accord, point de contrat,
point de relation d’aide. L’aide forcée ou imposée est perçue par la personne
comme une intrusion, comme une humiliation, elle devient alors totalement
inefficace.
Le contrat entre le travailleur social et l’usager stipule leur accord quant
aux objectifs à atteindre, à la formulation des attentes réciproques ainsi que
le temps, le lieu, la fréquence des rencontres. Il s’agit donc d’une formali-
sation précise et explicite de ce qui va être entrepris ensemble, la formula-
tion d’un accord commun. Lors d’un congrès de l’Association nationale des
assistants sociaux 6, dans les travaux d’un des ateliers, le contrat a été associé
au terme « ACIER » :
–– Action
–– Concrète
–– Identifiée
–– Échéancée
–– Réaliste
Cette définition montre bien le caractère de force et de solidité attaché
au contrat.

5. Voir le chapitre 3 : « La méthodologie de l’intervention ».


6. ANAS (1993), Mandat, contrat, évaluation : quelle légitimité pour quel travail social,
48e congrès, Paris, ESF éditeur.

135
Méthodologie de l’intervention en travail social

6.2. Contexte institutionnel


Le travail social s’exerce dans un réseau de contrats interliés qui
s’obligent les uns les autres, un cadre contractuel gigogne où les différents
niveaux de contrat s’emboîtent comme des poupées russes.
Tout d’abord, l’action sociale se classe comme une institution de l’État.
Il est créé par ce dernier et soumis à une législation sociale complexe et
abondante. Les différents organismes sociaux, publics ou privés, s’orga-
nisent en référence à ce cadre législatif et réglementaire. Et, en fait, on ne
passe pas contrat avec l’État ou la loi : on est soumis à un système d’obli-
gations et de services.
« Car le propre de la loi, du législatif, c’est de n’être pas concertée, comme les
contrats, avec les intéressés eux-mêmes, mais seulement par l’intermédiaire d’une
délégation de pouvoir. La méthode législative est donc caractérisée par le fait
que la règle n’est pas fixée par une concertation entre les deux parties en pré-
sence, mais l’émanation de l’une des deux parties 7. »

Les organismes sociaux sont donc soumis à des dispositifs législatifs leur
spécifiant leurs missions et, le plus souvent, pourvoyant au financement
pour les assurer.
Ensuite, le travailleur social lui-même est lié à son employeur par une
relation contractuelle, ce contrat est régi par la législation du travail.
Les travailleurs sociaux étant, presque tous, des salariés, ils sont soumis à
un contrat de travail et à la fois obligés et protégés par celui-ci.
Enfin, la personne accompagnée et le travailleur social vont établir un
contrat stipulant les objectifs et les moyens de leur projet commun. Il s’agit
de ce que M. Chauvière 8 appelle un « contrat d’intervention », c’est-à-dire
un contrat « au profit d’un usager ou d’un client particulier dit bénéficiaire
de la prestation ou du service offert ». Malgré ses apparences, ce contrat
n’est pas établi uniquement entre deux personnes. Dans tous les cas, le
travailleur social est investi par les missions et les services de l’institution
qui l’emploie et qu’il représente. D’ailleurs, les personnes ne s’y trompent
pas et c’est bien une assistante sociale de la Sécurité sociale ou du conseil
départemental, ou encore un éducateur du service d’aide sociale à l’enfance,
qu’ils viennent voir et non Mme ou M. X ou Y. Le contrat entre le travailleur
social et l’usager est ainsi toujours un contrat tripartite reliant l’institution,
le travailleur social et la personne.
Ce réseau contractuel devient encore plus complexe lorsque les disposi-
tifs d’action sociale prévoient l’établissement obligatoire d’un contrat.

7. Garaudy R. (1978), « Action sociale et mutation de société », Union sociale, revue


d’information et liaison des œuvres et des organismes privés sanitaires et sociaux, n° 282,
novembre.
8. Chauvière M. (1992), « Une culture du contrat », Informations sociales, n° 19.

136
Le contrat en travail social

Le dispositif phare de ce type a été le revenu minimum d’insertion (RMI)


suivi après par le revenu de solidarité active (RSA), mais bien d’autres ont
aussi légiféré dans ce sens, notamment dans le domaine de l’aide au loge-
ment, de l’hébergement, de la protection de l’enfance.
À l’époque, le dispositif du RMI avait été précédé de nombreux travaux,
concertations et échanges. Parmi les groupes de travail mis en place, celui
sur « le contrat avec les usagers » du ministère de la Solidarité, de la Santé
et de la Protection sociale 9 a effectué un travail approfondi qui resitue
bien le contrat avec l’usager dans le cadre d’une méthodologie profession-
nelle de travail social. Le contrat y était défini non pas comme une contre-
partie au revenu, mais bien comme un « engagement réciproque entre
l’allocataire du RMI et la collectivité locale 10 ». Parmi les principes de ce
contrat d’insertion, il y avait la volonté de mettre les personnes en situa-
tion d’acteurs et de rétablir un équilibre dans les rapports sociaux, ainsi,
« à l’opposé des politiques traditionnelles d’assistance, il donne du droit
aux allocataires (et plus seulement de la contrainte) et du devoir à la
collectivité (et pas seulement du pouvoir). Il concrétise la double démarche,
le lieu de rencontre, de contact entre une personne qui cherche à s’insérer
et un corps social constitué qui accueille, admet, rattache à lui cette
personne 11 ».
Malgré ses idéaux très louables, très rapidement, la mise en place s’est
heurtée à un nombre très important de demandeurs non connus des services
sociaux et à une carence de débouchés en termes d’emploi et de propositions
d’insertion. La gestion du dispositif a abouti à une standardisation du
contrat, avec une grille préétablie. Les exigences administratives indispen-
sables pour bénéficier des prestations sont devenues de plus en plus
­nombreuses et complexes. Elles ont notablement augmenté le travail admi-
nistratif dévolu aux travailleurs sociaux, au détriment d’une relation plus
suivie d’accompagnement des personnes. Ainsi, progressivement, le contrat
a perdu de sa force de dynamisation pour devenir une procédure bureau-
cratique nécessaire pour bénéficier de certaines prestations. Les contrats
sont ainsi devenus une fin en soi, des procédures administratives ou régle-
mentaires, vidées de contenu et de signification. Toute une série de détour-
nements et d’effets pervers se sont manifestés autour de cette obligation
contractuelle, au départ très porteuse d’espoir.
Comment en est-on arrivé là ? De manière progressive mais inébranlable,
un nouveau paradigme est venu orienter les politiques sociales qui sont ainsi

9. Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, Direction de l’action


sociale (1989), « Le contrat avec les usagers dans la pratique professionnelle des travailleurs
sociaux », document de réflexion, Paris, CREAI Île-de-France, janvier.
10. « Le contrat d’insertion », RMI, Bulletin d’information de la délégation interministé-
rielle au revenu minimum d’insertion, n° 15, octobre 1991.
11. Idem.

137
Méthodologie de l’intervention en travail social

passées de politiques de protection universelles, héritées des conquêtes


sociales de l’après-guerre, à des politiques sociales dites d’activation
s’­adressant à des publics spécifiques et orientées vers la mobilisation des res-
sources personnelles de chacun 12. C’est en 1946, à la sortie de la Deuxième
Guerre mondiale, que le préambule de la Constitution française (toujours
en vigueur) reprend les droits sociaux élaborés par le Conseil national de la
Résistance 13. Il s’agit de droits universels qui protègent toutes les personnes :
« La Nation assure à l’individu et la famille les conditions nécessaires à leur
développement. » Mais cette orientation s’est vue bouleversée à la fin du
xxe siècle avec le capitalisme mondialisé et postindustriel. La période de
croissance économique et de plein-emploi est remplacée par une restructu-
ration du marché international. C’est la fin des Trente Glorieuses et on
assiste à une détérioration constante du marché de l’emploi, l’augmentation
du chômage, du travail précaire et de la « désaffiliation 14 ». C’est dans ce
contexte socio-économique que l’on voit apparaître la nouvelle conception
de politiques sociales d’activation, c’est-à-dire, d’un côté, stimuler les com-
pétences des personnes et leur entourage et, de l’autre, mobiliser les res-
sources collectives de proximité.
Cette logique d’activation a ses avantages, mais aussi ses inconvénients.
Parmi les avantages, on relève le fait de reconnaître la position de citoyen
des personnes vulnérables ou en difficulté, la prise en compte de leurs
possibilités de participation et de mobilisation. Mais cela peut aussi être
perçu comme une double peine ; non seulement les personnes sont en situa-
tion de vulnérabilité, mais en plus elles portent la responsabilité de leur
situation dont les causes sont assimilées à un manque de mobilisation et à
un défaut d’adaptation de leur part. Le contrat est érigé en outil incontour-
nable de ces politiques, il devient le garant de l’engagement et de la mobi-
lisation des personnes, son utilisation se généralise avec souvent un contenu
préalablement défini, normalisé, bureaucratisé.
Le système conduit alors à une forme de stigmatisation symbolique et
à une exclusion des aides sociales. C’est d’ailleurs l’un des éléments qui
expliquent le nombre considérable de non-recours des personnes qui,
alors qu’elles remplissent les critères requis, ne font pas la demande des
prestations auxquelles elles pourraient avoir droit. Dans son rapport
« Refonder le rapport aux personnes », le Conseil supérieur du travail
social (CSTS) analyse finement la question et considère que « en 2014, le
taux de non-recours moyen à une prestation sociale est évalué à 40 % et

12. De Robertis C., « Francia : políticas sociales, evoluciones y debates, el ejemplo del
recurso de solidaridad activa (RSA) », in Pastor Seller E. (2017), Sistemas y políticas de bie‑
nestar. Una perspectiva internacional, Madrid, Dykinson.
13. « Les jours heureux ». Programme du Conseil national de la résistance adopté le 15 mars
1944. En ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_
Résistance.
14. Castel R. (1995), Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard.

138
Le contrat en travail social

celui du RSA activité à 68 % 15 ». Au contraire, en travail social, le contrat


avec l’usager est conçu comme un support dans un processus de recon-
quête, par la personne, d’une place et d’une existence sociale. Il ne peut
être considéré comme un aboutissement, mais comme une étape dans un
processus.
Il est intéressant de voir qu’une prise de conscience de ces dérives émerge
au plus haut niveau des institutions publiques. Ainsi, le rapport 2005 de
l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), du ministère de l’Emploi,
de la Cohésion sociale et du Logement prône dans ses recommandations le
retour à un contrat qui soit un « véritable outil d’intervention sociale au
service de l’usager ». Il explique qu’il est nécessaire de personnaliser réelle-
ment les contrats en incluant les éléments suivants :
– « un diagnostic de départ approfondi, pluridisciplinaire, partagé avec l’usager ;
– une réciprocité des engagements entre usagers et institutions ;
– des objectifs tenant compte des désirs de l’intéressé et fondés sur la détection
des capacités sur lesquelles bâtir, au moins autant que sur celle des manques à
combler ;
– un suivi dynamique, dont la périodicité est décidée en fonction de la situation
et du projet de chacun 16. »

De même, le rapport des États généraux du travail social (EGTS) de 2015,


intitulé « Place de l’usager », préconise de « repenser la contractualisation
au cœur de la relation entre le travailleur social et la personne aidée ;
redéfinir la notion de contrat réciproque ; prendre en compte la notion de
temps, du droit à l’erreur, de la contribution des personnes 17 ».
Ces travaux recadrent bien les conditions nécessaires pour que le contrat
en travail social garde son utilité et son opérationnalité dans la méthodo-
logie professionnelle.

6.3. Conditions et intérêt du contrat


Le contrat en travail social est un outil méthodologique de nature péda-
gogique. Il a pour objectif de faire émerger et de faire reconnaître, tant au
niveau individuel que collectif, la parole, la demande et le projet des usagers
dans un double but d’autonomisation et de socialisation. Il s’agit donc d’une

15. Conseil supérieur du travail social (2014), « Refonder le rapport aux personnes, “merci
de ne plus nous appeler usagers” », rapport, p. 33. En ligne : http://solidarites-sante.gouv.fr/
IMG/pdf/CAB_COM_RAPPORT_COMPLET_Merci_non_usagers.pdf.
16. Inspection générale des affaires sociales, ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale
et du Logement, « L’intervention sociale, un travail de proximité », rapport annuel 2005. En
ligne : www.ladocumentationfrancaise.fr.
17. États généraux du travail social (2015), « Place des usagers ». En ligne : http://
solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Placedesusagers.pdf.

139
Méthodologie de l’intervention en travail social

technique, dans le sens défini par Madeleine Grawitz  18, d’un moyen de
produire de l’aide adaptée à chaque situation. C’est la profession elle-même
qui réfléchit et organise ses méthodes et techniques.

6.3.1. Conditions nécessaires


Certaines conditions sont nécessaires pour que le contrat devienne un
véritable moyen pédagogique.
L’autodétermination est le droit de la personne à prendre des décisions
concernant sa vie.
« Le client accroît sa motivation, son engagement et le respect de lui-même
lorsqu’il assume la responsabilité de choisir parmi des alternatives et d’utiliser
ses propres capacités et ses propres ressources pour faire face aux tâches déter-
minées en commun 19. »

La participation de la personne « dans la prise de décision et la formu-


lation du contrat est fondée sur la reconnaissance que les personnes sont
spontanément des êtres actifs, combatifs et en recherche d’un mieux-être.
La personne active éprouve un sentiment d’accomplissement et de compé-
tence dans l’exécution de son rôle ». Le travailleur social est lui aussi un
participant actif, mais il s’agit d’une participation différenciée : le travailleur
social et la personne ont des rôles différents mais d’égale importance, il
s’agit pour tous les deux d’une participation active et engagée pour l’abou-
tissement du projet.
La négociation est la troisième condition à l’établissement du contrat.
Il ne s’agit pas de faire à la place, de décider pour, mais de négocier avec
les personnes et de définir ensemble un objectif, un plan, et d’en fixer les
modalités et les échéances. Cette démarche suppose une valorisation et
une reconnaissance de l’autre en tant que coproducteur du processus
d’aide.
La flexibilité du contrat est indispensable pour qu’il conserve son carac-
tère dynamisant et adapté aux circonstances. Il doit rester souple, car « si le
travailleur ou le client adhèrent d’une manière trop rigide à ses conditions,
ce qu’ils auraient tendance à faire dans le cas d’un contrat écrit, cela limite
son utilité, surtout lorsque la perception de la situation change chez le client
ou chez le travailleur social. Pour se garder de la rigidité, il faudrait prévoir

18. « La technique représente les étapes d’opérations limitées, liées à des éléments pra-
tiques, concrets, adaptés à un but défini, alors que la méthode est une conception intellec-
tuelle coordonnant un ensemble d’opérations, en général plusieurs techniques ». Grawitz M.
(1981), Méthodes des sciences sociales, Précis Dalloz, p. 349.
19. Cette citation et les deux qui la suivent dans les paragraphes qui succèdent sont
extraites de Maluccio A. N. et Marlow W. D. (1974), « Plaidoyer en faveur du contrat », Social
Work, vol. 19, n° 1, janvier, cité dans ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection
sociale, Direction de l’action sociale, ministère de la Solidarité, « Le contrat avec les usagers
dans la pratique professionnelle des travailleurs sociaux », op. cit.

140
Le contrat en travail social

des possibilités de reformulation ou de renégociation par consentement


mutuel au fur et à mesure que les circonstances changent, que des problèmes
sont résolus ou que l’objet de l’intervention est modifié ». Le contrat se doit
donc d’être révisable régulièrement.
La durée limitée dans le temps facilite grandement cette souplesse et cette
possibilité de révision. La durée du contrat doit s’adapter à la problématique
de la personne ou famille, il doit tenir compte de sa situation et de ses
capacités à se projeter dans le temps. Un contrat de plusieurs mois ou d’un
an n’a pas de sens pour une personne qui vit au jour le jour et qui n’a pas
de stabilité de vie ou de revenus. Si le temps est divisé et géré par des ren-
contres régulières avec des objectifs partiels, il est alors possible d’avancer
pas à pas dans leur réalisation.
Le processus de reconnaissance en œuvre permet aux personnes de
reconstruire leur identité et favorise leur sentiment de valorisation et d’auto-
estime. C’est ce processus d’aide qui vient conforter le contrat employé
comme un outil au service des personnes.

6.3.2. Intérêt et utilité du contrat


Quel est l’intérêt du contrat dans le processus d’aide ? Pour quelles rai-
sons formalise-t‑on ainsi la relation entre le travailleur social et l’usager ?
Qu’apporte le contrat à l’intervention en travail social, quelle est son utilité ?
À quoi sert-il ?
Tout d’abord, le contrat apporte une direction et focalise les activités du
travailleur social et de la personne sur des points précis préalablement
définis. Cette focalisation sur des objectifs à atteindre favorise la mobilisa-
tion en commun des énergies et apporte un sentiment de sécurité et de
confiance : on sait où on veut aller.
Ensuite, comme nous l’avons vu ci-dessus, le contrat implique la recon‑
naissance de l’intéressé comme responsable de sa vie, comme adulte capable.
Il réaffirme l’importance de la participation active de l’usager dans la réso-
lution de ses propres problèmes, le situe en tant qu’acteur, en tant que sujet
et non point seulement en tant que bénéficiaire de prestations. Il est ainsi
intimement associé au projet qui concerne son avenir et dont il reste le
principal maître d’œuvre, le principal protagoniste.
De plus, le contrat – du fait du travail de clarification qu’il implique –
aide à réduire les écarts entre les attentes de la personne et celles du travail-
leur social. Il facilite l’engagement sur des bases plus claires et réalistes.
Cette réduction des écarts et cette clarification des attentes ne changent en
rien la dissymétrie de position entre le travailleur social et la personne, car
le contrat ne rend pas la relation « égalitaire », il permet d’établir une rela-
tion sur des bases explicites sans toutefois effacer les rôles et pouvoirs
différents de chacun.

141
Méthodologie de l’intervention en travail social

Enfin, le contrat apporte une base d’évaluation des résultats et facilite la


mesure de la progression vers les objectifs définis. En effet, il n’y a pas
d’évaluation des résultats sans définition précise et préalable des buts à
atteindre, et du fait de cet accord explicite, le contrat fournit des repères
pour mesurer le chemin parcouru.

6.4. La construction du contrat


Le contrat est une étape dans le processus d’intervention il s’appuie sur
une relation déjà bâtie au cours des étapes précédentes. Il intervient après
une phase préliminaire de prise de contact, de rencontre, de compréhension
de la situation de la personne et de diagnostic de cette situation.
La construction du contrat nécessite un temps de négociation. Ce terme
désigne la recherche entre partenaires d’un accord concernant des points
précis. Cela n’implique pas forcément qu’il y ait des désaccords entre le
travailleur social et l’usager, mais plutôt que chacun fasse un apport propre
à l’élaboration commune, chacun se doit de rester ouvert et accessible aux
idées et aux propositions de l’autre. Il est donc question de reconnaître la
personne comme décideur et acteur, mais aussi de situer le travailleur social
comme participant actif et intéressé. L’idée de négociation renvoie à la
confrontation, à la prise en compte des intérêts, parfois divergents, des
protagonistes en présence. Cette idée renvoie aussi à celle de conflit et de
résolution des conflits par le biais de la discussion entre les parties. Quatre
points essentiels sont à distinguer :
–– la clarification des problèmes et des aspirations ;
–– l’établissement des objectifs communs ;
–– l’élaboration du plan de travail ;
–– la formalisation du contrat.
La clarification des problèmes et des aspirations implique de définir les
domaines où le changement est souhaité, de mettre en lumière leur imbri-
cation et de distinguer qui est à l’origine de l’énonciation du problème.
Ainsi, nous trouvons des problèmes reconnus socialement par les institu-
tions, perçus par le travailleur social, vécus par l’usager. Parfois, un pro-
blème sera défini de la même manière par chacun de ces trois, mais il se
peut aussi que des différences existent entre eux quant à la définition et à
l’importance accordée à une même situation.
La clarification des éléments à transformer permet aussi la confrontation
entre les désirs et les aspirations de l’usager et l’appréciation du travailleur
social. Si les souhaits de la personne sont peu réalistes ou irrationnels, ils
peuvent alors être estimés de manière plus en accord avec la réalité.

142
Le contrat en travail social

« L’incantation de projets illusoires traduit l’impuissance de la famille à habiter


sa propre vie. Il appartient au travailleur social d’entendre ces rêves impossibles
et de faire émerger la réalité d’un avenir proche et possible […], d’aider la per-
sonne ou la famille à passer de l’expression globale et statique d’un besoin, à la
perception de sa capacité limitée, mais réelle, d’agir 20. »

Ce processus de clarification conduira au choix d’un ou deux aspects sur


lesquels on focalisera l’intervention. Ce choix partiel permet de mobiliser
sur une question l’ensemble des énergies et des dynamismes sachant que
tout changement produit sur un point crucial du système entraînera inévi-
tablement la transformation et le mouvement des autres éléments de ce
même système, et/ou des systèmes limitrophes.
À partir de quels critères choisir tel ou tel des nombreux problèmes de
cette personne ou de cette famille ? Il y a deux références principales pour
orienter ce choix :
–– choisir celui qui motivera et mobilisera le plus les énergies de la per-
sonne, celui qu’elle considère comme urgent et vital ;
–– prendre en compte les capacités et ressources sur lesquelles on peut
compter, car l’important sera d’obtenir du succès à court terme. En effet, la
réussite est créatrice de dynamisme, le succès engendre une meilleure
confiance en soi-même et en ses capacités, il produit de nouvelles énergies
disponibles et renforce l’espoir.
L’établissement des objectifs communs se négocie une fois que la cible
du changement est définie et choisie. Il s’agit d’élaborer les objectifs de
modification, c’est-à-dire définir quels changements nous désirons produire
et quelle situation nous voulons obtenir avec ladite transformation.
La définition des objectifs n’est pas une tâche facile, surtout quand il
s’agit d’objectifs de travail opérationnels et partagés. Les objectifs généraux
de type « meilleur bien-être » ou « meilleure communication » sont inacces-
sibles et peu opératoires, ils ne traduisent pas de règles d’action et en général
ne reflètent que des bonnes intentions. Et on sait que l’enfer en est pavé !
C’est au travailleur social de conduire une clarification des objectifs à
atteindre en termes d’actions réalisables et spécifiques et en tenant compte
de l’évaluation des capacités de la personne et des ressources disponibles.
Si l’objectif professionnel du travailleur social est de placer la personne en
situation de réussite, d’éprouver du succès, même minime, le conduisant à
fortifier son auto-estime et sa confiance en lui-même, le choix des objectifs
de changement sera guidé par leur faisabilité, leur réalisme, leur adaptation
à la situation réelle de la personne et de son entourage.
Ces objectifs de changement, réalistes et réalisables, sont le point de
départ de nouvelles clarifications : explicitation des termes du contrat et

20. Ibidem, p. 32.

143
Méthodologie de l’intervention en travail social

identification des désaccords. En effet, pour les traduire en termes contrac-


tuels, il est important de vérifier la compréhension réelle de chacun. Il est
trop fréquent, hélas ! que chaque partie pense qu’elle comprend les termes
de l’accord alors que chacune comprend des choses différentes. Lorsque le
travailleur social n’explicite pas tous les objectifs qu’il poursuit, il doit
s’attendre à ce qu’ils parasitent ou apportent des distorsions dans sa relation
avec l’usager. Ces objectifs « cachés » ne seront probablement d’aucune aide
à la personne pour atteindre les siens propres ni pour réaliser son projet de
changement. À ce niveau, nous avons à faire le deuil de notre désir de
transformer la situation de la personne à son insu, car la conduire là où elle
ne veut pas aller est très improbable. En revanche, il est tout à fait possible
d’identifier les désaccords existants entre le travailleur social et la personne
du fait des points de vue différents liés à des valeurs ou à des appréciations
différentes de la situation. De même, ces désaccords peuvent surgir sur la
cible et les objectifs de changement à atteindre, sur les stratégies et le par-
tage des tâches.
L’élaboration du plan de travail fait suite à la définition des objectifs ; il
s’agit de dire concrètement ce qu’on va faire, comment on va procéder et
comment on va se répartir les tâches. L’élaboration du plan de travail se fait
à partir des décisions prises en commun, elle entraîne aussi la définition de
la structuration du travail dans le temps : durée totale du contrat, rythme
des rencontres, objectifs à long, moyen et court termes. Cette structuration
dans le temps, et la maîtrise qui en découle, est peut-être l’un des apports
les plus intéressants de cette technique.
La gestion du temps prévoit des durées globales et des durées intermé-
diaires compatibles avec la perception du temps de la personne. Trop sou-
vent, les bénéficiaires du travail social sont mobilisés par une organisation
journalière ; incapables de se projeter dans le temps, ils fonctionnent dans
l’immédiat, dans le présent. D’autres manient une programmation du temps
allant d’une semaine à un mois, la projection devient alors possible si elle
ne dépasse pas la réalité vécue et perçue par la personne ou la famille. Plus
rares sont ceux capables de tenir compte et de structurer les longues durées
(six mois et plus). « Un engagement de six mois n’a pas de sens pour une
personne obligée depuis longtemps à rechercher des expédients chaque jour.
Imaginer l’avenir n’est possible que si le temps est morcelé et balisé, d’où la
nécessité de négocier des rencontres régulières et fréquentes 21. »
La formalisation du contrat varie selon le type de pratique et le type de
clientèle des travailleurs sociaux. Le contrat plus formel se fait par écrit,
chaque partie le signe, un certain caractère solennel peut renforcer l’aspect
formel : signature devant témoins, ou durant une réunion officielle, ou
encore en présence d’un représentant du service. Chaque partie conserve

21. Ibidem, p. 34.

144
Le contrat en travail social

une copie signée par le co-contractant. Le contrat prévoit une date à laquelle
son contenu sera révisé et modifié si nécessaire. Cette forme de contrat écrit
et solennel a été utilisée avec succès avec des jeunes et avec des familles
marginalisées.
Le contrat oral est fréquemment utilisé. Il est moins formel, il accepte la
clarification nécessaire et permet une plus grande flexibilité. Il est plus facile
de le réviser et de le modifier si nécessaire. Cependant, avec le temps qui
passe, il a l’inconvénient de l’oubli fréquent ou de la transformation des
termes.
Parfois, une démarche de type contractuel, mais avec un degré très faible
de formalisation, est nécessaire. Cette démarche consiste à établir des objec-
tifs et à déterminer des actions à accomplir entre chaque entretien. D’une
rencontre à la suivante, le travailleur social verbalise un accord minimal,
de durée réduite et dont les termes sont repris à l’entrevue suivante. Cette
démarche, qui n’est pas véritablement un contrat, est particulièrement effi-
cace lorsqu’on travaille avec des personnes dont les carences matérielles et
culturelles obligent à vivre dans le présent, au jour le jour. Ces personnes
peuvent, à partir de cette démarche contractuelle très informelle et souple,
apprendre à s’organiser dans le temps et à imaginer un futur proche.

6.5. Contradictions et réflexions critiques


Comme toute technique, le contrat ouvre des possibilités d’intervention
intéressantes et en même temps présente certaines limites auxquelles il s’agit
de réfléchir et de surmonter si possible. Dans tous les cas, le contrat doit être
mis en œuvre en tenant compte des contradictions qui lui sont inhérentes.
Tout d’abord, le contrat met en valeur la responsabilité de la personne
sur sa propre vie celle-ci étant considérée comme un adulte capable d’auto-
nomie, de prendre les décisions qui la concernent. De ce fait, il introduit
entre le travailleur social et la personne une relation de type égalitaire. Or,
comme nous l’avons déjà mentionné, la relation entre travailleur social et
usager n’est pas égalitaire, chacun a un statut et une situation bien parti-
culiers : l’usager, du fait de ses besoins, de sa situation ou de sa souffrance,
n’est pas libre de refuser ou d’accepter l’aide proposée dans le contrat. Il est
souvent contraint d’accepter des termes dont il ne maîtrise pas toujours les
implications institutionnelles ni les obligations qui en découlent. Afin de
tenir compte de la position différente de chacun, il semble plus juste de dire
que le contrat permet l’établissement d’une relation professionnelle sur des
bases explicites et claires. Cette relation contractuelle n’efface pas les rôles
et fonctions des personnes en présence, néanmoins elle favorise la clarifi-
cation et reconnaît l’autonomie de chacun.
Une autre contradiction favorisée par le recours au contrat existe dans
la mobilisation conjointe du travailleur social et de l’usager. S’il est vrai que

145
Méthodologie de l’intervention en travail social

la démarche contractuelle encourage à agir, qu’elle établit un cadre précis


qui soutient la motivation et l’effort de changement, il est tout aussi vrai
que cela s’applique avec un franc succès lorsque le travailleur social travaille
avec des personnes ou des familles déjà fortement motivées qui savent ce
qu’elles en attendent et qui ont un projet de transformation de leur situation.
Or, il est bien moins évident que le contrat produise la même mobilisation
avec des personnes peu ou pas demandeuses d’aide, avec des familles pas-
sives ou qui refusent l’intervention du travailleur social.
Un des avantages du contrat est qu’il responsabilise la personne et
décourage la dépendance et la régression. Pourtant, la dépendance et la
régression sont souvent des phases de maturation nécessaires dans un pro-
cessus de croissance et d’accomplissement personnel. Le travailleur social
se doit de pouvoir les accepter sans forcément les encourager. Le contrat
s’avère un outil de responsabilisation et d’individualisation des personnes,
ce qui en soi n’est pas une mauvaise chose. Toutefois, la distance est courte
entre responsabilisation et culpabilisation.
Il ne s’agit pas pour les travailleurs sociaux de considérer les personnes
comme responsables de leur situation, et encore moins coupables. Or, dans
la période « d’injonction libérale 22 » que nous vivons, nous voyons peu à peu
s’effriter la responsabilité de la société à l’égard des personnes en difficulté,
les assurances et dispositifs collectifs qui les protègent s’amenuisent et sont
progressivement remplacés par la responsabilisation des personnes dans une
orientation de politiques sociales d’activation comme développé au para-
graphe précédent.
Le contrat est un bon support pour une « pédagogie de la réussite », car
il permet d’obtenir des succès rapides. Le choix d’objectifs partiels et réali-
sables à brève échéance renforce la confiance, développe les dynamismes
et restaure l’image de soi. Cependant, le risque existe, dans cette course au
succès, de tomber dans l’activisme (l’action pour l’action) et d’oublier le
respect du rythme de la personne, le cheminement parfois lent et zigzaguant
nécessaire pour assurer un changement.
Le contrat offre un cadre sécurisant au déroulement de l’intervention en
travail social : on sait où on va, les objectifs sont établis, on sait ce qu’on
va faire, on s’est mis d’accord sur les moyens et la répartition des tâches, on
peut focaliser son énergie sur des points précis, négociés, établis d’un com-
mun accord… Mais qui, de l’usager ou du travailleur social, est le plus
sécurisé des deux ? À force d’avoir un cadre précis et défini, ne risque-t‑on
pas d’être moins disponible pour « le reste », pour la communication d’autres
problèmes, d’autres sentiments, d’autres espoirs ? Le cadre sécurisant
n’agit-il pas comme un écran, comme un voile, et n’empêche-t‑il pas alors
que d’autres demandes s’expriment ou soient entendues ?

22. Vachon J. (2006), « L’action sociale face à l’injonction libérale », ASH Magazine,
n° 14, mars-avril.

146
Le contrat en travail social

Enfin, le contrat oblige à définir les buts poursuivis et les objectifs à


atteindre, de ce fait, il constitue un excellent repère pour mesurer le chemin
parcouru, pour évaluer les résultats de l’intervention. La démarche évalua-
tive est ainsi grandement facilitée. Cet outil de repérage ne présente que des
avantages tant qu’il s’agit de mesurer ou d’évaluer les acquis, les progrès,
les réussites ou, en cas d’échec, si les causes auxquelles on peut imputer le
revers sont extérieures au travailleur social et à la personne (lenteurs
bureaucratiques, dysfonctionnements institutionnels, carences de la légis-
lation sociale). Mais, si les causes de l’insuccès sont imputables soit au
travailleur social, soit à l’usager, qui doit porter la responsabilité de l’échec ?
Doit-on aussi partager cette responsabilité-là ? Doit-on faire de la personne
un co-responsable du revers de l’action entreprise ? Le travailleur social
doit-il porter seul cette responsabilité et éviter ainsi à la personne une
nouvelle source de dévalorisation personnelle, de culpabilité ?
Autant de questions qui poussent à la réflexion, au débat, à l’utilisation
créative, mais aussi critique, de la technique du contrat en travail social.
Pour conclure, le rapport du Conseil supérieur du travail social sur l’aide
à la personne affirme la nécessité d’établir un « vrai contrat ».
« Le “vrai” contrat doit apporter à chacun la garantie d’un dialogue. Les
deux éléments du contrat sont l’accord de volontés et les obligations créées.
C’est cette dynamique de contractualisation qui permet de reconnaître
l’autre comme responsable, comme sujet de droit. C’est cette recherche d’une
relation de droits qui peut pondérer, corriger partiellement la position iné-
galitaire des contractants. Le fait que la situation de détresse soit la base du
contrat entraîne à parler en termes de parité (et non d’égalité) plaçant la
personne au centre 23 ».

23. Conseil supérieur du travail social (1998), Intervention sociale d’aide à la personne,
Rennes, Presses de l’EHESP (nouvelle édition 2014), p. 112‑113.
Chapitre 7

Le « faire » en travail social,


une introduction à l’intervention sociale

7.1. L’intervention dans le processus de travail


Bien qu’ayant séparé les différentes phases de la méthode en travail
social aux fins d’étude et d’approfondissement, celles-ci se retrouvent, dans
la pratique, de façon simultanée ; elles se superposent et leur différenciation
devient alors très difficile. Ainsi, il n’est pas toujours aisé de séparer l’inter-
vention proprement dite de l’évaluation ou de l’analyse de situation, ainsi
que nous l’avons déjà montré dans le chapitre 3.
Nous y avons défini l’intervention comme « la volonté d’agir ». Intervenir
dans une affaire veut dire prendre part volontairement à une action afin
d’influer sur le cours des événements, de l’infléchir, se rendre médiateur,
interposer son autorité 1.
Les chapitres qui suivent mettent l’accent sur ce que le travailleur social
fait de façon consciente et volontaire, afin de modifier la situation de l’usa-
ger et de soutenir la personne dans son cheminement. Nous allons présenter
les différents types d’interventions en les séparant des autres phases de la
méthode, même si cette séparation est artificielle au regard de la pratique
du travail social.
Les formes d’interventions peuvent être nombreuses et variées ; ce qui
est essentiel, ce n’est pas seulement de définir les interventions, mais plutôt
de dégager à partir de quels éléments sont faits les choix de tel ou tel type
d’intervention. Car, il s’agit bien d’une option prise par le travailleur social.
Ce choix subira l’influence de certaines pressions externes telles que les
exigences du service employeur, les opinions des collègues, les décisions

1. Dictionnaire Larousse : www.larousse.fr.

149
Méthodologie de l’intervention en travail social

prises en équipe… Ce choix reste néanmoins celui du travailleur social, seul


responsable, en définitive, des interventions qu’il met en place.
Il fera ce choix en fonction de sa compréhension de la situation de la
personne, et des hypothèses qu’il pose au fur et à mesure du processus de
travail. C’est, en effet, de l’évaluation diagnostique que découle la justifi-
cation du choix des interventions. Les objectifs à court et long termes, que
le travailleur social se donne dans son projet d’intervention et qu’il négocie
avec l’usager au cours du contrat, incluent la définition des moyens et donc
le choix des interventions.
D’autres variables influencent aussi le choix des interventions :
–– l’origine de la rencontre travailleur social-usager, selon qu’il s’agit
d’une demande de la personne, d’une offre de service du travailleur social,
d’un signalement ou de l’exercice d’un mandat légal ou institutionnel ;
–– le niveau de réalité sociale sur lequel on va intervenir ou la définition
de qui est le bénéficiaire (individu, famille, groupe), en sachant que cette
variable est souvent dépendante de l’organisme employeur et des possibilités
d’action offertes aux travailleurs sociaux dans le cadre de la raison sociale
du service ;
–– la durée dans le temps de l’intervention, durée prévue et établie à
l’avance ou durée non déterminée préalablement.
Bien que ces variables aient une certaine influence dans le choix des
interventions, les critères essentiels de ces options restent l’objectif de chan-
gement que l’on se propose d’atteindre, et l’évaluation diagnostique de la
situation de la personne.

7.2. Le « faire » et le « comment faire »


Dans les chapitres sur l’intervention, nous parlerons du « faire », de ce
qui est réalisé par le travailleur social, du contenu des actions qu’il mène.
Or, « dans toute forme de communication d’un être humain avec un autre,
le “comment” est expérimenté d’une façon significative et, par conséquent,
devient une partie du contenu […]. Séparer ce qui est fait de la façon dont
c’est fait n’est possible que dans un but d’analyse 2 ».
En effet, la façon de faire est aussi importante que le contenu de ce qui
est fait. Plus encore, c’est au niveau du « comment faire » que s’inscrivent
en creux les valeurs et principes éthiques auxquels le travailleur social
adhère et la qualité de la relation établie avec la personne.
Mais, est-il possible de parler de la façon de faire ? Y a-t‑il tout d’abord une
façon de faire ou autant de façons de faire que de travailleurs sociaux ou de

2. Perlman H. H. (1972), L’aide psychosociale interpersonnelle, Paris, Centurion, coll.


« Socioguides », p. 141.

150
Le « faire » en travail social, une introduction à l’intervention sociale

situations relationnelles ? Le « comment faire » est pour nous de l’ordre de la


création individuelle, c’est la manière dont chacun « habite » son rôle, l’adapte
et le transforme ; il ne peut être défini d’avance, mesuré ou codifié. Il s’agit du
positionnement professionnel compris comme le choix éthique du travailleur
social dans une situation concrète où différents éléments sont en tension.
« Par positionnement professionnel, nous entendons la manière dont le travailleur
social se situe en tension à l’intérieur des pôles constitutifs de son intervention :
– l’usager dans ses différentes dimensions (personne, groupe, collectif,
communauté) ;
– le cadre législatif des politiques d’action sociale et les conventions internatio-
nales de protection des droits de l’homme ;
– l’institution employeur, ses missions et son mode de fonctionnement ;
– la déontologie professionnelle et les valeurs humanistes 3. »

En perpétuel changement, poussé par la dynamique des interrelations


vers des nouveaux questionnements, le travailleur social est constamment
à la recherche de nouveaux rapports entre ce qu’il sait, ce qu’il fait et
comment il le fait.

7.3. Classification des interventions


Nous avons inventorié les interventions les plus courantes employées par
les travailleurs sociaux. Nous nous sommes restreints à celles utilisées dans
une dimension microsociale, c’est-à-dire celles qui tentent d’agir sur la situa-
tion des individus, des familles ou des petits groupes. D’autres formes d’inter-
ventions peuvent certainement être relevées, plus particulièrement au niveau
des interventions sociales d’intérêt collectif et auprès des institutions sociales 4.
Faire une classification des types d’interventions en travail social en
dissociant l’action des objectifs poursuivis est forcément une démarche
insatisfaisante. Les objectifs généraux mentionnés pour chaque forme
d’intervention ne peuvent constituer qu’un guide de réflexion. Ce sont les
objectifs poursuivis dans chaque situation particulière qui comptent, et en
fonction desquels les travailleurs sociaux vont faire – parmi la liste proposée
ci-dessous et, pourquoi pas, en en inventant d’autres – leur choix. Cette
classification peut néanmoins aider comme point de repère pour analyser
notre pratique, elle nous permet un choix d’interventions plus étendu afin
de mieux les ajuster à chaque situation particulière.

3. Pascal H. (2002), Une pédagogie pour développer la puissance sociale des populations,
Montpellier, Conférence internationale des écoles de travail social, juillet.
4. Voir à ce sujet De Robertis C., Pascal H. (1987), L’intervention collective en travail
social, groupes et territoires, Paris, Bayard ; De Robertis C., Orsoni M., Pascal H., Romagnan
M. (2014), L’intervention sociale d’intérêt collectif. De la personne au territoire, Rennes,
Presses de l’EHESP, coll. « Politiques et interventions sociales ».

151
Méthodologie de l’intervention en travail social

Comme nous l’avons déjà souligné, dans la pratique, il est très difficile
de séparer les différentes interventions comme nous allons le faire dans les
pages suivantes : elles s’entremêlent et se chevauchent. Les interventions
ne prennent toute leur signification que dans la combinaison créative faite
par le travailleur social lors de son intervention.
Nous avons divisé la classification 5 des interventions directes et indi-
rectes, reprenant ainsi la même distinction faite depuis les origines du travail
social par les premières théoriciennes 6. L’ordre choisi pour les présenter est
arbitraire et ne représente en aucun cas une hiérarchie ou une appréciation
de valeur quelconque des unes par rapport aux autres.
Les interventions directes sont celles qui ont lieu en relation de face-à-face
entre le travailleur social et l’usager ; le travailleur social et la personne sont
tous deux présents et acteurs. Elles sont abordées dans le chapitre 8.
Les interventions indirectes sont celles qui ont lieu en absence de l’usa-
ger ; le travailleur social seul est acteur, la personne en est bénéficiaire. Dans
le chapitre 9, nous développons les interventions qui relèvent de l’organi-
sation et de la planification du travail, de l’élaboration de projets d’inter-
vention directe (telle la mise en place des groupes), les interventions qui
s’adressent à l’entourage de l’usager et les différentes formes de collabora-
tion entre travailleurs sociaux.

7.3.1. Interventions directes


nnAccueillir – Soutenir – Accompagner
–– L’accueil ;
–– la clarification ;
–– le soutien ;
–– la compréhension de soi ;
–– l’accompagnement.
nnInformer – Orienter – Accéder aux droits
–– L’information ;
–– l’orientation ;
–– l’accès aux droits ;
–– l’assistance matérielle ;
–– l’éducation.

5. Ce sujet a été traité sous une classification différente par l’auteur anglais J. Haines
dans son livre Skills and Methods in Social Work (Londres, Constable, 1975).
6. Richmond M. E. (2002), Les méthodes nouvelles d’assistance. Le service social des cas
individuels, Rennes, Éditions ENSP.

152
Le « faire » en travail social, une introduction à l’intervention sociale

nnPersuader – Influencer
–– Le conseil ;
–– la confrontation ;
–– la persuasion.
nnContrôler – Exercer une autorité
–– Le travail de suite ;
–– les exigences et limites ;
–– le contrôle.
nnMettre en relation – Créer des opportunités nouvelles
–– La mise en relation ;
–– l’ouverture et la découverte ;
–– l’utilisation et la création d’équipements de l’environnement et
participation à ceux-ci.
nnStructurer une relation de travail avec l’usager
–– La structuration dans le temps ;
–– l’utilisation de l’espace ;
–– la focalisation sur des objectifs de travail.

7.3.2. Interventions indirectes


nnOrganisation et veille sociale
–– L’organisation de l’espace ;
–– l’organisation du temps de travail ;
–– la documentation ;
–– la veille sociale.
nnConduite de projets en travail social de groupe
–– Les phases préliminaires de la mise en place d’un groupe ;
–– l’organisation d’activités de groupe ponctuelles ;
–– le choix d’activités de support dans le programme d’un groupe.
nnInterventions sur l’entourage des personnes
–– Les personnes significatives ;
–– la médiation ;
–– les réseaux.

153
Méthodologie de l’intervention en travail social

nnCollaboration entre travailleurs sociaux


–– La liaison ;
–– la concertation, les réunions de synthèse ;
–– le travail d’équipe ;
–– la consultation ;
–– le partenariat.
Chapitre 8

L’intervention directe

Les interventions directes sont celles qui se déroulent dans une relation
de face-à-face. La personne accompagnée est donc présente et actrice,
autant que le travailleur social. Qu’il s’agisse d’une personne, d’une famille
ou d’un groupe a peu d’importance, il s’agit d’une relation directe avec un
travailleur social. De ce fait, la personne éprouve l’influence de cette rela-
tion, ainsi que le travailleur social par un jeu de réciprocité. Usager et tra-
vailleur social se trouvent ainsi, ensemble, engagés dans un processus qui
les modifiera tous les deux et qui introduira des changements autant chez
l’un que chez l’autre 1.
Cependant, c’est bien le travailleur social – du fait de son statut et son
rôle – qui est mandaté pour apporter l’aide professionnelle nécessaire à la
personne. C’est bien lui qui est reconnu compétent, du fait de son diplôme
attestant le savoir et le savoir-faire, et du fait de son poste dont l’employeur
se porte garant. C’est sur lui que convergent les attentes de la personne et
celles de l’employeur. En effet, c’est lui qui porte la responsabilité de vérifier
– autant que possible – les influences qu’il exerce et, dans tous les cas, de
pouvoir analyser, expliciter et choisir les interventions qu’il met en œuvre.
Ceci ne signifie pas que les personnes sont, elles, dénuées de compétences
ou de pouvoir. En effet, les travaux de 2015 des États généraux du travail
social 2 et du Conseil supérieur du travail social 3 mettent en valeur les
« savoirs expérientiels » des personnes. Leur mise en lumière est un gage de

1. Laing R. D. (1975), La politique de la famille, Paris, Stock, p. 53.


2. États généraux du travail social (2015), « Place des usagers ». En ligne : http://
solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Placedesusagers.pdf.
3. Conseil supérieur du travail social (2014), « Refonder le rapport aux personnes, “merci
de ne plus nous appeler usagers” ». En ligne : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/CAB_
COM_RAPPORT_COMPLET_Merci_non_usagers.pdf.

155
Méthodologie de l’intervention en travail social

reconnaissance des capacités et possibilités des personnes et vient confirmer


l’importance essentielle de leur participation active à la transformation de
leur situation. De même, la volonté de faire participer les personnes à l’éla-
boration des politiques sociales et au fonctionnement des établissements a
été inscrite dans la loi 2002‑2 4 et les textes qui ont suivi, et encore réaffir-
mée par le Haut Conseil du travail social dans son rapport 2017 sur la
participation des usagers 5. Ces orientations ne peuvent que renforcer la
détermination des travailleurs sociaux à faire valoir, pour les personnes
vulnérables, une place à part entière dans la société, un développement de
leur pouvoir d’agir et l’exercice plein de leur citoyenneté.
Parmi les formes d’interventions directes que nous avons inventoriées,
plusieurs d’entre elles – si ce n’est toutes – peuvent s’appliquer aux diffé-
rentes dimensions du travail social : individus, familles, petits groupes. On
peut, en effet, informer aussi bien une personne qu’un groupe, ou encore
organiser une réunion d’information au niveau d’un quartier ou d’un secteur
de la population. Il s’agit toujours d’une intervention d’information, sa
nature et ses objectifs sont identiques, même si dans sa forme cette inter-
vention sera fort différente selon qu’il s’agit d’une dimension individuelle
ou de groupe. De même, les interventions destinées à soutenir l’usager
peuvent aussi bien s’adresser à un groupe familial qu’à une personne ou à
un groupe dans un quartier.
Nous concevons donc les interventions directes exposées dans ce cha-
pitre comme pouvant se réaliser dans des situations très diverses, autant par
le champ d’application du travail social (la compétence du service
employeur) que par la dimension de l’usager à laquelle on s’adresse (indi-
vidu, famille ou groupe). Elles constituent la boîte à outils du professionnel
que ce dernier saura adapter et mobiliser en fonction de son évaluation
diagnostique et de ses objectifs.
Nous allons exposer six grands types d’interventions directes :
1) Accueillir – Soutenir – Accompagner ; 2) Informer – Orienter – Accès aux
droits ; 3) Persuader – Influencer ; 4) Contrôler – Exercer une autorité ;
5) Mettre en relation – Créer des opportunités nouvelles ; 6) Structurer une
relation de travail.
Dans cette classification, certaines formes d’interventions sont plus valo-
risées que d’autres par les travailleurs sociaux, d’autres – telles que persua-
der ou contrôler – sont repoussées et le plus souvent niées. Il nous a semblé
important de les mettre en lumière et de rompre ainsi la mise sous silence.

4. Loi n° 2002‑2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico sociale. En ligne :
www.legifrance.gouv.fr.
5. Haut Conseil du travail social (2017), « Participation des personnes accompagnées aux
instances de gouvernance et à la formation des travailleurs sociaux », rapport, juillet.
En ligne : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/synthese_rapport_particpation.pdf.

156
L’intervention directe

8.1. Accueillir – Soutenir – Accompagner


Les interventions que nous développerons sous cette rubrique sont essen-
tiellement relationnelles, il s’agit pour le travailleur social d’agir en s’utili-
sant soi-même comme outil dans l’échange. Ces interventions ont pour
objectif de faciliter à la personne la démarche d’aborder l’institution sociale
(accueil), de lui permettre d’analyser les divers aspects de sa situation (cla-
rification), de restaurer ou d’affermir sa confiance en soi-même, son auto-
estime (soutien), et de mieux comprendre son propre fonctionnement dans
sa relation avec les autres (connaissance de soi). Le processus est souvent
appelé l’accompagnement 6. Lors de ces différents types d’interventions, le
travailleur social utilise sa relation avec la personne comme un moyen
privilégié, comme un levier des potentialités latentes, comme un moteur de
changement.
En travail social, on a souvent parlé de la qualité de la relation profes-
sionnelle et de ses différences avec d’autres formes de relations (filiale,
parentale, amicale…), de l’importance de l’accueil, des caractéristiques de la
relation d’aide : chaleureuse, proche, bienveillante. Mais, très rarement, on
l’a définie comme un moyen, essentiel certes, mais seulement comme un
outil parmi d’autres 7.
Nous essayerons ici d’expliciter l’utilisation de ce moyen relationnel dans
cinq formes d’interventions : l’accueil, la clarification, le soutien, la com-
préhension de soi et l’accompagnement.

8.1.1. L’accueil
Accueillir est bien le premier acte social 8. Tellement évident qu’on lui
accorde peu de place dans la littérature professionnelle. Toutefois, le réfé-
rentiel d’activités du diplôme d’État d’assistant de service social stipule
parmi les fonctions professionnelles celles d’« accueil, évaluation, informa-
tion, orientation 9 ».
L’accueil désigne la manière de recevoir quelqu’un et, dans l’action
sociale, l’acte d’accueillir lui-même.
« L’accueil fait partie de la posture éthique professionnelle. Bienveillance, cour-
toisie, civilité, respect, en sont les caractéristiques […]. Dans le domaine de
l’action sociale, l’acte d’accueillir est une pratique en elle-même. L’accueil est

6. De Robertis C. (2005), « L’accompagnement : une fonction du travail social », La Revue


française de service social, n° 217.
7. De Robertis C., « La relation d’aide », in Gouhier A. (dir.) (1992), La relation d’aide en
travail social, Nancy, Presses universitaires de Nancy. Voir également le chapitre 3, para-
graphe 3.4.1. Le concept d’aide.
8. La Revue française de service social (1995), « Accueillir : premier acte social », n° 179.
9. Décret n° 2004‑533 du 11 juin 2004, JO du 15 juin 2004 et arrêté du 29 juin 2004, JO
du 23 juillet 2004.

157
Méthodologie de l’intervention en travail social

l’acte de recevoir des personnes qui font état d’un besoin psychologique ou
matériel 10. »

Ajoutons que cet accueil est aussi un acte d’une importance considérable
dans les administrations et services publics recevant des personnes quelles
qu’elles soient. Des travaux dans ce sens ont mis en avant les conditions
nécessaires au bon accueil des publics défavorisés 11.
L’objectif de l’accueil en travail social est de faciliter le contact à la
personne avec le service d’action sociale et de le lui rendre accessible.
Considérant que le premier pas comporte toujours une certaine appréhen-
sion ou inquiétude, il s’agit de soutenir au maximum la démarche.
Sont à prendre en considération les aspects matériels, spatiaux et les
attitudes.
Les aspects concernant l’espace ont leur importance. Un espace ouvert,
agréablement décoré, lumineux, avec des lieux d’attente confortables
mais sans ostentation font beaucoup pour rendre accessible le service
aux usagers. L’espace doit aussi mettre en œuvre le respect de la confi-
dentialité des propos des personnes et donner l’assurance d’un accueil
personnalisé.
L’organisation de l’accueil est une activité majeure qui montre la capacité
de l’institution à se mettre au service des personnes qui la sollicitent ou qui
relèvent de son action. La disponibilité, l’accessibilité et la clarté de l’infor-
mation doivent être assurées par l’accueil pour une qualité maximum de
service.
L’attitude du personnel accueillant est tout aussi essentielle. La réception
téléphonique, souvent effectuée par des secrétaires sociales, nécessite une
formation spécifique à l’accueil et à l’orientation des situations simples qui
ne relèvent pas du service en question. La réception physique des personnes
dans les locaux qui implique une attitude chaleureuse, disponible, ouverte
à l’autre, centrée sur la personne qui arrive ou se présente, est un gage de
bon démarrage de la relation.
Bien des dérives sont constatées dans cette fonction essentielle du tra-
vail social. Il faut se doter d’une organisation attentive aux besoins des
usagers et du respect qui leur est dû en toutes circonstances. Certains
services ont pris des dispositions pour éviter des effets pervers de certaines
formes d’organisation ; ainsi, dans un service social de polyvalence de la
région parisienne, l’organisation tient compte de ce que les professionnels
refusent.

10. Barreyre J.-Y., Bouquet B. (2006), Nouveau dictionnaire critique d’action sociale, Paris,
Bayard.
11. Boudart F. (1995), « Les services publics et les populations défavorisées, évaluation
de la politique d’accueil – Analyse du rapport interministériel », La Revue française de service
social, n° 179, « Accueillir : premier acte social ».

158
L’intervention directe

« Nous ne voulions pas :


– des permanences ouvertes traditionnelles, où une assistante sociale se retrouve
avec une salle d’attente pleine et où les dernières personnes reçues, qui ont
attendu deux heures, se voient dire : “Madame, Monsieur, vous n’êtes pas dans
le bon service, vous n’avez pas les bons papiers !” ;
– de rendez-vous fixés à 15 jours, 3 semaines ; délais qui fabriquent l’urgence
et développent l’angoisse. Ces deux systèmes sont irrespectueux pour le “client”
et disqualifiants pour le service social 12. »

Parmi les dérives de l’accueil il faut absolument éviter l’effet « patate


chaude », où l’accueil renvoie à d’autres services les personnes en difficulté
qui, soit ne sont pas du ressort de leur organisme, soit présentent des pro-
blèmes multiples et peuvent relever de plusieurs institutions à la fois. La
personne ainsi renvoyée dérive d’un service à l’autre se voyant chaque fois
rejetée. Cela engendre frustration, colère et violence. Cette situation est
favorisée par le découpage actuel des dispositifs d’action sociale qui traitent
chacun un problème spécifique et perdent la vue globale de l’intérêt des
personnes. Or, il est indispensable d’accompagner les personnes dans la
recherche de la « bonne adresse » où elles pourront être reçues de manière
digne et efficace, et recevoir les réponses précises dont elles ont besoin.
Portant un regard critique sur l’accueil en travail social, on peut dire qu’il
a une dimension statique. L’accueil en soi n’est jamais qu’un moment au
début de l’intervention sociale d’aide à la personne. Il doit s’inscrire dans
un processus, dans une suite, dans un accompagnement. Ce sont ces notions
de processus et d’accompagnement qui donnent toute la dynamique à
l’interrelation qui va s’instaurer entre le travailleur social et l’usager, à partir
de l’accueil et jusqu’au terme de l’intervention 13.

8.1.2. La clarification 14
L’objectif de cette intervention, pour le travailleur social, est de com-
prendre de quoi il s’agit : le contenu de la demande, la situation de la per-
sonne, les répercussions sociales et affectives du problème qu’elle affronte.
Cette clarification est nécessaire pour comprendre la situation, mais elle est
aussi utilisée pour que l’usager « parvienne à une meilleure compréhension
de lui-même, des autres, de la situation dans laquelle il se trouve 15 ».
L’objectif, en effet, est double : d’une part le travailleur social s’efforce de

12. Prézeau J. (1995), « Une forme d’accueil en service social polyvalent, contexte et
organisation de l’accueil », La Revue française de service social, n° 179, op. cit.
13. Voir plus bas, le point 8.1.5. L’accompagnement.
14. Des larges extraits des interventions de clarification, soutien et information sont
repris de l’article « La demande en travail social » écrit par l’auteur et publié dans La Revue
française de service social, n° 120, 4e trimestre 1978.
15. Du Ranquet M. (1975), Nouvelles perspectives en « case work », Toulouse, Privat, coll.
« Nouvelle recherche », p. 37.

159
Méthodologie de l’intervention en travail social

comprendre, d’autre part la personne est sollicitée pour explorer elle-même


les différents aspects de sa situation.
La clarification consiste à solliciter l’usager pour qu’il s’exprime sur sa
situation et ses souhaits. La clarification permet d’ordonnancer les différents
éléments en présence de façon à les expliciter clairement, en mettant en
lumière les rapports dynamiques et contradictoires entre eux.
La clarification est fort utilisée au cours des premières phases du proces-
sus et particulièrement lors des premiers entretiens ou des premières réu-
nions d’un groupe. En effet, la clarification de la demande de la personne,
la clarification d’une proposition de service faite par le travailleur social, ou
des objectifs et du programme d’un groupe lors d’une première réunion, sont
des interventions essentielles. Les interlocuteurs en présence doivent néces-
sairement se mettre au clair les uns par rapport aux autres : s’assurer que
les mots employés pour expliciter telle ou telle demande signifient bien la
même chose pour le travailleur social ; s’assurer que la situation exposée
par la personne est appréhendée sous toutes ses facettes sociales, relation-
nelles et affectives ; vérifier que les attentes de la personne à l’égard du
travailleur social et de l’organisme sont bien celles auxquelles ils peuvent
répondre.
La clarification est aussi utilisée dans les phases suivantes de l’action et
même jusqu’à la clôture de l’intervention. Il est alors important de se rap-
peler qu’elle est autant nécessaire pour comprendre la situation de l’usager
que pour que celui-ci explore lui-même les différents aspects du problème
et leurs répercussions.
La clarification cherche à élucider les faits objectifs d’une situation don-
née, mais aussi à les mettre en rapport avec les sentiments et réactions de
la personne. Ces deux pôles d’élucidation sont souvent menés presque
simultanément. En aucun cas la clarification des faits peut, à elle seule, nous
permettre de comprendre, car la situation n’est significative que par la façon
propre dont la personne la vit, la perçoit et l’analyse, avec tout le contenu
affectif que les faits produisent chez elle (ou le groupe). Jamais deux per-
sonnes ne réagiront de façon identique face à un même problème ; jamais
une même situation ne provoquera les mêmes sentiments chez deux indi-
vidus différents. Et lorsque nous travaillons avec un groupe familial ou un
petit groupe d’usagers, cette différence s’accentue encore car, face à un
même problème, aucun membre d’une famille ou d’un groupe ne réagira de
façon identique, ni ne ressentira les mêmes sentiments.
Les interventions de clarification sont, alors, toujours à renouveler. Il ne
suffit pas à un travailleur social d’avoir travaillé avec vingt-cinq familles
différentes sur des problèmes de séparation et de divorce pour tout connaître
sur ce type de situation, car la vingt-sixième personne qu’il rencontrera pour
les mêmes motifs sera encore une situation différente et unique. Au niveau
de la clarification, il sera toujours au point zéro, la même démarche de

160
L’intervention directe

compréhension et de découverte sera à refaire, en sachant que seule la


personne détient les clés de l’énigme, elle seule peut dire quelle est sa situa-
tion, ses sentiments, ses souhaits, ses solutions. S’applique ici le principe
d’individuation tel que défini par Félix Biestek 16, c’est-à-dire la reconnais-
sance de l’unicité de chaque personne et de chaque situation.
La clarification implique une action attentive du travailleur social, pour
laquelle il utilise trois moyens : l’écoute, l’observation et le questionnement
pertinent.
L’écoute est la première source d’information. Contrairement à ce qu’on
pourrait penser, écouter n’est pas seulement entendre (percevoir par l’ouïe).
Écouter implique une concentration de l’attention, un intérêt, une bienveil-
lance à l’égard de la personne qui s’exprime, un effort réel pour percevoir
la signification du message émis tant dans le contenu des mots utilisés que
dans le contenu non verbal qui l’accompagne. Ainsi, écoute et observation
sont deux activités complémentaires du travailleur social qui essaie de
comprendre.
L’observation implique la perception des messages non verbaux, gestuels
et corporels exprimant les sentiments de la personne (tension, abattement,
joie, colère…).
L’écoute et l’observation ne sont pas toujours suffisantes pour com-
prendre toutes les données de la situation. D’une part, la personne peut
présenter sa situation de façon confuse, désordonnée ou incomplète, d’autre
part, le travailleur social peut avoir du mal à déchiffrer la signification des
messages qui lui sont adressés.
Deux activités de clarification peuvent alors se suivre. Le travailleur
social réordonne les éléments de la situation de l’usager (tant objectifs que
subjectifs) tels qu’il les a saisis, et teste ainsi auprès de lui la pertinence de
sa compréhension, ou il pose des questions complémentaires, centrées sur
la situation exposée ; il peut parfois expliquer pourquoi cette question
s’impose et ce qui l’amène à demander plus d’information.
Ce questionnement pertinent permet d’aborder avec la personne des
points qu’elle a elle-même négligés ou considérés peu importants. Il permet
d’ouvrir de nouvelles perspectives d’analyse de sa situation et d’explorer
de nouvelles voies possibles de solution ou de réponse à ses problèmes. Le
questionnement du travailleur social est particulièrement utile pour élar-
gir et enrichir la réflexion de l’usager, pour lui montrer les différentes
pistes d’analyse possibles et l’engager activement dans des voies de chan-
gement.
Les interventions de clarification effectuées par le travailleur social ont
un effet apaisant et rassurant. Elles seront appréciées par la personne comme

16. Biestek P. F. (1962), Pour une assistance sociale individualisée : la relation de casework,
Paris, Seuil.

161
Méthodologie de l’intervention en travail social

un effort de compréhension et comme une prise en considération réelle de


ses problèmes et d’elle-même en tant qu’individu.

8.1.3. Le soutien
Les interventions de soutien ont pour objectif de fortifier l’usager en tant
que personne, de diminuer les effets paralysants de son anxiété, de libérer
en lui les forces susceptibles de le mobiliser pour changer sa situation.
Helen Perlman 17 nous dit que : « Les méthodes dans la phase initiale
sont : entrer en relation avec le client de façon à diminuer son inquiétude
et à augmenter son sentiment de confiance et d’espoir ; l’aider à exprimer
son problème et à y réfléchir en termes de situation et d’émotion propres à
ce problème ; l’aider à faire le point sur ses différents besoins […]. Tout cela
se fait au moyen de types de comportement de la part de l’aidant connus et
utilisés depuis longtemps : relation, soutien, réassurance, clarification,
conseils, explications, etc. »
En effet, les interventions de soutien cherchent à soulager la personne
en réduisant l’anxiété, la peur, la culpabilité qui peut nuire à sa capacité à
prendre en main sa situation présente.
Généralement, lors de cette intervention, l’accent est focalisé sur les
réalités actuelles et non sur les causes lointaines et même inconscientes de
son comportement et/ou de sa situation. Il est reconnu que le fait de parler
de ses difficultés et des sentiments qui s’y rattachent a un effet souvent
libérateur et apaisant pour l’usager. L’effet cathartique de l’échange avec le
travailleur social fait que la personne après la rencontre se sent soulagée du
poids de son silence : « Ça va mieux ! »
Outre cet effet apaisant de l’entretien, le travailleur social peut profiter
de façon active des interventions tendant à soutenir le client et à rehausser
sa confiance en lui, son auto-estime.
Constater avec lui les difficultés qu’il affronte et la souffrance qu’elles
entraînent peut l’aider à se sentir compris et pris en considération.
Reconnaître les efforts qu’il a déjà déployés pour trouver des solutions et
les souligner dans leurs aspects positifs et dynamiques aide l’usager à avoir
une meilleure image de lui-même et le rassure quant à ses capacités de s’en
sortir. Lui demander comment il voit sa situation et quels sont pour lui les
pas à suivre pour trouver des solutions, en soulignant que lui seul peut faire
les choix qui le concernent, l’aide à fortifier son indépendance et son désir
de prendre sa vie en main.
Lorsque l’usager est aux prises avec des difficultés, il peut se sentir très seul,
très différent, très vulnérable. Savoir que d’autres, dans la même situation,

17. Perlman H. H. (1972), L’aide psychosociale interpersonnelle, Paris Centurion, coll.


« Socioguides », p. 141.

162
L’intervention directe

ont aussi les mêmes difficultés peut l’aider à être moins inquiet et à envisager
des solutions avec plus d’assurance. Une mère qui a des difficultés avec son
enfant de 12‑13 ans, très opposant, peut trouver du réconfort si le travailleur
social lui dit que tous les enfants de cet âge présentent des comportements
similaires et que les parents ont souvent des difficultés. La généralisation du
problème, sans pour autant résoudre la situation particulière de la personne,
peut soulager la culpabilité qu’il entraîne : elle n’est plus la seule à affronter
ces mêmes difficultés.
De même, resituer le problème présenté comme personnel dans son
contexte social global permet de soulager l’usager de ses craintes d’être
lui-même incapable et fautif, et lui permet d’aborder sa situation avec plus
d’objectivité. Ainsi, un homme affronté aux difficultés de trouver un emploi,
avec la perte d’auto-estime que cela peut signifier, pourra se sentir soutenu
par un travailleur social capable de resituer ce problème individuel dans la
conjoncture de crise économique globale et de chômage de la commune ou
du secteur professionnel.
Ces interventions de soutien permettent en même temps de canaliser
l’agressivité ressentie contre soi-même vers des sources extérieures, et sti-
mulent ainsi les capacités de réaction dynamique de la personne. Une trop
grande culpabilité ou un trop-plein d’échec sont plus paralysants que sti-
mulants. Une image de soi trop dévalorisée ne permet pas la recherche de
solutions de remplacement créatives. Soutenir l’usager, c’est lui redonner
de l’espoir.
C’est aussi reconnaître en lui des compétences, des possibilités, des
forces. Le travailleur social pourra exprimer sa vision positive et dynamique
de la situation et de la personne en focalisant non seulement sur les carences
et difficultés, mais aussi sur les actions déjà menées par la personne, sur ses
points forts et ses ressources. Ce renforcement positif apportera une vision
plus dynamique de soi et soutiendra la personne dans ses efforts.
Les interventions de soutien tendant à redonner à la personne une plus
grande confiance en soi et une image plus positive d’elle-même ne doivent
pas être confondues avec des propos rassurants qui banalisent la situation.
Les phrases du style « vous verrez, tout va s’arranger avec le temps », « c’est
toujours comme ça et après ça passe » persuadent l’usager souvent du
contraire, ou en tout cas lui laissent entière son anxiété. Seulement dans les
cas où l’anxiété de la personne n’a aucun fondement réel et objectif, les
interventions rassurantes du travailleur social peuvent produire un certain
soulagement de tension, néanmoins leur emploi doit être précédé d’une
évaluation affinée.
La dimension du petit groupe utilisée en travail social offre d’autres
perspectives aux interventions de soutien. En effet, le travailleur social
entretient une relation multiple avec le groupe et les différents membres qui
le composent ; en outre, les personnes intégrant le groupe ont entre elles

163
Méthodologie de l’intervention en travail social

des relations horizontales, des relations entre pairs. Dans la structure des
communications multiples entre les différents membres du groupe, l’inter-
vention de soutien ne relève plus de la seule compétence du travailleur
social. Les membres entre eux peuvent être amenés à se soutenir, à s’encou-
rager dans le cadre de l’expérience de groupe qu’ils partagent en tant
qu’égaux. Des sentiments de solidarité et des attitudes d’entraide peuvent
ainsi se révéler entre les membres du groupe. Cet aspect constitue une des
grandes richesses de l’utilisation de petits groupes dans la pratique sociale,
celle où les interventions chaleureuses et soutenantes ne sont plus du ressort
exclusif d’un professionnel, mais de la responsabilité de chaque membre du
groupe envers les autres.

8.1.4. La compréhension de soi


Cette forme d’intervention a pour objectif de permettre à la personne de
cerner et de comprendre son propre fonctionnement relationnel et affectif,
et de réaliser les effets de son comportement sur les autres.
Cette compréhension de soi-même n’est pas une panacée, elle ne peut
être une fin en soi. Développer chez l’usager cette capacité de compréhen-
sion doit être considéré comme un moyen parmi d’autres. Car il est bien vrai
que de nombreuses personnes ont très peu conscience de leur propre fonc-
tionnement, et qu’elles vivent néanmoins fort heureuses. C’est au travailleur
social de décider et de choisir (selon sa compréhension de la situation, du
type de problème, de la façon dont cette personne-là fait face et essaie de
trouver des solutions…) s’il va « pousser » vers cette meilleure compréhen-
sion de soi, ou s’il va exploiter d’autres formes d’interventions.
« La compréhension de soi est un processus dynamique qui ne s’arrête jamais,
qui est toujours à compléter. Il concerne les émotions aussi bien que l’intellect,
et il s’agit généralement d’un processus difficile et douloureux car il implique la
reconnaissance et l’acceptation de ces aspects de notre personnalité qu’il serait
préférable de cacher et d’ignorer 18. »

Sous l’influence des courants psychanalytiques, le travail social a déve-


loppé cette forme d’intervention, notamment avec des personnes. Les tra-
vailleurs sociaux, et en particulier les assistantes sociales, se sont formés au
case work qui, en France, privilégiait particulièrement le développement de
la compréhension de soi tant chez le travailleur social que chez la per-
sonne 19.
L’on peut distinguer deux niveaux différents de cette forme d’interven-
tion :

18. Haines J. (1975), Skills and Methods in Social Work, Londres, Constable, p. 91.
19. Perrot G., Fournier O., Salomon G.-M. (2006), L’intervention clinique en service social.
Les savoirs fondateurs (1920‑1965), Rennes, Éditions ENSP, coll. « Politiques et interventions
sociales ».

164
L’intervention directe

Un premier niveau serait la compréhension dynamique du passé, de


l’origine et du développement de la propre personnalité. Ce niveau nécessite
d’examiner attentivement les expériences anciennes, et particulièrement les
relations établies au cours de l’enfance et de la petite enfance avec ses
parents et autres personnes significatives. Ce niveau est plus proche des
différentes formes d’aide psychothérapeutique que du travail social propre-
ment dit.
Néanmoins, les travailleurs sociaux sont souvent confrontés à la persis-
tance des événements conflictuels du passé dans la problématique présente
des usagers, notamment en ce qui concerne les difficultés relationnelles au
sein de la famille : parent maltraitant, conflits entre parents et adolescents,
violence conjugale. De même, les personnes ou familles ont fréquemment
des comportements répétitifs parfois cycliques : états dépressifs, abattement,
situation d’échec (dans le travail, la relation de couple, les rapports aux
organismes sociaux), dont la répétition semble persister au-delà d’une pre-
mière prise de conscience de son propre comportement. Les travailleurs
sociaux pourront approfondir le concept de résilience 20 qui montre la capa-
cité des humains à surmonter, sous certaines conditions, les pires trauma-
tismes, l’idée que la répétition n’est pas inéluctable et que de la souffrance
peuvent naître la capacité et la créativité. Il s’agit d’un concept qui rompt
avec une vision déterministe des parcours, il est certainement très utile dans
la pratique du travail social.
Certaines de ces personnes et/ou familles pourront, à partir de ce premier
pas dans la compréhension de soi, faire la démarche de demander une aide
psychothérapeutique. D’autres pourront, à travers un certain équilibre acquis
par l’intervention du travailleur social, mieux s’accepter et accepter les
autres, parfois elles pourront aussi changer de comportement ou mieux
surmonter les situations répétitives.
C’est lors des interventions en situation de changement intempestif pro-
voqué par un événement extérieur (hospitalisation, maladie, accident) ou
en situation de conflit aigu (séparation conjugale, dispute, fugue d’un
enfant) que les personnes sont, de par la rupture d’équilibre que la crise
occasionne, susceptibles d’entendre et de se mobiliser pour trouver d’autres
comportements plus adaptés à la nouvelle situation. La crise, de par la
réactivation des expériences du passé qu’elle provoque, permet en peu de
temps de promouvoir la compréhension de soi et la recherche d’un nouvel
équilibre de vie et de relations.
« La situation de crise est sans doute une période optimale pour changer, alors
que les modes de fonctionnement établis depuis longtemps ont été brisés et que
d’autres types de réponses sont nécessaires 21. »

20. Théorisé par Boris Cyrulnik, éthologue et psychiatre, auteur de très nombreux
ouvrages sur le sujet.
21. Du Ranquet M., Nouvelles perspectives en « case-work », op. cit., p. 159.

165
Méthodologie de l’intervention en travail social

Un second niveau d’intervention pour promouvoir la compréhension


de soi, plus proche que le précédent de la pratique sociale, consiste à
favoriser chez l’usager la compréhension de comment son propre compor-
tement et ses propres attitudes influencent la réponse qu’il obtient des
autres. Cette compréhension de soi est axée sur le présent, sur la problé-
matique actuelle ; elle ne nie pas la persistance de conflits anciens, mais
ne cherche pas non plus à les élucider. Cette intervention tente d’utiliser
la situation vécue « ici et maintenant » comme révélateur de son propre
comportement et de celui des autres, ainsi que des réactions en chaîne
provoquées par l’interrelation.
Cette intervention fait appel aux capacités d’identification et d’empathie
des personnes, elle nécessite aussi une certaine capacité de verbalisation.
Ces capacités ne sont pas toujours présentes au même degré chez tous les
individus.
Selon Helen Perlman, « l’empathie désigne, parmi d’autres choses, une
certaine souplesse de la personnalité, une certaine capacité de laisser pour
un moment sa peau et son rôle et d’entrer dans la peau et le rôle d’un
autre. La personne qui ne peut pas imaginer ce que l’autre ressent, ou qui
ne lui attribue froidement que ses propres projections, est quelqu’un dont
le pronostic de changement est faible. Par contre, celui qui est capable
(tout en étant désireux) de se considérer du point de vue de son semblable,
d’essayer de voir ce que l’autre ressent ou pense – ou de jouer avec l’idée
de ce qu’il ferait à la place de l’autre – peut aisément espérer modifier son
comportement 22 ».
Cette intervention est fréquemment utilisée en travail social avec des
groupes et aussi lors des entretiens conjoints de plusieurs membres d’un
groupe familial. En effet, la dimension du groupe permet, plus qu’une autre,
à partir d’une situation vécue ensemble, la confrontation entre son compor-
tement et la réponse qu’il suscite chez les autres. C’est à l’occasion des
activités du groupe que les participants peuvent développer leur compré-
hension de comment eux-mêmes entrent en relation avec les autres et aussi
développer leur capacité d’acceptation des autres comme personnes diffé-
rentes de soi-même. Cette intervention peut aussi être utilisée lors d’entre-
tiens conjoints à plusieurs membres d’un groupe familial, avec l’objectif de
développer la prise en compte et l’acceptation des personnes comme étant
différentes et uniques.

22. Perlman H. H. (1973), La personne, l’évolution de l’adulte et de ses rôles dans la vie,
Paris, Centurion, coll. « Socioguides », p. 274.

166
L’intervention directe

8.1.5. L’accompagnement
Ce mot est d’utilisation récente en travail social 23. Sa racine latine est :
ad = mouvement, et cum panis = avec pain. C’est-à-dire « celui qui mange
le pain avec ». Ce vocable renvoie également aux termes de compagnon et
copain, qui sont employés pour signifier les liens de proximité entre des
personnes. En espagnol, dérive aussi de cette racine le mot compartir qui
veut dire partager. Accompagnant et accompagné partagent le pain, font
côte à côte, ensemble, un bout de chemin…
La notion d’accompagnement surgit vers le milieu des années 1980 dans
le travail social. Elle se développe à partir de différentes politiques sociales 24.
Son émergence peut être située dans le rapport Wresinski sur la grande
pauvreté en 1987. L’accompagnement a aussi été utilisé dès les années 1980
par le secteur handicap (certains centres d’aide par le travail se dotent de
« services d’accompagnement et de suivi 25 »). Il sera pérennisé dans les dis-
positifs d’insertion (RMI, 1989), de lutte contre le surendettement (loi
Neiertz, 1989), de logement (loi Besson, 1990), ou encore, le revenu de
solidarité active (RSA, 2008 26).
Mais pourquoi ce terme apparaît-il alors dans les différents textes de
politique sociale ? Maela Paul précise :
« Certes l’accompagnement est contemporain du délitement du lien social, mais,
sur le terrain, il répond à deux types d’exigence : la préoccupation d’un public
désaffilié, désorienté, censé être autonome ou capable de le devenir, et l’injonc-
tion de performance, d’excellence et d’efficacité toujours plus grande d’une classe
dirigeante 27. »

L’accompagnement est porté très fort par le milieu associatif luttant


contre l’exclusion, pour signifier l’action des bénévoles auprès de personnes
en grande difficulté.
Les politiques sociales transversales ont inscrit dans la loi la notion
d’accompagnement social nécessaire, mais elles ne spécifient pas à qui il est
confié, ni quelles compétences doivent avoir les « accompagnateurs » du
public. Un certain flou s’installe. Ainsi, le Dictionnaire critique d’action
sociale spécifie que l’accompagnement sera confié « à ceux qui réalisent
l’insertion sociale, professionnelle ou le maintien dans le logement ou/et

23. De Robertis C. (2005), « L’accompagnement : une fonction du travail social », La Revue


française de service social, n° 217, « Service social en 2005, les fondements de la méthode,
méthodologie et techniques ».
24. Boudot M.-F., Gilquin J. (1994), Guide de l’accompagnement social dans le RMI, Paris,
École supérieure de travail social.
25. UNIOPSS (1995), Accompagnement social et insertion : pratiques associatives, Paris,
Syros.
26. Loi n° 2008‑1249 du 1er décembre 2008. En ligne : www.legifrance.gouv.fr.
27. Paul M. (2004), L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, Paris,
L’Harmattan, p. 7.

167
Méthodologie de l’intervention en travail social

dans un quartier, et peut être assuré par des travailleurs sociaux, des asso-
ciations, des bailleurs sociaux, des CCAS ou d’autres organismes choisis par
le maître d’œuvre du dispositif. […] L’accompagnateur logement se dissocie,
dans sa tâche et son rapport à l’habitant, des travailleurs sociaux locaux,
censés rendre au quotidien d’autres services sociaux que cet accompagne-
ment spécifique 28 ».
Deux conséquences s’ensuivent.
Un saucissonnage des personnes : un problème égale un accompagne-
ment spécifique prévu dans chaque dispositif. C’est l’arrêt de mort de l’ap-
proche globale, centrée sur la personne, qui se trouve ainsi remplacée par
d’hypothétiques « référents » et une multiplicité d’intervenants chacun dans
son domaine.
Un sentiment de déqualification des professionnels qui se voient concur-
rencés sur leur territoire par des non-professionnels et des bénévoles aux
compétences et formations non déterminées.
À partir du constat que l’accompagnement social à lui seul ne rend pas
suffisamment compte de la complexité des situations et des pratiques des
travailleurs sociaux, il a été considéré comme l’une des fonctions de l’inter-
vention sociale d’aide à la personne (ISAP).
Comment pouvons-nous définir le contenu de cette fonction ? Brigitte
Bouquet et Christine Garcette la définissent ainsi :
« L’accompagnement social vise à aider les personnes en difficulté à résoudre les
problèmes générés par des situations d’exclusion, et à établir avec elles une
relation d’écoute, de soutien, de conseil et d’entraide, dans une relation de soli-
darité, de réciprocité et d’engagement de part et d’autre. Inclus dans l’ISAP,
l’accompagnement social ne peut donc être fondé que sur une démarche volon-
taire. Il repose sur la liberté de chacun et sur la capacité d’engagement réci-
proque. […] Cette démarche orientée vers le “faire ensemble” est attentive aux
processus, au cheminement des personnes, à leur parcours 29. »

La fonction d’accompagnement implique :


–– une notion de proximité et de présence – on est côte à côte, on est
avec, on soutient l’autre ;
–– une notion de participation active de l’intéressé – on l’accompagne
dans sa voie, celle qu’il s’est lui-même tracée, donc une notion d’auto­
détermination et de libre choix ;
–– une idée de mouvement, l’autre est en devenir, même si nous ne savons
pas à l’avance vers où il va, et qu’il faut chercher avec lui le chemin pour y
parvenir ;

28. Barreyre J.-Y., Bouquet B., Nouveau dictionnaire critique d’action sociale, op. cit.,
p. 24.
29. Bouquet B., Garcette C. (1998), Assistante sociale aujourd’hui, Paris, Maloine, p. 72.

168
L’intervention directe

–– une notion d’individualisation, chaque personne est différente, chaque


situation est unique même si elle peut être regroupée dans des catégories
précises ;
–– une idée de passage, de temps limité, de moment partagé mais de
séparation après évaluation du chemin parcouru 30.
L’accompagnement a ainsi une portée dynamique très importante, il
permet le partage et le « faire avec », il s’agit d’un processus qui se déroule
dans le temps.

8.2. Informer – Orienter – Accéder aux droits


Les interventions regroupées sous cette rubrique sont celles où le travail-
leur social exploite prioritairement ses connaissances et son savoir pour
répondre aux sollicitations et besoins de l’usager. Il cherche à combler les
carences éventuelles de la population ressortissante de son organisme
employeur en lui apportant des connaissances en divers domaines : légis-
lation sociale, accès aux droits, ressources et organismes existants et leur
utilisation, recours exceptionnel à certaines aides (particulièrement maté-
rielles), et aussi tout ce qui concerne la formation dans les domaines de la
santé, l’alimentation, les soins de la petite enfance, l’organisation
ménagère…
Nous développerons cinq formes d’interventions : l’information, l’orien-
tation, l’accès aux droits, l’assistance matérielle et l’éducation. Vu la com-
plexité et la diversité d’approches de cette dernière, nous la traiterons de
façon différente des autres. Quant à l’assistance matérielle, elle nous a
semblé pouvoir prendre sa place après l’information et l’accès aux droits,
car il s’agit, à notre avis, d’une démarche semblable. En effet, l’information
et l’accès aux droits visent à mettre l’usager au courant et lui faire bénéficier
des ressources et de ses droits existants, l’assistance matérielle vise à le faire
accéder aux ressources exceptionnelles mises à sa disposition par les orga-
nismes sociaux divers et auxquelles il peut prétendre. Dans le cas de l’assis-
tance matérielle, la différence essentielle est le rôle de médiateur que joue
le travailleur social entre la demande de la personne et les organismes
susceptibles d’y répondre.

8.2.1. L’information
Cette forme d’intervention a comme objectif d’armer l’usager avec des
connaissances suffisantes afin qu’il puisse faire des choix et faire valoir ses
droits en toute connaissance de cause. Le travailleur social lui apportera toute

30. Équipe Heliokos (1990), « Réflexion autour de l’accompagnement », Lien social, n° 68,
mars.

169
Méthodologie de l’intervention en travail social

l’information nécessaire en rapport avec sa demande, le type de problèmes


qu’il affronte et qu’il essaie de résoudre.
En règle générale, l’information est de deux ordres : tout d’abord, elle est
législative et administrative, ensuite, elle concerne les organismes sociaux
et les ressources à la disposition de la population du secteur.
L’information législative et administrative consiste à mettre la personne
au courant de ses droits, de ce qui est prévu pour lui dans la législation, par
exemple : les droits et devoirs des assurés sociaux lorsqu’ils sont en affec-
tion de longue durée (ALD), les différentes modalités de divorce ou de
rupture de vie commune, les allocations d’adulte handicapé, le revenu de
solidarité active, la couverture médicale universelle… Elle consiste aussi à
informer la personne sur le fonctionnement administratif des divers orga-
nismes chargés de l’application de la législation : adresse, téléphone,
horaires, à qui s’adresser, jours des permanences administratives ou spécia-
lisées, quels documents apporter, quels formulaires remplir. Elle inclut
aussi des informations sur la façon de se guider et d’agir au sein même des
organismes.
Cette forme d’intervention est particulièrement renforcée par la com-
plexité de la législation sociale et des administrations, complexité qui
empêche les non-initiés de recourir directement aux organismes compétents
et de faire valoir leurs droits sans intermédiaire : l’« usager » ne peut faire
appel qu’en position de dépendance et en se « faisant assister » par un « spé-
cialiste ». De très nombreuses informations sont accessibles via Internet,
mais leur accès n’est pas toujours facile et encore moins leur compréhension
et leur utilisation. La numérisation des divers organismes (Caisse d’alloca-
tions familiales, Sécurité sociale, centre communal d’action sociale, conseil
départemental) destinée à fournir les informations mais aussi à faire direc-
tement les démarches et remplir les dossiers sur Internet, pose des problèmes
nouveaux d’exclusion d’un certain nombre de personnes qui ne peuvent,
pour divers motifs, accéder au numérique. Alors, les travailleurs sociaux
– et notamment les assistantes sociales – sont de plus en plus sollicités pour
ce type d’intervention 31.
Lorsque le travailleur social donne des informations législatives et admi-
nistratives, il est souvent nécessaire de s’assurer que la personne a bien
compris. Les labyrinthes législatifs et institutionnels peuvent représenter
pour elle des barrières infranchissables, et elle peut aussi avoir des difficul-
tés à demander spontanément de recommencer les explications depuis le
début.
S’il est vrai qu’en principe le travailleur social informe mais ne fait pas
les démarches à la place de la personne, il est vrai aussi qu’il est nécessaire

31. Voir La Revue française de service social (2017), « Le travail social à l’épreuve du
numérique », n° 264, 1er trimestre.

170
L’intervention directe

de s’assurer de ses capacités réelles à les mener à bien. Le désir de stimuler


l’usager à se mobiliser fait souhaiter qu’il se passe d’une « béquille » le plus
rapidement possible, néanmoins, vu la catégorie de population qui s’adresse
aux travailleurs sociaux, un certain accompagnement est parfois nécessaire
pour lui éviter de se confronter à de nouveaux échecs. Sans compter que
dans certaines administrations, un travailleur social obtiendra une réponse
tandis qu’un usager risquera de perdre plusieurs heures sans parvenir à
trouver ce qu’il cherchait.
Les travailleurs sociaux sont aussi amenés à donner des informations sur
les ressources et les organismes sociaux existants. Pour cela, il est indispen-
sable qu’ils les connaissent de façon précise, non seulement ceux de leur
secteur de travail, mais aussi ceux du quartier, de la ville et même parfois
des villes environnantes.
Les ressources et équipements à disposition de la population sont souvent
peu (et mal) connus de celle-ci ; aussi est-il fréquent que ceux qui auraient
le plus besoin de s’en servir soient toujours absents en tant qu’utilisateurs.
Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les équipements sociocul-
turels et d’animation, tels que centre social, maison de jeunes, les clubs
sportifs… Les travailleurs sociaux sont fort bien placés pour répercuter les
informations au niveau des individus, des familles et des groupes. Par ail-
leurs, leur contact direct avec les personnes défavorisées et vulnérables leur
permet de retraduire, présenter et expliquer les ressources et équipements
dans le langage et avec les références culturelles de leurs interlocuteurs.
Dans le cadre d’un travail de groupe, l’information sur les ressources et
équipements de l’environnement est essentielle, elle permet aux participants
de choisir un programme d’activités en connaissance de cause et d’utiliser
prioritairement les équipements existants à proximité (piscine, terrain de
sport, musée, salles). Il est aussi nécessaire qu’un groupe d’usagers puisse
se situer en référence avec d’autres groupes du quartier ou de la ville. Dès
lors, les informations concernant les autres groupes, la vie associative et
même les rencontres intergroupes d’information réciproque peuvent stimuler
l’usager et lui donner l’occasion de s’ouvrir vers l’extérieur.
De plus en plus souvent, les travailleurs sociaux organisent des réunions
pour informer la population de ses droits, des changements de législation,
de l’organisation ou de la création d’équipements. Cette formule permet de
toucher une population plus large que la clientèle habituelle du travail social
et permet aussi d’utiliser divers moyens de diffusion de l’information : orale,
écrite (journaux locaux, bulletin municipal) et audiovisuelle.
Toute intervention d’information doit tenir compte de l’interlocuteur
auquel on s’adresse, afin de choisir les moyens de communication les plus
adaptés et les plus efficaces, parfois aussi les plus percutants. Les diverses
techniques de l’écrit (publicité, tracts, brochures, articles, tableaux, affiches),
de l’audiovisuel (films, panneaux, photos, diapositives commentées) et de

171
Méthodologie de l’intervention en travail social

l’audio tout court (radio, exposés, conférences) et du numérique (réseaux


sociaux…) peuvent être utilisées avec profit, en les adaptant aux circons-
tances, aux moyens dont on dispose et à la population à laquelle on
s’adresse. Il ne faut pas négliger le recours aux technologies de l’information
et de la communication, notamment Internet, dans les interventions d’infor-
mation. Elles mettent l’information la plus complète à la portée de tous. Les
institutions sociales l’ont bien compris et ont toutes des sites Internet
d’information et de présentation très performants. Ces informations ­circulent
bien, notamment auprès des jeunes ­générations.
Dans les textes régissant les études des assistants de service social 32, le
domaine de compétences n° 3, « Communication professionnelle dans le
travail social », prépare les futurs professionnels à « élaborer, gérer et trans-
mettre de l’information ». Ces compétences se traduisent par :
« Savoir informer sur l’accès aux droits, savoir sélectionner des informations ;
savoir traiter et conserver des informations ; savoir leur donner du sens pour
une aide à la décision ; savoir construire et rédiger des analyses ; savoir argu-
menter des propositions ; savoir écrire la synthèse d’une situation ; savoir utiliser
les nouvelles technologies. »

Ce domaine de compétences prévoit à la fois l’information des usagers,


mais aussi la transmission et l’information aux organismes et partenaires
de l’action sociale 33.

8.2.2. L’orientation
Au sens étymologique, orienter veut dire reconnaître le lieu où l’on se
trouve, disposer une chose par rapport à l’orient, là où le soleil se lève, la
situer par rapport aux points cardinaux. L’orientation désigne aussi la capa-
cité d’un individu à se repérer dans le temps et dans l’espace, tandis qu’en
médecine, la désorientation temporo-spatiale est un des symptômes de la
confusion mentale.
En travail social, ce terme désigne, d’une part, des actions destinées à
conforter un choix et, d’autre part, celles facilitant l’accès aux ressources
disponibles.
Les interventions d’orientation dans divers dispositifs d’éducation ou de
protection de l’enfance sont celles qui apportent des informations et des
connaissances nécessaires à la prise de décision. Ainsi, les orientations
scolaires, professionnelles ou celle des bénéficiaires des minima sociaux
permettent de s’informer, de connaître les possibilités et perspectives des
métiers, d’analyser ses propres capacités et aptitudes afin de prendre une

32. Décret n° 2004‑533 du 11 juin 2004, JO du 15 juin 2004 et arrêté du 29 juin 2004,
JO du 23 juillet 2004.
33. Nous verrons cet aspect dans le paragraphe sur la veille sociale dans le chapitre 9 :
« L’intervention indirecte ».

172
L’intervention directe

décision en toute connaissance de cause. De même, les mesures d’observa-


tion et d’orientation permettent de recueillir les éléments indispensables à
une décision du juge des enfants, ou éventuellement du responsable du
service d’aide sociale à l’enfance du conseil départemental.
Les interventions d’orientation sont aussi destinées à permettre aux per-
sonnes l’accès aux ressources existantes en termes d’équipements, de droits
sociaux et de moyens matériels. Cette intervention prolonge l’information
par un accompagnement effectif dans la démarche pour atteindre les res-
sources. Elle peut se traduire, dans son expression la plus simple, par une
fiche de liaison facilitant à l’usager l’accès à un autre service, et dans des
situations plus complexes par l’accompagnement physique de la personne
dans une démarche auprès d’un service ou d’un professionnel.
Dans tous les cas, l’orientation nécessite de s’assurer au préalable de la
validité des informations détenues sur le service auquel on adresse la per-
sonne, de lui donner les plus grandes chances de trouver la réponse attendue
et de s’assurer de la suite réservée à sa démarche.

8.2.3. L’accès aux droits


Le droit est devenu une référence incontournable dans la société. Le droit
est un système de prescriptions issues de consensus, de volontés et de rap-
ports de force. Il institue un ordre social général et global au sein de la
société, en définissant des règles objectives, en imposant des devoirs ou en
conférant des droits et des pouvoirs aux individus. Il s’inscrit dans la loi et
s’applique à tous, et son exécution est garantie par la force matérielle du
pouvoir politique (police et justice).
Le droit social 34 comprend le droit du travail, d’une part, et le droit de la
protection sociale, d’autre part, ainsi que des domaines qui comportent
une dimension ou une préoccupation sociale manifeste (consommation,
santé, vieillesse, enfance, famille, éducation et formation, habitat, environ-
nement).
Lorsqu’on parle de droits fondamentaux, on se réfère bien sûr aux
droits proclamés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789, complétés par les droits économiques et sociaux nouveaux éla-
borés par le Conseil national de la Résistance (CNR) 35 et introduits, après
la Seconde Guerre mondiale, dans le préambule de la Constitution de 1946
et repris dans celle de 1958. Pour mémoire, rappelons que ce texte majeur
proclame, entre autres, les principes politiques, économiques et sociaux
suivants : égalité des droits entre les femmes et les hommes, devoir de

34. Barreyre J.-Y., Bouquet B., Nouveau dictionnaire critique d’action sociale, op. cit.
35. Programme du Conseil national de la Résistance. Texte adopté à l’unanimité le 15 mars
1944. En ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_
la_Resistance.

173
Méthodologie de l’intervention en travail social

travailler et le droit d’obtenir un emploi, le droit de grève et d’apparte-


nance syndicale.
« La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur
développement […]. Garantit la protection de la santé, la sécurité matérielle, le
repos et les loisirs […]. Tout être humain qui, en raison de son âge, son état
physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de
travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’exis-
tence 36. »

La crise économique et la mondialisation ayant produit un accroisse-


ment notable du chômage, de la précarité et de la pauvreté, les références
au travail salarié stable comme un repère d’insertion dans la société ont
eu tendance à s’amenuiser. Alors, tout un pan de législation sociale a
vu le jour comme manière de pallier et de réparer cette exclusion du
travail.
La multiplication et la superposition des dispositifs d’action sociale,
notamment tous ceux de lutte contre les exclusions et la pauvreté, ont
complexifié les services au point de les rendre incompréhensibles et inac-
cessibles aux principaux intéressés.
Le travail social a toujours été concerné par la dimension juridique, et le
droit est une des unités de formation les plus importantes de la plupart des
diplômes. Dans la réforme des études des assistants de service social de
2004, il occupe une place prépondérante avec deux unités de formation
contributives : l’UF 3 Droit (droit public, privé, civil, pénal et du travail) et
l’UF 4 Législation et politiques sociales (politique sanitaire et sociale, aide
et action sociales, protection sociale, politique de la ville, politiques sociales
territorialisées, politique de la famille).
L’accès aux droits est devenu une mission essentielle du travail social.
D’où le rôle dévolu au travailleur social d’informer, d’expliciter, d’aider à
connaître et d’accompagner les personnes dans leur accès aux droits. La loi
d’orientation relative à la lutte contre les exclusions 37 est venue renforcer
cette mission car dans son article 1, elle stipule :
« La lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de
l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des poli-
tiques publiques de la nation. La présente loi tend à garantir sur l’ensemble du
territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de
l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l’éducation,
de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l’enfance. »

36. Préambule à la Constitution de la République française, 1946. En ligne : http://www.


conseil-constitutionnel.fr.
37. Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions n° 98‑657 du 29 juillet
1998, JO du n° 175 du 31 juillet 1998. Et modifications suivantes, en ligne : www.legifrance.
gouv.fr.

174
L’intervention directe

Pour mener à bien cette intervention le travailleur social doit avoir des
connaissances précises en droit et législation, mais aussi connaître le
contexte institutionnel de l’action sociale et les procédures administratives
afférentes. Ces connaissances étant évolutives, il aura à cœur de les mettre
à jour par une documentation constante. L’information, l’orientation et
l’accompagnement, dont nous avons déjà parlé, sont des outils essentiels
pour la réalisation de cet objectif.

8.2.4. L’assistance matérielle


Le but de cette intervention est de permettre à l’usager, soit de pallier
momentanément une situation financière précaire, soit de bénéficier des
services exceptionnels réservés aux personnes et familles en difficulté.
La plupart des organismes sociaux prévoient des budgets et/ou des ser-
vices destinés à subvenir aux besoins matériels de ses ressortissants en cas
de difficultés financières graves et/ou pressantes. Il peut s’agir de fonds
publics (conseil départemental, municipalités), semi-publics (Sécurité
sociale, Caisse d’allocations familiales), ou privés (Secours populaire,
Secours catholique, Emmaüs, Restaurants du cœur, Croix-Rouge française,
comités d’entreprise). La précarisation montante a favorisé le développement
de nombreuses associations humanitaires portant assistance et secours aux
plus démunis. Ces organismes pourvoient soit la couverture des besoins
vitaux tels que denrées alimentaires, vestiaire, mobilier, hébergement
d’urgence, des secours en argent, soit des services tels que des placements
provisoires d’enfants, des départs en congés à coût réduit, etc. La principale
caractéristique de l’assistance matérielle est qu’elle ne fait pas partie des
droits de l’usager ressortissant de tel ou tel organisme, elle est réservée, en
principe, aux personnes et familles qui traversent une période de carence
matérielle exceptionnelle. Son octroi nécessite, alors, de justifier les motifs
pour lesquels elle est demandée. La demande écrite sera étudiée par une
commission d’attribution ayant pouvoir de décision.
La majorité des organismes ne prévoient l’étude que des demandes for-
mulées par les travailleurs sociaux. Ceux-ci sont alors les intermédiaires
obligés entre la personne et l’organisme susceptible de la secourir. Les tra-
vailleurs sociaux sont ainsi amenés à se porter garants de l’exactitude des
faits – ou de la situation – qui justifient l’octroi de l’assistance matérielle
exceptionnelle, et à devenir les porte-parole, les représentants, des per-
sonnes ou familles en difficulté.
Parmi les différents travailleurs sociaux, ce sont les assistants de service
social qui sont les médiateurs privilégiés lors des demandes d’assistance
matérielle. Les autres professions sociales sont plus exceptionnellement à
l’origine des demandes de ce type.
« Fort peu de demandes de secours émanent d’autres travailleurs sociaux, comme
les éducateurs, conseillères en économie sociale et familiale, tuteurs aux

175
Méthodologie de l’intervention en travail social

­ restations. Cette spécialisation des tâches est sans doute à attribuer au fait que
p
l’assistante sociale a été habilitée légalement à faire une enquête sociale 38. »

L’assistance matérielle situe l’usager dans une position de dépendance


vis-à-vis des organismes qui accordent secours ou services exceptionnels et
vis-à-vis du travailleur social chargé de transmettre sa requête. Elle le situe
aussi dans une position passive car, obligé d’expliciter les motifs qui justifient
sa demande, l’usager n’est plus maître ensuite du processus que cette
démarche va déclencher : rapport écrit, commission d’étude du dossier, déci-
sion d’attribution ou de refus. Il n’a aucun pouvoir sur les décisions qui seront
prises à son égard, ni sur le montant de l’aide financière, ni sur les délais à
attendre pour connaître la décision et pour percevoir le secours une fois
accordé.
L’assistance matérielle situe le travailleur social dans un rôle de média-
teur entre la personne et les organismes. Cette médiation lui confère un
pouvoir réel : le pouvoir de juger si la demande est justifiée, le pouvoir
d’écrire le rapport transmettant la requête, le pouvoir de se renseigner et
d’être tenu au courant des suites du dossier. De ce fait, il est essentiel d’uti-
liser ce pouvoir avec discernement toujours au bénéfice de la personne, et
de clarifier pour soi-même (et pour les autres) ses propres critères et attitudes
face à ce type d’intervention.
En effet, l’assistance matérielle peut soulever maints comportements du
travailleur social liés à la signification personnelle qu’il attribue à l’argent,
aux valeurs auxquelles il adhère et aux normes sociales qu’il fait siennes.
Il est donc utile d’être au clair avec sa propre conception de l’argent et du
pouvoir que celui-ci confère.
Par ailleurs, et sur un plan plus professionnel, les travailleurs sociaux
ont une série de critères ou de raisons professionnelles qui leur font accep-
ter favorablement la demande de la personne ou, au contraire, leur font
la refuser. Selon Bernadette Blanc 39, les travailleurs sociaux acceptent
favorablement la demande d’assistance matérielle lorsqu’il s’agit de :
–– soutenir une personne particulièrement « méritante », ou de soutenir
une personne qui est dans un état de besoin réel, touchant notamment les
besoins primaires : toit, couverture, nourriture, chauffage, électricité ;
–– soutenir une action à long terme et favoriser une issue positive ;
–– éviter une dégradation plus forte de la famille, même si le plan d’aide
ne laisse pas entrevoir une issue positive ;
–– ne pas heurter une personne qui en fait la demande pressante et ­risquer
ainsi de compromettre la relation professionnelle future.

38. Blanc B., De Robertis C. (1976), Les stratégies et les interventions en travail social,
Créteil, Coordination du Val-de-Marne, Centre de formation des travailleurs sociaux, texte
ronéotypé.
39. Idem.

176
L’intervention directe

En revanche, les travailleurs sociaux refusent d’être médiateurs de la


demande d’assistance matérielle lorsqu’il s’agit de :
–– éviter l’accoutumance à la demande de secours et l’installation de
l’usager dans un système d’assistance ;
–– stimuler une personne à se mobiliser, à se prendre en charge ;
–– une demande qui ne semble pas fondée ou semble provenir davantage
de la « débrouillardise » ;
–– une demande matérielle masquant une demande d’ordre relationnel
ou psychologique ;
–– faire confiance à la vitalité des personnes qui trouveront toujours une
solution.
Dans tous les cas, l’assistance matérielle est précédée d’une évaluation
de la situation de la personne et d’une clarification des critères profession-
nels qui président au choix de cette intervention. De plus, une série d’inter-
ventions indirectes se greffent sur la demande d’assistance matérielle, nous
les traitons dans le chapitre suivant.
Bien que l’assistance matérielle soit une intervention prioritairement
utilisée dans une dimension de travail individuelle ou familiale, certaines
formes peuvent être mises à profit lors d’un travail avec des groupes, notam-
ment en ce qui concerne l’accès à de services exceptionnels. Dans ces cas,
l’assistance matérielle peut consister à obtenir : des transports gratuits lors
d’une sortie, l’attribution de salles de réunion, le prêt ou don du matériel
nécessaire au programme du groupe, l’utilisation de certains services gra-
tuitement ou à tarif réduit (piscine, musées, cinéma). La plupart des groupes
d’adultes trouvent des moyens de financement de leurs activités, soit par
des activités destinées à renflouer leur caisse (fête, tombola, spectacles,
cotisations), soit par des demandes de subventions aux organismes compé-
tents (conseils départementaux, municipalités, ministères). En outre, les
interventions des travailleurs sociaux destinées à obtenir financements et/
ou services gratuits pour les activités du groupe sont plus fréquentes dans
les groupes d’enfants et d’adolescents.

8.2.5. L’éducation
En France, les professions sociales à dominante éducative sont nom-
breuses et diversifiées. Leur apparition successive dans le temps, leur appar-
tenance à des organismes employeurs parfois spécifiques (tels que les
délégués à la Protection judiciaire de la jeunesse, formés et employés par le
ministère de la Justice), la variété de leurs moyens techniques, les rendent
difficile à cerner. Les formations différentes quant à leur contenu et leur
certification, la population particulière à laquelle chacune d’elles s’adresse,
le contenu éducatif propre à chaque métier ne font qu’accentuer la dis­
persion, les disparités, les rivalités interprofessionnelles et, fort souvent,

177
Méthodologie de l’intervention en travail social

multiplient le nombre de travailleurs sociaux intervenant auprès d’une


même personne 40.
Certaines professions éducatives utilisent un support ou une technique
spécifique à transmettre ; nous trouvons ainsi les techniciens de l’interven-
tion sociale et familiale (TISF), les conseillères en économie sociale et fami-
liale, les délégués à la tutelle des prestations sociales, les animateurs
socioculturels, les éducateurs techniques. D’autres s’adressent à une caté-
gorie de population donnée :
–– jeunes enfants : éducateurs de jeunes enfants ;
–– enfance inadaptée : éducateurs spécialisés ;
–– handicapés : moniteurs éducateurs ;
–– personnes dépendantes : auxiliaires de vie sociale ;
–– couples : conseillers conjugaux et médiateurs familiaux ;
–– prédélinquants, jeunes délinquants, adultes sortant de prison : éduca-
teurs de la Protection judiciaire de la jeunesse et de la probation.
Parmi cette liste – non exhaustive – des professions sociales à dominante
éducative, la profession d’assistante sociale n’est pas mentionnée, car elle
ne porte pas habituellement ce label, tout au moins en France. Pourtant, de
par leur contact avec les familles, de par leur connaissance de la législation
sociale et des organisations, les assistants sociaux ont un rôle éducatif
auprès des populations. L’aspect éducatif de leur rôle est davantage mis en
relief dans d’autres pays (États-Unis, Amérique latine) où les professions
sociales sont moins nombreuses et moins atomisées.
Ces professions sociales à dominante éducative utilisent les diverses
formes d’interventions mentionnées dans ce chapitre car leur objectif édu-
catif est de promouvoir le développement personnel ou la réinsertion sociale
des enfants ou des jeunes, qu’elles agissent dans le cadre de foyers ou
d’internats, ou dans le milieu familial.
Pour toutes ces raisons, il est difficile de cerner et de définir les interven-
tions éducatives des travailleurs sociaux, le champ est vaste, il recouvre des
pratiques et des professions diversifiées, dispersées. Nous essayerons cepen-
dant de relever quelques idées sur les objectifs et les différents types d’inter-
ventions éducatives, malgré la difficulté de la tâche.
nnObjectifs
Tout système éducatif – famille, école, formation professionnelle – s’ap-
puie sur deux axes interdépendants et complémentaires : l’acquisition de
connaissances ou savoirs et la socialisation (acquisition de compétences et
comportements conformes aux normes sociales admises dans une société

40. Voir Salomon G.-M. (1977), « L’homme morcelé ou de quelques handicaps institu-
tionnels au travail social concerté », Connexions, n° 22.

178
L’intervention directe

donnée). Ainsi, depuis sa naissance, le jeune enfant est soumis aux pressions
diverses de son milieu, familial (ou son remplaçant : assistant familial,
crèche) pour commencer, scolaire ensuite, afin de développer ses capacités
et d’acquérir des connaissances et comportements correspondant aux
valeurs et normes admises par la société dans laquelle il est né et dans
laquelle il doit vivre. Ce véritable « dressage » existe dans toutes les formes
de société, même les plus éloignées de notre propre culture. Cet apprentis-
sage, cette reproduction et transmission des connaissances et des compor-
tements d’une génération à une autre adoptent des modalités différentes
selon les cultures, tant au niveau du contenu que de la forme. Les normes
sociales et les connaissances indispensables ne sont pas les mêmes, mais
leur transmission aux nouvelles générations est un impératif pour la survie
et la continuité du groupe social.
Les problèmes commencent à se poser lorsque les normes sociales habi-
tuellement admises deviennent objet de contestation et sont mises en cause,
lorsque les normes majoritaires sont confrontées à d’autres – minoritaires
et souvent agissantes –, qui contestent la validité, supposée universelle, des
normes dominantes ; ou encore lorsque des changements d’envergure ont
lieu sur le plan économique et social et ont des répercussions inévitables
sur le plan des valeurs, des comportements et des habitudes. C’est alors que
le système éducatif – et plus particulièrement son rôle de socialisation – est
touché dans son essence même, dans son objectif primordial : sur le plan
global, la perpétuation de la société, et au niveau individuel, l’intériorisation
des normes sociales. C’est sur cette confrontation des valeurs et des normes
que prennent racine certaines interventions éducatives des travailleurs
sociaux, ayant pris distance, ou étant en opposition, avec les normes sociales
habituellement admises, tel que nous le verrons plus loin.
Les interventions éducatives en travail social se nourrissent aussi de ces
deux axes que nous venons de mentionner : acquisition de connaissances
et de savoirs, et socialisation ou acquisition de comportements conformes
aux normes sociales en vigueur. Nous pouvons dégager trois types d’objec-
tifs différents selon la population à laquelle les travailleurs sociaux
s’adressent, encore que bien souvent les trois objectifs s’interpénètrent.
Apporter des connaissances et favoriser l’apprentissage de comporte-
ments liés aux rôles sociaux exercés par des adultes. Il s’agit ici de rendre
les adultes capables de tenir des rôles tels que : mère, père, conjoint(e),
organisation du foyer, exercice du métier, membre de groupes sociaux.
Développer les capacités latentes des enfants et des jeunes à travers
l’utilisation d’activités diverses (culturelles et de loisirs) ; ou rééduquer cette
même tranche d’âge lorsqu’il y a carence ou échec des instances habituelles
de socialisation de l’enfant (famille, école).
Réinsérer dans le milieu social habituel les jeunes et adultes en rupture
avec les normes sociales et la loi, par la recherche d’une place dans la société

179
Méthodologie de l’intervention en travail social

et l’acquisition de comportements compatibles avec ceux exigés par la vie


dans la société spécifique dans laquelle il vit.
nnTypes d’interventions éducatives en travail social

• Transmission d’un savoir et d’un savoir-faire


Il s’agit ici d’interventions centrées sur le contenu à transmettre et correspondant
au premier objectif que nous venons de définir. Elles s’adressent particulièrement
aux adultes et essaient de les rendre capables à l’exercice de rôles sociaux divers.
« La déficience du savoir ou de la préparation est un autre espace vide dans la
facilité d’une personne à tenir un rôle. Il y a des périodes dans lesquelles les gens
entreprennent – ou se voient imposer – de nouveaux rôles, alors qu’ils ne savent
absolument pas ce que ceux-ci impliquent. Lorsqu’une personne prend tous ces
nouveaux rôles, elle peut sombrer et échouer parce qu’elle manque à la fois de
savoir et de savoir-faire 41. »

Les professions sociales chargées de rendre capables les adultes d’assu-


mer des rôles sociaux s’adressent particulièrement aux femmes dans leur
rôle de responsable du foyer et de mère, ainsi puéricultrices, infirmières
(dans tout ce qui concerne l’éducation sanitaire), travailleuses familiales,
conseillères en économie sociale et familiale se relaient-elles dans ce type
d’intervention éducative. D’autres s’adressent au couple comme les conseil-
lers conjugaux et souvent les délégués à la tutelle des prestations sociales.
Rares sont ceux qui s’adressent aux hommes dans leurs rôles d’époux, de
père. Ceux qui s’adressent aux hommes et aux femmes dans leurs rôles de
travailleurs participant à la vie active sont principalement les assistantes
sociales du travail.
Ces interventions éducatives sont chargées de transmettre un savoir en
utilisant la parole, l’écrit ou d’autres moyens tels que le numérique et
l’audiovisuel. De ce point de vue, elles se rapprochent des interventions
d’information. La transmission du savoir-faire implique une relation de type
apprentissage : l’on enseigne par l’exemple et l’on sollicite l’autre à le suivre.
Nous retrouvons ces interventions éducatives tant au niveau individuel
que familial ou de groupe. Les assistantes sociales ou les conseillères en
économie sociale et familiale s’adressent autant à des groupes de femmes
– mères ou futures mères – qu’à des personnes individuellement en entretien
ou en visite à domicile ; c’est à cette occasion qu’elles rencontrent, parfois,
les hommes dans leur rôle de père lorsque la mère est absente temporaire-
ment (hospitalisation, accouchement) ou définitivement (veufs, divorcés,
séparés).

41. Perlman H. H., La personne, l’évolution de l’adulte et de ses rôles dans la vie, op. cit.,
p. 256.

180
L’intervention directe

• Rééducation, réinsertion sociale, développement  personnel


Nous trouvons ici des interventions éducatives centrées sur la personne
et axées sur la socialisation de celle-ci. Elles correspondent aux deux der-
niers objectifs que nous avons définis, et s’adressent à des enfants, adoles-
cents et jeunes, parfois aussi des adultes. Il s’agit souvent de personnes en
dehors de leur milieu naturel : enfants placés en institution, internats, foyers
d’adolescents, foyers postpénaux, centres d’hébergement et de réinsertion
sociale, centres d’accueil pour migrants ou demandeurs d’asile, etc. Dans
ces cas, les interventions éducatives se confondent avec le milieu institu-
tionnel. Mais les différentes catégories d’éducateur(trice)s exercent aussi en
« milieu ouvert » lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’adolescents qui vivent avec
leur famille.
Ce type d’intervention éducative se base sur une relation privilégiée
enfant-adulte ; à partir de cette relation avec un adulte « différent » – bien-
veillant, compréhensif, chaleureux, disponible –, l’enfant (ou le jeune)
pourra peu à peu dépasser ses difficultés et ses carences. L’adulte éducateur
se centre sur le jeune (ou enfant) ; son projet éducatif est très individualisé,
même lorsqu’il voit le jeune en groupe ou dans l’institution ; sa démarche
est de comprendre le comportement de l’enfant tant à partir de son histoire
personnelle qu’à partir de l’analyse de la situation présente : situation fami-
liale, sociale, institutionnelle.
Le souci de l’éducateur(trice) est l’évolution personnelle de l’enfant ; ses
interventions ont pour but de favoriser son développement et d’élargir les
opportunités qui lui sont offertes. Lorsqu’il utilise des activités d’expression,
de loisirs ou culturelles, il s’agit de supports, de moyens, permettant à
l’enfant (ou au jeune) de développer des capacités, de découvrir d’autres
possibilités en lui-même et dans son entourage.
Dans ce cadre d’éducation centrée sur l’individu et basée sur une relation
privilégiée adulte/enfant, nous retrouvons des travailleurs sociaux s’occu-
pant de l’enfance et de l’adolescence à problèmes divers : éducateurs(trices)
spécialisé(e)s, éducateurs de prévention, moniteurs éducateurs. Les enfants
et les jeunes sont souvent ceux pour lesquels la famille et l’école ont échoué
dans leur rôle éducatif et qui se trouvent hors des structures sociales habi-
tuelles, dont ils sont parfois rejetés. Dans leur tâche de réinsertion sociale
et de rééducation, les travailleurs sociaux sont souvent amenés à remplacer
les figures parentales absentes ou défaillantes, et à exercer un rôle de sup-
pléance auprès des enfants.

• Pratiques éducatives critiques


On peut parfois constater l’émergence de pratiques éducatives différentes,
en opposition et/ou en conflit avec les normes sociales admises. Le phéno-
mène – bien qu’il ne soit pas nouveau, car bien des travailleurs sociaux se
sont opposés aux normes sociales dominantes lorsque la situation des

181
Méthodologie de l’intervention en travail social

usagers l’exigeait et cela tout au long de l’histoire du travail social – fait du


bruit, interroge les professionnels et les sollicite. D’autant plus que certaines
de ces pratiques se heurtent à la répression 42, d’autres sont diffusées par des
revues 43 et certaines encore trouvent des « théoriciens contestataires » pour
les rassembler et les diffuser dans une littérature critique 44.
Deux orientations se dégagent, celle qui soutient, dans la pratique, le
détournement plus ou moins systématique des normes sociales, et celle qui
cherche, à travers une pratique collective, de nouvelles formes de prise de
conscience, de conscientisation et de transformation de la réalité sociale.
Pour les premiers, selon Jean-Marie Geng, « il vaut mieux partir de l’exis-
tant, quitte à le retourner, par exemple en promouvant le détournement
systématique, conscient, politisé, des institutions et des fonctions existant
dans le secteur social. Ce détournement ne serait qu’une critique en actes
des “mandats” actuels qui font obligation aux travailleurs sociaux de ne
traiter que des symptômes, leur interdisant tout accès, même théorique,
aux causes ; et qui les amènent à respecter en fait les mécanismes d’exclu-
sion 45 ».
L’auteur, va jusqu’à dresser le « portrait naïf » – comme il le dit lui-
même – de l’anti-éducateur : joyeux, bon vivant, proche de la nature, du
grand air, aimant le sport pour le plaisir.
« L’anti-éducateur est athée en pédagogie, pauvre en recettes éducatives. Leur
foutre la paix pourrait être sa devise (n’étant pas maso, il veut la réciproque) s’il
en avait une. […] Il a l’avantage, l’étant lui-même, d’un contact facile avec les
asociaux ; chaque fois, c’est une rencontre nouvelle, pas codée par la psychopé-
dagogie – jamais une relation qu’il “conduirait” 46. »

La seconde orientation cherche, à travers une pratique d’intervention


sociale d’intérêt collectif – souvent en groupe, parfois touchant tout un
quartier – à conscientiser les personnes concernées, c’est-à-dire à leur faire
découvrir, analyser la situation vécue dans laquelle ils se trouvent et à
envisager les moyens de la transformer. Le mot conscientisation s’inspire
directement des travaux de Paulo Freire, pédagogue brésilien ; il est souvent
employé comme synonyme de « faire prendre conscience » aux autres, ce
qui n’est pas l’expression des écrits et de la pensée de l’auteur. Car, pour lui,
« personne ne conscientise personne, c’est ensemble, par la médiation de la

42. Intersyndicale CGT-CFDT des centres d’action éducative (1979), Le travail social en
procès. L’affaire des éducateurs à Nantes, Lyon, Fédérop.
43. Voir la revue Champ social, éd. Solin, France, 27 numéros depuis 1973. Revue
Contradictions (1979), « Travail social alternatif ? », n° 19‑20.
44. Geng J.-M. (1977), Mauvaises pensées d’un travailleur social, Paris, Seuil, coll.
« Combats ».
45. Ibidem, p. 187.
46. Ibidem, p. 164.

182
L’intervention directe

réalité dans laquelle on agit, dans la confrontation et la réflexion, qu’on se


conscientise mutuellement 47 ».
Bien des pratiques éducatives « différentes » se conduisent – sans néces-
sairement s’en réclamer – à partir des idées de Paulo Freire et de son expé-
rience au Brésil et ensuite au Chili dans la décennie 1960‑1970 48. Le travail
social en Amérique latine s’est largement inspiré de ses méthodes et écrits
et, tant que la situation politique globale des différents pays le permettait,
il s’est efforcé de mettre en pratique des expériences de conscientisation tant
dans des structures de groupes de quartier que dans des unités de ­production.
En France, plusieurs organisations et mouvements interviennent en met-
tant l’accent sur la prise de conscience individuelle et collective de la situa-
tion et des moyens pour la transformer. Il s’agit particulièrement d’organismes
s’adressant aux personnes exclues de la société française : bénéficiaires des
minima sociaux, travailleurs migrants, jeunes issus de l’immigration dans
les cités dites « sensibles », refugiés… Pour certains, leur action cherche
à faire entendre la parole des personnes, tels l’Université du citoyen ou
le mouvement ATD Quart Monde, pour d’autres, elle a permis l’auto-
organisation de certaines catégories d’exclus, tels que les chômeurs dans les
comités de chômeurs ou Action contre le chômage (AC) ou encore les sans-
logis dans le Droit au logement (DAL).

8.3. Persuader – Influencer


S’il est vrai que toute personne en relation avec une autre (ou plusieurs
autres) exerce et éprouve des influences par le jeu des communications et
des interrelations, il est tout aussi vrai que l’influence d’une personne sur

47. Humbert C. (1976), « Conscientisation », document de travail/3, INODEP, Paris, IDOC/


L’Harmattan, p. 27.
48. Paulo Freire est né en 1921 dans le Nordeste brésilien. Il a mis en forme sa méthode
d’alphabétisation d’adultes en 1961, et elle fut expérimentée à partir de 1962 dans le Nordeste
brésilien – région extrêmement pauvre qui comptait 15 millions d’analphabètes sur 25 mil-
lions d’habitants. Le régime politique progressiste et populiste de Jao Goulart favorise l’appli-
cation de la méthode « Freire » d’alphabétisation-conscientisation, car les analphabètes ne
votent pas au Brésil et chaque analphabète en moins devient un vote en puissance pour les
forces progressistes.
« L’alphabétisation–conscientisation inaugurée connaît un très rapide succès : en
quarante-cinq jours, trois cents travailleurs de Rio Grande do Norte sont alphabétisés. » Les
projets pour 1964 prévoyaient 130 000 électeurs supplémentaires dans deux États les plus
pauvres du Brésil. Le coup d’État militaire d’avril 1964 a mis un terme à l’application de la
méthode Freire ; celui-ci, emprisonné, parvient au Chili – après s’être réfugié à l’ambassade
de Bolivie – où il a pu continuer son expérience. Sa méthode devient la méthode officielle
d’alphabétisation du gouvernement démocrate-chrétien d’Eduardo Frei. Pour plus de détails
concernant la méthode pédagogique, voir Freire P. (1977), Pédagogie des opprimés. Suivi de
conscientisation et révolution, Paris, François Maspéro, coll. « Petite collection Maspéro »
(nouvelle édition en 1982).

183
Méthodologie de l’intervention en travail social

l’autre peut être volontaire, orientée, choisie. En fait, nous exerçons


consciemment ou inconsciemment des influences sur les autres, et celles-ci
peuvent être plus ou moins subtiles ou plus ou moins adroites…
En travail social, différentes formes d’interventions couramment utilisées
tendent à exercer, de façon consciente et voulue, une influence sur la per-
sonne, afin de l’amener à modifier sa situation ou à faire (ou ne pas faire)
telle ou telle chose. Bien évidemment, les travailleurs sociaux exercent aussi
des influences moins conscientes, et, réciproquement, ils subissent des
influences de la part des usagers. Nous ne développerons ici que les inter-
ventions choisies de façon à influencer dans une certaine direction les
décisions de la personne.
Ces propos pourront sembler, à première lecture, aller à l’encontre de la
liberté de la personne de choisir et de décider par elle-même des solutions
et le mode de vie qui lui convient le mieux. C’est pour ce motif que les
interventions de ce type sont souvent niées ou passées sous silence.
Cependant, les interventions qui ont pour objectif d’influencer dans un
certain sens les décisions de la personne prennent toute leur signification
lorsque l’on analyse les éléments contradictoires d’une situation spécifique.
Car, ce qui est une solution positive pour les uns peut se révéler préjudiciable
pour les autres, ce qui est de l’intérêt d’un individu peut ne pas être de l’inté-
rêt de sa famille, de son groupe d’appartenance ou de la société globale, ce
qui est pour l’usager une solution dans l’immédiat peut se révéler une dif-
ficulté supplémentaire à long terme.
Parmi ces différents types d’interventions, nous traiterons ici le conseil,
la confrontation et la persuasion.

8.3.1. Le conseil
Cette forme d’intervention – comme d’ailleurs toutes celles de cette rub­
rique – a pour objectif d’influencer la personne afin qu’elle organise sa vie,
ses activités, de la façon la plus adéquate selon l’optique et les références
du travailleur social ou de l’organisme qu’il représente.
Fort souvent, les travailleurs sociaux se trouvent face à des personnes
ou des groupes qui leur demandent leur avis sur la situation à laquelle ils
sont confrontés. La tentation de conseiller l’autre sur la meilleure façon
d’agir ou de résoudre le problème est alors très grande. Bien souvent, leur
avis est sollicité en tant qu’expert, en tant que personne compétente et dans
certaines situations, la réponse aura un certain impact, et le conseil sera
suivi par la personne.
Mais, la question posée par cette forme d’intervention est que le travail-
leur social n’est pas forcément compétent dans tous les domaines, encore
moins lorsqu’il s’agit de prendre des décisions au sujet de la vie d’autres
personnes. Par ailleurs, sa façon de concevoir des solutions ou des portes
de sortie aux problèmes des autres est fonction de ses propres valeurs, de

184
L’intervention directe

ses propres normes et cadres de référence. Les valeurs et les références de


l’usager, les solutions qu’il considère les plus efficaces, ou tout au moins
possibles, peuvent être différentes de celles du travailleur social.
Lorsque le travailleur social donne un conseil, la personne se trouve
confrontée au dilemme suivant : suivre le conseil de l’« expert », même si
elle n’est pas d’accord, et alors s’assurer de la bienveillance future et de
l’approbation du travailleur social ; ou ne pas suivre le conseil et prendre
par elle-même une autre décision, au risque de déplaire et même d’entrer en
conflit avec le travailleur social dont elle a, néanmoins, besoin.
Au niveau individuel et familial, les répercussions de ce dilemme peuvent
être douloureuses pour la personne qui ne s’octroie pas le droit d’entrer en
opposition et/ou en conflit avec le travailleur social avec lequel elle entre-
tient une relation de confiance. Il est possible au travailleur social de réduire
la culpabilité qu’un éventuel refus du conseil entraînerait chez la personne,
en stipulant clairement dès le départ que son avis n’est pas nécessairement
le bon et que le conseil qu’il donne n’oblige pas forcément l’usager à le
suivre au pied de la lettre. Dire à la personne qu’elle est, malgré le conseil
du travailleur social, libre de ses actes et de ses décisions est une façon de
renforcer ses capacités d’autodétermination. Lui dire que le travailleur social
peut se tromper et qu’il ne détient pas la vérité pour tout le monde ni sur
tous les sujets, c’est démystifier le savoir de l’expert et signifier que la vérité
n’est peut-être pas la même pour tous, car chaque personne est unique.
Le refus du conseil par la personne peut aussi être considéré comme un
acte d’affirmation et d’autonomie de sa part, signe de son dynamisme et de
sa capacité à devenir acteur de sa vie.

8.3.2. La confrontation
Cette intervention consiste à confronter la personne aux conséquences
de ses actes, et auparavant à la prévenir des conséquences que tel ou tel type
de comportement entraînera. La personne subit ainsi une force dissuasive
importante. Le travailleur social tente de le détourner en le confrontant aux
conséquences futures.
Cette confrontation aux conséquences ultérieures de ses actes ou déci-
sions s’avère utile dans le cas de personnes ou familles dont la capacité à
se projeter dans l’avenir et à imaginer le futur est limitée. Les travailleurs
sociaux rencontrent fréquemment des personnes qui ne vivent qu’au jour
le jour, incapables même de se projeter dans leur avenir immédiat. Les
amener alors à réfléchir sur les différentes possibilités et les conséquences
de chacune d’entre elles peut être un moyen éducatif non négligeable.
Avec d’autres personnes, et particulièrement avec des jeunes ou des
enfants – soit individuellement, soit en groupe –, cette forme d’interven-
tion peut les amener à accepter la responsabilité de leurs décisions et
agissements.

185
Méthodologie de l’intervention en travail social

Il ne faut pas oublier, cependant, que ce type d’intervention a toujours


comme objectif d’influencer l’usager afin qu’il prenne des décisions en toute
connaissance de cause, et afin qu’il soit responsable de ses actes. L’un des
inconvénients de cette intervention, c’est qu’elle permet au travailleur social,
par la suite, de dégager sa responsabilité et d’avoir, vis-à-vis de la personne,
une attitude de reproche du style : « Je vous avais bien prévenu. » Dans
l’ensemble, l’usager peut se trouver culpabilisé et se sentir abandonné par
le travailleur social si, malgré l’influence exercée par la confrontation, il
prend des décisions ou accomplit des actes qui vont à l’encontre de l’avis
du travailleur social. Il est alors nécessaire de lui assurer la plus complète
acceptation de lui-même en tant que personne, même si le travailleur social
lui signifie sa désapprobation quant à ses actes ou ses décisions.

8.3.3. La persuasion
Cette intervention tente d’influencer la personne à un degré plus élevé
que les deux précédentes. Il s’agit, en effet, de la convaincre de se rallier aux
propositions du travailleur social. Celui-ci utilisera alors tout son pouvoir
de conviction ; il pourra faire appel au raisonnement logique, étaler les
arguments favorables aux propositions qu’il soutient, peser le pour et le
contre des solutions possibles, alors que ses propres propositions sont lar-
gement avantagées.
Le pouvoir de persuasion du travailleur social prend ses racines dans la
considération qui lui accorde la personne. Si celle-ci a une haute opinion
du travailleur social en tant que professionnel, mais aussi en tant que per-
sonne, elle acceptera plus facilement de se laisser convaincre. En outre,
le statut et le rôle du travailleur social, son mandat et son appartenance
à une institution bien déterminée font que son pouvoir de persuasion
est accru, et le placent dans une position privilégiée. Car il peut accompa-
gner ses ­arguments de pressions plus ou moins déguisées ou plus ou moins
subtiles et, le cas échéant, de promesses de gratification (assistance maté-
rielle entre autres). Alors l’usager a bien du mal à ne pas se ­laisser convaincre,
tenu comme il l’est par le besoin de trouver des solutions à sa situation
présente.
Cette forme d’intervention n’est pas, en soi, à bannir de la pratique
professionnelle ; tout dépend du contexte, de la situation de la personne,
des intérêts opposés et conflictuels qui peuvent exister entre différents
membres d’une famille ou d’un groupe, de l’évaluation qui est faite par le
travailleur social, des objectifs de travail qu’il poursuit. Un exemple peut
illustrer ces propos.
La famille Y est suivie régulièrement par une assistante sociale dans le
cadre d’une mesure d’éducation en milieu ouvert (mandat du tribunal pour
enfants, mesure de protection de l’enfance en danger) destinée à accompa-
gner le retour au foyer de deux enfants placés depuis 8 ans. La famille a
trois autres enfants plus jeunes, parmi ceux-ci, Josiane, 9 ans, est une fillette

186
L’intervention directe

particulièrement épanouie. La famille y a eu de très grosses difficultés dans


le passé, et a dû subir le retrait autoritaire de deux enfants, placés alors
qu’ils avaient 1 an et 2 ans, pour cause de mauvais traitements. Depuis, les
parents sont incapables de se séparer de leurs enfants, même pour une
demi-journée. Ils fréquentent l’école, mais aucune autre activité avec
d’autres enfants n’est supportée par les parents. Les deux plus jeunes enfants
(4 et 5 ans) restent auprès de leur mère et ne vont pas à l’école maternelle.
Tous deux présentent un retard important du langage et de l’acquisition de
la propreté.
Dans ce contexte, l’école contacte le travailleur social pour signaler que
la classe de Josiane partira en classe de neige à la montagne, et que la petite
est la seule dont le départ a été refusé par les parents.
L’assistante sociale, forte de la considération que cette famille lui porte,
forte de son statut de « personne compétente », forte de son mandat (qui ne
concerne pas toutefois Josiane), intervient auprès du couple parental afin
de les persuader d’envoyer l’enfant avec l’ensemble de sa classe. Tous les
arguments ont été donnés, les parents ont apporté de nombreuses objections
à ce départ, auxquels l’assistante sociale a répondu de façon précise en
soulignant les bénéfices pour l’enfant, en minimisant les dangers éventuels
encourus. À l’argument financier final, l’assistante sociale a proposé de faire
une demande d’aide matérielle pour financer le départ, et même de couvrir
une partie des dépenses de trousseau.
L’enfant, ravie, est partie avec sa classe. Par la suite, les parents ont pu
longuement discuter avec l’assistante sociale de ce que le départ d’un enfant
signifiait pour eux, et de leur crainte constante de perdre leurs enfants. Au
retour de Josiane, le petit Xavier (5 ans) avait été inscrit à l’école maternelle
et était conduit tous les jours par l’aînée. Trois mois plus tard, Julien 4 ans
a été inscrit aussi pour la rentrée suivante. Il n’a pas été possible, cependant,
d’envisager le départ en colonie de vacances d’aucun des cinq enfants de la
famille Y pendant les grandes vacances d’été.

8.4. Contrôler – Exercer une autorité


Sous cette rubrique, nous regroupons les interventions qui ont pour
objectif d’imposer à l’usager des contraintes et des limites ainsi que d’exercer
sur lui une certaine surveillance. Nous regroupons ici les interventions
suivantes : le travail de suite, les exigences et limites, et le contrôle.
Toutes ces interventions impliquent l’exercice d’une certaine autorité
par le travailleur social. Celle-ci prend sa source au niveau de la loi (man-
dat), au niveau des institutions sociales et particulièrement de l’organisme
employeur qu’il représente, au niveau de sa compétence (attestée par sa
qualification et son diplôme) et de son expérience professionnelle. Cette
autorité existe indépendamment de la volonté du travailleur social et

187
Méthodologie de l’intervention en travail social

malgré tous ses efforts pour l’atténuer ou la réfuter. L’autorité prend sa


source dans son statut et son rôle ; elle est constamment présente dans
toutes les formes d’interventions que nous avons évoquées. Elle ne doit pas
être confondue avec le terme « autoritaire » qui signifie, dans le langage
courant, une attitude de tyran, imposant son bon vouloir au mépris des
autres.
Le problème n’est pas tant de savoir si l’autorité du travailleur social
existe ou si elle est bien ou mal perçue par l’usager. Le problème posé est de
savoir comment chaque travailleur social exerce cette autorité et de quelle
façon il l’utilise pour influencer et modifier la situation au bénéfice de la
personne. Car l’obligation éthique et déontologique d’un travailleur social
exige qu’il ne trahisse pas le secret professionnel ni qu’il accepte des inter-
ventions dont la finalité serait celle du contrôle social des populations,
comme nous le verrons au paragraphe 8.4.3.
Nous ne pouvons parler de l’usage de l’autorité que fait le travailleur
social sans en même temps rappeler ce qui est du ressort du pouvoir de
l’usager. En effet, ce n’est pas parce que les travailleurs sociaux sont dans
une position d’autorité que du même coup la personne se trouve démunie
de tout pouvoir. Le pouvoir essentiel de la personne est celui de mener sa
vie comme elle l’entend, et aucun travailleur social ne pourra jamais lui faire
modifier ses choix de vie si elle-même ne le désire pas. Il est impossible
d’aider quelqu’un contre son gré. L’usager peut accepter une intervention
dans laquelle il n’est pas demandeur, il peut aussi refuser toute intervention
du travailleur social ou y résister activement. Les travailleurs sociaux sont
parfois confrontés aux personnes qui ne viennent pas aux rendez-vous
proposés, qui n’ouvrent pas leur porte lors des visites à domicile, qui s’op-
posent activement ou passivement aux suggestions et propositions. L’usager
a – à lui seul – le pouvoir de mettre en échec le travailleur social, quels que
soient la compétence et le désir d’aider de celui-ci 49. Il semble important de
le rappeler lorsque la question de l’exercice de l’autorité du travailleur social
est abordée.

8.4.1. Le travail de suite


Par travail de suite, nous entendons les visites à domicile ou entretiens
effectués auprès des personnes qui ne sont plus accompagnées régulièrement
par le travailleur social, mais dont la situation instable ou fragile fait
craindre des difficultés périodiques ou des périodes de crise. Cette forme
d’intervention est souvent pratiquée en hygiène mentale, auprès de malades
stabilisés, comme elle l’est auprès de personnes ayant eu des comportements
addictifs dans le passé.

49. Voir à ce sujet, Pascal H. (1980), « Mandat judiciaire et pouvoir des clients du service
social », Informations sociales, n° 4.

188
L’intervention directe

Les travailleurs sociaux qui ont aidé une personne ou une famille sont
souvent amenés à la revoir de temps à autre ; ces rencontres peuvent être
plus ou moins espacées (2 à 6 mois) selon le cas. Elles ont pour objectif
d’exercer une vigilance discrète sur la situation de l’usager et éventuelle-
ment de prévenir une nouvelle détérioration en intervenant rapidement en
cas de nouvelle difficulté. Ce travail de suite est proposé aux personnes dont
les problèmes sociaux ou relationnels réapparaissent de façon cyclique, ou
à ceux dont l’instabilité (sociale ou psychologique) fait craindre des rechutes
périodiques. Les rencontres avec le travailleur social, espacées dans le temps,
ont alors un effet stabilisant, elles créent un cadre relationnel constant,
peuvent servir à renforcer l’équilibre précaire et à offrir un travail plus
intensif lorsque de nouveaux problèmes surgissent.
Ce travail de suite est exercé plus particulièrement auprès des personnes
dont on craint qu’elles ne puissent pas faire la démarche de demander de
l’aide auprès du travailleur social en cas de difficulté.

8.4.2. Les exigences et limites


L’une des formes que prend l’exercice de l’autorité des travailleurs
sociaux est celle du rôle parental. La relation avec l’usager se bâtit alors sur
le modèle familial, le travailleur social exerce son autorité comme un « bon
père de famille » ou une « bonne mère de famille ». Ce modèle familial 50 est
particulièrement utilisé dans l’intervention auprès d’enfants, adolescents et
jeunes, mais ce rôle est aussi parfois emprunté auprès d’adultes.
Les interventions destinées à imposer des exigences à l’usager ou à lui
fixer des limites prennent leurs racines dans l’utilisation du modèle de
relation parentale, car ce sont en effet les parents qui, investis de l’autorité
que leur rôle éducatif leur confère, sont amenés à poser des limites des
interdits et à avoir des exigences vis-à-vis de leurs enfants.
De même, les travailleurs sociaux, lors d’interventions de ce type,
peuvent avoir des exigences vis-à-vis des personnes et leur imposer des
limites. Des exigences de respect des engagements et du contrat, des horaires
et régularités des rencontres, des exigences quant à l’effort déployé pour
résoudre tel ou tel problème, faire telle ou telle démarche, assumer ses
responsabilités et répondre à ses obligations. Par exemple, Mme M, demande
instamment à l’assistante sociale de voir les professeurs de son fils Éric qui
a des difficultés scolaires (il est en sixième). L’assistante sociale refuse,
expliquant que c’est à elle en tant que mère de contacter l’école et les pro-
fesseurs et d’intercéder pour son fils. L’assistante sociale explore avec
Mme M les difficultés qu’elle a à prendre contact avec le milieu scolaire.
Mme M a peur de ne pas s’exprimer correctement et l’école de ses enfants lui

50. Samoff M. (1974), « Familialisation et professionnalisation, évolution du travail social


et formation des éducateurs », Orientations, t. XIV, avril.

189
Méthodologie de l’intervention en travail social

rappelle douloureusement son propre échec scolaire, néanmoins elle a déjà


été capable de surmonter cette difficulté à diverses reprises. Ensuite l’assis-
tante sociale incite Mme M à assumer ses responsabilités de mère, et lui
demande d’aller rapidement voir l’école avant que l’année scolaire d’Éric ne
soit compromise. L’assistante sociale dit à Mme M qu’elle serait très contente
d’apprendre à sa prochaine visite (dans 15 jours) que cette démarche a déjà
été faite et d’en connaître le résultat.
Dans cet exemple, l’utilisation de la frustration s’accompagne du renfor-
cement de Mme M dans son rôle de mère, l’exigence imposée suit – avec
précision de délais et d’urgence – et s’accompagne d’une gratification toute
parentale : « Si vous faites cette démarche auprès de l’école, je serai
contente. »
Ce type d’intervention est souvent pratiqué afin de stimuler et de mobi-
liser la personne, de la faire agir. Cependant, les exigences imposées doivent
être mesurées par rapport à ce qui est possible et réalisable, tant sur le plan
physique qu’intellectuel ou affectif. Dans l’exemple cité, l’exploration des
difficultés de Mme M à aborder les enseignants tente de mesurer effective-
ment ses capacités à le faire. Il est inutile, en effet, de demander à la per-
sonne des choses impossibles ou qui la remettront face à des nouveaux
échecs. Les exigences doivent s’accorder avec ses capacités réelles et néces-
sitent une évaluation préalable de celles-ci.
Il ne semble pas inutile de rappeler que le travailleur social est en mesure
d’imposer des exigences à l’usager lorsque lui-même s’en impose en ce qui
concerne la qualité de son travail, et lorsque lui-même est disposé à accepter
les exigences de l’usager à son égard.
Imposer des limites revêt certains aspects très proches de l’exigence. Il
s’agit d’établir un cadre dans les limites duquel on peut travailler, et qui
implique des règles à respecter. Ces règles sont souvent imposées par le
travailleur social, parfois elles sont établies avec les personnes elles-mêmes
comme c’est fréquent dans la pratique avec les petits groupes.
L’imposition de limites inclut l’usage de la frustration et des interdits.
Elle s’accompagne parfois d’interventions de soutien ou de clarification afin
d’aider la personne à exploiter les limites imposées et la frustration ressentie
comme moteurs de dynamismes nouveaux. Cela est particulièrement vrai
lorsque l’intervention, loin d’être ressentie comme une punition, est perçue
par la personne – et explicitée par le travailleur social – comme un défi,
comme un pari avec elle-même.
Certaines personnes – et notamment certains enfants et jeunes – ont
beaucoup de difficultés à supporter la frustration et l’imposition de limites.
Il s’agit souvent d’individus ayant subi des carences affectives importantes
lors de leur première enfance. Éducateurs et assistantes sociales en ren-
contrent dans des structures institutionnelles diverses : internats, foyers,
centres d’hébergement, centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP),
centres de rééducation, etc. Avec eux, les travailleurs sociaux utilisent

190
L’intervention directe

fréquemment la dimension du groupe comme cadre au sein duquel l’appren-


tissage des règles et des limites peut s’effectuer – de façon indirecte – à
travers les activités et les jeux. Ceux-ci offrent, en effet, une gamme tou-
jours renouvelée de possibilités. Chaque matériel utilisé (terre, pâte à mode-
ler, peinture à l’eau ou à l’huile, encres et crayons, papiers, fils et laine,
tissus, cuir, métal…) impose de lui-même des limites et des contraintes pour
sa maîtrise. Les jeux, à des degrés divers, obligent à accepter une série de
règles indispensables pour que puisse s’organiser une activité collective.
Certains assignent des exigences et limites peu contraignantes et assez
souples ; d’autres, au contraire, dictent des règles strictes et difficiles aux-
quelles les joueurs doivent nécessairement se soumettre. Ainsi, le choix de
l’activité proposée à un de ces groupes devient une tâche primordiale dans
l’intervention des travailleurs sociaux, qui peut de ce fait moduler le degré
d’exigence technique et le degré de limites imposés par les règles et les
adapter aux besoins et capacités des membres du groupe 51.
En outre, c’est dans le cadre des groupes – quel que soit l’âge des
membres ou l’objectif du groupe – que les personnes qui y participent sont
soumises à des limitations et des contraintes imposées par les interrelations
et la dynamique interne du groupe, par les membres eux-mêmes. Lorsque
les limites et les exigences sont imposées par les propres participants du
groupe, les uns par rapport aux autres, la frustration qui en résulte revêt des
caractéristiques et des significations différentes de lorsqu’elles sont imposées
par le travailleur social.

8.4.3. Le contrôle
Bien que le Code de déontologie des assistants de service social stipule
dans son article 15 que « l’assistant de service social ne doit accepter
d’intervenir ni fournir des renseignements dans un but de contrôle 52 »,
certaines formes de contrôle peuvent exister dans le cadre même de sa
fonction. Toutefois, en aucun cas, elles doivent dénaturer l’objectif de
l’intervention qui est toujours centrée sur la personne et l’aide et le soutien
à lui apporter.
En aucun cas, ce contrôle exercé par le travailleur social ne peut aller à
l’encontre de ce que sont ses missions et la finalité de son intervention. Ces
missions sont claires : selon les fiches métiers validées par l’État, l’assistant
de service social « accueille, soutient, oriente et accompagne la construction
de projets en tenant compte des potentialités des personnes et des possibi-
lités offertes par la collectivité 53 ». Ainsi, une intervention qui n’aurait
comme objectif que la dénonciation ou l’information sur la situation de la

51. Voir à ce sujet le chapitre 9 : « L’intervention indirecte », paragraphe 9.2.3. Le choix


d’activités de support dans le programme d’un groupe.
52. www.anas.fr.
53. www.solidarites-sante.gouv.fr.

191
Méthodologie de l’intervention en travail social

personne ou la famille aux autorités qui le souhaiteraient est incompatible


avec l’exercice de la profession. Comme nous le rappelle Didier Dubasque :
« Les travailleurs sociaux exercent certains contrôles dans le cadre de leur travail,
mais ces contrôles ont toujours une finalité d’aide ou de protection (aides finan-
cières, protection de l’enfance ou des adultes vulnérables…). Contrôler pour
réprimer la fraude ne peut pas être une mission de travailleur social 54. »

Il faut, de plus, respecter le secret professionnel auquel ils sont tenus et


qui protège la vie privée des personnes accompagnées.
Le contrôle 55 exercé sur l’usager est déjà présent dans les autres formes
d’interventions où le travailleur social est amené à exercer une autorité. Il
est souvent difficile de délimiter ce qui a trait exclusivement au travail de
suite, à l’imposition d’exigences et de limites et ce qui est de l’ordre des
interventions de contrôle. Par ces dernières nous entendons les interventions
qui ont pour objectif de dissuader la personne et celles qui ont pour objectif
de dépister rapidement des difficultés. Les interventions de contrôle dont
l’objectif est la dissuasion s’exercent pour la plupart dans le cadre d’un
mandat légal. L’autorité exercée par le travailleur social prend alors sa
source dans la loi et celle-ci légitime ses interventions de contrôle. Il s’agit
parfois de contrôler que les agissements passés de la personne ne se repro-
duisent plus, et d’exercer, de ce fait, une force dissuasive par la présence à
ses côtés et, simultanément, par le recours des interventions éducatives.
Ainsi, par exemple, la pratique exercée auprès de jeunes délinquants par les
éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, ou auprès de familles
incapables de gérer leur budget sans préjudice pour les enfants, par les
délégués à la tutelle aux prestations sociales. Dans les deux cas, il s’agit de
mesures ordonnées par la justice, les travailleurs sociaux représentent
l’autorité du juge.
D’autres travailleurs sociaux exercent aussi un contrôle sur l’usager
même dans des cadres moins contraignants pour les uns ou les autres. Ainsi,
une travailleuse familiale travaillera journellement auprès d’une femme
alcoolisée, en traitement de désintoxication ambulatoire ; sa présence est
destinée tant à la soutenir dans ses efforts qu’à exercer une pression dissua-
sive si elle venait à boire à nouveau. Une assistante sociale verra très régu-
lièrement une famille monoparentale connue de son secteur, car cette jeune
femme seule, avec deux enfants en bas âge, sans travail, sans famille,
s’adonne, depuis peu, à la prostitution comme moyen d’existence.
Ces interventions de contrôle à objectif de dissuasion posent le problème
de la normalisation, c’est-à-dire de faire adhérer l’usager aux normes
sociales qui exigent de lui un certain type de comportement (ne pas voler,

54. Dubasque D. (2016), « Écrire pour et sur le travail social », 9 juin. En ligne : www.
dubasque.org/2016/06/09.
55. Voir Informations sociales (1979), « Le contrôle social : une interrogation pour l’action
sociale », numéro spécial, n° 4‑5.

192
L’intervention directe

dépenser l’argent des allocations pour les enfants, ne pas boire, ne pas
se prostituer). Cela avant, bien entendu, que d’autres structures ne s’en
occupent par la répression, l’emprisonnement ou l’hospitalisation en milieu
psychiatrique. Ces interventions posent encore le problème du droit à la
différence, à la marginalité ; le droit de la personne à mener sa vie comme
il l’entend, même en opposition totale avec les normes sociales dominantes,
à faire des choix autres que ceux de tout le monde.
Les interventions de contrôle à but dissuasif – de même que d’autres où
le mandat de la société et la fonction de représentant de la société sont
prédominants – posent problème à de très nombreux travailleurs sociaux,
elles questionnent leur pratique et leurs valeurs éthiques 56.
Les interventions de contrôle sont aussi destinées au repérage précoce
des problèmes sociaux et des difficultés des personnes ou des groupes.
En effet, le dépistage précoce, permettant d’intervenir avant que la situation
ne soit pas trop détériorée, exige que les travailleurs sociaux aillent au-
devant de la demande de la personne, qu’ils la contactent et lui proposent
leurs services. Alors, le dépistage nécessite d’exercer un contrôle sur la
population en question ; il faut la connaître, il faut avoir élaboré des critères
pour mesurer les problèmes sociaux ou les difficultés personnelles, il faut
comparer la population aux critères définis pour ensuite déterminer quelles
personnes ou quels groupes feront l’objet de l’intervention des travailleurs
sociaux.
Ce contrôle à objectif de dépistage et de prévention est couramment
exercé dans les collèges et lycées par les assistantes sociales du service social
en faveur des élèves et par les assistantes sociales de premier accueil dans
les services du conseil départemental.
Bien que tout le monde s’accorde pour affirmer l’intérêt et la nécessité
du dépistage précoce, de l’intervention préventive et rapide, en cas de dif-
ficultés, cette forme de contrôle met aussi les travailleurs sociaux face aux
contradictions de leur fonction. Car la marge est en effet étroite entre le
dépistage à but préventif et la participation au quadrillage et au fichage
d’une population jugée « à risques 57 ».

56. L’un de ces problèmes est l’analyse faite du phénomène de la déviance car plusieurs
démarches explicatives sont possibles : s’agit-il prioritairement d’un dysfonctionnement
individuel, d’ordre psychologique, propre à la personne ? Ou au contraire de comportements
adaptatifs et adaptés aux contraintes et conditionnements sociaux ? Ou encore, la déviance
est-elle liée à l’interaction de facteurs multiples tant d’ordre social que psychologique ? Quels
sont le rôle et la fonction de la déviance dans la société globale ?
Des ouvrages ont tenté d’étudier et d’analyser ces problèmes mis à l’ordre du jour par
l’accroissement numérique des « exclus » et par la sensibilisation de l’opinion des divers
professionnels. Voir Droit social (1974), « L’exclusion sociale », numéro spécial, n° 11,
novembre. Goffman E. (1975), Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit.
57. Informations du secteur sanitaire social (1976), « Gamin… à risques ! », brochure de
l’Union régionale parisienne CFDT, avril .

193
Méthodologie de l’intervention en travail social

8.5. Mettre en relation – Créer des opportunités


nouvelles
Sous cette rubrique, nous incluons les diverses interventions des travail-
leurs sociaux qui ont comme objectif d’élargir l’horizon relationnel des
personnes, d’amplifier ses cadres de vie et de références et de lui permettre
l’accès à des expériences nouvelles lui procurant enrichissement et plaisir.
Dans ces interventions, le travailleur social a surtout un rôle de facilitateur,
et il s’adonne à stimuler et motiver l’usager afin qu’il fasse l’expérience de
nouvelles formes de vie sociale. Pour cela, il peut recourir de façon conco-
mitante à d’autres formes d’interventions déjà décrites : soutien, informa-
tion, éducation, conseil.
Les populations auxquelles ont affaire les travailleurs sociaux sont très
fréquemment sous-équipées en ce qui concerne leur insertion sociale, leurs
sphères de relation, leur vie de loisirs, leur vie culturelle. Soumis, le plus
souvent, à des difficultés matérielles importantes et variées (chômage,
emploi précaire, sous qualification, mauvaises conditions de logement), ils
sont écrasés sous le poids des problèmes quotidiens, vivent au jour le jour,
enfermés souvent sur eux-mêmes. S’il est vrai que le travail social a peu de
prise et peu de pouvoir pour changer globalement les conditions matérielles
de vie de ces populations, tout au moins sur le plan collectif, il peut – et
malgré les difficultés objectives – intervenir de façon à mobiliser et stimuler
ces personnes pour qu’elles profitent davantage des institutions et équipe-
ments de leur environnement, et leur permettre ainsi de participer plus
activement à la vie des groupes sociaux et être partie prenante d’éventuelles
actions d’intérêt collectif tant sur leur lieu d’habitat que sur leur lieu d’inser-
tion professionnelle. Sur le plan individuel et collectif, cette participation
peut favoriser une dynamique porteuse d’espoir de changement ainsi qu’une
nouvelle image de soi plus valorisée et, de ce fait, plus dynamisante.
Trois formes d’interventions sont pratiquées dans ce cadre : mise en
relation ; ouverture et découverte ; utilisation, création et participation aux
ressources de l’environnement.

8.5.1. La mise en relation


Il s’agit ici de faciliter à la personne l’élargissement de son cadre rela-
tionnel, de lui permettre un apprentissage – selon ses besoins et capacités –
de la communication avec d’autres personnes et d’autres institutions.
La relation établie avec le travailleur social constitue déjà une première
ouverture. Elle peut être utilisée comme tremplin pour en introduire d’autres.
Tout d’abord, des relations avec des pairs, dans le cadre de petits groupes
organisés et animés par les travailleurs sociaux ; ou dans le cadre d’autres
groupes existant dans le quartier (ateliers, clubs, associations, centre social).
C’est en effet dans le cadre de relations entre pairs – avec d’autres, identiques

194
L’intervention directe

à soi – que peuvent se tisser des liens affectifs et des communications signi-
ficatives. C’est dans ce cadre que la personne peut vivre avec d’autres, qui
sont ses semblables, des expériences enrichissantes lui procurant plaisir et
satisfaction.
La relation établie avec le travailleur social peut aussi être mise à profit
pour lui faciliter ses rapports aux institutions et aux équipements du quar-
tier, de la ville, ceux rattachés à son milieu de travail, par exemple, la prise
de contact avec le centre social, la demande de logement auprès des services
compétents, la démarche auprès du comité d’entreprise pour l’inscription
des enfants aux activités de vacances, etc.

8.5.2. L’ouverture et la découverte


Ces interventions sont destinées à stimuler l’usager afin qu’il explore, en
lui-même et dans son environnement, d’autres possibilités, d’autres forces,
d’autres personnes et groupes, d’autres expériences jusqu’alors insoupçon-
nées ou méconnues.
En lui-même, il peut découvrir des capacités latentes jusqu’alors inat-
tendues : capacités artistiques (chant, peinture, théâtre, musique) ; capacités
manuelles de création (artisanat, travaux manuels) ; capacités intellectuelles
(lecture, écriture, langues) ; capacités d’organisation, de planification, d’ani-
mation, de leadership ; capacités techniques (mécanique, bricolage,
informatique).
Dans son milieu social, il s’agit d’explorer afin de découvrir ce qui existe
comme personnes, équipements, institutions, groupes pouvant devenir des
ressources mobilisables. Le milieu social est celui dans lequel la personne
est insérée par des relations permanentes et quotidiennes. De par son inser-
tion naturelle, elle connaît déjà bien des personnes, des groupes et des
institutions, mais souvent d’autres lui échappent ou passent inaperçus
pendant longtemps. D’autant plus que les personnes qui travaillent par-
tagent leur insertion entre la vie du lieu de résidence et la vie du lieu de
travail. Pour les personnes qui ne travaillent pas, et pour les enfants et
jeunes, le milieu social est prioritairement le quartier, le lieu d’habitation.
Certains quartiers et villes sont plus équipés que d’autres au niveau de la
vie sociale.
Par rapport à cette exploration et/ou découverte, le travailleur social peut
informer la personne sur ce qui existe, peut le stimuler à prendre des
contacts, l’accompagner et éventuellement lui faciliter sa démarche auprès
des groupes et équipements. Il s’agit de stimuler chez elle le désir de décou-
vrir et de connaître son environnement :
–– dans le quartier : équipements scolaires, de santé, de loisirs, vie asso-
ciative avec ses groupes constitués et agissants, vie politique, vie sociale
spontanée avec ses lieux de rencontre, ses groupes informels, les relations
qui se créent, les projets qui se construisent ;

195
Méthodologie de l’intervention en travail social

–– dans son lieu de travail : les groupes spontanés et les relations de


camaraderie, et encore les structures et les groupes organisés : syndicats,
comités d’entreprise, délégués du personnel, commissions et réunions
diverses.
Ce qui est essentiel, c’est de favoriser chez l’usager une ouverture et un
regard autre sur lui-même et sur son environnement, soit une ouverture
permettant cette exploration et cette découverte d’autres possibilités, de
choses nouvelles. Le pas suivant sera celui d’oser : oser utiliser ce qui existe,
participer à cette vie sociale découverte, et encore participer à la création
d’autres groupes, d’autres structures, d’autres possibilités nouvelles.

8.5.3. L’utilisation et la création de ressources de l’environnement


et participation
Il ne s’agit plus ici seulement d’informer l’usager sur ce qui existe et de
l’inciter à découvrir son milieu social, il s’agit plutôt de le stimuler à y
participer activement, à être partie prenante de la vie sociale et à utiliser les
équipements à sa disposition.
Dans ce cadre, l’organisation de la vie de loisirs prend une signification
importante, particulièrement pour les enfants et les jeunes. Très souvent,
cette catégorie d’âge a à sa disposition des équipements nombreux qui
peuvent être mis à profit : clubs d’activités, centres aérés et centres de loisirs,
médiathèques, piscines, centres sportifs. Par ailleurs, pour les adultes et les
seniors, les activités de loisirs peuvent être l’occasion d’élargir et de créer
des relations nouvelles, de redécouvrir la nature (notamment pour les cita-
dins) et d’établir de nouveaux rapports avec son corps dans l’exercice d’acti-
vités sportives ou de loisirs. C’est en effet dans ce cadre que les adultes, ainsi
que les autres catégories d’âge, peuvent développer leurs capacités créatives,
vivre avec d’autres des expériences significatives leur apportant du plaisir.
Cette notion de plaisir est très souvent absente de la vie des personnes
accompagnées par le travailleur social. La participation à des activités de
loisirs peut leur faire redécouvrir cette dimension du plaisir pour soi et du
plaisir partagé avec d’autres.
La participation aux groupes et équipements existants n’est pas toujours
suffisante, car il existe des quartiers particulièrement dépourvus de res-
sources, ou dans lesquels la vie associative est presque inexistante, où les
groupes ont peu ou pas de vie réelle. Les besoins collectifs de toutes les
populations ne sont pas toujours couverts par les structures existantes, et de
nouveaux besoins, de nouveaux désirs et intérêts peuvent se révéler à satis-
faire autrement que par les équipements et groupes déjà en place. Il s’agit
alors de promouvoir la création de nouveaux groupes, et de nouvelles struc-
tures, mieux adaptées pour répondre aux besoins collectifs et aux intérêts de
la population. La création de nouveaux groupes est souvent liée à un fait
déclenchant quelconque qui suscite une prise de conscience des besoins et
de l’intérêt collectif, et la décision de mener avec d’autres une action. Les

196
L’intervention directe

travailleurs sociaux sensibilisés à cette dimension du travail 58 peuvent saisir


cette occasion pour aider le groupe à se constituer, à élaborer ses objectifs, à
planifier son action, à contacter d’autres institutions et groupes concernés.
C’est dans le cadre de l’intervention sociale d’intérêt collectif que les
membres peuvent satisfaire leurs besoins de participation sociale, se faire
accepter et reconnaître par leurs pairs, et mener une action constructive
pour soi et pour les autres. Dès lors, la participation aux groupes sociaux
renforce et valorise l’image de soi, permet l’éclosion des capacités et dyna-
mismes nouveaux. Dans ce même mouvement, le développement des
­capacités et des dynamismes des individus renforce leur participation
constructive et efficace aux groupes sociaux les plus divers. Il s’agit d’un
véritable apprentissage à la citoyenneté 59.

8.6. Structurer une relation de travail avec l’usager


Les interventions tendant à structurer une relation de travail avec l’usa-
ger ont pour objectif de mener à bien le changement que l’on se propose
d’atteindre. Il s’agit de se donner les moyens pour que la relation d’aide avec
la personne puisse se bâtir et pour que les objectifs de changement puissent
être élaborés, poursuivis et, si possible, atteints.
La structuration d’une relation de travail est une responsabilité du tra-
vailleur social, elle variera selon la situation spécifique de la personne, selon
l’évaluation diagnostique posée par le travailleur social, et encore selon les
limites et les possibilités offertes par l’organisme employeur. La structure de
travail proprement dite est cependant le résultat d’une négociation entre le
travailleur social et l’usager lors du contrat 60.
Nous avons défini le travail social en termes de méthode et de processus,
mais pour qu’un processus se développe, il faut le temps et l’espace. Un
processus de travail se déroule pendant un temps plus ou moins long, et
dans un lieu donné dont les caractéristiques ne sont pas indifférentes au
déroulement de l’action. Pour que ce processus ait lieu, il est aussi nécessaire
qu’il soit focalisé sur des objectifs préalablement définis.
Nous allons traiter ces trois formes d’interventions tendant à structurer
une relation d’aide : structuration dans le temps, utilisation de l’espace et
focalisation sur des objectifs précis.

58. De Robertis C., Orsoni M., Pascal H., Romagnan M. (2014), L’intervention sociale
d’intérêt collectif. De la personne au territoire, Rennes, Presses de l’EHESP, coll. « Politiques
et interventions sociales ». Voir aussi De Robertis C., Pascal H. (1995), L’intervention collective
en travail social, groupes et territoires, Paris, Bayard. coll. « Travail social » (traductions
espagnole et polonaise).
59. Voir La Revue française de service social (2015), « ISIC, des pratiques actuelles à
l’intelligence collective », n° 259, 4e trimestre.
60. Voir le chapitre 6 : « Le contrat en travail social ».

197
Méthodologie de l’intervention en travail social

8.6.1. La structuration dans le temps


Dans l’intervention avec les personnes, le temps est nécessaire pour
apprivoiser et construire la relation. Par ailleurs, les personnes ont leur
propre rythme et le travailleur social se doit de le respecter et de l’utiliser
comme levier de changements possibles. Dans toute relation, il faut s’at-
tendre à des va-et-vient, à des hésitations, à des retours en arrière et à de
nouveaux rebondissements. La continuité de l’action est un élément fonda-
mental dans l’intervention sociale, parfois difficile à sauvegarder, mais
permettant toujours de construire un parcours de changement souhaité.
Le temps sera alors considéré, avec flexibilité, comme l’un des éléments
importants pour structurer la relation de travail.
Pour assurer cette continuité et ce parcours, il est utile de créer des struc-
tures de travail dans le temps et de définir avec la personne la cadence des
rencontres, la durée de celles-ci et la durée totale de l’action entreprise.
La cadence des rencontres sera fort variable selon la situation et l’étape
du processus méthodologique dans laquelle on se trouve. Elle pourra être
définie en fonction de ces critères, mais aussi en fonction du volume de
travail du travailleur social, très variable selon les professions, les orga-
nismes employeurs et les choix du travailleur social. Si, pour une famille,
des rencontres mensuelles peuvent s’avérer satisfaisantes, pour une autre,
une cadence hebdomadaire peut être nécessaire. Lorsqu’il s’agit d’un travail
avec un groupe, en règle générale, les réunions ont lieu tous les 15 jours ou
toutes les semaines, autrement le temps trop long entre deux réunions
pourrait nuire au développement des sentiments d’appartenance et à la
dynamique interne du groupe.
Si la cadence des entretiens ou réunions peut être variable selon les cas,
il est nécessaire que cette périodicité soit connue, explicitée. Le travailleur
social a besoin de savoir à l’avance quand il rencontrera à nouveau la
personne pour organiser son temps de travail et préparer le rendez-vous.
De son côté, l’usager a lui aussi besoin de savoir quand il verra le travailleur
social afin d’y réfléchir et de se préparer à cette rencontre.
La durée des rencontres peut aussi être stipulée à l’avance. S’il est rare
que la durée d’un entretien individuel soit ainsi fixée, à certaines occasions,
le travailleur social pourra trouver utile de délimiter sa disponibilité. Cela
s’avère particulièrement nécessaire lorsque l’usager est très accaparant et
cherche à retenir son interlocuteur de façon excessive. Souvent, les entre-
tiens individuels varient entre une demi-heure et une heure, ils durent
parfois moins, rarement plus, car la disponibilité et la concentration exigées
du travailleur social ont des limites qui doivent être respectées. En revanche,
l’exigence de la part de l’employeur de limiter, de manière arbitraire et
imposée, la durée d’un entretien à vingt minutes, ou à un quart d’heure est
un non-sens inacceptable. Cette pratique a été employée par certaines
­institutions comme exigence managériale et d’organisation du travail.

198
L’intervention directe

En aucun cas la durée d’intervention lors d’un entretien ne peut être établie
par un tiers extérieur à la relation aidant-aidé, seul le travailleur social est
responsable de cette organisation du temps selon les besoins des personnes
accompagnées et de son organisation personnelle du travail.
La durée d’une réunion de groupe sera, au contraire, préétablie plus
facilement. Elle sera aussi plus longue qu’un entretien individuel et pourra
varier entre une heure trente et deux heures, parfois un peu plus. Lors de
réunions avec un groupe centré sur la tâche, dans un cadre assez formel et
avec des participants nombreux, il peut être bénéfique de structurer le temps
à l’intérieur de la réunion elle-même : ordre du jour, temps disponible pour
traiter chaque point, heure de clôture de la réunion. Cette structuration du
temps est un bon moyen pour que le groupe accomplisse la tâche qu’il s’est
fixée, même s’il a l’inconvénient de réduire l’interaction et la communica-
tion entre les membres.
La durée totale de l’action est parfois établie à l’avance, notamment
lorsque le travailleur social utilise la durée déterminée, et relativement
courte, d’intervention comme moyen de mobiliser les capacités de la per-
sonne à résoudre ses difficultés. Il est néanmoins rare, en France, de stipuler
ainsi la durée totale de l’intervention lorsqu’il s’agit d’un travail individuel
ou familial. Sauf, évidemment, lorsque la durée totale d’intervention est
fixée par l’organisme employeur ou par un mandat légal.
En revanche, il est courant que les mises en place d’un groupe aient une
durée totale préétablie. Souvent, cette limite dans le temps est fixée à titre
d’essai, elle peut être renouvelée à la demande du groupe si l’expérience
s’avère concluante.
Il ne semble pas toujours possible – ni souhaitable – de définir à l’avance
la durée totale d’une intervention en travail social. Le déroulement du pro-
cessus a son rythme propre, ses temps forts, ses moments d’attente, mais il
ne peut pas non plus se dérouler à l’infini ; la fin de l’intervention doit être
gardée en vue même si le temps n’est pas délimité au départ 61.

8.6.2. L’utilisation de l’espace


En tant qu’intervention destinée à structurer une relation de travail, le
choix du lieu de rencontre du travailleur social avec la personne a une
influence directe sur la relation qui s’instaure entre eux. La plupart des
travailleurs sociaux ont au moins deux lieux d’intervention habituels : les
locaux de l’organisme employeur et le domicile même de la personne
(lorsqu’il s’agit d’individus ou de familles). La rencontre peut aussi avoir
lieu dans d’autres cadres – la rue, le café, le parc, ou un autre lieu public.
Dans tous les cas, l’espace dans lequel la rencontre se déroule aura une
signification et une répercussion différentes sur la relation.

61. Ce sujet est traité au chapitre 11 : « La fin de l’intervention ».

199
Méthodologie de l’intervention en travail social

Lorsque la rencontre a lieu dans les locaux du service employeur, l’espace


fait partie du « territoire » du travailleur social, il est « chez lui », l’usager se
déplace, il est actif et entreprenant, il se trouve dans un site étranger,
inconnu, qui ne lui appartient pas, il est un « intrus ». L’inverse se produit
lorsque c’est le travailleur social qui se rend au domicile de l’usager 62 :
celui-ci est en territoire connu, il a un pouvoir réel sur l’espace qui est le
sien, il en est le maître, mais de la même façon qu’il est passif – il « reçoit »
le travailleur social –, il peut aussi le « subir ».
Le travailleur social peut intervenir sur le choix du lieu de rencontre en
se servant de l’espace pour des objectifs précis : il pourra demander à la
personne peu motivée ou peu participante de venir la prochaine fois à un
rendez-vous au service, et il profitera du changement de lieu comme moyen
pour l’engager plus activement dans le processus de travail. Il pourra pro-
poser à une personne vue régulièrement dans son bureau de faire une visite
à domicile, afin de mieux comprendre la situation lors d’un entretien avec
l’ensemble de la famille sur son propre « territoire ». Ou encore il pourra
utiliser un tout autre espace que les deux précédents : ainsi un travailleur
social, exerçant en protection de l’enfance avec mandat judiciaire, a-t‑il
convié mère et enfants à une promenade au zoo, lieu de plaisir et de détente,
afin de mieux cerner les difficultés de communication dans la famille et leur
faire expérimenter d’autres formes possibles d’utilisation du temps libre.
Lorsqu’il s’agit d’un groupe, le lieu de réunion a une signification impor-
tante, qu’il s’agisse des locaux du service employeur, ou d’une salle mise à
disposition par d’autres organismes (mairie, maison de jeunes, centre social),
le groupe devra se constituer en s’appropriant l’espace et en le transformant
en « son territoire ». Cette appropriation de l’espace par le groupe est un
phénomène habituel qui aide à sa constitution et au développement de sa
cohésion ; il est dès lors souhaitable que le groupe ne soit pas soumis à des
changements de locaux ou de lieux de réunion, tout au moins au cours des
premières réunions.

8.6.3. La focalisation sur des objectifs de travail


Se centrer sur des objectifs spécifiques de travail, définir des buts à
atteindre et les tâches à accomplir est une autre façon de structurer une
relation de travail avec l’usager 63.
Les objectifs de changement sont définis avec la personne en fonction
de sa situation et de ses souhaits. Parfois, elle est confrontée à des problèmes
multiples et à des difficultés dans divers secteurs de sa vie, dans ce cas,
il peut être avantageux de choisir un problème particulier – celui que la
personne considère le plus important et urgent – sur lequel centrer tous les

62. Djaoui E. (2014), Intervenir au domicile, Rennes, Presses de l’EHESP (nouvelle édition).
63. Se reporter au chapitre 6 : « Le contrat en travail social ».

200
L’intervention directe

efforts de changement. Ce choix du problème à traiter et de l’objectif de


changement à atteindre fait que le travailleur social et l’usager focalisent
toute leur énergie et leur dynamisme sur ce point précis. Toutes les inter-
ventions du travailleur social se centreront ainsi sur l’objectif à atteindre et
il y ramènera l’usager si jamais il perdait de vue ce pour quoi ils travaillent
ensemble.
La focalisation du travail autour d’un objectif de changement défini
ensemble est aussi utilisée en travaillant avec les groupes ; elle permet au
groupe d’élaborer son programme d’activités, de définir et de répartir les
tâches, et de prendre collectivement des responsabilités toujours centrées
sur les objectifs qu’il se propose d’atteindre.
Dans le chapitre suivant seront développées les interventions indirectes
effectuées par le travailleur social hors de la présence de l’usager, mais au
bénéfice de celui-ci.
Chapitre 9

L’intervention indirecte

Les différents types d’interventions indirectes sont celles réalisées par le


travailleur social en dehors d’une relation de face-à-face avec la personne.
Il s’agit d’actions menées afin d’organiser son travail et de planifier des
interventions qui se réaliseront ensuite, ainsi que des actions menées au
bénéfice de la personne, en dehors de la participation active et directe de
cette dernière. Le travailleur social agit pour l’usager, mais non en sa
présence.
Certaines interventions directes, telles que l’assistance matérielle sous
ses différentes formes, donnent lieu à une série d’interventions indirectes :
contacts et démarches auprès d’organismes divers, rédaction de rapports
et d’enquêtes. D’autres se situent sur le plan de la modification de l’envi-
ronnement de l’usager, soit au niveau des personnes proches, soit au
niveau collectif concernant un ensemble de populations (création d’équi-
pements, animation de groupes, création d’associations diverses). D’autres
encore ont lieu au sein même de l’organisme employeur sous forme de
réunions d’équipe, d’organisation du travail et de la documentation, de
concertation entre travailleurs sociaux de professions différentes, de t­ ravail
en équipe, etc.
En fait, les interventions indirectes sont nombreuses et variées, elles
occupent une part importante du temps de travail et de la définition de poste
des travailleurs sociaux. Parfois même, les professionnels passent presque
la moitié de leur temps à cette forme d’intervention. Par ailleurs, les travail-
leurs sociaux chargés d’encadrement technique ou les chefs de service
exercent des postes de travail où les interventions indirectes sont prédomi-
nantes. Nous ne développerons ici que les types les plus fréquemment mis
en place par les travailleurs sociaux en prise directe avec la réalité des
personnes aidées.

203
Méthodologie de l’intervention en travail social

Les interventions indirectes sont peu valorisées par les travailleurs


sociaux, considérées comme un travail bureaucratique moins « noble » que
celui réalisé en relation directe avec les personnes accompagnées. Elles sont
vécues comme une charge et parfois comme une corvée. Les financeurs et
décideurs ne valorisent pas non plus le travail indirect et y font même
parfois obstacle. La tendance est à ne pas comptabiliser le temps passé en
réunions, en démarches, à la rédaction du courrier ou des rapports, à la mise
à jour des dossiers. C’est cependant ce travail effectué en dehors de la per-
sonne qui permet ensuite de mener des interventions directes réfléchies et
efficaces, d’intervenir dans une dimension de groupe ou collective, de
contrôler le processus de travail engagé à travers l’évaluation périodique,
de maîtriser son temps par une organisation qui rend les travailleurs sociaux
disponibles à l’accueil des personnes. Les interventions indirectes sont le
complément indispensable des interventions directes ; elles ont tout à fait
leur place dans l’inventaire – non exhaustif – des ­interventions sociales
d’aide à la personne.
Nous développerons ici quatre grands types d’interventions indirectes :
–– l’organisation et la veille sociale ;
–– la conduite de projets en travail social avec des groupes ;
–– l’intervention sur l’entourage de la personne ;
–– la collaboration entre travailleurs sociaux.
Nous avons volontairement omis les actions de mise à jour des dossiers,
de réflexion et d’évaluation écrite du processus de travail engagé avec la
personne, de rédaction du courrier, des rapports et enquêtes, de l’établisse-
ment des statistiques. Outre le rôle important du secrétariat social dans ce
domaine, ces formes de travail varient beaucoup selon les exigences des
différents employeurs, chaque organisme ayant ses propres modalités. En
ce qui concerne l’analyse de situation, l’évaluation diagnostique et l’éva-
luation des résultats, cela est déjà traité dans les chapitres respectifs.

9.1. Organisation et veille sociale


Nous regroupons ici les interventions qui ont pour objectif de maîtriser
son temps, son espace et ses connaissances, afin d’être en mesure d’offrir à
la personne le meilleur accueil possible, la plus grande disponibilité et
l’étude des problèmes sociaux émergents repérés par le travailleur social.

9.1.1. L’organisation de l’espace


La première réflexion au sujet de l’espace concerne le service social dans
la structure et son implantation dans le service. En effet, un local excentré,
peu accessible, au fond d’un couloir mal éclairé, donne le ton sur la place
accordée aux travailleurs sociaux. À l’inverse, un local d’accès facile, clair

204
L’intervention indirecte

et central dans l’organisation les situe d’une tout autre manière. L’importance
de l’emplacement sera bien particulière dans le service social d’entreprise :
en effet, être situé près du médecin d’entreprise n’a pas la même significa-
tion qu’un bureau qui jouxte celui du responsable des ressources humaines.
L’organisation de l’espace implique l’aménagement des locaux du service
et particulièrement le lieu d’attente et le bureau d’accueil. Des questions
telles que la décoration, le mobilier, la disposition des sièges, du bureau ou
de la table, l’éclairage de la pièce ont une influence certaine sur la relation
qui va s’établir avec la personne. Même si un très bon travail peut s’accom-
plir dans des locaux qui ne sont pas confortables, l’aménagement de l’espace
reste une intervention importante, trop souvent ignorée ou délaissée.
La plupart des organismes et des travailleurs sociaux accordent une
attention particulière au confort indispensable à chaque individu pour bien
accomplir son travail, ainsi, le plus souvent, chaque travailleur social pos-
sède son propre « territoire » constitué, en général, par un bureau, un meuble
de rangement, une chaise, un ordinateur. Celui-ci sera plutôt disposé sur un
côté qu’en face, car il ne doit pas boucher la vue directe avec l’interlocuteur,
ni faire écran à la communication avec lui.
Mais une moins grande attention est prêtée aux aires de circulation (cou-
loirs, hall d’entrée) ainsi qu’à la proximité et à l’accès facile des différentes
salles. Par ailleurs, les lieux prévus pour recevoir la personne sont parfois
peu nombreux et mal adaptés : salles exiguës, où il est souvent impossible
d’accueillir plus de deux personnes, mal insonorisées, ou alors des salles trop
vastes pouvant facilement accueillir un groupe d’une dizaine de personnes,
mais dans laquelle un entretien de face-à-face est inapproprié.
La plupart des relations entre le travailleur social et l’usager ont lieu à
une distance corporelle que Edward T. Hall définit comme une « distance
personnelle mode lointain » (75 à 125 cm) ou encore comme une « distance
sociale – mode proche » (125 à 210 cm) 1. Dès lors, une pièce exiguë peut être
facilement aménagée pour recevoir deux personnes en entretien ; la petite
dimension du local ne fera qu’augmenter le sentiment de proximité et de
relation personnalisée. Au contraire, une pièce trop vaste, des chaises pla-
cées à plus de deux mètres de distance, un bureau ou une table trop impo-
sants, sont caractéristiques de la « distance sociale mode lointain ». Les
relations prennent alors un caractère plus formel, la personne est « tenue à
distance » et tout échange personnel devient rapidement irréalisable.
Mais les travailleurs sociaux ne reçoivent pas que des personnes seules :
il y a aussi les couples, les groupes familiaux comprenant parents et enfants,
les groupes informels ou formels de tailles diverses. Pour tous ceux-là, fort
souvent, rien n’est prévu au niveau de l’organisation de l’espace, car même

1. Hall E. T. (1971), La dimension cachée, Paris, Seuil (nouvelle édition, coll. « Points »,
en poche, 2014).

205
Méthodologie de l’intervention en travail social

si la distance corporelle entre les personnes reste assez proche, leur plus
grand nombre nécessite forcément un espace plus vaste et différemment
aménagé.
Le problème de l’organisation de l’espace est fondamental, particulière-
ment pour les groupes, car la dimension des locaux et leur aménagement
dépendront du nombre de personnes membres du groupe, ainsi que des
activités que le groupe prévoit d’accomplir. La taille de la pièce aura – autant
qu’en relation duelle – une influence dans les sentiments de proximité ou
d’éloignement entre les membres et, en outre, facilitera ou non l’émergence
de sentiments de cohésion et d’appartenance.

9.1.2. L’organisation du temps de travail


L’organisation du temps de travail nécessite de la part du travailleur
social une attention particulière afin de pouvoir se rendre disponible à la
personne et être en mesure de lui offrir un service de qualité. Elle est aussi
nécessaire pour se préserver dans son travail, établir des limites et faire des
choix. Car si le temps bien utilisé peut être aussi bien rempli, il n’est pas
extensible. Les obligations inhérentes à certains employeurs ou à certains
champs d’intervention nécessitent une souplesse des horaires de travail afin
de pouvoir rencontrer les personnes. Ainsi, dans les équipes de prévention
spécialisée, la présence des éducateurs est indispensable surtout hors des
horaires scolaires ; dans des centres d’hébergement, la présence du travail-
leur social sera maximale aux heures de vie commune (repas, soirées). De
même, l’approche du groupe familial peut nécessiter des rencontres hors du
temps de travail des membres.
L’organisation du temps sera établie en fonction des choix prioritaires
de travail, des exigences du service employeur et de celles des personnes
accompagnées, mais aussi en fonction de son propre rythme biologique. Ce
dernier aspect est souvent méconnu ou volontairement écarté, ce qui ne
peut que nuire au travailleur social en question. Il est vrai qu’il n’est pas
toujours possible d’organiser ses activités dans le temps exclusivement en
fonction de soi-même, mais les travailleurs sociaux ont en général une
certaine liberté de manœuvre à ce niveau, au moins pour une partie de leur
poste de travail. Et, parmi nous, il y a ceux qui sont plus frais et dispos le
matin, tandis que d’autres le sont en fin de journée ; il y a ceux qui préfèrent
recevoir ou visiter les personnes plutôt à tel moment qu’à tel autre ; il y a
ceux pour qui le début de la semaine est la période la plus active alors qu’en
fin de semaine leur tonus décroît, d’autres pour qui c’est l’inverse ; il y a
aussi ceux qui ont des « pointes » actives en début et en fin de semaine avec
une fatigabilité accrue en milieu de semaine.
L’organisation du temps (journée, semaine, mois, trimestre) permet aussi
de prévoir, suivant les courbes d’activité habituelles, l’exécution de certaines
tâches ou de certains projets (tels que rapports, bilans, études, recherches,
documentation) lors des périodes creuses de l’année, et de se rendre disponible

206
L’intervention indirecte

à l’accueil des personnes, pendant les périodes de plus grande affluence des
demandes.
La maîtrise de son temps de travail permet au travailleur social de s’épar-
gner le surmenage, de ne pas perdre pied dans l’exécution de tâches mul-
tiples et variées, de faire des choix de priorités réfléchis. Au niveau de la
personne, elle se répercute par une plus grande disponibilité lors des entre-
tiens et réunions de groupe, de même que par des propositions d’interven-
tion à court, moyen et long termes structurées dans le temps.

9.1.3. La documentation
Les différentes professions sociales font constamment appel, dans l’exer-
cice de leurs interventions, à des connaissances diverses parfois issues des
sciences sociales 2, parfois assises sur leur propre expérience de travail, telles
que la connaissance du milieu d’intervention, des institutions et équipe-
ments sociaux du secteur, des caractéristiques de la population. Leurs
sources d’information et de documentation sont variées, et leur contenu
même est sujet à variations. La législation sociale change souvent, des nou-
veaux équipements se créent, les problèmes de la population se modifient,
de nouveaux ouvrages sont publiés en psychologie, sociologie, économie,
travail social, etc., qui peuvent intéresser le praticien et éclairer son action.
Les travailleurs sociaux sont constamment sollicités pour mettre à jour leurs
connaissances et se tenir au courant des dernières modifications législatives,
réglementaires ou institutionnelles. L’organisation de la documentation
devient alors une tâche indispensable à l’exercice professionnel.
Dans la plupart des services employant de nombreux travailleurs sociaux,
une documentation complète et tenue à jour est disponible de façon cen-
tralisée. Elle se complète souvent par une bibliothèque technique qui permet
l’emprunt des ouvrages les plus significatifs.
Par ailleurs, chaque travailleur social peut s’organiser une petite docu-
mentation personnelle, adaptée aux problèmes auxquels les usagers sont le
plus souvent confrontés, et choisie en fonction de sa propre spécificité
professionnelle. La familiarité avec les documents communs aux travailleurs
sociaux du service et avec leur classement permet de trouver les renseigne-
ments recherchés dans un minimum de temps, sans avoir à s’encombrer
l’esprit de connaissances trop vastes et changeantes. Cela est particulière-
ment vrai en ce qui concerne la législation sociale et les barèmes de cer-
taines prestations. L’accès à toutes ces informations est grandement facilité
par l’utilisation d’Internet.
Dans le même ordre d’idées, la connaissance approfondie de son secteur
de travail, que ce soit les institutions sociales ou les problèmes sociaux
dominants d’une population donnée, sont indispensables pour orienter la

2. Voir le chapitre 2 : « Le travail social et les sciences sociales ».

207
Méthodologie de l’intervention en travail social

personne afin qu’elle utilise au mieux les équipements à sa disposition, et


pour resituer la problématique individuelle ou familiale dans son contexte
plus large 3. En effet, les problèmes de logement insalubre et surpeuplé d’une
famille se posent de façon différente si cette dernière habite un vieux quar-
tier en voie de rénovation ou si elle est logée dans une cité HLM de construc-
tion récente.
De même, lorsqu’il s’agit de la mise en place d’un groupe, cette connais-
sance du milieu d’intervention permet de repérer les besoins d’ordre collectif
ou les problèmes identiques qu’affrontent de nombreuses personnes, et
d’identifier ceux qui sont concernés par le projet de création d’un groupe.

9.1.4. La veille sociale


Le travailleur social a une fonction de veille sociale, c’est-à-dire que,
étant en première ligne à l’écoute des problèmes et souffrances d’une popu-
lation, il est aux prises avec des problématiques sociales émergentes. De ce
fait, il peut exercer une surveillance vigilante des évolutions. La veille
sociale exige de transformer les constats de la pratique en connaissances
organisées et transmissibles. Entre les constats et leur élaboration en termes
de propositions, il y a tout un travail de recherche et de transmission des
conclusions. Voici quelques exemples :
« Dans un secteur rural du Midi de la France, les assistantes sociales du conseil
départemental sont interrogées pour des problèmes de logement par des per-
sonnes récemment installées dans la région. Face à la répétition de ce constat,
une étude de la population en question permet de savoir qu’il s’agit de familles
bénéficiaires du revenu de solidarité active dont certaines ont utilisé leurs der-
nières ressources pour venir dans le Sud en quête d’une meilleure qualité de vie.
De l’étude, il se dégage que ces personnes, en général jeunes, n’arrivent pas à se
loger, souffrent d’un grand isolement et que certaines ne bénéficient pas de tous
leurs droits sociaux, car ils ont omis de faire les démarches de transfert des
dossiers. »
« Sollicités à répétition par des familles nouvellement implantées dans un lotisse-
ment en construction pour des problèmes de surendettement, les travailleurs
sociaux décident d’effectuer une étude de la population de ce quartier périphérique
d’un village provençal. L’étude a permis de dégager les problèmes suivants :
– charges très lourdes des crédits à l’accession à la propriété par rapport aux
revenus modestes de la famille ; les travaux de finition des maisons ne sont pas
effectués (peintures, jardin, façade…) ;
– le travail, en général en ville (30 km), oblige à des déplacements importants et
à des frais supplémentaires ;
– les femmes restées à la maison n’ont pas de moyens de locomotion et il n’existe
aucun transport collectif ;
– d’autres problèmes surviennent : absentéisme scolaire, dépressions, isolement. »

3. Voir le chapitre 4 : « L’analyse de situation ».

208
L’intervention indirecte

« Alors que la population du centre ancien d’une ville moyenne sollicite régu-
lièrement, l’assistante sociale, celle-ci constate qu’un certain secteur situé dans
deux rues perpendiculaires ne s’adresse jamais au service social. Elle profite du
stage d’un étudiant en travail social pour faire effectuer une étude afin de
connaître les caractéristiques de cette population et de mieux cerner leurs besoins
et demandes éventuelles. »

La veille sociale est une étude menée à partir de l’observation et de


l’expression de besoins sociaux perçus et constatés dans la pratique profes-
sionnelle. Il faut ensuite se donner les moyens de la transmission des hypo-
thèses, conclusions et propositions aux responsables institutionnels et
politiques. « La veille sociale est une observation construite par l’expression
des besoins sociaux. Elle implique que les travailleurs sociaux sachent “par-
ler par écrit” aux décideurs à qui elle peut fournir aussi une légitimité dans
les décisions politiques 4. » C’est dire qu’il est essentiel de « faire savoir » de
manière rigoureuse et argumentée, de transmettre ses conclusions et surtout
de les transformer en projets et propositions.
Cette veille sociale fait partie de l’expertise des travailleurs sociaux, elle
est d’ailleurs reconnue dans les textes officiels de formation de certaines
professions sociales. Ainsi, le programme d’études préparatoire au diplôme
d’État d’assistant de service social 5 définit dans le référentiel d’activités la
fonction : « Veille sociale, expertise, formation ». Cette fonction implique :
– « Assurer la veille documentaire ;
– recueillir, classer, synthétiser, analyser des données sociales sur un secteur
d’intervention ;
– faire des propositions et participer à la mise en œuvre de la politique d’action
sociale de l’organisme employeur ;
– apporter un éclairage social et donner un avis d’expert à l’autorité de
décision ;
– contribuer à l’élaboration de documents à destination des partenaires sur les
effets constatés concernant l’application des dispositifs, les pratiques adminis-
tratives ou l’émergence de nouveaux phénomènes ;
– participer à la recherche ;
– rédiger des rapports d’activité. »

Cette fonction de veille sociale est bien liée à l’expertise des profession-
nels et elle est spécifiée plus avant dans le domaine de compétences n° 2,
« Expertise sociale », de la manière suivante :

4. Conseil supérieur du travail social (CSTS) (1995), « Adaptation du marché de l’offre et


de l’emploi des travailleurs sociaux », rapport, Paris, octobre (à demander auprès de la direc-
tion générale de la cohésion sociale).
5. Décret n° 2004‑533 du 11 juin 2004, JO du 15 juin 2004, et arrêté du 29 juin 2004, JO
du 23 juillet 2004.

209
Méthodologie de l’intervention en travail social

« Veille professionnelle : s’informer et se former pour faire évoluer ses pratiques


– savoir prendre en compte les évolutions des problèmes sociaux ;
– savoir actualiser ses connaissances sur les évolutions des politiques sociales ;
– savoir capitaliser les expériences professionnelles collectives ;
– savoir prendre du recul sur les pratiques professionnelles et les conceptualiser ;
– savoir s’auto-évaluer ;
– savoir appliquer les méthodologies de recherche. »

Le prolongement de la veille sociale est, bien entendu, la proposition de


solutions créatives en termes de projets, d’intervention collective, de nou-
velles modalités d’intervention, comme nous le verrons dans le paragraphe
suivant.

9.2. La conduite de projets en travail social


avec des groupes
Cette forme d’intervention indirecte regroupe toutes les actions préa-
lables à la mise en place d’un projet d’intervention auprès des personnes
dans une approche d’intérêt collectif. Nous développerons trois interven-
tions : 1) les phases préliminaires de la mise en place d’un groupe ; 2) l’orga-
nisation d’activités de groupe ponctuelles ; 3) le choix d’activités de support
dans le programme du groupe.
Lors de ces interventions collectives, les travailleurs sociaux tentent
de regrouper les personnes concernées par un même type de situation
pour constituer des groupes dans le quartier, pour animer des réunions
d’information, pour partager avec les personnes des expériences de vie
collective.
La programmation et la planification de ces interventions se font très
souvent en équipe, avec d’autres travailleurs sociaux, soit du même service
employeur, soit travaillant sur le même secteur géographique mais appar-
tenant à des organismes divers. La mise en place de réunions de travail sur
ce sujet, puis la mise en place du groupe ou des activités ponctuelles de
groupe nécessitent, le plus souvent, l’information et la négociation avec le
(ou les) service(s) employeur(s) et un véritable travail en partenariat. Voici
l’exemple de Maryse Fournier 6, assistante sociale dans une caisse d’alloca-
tions familiales (CAF) :

6. Fournier M. (2009), « La participation des habitants dans un projet de restructuration


urbaine : “mieux vivre ensemble” », La Revue française de service social, « Osons le collectif :
changer de regard, changer de positionnement », n° 232, 1er trimestre, p. 33.

210
L’intervention indirecte

« Un partenariat local se construit : CAF/bailleur/mairie – centre communal


d’action sociale (CCAS)/maison départementale de la solidarité et de l’insertion
(MDSI) du conseil général – autour de valeurs partagées logement-habitat-vie
sociale. Les objectifs sont :
– améliorer le cadre de vie ;
– aider à l’appropriation par les habitants du projet de restructuration urbaine à
travers des actions au plus près de leur quotidien et de leurs préoccupations ;
– faciliter le « mieux vivre ensemble » ;
– impulser et soutenir une démarche participative et partenariale ;
– favoriser la cohésion sociale et familiale. »

9.2.1. Les phases préliminaires de la mise en place d’un groupe


Le travail social auprès des groupes peut avoir deux origines : soit un
groupe déjà constitué (dit groupe naturel) s’adresse au travailleur social en
lui posant une demande plus ou moins explicite (associations de quartier,
bandes de jeunes, groupes d’enfants, de femmes), soit le travailleur social
est lui-même à l’origine de la constitution d’un groupe.
Dans le premier cas, nous nous trouvons d’emblée confrontés à une
intervention directe, en face-à-face avec les personnes accompagnées. Le
travailleur social s’emploiera alors, comme dans la relation individuelle, à
clarifier avec le groupe sa demande, ses attentes, ses besoins, confronter
celles-ci avec la compétence de l’organisme employeur, décider des possi-
bilités et objectifs de travail, des moyens à mettre en œuvre et aboutir ainsi
à un contrat entre le groupe demandeur, l’organisme et le travailleur social.
Dans la deuxième situation, ce n’est plus une demande exprimée par un
groupe naturel dont il s’agit, mais plutôt du désir du travailleur social de
répondre à certains besoins de la population par la mise en place de groupes
composés des personnes concernées. C’est bien le travailleur social qui prend
lui-même l’initiative de regrouper les personnes impliquées et de leur pro-
poser ses services dans le cadre d’un groupe 7. Dans ce cas, le laps de temps
entre l’idée de constituer le groupe et la première réunion de celui-ci peut
être plus ou moins long, il se caractérise par une série d’interventions indi-
rectes que nous appellerons « le processus de mise en place d’un groupe ».
Ce processus comprend différents paliers ou étapes qui se succèdent dans le
temps et que nous décrirons brièvement en suivant leur ordre chronolo-
gique. Les choix qui seront faits par le travailleur social au cours de ce
processus conditionneront inévitablement la vie future de ce groupe. Ces
choix s’articulent autour de plusieurs variables que nous développerons
ensuite.

7. Miaut-Kowalczuk S. (2017), « Rebondir grâce à l’estime de soi », Actualités sociales


hebdomadaires, n° 3028, 6 octobre.

211
Méthodologie de l’intervention en travail social

nnÉtapes chronologiques
L’idée de mettre en place un groupe ne surgit pas du jour au lendemain
dans la tête des travailleurs sociaux. Le plus souvent, il s’agit d’une idée qui
a fait son chemin, qui a mûri, s’est précisée au fil des jours et des semaines.
Cette idée prend son origine dans la perception que le travailleur social a
des besoins d’une population donnée. Il s’agit, en effet, de besoins décelés
et perçus comme collectifs (manque de loisirs pour les jeunes, isolement des
personnes âgées, logements vétustes et insalubres, manque d’information…)
ou bien de demandes – exprimées individuellement par les personnes lors
des entretiens – qui se répètent tellement souvent que le travailleur social
peut les considérer comme provenant d’un ensemble de personnes concer-
nées par le même type de difficulté. Voici un exemple :
« C’est ainsi que j’ai été amenée à accompagner des femmes qui avaient une
pathologie cancéreuse dans le cadre, dans un premier temps, d’un accompagne-
ment individuel et familial. […]
Durant toutes ces rencontres, ces femmes exprimaient longuement à quel point
la maladie et ses conséquences les avaient inexorablement amenées à une situa-
tion de repli sur soi et d’isolement total (les hospitalisations, les allers et retours
nécessaires aux traitements, la fatigue, la fuite de l’entourage amical et même
familial pour l’une d’entre elles…). […]
C’est au travers de ces constats, de l’analyse de la situation de ces femmes et de
leurs problématiques qu’a émergé l’idée de mettre en place un travail social avec
les groupes 8. »

Une fois le besoin perçu, il reste à l’analyser, l’étudier, l’évaluer. Nous


n’insisterons jamais assez sur l’importance de cette évaluation du besoin
collectif, car ce n’est qu’à partir de cette évaluation préliminaire que pourra
s’élaborer le projet d’intervention. La plupart des tentatives de mise en place
d’un groupe qui aboutissent à un échec sont dues à une évaluation trop
superficielle et hâtive. Il faut alors dédier du temps à cette analyse et cette
évaluation : il faut s’interroger, interroger les collègues, interroger les per-
sonnes, réfléchir ensemble.
Cette évaluation du besoin collectif doit permettre de préciser : la nature
du besoin, comment il se manifeste, qui est concerné, comment il est ressenti
par les personnes directement impliquées et comment il est perçu par les
autres personnes ou groupes de l’entourage qui eux ne sont pas aux prises
avec ce problème.
Il s’agit, en effet, d’évaluer les motivations et l’intérêt des personnes au
sujet du besoin (ou problème) perçu par le travailleur social. Lorsque les
personnes concernées sont intéressées et fortement motivées, il sera aisé de
les réunir et la proposition sera accueillie favorablement. En revanche,

8. Fernandez T. (2009), « Du mal être… à l’estime de soi, de l’isolement… à la vie sociale »,
La Revue Française de service social, n° 232, op. cit., p. 16.

212
L’intervention indirecte

lorsque le besoin est perçu comme secondaire ou non prioritaire par les
personnes directement concernées, l’intérêt et la motivation pour participer
à un groupe sur ce sujet seront moindres ; le travailleur social risque alors
d’avoir des réponses évasives suivies d’absence aux réunions proposées.
Tout besoin ou problème collectif s’accompagne, en outre, d’une réaction
plus ou moins importante de l’environnement, qui se manifeste de diverses
manières : prises de position, déclarations, explications des institutions et
organismes divers, des notables et/ou professionnels, des groupes religieux
et politiques, des associations diverses, des leaders informels du quartier. Il
est alors utile d’évaluer l’impact du besoin collectif sur l’ensemble du quar-
tier, comment il est perçu, analysé et considéré par les divers groupes
sociaux. Car cet environnement est en mesure d’exercer une pression sociale
– plus ou moins forte selon les circonstances – tant sur le travailleur social
que sur les personnes concernées. Cette pression sociale peut être détermi-
nante – si elle est assez forte – dans la constitution du groupe et peut ainsi
pallier la faiblesse des motivations des individus invités à y participer.
C’est l’évaluation des forces internes – motivations et intérêts des per-
sonnes – et des forces externes – pression sociale – qui permettra au tra-
vailleur social de situer sa propre perception du besoin – de façon d’ailleurs
plus distancée – dans la dynamique globale du quartier ou de l’institution
(lorsqu’il s’agit de groupes dans des organismes de type foyer, internat,
école, hôpital, hébergement).
L’évaluation préliminaire nécessite aussi de se prononcer quant à la
compétence du service employeur pour proposer à la population concernée
la mise en place d’un groupe ainsi que les moyens dont disposeront les
travailleurs sociaux engagés dans cette action.
Mais, auparavant, la réflexion sur la pertinence et l’efficacité escomptées de
l’utilisation de la dimension de groupe doit aboutir à ce choix précisément parmi
d’autres formes possibles de réponse. En effet, confrontés aux besoins d’ordre
collectif, les travailleurs sociaux peuvent intervenir dans différentes dimensions
de travail (individu, famille, petit groupe, quartier ou institution) et, parmi
celles-ci, le choix d’une dimension de groupe se doit d’être justifié.
L’étape suivante qui découle de l’évaluation est l’élaboration du projet
du travailleur social. Cette élaboration est aussi une phase longue, nécessi-
tant des clarifications et réflexions constantes, car c’est à ce moment que
des choix essentiels pour la vie future du groupe seront établis. Ces choix
concernent :
–– les objectifs du travailleur social pour le groupe ;
–– la composition du groupe (taille, homogénéité, caractéristiques des
membres) ;
–– la participation des membres (volontaire ou obligatoire, groupe fermé
ou ouvert) ;
–– la sélection des membres.

213
Méthodologie de l’intervention en travail social

Nous verrons ces différentes variables de façon plus détaillée un peu plus loin.
Outre ces choix, l’élaboration du projet comprend aussi une première
définition des outils et moyens nécessaires et parfois une évaluation du coût
escompté.
Vu la complexité des étapes d’évaluation du besoin et d’élaboration du
projet ainsi que l’importance des choix qui y seront faits, les travailleurs
sociaux mènent fort souvent cette réflexion en équipe : l’élaboration est
collective, même si par la suite seulement un ou deux d’entre eux participent
activement au déroulement de la vie du groupe, comme le montre cet
exemple :
« L’action fait suite à la réalisation d’un diagnostic par les différents profession-
nels intervenant sur le territoire sur la problématique du non-accès aux vacances
pour de nombreuses familles. Les maisons de quartier, le service social local et
celui de la Caisse d’allocations familiales ainsi que le programme de réussite
éducative se sont réunis pour tenter de proposer un projet adapté aux besoins
des familles.
Les maisons de quartier, porteuses du projet, ont invité les différents partenaires
à une rencontre concernant la mise en place d’un projet de départ en vacances.
Un travail partenarial avec les institutions s’est mis en place pour les profession-
nels intéressés par le projet.
Ce dernier s’est co-construit tout au long de l’année avec les familles partici-
pantes pour un départ en vacances collectif d’une semaine en bord de mer 9. »

L’équipe peut aussi assumer une fonction de support au cours de l’action


et devenir une instance de suivi et d’évaluation par la suite (comité de
pilotage).
Le palier suivant dans ce processus de mise en place d’un groupe est la
négociation du projet. Cette négociation se fera en tout premier lieu avec le
service employeur, elle sera grandement facilitée si les instances de décision
ont été informées des étapes précédentes d’élaboration, soit par la partici-
pation aux réunions (responsables, chefs de service), soit par la transmission
des documents écrits du groupe de travailleurs sociaux au fur et à mesure,
soit par les deux démarches concomitantes.
Vient ensuite la négociation directe avec les personnes concernées, celles
qui sont invitées à participer à la vie de ce groupe, pour lesquelles cette
forme d’intervention est proposée. Selon le type de groupe et les objectifs
poursuivis par le travailleur social, soit cette négociation aura lieu d’emblée
lors d’une première réunion du groupe, soit elle se fera d’abord individuel-
lement – cela lorsque les personnes qui composeront le groupe seront déjà

9. Vache V., Gosselin T. (2015), « Le séjour vacances familles : une construction des pos-
sibles », La Revue Française de service social, « L’ISIC : des pratiques actuelles à l’intelligence
collective », n° 259, 4e trimestre, p. 94.

214
L’intervention indirecte

toutes connues du travailleur social – et sera reprise lors de la première


réunion.
Le professionnel qui a déjà élaboré son projet de travail trouvera cette
étape particulièrement difficile, il faudra réexpliciter, justifier, présenter sa
démarche, aux risques que celle-ci soit critiquée, modifiée, voire refusée par
les intéressés eux-mêmes. Aussi difficile soit-elle pour le travailleur social,
cette étape de confrontation de son projet avec les intéressés est essentielle
pour le démarrage du groupe. Les futurs membres doivent avoir le temps de
poser des questions, de réfléchir seuls et/ou entre eux, de faire des proposi-
tions et d’accepter ou non de s’engager dans le groupe.
Cette négociation du projet avec l’employeur et avec les personnes inté-
ressées aboutit à l’élaboration du contrat.
Les différentes étapes chronologiques que nous venons d’énumérer
rapidement s’étendront plus ou moins dans le temps, seront plus ou moins
complexes et fouillées selon la situation particulière, selon si le travailleur
social est seul ou avec d’autres collègues, selon l’expérience antérieure
dans cette dimension de travail, selon, encore, s’il rencontre des obstacles
ou résistances en cours de route. Ce qui nous paraît nécessaire de souli-
gner, c’est que toutes ces étapes sont indispensables, aucune ne peut être
omise. Elles constituent un repérage chronologique qui peut guider les
professionnels dans la mise en place de groupes aux caractéristiques très
diverses.

nnLes variables
Les variables que nous allons développer interviennent dans les choix
qui seront faits par le travailleur social lors de l’élaboration de son projet
de mise en place d’un groupe. Ainsi, les choix envisagés auront-ils une
incidence significative dans la vie ultérieure du groupe, et c’est en prévoyant
leur impact qu’ils pourront être établis de façon consciente et réfléchie.
Les objectifs du travailleur social pour le groupe représentent la première
de ces variables. Les objectifs du travailleur social sont à différencier des
objectifs des membres pour le groupe et de ceux qui seront ensuite élaborés
par le groupe lui-même au cours des premières étapes de sa vie. Ces trois
niveaux différents d’objectifs (ceux du travailleur social, ceux de chaque
membre et ceux du groupe) sont souvent complémentaires, mais, parfois,
ils peuvent aussi être antagonistes ; ils sont rarement identiques.
Au niveau des objectifs globaux du travailleur social, on peut distinguer
deux séries d’objectifs qui donneront lieu à la mise en place de groupes de
types différents.
Le travailleur social se propose d’aider les personnes participant au
groupe en utilisant celui-ci comme moyen, comme structure d’intervention.
Son objectif est une intervention individualisée, focalisée sur chaque per‑
sonne, afin de permettre à chacune de résoudre des problèmes d’ordre

215
Méthodologie de l’intervention en travail social

personnel (groupes d’anciens buveurs, de femmes seules responsables de


famille, jeunes en rupture) ou de se préparer à une transition, une situation
de changement prévue à court terme (personnes sortant d’institutions :
foyer, centre d’hébergement, prison, hôpital ; passage de la vie active à la
retraite ; futurs parents avec passage de la vie de couple à l’incorporation
d’un enfant dans la famille).
Les objectifs du travailleur social pour le groupe seront donc de permettre
aux personnes de mieux résoudre des difficultés ou besoins personnels, et
de développer leur capacité d’autonomie de vie : opérer des choix, les éla-
borer en confrontation avec d’autres, prendre des décisions et les mettre à
exécution. Dans le cadre du groupe, les personnes impliquées pourront sortir
de leur isolement, partager leurs problèmes et leurs difficultés avec leurs
pairs, expérimenter des relations interpersonnelles enrichissantes, être valo-
risées et soutenues.
Dans d’autres situations, le travailleur social se propose de mener une
action qui produise des changements sociaux, soit au niveau de la vie du
quartier, soit au niveau de l’institution d’accueil. Son objectif est de mener
une intervention de transformation d’un problème social collectif avec le
groupe de personnes concernées. Le groupe est ici aussi un outil, un moyen,
mais non plus un moyen d’aide personnalisé. Il devient un instrument effi-
cace pour mener à bien un projet d’action.
Les objectifs du travailleur social dans ce cas seront axés sur le déve-
loppement des capacités des membres à participer à la vie de leur envi-
ronnement, à assumer des responsabilités, à faire des choix et à prendre
des décisions, à s’organiser en vue de l’accomplissement d’un projet, à
apprendre à travailler en groupe. Ils seront aussi focalisés sur le dévelop-
pement du groupe en tant que tel, sa cohésion, sa force, son efficacité de
travail.
Bien des groupes de ce type existent dans la vie associative des quartiers
où les relations interpersonnelles sont intenses. Finalement, de nombreux
groupes de quartier ont été créés à l’initiative du travailleur social et ensuite
ont développé, de manière autonome, leur projet associatif. Lorsqu’aucun
des groupes existants ne peut répondre à un type particulier de problème,
les travailleurs sociaux sont à l’initiative soit de la création de nouvelles
structures, soit de la transformation des anciennes.
Les personnes participant à ce type de groupe pourront, outre de mener
à bien les activités prévues, obtenir des satisfactions essentielles telles que
la reconnaissance des autres, le respect, la participation à des activités utiles
pour soi et pour les autres…
La première série d’objectifs que nous venons de mentionner se rap-
proche beaucoup des objectifs du travail à dimension individuelle et fami-
liale ; tandis que les objectifs de la seconde s’appliquent souvent en
dimension collective et institutionnelle. Ils donnent lieu à ce qu’Hélène

216
L’intervention indirecte

Massa nomme « le modèle de traitement social » et le « modèle des buts


sociaux 10 ».
La définition des objectifs du travailleur social pour le groupe montre
déjà la catégorie de clientèle potentielle à laquelle il va s’adresser, mais
d’autres spécifications seront nécessaires pour définir concrètement qui sera
partie prenante du groupe. Ainsi, les objectifs pour le groupe conditionnent
en grande partie la composition de celui-ci. Voici un exemple où les objec-
tifs du travailleur social sont clairement déclinés et les conséquences des
choix sur le type de groupe sont spécifiées.
« Les caractéristiques de ce travail de groupe sont les suivantes :
– Problématique : personnes ayant des sentiments d’exclusion, de culpabilité et
de dévalorisation de soi générés par un arrêt maladie de plus de 90 jours.
– Finalité : prévenir les risques de précarisation médico-sociale et/ou profession-
nelle des assurés en arrêt de travail de plus de 90 jours.
– But : restaurer l’estime de soi et reconsidérer le sens de l’arrêt de travail dans
la démarche de soins.
– Objectifs du travailleur social :
• travailler sur l’estime de soi en améliorant le sentiment de confiance, la
connaissance de soi, le sentiment d’appartenance à un groupe et le senti-
ment de compétence ;
• travailler sur le sens de l’arrêt de travail.
– Population : hommes ou femmes, de tous âges (entre 18 et 65 ans) confrontés
à un problème de santé qui les oblige à cesser leur activité professionnelle sur
une période de plus de 90 jours. Au-delà de la seule difficulté de santé, ces
personnes sont confrontées à des sentiments d’exclusion et de perte d’estime de
soi du fait du statut de l’arrêt maladie.
– Éléments d’homogénéité choisis : des personnes en arrêt maladie depuis plus
de 90 jours qui ont fait état, en entretien individuel, de leurs souffrances liées
au statut de l’arrêt maladie.
– Éléments d’hétérogénéité choisis : hommes ou femmes, tous âges confondus,
toutes pathologies confondues, tous milieux sociaux confondus.
– Groupe : petit groupe de six personnes, fermé, centré sur la tâche, dont l’accent
est mis sur le développement 11. »

La composition du groupe est la deuxième variable. Elle doit être pensée


en tenant compte de la nécessité de créer des structures de groupe viables
car, pour qu’un groupe existe, il doit pouvoir développer un degré suffisant
de cohésion, de coopération et de solidarité.

10. Massa H. (1976), « Avant-propos à l’édition française », in Schulman L., Une technique
de travail social avec des groupes, Paris, ESF éditeur, coll. « Pratiques sociales ».
11. Home A., Darveau-Fournier L. (1980), « La spécificité du service social des groupes »,
Service social, n° 29 (1‑2), p. 16‑31. Boulay-Diot H. (2015), « Les incompris : l’audace d’oser »,
La Revue française de service social, n° 259, op. cit., p. 57.

217
Méthodologie de l’intervention en travail social

Deux facteurs sont à considérer : la taille du groupe et son homogénéité.


La taille du groupe peut être variable, aucun nombre préétabli de parti-
cipants ne sera défini comme règle générale ; l’important est, cependant,
que la dimension permette la communication interpersonnelle. Au-delà de
20 à 25 personnes, les échanges et la connaissance réciproque deviennent
plus difficiles. Certains repères peuvent guider le choix de la taille du groupe
en fonction des objectifs, à savoir :
–– les petits groupes (moins de 8 personnes) demandent une plus grande
implication de chaque participant et une plus grande participation. Ils per-
mettent l’expression des sentiments et la prise en compte des capacités de
chacun. La relation est plus intime. Aussi, plus le groupe est petit, plus les
pressions pour que les individus se plient aux normes admises seront
grandes (pression à la conformité). Les objectifs du groupe peuvent être
modifiés facilement. Le départ ou les absences de quelques membres risquent
de mettre rapidement en péril la vie du groupe ;
–– les groupes plus grands (entre 10 et 20 personnes) développent des
relations interpersonnelles moins intenses et moins profondes, chaque
membre a un plus grand nombre de communications à entretenir, la ten-
dance est à l’anonymat. L’apparition de sous-groupes tend à pallier cette
distance relationnelle. La structuration du groupe devient plus formelle avec
répartition des tâches et des rôles tels qu’animateur de séance, ordre du jour,
secrétariat, commissions. De ce fait, les personnes plus actives dominent plus
facilement, l’émergence des leaders devient rapidement une nécessité vitale.
Les groupes plus petits semblent davantage correspondre aux premiers
objectifs exposés ci-dessus, tandis que les groupes plus grands s’adaptent
mieux aux objectifs de changement social 12. Néanmoins, la taille optimale
d’un groupe donné est à réfléchir en fonction de la situation concrète, même
si certains concepts généraux peuvent servir de guide à cette réflexion.
L’homogénéité du groupe est généralement donnée par le problème,
besoin ou intérêt commun qui motive les personnes à y participer. D’autres
facteurs d’homogénéité peuvent être pris en considération tels que l’âge, le
sexe, les origines culturelles ou de classe sociale, le niveau socioculturel.
Lorsqu’il s’agit de groupes d’enfants ou d’adolescents, l’âge est un facteur
essentiel d’homogénéité, il devient moins important dans des groupes
d’adultes. En revanche, dans des groupes d’adultes, les niveaux d’instruction
et l’appartenance sociale sont assez déterminants.
Il est indispensable qu’un groupe ait un certain niveau d’homogénéité
afin de lui assurer un minimum de stabilité et de cohésion. Le type d’homo-
généité recherchée dépendra des objectifs pour le groupe, de sa taille, du
programme prévu.

12. Vinter R. (1967), Readings in Group Work Practice, Michigan, Campus Publishers
Ann Arbor, (traduction en espagnol, Buenos Aires, Humanitas, 1969).

218
L’intervention indirecte

Il ne s’agit pas, toutefois, de réunir uniquement des gens avec des carac-
téristiques identiques, mais plutôt des personnes avec des caractéristiques
compatibles entre elles, pour ce groupe-là. En effet, un certain degré d’hété-
rogénéité dans le groupe est aussi nécessaire : elle est source de confrontation,
d’acceptation des différences, de conflits ; elle est source de dynamisme et de
vie. Mais des écarts trop importants entre les membres du groupe peuvent
rendre la communication impossible et leur intégration improbable.
En voici un exemple :
« Une assistante sociale d’entreprise travaillant au projet de mise en place d’un
groupe de salariés en instance de partir à la retraite a invité à y participer toutes
les personnes concernées, parmi elle deux chefs de service, six employés de
bureau, deux manœuvres. La distance sociale entre ces personnes n’a pas été
retenue comme critère d’incompatibilité dans le fonctionnement de ce groupe.
Celui-ci n’a pu se constituer qu’après avoir éjecté de son sein les personnes
exerçant l’emploi de manœuvre. »

La participation et la présence des membres du groupe sont la troisième


variable dans l’élaboration du projet de mise en place d’un groupe. Elle
conditionnera – autant que les précédentes – la vie future du groupe.
Par rapport à la participation, il s’agit de définir si celle-ci sera volon-
taire ou obligatoire. La participation volontaire des personnes est un prin-
cipe établi et accepté dans le travail social avec les groupes, mais parfois
des groupes dits à participation volontaire sont de fait obligatoires. Par
exemple, la plupart des groupes organisés en institution (foyer, école, hôpi-
tal, prison, maison de repos, centre d’hébergement), et encore une grande
partie des activités de loisirs des enfants et des jeunes (centre aéré, clubs,
colonies de vacances). Par ailleurs, certaines personnes peuvent être
contraintes, par la pression sociale de l’environnement, de participer à des
groupes soi-disant volontaires.
Par rapport à la présence des membres, il s’agit de définir si le groupe
sera fermé – c’est-à-dire un groupe où les membres restent toujours les
mêmes tant au niveau de leur nombre que de leur identité – ou s’il s’agira
d’un groupe ouvert permettant une variation, un va-et-vient des partici-
pants et l’incorporation de nouveaux membres. Les groupes à but éducatif
ou de loisirs, centrés sur une ou plusieurs activités, supportent facilement
d’être ouverts avec une certaine modification de leur composition d’une
réunion sur l’autre. Les groupes axés sur une action collective peuvent
fonctionner avec une certaine ouverture si toutefois la présence du « sous-
groupe actif » est suffisamment stable pour permettre la poursuite de l’ac-
tion. À l’inverse, les groupes dont l’objectif est d’apporter soutien à ses
membres dans la résolution de problèmes personnels ne peuvent effective-
ment accomplir ces objectifs que dans le cadre de la participation stable des
groupes fermés.
La sélection des membres du groupe découle des variables citées précé-
demment. La sélection ou non des participants au groupe sera décidée et

219
Méthodologie de l’intervention en travail social

réfléchie en tenant compte du projet concret, dans la situation concrète.


Il faut néanmoins savoir que la participation au groupe aura une significa-
tion différente selon que les personnes aient été choisies ou non par le
travailleur social. Au cours du travail avec le groupe, cette signification sera
évoquée, soit ouvertement, soit de façon symbolique.
Lorsque les travailleurs sociaux et l’organisme gardent un grand contrôle
sur la composition du groupe (sélection des membres en fonction des objec-
tifs, du nombre, de l’homogénéité), celui-ci aura tendance à développer de
fortes attentes et une forte dépendance vis-à-vis du travailleur social pen-
dant les premières phases de son développement ; l’autonomisation du
groupe sera lente et progressive et le travailleur social devra y veiller. Les
groupes moins personnellement sélectionnés (invitation par lettre à une
première réunion où personne ne se connaît) développent plus rapidement
des objectifs et des projets d’activité autonomes, et même parfois différents
de ceux du travailleur social ; leur dépendance sera souvent plus brève. La
vie réelle de ces groupes dépendra pour beaucoup du niveau de motivation
des personnes qui le composent. Lorsque la motivation est faible, le groupe
a tendance à se désagréger rapidement.

9.2.2. L’organisation d’activités de groupe ponctuelles


Il ne s’agit plus ici de la mise en place d’un groupe destiné à perdurer
pendant un laps de temps plus ou moins long, mais plutôt d’utiliser la
dimension des groupes pour des actions ponctuelles de courte durée.
Pour l’un et l’autre, les phases chronologiques de la mise en place du
projet sont sensiblement les mêmes. Lors d’une activité de groupe ponc-
tuelle, il faut tout autant définir le besoin perçu, l’évaluer, élaborer le projet,
négocier ce projet avec l’employeur et avec le groupe pour aboutir à un
contrat. Cependant, la tâche de réflexion sur les choix de composition du
groupe, de participation et de sélection des membres est facilitée par la
courte durée prévue pour l’intervention directe.
Le groupe est souvent employé de façon ponctuelle avec les objectifs
suivants :
–– objectif d’information : les réunions d’information sur des sujets variés
(changement de législation, équipements du quartier, possibilités de garde
d’enfants, fonctionnement d’une institution, thèmes divers tels que contra-
ception, santé, relations familiales) sont utilisées couramment par les tra-
vailleurs sociaux. Elles s’accompagnent généralement d’informations écrites
(tracts, brochures) et parfois d’informations audiovisuelles ou numériques
(films, diapositives commentées, projections, sites Internet). Certaines de ces
réunions sont exclusivement d’information, d’autres utilisent aussi les dis-
cussions et l’échange en sous-groupes, avec une participation plus active
du public. Mais, la plupart du temps, les participants sont des spectateurs
passifs, en position de consommateurs ;

220
L’intervention indirecte

–– objectif d’observation, évaluation : parfois, on utilise aussi des activités


en groupe afin de connaître les personnes auxquelles on a affaire dans un
cadre d’interventions sociales différentes. Cela peut s’avérer particulièrement
important avec des personnes ayant des difficultés à communiquer verba-
lement, avec des enfants passifs et introvertis, avec des personnes âgées ou
handicapées. La médiation du jeu, l’utilisation de supports d’expression tels
que peinture, dessin, activités manuelles, peut faciliter l’établissement d’une
relation autrement improbable. Dans ce sens, l’organisation d’activités
d’enfants, sorties avec des adultes, loisirs ou promenades de week-end, peut
permettre d’affiner la compréhension des personnes auxquelles les travail-
leurs sociaux ont affaire ;
–– objectif d’éducation, formation : des activités ponctuelles de type édu-
catif peuvent aussi être organisées dans une dimension de groupe : séminaires
de formation des assistantes familiales, cours sur l’organisation du budget
familial, journée d’éducation sur la santé, la nutrition ou le secourisme. À ce
niveau, tout peut être imaginé comme thème de formation. Ce genre d’acti-
vités a souvent lieu dans les équipements socioculturels des quartiers (centre
social, maison de jeunes). Parfois les travailleurs sociaux sont amenés à
inviter des « spécialistes » en la matière, ou des institutions spécialisées ;
–– objectif de loisir : les activités de groupe à objectif exclusivement de
loisir ne sont pas organisées que par les travailleurs sociaux. Mais, parfois,
dans le cadre des entreprises, des clubs du troisième âge ou dans les insti-
tutions résidentielles (foyer, maison de retraite), les travailleurs sociaux sont
amenés à organiser des sorties, promenades, camps de vacances, activités
culturelles et de loisir diverses.
Toutes ces activités de groupe se caractérisent par leur courte durée, leur
caractère ponctuel. Les objectifs à atteindre sont différents de ceux d’un
groupe de durée plus longue, mais ils ne sont pas pour autant à négliger.
Les activités de groupe ponctuelles peuvent représenter une expérience
intensive tant pour les participants que pour les organisateurs, toute la
gamme des possibilités d’intervention ainsi offertes reste à explorer.

9.2.3. Le choix d’activités de support dans le programme


d’un groupe
Le programme du groupe est tout ce que le groupe accomplit pour satis-
faire ses intérêts (dans le sens d’être intéressé par) et ses besoins. La notion
de programme ainsi définie est plus large que celle d’activité. Cette dernière
renvoie à « faire quelque chose » ; l’activité se voit, se définit en termes
d’action. Le programme inclut les activités, mais aussi tout ce que le groupe
met en œuvre pour mener à bien ses objectifs 13.

13. Voir aussi : De Robertis C., Orsoni M., Pascal H., Romagnan M. (2014), L’intervention
sociale d’intérêt collectif. De la personne au territoire, Rennes, Presses de l’EHESP, coll.
« Politiques et interventions sociales », p. 239 et suivantes.

221
Méthodologie de l’intervention en travail social

Les activités d’un groupe ne sont pas, pour le travailleur social, une fin
en soi, mais un moyen, un support. Elles permettent de parvenir aux objec-
tifs, et plusieurs activités différentes peuvent être utilisées pour atteindre le
même but :
« Afin de permettre que des enfants – ayant des difficultés de communication
verbale – développent leur capacité d’échange entre eux et avec les adultes, les
travailleurs sociaux leur ont proposé une activité en groupe. Après réflexion,
c’est la confection de marionnettes qui a été retenue avec, deux étapes : la
première, manuelle, où chaque enfant construira sa propre marionnette, la
seconde, où collectivement les enfants élaboreront et joueront un scénario. »

On peut imaginer que, pour ce groupe, et pour poursuivre ces objectifs,


d’autres activités auraient pu être proposées, par exemple jeux en plein air,
sorties, peinture, mime. Plusieurs d’entre elles peuvent, en effet, être utilisées
comme support d’une communication verbale entre les enfants et les
adultes.
Le choix d’activités de support se fera donc en fonction des objectifs
poursuivis par le travailleur social, des intérêts et besoins des membres du
groupe, des capacités de ceux-ci (physiques, intellectuelles, relationnelles),
des ressources effectivement disponibles pour le groupe au niveau institu-
tionnel (salle de réunion, matériel, budget, temps).
Le choix d’occupation est, le plus souvent, fait par le groupe lui-même.
Les propositions et la programmation d’activités offrent au groupe un
champ précieux d’échange, de discussion, de prise de décisions. Cependant,
les travailleurs sociaux sont souvent à l’origine des propositions d’activités,
notamment lorsqu’ils ont eu l’initiative de la constitution du groupe.
La réflexion sur l’utilisation des activités comme supports constitue une
forme d’intervention indirecte préparant la vie du groupe et ayant une
influence déterminante sur celui-ci. Elle nous semble d’autant plus impor-
tante que les activités sont une source presque inépuisable d’expériences
nouvelles et de plaisir partagé pour les groupes de tout âge et milieu.
Nous proposons ci-dessous quelques points de repère qui peuvent éclairer
et enrichir la réflexion et le choix des travailleurs sociaux lorsqu’ils orga-
nisent la programmation d’activités pour les groupes d’usagers avec lesquels
ils travaillent.
Les activités permettent de développer la communication non verbale
entre les membres d’un groupe, d’avoir ensemble des expériences vécues
porteuses de souvenirs partagés. En ce sens, elles facilitent le travail avec
des personnes qui, du fait de leur âge ou de leurs capacités, ont des difficul-
tés à manier le langage verbal et abstrait. Les messages du corps (geste,
regard, tonus musculaire, intonation de la voix) peuvent être privilégiés là
où l’expression verbale devient accessoire et secondaire.
Les activités permettent aux membres d’exprimer leurs sentiments et de
combler leurs besoins affectifs tels que le besoin d’être accepté, reconnu, le

222
L’intervention indirecte

besoin de sécurité. C’est par la médiation de l’activité que les membres


peuvent accroître leur confiance en eux-mêmes et en leurs aptitudes, déve-
loppant des sentiments d’auto-estime et de solidarité envers leurs pairs. En
outre, les activités permettent aussi l’expression de sentiments d’hostilité,
d’agressivité et de rivalité, qui, lorsqu’ils sont dirigés sur la matière (marion-
nette, ballon, peinture, pâte à modeler), se transforment en force construc-
tive et dynamisante pour l’ensemble du groupe.
Les activités permettent de partir à la découverte d’un monde inconnu,
d’élargir ses horizons et ses possibilités. Telles ces femmes immigrées qui,
dans la sécurité de leur groupe, ont, pendant de longs mois, organisé des
sorties et des promenades pour découvrir le pays d’accueil dans lequel elles
vivaient pourtant depuis de nombreuses années.
Les activités ont des caractéristiques qui leur sont propres en dehors de
l’utilisation que le groupe et/ou les travailleurs sociaux en font. Certaines
activités favorisent la communication dans le groupe, nécessitent la coopé-
ration et la participation de tous (organisation de festivités, certains jeux
comme le football exigeant une tactique d’équipe) ; d’autres favorisent
plutôt l’expression individuelle, la prise en compte des capacités et des
différences de chacun (activités manuelles, peinture, danse, jeux de société) ;
d’autres encore favorisent le développement de sentiments d’union et de
cohésion (chant, musique, événements festifs, promenades, sorties).
Les activités peuvent être mises à profit de façons différentes selon les
objectifs poursuivis, les besoins et les intérêts et caractéristiques des parti-
cipants au groupe. Elles peuvent contribuer au :
–– développement physique dans des groupes de tout âge. La dimension
du corps étant souvent absente de la pratique sociale, il nous semble d’au-
tant plus important d’insister sur la pratique d’activités faisant appel au
mouvement musculaire et au plaisir qui résulte de l’usage de son corps. Les
activités sportives, la danse, la gymnastique, l’expression corporelle, la
natation, les promenades à pied ou à bicyclette donnent des possibilités
illimitées de maîtrise du corps et de développement physique ;
–– développement du contrôle neuromusculaire avec, comme consé-
quence, le contrôle de soi et de son mouvement, et encore le contrôle de la
matière et de sa transformation. Toutes les activités dites « manuelles »,
depuis les activités artisanales et créatives utilisant des matériaux divers
(bois, osier, tissu, laine, carton et papiers, cuir, terre) jusqu’aux activités de
type bricolage, peuvent être mises à profit dans des groupes afin d’accroître
la maîtrise de son mouvement. Cela sans compter le plaisir de création qui
se rattache à la transformation – par ses mains – de la matière ;
–– développement intellectuel et artistique, laissant libre cours à la créa-
tivité de chacun. Les diverses techniques d’expression (dessin, peinture,
photo) et les activités culturelles (musique, théâtre, cinéma) en passant par
les jeux très nombreux qui font appel aux capacités intellectuelles (jeux

223
Méthodologie de l’intervention en travail social

d’observation, de mémoire, de raisonnement logique) peuvent contribuer


au développement des capacités des membres du groupe 14.
Ainsi, les activités pourront-elles être pratiquées et modulées de façon
variée et originale, elles pourront apporter au groupe un champ inépuisable
d’expériences nouvelles. Pour s’en servir comme support, en tant qu’outil,
les travailleurs sociaux devront affiner leur réflexion au moment du choix
de l’activité à proposer, et après au moment de l’évaluation des résultats
obtenus par son utilisation.

9.3. Interventions sur l’entourage des personnes


Les travailleurs sociaux rencontrent souvent d’autres personnes faisant
partie de l’entourage de l’usager, nous traiterons ici de ces interventions, à
l’exclusion de celles – tout aussi fréquentes – auprès d’autres travailleurs
sociaux que nous verrons en détail dans le paragraphe 9.4.
Les interventions sur l’environnement ont pour objectif de modifier la
situation externe de la personne, d’élargir son insertion sociale et de changer
l’attitude à son égard des personnes significatives ou des institutions qui
l’entourent.
L’entourage est difficile à définir : dire quelles personnes et organisations
le constituent n’est possible que dans la situation précise d’un usager par-
ticulier ; une définition préalable de qui est l’usager devient nécessaire :
s’agit-il d’une personne, et laquelle, d’un groupe familial, d’un groupe
d’enfants, d’adultes ? Cependant, en termes généraux, nous pouvons dire
que l’entourage de l’usager est constitué par les personnes significatives
dans l’aire relationnelle de proximité de celui-ci, mais aussi par les groupes,
institutions et organismes auxquels il appartient et dans lesquels il est
inséré. Nous allons traiter les interventions auprès des personnes significa-
tives, la médiation et l’intervention en réseau.

9.3.1. Les personnes significatives


Ces personnes peuvent être des proches (amis, parents, enfants, famille
élargie), des voisins ou encore des personnes appartenant à des institutions
avec lesquelles il est en relation (école, travail, centre de loisirs, dispensaire,
office de logement). Dans tous les cas, il s’agit de personnes susceptibles
de lui apporter un élargissement de sa sphère de relations sociales et une
insertion plus riche et satisfaisante dans le tissu social. Elles sont aussi

14. Les caractéristiques propres aux activités ont été développées dans : De Robertis C.,
Pascal H. (1987), L’intervention collective en travail social, groupes et territoires, Paris,
Bayard, p. 235 et suivantes. Voir aussi : De Robertis C., Orsoni P., Romagnan M.,
L’intervention sociale d’intérêt collectif, op. cit., chapitre 7.

224
L’intervention indirecte

susceptibles d’apporter aide, soutien, compréhension et de rendre service à


la personne en difficulté, avoir envers elle une attitude solidaire.
L’intervention du travailleur social auprès des personnes significatives
de l’entourage se révèle bénéfique dans diverses circonstances, notamment
lorsque la personne jouit de peu d’estime sociale ou lorsqu’elle est le bouc
émissaire du groupe social dans lequel elle vit. De très nombreux conflits de
voisinage et de problèmes scolaires des enfants sont dus au rejet de telle ou
telle famille ou personne pour des motifs parfois réels, mais souvent aussi à
cause d’idées préconçues et stéréotypées. Dans certains quartiers, et parti-
culièrement dans des cités à forte concentration de problèmes sociaux, dites
cités « sensibles », il est fréquent de trouver quelques familles qui, peu appré-
ciées par leur entourage, subissent l’agressivité collective. Ces interventions
se révèlent profitables aussi pour essayer de modifier des conflits anciens
s’étant soldés par une rupture de relations plus ou moins complète.
Par ailleurs, les personnes aux capacités psychiques ou physiques limi-
tées requièrent souvent du travailleur social une intervention auprès de leur
entourage. Ces interventions sont bien connues des travailleurs sociaux en
charge de la population handicapée (mentale ou physique).
Il est vrai que dans certaines situations, le travailleur social peut éviter
d’intervenir auprès des personnes significatives de l’entourage, notamment
lorsque son intervention directe avec la personne accompagnée permet à
celle-ci de rétablir ou de modifier d’elle-même son insertion sociale et ses
liens avec son milieu. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les
liens avec les amis, la famille, les voisins. Néanmoins, il s’avère plus diffi-
cile pour l’usager de modifier de lui-même ses rapports avec des personnes
liées ou appartenant à une institution sociale. Ainsi, aborder les instituteurs
ou les professeurs peut s’avérer une tâche très difficile pour certains
parents ; les réunions à l’école peuvent représenter une épreuve importante.
L’écart social entre la personne et ces professionnels (enseignants, méde-
cins, maîtrise ou chefs de service, administration) est important, et il s’y
ajoute les craintes et les expériences antérieures qui parfois constituent des
barrières difficiles à franchir. Dans ces cas, l’intervention du travailleur
social auprès des personnes ou des institutions peut s’avérer nécessaire et
souhaitable.

9.3.2. La médiation
Pour le travailleur social, les interventions auprès de l’entourage de la
personne impliquent l’exercice d’un rôle de médiateur, de porte-parole des
intérêts de la personne, il est ainsi amené à intercéder en sa faveur auprès
des autres. Ces interventions se sont beaucoup développées depuis quelques
années. Toutefois, certaines s’exercent bien en présence et avec la partici-
pation active des usagers. En ce sens, la médiation est à la fois une inter-
vention directe et indirecte.

225
Méthodologie de l’intervention en travail social

Dans ce type d’intervention, le travailleur social fait jouer la considéra-


tion sociale dont il est porteur en tant que professionnel, ainsi que l’autorité
que lui confère l’appartenance à son service employeur. Il est un interlocu-
teur compétent jouissant d’estime et de respect. Alors, il se trouve dans une
position favorable pour agir en tant que représentant des intérêts de l’usager,
il a un pouvoir réel qu’il peut utiliser afin d’introduire des changements dans
l’entourage de la personne.
La fonction de médiation du travailleur social a été officiellement recon-
nue dans le programme d’études du diplôme d’État d’assistant de service
social dans le référentiel d’activités :
« Les fonctions/activités des assistants de service social s’exercent en référence
à des repères éthiques et déontologiques garantissant la qualité de leurs inter-
ventions […] Fonction de médiation :
– participer à la régulation sociale ou familiale de situations de tensions ou de
dysfonctionnement ;
– négocier pour les personnes auprès des associations, des institutions, des ser-
vices publics ;
– assurer un rôle d’interface entre la personne et les institutions intégrant les
logiques institutionnelles ou individuelles 15. »

Cette fonction a été mise en avant par de nombreux auteurs et dans


différents champs d’intervention. Parmi les champs les plus importants de
développement, il y a la médiation familiale, exercée depuis quelques années
auprès de couples divorcés ou séparés pour régler leurs différends de garde
dans l’intérêt des enfants 16. Ces interventions de médiation familiale ont
donné lieu à la création d’un diplôme spécifique de spécialisation en la
matière 17. D’autres champs ont été la médiation culturelle 18 auprès de per-
sonnes immigrées ou la médiation sociale auprès de populations défavori-
sées et exclues 19 des quartiers en difficulté.
Comment définit-on la médiation ? Du latin médiator, « s’interposer »,
« ce terme a été principalement employé pour indiquer une interposition
offerte, voir imposée, à deux belligérants 20 ». Selon Suzanne Roux, le média-
teur est l’intermédiaire, le pont, le lien, qui fait toucher un bord à l’autre.

15. Décret n° 2004‑533 du 11 juin 2004, JO du 12 juin 2004 et arrêté du 29 juin 2004,
JO du 23 juillet 2004.
16. Laurent-Boyer L. (dir.) (1992), La médiation familiale, Paris, Bayard.
17. Décret n° 2003‑1166 du 2 décembre 2003, arrêté du 12 février 2004, JO du 27 février
2004 et circulaire DGAS/4A n° 2004‑376 du 30 juillet 2004. Voir Actualités sociales hebdo‑
madaires, n° 2377 du 15 octobre 2004.
18. Roux S. (dir.) (1997), Action sociale et migration, expérience et méthodes d’un service
social spécialisé, Paris, L’Harmattan.
19. Freynet M.-F. (1995), Les médiations du travail social, contre l’exclusion (re)construire
les liens, Lyon, Chronique sociale.
20. Barreyre J.-Y., Bouquet B. (2006), Nouveau dictionnaire critique d’action sociale,
Paris, Bayard, p. 357.

226
L’intervention indirecte

La médiation est l’entremise d’un tiers impartial pour aider les parties en
présence à résoudre leur différend, à parvenir à un accord. Le rôle de média-
teur englobe celui de conciliateur. Il facilite la communication, il peut inter-
venir dans la discussion, faire des suggestions et des recommandations mais
il n’a pas de pouvoir de décision. La médiation s’exerce dans des situations
bloquées où émergent contradictions, malentendus, incompréhensions et
où la communication n’existe plus entre les acteurs alors qu’elle serait
indispensable pour établir ou rétablir une négociation, un dialogue, afin
d’œuvrer ensemble de façon équilibrée et constructive 21.
Il existe différentes formes de médiation ; Jean-François Six en dégage
quatre, les deux premières étant destinées à faire naître ou renaître un lien
et les deux autres vouées à parer à un conflit :
– « La médiation créatrice : a pour but de susciter entre des personnes ou des
groupes des liens qui n’existaient pas entre eux auparavant des liens qui leur
seront bénéfiques ;
– La médiation rénovatrice : permet d’améliorer entre des personnes ou des
groupes des liens qui existaient entre eux, mais qui étaient distendus ou devenus
indifférents ;
– La médiation préventive : devance un conflit en gestation entre des personnes
ou des groupes et réussit à éviter qu’il n’éclate ;
– La médiation curative : répond à un conflit existant en aidant les personnes
ou les groupes qui y sont engagés à en trouver eux-mêmes, par eux-mêmes une
solution 22. »

Il semble utile de rappeler que cette fonction de médiation ne peut être


exercée par les travailleurs sociaux que si elle est librement consentie par
les personnes ou groupes impliquées et s’ils sont effectivement partie pre-
nante et participants au processus.

9.3.3. Les réseaux


Le terme réseau découle étymologiquement du latin retium qui signifie
le filet de pêche, il renvoie au maillage réticulaire, type toile d’araignée.
Dans cette approche, la réalité sociale est analysée comme un ensemble de
réseaux primaires et secondaires. Les réseaux primaires sont les personnes
qui se connaissent et entretiennent des liens affectifs, relationnels positifs
ou négatifs, non obligatoires et basés sur des affinités et des proximités.
Nous trouvons ainsi les liens familiaux, de voisinage, de travail, de loisirs.
Les réseaux secondaires sont composés d’institutions sociales qui ont une
existence officielle et réglementaire ; ils sont structurés pour rendre des
services particuliers (hôpital, école, centre social, associations). Les réseaux
secondaires sont aussi composés par des groupes plus informels n’ayant pas

21. Roux S., « Médiation culturelle et travail social », Accueillir, revue du SSAE, n° 193.
22. Six J.-F. (1990), Le temps des médiateurs, Paris, Seuil.

227
Méthodologie de l’intervention en travail social

une structure juridique, mais facilitant néanmoins un lien de services rendus


et de coopération (groupes de femmes, groupes d’échanges de savoirs ou de
services 23).
Deux formes de travail en réseaux se sont développées :
–– un travail en réseau partenarial entre professionnels et institutions
intervenant auprès d’une même population dans un espace géographique
déterminé pour un même type de problème. Ainsi, se sont organisés, par
exemple, les « réseaux santé » ou les « réseaux gérontologie », ou encore
les « réseaux d’hébergement d’urgence », structures plus ou moins infor-
melles destinées à mettre en synergie des services et coordonner les profes-
sionnels existants. Ces réseaux s’apparentent au travail en partenariat qui
sera développé dans le paragraphe suivant ;
–– un travail de dynamisation des réseaux primaires des personnes et
d’articulation avec les réseaux secondaires est entrepris par le travailleur
social avec la personne concernée.
« Il s’agit d’identifier leur système de relations. L’objectif est, de plus, de faire
émerger des relations “oubliées” et de les réactiver. Le système de relations
représente un système ressource. La pratique réseau s’appuie sur la recherche des
ressources et moins sur l’analyse du pourquoi des problèmes. Elle permet d’iden-
tifier le système de relations et la dynamique qui pourra être activée dans la
recherche de solutions 24. »

Un réseau social est un ensemble de personnes en relation ; en principe,


les rapports sont directs, les liens simplifiés et informels. N’importe quel
membre du réseau peut joindre les autres sans attente et sans hiérarchie.
L’idée reste de permettre la plus libre circulation possible des échanges et sa
force repose sur la synergie entre personnes différentes.
En intervention sociale d’intérêt collectif, les réseaux ont été mis en
place dans le cadre d’une dynamisation des liens sociaux au sein des quartiers
par des échanges de savoirs et des échanges de services organisés par des
groupes d’habitants avec le soutien à l’organisation des travailleurs sociaux.
Les interventions sur l’entourage de l’usager, de médiation et de réseau
entraînent pour le travailleur social des contradictions difficiles à résoudre.
En effet, lors de ces interventions, se pose souvent le problème du secret
professionnel, de ne pas trahir la confiance de l’usager, de ne pas divulguer
ce que le travailleur social a été amené à savoir dans l’exercice de sa pro-
fession. Ce problème se pose d’autant plus fréquemment que la plupart de
ces interventions ont pour objectif d’obtenir la collaboration des personnes

23. Action recherche collective (1994), De l’assistance à la solidarisation, un nouveau


sens au travail social, Paris, L’Harmattan. Voir aussi Sanicola L. (dir.) (1994), L’intervention
de réseaux, Paris, Bayard.
24. Odeye-Finzi M. (2000), « L’approche réseau en travail social : “prendre le social au
mot” », La Revue française de service social, n° 198.

228
L’intervention indirecte

et des institutions de l’entourage, et il est difficile de la demander sans


donner des informations. En outre, souvent, le travailleur social est lui-
même demandeur de renseignements auprès de l’entourage. S’il est vrai que
la première source d’information est la personne elle-même, il est tout aussi
vrai que certaines informations ne peuvent être obtenues qu’auprès d’autres
personnes, par exemple, des renseignements sur le comportement scolaire
d’un enfant autres que les résultats chiffrés trimestriels. Le secret partagé
n’existe pas légalement, les professions sociales préfèrent parler de partage
de l’information 25 entre professionnels eux-mêmes tenus au secret. Dans ce
cas, l’information partagée doit l’être avec le consentement de l’usager et
uniquement celle qui s’avère strictement indispensable à la bonne résolution
de l’action en commun.
« Il est préconisé de ne transmettre que les éléments strictement nécessaires, de
s’assurer que l’usager concerné est d’accord pour cette transmission ou tout au
moins qu’il en a été informé, ainsi que des éventuelles conséquences que pourra
avoir cette transmission d’informations, et de s’assurer que les personnes à qui
cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment
besoin dans l’intérêt de l’usager de ses informations 26. »

9.4. Collaboration entre travailleurs sociaux


Les travailleurs sociaux sont fréquemment amenés à rencontrer des col-
lègues soit du même service, soit appartenant à d’autres services employeurs.
Cela est particulièrement vrai en France, où les professions sociales sont
nombreuses et les organismes variés. Ces rencontres peuvent revêtir des
formes et avoir des objectifs différents. Il peut s’agir de réunions à plusieurs
participants ou des entretiens à deux, il peut s’agir de rencontres entre
travailleurs sociaux de la même profession, ou de rencontres pluriprofes-
sionnelles, de rencontres au sein du même service employeur ou de travail-
leurs sociaux appartenant à différents organismes. Les objectifs de ces
rencontres peuvent aussi bien être un échange d’informations, l’élaboration
d’une évaluation et d’un plan d’action, l’étude et l’analyse d’un problème,
l’élaboration d’un projet.
Nous pouvons distinguer quatre types différents de collaboration entre
collègues travailleurs sociaux : la liaison, la concertation, le travail d’équipe
et la consultation. Nous ajoutons une cinquième modalité de collaboration
qui englobe en partie les autres : le partenariat.

25. La Revue française de service social (2002), « Le partage de l’information », n° 205,
Paris.
26. Actualités sociales hebdomadaires (2005), « La responsabilité des professionnels de
l’action sociale », supplément au n° 2433, 9 décembre. Voir aussi : De Robertis C. (2005), « Le
secret professionnel des assistants de service social, protection de l’usager, affirmation de
professionnalité », Les Cahiers de l’Actif, n° 346‑347.

229
Méthodologie de l’intervention en travail social

9.4.1. La liaison
Il s’agit ici de contacts occasionnels entre deux ou plusieurs travailleurs
sociaux, avec comme objectif principal l’échange réciproque d’informations
nécessaires au suivi de la personne. La liaison peut être écrite ou orale, elle
est souvent téléphonique. Cette forme de collaboration permet aux travail-
leurs sociaux d’éviter les interventions multiples de plusieurs services auprès
des mêmes personnes, ou encore de se tenir au courant des interventions
successives ou simultanées auprès de l’usager. La liaison est toujours ponc-
tuelle, elle a un objectif limité à l’échange d’informations.

9.4.2. La concertation, les réunions de synthèse


La concertation est une forme de collaboration qui poursuit des objectifs
plus ambitieux. Il s’agit ici de coordonner les efforts de plusieurs travailleurs
sociaux qui interviennent auprès de la personne, d’élaborer ensemble, avec
la participation de chacun, une analyse de la situation, une évaluation et
un plan d’action commun où chaque intervenant sera amené à assumer un
rôle défini en concertation.
Il est fréquent que plusieurs travailleurs sociaux interviennent auprès de
familles à problèmes multiples – pour la plupart appartenant à des services
divers et souvent représentant différentes professions : éducateur, psycho-
logue, assistante sociale, conseillère en économie sociale. La multiplication
des intervenants sociaux n’est pas une garantie de travail efficace et pro-
ductif 27, et peut d’ailleurs s’avérer contre-indiquée dans certaines situations.
La concertation permet alors de définir les actions menées par chacun, et
aussi de limiter les interventions multiples.
La concertation est souvent ponctuelle, suivie de rencontres périodiques
de bilan et de mise au point. Ces rencontres situent les limites et le cadre
d’intervention de chacun. Dans le secteur psychiatrique et les institutions
pour enfants (internats, foyers), elles sont souvent appelées « réunions de
synthèse ».
Selon les situations, la concertation peut réunir deux ou plusieurs tra-
vailleurs sociaux, le plus souvent, il s’agit de personnes de professions et de
services employeurs différents. Se pose alors le problème des statuts profes-
sionnels divers, de la hiérarchie du savoir, qui correspond toujours à la
hiérarchie de salaire et de reconnaissance sociale, entre les divers profes-
sionnels amenés à se concerter au sujet d’une famille ou d’un groupe. Les
statuts professionnels différents, auxquels s’ajoutent les options des orga-
nismes employeurs, font souvent que les travailleurs sociaux amenés à se
concerter ne sont pas sur un pied d’égalité pour le faire. Lorsque la parole

27. Salomon G.-M. (1977), « L’homme morcelé ou de quelques handicaps institutionnels


au travail social concerté », Connexions, n° 22, Paris.

230
L’intervention indirecte

de l’un ou de l’autre a un poids prédominant, lorsque les décisions à prendre


sont influencées par ceux au plus grand prestige professionnel ou au rôle
hiérarchique le plus élevé, la concertation réelle est compromise. Dans ces
cas, seule une clarification préalable des statuts institutionnels et profes-
sionnels, et des compétences spécifiques de chacun, permet d’avancer vers
une collaboration réelle centrée sur l’intérêt de la personne.

9.4.3. Le travail d’équipe


À la différence de la concertation, qui est en général occasionnelle, le
travail d’équipe implique une structure de rencontres régulières, souvent en
groupe avec des travailleurs sociaux du même organisme employeur ou
– s’il s’agit d’employeurs différents – du même secteur géographique (quar-
tier, commune, ville). Contrairement à la concertation, qui est toujours
centrée sur l’usager, le travail d’équipe peut se donner des objectifs diffé-
rents, soit se centrer sur la personne, soit sur les travailleurs sociaux eux-
mêmes, ou encore sur des projets d’action commune ou sur des recherches.
Pour qu’il puisse exister, le travail d’équipe nécessite une structure de
fonctionnement : dates de rencontre, cadence régulière, durée des réunions
préétablie, ordre du jour. Cette structure est établie dans le cadre du service
employeur, souvent fixée par lui. Parfois, la structure de travail est mise en
place à l’initiative des travailleurs sociaux eux-mêmes, elle reste cependant
dans le cadre institutionnel.
Les objectifs des réunions d’équipe vont influencer le type de travail et
la participation plus ou moins active de chacun. Parmi les objectifs de tra-
vail d’équipe, nous pouvons distinguer :
–– les réunions, ou une partie d’une réunion, ayant comme but le partage
d’informations. C’est ici que les informations de type institutionnel sont
transmises le plus souvent de haut en bas, mais aussi parfois en sens inverse,
les chefs de service ou les responsables d’équipe ont un rôle important dans
la circulation des informations au sein de l’institution. Les informations
extérieures à l’organisme sont aussi ventilées et échangées. Parfois, lorsque
le sujet le mérite, des réunions d’information générale sont organisées sur
un thème précis (changement de politique sociale ou d’orientation, nouvelle
législation, création d’équipements) ;
–– les réunions avec un objectif de consultation et de formation réci‑
proques. Il s’agit ici de travailler autour d’un sujet concernant l’exercice
professionnel, soit à partir d’un thème de travail, soit à partir de situations
de la pratique. Souvent, les situations pratiques abordées sont difficiles, et
les travailleurs sociaux, à partir de l’échange en équipe, se prêtent entraide
et conseil ;
–– les réunions ayant comme objectif la mise en place d’une nouvelle
forme d’intervention ou l’étude d’une situation particulière. Les activités
avec des groupes et les interventions d’intérêt collectif sont souvent menées

231
Méthodologie de l’intervention en travail social

à partir d’une analyse et une élaboration en équipe. Le groupe permet alors


une grande richesse d’analyse et de confrontation d’opinions. Les décisions
prises collectivement donnent ensuite lieu à un partage de responsabilités
et de tâches. Ce type de travail d’équipe est fréquent lorsque les travailleurs
sociaux s’adonnent à la résolution de problèmes nouveaux concernant toute
une catégorie de population (personnes âgées, loisirs des enfants, travail des
jeunes, logement, surendettement) ;
–– les réunions poursuivant un but de recherche proprement dite per-
mettent d’étudier un problème ou un phénomène social constaté. La
recherche peut porter sur des sujets différents : les personnes aidées, les
caractéristiques du secteur ou de l’institution, les formes d’intervention et
la méthodologie professionnelle, les résultats obtenus par l’intervention
sociale. La recherche peut revêtir des formes et des thèmes divers, elle est
toujours axée sur l’approfondissement et l’élargissement des connaissances
des travailleurs sociaux. Elle permet aussi de quantifier et d’objectiver des
données qui, autrement, resteraient dans le domaine des impressions et des
idées préconçues.
Ces différents objectifs de travail d’équipe peuvent facilement s’interpé-
nétrer, en tout cas, ils ne s’excluent pas, et un même groupe de travailleurs
sociaux peut à l’occasion passer de l’un à l’autre.
Les travailleurs sociaux valorisent beaucoup cette forme de collaboration
entre professionnels, à tel point que le mot « équipe » recouvre souvent les
activités les plus diverses. Mais le travail d’équipe est loin d’être une affaire
simple et sans embûches. C’est dans ces groupes de travail, à structure insti-
tutionnalisée, que se jouent les plus grandes contradictions et conflits : le
problème des statuts professionnels et la hiérarchie dont nous parlions au
sujet de la concertation, mais aussi les rivalités entre professions et entre
personnes, les mécanismes de pouvoir informels, et les craintes diverses entre
individus (peur d’être jugé, peur de ne pas être reconnu, peur d’être blessé ou
atteint par l’opinion des autres). Le respect de chacun, la place que chaque
personne occupe dans le groupe, la tolérance et la reconnaissance de la valeur
de l’autre sont indispensables pour un fonctionnement satisfaisant de l’équipe.
Le chemin est souvent fort long pour aboutir à un travail harmonieux et
productif, et, ici, l’animation et l’exemple de l’encadrement sont essentiels.

9.4.4. La consultation
Cette forme de collaboration entre travailleurs sociaux diffère des trois
précédentes, car il s’agit de la rencontre entre deux travailleurs sociaux aux
statuts professionnels différents : l’un, reconnu compétent et expérimenté,
met à la disposition de l’autre la possibilité d’échanger et de réfléchir sur
des situations professionnelles ; l’autre est demandeur d’un avis ou d’un
éclairage par un « expert ». Cette situation implique la reconnaissance d’une
hiérarchie de savoir ou, tout au moins, d’expérience entre l’un et l’autre.

232
L’intervention indirecte

La consultation est une structure de travail offerte aux travailleurs


sociaux par leur organisme employeur. La plupart des grands services
offrent sous une forme ou une autre cette possibilité ; les organismes à
personnel réduit peuvent parfois utiliser des personnes extérieures pour
remplir cette fonction. La consultation est utilisée par les travailleurs
sociaux selon leurs besoins et à leur demande. Ils peuvent soumettre au
consultant les situations difficiles ou embarrassantes, échanger sur des pro-
blèmes professionnels avec lesquels ils ne sont pas encore familiarisés, etc.
La consultation est exercée soit par des responsables hiérarchiques, soit
par des consultants hors hiérarchie (conseillers techniques). Le plus souvent,
il s’agit de travailleurs sociaux expérimentés ayant des formations profes-
sionnelles complémentaires, parfois aussi sont embauchés pour cette fonc-
tion des psychologues ou des psychiatres.
La consultation est en général une rencontre occasionnelle traitant d’une
situation précise. En cela, elle diffère de la supervision qui, elle, est un
processus de formation, individualisé ou par petits groupes, s’étendant sur
un laps de temps plus ou moins long. Dans certaines institutions, la super-
vision est une structure obligatoire pendant la première année de travail
après l’embauche, ou pour l’encadrement des jeunes professionnels.
La supervision est aussi présente dans les formations en cours d’emploi,
formations supérieures et/ou d’adaptation à la fonction.

9.4.5. Le partenariat
Depuis quelques années, le terme de « partenariat » est devenu prédomi-
nant en travail social, au point qu’il est souvent utilisé pour dire tout et son
contraire. « Partenaire » désigne une personne associée à une autre, il dérive
de l’anglais partner. Au départ employé dans le contexte du sport et des
relations sentimentales, il a par la suite été repris dans les négociations
salariales sous le terme de « partenaires sociaux ». Peu à peu il s’est introduit
dans tous les domaines de la société et dans l’action sociale, notamment
dans les politiques sociales transversales territorialisées.
Il peut se définir « comme un rapport complémentaire et équitable entre
deux parties différentes par leur nature, leur mission, leurs activités, leurs
ressources et leur mode de fonctionnement. Dans ce rapport, les deux parties
ont des contributions mutuelles différentes, mais jugées essentielles. Le parte-
nariat est donc fondé sur un respect et une reconnaissance mutuelle des contri-
butions et des parties impliquées dans un rapport d’interdépendance 28 ».
Il s’agit donc d’une collaboration entre parties différentes, mais d’égales
valeur et importance. C’est une mise en commun de moyens entre des ins-
titutions ou entre des personnes qui reconnaissent la nécessité de faire

28. Barreyre J.-Y., Bouquet B., Chantreau A., Lassus P. (1995), Dictionnaire critique
d’action sociale, Paris, Bayard, p. 272.

233
Méthodologie de l’intervention en travail social

appel aux ressources des autres pour aborder des problèmes nécessitant une
réponse collective. C’est donc une approche assez égalitaire et pragmatique
qui favorise le décloisonnement institutionnel et la mobilisation des acteurs
et des ressources.
Or, certaines politiques sociales ont instauré un partenariat à partir d’une
logique de réaffectation budgétaire, de gestion de la pénurie et du déploie-
ment de ressources. Il nous semble donc que certains usages actuels du
terme « partenariat » pour désigner des relations de dépendance ou de subor-
dination entre institutions soient impropres : il n’y a pas de partenariat à
proprement parler entre financeur et financé.
Certains auteurs ont avancé la nécessité d’établir un véritable partenariat
avec les usagers eux-mêmes, articulé autour de la notion de citoyenneté, de
sujet de droits, d’acteur de sa propre vie.
« Le partenariat devient une revendication des personnes directement concernées
par l’action sociale. Leur demande est d’être entendues, d’être reconnues dans
leurs compétences et leur expérience, de pouvoir partager leurs observations, de
prendre avec les professionnels les décisions qui concernent la prise en charge,
les programmes ou les projets d’intervention 29. »

Certes, cette participation et cette implication des intéressés sont fonda-


mentales et nécessaires, mais ne font pas pour autant d’eux des partenaires
au sens que nous avons défini, et l’emploi de ce terme nous semble aussi
inadapté que dans le cas de dépendance institutionnelle à laquelle nous
faisions référence. Le risque est grand d’oublier que les personnes en diffi-
culté sont davantage victimes que responsables de la situation qu’elles
vivent. Vouloir les considérer « partenaires » et les mettre sur un pied d’éga-
lité avec les services et personnes ayant vocation de les aider, les rend res-
ponsables, sinon « coupables », de la situation qu’ils vivent. Ce n’est pas
toujours le chemin le plus efficace pour leur acquisition d’autonomie et de
compétence sociale.
La question de la participation des personnes fait l’objet de nombreuses
études, rapports et textes réglementaires, ayant pour principe la prise en
compte des apports de chacun tant à l’organisation des institutions qu’à la
conception même de l’action sociale. Plusieurs rapports ont défini cette
participation et orientent les politiques sociales, notamment celui du Haut
Conseil en travail social 30 (HCTS). Mais, si cette injonction à la participation
est bien à l’ordre du jour, est-ce que pour autant la participation est rendue
effective ? Et la participation de qui ? Représentant qui ? Quelles sont les
stratégies d’acteurs par rapport à cette question ? Cette participation a une

29. Besson C., Guay J. (2000), Profession travailleur social : savoir évaluer, oser s’impli‑
quer, Levallois-Perret, Gaëtan Morin Éditeur-Europe.
30. Haut Conseil du travail social (2017), « Participation des personnes accompagnées
aux instances de gouvernance et à la formation des travailleurs sociaux ». En ligne : http://
solidarites-sante.gouv.fr.

234
L’intervention indirecte

visée démocratique louable, mais, en général, il s’agit d’une « démocratie


octroyée », proposée par les institutions et professionnels. La véritable par-
ticipation ne peut venir que d’une « démocratie conquise » par les personnes
elles-mêmes, lorsqu’elles construisent une mobilisation à partir de leurs
propres projets.
« Pour nous, travailleurs sociaux, l’accès des personnes à une parole réelle, expri-
mée et entendue, à une action constructive élaborée et mise en œuvre par eux-
mêmes est un impératif catégorique 31. »

31. De Robertis C. (2014), « Participation des personnes : quelle contribution de l’inter-


vention sociale d’intérêt collectif ? », La Revue française de service social, « La parole de
l’usager : quel sens, quelle place dans l’action sociale ? », n° 255.
Chapitre 10

L’évaluation des résultats de l’intervention

10.1. Une exigence incontournable


Depuis le début des années 1990, l’évaluation des résultats est devenue
une exigence fondamentale de l’action sociale. On parle constamment
d’évaluation et les travailleurs sociaux endurent une injonction permanente
de « dire ce qu’ils font » et de faire connaître les résultats de leur action. Ces
nouvelles exigences nécessitent de réfléchir à l’évaluation et d’améliorer
notre savoir-faire dans ce domaine.
Il fut un temps où l’évaluation des résultats se limitait au travail de bilan
et de récapitulation avec les personnes accompagnées qui devait progressi-
vement conduire à la fin de l’intervention sociale. Il s’agissait d’une étape
de travail qui restait confidentielle et restreinte dans le cadre de la relation
d’aide. Or de nouveaux facteurs ont modifié cette situation. La crise écono-
mique et la raréfaction des ressources pour l’action sociale, la décentralisa-
tion et les nouvelles politiques sociales ont suscité des exigences nouvelles
que nous ne pouvons pas ignorer.

10.1.1. La crise économique et la fin de l’État providence


Depuis le premier choc pétrolier situé en 1973 et de façon progressive,
la crise économique mondiale s’instaure peu à peu. Ce qui au départ est
considéré comme une crise transitoire s’avère rapidement une crise struc-
turelle majeure de recomposition du capitalisme mondial, de ses modes de
production et de répartition internationale des lieux de production. La
France s’installe ainsi dans une crise durable qui entraîne un remaniement
considérable des modes de production.

237
Méthodologie de l’intervention en travail social

La crise se répercute sur les mécanismes de protection sociale exis-


tants et qu’on a appelé « l’État providence 1 ». Ainsi, l’État ne protège plus,
ou protège moins, contre les aléas de la vie (santé, chômage, accident,
logement…), car les réserves financières dédiées au social sont de plus en
plus réduites. Parallèlement, sont définies des politiques sociales d’acti-
vation qui transforment la protection universelle face aux risques de la
vie, telle que définie après la Deuxième Guerre mondiale par le Conseil
national de la Résistance (CNR), en prestations individualisées destinées
à certaines catégories de personnes et certaines problématiques sociales
spécifiques. Ces prestations ou dispositifs sont octroyés avec une contre-
partie sous forme de mobilisation, d’implication et d’effort pour changer
de situation dont le plus emblématique reste le revenu de solidarité
active 2 (RSA). Ces nouvelles politiques sociales ont des conséquences
importantes sur l’activité des travailleurs sociaux et conditionnent autre-
ment certaines phases de leur méthodologie, n ­ otamment celle de l’éva-
luation des ­résultats.
Simultanément, la multiplication des personnes démunies s’accentue au
rythme de la fermeture des industries et de l’automatisation du travail,
laissant des villes et des régions entières sombrer dans le chômage et la
désertification économique. Ainsi, aux pauvres déjà connus se sont ajoutés
les « nouveaux pauvres », les « exclus », les « désaffiliés », les « travailleurs
pauvres » tous issus du remaniement mondialisé du marché économique du
libéralisme triomphant. On est venu alors à parler de « nouvelle question
sociale », en référence à celle du xixe siècle, conséquence de la révolution
industrielle qui elle-même a été à l’origine de l’apparition et de la profes-
sionnalisation du travail social.

10.1.2. La décentralisation et les nouvelles politiques sociales


C’est dans ce contexte d’accroissement des situations de difficulté, parmi
la population et de réduction des moyens financiers, que se met en place,
en France, la décentralisation, en 1983. Celle-ci correspond au transfert des
responsabilités de l’État aux collectivités locales (commune, département,
région) en matière d’action sociale, entre autres. La décentralisation pro-
voque un rapprochement considérable entre les décideurs, qui sont aussi les
payeurs, et les travailleurs sociaux. Les instances de décision, de finance-
ment et de contrôle deviennent locales et en même temps, les employeurs
directs des travailleurs sociaux. Cette proximité va entraîner de nouvelles
exigences pour les professionnels et une demande constante des élus pour

1. Rosanvallon P. (1992), La crise de l’État providence, Paris, Seuil, coll. « Points Essais »,
(1re édition, 1981).
2. De Robertis C. (2017), « Francia : políticas sociales, evoluciones y debates, el ejemplo
del recurso de solidaridad activa », in Pastor Seller E. (2017), Sistemas y políticas de bienestar.
Una perspectiva internacional, Madrid, Dykinson.

238
L’évaluation des résultats de l’intervention

savoir ce qui se fait et à quoi sont utilisés les deniers publics qu’ils ont la
charge d’administrer.
Mais également, cette situation entraînera une vague de suspicion, de
mise en cause, de perte de légitimité des travailleurs sociaux et occasionnera
un très grand désarroi vers le milieu des années 1980. Accusés d’entretenir
la dépendance, d’empêcher la citoyenneté des usagers de s’exprimer et de
couvrir des abus, les travailleurs sociaux deviennent les boucs émissaires
d’une société qui n’a plus de réponses adaptées aux maux qu’elle a engen-
drés. À cette époque, Amédée Thévenet et Jacques Désigaux 3, dans la
conclusion de leur livre, apostrophent ainsi la profession :
« La crise de l’État providence et la crise économique lancent à l’action sociale
et au travail social un véritable défi […]. L’armée de métier des travailleurs
sociaux, mobilisée contre l’inégalité, n’a pas non plus conduit à l’épanouissement
et à la prise en charge par elles-mêmes des populations protégées […], on a pu
voir des citoyens se démobiliser devant les professionnels qui les prenaient en
charge […], là où apparaissent les professionnels, on voit disparaître les
citoyens. »

Et encore, ils prévoient les accusations et pressions qui se profilent sur


les travailleurs sociaux :
« En France, le conseiller général exigera un rapport plus précis, un langage
dénudé de son verbiage psychosocial, une aide qui aille réellement aux (vrais)
“nouveaux pauvres”, aux (vrais) chômeurs en fin de droits, aux femmes avec
enfants (vraiment) seules. Le bon sens populaire incarné par l’élu – décideur et
financeur – agira comme un détersif sur la couche grasse des enquêtes sociales
bienveillantes, les fausses déclarations jamais sanctionnées… »

Non seulement, le travail social est tenu pour responsable des problèmes
sociaux imputables à l’accroissement du chômage et à la précarité, mais il
est aussi accusé de tricherie et de malhonnêteté en faveur, encore heureux,
des populations dont il s’occupe.
Mais la mise en cause des travailleurs sociaux ne suffit pas à résoudre
les réels problèmes des populations confrontées au chômage et à la précarité.
Face à l’accroissement de la pauvreté, le législateur a mis en place des dis-
positifs pour aider les personnes en difficulté de logement, de perte d’emploi,
de surendettement. De plus, le partenariat se développe, le travail en réseau
interinstitutionnel et la coopération entre services et professionnels néces-
site, dans une certaine mesure, la transmission d’éléments et une certaine
transparence (qui fait quoi, objectifs, actions, résultats).

3. Thévenet A., Désigaux J. (1985), Les travailleurs sociaux, Paris, PUF, coll. « Que
sais-je ? », n° 1173.

239
Méthodologie de l’intervention en travail social

10.1.3. L’évaluation : enjeux et exigences


Vers la fin des années 1980, l’exigence d’évaluation se généralise dans les
discours et dans la pression exercée auprès des professionnels. L’évaluation
devient « une nouvelle arme stratégique 4 » dans l’action sociale : le social
coûte cher et les élus locaux veulent savoir. L’évaluation devient alors l’ins-
trument miracle, une exigence permanente mais elle poursuit des objectifs
fort différents selon les acteurs :
« Enfin un instrument qui, avec chiffres, statistiques et courbes à l’appui, va
pouvoir prendre la mesure de “l’ineffable”, du “non quantifiable”. Mais c’est un
instrument à double tranchant, arme magique : “enfin prouver que nous sommes
utiles”, espèrent les uns, arme stratégique : enfin démontrer qu’ils coûtent trop
cher”, complotent les autres. Résultat : une véritable boulimie évaluative a saisi
aussi bien les travailleurs sociaux que les sociologues et les politiques. Une
frénésie qui cache, on l’a compris, des intérêts fort divergents 5. »

La fièvre évaluative ouvrira des nouvelles opportunités, elle sera riche


en expérimentations, publications, formations, séminaires et colloques. Très
tôt, certains soulèvent les interrogations éthiques et méthodologiques, car
de l’évaluation des résultats on est très vite passé à l’évaluation économique
(les coûts, les produits, la productivité). Peut-on évaluer le travail social à
l’aune des concepts économiques ? Bernard Lory affirme :
« Accepter que l’on apprécie la productivité du travail social à partir de concepts
et de méthodes purement économiques reviendrait à vouloir construire une route
à partir des règles de la navigation, ou à vouloir naviguer avec un piolet 6. »

Et encore Mme Fardeau s’insurge :


« Je suis résolument hostile aux études coûts/avantages qui réduisent en termes
monétaires non seulement les coûts, les ressources utilisées, ce qui est tout à fait
normal, mais aussi l’utilité sociale en francs, ce qui est tout à fait inacceptable
et choquant au point de vue éthique et qui n’est pas fondé du point de vue de la
théorie économique. […] L’on aboutit à des résultats inégaux de la valeur de la
vie humaine selon l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle, la qualifica-
tion, la structure familiale. Utiliser les informations du marché pour évaluer du
non marchand […] c’est contraire à l’éthique et également à l’objectif de réduc-
tion des inégalités 7. »

Dans un autre domaine, Pierre Bourdieu 8 s’élève contre les conséquences


désastreuses d’une politique conçue uniquement en termes d’équilibres

4. Potier A. (1986), « L’évaluation, une nouvelle arme stratégique dans le champ social »,
ASH Magazine, n° 1517, 17 octobre.
5. Idem.
6. Lory B. (1979), « La productivité du travail social », Rencontres, n° 29.
7. Mme le Professeur Fardeau, « Évaluation dans le champ des pratiques sociales », sémi-
naire organisé par le CTNERHI, décembre 1982, Paris, diffusion PUF, p. 55.
8. Bourdieu P. (2002), Interventions 1961‑2001 Science sociale et action politique,
Marseille, Agone, p. 242.

240
L’évaluation des résultats de l’intervention

économiques, car la facture sera lourde en termes de coûts sociaux et psy-


chologiques :
« Je pense que l’économisme, qui se rencontre aussi bien à gauche qu’à droite, a
pour effet de faire subir à la réalité économique une formidable mutilation, il
porte à faire abstraction de toute une dimension, absolument capitale, des coûts
et des profits. Faute de pouvoir faire une démonstration complète, et pour aller
vite à l’essentiel, je dirai que les conséquences complètes d’une politique conçue
comme gestion des équilibres économiques se paient de mille façons, sous forme
de coûts sociaux, psychologiques, sous forme de chômage, de maladie, de délin-
quance, de consommation d’alcool ou de drogue, de souffrance conduisant au
ressentiment et au racisme, à la démoralisation politique, etc 9. »

Ce débat sur l’évaluation du travail social a des conséquences sur la


profession. Comme souvent, la crise ouvre de nouvelles perspectives et
exigences. Un travail de réflexion sur l’évaluation des résultats s’engage
chez les professionnels, ils redéfinissent modalités et méthodes, mènent des
recherches, cherchent les outils adaptés, en inventent d’autres. Les questions
de fond sont aussi mobilisatrices : comment rendre compte dans l’évaluation
du sens du travail social, dans ses deux acceptions : celle de direction et
celle de signification ? Christiane Besson et Jérôme Guay 10 nous disent aussi
que l’évaluation peut être un moyen d’accéder à une certaine légitimité,
dans la mesure où l’on rend visibles les résultats obtenus, malgré toutes les
incertitudes qui pèsent sur l’intervention sociale. Pour les travailleurs
sociaux, l’évaluation des résultats est aussi le moyen de passer d’une pra-
tique silencieuse, chérissant l’entre-deux et le confidentiel, à une posture
affirmative de compétence, d’expertise et de savoir-faire, sans pour autant
déroger au secret professionnel. Selon Ricardo Zúñiga, la pratique silen-
cieuse est vulnérable aux critiques externes, elle se perd en autojustifications
et est incapable de répondre aux exigences d’un « savoir-dire 11 ». Légitimer,
faire savoir, savoir dire et savoir défendre, voici les exigences et les défis
que lance l’évaluation des résultats à notre profession.

10.2. Qu’entend-on par évaluation ?


10.2.1. Définition des termes
Le concept d’évaluation (valere, en latin) renvoie à l’idée de valeur. Le
terme « évaluer » découle du vieux français value, c’est-à-dire prix, et le
substantif « valeur » apporte un jugement sur ce qui est produit ou sur les

9. Idem.
10. Besson C., Guay J. (2000), Profession travailleur social : savoir évaluer, oser s’impli‑
quer, Levallois-Perret, Gaëtan Morin Éditeur-Europe.
11. Zúñiga R. (1994), Planifier et évaluer l’action sociale, Montréal, Presses de l’université
de Montréal.

241
Méthodologie de l’intervention en travail social

choses 12. L’évaluation est donc le fait d’assigner une valeur aux choses et
aux actions. Alors que le terme « mesure » détermine l’extension, la quantité
ou la magnitude des choses et on parle alors de calculer, de chiffrer, celui
d’évaluation est qualitatif et associé à l’idée d’estimation, d’expertise. Dans
tous les cas, il ne s’agit pas d’une mesure précise de l’objet d’évaluation,
mais d’une appréciation, d’une approximation, d’une esquisse.
L’évaluation des résultats fait référence au processus d’estimation de
l’atteinte ou non des objectifs, il comprend deux démarches : celle de véri-
fication des résultats et celle d’analyse des processus. Non seulement il s’agit
de dire si les objectifs de départ ont été atteints, mais aussi comment ils l’ont
été, et porter une appréciation sur les manières de faire, comme nous le
verrons dans le paragraphe sur le contenu de l’évaluation.
D’autres termes proches de ce concept sont employés en travail social
pour désigner une action de réflexion et d’appréciation de l’action. Il nous
semble intéressant d’apporter quelques clarifications pour réduire un
usage impropre ou imprécis. Parmi eux, les termes « bilan », « régulation »,
« ­gestion », « audit », « expertise ». Le bilan est souvent employé pour dire
qu’on fait le point sur la situation d’un usager, ce terme d’origine comptable
signifie faire l’inventaire, l’état de l’actif et le passif, mesurer les écarts. La
régulation, souvent évoquée dans l’animation de réunions ou dans le mana-
gement des équipes, consiste à rendre régulier, rendre conforme, équilibrer,
c’est-à-dire réduire les écarts entre ce qui est attendu et ce qui est produit.
La gestion utilise aussi de la régulation, il s’agit d’administrer, d’informer,
de réajuster, bref de vérifier si l’action est conforme au projet établi. L’audit
est généralement une intervention extérieure destinée à vérifier la cohérence
entre le projet et les pratiques, à analyser les coûts, à évaluer l’efficacité, et
à proposer les formes d’optimisation de l’emploi des ressources (financières,
matérielles et humaines) ; l’audit est à la fois un contrôle et un conseil aux
responsables d’institutions.
L’expertise est à la base de toute profession. Un expert est celui qui est
habile dans un art, un métier qui s’apprend par l’expérience ; c’est une
personne qualifiée dont la compétence l’autorise à donner son avis sur une
question 13. François Aballéa 14 considère l’expertise comme une notion dif-
ficile à définir qui comporte trois dimensions :
–– une dimension technique correspondant aux règles de l’art de la profes-
sion ;
–– une dimension sociale comprenant la maîtrise des relations sociales
dans lesquelles s’exerce l’activité ;

12. Feragus J., « L’évaluation : définition plurielle », in Dupont A. (1989), L’évaluation


dans le travail social, Genève, éditions IES.
13. Dictionnaire Larousse. En ligne : http://www.larousse.fr.
14. Aballéa F. (1996), « Crise du travail social, malaise des travailleurs sociaux »,
Recherche et prévisions, n° 44, Paris, CNAF.

242
L’évaluation des résultats de l’intervention

–– une dimension gestionnaire permettant d’articuler besoins et demandes,


moyens et ressources, le souhaitable et le possible. L’auteur nous rappelle
que chacune de ces dimensions fait appel à des savoirs de nature différente :
savoirs théoriques, savoirs procéduraux, savoirs pratiques.
Les textes du diplôme d’État d’assistant de service social (DEAS) de 2004
définissent un référentiel de compétences de la profession. Le deuxième
domaine de compétences s’intitule « Expertise sociale ». Les compétences
acquises seront vérifiées par la soutenance d’un mémoire dont les critères
d’appréciation sont les suivants :
« Vérifier la capacité du candidat à :
– comprendre une question sociale, un phénomène social ou des méthodologies
d’intervention en articulation avec les interrogations professionnelles dans le
respect des principes éthiques et déontologiques ;
– mener une démarche rigoureuse et cohérente en s’appuyant sur une méthodologie
de recherche jusqu’à la construction de l’outil de vérification de l’hypothèse ;
– prendre de la distance vis-à-vis de la réalité sociale, déconstruire ses représen-
tations et les reconstruire par rapport à des références théoriques et la réalité du
terrain ;
– assumer en argumentant ses choix thématiques, théoriques et méthodo­
logiques 15. »

Après cette incursion dans la signification des termes, voyons les divers
niveaux d’évaluation dans l’action sociale.

10.2.2. Les divers niveaux d’évaluation en action sociale


Les discours sur l’évaluation se sont tellement amplifiés et diversifiés
qu’il est parfois difficile de s’y repérer. L’évaluation est devenue un mot
« valise » comprenant tout et son contraire, et aussi un « mot d’ordre 16 »,
créant la confusion et l’opacité. Cela est particulièrement vrai du fait que,
dans certains écrits, on a mélangé les différents niveaux de réalité auxquels
s’applique l’évaluation. La démarche, le contenu, les outils et les évaluateurs
ne sont pas les mêmes selon la réalité à laquelle on se réfère. Les niveaux
de l’évaluation vont du particulier au général, de l’individuel au national,
en passant par les niveaux local et institutionnel. Nous trouvons quatre
niveaux différents d’évaluation : l’évaluation des résultats de l’intervention
auprès d’une personne, d’une famille ou d’un groupe ; l’évaluation des pra-
tiques liées à un problème social ou à une catégorie de population ; l’éva-
luation d’une institution à vocation sociale locale plus ou moins large et
l’évaluation d’un dispositif d’action sociale sur un plan national.

15. Arrêté du 29 juin 2004, JO du 23 juillet 2004, annexe II, Référentiel de certification.


16. « Humanités perdues », Le Monde, 21 octobre 2005.

243
Méthodologie de l’intervention en travail social

Le niveau individuel, concerne l’appréciation des résultats de l’interven-


tion menée avec un usager (personne, famille, groupe), mesure le niveau
d’atteinte des objectifs et les changements produits. C’est le travailleur
social, en dialogue avec la personne et s’étant doté d’outils pertinents, qui
est l’évaluateur chargé d’apprécier les acquis dans l’intervention. Lors de
situations où plusieurs travailleurs sociaux sont concernés par l’action
auprès d’une même personne ou famille, la « réunion de synthèse » orga-
nise le partage de l’information nécessaire et le suivi des évolutions  17.
L’évaluation des pratiques se centre tant sur la pratique d’un travailleur
social que sur l’appréciation de l’intervention plus générale autour d’un
problème social ou d’une catégorie de population. L’évaluation de la pra-
tique du travailleur social a comme objectif de rendre compte, de faire
connaître son action et parfois elle poursuit aussi un objectif stratégique
pour obtenir les moyens et autorisations nécessaires à l’intervention. Le
travailleur social recourt alors à différents outils, dont certains peuvent être
institutionnalisés tels que les statistiques, les analyses de poste et fonction,
les rapports d’activité. L’évaluation d’un problème social ou d’une catégorie
de population dépasse la situation d’un usager pour analyser les aspects
transversaux et communs à un ensemble de personnes bénéficiaires du
travail social. Il s’agit d’une démarche comparative qui permet, à partir de
la compréhension des situations individuelles, l’élaboration d’une analyse
collective éclairante pour l’action. C’est le cas de la plupart des études de
besoins, analyses de clientèle, études sur les demandes explicites, sur un
problème social constaté dont la répétition interroge le travail social. Ces
évaluations sont à cheval entre une évaluation diagnostique, c’est-à-dire
conduisant à l’intervention, et une évaluation des résultats, c’est-à-dire
mesurant l’atteinte des objectifs fixés par le diagnostic social.
L’évaluation d’une institution concerne un établissement ou un service
d’action sociale, une structure à vocation sociale dans le champ des poli-
tiques sociales ; elle peut être publique ou privée. Les institutions ont des
vocations locales plus ou moins larges selon l’étendue de leur champ de
compétences. Elles reçoivent mandat pour intervenir sur tel ou tel type de
problèmes en lien avec des dispositifs de politique sociale précis (protection
de l’enfance, insertion sociale, aide aux toxicomanes, prévention spécialisée,
insertion des bénéficiaires du RSA…). Dans ce cadre, il est question de savoir
si l’institution en question répond bien aux attentes sociales telles qu’elles
sont formalisées par les actes officiels d’agrément ou habilitation, d’appré-
cier la qualité de fonctionnement de la structure en fonction des objectifs
et de rendre compte de l’utilisation à bon escient des ressources financières
attribuées. Cette évaluation de l’institution s’effectue à travers des outils quan-
titatifs, statistiques et comptables, et qualitatifs tels que le projet institutionnel

17. Sur le partage de l’information, voir La Revue française de service social (2002),
« Le partage de l’information », n° 205.

244
L’évaluation des résultats de l’intervention

et le degré de mise en œuvre à travers, notamment, des rapports d’activité. Par


ailleurs, les institutions privées, subventionnées par l’État ou les collectivités
locales, doivent fournir aux autorités qui les financent des données précises
sur la réalisation des actions dans des rapports évaluatifs souvent standardisés.
Depuis la loi 2002‑2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-
sociale 18, les éléments d’évaluation des établissements sociaux et médico-
sociaux (ESMS) se sont progressivement mis en place. Ceux-ci sont encadrés
par une série d’obligations d’évaluation interne et externe périodiques, avec
rapports destinés aux financeurs publics et dont leur accréditation en dépend.
Cette culture de l’évaluation a mis en place des procédures de contrôle qualité
et les nouvelles exigences d’organisation que celles-ci impliquent.
Au niveau national, l’évaluation des politiques sociales et des dispositifs
mis en place par le législateur a été prévue d’avance dans certains cas de
figure. L’exploitation des données concernant les dispositifs sociaux
implique leur recueil et leur remontée du local au national. Cela nécessite
la définition standardisée des données à recueillir et une priorité attribuée
aux éléments quantitatifs, seuls vraiment exploitables à une si grande
échelle. Ainsi, l’évaluation augmente sa précision de mesure au détriment
du qualitatif, du circonstanciel, des nuances locales et particulières. Cette
exigence d’évaluation au niveau national représente souvent une lourde
charge pour les travailleurs sociaux de terrain obligés de remplir des grilles,
des statistiques et des rapports préétablis dont ils ne saisissent pas toujours
l’intérêt. Cela contribue à une bureaucratisation du métier et est vécu plus
comme une contrainte que comme une démarche utile et nécessaire.
Dans la suite de ce chapitre, nous traitons du premier niveau mentionné :
l’évaluation des résultats de l’intervention en travail social, c’est-à-dire de
l’appréciation des résultats de l’action du travailleur social avec la ou les
personnes avec qui il travaille (individu, famille, groupe). L’évaluation des
politiques sociales sur un plan national et local, ainsi que l’évaluation des
organisations, ne seront pas traitées ici. Il existe une bibliographie abon-
dante sur ce sujet à laquelle on peut se référer.

10.3. L’évaluation des résultats de l’intervention


en travail social
L’évaluation s’inscrit dans le processus méthodologique du travailleur
social, du début à la fin. Nous avons vu dans le chapitre 5 sur l’évaluation
diagnostique comment l’analyse des données recueillies mène à une hypo-
thèse de travail et à un diagnostic social. Ensuite, l’évaluation est présente
tout au long du processus d’intervention, « elle peut servir de tremplin pour

18. www.legifrance.gouv.fr.

245
Méthodologie de l’intervention en travail social

réajuster les stratégies ou pour réviser les objectifs 19 ». Cette démarche éva-
luative est présente dans les écrits et les préoccupations des travailleurs
sociaux depuis les origines. Non seulement l’évaluation des résultats permet
de confirmer ou d’infirmer l’évaluation diagnostique, mais elle fait aussi
progresser la profession par la recherche et le questionnement 20.

10.3.1. Pourquoi une évaluation des résultats ?


L’évaluation des résultats concerne les deux protagonistes de la relation
d’aide : l’usager et le travailleur social.
Tout d’abord, au regard des personnes accompagnées, elle permet de
baliser le chemin parcouru. Ensemble, travailleur social et usager font le
point régulièrement pour réfléchir où ils en sont, quelles étapes ont été
accomplies, comparer la situation de départ à la réalité présente. Il est très
important de recourir à l’évaluation comme à un processus continu qui,
partant de l’analyse de situation et du diagnostic social, se termine lors de
la fin de l’intervention. C’est un processus dynamique qui tente de mesurer
les changements objectifs et subjectifs produits dans la situation des
personnes.
Elle permet aussi de mesurer les acquis, les changements dans leur situa-
tion. La comparaison entre avant et aujourd’hui, à la lumière des objectifs
élaborés dans la phase de diagnostic social, aide à faire un bilan, même
provisoire, de la situation présente.
Cette appréciation régulière des acquis permettra de réorienter ou de
réajuster la poursuite de l’intervention. En effet, il est rare que l’intervention
se déroule de manière linéaire et harmonieuse, de très nombreuses interfé-
rences venant modifier la situation de départ et alimenter ou contrarier les
objectifs poursuivis. Le travailleur social va ainsi revoir et orienter l’action
et redéfinir des nouveaux objectifs à atteindre, en dialogue permanent avec
les personnes.
L’évaluation des résultats de l’intervention prépare la fin de l’interven‑
tion 21. C’est le moment où le travailleur social et la personne s’interrogent
ensemble sur les résultats positifs ou négatifs, sur les objectifs atteints ou
non, sur les changements produits dans la situation. Cela permet de faire
un retour en arrière, de regarder le chemin parcouru et de tirer les enseigne-
ments de l’expérience commune 22. L’évaluation se co-construit et se partage
avec l’usager.

19. Bilodeau G. (2005), Traité de travail social, Rennes, Éditions ENSP.


20. Du Ranquet M. (1975), Nouvelles perspectives en « case-work », Toulouse, Privat.
21. Voir le chapitre 11 : « La fin de l’intervention ».
22. Conseil supérieur du travail social (1998), Intervention sociale d’aide à la personne,
Rennes, Presses de l’EHESP (nouvelle édition 2014).

246
L’évaluation des résultats de l’intervention

Elle est « l’expression de la capacité des acteurs d’apprendre dans l’action,


de développer un savoir pratique aussi efficace pour atteindre ses buts,
qu’efficient pour organiser l’action de la façon la plus adéquate en fonction
des buts poursuivis 23 ». Elle facilite cette étape de conclusion du travail
commun, permet de la structurer et d’organiser la séparation 24.
En ce qui concerne le travailleur social, l’évaluation des résultats présente
un double intérêt, d’abord analyser sa pratique et ensuite transmettre des
conclusions et propositions.
L’analyse de sa pratique peut se faire seul ou dans des instances de
soutien (équipe, consultant, superviseur, formation). Il s’agit de faire un
retour sur soi, une « boucle d’autocontrôle », produisant à la fois une dis-
tanciation par rapport à la situation et une analyse de sa propre implication
dans l’intervention. L’analyse des pratiques organise l’information sur l’évo-
lution de la situation, mais focalise surtout sur l’interaction produite entre
le travailleur social et l’usager. De ce fait, il s’agit d’une démarche subjective
d’éclaircissement et de réajustement 25.
La démarche d’évaluation des résultats produit des connaissances sur la
situation des personnes, leur évolution, les freins et les facilitations en jeu,
les problèmes sociaux émergents, les besoins primaires et secondaires
constatés, les ressources existantes et celles qui sont absentes. Cette connais-
sance issue du processus d’évaluation sera utilisée pour transmettre des
conclusions et des propositions susceptibles d’améliorer la réponse sociale
aux problèmes des usagers. La démarche d’évaluation peut être l’occasion
pour les travailleurs sociaux de dire ce qu’ils font, par quels processus ils
sont passés pour acquérir des connaissances sur les situations toujours mou-
vantes, incertaines et problématiques, en passant du particulier (la situation
précise de cette personne-là) au général (les traits communs à une catégorie
de population face à tel ou tel problème social) et en collectivisant les
conclusions issues de la pratique.

10.3.2. L’évaluation différentielle selon les acteurs


Dans ce processus, plusieurs protagonistes participent : le travailleur
social et l’usager (personne ou groupe), bien sûr, mais l’institution elle-
même est également impliquée via les responsables hiérarchiques du pro-
fessionnel. Selon les circonstances, des personnes extérieures peuvent aussi
être sollicitées dans un rôle d’évaluation. C’est que l’évaluation répond à
une double nécessité, interne et externe : interne à la relation travailleur
social/personne aidée pour pouvoir relire son travail et en apprécier les

23. Zúñiga R., Planifier et évaluer l’action sociale, op. cit.


24. Voir le chapitre 11 : « La fin de l’intervention ».
25. Voir le paragraphe suivant sur les outils.

247
Méthodologie de l’intervention en travail social

effets ; externe, car l’institution et les financeurs de l’action sociale exigent


qu’un compte rendu des résultats obtenus leur soit transmis 26.
Il nous semble essentiel de distinguer ce qui est l’évaluation des résultats
de l’intervention avec l’usager et ce qui est l’évaluation de l’activité du
travailleur social en tant que salarié d’une institution à laquelle il doit rendre
compte de son travail. Fort souvent, il y a confusion entre ces deux types
d’évaluations. Pour clarifier ces différents aspects, regardons les différences
de contenu de l’évaluation selon les trois acteurs principaux : la personne,
le travailleur social et l’institution employeur.
La personne, à la fois acteur et sujet de l’intervention, est appelée à
évaluer sa propre situation et son évolution tant objective que subjective,
les changements tant externes qu’internes. Ainsi, elle fera part de son iti-
néraire, de son appréciation sur l’évolution de sa situation, sur la modifica-
tion de sa situation tant matérielle que personnelle. La personne a aussi à
porter un regard critique sur les moyens mobilisés en sa faveur et leur
pertinence par rapport à ses besoins. Il sera sollicité pour faire part de son
sentiment sur la réussite ou non de l’action, de son degré de satisfaction ou
d’insatisfaction.
Le travailleur social centrera son évaluation sur quatre points différents :
la mesure quantitative, l’analyse des résultats, l’analyse de l’impact et l’éva-
luation de sa propre intervention.
La mesure quantitative est statique, mais elle permet de réfléchir surtout
au temps investi et aux différentes techniques employées. Il s’agit de
répondre aux questions suivantes : durée totale de l’intervention, temps
total passé pour cette personne (toutes activités comprises : entretiens,
démarches, rédaction de rapports ou dossiers, etc.), nombre et type d’inter-
ventions pour le suivi de cette situation. La mesure quantitative est souvent
fastidieuse et peu fiable car approximative. Toutefois, elle n’est pas à négli-
ger, car elle apporte au travailleur social des éléments importants pour
l’analyse de son propre travail. Cette mesure quantitative peut être incluse
dans les statistiques demandées par l’institution, mais ce n’est pas toujours
le cas.
L’analyse des résultats évalue le degré d’atteinte des objectifs. Elle établit
une comparaison entre les objectifs prévus dans le diagnostic social et le
changement de la situation au moment de l’évaluation.
Pour mener à bien cette évaluation des résultats proprement dite, il est
indispensable de procéder au préalable à l’explicitation et consignation par
écrit des objectifs poursuivis : objectifs généraux, objectifs opérationnels
découpés en séquences réalisables dans le temps. À cette condition seule-
ment, il sera possible de porter une appréciation sur les changements
qui se sont produits. L’évaluation finale doit faire état, non seulement des

26. Petitclerc J.-M. (1989), « L’évaluation, piège ou nécessité ? », Questions, n° 4.

248
L’évaluation des résultats de l’intervention

changements qualifiés de « positifs », mais aussi des situations où aucun


changement n’a eu lieu, ou encore des aspects négatifs ou insuffisants de
l’intervention.
Constater qu’aucun changement n’a eu lieu dans la situation de la per-
sonne n’est pas forcément un constat d’échec. Dans bien des situations,
l’intervention sociale peut avoir comme objectif uniquement le maintien
de la situation présente. Notamment lorsqu’il s’agit de prévenir une dété-
rioration grave et prévisible de la situation. Ainsi, l’intervention auprès
d’une famille expulsée de son logement pour dettes de loyer peut avoir
comme objectif d’éviter la séparation familiale et de maintenir le même
niveau de fonctionnement social. L’intervention auprès d’une famille où le
père vient d’être hospitalisé pour accident de travail peut avoir comme but
d’éviter la détérioration matérielle et relationnelle qu’un tel événement
risque d’entraîner. Dans ces cas, le maintien et le renforcement de la situa-
tion de départ peuvent être considérés comme positifs, l’intervention a
réussi à atteindre les objectifs proposés, même si aucun changement ne peut
être constaté.
Cependant, il est difficile de mesurer les changements de la situation de
la personne en isolant les changements induits par l’intervention du travail-
leur social des modifications induites par l’environnement de l’usager. Il y
a toujours interaction entre les deux.
L’analyse de l’impact consiste dans le repérage des effets bénéfiques ou
indésirables qui se sont produits autres que ceux recherchés. Elle part de
deux préoccupations que François Aballéa 27 expose ainsi : l’action évaluée
n’a-t‑elle pas produit des effets indésirables qui viendraient en atténuer
l’efficacité ? N’a-t‑elle pas eu des effets bénéfiques autres que ceux recher-
chés qui viendraient en renforcer les acquis ? Ces interrogations s’appliquent
bien sûr à la situation de la personne ou du groupe avec qui nous avons
travaillé, mais il est aussi permis d’élargir ces interrogations au domaine des
institutions d’action sociale et de leur fonctionnement, de même qu’aux
politiques sociales elles-mêmes.
L’analyse de sa propre intervention fera porter un regard critique sur son
implication dans cette intervention précise, sur les enseignements et conclu-
sions que nous pouvons en tirer et sur la réflexion pour améliorer notre
compétence professionnelle.
Dans tous les cas, le travailleur social aura à confronter les résultats
obtenus et les analyses effectuées à la mission et au mandat que lui confère
son institution employeur et à la déontologie de sa profession. Ce rappro-
chement vérifie l’inscription de l’intervention dans les orientations de la
politique sociale et les valeurs qui sous-tendent le travail social.

27. Aballéa F. (1988), Méthodologie de l’évaluation qualitative, dossier n° 2, Paris, DPNT,
juillet-septembre.

249
Méthodologie de l’intervention en travail social

L’organisation d’action sociale ou l’institution employeur du travailleur


social, dans un triple souci d’accomplissement de ses missions et orienta-
tions, d’utilisation optimale des ressources et du meilleur service rendu aux
usagers, procède aussi à une évaluation des résultats mais sur une tout autre
échelle. Il ne s’agit plus de l’évaluation de chaque situation d’intervention
en particulier, mais de tirer des conclusions d’ensemble sur la marche de
l’institution, son organisation, la mobilisation et l’adéquation des moyens
mis à disposition (matériels, financiers et humains) ainsi qu’à la qualité de
la prestation rendue aux bénéficiaires. Selon la taille de l’institution, des
délégations de pouvoir seront données à des chefs de service ou à des res-
ponsables d’activité. Les travailleurs sociaux, à partir de leur démarche
évaluative, pourront apporter les éléments indispensables à l’évaluation de
l’organisme tels que statistiques, procédures, moyens disponibles (dont
partenariat).
Les statistiques sont parfois très décriées par les travailleurs sociaux, car
ils ignorent souvent l’usage qui en sera fait, toutefois, la quantification du
travail effectué est un élément important de transparence et de justification
de l’activité. L’organisme se doit de rendre compte de l’utilisation de l’argent
public (ou privé) attribué à son activité, par exemple en établissant les
relevés du nombre de personnes, du nombre d’actes et types d’interventions
effectués dans un temps déterminé (en général mensuel et annuel). La com-
paraison de l’évolution de ces données sur plusieurs années permet aussi de
tirer des conclusions sur le poids de charge des professionnels et/ou des
moyens supplémentaires nécessaires.
Les procédures sont les manières de faire et de procéder, elles ne sont que
des moyens à exploiter. Toute institution établit des procédures plus ou
moins sophistiquées pour la clarté de son fonctionnement. L’évaluation des
résultats du travailleur social peut lui apporter des données indispensables
pour mieux les ajuster à la réalité de terrain, pour alléger certaines règles et
en établir d’autres. Le regard critique sur les procédures doit rentrer dans
une dynamique permanente d’amélioration du fonctionnement afin de
mieux satisfaire les besoins des personnes et accomplir les missions pour
lesquelles l’institution est mandatée.
Les moyens disponibles sont les ressources matérielles, financières et
humaines dont l’institution dispose pour mener à bien ses objectifs et mis-
sions. Ils sont mobilisables au bénéfice de l’usager pendant l’intervention,
mais souvent ces ressources sont soit insuffisantes soit inadéquates. Il est
alors fait appel au partenariat entre organismes d’action sociale afin de
mettre en commun les moyens nécessaires. Mais il se peut aussi que les
ressources requises par la situation soient inexistantes, car non prévues
encore dans le cadre de l’action sociale. L’évaluation des moyens disponibles
ou non dans le service permettra de faire de nouveaux choix et éventuelle-
ment des nouvelles affectations.

250
L’évaluation des résultats de l’intervention

La manière dont le travailleur social participe aux différents niveaux


d’évaluation donne toute sa signification aux stratégies qu’il met en place.
Il est de son intérêt de faire savoir à sa hiérarchie et à son institution les
conclusions qu’il tire de sa pratique dans un souci de transparence, mais
aussi dans le souci de faire évoluer le service dans lequel il travaille. Son
évaluation particulière de la situation d’une personne ou d’un groupe peut
être comparée à d’autres situations similaires suivies par lui ou ses collègues.
Il est alors possible de tirer des enseignements et de faire des propositions
pertinentes qui, bien argumentées, pourront améliorer le fonctionnement
institutionnel et participer à l’élaboration des politiques sociales. Tout par-
ticulièrement, les rôles de veille et d’expertise du travailleur social pourront
alors se manifester pleinement.

10.4. Construire des outils d’évaluation


Il est difficile de parler d’outils d’évaluation de l’intervention, car, par
définition, cette intervention a trait à des situations particulières, complexes
et mouvantes. Elle se déroule dans un contexte institutionnel et social pré-
cis, et est constamment confrontée à l’incertitude. Toute velléité « techni-
ciste » ou « scientifique » néglige les multiples paramètres traités lors de
l’intervention et risque d’avoir un aspect réducteur et simplificateur.
Est-ce pour autant que nous devons renoncer à l’évaluation des résul-
tats ? Certainement pas. Cependant, il faut faire le deuil de l’universalité des
outils et de leur application en toutes circonstances. Mieux encore, il faut
accepter qu’un certain « bricolage » entoure tout effort évaluatif de l’inter-
vention et toute quête permanente de construction d’outils adéquats à la
spécificité de la situation.
L’évaluation des résultats s’appuie sur des faits pertinents, il faut donc
recueillir des données concrètes, le passage à l’écrit est indispensable. L’écrit
va induire une « position de distance critique et consentir un effort d’objec-
tivation (consistant souvent d’abord en une prise de conscience des subjec-
tivités) qui va bien au-delà d’un vague bilan par échange d’opinions en
termes de réussite ou d’échec 28 ».
Cela étant dit, nous présentons ici de manière succincte quelques idées
d’outils toujours possibles à adapter, à reformuler, et qui peuvent servir
d’inspiration aux professionnels et aux équipes de travailleurs sociaux. Cette
présentation, non exhaustive, s’appuie sur des expériences variées au sein
d’institutions d’action sociale. Ces mêmes outils peuvent avoir une ampleur
différente : soit les données collectées le sont en permanence, au jour le jour,
soit elles le sont pendant une période précise au cours de laquelle on peut

28. Besson C., Guay J., Profession travailleur social : savoir évaluer, oser s’impliquer,
op. cit.

251
Méthodologie de l’intervention en travail social

multiplier et élargir le nombre de ces données. Cette dernière démarche


permet, en outre, de tester les outils élaborés et de les adapter au mieux à
un usage permanent.
Nous avons classé ces outils en trois catégories selon leur objectif : écrits
de recueil des données, écrits d’analyse-synthèse et écrits de réflexion-
formation.

10.4.1. Les écrits de recueil des données


Ces outils sont indispensables pour mémoriser, répertorier et consigner
les faits de la pratique et l’exécution du travail. Ce sont à la fois des outils
simplificateurs/réducteurs de la réalité et des outils clarificateurs/organisa-
teurs, seule manière de donner une certaine visibilité à l’activité. Ils sont
souvent précieux tant pour l’évaluation diagnostique que pour l’évaluation
des résultats. Ils forment la matière de base pour celle-ci. La plupart des
organismes d’action sociale ont élaboré leurs propres outils de recueil ;
généralement consignés dans le dossier social, ils sont complémentaires des
outils dont le travailleur social peut lui-même se doter. Parmi ces outils,
citons le carnet de bord, les fiches d’usagers, l’arborescence des objectifs et
des indicateurs.
Le carnet de bord est un outil personnel du travailleur social. Alors que
l’agenda est un outil prévisionnel d’activité, le carnet de bord a pour but de
consigner, de manière chronologique, les activités diverses réellement effec-
tuées au jour le jour. L’analyse régulière de cet outil de recueil permettra de
tirer des conclusions sur son profil de poste, l’évolution des tâches assurées,
des constats et problèmes rencontrés. Une grille de dépouillement pourra
être élaborée en fonction des objectifs stratégiques poursuivis par le
­travailleur social. La grille la plus simple de carnet de bord pourrait être la
suivante 29 :
Date Durée Type d’action Contenu Observations

Les fiches d’usagers varient selon les services et font généralement partie
du dossier social. Le plus souvent, il y a trois types de fiches concernant les
usagers :
–– une fiche socio-administrative où sont consignés les éléments objectifs
d’identification de la personne tels que nom, prénom, domicile, date de
naissance, lieu de naissance, état civil, composition de la famille, première
demande ou motif d’intervention. Cette fiche peut varier selon la mission
sociale de l’organisme et le type de population à laquelle il s’adresse ;

29. À noter que l’on peut tenir ce carnet sur ordinateur ce qui en facilite la compilation.

252
L’évaluation des résultats de l’intervention

–– une fiche chronologique d’intervention où sont consignés et datés les


entretiens, démarches, rencontres, contacts téléphoniques, actions entre-
prises, etc. ;
–– une fiche d’évaluation-diagnostic où le travailleur social rédige son
appréciation de la situation, les problèmes sociaux existants, les forces et
faiblesses de la personne et son environnement, le projet d’intervention
convenu lors du contrat 30.
Ces fiches d’usagers doivent être remplies avec les précautions néces-
saires : précision, clarté, objectivation (la meilleure possible) des éléments
subjectifs. Tout document de ce type peut faire l’objet de saisie par la justice,
l’usager peut aussi y avoir accès, il est donc essentiel d’être le plus objectif
possible et de tenir compte de la confidentialité indispensable des éléments
qui sont consignés 31.
L’arborescence des objectifs et indicateurs, communément appelée « la
technique de l’arbre », est une élaboration, au cours de la phase de diagnos-
tic, des objectifs d’intervention sur lesquels le travailleur social et la per-
sonne se sont mis d’accord. Ces grilles en arborescence visent à décomposer
les objectifs poursuivis en ses différents éléments constitutifs, en définissant
d’abord les objectifs les plus généraux. À l’étape suivante, chaque objectif
général sera décomposé en rubriques plus spécifiques ou objectifs opéra-
tionnels. La troisième étape mène à la définition d’indicateurs, c’est-à-dire
« des phénomènes plus directement et objectivement observables que
l’on considérera comme étant significatifs du phénomène à prendre en
compte 32 ». Ces indicateurs, au plus près des tâches à réaliser, seront à la fois
des guides de l’action et les bases de l’évaluation des résultats. L’arborescence
des objectifs se présente de la manière suivante :

30. Voir le chapitre 5 : « L’évaluation diagnostique », et le chapitre 6 : « Le contrat en


travail social ».
31. Voir à ce sujet La Revue française de service social (2001), « Le dossier social », n° 203 ;
La Revue française de service social (2002), « Le partage de l’information », n° 205 ; La Revue
française de service social (2005), « Travailleurs sociaux sous contrôle ? Lois “Perben” et
travail social, des clés pour agir… », n° 219. Voir également Actualités sociales hebdomadaires
(2008), « Le secret professionnel des travailleurs sociaux », n° 2563, 20 juin ; La Revue fran‑
çaise de service social (2010), « Dossier social et nouvelles technologies de l’information et
de la communication », n° 237 ; Actualités sociales hebdomadaires (2017), « Le partage d’in-
formations dans le champ social et médico-social », n° 3039, 22 décembre. Consulter aussi
le site : www.secretpro.fr.
32. Dupuy S. (2000), « Aperçu technique sur les différents types de grilles dites d’évalua-
tion et de suivi des usagers », Les Cahiers de l’Actif, n° 288‑289 et n° 290‑291, « Spécial
évaluation en travail social ».

253
Méthodologie de l’intervention en travail social

Indicateur 1
Objectif
Indicateur 2
opérationnel
Objectif général Indicateur 3
d’intervention Indicateur 1
Objectif
Indicateur 2
opérationnel
Indicateur 3
Indicateur 1
Réalité considérée : Objectif
Indicateur 2
situation opérationnel
Objectif général Indicateur 3
de la personne,
d’intervention Indicateur 1
de la famille Objectif
ou du groupe Indicateur 2
opérationnel
Indicateur 3
Indicateur 1
Objectif
Indicateur 2
opérationnel
Objectif général Indicateur 3
d’intervention Indicateur 1
Objectif
Indicateur 2
opérationnel
Indicateur 3

Le nombre des objectifs et des indicateurs dépendra de la définition


forgée par le travailleur social, sans toutefois dépasser une dizaine. Un
nombre plus élevé de dimensions n’est pas impossible, mais peut faire sus-
pecter une éventuelle confusion entre objectifs généraux/opérationnels et
indicateurs 33.

10.4.2. Les écrits d’analyse-synthèse


Ces documents sont des véritables outils d’évaluation des résultats dans
la mesure où, prenant appui sur les écrits de recueil des données, ils ana-
lysent le chemin parcouru et les résultats obtenus par l’intervention. Parmi
ces outils, nous avons retenu l’auto-questionnaire, l’échelle de mouvement
et l’évaluation comparée.
L’auto-questionnaire est une analyse-synthèse menée par le travailleur
social à partir des données recueillies et des échanges avec la personne
accompagnée. Il a pour objectif de rendre visible le cheminement, les actions
et les acquis produits par l’intervention. Il peut aussi mettre en lumière les
difficultés et les échecs.
Voici deux exemples d’auto-questionnaire : l’un élaboré par l’École supé-
rieure d’action sociale de Liège (Belgique), l’autre par l’association Médianes
des Yvelines (78).
L’École supérieure d’action sociale s’interroge, dans un ouvrage collectif 34,
sur la façon d’évaluer les résultats d’une intervention et nous propose, pour
chaque cas, un « ordre de questionnement plausible » en neuf questions.

33. Idem.
34. Collectif (1993), Systématisation et évaluation : une grille pour travailleurs sociaux,
Liège, Les éditions de l’École supérieure d’action sociale.

254
L’évaluation des résultats de l’intervention

nnÉvaluation des résultats d’une intervention

Identification du cas :
1. Quel était le besoin et, éventuellement, quelle a été la demande qui a
éveillé la réflexion ?
2. La réflexion a fait appel à :
–– tels apports théoriques ;
–– telles expériences antérieures.
3. Il en est résulté tel projet :
4. Ce projet a été décomposé en X objectifs :
––
––
5. Ces objectifs ont déclenché telles interventions :
––
––
6. Ces interventions ont été modifiées en cours de route de telles et telles
manières et pour telles raisons :
––
––
7. Tels résultats ont été obtenus :
––
––
8. À la réflexion, à la lumière de tels critères, ces résultats peuvent être
considérés comme des succès (ou des échecs) :
––
––
9. Quels éléments ont contribué au succès ?
–– La réflexion initiale ?
–– Une bonne analyse de la demande ?
–– La formulation correcte du problème ?
–– La détermination du projet ?
–– Le choix des objectifs appropriés ?
–– La formation adéquate des intervenants ?
–– Des concours heureux ?
–– Des méthodes adéquates ?
Éventuellement, il est possible d’ajouter, sur les méthodes, les questions
suivantes :
–– Ces méthodes étaient-elles adaptées au temps disponible ? aux compé‑
tences des intervenants ? aux caractéristiques des usagers ? aux ressources en
argent, en personnel, en matériel, en locaux ? au style d’autorité mis en action ?

255
Méthodologie de l’intervention en travail social

Ce questionnaire, destiné à guider les étudiants pendant leur formation,


peut avec certaines variantes être repris par les professionnels. Il structure
la réflexion évaluative à la fin de l’intervention.
L’autre exemple de fiche qualitative d’évaluation d’une situation, de
l’association Médianes, nous est présenté par Patrick Dubéchot 35.

nnÉvaluation de l’impact de l’action éducative

Caractéristiques du suivi Lieu d’habitation


Âge
Éléments d’information Éducateur référent
sur le suivi Mois et année du début du suivi
Origine du suivi

Demande de Demande exprimée


situation du jeune Situation sociale
Phase 1 : Situation psycho-sanitaire
Analyse Hypothèses Diagnostic
et objectifs Objectifs
Domaines d’intervention estimés nécessaires

Actions Démarches
et démarches Attitudes et méthodes pédagogiques
Phase 2 : avec l’équipe
Action
Partenariat Partenaires associés au suivi
Autres intervenants auprès du jeune

Analyse Attitudes et comportements :


des attitudes changements éventuels
et comportements
Phase 3 : du jeune
Bilan/
Analyse du suivi Analyse et effets de l’intervention éducative
Évaluation
Résultats
Objectifs et Éventuellement nouveaux objectifs
orientations nouvelles orientations

L’échelle de mouvement est un outil de mesure de l’évolution d’une situa-


tion entre un moment donné dans le temps et un autre. Elle sert à assurer
une évaluation des résultats aux étapes intermédiaire et finale.
C’est Mathilde Du Ranquet qui, la première, a présenté aux travailleurs
sociaux français la recherche menée aux États-Unis d’Amérique en 1942 et
qui aboutit plusieurs années après à « procurer au service social un instru-
ment étalonné pour mesurer le changement survenu chez les clients et dans
leur situation. La méthode d’évaluation des résultats choisie recourt à la
notion de mouvement. […] Il fallait donc transformer la notion de mouvement

35. Dubéchot P. (2000), « Des politiques sociales à la prévention spécialisée, la question


de la place des usagers dans l’évaluation », Les Cahiers de l’Actif, n° 288‑289 et n° 290‑291,
op. cit.

256
L’évaluation des résultats de l’intervention

qui n’était ni objective ni systématique en une série d’opérations qui ren-


draient les jugements, faits par les différents travailleurs sociaux, à la fois
uniformes et systématiques, valides et fidèles 36 ».
Dans cette démarche évaluative, il s’agit de définir les dimensions de
l’intervention pour la personne et d’établir une échelle de mesure. Voici un
exemple :
Dimensions de l’intervention :
–– travail ;
–– formation ;
–– logement ;
–– ressources-budget ;
–– relations familiales ;
–– relations sociales ;
–– santé-hygiène ;
–– rapport aux institutions ;
–– loisirs.
Chacune de ses dimensions sera ensuite soumise à une appréciation avec
une échelle de mesure, par exemple :
Échelle de mesure :
–– + 2 : très amélioré
–– + 1 : un peu amélioré
–– 0 : aucun changement
–– - 1 : un peu dégradé
–– - 2 : très dégradé
Certains auteurs 37 construisent des échelles à sept niveaux ce qui permet
de nuancer davantage :
–– 1 : excellent
–– 2 : bon
–– 3 : passable
–– 4 : moyen
–– 5 : médiocre
–– 6 : mauvais
–– 7 : exécrable

36. Du Ranquet M., Nouvelles perspectives en « case-work », op. cit.


37. Alföldi F. (2000), « Le critère à trois niveaux, un concept pratique pour les profes-
sionnels de l’évaluation en protection de l’enfance », Les Cahiers de l’Actif, op. cit.

257
Méthodologie de l’intervention en travail social

Il y a un double aspect dans ce type d’évaluation, d’une part, on évalue


par rapport à la norme et, d’autre part, on évalue la situation par rapport à
la personne elle-même et à l’évolution de sa situation entre un temps 1 et
un temps 2.
Lorsqu’on évalue par rapport à la norme, il s’agit de mesurer l’écart à la
norme et le mouvement de rapprochement ou éloignement par rapport à
elle. Il existe un certain nombre d’outils de ce type couramment employés
dans l’action sociale, parmi eux la grille AGGIR (autonomie gérontologie
groupe iso-ressources) qui propose un outil d’appréciation du degré d’auto-
nomie des personnes âgées. Cette grille nationale a été élaborée par des
médecins de la Sécurité sociale et de la Société française de gérontologie.
Elle permet d’évaluer l’autonomie de la personne et de regrouper les malades
dans six groupes iso-ressources (GIR). Elle est notamment utilisée pour
établir l’accès à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
AGGIR comprend dix variables « discriminantes » et sept autres variables
« illustratives ». Chaque variable est notée par une échelle :
–– A : actes accomplis seul spontanément, totalement et correctement
–– B : actes partiellement effectués
–– C : actes non réalisés
Les variables discriminantes sont :
–– Cohérence : converser et/ou se comporter de façon sensée.
–– Orientation : se repérer dans le temps, dans les moments de la journée
et dans les lieux.
–– Toilette : se laver seul.
–– Habillage : s’habiller, se déshabiller, se présenter.
–– Alimentation : manger les aliments préparés.
–– Élimination : assumer l’hygiène de l’élimination urinaire et fécale.
–– Transferts : se lever, se coucher, s’asseoir.
–– Déplacements à l’intérieur du domicile ou de l’établissement : mobilité
spontanée y compris avec un appareillage.
–– Communication à distance : utiliser les moyens de communication :
téléphone, sonnette, alarme.
Les variables illustratives ne rentrent pas dans le calcul du GIR mais
apportent des informations utiles à l’élaboration du plan d’aide :
–– Gestion : gérer ses propres affaires, son budget, ses biens.
–– Cuisine : préparer ses repas et les conditionner pour être servis.
–– Ménage : effectuer l’ensemble des travaux ménagers.
–– Transport : prendre et/ou commander un moyen de transport.
–– Achats : acquisition directe ou par correspondance.
–– Suivi du traitement : se conformer à l’ordonnance du médecin.

258
L’évaluation des résultats de l’intervention

–– Activités de temps libre : pratiquer des activités sportives, culturelles,


sociales, de loisirs ou de passe-temps 38.
Dans ce même ordre d’idées, la grille d’évaluation du danger encouru
par l’enfant élaborée par Francis Alföldi 39 explicite une échelle de mesure
à trois niveaux : l’enfant hors de danger, l’enfant en risque et l’enfant
maltraité. Trois définitions avec les critères s’y rapportant ont été opéra-
tionnalisées.
L’enfant hors de danger bénéficie :
–– d’une absence de recours à des châtiments corporels autres que des
sanctions physiques légères et peu fréquentes ;
–– d’une circulation intrafamiliale de désirs sexualisés avec interdit quant
au passage à l’acte ;
–– d’attitudes parentales de protection, d’approbation et de cohérence
éducative ;
–– de la satisfaction de ses besoins matériels, physiques et moraux.
L’enfant en risque est exposé à :
–– des brutalités sans altération physique grave ;
–– des incitations sexuelles sans passage à l’acte ;
–– l’insécurité affective ;
–– la restriction des conditions d’éducation à l’assurance des besoins vitaux.
L’enfant maltraité est victime :
–– de violences physiques altérant gravement sa santé ;
–– d’une appropriation par violence, séduction ou emprise de son corps
comme objet de satisfaction sexuelle ;
–– d’impacts émotionnels dépassant ses capacités d’intégration psycho-
logique ;
–– de manquements parentaux portant atteinte à ses besoins vitaux.
L’échelle de mouvement sert aussi à mesurer l’évolution de la situation
de la personne par rapport à elle-même. Cela implique l’établissement d’une
grille de dimensions de l’intervention en référence aux missions institution-
nelles du travailleur social et une échelle de mesure la plus précise possible.
Cette grille sera remplie par le professionnel en début d’intervention
(moment du diagnostic) et ensuite de manière régulière à des intervalles
déterminés (par exemple tous les trois mois) jusqu’à l’évaluation de fin d’in-
tervention. Une élaboration d’outil de ce type a été entreprise par la caisse

38. www.afpap.org/aggir.htm.
39. Alföldi F., « Le critère à trois niveaux, un concept pratique pour les professionnels de
l’évaluation en protection de l’enfance », Les Cahiers de l’Actif, op. cit.

259
Méthodologie de l’intervention en travail social

régionale d’assurance maladie du Sud-Est 40 (CRAM S-E). Dans cette élabo-


ration ont été choisis « deux processus d’analyse : l’analyse de la situation
du client et l’analyse de ses capacités à assumer sa situation, à être réaliste
et à changer ». Les dimensions définies en priorité ont été la santé et les
droits sociaux en référence aux missions des assistantes sociales de la
CRAM. Deux grilles d’appréciation ont été préparées.

Appréciation de la situation
Situation 0 1 2 3 4
Santé
Droits sociaux
Ressources
Travail
Formation/qualification professionnelles
Logement
Famille
Relations sociales
Communication avec l’AS
Vécu de la situation

Capacités à :
Assumer 0 1 2 3 4
Santé
Droits sociaux
Ressources
Travail
Formation/qualification professionnelles
Logement
Famille
Relations sociales
Communication avec l’AS
Vécu de la situation

40. CRAM du Sud-Est-Service social régional (1987), Mesurer la qualité du travail social ;
chimère ou réalité ?, t. I, Marseille, texte polycopié.

260
L’évaluation des résultats de l’intervention

Réalisme 0 1 2 3 4
Santé
Droits sociaux
Ressources
Travail
Formation/qualification professionnelles
Logement
Famille
Relations sociales
Communication avec l’AS
Vécu de la situation

Changement 0 1 2 3 4
Santé
Droits sociaux
Ressources
Travail
Formation/qualification professionnelles
Logement
Famille
Relations sociales
Communication avec l’AS
Vécu de la situation

L’échelle en 5 points va de 0 = très défavorable à 4 = très favorable.

Alliant des appréciations objectives et subjectives, cette grille a constitué


à l’époque un outil innovant et performant pour mesurer l’évolution de la
situation de l’usager et de ses capacités mobilisées lors de l’intervention.
L’évaluation comparée applique le même dispositif d’évaluation des
résultats à un ensemble de personnes, familles ou groupes à un même
moment donné. Cela nécessite une même trame de recueil des données, par
exemple celle de l’échelle de mouvement, appliquée à la même époque à
plusieurs usagers suivis par le travailleur social. Pour cette comparaison des
données individuelles, il est nécessaire soit que les interventions soient
similaires, soit que les caractéristiques des personnes soient proches, même
si la situation est différente. Cette démarche permet de faire une évaluation
de la population aidée par le travailleur social et de son évolution en termes
de résultats de l’action et de problèmes sociaux émergents. Elle permet, par
exemple, de constater des constantes et des similitudes entre la situation des

261
Méthodologie de l’intervention en travail social

personnes et d’en extraire des conclusions sur des problèmes sociaux col-
lectifs qui pourraient faire l’objet d’une intervention en groupe.

10.4.3. Les écrits de réflexion-formation


Dans l’évaluation des résultats, il n’est pas suffisant de considérer le
mouvement dans la situation de la personne ou la famille, il y a aussi le
regard porté sur l’intervention elle-même et sur la « manière de faire » du
travailleur social. Les écrits de réflexion-formation sont destinés à faire,
outre l’étude de l’évolution de la situation, une analyse des différentes
implications du travailleur social et de la nature de la relation d’aide. Il s’agit
de moments privilégiés de regard sur sa pratique et de partage avec des
collègues. Nous avons retenu trois outils parmi les plus courants : la réunion
de synthèse, la consultation-supervision et l’analyse des pratiques.
La réunion de synthèse regroupe des travailleurs sociaux, en général, de
différentes institutions, qui travaillent ensemble, avec la même personne ou
famille. Son objectif est de mettre en commun les éléments de la situation
détenus par chacun, de définir les objectifs et le plan d’action, et de répartir
des tâches entre les différents intervenants. Une réunion de synthèse néces-
site une préparation préalable, il est indispensable d’y assister avec les
éléments clairement définis par chacun. Les outils de recueil de données que
nous avons développés dans le paragraphe antérieur peuvent constituer la
base des documents préparés pour cette rencontre. L’échange apporte des
éclairages différents sur la même situation, et fait porter un regard pluriel
sur l’intervention de chaque travailleur social.
Les consultations ou la supervision sont un exercice d’analyse individuelle
de sa propre intervention. C’est lorsque le travailleur social est en difficulté
du fait de ses affects et réactions personnelles que la consultation avec un
tiers extérieur est indispensable pour y voir plus clair. Les institutions offrent
la compétence des conseillers techniques, de psychologues ou encore d’autres
personnes formées, pour aider le travailleur social dans sa relation à l’autre 41.
En effet les travailleurs sociaux agissent souvent, en résonance avec leur
histoire personnelle, sur le registre de la réparation et ils ont tendance très
vite à se culpabiliser et à vivre comme des échecs personnels les blocages ou
les résistances inhérentes à des éléments extérieurs.
Une série de questions peuvent aider à clarifier et à mieux analyser
l’intervention, par exemple :
–– Est-ce que je sais bien quelle est la demande (ou la non-demande),
qu’attend la personne ou la famille, quelle est ma mission en lien avec cette
demande ?
–– Ai-je à faire aux véritables personnes concernées ?

41. Voir à ce sujet le chapitre 9 : « L’intervention indirecte », paragraphe 9.4. Collaboration


entre travailleurs sociaux.

262
L’évaluation des résultats de l’intervention

–– Quel est mon degré d’affiliation avec la ou les personnes : ai-je su


créer une relation de confiance ? Une relation chaleureuse ?
–– Est-ce que j’ai assez d’informations concrètes sur le problème ?
–– Ai-je une hypothèse opérationnelle sur les besoins et moyens d’aide ?
–– Ai-je assez d’informations sur les ressources et les partenaires ?
–– Ai-je compris les mécanismes de résistance et les motivations de l’usager ?
–– Ai-je bien utilisé mon service, mon équipe, mes ressources ?
–– Suis-je au clair sur mon but, ma stratégie, mes techniques ?
–– La situation ou la personne me met-elle mal à l’aise, m’angoisse-t‑elle,
me stresse-t‑elle ? Qu’est-ce qui me déplaît (ou me plaît) chez cette per-
sonne ? Qu’ai-je en commun avec elle dans mon histoire ?
–– Est-ce que mon idéologie m’emprisonne ? Y a-t‑il un trop grand déca-
lage entre mon propre système de valeurs et celui de la personne ou de la
famille ? Est-ce que je peux respecter les valeurs d’autrui et comprendre son
fonctionnement ?
Ces questions, et d’autres encore, constituent une véritable évaluation
personnelle. Le fait de l’effectuer avec une tierce personne est un atout
important dans la compréhension par le travailleur social de ce qui est en
jeu et facilite un déblocage de la situation.
La supervision traite du même contenu que les consultations, toutefois
celles-ci sont en général ponctuelles alors que la supervision s’inscrit dans
un processus dans le temps. Elle peut être individuelle ou par petits groupes.
Une supervision dure un certain nombre de mois et de séances, elle assure
un processus de formation et d’acquisition de compétences du travailleur
social. Ainsi, certaines institutions prévoient un processus de supervision
pour les nouveaux embauchés ou pour les jeunes professionnels récemment
diplômés afin de faciliter leur adaptation à l’emploi. Elle peut aussi avoir
lieu au cours d’une formation continue dans laquelle le travailleur social
s’est inscrit pour parfaire ses méthodes d’intervention ou apprendre des
techniques spécifiques. C’est le cas, par exemple, des formations à la média-
tion, à l’analyse systémique ou au travail social avec les groupes.
L’analyse des pratiques, parfois appelée « étude de cas » ou « étude de
situation », est un outil de base de la formation professionnelle. Actuellement,
elle se développe aussi dans les services comme moyen de recherche, d’éva-
luation et de soutien aux praticiens.
« L’analyse des cas est une stratégie privilégiée de recherche sur l’intervention.
Elle fonde et ancre la recherche dans le monde de la pratique et pourrait devenir
un moyen privilégié de perfectionnement professionnel. Elle souligne le proces-
sus, et comprend facilement ce processus comme centré sur le client. Sa flexibi-
lité lui permet les modifications en cours de route, respectant ainsi les besoins
de l’intervention 42. »

42. Zúñiga R., Planifier et évaluer l’action sociale, op. cit.

263
Méthodologie de l’intervention en travail social

L’analyse des pratiques s’apparente à la monographie utilisée en socio-


logie et en anthropologie, dans le sens qu’elle étudie l’ensemble d’un phé-
nomène particulier en interaction avec l’intervenant. Elle se rapproche des
histoires de vie et des récits de vie qui ont connu en sociologie un essor
important pour saisir les aspects qualitatifs et produire une présentation de
résultats 43.
La grande difficulté de l’analyse des pratiques tient au fait qu’une situa-
tion, même individuelle, est un système complexe avec des éléments mul-
tiples sur la situation elle-même et sur l’interaction entre la ou les personnes
et le travailleur social. Une autre difficulté est due à la communication de
sa pratique et au regard porté par l’autre 44 (collègue, chef de service, consul-
tant, équipe). La démarche d’analyse des pratiques nécessite, comme son
nom l’indique, d’abord une analyse des différents éléments. Mais on ne peut
se réduire à l’analyse, il faut ensuite procéder à une synthèse et à une
organisation des données analysées afin qu’elles deviennent significatives.
Selon Ricardo Zúñiga, l’écrit de synthèse doit rendre explicites plusieurs
étapes de l’intervention ; il nous propose un plan de présentation de l’ana-
lyse de situation à partir de ces étapes, à savoir :
–– la situation problématique : description de la situation qui rend l’inter-
vention souhaitable, nécessaire ou exigible. Il est important de spécifier qui
sont ceux qui participent à la définition de la situation comme étant pro-
blématique : clients individuels, membres du réseau du client, intervenants
ou autres ;
–– l’interprétation ou le diagnostic qu’on fait du problème : raisons qui
font que la situation est perçue comme une situation à changer, les « causes »
du problème, les facteurs qui lui sont associés ;
–– l’hypothèse d’intervention ou théorie de l’intervention : que suggère
l’action correctrice ? Que pourrait-on faire pour produire le changement
souhaité ? Quelle est la « solution » proposée ? ;
–– le plan de l’intervention : qui devrait avoir des buts précis, un choix
de moyens d’action et de contextes d’interactions et une prévision du dérou-
lement de l’intervention ;
–– le déroulement de l’intervention : compte rendu des activités, des inte-
ractions (surtout celles de la relation d’aide) et justification de tout change-
ment majeur dans le plan d’intervention ;
–– les résultats de l’intervention : description des changements observés
dans la situation d’intervention, qui seraient liés à l’intervention 45.

43. Voir à ce sujet : Chaput-Le Bars C. (2017), Histoires de vie et travail social, Rennes
Presses de l’EHESP.
44. Voir à ce sujet : Les Cahiers de l’Actif (2005), « Dossier : savoir communiquer pour
évoluer dans sa pratique, ou comment construire un sens partagé », n° 354‑355.
45. Zúñiga R., Planifier et évaluer l’action sociale, op. cit.

264
L’évaluation des résultats de l’intervention

Les outils développés ci-dessus sont surtout qualitatifs. Ils correspondent


bien au besoin de rendre la pratique intelligible et transmissible. Cette liste
n’est pas limitative et peut s’enrichir avec d’autres apports et expériences
des institutions et des équipes.
Disons, pour conclure, que l’évaluation des résultats est une compétence
clé pour la profession : elle allie rigueur et souplesse, confidentialité et
partage. Rigueur, car il faut dépasser le stade des ressentis, des à-peu-près
et se doter d’outils précis et explicites. Souplesse, car elle doit être dyna-
mique, permanente, évolutive, prête à intégrer des éléments nouveaux, voire
contradictoires. Confidentialité, pour respecter les personnes qui font
confiance au travailleur social et dont les confidences sont protégées par le
secret professionnel. Partage, parce qu’elle se construit dans l’échange avec
les personnes et ne peut se transmettre qu’après un travail pour rendre les
éléments anonymes.
Chapitre 11

La fin de l’intervention

La fin de l’intervention du travailleur social – appelée aussi fin de l’ac-


compagnement ou clôture – constitue la dernière phase de la méthode. Le
travailleur social et la personne ont parcouru ensemble une période signi-
ficative, mais qui arrive à son terme : il s’agit de se quitter, de clore ou
conclure le travail qui les a fait se rencontrer.
La littérature professionnelle et les formations de travailleurs sociaux
– initiale et en cours d’emploi – accordent une très large place aux premières
phases du processus d’intervention : la demande (ou la proposition de ser-
vice), l’analyse de situation, l’évaluation diagnostique ; et une place presque
inexistante à la fin de l’intervention sociale. Bien que tous s’accordent à dire
que le travail social est limité dans le temps, que son processus a un début,
un milieu et une fin (dans le sens de finir, de terminer quelque chose), cette
dernière partie du processus est peu développée, négligée et rarement étu-
diée. Or, puisque nous parlons d’autonomie, le but proclamé du travailleur
social reste la fin de son intervention : le moment où la personne aura
acquis – grâce aux changements produits dans sa situation – des capacités
suffisantes pour se passer de sa présence, de sa médiation et de son soutien.
Cette contradiction – de taille – nous semble significative de l’importance
de cette étape, d’autant plus grande que l’enjeu est difficile, particulièrement
pour le travailleur social.
La phase de clôture – de fin de l’intervention – met le travailleur social
face à des contradictions multiples : contradictions de type institutionnel
propres à son organisme employeur qu’il ne peut ignorer et dont il subit les
conséquences et les pressions ; contradictions propres à l’usager enracinées
dans des sentiments ambivalents ; et enfin contradictions propres au tra-
vailleur social lui-même. Ces dernières prennent leur source dans les moti-
vations pour exercer un tel métier, où les désirs de réparation, de pouvoir
et la culpabilité sont rarement absents.

267
Méthodologie de l’intervention en travail social

La fin de l’intervention, en tant que phase de la méthodologie, met en


lumière ces différents niveaux de contradiction. Les forces conflictuelles qui
en résultent – conflit entre les buts avoués et les buts poursuivis, entre la
dépendance et l’autonomie, entre ce qu’on veut (ou ce qu’on dit vouloir) et
ce qu’on fait – créent une richesse dynamique propre à cette période. Tout
autant que la phase initiale, celle-là a une importance capitale, un mouve-
ment particulier. De la manière dont les contradictions et conflits inhérents
seront abordés, compris et surmontés vont dépendre en grande partie le
maintien et la consolidation des acquis de la personne.
Pour nous, la fin de l’intervention sociale, en tant que phase finale du
processus, fait partie de la méthodologie d’intervention, « elle est partie
intégrante de tout l’effort de changement 1 » poursuivi depuis la première
rencontre. De ce fait, elle est présente dès le départ ; le travailleur social doit
y réfléchir tout au long de son intervention, elle se prépare presque dès le
premier entretien ou la première intervention.
En effet, lorsque le travailleur social renforce chez la personne sa capa-
cité de choix et de décision, lorsqu’il lui permet progressivement d’ap-
prendre à utiliser les ressources sociales à sa disposition, lorsqu’il soutient
un groupe dans ses efforts pour s’entraider, ou lorsqu’il trouve avec les
intéressés des formes d’organisation solidaire entre pairs, il est déjà en train
de préparer la fin de son intervention. Quelques exemples peuvent illustrer
ces propos :
« Une famille doit, pour toucher le revenu de solidarité active (RSA), remplir une
déclaration périodique. Le couple, presque analphabète, n’a pas les capacités de
le faire. Le travailleur social sollicité va entamer avec eux un processus éducatif
qui progressivement leur permettra de remplir sans aide les exigences institu-
tionnelles : aux premiers entretiens où le travailleur social remplit lui-même les
imprimés, se sont succédé des explications répétées du fonctionnement du dis-
positif, du pour quoi et du comment de chaque renseignement sollicité. Après,
le travailleur social a demandé à la famille de remplir elle-même les formulaires
en sa présence à plusieurs reprises. Après plusieurs exercices de ce type, la famille
a pu faire face seule aux exigences de l’organisme et améliorer ainsi son degré
d’autonomie. »
« Un club de personnes âgées a réfléchi avec le travailleur social aux moyens de
sortir de l’isolement social dans lequel elles se trouvent. Plusieurs solutions ont
été envisagées et ensuite mises à l’essai par elles : faire des réunions du club plus
rapprochées, organiser d’autres activités que celles déjà prévues, demander aux
bénévoles des visites plus fréquentes, organiser des rencontres chez les uns et
les autres, se proposer dans le voisinage pour faire des gardes d’enfants en soirée
et en week-end. »

1. Pincus A., Minahan A. (1973), Social Work Practice: Model and Method, Itasaca (Ill.),
F. H. Peacock Publishers Inc., p. 285.

268
La fin de l’intervention

Dans la suite de ce chapitre, nous allons développer les aspects institu-


tionnels et les contradictions propres à l’organisme employeur, les diverses
formes de fin d’intervention, les sentiments soulevés par cette phase tant
chez la personne que chez le travailleur social et les comportements les plus
fréquents auxquels ils donnent lieu, et, enfin, quelques aspects particuliers
de l’intervention pendant cette phase finale.

11.1. Aspects institutionnels


En France, il est rare que les organismes employeurs de travailleurs
sociaux organisent leur prestation de services aux usagers avec une durée
déterminée. Cependant, quelques services le font, particulièrement des asso-
ciations comme Agir tous pour la dignité (ATD Quart Monde 2).
Les organismes sociaux n’imposent aucune limite de durée, et la fin de
l’intervention du travailleur social est alors déterminée par lui-même ou par
la personne, à l’exception des institutions qui fonctionnent sur mandat de
protection de l’enfance (administratif ou judiciaire), où la durée du mandat
est établie par une autorité extérieure à l’employeur lui-même (conseil
départemental, juge pour enfants), pour un laps de temps qui varie entre
6 mois et 2 ans. Ce type de mandat est renouvelable auprès de la même
instance de décision. De même, les organismes d’hébergement, d’aide à
l’accès au logement, etc., ont aussi des limites dans le temps qui balisent la
durée du suivi.
Bien que la grande majorité des organismes n’établisse pas de règles pour
la fin de l’intervention, il est à noter une différence notable entre ceux qui
se financent par dotation globale et ceux dont la source de financement est
le prix de journée.
Les contradictions sont moins perceptibles dans les organismes qui ont
un budget de fonctionnement qui comprend la mise à disposition d’un
personnel qualifié (travailleur social en l’occurrence) pour les usagers res-
sortissants. La forme de financement laisse une marge de liberté importante
aux travailleurs sociaux pour fixer – avec la personne – les modalités et la
durée de l’intervention en fonction de la demande, des besoins et de l’évo-
lution de la situation. Il existe néanmoins une pression importante exercée
sur les travailleurs sociaux afin de justifier de leur volume de travail, de la
fréquence et de la durée de leurs interventions. L’exigence est rarement
qualitative et se borne, le plus souvent, à un contrôle quantitatif et statis-
tique qui ressemble parfois plus à une exigence de rendement et de renta-
bilité qu’à la recherche d’un service de qualité, compétent et axé sur les
besoins de la population.

2. Anciennement Aide à toute détresse. Voir aussi le chapitre 6 : « Le contrat en travail
social ».

269
Méthodologie de l’intervention en travail social

La situation dans les organismes financés au prix de journée est


différente. Leur fonctionnement dépend très étroitement du nombre réel
de personnes en file active dont ils ont à justifier auprès des financeurs
et des autorités de tutelle. Si l’organisme est fort demandé, si le nombre
de personnes le sollicitant dépasse les possibilités de service offertes,
l’institution aura tendance soit à s’agrandir et à se développer (nouvelles
embauches, nouveaux locaux), soit à assurer des suivis de plus courte
durée avec un renouvellement constant de la population bénéficiaire.
À l’inverse, si les effectifs stagnent ou régressent sensiblement, l’orga-
nisme, pour se perpétuer, aura tendance à offrir un service de plus en
plus long et sophistiqué aux personnes accompagnées, avec, outre la
durée, des interventions multiples de travailleurs sociaux de spécialités
différentes.
Dans ces situations institutionnelles, les travailleurs sociaux auront à
affronter des contradictions et des pressions importantes en ce qui concerne
la phase de la fin de leur intervention.
Dans les organismes financés par dotation globale et où le contrôle
quantitatif est prédominant, les travailleurs sociaux subissent la tentation
de garder éternellement des dossiers en file active, de ne pas clôturer leur
action avec la personne, mais de garder le contact par des rencontres espa-
cées une ou deux fois par an.
Dans les organismes à prix de journée en expansion, ou à fort renouvel-
lement de population, la tendance des travailleurs sociaux risque d’être
inverse : la fin de l’intervention sera accélérée, parfois au détriment de
l’usager et de la consolidation du changement dans sa situation. Aussi, le
volume de travail trop important interviendra au détriment de la qualité de
l’intervention et de la régularité des entretiens.
Dans des organismes à prix de journée où les effectifs régressent, les
travailleurs sociaux seront confrontés à la contradiction suivante : procé-
der à la fin d’intervention lorsque la situation de l’usager s’y prête, cela à
l’encontre des pressions du service pour prolonger les suivis, et, par la
même occasion, mettre en péril sa propre stabilité d’emploi – et celle de ses
collègues – si le financement de l’institution venait à diminuer de façon
notable à cause du non-renouvellement des demandes et de l’arrêt des
interventions en cours. Ici, l’intérêt de la personne risque d’être oublié, et
même d’être masqué et déformé par la pression de l’intérêt du travailleur
social (conserver son emploi) et de celui de l’organisme (maintenir sa
source de financement). Ces deux derniers se combinent souvent pour ne
plus faire qu’un seul intérêt tendant à la conservation et à la reproduction
de l’institution.
Nous disions ci-dessus que la phase de clôture est très peu abordée dans
la littérature du travail social, nous sommes obligés de constater que les
conditionnements institutionnels qui pèsent le sont encore moins. Nous ne
pouvons ici que pointer certaines contradictions majeures. Le travail plus

270
La fin de l’intervention

approfondi et plus systématique reste à faire au sein même des divers orga-
nismes. La question essentielle reste de savoir comment, en tant que travail-
leurs sociaux, nous nous positionnons lorsque les intérêts de l’usager, ceux
de notre employeur et ceux qui nous sont propres ne sont plus convergents
mais contradictoires ? Lequel privilégions-nous – de façon consciente ou
inconsciente – et au service de qui mettons-nous nos compétences ?

11.2. Diverses formes de fin de l’intervention sociale


La fin de l’intervention peut avoir lieu à n’importe quel moment du
processus de travail. Dans certains organismes, il est fréquent que l’inter-
vention s’arrête à l’initiative de la personne après un entretien, parfois deux,
tout au début donc du processus. En cours d’intervention aussi, la clôture
peut survenir du fait d’un déménagement de la famille ou d’un changement
d’emploi du travailleur social.
Cependant, nous ne pouvons parler véritablement de fin d’intervention
que lorsque le travail a été mené jusqu’à son terme en passant par les
diverses phases de la méthode d’intervention que nous avons décrites au
chapitre 3.
L’appréciation du « terme », de « quand entame-t‑on la fin de l’interven-
tion ? » reste encore vague et sujette à interprétations différentes. Elle a été
souvent définie par la négative, comme étant le stade où aucun progrès n’est
plus accompli. D’autres auteurs la définissent comme étant le moment où
les objectifs de changement que les partenaires s’étaient proposés sont
atteints 3. D’autres encore soulignent la nécessité pour le travailleur social
d’apprécier le moment avec la personne, ce moment serait atteint lorsque
l’usager est prêt à s’organiser sans aide, lorsqu’il a « acquis un niveau satis-
faisant de fonctionnement social 4 ». À notre avis, cette dernière est la plus
vague et ambiguë car, qui définit ce qu’est un « niveau satisfaisant de fonc-
tionnement social » et en fonction de quels critères ? Cette définition
implique un modèle préétabli de la bonne organisation ou du bon « fonc-
tionnement social », modèle dont le travailleur social s’érige en gardien et
en interprète. Or, cette définition est fort répandue parmi les travailleurs
sociaux, elle témoigne de la prégnance des références théoriques fonction-
nalistes dans le milieu professionnel.
La définition exacte du moment où l’arrêt de l’intervention doit interve-
nir nous semble dépendre de chaque situation particulière. Les critères pour
cesser l’intervention sont à redéfinir à la lumière de la situation de chaque
personne et de l’évaluation que le travailleur social en fait. Par ailleurs, il
est indispensable que le moment de clôture soit établi d’un commun accord

3. Pincus A., Minahan A., Social Work Practice: Model and Method, op. cit.
4. Haines J. (1975), Skills and Methods in Social Work, Londres, Constable.

271
Méthodologie de l’intervention en travail social

entre la personne accompagnée et le travailleur social à partir de l’évalua-


tion des changements qui sont intervenus dans la situation.
La fin de l’intervention peut revêtir des formes diverses. Elle peut avoir
lieu à l’initiative de l’usager, il peut s’agir d’une intervention à durée préé-
tablie qui arrive à son terme ou, encore, la clôture peut être planifiée lorsque
la durée n’est pas fixée au départ ; il peut s’agir aussi d’une passation.

11.2.1. La fin de l’intervention à l’initiative de l’usager


Elle se produit lorsque celui-ci arrête le processus de travail, soit qu’il ne
se présente pas aux rendez-vous proposés, soit que le travailleur social
trouve porte close lors de ses visites, bien qu’il ait prévenu de son passage.
Parfois aussi, l’usager qui a fait une première démarche auprès du travailleur
social ne donne pas suite.
C’est évidemment une forme de clôture qui n’est pas satisfaisante pour
le travailleur social qui voit ainsi ses services refusés. De nombreuses hypo-
thèses se présentent alors à lui pour expliquer cette initiative de l’usager
(est-ce que j’ai compris cette personne et sa demande ? Est-ce que mon
attitude a été suffisamment chaleureuse et accueillante ? Est-ce que mon
évaluation était juste ? Est-ce que les propositions faites correspondaient à
ce qu’il attendait ?). Mais, dans la plupart des cas, ces hypothèses ne peuvent
pas être vérifiées par la suite. Le travailleur social aura alors tendance à
percevoir l’initiative de la personne comme un échec dont il se sentira plus
ou moins responsable.
Dans cette situation de clôture du fait de l’usager, il est souvent utile de
prendre le temps de refaire une évaluation des entretiens avec la personne.
En reprenant les éléments des interventions qui ont précédé la rupture, le
travailleur social peut trouver des indications, des repères qui l’aideront à
bâtir des hypothèses explicatives. Il pourra alors choisir parmi diverses
actions possibles : écrire une lettre ou téléphoner, donner un nouveau
rendez-vous ou assurer la personne de sa disponibilité à son égard, il pourra
encore décider d’attendre pour laisser la personne décider seule d’un nou-
veau contact ou de l’arrêt de l’intervention.
Cette même situation se retrouve lorsqu’il s’agit des premières réunions
avec un groupe et que les personnes prévues sont en majorité absentes. Les
absences sont surtout fréquentes à la seconde réunion. Là, l’évaluation doit
porter sur le processus de mise en place du groupe 5 et sur la convergence
ou les écarts entre les objectifs poursuivis par le travailleur social et ceux
des membres du groupe. Là aussi, divers choix sont possibles : écrire aux
membres pour fixer une nouvelle réunion, faire des visites à domicile pour
clarifier individuellement les motifs de l’absence, attendre la réunion sui-
vante pour voir si les absences étaient fortuites.

5. Voir le chapitre 9 : « L’intervention indirecte ».

272
La fin de l’intervention

Dans une telle situation de fin de l’intervention, le travailleur social


ressent souvent une frustration et il peut être tenté d’essayer à tout prix de
revoir la personne pour se rassurer en quelque sorte. Il est fort difficile
d’accepter « de ne pas savoir », et d’accepter aussi les limites de son propre
pouvoir. Car, l’initiative de l’usager de clore le travail entamé met en relief
l’étendue réelle de son pouvoir à lui, de sa détermination à ne pas utiliser
plus longtemps les services du travailleur social, de son désir de faire face
seul – ou autrement – à ses difficultés ou à ses besoins. La situation de
rupture dans laquelle il entraîne le travailleur social n’est pas nécessaire-
ment négative pour lui, bien au contraire. Elle peut être comprise comme
un désir d’affirmation, comme une décision dynamisante de se prendre en
main et de refuser une certaine dépendance. Dans tous les cas, et quoi que
motive sa décision, l’usager prend (activement ou passivement) le pouvoir,
et nous rappelle que personne ne peut être aidée contre son gré et sans son
adhésion active.

11.2.2. La fin de l’intervention à durée préétablie


Le moment de la clôture est dans ces cas établi dès le départ de l’inter-
vention. Usager, travailleur social et organisme ont fixé un contrat d’inter-
vention qui prévoit une limite finale dans le temps, souvent de 3 à 6 mois.
La fin de l’intervention est alors effectivement présente dès le départ et elle
est préparée tout au long du travail. Il semblerait, selon l’expérience des
auteurs nord-américains et canadiens qui ont écrit sur le sujet, que la phase
de clôture soulève dans ces cas moins de sentiments ambivalents que dans
les autres situations 6. Usagers et travailleurs sociaux perçoivent la fin de
l’intervention comme étant l’une des modalités d’organisation de l’institu-
tion, l’une des règles qui étaient posées au départ. L’évaluation finale a une
grande importance, car elle doit mesurer les changements qui sont interve-
nus dans la situation de la personne pendant le temps qu’a duré l’interven-
tion 7. Celle-ci est en général très intense pendant la période et centrée sur
les objectifs de changement établis lors du contrat.
Certaines formes de travail social en France prévoient une durée limitée
d’intervention dès le début : nous avons déjà mentionné les mandats de
protection de l’enfance (conseil général ou tribunal pour enfants) ainsi que
des associations, notamment celles chargées d’accès au logement et d’accueil
dans des centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS). De même,
des activités de groupe – qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes – sont souvent
proposées pour une période déterminée (3 mois, 6 mois, 1 an).

6. Reid W., Shyne A. (1969), Brief and Extended Casework, New York, Columbia University
Press, p. 124.
7. Voir le chapitre 10 : « L’évaluation des résultats de l’intervention ».

273
Méthodologie de l’intervention en travail social

11.2.3. La fin de l’intervention planifiée


C’est une situation courante, il s’agit d’une intervention qui ne fixe pas
de date de clôture préalable. Lorsque le travailleur social ou la personne
considèrent que leur travail ensemble touche à sa fin, ils planifient la fin de
l’intervention et se mettent d’accord sur la date.
En général, la fin de l’intervention est proposée par le travailleur social,
c’est lui qui a l’initiative même si l’accord de la personne est sollicité et
obtenu. Nous verrons plus loin le contexte affectif et les interventions plus
précises qui s’appliquent à cette forme de clôture.

11.2.4. La passation
Ce n’est pas véritablement une fin d’intervention, car elle consiste en un
changement de partenaires, notamment un changement de travailleur social
et/ou d’organisme. La passation intervient souvent en cours d’action, elle
est parfois occasionnée par la mobilité géographique et/ou professionnelle.
En effet, lorsque la personne déménage, change de ville ou de secteur, ce
sont d’autres institutions qui sont chargées de poursuivre le travail com-
mencé, puisque l’organisme et le travailleur social, ont une compétence
territoriale. La mobilité professionnelle est due au travailleur social qui
change d’employeur, qui accède à un autre type de poste au sein du même
organisme, ou qui fait partie du service pendant un laps de temps limité et
dont l’engagement touche à sa fin – c’est le cas des travailleurs sociaux en
formation qui sont en stage, ou des travailleurs sociaux embauchés pour un
remplacement (maladie, maternité). La passation peut aussi avoir lieu
lorsqu’un changement de travailleur social apporte une nouvelle dynamique
à l’action, lorsque travailleur social et usager sont arrivés – après parfois un
long travail ensemble – à un stade de stagnation et/ou d’arrêt de toute
évolution dans la situation de la personne. Dans ces cas, la passation peut
s’avérer bénéfique même si aucune modification externe n’oblige à se sépa-
rer. De même, elle peut aussi être envisagée lorsque le travailleur social se
sent dans l’incapacité d’assurer un travail efficace du fait d’une incompati-
bilité entre lui-même et la personne.
Dans toutes ces situations, le travail commencé avec l’un doit se pour-
suivre avec d’autres. Lorsque le changement de travailleur social peut être
prévu à l’avance, il est possible de se fixer des objectifs limités susceptibles
d’être atteints dans le temps prévu et de préparer la passation. C’est le cas
pour les stages des étudiants en travail social. Dans d’autres situations, cette
préparation n’est pas toujours possible.
La passation doit assurer à la personne une certaine continuité dans
l’intervention malgré la rupture de la relation avec le travailleur social
qu’elle implique. Elle nécessite alors d’être préparée chaque fois que cela est
possible. La préparation se fait à deux niveaux : d’abord avec l’usager, avec
qui le travailleur social parle de ce changement, clarifie les objectifs de

274
La fin de l’intervention

travail, les sentiments soulevés par cet arrêt imprévu (ou prévu) de la rela-
tion ; ensuite, avec le nouveau travailleur social, qui prendra la suite de
l’intervention pour lui faire part de l’action menée, des objectifs poursuivis,
du plan d’intervention et de l’évaluation de la situation. Cette mise au
courant du travailleur social se fait parfois seulement par écrit avec la
transmission du dossier ou d’un résumé de celui-ci 8. Il nous semble impor-
tant que chaque fois que cela est possible, non seulement les deux travail-
leurs sociaux se rencontrent, mais aussi que le travailleur social soit
l’intermédiaire de la rencontre entre l’usager et le nouveau professionnel.
C’est-à-dire que la première rencontre soit organisée par celui qui connaît
la personne (ou la famille ou le groupe), qu’il les présente l’un à l’autre et
qu’ensemble ils parlent du changement. Cette démarche permet au nouveau
travailleur social de s’inscrire de plain-pied dans la poursuite du travail ;
son rôle et son intervention sont ainsi légitimés aux yeux de la personne.
Chaque fois que cela est possible, la transition peut être organisée
conjointement par les deux travailleurs sociaux avec une période d’inter-
vention conjointe et le désengagement progressif de l’un et l’engagement
de l’autre. Par exemple, dans un groupe d’adolescents, la passation s’est
produite comme suit : le travailleur social a parlé avec le groupe et les a
invités à s’exprimer là-dessus. À la réunion suivante le travailleur social
chargé de prendre la relève est venu en fin de réunion pour faire connais-
sance avec le groupe. Lors de la rencontre qui a suivi, la participation des
deux travailleurs sociaux a permis de renouveler ce premier contact et de
prévenir le groupe que le travailleur social ne viendrait la prochaine fois
qu’en fin de réunion pour leur dire au revoir. À cette occasion, le groupe a
préparé une petite collation pour marquer son départ.
Lors d’une passation, même très bien préparée, il est rare que la conti-
nuité du travail puisse être totalement assurée. Cela n’a pas une incidence
dommageable, loin de là. Le changement de professionnel peut redonner un
souffle nouveau, peut permettre à la personne de se présenter sous un jour
différent et, en quelque sorte, de laisser derrière elle un passé parfois lourd.
Il peut encore lui apprendre à mieux maîtriser sa relation et à élargir son
champ relationnel.

8. Sur la question du dossier social, du secret professionnel et de la transmission d’infor-


mations voir : La Revue française de service social (2001), « Le dossier social », n° 203 ; La
Revue française de service social (2002), « Le partage de l’information », n° 205 ; La Revue
française de service social (2005), « Travailleurs sociaux sous contrôle ? Lois “Perben” et
travail social, des clés pour agir », n° 219 ; La Revue française de service social (2007),
« Déontologie, secret professionnel : quelles évolutions et quel partage des informations ? »,
n° 227 ; Actualités sociales hebdomadaires (2008), « Le secret professionnel des travailleurs
sociaux », n° 2563, 20 juin ; La Revue française de service social (2010), « Dossier social et
nouvelles technologies de l’information et de la communication », n° 237 ; Actualités sociales
hebdomadaires (2017), « Le partage d’informations dans le champ social et médico-social »,
n° 3039, 22 décembre. Consulter aussi le site : www.secretpro.fr.

275
Méthodologie de l’intervention en travail social

La passation soulève aussi des sentiments ambivalents chez l’usager


– dont nous parlons plus en détail dans le paragraphe suivant – qui peuvent
s’exprimer de façons différentes. Il est fréquent que la personne – désap-
pointée par la séparation – refuse de parler de ce qu’elle a fait avec le pre-
mier travailleur social, ou encore qu’elle en fasse des louanges constantes.
Elle peut aussi tenter de séduire le nouveau travailleur social en critiquant
vivement le précédent, allant même jusqu’à travestir les faits et proclamer
sa satisfaction du changement. Le nouveau travailleur social doit alors
essayer de comprendre la signification de ces comportements en gardant à
l’esprit que ce changement ne se passe pas sans tension pour la personne,
ni d’ailleurs pour lui-même.

11.3. Contexte relationnel et affectif de la fin


de l’intervention
La fin de l’intervention a lieu dans un contexte psychologique particulier.
Cette phase de la méthodologie soulève, en effet, de nombreux sentiments
contradictoires lorsqu’il s’agit d’abord de se désengager et ensuite de termi-
ner une relation interpersonnelle significative, dans laquelle tant la per-
sonne que le travailleur social se sont investis affectivement. Cette étape
doit être comprise et menée à bien à la lumière de ce qui constitue sa
dynamique propre. Bien que toute fin d’une relation soit perçue et ressentie
comme une séparation, un abandon, une rupture et une mort, toute fin est
aussi, et en même temps, quelque chose qui a été achevé, atteint et encore
quelque chose de l’ordre de la création et de la renaissance, une porte
ouverte vers des chemins nouveaux et des expériences différentes. L’arrêt
de l’intervention signifie aussi bien l’éloignement et la séparation, que la
reconnaissance effective du chemin parcouru et du franchissement d’une
étape.

11.3.1. Pour le travailleur social


La fin de l’intervention soulève chez le travailleur social une très forte
ambivalence : aux sentiments de perte et de séparation se mêle la satis­
faction du travail accompli. À la certitude que la fin de l’intervention est
nécessaire et justifiée, se mêlent l’incertitude face à l’avenir, la frustration
de « ne plus savoir » ce que deviendra ensuite la personne.
Il est fréquent aussi que les travailleurs sociaux ressentent une certaine
culpabilité et s’interrogent sur l’efficacité de leur intervention, sur la qualité
des services rendus, sur leur compétence et sur leur investissement. La
question « est-ce que j’aurais pu faire davantage, ou faire mieux ? » semble
se poser souvent.
Les travailleurs sociaux sont parfois tentés de terminer leur intervention
sur une note positive et rassurante, ils veulent à tout prix que la personne

276
La fin de l’intervention

soit contente, et cherchent aussi à être gratifiés par la reconnaissance et les


remerciements de l’usager. Leurs sentiments de culpabilité sont d’autant plus
accentués qu’il est rare qu’ils obtiennent la gratification tant attendue.
Le conflit intérieur peut être intense, d’autant plus lorsque la fin de
l’intervention est perçue comme un échec et non comme une réussite, si les
buts n’ont pas été atteints ou si les espoirs du départ ont été déçus. Dans ces
cas, la culpabilité peut être déplacée soit sur l’organisme employeur (qui ne
donne pas les moyens nécessaires), soit sur la personne, avec manifestation
de sentiments hostiles et agressifs à leur égard.
La fin de l’intervention nécessite de la part du travailleur social une
perception la plus claire possible de ses propres sentiments. Elle ne peut que
le renvoyer également à ses motivations : désir de réparation, désir de « sau-
ver » les autres, désir de pouvoir. Mettre un terme à sa relation avec la
personne implique un certain renoncement ; il peut être facilité, dans une
certaine mesure, lorsque la personne est considérée, dès le départ, comme
responsable de sa vie et de ses choix, et lorsque le travailleur social n’entre-
tient pas – au-delà de la limite nécessaire – sa dépendance.

11.3.2. Pour la personne


La même ambivalence des sentiments existe aussi chez la personne : au
plaisir provoqué par l’accession à une plus complète autonomie, par le che-
min parcouru, par les changements atteints, se mêlent la crainte et l’incer-
titude de l’avenir, l’insécurité et les sentiments de perte et d’abandon. Mort
et renaissance sont présents, tout comme désir d’affirmation et d’autonomie
et, en même temps, désir de garder une relation rassurante.
La fin de l’intervention est souvent appréciée comme la confirmation de
ses capacités et des changements dans sa situation, perçue donc avec plaisir.
Elle n’est que très rarement exempte de craintes et d’insécurité. Le conflit
intérieur de la personne se traduit par une série de comportements que l’on
retrouve fréquemment lors de cette étape, et qui se manifestent aussi bien
dans des situations de relation individuelle que de relation de groupe 9. Nous
pouvons en dénombrer quelques-uns.
Négation : la personne nie l’approche de la fin, le travailleur social lui en
a parlé, elle n’entend pas, elle ne se souvient plus, change de sujet, refuse
de l’aborder ou s’étonne. Elle « oublie ».
Nouvelles demandes : lorsqu’on entame la phase finale la personne peut
réagir en formulant de nouvelles demandes, en proposant d’autres axes et
objectifs de travail. Ces demandes peuvent s’exprimer verbalement, mais
souvent elles le sont de façon détournée : des plaintes, nouveaux soucis,
difficultés à s’organiser, conflits relationnels. Telle cette famille qui, ayant

9. Pincus A., Minahan A., Social Work Practice: Model and Method, op. cit., p. 279.

277
Méthodologie de l’intervention en travail social

longtemps travaillé sur des problèmes d’éducation des trois enfants issus du
premier mariage du père, vers la fin de l’intervention – d’abord différée à
leur demande –, confie au travailleur social leurs difficultés conjugales :
disputes, « ras le bol », projets de séparation.
Régression : le retour en arrière vers des formes de comportement pré-
existantes peut être une autre forme de réaction de la personne. Dans un
groupe, on peut assister à la résurgence de conflits anciens qui avaient
auparavant trouvé des solutions satisfaisantes, ou à des demandes
accrues de dépendance vis-à-vis du travailleur social ou du leader, souvent
­accompagnées d’hostilité. Dans un travail individuel, on peut se trouver, par
exemple, face à une personne qui se montre soudainement incapable de
faire les démarches que, depuis un certain temps, elle exécutait sans pro-
blème : assister à une réunion à l’école, remplir un imprimé, amener un
enfant en consultation médicale. Ce retour en arrière est significatif de sa
peur face à l’avenir, de son désir de garder une relation sécurisante. Elle dit
par son comportement : « Vous voyez bien que je ne peux pas me passer de
vous ! »
Hostilité : l’usager confronté à l’imminence de la séparation peut mani-
fester son mécontentement. Il est mécontent de réaliser que la relation avec
le travailleur social est importante pour lui et que, sûrement, il va la regret-
ter. Il peut aussi se rendre compte combien sa dépendance est grande et qu’il
va regretter leurs rencontres. L’hostilité et le mécontentement peuvent être
exprimés ouvertement ou de façon voilée. Telle cette femme qui, lors de la
clôture, fait part de façon très agressive au travailleur social de tout ce
qu’elle pense des assistantes sociales avec des exemples à l’appui et des
invectives multiples. En fait, l’hostilité et le mécontentement vis-à-vis du
travailleur social peuvent lui faciliter la séparation et diminuer ou détourner
l’insécurité et la tristesse. Ils peuvent surtout déplacer les sentiments d’aban-
don : la personne n’est plus délaissée par le travailleur social, c’est elle qui
prend l’initiative de la rupture, c’est elle qui le quitte 10.
Récapitulation : l’usager parle du passé, récapitule ce qui pour lui consti-
tue des jalons importants. Cette récapitulation est parfois spontanée, elle est
très souvent sollicitée par le travailleur social au moment de l’évaluation
finale 11. Cet inventaire peut prendre des formes particulières lorsqu’il s’agit
d’un groupe ; les membres peuvent avoir envie de partager leurs souvenirs
sur telle ou telle réunion ou activité, telle ou telle fête ou rencontre. Des
longs échanges détaillés peuvent avoir lieu. Même le retour en arrière est
fréquent : on regarde les photos (ou autres documents témoignant du passé
commun), on organise une nouvelle promenade (ou autre) au même endroit
que par le passé, et ainsi de suite.

10. Whittaker J. (1974), Social Treatment: an Approach to Interpersonal Helping, Chicago,


Aldine Publishing Company, p. 156.
11. Voir le chapitre 10 : « L’évaluation des résultats de l’intervention ».

278
La fin de l’intervention

Fuite : la personne précipite la fin de l’intervention, ne vient plus aux


réunions, ne répond plus aux visites à domicile ou au courrier. Dans un
groupe, elle peut manifester des attitudes de rejet envers les autres ou sus-
citer le refus des autres à son égard. Lorsque la fuite s’accompagne d’un
investissement ailleurs, elle s’avère positive et lui facilite beaucoup la fin de
l’intervention :
« Mme M n’ouvre plus sa porte, et ne répond pas aux sollicitations du travailleur
social pour faire une évaluation finale. Par son collègue animateur du centre
social, le travailleur social apprend qu’elle participe très activement, depuis
peu, à un groupe de femmes du quartier et qu’elle s’avère un membre
dynamique. »

Ces différentes formes de réaction de l’usager ne constituent pas une liste


exhaustive. On peut aussi trouver plusieurs de ces manifestations chez une
même personne, elles ne s’excluent pas nécessairement. Si le travailleur
social n’est pas au clair avec ses propres sentiments pendant cette phase, il
peut facilement se laisser prendre aux réactions de l’usager, notamment
lorsque ce dernier sollicite la prolongation et le maintien de l’intervention.
Par ailleurs, l’inconfort ressenti par l’usager, son ambivalence et son
insécurité, voire son hostilité, constituent des leviers de dynamisme impor-
tants pour la suite. Le travailleur social doit se garder de vouloir à tout prix
le rassurer, écarter ses craintes ou diminuer son inconfort.
« Lorsque le client ressent diverses choses simultanément – hostilité envers le
travailleur social, peur de l’avenir, doutes sur ses propres capacités –, le travail-
leur social fera bien de ne pas vouloir à tout prix raccorder les bouts épars, ou
dépenser beaucoup d’énergie à essayer que le client se sente bien au sujet du
départ. L’habileté du client à s’affronter avec ses sentiments de perte et néan-
moins à faire face à sa situation peut être pour lui une expérience riche d’ensei-
gnements. Le travailleur social peut avoir besoin – plus que le client – de clore
son action sur une note élevée 12. »

11.4. Formes d’intervention axées sur la clôture


En abordant cette phase de la méthodologie, le travailleur social peut
pratiquer certaines formes d’interventions qui s’avèrent profitables pour la
préparation de la clôture. Nous avons déjà mentionné la nécessité d’un
accord entre la personne et le travailleur social sur le moment de l’arrêt de
l’intervention et de la date de la clôture. Le choix du moment doit être
explicité et établi d’un commun accord.
L’espacement des rencontres – entretiens ou réunions – peut être utilisé
pour faciliter une séparation progressive. Quelques, rencontres éloignées
dans le temps permettent à l’usager de tester ses aptitudes à faire face seul

12. Whittaker J., Social Treatment: an Approach to Interpersonal Helping, op. cit., p. 157.

279
Méthodologie de l’intervention en travail social

et à maîtriser sa situation, lui permettent de prendre ses distances par rap-


port au travailleur social. Cet espacement des rencontres peut s’avérer très
judicieux pour des individus ou des familles. Il est difficilement applicable
à un travail avec un petit groupe car le calendrier et la cadence des ren-
contres sont presque toujours fixés à l’avance.
Les périodes de congés du travailleur social ou de la personne peuvent
aussi être mises à profit pour leur permettre de prendre de la distance et
procéder à l’évaluation finale après cette période d’interruption des ren-
contres.
L’élucidation des sentiments soulevés par l’arrêt de l’intervention est
aussi fort courante dans cette étape, tout autant que dans les premières
phases lors de la demande (ou de la proposition de service) et de l’analyse
de situation ou par la suite 13. Mais, tout ce que nous avons déjà exposé sur
le contexte relationnel et affectif de la clôture – tant pour la personne que
pour le travailleur social – fait que la verbalisation et la compréhension des
sentiments sont indispensables à l’approche de la séparation.
L’information et la mise en rapport avec les ressources de l’environne‑
ment sont des interventions fort importantes dans l’étape finale. Le travail-
leur social peut – selon les cas – faire appel à des relais institutionnels
susceptibles d’offrir les services dont la personne a, éventuellement, besoin :
services médicaux, loisirs, services de formation professionnelle, services
culturels, autres services sociaux.
Les travailleurs sociaux ont une large connaissance des organismes de
leur secteur ou de la commune où ils exercent ; ils sont ainsi en mesure, non
seulement d’informer, mais encore de faciliter les premiers contacts avec de
tels services, d’accompagner pour une première démarche, de présenter les
responsables, d’expliquer le fonctionnement de l’institution. Lorsqu’il s’agit
d’un petit groupe, cette démarche s’avère aussi importante, car vers la fin
du groupe les membres peuvent manifester leur désir et avoir la capacité de
participer à la vie d’autres groupes du quartier : associations, clubs, groupes
informels.
L’évaluation finale ou évaluation des résultats a été longuement traitée
dans le chapitre précédent. L’évaluation est un processus continu, elle prend
des accents différents selon que l’on est au début, au milieu ou à la fin de
l’intervention. Tout au long de l’intervention, elle est partagée et discutée
avec la personne.
Dans la phase finale – et lorsque travailleur social et usager ont déjà
procédé à des évaluations partielles sur l’évolution de la situation au fur et
à mesure de leur travail ensemble –, l’évaluation prend la forme d’un recen-
sement, d’un repérage des changements les plus significatifs.

13. Voir le chapitre 8 : « L’intervention directe », 8.1.2. La clarification.

280
La fin de l’intervention

Ce repérage du chemin parcouru n’est possible que si la situation de la


personne a été clairement établie et consignée par écrit lors de l’analyse de
situation et l’évaluation diagnostique. De même, les objectifs de changement
et le projet d’intervention établis au début – éventuellement réajustés par
la suite – constituent le matériel de base de l’évaluation finale. Car, pour
apprécier le travail accompli dans un laps de temps donné, il est indispen-
sable de se référer à la situation telle qu’elle était au démarrage et aux
objectifs alors définis.
Pour conclure, il faut souligner l’importance et la complexité de cette
phase du processus d’intervention, trop souvent négligée. La fin de l’inter-
vention auprès de la personne est un moment dynamique qui permet de
consolider et renforcer les changements, et de conclure une étape de travail.
Elle a, pour le travailleur social, la signification d’un nouveau départ, d’un
recommencement créatif, d’une renaissance. La perte et la séparation pour-
ront plus facilement être assumées par cette incorporation en soi de tout
ce que la personne nous a apporté comme découvertes et interrogations
nouvelles.
Conclusion

Ce livre participe, depuis plusieurs décennies, à la construction de la


professionnalité du travail social. Alors, que dire de plus au terme de cet
ouvrage ? Trois points peuvent aider à conclure : une profession, une pra-
tique, une force dynamique.

Une profession
Le travail social est une profession qui se propose de promouvoir des
changements au niveau des personnes et de la société afin d’améliorer leur
bien-être et leur participation citoyenne. Dans ce sens, la définition de la
Fédération internationale de travailleurs sociaux (FITS) fait consensus :
« Le travail social est une pratique professionnelle et une discipline. Il promeut
le changement et le développement social, la cohésion sociale, le pouvoir d’agir
et la libération des personnes. Les principes de justice sociale, de droit de la
personne, de responsabilité sociale collective et de respect des diversités sont au
cœur du travail social. Étayé par les théories du travail social, des sciences
sociales, des sciences humaines et des connaissances autochtones, le travail
social encourage les personnes et les structures à relever les défis de la vie et agit
pour améliorer le bien-être de tous.
Le travailleur social intervient avec les personnes dans une relation où l’adhésion
et la confiance sont indispensables. Lorsque cela n’est pas possible, son travail
est très limité. On parlera alors d’aide contrainte ou même de contrôle social 1. »

Comme d’autres professions, le travail social développe, à partir de sa


pratique, une méthodologie et un savoir-faire technique qui constituent
sa « boîte à outils ». C’est cette méthodologie qui participe à son système

1. Définition adoptée lors de l’assemblée générale de la FITS le 10 juillet 2014 à


Melbourne. En ligne : http://ifsw.org.

283
Méthodologie de l’intervention en travail social

d’expertise et lui octroie une compétence effective et reconnue du fait de sa


qualification. Un système d’expertise comprend un agencement de savoirs
complexes et interdépendants, tant théoriques que pratiques. Ce système a
une triple composante : technique et méthodologique (savoir-faire pratique),
sociale (maîtrise du système de relations sociales dans lequel s’insère l’acti-
vité) et gestionnaire, qui se situe à l’articulation de la dimension technique
et de la dimension sociale.

Une pratique
Dans sa pratique, le travailleur social intervient dans le lien entre la per-
sonne et la société ; il est ainsi au croisement de rationalités différentes 2 :
–– l’usager, avec son vécu, son histoire, ses difficultés actuelles, mais
aussi ses compétences, ses forces, ses capacités ;
–– l’institution ou organisme, qui lui confie des missions inscrites dans des
politiques sociales publiques et définit la p ­ opulation à laquelle il s’adresse.
En prolongement de ce service employeur, les autres institutions d’action
sociale, partenaires de l’action entreprise et ressources mobilisables au béné-
fice de la personne aidée ;
–– l’environnement avec les liens d’appartenance, les caractéristiques de
la vie sociale, des réseaux formels et informels, des groupes constitués, des
ressources et dynamismes existants ;
–– son propre savoir et savoir-faire : sa manière de concevoir son rôle,
de l’habiter, ses compétences, sa déontologie.
Ainsi, la pratique est fonction de, et influencée par :
–– le contexte où elle s’exerce, tant à niveau microsocial que macrosocial ;
–– la compétence acquise, le savoir-faire et les valeurs du professionnel.
Le travailleur social appréhende cette diversité de composantes, les
reconstruit et les transforme en décisions d’intervention, celle-ci découle de
la démarche diagnostique du travailleur social. Il s’agit toujours d’une com-
préhension globale et complexe des situations et des problèmes posés, d’une
analyse des forces en jeu et des possibilités de changement. C’est cette
capacité d’élaborer une évaluation diagnostique qui confère au travailleur
social son autonomie technique et sa capacité d’action.

Une force dynamique


C’est bien cette capacité à naviguer dans des eaux mouvantes et complexes,
de se repérer et malgré tout de garder le cap, qui procure au travailleur social

2. De Robertis C., « Pratique professionnelle : une tentative de définition », in Association


provençale pour la recherche en histoire du travail social (APREHTS) (2013), Institutions,
acteurs et pratiques dans l’histoire du travail social, Presses de l’EHESP.

284
Conclusion

toutes ses capacités d’innovation et de création. Qu’est-ce qui donne au travail


social une telle faculté à rebondir, à se renouveler, à produire du nouveau ?
Pour ébaucher une réponse et pour clôturer ce livre, évoquons l’allégorie
de Métis.
Dans la mythologie grecque, Métis est la première épouse de Zeus. Elle
est la mère, la divinité féminine à l’origine du monde. Métis a des pouvoirs
et elle prête ses pouvoirs à Zeus et lui permet ainsi de vaincre les Titans.
Quels sont ces pouvoirs de Métis que Michel Autès 3 compare à ceux du
travail social ? Métis incarne le domaine de l’intelligence pratique, de la
logique de l’action par opposition à Logos qui incarne la vérité, le savoir et
l’ordre du monde.
Tout l’art de Métis s’organise autour de sept thèmes.
La force du faible : la tactique est diffuse, elle joue de la force et de la
lourdeur de l’adversaire comme dans certains combats d’arts martiaux. La
force du faible est faite de résistance, de détournement et à l’occasion, aussi,
d’offensive.
L’art du bon moment : le moment opportun et favorable, choisir l’occasion,
agir lorsque la conjoncture s’y prête. Comme dans le jeu d’échecs, jouer au
bon moment le coup qui, sans enfreindre les règles, fera basculer la partie.
L’art du timonier : la capacité à conduire dans un environnement diffi-
cile, de guider le bateau à travers les récifs dangereux, suivre chaque fois
un chemin différent. C’est l’art d’esquiver, de contourner, mais de poursuivre
son chemin dans la bonne direction.
Être insaisissable : Métis n’a pas de lieu propre, elle est partout. C’est la
ruse, l’habileté, l’art du négociateur. Métis ne ment pas, mais elle ne dit pas
forcément la vérité, pas toute la vérité, pas toujours…
Le savoir-faire du métier : Métis sait utiliser des « trucs », jouer des tours,
elle connaît et maîtrise son art. C’est la compétence de l’artisan à la fois
technicien et artiste.
Faire des liens : la puissance de Métis, c’est l’art de mettre en relation,
d’articuler, de faire se rejoindre, d’utiliser et de promouvoir les réseaux.
L’art du forgeron : faire plier le fer par le feu, créer l’outil, transformer la
matière, imprégner de son sceau l’amélioration de la vie quotidienne.
C’est ainsi que le travail social poursuit son action pour que personne ne
soit laissé au bord du chemin, pour que chacun trouve la place qui doit être
la sienne et affirme sa citoyenneté, pour une société plus juste. Pour cela, il
nous faut nous approprier tout l’art de Métis et affirmer notre engagement
professionnel.

3. Voir Autès M. (1999), Les paradoxes du travail social, Paris, Dunod ; De Robertis C.
(2008), « Positionnement professionnel : face aux mutations mobilisons nos compétences »,
Revue française de service social, n° 230, 3e trimestre.
Table des sigles

AC Agir contre le chômage


AGGIR Autonomie gérontologie groupes iso-ressources
ALFA Association pour le logement familial
ANAS Association nationale des assistants de service social
ANASDE Association nationale des assistantes sociales diplômées d’État
APA Allocation personnalisée d’autonomie
AS Assistant(e) social(e)
ATD Agir tous pour la dignité
CCAS Centre communal d’action sociale
CHRS Centre d’hébergement et de réadaptation sociale
CMPP Centre médico-psycho-pédagogique
CNAM Conservatoire national des arts et métiers
CNESS Comité national d’entente des écoles de service social
CNR Conseil national de la Résistance
CRAM Caisse régionale d’assurance maladie
CSTS Conseil supérieur du travail social
(remplacé en 2016 par le Haut Conseil du travail social [HCTS])
DAL Droit au logement
DEAS Diplôme d’État d’assistant de service social
DSTS Diplôme supérieur en travail social
(remplacé en 2006 par le Diplôme d’État d’ingénierie sociale [DEIS])
ENS École normale sociale
ESMS Établissement social et médico-social
FITS Fédération internationale de travailleurs sociaux
GIR Groupes iso-ressources
GREHSS Groupe de recherche en histoire du service social
HLM Habitation à loyer modéré
IFTS Institut de formation en travail social

287
Méthodologie de l’intervention en travail social

IGAS Inspection générale des affaires sociales


INED l’Institut national d’études démographiques
INSERM Institut national de la santé et de la recherche médicale
IRTS Institut régional du travail social
ISAP Intervention sociale d’aide à la personne
ISIC Intervention sociale d’intérêt collectif
ISSRS Institut de service social et de recherche sociale
JEC Jeunesse étudiante chrétienne
JOC Jeunesse ouvrière chrétienne
ONU Organisation des Nations unies
PCF Parti communiste français
PSU Parti socialiste unifié
RMI Revenu minimum d’insertion
RSA Revenu de solidarité active
SSAE Service social d’aide aux émigrants
SSC Service social de communauté
SSG Service social de groupe
SSI Service social individuel
TISF Technicien de l’intervention sociale et familiale
UCISS Union catholique internationale de service social
UEC Union d’étudiants communistes
UNCAF Union nationale des caisses d’allocations familiales
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Montréal.
Présentation des auteurs

Cristina De Robertis est assistante de service social et formatrice.


Après avoir effectué ses études en Uruguay et aux États-Unis, elle a
exercé sa profession en France. Elle codirige actuellement la collection
« Politiques et interventions sociales » aux Presses de l’EHESP et est membre
du comité de rédaction de la Revue française de service social (ANAS). Elle
participe également aux comités éditoriaux internationaux de plusieurs
revues de travail social, notamment en Espagne.
Cristina De Robertis est l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur la
méthodologie professionnelle et l’éthique du travail social. Elle a été direc-
trice d’un centre de formation en travail social dans le Var.
Henri Pascal est sociologue. Il a mené des activités d’enseignement et de
recherche dans des centres de formations initiales et supérieures en travail
social : École normale sociale, Centre de recherche et d’études sociales du
Var, Institut régional du travail social (IRTS) Provence-Alpes-Côte d’Azur,
Institut de formation technique et de sécurité (IFTS) Var, Collège coopératif
Provence-Alpes-Méditerranée et, plus ponctuellement, dans de nombreuses
autres institutions. Henri Pascal est l’auteur de livres et articles sur l’inter-
vention collective en travail social et sur la sociologie. Il est également
engagé dans la recherche en histoire du travail social et a publié des livres
et articles sur ce thème. Il est président du Groupe de recherche en histoire
du service social (GREHSS) et codirige la collection « Politiques et interven-
tions sociales » aux Presses de l’EHESP.
Françoise Lesimple est assistante de service social, avec le diplôme supé-
rieur en travail social (DSTS) et le diplôme de l’Institut des études supé-
rieures des techniques d’organisation (DIESTO) du Conservatoire national
des arts et métiers (CNAM). Elle a exercé à l’École normale sociale comme
formateur en formation initiale et permanente, puis elle a été responsable
d’unité de formation et directrice adjointe. Elle est actuellement à la retraite
après avoir été chef du service action sociale à l’ordre des avocats au Barreau
de Paris.

295
Autres publications des auteurs

De Robertis C. (dir.) (1993), Le contrat en travail social, Paris, Bayard, coll. « Travail
social ».
— (2003), Fundamentos del Trabajo Social. Etica y metodología, Valencia (Espagne),
Editorial Nau Llibres, Ediciones Culturals Valencianes, SA.
— (2011), Herman C. Kruse. Un reconceptualizador del servicio social, Buenos Aires
(Argentine), Editorial Lumen-Humanitas.
De Robertis C., Orsoni M., Pascal H., Romagnan M. (2014), L’intervention sociale
d’intérêt collectif. De la personne au territoire, Rennes, Presses de l’EHESP, coll.
« Politiques et interventions sociales ».
De Robertis C., Pascal H. (1987), L’intervention collective en travail social. L’action
auprès des groupes et des communautés, Paris, Bayard, coll. « Travail social »
(traductions espagnole et polonaise).
Pascal H. (2012), La construction de l’identité professionnelle des assistantes sociales.
L’Association nationale des assistantes sociales (1944‑1950), Rennes, Presses
de l’EHESP, coll. « Politiques et interventions sociales ».
— (2014), Histoire du travail social en France. De la fin du xixe siècle à nos jours,
Rennes, Presses de l’EHESP, coll. « Politiques et interventions sociales ».

296
Table des matières

Introduction à la nouvelle édition.....................................................................  5


Chapitre 1. L’évolution de la méthodologie de service social en France,
Henri Pascal........................................................................................................ 
11
1.1. L’élaboration d’une méthodologie.............................................................. 12
1.2. Le service social en termes d’actes.............................................................. 15
1.3. La domination du case work....................................................................... 21
1.4. Des méthodes de groupe et de communauté à l’approche globale.............. 26
1.5. L’intervention face à la montée de l’exclusion............................................. 36
1.6. Changements sociaux et évolution de la méthodologie en travail social...... 39
Chapitre 2. Le travail social et les sciences sociales, Henri Pascal...................  41
2.1. Travail social et sciences sociales en débats................................................ 42
2.2. Débats épistémologiques............................................................................ 47
2.3. Intervention en travail social et disciplines contributives............................. 54
Chapitre 3. La méthodologie de l’intervention.................................................  63
3.1. Élaboration de la méthodologie.................................................................. 64
3.2. Définition des termes................................................................................. 67
3.3. Deux modèles en présence......................................................................... 68
3.4. Quelques concepts clés de la méthodologie d’intervention........................ 73
3.5. Les phases de la méthodologie d’intervention en ordre logique.................. 83
3.6. Le processus d’intervention en ordre chronologique................................... 86
3.7. La méthodologie dans les divers champs d’application du travail social...... 88
Chapitre 4. L’analyse de situation, Françoise Lesimple......................................  91
4.1. Définition des termes................................................................................. 91
4.2. Le contexte global...................................................................................... 94
4.3. Analyse du secteur de travail...................................................................... 95
4.4. Analyse du service...................................................................................... 99
4.5. Le travailleur social.................................................................................... 101
4.6. L’usager (individu ou groupe), sa demande................................................. 105
4.7. La démarche d’analyse de situation............................................................ 111
Chapitre 5. L’évaluation diagnostique...............................................................  113
5.1. Définition des termes................................................................................. 115
5.2. Caractéristiques de l’évaluation diagnostique............................................. 118
5.3. Différents types d’évaluation diagnostique.................................................. 122
5.4. Le contenu de l’évaluation diagnostique..................................................... 125
Chapitre 6. Le contrat en travail social..............................................................  133
6.1. Définition des termes................................................................................. 134
6.2. Contexte institutionnel............................................................................... 136
6.3. Conditions et intérêt du contrat.................................................................. 139
6.4. La construction du contrat.......................................................................... 142
6.5. Contradictions et réflexions critiques.......................................................... 145

297
Méthodologie de l’intervention en travail social

Chapitre 7. Le « faire » en travail social, une introduction


à l’intervention sociale....................................................................................... 
149
7.1. L’intervention dans le processus de travail................................................... 149
7.2. Le « faire » et le « comment faire ».............................................................. 150
7.3. Classification des interventions................................................................... 151
Chapitre 8. L’intervention directe......................................................................  155
8.1. Accueillir – Soutenir – Accompagner.......................................................... 157
8.2. Informer – Orienter – Accéder aux droits.................................................... 169
8.3. Persuader – Influencer................................................................................ 183
8.4. Contrôler – Exercer une autorité................................................................. 187
8.5. Mettre en relation – Créer des opportunités nouvelles................................. 194
8.6. Structurer une relation de travail avec l’usager............................................ 197
Chapitre 9. L’intervention indirecte...................................................................  203
9.1. Organisation et veille sociale...................................................................... 204
9.2. L a conduite de projets en travail social avec des groupes............................ 210
9.3. Interventions sur l’entourage des personnes................................................ 224
9.4. Collaboration entre travailleurs sociaux...................................................... 229
Chapitre 10. L’évaluation des résultats de l’intervention..................................  237
10.1. Une exigence incontournable.................................................................. 237
10.2. Qu’entend-on par évaluation ?................................................................. 241
10.3. L ’évaluation des résultats de l’intervention en travail social....................... 245
10.4. Construire des outils d’évaluation............................................................. 251
Chapitre 11. La fin de l’intervention..................................................................  267
11.1. Aspects institutionnels.............................................................................. 269
11.2. Diverses formes de fin de l’intervention sociale........................................ 271
11.3. C
 ontexte relationnel et affectif de la fin de l’intervention.......................... 276
11.4. Formes d’intervention axées sur la clôture................................................ 279
Conclusion..........................................................................................................  283
Table des sigles....................................................................................................  287
Bibliographie......................................................................................................  289
Présentation des auteurs....................................................................................  295
Autres publications des auteurs......................................................................... 296

Maquette de couverture : V. Hélye


Conception : Presses de l’EHESP
Réalisation : PCA-CMB Graphic, Rezé
Achevé d’imprimer en juin 2018
Sepec numérique à Peronnas
N° d’impression : N10715180501
Imprimé en france
Collection dirigée par
Cristina De Robertis, Didier Dubasque et Henri Pascal

La collection Politiques et interventions sociales se propose de favoriser la transmission


des savoirs professionnels du travail social et la diffusion d’informations sur les politiques
sociales. Conçue comme un instrument de formation permanente pour les professionnels
du travail social, les décideurs et tous les acteurs du secteur social, elle vise également à
contribuer à l’éla­boration de nouveaux savoirs dans ce domaine.

action sociale et champs d’intervention


Co-construction. Une alternative managériale (La) (2016)
Michel Foudriat – Préface de Jean-Yves Barreyre
Éducateur spécialisé sous tension (L’) (2015)
Didier Bertrand – Préface de Philippe Gaberan – Avant-propos de Michel Chauvière
Éduquer dans la rue (2015)
Véronique Le Goaziou
Histoires de vie et travail social (2017)
Intervention, formation et recherche
Corinne Chaput-Le Bars – Préface de Brigitte Bouquet
Intervenir au domicile (2014)
Elian Djaoui – 3e édition
Interventions sociales et faits religieux (2014)
Les paradoxes des logiques identitaires
Daniel Verba, Faïza Guélamine (dir.)
L’institution PMI (2018)
Entre clinique du sujet et politique publique
Élian Djaoui, Françoise Corvazier – Préface de Pierre Suesser
Nouvelles figures de l’usager (Les) (2017)
De la domination à l’émancipation ?
Dominique Argoud, Michèle Becquemin, Claire Cossée, Anne-Claudine Oller (dir.)
Postface de Michel Chauvière
Pour une approche interculturelle en travail social (2015)
Théories et pratiques
Margalit Cohen-Emerique – Préface de Tania Ogay – 2e édition

éthique, déontologie, droits humains


Travail social face au racisme (Le) (2006)
Contribution à la lutte contre les discriminations
Faïza Guélamine
histoire
Construction de l’identité professionnelle des assistantes sociales (La) (2012)
L’ANAS (1944-1950)
Henri Pascal

international
Travail social sans frontières : innovation et adaptation (2013)
Philippe Hirlet, Jean-Louis Meyer, Yvette Molina, Béatrice Muller (dir.) dans le cadre
de l’UNAFORIS – Préface de Pierre Gauthier

ouvrages de référence pour la formation & la recherche


Étudier les ados (2014)
Thierry Goguel d’Allondans et Jocelyn Lachance – Préface de Claude Rivière

Fabrique du doctorat en travail social (La) (2018)


Controverses et enjeux
Stéphane Rullac, Jean-Pierre Tabin, Arnaud Frauenfelder (dir.)

Formations du secteur social aujourd’hui (Les) (2017)


Transformations et diversifications
Yvette Molina, Gilles Monceau, UNAFORIS – Préface de Stéphane Doutrelon

Histoire du travail social en France (2014)


De la fin du XIXe siècle à nos jours
Henri Pascal

Intervention sociale d’aide à la personne (L’) (2014)


Conseil supérieur du travail social – Avant-propos de Cristina De Robertis

Intervention sociale d’intérêt collectif (L’) (2014)


De la personne au territoire
Cristina De Robertis, Marcelle Orsoni, Henri Pascal, Michèle Romagnan

Méthode des chocs culturels (La) (2015)


Manuel de formation en travail social et humanitaire
Margalit Cohen-Emerique, Ariella Rothberg

Recherches-actions collaboratives (Les) (2015)


Une révolution de la connaissance
Les chercheurs ignorants – Préface de Dominique Blin

Scientifisation du travail social (La) (2014)


Stéphane Rullac

Travail social et territoire (2015)


Concept, méthode, outils
Alexandre Moine, Nathalie Sorita
Méthodologie de l’intervention

Méthodologie
en travail social
Cristina De Robertis

D epuis 35 ans, par une approche globale qui prend en compte


l’intervention
de

Méthodologie de l’intervention en travail social • Cristina De Robertis


les dimensions individuelle, familiale et de groupe, ce manuel

travail social
demeure la référence pour la formation aux méthodes du travail
social. Traduit en plusieurs langues, il représente une contribution
fondamentale à la construction internationale du travail social.
Cette nouvelle édition a été révisée et actualisée en tenant compte
des évolutions récentes des problématiques et des terminologies. en
Parce qu’une profession n’existe pas sans un ensemble de connais-
sances transmissibles et un cadre conceptuel général intégrant la
diversité des approches et des modèles, ce livre contient les éléments
de base indispensables pour le savoir-faire professionnel (processus Cristina De Robertis
historique de construction de la méthodologie, liens entre travail
social et sciences sociales, concepts et élaboration de la méthodo-
logie d’intervention et étapes du processus d’intervention), tout
en contribuant à la construction d’une professionnalité créative Nouvelle édition
et impliquée.
Les étudiants et praticiens du travail social (re)découvriront ici un
véritable manuel de formation professionnelle, initialement destiné
aux futurs assistants de service social, mais dont l’audience s’est
depuis élargie à d’autres formations en travail social. Ils y trouveront
un outil d’analyse et de réflexion proposant des repères pour une
plus grande aisance pratique, et un cadre conceptuel général pour
penser leur savoir-faire professionnel.
Cristina De Robertis, assistante sociale et ancienne directrice d’un Institut
de formation en travail social, a enseigné la méthodologie d’intervention
individuelle et collective et a écrit plusieurs livres et articles sur ce thème.
Henri Pascal, sociologue, ancien formateur-chercheur dans des centres
de formation et président du Groupe de recherche en histoire du service
social (GREHSS), a enseigné la méthodologie d’intervention collective
et l’histoire du travail social.
Françoise Lesimple, assistante sociale, titulaire du diplôme supérieur en
travail social et ancienne chef du service d’action sociale à l’ordre des avocats
au Barreau de Paris, a enseigné en formation initiale et supérieure dans
un centre de formation à Paris, dont elle a été directrice adjointe.

ISBN : 978-2-8109-0684-0

35 € www.presses.ehesp.fr

Couv_PIS imposition.indd 1 23/05/2018 10:23:20

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